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N 24/2009

Parution irrégulière

Surface approx. (cm²) : 1088


N° de page : 11-13
74 AVENUE DU MAINE
75682 PARIS CEDEX 14 - 01 44 10 10 10

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LES ORIGINES I Introduction

Apparue au xvm6 siècle, la franc-maçonnerie


se veut l'héritière des maçons du Moyen Âge.
Elle en revendique les symboles et les mythes.

AUX ORIGINES DE LA
FRANC-MAÇONNERIE
Par Roger Dachez

L
a franc-maçonnerie qui, sous la dire liée au Métier de maçon lui-même,
forme que nous lui connaissons dont les célèbres « bâtisseurs de cathé-
aujourd'hui, a émergé du néant drales » sont les plus fameux héros Sur
documentaire à la fin du xvue siècle, s'est ces chantiers, principalement ecclésias-

mta
Roger
Dachez,
tres tôt préoccupée, sinon de son his- tiques maîs aussi consacrés aux grandes
toire - au sens ou nous poumons com- demeures seigneuriales ou royales, tout
prendre ce mot de nos jours - du moins un peuple d'ouvriers vivait et s'admi-
de son passe traditionnel C'est princi- nistrait sous la houlette de leurs com-
palement à ce souci manditaires, abbés,
president que répondent les plus Avec les évêques ou grands
de l'Institut anciens de ses textes dignitaires laïcs
maçonnique de
fondateurs « Anciens Devons », Lavie professionnelle
France, auteur
if Histoire de la
II ne faut cependant nous pénétrons commençait alors très
franc maçonnerie pas se méprendre sur dans un monde tôt vers 8 ou 10 ans,
française (PUF, 2003) leur nature, leur ori- parfois plus jeune Le
et de L Invention ile gine et leur propos ou se côtoient novice - qu'on nom-
la franc maconnerie Avec les Anciens la légende et l'histoire mait « apprenti » -, au
DesOperatifsaux Devoirs (Old Charges), sortir de l'enfance,
Spéculatifs (Vega, qui s'échelonnent de la fin du xiv6 siecle était livré à l'entière domination du
2008)
au premier tiers du xvm6, c'est en effet maître qui l'employait à sa guise pour
dans un monde étrange et déroutant lui inculquer les rudiments du métier
Tailleurs que nous pénétrons, un monde où se Puis, au bout de quèlques années, à
de pierre, côtoient, au point de souvent se confon- peine aguerri maîs déjà familiarisé avec
enluminure
dre, le mythe, la légende et l'histoire les pratiques du métier, venait pour lui
tirée du traite
d'arpentage ll a existé au Moyen Âge - nous pouvons le moment solennel où il allait enfin être
dArnaud dè du moins en savoir quelque chose de « reçu » sur le chantier En un temps où
Villeneuve substantiel à partir du xine siècle environ tout acte de la vie sociale devait être
(13551415) - une Maçonnerie « opérative », c'est-à- ritualisé et religieusement enca- »
TREDANIEL Eléments de recherche : Toutes citations : - GUY TREDANIEL : éditeur - LES EDITIONS DE LA MAISNIE - LE COURRIER DU LIVRE - LES
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••• dre, sa réception suivait un pro- en effet une histoire du Métier peu sou-
tocole strict dont les principaux points cieuse de chronologie et de vraisem-
nous sont connus. blance, mais riche de sens, traçant le
Certains soirs, un jeune était admis développement de la géométrie et de
parmi les maîtres et les compagnons l'art des maçons depuis le Paradis ter-
assemblés tout autour de la pièce. Dans restre, évoquant successivement et
l'espace central, on avait sans doute sans grand effort de cohérence la tour
disposé quèlques outils du Métier. À de Babel, le temple de Jérusalem, Pytha-
l'extrémité de la loge, un clerc tenait un gore* et Euclide*.
parchemin et un livre des Évangiles*. Pour les artisans du Moyen Âge, ces
On donnait alors lecture des Anciens textes donnaient du sens à leur travail
Devoirs, c'est-à-dire de toutes les obli- de chaque jour : c'était la preuve que,
gations morales et professionnelles depuis des temps immémoriaux, ils
auxquelles l'« apprenti entré » devait se collaboraient à l'œuvre de Dieu. Cette
plier, à commencer par une entière insertion de la Maçonnerie « opérative »
obéissance à son maître. Puis il jurait - c'est-à-dire celle des maçons qui tra-
sur le livre saint, entre les mains de l'unvaillaient de leurs mains - dans un cadre
des plus anciens parmi les présents. Sa fabuleux et mythique ne prenait évi-
vie avait changé : désormais il « appar- demment tout son sens que dans la
mentalité médiévale. Cette
tradition allait cependant lui
En peu d'années, survivre.
Vers le xvf siècle, le déclin
le modèle intellectuel des chantiers religieux,
des free-masons notamment en Grande-
l'emporte sur le modèle Bretagne après la Réforme*,
entraîna de profondes modi-
communautaire fications dans l'organisation
et corporatif des anciens du métier de maçon. Les
artisans. grands chantiers se firent
plus rares et les loges qui s'y
tenaient disparurent. Mais
dans le courant du xvif siècle,
tenait au Métier ». Déjà, il pouvait rêver en Angleterre, des versions récentes des
au jour, distant de quèlques années, où Anciens Devoirs circulaient encore. Et
il deviendrait un compagnon - c'est-à- même s'il y a fort à parier que les maçons
dire un ouvrier accompli et reconnu - et opératifs* n'en faisaient plus usage, elles
à celui, plus lointain encore et surtout continuaient à transmettre la fabuleuse
plus incertain, où il pourrait peut-être histoire des maçons. Dans des circons-
épouser la fille d'un maître pour deve- tances encore imparfaitement élucidées,
nir maître à son tour... des hommes qui ne construisaient plus
d'édifices matériels et se nommaient les
Naissance des maçons « libres » « francs-maçons » - c'est-à-dire les
Mais, surtout, au cœur du Moyen Âge, « maçons libres » - empruntèrent ces
les Anciens Devoirs, des textes écrits récits pour les appliquer à de nouveaux
par des clercs - et non par les maçons desseins, fondant ainsi la franc-maçon-
eux-mêmes, illettrés pour la plupart -, nerie « spéculative* ».
assignaient déjà à l'art de bâtir des Lorsque la première Grande Loge ayant
origines fabuleuses et mythiques. Ces jamais existé fit son apparition, à Lon-
manuscrits anglais, dont les plus vieux dres le 24 juin 1717, l'innovation est de
actuellement connus remontent à la fin taille. Jamais, en effet, les loges opéra-
du xiv6 siècle et au début du xv6 - manus- tives médiévales, dispersées, isolées,
crit Regms, v. 1390 (cf p. 14); manuscrit seulement unies par de vagues tradi-
Cooke,v. 1410 (cf p. 16)-, rapportaient tions et quèlques usages, n'avaient

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reconnu d'autorité centrale unique,


encore moins de Grand Maître et de
Grands Officiers couverts d'honneurs.
Et, du reste, elles n'existaient plus
depuis longtemps ! Que s'était-il produit
au juste? Quatre loges « et quèlques
frères anciens » s'étaient assemblés
dans une humble taverne de Londres,
L'Oie et le Gril, dans le quartier Saint-
Paul, et avaient décidé de se constituer
en Grande Loge. L'un des plus anciens
maîtres présents, Anthony Sayer, fut
élu Grand Maître et l'on décida de se
réunir à nouveau l'année suivante. Ce
fut presque un non-événement...

Une légende de fondation


En 1719, deux ans après la fondation
bien modeste de la Grande Loge, un
nouveau Grand Maître est élu, mais il
n'a plus rien à voir avec le très discret
Anthony Sayer : c'est Jean-Théophile
Désaguliers* (1683-1744), fils d'un pas-
teur rochelais émigré en Angleterre lors
de la révocation de l'Édit de Nantes.
Élevé à Londres, éduqué à Oxford, brillant
sujet devenu ministre de l'Église d'An-
gleterre, le révérend Désaguliers s'im-
pose aussi comme un spécialiste de la
philosophie naturelle - c'est-à-dire de
physique newtonienne. Il est même l'un
des collaborateurs les plus proches de
Newton * à la Royal Society, dont le grand
savant est alors le président et Désagu-
liers le « curateur aux expériences ». À
sa suite, une déferlante d'aristocrates
proches de la nouvelle dynastie hano-
vrienne et de membres de la Royal
Society envahit alors la Grande Loge,
lui fournissant désormais tous ses cadres
et surtout ses Grands Maîtres. En peu
d'années, sa sociologie est transformée :
le modèle intellectuel des free-masons
l'emporte définitivement sur le modèle Anderson (1678-1739), qui rédigera le
communautaire et corporatif des simples Livre des Constitutions, texte « refonda-
artisans. Un autre destin s'ouvre alors teur », si l'on peut dire, reprenant notam-
pour la franc-maçonnerie. ment les bases mythiques des Anciens
Il ne reste à la jeune Grande Loge, Devoirs en les enrichissant de dévelop-
soucieuse d'asseoir son autorité et de pements nouveaux, au profit de la
fonder sa légitimité, qu'à se doter d'une Grande Loge désormais pourvue d'une
légende de fondation. Ce sera chose histoire « immémoriale ». La Maçonne-
faite en 1723, grâce à un autre ecclé- rie opérative a vécu, mais sa légende
siastique, un presbytérien écossais demeure intacte. Et du reste, elle vit
choisi par Désaguliers : le pasteur James encore. *
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