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Joseph Lavallée,... et
par M. Adolphe
Guéroult,.... [suivi de]
Espagne, depuis
l'expulsion des maures
[...]
Source gallica.bnf.fr / Bibliothèque nationale de France
Lavallée, Joseph (1801-1878),Guéroult, Adolphe (1810-1872). Espagne / par M. Joseph Lavallée,... et par M. Adolphe Guéroult,.... [suivi de] Espagne, depuis l'expulsion des
maures jusqu'à l'année 1847 / par M. Joseph Lavallée,.... [suivi de] Iles Baléares et Pithyuses / par M. Frédéric Lacroix. [suivi de] Sardaigne / par M. le président de Grégory. [suivi
de]. 1844-1847.
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DE SARDAIGNE,
PAR
M. LE CHEVALIER G. DE-GRÉGORY,
PARIS,
FIRMIN DIDOT FRÈRES, ÉDITEURS,
IMPRIMEURS-LIBRAIRES DE L'INSTITUT DE FRANCE ,
M DCCC XXXIX.
TYPOGRAPHIE DE FIRMIN DIDOT FRÈRES,
RUE JACOB, N° 56.
L'UNIVERS, OU
HISTOIRE ET DESCRIPTION
DE TOUS LES PEUPLES,
DE LEURS RELIGIONS, MOEURS, INDUSTRIE, COSTUMES, ETC.
SARDAIGNE,
PAR M. LE CHEVALIER. G. DE-GRÉGORY,
PRESIDENT HONORABLE DE LA COUR ROYALE D'AIX EN PROVENCE, MEMBRE DES ACADEMIES
D'ARCHEOLOGIE DE ROME, DE TREJA , DES SCIENCES DE TURIN, DE CHAMBÉRY, DES
pape Pie VI a pratiqué pour les marais Le cap septentrional est suffisam-
Pontins. ment arrosé; il compte un assez grand
Le cap méridional, découvert, aride, nombre de rivières et de ruisseaux
pauvre de végétation, est dévoré par d'eaux vives, qui descendent des mon-
l'ardeur du soleil. C'est là que les ma- tagnes et de ses collines boisées, les-
ladies mortelles, dites de l'intempérie, quelles fournissent en abondance un
les fièvres pernicieuses et putrides, combustible excellent à la ville et à la
emportent les malades dans les vingt- partie de la côté d'Italie appelée la
quatre heures, comme il arrive très- rivière de Gênes.
souvent à Rome, dans ses campagnes, Une importante question de géolo-
et dans les ferres marécageuses de la gie se présente ici : celle de savoir si
Toscane, depuis le mois de juillet jus- la Sardaigne était anciennement con-
qu'au mois de novembre de chaque tiguë à la Corse. Nous n'entrerons
année. Ainsi, d'après l'historien géo- pas dans l'exposé des opinions émisés
graphe Pomponius Mela, on peut dire par les savants, qui croient avec fon-
avec raison qu'eu Sardaigne la terre dement que l'espace occupé aujour-
vaut mieux que l'air sarde ; c'est ce que d'hui par la Méditerranée ne formait
le Dante, au chapitre XXIX de l'Enfer, dans les premiers âges du monde qu'un
nous atteste : seul continent, qui fut violemment
Qual dolor fora, se degli spedali disjoint par les irruptions de l'Océan
Di Valdichiana tra'l luglio e'l settembre, entre les colonnes d'Hercule , comme
E di Maremma e di Sardigna i mali
Fossero in una fossa tutti insembre ; plus anciennement encore arriva la
Tal' era quivi e tal puzza n'usciva , séparation de l'Amérique et de l'Asie
[ Quai snol venir dalle marcite membre. au détroit de Behring ; nous dirons seu-
lement avec Buffon , Cetti et Besson ,
Ces maladies sont produites par les
exhalaisons marécageuses tout à fait que, d'après l'aspect des lieux, la na-
ture des terrains et la correspondance
analogues à celles des marais Pontins, des montagnes, il est très-probable
et plus encore par des vents froids qui
soufflent inopinément dans la nuit, que les deux îles étaient unies par le
détroit de Saint-Bonifacio.
au milieu des grandes chaleurs, dé-
les plus Nous ajouterons ici que le célèbre
truisent les tempéraments
forts et terrassent l'homme le plus géologue l'abbé Giovene de Molfetta
avait reconnu en 1807, que dans la mer
robuste; car ces exhalaisons pestilen- il existe des bancs de tuf
tielles enveloppent l'atmosphère et agis- Adriatique
sent sur l'économie, de la même ma- fluvial, ce qui l'amena à conjecturer
avec, les savants Thompson et Patrini,
nière que dans les pays des rizières,
que ce golfe n'existait pas dans l'origine,
lorsque la police rurale, par défaut de et qu'il fut formé par une révolution ter-
surveillance, ne s'oppose pas à la sta- restre. Aussi le chevalier Ferrero, dans
gnation des eaux sur les champs (*). ses observations, a-t-il reconnu que la
Les capitanats d'Oristano et de Cagliari
chaîne centrale des montagnes qui tra-
sont les plus infectés; et, pour puri-
versent la Sardaigne comme un véri-
fier l'air, on y fait des feux considé-
table noyau primitif, se trouve dans là
rables; on brûle dans les champs toutes même direction que la chaîne centrale
les mauvaises herbes : précautions qui
des montagnes de la Corse, ce qui con-
sont d'une grande utilité dans les pays
firme de plus en plus l'ancienne unité
sujefs à des contagions. des deux îles.
du problème
La population de la Sardaigne, au
(*) Voyez le livre : Solution
concernant la conser- temps des Romains, pouvait monter
économico-politique à deux millions d'âmes ; et Polybe at-
vation ou la suppression de la culture dit riz
en Lombardie, avec l'indication des moyens teste que cette île était très-peuplée.
des rizières, sans porter Sous la domination espagnole, elle ne
propres à former
atteinte à la salubrité publique, par le chev. comptait plus que trois cent vingt-sept
vol. in-8. Turin et Paris,
1818, mille habitants ; et elle doit au duc de
De-Gregory,
1.
L'UNIVERS.
nius restât dans l'île avec son armée qu'ils décorèrent de si beaux monu-
ments.
pendant l'année entière (*).
Rome demeura enfin triomphante Les bains d'eaux minérales et les
des Carthaginois, et, après la des- thermes construits par les Romains
truction de Carthage, la destinée de, étaient magnifiques et ornés de mar-
la Sardaisne fut fixée : elle forma une bres. On trouve à Codrongianos des
partie intégrante de cette grande na- restes des anciens thermes dits Aquae
tion, à l'exception toutefois des peu- hypsitanae. Le pont sur le Turritano
plades montagnardes , qui furent ap- est un ouvrage romain. A Terranova,
pelées Balari ou Barbari. On envoya qui est l'ancienne Olbia, et à Sas-
en Sardaigne plusieurs préteurs, dont sari, on voit de vieux aqueducs qui
le plus probe fut Cato Marcus Porcius ne sont cependant ni aussi conservés,
dit le Sévère, l'ami du poète Q. En- ni aussi curieux que ceux de la ville
nius, Calabrais établi dans cette île, de Cagliari, dont l'eau était prise à
et que Caton conduisit à Rome avec cinq lieues de distance de la capitale,
lui vers l'an 170 avant l'ère chré- à la suite de travaux d'une grande
tienne. Le sénat, pour opérer une difficulté que les barbares ont presque
fusion complète, éleva au rang de ruinés, mais dont on admire encore
cités romaines les villes principales de les débris.
Kalaris, Sulcis, Neapolis, Rosa, Nora, Jules César, après son triomphe sur
Olbia, Forum Trajani. Pour tenir en Pompée, au retour de l'expédition
respect les nouveaux citoyens, deux d'Egypte, s'arrêta un mois à Cagliari ;
colonies romaines furent fondées, il mit une contribution d'un million de
l'une à Usellis, l'autre à Turris, et par francs sur la ville de Sulcis (*), qui
l'amalgame politique des deux peu- avait donné asile à la flotte de Nasi-
ples on obtint la paix des familles. dius et fourni des vivres et des se-
Les destructions du temps, et plus cours à ce partisan de Pompée. Oc-
encore les dégradations opérées par tave, lorsqu'il fit le partage de l'em-
la main de l'homme, ont renversé les pire avec M. Antoine, se réserva la
précieux édifices de l'antiquité dans Sardaigne à cause de sa fertilité. Ti-
l'île de Sardaigne; cependant, on re- bère fut peu favorable aux Sardes
marque encore aujourdhui à Cagliari sous prétexte de confectionner des ou-
les restes d'un ample amphithéâtre, vrages publics, il envoya quatre mille
et à Nora de vastes aqueducs ruinés, juifs pour être employés à de rudes
ce qui prouve que les Romains ne por- services, et il infecta le pays d'une
tèrent pas à ce pays moins d'inté- foule d'hommes corrompus. Voyez
rêt qu'à tous ceux de leur domination, Tacite, Annales, liv. 2.
Il paraît même qu'au temps de Ti-
bère la Sardaigne eut un préteur par-
Ce que Tite-Live raconte au chapi-
(*) ticulier, et que son gouvernement fut
tre XXVIII , doit se rapporter, à notre avis,
non à une nouvelle
séparé de celui de la Corse, qui, jus-
rébellion des Sardes,
qu'alors, n'avait formé qu'une seule
comme quelques historiens ont pensé, mais
province. Le gouvernement de Rome,
au triomphe qui fut accordé à Gracchus pré-
très-sage et très-politique, mit un
cédemment, parce qu'il avait en différentes
batailles tué ou fait grand soin à établir en Sardaigne et à
prisonniers plus de
quatre-vingt mille rebelles. Pour concilier y maintenir des moyens de correspon-
les faits des deux chapitres, il faut observer dance, ce qui a contribué à la prospé-
au chapitre rité et à la tranquillité publique. Jetons
que Tite-Live, XXXI , dit que
M. Aurèle, fut, après Gracchus,
un coup d'oeil sur l'itinéraire d'Anto-
préteur,
envoyé en Sardaigne avec une légion nou- nin, et nous verrons combien de routes
velle; en conséquence,
l'inscription placée
dans le temple, et transcrite au chapi- (*) L'ancienne position de cette ville est
tre doit être attribuée au triomphe
XXXVIII, presque ignorée, et les savants différent
décrété par le sénat.
d'opinion à cet égard.
SARDAIGNE. 9
unissaient entre eux les différents vil- Avant de parler des vicissitudes
lages. Des pierres milliaires qu'on dé- souffertes sous ces barbares par les
couvre à chaque instant, ainsi que Sardes, il est important de donner
plusieurs débris de voies romaines, une idée de leur ancienne industrie
surtout dans la partie centrale de l'île, agricole, de leurs revenus et de leur
viennent à l'appui des récits des histo- religion sous la domination romaine.
riens anciens. Rome tirait de la Sardaigne une
Vers l'an 303, le christianisme s'é- assez grande quantité de miel, dont
tablit en Sardaigne apportant avec lui la saveur était un peu amère, à cause
l'égalité évangélique; bientôt sous l'em- des fleurs des plantes aromatiques sur
pereur Dioclétien , il y eut de nom- lesquelles les abeilles le recueillaient ;
breux martyrs, parmi lesquels on citait on tirait aussi de la cire et une énorme
saint Efisio , qui est aujourd'hui le contribution en blé, par la dîme sur la
protecteur de cette île. récolte, ainsi que cela se pratiquait
Efisio était un des généraux de l'em- dans les provinces dites Decumanae,
pereur qui fut envoyé en Sardaigne contrairement à l'usage suivi pour cel-
avec des troupes pour réduire les chré- les qui payaient les impôts en argent,
tiens. A peine arrivé dans l'île, il fut et qui étaient désignées sous le nom de
converti lui-même par ceux qu'il ve- Stipendiariae provinciae.
nait combattre, et, la croix à la
main, il marcha contre les barbares § III.
de l'intérieur toujours indomptables; Des invasions des barbares du Nord,
mais, après les avoir battus, il fut des Maures ou Sarrasins.
forcé de les laisser avec leurs idoles et _
leur indépendance. Après huit siècles de domination
Dioclétien, informé de la conversion romaine, à la chute du vaste empire,
à la religion chrétienne de ce général, les Sardes furent, comme l'Italie, op-
le livra aux bourreaux, et Efisio reçut primés par les barbares du Nord qui,
la mort avec intrépidité. les uns après les autres, de la Scandi-
La politique romaine voulait établir navie et des autres régions septentrio-
partout dans les provinces conquises nales , descendirent de leurs forêts
l'unité de religion : on imposa donc pour revêtir les manteaux des Césars
aux Sardes les divinités de Rome, si richement brodés et s'emparer des
sans toutefois arracher les insulaires trésors du grand empire.
à la dévotion qu'ils ont conservée A la mort de Valentinien III, vers
pour Sardus Pater, qu'ils adoraient- l'an 455, le roi Genséric, à la tête
sous la forme d'Hercule. Les histo- d'une armée considérable de Vandales,
riens n'ont point parlé de la religion réduisit, en l'an 456, les Sardes à
primitive de ce peuple; mais, d'après l'esclavage, jusqu'à ce que Bélisaire,
l'idole que le chevalier Ferrero la Mar- vainqueur du roi Gélimer, eût en-
mora nous a présentée (planche 3), voyé Cyrille pour occuper la Sar-
on peut penser qu'ils avaient avec les daigne. Les Goths, commandés par
Carthaginois des croyances commu- Totila, s'emparèrent aussi de cette île,
nes. En effet, l'idole en bronze que en l'année 547, mais ils en furent
nous donnons représente l'Hercule chassés par Narsès au bout de cinq
sarde avec sa massue et le bâton années.
pastoral qui indique la protection Il ne paraît pas que les Lombards
accordée par Sardus à l'agriculteur aient étendu leur domination sur l'île
et au berger, professions qui forment de Sardaigne, et c'est au pape Gré-
la richesse principale de la Sardaigne. goire le Grand que cette île en est re-
La tunique dont l'idole est revêtue est devable : en effet, en l'an 598, ayant
semblable à celle qui a été conservée appris qu'Agilulphe, duc de Turin,
par quelques paysans sardes, comme époux de la célèbre Théodelinde, veuve
nous le ferons observer plus bas. d'Autharis, roi de Lombards, méditait
1O L'UNIVERS,
une descente dans l'île, Grégoire s'em- l'heureux guerrier qui parviendrait à
d'en l'évêque la délivrer des Maures. En 1017, les
pressa prévenir Genua-
rio, qui fit aussitôt prendre les armes Pisans et les Génois y tentèrent, sans
au peuple sarde pour sa défense. beaucoup de succès, une expédition ; ce
L'histoire de la Sardaigne offre peu fut alors que le pape Benoît VIII prê-
d'intérêt jusqu'à l'année 720, époque cha une croisade pour la délivrance de
de l'invasion dés Maures ou Sarra- l'île; mais les Pisans, déjà maîtres de
sins , qui dévastèrent tous les monu- l'île, furent repoussés par Musset venu,
ments et opprimèrent le peuple. Ce fut d'Afrique : enfin Léon IX prêcha une
alors que Luitprand, roi des Lombards, nouvelle croisade, et le roi Musset,
envoya aux Sardes des secours d'hom- fait prisonnier, mourut à Pise, âgé de
mes et d'argent, à l'aide desquels ils plus de quatre-vingts ans.
parvinrent à chasser les Maures vers
§ IV.
l'an 739; mais les luttes continuelles
De la domination des Pisans, des
avec les Maures d'Afrique, déjà do-
les Génois et des empereurs d'Alle-
minateurs en Espagne, obligèrent
la magne en Sardaigne.
Sardes, en 815, à se mettre sous
protection de Louis le Débonnaire, roi La guerre, contre les Maures étant
de France, empereur d'Occident, qui terminée, les Pisans rentrèrent alors
envoya en 820 une escadre, comman- dans la paisible possession de la
dée par Boniface, comte de Lucques, Sardaigne, où ils établirent des fiefs
pour exterminer les pirates sarrasins. qu'ils donnèrent comme récompense
Louis le Pieux exerça quelque juridic- à leurs alliés les. Génois, sans cepen-
tion dans cette île par la confirma- dant partager le pays avec leurs confé-
tion, en faveur de l'église romaine, des dérés , comme M. Sismondi a cru devoir
donations qu'avait faites en Sardaigne l'affirmer. Ils distribuèrent seulement
Charlemagne son prédécesseur. Celui- l'île en quatre provinces gouvernées de
ci , en effet, pour consolider la paix et nouveau par des juges, citoyens pisans,
rendre le peuple plus obéissant, après installés à Cagliari, à Torres, à Gal-
avoir détrôné son beau-père Didier, lura et à Arborea, lesquels s'arrogèrent
dernier roi lombard, avait confié aux bientôt des droits de suzeraineté; ils
évêques le gouvernement politique, renoncèrent encore à l'usage de leur
pouvoir bientôt reconquis par le peu- nom de famille, désormais au-dessous
ple, qui le mit entre les mains des de leur nouvelle dignité, quelque ho-
représentants de la république, sous norable que ce nom pût être ; et, comme
le nom de podestats ou de juges, ou pour embrouiller à plaisir les fastes
sous d'autres titres. Les Sardes crurent contemporains, ils ne gardèrent plus
devoir aussi en cela imiter les républi- que le prénom en y joignant le titre
ques d'Italie du moyen âge : le clergé de la province qui leur obéissait, à
et le peuple élurent des chefs station- l'instar des princes souverains et des
nàires, et l'île fut partagée en quatre évêques : ainsi, le premier juge de Ca-
petits Etats. Cette division affaiblissant gliari , en l'année 1.050, s'appelait Tor-
les forces nationales, appela de nouveau celui d'Arborée Mariano ,
chitorio,
les Maures, et le kalife. Moez-Ledin- celui de Torres Gonnario, et celui
Allah, en 970, fit une descente dans de Gallura Manfredi. Le pape Gré-
la Sardaigne, où il exerça pendant goire VII, écrivant aux juges sardes, les
trente ans son autorité royale. prie de conserver à l'église romaine l'at-
Le pape Jean XVIII, prévoyant tachement que leurs ancêtres lui por-
les malheurs qui résulteraient pour taient, ce qui prouve que ces places fu-
l'Italie, de l'installation des musul- rent héréditaires. C'est en 1066 que,
mans en Sardaigne, d'où ils pour- par leurs rivalités, les juges donnèrent
raient à leur aise exercer la piraterie, ensuite naissance aux factions guelfe
publia un bref par lequel il accorda, et gibeline, qui pénétrèrent comme
en l'an 1004, l'investiture de l'île à une épidémie dans cette malheureuse
SARDAIGNE. 11
contrée, et divisèrent entre eux les Avant de parler de la domination
Pisans gibelins et les Génois
guelfes aragonaise sur la Sardaigne, nous
ou papistes. En 1158, l'empereur Fré- de
croyons utile, pour l'intelligence
déric Barberousse déclara que la Sar- cet abrégé historique, de donner la
daigne lui appartenait, et il accorda le série chronologique des juges ou sei-
titre de roi à un de ces juges, à celui
gneurs qui dominèrent dans les quatre
d'Arborée, nommé Barison, moyen-
nant le prix de quatre cents marcs l'île, fut fondée bien après Olbia (petit
d'argent; ensuite il accorda le même village appelé maintenant Terra Nuova),
titre au duc Guelfe, son oncle, et par les premiers colons de l'île. Les Romains
enfin il vendit la Sardaigne aux Pi- ornèrent cette ville d'un vaste amphithéâtre,
sans pour treize mille marcs d'argent, d'un immence aqueduc et de plusieurs autres
monuments dont on peut voir encore les
ce qui fut le motif d'une nouvelle
ruines. Le point de vue de Cagliari, pris du
guerre entre les chefs de cette répu- côté des promenades offre le ta-
publiques,
blique et ceux de Gênes. Ceux-ci, qui bleau le plus agréable; son entrée
avaient prêté à Barison l'argent pour par le
faubourg Stampaces est imposante, les rues
payer le prix dû à Frédéric, ne pou- principales sont larges, et les maisons sont
vant installer Barison à Oristand, le embellies par de magnifiques balcons à l'ita-
tinrent à Gênes prisonnier pour dettes lienne. La place de Saint-Charles est déco-
pendant huit ans, jusqu'au payement rée de la statue en bronze du feu roi Char-
de l'argent prêté. les-Félix, tribut de reconnaissance justement
Les pontifes romains, Innocent III dû à ce roi ; ou y voit aussi la première
borne de la grande route que ce monarque
et Grégoire IX, élevèrent aussi des pré-
tentions sur cette île, et la donation a fait construire : là se trouve la station des
que la belle Adélasie, veuve d'Ubalde, diligences qui transportent les voyageurs
l'un des derniers juges de Gallura et de jusqu'à Porto Torres.
Le château ou castello renferme sur le
Torres réunis, avait faite de la Sardai-
plateau de la colline le plus agréable des
gne au saint-siége, en 1239, fut an- de la ville où résident les
nulée par le successeur à l'empire. En quatre quartiers
autorités , la noblesse et les riches bourgeois.
1238, Frédéric II fit épouser cette veuve C'est dans le palais royal, vaste et majes-
à son fils naturel, le malheureux En- tueux édifice, sur lequel flotte le pavillon
zius, auquel on donna le titrè de roi de bleu , emblème de la souveraineté de l'au-
Sardaigne. Après la mort horrible de guste maison de Savoie, que le roi Charles-
ce roi, qui périt en 1273 près de Bo- Emmanuel IV et ses quatre frères sont ve-
logne, dans une cage de fer où il avait nus dernièrement séjourner; le vice-roi y
été misérablement enfermé, les hosti- tient sa représentation. Le bastion de Sainte-
lités entre les Pisans et les Génois Catherine sert de promenade d'hiver; on y
recommencèrent, et les premiers fu- voit les restes des fortifications espagnoles.
rent enfin obligés, en 1295 , de céder Cette capitale possède une académie d'a-
le château de Cagliari, dans lequel ils griculture, une imprimerie royale, un mu-
avaient élevé les trois grosses tours sée d'histoire naturelle, un autre d'antiqui-
tés nationales, ce dernier formé aux frais
rougeâtres (voyez planche 4) cons- du roi Charles-Félix, enfin une université
truites en pierres dures et compactes
de la nature du marbre, rovale des études, qui fut fondée dans le
qu'on y
voit encore aujourd'hui, et d'aban- septième siècle. En 1788 , le poëte Berlendis
Ange, professeur d'éloquence, y fit prospé-
donner plusieurs bastions de cette rer l'étude de la belle littérature.
belle ville, dont la situation est si Le vaste port de Cagliari reçoit et exporte
agréable lorsqu'on vient de la mer. Elle chaque année, terme moyen , pour la valeur
s'élève en amphithéâtre depuis le quar- de sept millions de livres sardes (la livre
tier de la marine qui borde le pont, jus- sarde équivaut à la livre tournois). Pour se
qu'au sommet de la colline où est placé préserver des contagions, à un quart de
le château (*). lieue du port et de la maison de santé, on
a construit un lazaret où les bâtiments sont
la de tenus de faire quarantaine.
(*) Cagliari, aujourd'hui capitale
12 L'UNIVERS.
Pierre I avec Ugone II , son fils.
judicats, titre modeste, et adopté pour
1191.
1211. Constantino II.
ne pas blesser l'enthousiasme des peu- 1230. Pierre II.
l'an-
ples d'Italie, qui ambitionnaient
1252. Comita III.
1253. Guillaume, comte de Capraja.
cien régime municipal, comme nous Pisan.
1282. Mariano II, dit Donicello,
l'avons déjà fait observer. Les premiers 1299. Chiano, fils de Mariano, ou bien Toso-
Je peuple pour deux ans; mais ensuite, 3° JUDICAT CE TORRES OU LOGADORO, COMPOSE DE
CANTONS.
après des discussions politiques, les VINGT
Barberousse, homme d'un grand gé- en 1297 l'investiture à Jacques II, roi
nie, ne pouvant, par la force des d'Aragon, sous la condition qu'il lui
armes, apaiser cet esprit d'indépen- prêterait un hommage annuel, et
dance et de liberté que la ligue des qu'il irait faire une croisade en la
villes lombardes avait depuis le on- terre sainte. En 1306, une flotte arago-
zième siècle constamment excité, re- naise fut expédiée pour faire la conquête
nonça, par le traité de Constance de l'an de la Sardaigne ; mais les Pisans. qui
1183, à toutes ses prétentions royales, étaient encore en possession d'une
en retenant le droit de nomination des partie de l'île, ainsi que les Génois,
podestats. C'est cette autorité que les se voyant menacés, conclurent une
Pisans et les Génois, en délivrant la Sar- trêve de vingt-cinq ans; et ce ne fut
daigne des Maures, ont, à notre avis, qu'en 1323 qu'une nouvelle flotte ara-
exercée pendant quelque temps. D'a- gonaise de soixante galères, sous les
près les statuts, le juge ou podestat ordres de l'infant don Alphonse, prince
ne pouvait accepter aucun présent royal, accompagné de Donna Teresa ,
quelque petit qu'il fût; il ne pouvait sa femme, et de la fleur de la noblesse et
exercer le moindre commerce, il ne des plus braves guerriers de l'Aragon,
pouvait dîner en ville; il était tenu de de Valence et de la Catalogne, mouilla
convoquer une assemblée de jurés dans le 13 juin devant Oristano (*).
les affaires majeures. Après l'expira- Dans le vaste golfe de cette ville,
tion du temps, il était assujetti à une Alphonse, fils de Jacques, débarqua
enquête publique en présence des huit vingt-cinq mille hommes et trois mille
syndics de la communauté. Ces statuts cavaliers; cependant celte force n'au-
étaient sages, mais il ne faut pas croire rait pu suffire à l'entreprise, mais
qu'ils aient été observés par les juges Alphonse eut recours à la corrup-
de la Sardaigne comme ils furent pen- tion, et, ayant gagné plusieurs sei-
dant longtemps maintenus par les po- gneurs pisans et génois qui étaient
destats des républiques lombardes, car établis dans l'île, notamment les Ar-
nous voyons par l'aperçu historique et borei , les Malaspina, les Roccabeti et
parle précédent tableau chronologique, les Doria, il s'empara de Cagliari,
que les juges sardes ambitionnèrent ville principale du royaume, après la
bientôt le pouvoir royal et l'hérédité mort du brave amiral Mainfroi de la
de cette suprême magistrature, et la
faculté de réunir sur une seule tête (*) Cette ville (planche 5), fondée vers
plusieurs judicats. Celte ambition fut l'année 1070, bâtie et agrandie aux dépens
la cause de guerres de rivalité entre de l'antique cité de Torres, détruite par
les quatre chefs des provinces et entre les Sarrasins, était beaucoup plus peuplée
les Pisans et les Génois, rivalité d'où à l'époque du judicat d'Arborea. On voit
encore des pans de ses anciennes murailles
naquit une certaine apathie des peu-
et deux pentes, dont une conduit au port:
ples, et ce défaut d'accord dans l'in- surmontée d'une tour, offre à la vue
térêt commun qui appela bientôt la do- l'autre,
la cloche de la ville du côté de la route de
mination ou la tyrannie espagnole, air fut cause de la dé-
Cagliari. Le mauvais
cause de la diminution constante de la de celle ville; elle ne compte
population
population et de la richesse nationale. plus aujourd'hui que six mille hahitants. Les
oranges, les grenades, les melons et tous
§ V. les légumes y sont, grâce à la fertilité du
Domination des rois d'Aragon et sol, d'une grosseur étonnante et d'une qua-
lité supérieure. Le seul édifice remarquable
d'Espagne en Sardaigne. est la cathédrale,
à Oristano grande et belle,
La puissance des Pisans étant un ornée d'un clocher isolé dont l'architecture
peu déchue, le pape. Boniface VIII en est élégante. Le territoire de celle province
profita; professant les mêmes princi- est le plus abondant en grains. C'est en cette
pes que Grégoire VII, il déclara la ville qu'on a établi les plus magnifiques
(*)D'après l'historien Grégoire Leti, dans (*) L'historien Canales nous a donné les
cette expédition on délivra onze cent détails de ce fait d'armes. Vol. in-8, 1637.
dix-neuf Sardes qui étaient dans Manno donne le nom des
l'esclavage. (**) L'historien
Il était réservé à Charles X de détruite en aux premières
conjurés, qui appartenaient
1830 la piraterie barbaresque. familles de Pile.
SARDAIGNE. 17
arriva bientôt à Madrid; alors la reine tif ; et cinquante ans après, tandis que
envoya M. de Saint-Germain, homme l'Angleterre était livrée aux horreurs
fier et capable, qui se rendit maître de la guerre civile, signalée par des
des conjurés. Trahis par d'Alvesi, qui roses blanches et par des roses rouges,
leur fit croire une nouvelie insurrec- une reine magnanime, la célèbre Éléo-
tion, ils quittèrent Nice, et furent nore Arborée, publia, sous le nom de
massacrés dans la petite île de Rossa (*), Carta costituzionale, une législation
près de Castel Sardo et de Porto Tor- civile et criminelle qui fit honneur à
res, l'ancienne Turris Lybia, dont la nation. Cette charte est encore en vi-
l'archevêché a été transporté à Sas- gueur aujourd'hui, toutefois avec des
sari, belle capitale de Logudoro, si- modifications que nous énoncerons
tuée sur la pente douce d'une petite plus tard.
montagne qui porte son nom (plan- Quoique les rois d'Espagne fussent,
che 6 (**)). dans ces derniers temps, seigneurs
Pendant quatre siècles la Sardaigne des Deux-Siciles, du duché milanais
resta sous la domination espagnole; et et de l'Amérique méridionale, cepen-
Charles-Quint, ce prince d'une si grande dant, malgré l'étendue et la grandeur
activité et si bien-secondé par d'excel- de leur puissance, ils regardèrent tou-
lents ministres, fut le,seul, comme jours la Sardaigne avec un oeil de pré-
nous l'avons remarqué, qui vint la vi- dilection, et ces deux nations con-
siter en personne. servèrent une fierté de moeurs et
Au commencement du dix-huitième des habitudes tout à fait analogues.
siècle, la Sardaigne occupa une place L'autorité royale, modifiée,'comme
plus digne dans les pages de l'histoire nous avons vu, par les notables
européenne: érigée en royaume, elle dans la discussion des intérêts de
plaça sa couronne royale sur la tête d'un l'État, était exercée par un vice-roi
prince d'une des plus augustes et plus qui avait la suprême administration
anciennes dynasties qui, depuis le civile et politique; il était cependant
dixième siècle, dominait en Savoie. obligé de conférer avec les juges de
Ce prince, depuis l'an 1050, époque de l'audience royale, lorsqu'il s'agissait
son mariage avec Adélaïde, marquise de traiter une affaire d'un grand inté-
de Suse, s'était établi à Turin, où il rêt , ou d'exercer le droit de grâce.
avait obtenu le titre marchional de la Cette magistrature avait le droit
belle Italie. d'inspection sur les personnes que les
Un roi espagnol avait, comme nous feudataires désignaient pour rendre
l'avons vu, donné, en 1355, à la Sar- justice, et par la voie d'appellation elle
daigne , un gouvernement représenta- corrigeait leurs jugements; elle sur-
veillait aussi leurs moeurs et leur con-
duite personnelle.
(*) Le seul marquis de Cea, vieillard res- La fin du dix-septième siècle fut mé-
pectable, fut conduit en triomphe à Ca- morable par une peste affreuse qui ré-
gliari, et y fut, comme noble, condamné à duisit la ville de Cagliari à la moitié
la décapitation.
de sa population, et par la mort du roi
(**) Sassari forme un amphithéâtre qui Charles II, prince faible et irrésolu, qui
ravit la vue; ses coteaux sont couverts
laissa, en novembre 1700, ce fameux
d'oliviers, d'orangers, de cédrats, de vignes testament, dans lequel il appelait au
et d'arbres fruitiers, et sa plaine est appelée
trône d'Espagne le petit-fils de Louis
le paradis terrestre de la Sardaigne. Les
XIV, le duc d'Anjou : testament qui
sources d'eau de fontaine sont nombreuses,
alluma la guerre sanguinaire dite
et celle d'Acqua Chiara, située à quelque
distance de la vile, était fort estimée par les guerre de la succession.
anciens Romains, qui avaient construit un Bientôt commencèrent-en Italie les
hostilités des Austro-Sardes contre les
aqueduc, dont on voit encore les ruines,
Franco-Espagnols. En 1706, le prince
pour l'usage de la colonie de Turris Lybi-
sonis, dont parlent les auteurs. Eugène de Savoie, général en chef,
2e Livraison. (SARDAIGNE.)
18 L'UNIVERS.
dé-
remporta une éclatante victoire,
à la son, et il dut consentir à ne pas
suite de laquelle il délivra non-seule- fendre la cause de ses propres filles
Les Fran-
ment la ville de Turin, mais il occupa pour l'avantage des peuples.
l'Italie tout; entière. çais prirent successivement possession
de la Savoie et de plusieurs villes du Pié-
§ VI. mont; mais, après les pertes éprouvées
au siége de Verrue en 1705, après la
De la cession de l'île au roi de Sicile bataille donnée en 1706 par le prince
Victor Amédêe II , de Savoie. Eugène de Savoie, et après la déli-
A la fin. du dix-septième siècle, la vrance du siége de Turin, ils se reti-
mort sans enfant du roi Charles II, de rèrent au delà des Alpes. En 1709, le
froid et la famine contrarièrent les
ce dernier rejeton de la branche d'Au-
triche qui régnait en Espagne, donna projets du grand monarque, qui fut
des droits à la couronne à Louis XIV, forcé de demander la paix aux Hollan-
à l'empereur d'Autriche, au roi de dais qu'il avait autrefois traités avec
Bavière, au roi du Portugal et au duc tant de hauteur ; mais ses propositions
de Savoie , qui mirent en avant leurs étant repoussées, Louis XIV, à la de-
mande de son petit-fils, envoya en Es-
prétentions comme parents plus ou
moins proches du défunt. Le meilleur pagne le duc de Vendôme, qui triompha
droit appartenait à la France, car pour des Autrichiens commandés par l'archi-
elle subsistait le testament du 2 sep- duc Charles; et, en 1711, la mort de
tembre 1700, par lequel Charles II l'empereur Joseph Ier d'Autriche et les
appelait au trône d'Espagne le duc victoires du duc de Vendôme changèrent
Philippe d'Anjou, enfui substituant les la fortune et la malheureuse position de
autres prétendants sus-nommés, et Philippe V. Ce même archiduc Charles,
avec défense de réunir les deux cou- devenu empereur sous le nom de Char-
ronnes. Le petit-fils de Louis XIV prit les VI, quitta l'Espagne pour aller à
le nom de Philippe V , et fut reconnu Vienne, et les Anglais reconnurent
par les Espagnols et par les Sardes. Une qu'il y avait de l'a folie à épuiser leurs
guerre très-vive continuait en Italie trésors dans le but d'accumuler plu-
et en Flandre entre les Autrichiens et sieurs couronnes sur la tête du nouvel
leurs alliés. contre la France et l'Es-;, empereur.
pagne; mais le peuple sarde ne prit Les. plénipotentiaires de la France
aucune part aux événements avant et de l'Angleterre ouvrirent les confé-
l'année 1707, dans laquelle il accorda des rences à Utrecht le 29 janvier 1712;
subsides à son souverain Philippe V. La et, par le traité de paix signé en 1713,
rivalité entre deux familles puissantes les Anglais eurent Minorque et Gi-
éclata aussi dans l'île, celle du marquis braltar; on assigna le royaume de Na-
de Laconi, fidèle à Philippe, contré la ples et la Sardaigne à l'Autriche ; l'île
famille de Villasora, partisan des Au- de Sicile au duc de Savoie pour prix de
trichiens et de l'archiduc : les deux fac- son alliance avec l'Autriche , laquelle,
tions troublèrent la paix, et la présence mécontente du partage, entretint la
de la flotte anglaise décida la victoire. guerre civile en Catalogne jusqu'en
en faveur de l'archiduc Charles d'Au- 1715, époque de la mort de Louis XIV.
triche, qui occupa Terre-Neuve pen- Alberoni, homme de génie, protégé
dant que les Anglais bombardaient la par la reine Elisabeth, parvint à
ville de Cagliari ; ce fut alors que le duc être nommé premier ministre, et fut
d'Autriche bouleversa les rangs de la revêtu du manteau de cardinal. Il ré-
noblesse en distribuant des titres à forma la politique du cabinet espa-
profusion. Le roi de Portugal et le duc gnol; et, tandis que l'Autriche était
de Savoie abandonnèrent bientôt le aux prises avec le Sultan, et que la
parti de la France et de l'Espagne; car France était embarrassée dans les que-
les gouvernements n'ont point de pa- relles de la régence et dans les projets
fents, disait le duc de Savoie avec rai- de rétablir les Stuarts sur le trône
SARDAIGNE. 19
Parmi les lois les plus importantes que, tandis que dans les villes les plus
publiées dans ces derniers temps en civilisées d'Europe la contagieuse petite
vérole fait aujourd'hui des ravages,
Sardaigne, par le roi Charles-Albert,
nous croyons utile de signaler : la vaccination fut introduite et encou-
1° L'édit royal du 19 décembre 1835, ragée par un décret du chevalier Mon-
par lequel le roi manifeste le vif désir tiglio d'Ottiglio, vice-roi, en date du
de porter son royaume au degré de 23 mars 1836.
prospérité qui lui est dû par la position Par ce décret, d'après l'édit royal
géographique de l'île, par la fertilité de de 1828, il est ordonné à tous les mé-
son sol et par l'industrie de ses habi- decins et chirurgiens d'exhorter les
tants : il a établi une délégation pour parents à présenter leurs enfants aux
recevoir la consigne de toutes les terres bureaux de vaccination, au printemps
féodales, et des titres de propriété ori- et en automne seulement, car dans les
ginaires ou conventionnels, de tous chaleurs de l'été, comme dans les
les droits dont ils jouissent. grands froids, l'opération serait dan-
2° En conséquence de la consigne gereuse ou nulle.
ordonnée, tandis qu'un délai fut ac- Les curés, que l'on voit dans les pays
cordé aux feudataires espagnols pour de lumières être contraires aux bien-
remplir leur tâche, le roi, par son édit faits de la vaccine, sont en Sardaigne
du 12 mai 1838, a cru bon d'abolir de les premiers à persuader leurs parois-
suite toute juridiction féodale civile et siens du grand avantage qu'il y a d'ar-
criminelle, comme aussi tout droit rêter par la vaccination une maladie
compétent aux seigneurs, lesquels ont contagieuse, qui, dans le dernier siè-
été bornés aux seuls titres honori- cle, moissonnait la moitié des enfants;
fiques; et, par l'édit royal du 13 jan- enfin il est ordonné que les intendants
vier 1839, il ordonna qu'une taxe d'in- des provinces n'expédieront pas le man-
demnité fût payée aux feudataires par dat pour le payement des traitements,
les communes, d'après la distribution aux officiers de santé, sans le certificat
territoriale. des maires constatant les moyens em-
3° Les Sardes doivent aussi à l'amour ployés pour la vaccination.
paternel du nouveau roi l'abolition du
service personnel auquel ils étaient § VIII.
obligés pour l'exploitation, l'enlève-
ment et le transport du sel dans les De la grande route royale, en Sar-
magasins royaux, servitude qui fut daigne, de 1829, ordonnée par le
abolie par patentes, le 5 avril 1836. roi Charles-Félix.
4° Par les patentes du 10 novembre
En 1820 (*), l'intendant général des
de la même année, les conseils muni-
ponts et chaussées de Turin envoya
cipaux furent réorganisés, les archives dans l'île de
des communes assises dans un meilleur l'ingénieur Carbonazzi,
Sardaigne pour explorer le terrain.
ordre, et les actes de leurs délibéra- Celui-ci trouva partout une douce hos-
tions réunis et placés dans des ar-
moires. pitalité et une sécurité parfaite dans le
centre de l'île, mais il n'aperçut plus
5° Sur les traces lumineuses du roi
toutes les traces des anciennes commu-
Charles-Emmanuel IV, on a établi une
nications romaines; il lui fallut aller à
règle pour obtenir un compte exact et cheval pour reconnaître pas à pas le
annuel de l'administration del Monte terrain où la nouvelle route devait '
granatico e del Nummario de la Sar-
passer. A son retour à Cagliari, le 15
daigne, afin d'avantager l'agriculture
par des subventions en grains et en
(*) Au moment où nous imprimons cet
argent, au moment des semailles, sub-
ventions dont les bienfaits sont évi- ouvrage, nous lisons avec plaisir la loi votée
aujourd'hui, 17 juin 1839, par le chambre
dents , comme nous l'avons annoncé. des députés, qui accorde cinq millions
Nous n'oublierons pour
pas d'annoter ici ouvrir deux grandes routes en Corse.
SARDAIGNE. 25
place que tenait la colonie romaine, et ses raisins secs, on voit Nurachi, qui
de là à Oristano, capitale de la province a un marais d'une lieue de circuit. Là
la plus riche et la plus fertile de l'île. les paysans sont souvent effrayés dans
La plaine produit des graines de la la nuit par des bruits diaboliques sourds
plus parfaite qualité; toutes les variétés et prolongés. (II. est à supposer qu'il
de vins, parmi lesquelles on distingue existe un gouffre dans lequel se préci-
la Vernaccia ; de l'huile, des fruits ex- pitent rapidement, par intermittence,
cellents, et les plus belles espèces de des eaux souterraines, lorsque les pluies,
plantes potagères. Les deux étangs de ou la fonte des neiges en ont augmenté
Santa-Giusta et de Sassu, qui en font le volume. C'est ce qu'on observe dans
partie, ont des pêcheries d'un très la fontaine intermittente de l'abbaye
grand rapport : les boutargues (oeufs d'Alte-Combe, sur le lac du Bourget,
de poissons salés confits dans du vinai- où l'eau fait des éruptions dans la vallée
gre) que l'on en tire forment un com- avec un bruit plus ou moins fort, sui-
merce assez considérable, et les huî- vant l'impétuosité de l'évacuation des
tres de Terralba sont fort estimées des eaux.
gourmands. Cette même route de Mermilla abou-
On voit à Marrubio, entre ces deux tit à la ville d'Ales, chef-lieu, de
lacs, des vestiges d'anciens bains ro- canton dépendant du tribunal d'O-
mains d'eaux thermales qu'on appelait ristano , siège épiscopal qui pos-
Aquae Neapolitanse. sède la plus belle église, cathédrale
La ville d'Oristano, dont nous de la Sardaigne ; église construite
avons donné la description, était la dans le seizième siècle aux frais d'un
capitale des juges Arborées, qui, d'a- ancien marquis de Chirra. Près de
bord chefs de la république, devinrent cette ville on trouve Usellus, où était
ensuite, comme en Italie les Visconti, la colonie romaine, Colonia Usellia,
les Malatesta, les della Rovere, les qui servit à repeupler l'île dévastée par
chefs dominateurs. Cette ville, main- les Carthaginois.
tenant le centre des communications C'est dans la province d'Oristano,
des deux caps; la même ville, qui était tout près du village Sardara, au pied
autrefois le lieu de passage des voya- de la montagne, qu'existe l'établisse-
geurs à cheval, est aujourd'hui la sta- ment des eaux minérales et thermales
tion d'une diligence périodique qui les plus fréquentées par les habitants
traverse l'île avec rapidité. de l'île, où l'on peut venir chercher la
On a essayé, il y a une cinquantaine guérison d'une maladie sans crainte.
d'années, d'acclimater dans les envi- d'en contracter une autre par le mau-
rons d'Oristano le mûrier blanc qui vais air. On aurait seulement à désirer
nourrit les vers à soie; mais, malgré plus de commodité pour les malades
les encouragements du vice-roi, cette et plus d'agrément pour tous. Une
culture n'a pas réussi à cause de l'ex- chose particulière et bien digne de re-
cessive chaleur du climat; ce qui arrive c'est que les oeufs ne cuisent
marque,
aussi dans d'autres pays par suite du pas dans cette eau thermale, quoiqu'au
les ani-
froid. Ce fait prouve que les nations degré de l'eau bouillante;
comme les familles ont besoin les unes maux qui y tombent périssent en peu
des autres, car non omnis fert omnia d'instants. L'eau qui déborde du bas-
tellus; et si une nation avait dans son sin forme une boue salutaire dans plu-
sein toutes les productions d'agrément , sieurs maladies; elle serait bien plus
telles que la soie, le sucre, le coton, active et efficace si on avait là, comme
l'indigo, etc., elle se trouverait alors aux thermes d'Acqui en Piémont, des
isolée, et son industrie ne trouverait plongeurs , habitués à descendre dans
plus de débit, faute d'échange, pour le bassin, afin d'y puiser, avec des
activer la balance commerciale. seaux, la boue miraculeuse pour les
Près du village de Cabras, très-re- blessures, les fractures et pour les
nommé pour la grosseur et la bonté de rhumatismes.
28 L'UNIVERS.
qu'on peut appeler le lac d'Averne. La Napoléon pour effrayer les habitants,
nature a placé de chaque côté de la bombe qui fut indignement vendue à
grotte d'énormes colonnes que douze un Anglais pour le vil prix de trente
personnes réunies ne pourraient em- écus. ,
brasser : elles soutiennent une voûte La route provinciale va jusqu'au
élevée, et nous rappellent très-bien les golfe de Terra Nova, bâtie avec les
anciens temples égyptiens. En péné- débris de l'ancienne Olbia; sa popula-
trant dans cette caverne, les tion est de deux mille habitants, logés
prodiges
se multiplient, et l'on y voit toutes dans des maisons rurales bien alignées
sortes de figures fantastiques, tandis et blanchies. Là on aperçoit encore les
que la voûte est ornée d'énormes restes de cette cité, que Lucius Cor-
stalactites. Cette grotte curieuse est nelius Scipio n'osa pas attaquer sans
regardée comme une des plus belles les renforts obtenus de la république
d'Europe ; mais son accès difficile fait romaine. C'est dans la plaine d'Oluia
qu'elle n'est pas souvent visitée. que le général carthaginois, le vieil
La sixième route part d'Orosei ; elle
Hannon,fut tué,et qu'il a reçu les hon-
va de là à Oliena, territoire célèbre neurs funèbres dus à la valeur vaincue.
par ses vins et par une très-vaste ca- Par les lettres de M. Cicéron à son
verne inaccessible, de laquelle sort un frère Quintus, il résulte que celui-ci
torrent dit l'Orosei ; ensuite elle passe fut préteur à Olbia, et que Cicéron lui
à Galtelli Nuoro, chef-lieu d'arrondis- conseilla de se défier du climat de la
sement, devenu siége épiscopal ; puis Sardaigne. En parcourant cette route,
traverse Illarai, Balatona , Silanus, on peut voir les ruines pyramidales de
Bortigali et Birori, pour rejoindre la Castel Doria, de cet emblème de l'ar-
grande route royale au pied de Ma- cienne féodalité génoise, qui défendit
comer. avec courage l'indépendance sarde con-
L'ancien chef-lieu d'arrondissement tre les Aragonais. On voit aussi le Cas-
était autrefois la ville de Galtelli, alors tel Sardo, la meilleure forteresse de
siège épiscopal; mais elle est aujour- l'île, de deux mille habitants, siége de
d'hui réduite à huit cents habitants, l'évêque d'Ampurias, ville depuis long-
car on compte six villages détruits temps ruinée. La route arrive à Tem-
faute de population , quoique le pays pio, ville' épiscopale avec un tribunal
soit fertile, en grains , en vins, en fro- de préfecture, une intendance, et une
mages et en miel : c'est aussi là qu'on population de dix mille âmes. La ville
fait les jambons renommés de Pâ- est bâtie en pierrres de granit, et la
ques. salubrité de l'air contribue à la viva-
La septième et dernière route est cité des habitants, les premiers qui ont
celle de la Gallura, vaste campagne clos les champs rendus plus fertiles, et
abondante en nombreux troupeaux de qui ont ainsi secoué le système féodal.
toute espèce, dont les Corses limitro- Cette route passe à Oschiri près d'O-
phes s'approvisionnent. Cette route zieri, et arrive à Bonannaro , non loin
facilite aussi les communications avec de la grande route royale. Le départe-
la très-intéressante île de la Madeleine ment de la Gallura est regardé comme
de seize milles carrés de superficie, la- le plus montueux de l'île : sa princi-
quelle est habitée par une colonie corse pale richesse consiste en troupeaux de
depuis le dix-septième siècle; elle fut chèvres et de cochons, nourris dans
augmentée aux temps de la révolution d'épaisses et vastes forêts, et dans de
française par des conscrits réfractaires. grandes vallées riches en excellents pâ-
La ville dite a Madeleine est bien turages , et en denrées de toute espèce.
construite; dans son église, on con- L'île de Corse, qui n'en est séparée
serve la croix et les chandeliers en ar- que par le petit détroit des bouchés
de Bonifacio, en tire ses provisions
gent donné par l'amiral Nelson, et la
la première de viandes fraîches et salées. Tempio
municipalité possédait
bombe tirée à vide en 1793 par Je grand est le chef-lieu de toute la Gallura, de
L'UNIVERS.
30
offre le plus § X.
ce malheureux pays qui
la guerre des du climat et des cos-
de traces des maux de De l'agriculture,
Guelfes et des tumes vsités dans les provinces de
Doria, des Pisans, des
résident
Gibelins : c'est à Tempio que la Sardaigne.
le commandant et l'inten-
l'évêque,
dant de la province ; il s'y trouve
aussi La terre en Sardaigne est très-fer-
une nombreuse noblesse avec
des idées tile, et donne, dans divers endroits,
espagnoles. jusqu'à cinquante pour un boisseau
On regarde les habitants de Tempio de blé (dit Carbonazzi dans son rap-
comme les plus beaux, et la fraîcheur port officiel); de plus, la douceur
des femmes est renommée ; mais mal- du climat y fait croître un pacage
heureusement le peuple, trop porté à très-abondant. Cependant le laboureur
la vengeance, tient beaucoup des moeurs sarde travaille beaucoup et gagne peu,
corses; il se fait là guerre non-seule- maltraité par les fermiers, par les
ment de famille à famille, mais encore agents des seigneurs espagnols, qui
de peuplade à peuplade, comme des possèdent une grande portion de l'île
sauvages. en fiefs rects et propres, ou en majorats.
Quelquefois, à Tempio, on voit au Les bergers ou pâtres forment une
de deux ha-
point du jour les habitants population de nomades dispersés sur
meaux couchés aux deux extrémités la surface de l'île : les uns sont pro-
de la place publique, où ils attendent priétaires de leurs troupeaux, les au-
le moment de signer une trêve-, et, tres n'en sont que les dépositaires.
ils se sont
lorsque par des homicides Ces pâtres errent d'un endroit à l'au-
déclarés bandits, ils se réfugient alors tre en toute sûreté, car il n'existe pas
dans un lieu impénétrable, sur une de voleurs sur les chemins; ils con-
montagne escarpée appelée Cucum. duisent leur famille en emportant leurs
La route, en descendant, arrive à hardès, et construisent des cabanes (*),
Orzieri, ville de huit mille habitants qu'ils abandonnent ensuite pour se
avec une intendance, ancien chef-lieu porter ailleurs. Ils sèment un peu
du capitanat de Monte-Acuto, et siége de gi-
d'orge, de blé; se nourrissent
épiscopal de l'évêque de Bisarcio, ville bier, boivent du lait, et fabriquent
ruinée dont il n'existe plus que la ca- des fromages qu'ils vont vendre dans
thédrale. Le campo d'Ozieri, formé les villes voisines.
par une vallée de cent milles carrés La vie patriarcale est dirigée par le
de superficie, abonde en grains et en chef de la famille, qui, éloigné des
bétail. églises, fait le sermon à ses enfants;
Telle est la description que nous et on trouve là des moeurs qui peuvent
avons voulu donner, seulement par servir de modèle aux citoyens corrom-
connu , et
aperçu , d'un pays très-peu pus par les plaisirs des villes. Que ne
qui formait autrefois le grenier des reste-t-il pas à faire sur une surface
Romains, et l'ambition des petites ré- fertile anciennement peuplée de deux
publiques génoise et pisane. millions d'habitants, et aujourd'hui
Ceux qui étaient contraires au tra- réduite à un quart de sa population
cement d'une route centrale, avec ses primitive, de sorte que l'on ne compte
embranchements pour les ohefs-lieux plus que mille habitants par lieue
des provinces, qui la croyaient inutile, carrée.
car on peut, disaient-ils, communi-
quer par mer, seront, nous l'espérons, (*) Il ne faut pas confondre les cabanes
convenus du fait, que le premier bon- très-souvent construites à l'aide de grosses
heur d'une nation est d'avoir des faci-
pierres cyclopéennes avec les Noraghes; il
lités de communications pour le bien faut prendre garde aussi de ne pas trop as-
de la civilisation, de l'industrie, et du signer à d'anciennes constructions des mo-
commerce intérieur et étranger. numents modernes, comme ont fait
quelques
auteurs.
SARDAIGNE. 31
Dans plusieurs ouvrages de voya- leurs tant de ravages, n'arrivent jamais
geurs en Sardaigne, on accuse les en été à cause des grandes chaleurs',
Sardes d'être portés à la fainéantise; mais bien à la fin de l'hiver et aux
qui est occasionuée par la chaleur du premiers jours du printemps : et la
climat; mais ces voyageurs n'ont pas grèle, qui tombe ordinairement sous
examiné les habitudes de cette nation forme de grésil, ne porte aucun dom-
comme l'a fait le chevalier Jean Car- mage aux fleurs ni aux plantes.
bonazzi , directeur de la grande route L'intempérie ou mauvais air dans
royale, qui resta dans l'île pendant certaines localités, surtout dans les par-
onze années. Cet observateur intelli- ties basses et marécageuses, commence
gent-nous atteste que le Sarde, doué au mois de juin et se prolonge jusqu'aux '
d'une grande vivacité d'esprit, joint premiers jours de décembre (*) : elle
à l'envie d'apprendre, une excessive produit desfièvre sputrides et pernicieu-
activité dans l'ouvrage. En effet, par ses avec délire qui sont souvent mortel-
le moyen de cette population qu'on les, ou bien laissent de longues traces de
accuse à tort de paresse, Carbo- malaise. Les paysans en souffrent moins
nazzi dit, dans son rapport, avoir, en que les étrangers ; et le mauvais air
sept cents journées de travail, fait exé- ne porte point préjudice aux fruits ni
cuter cent vingt-sept milles de la route aux blés, car il est démontré qu'ils sont
royale, n'ayant employé dans les cas aussi bons que dans les autres pays. Les
de plus grande urgence que six mille cultivateurs souffrent moins de l'in-
Sardes de tout âge et de tout sexe. Il tempérie, moyennant les précautions
rend justice au courage de ces ou- qu'ils prennent de ne pas travailler
vriers, qui, faute d'habitations, se dans les heures plus chaudes, de se re-
couchaient en plein air, sur la terre tirer au coucher du soleil, et de ne pas
nue, et qui demeuraient pendant plu- s'exposer à la fraîcheur de la nuit(**) :
sieurs semaines enveloppés dans leurs aussi ne sont-ils assujettis qu'à des
capotes, avec un peu de feu aux pieds fièvres intermittentes, comme dans les
en hiver, sans se plaindre des souf- pays de rizières; et à ce propos Pline
frances. Nous avons vu, dit-il, dans dit, livre. 18, que les habitués vi-
les heures du repos journalier, les vent même dans des climats pestilen-
jeunes filles, après leur repas qui est tiels.
très-sobre, danser joyeusement sur le On peut se faire une assez bonne
terrain mobile même que leurs bras idée de l'intensité des rayons du soleil
ont transporté; nous avons aussi ad- aux temps du solstice, dans le rapport
miré l'intelligence avec laquelle les de l'ingénieur Carbonazzi, qui nous
hommes exécutaient des travaux à atteste avoir observé au champ de
l'aide d'instruments qui leur étaient Sainte-Anne le phénomène connu sous
entièrement inconnus.
Ce qui manque à cette nation, c'est le mau-
une instruction (*) Dans la campagne romaine,
populaire non écrite, vais air commence en juillet et se termine
mais indiquée par des faits et par l'ex- avec les pluies de septembre, de manière
périence; il lui faut une amélioration que le mois d'octobre
est le plus beau et le
dans l'éducation primitive, de la pro-
plus gai de l'année.
tection pour l'industrie agricole : le (**) C'est la fraîcheur des
nuits en juillet
gouvernement parviendra, du moins et août qui, dans les pays des rizières, comme
on l'espère, à cette amélioration so- aussi dans la campagne romaine, produit
ciale avec une constante volonté. les fièvres intermittentes et pernicieuses.
La pluie est rare en Sardaigne; elle Des propriétaires charitables accordent à
ne continue jamais pendant toute une leurs laboureurs en Lombardie du vin et
journée, et celle qui tombe dans l'es- une capote de laine dans les mois susdits,
pace d'une année entière ne s'élève pas et la prétendue pestilence des rizières n'at-
de la.
à six pouces. taque pas leur santé. Voyez l'ouvrage
Les orages et la grêle, qui font ail- culture du riz de 1818.
32 L'UNIVERS.
le nom de mirage, phénomène observé ser les races (*), comme on fait dans
c'est une des
pour la première tois par les armées plusieurs endroits, car
françaises en Egypte : car il voyait sur le branches les plus précieuses pour l'a-
terrain aride un air enflammé comme griculture. Le savant Cetti a calculé
s'il sortait d'un four, air qui ôte ha- que dans les meilleurs pâturages, cent
bituellement la respiration et porte la vaches, confiées à la garde du pâtre le
faiblesse dans les organes, amène aussi plus soigneux, et avec la température
l'intempérie dans les localités des marais la plus favorable, ne produisent en une
ou des fontaines sulfureuses. L'admi- année qu'une trentaine de veaux v un
nistration du génie civil vient d'opérer millier de livres de fromage, et envi-
l'assainissement de plusieurs localités ron soixante livres de beurre, auquel
à Serrenti, à Abbassanta ; et il s'est sa rareté donne beaucoup de prix ;
formé une société pour le desséchement quoiqu'il ne soit pas aussi bon que le
des terres marécageuses de Sanluri, beurre de la Lombardie ou de la Nor-
terres dont on retirera de grands avan- mandie.
tages non-seulement pour l'agricul- La culture des terres souffre nota-
ture, mais encore pour la santé, car blement de la faiblesse et de l'exiguïté
les plantations d'arbres et les végéta- des boeufs de labour, car dans plusieurs
tions absorberont les miasmes pestilen- endroits on est obligé d'adopter une
tiels, ainsi que l'expérience l'a prouvé petite charrue proportionnée à leur
ailleurs. taille et armée d'un soc de huit pou-
Ce qui fait un admirable coup d'oeil, ces seulement, qui trace péniblement
ce sont au mois de mai les champs de un sillon sans profondeur; et consé-
blés dont l'étendue est immense eu quemment la terre est mal cultivée. Le
égard à la minorité de la population, soleil d'été vient tout brûler et tout
et on trouve là une preuve de l'activité dessécher ; les troupeaux ne trouvent
du laboureur sarde, lequel est obligé de bientôt sur la terre aride que des plan-
faire à la terre la même culture qu'en tes dures; et dans l'hiver, dépourvus
France et en Italie , et de baigner de de fourrage et de toit, ils sont réduits
sueurs le pain qu'il mange. La mois- au dépérissement. Des prairies artifi-
son se fait en juin, ensuite les gerbes cielles pourraient donner de bon foin,
sont amoncelées en rond , et l'on fait qui préserverait les Sardes d'être obligés
courir des chevaux qui broient l'épi, à nourrir le bétail dans le campida-
et en font sortir le grain. no avec des fèves et de menus grains.
Les instruments aratoires n'ont pas L'état actuel des propriétés et la situa-
été perfectionnés depuis le temps des tion des fortunes rurales en Sardaigne
Romains : ils sont fort mal construits nous font conclure avec Pline, que la-
et difficiles à manier. A la planche 10 tifundia Italiam perdidere, car, jus-
on voit le chariot et la charrue sarde, qu'à ce que les troupeaux de chaque
qui ne sont pas des modèles de cons- commune cessent d'appartenir seu-
truction ; le chariot sarde le plaus- lement à sept ou huit personnages, il
trum des Romains. Nous espérons ne sera pas possible d'apporter un re-
que la société royale d'agriculture éta- mède au mal et de relever l'agricul-
blie à Cagliari, et pourvue des moyens ture : donnez-moi, dit Filangeri (**),
nécessaires, s'occupera des besoins des un arpent de terre avec lequel puisse
localités, et ne perdra pas son temps, vivre un ménage, et je vous établirai
comme ailleurs , à donner de simples une famille.
théories, lesquelles sont souvent émi-
ses par des savants sans expérience et
(*) Dans le Valais nous avons observé
qui n'ont jamais eu de propriétés agri- avec plaisir que les Crétins ont presque dis-
coles. paru, quand Napoléon eut ouvert la grande
Une grande amélioration dans le bé- roule du Simplon.
tail, notamment parmi les vaches et (**) Voyez Scienza delta legislazione,
les boeufs, est nécessaire; il faut croi- 1784. Milano.
SARDAIGNE. 33
trois races de chevaux ordinaires, et qu'ont lieu les grandes courses a cer-
même des gentiles et des nobles, com- taines époques de l'année, et les étran-
me on les appelle dans le pays, seront gers y jouissent avec plaisir d'un dou-
améliorées, et bientôt disparaîtront ble spectacle : on admire la vitesse et
tout à fait ces chevaux sauvages, que l'impétuosité des cheveux en même
l'on chasse, comme en Russie, pour" temps que l'audace des cavaliers (*).
en avoir la peau et la chair, réputée Le travail le plus pénible, pour les
excellente. chevaux sardes, est celui de battre le
Si les paysans négligent le croise- blé (voy. pl. 14) dans le fort des cha-
ment des races, s'ils préfèrent aux leurs de l'été.
étalons étrangers le cheval du voisin, La récolte commence vers la fin de
il faudra par des prix vaincre cette né- juin, et on transporte aussitôt les
gligence. Les avantages résultant de la gerbes sur l'aire près d'une poutre;
vente, lorsque l'éducation des chevaux là, on les entasse les unes sur les
sera plus soignée, améliorera leur race autres, avec les épis droits, et elles for-
notamment pour ceux de la classe rusti- ment un cercle de plusieurs mètres de
que, qui sont d'une nécessité absolue. corde ; à cette poutre, on attache cinq,
Les chevaux de cette classe ordinaire sept, jusqu'à neuf chevaux, qu'on fait
sont assez bien faits, mais ils n'ont aller au grand trot, et en trois heures
guère plus de quatre pieds de hauteur ; la graine est tombée; on sépare alors
quelques-uns même sont plus petits, et la paille, et, le jour suivant, on entasse
on peut les appeler des bidets d'allure. dans le grenier environ quatre cents
Ces animaux, qui constituent la mon- boisseaux de blé très-propre et sec. Les
ture favorite des paysans, font sans chevaux souffrent de ce travail, ils de-
peine au pas d'amble, comme des chiens, viendraient même tout à fait aveugles
quatre lieues à l'heure sans s'arrêter; si on n'avait pas la précaution de les
ils sont donc aussi utiles et plus sûrs changer de place, et de les faire re-
qu'un chemin de fer. Les chevaux de poser pour empêcher l'afflux du sang
race gentile sont plus estimés; ils sont vers la tête.
mieux nourris, et les propriétaires des Nous avons déjà annoncé l'espoir
juments sont de riches villageois qui que l'on conçoit de voir améliorer dans
ont des troupeaux de plus de trois le département de la Gallura les trou-
cents têtes avec des étalons de bonne peaux de moutons indigènes; nous
espèce; maison désirerait à ceux-ci une terminerons cet article en démon-
taille un peu plus élevée, et une tête trant l'avantage que procurent à la
moins grosse et moins pesante. Pour Sardaigne ces bêtes d'un si grand rap-
en perfectionner la race, on avait éta- port.
bli à la Tancaregia, près de Pauli La- A l'exemple des anciens colons
tind, un haras qui a été ruiné : il avait grecs, qui, réfugiés dans des cavernes
servi de modèle à ceux de Chiaramonte, et des rochers pour conserver leur in-
de Bonnari et de Bonorva. Au moyen dépendance, y vivaient du lait et de la
d'étalons andalous, on est parvenu à chair de leurs brebis, dont le goût est
avoir d'excellents chevaux de quatre excellent à cause des herbes aromati-
pieds. et plus de hauteur, qui sont ques qui croissent sur les montagnes,
également beaux et bons pour le ma- les habitants des barbargies, qui se
nége, pour la course, pour la selle et disent les enfants légitimes' des an-
pour la voiture. Ces chevaux, appelés ciennes colonies, s'appliquent beau-
de race noble, sont très-sobres et in- coup à l'éducation des troupeaux : ils
fatigables, car ils peuvent marcher descendent en hiver dans les plaines
sept heures de suite sans s'arrêter,
et maintenant, en moins de trente
(*) La seuleville d'Asti, en Piémont, de-
heures, ils parcourent la magnifique
route royale du cap Cagliari au puis Charlemagne, conserve sescoursesde
cap de chevaux entiers : la fête est fixée au pre-
Sassari. C'est dans ces deux villes mier mardi de mai de chaque année.
SARDAIGNE. 35
gliastra, que les habitants mangent du genoux. Cette soutanelle faite de cuir
pain fait avec de la farine de glands bien tanné, avec ou sans son poil, qu'on
cuits et réduits en bouillie, et ces glands laisse au dehors, s'endosse comme un
ne sont pas ce fruit très-doux du quer- gilet. Les avantages de ce surtout sont
cus ballota dont les armées espagnoles de défendre la poitrine contre les chan-
ont tiré un grand parti pendant leur gements subits de température, con-
domination dans l'île, ce sont desglands tre le mauvais air, les brûlants rayons
pareils à ceux qui servent à engraisser du soleil et même contre la pluie.
les cochons. Lorsque la bouillie de fa- L'homme ainsi habillé,la tête cou-
rine de glands a acquis une certaine verte du bonnet phénicien , tel qu'on ,
consistance, elle est versée sur une ta- le voit dans l'idole de bronze, a quel-
ble où l'on a répandu de la cendre pour que chose d'imposant et nous rappelle
que la polenta, ne s'y attache pas; et ce qu'Élien , liv. XVI, raconte, d'après
afin de la rendre un peu moins désa- Nymphodorus, « que l'habillement des
gréable au goût, on l'assaisonne avec indigènes sardes était fait de peaux
du lard fondu. Si le P. Madao eût dont ils se couvraient, mettant le poil
mangé de cet aliment détestable, et en dedans pendant l'hiver et en de-
même nuisible à la santé, comme le hors pendant l'été. »
chevalier Ferréro en a essayé, il n'au- Le vieillard que l'on voit assis (plan-
rait pas témoigné tant de vénération che 11 ) porte une capote blanche ap-
pour cet antique usage maintenu par pelée en sarde saccu de coperrir, et
la nécessité. dessus, un châle très-long qui couvre
A la cordiale hospitalité des Sardes les épaules : c'est le vrai sagum des
il faut joindre leur charité envers les Romains. Cet habillement est en usage
malheureux : ainsi, lorsqu'un berger chez les campagnards, notamment chez
a éprouvé des pertes , l'usage l'auto- les pâtres nomades ; il est attaché au
rise à faire une quête de bétail dans devant de la poitrine, à l'aide d'une
son canton ou chez les voisins de sa agrafe.
commune. Chaque camarade lui donne L'homme avec le bonnet phrygien (*)
au moins une bête jeune, et en peu et une longue simarre noire à capu-
de temps il possède un troupeau d'une chon et à manches, qui était jadis en
certaine valeur, sans avoir contracté usage à Rome sous le nom de lacerna
d'autre obligation que celle de rendre cucullata, aujourd'hui appelée en sarde
le même service à ses voisins qui tom- le cabanna, est un habitant de la pro-
beraient dans le malheur. Il faut sou- vince d'Iglesias, dans le nord de l'île.
haiter que ce bon exemple d'une sage Les indigènes du cap Sassari por-
institution ne dégénère pas en abus. tent la cabanella, vêtement noir qui
L'habillement, tant des hommes que ne va qu'aux genoux et qu'on peut
des femmes, varie suivant les locali- considérer comme la chlamys romaine.
tés : dans les montagnes, il rappelle Ce vêtement, vil et grossier, est aussi
les anciens costumes des Carthaginois, porté par des propriétaires riches,
des Romains et des Espagnols ( voyez mais avec des formes plus élégantes,
planche 11). L'habit des cultivateurs, et surtout par les chasseurs, comme
et même des chasseurs, a conservé la on le voit dans la gravure (pl. 11 ).
forme du thorax des anciens : c'est L'homme placé (planche 11 ) plus
une espèce de soutanelle très-étroite, loin est vêtu d'un surtout à capuchon
sans manches, telle qu'on la voit dans pointu, tout à fait semblable à celui
l'idole en bronze représentant Sardus des marins génois : cette veste est nom-
Pater (*) (planche 3), et formant un mée par les Sardes capotta serenica
tablier double qui descend jusqu'aux ou salonica, nom qui dérive d'une
mode de Salonique. Cette capote est
(*) L'évèque Frédéric Munsters de Zec-
land croit que c'est un dieu kabire ; voyez (*) Ce bonnet est très-usité parmi les
sa dissertation, Sa.
38 L'UNIVERS.
Aujourd'hui, déchu de ses honneurs di- avaient anciennement établi des madra-
vins , sans avoir rien perdu de ses droits gues avec succès, mais elles dépérirent
terre de 1755,
à la reconnaissance des gourmands, le après le tremblement de
thon enrichit la Sardaigne autant que qui renversa la ville de Lisbonne.
son agriculture. Nous ignorons quelle a Comme les thons marchent toujours à
été industrie de la pêche dans le moyen une profondeur de cent pieds dans lés
âge, mais elle fut reprise avec acti- mers, ce tremblement de terre par lequel
vité, au dix-septième siècle, par Pierre fut refoulée, de l'Afrique contre l'Euro-
Porta, marchand qui mérita, en 1603, pe, une immense quantité de sable et
d'être nommé baron de Teulada. Le d'autres matières qui élevèrent considé-
thon a une forte puissance de natation ; rablement le fond des mers d'Espagne,
elle lui permet de suivre sans fatigue, fit prendre aux thons une autre direc-
à de grandes distances, les vaisseaux, tion. Dès lors, ils se portèrent vers la
pour manger et dévorer les matières Sardaigne, en sortant du détroit de Gi-
animales qui sont jetées par le matelot braltar, où les Anglais exploitent à
et dont ce poisson est très-friand. On présent avec avantage cette branche
un
a remarqué à Dieppe, en juin 1838, d'industrie.
thon qui avait dix pieds de long et On assure qu'autrefois on péchait
pesait onze cents livres. Il en est peu jusqu'à cinquante mille thons, dont
de pareille dimension. plusieurs pesaient de trois cents jus-
Quelle que soit la cause de l'entrée qu'à douze cents livres ; mais ce nombre
annuelle d'une quantité prodigieuse de est aujourd'hui réduit de beaucoup. Les
thons dans la Méditerranée, il est hors naturalistes ont reconnu cette diminu-
de doute, selon les observations des tion, et l'attribuent à la variation des
marins, qu'après avoir franchi le dé- vents, ainsi qu'à la chasse que leur li-
troit de Gibraltar, pour trouver sur les vrent les grands chiens de mer; mais
côtes d'Europe, d'Asie et d'Afrique, ces causes ne seraient qu'accidentelles,
des aliments plus abondants, et une et peuvent être susceptibles de chan-
température plus propre aux dépôts de gement.
leurs oeufs fécondés par les mâles, les La pêche du thon en Sardaigne
thons se divisent en deux bandes, dont commence au mois de mai, comme
l'une se dirige à droite, vers l'Afrique, nous l'avons dit; c'est alors que les
tandis que l'autre se porte à gauche, côtes où sont établies les madragues
vers les côtes de l'Europe; elles suivent deviennent des endroits fréquentés, de
là même direction jusqu'à la pointe de véritables marchés. De toutes parts,
Byzance, que Pline nomma la corne arrivent des bâtiments chargés de som-
d'or, endroit où Aristote dit que se mes d'argent pour l'achat du thon salé.
faisaient de grandes pêches de thon. Les Sardes, curieux dejouir des plaisirs
A l'automne, ils se répandent dans la de la pêche, accourent en foule de l'in-
mer Noire et dans la mer d'Azof. térieur de l'île, et ils sont reçus avec
Les deux bandes de thons voyageurs générosité par les propriétaires de la
tombent dans les madragues des sa-
pêche (*), qui non-seulement offrent
lines de Sassari, et d'autres positions aux visiteurs une table très-splendide-
au nord de la Sardaigne, notamment ment servie, mais, en outre, au mo-
dans le détroit de l'île Asinara, l'an- ment du départ, font à chacun d'eux le
cienne Herculis Insula, qui a trente cadeau d'une quantité de poisson pro-
milles de circonférence, ou bien dans
les madragues du midi, à Porto Paglia,
et particulièrement à l'île de Saint-Pier- (*) Aux beaux jours de la madrague de
l'île de Piana, lorsqu'elle était exploitée
re, qui a une population de trois mille directement par le marquis Pez de Villama-
habitants, et dont le port est très-
rina, notre ami et collègue au doctorat en
fréquenté à l'occasion de la pêche du 1792 à l'université de Turin, il régnait dans
thon. sa maison une sorte de magnificence et de
Les Espagnols et les Portugais prodigalité.
SARDAIGNE. 43
Les parois sont affermies par un grand Tout en la tirant, les ouvriers reçoi-
nombre de cordes fixées d'un bout vent les filets dans des bateaux jusqu'à
sur la corde qui borde la tête des filets, ce que le poisson se trouve enfin presque
et de l'autre amarrées à une ancre à la surface de l'eau. C'est alors que les
mouillée au fond de la mer. hommes embarqués sur les deux grands
Tout ce grand établissement, retenu bateaux du chef, et le palischelmo, ar-
seulement par des câbles qui répondent més de bâtons avec des crocs ferrés,
à des ancres, est assez solide pour ré- commencent à tuer les thons, qui, de
sister à l'impétuosité des vents, aux leurs larges queues, frappent l'eau, et
courants de la mer et aux efforts des la font jaillir à quinze pieds de hauteur.
gros poissons qu'il renferme. Ils les harponnent sur leurs bateaux, et
Duhamel n'a donné que cinq cham- ensanglantent-la mer agitée par les ef-
bres à ses madragues, tandis que celles forts de ces gros poissons qui résistent
de la Sardaigne en ont sept comme au combat, au milieu des acclama-
celles de Tunis. Voyez pl. 13. tions et des cris de joie des spectateurs
Les thons commencent par entrer qui se réjouissent devant un des plus
dans la grande chambre n° 5, dont la grands spectacles qu'offre l'industrie
porte leur est toujours ouverte; de là humaine. Les cris des pêcheurs, leur
le poisson passe dans les autres cham- adresse, leur activité, les bonds terri-
bres du levant, n°s 6 et 7, et du cou- bles que font les thons pour s'élancer
chant, n°s 3 et 4, que l'on ferme lors- hors du filet, et qui vont quelquefois
que la quantité des thons est abondante. tomber vivants dans les bateaux, ren-
Quand le chef de la pêche juge qu'un dent cette scène très-animée pour les
nombre suffisant de poissons est entré, acteurs et les spectateurs. Duhamel
alors il fait ouvrir la dernière chambre prétend que les thons, lorsqu'ils sont
qu'on appelle ponente, n° 2 , ou cham- effarouchés par les pêcheurs ou par les
bre du couchant, dans laquelle il fait requins, se plongent au fond de l'algue,
passer les thons destinés pour la cham- y mettent leur tête, et ne remontent
bre de la boucherie ou de lamort(Duha- que le jour suivant.
mel, Traité des pêches). Le lendemain La mattance ainsi accomplie, plu-
de cette opération , si le temps est fa- sieurs bateaux remorquent les deux-
vorable et si la mer est calme, le chef grandes barques jusqu'au lieu de la
se porte sur la madrague avant l'aube; boucherie de terre, située au bord de la
et, pour déterminer les thons à entrer mer, sous de grandes halles. C'est là
dans cette chambre de mort, n° 1, qu'on commence par couper la tête au
dont la porte s'ouvre à son ordre, il poisson, ensuite un seul portefaix se
jette parmi eux une pierre enveloppée charge du thon le plus énorme, qu'il
d'une peau de mouton noire : les thons porte au magasin, où il est suspendu
s'effrayent, et, cherchant une issue, par la queue (*). C'est là aussi qu'on
entrent dans la chambre fatale. Si coupe les thons en morceaux pour pré-
ce moyen ne suffit pas, le chef se sert parer ce que nous appelons du thon
alors d'un filet nommé lagarre, qui, en mariné, qui reçoit différentes salai-
rétrécissant la chambre du couchant, sons : une partie est apprêtée à l'huile,
n° 2, presse les thons les uns contre l'autre au sel pur, la troisième au vi-
autres, et les force d'entrer dans la naigre. Les oeufs sont salés à part; on
boucherie. Alors, le chef de la pêche jette les têtes et les os dans de gran-
arbore le pavillon blanc, et invite les des chaudières pour en extraire l'huile
propriétaires et les ouvriers à venir de thon; enfin, pour que rien ne soit
exécuter la grande opération de bou- perdu, les mêmes os secs sont encore
cherie, appelée la maltance en Italie. jetés sous la chaudière pour alimenter
Pour l'exécuter, on commence par ti- le feu.
rer du fond de la mer la chambre de Le produit annuel de la pêche du
mort, n° 1, qui, à cause de son grand
poids, ne s'élève que très-lentement. (*) Voyez pl. 13.
SARDAIGNE.
thon en Sardaigne est d'environ trente- afin qu'elle s'accroche sous les avances
deux mille poissons : les madragues des rochers' : le chanvre s'entortille
des salines de Sassari et de Porto-Sueto alors autour des branches du corail
de l'île Piana sont les plus lucratives. qu'il rencontre fixé sur les rochers; à
Le chanoine Raymond Valle voulant l'aide des cordes, on tire ensuite les'
obtenir l'agrégation au collége des chevrons, et on arrache les branches du
lettres et arts à l'université de Ca- corail qui restent attachées à la filasse,
gliari, la description de la pêche du d'où elles tombent dans la bourse, ou
thon lui fut assignée pour sujet de dans la mer lorsqu'elles sont trop
poëme. Nous regrettons de ne pas grosses. Des plongeurs vont aussitôt les
donner ici cette composition, qui con- y chercher (*).
tient une description exacte et élégante Le naturaliste Fratielli rapporte
de ce genre de pêche. dans un mémoire que le corail croît en
peu d'années, et qu'il se gâte, se pique
Pêche du corail. en vieillissant.
Il y a plusieurs qualités de corail : le
Il n'y a point de production mari- plus estimé est gros, d'un rouge de
time sur laquelle les naturalistes an- sang; celui de la seconde qualité n'est
ciens et modernes aient autant écrit pas bien gros, mais il est entier et
que sur le corail. La structure et d'une belle couleur ; quant au corail de
la forme de cette substance, qui res- la troisième qualité, c'est celui qui est
semble à un arbrisseau dépouillé de ses tombé de sa tige et qui a blanchi.
feuilles, ce tronc d'où partent les bran-
ches latérales, cette espèce d'écorce § XII.
qui le recouvre, tout enfin concourait
à nous induire en erreur et à le faire Des animaux indigènes les plus rares
de l'île sarde. — Du mouflon mâle
prendre pour un végétal. et femelle.
Bernard de Jussieu a enlevé au co-
rail le nom de plante maritime pour Pline le naturaliste nous dit que le
lui substituer celui de polypier.
mouflon, ovis aries fera, ne se rencon-
La pêche du corail en Sardaigne tre que dans la Sardaigne; mais Buffon
commence à la fin d'avril ou en mai, dont parlent les
et finit en septembre. La plus grande ajoute que l'ophion
anciens Grecs, et qui est cité par Pline,
abondance de cette production ani- n'est autre chose que l'ovis ammon de
male se trouve dans les mers de Cas-
Linnée, le mouflon d'aujourd'hui, eu
tel Sardo, d'Alghero, de Bosa, et des
égard autant aux caractères distinctifs
îles de Saint-Pierre et Sant' Antioco. de cet animal, qui ont pu être confon-
C'est cependant près de l'île Asinara dus par les anciens avec ceux du cerf,
que se trouve le meilleur corail de la qu'à la ressemblance du nom donné à
Méditerranée. ces animaux.
Pour pêcher le corail, on attache Le mouflon que la Sardaigne possède
deux chevrons en croix; on les appe-
santit avec un gros morceau de plomb
(*)En 1828, cent quatre-vingt-dix ba-
pour les faire plonger au fond de l'eau ; teaux de différentes nations sont entrés dans
des ouvriers tortillent négligemment
du chanvre de la grosseur d'un pouce, le port d'Alghero, et le corail exporté s'est
élevé à plus de deux cent cinquante mille
dont ils entourent les chevrons, qui ont francs. La pêche du corail remonte au delà
aussi à chaque bout un petit filet en de l'année 1372, dans laquelle don Pierre
forme de bourse; puis ils attachent ce d'Aragon affranchit tous les habitants des
bois à deux cordes dont l'une tient à droits, afin d'accroître l'importance de celle
la proue, et l'autre à la poupe de leur branche d'industrie. Le corail algherois est
bateau. Ils plongent ensuite cette ma- abondant et le meilleur de toute la Méditer-
chine dans la mer, et la laissent aller ranée. Il égale aussi en beauté celui de l'île
à tâtons au courant et au fond de l'eau, de l'Asinara.
46 L'UNIVERS.
fut assimilé par Pausanias à ces béliers rhomboïdales. Ses oreilles et ses yeux
qu'on voit, dit-il, figurés sur les ou- sont petits; ses deux premières pattes
vrages en terre de fabrique Éginète; sont fort rapprochées de la tête, tandis
il habite particulièrement les monta- que les deux autres sont placées près
des hanches, ou au commencement de
gnes dela Nora, d'Iglesias, de Benlada,
de Patada, de l'Oliastra et de Lerrono. la queue, qui est blanchâtre et très-
Sa forme extérieure (pl. n° 15) s'ac- pointue. Son ventre est d'un blanc
corde parfaitement avec celle du cerf, clair; ses narines sont placées à l'ex-
auquel d'ailleurs il ressemble, par son trémité du museau.
poil et sa vivacité, quoiqu'il soit un peu Le peuple attribue à ce lézard une
plus sauvage, car il habite les endroits puissance venimeuse; mais il n'y a pas
les plus solitaires et les plus escarpés d'exemple d'accident causé par cet
des montagnes. Pausanias dit qu'il sur- animal, comme l'atteste le savant Thun-
passe en vitesse tous les animaux sau- berg. Une des particularités les plus
vages. remarquables de l'île, et dont elle est
La taille du plus gros des mouflons peut-être le seul exemple, c'est l'ab-
approche de celle du daim ; il a les sence de tout animal venimeux et de
cornes au-dessus des yeux, comme le bêtes féroces depuis les temps les plus
bélier, et il porte aussi les oreilles ex- anciens. Pausanias et Silvius Ita-
trêmement droites. Il est très-léger à licus ont fait la même observation.
la course, mais se fatigue prompte- On remarque aussi que les chiens,-
ment lorsqu'on le. poursuit eu plaine. malgré la grande chaleur et la séche-
Les mouflons marchent ordinairement resse du climat, n'y sont pas sujets à
par troupe de cent, dont le plus vieux la rage. Dans un pays brûlant, et où
est le conducteur. Ils s'apprivoisent fa- Jes chiens sont aussi multipliés, il
cilement et s'attachent à l'homme et n'y a pas eu, de mémoire d'homme,
aux chevaux, comme le mouton. d'accident de cette maladie. On attri-
Buffon, très-attentif à simplifier la bue cette faveur à l'absence des loups ;
création et à écarter cette multiplicité car, en général, ce sont eux qui com-
d'êtres introduite dans l'histoire, con- muniquent la rage aux chiens. 4.
seille avec raison aux naturalistes de
faire leurs efforts pour trouver dans Le tiligugu {pi. 16, ii° 2).
tous les genres l'espèce primitive et Il a fallu conserver le nom de tili-
mère; et en parlant du mouflon, il dit gugu sous lequel est connu ce lézard,
qu'il le croit un bélier sauvage. parce que Linnée ne paraît pas l'avoir
La femelle du mouflon est un peu exactement décrit parmi les quarante-
plus petite que le mâle; elle n'a point quatre différentes espèces dont il a
de cornes, ce qui fait une grande dif-
composé ses quatre classes de lézards.
férence (pl. n° 15) : elle est plus douce T_,acépède, en parlant du mobonge
et plus apprivoisée. des Antilles, prétend que ce lézard
Du seps. est tout à fait le même que le tiligugu
de Sardaigne, décrit par le natura-
Le seps est une espèce de lézard long liste Cetti ; mais en les comparant l'un
comme un serpent, dont les pattes avec l'autre, ils paraissent assez diffé-
sont presque invisibles. Les natura- rents : en effet, la tête du tiligugu est
listes l'appellent lucerta chalcidia, avancée, contiguë au corps, un peu
parce qu'il porte sur le dos des lignes courte et aplatie des côtés; la mâ-
couleur d'airain (pl. 16, n° 3). choire supérieure est égale à l'infé-
Cet animal, qui forme l'anneau entre rieure ; les narines sont ovales et am-
les quadrupèdes et les reptiles, dit La-
ples, la langue en forme de coeur, les
cépède, est assez fréquent en Sardai- dents courtes et égales, les yeux placés
gne; il a douze pouces et plus de lon- à la base de la tête, proche du bord;
gueur, et quinze lignes de circonférence les oreilles larges, posées aux angles
au dos, qui est recouvert d'écaillés des mâchoires. Le corps est un ovale
SARDAIGNE. 47
oblong, à l'exception du dos qui est sarde une seule espèce de plante dont
angulaire; la queue ronde et pointue; le venin soit mortel; elle ressemble à
les pattes de devant sont très-peu éloi- Vache, et ceux qui en mangent meu-
gnées de la tête, et couvertes d'écaillés rent, à ce qu'on dit, en riant. Cest
comme le reste de l'animal. pour cela qu' Homère, et ceux qui l'ont
Ce reptile grimpe sur les arbres et suivi, donnent le nom de rire sardo-
sur les maisons; il fait du bruit au nique à ceux qui en sont atteints.
changement de temps, de même que Dioscoride a laissé une description
la grenouille, car il est très-sensible à inexacte de cette plante, qu'Apulée
l'humidité et à la sécheresse. Il n'est appelle l'herbe scélérate, Linnée ra-
pas dangereux, mais, lorsqu'on l'ir- nunculus bulbosus, et les professeurs
rite, il se jette avec hardiesse sur celui de Turin, Alione et Moris, ranunculus
qui le provoque. peucedanifoliae, plante aquatique et
Du vautour barbu (pl. 16). propre à la Sardaigne centrale.
M. de Candolle pense que la plante
Les vautours connus en Sardaigne désignée par Pausanias est le ranun-
sont de quatre espèces, savoir : le culus sardous ou philonotis.
griffon, le vautour blanc, le noir, et Quant au rire sardonique, dont Ci-
le vautour barbu, ainsi nommé par céron parle dans la lettre XXV, liv. 7,
Linnée, à cause d'une longue barbe de à Fabius Gallus, il n'est pas naturel
crin qui lui pend de la mandibule in- aux. Sardes, qui sont d'un caractère
férieure (pl. 16, n° I.). franc et constant. Le rire sardonique
Ce vautour, le gypoetes barbatus est plus propre aux moeurs des nations
de Cuvier, long de quatre pieds et civilisées, qui, à la sincérité du coeur,
dix pouces depuis la tête jusqu'à la ont substitué la politesse et une grâce
queue, est de tous celui qui a le plus d'affectation.
de rapport avec les aigles, car il est La végétation de la Sardaigne est
entièrement couvert de plumes ; son prodigieuse. Nous avons déjà signalé
port est noble et fier : il diffère cepen- la fertilité du sol à l'égard du blé, le
dant de l'aigle par sa taille, par la trique, mot sarde corrompu du latin
forme de son bec, par ses yeux sail- triticum, lorsque la plante n'est pas
lants , par le creux qu'il porte au bas attaquée par des brouillards, qui di-
de l'oesophage, bien plus encore par minuent la graine, ni par les saute-
son organisation intérieure, et enfin relles, transportées dans l'île par des
par ses habitudes. vents d'Afrique, ce qui arriva en 1825,
Buffon ne croyait pas que le vautour année pour les Sardes d'une grande
barbu se trouvât aussi en Sardaigne (*), calamité.
comme l'expérience nous l'atteste. Le maïs, ou blé de Turquie, est cul-
tivé dans les plaines d'Oristano et au-
§ XIII. tres cantons a l'abri de la sécheresse.
De la végétation de l'île sarde. Ce sont les Sarrasins (*) qui apportè-
rent de l'Orient cette plante fertile.
La végétation du nord de l'île de Les fèves, dont les paysans font une
Sardaigne peut se comparer à celle de consommation notable pour leur fa-
la Corse, et la végétation du cap mé- mille et pour la nourriture des ani-
ridional à celle de l'Afrique; celle du maux de charge, sont semées en no-
centre à celle de la Provence. Il est à vembre au cap Cagliari, plutôt qu'au
remarquer ce que Pausanias nous dit à printemps, car les vents secs en em-
l'égard des végétaux : Il y a dans l'île pêchent la culture. Au cap Sassari, qui
est plus humide, on les sème en mai,
(*) Nous avons, en 1797, offert à notre
Académie dessciencesde Turin, un tableau comme en Lombardie.
contenant le vautour barbu en relief, par (*) Voyez De la culture du maïs et de son
nous préparé d'après la méthode du natu- utilité pour l'économie animale, par le che-
raliste professeur Giorna, valier de Grégory. 1829, Paris.
48 L'UNIVERS,
La vigne donne aux Sardes les vins tous les pays afflueront encore plus
dans la Méditerranée. Lès Génois, qui
précieux appelés le muscat blanc ou
naturellement de priviléges
malvasia, meilleur que celui d'Asti, le jouiront
canonao rouge et noir, la vernaccia en Sardaigne, puisqu'ils sont sous la
blanche et très-claire, comme les vins même domination , y apporteront des
du Rhin et de Champagne. capitaux au lieu du joug de fer qu'ils y
L'olivier est la plante qui convient faisaient peser auparavant. Cagliari
le mieux aux terres sardes, et sa cul- en rapport, par les routes nouvelles,
ture fut encouragée par des titres de avec toute l'île, deviendra un lieu fa-
noblesse et des récompenses accordés vorable aux radoubs au renouvelle-
ment des approvisionnements et des
par le roi Victor-Emmanuel pendant
et présentera, dans son
son séjour dans l'île durant l'émigration. munitions,
Les amandiers, les orangers et les port, de bien plus grandes ressources
limons y prospèrent, et la vallée de que Malte et que la Sicile qui n'a pas
Milis, dont nous reparlerons, est ap- encore reçu , et qui ne recevra proba-
pelée, par le savant Cetti, le jardin des blement que très-tard une pareille di-
Hespérides, à cause de l'abondance rection. Le gouvernement piémontais
de tous les fruits et de citronniers. est un gouvernement sage , modéré,
Le tabac de l'île ne le cède en rien aux et ami de ses peuples : il a commencé
meilleurs tabacs d'Espagne et de Tur- à reconnaître tout le prix de la Sar-
quie. Il est plus fin, d'un jaune plus daigne civilisée. L'île a reçu de bonnes
clair, et doit être laissé deux ans en lois, des communications faciles ; la
fermentation. Il forme une branche population agreste, retenue dans les
des revenus royaux. montagnes, s'est accoutumée à visiter
Là garance, rubia tinctorum de Lin- paisiblement les plaines : les étrangers
née, croît naturellement dans plusieurs voudront et pourront parcourir les di-
provinces; on se sert de cette racine, verses provinces de ce petit royaume :
qui donne un rouge écarlate, pour nous rapporterons ici un chapitre du
les toiles et laines à l'usage des paysans, voyage récent de M. Valéry, qui seul
et sa bonté n'est pas connue à l'étranger. suffit pour exciter l'enthousiasme de
Le liége, dont l'île abonde, le sa- ceux qui veulent admirer un des plus
fran, la soude, auraient besoin, pour imposants spectacles de la nature :
être mieux exploités, d'encouragements
Milis ou la forêt d'orangers.
de la part du gouvernement. Il devrait
en être de même pour la culture du « C'est le premier jour du mois de
coton et pour l'éducation des vers à mai, par un temps magnifique, que
soie. Déjà on a planté une quantité je visitai les jardins ou plutôt la forêt
prodigieuse de mûriers blancs et noirs d'orangers de Milis, l'ornement de la
dans différents cantons; mais les cha- Sardaigne, qui compte au delà de cinq
leurs des mois de mai et juin sont cent mille arbres, et dont les appro-
aussi préjudiciables à cette chenille in- ches me furent annoncées par une brise
dustrieuse que les inconstances de tem- embaumée.
pérature le sont dans d'autres contrées. « Ce bois, ceint de collines qui l'a-
Nous avons indiqué, page 25, quel- britent, et dont je parcourus pendant
ques-uns des avantages que la situa- plusieurs heures les délicieux om-
tion actuelle des affaires politiques brages et les taillis touffus, était alors
peut assurer à la Sardaigne. Nous ajou- animé par le chant des oiseaux et lé
terons plusieurs développements. murmure des mille petits ruisseaux
La Méditerranée est sillonnée au- qui arrosent le pied de ces arbres tou-
jourd'hui en tous sens par les divers pa- jours altérés. Une couche solide de
villons de l'Europe. Lorsque le com- fleurs d'orangers jonchait le sol : je
merce avec Alger sera établi sur des marchais, je glissais sur cette neige
bases durables, lorsque la paix sera odorante; si j'écartais les branches
donnée à'I'Orient, les bâtiments de pour percer le taillis, les fleurs jaillis-
SARDAIGNE. 49
saient en l'air et me caressaient le arbres, dont plusieurs, au dire tradi-
visage. Cette fleur précieuse, qui, dans tionnel des paysans, compteraient
les somptueuses orangeries de nos plus de sept siècles. C'est dans le jar-
châteaux, se pèse et se vend, ici exhale din du marquis de Boyl que je trouve
d'inutiles parfums , tombe à terre, et le plus grand des arbres de Milis, dé-
forme un épais et doux tapis de grandes coré du titre de roi des orangers; un
herbes aromatiques mêlant une agréa- homme ne.peut l'embrasser ; et ce bel
ble et forte odeur à l'odeur plus suave arbre, au parfum, à la douceur et à
de l'oranger. L'abondance des fruits l'éclat de ses fruits et de ses fleurs,
est prodigieuse. Quelquefois de longs joint la hauteur et la majesté du chêne.
bâtons de sarments soutiennent les La forêt de Milis est par cela un
branches pliant sous le faix des oranges des points de la Sardaigne qui appelle
et des citrons, qui montent, année le plus l'exploitation d'industriels in-
moyenne, à près de dix millions. On telligents , soit par la création de dis-
est comme ébloui par tous ces globes tilleries de fleurs d'orangers, soit par
rouges ou dorés, ardente végétation celle de fabriques de produits chimi-
suspendue en festons et en guir- ques , propres à l'impression des étoffes
landes. » de soie, de laine et de coton.
L'introduction de l'oranger en Sar- Les champs balsamiques, les féeries
daigne remonte aux époques du deuxiè- de Milis mériteraient seuls le voyage
me ou troisième siècle. Les jardins de de la Sardaigne. Nous avons si près
Milis, dont la terre, particulièrement de nous ce spectacle qu'on croirait
propre à ces plantations, est fine et un rêve des Mille et une Nuits !
douce au toucher, s'étendent pendant Nous nous sommes plu à prédire le
l'espace de trois milles, et ils offrent sort futur de la Sardaigne. Ce n'a pas
plus de trois cents vergers. Un des été sans plaisir que nous avons annoncé
plus beaux, le jardin du chapitre de ses destinées propres à augmenter la
la cathédrale d'Oristano, n'est affermé gloire de ses rois, et ce qui est en
que huit cents écus, à peu près quatre même temps aussi désirable, la pros-
millefrancs. Quelques arbres ont donné périté et le bonheur d'un peuple long-
jusqu'à cinq mille oranges ; les poètes temps calomnié, et susceptible de
ont vanté le jardin des Hespérides, prendre part auxglus heureux progrès
fort inférieur, sans doute, à celui de la civilisation moderne.
d'Oristano, qui a plus de dix mille
FIN.
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SARDAI GN E