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Espagne / par M.

Joseph Lavallée,... et
par M. Adolphe
Guéroult,.... [suivi de]
Espagne, depuis
l'expulsion des maures
[...]
Source gallica.bnf.fr / Bibliothèque nationale de France
Lavallée, Joseph (1801-1878),Guéroult, Adolphe (1810-1872). Espagne / par M. Joseph Lavallée,... et par M. Adolphe Guéroult,.... [suivi de] Espagne, depuis l'expulsion des
maures jusqu'à l'année 1847 / par M. Joseph Lavallée,.... [suivi de] Iles Baléares et Pithyuses / par M. Frédéric Lacroix. [suivi de] Sardaigne / par M. le président de Grégory. [suivi
de]. 1844-1847.

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ILE

DE SARDAIGNE,
PAR

M. LE CHEVALIER G. DE-GRÉGORY,

PRESIDENT HONORAIRE DE LA COUR ROYALE D'AlX EN PROVENCE, MEMBRE DES ACADEMIES

D'ARCHÉOLOGIE DE ROME, DE TREJA, DES SCIENCES DE TURIN, DE CHAMBÉRY, DES

SOCIÉTÉS D'AGRICULTURE DE ROME, PARIS ET TURIN, ETC.

PARIS,
FIRMIN DIDOT FRÈRES, ÉDITEURS,
IMPRIMEURS-LIBRAIRES DE L'INSTITUT DE FRANCE ,

RUE JACOE, N° 56,

M DCCC XXXIX.
TYPOGRAPHIE DE FIRMIN DIDOT FRÈRES,
RUE JACOB, N° 56.
L'UNIVERS, OU

HISTOIRE ET DESCRIPTION
DE TOUS LES PEUPLES,
DE LEURS RELIGIONS, MOEURS, INDUSTRIE, COSTUMES, ETC.

SARDAIGNE,
PAR M. LE CHEVALIER. G. DE-GRÉGORY,
PRESIDENT HONORABLE DE LA COUR ROYALE D'AIX EN PROVENCE, MEMBRE DES ACADEMIES
D'ARCHEOLOGIE DE ROME, DE TREJA , DES SCIENCES DE TURIN, DE CHAMBÉRY, DES

SOCIÉTÉS D'AGRICULTURE DE ROME, PARIS ET TURIN, ETC.

§ 1. ciennement rédigées par Carillo, Vico,


Fara, Vitalis, Mattei, Gazano, et
Description topographique de l'île,
Cambiagi, sont remplies de traditions
population et moeurs sardes. fabuleuses sur l'origine des Sardes et
sur les premiers temps de leur civili-
L'ILE de Sardaigne, quoique placée sation. Nous allons entreprendre notre
si près de la France et de l'Italie, tâche, en suivant la méthode de ceux
est cependant très-peu connue ; sa qui nous ont précédé dans la publication
description pittoresque est donc utile, de cette Revue de l'Univers, où le
je dirai plus, nécessaire. Le pre- pittoresque orne et embellit la sévé-
mier qui, de nos jours, ait décrit rité de l'histoire, et qui est déjà si
cette île fertile et remarquable par sa répandue dans les deux hémisphères ;
civilisation, comme par la fierté des nous nous efforcerons de répondre aux
moeurs de ses habitants, fut le prési- désirs de ses nombreux lecteurs.
dent Azuni, notre collègue, en 1810, L'île de Sardaigne est placée à cin-
au corps législatif; après lui vinrent quante-huit lieues de distance des côtes
le chevalier Mimaut, consul de France, d'Afrique, au milieu de la Méditerra-
et le baron Manno, directeur des af- née, entre lé 38e et le 42e degré de la-
faires de sa nation, à Turin , et der- titude, depuis le cap Teulada jusqu'à
nièrement, en 1826, le chevalier Albert l'île de la Madeleine, entre le 5° et
Ferrero de la Marmora d'une famille le 7° degré de longitude, depuis le
vercellaise, qui depuis le douzième siè- cap Comino jusqu'au cap Caccia. Elle
cle (*) fut illustre dans les sciences et a une étendue de 145 milles géogra-
les arts. C'est dans les ouvrages de ces phiques ; sa largeur est de 78 milles,
savants distingués que nous avons puisé et sa superficie de 999 milles carrés ,
notre description ; car les histoires an- y compris les îlots adjacents. La Sar-
daigne jouit généralement du climat
(*) Voyez Storia della Vercellesa lettera- tempéré qui est la condition de sa po-
tura ed arti, t. IV, que nous avons publiée sition géographique ; et la partie sep-
en 1824. Turin, avec 40 portraits. tentrionale de l'île rappelle même celui
1re Livraison. (SARDAIGNE.) I
2 L'UNIVERS.
chemin de
des plus belles contrées de l'Italie. Les moyennant un canal ou un
pluies sont rares ; ensuite l'inconstance fer, alors la Sardaigne, découpée par
de son climat est un grand inconvénient un nombre considérable de golfes pres-
pour la santé des habitants. que tous à l'abri des vents du nord (*),
Lés vallées sont arrosées par deux deviendra par sa position l'échelle la
grandes rivières: le Tyrso, qui prend plus commode pour le commerce de
sa source à Monte -Acuto, et va se toutes les nations.
jeter dans les marais d'Oristano ; et On a cru bon d'ajouter sur la carte,
la rivière de Flumendosa, qui descend en les indiquant par le signe ifr, les
des montagnes de Genargento pour golfes et les ports les plus fréquentés
tomber près de Muravera (voy. la carte, par les bâtiments commerçants, et qui
planche 1 ) dans la Méditerranée : ce servent d'abris aux nombreuses flottes
fleuve est plus impétueux que leTyrso ; des différentes puissances. Nous note-
il traverse souvent d'étroits précipi- rons ici que le golfe de Cagliari, qui se
ces, et, dans le temps de ses déborde- trouve au midi de la ville, où il forme
ments, il cause des dommages aux un demi-cercle de 35 milles, est re-
campagnes limitrophes. connu pour un des plus vastes et des
Nous avons reproduit la carte géo- plus sûrs de l'Europe, à cause des
graphique du chevalier Carbonazzi, trois côtes dont il est environné et du
élève de l'Ecole polytechnique en 1809, banc de sable qui ferme les deux tiers
aujourd'hui inspecteur du génie civil à de son entrée, de sorte que plusieurs
Turin. C'est lui qui a construit la route flottes en même temps peuvent s'y
royale qui conduit du cap Gagliari au mettre à l'abri et hiverner en toute
cap Sassari. Cette route commencée sûreté. C'est là que l'empereur Charles-
d'après l'ordre de l'excellent roi Char- Quint, à l'époque dé sa célèbre expé-
les-Félix de Savoie, dernier rejeton dition de Tunis et de la Goulette, or-
de la branche aînée de la plus illustre, donna la réunion des flottes espagnole,
de la plus ancienne dynastie des souve- portugaise et napolitaine, avec les
rains d'Italie, fut terminée par ordre galères de Gênes, de Rome , de Malte
du roi Charles-Albert de Savoie-Cari- et de Venise, et que toutes ensemble
gnan, appelé au trône de ses aïeux en séjournèrent en sûreté fort longtemps
vertu de la loi salique, lequel, par des (voyez planche 1).
sages édits, vient de donner à la Sar- L'île est partagée en deux parties,
daigne une organisation judiciaire et l'une au midi, Capo Cagliari, l'autre
administrative qui contribuera à l'ac- au nord, Capo Sassari, et séparée de la
croissement de ses richesses et de sa Corse par le détroit de Saint-Bonifa-
population. cio. Le pays n'est pas hérissé de gran-'
L'île est protégée par des tours pla- des et hautes montagnes qui s'abaissent
cées de distance en distance pour vers la mer, et la nature ne l'a pas en-
défendre les habitants des côtes contre vahi dans ses soulèvements, d'après
les incursions des barbaresques ; mais le système de M. Élie de Beaumont ;
cette défense est inutile maintenant mais son climat tempéré est malsain
que le roi de France a détruit la puis- au midi, et bon au nord , si l'on ex-
sance d'Alger, et le sera pour tou- cepte les marécages d'Oristano, dont
jours , si les Français persistent dans la on espère l'assainissement par le moyen
grande idée d'une colonisation si utile d'un emissarium, tel que celui que le
pour y attirer la population européen-
ne, devenue surabondante depuis vingt-
(*) Pausanias, liv. x, Phocide, chap. 18,
quatre ans de paix non interrompue. dit que la Corse empêche par ses hautes
La position de la Sardaigne au midi de
montagnes l'arrivée des vents du nord eh
l'île de Corse favorise les relations com-
Sardaigne, ce qui, à notre avis, rend l'air
merciales, et lorsque le grand projet de malsain ; mais, d'autre part, la Corse em-
réunir la mer Rouge à la Méditerranée
pêche aussi que la grêle ne puisse se former,
par l'isthme de Suez sera accompli, et ne tombe en neige sur les récoltes.
SARDAIGNE.

pape Pie VI a pratiqué pour les marais Le cap septentrional est suffisam-
Pontins. ment arrosé; il compte un assez grand
Le cap méridional, découvert, aride, nombre de rivières et de ruisseaux
pauvre de végétation, est dévoré par d'eaux vives, qui descendent des mon-
l'ardeur du soleil. C'est là que les ma- tagnes et de ses collines boisées, les-
ladies mortelles, dites de l'intempérie, quelles fournissent en abondance un
les fièvres pernicieuses et putrides, combustible excellent à la ville et à la
emportent les malades dans les vingt- partie de la côté d'Italie appelée la
quatre heures, comme il arrive très- rivière de Gênes.
souvent à Rome, dans ses campagnes, Une importante question de géolo-
et dans les ferres marécageuses de la gie se présente ici : celle de savoir si
Toscane, depuis le mois de juillet jus- la Sardaigne était anciennement con-
qu'au mois de novembre de chaque tiguë à la Corse. Nous n'entrerons
année. Ainsi, d'après l'historien géo- pas dans l'exposé des opinions émisés
graphe Pomponius Mela, on peut dire par les savants, qui croient avec fon-
avec raison qu'eu Sardaigne la terre dement que l'espace occupé aujour-
vaut mieux que l'air sarde ; c'est ce que d'hui par la Méditerranée ne formait
le Dante, au chapitre XXIX de l'Enfer, dans les premiers âges du monde qu'un
nous atteste : seul continent, qui fut violemment
Qual dolor fora, se degli spedali disjoint par les irruptions de l'Océan
Di Valdichiana tra'l luglio e'l settembre, entre les colonnes d'Hercule , comme
E di Maremma e di Sardigna i mali
Fossero in una fossa tutti insembre ; plus anciennement encore arriva la
Tal' era quivi e tal puzza n'usciva , séparation de l'Amérique et de l'Asie
[ Quai snol venir dalle marcite membre. au détroit de Behring ; nous dirons seu-
lement avec Buffon , Cetti et Besson ,
Ces maladies sont produites par les
exhalaisons marécageuses tout à fait que, d'après l'aspect des lieux, la na-
ture des terrains et la correspondance
analogues à celles des marais Pontins, des montagnes, il est très-probable
et plus encore par des vents froids qui
soufflent inopinément dans la nuit, que les deux îles étaient unies par le
détroit de Saint-Bonifacio.
au milieu des grandes chaleurs, dé-
les plus Nous ajouterons ici que le célèbre
truisent les tempéraments
forts et terrassent l'homme le plus géologue l'abbé Giovene de Molfetta
avait reconnu en 1807, que dans la mer
robuste; car ces exhalaisons pestilen- il existe des bancs de tuf
tielles enveloppent l'atmosphère et agis- Adriatique
sent sur l'économie, de la même ma- fluvial, ce qui l'amena à conjecturer
avec, les savants Thompson et Patrini,
nière que dans les pays des rizières,
que ce golfe n'existait pas dans l'origine,
lorsque la police rurale, par défaut de et qu'il fut formé par une révolution ter-
surveillance, ne s'oppose pas à la sta- restre. Aussi le chevalier Ferrero, dans
gnation des eaux sur les champs (*). ses observations, a-t-il reconnu que la
Les capitanats d'Oristano et de Cagliari
chaîne centrale des montagnes qui tra-
sont les plus infectés; et, pour puri-
versent la Sardaigne comme un véri-
fier l'air, on y fait des feux considé-
table noyau primitif, se trouve dans là
rables; on brûle dans les champs toutes même direction que la chaîne centrale
les mauvaises herbes : précautions qui
des montagnes de la Corse, ce qui con-
sont d'une grande utilité dans les pays
firme de plus en plus l'ancienne unité
sujefs à des contagions. des deux îles.
du problème
La population de la Sardaigne, au
(*) Voyez le livre : Solution
concernant la conser- temps des Romains, pouvait monter
économico-politique à deux millions d'âmes ; et Polybe at-
vation ou la suppression de la culture dit riz
en Lombardie, avec l'indication des moyens teste que cette île était très-peuplée.
des rizières, sans porter Sous la domination espagnole, elle ne
propres à former
atteinte à la salubrité publique, par le chev. comptait plus que trois cent vingt-sept
vol. in-8. Turin et Paris,
1818, mille habitants ; et elle doit au duc de
De-Gregory,
1.
L'UNIVERS.

Savoie, nommé roi de Sardaigne en les plaignants toute la défaveur; mais


1720, d'avoir porté à cinq cent mille, il faut dire ici que les Romains qui
sa population, qui est cependant au- traitèrent constamment les Sardes en
jourd'hui diminuée par les émigrations peuple conquis, et firent de la Sardai-
commerciales ; car le pavillon sarde sil- gne un lieu d'exil et de détention pour
lonne toutes les mers, et donne la pros- les condamnés, y transportèrent les
périté à beaucoup de côtes maritimes. moeurs des criminels de toute l'Italie.
Si les nations ont plus ou moins Nous présentons la Sardaigne comme
conservé leurs moeurs, leurs habi- une toile peinte à grands traits, qui
tudes, leur caractère primitif, en rai- doit contenir le clair et l'obscur des
son de leur isolement des hordes du vicissitudes d'un peuple, dont l'origine
Nord qui ont inondé le midi de se perd dans le chaos des temps fa-
l'Europe, notamment l'Italie, et croisé buleux , semblable en cela aux premiers
les races par leurs mariages, à cet habitants de l'Italie, nonobstant les
égard , les Sardes, d'un caractère fier, recherches du savant Micali. Ce fut
courageux et sobres, ont peu souf- lorsque l'horizon historique s'éclaircit
fert de l'invasion des Vandales, des par la civilisation des peuples des côtes
Goths et des Sarrasins ; ils ont con- de la Méditerranée que les Sardes de-
servé dans leurs vêtements, dans leurs vinrent l'objet de la conquête des Car-
habitudes, des souvenirs de la domi- thaginois et des Romains, à mesure
nation romaine ou de la fierté car- que la rivalité des deux grandes nations
thaginoise , au point d'être considérés, prenait de la consistance et que la vic-
les uns comme Africains et les autres toire les favorisait tour à tour.
comme Italiens , ce peuple ayant ap-
partenu à différents gouvernements § II.
dont nous donnerons l'histoire et les Origine des anciens peuples sardes.
moeurs diverses. Temps fabuleux et historiques.
Le peuple sarde, par la singularité C'est le propre de tous les peuples,
de ses moeurs, par son indépendance comme des familles, d'ambitionner
d'esprit, par la haute opinion de soi- une origine directe, de la plus haute
même, par son hospitalité généreuse : aussi, quelques auteurs
et cordiale, forme à lui seul une antiquité
donnent aux Sardes une origine phé-
nation distincte qui fait partie de la
nicienne, sur la seule considération
grande famille européenne, dont l'exis-
tence sociale se confond dans les nua- que ce peuple était navigateur; d'au-
tres , une origine étrusque , parce que
ges des premiers âges du monde. Il fut les Tvrrhéniens, conduits dans cette île
autrefois célèbre, et à travers le cours
des siècles il a conservé, et il conserve par Phorcus, donnèrent à ses naturels
le nom de Sandaliotes, nom tiré de la
encore la trace vivante de son âge
configuration topographique de l'île
antique et originel, si l'on en croit même , qui représente une sandale
les traditions historiques les plus re-
culées. Lorsque Cicéron, dans son orai- plutôt que la plante d'un pied (*), comme
l'Italie a la forme d'une botte de ca-
son en faveur d'Émilius Scaurus , ci-
valier, et la Belgique, celle d'un lion,
toyen romain qui , en l'an 700 de d'où est venu le nom de Leo Belgi-
Rome, avait été justement accusé de cus (**).
concussion et de rapine durant son
A l'entrée des montagnes, entre les
proconsulat de la Sardaigne, accuse
les Sardes d'être menteurs, d'être des- villages de Laconi et de Serri, on
cendants des Phéniciens toujours re-
belles, toujours turbulents, et comme (*) Pline, liv. III, chap. 8, dit : Sardi-
niam ipsam Timoeus Sandaliotin
les Africains, appellavit
toujours ennemis des ab effigie soleoe.
Romains (voyez Peyron , Fragmenta
(**) Voyez. Coesii Leo BeIgicus, 1660, apud
Ciceronis), l'orateur éloquent a fait livre qui fait partie des
comme tous les avocats, il a jeté sur Elzevirios, quatre-
vingt-cinq volumes des républiques.
SARDAIGNE.
voit une construction singulière, célèbres tombeaux énigmatiques des
qu'une vieille tradition du pays fait chefs destribus, et des pyramides bizar-
appartenir à un temps fabuleux, et res, que l'on compte au nombre de plus
qu'on appelle le palais de Méduse, fille de trois mille en parcourant l'île sarde,
du roi Phorcus, chef de la colonie car le seul territoire de Nulvi, près du
étrusque qui dut occuper la Sardaigne village de Sorso, en contient cent et
dix-sept siècles avant l'ère vulgaire. plus. Nous observerons à ce propos
C'est une espèce de château taillé dans que l'Amérique (notamment le Mexique
le roc avec assez d'art, inaccessible par et le Pérou) est couverte de noraghes
derrière, lisse et poli sur le devant, qui qu'on assure être composées de pierres,
n'a qu'une seule fenêtre vers son som- très-semblables par leurs dimensions à
met avec un anneau de cuivre attaché celles de la Sardaigne. Ces monuments
à la muraille : on ne peut le voir qu'à éternels, à cause des énormes masses de
l'extérieur, attendu que les éboule- pierres enchevêtrées les unes avec les
ments de terre en empêchent l'entrée. autres, s'élèvent en cônes solides par
Des archéologues attribuent au moyen des bâtisses à sec (voy.pl. 2), et leur
âge cette construction très-curieuse. architecture originale prouve l'enfance
Un historien moins romantique, de l'art de bâtir; elle remonte à la
Sylvius Italicus, fait dériver le nom plus haute antiquité. La noraghe dite
de Sardaigne de Sardus , chef de Li- de l'Argentiera est garnie de pierres
byens , qui vint donner des lois aux blanches qui lui donnent la forme
naturels de cette île fertile, et leur d'une grosse tour sépulcrale ; celle
imposa son propre nom que, par re- de Santo Santino , si magnifique, est
connaissance, ils ont conservé jusqu'à une des plus curieuses et la mieux
nos jours. C'est au cap dit de la conservée. Nous sommes redevable
Frasca que se trouvait, si on en croit à M. Crivellari, qui a parcouru toute
le géographe Ptolémée, le tombeau l'île, du dessin de la planche que nous
élevé par les habitants à la mémoire publions; il nous a dit être descendu
de leur législateur, Sardus Pater, qu'on avec beaucoup de peine dans plusieurs
honora longtemps sous le nom d'Her- de ces monuments qui sont presque
cule. inhabitables, et ne servent que de re-
On ne saurait préciser l'époque de fuge aux bergers. On regrette ici que
la descente que fit dans le midi de la le célèbre antiquaire M. Petit-Ra-
Sardaigne, au dire de l'historien Pau- del, de l'académie des inscriptions ,
sanias, un Ibérien nommé Norax, ait cru pouvoir assimiler ces bâtisses
prétendu fondateur de la ville ruinée aux murs de Ferentino et de Fondi,
de Nora, ville qui occupait la par- les premiers décrits et publiés par ma-
tie méridionale de l'île sur le terri- dame Dionigi, Romaine, les autres visi-
toire de Saint-Effisio, tout près du tés par nous-même, en 1814, attendu
village de Pula, à sept lieues de Ca- que ces derniers sont composés de mas-
gliari. Son identité, dit le chevalier ses bien plus énormes, de trapèzes liés
Ferrero, est aujourd'hui reconnue entre eux. Dans les temps antiques on
par des inscriptions nouvellement dé- croyait plus solide cette manière de
couvertes. C'est dans cette région que bâtir, et les hommes employés à trans-
l'on voit bien distinctement les restes porter de si gros blocs de pierre, dé-
d'un ancien aqueduc romain superposé signés sous le nom de Cyclopes, firent
à une noraghe, qui en cet endroit tient donner à ces constructions le nom de
lieu de pilier. Aristote, dans son livre murs cyclopéens.
de Mirabilibus, avait parlé des héros Ces tombeaux, appelés par les Sardes
nuraghes ou noraghes, ont jusqu'à
qui dorment dans la Sardaigne, ajou-
tant qu'on voyait là, aux temps de. cinquante pieds de hauteur dans leur
état de construction et quatre-vingt-
Jolas, neveu d'Hercule, des construc-
tions très-anciennes. dix pieds de diamètre; ils se terminent
Les noraghes, dit Manno, sont de en cône surbaissé, et sont en général
L'UNIVERS.

construits, en pierres calcaires, mais l'agriculture; que les Carthaginois-,


furent
quelques-uns en granit mal taillé et sans très-entreprenants, lorsqu'ils
aucun ciment. La porte d'entrée est assez forts pour tenter des conquêtes,
formée par une architrave plate; elle occupèrent la partie méridionale de la
est aussi très-étroite et basse comme Sardaigne, et fondèrent la ville de Kala-
celle du tombeau de Cyrus décrite par ris, Cagliari(*), ville importante, sé-
Arrien. En examinant l'intérieur de parée de l'Afrique par une espèce de
ces monuments, on y voit des niches grand canal que traversent sans cesse
ou columbaria, comme dans les plus les navires commerçants.
anciens tombeaux de Rome, ce qui Les Carthaginois prirent possession
prouve jusqu'à l'évidence que ces édi- de toute la Sardaigne vers l'an 528 avant
fices ont servi de sépultures, cependant 9. C., et y restèrent pendant trois
avec quelque différence,car les colum- siècles, sans pouvoir consolider leurs
baria romains contenaient seulement conquêtes autrement que par des actes
les urnes cinéraires, tandis que les no- de barbarie, tels que de faire abattre
raghes étaient construites pour rece- les vignes, les arbres fruitiers, et
voir les corps humains tout entiers, ce d'obliger les malheureux habitants à
qui est en rapport avec les mythologies se réfugier dans des cavités creusées
égyptienne, et chinoise. La croyance au milieu des rochers.
religieuse débitait et débite encore à La première expédition faite par les
la Chine que l'âme ne se sépare point Carthaginois en Sardaigne fut sous la
du corps avant son entière consomp- conduite de Macheos, auquel les Sar-
tion , lorsqu'il a été conservé dans la des, aidés par les Corses, opposèrent
tombe. On a trouvé dans quelques no- une ferme résistance, et qu'ils obligè-
raghes des crânes humains, probable- rent de retourner à Carthage avec les
ment de personnes qui y furent ense- débris de ses troupes.
velies dans des temps modernes. Quelque temps après, le gouverne-
L'origine de ces tombeaux est, avec ment de Carthage voulut tenter une
quelque raison, attribuée à libérien nouvelle expédition contre l'île de Sar-
Norax, chef d'une colonie, et nous daigne, sous les ordres du général
croyons qu'il a été enterré dans un Asdrubal; celui-ci fut non-seulement
mausolée de forme cylindrique, et que battu sur terre et sur mer, mais en-
ces tombeaux prirent de là en Sardaigne core blessé assez grièvement dans
la dénomination de noraghes, car,dans une bataille.
l'île de Minorque, il existe des monu- L'historien Cambiagi donne les dé-
ments tout à fait semblables auxquels tails d'une expédition vigoureuse opé-
on donne un autre nom. D'autres ont rée sous la direction du même Asdrubal,
supposé queles noraghes avaient été an- avec des soldats que lesCarthaginois pri-
ciennement construites par les pâtres rent dans l'Espagne, déjà tombée sous
du pays pour se mettre à l'abri des inju- leur domination. L'île fut attaquée sut-
res du temps; mais on observe que ces plusieurs points au moment où les
monuments sont presque tous auprès Sardes ne s'attendaient pas à de telles
des villes, et construits non pas dans hostilités : le carnage fut épouvantable ;
le voisinage des rochers, mais dans des les uns plièrent sous le joug du sénat
lieux où il n'existe pas de pierres de de Carthage, et les autres se sauvèrent
cette forte dimension. dans les montagnes, où ils menèrent
Laissant de côté toutes les tradi- une vie nomade, ne vivant que de lait
tions incertaines, l'histoire parle de l'ar- et de la chair de leurs troupeaux,
rivée en Sardaigne de ces malheureux
n'ayant pour s'habiller que les peaux de
Grecs, expulsés de Troie vers l'an leurs brebis. Ce sont ces montagnards
1184 avant l'ère chrétienne. Montes-
qui, toujours persécutés, sont cepen-
quieu nous apprend d'après Aristote dant indiqués dans les anciennes his-
que le grand Aristide avait donné à
cette colonie grecque les principes de (*) Claudien de bello Gildonico.
SARDAIGNE.
toires comme des peuples pasteurs, ne armés. Le pays fut pacifié ensuite par
vivant que de pillage et de la moisson ce consul, qui, en l'an 231, publia,
des cultivateurs de la plaine. d'après l'ordre de la république, la
L'historien Azuni atteste qu'en outre réunion de la Sardaigne aux provinces
on défendit aux Sardes toute sorte de romaines.
commerce avec les étrangers, et qu'on La révolte du prince sarde Harsico-
faisait noyer ceux qui venaient dans ras, chef d'un petit État dans les mon-
l'île pour trafiquer avec les gens du tagnes, fut excitée par les Carthagi-
pays ; attestation appuyée par l'autorité nois, sous la direction d'Asdrubal
d'Àristote, de Polvbe et de Strabon. Calvus : ils ravagèrent les terres de
L'aveuglement cruel de la politique tous ceux qui n'étaient pas leurs par-
carthaginoise appela les Romains à tisans. Le sénat expédia de nouveau
recueillir les fruits d'une stupide féro- Torquatus: celui-ci, arrivé dans l'île,
cité ; ils tendirent la main aux op- plaça son camp en face de celui du
primés. Maîtresse de la Sicile par la prince rebelle, qui s'occupait dans les
victoire remportée sur Hiéron, tyran montagnes à faire des levées de sol-
de Syracuse, la république tourna ses dats. Son fils Hiostus, jeune, coura-
vues vers la Sardaigne, qui se trouvait geux, attaqua les Romains, mais il fut
en état d'insurrection permanente con- battu, et se retira avec ses soldats en
tre ses oppresseurs, et elle décréta la désordre. Une affaire générale eut en-
guerre aux Carthaginois. suite lieu après la jonction des Cartha-
Alors les Romains vainqueurs or- ginois; les deux armées se battirent
donnèrent au consul Lucius Corne- avec acharnement; Hiostus fut tué et
lius Scipio de faire la conquête des le père se donna la mort.
îles de Corse et de Sardaigne en l'an Manlius Torquatus, victorieux, pour-
494 de Rome, et une paix provisoire suivit les débris des vaincus, soumit les
fut conclue avec leurs rivaux, les Car- villes entraînées à la révolte, imposa
thaginois, qui payèrent deux mille des contributions, et détruisit la ville
deux cents talents de contribution de Cornus, résidence du prince rebelle.
(onze millions de francs). La sévérité du général romain as-
Les Romains, maîtres du littoral et sura la tranquillité et la paix dans l'île
de la ville de Cagliari, ne purent pen- pendant de longues années; mais les
dant longtemps , comme les Carthagi- exactions et les concussions des pré-
nois, soumettre les peuplades indé- teurs firent enfin éclater une révolte
pendantes des montagnes, peuplades générale; le sénat expédia alors Titus
entremêlées de réfugiés troyens, étrus- Sempronius Gracchus, lequel, comme
ques et d'autres bannis. Les mêmes on lit dans Tite-Live au liv. XLI,
Carthaginois, pour se venger, excitè- chap. XVII et XVIII, après deux cam-
rent, vers différentes époques, à la ré- pagnes et plusieurs batailles, fut vic-
volte ceux qui, parmi ces Sardes re- torieux, soumit à l'obéissance toutes
belles et toujours jaloux de leur indé- les tribus sardes qui s'étaient révoltées,
pendance , avaient été vaincus par les et leur imposa une contribution en
Romains. argent et en denrées. Après la pacifi-
La première révolte éclata vers l'an cation de cette province, Gracchus en-
235 avant l'ère vulgaire. T. Manlius voya à Rome deux cent trente otages
Torquatus, ayant battu les insulaires, pour annoncer au sénat cette heureuse
retourna bientôt à Rome pour obtenir nouvelle, obtenir pour lui les honneurs
les honneurs du triomphe. du triomphe, et solliciter la permis-
Deux ans après, les Sardes, à sion de revenir avec son armée. Le
l'exemple des Corses, se soulevèrent sénat, après avoir entendu la députa-
de nouveau; mais le sénat envoya tion sarde dans le temple d'Apollon, ac-
contre eux Pomponius Matbo, qui corda cette double demande; il or-
triompha sans cependant les dompter, donna que quarante des plus fiers en-
car, l'année suivante, ils reprirent les nemis fussent sacrifiés, et que Sempro-
8 L'UNIVERS.

nius restât dans l'île avec son armée qu'ils décorèrent de si beaux monu-
ments.
pendant l'année entière (*).
Rome demeura enfin triomphante Les bains d'eaux minérales et les
des Carthaginois, et, après la des- thermes construits par les Romains
truction de Carthage, la destinée de, étaient magnifiques et ornés de mar-
la Sardaisne fut fixée : elle forma une bres. On trouve à Codrongianos des
partie intégrante de cette grande na- restes des anciens thermes dits Aquae
tion, à l'exception toutefois des peu- hypsitanae. Le pont sur le Turritano
plades montagnardes , qui furent ap- est un ouvrage romain. A Terranova,
pelées Balari ou Barbari. On envoya qui est l'ancienne Olbia, et à Sas-
en Sardaigne plusieurs préteurs, dont sari, on voit de vieux aqueducs qui
le plus probe fut Cato Marcus Porcius ne sont cependant ni aussi conservés,
dit le Sévère, l'ami du poète Q. En- ni aussi curieux que ceux de la ville
nius, Calabrais établi dans cette île, de Cagliari, dont l'eau était prise à
et que Caton conduisit à Rome avec cinq lieues de distance de la capitale,
lui vers l'an 170 avant l'ère chré- à la suite de travaux d'une grande
tienne. Le sénat, pour opérer une difficulté que les barbares ont presque
fusion complète, éleva au rang de ruinés, mais dont on admire encore
cités romaines les villes principales de les débris.
Kalaris, Sulcis, Neapolis, Rosa, Nora, Jules César, après son triomphe sur
Olbia, Forum Trajani. Pour tenir en Pompée, au retour de l'expédition
respect les nouveaux citoyens, deux d'Egypte, s'arrêta un mois à Cagliari ;
colonies romaines furent fondées, il mit une contribution d'un million de
l'une à Usellis, l'autre à Turris, et par francs sur la ville de Sulcis (*), qui
l'amalgame politique des deux peu- avait donné asile à la flotte de Nasi-
ples on obtint la paix des familles. dius et fourni des vivres et des se-
Les destructions du temps, et plus cours à ce partisan de Pompée. Oc-
encore les dégradations opérées par tave, lorsqu'il fit le partage de l'em-
la main de l'homme, ont renversé les pire avec M. Antoine, se réserva la
précieux édifices de l'antiquité dans Sardaigne à cause de sa fertilité. Ti-
l'île de Sardaigne; cependant, on re- bère fut peu favorable aux Sardes
marque encore aujourdhui à Cagliari sous prétexte de confectionner des ou-
les restes d'un ample amphithéâtre, vrages publics, il envoya quatre mille
et à Nora de vastes aqueducs ruinés, juifs pour être employés à de rudes
ce qui prouve que les Romains ne por- services, et il infecta le pays d'une
tèrent pas à ce pays moins d'inté- foule d'hommes corrompus. Voyez
rêt qu'à tous ceux de leur domination, Tacite, Annales, liv. 2.
Il paraît même qu'au temps de Ti-
bère la Sardaigne eut un préteur par-
Ce que Tite-Live raconte au chapi-
(*) ticulier, et que son gouvernement fut
tre XXVIII , doit se rapporter, à notre avis,
non à une nouvelle
séparé de celui de la Corse, qui, jus-
rébellion des Sardes,
qu'alors, n'avait formé qu'une seule
comme quelques historiens ont pensé, mais
province. Le gouvernement de Rome,
au triomphe qui fut accordé à Gracchus pré-
très-sage et très-politique, mit un
cédemment, parce qu'il avait en différentes
batailles tué ou fait grand soin à établir en Sardaigne et à
prisonniers plus de
quatre-vingt mille rebelles. Pour concilier y maintenir des moyens de correspon-
les faits des deux chapitres, il faut observer dance, ce qui a contribué à la prospé-
au chapitre rité et à la tranquillité publique. Jetons
que Tite-Live, XXXI , dit que
M. Aurèle, fut, après Gracchus,
un coup d'oeil sur l'itinéraire d'Anto-
préteur,
envoyé en Sardaigne avec une légion nou- nin, et nous verrons combien de routes
velle; en conséquence,
l'inscription placée
dans le temple, et transcrite au chapi- (*) L'ancienne position de cette ville est
tre doit être attribuée au triomphe
XXXVIII, presque ignorée, et les savants différent
décrété par le sénat.
d'opinion à cet égard.
SARDAIGNE. 9
unissaient entre eux les différents vil- Avant de parler des vicissitudes
lages. Des pierres milliaires qu'on dé- souffertes sous ces barbares par les
couvre à chaque instant, ainsi que Sardes, il est important de donner
plusieurs débris de voies romaines, une idée de leur ancienne industrie
surtout dans la partie centrale de l'île, agricole, de leurs revenus et de leur
viennent à l'appui des récits des histo- religion sous la domination romaine.
riens anciens. Rome tirait de la Sardaigne une
Vers l'an 303, le christianisme s'é- assez grande quantité de miel, dont
tablit en Sardaigne apportant avec lui la saveur était un peu amère, à cause
l'égalité évangélique; bientôt sous l'em- des fleurs des plantes aromatiques sur
pereur Dioclétien , il y eut de nom- lesquelles les abeilles le recueillaient ;
breux martyrs, parmi lesquels on citait on tirait aussi de la cire et une énorme
saint Efisio , qui est aujourd'hui le contribution en blé, par la dîme sur la
protecteur de cette île. récolte, ainsi que cela se pratiquait
Efisio était un des généraux de l'em- dans les provinces dites Decumanae,
pereur qui fut envoyé en Sardaigne contrairement à l'usage suivi pour cel-
avec des troupes pour réduire les chré- les qui payaient les impôts en argent,
tiens. A peine arrivé dans l'île, il fut et qui étaient désignées sous le nom de
converti lui-même par ceux qu'il ve- Stipendiariae provinciae.
nait combattre, et, la croix à la
main, il marcha contre les barbares § III.
de l'intérieur toujours indomptables; Des invasions des barbares du Nord,
mais, après les avoir battus, il fut des Maures ou Sarrasins.
forcé de les laisser avec leurs idoles et _
leur indépendance. Après huit siècles de domination
Dioclétien, informé de la conversion romaine, à la chute du vaste empire,
à la religion chrétienne de ce général, les Sardes furent, comme l'Italie, op-
le livra aux bourreaux, et Efisio reçut primés par les barbares du Nord qui,
la mort avec intrépidité. les uns après les autres, de la Scandi-
La politique romaine voulait établir navie et des autres régions septentrio-
partout dans les provinces conquises nales , descendirent de leurs forêts
l'unité de religion : on imposa donc pour revêtir les manteaux des Césars
aux Sardes les divinités de Rome, si richement brodés et s'emparer des
sans toutefois arracher les insulaires trésors du grand empire.
à la dévotion qu'ils ont conservée A la mort de Valentinien III, vers
pour Sardus Pater, qu'ils adoraient- l'an 455, le roi Genséric, à la tête
sous la forme d'Hercule. Les histo- d'une armée considérable de Vandales,
riens n'ont point parlé de la religion réduisit, en l'an 456, les Sardes à
primitive de ce peuple; mais, d'après l'esclavage, jusqu'à ce que Bélisaire,
l'idole que le chevalier Ferrero la Mar- vainqueur du roi Gélimer, eût en-
mora nous a présentée (planche 3), voyé Cyrille pour occuper la Sar-
on peut penser qu'ils avaient avec les daigne. Les Goths, commandés par
Carthaginois des croyances commu- Totila, s'emparèrent aussi de cette île,
nes. En effet, l'idole en bronze que en l'année 547, mais ils en furent
nous donnons représente l'Hercule chassés par Narsès au bout de cinq
sarde avec sa massue et le bâton années.
pastoral qui indique la protection Il ne paraît pas que les Lombards
accordée par Sardus à l'agriculteur aient étendu leur domination sur l'île
et au berger, professions qui forment de Sardaigne, et c'est au pape Gré-
la richesse principale de la Sardaigne. goire le Grand que cette île en est re-
La tunique dont l'idole est revêtue est devable : en effet, en l'an 598, ayant
semblable à celle qui a été conservée appris qu'Agilulphe, duc de Turin,
par quelques paysans sardes, comme époux de la célèbre Théodelinde, veuve
nous le ferons observer plus bas. d'Autharis, roi de Lombards, méditait
1O L'UNIVERS,

une descente dans l'île, Grégoire s'em- l'heureux guerrier qui parviendrait à
d'en l'évêque la délivrer des Maures. En 1017, les
pressa prévenir Genua-
rio, qui fit aussitôt prendre les armes Pisans et les Génois y tentèrent, sans
au peuple sarde pour sa défense. beaucoup de succès, une expédition ; ce
L'histoire de la Sardaigne offre peu fut alors que le pape Benoît VIII prê-
d'intérêt jusqu'à l'année 720, époque cha une croisade pour la délivrance de
de l'invasion dés Maures ou Sarra- l'île; mais les Pisans, déjà maîtres de
sins , qui dévastèrent tous les monu- l'île, furent repoussés par Musset venu,
ments et opprimèrent le peuple. Ce fut d'Afrique : enfin Léon IX prêcha une
alors que Luitprand, roi des Lombards, nouvelle croisade, et le roi Musset,
envoya aux Sardes des secours d'hom- fait prisonnier, mourut à Pise, âgé de
mes et d'argent, à l'aide desquels ils plus de quatre-vingts ans.
parvinrent à chasser les Maures vers
§ IV.
l'an 739; mais les luttes continuelles
De la domination des Pisans, des
avec les Maures d'Afrique, déjà do-
les Génois et des empereurs d'Alle-
minateurs en Espagne, obligèrent
la magne en Sardaigne.
Sardes, en 815, à se mettre sous
protection de Louis le Débonnaire, roi La guerre, contre les Maures étant
de France, empereur d'Occident, qui terminée, les Pisans rentrèrent alors
envoya en 820 une escadre, comman- dans la paisible possession de la
dée par Boniface, comte de Lucques, Sardaigne, où ils établirent des fiefs
pour exterminer les pirates sarrasins. qu'ils donnèrent comme récompense
Louis le Pieux exerça quelque juridic- à leurs alliés les. Génois, sans cepen-
tion dans cette île par la confirma- dant partager le pays avec leurs confé-
tion, en faveur de l'église romaine, des dérés , comme M. Sismondi a cru devoir
donations qu'avait faites en Sardaigne l'affirmer. Ils distribuèrent seulement
Charlemagne son prédécesseur. Celui- l'île en quatre provinces gouvernées de
ci , en effet, pour consolider la paix et nouveau par des juges, citoyens pisans,
rendre le peuple plus obéissant, après installés à Cagliari, à Torres, à Gal-
avoir détrôné son beau-père Didier, lura et à Arborea, lesquels s'arrogèrent
dernier roi lombard, avait confié aux bientôt des droits de suzeraineté; ils
évêques le gouvernement politique, renoncèrent encore à l'usage de leur
pouvoir bientôt reconquis par le peu- nom de famille, désormais au-dessous
ple, qui le mit entre les mains des de leur nouvelle dignité, quelque ho-
représentants de la république, sous norable que ce nom pût être ; et, comme
le nom de podestats ou de juges, ou pour embrouiller à plaisir les fastes
sous d'autres titres. Les Sardes crurent contemporains, ils ne gardèrent plus
devoir aussi en cela imiter les républi- que le prénom en y joignant le titre
ques d'Italie du moyen âge : le clergé de la province qui leur obéissait, à
et le peuple élurent des chefs station- l'instar des princes souverains et des
nàires, et l'île fut partagée en quatre évêques : ainsi, le premier juge de Ca-
petits Etats. Cette division affaiblissant gliari , en l'année 1.050, s'appelait Tor-
les forces nationales, appela de nouveau celui d'Arborée Mariano ,
chitorio,
les Maures, et le kalife. Moez-Ledin- celui de Torres Gonnario, et celui
Allah, en 970, fit une descente dans de Gallura Manfredi. Le pape Gré-
la Sardaigne, où il exerça pendant goire VII, écrivant aux juges sardes, les
trente ans son autorité royale. prie de conserver à l'église romaine l'at-
Le pape Jean XVIII, prévoyant tachement que leurs ancêtres lui por-
les malheurs qui résulteraient pour taient, ce qui prouve que ces places fu-
l'Italie, de l'installation des musul- rent héréditaires. C'est en 1066 que,
mans en Sardaigne, d'où ils pour- par leurs rivalités, les juges donnèrent
raient à leur aise exercer la piraterie, ensuite naissance aux factions guelfe
publia un bref par lequel il accorda, et gibeline, qui pénétrèrent comme
en l'an 1004, l'investiture de l'île à une épidémie dans cette malheureuse
SARDAIGNE. 11
contrée, et divisèrent entre eux les Avant de parler de la domination
Pisans gibelins et les Génois
guelfes aragonaise sur la Sardaigne, nous
ou papistes. En 1158, l'empereur Fré- de
croyons utile, pour l'intelligence
déric Barberousse déclara que la Sar- cet abrégé historique, de donner la
daigne lui appartenait, et il accorda le série chronologique des juges ou sei-
titre de roi à un de ces juges, à celui
gneurs qui dominèrent dans les quatre
d'Arborée, nommé Barison, moyen-
nant le prix de quatre cents marcs l'île, fut fondée bien après Olbia (petit
d'argent; ensuite il accorda le même village appelé maintenant Terra Nuova),
titre au duc Guelfe, son oncle, et par les premiers colons de l'île. Les Romains
enfin il vendit la Sardaigne aux Pi- ornèrent cette ville d'un vaste amphithéâtre,
sans pour treize mille marcs d'argent, d'un immence aqueduc et de plusieurs autres
monuments dont on peut voir encore les
ce qui fut le motif d'une nouvelle
ruines. Le point de vue de Cagliari, pris du
guerre entre les chefs de cette répu- côté des promenades offre le ta-
publiques,
blique et ceux de Gênes. Ceux-ci, qui bleau le plus agréable; son entrée
avaient prêté à Barison l'argent pour par le
faubourg Stampaces est imposante, les rues
payer le prix dû à Frédéric, ne pou- principales sont larges, et les maisons sont
vant installer Barison à Oristand, le embellies par de magnifiques balcons à l'ita-
tinrent à Gênes prisonnier pour dettes lienne. La place de Saint-Charles est déco-
pendant huit ans, jusqu'au payement rée de la statue en bronze du feu roi Char-
de l'argent prêté. les-Félix, tribut de reconnaissance justement
Les pontifes romains, Innocent III dû à ce roi ; ou y voit aussi la première
borne de la grande route que ce monarque
et Grégoire IX, élevèrent aussi des pré-
tentions sur cette île, et la donation a fait construire : là se trouve la station des

que la belle Adélasie, veuve d'Ubalde, diligences qui transportent les voyageurs
l'un des derniers juges de Gallura et de jusqu'à Porto Torres.
Le château ou castello renferme sur le
Torres réunis, avait faite de la Sardai-
plateau de la colline le plus agréable des
gne au saint-siége, en 1239, fut an- de la ville où résident les
nulée par le successeur à l'empire. En quatre quartiers
autorités , la noblesse et les riches bourgeois.
1238, Frédéric II fit épouser cette veuve C'est dans le palais royal, vaste et majes-
à son fils naturel, le malheureux En- tueux édifice, sur lequel flotte le pavillon
zius, auquel on donna le titrè de roi de bleu , emblème de la souveraineté de l'au-
Sardaigne. Après la mort horrible de guste maison de Savoie, que le roi Charles-
ce roi, qui périt en 1273 près de Bo- Emmanuel IV et ses quatre frères sont ve-
logne, dans une cage de fer où il avait nus dernièrement séjourner; le vice-roi y
été misérablement enfermé, les hosti- tient sa représentation. Le bastion de Sainte-
lités entre les Pisans et les Génois Catherine sert de promenade d'hiver; on y
recommencèrent, et les premiers fu- voit les restes des fortifications espagnoles.
rent enfin obligés, en 1295 , de céder Cette capitale possède une académie d'a-
le château de Cagliari, dans lequel ils griculture, une imprimerie royale, un mu-

avaient élevé les trois grosses tours sée d'histoire naturelle, un autre d'antiqui-
tés nationales, ce dernier formé aux frais
rougeâtres (voyez planche 4) cons- du roi Charles-Félix, enfin une université
truites en pierres dures et compactes
de la nature du marbre, rovale des études, qui fut fondée dans le
qu'on y
voit encore aujourd'hui, et d'aban- septième siècle. En 1788 , le poëte Berlendis
Ange, professeur d'éloquence, y fit prospé-
donner plusieurs bastions de cette rer l'étude de la belle littérature.
belle ville, dont la situation est si Le vaste port de Cagliari reçoit et exporte
agréable lorsqu'on vient de la mer. Elle chaque année, terme moyen , pour la valeur
s'élève en amphithéâtre depuis le quar- de sept millions de livres sardes (la livre
tier de la marine qui borde le pont, jus- sarde équivaut à la livre tournois). Pour se
qu'au sommet de la colline où est placé préserver des contagions, à un quart de
le château (*). lieue du port et de la maison de santé, on
a construit un lazaret où les bâtiments sont
la de tenus de faire quarantaine.
(*) Cagliari, aujourd'hui capitale
12 L'UNIVERS.
Pierre I avec Ugone II , son fils.
judicats, titre modeste, et adopté pour
1191.
1211. Constantino II.
ne pas blesser l'enthousiasme des peu- 1230. Pierre II.
l'an-
ples d'Italie, qui ambitionnaient
1252. Comita III.
1253. Guillaume, comte de Capraja.
cien régime municipal, comme nous Pisan.
1282. Mariano II, dit Donicello,
l'avons déjà fait observer. Les premiers 1299. Chiano, fils de Mariano, ou bien Toso-

juges étaient nommés par le clergé et


rato de l'Uberu.

Je peuple pour deux ans; mais ensuite, 3° JUDICAT CE TORRES OU LOGADORO, COMPOSE DE
CANTONS.
après des discussions politiques, les VINGT

constitutions civiles furent violées par An 1050. Gonnario I.


1058. Comita I.
la force militaire, et les juges furent roi de Sardaigne.
1063. Barisone,
élus à vie, et plus tard, par testament, 1069. Tança André.
ils disposèrent de cette dignité en fa- 1073. Mariano I, roi.
1112. Constantin I.
veur de leurs enfants, comme Barison II de Torres, mort moine à
1127. Gonnario
et Torchitorio nous en fournissent Clairvaux.
l'exemple. Il paraît certain que, même 1164. Barisone II, frère de Pierre.
1190. Constantin II.
avant le onzième siècle, des chefs po-
1191. Comita II, usurpateur.
litiques et militaires ont défendu les 1218. Mariano II, père d'Adélasie.
côtes de l'île des incursions ; cependant 1233. Barisone III, son fils, qui fui assassiné
dans une rébellion.
les historiens n'ont pas donné leurs
1236. Adélasie avec Ubalde de la Gallura.
noms. Nous nous bornerons à la chro- 1238. Adélasie avec Enzius, enfant naturel de

nologie la plus certaine, à partir du Frédéric II.


dernier roi. le
onzième siècle de l'ère vulgaire. 1272. Zanche Michel, Voyez
Dante, chant XXII, Infeno.
I° JUDICAT DE COMPOSÉ DE DIX-SEPT
CAGLIARI, JUDICAT DE AYANT DIX
4° GALLUBA, CANTONS ;
CANTONS.
CHEF-LIEU AMPURIA, VILLE DETRUITE.
An 1059. Torchitorio 1, juge.
Ouroco ou Oroco. An 1050. Manfredi, envoyé par les Pisans.
1071. 1058. Baldo ou Ubaldi.
1080. Arzone, père de Constantin.
1073. Constantin I, premier roi.
1089. Constantin I, roi et juge.
1079. Saltaro, son fils, mort sans enfants.
1103. Turbino de Lacone, usurpateur.
1092. Torgodorio, excommunié dans le concile
1108. Torchitorio II, ou Mariano.
provincial de Torres.
1130. Constantin II, mort sans enfants.
1116. Ollocorre di Gunale.
1141. Salucio di Lacone.
1160. Constantin II di Lacone.
1164. Pierre, fils de Gonnarîo, juge de Torres.
1173. Barusone, fils du précédent, roi de la
1191. Guillaume de Massa,qui expulsa son pré-
Gallura.
décesseur.
1203. Lambert Visconti, Pisan.
1215 Benoîte, épouse de Barisone, fille de Pierre.
1218. Ubalde Visconti, 1211. Comita II de Torres, usurpateur, aidé par
Pisan, fils de Lambert.
Guillaume II de Massa. Guillaume de Cagliari.
1239.
1253. Jean ou Chiano, 1218 Ubald, mari d'Adélasie.
son fils.
1258. Guillaume 1257. Jean ou Chiano Visconti.
III, dit Cepola, fils de Rufo,
dernier roi de ce judicat. 1282. Nino ou Ugolin de Scotti, Pisan, époux
de Béatrix d'Este.
2 JUDICAT D'ARBOREA , CHEF-LIEU ORISTANO 1300. Jeanne, fille de Nino.
(*)
AVEC QUINZE CANTONS.

An 1050. Mariano de Zari.


On a fait des recherches sur l'étymo-
I,
1073. Orzocorre I, juge. logie historique du nom de juge ou
1081. fils de Nibatta et du précédent.
Torbeno,
Orzocorre Marie.
podestat, dignité judiciaire et suprême
1096. II, époux d'Orru
1102. Comita I, Orru, beau-père.
qui était, depuis Othon le Grand , con-
1120. Gonnario, époux d'Orru Hélène. fiée par les consuls des républiques
1131. Constantino II.
italiennes, ou par le conseil des an-
1140. Comita II, son fils.
Barisone, roi de Sardaigne, fils du pré- ciens, à un étranger, et pendant un
1158.
cédent. temps limité, afin d'empêcher l'usur-
1186.
pation du pouvoir et la vénalité dans
Pierre I avec Ugone I Babo (**).

l'exercice de la justice. Frédéric 1er


(*) Les historiens croient qu'on a donné
à celle contrée le nom d'Arborea ,
parce que qui se disputaient le pouvoir, en les obli-
dans ce judicat il existe
beaucoup d'arbres. geant à payer à la république génoise une
(**) Le consul Burano de Gênes mit en
dette qui, par la mon de Barison le père,
possession par un compromis les deux juges restait encore à acquitter.
SARDAIGNE. 13

Barberousse, homme d'un grand gé- en 1297 l'investiture à Jacques II, roi
nie, ne pouvant, par la force des d'Aragon, sous la condition qu'il lui
armes, apaiser cet esprit d'indépen- prêterait un hommage annuel, et
dance et de liberté que la ligue des qu'il irait faire une croisade en la
villes lombardes avait depuis le on- terre sainte. En 1306, une flotte arago-
zième siècle constamment excité, re- naise fut expédiée pour faire la conquête
nonça, par le traité de Constance de l'an de la Sardaigne ; mais les Pisans. qui
1183, à toutes ses prétentions royales, étaient encore en possession d'une
en retenant le droit de nomination des partie de l'île, ainsi que les Génois,
podestats. C'est cette autorité que les se voyant menacés, conclurent une
Pisans et les Génois, en délivrant la Sar- trêve de vingt-cinq ans; et ce ne fut
daigne des Maures, ont, à notre avis, qu'en 1323 qu'une nouvelle flotte ara-
exercée pendant quelque temps. D'a- gonaise de soixante galères, sous les
près les statuts, le juge ou podestat ordres de l'infant don Alphonse, prince
ne pouvait accepter aucun présent royal, accompagné de Donna Teresa ,
quelque petit qu'il fût; il ne pouvait sa femme, et de la fleur de la noblesse et
exercer le moindre commerce, il ne des plus braves guerriers de l'Aragon,
pouvait dîner en ville; il était tenu de de Valence et de la Catalogne, mouilla
convoquer une assemblée de jurés dans le 13 juin devant Oristano (*).
les affaires majeures. Après l'expira- Dans le vaste golfe de cette ville,
tion du temps, il était assujetti à une Alphonse, fils de Jacques, débarqua
enquête publique en présence des huit vingt-cinq mille hommes et trois mille
syndics de la communauté. Ces statuts cavaliers; cependant celte force n'au-
étaient sages, mais il ne faut pas croire rait pu suffire à l'entreprise, mais
qu'ils aient été observés par les juges Alphonse eut recours à la corrup-
de la Sardaigne comme ils furent pen- tion, et, ayant gagné plusieurs sei-
dant longtemps maintenus par les po- gneurs pisans et génois qui étaient
destats des républiques lombardes, car établis dans l'île, notamment les Ar-
nous voyons par l'aperçu historique et borei , les Malaspina, les Roccabeti et
parle précédent tableau chronologique, les Doria, il s'empara de Cagliari,
que les juges sardes ambitionnèrent ville principale du royaume, après la
bientôt le pouvoir royal et l'hérédité mort du brave amiral Mainfroi de la
de cette suprême magistrature, et la
faculté de réunir sur une seule tête (*) Cette ville (planche 5), fondée vers
plusieurs judicats. Celte ambition fut l'année 1070, bâtie et agrandie aux dépens
la cause de guerres de rivalité entre de l'antique cité de Torres, détruite par
les quatre chefs des provinces et entre les Sarrasins, était beaucoup plus peuplée
les Pisans et les Génois, rivalité d'où à l'époque du judicat d'Arborea. On voit
encore des pans de ses anciennes murailles
naquit une certaine apathie des peu-
et deux pentes, dont une conduit au port:
ples, et ce défaut d'accord dans l'in- surmontée d'une tour, offre à la vue
térêt commun qui appela bientôt la do- l'autre,
la cloche de la ville du côté de la route de
mination ou la tyrannie espagnole, air fut cause de la dé-
Cagliari. Le mauvais
cause de la diminution constante de la de celle ville; elle ne compte
population
population et de la richesse nationale. plus aujourd'hui que six mille hahitants. Les
oranges, les grenades, les melons et tous
§ V. les légumes y sont, grâce à la fertilité du
Domination des rois d'Aragon et sol, d'une grosseur étonnante et d'une qua-
lité supérieure. Le seul édifice remarquable
d'Espagne en Sardaigne. est la cathédrale,
à Oristano grande et belle,
La puissance des Pisans étant un ornée d'un clocher isolé dont l'architecture
peu déchue, le pape. Boniface VIII en est élégante. Le territoire de celle province

profita; professant les mêmes princi- est le plus abondant en grains. C'est en cette

pes que Grégoire VII, il déclara la ville qu'on a établi les plus magnifiques

Sardaigne son patrimoine, et il en offrit magasins de prèt de blé aux agriculteurs.


14 L'UNIVERS.
nous signalerons Jeanne
Gherardesca. Les Pisans furent forcés , Éléonore,
par le traité dé 1324, d'abandonner I re (*), reine de Naples, si fameuse par
là possession de Cette île si avanta- ses quatre mariages, par ses Crimes et
reine
geuse pour leur commerce. par ses malheurs; Marguerite,
Le roi d'Aragon, homme plein de de Danemarck, dont la politique par-
sagesse, récompensa les Arborei et vint à réunir, par l'acte de Calmar, la
les autres seigneurs de son parti; il Norwége et la Suède; Philippine qui,
caressa même, en bon politique, ses ayant appris que les Ecossais venaient
ennemis, en sorte qu'une nouvelle d'envahir le royaume d'Angleterre en
tentative de la part des Pisans échoua; l'absence d'Edouard IV son mari,
et en 1326, la Sardaigne resta défini- marcha elle-même à la tête de son
tivement à l'Espagne. armée, fit prisonnier le roi David II
Les Aragonais, devenus par les avec la fleur de la noblesse écossaise
droits de conquête et de convention, et le conduisit en triomphe à Lon-
souverains de la Sardaigne, s'occupè- dres. Nous ajouterons à ces héroïnes
rent de la soumettre tout entière sardes la fille du bon roi René, Mar-
et d'y établir une sorte de régime Cons- guerite d'Anjou, quoique d'une épo-
titutionnel en faisant l'ouverture du que plus récente. Cette femme forte
parlement des cortès. et courageuse, après avoir soutenu
Alphonse IV qui remplaça son père, avec fermeté dans douze batailles les
le roi Jacques, décédé en 1328, fit droits de son mari et de son fils, après
tous ses efforts pour établir la paix avoir vu le premier lâchement assas-
entre les Arborei et les Doria; mais siné, le second poignardé de sang-
sa mort, arrivée en 1356, et une froid par le cruel duc de Glocester,
peste affreuse, causèrent de graves devenu depuis l'infâme Richard III,
maux à la Sardaigne. Don Pedro, cette femme, dis-je, fut emprisonnée
dit le Cérémonieux, son succes- dans la tour de Londres, puis réduite
seur, vint à Cagliari; et le 15 avril, à dévorer ses chagrins dans l'asile que
jour de Pâques en 1355, il publia Louis XI lui donna en France; cette
une nouvelle constitution, par laquelle princesse mourut en 1482 à Dampierre
il appela les hommes les plus éclairés près de Saumur.
et les plus riches de la Catalogne, Le décès d'Éléonore transmit le
d'Aragon et de Valence, à résider en trône à Mariano V, son fils, qui
Sardaigne et à participer au gouverne- mourut sans enfants; alors la noblesse
ment représentatif des cortès, afin de appela à la succession un neveu d'É-
prévenir par ce moyen les maux que léonore , le vicomte de Narbonne Lara
l'absence des feudataires causait aux Celui-ci, ne pouvant se
François.
habitants du pays. soutenir, vendit sa possession au roi
Les Arborei se soulevèrent de nou- d'Aragon, qui, après bien des diffi-_
veau à Oristano, où Hugues IV, juge cultes, paya la somme de cent mille
de la ville, fut massacré par les ré- florins d'or au vicomte Lara, et devint
voltés, qui, dans une assemblée na- possesseur du trône de Sardaigne. Al-
tionale, proclamèrent la république. phonse V, dit le Sage, visita l'île, et
Donna Éléonore sa soeur, épouse de en 1421 convoqua à Cagliari le parle-
Brancaléon Doria, revendiqua le trône ment des cortès; il étendit à tout le
pour son fils; elle fut, par la charte royaume la charte d'Éléonore, il éta-
dite de Logu, la législatrice des Sar-
des, qui, depuis 1421, ont conservé
(*) C'est pour amuser celte reine lascive
jusqu'à nos jours les institutions des
que Jean Boccace, appelé à sa cour vers
cortès, toutefois avec quelques modi-
fications. 1374 , récitait ses historiettes galantes; mais
pour ne pas reprocher à Jeanne ses crimes
Le quinzième siècle fut remarquable si odieux, il ne lui aura certainement pas ra-
par la naissance de plusieurs femmes conté les infortunes de la vertueuse Griselda,
célèbres dans l'île de Sardaigne : après si fidèle à son mari.
SARDAIGNE. 15
blit ensuite une administration uni- furent toujours des navigateurs entre-
forme et régulière, en laissant aux prenants et intrépides.
Sardes les places et les emplois les plus A cette époque remonte aussi la dé-
importants. A cette époque, on ven- couverte des Indes orientales par le
dait misérablement les peuples pour navigateur Vasquez Gaina. Elle fut
de l'argent comme des troupeaux. aussi très-avantageuse au commercé
En 1458, l'Aragon et la Sardaigne des Sardes, qui déployèrent plus d'ac-
eurent à déplorer la mort d'Alphonse tivité , animés qu'ils étaient par l'attrait
le Magnanime, de ce roi qui ne crai- des richesses orientales dont on van-
gnait pas de parcourir seul les rues de tait l'éclat.
la capitale, et qui répondait à ses cour- La fille de Ferdinand le Catholique,
tisans, à ses ministres, et à tous ceux la princesse Jeanne, mariée à Phi-
qui s'efforçaient de l'éloigner de ses lippe Ier d'Autriche, donna pour suc-
sujets pour que la vérité ne fût pas cesseur au trône de l'Espagne, des
connue de lui : Un père a-t-il rien à Deux-Siciles et de la Sardaigne, Char-
craindre au milieu de ses enfants? Ne les-Quint, qui, ayant pris pour conseil-
suis-je pas là dans ma famille? pa- ler et grand chancelier le célèbre cardi-
roles mémorables , louable exemple à nal Arborio Mercurin de Gattinara
suivre! en Vercellais, parvint à s'établir l'ar-
Le successeur fut don Jean II, le- bitre des royaumes et à assigner
quel , après avoir gouverné pendant une nouvelle époque à l'histoire mo-
quelque temps la Sardaigne en paix, derne.
fut attaqué par les troupes des Arborei, La Sardaigne, sous un vaste empire
seigneurs d'Oristano ; ceux-ci, après tel que celui de Charles-Quint, neformait
quelques victoires, furent ensuite bat- qu'une très-petite portion ; cependant,
tus par de nouvelles troupes venues en 1519, d'après les sages conseils du
de la Sicile, et leur famille s'éteignit. même cardinal Arborio Mercurin de
Le roi d'Aragon réunit alors la Sar- Gattinara (*), grand chancelier, l'empe-
daigne tout entière à sa couronne et reur ordonna que les cortès sardes fus-
prit le titre de marquis d'Oristano, sent assemblées. La nation ayant pris
titre qui appartient encore aujourd'hui dès lors une attitude forte, en donna
au roi de Sardaigne, prince du Pié- une preuve enl527, lorsque la guerre di-
mont. visait l'empereur et François Ier; c'est
Ferdinand le Catholique, héritier alors qu'une flotte française, comman-
de don Jean , après avoir détruit dée par André Doria, débarqua sur les
le royaume de Grenade, dévoré par plages de Longo-Sardo une armée de
des dissensions intestines et par la quatre mille hommes, qui, sous les or-
corruption morale, fixa l'organisa- dres du général Renzo Ursino da Ceri,
tion politique de la Sardaigne, en firent inutilement le siége du château
abolissant les priviléges et la puissance Aragonée: toujours repoussés par les
des feudataires pisans et génois, qui habitants, ils se dirigèrent sur la
fomentaient les désordres et tentaient ville de Sassari qu'ils occupèrent un
une révolte à leur profit ; il bannit les instant ; mais ils furent bientôt obligés
juifs qui, par des usures énormes, ap- de regagner leurs vaisseaux, après
pauvrissaient les familles; et, comme avoir perdu beaucoup de soldats.
la population était beaucoup diminuée, Les Sardes doivent à ce grand em-
il obtint du pape Alexandre VII la ré- pereur, qui vint les visiter escorté par
duction des siéges épiscopaux jus- la plus puissante et la plus brillante
qu'alors trop multipliés. (*) François Ier, en 1525, était prisonnier
La découverte du nouveau monde à Madrid, et la duchesse d'Alençon , pour
éleva l'Espagne au plus haut degré de obtenir la délivrance du roi son frère, fil
richesses, dont la Sardaigne eut aussi de vains efforts auprès de Mercurin de Gat-
sa part, en raison de l'étendue de son tinara. Voyez t. II, Storia della Vercellese
commerce maritime, car les Sardes letteratura de 1824.
16 L'UNIVERS.
la nomination d'un censeur pour l' exé-
armée navale réunie dans le port
1° la punition des vice- cution des règlements; enfin il ordonna
de Cagliari, le duc de
des anciens au gouverneur général,
rois, qui, à l'exemple en 1615 les
romains, avaient opprimé les Gandia, de convoquer
préteurs
insulaires ; 2° le mélange de la noblesse cortès du royaume.
et de la noblesse sarde, avec Le gouvernement de Philippe IV, qui
espagnole
privilége pour les seuls
nobles habitants occupa le trône de 1621 à 1662, n'offrit
de l'île; 3° le droit d'être jugés, même rien de remarquable pour la Sardaigne,
crime de lèse-majesté, par sept de sinon la promulgation d'une loi qui
pour à greffer les
leurs pairs. C'est lui aussi qui, par son obligea les cultivateurs
délivra oliviers sauvages, sous peine d'amende,
expédition (*) de Tunis, en 1535,
les côtes de la Sardaigne et ses ports, et la publication de la collection des
des incursions continuelles des pi- sanctions pragmatiques des rois d'Ara-
rates barbaresques qui furent dé- gon, réunies, en 1633, dans un code
truits, en 1541, par une armée sta- par François Vico, jurisconsulte et
tionnée en la ville d'AIghero. Après historien.
l'abandon inconsidéré de l'empire et Les Sardes, fidèles à leur roi,
du trône par ce grand monarque, en chassèrent, en 1637, le comte d'Har-
1557, les pirates reparurent. L'abdica- court qui s'était emparé d'Oristano, et
tion de Charles-Quint étonna l'Europe l'obligèrent à regagner la flotte fran-
tout entière; son empire fut partagé çaise qui, dans la guerre d'alors, avait
entre Ferdinand son frère et Philip- tenté un coup de main sur l'île, et
pe II son fils, qui, outre les Espa- qui fut repoussée par les seules troupes
gnes avec le Portugal, posséda la Sar- nationales (*).
daigne, à laquelle, après avoir, en Sous la régence d'Anne d'Autriche,
1564, établi à Cagliari le magistrat della pendant la minorité de Charles II son
reale udienza, il donna des lois très- fils, une scène tragique eut lieu dans
importantes. C'est lui qui, au moyen des celte île vers l'an 1665. Le trésor de
cortès, introduisit d'utiles réformes, l'Espagne était vide; le vice-roi, gou-
en législation criminelle, par l'abo- verneur de la Sardaigne, avait de-
lition de la peine du talion et de ces mandé aux cortès un subside extraor-
tourments affreux qui subsistèrent dinaire de quatre-vingt mille écus, qui
longtemps ailleurs, en agriculture, fut refusé, parce que, comme les états
par les progrès qu'il fit faire à la le représentèrent , le pays avait eu
plantation des arbres, et l'encourage-, à souffrir pendant trois' années du
ment des semis; mais le régime dotal, fléau des sauterelles, fléau qui vient
introduit au préjudice des malheureuses ordinairement de l'Afrique. Le mar-
filles, rendit les garçons moins actifs quis Laconi, homme d'une modération
au travail. et d'une probité à toute épreuve, avait
Dans les dernières années du seizième conseillé qu'on accordât le subside
siècle, Philippe III succéda à son père, avec des conditions : mais les auto-
et parvint à chasser entièrement les rités, fières et hautaines, reçurent mal
Maures d'Espagne; il propagea l'ins- la députation, refusèrent de traiter,
truction en Sardaigne par la fondation et le malheureux marquis fut assas-
d'une université à Cagliari, en 1604; siné. Le gouverneur, soupçonné d'être
activa le commerce par l'introduction l'agent de cet acte de cruauté, fut mas-
de nouvelles fabriques et manufac- sacré en plein jour dans les rues de Ca-
tures , et encouragea l'agriculture par gliari (**). La nouvelle de tous ces faits

(*)D'après l'historien Grégoire Leti, dans (*) L'historien Canales nous a donné les
cette expédition on délivra onze cent détails de ce fait d'armes. Vol. in-8, 1637.
dix-neuf Sardes qui étaient dans Manno donne le nom des
l'esclavage. (**) L'historien
Il était réservé à Charles X de détruite en aux premières
conjurés, qui appartenaient
1830 la piraterie barbaresque. familles de Pile.
SARDAIGNE. 17
arriva bientôt à Madrid; alors la reine tif ; et cinquante ans après, tandis que
envoya M. de Saint-Germain, homme l'Angleterre était livrée aux horreurs
fier et capable, qui se rendit maître de la guerre civile, signalée par des
des conjurés. Trahis par d'Alvesi, qui roses blanches et par des roses rouges,
leur fit croire une nouvelie insurrec- une reine magnanime, la célèbre Éléo-
tion, ils quittèrent Nice, et furent nore Arborée, publia, sous le nom de
massacrés dans la petite île de Rossa (*), Carta costituzionale, une législation
près de Castel Sardo et de Porto Tor- civile et criminelle qui fit honneur à
res, l'ancienne Turris Lybia, dont la nation. Cette charte est encore en vi-
l'archevêché a été transporté à Sas- gueur aujourd'hui, toutefois avec des
sari, belle capitale de Logudoro, si- modifications que nous énoncerons
tuée sur la pente douce d'une petite plus tard.
montagne qui porte son nom (plan- Quoique les rois d'Espagne fussent,
che 6 (**)). dans ces derniers temps, seigneurs
Pendant quatre siècles la Sardaigne des Deux-Siciles, du duché milanais
resta sous la domination espagnole; et et de l'Amérique méridionale, cepen-
Charles-Quint, ce prince d'une si grande dant, malgré l'étendue et la grandeur
activité et si bien-secondé par d'excel- de leur puissance, ils regardèrent tou-
lents ministres, fut le,seul, comme jours la Sardaigne avec un oeil de pré-
nous l'avons remarqué, qui vint la vi- dilection, et ces deux nations con-
siter en personne. servèrent une fierté de moeurs et
Au commencement du dix-huitième des habitudes tout à fait analogues.
siècle, la Sardaigne occupa une place L'autorité royale, modifiée,'comme
plus digne dans les pages de l'histoire nous avons vu, par les notables
européenne: érigée en royaume, elle dans la discussion des intérêts de
plaça sa couronne royale sur la tête d'un l'État, était exercée par un vice-roi
prince d'une des plus augustes et plus qui avait la suprême administration
anciennes dynasties qui, depuis le civile et politique; il était cependant
dixième siècle, dominait en Savoie. obligé de conférer avec les juges de
Ce prince, depuis l'an 1050, époque de l'audience royale, lorsqu'il s'agissait
son mariage avec Adélaïde, marquise de traiter une affaire d'un grand inté-
de Suse, s'était établi à Turin, où il rêt , ou d'exercer le droit de grâce.
avait obtenu le titre marchional de la Cette magistrature avait le droit
belle Italie. d'inspection sur les personnes que les
Un roi espagnol avait, comme nous feudataires désignaient pour rendre
l'avons vu, donné, en 1355, à la Sar- justice, et par la voie d'appellation elle
daigne , un gouvernement représenta- corrigeait leurs jugements; elle sur-
veillait aussi leurs moeurs et leur con-
duite personnelle.
(*) Le seul marquis de Cea, vieillard res- La fin du dix-septième siècle fut mé-
pectable, fut conduit en triomphe à Ca- morable par une peste affreuse qui ré-
gliari, et y fut, comme noble, condamné à duisit la ville de Cagliari à la moitié
la décapitation.
de sa population, et par la mort du roi
(**) Sassari forme un amphithéâtre qui Charles II, prince faible et irrésolu, qui
ravit la vue; ses coteaux sont couverts
laissa, en novembre 1700, ce fameux
d'oliviers, d'orangers, de cédrats, de vignes testament, dans lequel il appelait au
et d'arbres fruitiers, et sa plaine est appelée
trône d'Espagne le petit-fils de Louis
le paradis terrestre de la Sardaigne. Les
XIV, le duc d'Anjou : testament qui
sources d'eau de fontaine sont nombreuses,
alluma la guerre sanguinaire dite
et celle d'Acqua Chiara, située à quelque
distance de la vile, était fort estimée par les guerre de la succession.
anciens Romains, qui avaient construit un Bientôt commencèrent-en Italie les
hostilités des Austro-Sardes contre les
aqueduc, dont on voit encore les ruines,
Franco-Espagnols. En 1706, le prince
pour l'usage de la colonie de Turris Lybi-
sonis, dont parlent les auteurs. Eugène de Savoie, général en chef,
2e Livraison. (SARDAIGNE.)
18 L'UNIVERS.
dé-
remporta une éclatante victoire,
à la son, et il dut consentir à ne pas
suite de laquelle il délivra non-seule- fendre la cause de ses propres filles
Les Fran-
ment la ville de Turin, mais il occupa pour l'avantage des peuples.
l'Italie tout; entière. çais prirent successivement possession
de la Savoie et de plusieurs villes du Pié-
§ VI. mont; mais, après les pertes éprouvées
au siége de Verrue en 1705, après la
De la cession de l'île au roi de Sicile bataille donnée en 1706 par le prince
Victor Amédêe II , de Savoie. Eugène de Savoie, et après la déli-
A la fin. du dix-septième siècle, la vrance du siége de Turin, ils se reti-
mort sans enfant du roi Charles II, de rèrent au delà des Alpes. En 1709, le
froid et la famine contrarièrent les
ce dernier rejeton de la branche d'Au-
triche qui régnait en Espagne, donna projets du grand monarque, qui fut
des droits à la couronne à Louis XIV, forcé de demander la paix aux Hollan-
à l'empereur d'Autriche, au roi de dais qu'il avait autrefois traités avec
Bavière, au roi du Portugal et au duc tant de hauteur ; mais ses propositions
de Savoie , qui mirent en avant leurs étant repoussées, Louis XIV, à la de-
mande de son petit-fils, envoya en Es-
prétentions comme parents plus ou
moins proches du défunt. Le meilleur pagne le duc de Vendôme, qui triompha
droit appartenait à la France, car pour des Autrichiens commandés par l'archi-
elle subsistait le testament du 2 sep- duc Charles; et, en 1711, la mort de
tembre 1700, par lequel Charles II l'empereur Joseph Ier d'Autriche et les
appelait au trône d'Espagne le duc victoires du duc de Vendôme changèrent
Philippe d'Anjou, enfui substituant les la fortune et la malheureuse position de
autres prétendants sus-nommés, et Philippe V. Ce même archiduc Charles,
avec défense de réunir les deux cou- devenu empereur sous le nom de Char-
ronnes. Le petit-fils de Louis XIV prit les VI, quitta l'Espagne pour aller à
le nom de Philippe V , et fut reconnu Vienne, et les Anglais reconnurent
par les Espagnols et par les Sardes. Une qu'il y avait de l'a folie à épuiser leurs
guerre très-vive continuait en Italie trésors dans le but d'accumuler plu-
et en Flandre entre les Autrichiens et sieurs couronnes sur la tête du nouvel
leurs alliés. contre la France et l'Es-;, empereur.
pagne; mais le peuple sarde ne prit Les. plénipotentiaires de la France
aucune part aux événements avant et de l'Angleterre ouvrirent les confé-
l'année 1707, dans laquelle il accorda des rences à Utrecht le 29 janvier 1712;
subsides à son souverain Philippe V. La et, par le traité de paix signé en 1713,
rivalité entre deux familles puissantes les Anglais eurent Minorque et Gi-
éclata aussi dans l'île, celle du marquis braltar; on assigna le royaume de Na-
de Laconi, fidèle à Philippe, contré la ples et la Sardaigne à l'Autriche ; l'île
famille de Villasora, partisan des Au- de Sicile au duc de Savoie pour prix de
trichiens et de l'archiduc : les deux fac- son alliance avec l'Autriche , laquelle,
tions troublèrent la paix, et la présence mécontente du partage, entretint la
de la flotte anglaise décida la victoire. guerre civile en Catalogne jusqu'en
en faveur de l'archiduc Charles d'Au- 1715, époque de la mort de Louis XIV.
triche, qui occupa Terre-Neuve pen- Alberoni, homme de génie, protégé
dant que les Anglais bombardaient la par la reine Elisabeth, parvint à
ville de Cagliari ; ce fut alors que le duc être nommé premier ministre, et fut
d'Autriche bouleversa les rangs de la revêtu du manteau de cardinal. Il ré-
noblesse en distribuant des titres à forma la politique du cabinet espa-
profusion. Le roi de Portugal et le duc gnol; et, tandis que l'Autriche était
de Savoie abandonnèrent bientôt le aux prises avec le Sultan, et que la
parti de la France et de l'Espagne; car France était embarrassée dans les que-
les gouvernements n'ont point de pa- relles de la régence et dans les projets
fents, disait le duc de Savoie avec rai- de rétablir les Stuarts sur le trône
SARDAIGNE. 19

d'Angleterre, Alberoni fit en secret Le roi écrivit au baron de Saint-


partir une flotte du port de Barcelone Remy : 1° de ne pas examiner les opi-
pour surprendre les Autrichiens à Ca- nions politiques, niais bien la capa-
gliari, où, le 13 septembre 1717, ils cité et la probité des personnages
firent leur entrée après plusieurs jours aspirant aux emplois; 2° de ne pas
de combat; alors les Autrichiens se heurter les étiquettes et les anciens usa-
retirèrent en Corse. Les Espagnols, ges; 3° de ne pas changer l'idiome
fiers de cette première conquête, enlevè- catalan vulgaire pour introduire tout
rent ensuite, en 1718, la Sicile au duc de à coup la langue italienne, qui est peu
Savoie par l'occupation de Palerme, et, à peu devenue la langue nationale.
en 1719, l'empire d'Autriche, la France Les immunités ecclésiastiques pro-
et la Grande-Bretagne, s'unirent dans tégeaient les criminels; il fallut un
une triple alliance pour déconcerter les concordat. Le marquis Ferrero d'Or-
vastes projets du cardinal Alberoni, et mea fut envoyé à Rome, et Benoît XIII
ils déclarèrent la guerre à l'Espagne, ayant entendu les projets loyaux du
dont le premier objet fut de jeter des savant, magistrat, se leva de son siége
troupes en Sicile, de demander le pour l'embrasser, charmé de sa fran-
renvoi de l'audacieux ministre, et d'en- chise et de sa probité.
gager Victor-Amédée à prendre en Victor-Amédée II abdiqua, en 1730,
échange la Sardaigne avec la même le trône en faveur de Charles-Emma-
souveraineté, sauf la réversibilité du nuel, prince de Piémont, son fils.
royaume sur l'Espagne, à défaut dé La royauté de Charles-Emma-
successeurs mâles dans la dynastie sa- nuel III fut la source d'une éclatante
voyarde. On régla les détails de l'éva- prospérité pour l'île, car à peine monté
cuation de la Sardaigne par une con- sur le trône en 1730, il encouragea
vention en vingt-quatre articles, dans les sciences, les lettres et les arts,
l'un desquels il était dit, selon Mi- par une sage réforme des univer-
maut, que le nouveau roi promet- sités de Cagliari et de Sassari; il éta-
tait solennellement la conservation et blit ensuite une administration des
l'observation des lois fondamentales,, hôpitaux, un système monétaire duo-
priviléges, statuts et coutumes du décimal; il encouragea le mariage des
royaume. pauvres filles en leur accordant une
Victor-Amédée II, représenté par le dot de 200 livres. Il fonda de plus les
général Desportes, prit possession de magasins de prêt du blé, fondation qui
la Sardaigne par acte du 8 août 1720 ; fut très-avantageuse et qui augmenta
placé désormais au rang des têtes cou- les produits agricoles, moyennant la
ronnées, sans autre ambition, il fut subvention faite annuellement aux la-
médiocrement satisfait d'un arrange- boureurs d'une quantité de blé néces-
ment qui mettait fin aux troubles d'Eu- saire pour la semaille, qu'on rendait
rope, et s'empressa d'améliorer l'état à l'État au moment de la récolte.
d'une population depuis si longtemps L'établissement en Sardaigne des
abandonnée, appauvrie, et qui lui était offices d''insinuations, ou dépôts de
à charge. tous les actes des notaires, ordonné
Le nouveau roi envoya le baron de par l'édit de 1738, fut l'une des plus
Saint-Rémy pour organiser l'adminis- belles institutions d'Europe : c'est là
tration: il fit généreusement la remise qu'on conserve le double des actes qui
aux Sardes du don qui, d'après les assurent la succession des familles et
anciens usages, lui était dû à son avè- la propriété immobilière.
nement au trône; et, pour préserver La paix de 1738 augmenta les Etats
ses nouveaux sujets des malheurs de la du roi des provinces de Tortona, No-
peste qui dépeupla Marseille en 1720, il vara, et la richesse du trésor royal fut
établit une magistrature sanitaire avec utile à la Sardaigne. Par des moyens
un sage règlement qui fut longtemps énergiques, furent détruites plusieurs
en vigueur. bandes de brigands et de malfaiteurs,
20 L'UNIVERS.

de la jus- une guerre malheureuse pour tacher


qui, ayant encouru la disgrâce des
tice, s'étaient retirés dans les monta- d'empêcher la descente en Piémont
deux armées républicaines maîtresses
gnes pour se soustraire aux pour- Les Sar-
suites. des Alpes et des Apennins.
La poste aux lettres, institution in- des , abandonnés à eux-mêmes , ré-
connue aux Sardes, fut établie en solurent de résister à l'ennemi com-
1739, et le commerce et les relations mun; ils attaquèrent quarante soldats
des familles en reçurent une plus français, qui, débarqués d'une frégate,
grande activité. Pour animer l'esprit occupaient le pont de Sainte-Catherine,
l'île de Saint-Antioche à la
belliqueux des nobles Sardes, le roi, à joignant
l'occasion de la nouvelle guerre en grande île dans le golfe de Palmas. Cette
1744, ordonna la création d'un régi- attaque fut opérée par sept paysans à
ment national qui a toujours existé cheval, sans ordre, mais avec une telle
depuis la paix signée en 1748. impétuosité, qu'aux premiers coups de
Le génie de Charles-Emmanuel III, fusil ils tuèrent dix ennemis, en bles-
secondé par les ministres d'Ormea, sèrent plusieurs, et mirent l'épouvante -
S. Laurent, de Gregôry et Bogini, fut parmi les autres.
dirigé vers les institu- Un seul des sept guerriers sardes
particulièrement
tions de la paix. La Sardaigne était son survécut, et, revêtu des dépouilles de
et sa mort, trois soldats, ce nouvel Horace vint
objet de prédilection;
ainsi que la retraite de Bogini, furent recevoir les félicitations du camp tout
deux malheurs irréparables pour la entier, témoin de cette action.
nation sarde. L'escadre française s'éloigna, et
L'historien Manno, t. IV, p. 290, revint, le 23 janvier 1793, se placer
attribue au ministre Bogini la nou- à l'entrée de la rade de Cagliari.
velle législation sur le système moné- Le contre-amiral Truguet envoya des
furent '
taire suivie en 1768 dans les États du parlementaires qui reçus par
roi de Sardaigne. Il ajoute que par la une décharge de mousqueteriê. L'es-
protection accordée à la Sardaigne, la cadre fit le siège delà place, et pendant
population de trois cent soixante mille quarante-huit heures lança , plus de
habitants fut portée à plus dé quatre quinze mille projectiles, croyant opérer
cent trente mille à la mort du roi une révolte en. faveur de" l'étendard
Charles-Emmanuel. tricolore; mais les Français voyant que
Victor-Amédée III succéda à son père les assiégés répondaient vigoureuse-
en 1773 : alors l'administration ne fut ment à l'attaque, en conclurent qu'ils
pas aussi active, car il changea trop avaient été trompés. Alors l'amiral ne
souvent de ministres, et les vice-rois pouvant prendre la ville, ordonna le
exerçaient un pouvoir arbitraire. On débarquement sur la plage de Quarto,
accordait un sauf-conduit aux crimi- qui fut opéré sans résistance, car la
nels, même l'impunité, pour faire tom- cavalerie volontaire et la milice natio-
ber d'autres coupables entre les mains nale se retirèrent près des petits forts.
de la justice, ce qui démoralisa le peu- Les Français craignant d'être enve-
ple et lui inspira l'idée de la vengeance, loppés par ces troupes, dont ils avaient
idée déjà en rapport avec ses moeurs. éprouvé les rapides évolutions, et d'être
L'invasion des armées françaises dans trahis, comme on disait alors, reculè-
la Savoie et dans le comté de Nice, en rent en désordre, et, se prenant pour
septembre 1792 , fut suivie du projet des ennemis, ils se fusillaient les uns
d'une descente en Sardaigne, projet les autres. Un fait digne de remarque,
qui fut mis à exécution par le contre- (ajoute Mimant), c'est que dans le
amiral Truguet vers la fin de la même nombre des militaires qui faisaient
année (28 décembre), avec une es- partie de ce corps anarchique, com-
cadre de trente bâtiments de guerre, posé à la hâte de gardes-côtes et
dans le but de s'emparer de l'île; de volontaires marseillais, se trouvait
tandis que le roi soutenait avec peine un jeune officier d'artillerie, qui de-
SARDAIGNE. 21

puis est devenu le héros de la France. En octobre de la même année, Char-


Nous regrettons ici que le chevalier les-Emmanuel IV, dit le Pieux, succéda
Manno ait limité son histoire au pre- à son père, mort affligé par les revers
mier jour du règne du roi Victor- d'une guerre qui épuisa toutes les res-
Amédée III , et nous ait privés de ces sources de l'Etat , et le premier acte
faits historiques (*). du nouveau roi fut la paix de Chérasco,
L'amiral Truguet avant été rallié signée le 5 avril 1797 par le général
par l'escadre de Latouche-Tréville, qui français Clarke et le marquis Asinari
venait de Naples, ordonna le 15 février de Saint-Marsan, le même qui fut en-
une nouvelle attaque contre Cagliari, suite, en 1813, ambassadeur de Napo-
et par un feu bien dirigé ruina plu- léon à Berlin, homme rempli de
sieurs maisons et le.fort de Saint-Elie. talents diplomatiques. La paix faite
Les assiégés étaient réduits à la dernière avec beaucoup de bonne foi par
extrémité, lorsqu'une tempête horrible Charles-Emmanuel ne fut pas de longue
mit la flotte hors de service, et on put durée, car le 8 décembre de l'année
à grand' peine opérer rembarquement suivante, le roi se vit contraint de quit-
des troupes françaises, qui se dégoûtè- ter son trône ainsi que la capitale, et il
rent de cette entreprise. se rendit à petites journées à Livourne,
C'est alors que le roi Victor- escorté par des troupes françaises :
Amédée fit inviter les Sardes, par là toute la famille royale, composée
une députation des chefs insulaires, de Charles-Emmanuel IV et de la
à demander des faveurs : cette dépu- vénérable Clotilde de France, soeur
tation, arrivant à Turin, sollicita le ré- de Louis XVI, son épouse, du duc et
tablissement des anciennes cortès fon- de la duchesse d'Aoste et d'un fils qu'il
damentales composées du clergé, de la perdit ensuite, des princes du Mont-
noblesse, et des communes; elle de- ferrat, de Maurienne, de Genevois,
manda aussi les priviléges analogues. tous frères du roi, du duc et de la du-
Ce système représentatif, propre à dif- chesse de Chablais et de madame Féli-
férentes nations, était dû aux Goths, si cité, leurs oncle et tantes, s'embarqua
mal à propos calomniés par l'ignorance pour la Sardaigne, le 24 février 1799,
et par le préjugé, car ils apportèrent le sur l'invitation d'une députation des
système et les constitutions primiti- trois stamenti, députation venue à
ves des peuples de la Scandinavie et de Livourne pour offrir hommage et hos-
la Germanie, ces mêmes constitutions pitalité à leur souverain ; ce ne fut que
dont Tacite fit le plus grand éloge après le 3 mars qu'il débarqua à Cagliari,
nous en avoir donné une exacte des- où il fut reçu non-seulement avec les
cription. égards dus à son malheur, mais avec
Le conseil des ministres du roi, l'enthousiasme de la joie populaire
Victor-Amédée, après plusieurs dis- qu'excitaient son arrivée et celle des
cordantes délibérations, et après avoir princes, les Sardes oubliant en fidèles
fatigué la dépuration par un long sé- sujets toutes les dissensions des années
jour dans la capitale, la renvoya sans précédentes.
aucune concession, ce qui donna lieu
en 1794 à une insurrection à Cagliari, § VII.
insurrection dont le résultat fut l'ex- et résidence dans l'île du
Émigration
pulsion de tous les nombreux employés roi Charles-Emmanuel IV.
piémontais qui se trouvaient dans l'île.
A ces troubles en succédèrent d'autres, La conduite des Sardes envers cette
jusqu'à ce que le bon roi eût, le 9 juin infortunée famille royale, partie de
1796, accordé une amnistie et sanc- Turin sans ressources, fut admirable
tionné la réunion des cortès décennales. et respectueuse. Le roi, à son arrivée à
Cagliari, chercha à diminuer sa maison
(*) Mimaul s'est trompé: ce fait militaire en nommant le duc d'Aoste gouver-
s'est passé à la Madelaine, neur du cap Cagliari, et le duc de Mau-
22 L'UNIVERS.
: ce vice-roi et capitaine ,
rienne du cap de Sassari dernier prince, général
en là ville d'Alghero, que la Sardaigne doit incontestable-
prince mourut et ment (dit le chevalier Mimant) l'ex-
en septembre de l'année 1799 ; ma-
lui fut un tinction graduelle de la haine des
dans la cathédrale érige
mausolée en marbre, exécute a Sardes envers les Piémontais; anti-
gnifique
le Festa d'Asti : pathie qui remontait à d'anciennes
Rome par sculpteur
la statue de la Sardaigne fautes commises dans le choix dés
il représente
fonctionnaires. L'ascendant qu'on di-
assise sur une gerbe de blé, pleurant la
mort de son excellent gouverneur (*). sait exercé sur l'esprit de Victor-Em-
manuel par quelques personnes de son
Lorsque tout espoir de retourner en
Piémont fut éloigné par la bataille de conseil privé, donna lieu, en 1813, à
Marengo, le roi Charles-Emmanuel, qui, Une révolution anti-piémontaise, qui
en 1799, était revennuen Toscane d'après avait pour but d'arrêter et de déporter
l'invitation du général russe Souvarof, les favoris de la cour, mais qui fut
se trouvant de plus en plus affligé de étouffée dans le sang des coupables.
la perte irréparable qu'il venait de faire Le traité de Paris, en 1814, ayant
à Naples, dans la personne de la véné- rétabli le statu quo de 1789, la famille
rable Clotilde son épouse, abdiqua, en royale devait rentrer en possession de
1802, tous ses droits au trône en faveur ses États de terre ferme; Charles-Em-
du duc d'Aoste, et déclara vouloir se manuel IV confirma son abdication,
retirer à Rome dans un couvent. Le se consacra plus que jamais tout à la
nouveau roi, nommé Victor-Emma- sainte religion, et, ayant renoncé au
nuel, retourna, en 1806, avec la monde, voulut rester à Rome, où il
reine et ses enfants, à Cagliari, où, vécut très-modestement, comme un
par une sage administration, il cap- simple particulier, depuis l'époque de
tiva l'amour des Sardes, qui défen- son abdication jusqu'à sa mort, arri-
dirent l'île avec courage contre toutes vée le 21 mai 1819.
les attaques du puissant Napoléon, qui Le roi Victor-Emmanuel débarqua à
prétendit en vain se faire reconnaître' Gênes, et, le 20 mai 1814, fit son
empereur des Français par la cour entrée solennelle à Turin. Dans sa nou-
sarde, tandis ' qu'il l'était par les deux velle prospérité, il n'oublia pas les
mondes. Sardes : il leur laissa comme gouver-
Ce monarque aurait régné tranquil- neur général, avec pleins pouvoirs, la
lement en Sardaigne, dit le chevalier reine, et, un an après, il nomma son
Ferrero, et il aurait pu tourner ses frère unique, Charles-Félix, duc de
soins vers l'administration de la jus- Genevois, qui, par sa modération, sa
tice, l'encouragement de l'agriculture, prudence et sa justice, se fit beaucoup
etc., etc., si les entréprises des cor- estimer et aimer, jusqu'à ce que, la
saires barbaresques n'eussent de temps paix étant bien consolidée par le traité
en temps compromis la sûreté et la de Vienne de 1815, il crut pouvoir re-
santé des habitants des côtes. Ce fut joindre son frère à Turin. Le comte Taon
enfin par les soins du duc de Genevois, de Pratolongo, en 1816, fut le premier
Charles-Félix, que, en 1815, eut lieu vice-roi de Sardaigne, et le chevalier
en Barbarie, le rachat des captifs enle- Roger de Cholex l'intendant général :
vés dans l'île de Saint-Pierre après plu- tous deux gouvernèrent et adminis-
sieurs combats avec les galères sardes, trèrent les Sardes avec beaucoup d'in-
qui se couvrirent de gloire. C'est à ce telligence ; mais il était réservéau même
duc de Genevois, monté contre sa vo-
(*) Nous
avons vu à Rome, en ISI3, lonté sur le trône, en 1821, par suite
cette statue que le roi Murat voulait de l'abdication réitérée de Victor-Em-
acheter
au prix de mille
quinze francs; mais le manuel , il était réservé à ce prince de
sculpteur piémontais , fidèle à son engage- faire aux Sardes les plus grands biens.
ment, refusa celle offre,
quoique malheu- C'est à ce roi, conseillé par le même
reux.
comte Taon, alors gouverneur de Tu-
SARDAIGNE. 23

rin, grand maréchal de Savoie, et par partenant au roi, qui de Gênes, en


le chevalier de Cholex, devenu ministre
vingt-quatre heures, amène les voya-
de l'intérieur, que la Sardaigne doit : geurs à ce port, et à Cagliari en double
1° un code dans lequel les anciennes lois
temps. Cette communication est très-
ont été mises en ordre pour faciliter utile pour le commerce même; elle est
l'administration civile et judiciaire; facilitée encore par une diligence fran-
2° l'organisation des tribuuaux de pré- çaise qui part deux fois la semaine
fecture et de justice de paix, telle et arrive en trente-six heures à la ca-
qu'elle fut adoptée par le Piémont en pitale du royaume. La population de
1822; 3° l'établissement des bureaux la nouvelle ville de Porto Torres monte
des hypothèques, bureaux qu'on avait déjà à plus de quatre cents habitants,
supprimés en 1814 dans les États de et sa position facilitera son accroisse-
terre ferme, et que Charles-Félix, dans ment.
sa sagesse, crut convenable de réta- Le roi Charles-Félix voyant s'étein-
blir, pour garantir les propriétaires et dre en lui la ligne directe des ducs
les commerçants ; 4° la fondation d'une de Savoie, et que la loi salique, cette
société d'agriculture regnicole; enfin la loi si salutaire à la paix intérieure
construction d'une route royale qui d'un État, appelait au trône de ses
partage l'île en deux portions, depuis aïeux son cousin le prince Charles-
le cap Cagliari jusqu'au cap Sassari, et Albert de Savoie-Carignan, il invita
facilite ainsi les communications inté- celui-ci à visiter de son vivant encore
rieures, comme on le voit sur la carte la Sardaigne, où il fut reçu comme
topographique (planche n° 1) que nous prince héréditaire, et où il a vu de ses
devons a l'obligeance du chevalier Car- propres yeux et considéré les abus du
bonazzi. Cette route royale digne des libre parcours, très-nuisible à l'agri-
Romains a de plus l'avantage de mettre culture; les exigences des feudataires,
en communication, par terre, les deux surtout des Espagnols, qui vexaient les
ports les plus commerçants de l'île, paysans par leurs regidors et poda-
savoir, celui de Cagliari avec Porto taires; l'inégalité de la distribution
Torres, l'un des plus sûrs de la Médi- des impôts, et la nécessité d'un ca-
terranée (planche 7), et qui est à peu dastre qui limitât les propriétés; enfin
de distance de là ville de Sassari, la l'urgence d'abolir les taxes sur l'in-
seconde ville de la Sardaigne, qui a dustrie.
été bâtie avec les ruines de Turris A la mort de Charles-Félix, monarque
Lybisonis, et où l'archevêché fut plein de justice, mort arrivée à Turin
transporté en 1441, car la ville de le 27 avril 1831, le nouveau roi marcha
Torres était presque entièrement dé- sur les traces de son prédécesseur; et
peuplée. la Sardaigne, aujourd'hui gouvernée
Ce sont les Génois qui, en l'année par notre concitoyen et notre collègue,
1166, ont pris et barbarement ruiné en 1813, au corps législatif, le cheva-
cette ancienne ville romaine, fournie lier D. Gaspard Montiglio d'Ottiglio et
d'un grand aqueduc de plusieurs milles de Villanova Vercellais, vice-roi , obtient
de long, dont on admire les restes, tous les jours de nouveaux règlements,
ainsi que d'un temple de la Fortune, et l'on espère que, lorsque les grandes
et d'une basilique ornée de colonnes, masses de propriétés seront parta-
dont deux sont près de la douane de gées, que la noblesse sarde ne dédai-
Porto, et deux autres à l'église de la gnera pas les opérations de commerce,
Consolata. en suivant l'exemple de la noblesse
Porto Torres, qui était auparavant génoise, si riche et si puissante, on
un misérable village cité par son insalu- espère que l'agriculture amènera alors
brité, a acquis depuis une grande im- une plus forte population, et que la
portance, soit par la création de la Sardaigne redeviendra fertile et floris-
route centrale, soit par l'établissement sante, comme elle le fut au temps de
d'un magnifique bateau à vapeur ap- César-Auguste.
24 L'UNIVERS.

Parmi les lois les plus importantes que, tandis que dans les villes les plus
publiées dans ces derniers temps en civilisées d'Europe la contagieuse petite
vérole fait aujourd'hui des ravages,
Sardaigne, par le roi Charles-Albert,
nous croyons utile de signaler : la vaccination fut introduite et encou-
1° L'édit royal du 19 décembre 1835, ragée par un décret du chevalier Mon-
par lequel le roi manifeste le vif désir tiglio d'Ottiglio, vice-roi, en date du
de porter son royaume au degré de 23 mars 1836.
prospérité qui lui est dû par la position Par ce décret, d'après l'édit royal
géographique de l'île, par la fertilité de de 1828, il est ordonné à tous les mé-
son sol et par l'industrie de ses habi- decins et chirurgiens d'exhorter les
tants : il a établi une délégation pour parents à présenter leurs enfants aux
recevoir la consigne de toutes les terres bureaux de vaccination, au printemps
féodales, et des titres de propriété ori- et en automne seulement, car dans les
ginaires ou conventionnels, de tous chaleurs de l'été, comme dans les
les droits dont ils jouissent. grands froids, l'opération serait dan-
2° En conséquence de la consigne gereuse ou nulle.
ordonnée, tandis qu'un délai fut ac- Les curés, que l'on voit dans les pays
cordé aux feudataires espagnols pour de lumières être contraires aux bien-
remplir leur tâche, le roi, par son édit faits de la vaccine, sont en Sardaigne
du 12 mai 1838, a cru bon d'abolir de les premiers à persuader leurs parois-
suite toute juridiction féodale civile et siens du grand avantage qu'il y a d'ar-
criminelle, comme aussi tout droit rêter par la vaccination une maladie
compétent aux seigneurs, lesquels ont contagieuse, qui, dans le dernier siè-
été bornés aux seuls titres honori- cle, moissonnait la moitié des enfants;
fiques; et, par l'édit royal du 13 jan- enfin il est ordonné que les intendants
vier 1839, il ordonna qu'une taxe d'in- des provinces n'expédieront pas le man-
demnité fût payée aux feudataires par dat pour le payement des traitements,
les communes, d'après la distribution aux officiers de santé, sans le certificat
territoriale. des maires constatant les moyens em-
3° Les Sardes doivent aussi à l'amour ployés pour la vaccination.
paternel du nouveau roi l'abolition du
service personnel auquel ils étaient § VIII.
obligés pour l'exploitation, l'enlève-
ment et le transport du sel dans les De la grande route royale, en Sar-
magasins royaux, servitude qui fut daigne, de 1829, ordonnée par le
abolie par patentes, le 5 avril 1836. roi Charles-Félix.
4° Par les patentes du 10 novembre
En 1820 (*), l'intendant général des
de la même année, les conseils muni-
ponts et chaussées de Turin envoya
cipaux furent réorganisés, les archives dans l'île de
des communes assises dans un meilleur l'ingénieur Carbonazzi,
Sardaigne pour explorer le terrain.
ordre, et les actes de leurs délibéra- Celui-ci trouva partout une douce hos-
tions réunis et placés dans des ar-
moires. pitalité et une sécurité parfaite dans le
centre de l'île, mais il n'aperçut plus
5° Sur les traces lumineuses du roi
toutes les traces des anciennes commu-
Charles-Emmanuel IV, on a établi une
nications romaines; il lui fallut aller à
règle pour obtenir un compte exact et cheval pour reconnaître pas à pas le
annuel de l'administration del Monte terrain où la nouvelle route devait '
granatico e del Nummario de la Sar-
passer. A son retour à Cagliari, le 15
daigne, afin d'avantager l'agriculture
par des subventions en grains et en
(*) Au moment où nous imprimons cet
argent, au moment des semailles, sub-
ventions dont les bienfaits sont évi- ouvrage, nous lisons avec plaisir la loi votée
aujourd'hui, 17 juin 1839, par le chambre
dents , comme nous l'avons annoncé. des députés, qui accorde cinq millions
Nous n'oublierons pour
pas d'annoter ici ouvrir deux grandes routes en Corse.
SARDAIGNE. 25

juin de la même année, il présenta au sante de l'Egypte, et enfin la facilité


vice-roi le plan qu'il avait conçu de des communications pour activer le
faire une route centrale avec des routes commerce extérieur avec Gênes et les
de communication aux villes et com- autres ports de l'Italie, de la France,
munes. Le congrès permanent de Tu- et de la malheureuse Espagne, les ex-
rin donna son avis en faveur du projet péditions même aux Indes, tout cela
Carbonazzi, projet que le roi Charles- doit contribuer à la prospérité de la
Félix, à son arrivée dans la capitale, Sardaigne.
lorsque les troubles de mars 1821 eu- Après avoir désigné les stations de
rent été apaisés, approuva par une la grande route royale, l'ordre des
ordonnance du 27 novembre. La route choses exige que nous parlions des
royale de Cagliari à Sassari fut alors villages les plus remarquables, et des
commencée; elle fut partagée en plu- villes qui se présentent aux voyageurs.
sieurs sections, savoir, de Cagliari à Le premier est Monastier, village peu
Monastir (planche 8), à Serrenti, à considérable, mais très-pittoresque;
Oristano; de cette ville à Macomer, on y voit les difficultés que l'ingénieur
à Codrongianus, position charmante, Carbonazzi a dû vaincre, et les fortes
où la route fait insensiblement le tour dépenses nécessitées par la construc-
de la montagne isolée dite Monte Shato, tion d'un pont en pierre de seize mètres
qui forme un pain de sucre, et de là à la de corde d'une construction vraiment
ville de Sassari et Porto Torres, parcou- romaine, pour porter le nivellement
rant deux cent quarante-cinq mille mè- de la route jusqu'à la crête de la mon-
tres, c'est-à-dire cent vingt-sept milles tagne (planche 8), et de là parvenir à
d'Italie; et les dépenses n'excédèrent pas Serventi et à la ville d'Oristano, dont
quatre millions de francs. Cette route nous avons déjà donné la description.
n'était pas encore terminée en 1828, Nous arrivons par une montée de six
que déjà plusieurs autres routes furent cent cinquante-quatre mètres au-dessus
tracées dans les provinces d'Iglesias, du niveau de la mer, au village de Ma-
d'Ogliastra, de Bosa et d'Orosei, abou- comer, village mémorable dans les
tissant toutes à la route centrale; et les fastes sardes, car les historiens attes-
villages percent actuellement des com- tent qu'en 1347, près de ce village, eut
munications utiles à leur commerce, lieu la bataille que les frères Doria,
tandis qu'une compagnie vient d'établir maîtres d'Alghero et de Château Ge-
une messagerie qui transporte, comme nois , donnèrent à Gernod, fils du lieu-
nous avons dit, d'un cap à l'autre de l'île tenant général espagnol, qui, par son
les voyageurs et les effets de commerce. audace, périt victime avec l'élite de la
On a découvert des traces de routes noblesse espagnole. Les secours arri-
romaines allant du port de Nurri à vèrent, et la ville de Sassari fut bientôt
Sadali, à Seni, et l'ingénieur en chef délivrée, tandis que les Doria se réfu-
s'est convaincu que les anciens avaient gièrent sur les galères génoises, qui
suivi la même ligne que celle tracée par s'éloignèrent en mer.
lui pour la construction de cette ma- La position de Macomer fut fortifiée
gnifique route, qui éternisera le nom en 1411 , comme la clef très-importante
du roi qui l'a ordonnée, et qui donnera pour pénétrer dans le judicat des Ar-
une nouvelle vie à une population labo- borei ; les constructions furent ordon-
rieuse et misérable, à cause de la diffi- nées par le vicomte Americ de Nar-
culté qu'elle éprouvait à vendre ses bonne, juge d'Oristano, afin de s'oppo-
productions. ser aux Doria et à leurs compagnons.
Certainement, aujourd'hui, la prise Enfin Léonard d'Aragon, marquis d'O-
et la conservation d'Alger, la destruc- ristano, vers l'an 1478, ambitieux de
tion de la piraterie des Arabes d'Afri- dominer toute la Sardaigne, se fortifia
que, l'établissement du royaume de la à Macomer, où il fut battu, et conduit
Grèce, l'un des fastes les plus glorieux prisonnier avec ses enfants à Valence.
de notre siècle, la civilisation crois- En suivant la route, nous arrivons
26 L'UNIVERS.

de commerce. L'Ogliastra possède en-


au village de Codrongianus (planche 9),
fort d'une population de quatorze cent core des mines d'argent et de plomb ;
soixante et quatorze habitants, où le sur le territoire de Talana, on voit des
chemin, en faisant le tour du Monte traces de la fameuse mine d'argent, qui
Shato, espèce de pyramide tronquée à donnait, dit-on, le produit de soixante
la moitié de sa base, présente un et quinze pour cent. Quant aux mines
de plomb, elles sont plus abondantes
point de vue très-agréable, et une des-
cente facile au milieu d'oliviers et d'ar- dans la Sardaigne que celles de fer
bres fruitiers, pour de là arriver à la dans l'île d'Elbe, car on en rencontre,
ville de Sassari et à Porto Torres, par pour ainsi dire, à chaque pas, et la
le tracement du profil général de cette galène la moins avantageuse donné
grande route royale. presque toujours cinquante à soixante
pour cent; elle contient, en outre, une
§ IX. once et demie d'argent par quintal.
avec la Les Romains tiraient de la minière
Des routes de communication
de Monteponi une grande quantité de
grande route royale.
plomb pour leurs usages, et l'île de
La route royale dont nous venons Saint-Antioche, où était la très-an-
de parler n'aurait pas entièrement at- cienne ville de Sulci, portait le nom
teint le but conçu par le sage roi Char- d'Insila Plombea, à cause de l'abon-
les-Félix, sans l'accomplissement des dance du plomb qu'elle produisait.
routes provinciales, que le même ingé- Ces avantages naturels du pays sont
nieur Carbonazzi fut, en 1830, chargé malheureusement détruits par l'insalu-
d'établir. brité de l'air, qui se trouve en propor-
La première route entreprise fut tion de la fécondité du sol, et fait de
celle dite de l'Ogliastra di Monastir à l'Ogliastra une véritable plaie dans la
Serri, d'une étendue superficielle de saison des intempéries.
trente-huit mille mètres, en passant La seconde route conduit à la ville
par Senorbi et Mandas. On voit quelles d'Iglesias, forte de six mille âmes,
furent les difficultés vaincues pour ar- avec un évêché qui a un superbe palais
river à Monastir (planche 8), petit vil- et une cathédrale très-petite, où la
lage au sommet de la montagne. Cet seule chapelle riche est celle de Saint-
arrondissement, qu'on appelle Oglias- Antioche ; elle est située dans le fond
tra, est un des arrondissements les d'une belle vallée formée par des col-
plus vastes; le tribunal préfectorial lines , arrosée et fertile en productions
et l'intendance sont dans la ville de de toute espèce. Cette ville est la capi-
Lanusei. Le pays est montagneux, mais tale d'une province, très-petite, admi-
cependant assez arrosé par des torrents nistrée par un intendant, mais elle est
et des ruisseaux qui lui donnent une abondante en oranges, surtout à Do-
grande fertilité. Il produit en quantité mus-Noas, où existe la très célèbre
des figues, des cerises, des oranges, grotte d'Acqua Rutta, que les voya-
des limons, du maïs, des citrouilles geurs vont visiter comme un objet de
d'un poids de trente livres, des pastè- curiosité, car elle traverse la montagne
ques, des melons, du vin qui passe et met en communication deux vallées.
pour être le meilleur de l'île après celui Cette route se termine vis-à-vis de
de Cagliari, et des truffes blanches l'île de S. Antioco, ancienne colonie
comme celles du Piémont. La princi-
carthaginoise, placée sur les débris de
pale richesse de cette population, qui laves, de brèches et autres productions
monte à vingt-cinq mille âmes, con-
volcaniques, avec de nombreuses grot-
siste dans les oliviers dont le pays tes où on fait à la lumière la chasse
est ouvert; et le gouvernement n'a aux palumbes.
qu'à mettre, des prix pour le per- La troisième route est dénommée
fectionnement de leur greffe , on Della Marmilla ; elle conduit à Usel-
obtiendra alors une riche branche lus, village qui occupe une partie de là
SARDAIGNE. 27

place que tenait la colonie romaine, et ses raisins secs, on voit Nurachi, qui
de là à Oristano, capitale de la province a un marais d'une lieue de circuit. Là
la plus riche et la plus fertile de l'île. les paysans sont souvent effrayés dans
La plaine produit des graines de la la nuit par des bruits diaboliques sourds
plus parfaite qualité; toutes les variétés et prolongés. (II. est à supposer qu'il
de vins, parmi lesquelles on distingue existe un gouffre dans lequel se préci-
la Vernaccia ; de l'huile, des fruits ex- pitent rapidement, par intermittence,
cellents, et les plus belles espèces de des eaux souterraines, lorsque les pluies,
plantes potagères. Les deux étangs de ou la fonte des neiges en ont augmenté
Santa-Giusta et de Sassu, qui en font le volume. C'est ce qu'on observe dans
partie, ont des pêcheries d'un très la fontaine intermittente de l'abbaye
grand rapport : les boutargues (oeufs d'Alte-Combe, sur le lac du Bourget,
de poissons salés confits dans du vinai- où l'eau fait des éruptions dans la vallée
gre) que l'on en tire forment un com- avec un bruit plus ou moins fort, sui-
merce assez considérable, et les huî- vant l'impétuosité de l'évacuation des
tres de Terralba sont fort estimées des eaux.
gourmands. Cette même route de Mermilla abou-
On voit à Marrubio, entre ces deux tit à la ville d'Ales, chef-lieu, de
lacs, des vestiges d'anciens bains ro- canton dépendant du tribunal d'O-
mains d'eaux thermales qu'on appelait ristano , siège épiscopal qui pos-
Aquae Neapolitanse. sède la plus belle église, cathédrale
La ville d'Oristano, dont nous de la Sardaigne ; église construite
avons donné la description, était la dans le seizième siècle aux frais d'un
capitale des juges Arborées, qui, d'a- ancien marquis de Chirra. Près de
bord chefs de la république, devinrent cette ville on trouve Usellus, où était
ensuite, comme en Italie les Visconti, la colonie romaine, Colonia Usellia,
les Malatesta, les della Rovere, les qui servit à repeupler l'île dévastée par
chefs dominateurs. Cette ville, main- les Carthaginois.
tenant le centre des communications C'est dans la province d'Oristano,
des deux caps; la même ville, qui était tout près du village Sardara, au pied
autrefois le lieu de passage des voya- de la montagne, qu'existe l'établisse-
geurs à cheval, est aujourd'hui la sta- ment des eaux minérales et thermales
tion d'une diligence périodique qui les plus fréquentées par les habitants
traverse l'île avec rapidité. de l'île, où l'on peut venir chercher la
On a essayé, il y a une cinquantaine guérison d'une maladie sans crainte.
d'années, d'acclimater dans les envi- d'en contracter une autre par le mau-
rons d'Oristano le mûrier blanc qui vais air. On aurait seulement à désirer
nourrit les vers à soie; mais, malgré plus de commodité pour les malades
les encouragements du vice-roi, cette et plus d'agrément pour tous. Une
culture n'a pas réussi à cause de l'ex- chose particulière et bien digne de re-
cessive chaleur du climat; ce qui arrive c'est que les oeufs ne cuisent
marque,
aussi dans d'autres pays par suite du pas dans cette eau thermale, quoiqu'au
les ani-
froid. Ce fait prouve que les nations degré de l'eau bouillante;
comme les familles ont besoin les unes maux qui y tombent périssent en peu
des autres, car non omnis fert omnia d'instants. L'eau qui déborde du bas-
tellus; et si une nation avait dans son sin forme une boue salutaire dans plu-
sein toutes les productions d'agrément , sieurs maladies; elle serait bien plus
telles que la soie, le sucre, le coton, active et efficace si on avait là, comme
l'indigo, etc., elle se trouverait alors aux thermes d'Acqui en Piémont, des
isolée, et son industrie ne trouverait plongeurs , habitués à descendre dans
plus de débit, faute d'échange, pour le bassin, afin d'y puiser, avec des
activer la balance commerciale. seaux, la boue miraculeuse pour les
Près du village de Cabras, très-re- blessures, les fractures et pour les
nommé pour la grosseur et la bonté de rhumatismes.
28 L'UNIVERS.

En voyageant dans le pays, dit de derniers furent opprimés et asservis


Montréale, on trouve la peuplade des par les Aragonais.
Dans cet arrondissement il existe
Valentini, dont parlent Pline et Pto-
lémée : son chef-lieu était Falentia, un canton appelé Meilogn, le pays de
aujourd'hui réduite au petit village de miel, parce qu'on y récolte une grande
Leaconi, d'après les conjectures des quantité de cette substance qui forme
une branche de commerce très consi-
archéologues.
Dans l'intérieur de cette province dérable.
demeurent les descendants de ces an- La cinquième route provinciale est
celle d'Alghero, ville de sept mille
ciens montagnards, qui surent dé-
fendre si courageusement leur liberté six cent vingt-neuf habitants., avec
contre les Carthaginois et contre les un évêque, un intendant et un juge
Romains ; de ces anciens montagnards de paix, ressort du tribunal de Sas-
appelés, comme nous l'avons déjà dit, sari. Cette route traverse le territoire
Balari ou Barbari, et dont les femmes de Putifigari, descend â Iteri, à
sont plus pudiques que partout ailleurs, Tiesi, à Toralba, et se termine à la
si l'on en croit le rapport du poète grande route royale. Cette province
Dante, chant xxxn du Purgatoire: est située à la partie occidentale de la
Cbe la Barbagia di Sardigna assai Sardaigne; et la ville d'Alghero fut
NelIe femine sue c più pudica bâtie au commencement du douzième
Che la Barbagia dov' io la lassiai.
siècle par les Doria de Gênes, alors
il est consolant de voir que les descen- très-puissants au cap supérieur, qui la
dants de ces héros de la liberté natio- possédèrent jusqu'en 1353, qu'elle se
nale, dans la Barbagia 'Ollolai, con- rendit aux Aragonais, après un com-
naissent encore les moeurs de leurs bat naval entre la flotte combinée des
ancêtres et leurs vêtements, méprisant Aragonais et des Vénitiens contre les
l'inconstance de nos modes ridicules Génois.
qui changent à chaque âge et à chaque Les Espagnols firent d'Alghero une
révolution politique. place forte que le roi de Sardaigne a
Nous terminerons la description des augmentée de plusieurs moyens de dé-
richesses de cette province d'Oristano fense ; ils contribuèrent aussi à l'em-
en indiquant que, dans l'arrondisse- bellissement de la ville, dont la ca-
ment d'Oziernali, qui fait partie du thédrale est surmontée d'un clocher
domaine de la couronne sarde, se ren- très-élégant et fort élevé.
' contre la race des beaux chevaux sardes Le peuple a conservé le dialecte ca-
dont on se sert pour l'armée. talan du moyen âge, qui a offert une
La quatrième route provinciale abou- multitude de mots pour ainsi créer les
tissant a la route royale est celle de trois langues filles de la latine, qui,
Bosa, qui passe par Suni, par Sindio, au quatorzième siècle, prirent une
et va à Macomer; elle est comprise forme, et entravèrent les progrès des
dans la province d'Oristano. La ville de sciences.
Bosa, résidence d'un évêque et d'un juge C'est à Porto-Conte qu'existe le
de paix, ne contient que six mille habi- meilleur mouillage pour les bâtiments
tants commerçants très-actifs. Elle, n'a de guerre, car le port sous les
pas été construite à la même place que murs de la ville ne sert qu'au petit
l'ancienne ville, dont on voit les ruines commerce des vins, des huiles et du
à deux milles de distance ; cependant corail, dont la pêche attire une assez
elle est la plus malsaine de l'île, à cause grande quantité de barques.
des exhalaisons de la fangeuse rivière La grotte de Neptune, qui se trouve
le Temus, qui baigne ses bords. Bosa à douze milles (six lieues) d'Alghero,
était, au commencement du douzième à droite de la magnifique rade de
siècle, un fief des Malaspina qui bâ- Porto-Conte, est remarquable par la
tirent la cathédrale en 1112; mais les beauté de ses stalactites et par son
juges Arborées les chassèrent, et ces issue qui aboutit à un lac d'eau salée
SARDAIGNE. 29

qu'on peut appeler le lac d'Averne. La Napoléon pour effrayer les habitants,
nature a placé de chaque côté de la bombe qui fut indignement vendue à
grotte d'énormes colonnes que douze un Anglais pour le vil prix de trente
personnes réunies ne pourraient em- écus. ,
brasser : elles soutiennent une voûte La route provinciale va jusqu'au
élevée, et nous rappellent très-bien les golfe de Terra Nova, bâtie avec les
anciens temples égyptiens. En péné- débris de l'ancienne Olbia; sa popula-
trant dans cette caverne, les tion est de deux mille habitants, logés
prodiges
se multiplient, et l'on y voit toutes dans des maisons rurales bien alignées
sortes de figures fantastiques, tandis et blanchies. Là on aperçoit encore les
que la voûte est ornée d'énormes restes de cette cité, que Lucius Cor-
stalactites. Cette grotte curieuse est nelius Scipio n'osa pas attaquer sans
regardée comme une des plus belles les renforts obtenus de la république
d'Europe ; mais son accès difficile fait romaine. C'est dans la plaine d'Oluia
qu'elle n'est pas souvent visitée. que le général carthaginois, le vieil
La sixième route part d'Orosei ; elle
Hannon,fut tué,et qu'il a reçu les hon-
va de là à Oliena, territoire célèbre neurs funèbres dus à la valeur vaincue.
par ses vins et par une très-vaste ca- Par les lettres de M. Cicéron à son
verne inaccessible, de laquelle sort un frère Quintus, il résulte que celui-ci
torrent dit l'Orosei ; ensuite elle passe fut préteur à Olbia, et que Cicéron lui
à Galtelli Nuoro, chef-lieu d'arrondis- conseilla de se défier du climat de la
sement, devenu siége épiscopal ; puis Sardaigne. En parcourant cette route,
traverse Illarai, Balatona , Silanus, on peut voir les ruines pyramidales de
Bortigali et Birori, pour rejoindre la Castel Doria, de cet emblème de l'ar-
grande route royale au pied de Ma- cienne féodalité génoise, qui défendit
comer. avec courage l'indépendance sarde con-
L'ancien chef-lieu d'arrondissement tre les Aragonais. On voit aussi le Cas-
était autrefois la ville de Galtelli, alors tel Sardo, la meilleure forteresse de
siège épiscopal; mais elle est aujour- l'île, de deux mille habitants, siége de
d'hui réduite à huit cents habitants, l'évêque d'Ampurias, ville depuis long-
car on compte six villages détruits temps ruinée. La route arrive à Tem-
faute de population , quoique le pays pio, ville' épiscopale avec un tribunal
soit fertile, en grains , en vins, en fro- de préfecture, une intendance, et une
mages et en miel : c'est aussi là qu'on population de dix mille âmes. La ville
fait les jambons renommés de Pâ- est bâtie en pierrres de granit, et la
ques. salubrité de l'air contribue à la viva-
La septième et dernière route est cité des habitants, les premiers qui ont
celle de la Gallura, vaste campagne clos les champs rendus plus fertiles, et
abondante en nombreux troupeaux de qui ont ainsi secoué le système féodal.
toute espèce, dont les Corses limitro- Cette route passe à Oschiri près d'O-
phes s'approvisionnent. Cette route zieri, et arrive à Bonannaro , non loin
facilite aussi les communications avec de la grande route royale. Le départe-
la très-intéressante île de la Madeleine ment de la Gallura est regardé comme
de seize milles carrés de superficie, la- le plus montueux de l'île : sa princi-
quelle est habitée par une colonie corse pale richesse consiste en troupeaux de
depuis le dix-septième siècle; elle fut chèvres et de cochons, nourris dans
augmentée aux temps de la révolution d'épaisses et vastes forêts, et dans de
française par des conscrits réfractaires. grandes vallées riches en excellents pâ-
La ville dite a Madeleine est bien turages , et en denrées de toute espèce.
construite; dans son église, on con- L'île de Corse, qui n'en est séparée
serve la croix et les chandeliers en ar- que par le petit détroit des bouchés
de Bonifacio, en tire ses provisions
gent donné par l'amiral Nelson, et la
la première de viandes fraîches et salées. Tempio
municipalité possédait
bombe tirée à vide en 1793 par Je grand est le chef-lieu de toute la Gallura, de
L'UNIVERS.
30
offre le plus § X.
ce malheureux pays qui
la guerre des du climat et des cos-
de traces des maux de De l'agriculture,
Guelfes et des tumes vsités dans les provinces de
Doria, des Pisans, des
résident
Gibelins : c'est à Tempio que la Sardaigne.
le commandant et l'inten-
l'évêque,
dant de la province ; il s'y trouve
aussi La terre en Sardaigne est très-fer-
une nombreuse noblesse avec
des idées tile, et donne, dans divers endroits,
espagnoles. jusqu'à cinquante pour un boisseau
On regarde les habitants de Tempio de blé (dit Carbonazzi dans son rap-
comme les plus beaux, et la fraîcheur port officiel); de plus, la douceur
des femmes est renommée ; mais mal- du climat y fait croître un pacage
heureusement le peuple, trop porté à très-abondant. Cependant le laboureur
la vengeance, tient beaucoup des moeurs sarde travaille beaucoup et gagne peu,
corses; il se fait là guerre non-seule- maltraité par les fermiers, par les
ment de famille à famille, mais encore agents des seigneurs espagnols, qui
de peuplade à peuplade, comme des possèdent une grande portion de l'île
sauvages. en fiefs rects et propres, ou en majorats.
Quelquefois, à Tempio, on voit au Les bergers ou pâtres forment une
de deux ha-
point du jour les habitants population de nomades dispersés sur
meaux couchés aux deux extrémités la surface de l'île : les uns sont pro-
de la place publique, où ils attendent priétaires de leurs troupeaux, les au-
le moment de signer une trêve-, et, tres n'en sont que les dépositaires.
ils se sont
lorsque par des homicides Ces pâtres errent d'un endroit à l'au-
déclarés bandits, ils se réfugient alors tre en toute sûreté, car il n'existe pas
dans un lieu impénétrable, sur une de voleurs sur les chemins; ils con-
montagne escarpée appelée Cucum. duisent leur famille en emportant leurs
La route, en descendant, arrive à hardès, et construisent des cabanes (*),
Orzieri, ville de huit mille habitants qu'ils abandonnent ensuite pour se
avec une intendance, ancien chef-lieu porter ailleurs. Ils sèment un peu
du capitanat de Monte-Acuto, et siége de gi-
d'orge, de blé; se nourrissent
épiscopal de l'évêque de Bisarcio, ville bier, boivent du lait, et fabriquent
ruinée dont il n'existe plus que la ca- des fromages qu'ils vont vendre dans
thédrale. Le campo d'Ozieri, formé les villes voisines.
par une vallée de cent milles carrés La vie patriarcale est dirigée par le
de superficie, abonde en grains et en chef de la famille, qui, éloigné des
bétail. églises, fait le sermon à ses enfants;
Telle est la description que nous et on trouve là des moeurs qui peuvent
avons voulu donner, seulement par servir de modèle aux citoyens corrom-
connu , et
aperçu , d'un pays très-peu pus par les plaisirs des villes. Que ne
qui formait autrefois le grenier des reste-t-il pas à faire sur une surface
Romains, et l'ambition des petites ré- fertile anciennement peuplée de deux
publiques génoise et pisane. millions d'habitants, et aujourd'hui
Ceux qui étaient contraires au tra- réduite à un quart de sa population
cement d'une route centrale, avec ses primitive, de sorte que l'on ne compte
embranchements pour les ohefs-lieux plus que mille habitants par lieue
des provinces, qui la croyaient inutile, carrée.
car on peut, disaient-ils, communi-
quer par mer, seront, nous l'espérons, (*) Il ne faut pas confondre les cabanes
convenus du fait, que le premier bon- très-souvent construites à l'aide de grosses
heur d'une nation est d'avoir des faci-
pierres cyclopéennes avec les Noraghes; il
lités de communications pour le bien faut prendre garde aussi de ne pas trop as-
de la civilisation, de l'industrie, et du signer à d'anciennes constructions des mo-
commerce intérieur et étranger. numents modernes, comme ont fait
quelques
auteurs.
SARDAIGNE. 31
Dans plusieurs ouvrages de voya- leurs tant de ravages, n'arrivent jamais
geurs en Sardaigne, on accuse les en été à cause des grandes chaleurs',
Sardes d'être portés à la fainéantise; mais bien à la fin de l'hiver et aux
qui est occasionuée par la chaleur du premiers jours du printemps : et la
climat; mais ces voyageurs n'ont pas grèle, qui tombe ordinairement sous
examiné les habitudes de cette nation forme de grésil, ne porte aucun dom-
comme l'a fait le chevalier Jean Car- mage aux fleurs ni aux plantes.
bonazzi , directeur de la grande route L'intempérie ou mauvais air dans
royale, qui resta dans l'île pendant certaines localités, surtout dans les par-
onze années. Cet observateur intelli- ties basses et marécageuses, commence
gent-nous atteste que le Sarde, doué au mois de juin et se prolonge jusqu'aux '
d'une grande vivacité d'esprit, joint premiers jours de décembre (*) : elle
à l'envie d'apprendre, une excessive produit desfièvre sputrides et pernicieu-
activité dans l'ouvrage. En effet, par ses avec délire qui sont souvent mortel-
le moyen de cette population qu'on les, ou bien laissent de longues traces de
accuse à tort de paresse, Carbo- malaise. Les paysans en souffrent moins
nazzi dit, dans son rapport, avoir, en que les étrangers ; et le mauvais air
sept cents journées de travail, fait exé- ne porte point préjudice aux fruits ni
cuter cent vingt-sept milles de la route aux blés, car il est démontré qu'ils sont
royale, n'ayant employé dans les cas aussi bons que dans les autres pays. Les
de plus grande urgence que six mille cultivateurs souffrent moins de l'in-
Sardes de tout âge et de tout sexe. Il tempérie, moyennant les précautions
rend justice au courage de ces ou- qu'ils prennent de ne pas travailler
vriers, qui, faute d'habitations, se dans les heures plus chaudes, de se re-
couchaient en plein air, sur la terre tirer au coucher du soleil, et de ne pas
nue, et qui demeuraient pendant plu- s'exposer à la fraîcheur de la nuit(**) :
sieurs semaines enveloppés dans leurs aussi ne sont-ils assujettis qu'à des
capotes, avec un peu de feu aux pieds fièvres intermittentes, comme dans les
en hiver, sans se plaindre des souf- pays de rizières; et à ce propos Pline
frances. Nous avons vu, dit-il, dans dit, livre. 18, que les habitués vi-
les heures du repos journalier, les vent même dans des climats pestilen-
jeunes filles, après leur repas qui est tiels.
très-sobre, danser joyeusement sur le On peut se faire une assez bonne
terrain mobile même que leurs bras idée de l'intensité des rayons du soleil
ont transporté; nous avons aussi ad- aux temps du solstice, dans le rapport
miré l'intelligence avec laquelle les de l'ingénieur Carbonazzi, qui nous
hommes exécutaient des travaux à atteste avoir observé au champ de
l'aide d'instruments qui leur étaient Sainte-Anne le phénomène connu sous
entièrement inconnus.
Ce qui manque à cette nation, c'est le mau-
une instruction (*) Dans la campagne romaine,
populaire non écrite, vais air commence en juillet et se termine
mais indiquée par des faits et par l'ex- avec les pluies de septembre, de manière
périence; il lui faut une amélioration que le mois d'octobre
est le plus beau et le
dans l'éducation primitive, de la pro-
plus gai de l'année.
tection pour l'industrie agricole : le (**) C'est la fraîcheur des
nuits en juillet
gouvernement parviendra, du moins et août qui, dans les pays des rizières, comme
on l'espère, à cette amélioration so- aussi dans la campagne romaine, produit
ciale avec une constante volonté. les fièvres intermittentes et pernicieuses.
La pluie est rare en Sardaigne; elle Des propriétaires charitables accordent à
ne continue jamais pendant toute une leurs laboureurs en Lombardie du vin et
journée, et celle qui tombe dans l'es- une capote de laine dans les mois susdits,
pace d'une année entière ne s'élève pas et la prétendue pestilence des rizières n'at-
de la.
à six pouces. taque pas leur santé. Voyez l'ouvrage
Les orages et la grêle, qui font ail- culture du riz de 1818.
32 L'UNIVERS.

le nom de mirage, phénomène observé ser les races (*), comme on fait dans
c'est une des
pour la première tois par les armées plusieurs endroits, car
françaises en Egypte : car il voyait sur le branches les plus précieuses pour l'a-
terrain aride un air enflammé comme griculture. Le savant Cetti a calculé
s'il sortait d'un four, air qui ôte ha- que dans les meilleurs pâturages, cent
bituellement la respiration et porte la vaches, confiées à la garde du pâtre le
faiblesse dans les organes, amène aussi plus soigneux, et avec la température
l'intempérie dans les localités des marais la plus favorable, ne produisent en une
ou des fontaines sulfureuses. L'admi- année qu'une trentaine de veaux v un
nistration du génie civil vient d'opérer millier de livres de fromage, et envi-
l'assainissement de plusieurs localités ron soixante livres de beurre, auquel
à Serrenti, à Abbassanta ; et il s'est sa rareté donne beaucoup de prix ;
formé une société pour le desséchement quoiqu'il ne soit pas aussi bon que le
des terres marécageuses de Sanluri, beurre de la Lombardie ou de la Nor-
terres dont on retirera de grands avan- mandie.
tages non-seulement pour l'agricul- La culture des terres souffre nota-
ture, mais encore pour la santé, car blement de la faiblesse et de l'exiguïté
les plantations d'arbres et les végéta- des boeufs de labour, car dans plusieurs
tions absorberont les miasmes pestilen- endroits on est obligé d'adopter une
tiels, ainsi que l'expérience l'a prouvé petite charrue proportionnée à leur
ailleurs. taille et armée d'un soc de huit pou-
Ce qui fait un admirable coup d'oeil, ces seulement, qui trace péniblement
ce sont au mois de mai les champs de un sillon sans profondeur; et consé-
blés dont l'étendue est immense eu quemment la terre est mal cultivée. Le
égard à la minorité de la population, soleil d'été vient tout brûler et tout
et on trouve là une preuve de l'activité dessécher ; les troupeaux ne trouvent
du laboureur sarde, lequel est obligé de bientôt sur la terre aride que des plan-
faire à la terre la même culture qu'en tes dures; et dans l'hiver, dépourvus
France et en Italie , et de baigner de de fourrage et de toit, ils sont réduits
sueurs le pain qu'il mange. La mois- au dépérissement. Des prairies artifi-
son se fait en juin, ensuite les gerbes cielles pourraient donner de bon foin,
sont amoncelées en rond , et l'on fait qui préserverait les Sardes d'être obligés
courir des chevaux qui broient l'épi, à nourrir le bétail dans le campida-
et en font sortir le grain. no avec des fèves et de menus grains.
Les instruments aratoires n'ont pas L'état actuel des propriétés et la situa-
été perfectionnés depuis le temps des tion des fortunes rurales en Sardaigne
Romains : ils sont fort mal construits nous font conclure avec Pline, que la-
et difficiles à manier. A la planche 10 tifundia Italiam perdidere, car, jus-
on voit le chariot et la charrue sarde, qu'à ce que les troupeaux de chaque
qui ne sont pas des modèles de cons- commune cessent d'appartenir seu-
truction ; le chariot sarde le plaus- lement à sept ou huit personnages, il
trum des Romains. Nous espérons ne sera pas possible d'apporter un re-
que la société royale d'agriculture éta- mède au mal et de relever l'agricul-
blie à Cagliari, et pourvue des moyens ture : donnez-moi, dit Filangeri (**),
nécessaires, s'occupera des besoins des un arpent de terre avec lequel puisse
localités, et ne perdra pas son temps, vivre un ménage, et je vous établirai
comme ailleurs , à donner de simples une famille.
théories, lesquelles sont souvent émi-
ses par des savants sans expérience et
(*) Dans le Valais nous avons observé
qui n'ont jamais eu de propriétés agri- avec plaisir que les Crétins ont presque dis-
coles. paru, quand Napoléon eut ouvert la grande
Une grande amélioration dans le bé- roule du Simplon.
tail, notamment parmi les vaches et (**) Voyez Scienza delta legislazione,
les boeufs, est nécessaire; il faut croi- 1784. Milano.
SARDAIGNE. 33

Le dialecte sarde est le calarietan,


compagnies de dessèchement améliore-
qui termine les mots par des voyelles', ront l'air dans les environs d'Oristano
ou par les consonnes T ou S, et dérive de et dans la ville même devenue
presque
la langue latine. M. Carbonazzi atteste inhabitable; elles rendront à la culture
avoir entendu prononcer des phrases des étangs qui deviendront aussi fertiles
latines par les montagnards sardes : ce en productions utiles que les terrains
fait est confirmé par le chevalier Fer- environnants; on desséchera près du
rero, qui cite l'exemple suivant : un village de Nurachi le lac, ou plutôt le
paysan avait perdu un pigeon, et il marais de ce nom, qui a une lieue de
demanda à son voisin : Columba mea circuit, et qui, comme nous l'avons
est in domu tua? Dans l'île de la Ma- déjà dit, fait la terreur des paysans par
deleine, peuplée par une colonie corse les affreux rugissements qui en sortent
et par des émigrés de la Grèce, on a pendant la nuit, et avec une telle in-
conservé quelques mots grecs, comme tensité que les troupeaux mêmes en
le mot icon, une image; mais il est sont épouvantés.Près de la grande route
resté certainement peu de traces de royale, l'étang de Sanluri ( voy. pl.
cette langue. n° 1), ayant en superficie quatre mille
Nous dirons quele calarietan, dialecte arpents et plus, qui s'étendent jusqu'à
doux et expressif qui tient de l'espa- Sardara, Villacidro , Serramanna et
gnol, de l'italien et du latin, est le Serenti,vient,d'après le projet de Car-
plus répandu dans la bonne société, bonazzi, d'être mis en exploitation par
notamment à Cagliari; tandis que le une société de trois cents actionnaires
catalan est parlé correctement dans la sous le patronage du duc de Savoie Vic-
ville d'Alghero, l'italien à Sassari, et tor-Emmanuel, jeune espérance des
que le patois génois est propre à l'île Etats sardes. Dans les terrains déjà
de Saint-Pierre, comme l'atteste le P. défrichés on a fait de grandes planta-
Madao, qui nous a donné une col- tions en mûriers, en ormeaux, en ar-
lection de poésies sardes très-curieu- bres fruitiers: on a fait venir des tau-
ses. reaux de la Suisse pour améliorer le
Des écoles primaires, dans lesquel- bétail, et cette ferme modèle ne peut
les on enseignera aux Sardes en langue que prospérer. Si le chariot sarde et la
italienne, qui est celle du gouvernement, charrue, qui est encore l'aratrum sim-
les principes des devoirs de l'homme ple des Romains, dont les différen-
religieux et social, et où on leur don- tes parties portent les noms anciens
nera un catéchisme agricole très-sim- de vomerus, dentalis, timo, stiva
ple, qui ne soit pas embrouillé de ter- (pl. 10), et si l'attelage des boeufs, pour
mes et de nomenclatures de la nouvelle lequel un grand prix vient d'être établi
chimie, formeront la base des progrès par la société agraire de Paris, par-
industriels d'un peuple qui, comme viennent à être améliorés, l'agricul-
nous allons le démontrer, a conservé ture fera de grands progrès.
les habitudes, les vêtements et le carac- On espère que les riches proprié-
tère de ses anciens dominateurs, qui taires de la Sardaigne introduiront
leur a aussi emprunté divers idiomes dans le département de la Gallura, déjà
mêlés d'expressions barbaresques dans si fécond en nombreux troupeaux de
la partie orientale de l'île, et d'expres- toute espèce, la race des mérinos;
sions italiennes ou espagnoles dans les alors les laines de la Sardaigne soutien-
autres parties, de manière que dans dront la concurrence, sinon avec les
chaque province on trouve un langage laines de l'Espagne, au moins avec
différent. celles de la Romagne, laines qu'on
Réduisez à son unité l'intelligence emploie avantageusement dans la fa-
de la langue italienne, et alors l'agricul- brication des draps nécessaires à l'ha-
ture, par un échange mutuel des con- billement des militaires et de la classe
naissances utiles, se perfectionnera et la des laboureurs.
prospérité publique ira croissant. Des Par l'envoi d'étalons arabes, les
3e Livraison. (SARDAIGNE.)
34 L'UNIVERS.

trois races de chevaux ordinaires, et qu'ont lieu les grandes courses a cer-
même des gentiles et des nobles, com- taines époques de l'année, et les étran-
me on les appelle dans le pays, seront gers y jouissent avec plaisir d'un dou-
améliorées, et bientôt disparaîtront ble spectacle : on admire la vitesse et
tout à fait ces chevaux sauvages, que l'impétuosité des cheveux en même
l'on chasse, comme en Russie, pour" temps que l'audace des cavaliers (*).
en avoir la peau et la chair, réputée Le travail le plus pénible, pour les
excellente. chevaux sardes, est celui de battre le
Si les paysans négligent le croise- blé (voy. pl. 14) dans le fort des cha-
ment des races, s'ils préfèrent aux leurs de l'été.
étalons étrangers le cheval du voisin, La récolte commence vers la fin de
il faudra par des prix vaincre cette né- juin, et on transporte aussitôt les
gligence. Les avantages résultant de la gerbes sur l'aire près d'une poutre;
vente, lorsque l'éducation des chevaux là, on les entasse les unes sur les
sera plus soignée, améliorera leur race autres, avec les épis droits, et elles for-
notamment pour ceux de la classe rusti- ment un cercle de plusieurs mètres de
que, qui sont d'une nécessité absolue. corde ; à cette poutre, on attache cinq,
Les chevaux de cette classe ordinaire sept, jusqu'à neuf chevaux, qu'on fait
sont assez bien faits, mais ils n'ont aller au grand trot, et en trois heures
guère plus de quatre pieds de hauteur ; la graine est tombée; on sépare alors
quelques-uns même sont plus petits, et la paille, et, le jour suivant, on entasse
on peut les appeler des bidets d'allure. dans le grenier environ quatre cents
Ces animaux, qui constituent la mon- boisseaux de blé très-propre et sec. Les
ture favorite des paysans, font sans chevaux souffrent de ce travail, ils de-
peine au pas d'amble, comme des chiens, viendraient même tout à fait aveugles
quatre lieues à l'heure sans s'arrêter; si on n'avait pas la précaution de les
ils sont donc aussi utiles et plus sûrs changer de place, et de les faire re-
qu'un chemin de fer. Les chevaux de poser pour empêcher l'afflux du sang
race gentile sont plus estimés; ils sont vers la tête.
mieux nourris, et les propriétaires des Nous avons déjà annoncé l'espoir
juments sont de riches villageois qui que l'on conçoit de voir améliorer dans
ont des troupeaux de plus de trois le département de la Gallura les trou-
cents têtes avec des étalons de bonne peaux de moutons indigènes; nous
espèce; maison désirerait à ceux-ci une terminerons cet article en démon-
taille un peu plus élevée, et une tête trant l'avantage que procurent à la
moins grosse et moins pesante. Pour Sardaigne ces bêtes d'un si grand rap-
en perfectionner la race, on avait éta- port.
bli à la Tancaregia, près de Pauli La- A l'exemple des anciens colons
tind, un haras qui a été ruiné : il avait grecs, qui, réfugiés dans des cavernes
servi de modèle à ceux de Chiaramonte, et des rochers pour conserver leur in-
de Bonnari et de Bonorva. Au moyen dépendance, y vivaient du lait et de la
d'étalons andalous, on est parvenu à chair de leurs brebis, dont le goût est
avoir d'excellents chevaux de quatre excellent à cause des herbes aromati-
pieds. et plus de hauteur, qui sont ques qui croissent sur les montagnes,
également beaux et bons pour le ma- les habitants des barbargies, qui se
nége, pour la course, pour la selle et disent les enfants légitimes' des an-
pour la voiture. Ces chevaux, appelés ciennes colonies, s'appliquent beau-
de race noble, sont très-sobres et in- coup à l'éducation des troupeaux : ils
fatigables, car ils peuvent marcher descendent en hiver dans les plaines
sept heures de suite sans s'arrêter,
et maintenant, en moins de trente
(*) La seuleville d'Asti, en Piémont, de-
heures, ils parcourent la magnifique
route royale du cap Cagliari au puis Charlemagne, conserve sescoursesde
cap de chevaux entiers : la fête est fixée au pre-
Sassari. C'est dans ces deux villes mier mardi de mai de chaque année.
SARDAIGNE. 35

méridionales, et y louent des pâtu- qui voudraient y prendre domicile et


rages qui rapportent un revenu assuré . devenir agriculteurs.
aux propriétaires et aux pasteurs. Par un règlement il permet même aux
Par une sorte de phénomène, un trou- étrangers la culture des terres, et il fait
peau de brebis donne en ce pays plus une dotation aux écoles normales d'agri-
de lait qu'un pareil nombre de vaches, culture. Il prescrit aux autorités sardes
et on fait avec ce lait des fromages sa- de veiller à ce que les biens à partager
lés qui sevendent à l'étranger et dont le ne se réunissent point dans les mains
poids monte à quarante mille quintaux. des spéculateurs, et que la redevance
La laine a. six pouces de longueur, annuelle soit modique, moyennant une
et chaque mouton en fournit de quatre prompte culture.
à six livres par tonte. Quoique cette Vous trouvez là cette loi agraire que
laine soit un peu dure, attendu qu'on les économistes recherchent sans sa-
ne fait rien pour l'améliorer, on en fa- voir la concilier avec le respect dû à
brique des draps grossiers à l'usage la propriété.
des montagnards. La principale vertu que l'on se plaît
Les bergers industrieux forment avec à signaler parmi les moeurs des Sardes,
des peaux de brebis un habillement qui c'est la sincère cordialité avec laquelle
est le plus antique costume national, ils accordent l'hospitalité aux voyageurs
dont nous avons donné le dessin aux dans cette île où l'on trouve difficilement
planches nos 10 et 11. des auberges : tous les étrangers éclai-
Parmi les béliers, il s'en trouve rés qui ont parcouru la Sardaigne s'ac-
souvent qui ont quatre et même six cordent pour mentionner l'heureux
cornes. On les croit de race égyp- accueil qu'ils y ont trouvé. Cette hos-
tienne. pitalité , d'origine primitive, toute
En continuant le système d'amé- simple, sans ostentation, rappelle les
liorer les races par l'introduction des vertus et les moeurs des anciens peu-
moutons purs d'Espagne et de Barba- ples ; elle est un goût, je dirais presque
rie, la Sardaigne , qui possède toutes un besoin inné chez le Sarde : vous
les productions nécessaires à la nour- pouvez loger avec sûreté, même dans
riture de ses habitants, pourra riva- la cabane d'un bandit qui s'est sauvé
liser un jour avec les nations les plus au milieu des montagnes après avoir
commerçantes du monde. tué son rival; car le crime d'assassinat
La division des terrains communaux pour vol est très-rare, et la cupidité
vient d'être, par un édit du roi Charles- de l'argent, vice si universellement
Albert du 26 février 1739, autorisée et répandu, n'a pas encore pénétré dans
sanctionnée entre les particuliers, afin le coeur du Sarde.
de rendre ces terres plus productives, Lorsque vous entrez dans le palais
afin aussi de prévenir les procès et d'un noble ou d'un riche propriétaire
plus encore les rixes entre les habitants pour demander la faveur d'un loge-
des communes limitrophes. ment, le domestique vous baise la main
La sagesse du législateur n'a pas et vous présente à son maître, qui dit
voulu troubler tout individu qui avait, à l'étranger : Bene arrivato, s'accom-
de bonne foi, déjà cultivé un terrain modi, c'est-à-dire : Vous avez fait bon
communal ou domanial, et qui l'avait voyage, asseyez-vous ; il ajoute : Ma
défriché et rendu fertile. maison est petite, mais acceptez mon,
Pour par venir avec ordre et justice au bon coeur. Toute la famille fête le nou-
partage des biens communaux en fri- vel hôte, qui devient bientôt le maître
che, il a établi que les seuls habitants ou de la maison.
les propriétaires dans la même com- M. Valéry, dans la description de
mune y auraient droit, ajoutant que son voyage, fait l'éloge de cette hos-
les biens domaniaux incultes se- pitalité : il observe que la vie animale
raient aussi accordés aux particuliers est très-peu coûteuse; qu'une fortune,
du pays et aux militaires en retraite même médiocre, est suffisante aux pro-
3.
36 L'UNIVERS.

et qu'ils n'ont pas besoin vrir la table de beaucoup de plats, et


priétaires,
de onze mille porcs, comme en possède surtout de mets composés de viandes,
le comte Orru, l'un des plus riches comme en Lombardie.
seigneurs de la Sardaigne. Chaque, fa- Lorsqu'un étranger arrive, aux prin-
mille a un moulin portatif pour moudre cipales fêtes et au moindre événement
le blé qu'elle récolte, et elle pétrit heureux, aussitôt on prépare de grands
elle-même son pain ; les poissons d'eau repas, et on tue un cochon de lait, le
douce et de mer se vendent trois sous meilleur mets national. Les Sardes
au plus la livre, et la chair des animaux mangent beaucoup, sont friands de
ne se paie qu'un sou : on dîne à midi poissons et de gibier ; quoi qu'on en
et on soupe très-tard, comme dans les dise, ils détestent les grenouilles, et
anciens temps. jouissent du plaisir de la société sans
Les édifices sont engénéral construits cependant s'enivrer comme dans plu-
en briques cuites ou crues, en pierres sieurs autres pays.
ou tufs suivant les localités; les mai- Les pâtres et tous les campagnards
sons des paysans, dans la partie méri- excellent dans l'art de bien rôtir les
dionale, n'ont en général ni portes ni viandes et de les faire cuire sous les
croisées sur la rue, mais on entre par cendres. Pour cette dernière opéra-
une basse-cour qu'il faut traverser dans tion, ils creusent dans la terre un trou
sa longueur pour arriver à la maison, qu'ils tapissent de feuilles, puis y pla-
qui n'a qu'un seul étage, et chaque cent la chair de l'animal qu'ils veulent
chambre a son entrée par un balcon faire cuire, et même l'animal entier,
extérieur. Ces habitations sont plus sans prendre la peine de l'écorcher ;
propres que celles de plusieurs villes ; ils le recouvrent d'une couche légère
on remarque aussi la propreté qui rè- de terre, sur laquelle ils allument un
gne dans la demeure des pâtres de la feu très-vif pendant quelques heures.
Nurra, de la Gallura et des insulaires Cette méthode est pratiquée surtout
de Saint-Pierre et de la Madeleine. Le par les voleurs de bétail, qui cachent
plus beau mobilier des paysans consiste ainsi le produit de leur vol en même
en assiettes de faïence, et même de temps qu'ils le font cuire. Les proprié-
porcelaine peinte, placées sur des éta- taires vont à la recherche de l'animal
gères; en pièces carrées de papier perdu, et souvent ils en demandent
peint qui forment des tableaux ; en un compte en vain aux voleurs' eux-mê-
petit miroir, fixé si haut à la muraille mes, qui leur font la politesse de les.
que les femmes ne peuvent point en faire asseoir près du feu sous lequel
faire usage ; en vingt-quatre chaises cuisent les moutons. La chair ainsi
d'un goût très-ancien, qui charmeraient préparée est d'un goût excellent : les
les fashionables de nos jours; en un cerfs, les daims, les mouflons et les
grand coffre en noyer grossièrement sangliers qui abondent dans l'île sont
sculpté, et une table ronde très-basse. souvent rôtis, suivant la méthode des
Les lits sont presque généralement pâtres, sur le terrain même où s'est
garnis de rideaux, qui préservent des faite la châsse.
insectes et des cousins fort nombreux Tandis que les personnes aisées et
dans les localités humides. L'usage du les voleurs de moutons mangent des
lit avec des matelas est réservé aux viandes délicieuses, les pauvres, et sur-
personnes mariées ; les garçons, les tout les femmes de plusieurs contrées,
filles et les serviteurs dorment toujours se nourrissent, au printemps et pendant
sur des nattes de jonc : le seul lit nup- une partie de l'année, de tiges les moins
tial est le plus élégant,maison le con- fibreuses du chardon sauvage, qui sont
serve pour les étrangers auxquels ou nourrissantes, de fenouil romain, dé
donne l'hospitalité. la pulpe du margallon ( chamergis
La cuisine des seigneurs et négo- humilis ), de fruits de cactus ( fica
ciants tient du goût espagnol et du etc. La simplicité de la vie
morisca),
goût italien : au dîner on aime à cou- est telle dans plusieurs villages de l'O-
SARDAIGNE. 37

gliastra, que les habitants mangent du genoux. Cette soutanelle faite de cuir
pain fait avec de la farine de glands bien tanné, avec ou sans son poil, qu'on
cuits et réduits en bouillie, et ces glands laisse au dehors, s'endosse comme un
ne sont pas ce fruit très-doux du quer- gilet. Les avantages de ce surtout sont
cus ballota dont les armées espagnoles de défendre la poitrine contre les chan-
ont tiré un grand parti pendant leur gements subits de température, con-
domination dans l'île, ce sont desglands tre le mauvais air, les brûlants rayons
pareils à ceux qui servent à engraisser du soleil et même contre la pluie.
les cochons. Lorsque la bouillie de fa- L'homme ainsi habillé,la tête cou-
rine de glands a acquis une certaine verte du bonnet phénicien , tel qu'on ,
consistance, elle est versée sur une ta- le voit dans l'idole de bronze, a quel-
ble où l'on a répandu de la cendre pour que chose d'imposant et nous rappelle
que la polenta, ne s'y attache pas; et ce qu'Élien , liv. XVI, raconte, d'après
afin de la rendre un peu moins désa- Nymphodorus, « que l'habillement des
gréable au goût, on l'assaisonne avec indigènes sardes était fait de peaux
du lard fondu. Si le P. Madao eût dont ils se couvraient, mettant le poil
mangé de cet aliment détestable, et en dedans pendant l'hiver et en de-
même nuisible à la santé, comme le hors pendant l'été. »
chevalier Ferréro en a essayé, il n'au- Le vieillard que l'on voit assis (plan-
rait pas témoigné tant de vénération che 11 ) porte une capote blanche ap-
pour cet antique usage maintenu par pelée en sarde saccu de coperrir, et
la nécessité. dessus, un châle très-long qui couvre
A la cordiale hospitalité des Sardes les épaules : c'est le vrai sagum des
il faut joindre leur charité envers les Romains. Cet habillement est en usage
malheureux : ainsi, lorsqu'un berger chez les campagnards, notamment chez
a éprouvé des pertes , l'usage l'auto- les pâtres nomades ; il est attaché au
rise à faire une quête de bétail dans devant de la poitrine, à l'aide d'une
son canton ou chez les voisins de sa agrafe.
commune. Chaque camarade lui donne L'homme avec le bonnet phrygien (*)
au moins une bête jeune, et en peu et une longue simarre noire à capu-
de temps il possède un troupeau d'une chon et à manches, qui était jadis en
certaine valeur, sans avoir contracté usage à Rome sous le nom de lacerna
d'autre obligation que celle de rendre cucullata, aujourd'hui appelée en sarde
le même service à ses voisins qui tom- le cabanna, est un habitant de la pro-
beraient dans le malheur. Il faut sou- vince d'Iglesias, dans le nord de l'île.
haiter que ce bon exemple d'une sage Les indigènes du cap Sassari por-
institution ne dégénère pas en abus. tent la cabanella, vêtement noir qui
L'habillement, tant des hommes que ne va qu'aux genoux et qu'on peut
des femmes, varie suivant les locali- considérer comme la chlamys romaine.
tés : dans les montagnes, il rappelle Ce vêtement, vil et grossier, est aussi
les anciens costumes des Carthaginois, porté par des propriétaires riches,
des Romains et des Espagnols ( voyez mais avec des formes plus élégantes,
planche 11). L'habit des cultivateurs, et surtout par les chasseurs, comme
et même des chasseurs, a conservé la on le voit dans la gravure (pl. 11 ).
forme du thorax des anciens : c'est L'homme placé (planche 11 ) plus
une espèce de soutanelle très-étroite, loin est vêtu d'un surtout à capuchon
sans manches, telle qu'on la voit dans pointu, tout à fait semblable à celui
l'idole en bronze représentant Sardus des marins génois : cette veste est nom-
Pater (*) (planche 3), et formant un mée par les Sardes capotta serenica
tablier double qui descend jusqu'aux ou salonica, nom qui dérive d'une
mode de Salonique. Cette capote est
(*) L'évèque Frédéric Munsters de Zec-
land croit que c'est un dieu kabire ; voyez (*) Ce bonnet est très-usité parmi les
sa dissertation, Sa.
38 L'UNIVERS.

très-utile dans les pays où l'atmos- armé, il a, dans sa ceinture, un grand


phère est sujette à de nombreuses couteau entre le sabre et le poignard ;
variations ; quoique faite de drap c'est dans cet attirail qu'il part pour la
grossier de couleur chocolat, on garnit chasse aux bêtes fauves, telles que cerfs,
cette capote avec luxe pour l'usage des daims, et autres. Cette partie de plai-
gens aisés, surtout dans la province du sir se fait, presque dans tous les vil-
Campidano, et aussi pour les cheva- lages, aux premiers jours de Pâques;
et on en offre le produit au prédica-
liers, les notaires et les bourgeois du
cap Cagliari. teur du carême dans chaque paroisse,
Les pêcheurs de l'étang de Cagliari comme un hommage de satisfaction.
et quelques marins portent un panta- Avant l'affranchissement de tout ser-
lon et une petite veste assez élégante, vice féodal, les vassaux étaient obligés,
et des souliers à grandes boucles d'ar- à certaines époques, d'aller à la chasse
gent, comme les paysans transteverins pour plaire à leurs seigneurs : cette
de Rome (planche 11 ). chasse se faisait à cheval; et, dans
Les bourgeois et une partie des agri- cette occasion, on admirait l'adresse
culteurs se rasent et réunissent en des Sardes, tant pour diriger leurs
tresses leurs longs cheveux; mais les chevaux au milieu des rochers et des
montagnards, et surtout les pâtres de broussailles, que pour affronter les
la Barbagia et de la Gallura, laissent dangers sur des terrains presque im-
ordinairement croître leur barbe et flot- praticables , où ils galopaient sans
ter leurs cheveux sur les épaules, en étriers.
signe de l'ancienne liberté, et ils font Un exercice très-usité parmi les
usage de bonnets coniques avec la campagnards , c'est la lutte à coups de
pointe recourbée et tombant en avant pied, tandis que les Anglais la pra-
ou sur le côté, quelque fois repliée dans la tiquent à coups de poing. L'historien
bande frontale (pl. 11) ; alors le bonnet Mamelli, en 1785, nous a donné la
prend la forme d'un cône tronqué. On description de cette lutte dans laquelle
y adapte aussi des rubans, qui se les deux combattants, chaussés de
lient sous le menton. Cette dernière gros souliers, s'appuient chacun sur
coiffure date de l'antiquité la plus re- les épaules de deux parrains, et, éle-
culée, conformément à ce qu'on voit vant leurs pieds par derrière, com-
sur l'idole de Sardus Pater et sur une mencent à lutter jusqu'à ce que l'un
médaille d'Espagne tracée dans le vo- des deux s'avoue vaincu, soit par la
lume 2e du savant Flores, Medallas de douleur, soit par les blessures.
las colonias d'Espana. Un divertissement plus agréable est
Dans les plaines exposées à l'ardeur le bal dit de la ronda : chaque homme
du soleil, les campagnards font usage tient sa danseuse, et forme une grande
de grands chapeaux de paille ou de feu- ronde avec beaucoup de grâce et d'adres-
tre, pour se préserver de l' intempérie se. Les personnes mariées ou les filles
des fièvres pernicieuses ; dans les vil- fiancées peuvent placer leurs mains
les, les employés portent l'épée avec paume contre paume, et entre lacer leurs
l'habit élégant, et ils attachent une doigts ; mais malheur au garçon qui
grande importance à leur ancien cos- en agirait ainsi avec une fille qu'il ne
tume du siècle dernier , époque où tous serait pas disposé à épouser, ou avec
les employés allaient à leurs bureaux et la femme d'un autre; il serait certain
en société avec le chapeau sous le bras d'attirer sur lui une vendetta.
et l'épée au côté, signe distinctif des Les auteurs sardes prétendent que
hommes de qualité. le ballo tondo leur vient des Grecs :
La chasse constitue l'exercice favori dans cette danse difficile, il faut for-
des Sardes, qui manient leurs petits mer le pas et effectuer certains mou-
fusils avec une adresse toute particu- vements du corps et des bras en ca-
lière. dence avec la musique.
Lorsqu'un Sarde est complètement Avant de parler de la noce sarde, il
SARDAIGNE. 39
faut dire quelques mots du compérage une salle où se trouve toute la famille
à la Saint-Jean d'été. Deux personnes en habit de parure : cet ensemble forme
de sexe différent, par une convention un fort beau coup d'oeil.
faite deux mois d'avance, se choisis- Les femmes sardes sont, en géné-
sent pour compère et commère de la ral, plus richement habillées que les
Saint-Jean : au jour de la fête, les hommes, et leurs costumes varient-
deux compagnons vont à une petite suivant chaque province. Celles du
église, suivis d'un nombreux cortège; cap méridional portent un jupon et un
en arrivant, la commère dépose contre tablier de velours cramoisi, ou vert,
la porte un vase de bois, dans lequel ou bleu, ou en drap écarlate très-fin ; le
elle a semé, à la fin du mois de mai, corset et les garnitures du tablier et
une grande pincée de froment, lequel du bas du jupon sont en satin broché
a déjà produit une belle touffe d'her- d'or et d'argent; de plus, elles dé-
bes. Cette offrande est faite au Pré- corent leur cou d'un riche collier en
curseur du Sauveur ; alors tout le cor- or qui tombe sur la gorge, et leurs
tége mange, en pleine campagne, une doigts sont chargés de différentes ba-
grande omelette aux herbes ; les danses gues en or et en pierreries (pl. 12). Les
finissent par un rondeau où l'on chante : femmes du cap Nord se distinguent
Vivent les compère et commère de par leur corset à manches fendues et
Saint-Jean; ces liens d'amitié, qui par un linge blanc qu'elles portent sur
unissent les deux familles, durent toute la tête, et qu'elles couvrent d'un voile
l'année sans la moindre mésintelli- rouge les jours de fête et de noce.
gence. Avant le mariage, l'époux doit faire
Les demandes en mariage se font par blanchir sa maison ; la fiancée doit en
l'entremise directe des parents, et le fournir tout le mobilier; il constitue
père, ou le tuteur du garçon, se rend sa dot, que l'époux va ensuite chercher
dans la maison de la demoiselle pour lui-même avec une quantité de chariots
annoncer l'intention du fils, et s'expri- précédés de musiciens et d'un cortége
mant en style oriental : Je viens, dit-il, de garçons et de filles, parés de leurs plus
chercher une génisse blanche et d'une beaux habits , chargés de rapporter les
beauté parfaite que vous possédez, et objets fragiles, tels que miroirs, ta-
qui pourrait faire la gloire de mon bleaux (qui représentent les saints dont
troupeau et la consolation de mes les époux reçurent le nom), verres et
vieux ans. Les parents de la demoi- porcelaines. Les filles portent sur leur
selle répondent dans le même style tête les oreillers garnis de rubans
figuré ; ils feignent d'abord de ne roses et de fleurs avec des feuilles de
pas comprendre; enfin ils amènent" myrte; la cruche en cuivre, dont la
par force la fille désirée ; l'orateur mariée doit se servir, est confiée à la
alors frappe des mains, et s'écrie : plus jolie fille. L'époux donne un reçu
C'est celle que je souhaite ; on règle du trousseau et monte à cheval devant
aussitôt les affaires d'intérêt et l'é- les chariots qui transportent le lit com-
change des cadeaux : à un jour fixé plet, les chaises, les meubles, le linge,
d'avance, le père de l'époux part de sa la batterie de cuisine, et les autres us-
maison, avec un cortége de parents et tensiles de ménage, notamment des
d'amis, pour apporter en grande pompe quenouilles avec leurs fuseaux, dont
les cadeaux destinés à l'épouse ; on une est garnie de chanvre ou de lin,
laisse frapper plusieurs fois à la porte ; pour indiquer à la femme qu'elle doit
enfin le père demande à haute voix, de travailler pour sa famille. Enfin, on
l'intérieur, ce qu'on lui veut et ce qu'on donne à l'épouse une provision de blé,
apporte; le cortége répond à haute avec la meule et tout ce qu'exige la
voix : ondras et virtudis, nous appor- panification : cette marche est fermée
tons honneur et vertu ; alors les portes par l'âne patient, qui doit servir à
s'ouvrent, le maître accueille avec moudre le grain ; il est aussi orné de
cordialité, et conduit le cortége dans rubans et sert à égayer les spectateurs.
40 L'UNIVERS.
la
Les bans ayant été publiés trois fois nuptiale. Dans quelques villages,
à l'église, lorsque le jour du mariage belle-mère reçoit l'épouse avec un
est arrivé, l'époux, accompagné d'un verre d'eau qu'elle répand dans la
ecclésiastique du village et de ses pa- chambre; car, de même que l'eau fé-
rents , va chercher sa fiancée : celle-ci, conde la terre, ainsi sa belle-fille doit
avant de quitter la maison paternelle, féconder et propager sa famille.
se met à genoux et demande à sa mère Dans quelques provinces où l'on
sa bénédiction ; la mère la fait relever, observe l'ancienne étiquette dans toute
la consigne au prêtre venu avec l'é- sa sévérité, l'épouse reçoit les visites
de noces sans parler pendant toute la
poux , et l'on se rend à l'église au son
des Cloches, en deux troupes séparées. réception ; le soir, on donne un bal ter-
Après la messe, on revient à la maison miné par un souper, dans lequel les
de la nouvelle mariée, où le déjeuner mariés renouvellent l'exemple de leur
est servi ; les mariés, assis à côté l'un bon accord, en mangeant dans le même
de l'autre, doivent, conformément aux plat avec une seule cuiller. Cette céré-
anciens usages, manger ensemble , se monie recommence à tous les événe-
servir de la même écuelle et de la ments heureux de la vie, la' naissance
même cuiller. d'un garçon, la cinquantaine du ma-
A un signal donné, on arrache l'é- riage et autres circonstances sembla-
pouse des bras de ses parents pour bles.
l'asseoir sur un cheval richement har- On dit que les Sardes sont jaloux;
naché , et la porter en pompe au logis cependant leurs femmes sont, en gé-
marital (pl. 12). Elle est parée d'une néral, très-fidèles, et il est rare qu'on
robe d'écarlate brodée à fleurs, avec voie convoler en secondes noces, même
un tablier blanc et une jupe verte, la ces belles villageoises de Calabras, qui,
tête couverte d'un chapeau noir garni suivant M. Valery, homme de bon
de rubans et de plumes, avec un voile goût, ne le cèdent en rien aux Frasca-
blanc ; elle porte des souliers de velours tanes; car par leur teint blanc, par
noir garnis de boucles d'argent : à leurs yeux azurés et par leur taille dé-
son cou se déploie un riche collier de liée, elles, peuvent rivaliser, dit-il,
perles et de corail qui laisse pendre avec les Géorgiennes.
une magnifique croix d'or. Ainsi vêtue, Lorsque la tombe vient renfermer
l'épouse est placée sur la selle de son toutes ces beautés, les cérémonies fu-
cheval à la manière anglaise, sans tenir nèbres commencent conformément à
les rênes; le mari lui donne la main des coutumes qui remontent à la plus
droite, et de l'autre côté est un pale- haute antiquité. C'est à Tempio que
frenier qui conduit son cheval par la l'usage des pleureuses s'est maintenu
bride. Le cortége est souvent suivi jusqu'à présent : ces femmes, parentes
par une cavalcade nombreuse précédée ou salariées, sont vêtues de noir
de joueurs de flûte et autres instru- comme des religieuses, et, tenant à la
ments; des jeunes gens s'amusent à main un mouchoir blanc, elles entrent
tirer des coups de pistolet en signe de dans la chambre où le corps est placé,
oie. La mère de l'époux reçoit sa belle- le visage découvert et la tête tournée
fille à la porte de la maison', et lui offre vers la porte; là, elles poussent un cri
sur un plat, du blé et du sel,en témoi- de surprise, elles pleurent, elles me-
gnage de l'hospitalité qu'on lui accorde, nacent le ciel, et lui reprochent d'avoir
d'après les anciens usages. En descen- enlevé une personne si bonne, si bien-
dant de cheval, l'épouse baise la main faisante et si utile à sa famille. Aux
de ses nouveaux parents en funérailles d'un homme tué par son
signe de
soumission ; ensuite elle est introduite ennemi, on pousse des hurlements
dans sa domu et lettu (*), la chambre
affreux; ce n'est plus alors, un son lu-
C'est-à-dire dans la chambre gubre qui fait couler les larmes, ce
(*) nuptiale,
mot d'origine latine et sont des cris de rage et de désespoir,
d'après l'usage des
anciens Romains. ce sont des sentiments de haine et de
SARDAIGNE.

vengeance dont la famille du mort est § XI.


agitée contre l'assassin. Dès lors, De la pêche du thon et du corail.
comme en Corse, les parents laissent
croître la barbe jusqu'à ce que cette Dans l'état primitif, l'homme ob-
vengeance soit accomplie, conformé- serva l'industrie et l'adresse des ani-
ment au quatrième livre de Moïse, maux, et parvint bientôt, par sa
chap. XXXV, art. 17, où il est dit : propre intelligence, à triompher de
Le parent du mort tuera l'homicide tous les obstacles que lui opposaient
aussitôt qu'il l'aura pris, doctrine des la force des uns, l'agilité des autres; il
juifs envoyés par Tibère dans l'île, mais alla chercher les poissons même dans
que les nouvelles lois divine et civile leur propre élément.
ont répudiée, et que l'éducation pu- Afin d'arriver sans danger à leur
blique doit faire disparaître. but, les pêcheurs inventèrent les ap-
Dans plusieurs cantons, la veuve pâts à la ligne, les filets, et une mul-
de l'homme tué par son ennemi se pare titude d'instruments ingénieux, qui,
de ses plus beaux habits, laisse tomber suivant les localités, furent mis en
sa chevelure sur les épaules, et, ac- usage pour surprendre les poissons et
compagnée des plus proches parents, les tirer de leur profonde retraite; dès
elle va chez le juge du canton en de- lors la pêche devint un art rival de
mander vengeance; ensuite on la re- l'agriculture, par le profit et les ali-
conduit à la maison, où elle prend le ments qu'elle donne.
deuil pour toute sa vie. La couleur du Parmi les différentes pêches inven-
deuil est le noir; les règles sont stric- tées jusqu'ici, la plus surprenante et la
tement observées, et les veuves, dans plus lucrative est, sans contredit,' la
plusieurs pays, s'enveloppent la tête pêche des thons, qui se fait au moyen
d'un drap jaune qui leur cache les trois de madragues (pl. n° 13) construites
quarts du visage. Dans le village de avec des câbles et des filets. Elle dé-
Bonorva, nonobstant la défense de l'É- montre jusqu'où peut aller l'industrie
glise, l'épouse inconsolable se frappe, de l'homme.
se déchire, se fait des contusions, des Tandis que, par insouciance, les
plaies qui l'obligent à garder le lit pen- Sardes laissent aux pêcheurs étran-
dant plusieurs jours. gers le profit de la pêche des poissons
On a prétendu que les Sardes, dans ordinaires, ils donnent tous leurs
les anciens temps, avaient la coutume soins à la pêche du thon (scamber
de tuer leurs vieillards; mais la faus- thynnus Linnei ), pêche non moins im-
seté de cette assertion, dit le chevalier portante qu'agréable et qui se fait dans
Ferrero, a été déjà démontrée par plu- une délicieuse saison.
sieurs écrivains; cependant il ajoute Cette pêche qui s'ouvrait, du temps
qu'il ne peut pas laisser ignorer que, du P. Cetti, à la fin d'avril, au-
dans quelques cantons de l'île, des jourd'hui ne peut avoir lieu qu'en mai ;
femmes étaient spécialement chargées elle remonte aux temps les plus an-
de hâter la fin des moribonds : on leur ciens. La chair délicate de ce poisson
donnait le nom de Accabadures. Cet était autrefois si renommée, que plu-
horrible emploi a heureusement dis- sieurs pays, tels que l'Espagne, l'Italie
paru de nos jours. et Byzance, firent graver sur leurs
Nous avons cherché à rassembler monnaies l'image du thon. Les Grecs
plus de détails sur cette dernière cou- le consacrèrent à Diane. Il était de ri-
tume; mais il ne nous a pas été pos- gueur, à Carthage, de faire manger du
sible de recueillir des faits qui appuient thon aux époux avant leur union, sans
la mauvaise opinion qu'on pourrait doute à cause de sa vertu prolifique, et
avoir des anciens Sardes à cet égard. Galien cite comme le meilleur le thon
salé de Sardaigne. L'empereur Cara-
calla récompensa d'un écu d'or chaque
vers d'Oppien sur la pêche du thon.
42 L'UNIVERS.

Aujourd'hui, déchu de ses honneurs di- avaient anciennement établi des madra-
vins , sans avoir rien perdu de ses droits gues avec succès, mais elles dépérirent
terre de 1755,
à la reconnaissance des gourmands, le après le tremblement de
thon enrichit la Sardaigne autant que qui renversa la ville de Lisbonne.
son agriculture. Nous ignorons quelle a Comme les thons marchent toujours à
été industrie de la pêche dans le moyen une profondeur de cent pieds dans lés
âge, mais elle fut reprise avec acti- mers, ce tremblement de terre par lequel
vité, au dix-septième siècle, par Pierre fut refoulée, de l'Afrique contre l'Euro-
Porta, marchand qui mérita, en 1603, pe, une immense quantité de sable et
d'être nommé baron de Teulada. Le d'autres matières qui élevèrent considé-
thon a une forte puissance de natation ; rablement le fond des mers d'Espagne,
elle lui permet de suivre sans fatigue, fit prendre aux thons une autre direc-
à de grandes distances, les vaisseaux, tion. Dès lors, ils se portèrent vers la
pour manger et dévorer les matières Sardaigne, en sortant du détroit de Gi-
animales qui sont jetées par le matelot braltar, où les Anglais exploitent à
et dont ce poisson est très-friand. On présent avec avantage cette branche
un
a remarqué à Dieppe, en juin 1838, d'industrie.
thon qui avait dix pieds de long et On assure qu'autrefois on péchait
pesait onze cents livres. Il en est peu jusqu'à cinquante mille thons, dont
de pareille dimension. plusieurs pesaient de trois cents jus-
Quelle que soit la cause de l'entrée qu'à douze cents livres ; mais ce nombre
annuelle d'une quantité prodigieuse de est aujourd'hui réduit de beaucoup. Les
thons dans la Méditerranée, il est hors naturalistes ont reconnu cette diminu-
de doute, selon les observations des tion, et l'attribuent à la variation des
marins, qu'après avoir franchi le dé- vents, ainsi qu'à la chasse que leur li-
troit de Gibraltar, pour trouver sur les vrent les grands chiens de mer; mais
côtes d'Europe, d'Asie et d'Afrique, ces causes ne seraient qu'accidentelles,
des aliments plus abondants, et une et peuvent être susceptibles de chan-
température plus propre aux dépôts de gement.
leurs oeufs fécondés par les mâles, les La pêche du thon en Sardaigne
thons se divisent en deux bandes, dont commence au mois de mai, comme
l'une se dirige à droite, vers l'Afrique, nous l'avons dit; c'est alors que les
tandis que l'autre se porte à gauche, côtes où sont établies les madragues
vers les côtes de l'Europe; elles suivent deviennent des endroits fréquentés, de
là même direction jusqu'à la pointe de véritables marchés. De toutes parts,
Byzance, que Pline nomma la corne arrivent des bâtiments chargés de som-
d'or, endroit où Aristote dit que se mes d'argent pour l'achat du thon salé.
faisaient de grandes pêches de thon. Les Sardes, curieux dejouir des plaisirs
A l'automne, ils se répandent dans la de la pêche, accourent en foule de l'in-
mer Noire et dans la mer d'Azof. térieur de l'île, et ils sont reçus avec
Les deux bandes de thons voyageurs générosité par les propriétaires de la
tombent dans les madragues des sa-
pêche (*), qui non-seulement offrent
lines de Sassari, et d'autres positions aux visiteurs une table très-splendide-
au nord de la Sardaigne, notamment ment servie, mais, en outre, au mo-
dans le détroit de l'île Asinara, l'an- ment du départ, font à chacun d'eux le
cienne Herculis Insula, qui a trente cadeau d'une quantité de poisson pro-
milles de circonférence, ou bien dans
les madragues du midi, à Porto Paglia,
et particulièrement à l'île de Saint-Pier- (*) Aux beaux jours de la madrague de
l'île de Piana, lorsqu'elle était exploitée
re, qui a une population de trois mille directement par le marquis Pez de Villama-
habitants, et dont le port est très-
rina, notre ami et collègue au doctorat en
fréquenté à l'occasion de la pêche du 1792 à l'université de Turin, il régnait dans
thon. sa maison une sorte de magnificence et de
Les Espagnols et les Portugais prodigalité.
SARDAIGNE. 43

portionnée à la qualité de la personne, pas tout à fait d'accord avec Duhamel


ne fût-ce qu'un paysan. Le chef des sur la figure de la madrague ; mais ce
pêcheurs a la direction suprême de la savant n'a vu que celle de Bandola en
pêche et une autorité absolue sur tous Provence, et non celles dela Sardaigne,
les journaliers; c'est à lui de disposer, où se fait la plus grande pêche de thons :
d'ordonner, de juger et même de châ- c'est surtout dans cette île que l'indus-
tier, sans que personne puisse se plain- trie de l'homme se signale.
dre, ni murmurer de son immense pou- Le lendemain de cette première opé-
voir; aussi choisit-on toujours pour ce ration, on plonge le filet, c'est ce qu'on
poste important l'homme le plus habile appelle mettere la rete a bagno, autre
et le plus probe, car c'est de lui et de opération qui s'exécute à l'aide de plu-
son intelligence que dépend l'heureuse sieurs bateaux destinés à cet objet, et
issue de la pêche. avec beaucoup de solennité.
Tout le mois d'avril est employé En examinant le plan et le profil de
pour les préparatifs nécessaires à la la planche n° 13, on verra la forme et
formation et au rassemblement des la grandeur du filet, qu'on peut regar-
filets qu'on doit jeter à la mer. Au der comme un édifice très-hardi planté
troisième jour de mai, le travail de- au milieu de la mer. Les dispositions
vient plus pressant : c'est en effet dans de filets pour la pêche du hareng et de
ce jour qu'on doit tracer la madrague la merluche, mises en comparaison,
(voy. planche 13); ce que les Sardes ne sont, pour ainsi dire, que des jeux
appellent incrocciare la tonara. Cette d'enfants.
cérémonie se fait en présence du chef L'endroit de la mer où l'on jette le
des pêcheurs, qui l'exécute avec le plus filet a pour le moins cent pieds de
grand appareil, car elle consiste à tracer profondeur, car le thon ne vient ja-
sur la mer l'endroit où il doit placer le mais à la surface de l'eau; et, pour
filet: ainsi,de même que l'architecte, l'attraper, il faut que le filet touche le
au moyen de pieux et de cordes, désigne fond de la mer, et qu'il se replie sur
à terre le plan sur lequel il doit éle- lui. Toute l'enceinte de ce grand filet,
ver son édifice, de même le chef des qu'on appelle isola, est divisée en dif-
pêcheurs trace sur l'eau sa madrague férentes chambres faites en jonc de
par le moyen de deux cordes qu'on ap- mer, excepté la chambre de mort, n° 1,
pelle intiiole, cordes qu'il arrête en laquelle est formée par un filet de
lignes parallèles, et qui représentent chanvre à mailles solides et étroites ;
les deux côtés du grand parallélipipède car, en la tirant du fond de la mer,
du filet. La' madrague est une grande elle doit soutenir tout le poids des pois-
pêcherie qu'on établit principalement sons qui s'y trouvent renfermés ; elle
a l'île d'Asinara et à celle de Piana, est bordée à la tête et aux pieds par de
aux salines près de Porto Torres (*), et grosses et doubles cordes. Il y a, en
autres points de la Sardaigne. Ou peut outre, une chasse appelée Queue, n° 8,
regarder la madrague comme un grand et Codarde, n° 9, laquelle est formée
parc établi en pleine eau , dans le- d'un même filet qui se déploie de la ma-
quel le poisson est conduit par une drague jusqu'à terre, et qui a environ
chasse ou une cloison de filets qui s'é- douze cents pieds de longueur. Il sert à
tend jusqu'à la côte. Nous ne sommes conduire les thons qui passent entre la
côte et la madrague, et à les faire en-
trer dans la chambre n° 5, comme
(*) Les hommes des madragues de Porto Duhamel l'explique dans son ouvrage
Torres et de Porto Scuso', propriétés du
sur les arts et métiers.
marquis Pasqua, viennent de la rivière de
Gènes avec leur directeur ; ils sont logés, nour- Tous les filets qui forment la ma-
ris; pour trois mois on leur donne 80 fr. drague sont assujettis au fond de l'eau
en argent, solde modique, si l'on considère par un poids énorme de lest de pierres,
et tenus verticalement au
les fatigues et même les périls auxquels ils moyen de
sont exposés. plusieurs nattes deliége d'un pied carré.
44 L'UNIVERS.

Les parois sont affermies par un grand Tout en la tirant, les ouvriers reçoi-
nombre de cordes fixées d'un bout vent les filets dans des bateaux jusqu'à
sur la corde qui borde la tête des filets, ce que le poisson se trouve enfin presque
et de l'autre amarrées à une ancre à la surface de l'eau. C'est alors que les
mouillée au fond de la mer. hommes embarqués sur les deux grands
Tout ce grand établissement, retenu bateaux du chef, et le palischelmo, ar-
seulement par des câbles qui répondent més de bâtons avec des crocs ferrés,
à des ancres, est assez solide pour ré- commencent à tuer les thons, qui, de
sister à l'impétuosité des vents, aux leurs larges queues, frappent l'eau, et
courants de la mer et aux efforts des la font jaillir à quinze pieds de hauteur.
gros poissons qu'il renferme. Ils les harponnent sur leurs bateaux, et
Duhamel n'a donné que cinq cham- ensanglantent-la mer agitée par les ef-
bres à ses madragues, tandis que celles forts de ces gros poissons qui résistent
de la Sardaigne en ont sept comme au combat, au milieu des acclama-
celles de Tunis. Voyez pl. 13. tions et des cris de joie des spectateurs
Les thons commencent par entrer qui se réjouissent devant un des plus
dans la grande chambre n° 5, dont la grands spectacles qu'offre l'industrie
porte leur est toujours ouverte; de là humaine. Les cris des pêcheurs, leur
le poisson passe dans les autres cham- adresse, leur activité, les bonds terri-
bres du levant, n°s 6 et 7, et du cou- bles que font les thons pour s'élancer
chant, n°s 3 et 4, que l'on ferme lors- hors du filet, et qui vont quelquefois
que la quantité des thons est abondante. tomber vivants dans les bateaux, ren-
Quand le chef de la pêche juge qu'un dent cette scène très-animée pour les
nombre suffisant de poissons est entré, acteurs et les spectateurs. Duhamel
alors il fait ouvrir la dernière chambre prétend que les thons, lorsqu'ils sont
qu'on appelle ponente, n° 2 , ou cham- effarouchés par les pêcheurs ou par les
bre du couchant, dans laquelle il fait requins, se plongent au fond de l'algue,
passer les thons destinés pour la cham- y mettent leur tête, et ne remontent
bre de la boucherie ou de lamort(Duha- que le jour suivant.
mel, Traité des pêches). Le lendemain La mattance ainsi accomplie, plu-
de cette opération , si le temps est fa- sieurs bateaux remorquent les deux-
vorable et si la mer est calme, le chef grandes barques jusqu'au lieu de la
se porte sur la madrague avant l'aube; boucherie de terre, située au bord de la
et, pour déterminer les thons à entrer mer, sous de grandes halles. C'est là
dans cette chambre de mort, n° 1, qu'on commence par couper la tête au
dont la porte s'ouvre à son ordre, il poisson, ensuite un seul portefaix se
jette parmi eux une pierre enveloppée charge du thon le plus énorme, qu'il
d'une peau de mouton noire : les thons porte au magasin, où il est suspendu
s'effrayent, et, cherchant une issue, par la queue (*). C'est là aussi qu'on
entrent dans la chambre fatale. Si coupe les thons en morceaux pour pré-
ce moyen ne suffit pas, le chef se sert parer ce que nous appelons du thon
alors d'un filet nommé lagarre, qui, en mariné, qui reçoit différentes salai-
rétrécissant la chambre du couchant, sons : une partie est apprêtée à l'huile,
n° 2, presse les thons les uns contre l'autre au sel pur, la troisième au vi-
autres, et les force d'entrer dans la naigre. Les oeufs sont salés à part; on
boucherie. Alors, le chef de la pêche jette les têtes et les os dans de gran-
arbore le pavillon blanc, et invite les des chaudières pour en extraire l'huile
propriétaires et les ouvriers à venir de thon; enfin, pour que rien ne soit
exécuter la grande opération de bou- perdu, les mêmes os secs sont encore
cherie, appelée la maltance en Italie. jetés sous la chaudière pour alimenter
Pour l'exécuter, on commence par ti- le feu.
rer du fond de la mer la chambre de Le produit annuel de la pêche du
mort, n° 1, qui, à cause de son grand
poids, ne s'élève que très-lentement. (*) Voyez pl. 13.
SARDAIGNE.
thon en Sardaigne est d'environ trente- afin qu'elle s'accroche sous les avances
deux mille poissons : les madragues des rochers' : le chanvre s'entortille
des salines de Sassari et de Porto-Sueto alors autour des branches du corail
de l'île Piana sont les plus lucratives. qu'il rencontre fixé sur les rochers; à
Le chanoine Raymond Valle voulant l'aide des cordes, on tire ensuite les'
obtenir l'agrégation au collége des chevrons, et on arrache les branches du
lettres et arts à l'université de Ca- corail qui restent attachées à la filasse,
gliari, la description de la pêche du d'où elles tombent dans la bourse, ou
thon lui fut assignée pour sujet de dans la mer lorsqu'elles sont trop
poëme. Nous regrettons de ne pas grosses. Des plongeurs vont aussitôt les
donner ici cette composition, qui con- y chercher (*).
tient une description exacte et élégante Le naturaliste Fratielli rapporte
de ce genre de pêche. dans un mémoire que le corail croît en
peu d'années, et qu'il se gâte, se pique
Pêche du corail. en vieillissant.
Il y a plusieurs qualités de corail : le
Il n'y a point de production mari- plus estimé est gros, d'un rouge de
time sur laquelle les naturalistes an- sang; celui de la seconde qualité n'est
ciens et modernes aient autant écrit pas bien gros, mais il est entier et
que sur le corail. La structure et d'une belle couleur ; quant au corail de
la forme de cette substance, qui res- la troisième qualité, c'est celui qui est
semble à un arbrisseau dépouillé de ses tombé de sa tige et qui a blanchi.
feuilles, ce tronc d'où partent les bran-
ches latérales, cette espèce d'écorce § XII.
qui le recouvre, tout enfin concourait
à nous induire en erreur et à le faire Des animaux indigènes les plus rares
de l'île sarde. — Du mouflon mâle
prendre pour un végétal. et femelle.
Bernard de Jussieu a enlevé au co-
rail le nom de plante maritime pour Pline le naturaliste nous dit que le
lui substituer celui de polypier.
mouflon, ovis aries fera, ne se rencon-
La pêche du corail en Sardaigne tre que dans la Sardaigne; mais Buffon
commence à la fin d'avril ou en mai, dont parlent les
et finit en septembre. La plus grande ajoute que l'ophion
anciens Grecs, et qui est cité par Pline,
abondance de cette production ani- n'est autre chose que l'ovis ammon de
male se trouve dans les mers de Cas-
Linnée, le mouflon d'aujourd'hui, eu
tel Sardo, d'Alghero, de Bosa, et des
égard autant aux caractères distinctifs
îles de Saint-Pierre et Sant' Antioco. de cet animal, qui ont pu être confon-
C'est cependant près de l'île Asinara dus par les anciens avec ceux du cerf,
que se trouve le meilleur corail de la qu'à la ressemblance du nom donné à
Méditerranée. ces animaux.
Pour pêcher le corail, on attache Le mouflon que la Sardaigne possède
deux chevrons en croix; on les appe-
santit avec un gros morceau de plomb
(*)En 1828, cent quatre-vingt-dix ba-
pour les faire plonger au fond de l'eau ; teaux de différentes nations sont entrés dans
des ouvriers tortillent négligemment
du chanvre de la grosseur d'un pouce, le port d'Alghero, et le corail exporté s'est
élevé à plus de deux cent cinquante mille
dont ils entourent les chevrons, qui ont francs. La pêche du corail remonte au delà
aussi à chaque bout un petit filet en de l'année 1372, dans laquelle don Pierre
forme de bourse; puis ils attachent ce d'Aragon affranchit tous les habitants des
bois à deux cordes dont l'une tient à droits, afin d'accroître l'importance de celle
la proue, et l'autre à la poupe de leur branche d'industrie. Le corail algherois est
bateau. Ils plongent ensuite cette ma- abondant et le meilleur de toute la Méditer-
chine dans la mer, et la laissent aller ranée. Il égale aussi en beauté celui de l'île
à tâtons au courant et au fond de l'eau, de l'Asinara.
46 L'UNIVERS.

fut assimilé par Pausanias à ces béliers rhomboïdales. Ses oreilles et ses yeux
qu'on voit, dit-il, figurés sur les ou- sont petits; ses deux premières pattes
vrages en terre de fabrique Éginète; sont fort rapprochées de la tête, tandis
il habite particulièrement les monta- que les deux autres sont placées près
des hanches, ou au commencement de
gnes dela Nora, d'Iglesias, de Benlada,
de Patada, de l'Oliastra et de Lerrono. la queue, qui est blanchâtre et très-
Sa forme extérieure (pl. n° 15) s'ac- pointue. Son ventre est d'un blanc
corde parfaitement avec celle du cerf, clair; ses narines sont placées à l'ex-
auquel d'ailleurs il ressemble, par son trémité du museau.
poil et sa vivacité, quoiqu'il soit un peu Le peuple attribue à ce lézard une
plus sauvage, car il habite les endroits puissance venimeuse; mais il n'y a pas
les plus solitaires et les plus escarpés d'exemple d'accident causé par cet
des montagnes. Pausanias dit qu'il sur- animal, comme l'atteste le savant Thun-
passe en vitesse tous les animaux sau- berg. Une des particularités les plus
vages. remarquables de l'île, et dont elle est
La taille du plus gros des mouflons peut-être le seul exemple, c'est l'ab-
approche de celle du daim ; il a les sence de tout animal venimeux et de
cornes au-dessus des yeux, comme le bêtes féroces depuis les temps les plus
bélier, et il porte aussi les oreilles ex- anciens. Pausanias et Silvius Ita-
trêmement droites. Il est très-léger à licus ont fait la même observation.
la course, mais se fatigue prompte- On remarque aussi que les chiens,-
ment lorsqu'on le. poursuit eu plaine. malgré la grande chaleur et la séche-
Les mouflons marchent ordinairement resse du climat, n'y sont pas sujets à
par troupe de cent, dont le plus vieux la rage. Dans un pays brûlant, et où
est le conducteur. Ils s'apprivoisent fa- Jes chiens sont aussi multipliés, il
cilement et s'attachent à l'homme et n'y a pas eu, de mémoire d'homme,
aux chevaux, comme le mouton. d'accident de cette maladie. On attri-
Buffon, très-attentif à simplifier la bue cette faveur à l'absence des loups ;
création et à écarter cette multiplicité car, en général, ce sont eux qui com-
d'êtres introduite dans l'histoire, con- muniquent la rage aux chiens. 4.
seille avec raison aux naturalistes de
faire leurs efforts pour trouver dans Le tiligugu {pi. 16, ii° 2).
tous les genres l'espèce primitive et Il a fallu conserver le nom de tili-
mère; et en parlant du mouflon, il dit gugu sous lequel est connu ce lézard,
qu'il le croit un bélier sauvage. parce que Linnée ne paraît pas l'avoir
La femelle du mouflon est un peu exactement décrit parmi les quarante-
plus petite que le mâle; elle n'a point quatre différentes espèces dont il a
de cornes, ce qui fait une grande dif-
composé ses quatre classes de lézards.
férence (pl. n° 15) : elle est plus douce T_,acépède, en parlant du mobonge
et plus apprivoisée. des Antilles, prétend que ce lézard
Du seps. est tout à fait le même que le tiligugu
de Sardaigne, décrit par le natura-
Le seps est une espèce de lézard long liste Cetti ; mais en les comparant l'un
comme un serpent, dont les pattes avec l'autre, ils paraissent assez diffé-
sont presque invisibles. Les natura- rents : en effet, la tête du tiligugu est
listes l'appellent lucerta chalcidia, avancée, contiguë au corps, un peu
parce qu'il porte sur le dos des lignes courte et aplatie des côtés; la mâ-
couleur d'airain (pl. 16, n° 3). choire supérieure est égale à l'infé-
Cet animal, qui forme l'anneau entre rieure ; les narines sont ovales et am-
les quadrupèdes et les reptiles, dit La-
ples, la langue en forme de coeur, les
cépède, est assez fréquent en Sardai- dents courtes et égales, les yeux placés
gne; il a douze pouces et plus de lon- à la base de la tête, proche du bord;
gueur, et quinze lignes de circonférence les oreilles larges, posées aux angles
au dos, qui est recouvert d'écaillés des mâchoires. Le corps est un ovale
SARDAIGNE. 47

oblong, à l'exception du dos qui est sarde une seule espèce de plante dont
angulaire; la queue ronde et pointue; le venin soit mortel; elle ressemble à
les pattes de devant sont très-peu éloi- Vache, et ceux qui en mangent meu-
gnées de la tête, et couvertes d'écaillés rent, à ce qu'on dit, en riant. Cest
comme le reste de l'animal. pour cela qu' Homère, et ceux qui l'ont
Ce reptile grimpe sur les arbres et suivi, donnent le nom de rire sardo-
sur les maisons; il fait du bruit au nique à ceux qui en sont atteints.
changement de temps, de même que Dioscoride a laissé une description
la grenouille, car il est très-sensible à inexacte de cette plante, qu'Apulée
l'humidité et à la sécheresse. Il n'est appelle l'herbe scélérate, Linnée ra-
pas dangereux, mais, lorsqu'on l'ir- nunculus bulbosus, et les professeurs
rite, il se jette avec hardiesse sur celui de Turin, Alione et Moris, ranunculus
qui le provoque. peucedanifoliae, plante aquatique et
Du vautour barbu (pl. 16). propre à la Sardaigne centrale.
M. de Candolle pense que la plante
Les vautours connus en Sardaigne désignée par Pausanias est le ranun-
sont de quatre espèces, savoir : le culus sardous ou philonotis.
griffon, le vautour blanc, le noir, et Quant au rire sardonique, dont Ci-
le vautour barbu, ainsi nommé par céron parle dans la lettre XXV, liv. 7,
Linnée, à cause d'une longue barbe de à Fabius Gallus, il n'est pas naturel
crin qui lui pend de la mandibule in- aux. Sardes, qui sont d'un caractère
férieure (pl. 16, n° I.). franc et constant. Le rire sardonique
Ce vautour, le gypoetes barbatus est plus propre aux moeurs des nations
de Cuvier, long de quatre pieds et civilisées, qui, à la sincérité du coeur,
dix pouces depuis la tête jusqu'à la ont substitué la politesse et une grâce
queue, est de tous celui qui a le plus d'affectation.
de rapport avec les aigles, car il est La végétation de la Sardaigne est
entièrement couvert de plumes ; son prodigieuse. Nous avons déjà signalé
port est noble et fier : il diffère cepen- la fertilité du sol à l'égard du blé, le
dant de l'aigle par sa taille, par la trique, mot sarde corrompu du latin
forme de son bec, par ses yeux sail- triticum, lorsque la plante n'est pas
lants , par le creux qu'il porte au bas attaquée par des brouillards, qui di-
de l'oesophage, bien plus encore par minuent la graine, ni par les saute-
son organisation intérieure, et enfin relles, transportées dans l'île par des
par ses habitudes. vents d'Afrique, ce qui arriva en 1825,
Buffon ne croyait pas que le vautour année pour les Sardes d'une grande
barbu se trouvât aussi en Sardaigne (*), calamité.
comme l'expérience nous l'atteste. Le maïs, ou blé de Turquie, est cul-
tivé dans les plaines d'Oristano et au-
§ XIII. tres cantons a l'abri de la sécheresse.
De la végétation de l'île sarde. Ce sont les Sarrasins (*) qui apportè-
rent de l'Orient cette plante fertile.
La végétation du nord de l'île de Les fèves, dont les paysans font une
Sardaigne peut se comparer à celle de consommation notable pour leur fa-
la Corse, et la végétation du cap mé- mille et pour la nourriture des ani-
ridional à celle de l'Afrique; celle du maux de charge, sont semées en no-
centre à celle de la Provence. Il est à vembre au cap Cagliari, plutôt qu'au
remarquer ce que Pausanias nous dit à printemps, car les vents secs en em-
l'égard des végétaux : Il y a dans l'île pêchent la culture. Au cap Sassari, qui
est plus humide, on les sème en mai,
(*) Nous avons, en 1797, offert à notre
Académie dessciencesde Turin, un tableau comme en Lombardie.
contenant le vautour barbu en relief, par (*) Voyez De la culture du maïs et de son
nous préparé d'après la méthode du natu- utilité pour l'économie animale, par le che-
raliste professeur Giorna, valier de Grégory. 1829, Paris.
48 L'UNIVERS,

La vigne donne aux Sardes les vins tous les pays afflueront encore plus
dans la Méditerranée. Lès Génois, qui
précieux appelés le muscat blanc ou
naturellement de priviléges
malvasia, meilleur que celui d'Asti, le jouiront
canonao rouge et noir, la vernaccia en Sardaigne, puisqu'ils sont sous la
blanche et très-claire, comme les vins même domination , y apporteront des
du Rhin et de Champagne. capitaux au lieu du joug de fer qu'ils y
L'olivier est la plante qui convient faisaient peser auparavant. Cagliari
le mieux aux terres sardes, et sa cul- en rapport, par les routes nouvelles,
ture fut encouragée par des titres de avec toute l'île, deviendra un lieu fa-
noblesse et des récompenses accordés vorable aux radoubs au renouvelle-
ment des approvisionnements et des
par le roi Victor-Emmanuel pendant
et présentera, dans son
son séjour dans l'île durant l'émigration. munitions,
Les amandiers, les orangers et les port, de bien plus grandes ressources
limons y prospèrent, et la vallée de que Malte et que la Sicile qui n'a pas
Milis, dont nous reparlerons, est ap- encore reçu , et qui ne recevra proba-
pelée, par le savant Cetti, le jardin des blement que très-tard une pareille di-
Hespérides, à cause de l'abondance rection. Le gouvernement piémontais
de tous les fruits et de citronniers. est un gouvernement sage , modéré,
Le tabac de l'île ne le cède en rien aux et ami de ses peuples : il a commencé
meilleurs tabacs d'Espagne et de Tur- à reconnaître tout le prix de la Sar-
quie. Il est plus fin, d'un jaune plus daigne civilisée. L'île a reçu de bonnes
clair, et doit être laissé deux ans en lois, des communications faciles ; la
fermentation. Il forme une branche population agreste, retenue dans les
des revenus royaux. montagnes, s'est accoutumée à visiter
Là garance, rubia tinctorum de Lin- paisiblement les plaines : les étrangers
née, croît naturellement dans plusieurs voudront et pourront parcourir les di-
provinces; on se sert de cette racine, verses provinces de ce petit royaume :
qui donne un rouge écarlate, pour nous rapporterons ici un chapitre du
les toiles et laines à l'usage des paysans, voyage récent de M. Valéry, qui seul
et sa bonté n'est pas connue à l'étranger. suffit pour exciter l'enthousiasme de
Le liége, dont l'île abonde, le sa- ceux qui veulent admirer un des plus
fran, la soude, auraient besoin, pour imposants spectacles de la nature :
être mieux exploités, d'encouragements
Milis ou la forêt d'orangers.
de la part du gouvernement. Il devrait
en être de même pour la culture du « C'est le premier jour du mois de
coton et pour l'éducation des vers à mai, par un temps magnifique, que
soie. Déjà on a planté une quantité je visitai les jardins ou plutôt la forêt
prodigieuse de mûriers blancs et noirs d'orangers de Milis, l'ornement de la
dans différents cantons; mais les cha- Sardaigne, qui compte au delà de cinq
leurs des mois de mai et juin sont cent mille arbres, et dont les appro-
aussi préjudiciables à cette chenille in- ches me furent annoncées par une brise
dustrieuse que les inconstances de tem- embaumée.
pérature le sont dans d'autres contrées. « Ce bois, ceint de collines qui l'a-
Nous avons indiqué, page 25, quel- britent, et dont je parcourus pendant
ques-uns des avantages que la situa- plusieurs heures les délicieux om-
tion actuelle des affaires politiques brages et les taillis touffus, était alors
peut assurer à la Sardaigne. Nous ajou- animé par le chant des oiseaux et lé
terons plusieurs développements. murmure des mille petits ruisseaux
La Méditerranée est sillonnée au- qui arrosent le pied de ces arbres tou-
jourd'hui en tous sens par les divers pa- jours altérés. Une couche solide de
villons de l'Europe. Lorsque le com- fleurs d'orangers jonchait le sol : je
merce avec Alger sera établi sur des marchais, je glissais sur cette neige
bases durables, lorsque la paix sera odorante; si j'écartais les branches
donnée à'I'Orient, les bâtiments de pour percer le taillis, les fleurs jaillis-
SARDAIGNE. 49
saient en l'air et me caressaient le arbres, dont plusieurs, au dire tradi-
visage. Cette fleur précieuse, qui, dans tionnel des paysans, compteraient
les somptueuses orangeries de nos plus de sept siècles. C'est dans le jar-
châteaux, se pèse et se vend, ici exhale din du marquis de Boyl que je trouve
d'inutiles parfums , tombe à terre, et le plus grand des arbres de Milis, dé-
forme un épais et doux tapis de grandes coré du titre de roi des orangers; un
herbes aromatiques mêlant une agréa- homme ne.peut l'embrasser ; et ce bel
ble et forte odeur à l'odeur plus suave arbre, au parfum, à la douceur et à
de l'oranger. L'abondance des fruits l'éclat de ses fruits et de ses fleurs,
est prodigieuse. Quelquefois de longs joint la hauteur et la majesté du chêne.
bâtons de sarments soutiennent les La forêt de Milis est par cela un
branches pliant sous le faix des oranges des points de la Sardaigne qui appelle
et des citrons, qui montent, année le plus l'exploitation d'industriels in-
moyenne, à près de dix millions. On telligents , soit par la création de dis-
est comme ébloui par tous ces globes tilleries de fleurs d'orangers, soit par
rouges ou dorés, ardente végétation celle de fabriques de produits chimi-
suspendue en festons et en guir- ques , propres à l'impression des étoffes
landes. » de soie, de laine et de coton.
L'introduction de l'oranger en Sar- Les champs balsamiques, les féeries
daigne remonte aux époques du deuxiè- de Milis mériteraient seuls le voyage
me ou troisième siècle. Les jardins de de la Sardaigne. Nous avons si près
Milis, dont la terre, particulièrement de nous ce spectacle qu'on croirait
propre à ces plantations, est fine et un rêve des Mille et une Nuits !
douce au toucher, s'étendent pendant Nous nous sommes plu à prédire le
l'espace de trois milles, et ils offrent sort futur de la Sardaigne. Ce n'a pas
plus de trois cents vergers. Un des été sans plaisir que nous avons annoncé
plus beaux, le jardin du chapitre de ses destinées propres à augmenter la
la cathédrale d'Oristano, n'est affermé gloire de ses rois, et ce qui est en
que huit cents écus, à peu près quatre même temps aussi désirable, la pros-
millefrancs. Quelques arbres ont donné périté et le bonheur d'un peuple long-
jusqu'à cinq mille oranges ; les poètes temps calomnié, et susceptible de
ont vanté le jardin des Hespérides, prendre part auxglus heureux progrès
fort inférieur, sans doute, à celui de la civilisation moderne.
d'Oristano, qui a plus de dix mille

FIN.
SARDAIGNE .
SARDAIGNE.
SARDAIGNE .
SARDAIGNE .
SARDAIGNE
SARDAIGNE.
SARDAIGNE.
SARDAIGNE.
SARDAIGNE .
SARDAIGNE
SARDAI GN E

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