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Les sociétés tribales

en Afrique du Nord
IXe Journée d’études nord-africaines
John Scheid et Michel Zink éd.

ACADÉMIE DES INSCRIPTIONS ET BELLES-LETTRES / SEMPAM

ACTES DE COLLOQUE
CONTINUITÉ DE L’ETHNONYMIE,
CONTINUITÉ DU PEUPLEMENT
AU MAGHREB DE L’ANTIQUITÉ AU MOYEN ÂGE.

Le cas des Gétules Misiciri dans


le Livre des Exemples d’Ibn Khaldûn

Introduction
Après avoir d’abord remercié l’Académie, je voudrais traiter de la
continuité de l’ethnonymie et de la continuité du peuplement au Maghreb
de l’Antiquité au Moyen Âge à travers le cas des Gétules Misiciri attestés
jusqu’ici par l’épigraphie libyque essentiellement. En partant à la recherche
des Misiciri et de leurs pays d’origine, je me propose de mettre à contribution
le Livre V de Pline, savamment commenté par votre confrère J. Desanges1,
et les sources médiévales, notamment le Livre des Exemples d’Ibn Khaldûn
dont le meilleur manuscrit, celui qui comporte les signes diacritiques, vient
d’être édité à Tunis2. Malheureusement, ce dernier ouvrage n’a fait l’objet,
à ce jour, ni du commentaire scientifique qu’il mérite ni de la traduction
complète qu’il nécessite.
Le sujet de ma présente contribution est inspiré de l’hypothèse émise en
2005 par R. Rebuffat3 sur les origines gétules de trois fractions de la tribu
des Misiciri qui occupait en Numidie proconsulaire au ier siècle apr. J.-C. un

1. J’ai le plaisir de remercier ici MM. J. Desanges, membre de l’Académie, et


A. Beschaouch, associé étranger de l’Académie, pour leur patronage bienveillant.
J. Desanges, Pline l’Ancien. Histoire naturelle, Livre V, I-146 (L’Afrique du Nord), Paris,
Les Belles Lettres, 1980.
2. Ibn Khaldûn, Kitāb al-Ibar wa Diwān al-Mubtada wa-l-Khabar, éd. Ibrahim
Chabbouh, Tunis, 2006-2015, 14 volumes.
3.  R. Rebuffat, « Le vétéran gétule de Thullium », in Identités et cultures en Algérie,
C. Briand-Ponsart éd., Mont-Saint-Aignan, Publications des Universités de Rouen et
du Havre, 2005, p. 193-233 (notamment p. 205-207) ; voir ibid., carte de la fig. 5 : les cinq
clans des Misiciri ; et en dernier lieu, Id., art. « Misiciri », in Encyclopédie berbère, t. XXXIII,
Louvain, Peeters, 2012.
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vaste territoire4 et qui était probablement organisée en cinq clans ayant


chacun sa propre nécropole, comme l’avait montré G. Camps5 (fig. 1 et 2).
Les ethnonymes désignant la tribu des Misiciri et deux de ses fractions6,
NNDRMH et NFZH, sont identifiables, comme l’a signalé le même savant
berbérisant7, avec des noms de tribus berbères documentés par les sources
médiévales8. En laissant à une enquête ultérieure les NNDRMH attestés

4.  G. Camps, Les Berbères. Mémoire et identité, Paris, 1980, p. 232, où on lit : « presque
aussi vaste (que celui des Musulames) était le territoire d’une confédération numide moins
connue, les Misiciri ; qui occupaient la zone frontière et montagneuse au nord de la Medjerda,
sur les confins algéro-tunisiens. Grâce à trois inscriptions latines et soixante-deux inscriptions
libyques, il est possible de reconnaître dans le territoire des Misiciri (MSKRH en libyque) des
groupes qui se nomment respectivement NBIBH (peut-être Nababes dont le nom est connu
ailleurs), les NNDRMH dont le nom rappelle celui de Nedroma (Oranie), les SRMMH, les
NSFH et NFZIH. Ainsi les Misiciri se répartissent, semble-t-il, eux aussi, en cinq clans ou
tribus. Nouvel élément à verser au dossier d’une possible et ancienne organisation par cinq des
super-tribus et confédérations berbères ». Les NBIBH étant probablement identifiables avec
les Nababes de Kabylie ne pourraient pas, en principe, être concernés par une quelconque
origine gétule.
5.  G. Camps, op. cit. (n. 4), p. 232 ; Id., « À la recherche des Misiciri. Cartographie
des inscriptions libyques », in À la croisée des études libyco-berbères. Mélanges offerts à
P. Galand-Pernet et L. Galand, Paris, 1993, p. 113-126.
6.  À propos du vocable tribus utilisé dans trois inscriptions latines (comme par exemple
dans ILAlg. I, 138), Y. Modéran écrit (Les Maures et l’Afrique romaine, Rome [BEFAR, 314],
2003, p. 429, n. 61), le commentaire suivant : « Sur le terme (tribus), cf. S. Gsell, HAAN,
V, p.  54-55, qui le traduisait par “clan” sans véritable justification. En réalité, le dossier
épigraphique des attestations de tribus autoriserait plutôt à une traduction par “fraction”,
comme Gsell l’avait d’ailleurs envisagé lui-même une première fois (B. A. C., 1917, p. 330),
parce que les groupes désignés ainsi semblent soit s’insérer dans un ensemble plus vaste, soit
occuper eux-mêmes un espace important… »
7.  Cf. G. Camps, « La main et la “segmentante” quinaire chez les Berbères », Antiquités
africaines 37, 2001, p. 145, où on lit : « La zone occupée par les Misiciri est assez vaste
pour qu’on puisse y reconnaître des divisions territoriales correspondant à cinq clans
respectivement nommés NNDRMH. NBBH, NFZH, NSFH, SRMMH. Les trois premiers
sont des toponymes ou ethnonymes connus ailleurs dans le Maghreb  : ainsi le toponyme
actuel de la ville de Nedroma s’écrivait NNDRMH. Nababes est, semble-t-il, le nom
d’une tribu de Grande Kabylie citée et localisée par Pline (V, 21). Les NBBH (Nababes),
fraction des Misiciri, habitaient dans le voisinage de Mechta Djenaîne. À l’autre extrémité
du territoire à Kef Beni Fredj, autour de l’antique Thullio, se trouvaient les SRMMH. Les
SNFH, contrairement aux précédents, ont un territoire étendu ; on les trouve à la fois à Ain
el-Hofra et à Ain Kerma. Un peu plus au sud, dans la vallée de l’oued Bayada, vivaient les
NNDRH. Sur un territoire exigu, à Ain Kerma Smine, vivaient les NFZIH dont le nom est
conservé dans celui de la région de Kébili : Nefzaoua ; la même racine se retrouve dans le
nom Nefza entre la Kroumirie et les Mogods… cinq clans avec chacun sa nécropole… »
8. Cf.  A. Bouzid, Catalogue des tribus Berbères «  Butr » au Maghreb d’après les
sources arabes médiévales, Mémoire de DRA (thèse de IIIe  cycle), Tunis, 1992, p. 57, 58
et 70 (tribu « butr », fraction des Banu Fatîn).
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Fig. 1. – Localisation des territoires tribaux étudiés.

depuis le Moyen Âge9, je me bornerai ici, en raison des limites du temps


imparti, à l’identification des deux communautés gétules restantes, à savoir
les Misiciri et les Nefzi (ou Nefzu).
En ce qui concerne la continuité du peuplement, je voudrais annoncer
les indices qui selon moi pourraient permettre d’identifier un ethnonyme
libyque avec un nom de tribu berbère. Il s’agit en l’occurrence de noms
attestés à la fois par des sources antiques et médiévales et présentant une
similitude décelable à deux niveaux au moins ; une proximité linguistique
fondée sur une même base lexicale et une proximité géographique désignant
des communautés signalées sur les mêmes territoires. Selon Ibn Khaldûn,
l’ethnonyme Nefza ou Nefzāwa que je me propose d’identifier ici avec le

9. Cf. B. Moukhraenta Abed, L’image de l’Algérie antique au travers des sources


arabes du Moyen Âge, Alger, t. 4, p. 1491 sq. (Nedruma) ; A. Khelifa, Honaïne. Un port
du royaume de Tlemcen, Alger, Éditions Dalimen, 2008, p. 179 sq. (Nedroma-capitale des
Traras).
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nom de la fraction des Misiciri appelée NFZH (= Nefzi) pour R. Rebuffat10


ou NFZYH (= Nefzu) pour I. Sfaxi11, désigne selon les généalogistes du
Moyen Âge des tribus berbères ayant un même ancêtre éponyme appelé
Nefzaw ou Nefdjaw ; lui-même issu de Loua (ou Laoua), le Grand, ancêtre
des Louata (ou Laouata)12. Il en découle pour le cas des Nefzāwa/ Nefza
(antiques Nefzu/Nefzi), d’un côté, et des Lawāta (antiques Lavatae), de
l’autre, qu’on aurait affaire à deux confédérations tribales « apparentées »,
c’est-à-dire associées dans les mêmes territoires voisins ou imbriqués, et
souvent dans le même mode de vie plus ou moins nomade, mais n’excluant
pas la sédentarisation en cas de contexte favorable. Ajoutons que Nefzaw/
Nefdjaw est un nom libyco-berbère à finale *û du genre Garaû, Magraû,
Gnaû etc. Les noms construits sur ce type d’anthroponyme se déclinent, à
l’époque médiévale, selon un même paradigme qui donne les ethnonymes/
toponymes Nefzāwa (adj. ethnique Nefzāwi) et Nefza (adj. ethnique Nefzi).
Sur le plan de la chronologie, on rappellera que les aires de peuplement
gétule conquises par les Romains au ier  siècle apr. J.-C. se situaient en
Numidie et en Tripolitaine13 (fig. 1). C’est donc là qu’il va falloir rechercher
les ancêtres plus ou moins lointains des Misiciri qui disposaient sous les
Flaviens d’un territoire dans la région de la Cheffia, à cinquante kilomètres
environ au sud d’Hippo Regius (l’actuelle Annaba en Algérie) ; territoire
constitué progressivement au cours du ier siècle de notre ère pour accueillir
au départ des vétérans gétules et où deux localités ont vu le jour (fig. 2) :
d’une part Thullium ou Thullio (Ksar Beni Fredj), une civitas libyque à
l’origine, mentionnée en tant que municipe par saint Augustin et comme

10.  Cf. R. Rebuffat, art. « Misiciri », cité supra (n. 3).


11.  Cf. I. Sfaxi, op. cit., infra n. 14.
12. Ibn Khaldûn, Le livre des Exemples II. Histoire des Arabes et des Berbères du
Maghreb, trad. par A. Cheddadi, Paris, Gallimard, 2012, p. 131-132 : « Les Butr, enfants de
Mâdghis al-Abtar, forment quatre branches : les Adâsa, les Neffûsa, les Dariya, et les banû
Luwâ al-Akbar… De Luwâ le Grand sont issues les deux grandes branches des Nefzâwa (le
z est prononcé entre le z et le sh) et des Luwâta. Les Nefzâwa sont les enfants de Lûwa le
Petit, fils de Lûwa le Grand ». Voir aussi dans Ibn Khaldûn. Kitāb al-Ibar, éd. Chabbouh citée
supra (n. 2), vol. 11, 2011, p. 196, ce qu’on pourrait traduire ainsi : « sont issus de Lûwa le
Grand deux grands ensembles : les Nefzāwa (avec une articulation *z qui correspond à *dj)
ou Banu Nefzaw fils de Lûwa le Grand, et les Lawâta fils de Lûwa le Petit… des Luâta sont
issus les Mazāta et les Sedrāta ».
13.  Cf. M. Benabou, La résistance africaine à la romanisation, Paris, Maspero (Textes
à l’appui), 1976, 2e partie (la résistance militaire) ; J.-M. Lassère, Africa, quasi Roma (256
av. J.-C.-711 apr. J.-C.), Paris, CNRS Éditions, 2015, p. 101-157 (notamment p. 166-192 :
« L’équilibre territorial et institutionnel »).
CONTINUITÉ DE L’ETHNONYMIE, CONTINUITÉ DU PEUPLEMENT 135

Fig. 2. – Carte par G. Camps, dans Antiquités africaines 37, 2001, p. 146.

évêché chrétien en 52514 ; d’autre part Onellaba (Bordj Bou Lares), une
localité libyque plus modeste, semble-t-il, puisqu’elle n’est attestée à ce jour
ni comme civitas ni comme évêché chrétien15.
Mais en guise de préalable à l’enquête sur les tribus gétules recherchées,
il convient de faire une mise au point rapide sur leur onomastique. Voici
donc en première partie :

I. Une enquête sur les ethnonymes mskrh et nfzh (ou nfzyh)


1. Que savons-nous d’abord sur le nom des Misiciri ?
Dans sa thèse sur l’onomastique libyque, soutenue en 2016 à
Aix-en-Provence sous la direction du berbérisant S. Chaker, l’érudite
tunisienne I. Sfaxi a consacré une notice au nom des Misiciri. On y
apprend que cet ethnonyme est documenté par un total de 69 inscriptions
(64 libyques, 4 latines et une néopunique) et qu’il comporte une base lexicale
en MSKR/ MZKR (*s emphatique  =  *z)16. Attesté épigraphiquement à

14. Cf. Carte des routes et des cités de l’est de l’Africa à la fin de l’Antiquité. Nouvelle
édition de la carte des « Voies romaines de l’Afrique du Nord » conçue en 1949, d’après les
tracés de Pierre Salama, J. Desanges, N. Duval, C. Lepelley et S. Saint-Amans éd., Turnhout,
Brepols (Bibliothèque de l’Antiquité tardive, 17), 2010, p. 262.
15.  Ibid., p. 189-190.
16.  I. Sfaxi, Op. cit., 2016, p. 221-225 (base lexicale : MSKR : MZKR).
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Sabratha sous la forme d’un anthroponyme antique, Misekor17, le nom des


Misiciri est mentionné par deux auteurs du Moyen Âge, Ibn Khaldûn (au
xive  s.) pour la forme arabisée « Banu Maskour » (base lexicale MSKR)18
et le chroniqueur ibadhite al-Chammakhi (xve  s.) pour la forme berbère
« Mazgur/ Mazgurin » (base lexicale MZGR, *k = g). Dans l’un et l’autre
cas, il désigne une communauté berbère ibadhite assimilée par une tribu
zénète du Djebel Nefousa en Tripolitaine19 et disposant d’un village appelé
« Tin Mazgûra » (l’actuelle Mazgûra)20 connue par son mausolée antique à
décor sculpté en relief  21. Enfin, d’après S. Chaker, le *m initial de MSKRH
serait un préfixe ayant valeur de nom d’agent, et la racine de ce nom serait
trilitère SKR = ZGR22.
2. Qu’en est-il maintenant des noms Nefza et Nefzawa dans les sources
médiévales ?
Comme on vient de le voir, l’ethnonyme antique Nefzu/ Nefzi est
identifiable avec les formes arabisées Nefzāwa et Nefza attestées par
nombre de sources médiévales du ixe et du xe siècles. Ces noms de tribus
s’y trouvent mentionnés à propos d’événements militaires et politiques qui
remontent au Haut Moyen Âge (viie, viiie et xe s.) et même au tout début de la

17. Cf. G. Camps, «  Liste onomastique libyque », Antiquités africaines  38-39,


2002-2003, p. 243 : « Misekor » : « homme » attesté à Sabratha (IRT, 215).
18.  Ibn Khaldûn, Kitāb al- Ibar, éd. de Beyrouth, 1968, t. VI, p. 230 (où cet historien
classe les Banu Maskour ibadhites parmi les fractions Nefousa. Mais cette attribution est
contestée par T. Lewicki (voir infra, note 20). Par ailleurs, G.  Camps a recensé dans sa
liste onomastique libyque comme on vient de le voir (supra, n. 11) un homme qui porte le
nom « Misekor » (Antiquités africaines 38-39, 2002-2003, p. 243) dans une inscription de
Sabratha. Cet anthroponyme dont la base lexicale est MSKR montre que le nom des Misiciri
existe en Tripolitaine depuis l’époque antique. Voir dans : A. Bouzid, op. cit. (n. 8), 1992,
p. 132 (Banū Maskūr).
19.  A. Bouzid, op. cit. (n. 8), p. 334.
20. T. Lewicki, Rocznic Orient XXI, 1957, p. 334.
21. Cf. Y. Modéran, op. cit. (n. 6), p.  800, n.  151, où cet auteur cite « les reliefs de
Ghirza et Mezgûra représentant des scènes de labour où chameaux et ânes sont guidés par
des paysans à tunique courte (P. Romanelli, “La vita agricola attraverso le reppresentazioni
figurate”, dans Africa Italiana, vol. III, 1-2, 1930, p. 5, 6, 7, 9, 10, 13) ».
22.  Cf. S. Chaker, « À propos de la terminologie libyque des titres et fonctions », Annali
d’Istituto Universitario Orientali di Napoli 46/4, 1986, p. 541-562 (= Linguistique berbère.
Ėtude de syntaxe et de diachronie, Paris-Louvain, Peeters, chap. 13, 1995, p. 171-192).
Cf. aussi : I. Sfaxi, op. cit., p. 225, où on lit : « Salem Chaker penche pour un nom d’agent sur
une racine SKR (skr) : “celui qui fait, l’agent” : “celui qui est correct, convenable”… “celui
qui est stable, qui repose à plat”… » ; « Au plan sémantique, ajoute-il, rien ne s’opposerait
donc à ce que Mskr soit un nom commun : un qualificatif général (“homme de bien”) ou la
dénomination d’une fonction à identifier plus précisément ».
CONTINUITÉ DE L’ETHNONYMIE, CONTINUITÉ DU PEUPLEMENT 137

conquête arabe en Tripolitaine. En général, les sources arabes synthétisées


par Ibn Khaldûn ne distinguent pas entre les Nefza et les Nefzāwa, tenues
pour une même confédération tribale appartenant aux Berbères « Butr »23.
C’est pourquoi, les commentateurs modernes qui ont consacré des notices
à ces tribus comme A. Bouzid24, V. Prévost25, P. Trousset26 et A. Khelifa27
ont eu tendance à les confondre dans une même confédération dont le
territoire d’origine serait le balād Nefzāwa, actuellement tunisien28. Comme
on le verra plus loin, l’examen croisé des sources antiques et médiévales
permet de distinguer, à tout le moins pour le haut Moyen Âge, deux
communautés quasi homonymes, Nefza et Nefzāwa, occupant chacune une
aire géographique bien distincte :
1 – D’un côté, les Nefza qui ont habité la région des Aurès correspondant
à l’antique provincia Abaritana atque Getulia, c’est-à-dire l’actuel pays
Chaouia en Algérie29 (fig. 1 et fig. 5) ;
2 – De l’autre, les Nefzāwa, qui ont peuplé le canton appelé Balād
Nefzāwa, dans l’actuel sud tunisien30 (fig. 1 et fig. 3).
Venons-en maintenant à notre deuxième partie :

23.  Ibn Khaldûn, Histoire des Berbères, t. I, trad. Baron de Slane, nouv. éd. sous la dir.
de P. Casanova, Paris, Paul Geuthner, 1925, p. 170 et 231-232.
24.  A. Bouzid, op. cit. (n. 8), 1992, p. 137-163.
25. V. Prévost, L’aventure ibadite dans le sud tunisien, Helsinki, 2008, p. 74-76.
26. P.  Trousset, in Encyclopédie Berbère, t. XXXIII, Louvain, Peeters, 2012,
p. 5382-5389, s. v. « Nefzawa : Antiquité ».
27. A. Khelifa, in Encyclopédie Berbère, t. XXXIII, Louvain, Peeters, p. 5381-5382,
s. v. « Nefza (Tribu) » et p.  5389-5392, s. v. «  Nafzāoua (Nafzawa)  : Moyen Âge ». Cet
auteur a suivi la démarche de Ch. Pellat qui avait consacré des notices séparées (Nafza/
Nafzāwa  : dans Encyclopédie de l’Islam, t. VII, 1993, p.  897-898), mais sans faire pour
autant la distinction géographique entre Nefza de l’Aurès et Nefzāwa du sud tunisien.
28.  Par ailleurs, les sources arabes indiquent que les tribus Nefzāwa ont professé la
doctrine ibadhite (ou Kharedjisme modéré), tandis que les Nefza de l’Aurès étaient en
général soufrites, c’est-à-dire Kharedjites extrémistes. Ibn Khaldûn a indiqué expressément
que ce sont les Werfağûma de l’Aurès qui ont mis à sac Kairouan en 757-758 de notre ère et
l’ont tenue d’une main de fer pendant un an, massacrant les notables arabes et transformant
la grande mosquée en écurie pour leurs chevaux. Ces mêmes communautés Nefza de l’Aurès
ont joué un rôle considérable dans les révoltes Kharidjites des viie-viiie  siècles contre les
gouverneurs arabes de Kairouan et lors de la révolte de « Homme à l’âne » contre le pouvoir
fatimide au xe siècle.
29. Cf. A. M’charek, «  Continuité de l’ethnonymie, continuité du peuplement au
Maghreb de l’Antiquité à nos jours : le cas des Avares (Haouāra) et Dianenses ou Zanenses
(Zanāta) », Comptes rendus des Séances de l’Académie des Inscriptions et Belles-Lettres 2015,
fasc. I (janvier-mars), p. 445 (carte : p. 451, fig. 1).
30.  Cf. P. Trousset, in Encyclopédie Berbère, t. XXXIII, Louvain, Peeters, 2012, s. v.
« Nefzaoua ».
138 AHMED M’CHAREK

II. Une enquête sur les Nybgenii et les Timezegeri établis sur le limes
Tripolitanus
Une première question se pose : le nom des Berbères Nefzāwa, attesté
par les sources médiévales31 qui ont relaté les événements de la conquête
arabe de la Tripolitaine, est-il identifiable avec celui des antiques Nybgenii
qui apparaît sur des bornes érigées au début du second siècle apr. J.-C. ?
À l’appui d’une pareille identification, plusieurs indices peuvent être avancés.
1er indice : une proximité géographique
Conquis par Rome, annexé et soumis à la centuriation au ier siècle
apr. J.-C., le territoire de la gens Nybgeniorum fut délimité ensuite par
des bornes érigées sous Trajan (en 104 apr. J.-C.), par rapport au territoire
des Capsitani au nord et à celui des Tacapitani à l’est. Situé sur la rive
orientale du Chott el-Djerid (l’antique lacus Maddensis), ce territoire tribal
qui s’étendait de part et d’autre du chott el-Fedjej, avait comme centre de
regroupement la cité de Tamallen identifiable avec la civitas Nybgeniorum
(l’actuelle Telmine) qui fut promue municipe sous Hadrien32. Cette localité
est mentionnée dans l’Itinéraire d’Antonin sous le nom de Turris Tamalleni
et sera le siège d’un évêché chrétien33.
Au Moyen Âge, le rôle de chef-lieu régional est joué par l’oasis
d’al-Mansoura sous le nom de Torra ou Nefzawa34. Nefzawa désigne alors à
la fois la tribu et la ville homonyme qui lui sert de centre de regroupement.
Cette continuité s’explique par la situation de la ville à un point nodal du
limes Tripolitanus (fig. 4), entre d’un côté l’antique Abaritana atque Getulia
provincia (l’actuelle région des Aurès) et la région des Castella/ Qastilyia
(Bilād al-Jarid) à l’ouest et, de l’autre, la province de Tripolitaine à l’est.
À la continuité territoriale évidente sur l’ancien territoire des Nybgenii
s’ajoute une proximité linguistique non moins évidente entre les ethnonymes
Nybgenii et Nefzāwa.

31. Voir en dernier lieu  : A. Khelifa, in Encyclopédie Berbère, t. XXXIII, Louvain,


Peeters, 2012, s. v. « Nefza et Nefzawa ».
32. Cf. P. Trousset, dans Encyclopédie Berbère, t. XXXIV, Louvain, Peeters, 2012,
p. 5680-5681.
33.  Ibid., p. 5681.
34. Cf.  A. Khelifa, dans Encyclopédie Berbère, t. XXXIII, Louvain, Peeters, 2012,
p. 5389-5390 (description de la ville de Nefzāwa dans les sources arabes).
CONTINUITÉ DE L’ETHNONYMIE, CONTINUITÉ DU PEUPLEMENT 139

2e indice : l’équivalence gens Nybgeniorum / tribu Nefzāwa


Dans un article publié en 1915 sous le titre « Nybgenii et Nefzaoua »35,
L. Carton, qui n’était pourtant pas un linguiste, a pressenti une proximité
entre ces deux ethnonymes libyco-berbères d’âges différents, en considérant
hypothétiquement que « le nom des Nybgenii était probablement prononcé
Nevzenii, forme dont la ressemblance avec Nefzaoua est incontestable », et
que « Nefzaoua fut sûrement dans l’Antiquité le vrai pays des Nybgenii »36.
Plus récemment, P. Trousset ne pensait pas différemment en écrivant dans
une notice de l’Encyclopédie Berbère  : «  Nefzaoua désigne à la fois un
groupe de peuples berbères partiellement arabisés à partir des xie-xiie siècles
et la région qu’ils occupaient depuis l’Antiquité »37.
Sachant que selon Ibn Khaldûn, le nom de l’ancêtre éponyme des
Nefzāwa était prononcé à l’origine Nefdjaw (= Nefzaw)38, on peut penser
que la base lexicale de l’ethnonyme qui nous occupe devrait correspondre
à l’équivalence NyBGenii (transposition latine du nom générique NYBGn/
NFZn) = NyFZenii. Une pareille hypothèse semble trouver confirmation
dans le fait que d’une part, l’articulation *dj est l’équivalent de *z et que,
d’autre part, les savants berbérisants M. Basset et G. Mercier ont retenu la
permutation dans les dialectes berbères entre les consonnes *b et *f 39. À titre
d’exemples, on peut évoquer ici les toponymes Sufibus, qui devient Subiba,
et Sufetula, qui devient Subeitula chez l’auteur byzantin Georges de Chypre

35. L. Carton, « Nybgenii et Nefzaoua, IV », Revue tunisienne, 1915, p. 212, où on lit à


propos de l’étendue du territoire des Nubgenii : « Ici doivent intervenir d’autres considérations
nous montrant que non seulement toute cette contrée doit être attribuée aux Nybgenii, mais
qu’elle paraît avoir été le véritable pays d’origine et le principal habitat de ce peuple. Lors
des découvertes qui nous ont fait connaître son nom, j’ai été frappé de suite de l’analogie que
celui-ci présente avec le nom de Nefzaoua. Les radicaux y ont, en effet, des deux côtés, les
plus grands rapports (le *b et le *v se substituent l’un à l’autre ; et le f se substitue au *v). Ils
forment d’une part le groupe NBGN et d’autre part celui de NFZA ».
36.  Ibid., p. 213.
37. P. Trousset, dans Encyclopédie Berbère, t. XXXIII, Louvain, Peeters, 2012, p. 5382.
38.  Ibn Khaldûn, Kitāb al-Ibar, éd. citée (n. 2), vol. 11 (2011), p. 196. Voir aussi Baron
de Slane, op. cit. (n. 23), p. 170, où on lit : « Loua l’aîné est l’aïeul des deux grandes familles :
les Nefzaoua (mot dans lequel on donne au “z” un son qui se rapproche du “ch”) ». Et dans la
n. 2, il précise : « C’est le son du “j” français que l’auteur veut peindre ici ; l’alphabet arabe
n’en représentant pas l’équivalent. Donc selon Ibn Khaldûn, il faut prononcer le nom de cette
tribu Nefjaou ; cependant de nos jours on dit Nefzaou ».
39.  Cf. G. Mercier, « La langue libyenne et la toponymie antique », Revue asiatique,
1924, p.  195, où on lit  : «  Les particularités dialectales tiennent pour la plupart à des
permutations de consonnes dont les correspondances ont été mises en lumière par M. Basset
[Études sur les dialectes berbères, Paris, Leroux, 1894]. Suivant les dialectes, b = u ; b = f ;
b = m… »
140 AHMED M’CHAREK

et dans les sources arabes du Moyen Âge40. En définitive, il semble que la


forme NFZY(n) a dû s’imposer à l’époque byzantine pour devenir Nefzāwa
(= Banu Nefzāw) au temps de l’arabisation.
Par ailleurs, on peut ajouter à la proximité géographique et linguistique,
une présence significative des Misiciri dans cette région gétule de Tripolitaine
à travers un toponyme mentionné par une carte routière romaine du iiie siècle,
Timezegeri Turris. Par chance, la statio de la voie Tacapes-Thelepte qui
porte ce nom vient d’être localisée avec précision.

3e indice : une Turris Timezegeri située sur le territoire des Nybgenii


La Table de Peutinger (datable du iiie s.)41 signale une station de la voie
stratégique reliant Tacapes à Thelepte sous le nom de Timezegeri Turris 42,
toponyme attesté aussi par l’Anonyme de Ravenne43. Cette station fut
localisée en 2008 pour la première fois de manière décisive et convaincante
par Abdellatif M’rabet qui avait découvert sur le terrain un tronçon de la
route romaine en question dans la région d’Aquae Tacapitanae, l’actuelle
Hamma de Gabès44 (fig. 3).
Timezegeri Turris signifie « Turris des Mezegeri (Misiciri) », car le « ti »
initial correspond au préfixe indiquant le féminin ; tandis que la base lexicale
MZGR de Timezegeri est l’équivalent exact de MSGR dans l’ethnonyme
Misiciri (indéclinable, comme dans le groupe de mots « Misiciri tribu »
attesté par l’épigraphie)45. Et cette proximité évidente trouve une heureuse
confirmation dans la situation de ladite station routière telle qu’elle fut
identifiée par A. M’rabet, en l’occurrence les ruines antiques de la « Benia

40. Cf. « Sufes » et « Sufetula », in op. cit. (n. 14), p. 216-220.


41.  Ibid., p. 17.
42. K. Miller, Die Peutingersche Tafel, Stuttgart, 1962, section VI, 3-4.
43.  Anonyme de Ravenne, 3, 5.
44.  A. M’rabet, « À propos de la voie Tacape-Thelepte par le sud des Chotts », in Actes
du colloque international sur l’histoire des steppes tunisiennes (Sbeitla, session 2008),
F. Béjaoui éd., Tunis, INP, 2008, p. 131-140 (voir p. 139, fig. 1 : « Vestiges de la voie à sidi
Abdennour »). Pour la localisation de Turris Timezegeri sur le territoire des Nybgenii, voir
infra, fig. 3.
45. Cf. supra, n. 6. Voir J. Desanges, Catalogue des tribus africaines de l’Antiquité
classique à l’ouest du Nil, Dakar, Université de Dakar-Faculté des Lettres et Sciences
humaines (Publications de la section d’histoire, 4), 1962, p. 115-116, où ce savant cite deux
inscriptions latines mentionnant « Misiciri tribu » (ILAlg. I, 138 et 156 = CIL VIII, 5217-18
et ILAlg. I, 174).
CONTINUITÉ DE L’ETHNONYMIE, CONTINUITÉ DU PEUPLEMENT 141

Fig. 3. – Localisation de Timezegeri Turris et d’Agarlabas sur le territoire des Nybgenii


(selon le tracé de la carte P. Salama, éd. 2010).

Fig. 4. – Localités actuelles du Nefzawa en Tunisie (source : image Google Earth).


142 AHMED M’CHAREK

Ghedah Esseder », un castellum situé à l’ouest de la clausura de Tebaga


dans le sud-est du territoire des Nybgenii 46 (fig. 3). Et on y ajoutera un :

4e indice : la situation de Turris Timezegeri à proximité d’une aire de


peuplement Lawāta attestée par les sources médiévales
En 1924, G. Mercier a rapproché le toponyme Timezegeri du nom d’une
montagne voisine, le « jebel Zegrarine », correspondant à un secteur de la
chaîne des Matmata47 ; et nous savons que ce Djebel est encore aujourd’hui
habité par un groupe berbère appelé « Zegrarine »48. Or, Ibn Khaldûn, qui
reprend Al-Yaqûbi49 et Al-Bakri50, nous apprend dans le Kitab al-Ibar (ou
Livre des Exemples) que cette montagne située au sud de Gabès s’appelait
« jabel Lawāta » (montagne des Lawāta) et que les tribus qui y étaient établies

46. A. M’rabet, art. cité (n. 44), p. 138, où on lit : «  C’est à cet emplacement que
nous proposons de placer Timezegeri Turris… Partant d’Avibus, en suivant cette direction
(sud-ouest), qui longe le Tebaga et en comptant la distance de dix milles donnée par la Table,
nous tombons de l’autre côté de la clausura, vers l’ouest, là où se dresse de nos jours la “Benia
Guedah Esseder” ». À propos du castellum de « Benia Guedah Ceder », voir P. Trousset,
Recherches sur le limes Tripolitanus entre le Chott-el-Djérid et la frontière tuniso-libyenne,
Paris, Éditions du CNRS, 1974, p. 67-68.
Et c’est ici qu’il faut faire le lien entre le nom des Timezegeri et celui qui est attesté au
Djebel Nefousa sous la forme berbère « Mazgûr(n)/ Mazgûra » dans les sources ibadhites et
sous la forme arabisée « Banu Maskour » que nous devons à Ibn Khaldûn (voir supra, n. 8
et 9). Cette attestation tardive du nom des Misiciri, désignant un groupe ethnique assimilé
par une tribu zènète du Djebel Nefousa, est probablement révélatrice d’une émigration forcée
vers cette montagne-refuge, du groupe ethnique homonyme qui était établi au iiie siècle sur
le territoire des Nybgenii. On est d’autant plus enclin à le croire que les sources médiévales,
entre autres Ibn Khaldûn, ont évoqué un mouvement de déplacement des groupes tribaux
dépossédés de leurs terres à la suite de l’invasion du Bilād Nefzāwa au xie siècle par les Banû
Hilal et les Banû Souleym. Ce n’est donc pas un hasard si la plaine où s’élevait jadis Turris
Timezegeri est aujourd’hui le fief des Arabes Beni-Zid de la voisine El Hamma de Gabès.
47.  Cf. Ph. Mesnard, dans L’Africa Romana, 2002, p. 1828, où on lit ceci : « Dans la
consultation croisée des cartes topographiques au 1/50.000e de Gabès, Kebili, Matmata, Douz
et Médenine, on retiendra deux toponymes fossiles pour la zone qui nous intéresse, soit les
secteurs de Matmata-Tamezret, Chemlali-Ben Aissa et Hadejj. Il s’agit du jbel Zegrarine et de
Zegrarine, tous deux formés sur le radical ZGR : une parenté intéressante avec Tizigrarine ».
48. Cf.  A. Habachi, Tribus de Tunisie, 3e éd., 2017, p.  172 (en arabe), où on lit :
« Contrôle militaire de Matmata, Al Achech (Tichin, Zegrarine, Tigma, Beni Sukan) ».
49. Al-Yaqûbi, Kitāb al-Bûldan, 2e éd. par M. J. de Goeje, B. G. A., trad. G. Wiet, Les
pays, Le Caire, 1973 p. 347.
50. Al-Bakri, Kitāb al-Masālik wa al-Mamālik, éd. et trad. Baron de Slane, sous le titre
Description de l’Afrique septentrionale, 2e éd., Alger, 1911-1912, p. 182.
CONTINUITÉ DE L’ETHNONYMIE, CONTINUITÉ DU PEUPLEMENT 143

ont pu fonder à Gabès une principauté indépendante du sultan hafside Abû


Ishāq (vers 1350-1369), en l’occurrence celle des Lawāta Banû Mekki51.
Cette présence des Lawāta (Lavatae) dans la région de Gabès est
attestée par des sources encore plus anciennes. Dans un article récent, le
médiéviste A.  el-Bāhi a montré que l’avènement des Berbères Matmata
dans l’actuel sud tunisien n’est pas antérieur au xiie siècle apr. J.-C. et que la
montagne qui porte aujourd’hui leur nom avait été peuplée au Haut Moyen
Âge, entre autres, par des Berbères Lawāta52. De son côté, A. Bouzid a noté
la présence des Lawāta au viiie siècle apr. J.-C. à la fois dans le Nefzāwa
(à Torra, l’antique Turris Tamalleni par exemple) et dans la Qastiliya (à
Qantarara notamment). Il évoque à ce propos le cas d’un cheikh Lawāta
de ladite communauté, Mayyel Ibn Youssef, qui fut nommé, selon l’auteur
ibadite al-Chammakhi, gouverneur de bilād Nefzāwa au temps de l’imam
rostémide Aftah Ibn Abdelwahhab (783-823)53.
Sur l’ancien territoire des Nybgenii et de leurs voisins Timezegeri, il
semble qu’on puisse parler pour le Moyen Âge d’une forme d’association
entre des tribus Nefzāwa et Lawāta «  apparentées  ». Cette donnée incite
à reprendre une vieille hypothèse de Ch. Tissot relative à la localité
d’Agarlabas (= Agarlavas) sur la voie reliant Turris Tamalleni (Telmine) à
Tacapes (Gabès) ; soit une station localisable par les données chiffrées de
l’Itinéraire d’Antonin (datable du iiie s.)54 sur le flanc nord du Djebel Tebaga
(fig. 3), précisément à Bordj Tamra (selon Ch. Tissot) ou à Henchir Mgarin
(selon D. J. Mattingly)55. Ce toponyme d’Agarlavas pourrait signifier

51.  Ibn Khaldûn, Kitāb al-Ibar, éd. de Beyrouth, 1968, t. VI, p. 154, où on lit ce qu’on
pourrait traduire ainsi : « des fractions Lawāta peuplent le jabel qui porte leur nom au sud
de Gabès et de Sfax. Parmi eux, les Banû Mekki qui gouvernent Gabès de nos jours ». Voir
aussi : R. Brunschwig, La Berbérie orientale sous les Hafsides, Paris, 1988, I, p. 175-176.
52.  A. El-Bāhi, « Les tribus Demmer, Zenzafa et Matmâta dans le sud-est de l’Ifriqiya »
(en arabe), dans Hommage aux Professeurs Mounira Remadi-Chapoutot et Abdallah Chérif,
Mongi Bourgou éd., Tunis, C. P. U., 2015, p. 13-64. Une localité voisine de Gabès située
sur la route de Mareth s’appelle Kattâna ; un toponyme identifiable avec le nom de la tribu
Gaddâna, fraction des Lawāta (A. Bouzid, op. cit. [n. 8], p. 96) et probablement aussi avec
celui des Khattani de Ptolémée (J. Desanges, op. cit. [n. 45], p. 171).
53.  A. Bouzid, op.cit. (n. 8), p. 89.
54. Cf.  Carte des routes et des cités de l’Est de l’Africa à la fin de l’Antiquité,
J.  Desanges, N. Duval, Cl. Lepelley et S. Saint-Amans éd., Turnhout, Brepols (BAT, 17),
2010, p. 17.
55.  Ibid., p. 99. Voir infra, fig. 3.
144 AHMED M’CHAREK

« Agar des Ilaguas » (Lawāta) selon une hypothèse de Ch. Tissot recensée


par J. Desanges56.

III. Une enquête sur les Nefzi et les Besceri établis sur le limes de
Numidie
1. Les Nefza de l’Aurès sur le territoire de l’antique Abaritana atque
Getulia provincia
Des sources chiites du xe siècle comme al-Yaqûbi et Al-Câdhi al-Noomen,
ainsi que des sources sunnites, comme Ibn Khaldûn qui reprend Al-Bakri et
Al-Idrissi, permettent de localiser quelques tribus Nefza qui occupaient des
territoires au nord de l’Aurès et des Nememcha. On apprend ainsi la présence
de Berbères Nefza autour de Tigis 57 et d’autres de la branche des Malzûza
entre Tebessa et Mejjāna58 ainsi que des Sûmāta (branche de Welhāsa)59 à
l’est de Badîs dans le secteur désertique qui porte encore leur nom60. Mais
selon Ibn Khaldûn, les Werfağûma, segment dominant des Welhāsa (faisant
partie eux-mêmes des Lawāta), résidaient dans la région des Aurès61.

56. Cf. J. Desanges, op. cit. (n. 45), p.  101-102, où on lit  : (les Laguatan sont)
«  mentionnés par Corippus sous des noms différents  : Ilaguas, Hilaguas, Laguantan,
Leucada. À la fin du iiie siècle, Maximien mena une expédition contre eux ; cela peut donner
à penser qu’au moins une fraction d’entre eux résidait en Tripolitaine. On est tenté de se
demander avec Ch. Tissot (op. cit. t. II, p. 700) si la station d’Agarlavas située par l’Itinéraire
d’Antonin 20 à 30 milles après Aquas/ Aquae Tacapitanae (Hamma) et à 30 milles avant
Turris Tamalleni (près de Telmine), et donc à rechercher sur le flanc nord du djebel Tebaga,
ne doit pas être interprétée Agar des Lawāta (cf. Agarsel Nepte) ».
57. Al-Yaqûbi, Tarikh, éd. Dar Sader, Beyrouth 1960, p. 350-3512 : « La ville de Tigis
appartient au canton de Baghaiya ; les environs sont habités par des Berbères appelés Nefza ».
58.  Cf. F. Dachraoui, Le Califat fatimide au Maghreb, Tunis, 1981, p. 102, où cet auteur
écrit, à propos d’une attaque lancée par l’armée chiite en 908 apr. J.-C. : (Abu Madani) « se
dirigea d’abord vers Tebessa puis remonta vers Mejjâna et alla attaquer les Malzûza, une
fraction des Nefza au pied de la montagne des Meules (Jabal al- Matâhin), l’actuel Djebel
Ouenza (n. 210) ».
59.  Ibn Khaldūn, dans Le livre des Exemples, p. 156 cite « Mûndhir Ibn Saïd, grand cadi
de Cordoue, originaire de Sûmâta, tribu nomade Walhâsa ».
60. Cf. F. Dachraoui, op. cit. (n. 58), p.  58, où on lit  : «  Quant à al-Halwani (un
prédicateur chiite), il s’aventure jusqu’à Suğmar dans le pays des Sumāta au nord-ouest de
Qastiliya… Il convertit au Śi’isme des éléments appartenant aux Kutâma, Nafza et Sumāta
et répand parmi les Berbères la bonne parole » ; V. Prévost, « La Qastiliya médiévale et la
toponymie du Djérid tunisien », Folia orientalia 42-43, 2006-2007, p. 50 (balad Sumāta : un
désert entre Bâdis et Qastiliya, dans lequel se trouve Kaytoun Bayâdha).
61.  Ibn Khaldûn, Le livre des Exemples, éd. et trad. par A. Cheddadi, Paris, Gallimard,
2012, p. 132  : «  Les Walhâsa, qui sont une fraction des Nefzâwa, forment des tribus
nombreuses, issues de Tîdghâs et de Dihya, tous les deux fils de Walhâs. De Tîdghas sont
CONTINUITÉ DE L’ETHNONYMIE, CONTINUITÉ DU PEUPLEMENT 145

Fig. 5. – Localisation de Thubunae, Vescera et Badias sur le limes de Numidie


(carte par A. M’charek. in CRAI 2015, 1 : Abaritana atque Getulia provincia).

On sait aussi que l’importante tribu des Welhāsa était établie au moins depuis
le premier siècle de l’islam dans la région du Zāb, entre Biskra et Tobna sur
un tronçon de l’antique limes Zabensis (fig. 5). Rappelons que le gouverneur
abbasside de Kairouan, Umar Ibn Hafs, qui a restauré en 771 la ville de Tobna
(l’antique Thubunae) pour en faire la capitale du Zāb, a choisi d’y installer
une nombreuse population Nefza, branche des Werfağûma, composée de
ses alliés dans la région62. Par ailleurs, le témoignage d’Ibn Khaldûn fournit
des indications précises sur les Werfağûma de l’Aurès qui ont occupé et mis
à sac Kairouan au milieu du viiie siècle63, révélant par exemple l’identité de
leur chef militaire, Abd al -Malik b. Abi Jaad al-Nefzi64.

issues les tribus de Warfjûma, à savoir les Zajjâl, les Tû, les Bûrghush, les Wânjaz, les Kartît,
les Mâanejdel et les Sibant, tous enfants de Warfjûm, fils de Tîdghas, fils de Walhâs, fils de
Ittûft, fils de Nefzâw. D’après Ibn Sábiq et ses disciples, les enfants de Tîdghas font partie des
Luwâta et habitent tous dans les montagnes des Aurès ».
62.  Ibid., p. 252.
63.  Ibn Khaldûn, Kitāb al-Ibar, éd. I. Chabbouh, 2011, vol. 11, p. 254, où on apprend
que lorsque le gouverneur de l’Ifriqiya Abd al-Rahman ibn Habib qui avait rejeté l’autorité
du Calife abbasside Abu Jaafar al-Mansour fut tué par ses frères, Abd al-Warith et Ilyas, son
fils Habib voulut venger la mort de son père. C’est alors que Abdelwareth vint se réfugier
dans les Aurès chez les Warfağûma. Il fut accueilli par le chef de cette tribu, Âsim ibn Jamïl,
qui était un devin. Parmi les chefs des Warfağûma, il y avait Abd al-Malik ibn Abi Jaad.
64. Cf. V. Prévost, L’aventure ibadite dans le sud tunisien, 2008, p.  252  : «  Vers
137/ 754, Abd al-Warith, assassin d’Abd al-Rahman ibn Habib, se réfugie avec son armée
chez les Werfeğuma sufrites dont le chef Âsim ibn Ğamïl se dit prophète… Nous avons
146 AHMED M’CHAREK

Dans les sources antiques, les ancêtres des Nefza de l’Aurès dont le
mode de vie était sans doute nomade à l’origine, n’ont pas laissé beaucoup de
vestiges d’habitat. Toutefois, le nom d’une fraction des Werfağûma, donné
sous la forme Zûgāla/ Zagāla dans la nouvelle édition du Kitāb al-Ibar (Banû
Zagāla, ou fils de Zagal b. Werfağûm)65, est à mettre en relation avec le nom
du castellum Zugal (Ain Temda sur la carte archéologique de Constantine)66,
toponyme recensé en 1990 par J. Desanges, qui n’a pas manqué de signaler
en même temps une dédicace à Saturne trouvée en Roumanie et datée de
233 apr. J.-C., où le dédicant se disait « domo Zigali Afer »67.
Le même nom Zugal, attesté par des inscriptions du Haut-Empire, est
porté par une localité médiévale, en l’occurrence « Zûgāla », signalée par
les sources chiites et Ibn Khaldūn, au voisinage de Marmadjenna dans la
vallée du Sarrath en Tunisie actuelle68. C’est pourquoi on ne s’étonnera pas
de relever la présence au Moyen Âge dans la même vallée d’une fraction
tribale rattachée aux Berbères Ounifa, appelée «  Zġalma  » (au singulier
Zouġlāmi)69, soit très probablement la transposition arabe de Zugalamius/
Zugalamii. Ajoutons que cet ethnonyme survit de nos jours en Tunisie à
travers les patronymes Zġal, Zouġlāmi et Zgoulli70.
2. Besceri (= Misiciri) : sur le limes Badensis
On connaît dans la région du Zāb oriental, une tribu sédentarisée et
transformée en communauté civique à l’époque romaine sous le nom de

noté qu’après s’être emparés de la ville (de Kairouan), ils ne manifestent aucune intention
de jeter les bases d’un État kharidjite ; ils semblent faire aveuglément confiance à leur chef,
personnage charismatique qui modifie les préceptes religieux à sa guise ».
65.  Ibid., p. 197 (Zagāla) ; p. 251 (Zûgāla/ Zagûla).
66.  L’Année épigraphique, 1930, 55  : Victor[iae]/ d(omini) n(ostri)/ Imp(eratoris)
Caes(aris)[[[ M(arci) Aureli]]]/ [[[Severi Alexandri]]] in/victi Pii Felicis Aug(usti) divi
mag/ni Antonini Pii f(ilii) divi/ Severi nep(otis)/ r(es) p(ublica) castel(lum) Zugal(…)/ numini
maiestatique eius/ devot(us) d(onum) [dedit] p(ecunia) p(ublica). Voir aussi : Inscriptions
Latines d’Algérie II, vol. II, 2003, p. 888 (castellum Zugal / Ain Temda).
67. J. Desanges, « Toponymie de l’Afrique du Nord antique. Bilan des recherches depuis
1965 », in L’Afrique dans l’Occident romain, Rome, École française de Rome (Collection de
l’École française de Rome, 134), 1990, p. 251-272, ici p. 260.
68.  Ibn Khaldûn, Kitāb al-Ibar, éd de Beyrouth, 1968, VI, p. 233 (« Zugāla, localité des
Werfağûma »). Cf. A Bouzid, op. cit. (n. 8), p. 160.
69. Cf. Atlas archéologique de l’Algérie, éd. S. Gsell, 1911, f. Thala « Zeghalma » (en
Tunisie). Il s’agit d’un petit territoire où un centre de regroupement des Zghalma s’appelle
« sidi Ahmed al-Zoghlāmi » entre Tagerwin au nord et Kalaa Djerda (= Khasba) au sud. Je
tiens à remercier ici mon ami, le préhistorien Jamel Zoghlāmi, de son aide précieuse dans
l’enquête sur les Zeghalma (= Zġalma).
70. Cf. Annuaire téléphonique de Tunisie.
CONTINUITÉ DE L’ETHNONYMIE, CONTINUITÉ DU PEUPLEMENT 147

Vescera/ Bescera71. En effet, Pline l’Ancien a mentionné, parmi les tribus


soumises en 20 av. J.-C. par Cornelius Balbus lors de son expédition africaine,
une Viscera natio que J. Desanges a proposé d’identifier avec les habitants
de l’antique Biskra72, en formulant l’observation suivante : « Que la ville
de Vescera porte le même nom qu’une tribu ne peut étonner. Les Capsitani,
civitas et natio sont évidemment à mettre en relation avec Capsa »… « Dans
le cas présent, ajoute-t-il, l’agglomération a dû se développer en fixant
progressivement des éléments importants de la tribu »73.
Placée par Ptolémée en Libye intérieure, au nord du fleuve Geir (ici
l’oued Djedi)74, la ville de Vescera (Biskra) née de la sédentarisation d’une
tribu sera sous le Haut-Empire le siège d’un évêché chrétien, celui de
Bescera75. Le nom des Besceri est assurémenf identifiable avec celui des
Misiciri 76 ; en effet, on peut noter en premier lieu que les deux noms libyques
en question ont en commun une base lexicale BSCR = MSCR, sachant que
l’équivalence b = m est un fait banal dans l’onomastique africaine. À ce
propos, on peut citer à titre d’exemples, Bagrada = Majrada, Recuma =
Recuba et Badd = Madd, qui ont fait l’objet d’une enquête exhaustive due à
P. Trousset et J. Peyras77.
Mais il y a en outre un argument non moins important :
3. La proximité entre la ville de Bescera (Biskra) et des groupes Lawāta
établis sur l’ancien limes Badensis
Al-Bakri, dont les sources remontent au xe siècle, et Al-Idrisi, qui a écrit
au xiie, signalent la présence de groupes Lawāta, branche des Sedrāta, autour
de Biskra78 et dans la région du Zāb en général79. De son côté, Ibn Khaldûn
cite plusieurs fractions Lawāta établies au xive siècle dans le piédmont sud

71.  Atlas Archéologique de l’Algérie, f. 48, Biskra, n. 9-3. Voir aussi : dans Encyclopédie
Berbère, t. X, Aix-en-Provence, 1991, p.  1517-1522 (Biskra) ; B.  Makrouenta Bakhta,
L’image de l’Algérie antique au travers des sources arabes, t. 4, p. 1949-1965.
72. J. Desanges, op. cit. (n. 45), p. 1421 ; Id., Commentaire du Livre V de Pline l’Ancien,
Histoire Naturelle, Paris, Les Belles Lettres, 1980, p. 404, 10.
73. J. Desanges, op. cit. (n. 1), p. 404.
74.  Ptolémée, IV, 2, 7, pl. 612) ; J. Desanges, op. cit. (n. 1), p. 404.
75.  Victor de Vita, Histoire de la persécution vandale en Afrique, éd. S. Lancel, Paris,
Les Belles Lettres, 2002 (Felix Besceritanus).
76.  Le rapprochement entre le nom Misiciri et le toponyme Biskra m’a été suggéré par
mon épouse Fathia Bourghida, ce dont je la remercie.
77.  Sur la permutation B = M, voir G. Mercier, Revue asiatique, 1924, p. 195.
78. Al-Bakri, Kitāb al-Mamālik wal-Masālik, p. 52.
79.  Cf. A. Bouzid, op. cit. (n. 8), p. 113 (Lawāta, branche des Masāla).
148 AHMED M’CHAREK

de l’Aurès, de part et d’autre de Biskra, en précisant que les plus importants


de ces groupes étaient les « Banû Bādis » et les « Banû Sa’ada »80.
Il ajoute ensuite que ces Lawāta de l’Aurès qui étaient de rite kharedjite
avaient pris part au xe siècle à la révolte fomentée contre le pouvoir fatimide
par « l’homme à l’âne ». Nombreux et puissants, ajoute-t-il, ces Lawāta du
Zāb pouvaient aligner jusqu’à mille cavaliers et autant de fantassins81 ; c’est
pourquoi ils purent échapper au xie siècle à l’emprise des tribus arabes, et se
mirent plus tard au service du sultan hafside pour la collecte des impôts et
le maintien de l’ordre dans la Zab82. Le bien-fondé de ce témoignage d’Ibn
Khaldûn se vérifie à travers la micro-toponymie consignée cinq siècles plus
tard sur deux cartes topographiques, en l’occurrence :
– La carte sidi Okba de l’Atlas archéologique de l’Algérie, éd. S. Gsell,
1911, f. 49, qui comporte au no 18 : l’indication « Bordj Saada » (une sorte
de turris de la tribu Sa’ada).
– Sur la carte topographique au 1/ 250.000e, f. de Biskra, on peut lire
l’indication en lettres capitales d’un quartier d’habitat probablement
bédouin appelé « Douar Saada », situé dans la banlieue sud de cette ville,
et d’un second « Douar Saada » un peu plus loin, de part et d’autre de la
route de Touggourt (fig. 6). Cette présence, à l’époque contemporaine, des
Banu Sa’ada, branche des Lawāta, autour de Biskra et de sidi Okba, atteste
la continuité du peuplement berbère dans la région depuis le xive  siècle, et
confirme le bien-fondé du témoignage d’Ibn Khaldûn, excellent connaisseur
de la région. On sait en effet que cet historien a fait plusieurs séjours à
Biskra où il fut toujours bien reçu par ses protecteurs, les Banu Mozni qui
gouvernaient Biskra pour le compte des souverains Hafsides83.

80.  Ibn Khaldûn, Kitāb al -Ibar, éd. de Beyrouth, 1968, t. VI, p. 235-237. Banû Sa’ada
dans l’éd. Chabbouh (2011) du Kitāb al-Ibar est transcrite sous la forme fautive Banû Su’âda
par A. Chaddadi, dans Ibn Khaldûn, Le livre des Exemples, II. Histoire des Arabes et des
Berbères du Maghreb (traduction), Paris, Gallimard, 2012, p. 175.
81.  Ibid.
82.  Ibid., p. 153.
83. Hussein Âssi, Éminents historiens arabes et musulmans. Ibn Khaldûn l’historien
(en arabe), Beyrouth, 1991 (« Introduction »).
CONTINUITÉ DE L’ETHNONYMIE, CONTINUITÉ DU PEUPLEMENT 149

Fig. 6. – La mention de « Douar Saada » sur la carte topographique de Biskra.

Mentionnée par Ibn Khaldūn en même temps que les « Banu Sa’ada »,
l’autre branche des Lawāta de l’Aurès s’appelle « Banû Bâdîs »84. Et cette
tribu est évidemment à mettre en relation avec la ville antique homonyme,
en l’occurrence Vadis (= Badis)85 /Badè, l’actuelle Badès, qui s’élevait à

84.  Située dans l’Aurès par Ibn Khaldûn, cette localité ne doit pas être confondue avec
l’actuelle Banû Badis, commune algérienne, siège de daïra, de la wilaya de sidi Bel Abbès,
au nord-ouest de l’Algérie entre Tlemcen et sidi Bel Abbès.
85. Corippe, De Aedificis VI, 7, 6, 9. Cf. Y. Modéran, op. cit. (n. 6), p. 357 et p. 363,
où on lit : « C’est vers le sud que nous conduit le dernier nom de la liste Vadis (Corippe,
Johannide, II, 140-1261 : troupes qui suivaient Iaudas en 546). Ce toponyme doit en effet
être rapproché de la moderne Badès, située sur la frange sud-est de l’Aurès. Certes, il existait
une autre cité au nom identique dans l’Antiquité, dans la région des Babors (Ptolémée, IV,
2, 6  : Badea au sud de Thucca, ville riveraine de l’Ampsaga). Mais la forme Vadis pour
l’actuelle Badès est déjà attestée au iiie siècle (un évêque a Vadis est cité en 251 : J. L. Maier,
L’épiscopat de l’Afrique romaine et byzantine, Rome, 1973, p. 110). Et surtout l’indication
de Corippe selon laquelle on faisait deux moissons par an (Johannide, II, 156-157)... est
répétée dans les mêmes termes par Al-Bakri (traduction de Slane, J. A. 1858, t. 13, p. 131)...
Or Al- Bakri situe la cité de Badès, où se font ces deux récoltes, sur une route nord-saharienne
unissant Tehouda à Nefta (ibid., p. 131)... Cette localisation oblige à identifier la Vadis de
Corippe avec la ville du versant sud-oriental de l’Aurès, sur lequel Iaudas exerçait donc
150 AHMED M’CHAREK

l’est de Thabudeos (Thouda), au nord de l’actuelle sidi Okba86. Or, la Table


de Peutinger mentionne une station Ad Badias 87 localisable dans le Zāb
oriental, à l’est de Thabudeos. Il s’agit d’une cité dont l’histoire remonte
au Haut-Empire romain88 ; place-forte depuis Trajan et statio du limes de
Numidie, l’antique Bades ou Ad Badias fut d’abord civitas avant d’être
promue au rang de municipe à une date inconnue et de devenir le siège d’un
évêché chrétien dès le iiie siècle89. Cette ville a continué à exister jusqu’au
xve siècle, comme l’a montré dans sa thèse B. Moukraenta Abed : mentionnée
au xiie siècle par l’Anonyme d’al-Istibsar qui la qualifie de « ville fortifiée
d’origine antique » ; elle est signalée comme simple « village » par Ibn
Khaldûn90. Mais, parallèlement, une tribu des « Banû Badîs », branche des
Lawāta, s’est maintenue jusqu’au xive siècle puisqu’elle est recensée par Ibn
Khaldûn en même temps que les « Banû Sa’ada ».
Au final, tout semble indiquer que la région des Ziban où la ville de
Vescera/ Biskra a toujours joué le rôle de chef-lieu régional en même temps
que de porte du Sahara, pourrait correspondre à un espace tribal stratégique,
peuplé et contrôlé par des Nefzii/ Nefza et des Lawatae/Lawāta ; soit deux
confédérations tribales associées et alliées à l’instar de leurs voisins, les
Avares (Haouara) et Zanenses (Zanāta) établis plus au nord dans la même
région des Aurès91. P. Morizot a de son côté estimé, dans un ouvrage récent,
que le toponyme de Laghouat, ville située plus à l’ouest au bout de la vallée
de l’oued Djedi92 (fig. 7), pourrait être rapproché de Laguatan 93. Il est vrai

son autorité » (cf. carte de localisation par Y. Modéran, op. cit. [n. 6], p. 360 et 524). On
ajoutera qu’il existe aussi une autre Badis mentionnée par Ibn Khaldûn, mais qui était « une
ville maritime du Rif marocain » (A. Chaddadi, Le Livre des Exemples, p.  98, 173, 333,
1064, 1262). Pour les vestiges archéologiques d’Ad Badias encore méconnue, cf. en dernier
lieu : Yacine Rabah Hadji, « Les découvertes archéologiques de Badias », Libyca, n. s., 2
(Actes du colloque international : La Numidie, Massinissa et l’Histoire, Constantine, 2017,
p. 285-300). Badis est omise dans Cartes des routes et des cités de l’Est de l’Africa à la fin de
l’Antiquité, J. Desanges, N. Duval, Cl. Lepelley et S. Saint-Amans éd., 2010.
86.  Atlas archéologique de l’Algérie, 49, f. sidi Okba, n. 51, 52, 53.
87.  Table de Peutinger, segm. IV, 3.
88. Cf. P. Trousset, dans Encyclopédie Berbère, IX, Aix-en-Provence, 1991,
p. 1299-1302, s. v. Badias / Badis (Badès) ; P. Morizot, Antiquités africaines 35, 1999, p. 152.
89.  Cf. S. Lancel, Actes de la conférence de Carthage en 411, IV, 1991, p. 1321 (plebs
Badiensis).
90.  Voir B. Moukraenta Abed, op. cit. (n. 9), t. 4, p. 1921-1948.
91.  A. M’charek, art. cité (n. 29), p. 445-477.
92.  Pour la situation géographique de Laghouat, voir infra, fig. 7.
93. P.  Morizot, Romains et Berbères  : face à face, Arles, Errance, 2015, p.  145, où
on lit  : «  des Laguatan (Joh., I, IV, VII et VIII) phonétiquement très proche du nom de
Laghouat, chef-lieu d’une wilaya de l’Algérie centrale donc bien loin de la Libye antique.
CONTINUITÉ DE L’ETHNONYMIE, CONTINUITÉ DU PEUPLEMENT 151

Fig. 7. – Localisation de l’oasis de Laghouat par rapport à Biskra (P. Morizot, op. cit. [n. 93],
p. 117, fig. 26) ; carte des réseaux de villages de colonisation en Algérie,
d’après M. Côte, L’Algérie ou l’espace retourné, Paris, 1988).

Une hypothèse voisine avait été avancée par Henri Tauxier (Rev. afr. 29, 1885, p. 232-240) à
propos des Levathai de Procope dont le nom est généralement considéré comme une variante
de Laguatan (Procope, BV, II, 21). Cette hypothèse n’a guère été retenue, peut-être parce
que Laghouat, chef-lieu du Djebel Amour aujourd’hui totalement arabophone, est considérée
comme une cité de nomades dont la population est composée en majorité de descendants des
tribus arabes Soleim qui ont envahi le Maghreb aux xiie-xive siècles. De ce fait l’on est parfois
tenté d’arabiser le nom de Laghouat en l’écrivant (E)l Arouat avec le sens de “maisons
entourées de jardins” (Hirtz G., L’Algérie nomade et ksourienne, Marseille, 1989, p. 133).
En réalité ce ksar connu jadis sous le nom de Ben Bouta s’est accru au xive siècle d’immigrés
de la grande tribu des Maghrawa venus de la région d’Oran, dont une fraction portait le
nom de Laghouat (Ibn Khaldun l’affirme formellement), qui est devenu celui de la ville tout
entière ; or, il n’est pas douteux que ces Berbères avaient des attaches dans tout le Maghreb,
principalement en Algérie et au Maroc mais aussi dans le nord de la Tunisie où existe une
ville de ce nom ». Pour ma part, je voudrais attirer l’attention sur le phénomène fréquent
d’une localité berbère (par exemple : ici Laghouat, centre de regroupement des Laguatan)
ayant perdu sa population d’origine (celle dont elle avait reçu le premier nom) au profit d’une
autre population d’origine tribale (ici des Maghrawa). Il n’y a donc rien d’étonnant à ce que
Laghouat (anciennement Laguatan) soit peuplée au temps d’Ibn Khaldûn par des Maġrâwa
(= Maghrâwa) originaires d’Ifriqiya ou du Maghreb central.
152 AHMED M’CHAREK

que le nom de cette localité saharienne est l’équivalent exact du nom antique
des Lawāta (Levathai), donné sous la variante Laguatan 94 qui correspond à
l’ethnonyme générique libyco-berbère (i)Lagwat(n) (Lagwat, vocalisé aussi
Laġwat, ou Laghouat en français).

Conclusions
Au terme de l’enquête, on retiendra quatre conclusions :
1. L’étude croisée des sources a permis d’identifier les origines gétules
de l’ethnonyme Nefza/ Nefzawa (antiques Nefzii ou Nefzenses) et de mieux
connaître sa dispersion et celle du nom des Lawāta (antiques Lavathai) dans
tout le Maghreb95 ; une dispersion en général tardive, comme l’a déjà noté
Y. Modéran96. Le témoignage décisif du Kitab al-Ibar montre encore une fois

94. Procope, Bellum Vandalicum, Loeb, 1979, II, 21.


95.  Pour les Nefza assimilés par d’autres tribus plus importantes, on peut citer ceux du
Rif marocain (assimilés par les Guelaya : G. Camps, art. cité [n. 7], p. 142) et ceux qui étaient
établis dans le « bilād Nefza », chez les tribus Amdoun (dans un pays montagneux à l’extrême
nord de la Tunisie actuelle, gouvernorat de Béja, cf. Nomenclature et répartition des tribus de
Tunisie, 1900, p. 13-19. Il y a aussi un éclat de la tribu Nefza, fraction des Walhāsa assimilée
par les Kumiya de l’Oranie (pour la localisation, cf. A. Khelifa, Honaïne, ancien port de
Tlemcen, Alger, Dalimen, 2008, p. 76 [carte : Les populations des Traras, « Oualhasa »]). De
même, les sources médiévales mentionnent d’autres communautés ou localités attribuables,
de manière assurée ou probable, aux Lawāta : il y a d’abord en Ifriqiya une ville appelée
Madkour (toponyme dont la base lexicale MDKR est la même que celle des Misiciri/ Miziciri
compte tenu de l’équivalence d = z). C’est mon collègue A. El-Bāhi qui a eu l’amabilité
d’attirer mon attention sur ce toponyme (ce dont je le remercie). Il désignait une localité
importante située entre Kairouan et Gafsa, qui fut le chef-lieu du district de Gammouda sous
les Aghlabides et les Zirides (A. El-Bāhi, Les toponymes de la Byzacène au Moyen Âge,
Mémoire de DEA, Tunis, 1995, p. 195 : ville mentionnée par Al-Yaqûbi au ixe  s.). On sait
par ailleurs que ce toponyme a été rapproché par A. Beschaouch de Mazotkor, le nom d’un
évêché chrétien de Byzacène attesté au ve  siècle (Victor de Vita, Histoire des persécutions
vandales, éd. citée [n. 75], p. 403), dans B. C. T. H., Afr. du nord, n. s. 25, 1996-1998, p. 136 ;
ce savant a retenu la conclusion suivante : « Le toponyme (Madkour) correspondant à cet
ethnique était probablement Mazotkor. La ville arabe décrite par Al-Bekri avait donc repris
le nom de la cité antique ». Cette hypothèse pourrait trouver confirmation dans l’existence d’un
secteur géographique du Kairouanais (une plaine alluviale dans la vallée du Marguelleil appelée
au xive siècle « Bahirat Lawāta » = plaine des Lawāta (A. El-Bāhi, op. cit., 1995, p. 427).
96.  Y. Modéran, op. cit. (n. 6), p.  191  : « Après la conquête arabe, dans ce qu’il est
convenu d’appeler le Moyen Âge, des textes commencent à signaler des Lawâta en dehors du
sol libyen moderne : évoquant des groupes d’abord peu nombreux jusqu’à la fin du ixe siècle,
ils décrivent ensuite un véritable éparpillement qui finit même par dépasser les limites du
Maghreb. Ainsi, alors qu’Al-Yaqûbî en 889 affirme encore qu’Ajdabiya, au sud-ouest de la
Cyrénaïque est « le point extrême (vers l’ouest) de leur résidence », Al-Bakri, au xie siècle,
décrit des fractions Lawâta dispersées de l’Égypte au Maroc. Et plus tard, au xive siècle, Ibn
Khaldûn identifie neuf principales branches de la tribu : en Haute Égypte, près d’Alexandrie,
CONTINUITÉ DE L’ETHNONYMIE, CONTINUITÉ DU PEUPLEMENT 153

l’excellence des sources berbères mises à contribution par Ibn Khaldūn ; alors
que l’apport de cet historien du xive  siècle est souvent sous-estimé par les
commentateurs modernes97, y compris les arabophones qui le tiennent pour
trop tardif 98. Aujourd’hui, c’est grâce à lui que nous apprenons l’existence
au Moyen Âge de deux confédérations quasi homonymes et voisines, les
Nefza de l’Aurès et les Nefzāwa du « Bilād al-Jarid ».
2. L’identification de deux aires de peuplement où les deux communautés
gétules recherchées (Misiciri et Nefzii) ainsi que plus tard leurs héritiers du
Moyen Âge se trouvaient associées dans le même mode de vie à la fois
nomade et sédentaire et dans les mêmes territoires sahariens parsemés
d’oasis :

en Cyrénaïque, au sud de Gabès, dans l’Aurès, près de Gabès, près de Ngaous, à proximité de
Béjaïa, aux environs de Tiaret, et dans le pays de Marrakech. Ce sont ces textes, et le dernier
en particulier, qui ont conduit des historiens à formuler la théorie des migrations, alors qu’ils
ne décrivent, en réalité, qu’une situation très postérieure à la conquête arabe ». Mais, la
chronologie haute de la présence des Laguatan dans l’Africa/ Ifriqiya et en Afrique du nord
serait désormais à mettre à jour à la lumière des résultats de la présente enquête.
97.  En dernier lieu  : Chr. Hamdoune, Ad fines Africae. Les Mondes tribaux dans les
provinces maurétaniennes, Bordeaux, éd. Ausonius, 2018, p. 383, où on lit : « La présence de
deux États (en Maurétanie césarienne à l’époque byzantine) est également perceptible dans
l’Histoire des Berbères d’Ibn Khaldûn. Certes il faut peser la nature des informations qu’il
fournit et bien souvent relativiser la valeur de son témoignage (Modéran 2003 b, 743-760 :
il “restait un homme du xive siècle. Le beau et clair système dichotomique qui sous-tend son
exposé sur la société et l’histoire berbères ne doit pas être lu autrement… À tout prendre le
génie d’Ibn Khaldûn est ainsi probablement plus dangereux pour l’historien de ce temps que
les naïvetés et les confusions des chroniqueurs antérieurs”). En effet, Ibn Khaldûn s’appuie
sur les récits transmis par la tradition, mais les retravaille par un recours systématique à la
généalogie comme mode de classement des Berbères et la dichotomie Botr/ Branes pour
expliquer l’histoire. Malheureusement, on constate, chez les historiens actuels, une tendance
à interpréter de manière systématique les données d’Ibn Khaldûn pour identifier des tribus
dans l’Antiquité et conclure à leur dissémination en se fondant sur des rapprochements
toponymiques peu concluants ». On reviendra ailleurs sur l’apport des sources médiévales
synthétisées par Ibn Khaldûn à la connaissance de l’ethnonymie libyco-berbère ; et on se
contentera de relever ici que notre regrettée collègue n’a fait que reprendre un jugement
particulièrement sévère à l’endroit d’Ibn Khaldûn émis par Y. Modéran en 2003 mais qui
est aujourd'hui dépassé par les progrès récents de la recherche. Il en est ainsi notamment
pour l’explication avancée par ce savant au sujet de la dichotomie Butr/ Branès, à savoir
« Maures de l’extérieur/ Maures de l’intérieur » ; théorie qui s’avère insuffisamment fondée
puisque les plus importants des peuples berbères classés « Butr » par Ibn Khaldûn comme les
Zanāta (antiques Zanenses/ Dianenses ou encore Zanatae) vivaient à la fois à l’intérieur et à
l’extérieur du limes romain (A. M’Charek, Comptes rendus des Séances de l’Académie des
Inscriptions et Belles-Lettres 2015, fasc. I [janv.-mars], p. 471-472).
98. Cf. Hussein Âssi, op. cit. (n. 83), 1991, p. 190 sq.
154 AHMED M’CHAREK

– La première aire de peuplement identifiée est située en Gétulie de


Tripolitaine, sur le limes Tripolitanus, en l’occurrence l’actuel «  Bilād
Nefzāoua » correspondant à l’antique territoire des Nybgenii (avec Turris
Tamellini et Turris Timezegeri).
– La seconde aire de peuplement (avec les Nefzii et les Visceri/ Besceri)
est située en Gétulie de Numidie, sur le limes Badensis (entre Badias/ Bades
à l’est et Vescera/ Biskra à l’ouest) et sur le limes Thubunensis (autour de
Thubunae/ Tobna). Cette région du sud algérien est appelée « pays de Zabè »
à l’époque byzantine99 et « Bilād al-Zāb » au Moyen Âge100.
3. Le nom des Gétules Misiciri est attesté en dehors de la Numidie
proconsulaire dans des régions sahariennes correspondant aux limes
Badensis et Tripolitanus. Dans ces régions méridionales il désigne des
populations qui auraient constitué des composantes de base de la grande
famille des Lavatae, Gétules au sens large du terme101, confédération tribale
regroupant avec les Laguatan (Lawāta) les Nefzii (Nefza et Nefzāwa) et
d’autres groupes sahariens comme probablement les Arzuges du limes
Tripolitanus.
4. S’ils sont acceptés, nos résultats attestant la présence au premier
siècle de l’ère chrétienne sur les limes de Tripolitaine et de Numidie de
groupes de Nefzii apparentés aux Levathai sahariens montrent le bien-fondé
de l’hypothèse avancée par R. Rébuffat sur les origines gétules d’au moins
deux ethnonymes des Misiciri 102. Mais surtout, ils pourraient relancer
le débat scientifique sur l’origine et la dispersion de la confédération des
Laguatan qui était attestée jusqu’ici essentiellement en Libye aux iiie
et ive siècles de notre ère103. Ces données historiques jettent une lumière

99. Procope, Bellum Vandalicum, Loeb, 1979, 2, 20, 30 (Le pays de Zabè correspond
chez cet auteur à la Maurétanie Première dont Sétif fut la capitale).
100.  Cf. M. Benabbès, L’Afrique byzantine à la veille de la conquête arabe, thèse de
doctorat soutenue en 2004 à l’université de Paris X-Nanterre, p. 323-324.
101.  Sur la signification large du nom Gétule, cf. Y. Modéran, op. cit. (n. 6), p. 269,
où on lit notamment : « Le nom même de Gétule pose, de manière générale, un important
problème. J. Desanges comme S. Gsell lui attribuent une très large signification : il ne s’agit
ni d’une ethnie, ni d’un groupe singularisé par son genre de vie nomade, mais d’un ensemble
de populations distinctes d’abord par leur situation en marge des États berbères, puis des
provinces romaines ».
102.  L’identification porte ici, non pas sur les Misiciri installés en Numidie vers la fin
du ier siècle de notre ère, mais sur leurs lointains ancêtres hypothétiques, objet de la présente
enquête  : le résultat obtenu est l’identification de deux communautés homonymes (même
base lexicale que les Misiciri identifiés par G. Camps), en l’occurrence les Timezegiri sur
le limes Tripolitanus organisé par Trajan et les Besceri/ Bisiciri attestés depuis le règne
d’Auguste sur le futur limes de Numidie.
103.  Cf. Y. Modéran, op. cit. (n. 6), p. 165 sq.
CONTINUITÉ DE L’ETHNONYMIE, CONTINUITÉ DU PEUPLEMENT 155

nouvelle sur le dossier de ladite confédération tribale en rapport avec le


thème des Néoberbères qui a passionné, entre autres grands savants, le
sociologue J. Berque et les historiens D. J. Mattingly et Y. Modéran104. Non
seulement la fameuse théorie des Néoberbères, qui a déjà fait l’objet d’une
critique serrée, due notamment à Y. Modéran105, est définitivement ruinée,
mais nous savons désormais que les Nefzii et les Lavatae ont fondé dans les
oasis du sud et plus au nord dans le Tell, des cités qui ont pu se romaniser
et accéder au rang de municipium (Badias, Turris Tamalleni et Thullium) ou
plus modestement à celui de res publica, comme ce fut le cas du castellum
Zugal.
On sait aussi que, parallèlement au processus de municipalisation,
quelques segments de ces mêmes tribus d’origine saharienne, comme les
Badenses (Banû Bādis), ont gardé tout au long de l’Antiquité et du Moyen
Âge une organisation traditionnelle et un rôle de tribus guerrières, tour
à tour alliées ou ennemies de la puissance impériale du moment ; et ce
depuis les empereurs du Haut-Empire romain jusqu’aux sultans Hafsides
contemporains d’Ibn Khaldûn.

Ahmed M’Charek

104. Sur la question disputée de l’origine et de la dispersion des Laguatan, cf. en


dernier lieu : P. Morizot, Romains et Berbères face à face, Arles, Errance, 2015, p. 145-146 :
« Pour ce qui concerne les Laguatan on sait qu’ils sont originaires du désert libyen et qu’ils
se sont progressivement déplacés vers l’ouest, pénétrant même dans l’actuelle Tunisie. Ces
Laguatan ont fait l’objet d’une abondante littérature voire même d’une controverse entre
David J. Mattingly (Tripolitania, Bt Btasford, 1995) et Y. Modéran (in Encyclopédie Berbère,
s. v. Kirtesi 28-29, p. 4318-4321, 2008) en ce qui concerne en particulier les déplacements de
cette tribu dans l’Antiquité tardive. Si l’un et l’autre sont d’accord pour leur reconnaître une
origine tripolitaine, s’ils admettent tous les deux qu’une progression les a conduits jusqu’en
Byzacène voire même au-delà en Proconsulaire du nord, pour le premier il s’agit d’une
migration durable, intéressant une confédération de tribus dont le chef incontesté est Antalas
(Procope, Joh., I, 467), pour le second il s’agit d’un mouvement tribal sans lendemain et il va
jusqu’à qualifier d’“absurde” (!) l’affirmation de Corippe qui voit en Antalas le “ductor” des
Laguatan. Pour ma part, j’hésite à le suivre dans cette voie et suis plus proche de l’opinion
de David J. Mattingly… ».
105. Y. Modéran, op. cit. (n. 6), p.  123-207  : «  Deuxième partie  : les Maures de
l’extérieur et le problème des Néoberbères ».

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