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en Afrique du Nord
IXe Journée d’études nord-africaines
John Scheid et Michel Zink éd.
ACTES DE COLLOQUE
CONTINUITÉ DE L’ETHNONYMIE,
CONTINUITÉ DU PEUPLEMENT
AU MAGHREB DE L’ANTIQUITÉ AU MOYEN ÂGE.
Introduction
Après avoir d’abord remercié l’Académie, je voudrais traiter de la
continuité de l’ethnonymie et de la continuité du peuplement au Maghreb
de l’Antiquité au Moyen Âge à travers le cas des Gétules Misiciri attestés
jusqu’ici par l’épigraphie libyque essentiellement. En partant à la recherche
des Misiciri et de leurs pays d’origine, je me propose de mettre à contribution
le Livre V de Pline, savamment commenté par votre confrère J. Desanges1,
et les sources médiévales, notamment le Livre des Exemples d’Ibn Khaldûn
dont le meilleur manuscrit, celui qui comporte les signes diacritiques, vient
d’être édité à Tunis2. Malheureusement, ce dernier ouvrage n’a fait l’objet,
à ce jour, ni du commentaire scientifique qu’il mérite ni de la traduction
complète qu’il nécessite.
Le sujet de ma présente contribution est inspiré de l’hypothèse émise en
2005 par R. Rebuffat3 sur les origines gétules de trois fractions de la tribu
des Misiciri qui occupait en Numidie proconsulaire au ier siècle apr. J.-C. un
4. G. Camps, Les Berbères. Mémoire et identité, Paris, 1980, p. 232, où on lit : « presque
aussi vaste (que celui des Musulames) était le territoire d’une confédération numide moins
connue, les Misiciri ; qui occupaient la zone frontière et montagneuse au nord de la Medjerda,
sur les confins algéro-tunisiens. Grâce à trois inscriptions latines et soixante-deux inscriptions
libyques, il est possible de reconnaître dans le territoire des Misiciri (MSKRH en libyque) des
groupes qui se nomment respectivement NBIBH (peut-être Nababes dont le nom est connu
ailleurs), les NNDRMH dont le nom rappelle celui de Nedroma (Oranie), les SRMMH, les
NSFH et NFZIH. Ainsi les Misiciri se répartissent, semble-t-il, eux aussi, en cinq clans ou
tribus. Nouvel élément à verser au dossier d’une possible et ancienne organisation par cinq des
super-tribus et confédérations berbères ». Les NBIBH étant probablement identifiables avec
les Nababes de Kabylie ne pourraient pas, en principe, être concernés par une quelconque
origine gétule.
5. G. Camps, op. cit. (n. 4), p. 232 ; Id., « À la recherche des Misiciri. Cartographie
des inscriptions libyques », in À la croisée des études libyco-berbères. Mélanges offerts à
P. Galand-Pernet et L. Galand, Paris, 1993, p. 113-126.
6. À propos du vocable tribus utilisé dans trois inscriptions latines (comme par exemple
dans ILAlg. I, 138), Y. Modéran écrit (Les Maures et l’Afrique romaine, Rome [BEFAR, 314],
2003, p. 429, n. 61), le commentaire suivant : « Sur le terme (tribus), cf. S. Gsell, HAAN,
V, p. 54-55, qui le traduisait par “clan” sans véritable justification. En réalité, le dossier
épigraphique des attestations de tribus autoriserait plutôt à une traduction par “fraction”,
comme Gsell l’avait d’ailleurs envisagé lui-même une première fois (B. A. C., 1917, p. 330),
parce que les groupes désignés ainsi semblent soit s’insérer dans un ensemble plus vaste, soit
occuper eux-mêmes un espace important… »
7. Cf. G. Camps, « La main et la “segmentante” quinaire chez les Berbères », Antiquités
africaines 37, 2001, p. 145, où on lit : « La zone occupée par les Misiciri est assez vaste
pour qu’on puisse y reconnaître des divisions territoriales correspondant à cinq clans
respectivement nommés NNDRMH. NBBH, NFZH, NSFH, SRMMH. Les trois premiers
sont des toponymes ou ethnonymes connus ailleurs dans le Maghreb : ainsi le toponyme
actuel de la ville de Nedroma s’écrivait NNDRMH. Nababes est, semble-t-il, le nom
d’une tribu de Grande Kabylie citée et localisée par Pline (V, 21). Les NBBH (Nababes),
fraction des Misiciri, habitaient dans le voisinage de Mechta Djenaîne. À l’autre extrémité
du territoire à Kef Beni Fredj, autour de l’antique Thullio, se trouvaient les SRMMH. Les
SNFH, contrairement aux précédents, ont un territoire étendu ; on les trouve à la fois à Ain
el-Hofra et à Ain Kerma. Un peu plus au sud, dans la vallée de l’oued Bayada, vivaient les
NNDRH. Sur un territoire exigu, à Ain Kerma Smine, vivaient les NFZIH dont le nom est
conservé dans celui de la région de Kébili : Nefzaoua ; la même racine se retrouve dans le
nom Nefza entre la Kroumirie et les Mogods… cinq clans avec chacun sa nécropole… »
8. Cf. A. Bouzid, Catalogue des tribus Berbères « Butr » au Maghreb d’après les
sources arabes médiévales, Mémoire de DRA (thèse de IIIe cycle), Tunis, 1992, p. 57, 58
et 70 (tribu « butr », fraction des Banu Fatîn).
CONTINUITÉ DE L’ETHNONYMIE, CONTINUITÉ DU PEUPLEMENT 133
évêché chrétien en 52514 ; d’autre part Onellaba (Bordj Bou Lares), une
localité libyque plus modeste, semble-t-il, puisqu’elle n’est attestée à ce jour
ni comme civitas ni comme évêché chrétien15.
Mais en guise de préalable à l’enquête sur les tribus gétules recherchées,
il convient de faire une mise au point rapide sur leur onomastique. Voici
donc en première partie :
14. Cf. Carte des routes et des cités de l’est de l’Africa à la fin de l’Antiquité. Nouvelle
édition de la carte des « Voies romaines de l’Afrique du Nord » conçue en 1949, d’après les
tracés de Pierre Salama, J. Desanges, N. Duval, C. Lepelley et S. Saint-Amans éd., Turnhout,
Brepols (Bibliothèque de l’Antiquité tardive, 17), 2010, p. 262.
15. Ibid., p. 189-190.
16. I. Sfaxi, Op. cit., 2016, p. 221-225 (base lexicale : MSKR : MZKR).
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23. Ibn Khaldûn, Histoire des Berbères, t. I, trad. Baron de Slane, nouv. éd. sous la dir.
de P. Casanova, Paris, Paul Geuthner, 1925, p. 170 et 231-232.
24. A. Bouzid, op. cit. (n. 8), 1992, p. 137-163.
25. V. Prévost, L’aventure ibadite dans le sud tunisien, Helsinki, 2008, p. 74-76.
26. P. Trousset, in Encyclopédie Berbère, t. XXXIII, Louvain, Peeters, 2012,
p. 5382-5389, s. v. « Nefzawa : Antiquité ».
27. A. Khelifa, in Encyclopédie Berbère, t. XXXIII, Louvain, Peeters, p. 5381-5382,
s. v. « Nefza (Tribu) » et p. 5389-5392, s. v. « Nafzāoua (Nafzawa) : Moyen Âge ». Cet
auteur a suivi la démarche de Ch. Pellat qui avait consacré des notices séparées (Nafza/
Nafzāwa : dans Encyclopédie de l’Islam, t. VII, 1993, p. 897-898), mais sans faire pour
autant la distinction géographique entre Nefza de l’Aurès et Nefzāwa du sud tunisien.
28. Par ailleurs, les sources arabes indiquent que les tribus Nefzāwa ont professé la
doctrine ibadhite (ou Kharedjisme modéré), tandis que les Nefza de l’Aurès étaient en
général soufrites, c’est-à-dire Kharedjites extrémistes. Ibn Khaldûn a indiqué expressément
que ce sont les Werfağûma de l’Aurès qui ont mis à sac Kairouan en 757-758 de notre ère et
l’ont tenue d’une main de fer pendant un an, massacrant les notables arabes et transformant
la grande mosquée en écurie pour leurs chevaux. Ces mêmes communautés Nefza de l’Aurès
ont joué un rôle considérable dans les révoltes Kharidjites des viie-viiie siècles contre les
gouverneurs arabes de Kairouan et lors de la révolte de « Homme à l’âne » contre le pouvoir
fatimide au xe siècle.
29. Cf. A. M’charek, « Continuité de l’ethnonymie, continuité du peuplement au
Maghreb de l’Antiquité à nos jours : le cas des Avares (Haouāra) et Dianenses ou Zanenses
(Zanāta) », Comptes rendus des Séances de l’Académie des Inscriptions et Belles-Lettres 2015,
fasc. I (janvier-mars), p. 445 (carte : p. 451, fig. 1).
30. Cf. P. Trousset, in Encyclopédie Berbère, t. XXXIII, Louvain, Peeters, 2012, s. v.
« Nefzaoua ».
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II. Une enquête sur les Nybgenii et les Timezegeri établis sur le limes
Tripolitanus
Une première question se pose : le nom des Berbères Nefzāwa, attesté
par les sources médiévales31 qui ont relaté les événements de la conquête
arabe de la Tripolitaine, est-il identifiable avec celui des antiques Nybgenii
qui apparaît sur des bornes érigées au début du second siècle apr. J.-C. ?
À l’appui d’une pareille identification, plusieurs indices peuvent être avancés.
1er indice : une proximité géographique
Conquis par Rome, annexé et soumis à la centuriation au ier siècle
apr. J.-C., le territoire de la gens Nybgeniorum fut délimité ensuite par
des bornes érigées sous Trajan (en 104 apr. J.-C.), par rapport au territoire
des Capsitani au nord et à celui des Tacapitani à l’est. Situé sur la rive
orientale du Chott el-Djerid (l’antique lacus Maddensis), ce territoire tribal
qui s’étendait de part et d’autre du chott el-Fedjej, avait comme centre de
regroupement la cité de Tamallen identifiable avec la civitas Nybgeniorum
(l’actuelle Telmine) qui fut promue municipe sous Hadrien32. Cette localité
est mentionnée dans l’Itinéraire d’Antonin sous le nom de Turris Tamalleni
et sera le siège d’un évêché chrétien33.
Au Moyen Âge, le rôle de chef-lieu régional est joué par l’oasis
d’al-Mansoura sous le nom de Torra ou Nefzawa34. Nefzawa désigne alors à
la fois la tribu et la ville homonyme qui lui sert de centre de regroupement.
Cette continuité s’explique par la situation de la ville à un point nodal du
limes Tripolitanus (fig. 4), entre d’un côté l’antique Abaritana atque Getulia
provincia (l’actuelle région des Aurès) et la région des Castella/ Qastilyia
(Bilād al-Jarid) à l’ouest et, de l’autre, la province de Tripolitaine à l’est.
À la continuité territoriale évidente sur l’ancien territoire des Nybgenii
s’ajoute une proximité linguistique non moins évidente entre les ethnonymes
Nybgenii et Nefzāwa.
46. A. M’rabet, art. cité (n. 44), p. 138, où on lit : « C’est à cet emplacement que
nous proposons de placer Timezegeri Turris… Partant d’Avibus, en suivant cette direction
(sud-ouest), qui longe le Tebaga et en comptant la distance de dix milles donnée par la Table,
nous tombons de l’autre côté de la clausura, vers l’ouest, là où se dresse de nos jours la “Benia
Guedah Esseder” ». À propos du castellum de « Benia Guedah Ceder », voir P. Trousset,
Recherches sur le limes Tripolitanus entre le Chott-el-Djérid et la frontière tuniso-libyenne,
Paris, Éditions du CNRS, 1974, p. 67-68.
Et c’est ici qu’il faut faire le lien entre le nom des Timezegeri et celui qui est attesté au
Djebel Nefousa sous la forme berbère « Mazgûr(n)/ Mazgûra » dans les sources ibadhites et
sous la forme arabisée « Banu Maskour » que nous devons à Ibn Khaldûn (voir supra, n. 8
et 9). Cette attestation tardive du nom des Misiciri, désignant un groupe ethnique assimilé
par une tribu zènète du Djebel Nefousa, est probablement révélatrice d’une émigration forcée
vers cette montagne-refuge, du groupe ethnique homonyme qui était établi au iiie siècle sur
le territoire des Nybgenii. On est d’autant plus enclin à le croire que les sources médiévales,
entre autres Ibn Khaldûn, ont évoqué un mouvement de déplacement des groupes tribaux
dépossédés de leurs terres à la suite de l’invasion du Bilād Nefzāwa au xie siècle par les Banû
Hilal et les Banû Souleym. Ce n’est donc pas un hasard si la plaine où s’élevait jadis Turris
Timezegeri est aujourd’hui le fief des Arabes Beni-Zid de la voisine El Hamma de Gabès.
47. Cf. Ph. Mesnard, dans L’Africa Romana, 2002, p. 1828, où on lit ceci : « Dans la
consultation croisée des cartes topographiques au 1/50.000e de Gabès, Kebili, Matmata, Douz
et Médenine, on retiendra deux toponymes fossiles pour la zone qui nous intéresse, soit les
secteurs de Matmata-Tamezret, Chemlali-Ben Aissa et Hadejj. Il s’agit du jbel Zegrarine et de
Zegrarine, tous deux formés sur le radical ZGR : une parenté intéressante avec Tizigrarine ».
48. Cf. A. Habachi, Tribus de Tunisie, 3e éd., 2017, p. 172 (en arabe), où on lit :
« Contrôle militaire de Matmata, Al Achech (Tichin, Zegrarine, Tigma, Beni Sukan) ».
49. Al-Yaqûbi, Kitāb al-Bûldan, 2e éd. par M. J. de Goeje, B. G. A., trad. G. Wiet, Les
pays, Le Caire, 1973 p. 347.
50. Al-Bakri, Kitāb al-Masālik wa al-Mamālik, éd. et trad. Baron de Slane, sous le titre
Description de l’Afrique septentrionale, 2e éd., Alger, 1911-1912, p. 182.
CONTINUITÉ DE L’ETHNONYMIE, CONTINUITÉ DU PEUPLEMENT 143
51. Ibn Khaldûn, Kitāb al-Ibar, éd. de Beyrouth, 1968, t. VI, p. 154, où on lit ce qu’on
pourrait traduire ainsi : « des fractions Lawāta peuplent le jabel qui porte leur nom au sud
de Gabès et de Sfax. Parmi eux, les Banû Mekki qui gouvernent Gabès de nos jours ». Voir
aussi : R. Brunschwig, La Berbérie orientale sous les Hafsides, Paris, 1988, I, p. 175-176.
52. A. El-Bāhi, « Les tribus Demmer, Zenzafa et Matmâta dans le sud-est de l’Ifriqiya »
(en arabe), dans Hommage aux Professeurs Mounira Remadi-Chapoutot et Abdallah Chérif,
Mongi Bourgou éd., Tunis, C. P. U., 2015, p. 13-64. Une localité voisine de Gabès située
sur la route de Mareth s’appelle Kattâna ; un toponyme identifiable avec le nom de la tribu
Gaddâna, fraction des Lawāta (A. Bouzid, op. cit. [n. 8], p. 96) et probablement aussi avec
celui des Khattani de Ptolémée (J. Desanges, op. cit. [n. 45], p. 171).
53. A. Bouzid, op.cit. (n. 8), p. 89.
54. Cf. Carte des routes et des cités de l’Est de l’Africa à la fin de l’Antiquité,
J. Desanges, N. Duval, Cl. Lepelley et S. Saint-Amans éd., Turnhout, Brepols (BAT, 17),
2010, p. 17.
55. Ibid., p. 99. Voir infra, fig. 3.
144 AHMED M’CHAREK
III. Une enquête sur les Nefzi et les Besceri établis sur le limes de
Numidie
1. Les Nefza de l’Aurès sur le territoire de l’antique Abaritana atque
Getulia provincia
Des sources chiites du xe siècle comme al-Yaqûbi et Al-Câdhi al-Noomen,
ainsi que des sources sunnites, comme Ibn Khaldûn qui reprend Al-Bakri et
Al-Idrissi, permettent de localiser quelques tribus Nefza qui occupaient des
territoires au nord de l’Aurès et des Nememcha. On apprend ainsi la présence
de Berbères Nefza autour de Tigis 57 et d’autres de la branche des Malzûza
entre Tebessa et Mejjāna58 ainsi que des Sûmāta (branche de Welhāsa)59 à
l’est de Badîs dans le secteur désertique qui porte encore leur nom60. Mais
selon Ibn Khaldûn, les Werfağûma, segment dominant des Welhāsa (faisant
partie eux-mêmes des Lawāta), résidaient dans la région des Aurès61.
56. Cf. J. Desanges, op. cit. (n. 45), p. 101-102, où on lit : (les Laguatan sont)
« mentionnés par Corippus sous des noms différents : Ilaguas, Hilaguas, Laguantan,
Leucada. À la fin du iiie siècle, Maximien mena une expédition contre eux ; cela peut donner
à penser qu’au moins une fraction d’entre eux résidait en Tripolitaine. On est tenté de se
demander avec Ch. Tissot (op. cit. t. II, p. 700) si la station d’Agarlavas située par l’Itinéraire
d’Antonin 20 à 30 milles après Aquas/ Aquae Tacapitanae (Hamma) et à 30 milles avant
Turris Tamalleni (près de Telmine), et donc à rechercher sur le flanc nord du djebel Tebaga,
ne doit pas être interprétée Agar des Lawāta (cf. Agarsel Nepte) ».
57. Al-Yaqûbi, Tarikh, éd. Dar Sader, Beyrouth 1960, p. 350-3512 : « La ville de Tigis
appartient au canton de Baghaiya ; les environs sont habités par des Berbères appelés Nefza ».
58. Cf. F. Dachraoui, Le Califat fatimide au Maghreb, Tunis, 1981, p. 102, où cet auteur
écrit, à propos d’une attaque lancée par l’armée chiite en 908 apr. J.-C. : (Abu Madani) « se
dirigea d’abord vers Tebessa puis remonta vers Mejjâna et alla attaquer les Malzûza, une
fraction des Nefza au pied de la montagne des Meules (Jabal al- Matâhin), l’actuel Djebel
Ouenza (n. 210) ».
59. Ibn Khaldūn, dans Le livre des Exemples, p. 156 cite « Mûndhir Ibn Saïd, grand cadi
de Cordoue, originaire de Sûmâta, tribu nomade Walhâsa ».
60. Cf. F. Dachraoui, op. cit. (n. 58), p. 58, où on lit : « Quant à al-Halwani (un
prédicateur chiite), il s’aventure jusqu’à Suğmar dans le pays des Sumāta au nord-ouest de
Qastiliya… Il convertit au Śi’isme des éléments appartenant aux Kutâma, Nafza et Sumāta
et répand parmi les Berbères la bonne parole » ; V. Prévost, « La Qastiliya médiévale et la
toponymie du Djérid tunisien », Folia orientalia 42-43, 2006-2007, p. 50 (balad Sumāta : un
désert entre Bâdis et Qastiliya, dans lequel se trouve Kaytoun Bayâdha).
61. Ibn Khaldûn, Le livre des Exemples, éd. et trad. par A. Cheddadi, Paris, Gallimard,
2012, p. 132 : « Les Walhâsa, qui sont une fraction des Nefzâwa, forment des tribus
nombreuses, issues de Tîdghâs et de Dihya, tous les deux fils de Walhâs. De Tîdghas sont
CONTINUITÉ DE L’ETHNONYMIE, CONTINUITÉ DU PEUPLEMENT 145
On sait aussi que l’importante tribu des Welhāsa était établie au moins depuis
le premier siècle de l’islam dans la région du Zāb, entre Biskra et Tobna sur
un tronçon de l’antique limes Zabensis (fig. 5). Rappelons que le gouverneur
abbasside de Kairouan, Umar Ibn Hafs, qui a restauré en 771 la ville de Tobna
(l’antique Thubunae) pour en faire la capitale du Zāb, a choisi d’y installer
une nombreuse population Nefza, branche des Werfağûma, composée de
ses alliés dans la région62. Par ailleurs, le témoignage d’Ibn Khaldûn fournit
des indications précises sur les Werfağûma de l’Aurès qui ont occupé et mis
à sac Kairouan au milieu du viiie siècle63, révélant par exemple l’identité de
leur chef militaire, Abd al -Malik b. Abi Jaad al-Nefzi64.
issues les tribus de Warfjûma, à savoir les Zajjâl, les Tû, les Bûrghush, les Wânjaz, les Kartît,
les Mâanejdel et les Sibant, tous enfants de Warfjûm, fils de Tîdghas, fils de Walhâs, fils de
Ittûft, fils de Nefzâw. D’après Ibn Sábiq et ses disciples, les enfants de Tîdghas font partie des
Luwâta et habitent tous dans les montagnes des Aurès ».
62. Ibid., p. 252.
63. Ibn Khaldûn, Kitāb al-Ibar, éd. I. Chabbouh, 2011, vol. 11, p. 254, où on apprend
que lorsque le gouverneur de l’Ifriqiya Abd al-Rahman ibn Habib qui avait rejeté l’autorité
du Calife abbasside Abu Jaafar al-Mansour fut tué par ses frères, Abd al-Warith et Ilyas, son
fils Habib voulut venger la mort de son père. C’est alors que Abdelwareth vint se réfugier
dans les Aurès chez les Warfağûma. Il fut accueilli par le chef de cette tribu, Âsim ibn Jamïl,
qui était un devin. Parmi les chefs des Warfağûma, il y avait Abd al-Malik ibn Abi Jaad.
64. Cf. V. Prévost, L’aventure ibadite dans le sud tunisien, 2008, p. 252 : « Vers
137/ 754, Abd al-Warith, assassin d’Abd al-Rahman ibn Habib, se réfugie avec son armée
chez les Werfeğuma sufrites dont le chef Âsim ibn Ğamïl se dit prophète… Nous avons
146 AHMED M’CHAREK
Dans les sources antiques, les ancêtres des Nefza de l’Aurès dont le
mode de vie était sans doute nomade à l’origine, n’ont pas laissé beaucoup de
vestiges d’habitat. Toutefois, le nom d’une fraction des Werfağûma, donné
sous la forme Zûgāla/ Zagāla dans la nouvelle édition du Kitāb al-Ibar (Banû
Zagāla, ou fils de Zagal b. Werfağûm)65, est à mettre en relation avec le nom
du castellum Zugal (Ain Temda sur la carte archéologique de Constantine)66,
toponyme recensé en 1990 par J. Desanges, qui n’a pas manqué de signaler
en même temps une dédicace à Saturne trouvée en Roumanie et datée de
233 apr. J.-C., où le dédicant se disait « domo Zigali Afer »67.
Le même nom Zugal, attesté par des inscriptions du Haut-Empire, est
porté par une localité médiévale, en l’occurrence « Zûgāla », signalée par
les sources chiites et Ibn Khaldūn, au voisinage de Marmadjenna dans la
vallée du Sarrath en Tunisie actuelle68. C’est pourquoi on ne s’étonnera pas
de relever la présence au Moyen Âge dans la même vallée d’une fraction
tribale rattachée aux Berbères Ounifa, appelée « Zġalma » (au singulier
Zouġlāmi)69, soit très probablement la transposition arabe de Zugalamius/
Zugalamii. Ajoutons que cet ethnonyme survit de nos jours en Tunisie à
travers les patronymes Zġal, Zouġlāmi et Zgoulli70.
2. Besceri (= Misiciri) : sur le limes Badensis
On connaît dans la région du Zāb oriental, une tribu sédentarisée et
transformée en communauté civique à l’époque romaine sous le nom de
noté qu’après s’être emparés de la ville (de Kairouan), ils ne manifestent aucune intention
de jeter les bases d’un État kharidjite ; ils semblent faire aveuglément confiance à leur chef,
personnage charismatique qui modifie les préceptes religieux à sa guise ».
65. Ibid., p. 197 (Zagāla) ; p. 251 (Zûgāla/ Zagûla).
66. L’Année épigraphique, 1930, 55 : Victor[iae]/ d(omini) n(ostri)/ Imp(eratoris)
Caes(aris)[[[ M(arci) Aureli]]]/ [[[Severi Alexandri]]] in/victi Pii Felicis Aug(usti) divi
mag/ni Antonini Pii f(ilii) divi/ Severi nep(otis)/ r(es) p(ublica) castel(lum) Zugal(…)/ numini
maiestatique eius/ devot(us) d(onum) [dedit] p(ecunia) p(ublica). Voir aussi : Inscriptions
Latines d’Algérie II, vol. II, 2003, p. 888 (castellum Zugal / Ain Temda).
67. J. Desanges, « Toponymie de l’Afrique du Nord antique. Bilan des recherches depuis
1965 », in L’Afrique dans l’Occident romain, Rome, École française de Rome (Collection de
l’École française de Rome, 134), 1990, p. 251-272, ici p. 260.
68. Ibn Khaldûn, Kitāb al-Ibar, éd de Beyrouth, 1968, VI, p. 233 (« Zugāla, localité des
Werfağûma »). Cf. A Bouzid, op. cit. (n. 8), p. 160.
69. Cf. Atlas archéologique de l’Algérie, éd. S. Gsell, 1911, f. Thala « Zeghalma » (en
Tunisie). Il s’agit d’un petit territoire où un centre de regroupement des Zghalma s’appelle
« sidi Ahmed al-Zoghlāmi » entre Tagerwin au nord et Kalaa Djerda (= Khasba) au sud. Je
tiens à remercier ici mon ami, le préhistorien Jamel Zoghlāmi, de son aide précieuse dans
l’enquête sur les Zeghalma (= Zġalma).
70. Cf. Annuaire téléphonique de Tunisie.
CONTINUITÉ DE L’ETHNONYMIE, CONTINUITÉ DU PEUPLEMENT 147
71. Atlas Archéologique de l’Algérie, f. 48, Biskra, n. 9-3. Voir aussi : dans Encyclopédie
Berbère, t. X, Aix-en-Provence, 1991, p. 1517-1522 (Biskra) ; B. Makrouenta Bakhta,
L’image de l’Algérie antique au travers des sources arabes, t. 4, p. 1949-1965.
72. J. Desanges, op. cit. (n. 45), p. 1421 ; Id., Commentaire du Livre V de Pline l’Ancien,
Histoire Naturelle, Paris, Les Belles Lettres, 1980, p. 404, 10.
73. J. Desanges, op. cit. (n. 1), p. 404.
74. Ptolémée, IV, 2, 7, pl. 612) ; J. Desanges, op. cit. (n. 1), p. 404.
75. Victor de Vita, Histoire de la persécution vandale en Afrique, éd. S. Lancel, Paris,
Les Belles Lettres, 2002 (Felix Besceritanus).
76. Le rapprochement entre le nom Misiciri et le toponyme Biskra m’a été suggéré par
mon épouse Fathia Bourghida, ce dont je la remercie.
77. Sur la permutation B = M, voir G. Mercier, Revue asiatique, 1924, p. 195.
78. Al-Bakri, Kitāb al-Mamālik wal-Masālik, p. 52.
79. Cf. A. Bouzid, op. cit. (n. 8), p. 113 (Lawāta, branche des Masāla).
148 AHMED M’CHAREK
80. Ibn Khaldûn, Kitāb al -Ibar, éd. de Beyrouth, 1968, t. VI, p. 235-237. Banû Sa’ada
dans l’éd. Chabbouh (2011) du Kitāb al-Ibar est transcrite sous la forme fautive Banû Su’âda
par A. Chaddadi, dans Ibn Khaldûn, Le livre des Exemples, II. Histoire des Arabes et des
Berbères du Maghreb (traduction), Paris, Gallimard, 2012, p. 175.
81. Ibid.
82. Ibid., p. 153.
83. Hussein Âssi, Éminents historiens arabes et musulmans. Ibn Khaldûn l’historien
(en arabe), Beyrouth, 1991 (« Introduction »).
CONTINUITÉ DE L’ETHNONYMIE, CONTINUITÉ DU PEUPLEMENT 149
Mentionnée par Ibn Khaldūn en même temps que les « Banu Sa’ada »,
l’autre branche des Lawāta de l’Aurès s’appelle « Banû Bâdîs »84. Et cette
tribu est évidemment à mettre en relation avec la ville antique homonyme,
en l’occurrence Vadis (= Badis)85 /Badè, l’actuelle Badès, qui s’élevait à
84. Située dans l’Aurès par Ibn Khaldûn, cette localité ne doit pas être confondue avec
l’actuelle Banû Badis, commune algérienne, siège de daïra, de la wilaya de sidi Bel Abbès,
au nord-ouest de l’Algérie entre Tlemcen et sidi Bel Abbès.
85. Corippe, De Aedificis VI, 7, 6, 9. Cf. Y. Modéran, op. cit. (n. 6), p. 357 et p. 363,
où on lit : « C’est vers le sud que nous conduit le dernier nom de la liste Vadis (Corippe,
Johannide, II, 140-1261 : troupes qui suivaient Iaudas en 546). Ce toponyme doit en effet
être rapproché de la moderne Badès, située sur la frange sud-est de l’Aurès. Certes, il existait
une autre cité au nom identique dans l’Antiquité, dans la région des Babors (Ptolémée, IV,
2, 6 : Badea au sud de Thucca, ville riveraine de l’Ampsaga). Mais la forme Vadis pour
l’actuelle Badès est déjà attestée au iiie siècle (un évêque a Vadis est cité en 251 : J. L. Maier,
L’épiscopat de l’Afrique romaine et byzantine, Rome, 1973, p. 110). Et surtout l’indication
de Corippe selon laquelle on faisait deux moissons par an (Johannide, II, 156-157)... est
répétée dans les mêmes termes par Al-Bakri (traduction de Slane, J. A. 1858, t. 13, p. 131)...
Or Al- Bakri situe la cité de Badès, où se font ces deux récoltes, sur une route nord-saharienne
unissant Tehouda à Nefta (ibid., p. 131)... Cette localisation oblige à identifier la Vadis de
Corippe avec la ville du versant sud-oriental de l’Aurès, sur lequel Iaudas exerçait donc
150 AHMED M’CHAREK
son autorité » (cf. carte de localisation par Y. Modéran, op. cit. [n. 6], p. 360 et 524). On
ajoutera qu’il existe aussi une autre Badis mentionnée par Ibn Khaldûn, mais qui était « une
ville maritime du Rif marocain » (A. Chaddadi, Le Livre des Exemples, p. 98, 173, 333,
1064, 1262). Pour les vestiges archéologiques d’Ad Badias encore méconnue, cf. en dernier
lieu : Yacine Rabah Hadji, « Les découvertes archéologiques de Badias », Libyca, n. s., 2
(Actes du colloque international : La Numidie, Massinissa et l’Histoire, Constantine, 2017,
p. 285-300). Badis est omise dans Cartes des routes et des cités de l’Est de l’Africa à la fin de
l’Antiquité, J. Desanges, N. Duval, Cl. Lepelley et S. Saint-Amans éd., 2010.
86. Atlas archéologique de l’Algérie, 49, f. sidi Okba, n. 51, 52, 53.
87. Table de Peutinger, segm. IV, 3.
88. Cf. P. Trousset, dans Encyclopédie Berbère, IX, Aix-en-Provence, 1991,
p. 1299-1302, s. v. Badias / Badis (Badès) ; P. Morizot, Antiquités africaines 35, 1999, p. 152.
89. Cf. S. Lancel, Actes de la conférence de Carthage en 411, IV, 1991, p. 1321 (plebs
Badiensis).
90. Voir B. Moukraenta Abed, op. cit. (n. 9), t. 4, p. 1921-1948.
91. A. M’charek, art. cité (n. 29), p. 445-477.
92. Pour la situation géographique de Laghouat, voir infra, fig. 7.
93. P. Morizot, Romains et Berbères : face à face, Arles, Errance, 2015, p. 145, où
on lit : « des Laguatan (Joh., I, IV, VII et VIII) phonétiquement très proche du nom de
Laghouat, chef-lieu d’une wilaya de l’Algérie centrale donc bien loin de la Libye antique.
CONTINUITÉ DE L’ETHNONYMIE, CONTINUITÉ DU PEUPLEMENT 151
Fig. 7. – Localisation de l’oasis de Laghouat par rapport à Biskra (P. Morizot, op. cit. [n. 93],
p. 117, fig. 26) ; carte des réseaux de villages de colonisation en Algérie,
d’après M. Côte, L’Algérie ou l’espace retourné, Paris, 1988).
Une hypothèse voisine avait été avancée par Henri Tauxier (Rev. afr. 29, 1885, p. 232-240) à
propos des Levathai de Procope dont le nom est généralement considéré comme une variante
de Laguatan (Procope, BV, II, 21). Cette hypothèse n’a guère été retenue, peut-être parce
que Laghouat, chef-lieu du Djebel Amour aujourd’hui totalement arabophone, est considérée
comme une cité de nomades dont la population est composée en majorité de descendants des
tribus arabes Soleim qui ont envahi le Maghreb aux xiie-xive siècles. De ce fait l’on est parfois
tenté d’arabiser le nom de Laghouat en l’écrivant (E)l Arouat avec le sens de “maisons
entourées de jardins” (Hirtz G., L’Algérie nomade et ksourienne, Marseille, 1989, p. 133).
En réalité ce ksar connu jadis sous le nom de Ben Bouta s’est accru au xive siècle d’immigrés
de la grande tribu des Maghrawa venus de la région d’Oran, dont une fraction portait le
nom de Laghouat (Ibn Khaldun l’affirme formellement), qui est devenu celui de la ville tout
entière ; or, il n’est pas douteux que ces Berbères avaient des attaches dans tout le Maghreb,
principalement en Algérie et au Maroc mais aussi dans le nord de la Tunisie où existe une
ville de ce nom ». Pour ma part, je voudrais attirer l’attention sur le phénomène fréquent
d’une localité berbère (par exemple : ici Laghouat, centre de regroupement des Laguatan)
ayant perdu sa population d’origine (celle dont elle avait reçu le premier nom) au profit d’une
autre population d’origine tribale (ici des Maghrawa). Il n’y a donc rien d’étonnant à ce que
Laghouat (anciennement Laguatan) soit peuplée au temps d’Ibn Khaldûn par des Maġrâwa
(= Maghrâwa) originaires d’Ifriqiya ou du Maghreb central.
152 AHMED M’CHAREK
que le nom de cette localité saharienne est l’équivalent exact du nom antique
des Lawāta (Levathai), donné sous la variante Laguatan 94 qui correspond à
l’ethnonyme générique libyco-berbère (i)Lagwat(n) (Lagwat, vocalisé aussi
Laġwat, ou Laghouat en français).
Conclusions
Au terme de l’enquête, on retiendra quatre conclusions :
1. L’étude croisée des sources a permis d’identifier les origines gétules
de l’ethnonyme Nefza/ Nefzawa (antiques Nefzii ou Nefzenses) et de mieux
connaître sa dispersion et celle du nom des Lawāta (antiques Lavathai) dans
tout le Maghreb95 ; une dispersion en général tardive, comme l’a déjà noté
Y. Modéran96. Le témoignage décisif du Kitab al-Ibar montre encore une fois
l’excellence des sources berbères mises à contribution par Ibn Khaldūn ; alors
que l’apport de cet historien du xive siècle est souvent sous-estimé par les
commentateurs modernes97, y compris les arabophones qui le tiennent pour
trop tardif 98. Aujourd’hui, c’est grâce à lui que nous apprenons l’existence
au Moyen Âge de deux confédérations quasi homonymes et voisines, les
Nefza de l’Aurès et les Nefzāwa du « Bilād al-Jarid ».
2. L’identification de deux aires de peuplement où les deux communautés
gétules recherchées (Misiciri et Nefzii) ainsi que plus tard leurs héritiers du
Moyen Âge se trouvaient associées dans le même mode de vie à la fois
nomade et sédentaire et dans les mêmes territoires sahariens parsemés
d’oasis :
en Cyrénaïque, au sud de Gabès, dans l’Aurès, près de Gabès, près de Ngaous, à proximité de
Béjaïa, aux environs de Tiaret, et dans le pays de Marrakech. Ce sont ces textes, et le dernier
en particulier, qui ont conduit des historiens à formuler la théorie des migrations, alors qu’ils
ne décrivent, en réalité, qu’une situation très postérieure à la conquête arabe ». Mais, la
chronologie haute de la présence des Laguatan dans l’Africa/ Ifriqiya et en Afrique du nord
serait désormais à mettre à jour à la lumière des résultats de la présente enquête.
97. En dernier lieu : Chr. Hamdoune, Ad fines Africae. Les Mondes tribaux dans les
provinces maurétaniennes, Bordeaux, éd. Ausonius, 2018, p. 383, où on lit : « La présence de
deux États (en Maurétanie césarienne à l’époque byzantine) est également perceptible dans
l’Histoire des Berbères d’Ibn Khaldûn. Certes il faut peser la nature des informations qu’il
fournit et bien souvent relativiser la valeur de son témoignage (Modéran 2003 b, 743-760 :
il “restait un homme du xive siècle. Le beau et clair système dichotomique qui sous-tend son
exposé sur la société et l’histoire berbères ne doit pas être lu autrement… À tout prendre le
génie d’Ibn Khaldûn est ainsi probablement plus dangereux pour l’historien de ce temps que
les naïvetés et les confusions des chroniqueurs antérieurs”). En effet, Ibn Khaldûn s’appuie
sur les récits transmis par la tradition, mais les retravaille par un recours systématique à la
généalogie comme mode de classement des Berbères et la dichotomie Botr/ Branes pour
expliquer l’histoire. Malheureusement, on constate, chez les historiens actuels, une tendance
à interpréter de manière systématique les données d’Ibn Khaldûn pour identifier des tribus
dans l’Antiquité et conclure à leur dissémination en se fondant sur des rapprochements
toponymiques peu concluants ». On reviendra ailleurs sur l’apport des sources médiévales
synthétisées par Ibn Khaldûn à la connaissance de l’ethnonymie libyco-berbère ; et on se
contentera de relever ici que notre regrettée collègue n’a fait que reprendre un jugement
particulièrement sévère à l’endroit d’Ibn Khaldûn émis par Y. Modéran en 2003 mais qui
est aujourd'hui dépassé par les progrès récents de la recherche. Il en est ainsi notamment
pour l’explication avancée par ce savant au sujet de la dichotomie Butr/ Branès, à savoir
« Maures de l’extérieur/ Maures de l’intérieur » ; théorie qui s’avère insuffisamment fondée
puisque les plus importants des peuples berbères classés « Butr » par Ibn Khaldûn comme les
Zanāta (antiques Zanenses/ Dianenses ou encore Zanatae) vivaient à la fois à l’intérieur et à
l’extérieur du limes romain (A. M’Charek, Comptes rendus des Séances de l’Académie des
Inscriptions et Belles-Lettres 2015, fasc. I [janv.-mars], p. 471-472).
98. Cf. Hussein Âssi, op. cit. (n. 83), 1991, p. 190 sq.
154 AHMED M’CHAREK
99. Procope, Bellum Vandalicum, Loeb, 1979, 2, 20, 30 (Le pays de Zabè correspond
chez cet auteur à la Maurétanie Première dont Sétif fut la capitale).
100. Cf. M. Benabbès, L’Afrique byzantine à la veille de la conquête arabe, thèse de
doctorat soutenue en 2004 à l’université de Paris X-Nanterre, p. 323-324.
101. Sur la signification large du nom Gétule, cf. Y. Modéran, op. cit. (n. 6), p. 269,
où on lit notamment : « Le nom même de Gétule pose, de manière générale, un important
problème. J. Desanges comme S. Gsell lui attribuent une très large signification : il ne s’agit
ni d’une ethnie, ni d’un groupe singularisé par son genre de vie nomade, mais d’un ensemble
de populations distinctes d’abord par leur situation en marge des États berbères, puis des
provinces romaines ».
102. L’identification porte ici, non pas sur les Misiciri installés en Numidie vers la fin
du ier siècle de notre ère, mais sur leurs lointains ancêtres hypothétiques, objet de la présente
enquête : le résultat obtenu est l’identification de deux communautés homonymes (même
base lexicale que les Misiciri identifiés par G. Camps), en l’occurrence les Timezegiri sur
le limes Tripolitanus organisé par Trajan et les Besceri/ Bisiciri attestés depuis le règne
d’Auguste sur le futur limes de Numidie.
103. Cf. Y. Modéran, op. cit. (n. 6), p. 165 sq.
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