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Moeurs et histoire des Peuls :

1, Origines ; 2, les Peuls de


l'Issa-Ber et du Macina ; 3, les
Peuls du Fouta-Djallon / [...]

Source gallica.bnf.fr / Cirad


Tauxier, Louis. Auteur du texte. Moeurs et histoire des Peuls : 1,
Origines ; 2, les Peuls de l'Issa-Ber et du Macina ; 3, les Peuls du
Fouta-Djallon / Louis Tauxier,.... 1937.

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BIBLIOTHÈQUE SCIENTIFIQUE

LOUIS TAUXIER
ADMINISTRATEUR DES COLONIES EN RETRAITE
BIBLIOTHÉCAIRE-ARCHIVISTE DE LA SOCIÉTÉ DES AFRICANISTES

MOEURS ET HISTOIRE
DES PEULS
1. ORIGINES. - LESLESPEULS
III.
II. PEULS ET
DE L’ISSA-BER
DU FOUTA-DJALLON.
DU MACINA.

PAYOT, PARIS
MOEURS ET HISTOIRE
DES PEULS
DU MÊME AUTEUR

Le Noir du Soudan. Pays Mossi et Gourounsi. Paris, Larose, 1912 . 1 vol.


Le Noir du Yatenga (Mossi, Nioniossé, Samo, Yarsé, Silmi-Mossi, Peuhls).
Paris, Larose, 1917 1 vol.
Le Noir de Bondoukou (Koulango, Dyoula, Abron, etc.). Paris, Leroux,
1921 1. vol.
Nègres Gouro et Gagou (Centre de la Côte-d’Yvoire). Paris, Geuthner,
1924 1 vol.
Nouvelles notes sur le Mossi et le Gourounsi. Paris, Larose, 1924. . . 1 vol.
La Religion Bambara. Paris, Geuthner, 1927 1 vol.
Un dernier chapitre de l'histoire de Bondoukou (Revue d’Ethnographie et des
Traditions populaires, 3e et 4e trimestre 1927).
Chronologie des rois Bambara (Dans : Outremer 2e et 3e trimestre 1930).
Les Dorhosiè et Dorhosiè-Fiung(Journal de la Société des Africanistes, 1er se-
mestre 1931).
La Religion des Toura (Journal de la Société des Africanistes, 2e semestre
1931).
Religion, moeurs et coutumes des Agni de la Côte-d'Ivoire (Indénié et Sanwi).
Paris, Geuthner, 1932 1 vol.
Les Gouin et les Tourouka (Résidence de Banfora. Cercle de Bobo-Dioulasso).
Paris, Geuthner, 1933) 1 opuscule
Les Kroumen de la Forêt de la Côte-d'Ivoire d'après Hostains et d'Ollone (Un
tirage à part de la Revue du Folk-lore français et colonial, mai-juin
1935) 1 opuscule.
Féticheurs contre sorciers (Tirage à part de la Nouvelle Revue de Médecine et
de Chirurgie, 1936) 1 opuscule
BIBLIOTHÈQUE SCIENTIFIQUE

LOUIS TAUXIER
ADMINISTRATEUR DES COLONIES EN RETRAITE
BIBLIOTHÉCAIRE-ARCHIVISTE DE LA SOCIÉTÉ DES AFRICANISTES

MOEURS ET HISTOIRE
DES PEULS
I. ORIGINES. — II. LES PEULS DE L’ISSA-BER ET DU MACINA.
III. LES PEULS DU FOUTA-DJALLON.

Avec 23 gravures et 1 carte

PAYOT, PARIS
106, Boulevard St-Germain

1937
Tous droits réservés
Tous droits de traduction, de reproduction et d’adaptation
réservés pour tous pays.
Copyright 1937, by Payot, Paris.
INTRODUCTION

Que sont les Peuls?


C’est une race de pasteurs vachers que l’on sait maintenant à
n’en pas douter être des Rouges, des Hamites inférieurs et avoir
habité jadis l’Est africain, au contact des Massaï, à une époque
que nous ne pouvons pas fixer. De là on suppose qu’ils ont re-
monté vers le nord, le long de l’Égypte à l’ouest.Puis ils auraient
suivi la lisière nord du Sahara moins désertique alors que main-
tenant et plus arrosée et seraient arrivés au sud du Maroc sur les
contreforts méridionaux de l’Atlas d’où ils auraient été jetés sur
le Sénégal par une expédition musulmane — peut-être celle qui
eut lieu sous les Ommiades en 736, après Jésus-Christ. — A ce
moment commence leur existence historique : ils se mélangent
aux populations indigènes, aux nègres Sérères surtout et donnent
la race métisse des Toucouleurs. Un certain nombre d’entre eux
gagnent les savanes pauvres du Ferlo, au sud du Sénégal et y
continuent leur existence nomade en gardant la pureté de la race
— mais la plupart, comme je viens de le dire, se mélangent aux
Sérères et même aux Ouolofs et donnent la population mixte des
Toucouleurs. — A partir de cette époque (VIIIe siècle ap. J.-C.)
on voit les Peuls reprendre un mouvement contraire, historique-
ment attesté celui-là, au mouvement qui les avait amenés dans le
Fouta-Toron. Ils reprennent la route de l’est qui les mènera jus-
qu’au pays Haoussa, à l'Adamaoua, au Tchad et au Ouadaï au
XIXe siècle. Les étapes sont le pays de Nioro au XIIIe siècle, le
Macina au XVe siècle, le pays de Khasso fin du XVIIe siècle, le
Fouta-Djallon et le Ouassoulou au XVIIIe siècle, le pays Haoussa
et l’Adamaoua au XIXe siècle, etc.
En ce faisant, ils se sont mélangés bien souvent aux nègres et
ont donné des populations mixtes : Toucouleurs, Khassonké,
Foulanké, Ouassoulonké, les uns tenant plus du Peuhl (Toucou-
leurs), les autres beaucoup plus du nègre (Khassonké, Foulanké,
Ouassoulonké).
D’autre part, des Peuls restés en gros des Peuls (non sans mé-
langes divers avec les nègres) se sont fixés à la terre en divers
endroits, soit qu’ils aient colonisé simplement (Macina), soit qu’ils
aient conquis le pays (Fouta-Djallon). Ils sont donc devenus, de
pasteurs nomades qu’ils étaient auparavant de simples éleveurs
fixés à la terre.
En résumé le Peuhl est multiforme :
C’est en principe un pasteur vacher nomade aux cheveux ar-
rangés en longues tresses. « Au milieu de tous ces peuples (du
Haoussa et de la Nigéria du nord), écrit Mizon 1 erraient les Foul-
bés, pasteurs nomades, poussant devant eux leurs innombrables
troupeaux de boeufs zébus, plantant leurs tentes partout où croît
l’herbe; sur les plateaux pendant la saison des pluies, sur le bord
des rivières quand le vent d’harmattan a desséché les prairies et
que les rives, envahies par les eaux pendant plusieurs mois, se
couvrent de verdure nouvelle. Ils payaient aux maîtres de la terre
la dîme de leurs troupeaux et échangeaient le surplus de leur lait
et de leur beurre contre des céréales et des produits de l’industrie
Haoussa. »
De même Clapperton dit : « C’est un pittoresque spectacle que
celui d’une tribu ou d’une famille peuhle en marche : hommes,
femmes et enfants tiennent la tête de la caravane, à cheval. Le
bétail suit en file sur une ligne interminable 2. » De même Gau-
tier 3 cite les anecdotes suivantes : « Un berger peuhl voit venir
de loin une bande de brigands. Quoiqu’il soit armé et brave, la
résistance est impossible. Reste la fuite : le Peuhl appelle les
deux taureaux de tête, ceux que le troupeau tout entier est habi-
tué à suivre. Il se place entre eux suspendu aux deux paires de
cornes et il donne le signal. Tout le troupeau, ses deux guides en
tête portant leur Peuhl suspendu, s’ébranle en un galop furieux,
inlassable et laisse l’ennemi loin derrière...
Autre anecdote du même genre. Cela se place sur les bords du
Chari qui, en ce temps-là, servait de frontière entre le Cameroun
allemand et le Tchad français. Les Peuhls, naturellement, fran-
chissaient avec indifférence cette frontière politique; ils ne se
souciaient que du meilleur pâturage. Des Peuhls, qui vivaient
provisoirement sur le territoire allemand, veulent passer ou re-
passer en territoire français. Les autorités allemandes, justement
soucieuses d’empêcher l’émigration des richesses naturelles, les
arrêtent à la frontière. Les bergers leur filent entre les doigts,
mais les boeufs sont mis sous séquestre. Ils le sont sur le bord
allemand du Chari. Alors, dans la nuit, par-dessus le fleuve fron-
tière, venant du bord français, les boeufs, vaguement inquiets de
1. Les royaumes Foulbé du Soudan Central (1895), p. 348, 349.
2. Cité par Crozals : les Peuhls, 1883 (p. 185).
3. L'Afrique Noire occidentale, p. 168.
leur solitude, entendent tout à coup des modulations familières,
l’appel des bergers. Et tous alors, massés,irrésistibles, bousculant
les sentinelles, sûrs de leur chemin dans la nuit noire, dans la
direction de la voix, ils se jettent à la nage dans le Chari et vont
rejoindre leurs Peuhls 1. »
Barth, enfin a recueilli chez les Peuls le dicton suivant (IV,
267) :
« La vache est supérieure par les services qu'elle rend à toutes les
oeuvres de la création. »
Voilà le Peul à l’état naturel et on ne s’étonnera pas d’appren-
dre que l’ancienne religion des Peuls était la bôolatrie avant qu’ils
eussent été contaminés par le christianisme au IVe siècle après
Jésus-Christ et conquis ensuite par l’Islam d’une façon définitive.
Ce Peuhl n’est pas méchant. Il paye aux chefs nègres ce qu’il
faut pour avoir le droit de faire paître ses troupeaux dans les
savanes soudanaises. Mais attendez! il va bientôt se transformer.
En effet il se multiplie et bientôt il trouve dur d’obéir à de petits
chefs nègres qui le traitent quelque peu en esclave. Ces nègres
sont-ils si redoutables? Travaillé par l’Islam, le Peul devient un
croyant et méprise le païen qui le commande. Un beau jour on se
révolte, on fait la guerre aux nègres, on les soumet et voilà un
état fondé.
Les Peuls deviennent alors une aristocratie de pasteurs (ou éle-
veurs) et de guerriers. Les nègres soumis deviennent des serfs
cultivateurs, des Rimaibe (au singulier un Dimadio). Ils fournis-
sent de grains leurs maîtres et se nourrissent avec le surplus. Les
plus intelligents des nègres (par exemple les Soninnké) donnent
lieu à une caste spéciale (provenue de Peuls et de femmes So-
ninnké). C’est celle des commerçants riches et des conseillers des
princes Peuls, les Diavambé (au sing. Diavando). Bien d’autres
castes sont encore créées : les Waïlbé (au singulier Baïlo) = les
forgerons; les Abarbé (au sing. Gabardo) = les bijoutiers. Les
Laobé (au sing. Labbo) qui sont les bûcherons, les menuisiers.
Les Sakébé, Gargassabé, Alaubé, etc. qui sont les peaussiers, tan-
neurs, cordonniers, etc. Inutile de pousser plus loin cette énumé-
ration que l’on trouvera complète plus loin, au Livre IL Bref les
Peuls créent les castes qui se répandent ensuite dans le nord du
Soudan chez les nègres eux-mêmes mais en diminuant de nombre
et d’importance à mesure que l’on pénètre chez les nègres du sud,

1. M. Gautier dit avoir emprunté ces anecdotes à M. le gouverneur Gaden


(p. 168).
jusqu’au moment où dans le vrai monde, purement nègre on n’en
trouve plus trace.
Naturellement, comme je l’ai dit plus haut, les Peuls se métis-
sent souvent avec les nègres et il est remarquable que les Peuls,
peu forts quoique assez grands (en général),et qui ne peuvent faire
ni un terrassier,ni un porteur, ni un tirailleur, donnentpar le croise-
ment avec le nègre un type nègre supérieur,plus beau et plus grand
que le nègre proprement dit qui est, lui, trapu, robuste et laid.
Ainsi les Peuls ont considérablement amélioré la somatologie
de l’Afrique Occidentale Française et ce sont eux qui ont empêché
ici qu’on puisse trouver normalement dans cette région le nègre
pur, épais, prognathe et stupide.
En résumé le Peul n’est pas un : aux débuts c’est un pasteur
vacher nomade, à l’aboutissement c’est un éleveur de bétail con-
quérant qui caste les nègres pour les travaux autres que la guerre
religieuse de pillage, et l’élevage.
Les Peuls dont le vrai nom est Poul ou Foul au singulier, Poulbé
ou Foulbé au pluriel, sont désignés par leurs voisins les Ouolof
sous le nom de Peul ou Peuhl. C’est ce nom qu’ont adopté les
Français et,quoique ce ne soit pas le vrai nom, il est maintenant
consacré par l’usage. Les uns l’écrivent Peuhl, les autres Peul.
Nous avons adopté cette dernière orthographe.
Les Peuls sont connus depuis le XVe siècle (Makrizi, etc.) mais
ils n’ont été étudiés à fond pour la première fois que par d'Eichtal
(en 1842). On sait que celui-ci leur donnait une origine Malayo-
Polynésienne rejetée aujourd’hui, après les critiques de Barth,
Faidherbe et Hartmann. De Crozals (en 1883) publie un volume
intéressant sur les Peuls, mais sans se prononcer sur la question
d’origine. En 1912, Delafosse dans son Haut-Sénégal-Niger, beau-
coup plus audacieux que de Crozals, donne aux Peuls une origine
juive ou judéo-syrienne et trace une histoire dogmatique de leurs
pérégrinations,malheureusement mélangée d’une certaine fantai-
sie. Depuis 1912 on n’a rien écrit de fondamental sur les Peuls et
le moment est venu, après ce que la somatologie et la linguistique
actuelles ont découvert définitivement sur les Peuls, de donner
sur cette race énigmatique jusqu’ici et intéressante un volume
définitif.
Ce volume-ci contient trois parties :

1° Les origines Peuhles ;


2° Moeurs et Histoire des Peuls de l'Issa-Ber et du Macina;
3° Histoire des Peuls du Fouta-Djallon.
La première et la troisième partie ont été traitées absolument à
fond, comme elles ne l’avaient jamais été jusqu’ici. La seconde
est une esquisse intéressante d’une fraction Peulhe des bords du
Niger. Ce qui manque à ce volume est une étude à fond du Peuhl
primitif errant et nomade, élude faite au point de vue social, mais
une telle partie sera toujours difficile à écrire, aucun voyageur
jusqu’ici n’ayant eu l’occasion de planter sa tente parmi ces Peuls
nomades et de les suivre dans leurs pérégrinations en vivant, avec
eux, pendant longtemps, de leur vie simple et monotone. Le jour
où ce travail sera fait, l’étude sur les Peuls deviendra complète.

L. TAUXIER.
MOEURS ET HISTOIRE DES PEULS

LIVRE PREMIER

LES ORIGINES PEUHLES

CHAPITRE PREMIER

L’ANTHROPOLOGIE PEUHLE ET NOTES GÉNÉRALES


SUR LES THÉORIES D’ORIGINE

Avant d’en venir à l’anthropologie somatique des Peuls disons


un mot :
1° de leur nom; 2° de leur domaine géographique; 3° de leur
nombre; 4° de leur métissage avec les nègres.
Sur le nom des Peuls tout a été dit avant moi et par bien des
auteurs. Rappelons seulement que leur vrai nom est Poul ou
Phoul ou Foul au singulier, Poulbé ou Phoulbé ou Foulbé au plu-
riel. En Afrique Occidentale Française les colons disent dans leur
argot : Un Poullo, une Poullotie pour désigner un Peuhl ou une
Peuhle.
Quant au mot Peul ou Peuhl adopté par les Français, c’est
ainsi que les Ouolof désignent les Peuls. Nous avons adopté ce
mot Ouolof, qui est Peul ou Peuhl, quoique, à vrai dire, il vau-
drait beaucoup mieux dire un Poul ou un Foul.
Quant au mot Foula ou Foulah c’est le mot Mandé (Malinké,
Bambara etc.) pour désigner les Pouls. Les Mandé disent Foula
au singulier, Foula-ou au pluriel. Quelquefois Foula est prononcé
Fila avec comme pluriel Fila-ou.
Ce n’est pas du premier coup, que l’on a su que les Peuls s’ap-
pelaient Poul ou Foul, et au pluriel Poulbé ou Foulbé. Makrizi
(1364-1442) et Sadi l’auteur du Tarik-es-Soudan (1667) nous
parlent de Foulania. Jeao de Barras le célèbre explorateur portu-
gais du XVIe siècle les appelle Fullos. Moore (XVIIIe siècle) parle
des Foulis ou Pholeys. René Caillié écrit toujours Foulahs.
D’Avezac (1829) prétend mais à tort et d’après le voyageur
Duranton,du Khasso, qu’ils s’appellent eux-même Felans (ce qui
est une erreur). Clapperton (1825) dit aussi qu’ils s’appellent Felans
et qu’on les a appelés jusqu’ici à tort Fellalahs. Les frères Lander
(1830) disent Foulah et Foulanies. D’Eichtal (1842) sait qu’ils
s’appellent Foul ou Peul au singulier et donne comme pluriel
Felans, Fellans, Felanies et Foulanies (ce qui est une erreur).
C’est Barth, le grand voyageur allemand, qui le premier a
approfondi la question du nom des Peuls et débrouillé cette
diversité.
« La forme
fondamentale, dit Crozals (Les Peuhls, p. 256)
résumant Barth, est Pul qui signifie « brun-clair, rouge » en oppo-
sition avec Olof « noir » (w-olof, y-olof). La forme du singulier est
Pul-o, c’est-à-dire le Pul; la forme du pluriel Pul-be, c’est-à-dire
les Pul. Une autre forme du pluriel du nom, couramment em-
ployée et dont Barth use constamment dans la relation de son
voyage est Fulbe. Il dit un Pullo et des Fulbe. Tel est le nom
sous lequel ce peuple se connaît lui-même. »
De Crozals ajoute que les Mandingues ou Mandé disent Foula,
les Haoussa Fellani, les Kanouri Fellata, les Arabes Foullan.
Dans tout le Soudan Oriental c’est la forme Fellata des Kanouri
qui a prévalu.
D’après Koelle et Waitz on appelle les Peuls Abate dans le
Kororofa c’est-à-dire des blancs et les Mousgou les appellent
Tschogtschogo.
De la fosse dit (Haut-Sénégal-Niger,t. I, p. 118, 119) que Poullo
fait au pluriel Foulbé,mot qui, dans leur langue, signifierait « les
dispersés», «les éparpillés» d’après M. le commandant Gaden.
C’est le radical de ce mot,prononcé Peul par les Ouolofs, que nous
avons adopté le plus généralement en France pour désigner ce
peuple. Il est appelé par les Maures Foullani au singulier, Foulla-
nia ou Foullaniyin au pluriel. Les Touareg l’appellent Afouli au
singulier, I foulân ou I fellân au pluriel. Les Haoussa l’appellent
Bafilatché au singulier, Foulani ou Foulaoua au pluriel. Les
Kanouri du Mounio et du Bornou l’appellent Fellata ou Filata.
Les Mossi l’appellent Silmiga au singulier, Silmisi ou Silmisé au
pluriel.
Il resterait à savoir qui a raison de Barth ou du commandant
Gaden pour le sens du mot Peul. Signifie-t-il brun-clair,rouge ou
bien dispersé, éparpillé ? La question serait à tirer au clair mais
nous n’avons pas qualité pour la trancher.
Ceci dit pour le nom,disons que le domaine des Peuls s’étend de
l’Océan Atlantique au Tchad. Nous trouvons principalement en
allant de l’ouest à l’est.
1° Les Peuls du Fouta-Toro (Ferlo) qu’il ne faut pas confondre
avec leur métis Toucouleurs ou Foutankés ou Toronkés qui sont
un mélange de Peuls et de Sérères.
2° Les Peuls du cercle de Nioro venus de l’ouest, du Fouta-
Toro, vers le XIVe siècle de notre ère;
3° Les Peuls du Macina, venus également du Fouta-Toro vers
la même époque;
4° Les Peuls du Fouta-Djallon venus vers 1675 du Macina et
qui s’emparèrent du Fouta-Djallon sur les Soussou-Dialonké
vers 1725. Dans le Fouta-Djallon il y a également des Foula-
counda (mot mandé qui signifie exactement cases, établissements
(Kounda) de Foulahs (Foula), venus en 1534 du nord au sud avec
Koli Tenguéla fils d’un chef Peuhl battu et tué dans le cercle de
Nioro en 1512 par les armées du Second Empire Soughai. Son fils
se rejeta sur le Fouta-Toro où il établit sa domination, puis des-
cendit jusqu’à la Guinée Française et la Haute-Gambie où il éta-
blit ses contingents Peuls. Ce sont là les Foulacounda, plus culti-
vateurs que les Peuls de l’invasion du Macina. En dehors des
Foulacounda il faut encore signaler les Foula-Houbbou rejetés au
sud et à l’ouest du Fouta-Djallon par les almamy de Timbo. Ce
sont des espèces de dissidents peuls, des hétérodoxes contre les-
quels maintes croisades religieuses furent dirigées par les autres
Peuls.
5° Les Peuls du pays Habbé;
6° Les Peuls du pays Mossi et Gourounsi répandus jusqu’au
XIe degré de latitude nord ;
7° Enfin les Peuls du pays Haoussa qui établirent leur domina-
tion dans cette contrée vers 1800 avec Othman-Dan-Fodio. Ils
sont venus aussi de l’ouest.
Tous les Peuls, en effet, semblent bien être partis du Fouta-
Toron et du Sénégal où ils étaient vers le VIIIe siècle de notre ère.
C’est du VIIIe au XIXe siècle qu’ils ont opéré leur mouvement
d'ouest en est, depuis le Sénégal jusqu’au Tchad. Maintenant,
comme nous verrons qu’ils vinrent probablement de l’est (Ethio-
pie) à des époques reculées jusqu’au Sénégal, il y eut un mouve-
ment d’est en ouest, mouvement préhistorique, qui précéda les
mouvements historiques d’ouest en est que nous connaissons par
l’histoire et les traditions. Mais cet antique mouvement qui porta
les Peuls d’Éthiopie au Sénégal nous n’en connaissons nullement
la date. Nous reviendrons plus loin sur ce sujet en parlant des
origines.
Le nombre des Peuls d’après le Dr Verneau (L'Homme 1931)
serait de 975.000 ainsi répartis :
Sénégal (Fouta-Toro) . 191.000
. .
76.000 735.000
Haut-Sénégal, Soudan. 425.000
. .
Haute-Volta 234.000
Dahomey 42.000
Guinée Française 7.400
En tout 975.400

Mais le Dr Verneau se trompe gravement en ne comptant que


7.400 Peuls en Guinée Française. Cela vient de ce que, au lieu de
compter les Peuls du Fouta-Djallon pour des Peuls, il les appelle
« Foutas » (p. 112) et les met à part sous prétexte de métissage
avec les populations autochtones (Dialonké, etc.). En fait les
Peuls du Fouta-Djallon doivent être comptés et sont comptés
généralement parmi les Peuls. Ils sont 776.000, sans compter
36.000 Foulah Houbbou et 10.000 Peuls dits Foulacounda. Cela
fait donc 822.000 personnes et non 7.400. Enfin le Dr Verneau ne
compte pas les Peuls du nord de la Nigéria anglaise, du pays
Haoussa, qui sont 2 millions d’après Seligmann (dont 1.700.000
sédentaires et 300.000 pasteurs). Comme les Peuls de l’Afrique
occidentale française font déjà 1.790.000 habitants, il faut comp-
ter en tout près de 4 millions de Peuls (exactement 3.780.000).
En dehors des Peuls proprement dits,les Peuls se sont métissés 1
avec les nègres de l’Afrique occidentale et ont donné de nom-
breux peuples métis dont voici les principaux :
1° Les Toucouleurs ou Tekrouriens que l’on tient généralement
pour des métis de Peuls et de Sérères. Delafosse en fait, mais à
tort à mon avis, des nègres purs qui auraient donné la langue
Peuhle. Ils habitent surtout le Sénégal mais il y en a 38.000 dans
le Haut-Sénégal-Niger provenant de l’invasion d’El-Hadj-Omar
avec ses contingents Toucouleurs (Delafosse, p. 147);
2° Les Khassonké, mélange de Peuls et de Malinkés datant de la
fin du XVIIe siècle (vers 1680). Delafosse se trompe, comme l’a

1. Pour en finir avec la question du nombre des Peuls, Delafosse dans son
Haut-Sénégal-Niger(1912), p. 146 en compte 405.000, dont 36.000 animistes
et 369.000 musulmans dans le Haut-Sénégal-Niger, région qui correspon-
dait à la colonie du Soudan et à la Haute-Volta actuelle. Verneau en compte
plus de 700.000 en 1931.
démontré depuis Ch. Monteil (Les Khassonké, 1915) en faisant
remonter ici l’immigration Peuhle au XIe siècle. Les Khassonké
ont 11.000 dans le Haut-Sénégal-Niger (Delafosse, p. 150). Les
Khassonké parlent le Mandé et sont fétichistes;
3° Les Foulanké, mélange également de Peuls et de Malinkés
où l’élément nègre l’a emporté comme chez les Khassonké. Les
Foulanké (106.000 d’après Delafosse, p. 150) habitent surtout les
cercles de Bafoulabé, de Kita, de Bougouni et Sikasso;
4° Les Ouassoulonké, habitant le Ouassoulou, à l’est du Niger
en face des Malinké qui sont dans le Manding montagneux sur la
rive occidentale.Les Ouassoulonkésont un mélange de Peuls et de
Malinkés qui semble s’être formé au début du xvIIIe siècle. Ils
luttèrent contre les Peuls du Fouta-Djallon vers 1760 et furent
rejetés par eux dans le Ouassoulou qu’ils avaient colonisé et d’où
ils s’étaient élancés ensuite à l’ouest du Niger dans le Fouta-
Djallon.
Donc Toucouleurs, Khassonké, Foulanké et Ouassoulonké sont
les principaux peuples métis de Peuls et de nègres.
Ce métissage nous conduit justement à parler du type physique
des Peuls.
Certains auteurs nous représentent les Peuls comme une race
sinon très forte du moins très grande, qui serait une des plus
hautes de l’Afrique. C’est là une erreur. Mais il faut distinguer ici
entre les Peuls des différentes régions et surtout entre les Peuls et
leurs métis Négro-Peuls. Pour moi, voici ce que j’ai vu pour les
différents Peuls qu’il m’a été donné de rencontrer en Afrique occi-
dentale de 1905 à 1926.
1° Les Peuls du Fouta-Djallon (Timbo, etc.) sont de taille
moyenne ou plutôt grande, maigres et peu solides. A l’époque où
j’étais en Guinée Française (1905-1907) on ne les employait pas
pour les travaux de terrassement comme les nègres car les Peuls
s’enfuyaient et si on les contraignait à rester et à travailler, mou-
raient. De même pour le portage : ils lâchaient un beau matin leurs
charges et laissaient au milieu du chemin l’administrateur qu’ils
étaient chargés de porter, et ce n’était pas absolument mauvaise
volonté de leur part, car ils n’avaient pas la force physique néces-
saire pour faire des porteurs, pas plus que pour faire des terras-
siers. Des difficultés du même ordre se sont élevées pour tous les
Peuls de l’Afrique occidentale, difficultés sur lesquelles nous
reviendrons plus loin, quand il s’est agi de service militaire.
Cependant il faut ajouter qu’ayant demandé en 1934 à M. l’ad-
ministrateur du Cercle de Labé de me mesurer 50 hommes et
50 femmes Peuhles, voici le tableau qu’il m’a envoyé qui donne
1 m. 69 de taille moyenne aux hommes et 1 m. 54 aux femmes.
Les femmes peuhles sont ici de petite taille et l’on peut se deman-
der si elles n’appartiennent pas à l’ancienne race Diallonké qui
dominait le pays avant 1725, avant la conquête peuhle. Les hom-
mes ont une taille assez haute. L’administrateur qui m’a donné
ces notes note que le Peuhl du Labé est assez fortement mêlé de
sang Mandingue (c’est-à-dire, Diallonké) et que très peu de Peuhls
sont restés purs.
Guinée Française
Cercle de Labé

MENSURATION DE 50 HOMMES ET FEMMES PEULHS DE LABÉ.

Hommes Femmes
Taille (hauteur) Taille (hauteur)

1 m. 75 1 m. 62 1 m. 50 1 m. 52
1 m. 68 1 m. 68 1 m. 62 1 m. 51
1 m. 66 1 m. 68 1 m. 61 1 m. 68
1 m. 62 1 m. 73 1 m. 59 1 m. 52
1 m. 77 1 m. 79 1 m. 53 1 m. 53
1 m. 68 1 m. 71 1 m. 56 1 m. 54
1 m. 68 1 m. 58 1 m. 43 1 m. 42
1 m. 69 1 m. 76 1 m. 63 1 m. 47
1 m. 77 1 m. 75 1 m. 54 1 m. 53
1 m. 73 1 m. 69 1 m. 53 1 m. 53
1 m. 76 1 m. 63 1 m. 53 1 m. 53
1 m. 67 1 m. 73 Taille 1 m. 63 1 m. 49 Taille
1 m. 67 1 m. 66 moyenne 1 m. 53 1 m. 54 moyenne
1 m. 61 1 m. 63 des 1 m. 62 1 m. 50 des
1 m. 69 1 m. 62 hommes = 1 m. 49 1 m. 57 femmes =
1 m. 63 1 m. 69 1 m. 69 1 m. 43 1 m. 51 1 m.54
1 m. 70 1 m. 66 1 m. 63 1 m. 49
1 m. 69 1 m. 62 1 m. 47 1 m. 53
1 m. 71 1 m. 70 1 m. 40 1 m. 49
1 m. 64 1 m. 71 1 m. 58 1 m. 65
1 m. 69 1 m. 66 1 m. 58 1 m. 63
1m. 71 1 m. 76 1 m. 44 1 m. 66
1 m. 63 1 m. 80 1 m. 37 1 m. 77
1 m. 74 1 m. 71 1 m. 53 1 m. 56
1 m. 73 1 m. 65 1 m. 58 1 m. 60
42 m. 30 42 m. 22 38 m. 36 38 m. 77

2° Les Peuls Houbbou ou Foulahs Houbbou de la province mon-


tagneuse du Fitaba dans le nord du cercle de Faranah (4.500 envi¬
ron en 1907) sont moyens ou de petite taille.Le chef qu’ils avaient
en 1906 Moktar Kaba parlait bien le français et avait l’air d’un
écolier sage et très intelligent. Il était plus petit que la plupart
de ses compatriotes.
Dans une note sur les Houbbous que j’ai conservée, je dis :
« Depuis 1893, Boketto, pris alors et brûlé par les sofas de Samory
(le chef Abal fut coupé en morceaux par les vainqueurs), a été
reconstruit et le nombre des Houbbous augmente rapidement.
Ils étaient 3.500 en 1906. En 1907 ils sont 4.500. Comme les
autres Peuls, ils font à la fois de la culture et de l’élevage.Ce sont
eux qui fabriquent le meilleur beurre de tout le cercle de Faranah
et qui savent le mieux soigner le bétail. Ils sont petits et maigres,
faibles de membres au point qu’on dirait des garçonnets. Leur
chef actuel, Moktar Kaba, petit et bien pris, avec de beaux yeux
noirs d’enfant sérieux, musulman convaincu et rigide, est très
intelligent et instruit d’une façon peu commune pour un noir. Il
sait l’arabe et compte remarquablement. Il tient ses Houbbous
d’une main ferme et sérieuse. Je me demande où M. Machat a
pris les renseignements d’après lesquels il représente (Les Rivières
du Sud et le Fouta-Djallon, 1906, p. 290) les Houbbous comme
retombés au fétichisme, au nomadisme et au banditisme. Il est
vrai qu’il y a quelques bandits un peu plus bas que le Fitaba,mais
ce sont des indigènes Sierra-léonais qui viennent voler des bes-
tiaux et des femmes en territoire français et les Malinkés dégéné-
rés du Houré (d’ailleurs nullement nomades mais musulmanisés,
paresseux et pillards) et les Houbbous n’ont aucun rapport avec
eux. »
3° Les Peuls du Macina (parmi lesquels j’ai vécu neuf mois en
1913) m’ont paru de taille moyenne ou grande mais maigres et
faibles. Ils ont souvent un petit menton pointu, des reins de chat
écorché, la figure longue, le crâne allongé, Ce sont des pasteurs
peu robustes, plus intelligents que les noirs qui les environnent et
musulmanisés.Les nègres qui les entourent (Sôninnké,Bambara)
sont bien plus robustes qu’eux.
Cependant je dois ajouter qu’ayant demandé en 1934 à l’admi-
nistrateur du Cercle de l’Issa-Ber de me mesurer 50 Peuls hommes
et 50 Peuhles femmes du pays, il m’a envoyé les renseignements
suivants :
Soudan Français
Cercle de Niafunké

TAILLE DES FEMMES.


1 m. 63 1 m. 64
1 m. 58 1 m. 73
1 m. 66 1 m. 57
1 m. 56 1 m. 66
1 m. 56 1 m. 57
1 m. 64 1 m. 66
1 m. 61 1 m. 66
1 m. 72 1 m. 66
1 m. 61 1 m. 53
1 m. 57 1 m. 72
1 m. 52 1 m. 56
1 m. 65 1 m. 65
1 m. 68
Taille moyenne des femmes =
1 m. 62 1 m. 62
1 m. 59 1 m. 54
1 m. 56 1 m. 66
1 m. 61 1 m. 60
1 m. 49 1 m. 62
1 m. 58 1 m. 71
1 m. 67 1 m. 63
1 m. 50 1 m. 60
1 m. 64 1 m. 69
1 m. 69 1 m. 65
1 m. 61 1 m. 51
1 m. 68 1 m. 62
1 m. 60
1 m. 74
TAILLE DES HOMMES.
1 m. 76 1 m. 64 1 m. 76 1 m. 79
1 m. 65 1 m. 66 1 m. 59 1 m. 70
1 m. 70 1 m. 68 1 m. 58 1 m. 77
1 m. 74 1 m. 69 1 m. 72 1 m. 67
1 m. 75 1 m. 84 1 m. 66 1 m. 68
1 m. 57 1 m. 64 1 m. 72 1 m. 63
1 m. 77 1 m. 78 1 m. 72 1 m. 75
1 m. 86 1 m. 64 1 m. 73 1 m. 78
1 m. 70 1 m. 75 1 m. 66
1 m. 67 1 m. 68 1 m. 66
1 m. 73 1 m. 77 1 m. 75
1 m. 75 1 m. 69 1 m. 72 Taille moyenne des
1 m. 68 1 m. 76 1 m. 71 hommes = 1 m. 71
1 m. 67 1 m. 73 1 m. 77
II est évident que ces chiffres sont élevés et correspondent peu
à l’impression que j’ai eue moi-même en 1913 en séjournant dans
l’Issa-Ber. Mais justement on ne doit pas trop se fier aux impres-
sions (même assez prolongées) qui ne sont pas accompagnées de
mensurations exactes.
4° Les Peuls du Yatenga (nord du Mossi) que j’ai connus de
1914 à 1916 et que j’ai étudiés dans mon Noir du Yalenga (1917)
m’avaient paru plus grands, plus robustes que les Peuls du Ma-
cina, mais aussi plus mélangés d’éléments nègres. J’en ai mesuré
un certain nombre (hommes, tirailleurs) et ils m’ont donné en
moyenne 1 m. 70 de haut. De même les Peuls du pays Mossi sud
(Ouagadougou) et du Gourounsi (encore plus au sud), vus par moi
en 1909.
5° Quant aux métis de Peuls et de nègres ils sont souvent beau-
coup plus beaux hommes que les deux races composantes; ils sont
plus grands que les nègres, plus robustes que les Peuls et offrent
souvent des types superbes (ainsi chez les Khassonké, Foulanké,
Ouassoulonké, etc.). Je vois encore Moro Sidibé,un Ouassoulonké,
interprète dans le Mossi, qui était grand, beau, bien fait, intelligent
et offrait un type physique supérieur à celui du nègre ordinaire
comme à celui du Peul. De même on raconte que les Bambara
Massasi (Bambara de race royale, venus d’un mélange de Peuls
du Macina avec les vrais Bambara nègres de la région de Ségou)
sont de très haute taille, fort bien faits, etc. C’est l’explorateur
Bayol qui l’affirme (1885) après avoir parcouru le Bélédougou.
De même les Peuls du Yatenga semblent plus forts que les autres
Peuls pour avoir reçu plus de sang nègre que les Peuls du Macina
(d’où ils viennent du reste) et même que les Peuls du Fouta-
Djallon.
Enfin les Toucouleurs, sur le Sénégal, métis de Peuls et de
Ouolofs ou mieux, de Peuls et de Sérères, sont une belle race
grande, solide, un peu maigre, qui a fourni d’excellents spahis
pour notre conquête soudanaise.
On peut donc dire que le métissage du Peul et du nègre, régé-
nère le nègre, le fait plus grand et plus beau, tout en lui conser-
vant une force que ne possède pas le Peul pur.
Au sujet de cette faiblesse du Peul pur, je dirai qu’en 1921 on
envoya dans le Soudan une mission pour étudier la question Peul
(mission qui se composait d’un inspecteur colonial de haut grade
et de ses aides). En effet, comme on avait voulu appliquer aux
conscrits levés en Afrique occidentale certaines mesures types
pour la largeur du thorax, la force de l’individu, etc., on avait
exclu d’un seul coup sans le vouloir,tous les Peuls, du recrutement
africain. Comme les Peuls sont nombreux en Afrique occidentale
cela faisait un trou sérieux dans le recrutement. On avait donc
envoyé une mission pour voir ce qu’il en était réellement à ce
sujet et pour faire rentrer, si possible, la masse peuhle dans la
masse conscriptible. Je ne sais pas quels ont été les résultats de
cette mission mais ce que j’ai dit plus haut de la faiblesse des
Peuls du Fouta-Djallon pour les travaux de force (terrassement
ou portage) concorde parfaitement avec les difficultés militaires.
Le vrai Peuhl est un pasteur délicat et peu solide, grand le plus
souvent, quelquefois aussi de taille moyenne ou même petite
— mais toujours grand et solide quand il est croisé avec des élé-
ments nègres.
Ce que je viens de dire suffira peut-être à détruire les exagéra-
tions sur la taille des Peuls. Ajoutons que le Dr Verneau donne
dans l’Homme (p. 180, collection Larousse, 1931) une moyenne de
1 m. 74 de taille aux Peuls ce qui en ferait des géants à peu près
de même taille que les Touareg (1 m. 75) et supérieurs aux Ouo-
lofs (1 m. 72) qui en réalité sont bien plus grands qu'eux et il les
déclare bien proportionnés. Malgré la haute autorité du Dr Ver-
neau, ce sont là des chiffres exagérés. Il est vrai que le Dr Verneau
étudiant les documents des Missions de Gironcourt en Afrique
occidentale (1920) a trouvé pour 10 Peuls du Niger une taille
moyenne de 1 m. 746 et pour une femme Peuhle une taille de
1 m. 56 et pour des Peuls du Haut Dahomey une moyenne de
1 m. 724. Ce sont là des chiffres élevés mais trop élevés justement

pour l’ensemble de la masse Peuhle. Deniker tombe dans le même


travers que le Dr Verneau et donne aussi pour la taille des Peuls
1 m. 74 en moyenne (ou plus exactement : 1 m. 741, p. 707 des
Races et des Peuples de la Terre, édition 1926). C’est une série de
35 individus qui a fourni cette énorme moyenne.
Auparavant Deniker et Collignon avaient, en 1895, mesuré
8 Peuls du Cayor et en 1896, 3 hommes et 5 femmes (notes manus-
crites). De plus ils avaient pris la taille de 36 Peuls puis encore de
20 Peuls. Ils avaient trouvé 1 m. 73 en moyenne pour les hommes
et 1 m. 61 pour les femmes.
Exagérant encore Deniker donne 1 m. 75 de taille moyenne aux
Peuls dans une note de la page 542 (où il étudie les Peuls) de ses
Races et Peuples de la Terre (édition de 1926). Le Dr Lasnet, plus
près de la vérité, dit dans Une mission au Sénégal (1900) que la
taille moyenne des Peuls ne dépasse pas 1 m. 70 en moyenne.
Avec lui nous rentrons dans la réalité.
M. Buisson qui, en 1933, vient d’étudier dans le Journal de la
Société des Africanistes, au point de vue somatique, quelques
Peuls nobles du Haut-Cameroun donne les tailles suivantes pour
6 hommes :
1m. 67
1 m. 66
1 m. 72
1 m. 68
1 m. 65
et 1 m. 69
Ce qui fait une moyenne générale de 1 m. 68. Il a mesuré une
seule femme qui a 1 m. 61 de taille. Evidemment ces Peuls
(hommes : 1 m. 68, femmes : 1 m. 61) sont de haute taille, mais
nous voilà loin de 1 m. 74 ou 1 m. 75 de moyenne des Verneau et
des Deniker.
En 1918, l’anthropologiste lyonnais Ernest Chantre (Contribu-
tion à l’étude des Baces humaines du Soudan Occidental-Sénégal et
Haut-Niger, Lyon, Rey, 1918) a étudié, avec d’autres noirs de
l’Afrique occidentale française, des tirailleurs pouls envoyés au
front et quelques femmes peuhles en y joignant des mensurations
antérieures. En tout il a étudié 39 hommes et 13 femmes prove-
nant de 3 séries différentes (celle de Tripoli : 10 sujets, celle de
Paris : 30, celle de Lyon : 12). Les sujets de la lre série étaient des
Peuls du Sokoto, tandis que les autres proviennent du Sénégal
(Cayor) et du Fouta-Djallon.
La première série lui a donné 1 m. 64 de moyenne, la seconde
1 m. 67 pour les hommes et 1 m. 58 pour les femmes, la troisième
1 m. 62 (p. 25 et 25). Plus loin, résumant ses observations, p. 27,
il dit que :
La série de Tripoli (Sokoto) a 1 m. 62
Celle de Lyon (Cayor et Fouta-Djallon)
Celle de Paris (idem)
Et les femmes (série de Paris)
.... 1 m. 72
1 m. 67
1 m. 58

Enfin, synthétisant toutes ces observations, il donne 1 m. 67


de taille moyenne aux Peuls, ce qui est une taille plutôt élevée
mais sans rien de gigantesque. Cette taille de 1 m.67 s’applique
naturellement aux hommes (p. 27). Les femmes auraient 1 m. 58
de taille moyenne. Avec ces chiffres comme avec ceux du Dr Las-
net (1 m. 70), de M. Buisson (1 m. 68), nous rentrons dans la
réalité moyenne des Peuls, loin des exagérations flagrantes d’an-
thropologistes illustres.
Ajoutons encore quelques notes sur la taille des Peuls.
Pour moi, comme je l’ai dit plus haut, j’ai pris des mesures de
taille sur des Peuls du Yatenga tirailleurs (voir mon Noir du
Yatenga, 1917, p. 621 et suivantes).
Il y a en effet dans le Yatenga, pays Nioniossé et Mossi,
29.000 Peuls environ :
Peuls Dialloubé (Nord-Ouest) 13.000
Peuls Fittobé (Nord). 5.000
Peuls Torombé (Est) 11.000

Après avoir étudié ces Peuls, au point de vue historique et


social, je termine, en disant, au point de vue somatique :
« Au point de vue
physique, le Peul du Yatenga, assez mélangé
de sang nègre, surtout le Dialloubé, est aussi noir que les Mossi et
les Foulsé (Nioniossé) qui l’environnent. En revanche il est assez
bel homme, le métissage nègre lui ayant donné de la robustesse.
Il n’a pas la maigreur, les reins de chat écorché, les oreilles carac-
téristiques énormes bien détachées de la tête, le petit menton en
pointe et la couleur relativement pâle du visage — des Peuls de
l’Issa-Ber. Bref il semble plus mélangé de sang nègre que ce der-
nier.
Pour la taille une statistique portant sur 43 tirailleurs peuls
(21 Dialloubé, 10 Fittobé et 12 Torombé) me donne 1 m. 698 de
moyenne — en gros 1 m. 70. » Mais il faut ajouter que les tirail-
leurs sont plutôt des gens choisis. Pour les femmes cela indique-
rait 1 m. 60 environ au maximum.
Je relève enfin, dans des mensurations inédites prises par
M. Labouret en 1932 sur les Peuls du Fouta-Djallon,les notations
suivantes :

Noms Lieu d’origine Taille


Abdoulay Diallo Timbo 1 m. 70
Sori Diallo Labé
Alfa Omar Diallo
Mamadou Ba
Alfa Diallo
.... Labé
Mali
Dité
1 m. 75
1 m. 70
1 m. 67
1 m. 71
Mamadou Diallo Dité 1 m. 74
Omar Diallo Dité 1 m. 73
Omar Diallo II Dité 1 m. 65
Mamadou Boda Diallo . .
Mamou 1 m. 74
Amadou Ba Fouta-Djallon 1 m. 64
Mamadou Diallo Labé 1 m. 72
Mamadou Bari Labé 1 m. 68
Yaga Diallo Fouta-Djallon 1 m. 68
Mamadou Ba Idem 1 m. 69
Daula Ba Pita 1 m. 64
Mamadou Ba Guinée portugaise 1 m. 71
Ibrahima Bari Timbo 1 m. 72
Cela donne en moyenne 1 m. 698 aux Peuls du Fouta-Djallon
soit 1 m. 70 en arrondissant les chiffres. Nous avons vu plus haut
que le recensement de 1934, pour 50 hommes et 50 femmes
peuhles du Labé, nous a donné une moyenne de 1 m. 69 pour les
hommes et de 1 m. 54 pour les femmes.
En résumé, les Peuls ne sont pas les géants qu’on pourrait ima-
giner d’après les chiffres pourtant récents de Verneau et Deniker.
Il faut écarter la moyenne de 1 m. 74 ou 1 m. 75 pour les hommes.
Notamment plus petits que les Ouolofs (nègres) ou les Touareg
(Hamites), les Peuls sont en général plus grands que les nègres
mais moins robustes. Leur taille varie de la moyenne de 1 m. 67 à
la moyenne de 1 m. 71 pour les hommes,et pour les femmes de la
moyenne de 1 m. 54 à la moyenne de 1 m. 62. Ils sont donc assez
grands, plus que les nègres Bambara et Malinké (1 m. 65, 1 m. 66
de haut) mais peu robustes. Leur métissage avec les nègres donne
une race plus belle que les deux composantes, des hommes de
haute taille, beaux et vigoureux. Voici ce que les anciens voya-
geurs ont noté sur la taille des Peuls 1.
Gray et Dochard (1821) disent : « que les Peuhls du Bondou
sont de taille moyenne, bien faits et actifs. Leur face est couleur
cuivre clair. De tous les peuples de l’Afrique occidentale, les
Maures exceptés, ce sont eux qui ont dans la physionomie le plus
de ressemblance avec les Européens. Leurs cheveux sont plus
longs que ceux des noirs, leurs yeux plus grands, plus ronds et
d’une couleur plus agréable, ont aussi plus d’expression » (cité
par Crozals, p. 82). Plus loin (p. 84), Crozals dit encore : « Le mis-
sionnaire Boilat qui a étudié de près les Peuhls de la région Séné-
gambienne signale chez eux des cheveux longs et épais, appro-
chant un peu de la laine, des traits presque européens, une couleur
de bronze rouge, des lèvres moins épaisses que celles des Ouolofs,
un nez un peu allongé, une taille médiocre mais bien prise et aisée. »
En revanche le Dr Bayol dit des Peuhls du Fouta-Djallon : « Ils
sont grands et minces, leurs cheveux sont peu crépus, leur barbe,
rouge brun ou plus foncée, est rare. » (Revue des Deux Mondes,
15 décembre 1882.)
Relevons encore (Crozals, p. 87) que dans l’Adamaoua oriental,
Barth trouva des Peuhls qu’il représente avec les caractères sui-
vants : « petite taille, petits traits, front haut, petites mains et petits
pieds, taille mince, ressemblance médiocre avec leurs hautains
compatriotes de l’ouest. » (Barth, II, 477).

1. Extrait de Crozals : les Peulhs (1883), p. 79 et suivantes.


Les Peuhls de l’Adamaoua ressemblent fort aux Peuhls Houb-
bou que j’ai vu en 1907 en visite à Faranah ou dans leur province
du Fitaba. En revanche j’ai vu les Peuls du Fouta-Djallon minces
et grands comme les a vus le Dr Bayol.
En résumé les témoignages anciens sur le Peuhl physique,
réunis par de Crozals les donne :
1° Comme de taille moyenne (dans le Bondou);
2° Comme de taille médiocre (au Sénégal);
3° Comme grands et minces (Fouta-Djallon);
4° Comme de petite taille (dans l’Adamaoua oriental).
Pour moi (1905 à 1913) j’ai vu les Peuls :
1° comme petits chez les Houbbou.
2° comme grands et minces au Fouta-Djallon ;
3° comme de taille moyenne mais peu forts dans l’Issa-Ber.
Tous ces témoignages font croire que c’est Chantre qui est le
plus dans la vérité en donnant aux Peuls une taille moyenne de
1 m. 67 pour les hommes, ce qui fait environ 1 m. 58 pour les femmes.
Quant aux exagérations du Dr Verneau (1 m. 74) ou de Deniker
(1 m. 75) il faut totalement les rejeter.
Ajoutons quelques autres renseignements anthropologico-so-
matiques : Pour la tête les Peuls ont, d’après Chantre, 74,21 en
moyenne d’indice céphalique horizontal, ce qui en fait des doli-
chocéphales purs. Verneau donne en moyenne à ses Peuls du Niger
(missions de Gironcourt) 73,71 d’indice céphalique horizontal.
Deniker donne une moyenne de 73,2 (pour 52 individus) puis
74,3 pour 17 individus (p. 709 et 710 de Les races et peuples de la
terre, édition de 1926). Le lieutenant Girard (Anthropologie,
tome 13, année 1902, p. 51) donne 73,44 pour les Peuls comme
indice céphalique horizontal.
Si nous prenons la moyenne de ces différentes mensurations
on a 73,68 d’indice céphalique horizontal soit 74 en arrondissant
les chifres. Les Peuls sont donc très nettement dolichocéphales,
moins que certains nègres, mais plus que d’autres.
Ajoutons que la tête est élevée en même temps que longue. La
face est plus étroite et plus allongée que celle des nègres. Enfin
chez les Peuls qui ne sont pas trop métissés de nègres, le nez est
moins large que chez ceux-ci, sur tout chez les femmes. Les séries
de Chantre pour les hommes donnent pour l’indice nasal :
88,37
100
et 98,54
ce qui donne une moyenne de 96, ce qui est évidemment platy-
rhinien, mais non ultra-platyrhinien comme le nez nègre en géné-
ral, comme le nez Bambara en particulier si large et si écrasé! Les
femmes peuhles auraient 95.

Ceci dit sur l’anthropologie physique des Peuls, passons à la


question de leur origine.
Les Peuls, d’après le Dr Verneau, qui les a étudiés en 1897-1899
dans l’Anthropologie, sont des Hamites inférieurs, des Éthiopiens.
Cette théorie a été généralement acceptée et Deniker (édition de
1926) est du même avis, après avoir soutenu d’abord une origine
mixte berbéro-éthiopienne (1900). Cette thèse, comme nous le
verrons plus loin, a encore été confirmée par M. Werner (pour la
langue) et Seligman pour la race (1935). Mais cette opinion scien-
tifique est bien plus ancienne que ces savants et Mollien (1818) a
l’honneur de l’avoir soutenue le premier. Elle a été soutenue entre
Mollien (1818) et Verneau (1897) par un très grand nombre de
savants, anthropologues ou linguistes, dont on trouvera plus loin
(chap. IV) l’exacte énumération.
A cette opinion il faut joindre immédiatement celle qui donne
aux Peuls une origine berbère. Cette opinion n’est pas absurde à
priori et, quoiqu’elle soit fausse, à notre avis, à la prendre massi-
vement et en bloc, elle a sans doute quelque chose de vrai par en-
droits et dans certains cas, car les Peuls ont pu être contaminés
par des éléments berbères au nord comme ils ont été contaminés
(mais bien plus sérieusement) par des éléments nègres au sud. Ils
semblent en effet être venus des environs de l’Égypte (nord-ouest)
entre le VIe siècle avant Jésus-Christ et le VIIIe siècle après Jésus-
Christ en passant par la lisière nord du Sahara et les traditions
du Fouta-Toro les représentent abordant le fleuve Sénégal et le
pays Serère par le nord.
Ainsi on devait songer à une origine berbère et c’est l’opinion
de Félix Dubois qui, en 1897, dans Tombouctou la Mystérieuse
(p. 152) fait des Songhaï des bords du Niger des Éthiopiens (opi-
nion qui n’a pas été suivie et ne mérite pas de l’être), et fait en
revanche des Peuls des Berbères de l’Afrique du nord, comme les
Maures méridionaux, les Touareg, etc. C’est aussi l’opinion de
Passarge adoptée par Constantin Meyer qui leur attribue un ca-
ractère berbère atténué.
Cette théorie que les Peuls sont des Berbères doit être rejetée
nous le répétons : ce sont des Hamites inférieurs, des Éthiopiens
ou des Nubiens, des Kouschites, etc., venus primitivement de
l’est à l’ouest et qui, une fois, dans le Fouta-Toro sont repartis
vers l’est jusqu’au Tchad (processus historique celui-là et qui va
du VIIIe au XIXe siècle de notre ère). Dans leur première et préhis-
torique marche de l’est à l’ouest ils ont pu se contaminer jusqu’à
un certain point, partiellement et localement, d’éléments berbères.
C’est tout ce qu’il y a de vrai dans la théorie.
Mais cela nous conduit à l’origine mixte berbéro-éthiopienne ou
nubi-berbère qui a été adoptée par certains auteurs : ainsi par le
Dr Bayol (1887) qui appelle justement les Peuls des Nubi-berbères.
Machat aussi (1906) leur donne une qualification de ce genre, en
se rattachant pourtant en gros et avec force à l’opinion du Dr Ver-
neau. Deniker, en 1900, dans sa première édition des Baces de la
Terre lui accordait du crédit en appelant les Peuls des Berbéro-
Éthiopiens. Dans la dernière édition du même volume (1926,
posthume) il en fait des Ethiopiens contaminés au nord par des
éléments berbères et au sud par des éléments nègres. Enfin citons
M. Gautier (1935) qui, dans son Esquisse remarquable sur l’Afri-
que occidentale, fait des Peuls tantôt des Nubiens tantôt des Mé-
diterranéens, donc en définitive des nubi-méditerranéens ce qui
est la même chose que la théorie berbéro-éthiopienne.
Il y a encore une variante de l’opinion berbère qui est celle du
Dr Roubaud qui fait provenir les Peuls d’un mélange de Berbères
et de nègres. Le Dr Lasnet a réfuté cette théorie en 1900 (Une
mission au Sénégal) : « Cette opinion, dit-il, n’est pas acceptable.
Ils (les Peuls) présentent de profondes différences avec les Poro-
gnes 1 ou autre métis de Maures; le métissage d’autre part n’au-
rait pu donner naissance à une race aussi puissante et aussi nom-
breuse. 2 »
Après ces trois théories : l'éthiopienne, la berbère et la berbéro-
éthiopienne (dont la première est vraie, la seconde fausse et la
troisième vraie en partie) nous avons la théorie sémitique ou judéo-
syrienne ou juive qui a été illustrée par Delafosse (1912) mais qui

1. Métis de Maures et de nègres, au Sénégal.


2. Je retrouve dans les notes rassemblées par moi en 1915 sur les origines
Peuhles ceci : « L’opinion qui donne aux Peuls un caractère berbère atténué
peut être vraie, car chez les Peulhs la femme est jalouse, sans l’être pourtant
autant que la femme Maure (Sourakha) ou la femme Targui. Elle n'impose
pas complètement la monogamie à son mari mais à peu près. Du reste, à
mesure qu’on monte vers le nord les Peuls semblent de plus en plus mono-
games, de moins en moins polygames. Dans le sud ils participent aux moeurs
des noirs qui les entourent, moins polygames cependant que ceux-ci, mais,
dans le nord, la jalousie de la femme Peuhle et le fait qu’elle ne souffre pas
de rivale se marque très nettement et c’est bien là un caractère berbère très
net. »
avait été soutenue bien avant lui. Cette opinion, venue de ce que
les Peuls, pasteurs, avec leur vie pastorale et leurs nombreux trou-
peaux rappellent souvent, peu ou prou,les anciens patriarches de
la Bible 1 a été soutenue, dès la fin du XVIIIe siècle, par les voya-
geurs anglais du Sierra-Léone Winterbottom et Mattheus, puis
plus récemment par Grimai de Guiraudon (1887), puis par Edmond
Morel l’adversaire acharné du Congo belge (1904), enfin par
Delafosse (en 1912). Même certains savants de valeur comme de
Quatrefages el Hamy (1882), dont nous verrons en détail au cha-
pitre IV l’opinion, prononcent malencontreusement pour dési-
gner les Peuls le nom de race sémitique, au lieu de dire hamitique,
ce qui tend à brouiller les idées et à renforcer dans leur opinion
excentrique les partisans de la théorie de l’origine judéo-syrienne
ou juive. De même le Ct Frey dans sa Côte d’Afrique (1890) dit
que les Peuls sont des sémites. Il a l’air d’ignorer qu’entre sémites
et nègres on peut distinguer de nombreux degrés humains : Ha-
mites supérieurs (Berbères, Égyptiens) et Hamites inférieurs
(Éthiopiens, Nubiens).
L’opinion de l’origine sémitique ou judéo-syrienne ou juive des
Peuls semble maintenant, après l’éclat éphémère que lui redonna
Delafosse en 1912, définitivement abandonnée. Elle a reçu le
coup de grâce avec les dernières recherches, aussi bien somatique-
ment que linguistiquement. Il y a cependant trop d’auteurs et
de gens de talent qui l’ont soutenue pour que nous la considérions
comme une théorie stupide ou grotesque.
Il faut parler ensuite de l’origine hindoue des Peuls soutenue
par Golberry (1800) et même Binger (1892) : Binger dit qu’il ne
cherchera pas si c’est la thèse hindoue de l’origine des Peuls qui
est vraie ou la thèse malayo-polynésienne de d'Eichtal!!! C’est
être un peu en retard en 1892 (voir plus loin : chapitre V). Cette
thèse de l’origine hindoue est intéressante cependant, parce que
des auteurs, qui font en définitive des Peuls des Ethiopiens ou
Koushites, placent l’origine des Kouschites dans l’Inde d’où ils se-
raient passés ensuite dans l’Arabie du Sud puis dans l’Ethiopie
Africaine (ainsi Knoetel, 1866) La thèse hindoue, qui semble ab-
surde au premier abord, prend donc un caractère plus sérieux, si
l’on y réfléchit. Cependant elle est plus qu’hypothétique et Hart-
mann (1876) qui donne aux Éthiopiens une origine exclusivement
africaine semble avoir raison contre Knoetel. Cependant on peut
laisser ouverte cette antique question d’origine kouschite.
1. Mais ceux-ci étaient de couleur blanche, tandis que les Peuls sont de
couleur noire.
Parmi les théories décidément excentriques, signalons celle de
Gustave d'Eichtal (1842. Histoire et origine des Foulahs ou Fel-
lans). Cet auteur qui fait date dans la Poulologie ou dans la Fou-
lalogie (comme on voudra dire) a consacré un volume aux Peuls
il y a un siècle, à une époque où ils étaient beaucoup moins connus
que maintenant. il en fait, on le sait et sa thèse est restée célèbre,
des Malayo-Polynésiens venus en Afrique par la côte orientale.
Il les retrouve en Abyssinie (juifs d’Abyssinie qu’il croit être des
Peuls et qui ne sont en réalité ni juifs ni peuls mais Abyssins avec
des prétentions juives), au Dar-Four (qui est la maison des Four
ou Fouil !!! Les Four ou Foriens sont en réalité de vrais nègres) et
enfin au Haoussa et dans toute l’Afrique occidentale. Bref d’Eich-
tal accorde aux Peuls l’origine qui est vraiment celle des Hovas
(ou Houves) de Madagascar, qui sont bien, eux, des Malais. La
théorie de d’Eichtal, après avoir fait beaucoup de bruit, est main-
tenant depuis longtemps abandonnée. D’Eichtal a bien vu que
les Peuls n’étaient pas des nègres mais en Afrique même l’on peut
trouver des populations de teint très foncé qui ne sont pourtant
pas nègres (Éthiopiens, Nubiens, Abyssins, etc.).
Nous en arrivons maintenant aux théories absurdes : les Peuls
sont des Tziganes, des Pélasges (!!), des Gaulois (!!), des Ro-
mains (!!), etc., etc. C’est la section de Charenton pour l’origine
des Peuls. (Pour le détail, voir plus loin : chapitre V.)
Notons que certains auteurs ont deux théories d’origine. Ainsi
d’Eichtal superpose à sa théorie malayo-polynésienne la théorie
que les Peuls (gens du Fouta) Fouta-Toro, Fouta-Diallo, Fouta-
Damga, etc.) seraient le peuple de Phout de la Bible. Mais alors
ils ne seraient donc pas des Malayo-Polynésiens? (à moins qu’on
ne fasse du peuple de Phout lui-même des Malayo-Polynésiens).
Delafosse soutient aussi que les Peuls seraient le peuple de Phout.
Mais alors, si ce sont des gens de Phout, assez analogues aux gens
de Kousch ou Kouschites, ce ne seraient donc pas des Sémites,
des Juifs, des Judéo-Syriens? Il faudrait pourtant choisir...
En résumé, on le voit, il y a bien des théories sur l’origine des
Peuls. Nous examinerons dans les chapitres suivants :
1° Les théories des Peuls eux-mêmes;
2° La théorie sémitique ou judéo-syrienne ou juive;
3° La théorie éthiopienne ou hamitique inférieure
4° Toutes les autres théories restantes : berbère, berbéro-éthio-
pienne, hindoue, malayo-polynésienne, etc., etc.
CHAPITRE II

CE QUE LES PEULS PENSENT EUX-MÊMES


DE LEURS ORIGINES

Madrolle dans son gros ouvrage : En Guinée (1895), où il parle


abondamment des Peuls du Fouta-Djallon, dit (p. 294) :
« En 1892, je visitai une partie du Fouta-Diallo, j’interrogeai
les indigènes sur l’origine de leur race; voici ce qu’ils me racon-
tèrent :

« Un certain arabe de Massara (Massira ou Massara signifie


l’Égypte 1) nommé Aboudar-Daye, fervent apôtre de Mahomet,
circulait avec une troupe nombreuse entre le Niger et le Sénégal
pour soumettre à la religion musulmane les peuples habitant
l’occident de son pays.
« Il vint au Fouta-Toro et trouva le pays habité par les Ouolofs
qu’il soumit au culte de Mahomet 2. Les rois du pays Lamtaga-
Diop et Diadian-Diaye, ainsi qu’une partie des habitants, accep-
tèrent la nouvelle religion.
« De cette invasion il ne resta que peu de vainqueurs; cepen-
dant l’un d’entre eux eut en partage la fille du roi du pays et
vécut au Fouta-Toro.
« De ce mariage naquirent quatre fils dont le troisième resta
muet pendant une partie de sa jeunesse.
« Son plus jeune frère, alors âgé de huit mois, se mit un jour à
pleurer et à crier très fort en appelant sa mère; ce fut alors que le
muet s’écria tout à coup : « Deddiou, deddiou, néné araï djiouni,
amouïnaï » (Taisez-vous, taisez-vous, notre mère vient tout de
suite, vous allez avoir le sein). Ces mots furent les premières
paroles foulahs entendues dans le pays Ouolof.
« La mère, s’approchant de la case, fut surprise d’entendre cette
nouvelle voix; elle courut à la mosquée chercher son mari et
tous deux restèrent cachés autour de la case. L’enfant au ber-
ceau s’étant repris à pleurer, la nouvelle voix se fit encore en-
tendre.
1. En réalité c’est Missira qu’il faut dire et non Massira ou Massara.
2. En fait l’islamisation des Fouta-Toro doit remonter au XIe siècle de notre
ère.
« Le père, marabout vénéré, crut trouver en ce fils un futur
apôtre de Mahomet et le fondateur d’un nouveau peuple; il cou-
rut chercher le livre des langues de Mamodou (mis pour Moham-
madou, Mohammed, Mahomet) et trouva qu’il était prédit
qu’une race de couleur claire, parlant une langue particulière,
dominerait une partie du monde.
« Le marabout rendit grâce à Dieu. Heureux d’une telle fortune
il se mit à pleurer et à remercier Mahomet de faire sortir de sa
famille une race qui, née sur les bords d’un grand fleuve, devait
régner sur beaucoup de pays. Le vénéré Arabe se mit à parcourir
les régions environnantes, annonçant partout que la langue pré-
dite par le grand prophète était maintenant découverte.
« Devenu plus grand, le jeune fils apprit à ses trois frères
la
nouvelle langue Foulah. Ils partirent vers une région éloignée
de Timbouctou 1 où se forma le noyau de la race.
« Quelques années après eut lieu la dispersion : les deux aînés
s’établirent au Macina, le troisième gagna les pays montagneux
habités alors par les Landouman et les Soussou et qu’il nomma
Fouta-Diallo. Le quatrième resta le maître des pays berceaux de
la race, situés entre le Moyen-Niger et le Tchad » (p. 294-298).
Telle est cette légende qui fait descendre les Peuls d’un métis-
sage d’Arabes et de Ouolofs. Cette légende, imaginée par des mara-
bouts Peuls pour flatter la vanité de la race, et qui du reste n’est
pas trop présomptueuse puisqu’elle ne se targue que d’une demi-
origine arabe et se donne seulement un père arabe et une mère
nègre, sembla si bien imaginée dans l’Ouest africain que des nègres
purs la reprirent à leur compte, se plaçant à côté des Peuls dans
cette légende mirifique et se donnant à leur tour une origine à
demi-arabe. Ce devint ainsi une légende passe-partout pour tous
les nègres islamisés de l’Ouest africain. Nous allons la voir telle
quand elle fut racontée à André Arcin.
Notons en passant que le Livre des langues de Mahomet dans
la littérature arabe est du même acabit que le chapitre des cha-
peaux dans l’oeuvre d’Aristote.
Voici maintenant ce qui a été raconté à André Arcin (La
Guinée Française, p. 227) :
« Un Maure ou un
Arabe, c’est-à-dire un blanc, me dit mon
informateur, se maria à Tischitt avec une négresse. Il en eut

1. Il faut sans doute comprendre : ils partirent vers une région éloignée du
Sénégal, celle de Tombouctou, et là se développa la nouvelle race. Cependant
l’indication de la fin marque que ce pays aurait été entre le Niger et le Tchad,
c’est-à-dire à l’est de Tombouctou.
quatre fils. Le premier fit souche de certains Mandé : Sarakholé,
Dioula, Soso. Le second fut le père des Férobé 1, le troisième des
N’Daédio. Dialo était muet. Un jour, sa mère ayant été chercher
de l’eau, il resta dans la maison avec N’Daédio. Celui-ci se prit
à pleurer en appelant sa mère. Alors le muet, voulant consoler
son jeune frère, se mit à lui parler et, dans un langage incom-
préhensible, il lui disait : Tais-toi, tais-toi, petit frère, voilà
notre mère qui revient! (Deddiou, deddiou, etc.). En effet, la
mère était sur le seuil, mais, en entendant ces mots étranges, elle
s’enfuit terrifiée et alla trouver son mari pour lui conter la scène
à laquelle elle venait d’assister. Le Maure ouvrit alors son Koran
et vit que Mohammed avait prédit que des gens, parlant une
langue inconnue à son époque, domineraient une partie du monde.
Il partit alors, abandonnant ses enfants chez les nègres. Ces
derniers les chassèrent, sauf Dialo qui fut admis parmi eux.
Mais il avait auparavant appris la nouvelle langue à ses frères
et ceux-ci, après s’être dispersés et être allés qui au Haoussa,
qui au Macina, etc. revinrent plus tard voir leur pays d’origine. »
Comme on le voit, cette légende diffère de celle rapportée par
Madrolle en deux points : 1° le père des Peuhls est un Arabe ou
un Maure, plutôt un Maure; 2° il n’y a pas que les Peuhls qui
soient les descendants d’un Maure ou d’un Arabe il y a toutes
les populations nègres tant soit peu musulmanisées, même les
Soso.
D’autre part, le sultan Peuhl Mohammed Bello, fils du con-
quérant Osman dan Fodio qui conquit Sokoto et la Nigéria du
Nord au commencement du XIXe siècle, visité par le voyageur
anglais Clapperton (1824), lui remit un mémoire sur les hauts
faits et les origines de sa race.
Disons d’abord que ce mémoire ne vaut pas grand'chose.
Pour donner une idée des connaissances de son auteur, je donne
ici sa définition des Maures ou Berbères :
« Les Berbères descendent d’Abraham. Quelques-uns préten-
dent qu’ils sont issus de Japhet et d’autres de Gog et de Magog
dont une tribu qui se trouvait à Ghairoun (Kairouan?) s’est
unie avec les Turcs et les Tartares. »
Ainsi, d’après cette définition substantielle, les Maures seraient
des Sémites, à moins qu’ils ne soient des Aryens ou à moins
qu’ils ne soient issus d’un mélange de Gog et de Magog avec des
Turcs et des Tartares!!!
1. Les Férobé, les Dialo, les N’Daédio sont des clans Peuhls tandis que
les Soninnké ou Sarakolé, les Dyoula et les Soso sont des Mandé.
D’après Bello, les Sôninnkés ou Saracolets sont des Persans,
les Torodo des Juifs, les Malinké des Coptes, enfin les Peuls des
Arabes par leur père, des Toucouleurs par leur mère. On est
évidemment ici en pleine fantaisie.
Delafosse (Haut-Sénégal-Niger, t. I, p. 202) résume ainsi l’opi-
nion de Bello :
« D’après lui, les Peuls — ou tout au moins ceux du clan
Torodo auquel il appartient lui-même, descendent des Juifs,
bien que certains les rattachent aux Chrétiens et d’autres aux
Bambara. »
D’autre part, André Arcin dit, au sujet de Bello : « Cette
légende [celle d’après laquelle, nous l’avons vu, les Peuls des-
cendraient d’un Maure ou d’un Arabe et d’une négresse] est
confirmée par le manuscrit de Bello. L’Arabe est un chef des
Sohabat qui apporte au Soudan la religion de Mahomet. Ses
fils, les Foulbé, parlent une langue nouvelle différente de celle
de leur père (l’Arabe) et de leur mère (la langue Wakoré ou
Mandé). Cette dernière est une Touroude (Torodo). »
Il est assez singulier que, si la mère est une Touroude ou
Torodo (une Toucouleur), elle parle le Mandé et non pas le Tou-
couleur (qui est du reste le Peul) mais passons.
On voit que le Sultan Bello n’est pas une autorité et que son
fameux manuscrit n’est qu’une élucubration de barbare qui
connaît mal l’histoire et n’a aucun renseignement sérieux sur
l’origine de sa race. Il est particulièrement désastreux de faire
descendre les Peuls des Arabes et des Toucouleurs vu que ceux-ci
sont un mélange, justement, de Peuls et de nègres Sérères.
Les traditions que nous venons de voir, en tout cas, admettent
une double origine des Peuls : ce serait un mélange d’Arabes
(ou de Maures) avec des nègres et ceci n’est pas une opinion
si grotesque puisque, au XIXe siècle, le Dr Roubaud admet
encore que les Peuls sont issus d’un mélange de Maures et de
nègres. Mais la vanité Peuhle a été plus loin et ils seraient de
vrais Arabes.
« D’autres traditions, dit Madrolle, ouvr. cit., p. 297, font
descendre les Peuhls de Fello-ben-Hymier, c’est-à-dire de Fello
ou Poullo fils d’Hymier, donnant ainsi aux Peuhls une origine
Himyarite, Arabe.
Crozals dit dans son ouvrage sur les Peuls (1883, p. 248) :
« Un iman
de la tribu Peuhle des Irlabés racontait en 1817 à
un voyageur Européen que les Peuhls, jadis voisins de l'Arabie,
reçurent la commotion générale que la naissance du Mahomé¬
tisme fit éprouver aux nations environnantes; nouveaux con-
vertis, ils traversèrent l’Afrique en conquérants, imposant le
culte islamique aux peuples plus faibles qu’eux (d’Avezac,
Bayol). Cette tradition évidemment inspirée par le désir d’asso-
cier, dès le premier jour de la prédication du prophète, les
destinées des Peuhls à celles des Arabes, ne mérite aucune
créance et laisse entière la question qu’elle prétend résoudre. »
Un Hadji Peuhl raconta à Clapperton qu’il avait rencontré
des hommes de même race que lui à la Mecque, ayant les mêmes
traits, parlant un langage semblable (Crozals).
Une légende du même genre est celle qui fut recueillie en 1857
par C.-J. Reichardt et qui est relative exactement aux origines des
Peuls du Fouta-Djallon. Delafosse en parle, p. 203. Les Peuls
du Fouta-Djallon proviendraient de familles arabes venues de
Fez dans le Dioka ou Diaga (Massina), sous la conduite de deux
chefs nommés Sidi et Séri; ceux-ci auraient été accueillis dans
le Dioka par un saint personnage nommé El Hadj Sahilou
Souaré, chef d’une tribu mandingue (ou plus exactement So-
ninké, d’après son nom de clan : Souaré), lequel les aurait dirigés
vers le Fouta-Djallon, où il devinrent les ancêtres des deux
familles des Sidianké et des Sérianké.
En fait, ce qu’il y a de vrai dans cette légende est la venue
d’une colonne de Peuls depuis le Macina jusqu’au Fouta-Djallon
(vers 1694), mais que ces Peuls soient des Arabes installés au
Maroc dans les environs de Fez et venus de là au Macina, ceci
est la part légendaire de la tradition. Il s’agit toujours de donner
aux Peuls, peuple islamisé, une origine arabe.
Delafosse dit, lui aussi, que tout n’est pas à rejeter dans cette
légende, mais il la commente d’après son point de vue à lui :
origine Juive et non Arabe des Peuls. De plus, comme il croit
(à tort) que les Peuls du Fouta-Djallon sont venus du Fouta-
Toron et non du Macina, il intercale une promenade de ces
Peuls du Macina au Fouta-Toron avant d’aboutir au Fouta-
Djallon.
Delafosse a encore rapporté d’autres légendes d’origine arabe 1.
Ainsi, p. 212 et 213, tome I de son Haut-Sénégal-Niger, il dit,
parlant des Peuls islamisés : « C’est ainsi que beaucoup pré-
« Un manuscrit arabe encore inédit, recueilli au Sénégal par M. le chef
1.
de bataillon Gaden, qui me l’a communiqué, localise la patrie de l’ancêtre
des Peuls à Akka, c’est-à-dire à Saint-Jean d’Acre, sur la côte de Galilée,
au sud de Tyr et non loin de Nazareth, au point de jonction de la Palestine,
de la Phénicie ou Syrie occidentale (Seur) et de la Syrie orientale (Gham)
(p. 211, 212, en note). »
tendent que leurs premiers ancêtres se trouvaient encore au
Sinaï après la mort de Mahomet, lorsque, en 639, le calife Omar-
ben-el Khattab (634-644) envoya du Hidjaz par la Mer Rouge
une armée commandée par Amrou-ben-el-Assi dans le but de
convertir les Juifs et les infidèles du Sinaï et de l’Egypte. Amrou
aurait débarqué au pays du Tor (Sinaï) une partie de ses troupes
dirigée par un nomméOkba-ben-Yasser; ce dernier aurait converti
à l’Islamisme la majeure partie des Juifs du Sinaï, tandis que
ceux qui refusèrent d’abjurer le Mosaïsme auraient été massacrés.
Lorsque Amrou, en revenant de son expédition en Egypte,
s’arrêta au Sinaï, pour se rendre compte des résultats obtenus
par Okba, le roi de Tor pria le général Arabe de laisser dans le
pays quelqu’un capable de compléter l’instruction religieuse des
nouveaux convertis; Amrou laissa donc Okba au Sinaï et reprit
sa route vers Médine où résidait le Khalife Omar. Okba, demeuré
ainsi dans le Sinaï, y épousa ainsi Tadiouma, fille du roi de Tor,
qui lui donna quatre enfants : trois filles (Daa ou Daadou, Ouoï
et Noussou) et un garçon (Raabou ou Raarabou). De Daa serait
issu le clan des Dialloubé, de Ouoï celui des Bari ou Daébé, de
Noussou de lui ces Sô ou Férobé et de Raabou celui des Ba
ou Ourourbé. C’est ainsi que, d’après les traditions islamisées,
les quatre principaux clans peuls descendraient d’une juive du
Sinaï et de Okba, fils de Yasser, fils de Maadj, fils de Maghih,
fils d’un Foulâni, fils de Sélim, fils de Saïd, fils de Maad, fils de
Adnan, lequel était issu d’Abraham par Ismaël et qui, par un
autre de ses petits-fils (Nizar, frère de Saïd) fut l’ancêtre de
Koreich et de Mahomet. »
Ainsi les Peuls descendraient du général arabe Okba et d’une
juive du Sinaï. Le général arabe lui-même aurait dans son ascen-
dance un Foulâni ou Peul (ce qui est bizarre puisque la race
Peuhle n’était pas encore créée) et Ismaël et Abraham lui-même.
Ainsi les Peuls seraient les descendants d’Arabes et de Juifs.
Remarquons que cette légende est basée sur l’identification
du Fouta-Toro qui se trouve au Sénégal au bout de l’Afrique
occidentale, avec le pays de Tor ou Sinaï. C’est la ressemblance
du mot Tor (Sinaï) avec le Fouta-Toro qui a permis la création
de cette légende de haute fantaisie.
Delafosse rapproche de cette légende racontée tout au long
(p. 213, en note) cinq légendes analogues, l’une recueillie par
Guebhard au Fouta-Djallon et publiée en 1909, une autre
donnée par N. Vicars Boyle et recueillie dans l’Adamoua (1910),
une autre donnée par le comte Escayrac de Lauture, légende
du Baguirmi (1855-1856), la quatrième de Clapperton (1829)
recueillie à Sokoto, la cinquième de l’administrateur Logeay
recueillie chez les Peuls du cercle de Goumbou (1909).
Delafosse fait remarquer la confusion du Tor (Sinaï) avec
le Fouta-Toro (Sénégal). Il ajoute que dans la légende Vicars-
Boyle, Okba-ben-Yasser est devenu Oukouba, que dans la légende
d’Escayrac de Lauture, il est devenu Yakoub, que dans la
légende Clapperton, il est devenu Okba-ben-Amir, que dans
la légende Logeay, il est devenu Ougoubata. « Dans d’autres
légendes, enfin, dit Delafosse, Okba est donné comme le neveu
d’Amrou et porte le nom d’Okba-ben-Amir qui est en effet le
nom d’un des lieutenants d’Amrou, mais on le confond avec Okba-
ben-Nafi et on le fait aller sur l’ordre du calife Moaouiya, non
seulement en Egypte et au Sous, mais jusqu’à Tekrour et à
Ghana. »
Bref, Okba a été un personnage historique, ou plutôt il y a
deux Okba, mais le premier, lieutenant de cet Amrou, qui prit
l’Egypte en 640, est un personnage peu connu et le grand Okba
est Okba-ben-Nafi ou mieux Okba-ben-Nafa qui en 669 fonda
Kairouan la grande métropole arabe et musulmane de l’Afrique
du Nord, fit ensuite une grande expédition au Maghreb (681) et
fit baigner le premier son cheval dans les eaux de l’Atlantique
ou Océan Ténébreux. Cet Okba-ben-Nafa, qui conquit vérita-
blement l’Afrique du Nord sur les Maures et les arracha aux
dernières prises de la domination Byzantine, mourut en 683,
massacré par les Berbères, mais son oeuvre devait lui survivre
après des vicissitudes diverses. C’est lui qui certainement est
visé par les légendes Peuhles, mais il ne vint pas sur le Sénégal
et à Ghana, car c’est en 736 seulement que les Arabes, partis
de l’extrémité sud du Maroc, traversèrent le désert et arri-
vèrent au fleuve Sénégal, puis au fleuve Niger. Cette expédi-
tion peu connue, mais certaine, dont la date peut se placer vers
736, fut faite par Ismaël, fils d’Obéid-Allah et par le général
El-Habib-ben-Abou-Obeida. (Pour tous détails, consulter entre
autres Mercier, Histoire de l’Afrique septentrionale, tome I,
pp. 229 et 230).
Voici encore une légende donnée par les Peuhls islamisés et
rapportée par Delafosse (H. S. N., t. I, p. 214). Elle a été prise
auprès des Peuhls du Sahel.
« Les premiers ancêtres des Peulhs auraient été Yakouba
(Jacob) fils d’Israïla (Israël), fils d’Issihaka (Isaac), fils d’Ibrahima
(Abraham) et un nommé Souleïman. Le premier, parti du pays
de Kénana (Chanaan), serait venu par le Tôr (Sinaï) dans le
pays de Missira (Égypte) où régnait alors son fils Youssoufou
(Joseph). Celui-ci, venu précédemment en Égypte, avait épousé
la fille du roi du pays et lui avait succédé sur le trône. Le second
ancêtre, Souleïman, était venu du pays de Sam (Syrie) en
même temps que Joseph et s’était établi auprès de lui.
Les enfants de Joseph, ainsi que ceux de Souleïman, auraient
formé la souche d’où devait sortir plus tard le peuple Peulh. On
confondit les uns et les autres sous le nom de Banissiraïla (Beni-
Israël, Israélites). Après la mort de Joseph, les Égyptiens vou-
lurent secouer le joug des Bannisiraïla et confièrent le sceptre
à un homme du pays Firaouma (Pharaon). Ce dernier, jaloux
du nombre, de la puissance et de la richesse en troupeaux des
Banissiraïla, les accabla d’impôts de toutes sortes. Les Israélites
s’enfuirent alors de l’Égypte. Une partie d’entre eux gagnèrent
le Kénana (Chanana, Palestine) et le Sam (Syrie) sous la con-
duite d’un chef nommé Moussa (Moïse). Les autres franchirent
le Nil sous la conduite d’un descendant de Joseph et d’un des-
cendant de Souleïman, se dirigeant vers le soleil couchant.
Firaouma les poursuivit, mais, comme il traversait le Nil, la
pirogue qui le portait chavira et il se noya. Ses guerriers abandon-
nèrent alors la poursuite des Judéo-Syriens qui, avec leurs trou-
peaux, vinrent se fixer dans le pays de Sartou (Cyrénaïque) et
prirent, dès ce moment, en souvenir de leur fuite, le nom de
Foudh ou Fouth.
Plus tard, une fraction d’entre eux, prenant la route du sud-
ouest, se rendit au Touat, mais une autre fraction se dirigea
vers le Sud et gagna le Bornou (ou plutôt l’Aïr comme nous le
verrons plus loin 1) sous la conduite de deux chefs nommés Gadia
et Gaye, descendant le premier d’Israël et le second de Souleï-
man. Kara ou Karaké, fils et successeur de Gadia, et Gama fils
et successeur de Gaye, menèrent leurs compatriotes du Bornou
au Diaga ou Massina où ils furent accueillis favorablement par
les Sébé (Sôninnké) ».
Delafosse donne, avec une grande naïveté, il faut l’avouer,
une valeur historique à cette légende, plat démarquage de la
Bible par des Peuls musulmanisés avec des innovations malheu-
reuses dans le détail : ainsi les Égyptiens élèvent au pouvoir un
nommé Firaouma (Pharaon), alors que le mot Pharaon vient en
réalité de Pérao, la grande maison et veut dire : l’hôte de la
1. Cette réflexion est de Delafosse lui-même, ainsi que l’expression Judéo-
Syriens mise pour Beni-Israël.
grande maison, de la sublime porte, le roi en un mot. Ainsi encore
la noyade du Pharaon dans le Nil qui démarque la noyade du
Pharaon et de son armée dans la Mer Rouge, seule noyade dont
parle la Bible. Bref, cela n’a aucune valeur. Les Peuls qui ne
connaissent même pas leur histoire exacte depuis le VIIIe siècle
de notre ère (histoire que les Européens seuls ont reconstituée
à peu près) se rappelleraient exactement d’événements datant
du 15e siècle avant Jésus-Christ! N’insistons pas...
Du reste, la meilleure critique que l’on puisse faire de ce pot
pourri maraboutique, assez ingénieux du reste, si l’on veut bien
laisser un moment de côté sa fausseté fondamentale, c’est Dela-
fosse lui-même qui l’a fait,en observant (tome I, p. 216, en note)
que « les Soninnké du Sahel (des nègres) se sont approprié cette
tradition et la donnent comme expliquant leur propre origine;
ils y ont même introduit des noms de clans à eux pour rendre la
chose plus vraisemblable ». Ils ont tort, ajoute gravement Dela-
fosse, et, si la tradition est vraie pour les Peuls, elle est fausse
pour les Soninnké! Le malheur est qu’elle est aussi fausse pour
les uns que pour les autres.
Donc, les Peuls qui se présentent dans certaines légendes comme
des métis d’Arabes et de Nègres, ou de Maures et de Nègres, se
présentent dans d’autres comme les descendants d’un général
Arabe et d’une princesse Juive, venus du Tor (Sinaï), enfin, dans
la dernière légende, ils descendraient purement et simplement de
Joseph et de Souleïman 1, des Beni-Israël et d’un petit apport
arabe, tout cela du 15e siècle avant Jésus-Christ.
Cependant, certains Peuls, plus sérieux et moins ambitieux,
font tout simplement descendre les Peuls d’un fils de Cham qui
s’appelait Ilo Falagui. André Arcin, qui rapporte ce renseigne-
ment dans son livre La Guinée Française, p. 231, dit que ce sont
des Peuls relativement purs, restés fétichistes ou devenus musul-
mans assez tièdes. N’ayant pas les mêmes préoccupations mara-
boutiques ou musulmaniques que les autres, ils ne prétendent
pas descendre des Arabes ou des Juifs.
Ch. Monteil a recueilli dans son volume sur les Khassonké (1915)
une autre légende, celle des Khassonké, relative à l’origine des
Peuls. On sait que les Khassonké sont des métis de Peuls enva-
hisseurs venus du Nord, du cercle de Nioro et de Malinké envahis
par eux et battus définitivement vers 1680. Les Khassonké se
1. Peut-être ce Souleïman est-il tout simplement une réminiscence de
Salomon! Que si l’on objecte que Joseph et Salomon ne sont pas de la même
époque, cela n’est pas pour embarrasser nos marabouts Peuls.
donnent donc pour des Peuls, quoique réellement ils tiennent
plus (sauf les noms de clans) des Malinké que des Peuls (parlant
le Malinké, ayant une religion fétichiste, etc.). Ils disent donc
descendre d’un nommé Dyadyé et les ascendants directs de Dya-
dyé se trouveraient encore actuellement aux environs de Nioro
et surtout vers Lakhamané (cercle de Nioro). Le grand ancêtre
de Dyadyé serait Oubobiliasi qui vivait au temps de Mahomet.
Les descendants de Oubobiliasi seraient en ligne directe :
Amadou
Ilo
Dyadyé (un premier Dyadyé)
Sadiga
Sannyéré
Bodéoul
Dété
et Wondyé
Cet Oubobiliasi (altération dialectale, dit Monteil, de Okba-
ben-Yassiri, nous retrouvonstoujours donc le fameux Okba arabe
à l’origine des Peuls selon les marabouts), était un caïd (chef) du
temps de Mahomet. Comme tous les caïds, il devait chaque année
fournir au Prophète un certain tantième de ses troupeaux. Une
année, il dissimula une partie de ses richesses. Mahomet, s’en
étant aperçu, le chassa en lui disant : « Va, ta race sera maudite,
tes descendants seront des vagabonds ». En dernier lieu, Oubo-
biliasi campa à l’est de Tombouctou 1; là, il apprit la mort du
Prophète et cédant à la nostalgie, il abandonna, sans esprit de
retour, la famille qu’il s’était créée en épousant des femmes indi-
gènes. Comme son nom était inconnu, on appela ses quatre fils
chacun par le nom de sa mère : ce furent les ancêtres des Dialo,
Diakhité, Sidité et Sankaré. Ce furent les pères des quatre grandes
tribus Peuhles ou plutôt des quatre grands clans Peuhls.
Comme nous le voyons, c’est toujours la tradition d’Arabes
unis à des femmes indigènes. Monteil dit (en note) que certains
passages d’El-Bekri donnent quelque crédit à cette opinion. Ces
passages, ou plutôt ce passage, est bien connu. Il s’agit des guer-
riers ommiades de l’expédition de 736 dont nous avons parlé plus
haut, qui descendirent du Sous sur le Sénégal, puis remontèrent
le Sénégal vers l’Est et gagnèrent le Niger, prenant Ghana. Une
partie de ces guerriers resta dans le pays et s’allia à des femmes

1. Tombouctou ne date en réalité que du xIIre siècle et n’existait pas à


l’époque de Mahomet.
indigènes, tandis que les autres regagnaient Kairouan avec leur
butin. On appela ceux qui étaient restés El-Fama (les princes,
ou mieux El-Famaou au pluriel). Ils existaient encore au XIe siècle,
au témoignage d’El-Bekri, mais il n’y en a plus trace actuelle-
ment au Soudan. Bref, ils firent comme les Armas ou fusiliers
marocains du XVIe siècle qui s’allièrent à des femmes du pays et
dont il y a encore des traces dans le pays Songhay, à Tombouctou,
à l’heure actuelle. Mais évidemment ces guerriers arabo-berbères
du VIIIe siècle, les El-Fama d’El- Bekri, n’ont aucun rapport
avec les Peuls 1 (Voir plus loin).
Monteil dit encore que cet Ilo qui est placé dans la liste héré-
ditaire qui va de Oubobiliasi à Dyadyé et auquel celui-ci se rat-
tache, aurait formé la tribu Peuhle des Irlabé et même, par d’au-
tres de ses fils, la tribu maure des Ladoum!
Le même ajoute que la tradition Peuhle-Khassonké qu’il vient
d’exposer rattache les almamys du Fouta-Djallon à un certain
Amadi Tabara qui serait le frère d’Ilo. [Nous avons vu plus haut
que dans la liste héréditaire fournie par la même légende, Amadou
est donné comme le fils d’Oubobiliasi et le père d’Ilo]. Monteil
ajoute encore que les Peuls du Fouta-Djallon ne parlent pas de
cet Amadi Tabara, mais font remonter jusqu’à Ilo le mouvement
initial d’immigration Peuhle au Fouta-Djallon (Comparez l’étude
de M. Leprince sur le Labé dans la Dépêche Coloniale illustrée du
31 août 1907.)
Enfin, dit Monteil, il est affirmé que les relations d’Ilo et de
ses gens (les Peuls) avec les Maures Oulad M’Barek, leurs voisins,
ont déterminé la formation de tribus de métis Poullo-Maures
connues sous le nom de Ladoum.
En résumé, les Peuls se donnent tantôt comme des Arabes
purs, tantôt comme des Juifs purs, tantôt comme un mélange de
Juifs et d’Arabes, tantôt comme des métis d’Arabes et de Nègres
ou de Maures et de Nègres 2. Les plus sages disent simplement
qu’ils descendent de Cham par un certain Ilo ou Ilo-Falagui.
Ceux-ci se donnent simplement une origine éthiopienne, origine
qui semble être vraiment la leur.
En fait, il n'y a pas de tradition nationale sérieuse chez les Peuhs,
mais seulement des légendes et des légendes de très basse époque (de
l’époque de la musulmanisation). Les traditions qui ont quelque

1. Ajoutons que Monteil a publié à ce sujet une note dans la Revue afri-
caine de 1911 avec, à l’appui, le texte arabe de la tradition et sa traduction.
2. L’opinion de Lambert (1860) rapportée par Madrolle : En Guinée Fran-
çaise (1895) ou plutôt l’opinion que se fit Lambert d’après les dires des Peuls
chance d’être sérieuses sont celles rapportées par Mollien (1818)
et Boillat (1853). Elles ne concernent pas du reste l’origine des
Peuhls mais leur descente du Nord sur le Sénégal où ils se seraient
mélangés aux Sérères. Ce seraient les Maures (repoussés eux-
mêmes vers le Sud par l’invasion arabe du VIIe et du VIIIe siècle)
qui les auraient repoussés de la Mauritanie vers le Sud. Ceci ne
concerne pas l’origine Peuhle et du reste est assez douteux.
Mais les nègres eux-mêmes que disent-ils des origines Peuhles ?
Évidemment les nègres, les vrais nègres n’en pensent rien. Mais
il y a, parmi les nègres, des peuples musulmanisés qui ont, eux
aussi, leurs marabouts, plus ou moins ingénieux comme ceux
des Peuhls et frottés du reste aux marabouts Peuhls et Maures.
Ces marabouts ont créé, eux aussi, des légendes, à l’instar des
marabouts Peuhls et en particulier, voici la singulière légende
des Soninkés recueillie par Robert Arnaud en 1912. Naturelle-
ment, les Soninkés, qui sont des nègres en gros (quoique assez
métissés d’éléments Peuhls) se donnent dans cette légende des
« gants », comme l’on dit, de toutes les manières : ils habitaient,
bien avant Abraham, le Yémen. Ce n’étaient pas des blancs, il
est vrai, mais des rouges. Du Yémen, ils arrivèrent dans l’Afrique
occidentale (cercle de Nioro actuel), et ils détruisirent ou refou-
lèrent les autochtones du « Ganar », enfin ils fondèrent le royaume
de Ghana. C’est à cette époque que le Kayamagha Djiabé maria
sa fille à un étranger dont l’histoire était étonnante (p. 144 à 152).
Il se nommait Oukbatou boun Yacer et il était établi dans le
Yémen à l’époque de Mohammed. C’est l’ancêtre des Peuls qui
sont des hommes rouges comme les Soninké.
Mohammed déclara avant sa mort : Il surgira, après moi, dans
les contrées de l’Ouest, une tribu très fervente et très fidèle et
que j’aime beaucoup par avance. Cette tribu parlera une langue
qui n’est semblable à aucune autre!
Cependant, Oukbatou, accompagné de son captif Diaoua,
quitta le Yémen, arriva à Koumbi (Ghana), et y salua le Kaya-
magha Djiabé.
Celui-ci lui donna sa fille et il en eut quatre mâles : Diallo, Ba,
de Timbo (Fouta-Djallon) concilie l’origine arabe et l’origine juive : « Selon
Lambert (1860), qui séjourna à Timbo, les Foulahs seraient originaires des
pays du soleil levant, de la terre de Faz suivant certains indigènes ou de
celle de Sam, d'après d'autres marabouts non moins éclairés sur leur origine. »
Je crois que ce bon Lambert est ici quelque peu ironique. En tout cas, la
terre de Faz (Fez) c’est le Maroc et la terre de Sam, c’est la Syrie. S’ils vien-
nent du Maroc, ils se présentent comme des Arabes arrivés au Maroc avec
l’invasion mahométane. S’ils viennent de la Syrie, ils se présentent comme
des Judéo-Syriens ou des Juifs, selon la théorie chère à Delafosse.
So, Bari, noms que les Peuls du Ouassoulou devaient ensuite chan-
ger en Diallo, Diakhité, Sidibé et Sangaré.
Et ces enfants imaginèrent un langage à part différent de celui
des Arabes et différent de celui des Sônninké. Alors Oukbatou se
souvint des paroles du Prophète et songea qu’il était mort. Alors,
il voulut retourner dans le Yémen pour s’en assurer et il laissa
sa femme avec son esclave Diaoua en lui disant : Si je ne reviens
pas, marie-toi, mais ne prends pour mari que l’homme pudique
qui ira faire ses besoins très loin dans la brousse. Après avoir
attendu son mari très longtemps, la fille de Djiabé, désespérant
de le voir revenir, prit pour mari Diaoua, car elle avait pu cons-
tater que tous les jours, pour faire ses besoins, Diaoua allait jus-
qu’à la lointaine forêt. Et elle en eut un fils Dabi qui donna nais-
sance aux Diavandos 1 la première caste de la société peuhle.
Cependant les quatre fils d’Oukbatou (qui avaient créé la langue
Peuhle) se rendirent à La Mecque et ils étaient tellement fervents
qu’ils consentirent à se laisser trancher la tête pour aller voir
tout de suite le Nabi dans le ciel. Naturellement, ce n’était qu’une
épreuve qu’on leur fit subir et par laquelle les gens de La Mecque
éprouvèrent leur foi ardente.
Et l’on découvrit un écrit laissé par Mohammed et qui était
justement un vocabulaire de cette langue inconnue que parlaient
les quatre jeunes gens, si remarquables par leur foi. Et l’on con-
nut ainsi la langue Peuhle créée par le Prophète lui-même ou créée
par Dieu et enregistrée par le Prophète. Ensuite, les quatre frères
Peul regagnèrent l’Afrique occidentale et s’établirent à Troum-
banou dans le Bakhounou (cercle de Goumbou ou de Nara) où
leur beau-père Diaoua (avec toute sa descendance Diavando) les
rejoignit.
Or, Dieu permit que plus tard, leur descendance abandonnât
l’Islam et s’entêtât longtemps dans les voies de la mécréance.
Cependant, ils devaient revenir (et définitivement cette fois)
à l’Islam, et, parmi les Diallo, les premiers qui se reconvertirent
à l’Islam, prirent le nom de Kann (pp. 152 à 154).
En définitive, dans cette légende ingénieuse des marabouts
Sôninnké (dans laquelle ils font rentrer du reste non seulement
l’histoire Soninnké, mais toute l’histoire du Soudan jusqu’aux
Bambara compris) les Peuls sont considérés comme des hommes
rouges venus du Yémen. Leur ancêtre Okbatou (on retrouve ici

1.Les Diavando (au plur. Diawambé) sont en réalité des métis de Peuhls
mâles et de femmes Sônninké ou bien des Sônninké purs.
une fois de plus le conquérant arabe Obka-ben-Nafa qui fonda
Kairouan et poussa jusqu’à l’Atlantique au VIIe siècle de notre
ère) épouse la fille du roi Sôninnké Kayamagha Djiabé et en a
quatre fils, origine de la race Peuhle. Comme les Sôninnké, dans
cette légende, ne sont pas des noirs, mais des rouges, c'est l’al-
liance entre deux peuplades de Rouges qui a donné les Peuhls. En
définitive, les Peuhls sont présentés ici, non comme des blancs,
mais comme des Ethiopiens ou Kouschites d’Arabie.La légende,
assez jolie du reste, telle qu’on l’a présentée à Robert Arnaud,
n’est donc pas absurde comme fond, les Peuhls étant réellement
des Éthiopiens ou Khamites et non pas des Arabes ou des Juifs.
Somme toute, les Sôninnké ont vu plus clair ici que quelques
érudits dont nous ne citerons pas les noms.
Après avoir écouté les Peuhls eux-mêmes et les marabouts musul-
manisés du pays Sôninnké, écoutons maintenant les érudits ou sa-
vants modernes qui ont travaillé sur eux et reprenons d’abord les
opinions les plus contestables avant d’en venir à l’opinion pres-
que unanime des anthropologistes qualifiés.
CHAPITRE II

LA THÉORIE JUIVE

La théorie juive, assez séduisante et romantique, a été sou-


tenue, dès la fin du XVIIIe siècle, par deux explorateurs anglais
du Sierra-Leone, Winterbottom et Mallhews, puis par Grimai
de Guiraudon (1887), puis par Edmond Morel (1904). Celui-ci
semble du reste, avoir soutenu plusieurs opinions différentes
sur les Peuhls, puisque André Arcin (La Guinée Française, 1907)
combat vigoureusement une théorie de Ed. Morel pour lequel
les Peuls sont des Kouschites purs venus directement de Nubie
dans l’Ouest africain en suivant la lisière Sud du Sahara. Cette
théorie est très sensée pour l’origine et ce que lui reproche André
Arcin est autre chose : c’est de négliger la marche historique
des Peuls du Sénégal au Tchad et au Ouadaï à l’époque histo-
rique et d’expliquer les stations actuelles des Peuls jusqu’au
Sénégal par la marche de l’est à l’Ouest qui est sans doute la
marche primitive, mais qui a été suivie ensuite d’une colonisation
de l’ouest à l’est, bien plus récente et que nous connaissons bien
celle-là dans la plupart de ses détails.
Mais si nous reportons au livre même de M. Edmond Morel :
Les Problèmes de l’Ouest Africain, traduction Duchêne, 1904,
p. 127 à 148 ,nous voyons qu’ici au moins il attribue aux Peuls
une origine Judéo-Syrienne. Cependant sa théorie n’est pas tout
à fait celle de Delafosse. Les Peuls pour lui sont des Judéo-
Syriens en gros, mais surtout des Hycsos. Ceux-ci auraient pris
en Égypte la bôolatrie du pays (boeuf Apis) et auraient été
influencés en même temps par les traditions des Juifs qui se
trouvaient en même temps qu’eux en Égypte.
S’appuyant sur les chiffres (maintenant périmés) de Leipsius,
le fameux Égyptologue allemand, rival des Rougé et des Mariette,
M. Morel admet que les Hycsos envahirent l’Égypte en 2136
avant Jésus-Christ et en furent chassés en 1626 ou 1636 (On
admet maintenant que l’invasion des Hycsos fut beaucoup plus
courte et ne dura pas cinq siècles comme le prétend Manethon).
On la porte au 18e siècle avant Jésus-Christ et on admet que
les Hycsos furent chassés d’Égypte en 1580 avant Jésus-Christ,
y restant à peu près deux siècles. Morel dit qu’une bonne partie
d’entre eux s’en alla par la Lybie, au lieu de reprendre le chemin
de l’Asie comme le fit le gros de la nation. Au 6e siècle avant
Jésus-Christ, ils se trouvaient avoir gagné, par la Tripolitaine,
la Tunisie et l’Algérie, le sud marocain, puis ils descendirent
sur la Mauritanie, le Sénégal et la Gambie. Là, dit Edmond
Morel, ils furent rencontrés par les Carthaginois d’Hannon au
6e siècle avant Jésus-Christ. (Notons en passant que le Périple
d’Hannon est probablement un faux de l’époque de Jules César
et de Cornélius Népos) et furent désignés par Ptolémée (qui
aurait travaillé sur des documents carthaginois) et par Pline
sous le nom de Leuco-Aethiopes (Éthiopiens blancs).
Enfin, en 300 après Jésus-Christ les Peuls auraient fondé
l’empire de Ghana d’où ils auraient été dépossédés au VIIIe siècle
par les Maures, selon l’affirmation de Léon l’Africain.
(Remarquons en passant que ceci est une grossière erreur de
M. Morel. Léon l’Africain ne dit rien de tel et ne connaît Ghana
que depuis l’époque des Almoravides qui prirent Ghana en 1076.
Les Almoravides sont des Maures et les Maures dont parle
Léon l’Africain sont justement nos Almoravides du XIe siècle.
Léon l’Africain ne parle nullement des Peuls et ne dit aucunement
qu’ils aient fondé Ghana, quoique notre bon Léon n’en soit
pas à une affirmation hasardée de plus ou de moins).
Maintenant, que vaut l’affirmation que les Peuls sont des
Hycsos influencée par les Égyptiens et par les Juifs? Elle ne
vaut pas grand’chose — disons même rien du tout. Quand même
on admettrait qu’une partie des Hycsos a fui par l’ouest de
l’Égypte, ce qu’il faudrait prouver au point de vue historique, ils
ne sont pas pour cela les ancêtres des Peuls, Hamites inférieurs
et très foncés rappelant plutôt « la vile race de Koush » comme
l’appelaient avec mépris les Égyptiens.
Il est vrai que M. Morel s’appuie sur plusieurs autorités (le
capitaine Grimal de Guiraudon, le Dr Blyden, le sultan Bello,
Mungo-Park, Winterbottom, Gordon Laing, etc.) pour établir
que les Peuls ont conservé des traditions juives.
Mais que valent ces références? Grimal de Guiraudon dit
que les Peuls sont si pénétrés des traditions juives qu’ils n’ont
pu les avoir par des sources arabes — mais que ces traditions
cessent à l’époque de Salomon. Pourquoi à cette époque? Elles
devraient cesser à l’époque de la sortie des Hycsos de l’Égypte
(1580 av. J.- C.) bien avant Moïse et Josué et David et Salo-
mon.
Quant à Mungo-Park, il affirmerait, d’après M. Morel, p. 146,
que les « Mandingues ont une notion étendue des événements
rapportés par l’Ancien Testament, tels que la mort d’Abel,
la vie des Patriarches, le songe de Joseph, etc...» Or, ici, il s’agit
non plus même des Peuls, mais des Mandingues et si Mungo-
Park a dit cela, il a dit une pure sottise. Comment des nègres
qui ne se rappellent même pas exactement leur histoire d’il y
a cent ans, se rappelleraient-ils des événements (arrivés aux
Juifs) et datant de 40, de 20 ou de 16 siècles avant notre ère?
Évidemment, les nègres du Mali et les Peuls eux-mêmes, ceux
qui sont mulmanisés, connaissent ces antiques événements par
le Coran et la Bible elle-même (traduite en arabe) où ils ont pu
les lire. Ils connaissent l’histoire religieuse comme la peuvent
connaître les enfants du catéchisme qui pourtant n’ont jamais
vécu (soit eux-mêmes, soit leurs ancêtres) en compagnie d’Adam
ou de Noé ou de Joseph.
Quant à ce que rapporte le Dr Blyden (cité par M. Morel,
p. 145) cela montre bien la puérilité et l’enfantillage de nos
marabouts Peuls, loin d’apporter quelque soutien à la thèse des
origines Hycsos ou Juives : « Ils tiennent la langue du Coran,
dit Blyden, dans la plus grande vénération, affirmant que c’est
la langue que parlèrent Adam, Seth, Noé, Abraham et Ismaël.
Ils soutiennent que les descendants d’Ismaël n’ont jamais été
asservis, tandis que pendant la captivité des descendants d’Isaac
en Égypte, leur langue perdit sa pureté et sa richesse ». Bref,
Adam et Noé parlaient Arabe! et les marabouts Peuls, qui veulent
se rattacher aux Juifs patriarcaux, veulent aussi et surtout se
rattacher aux Arabes, comme tout bon musulmanisé Peul ou
Nègre le désire. (Il est déplorable d’avoir à discuter de pareilles
sottises). Morel cite encore l’opinion du voyageur anglais Win-
terbottom qui dit que « les coutumes des Peuls ont une ressem-
blance frappante avec elles des Juifs, telles qu’elles sont dé-
crites dans de Pentateuque et, après Mahomet, c’est Moïse
qu’ils tiennent en la plus grande vénération » (p. 146). Évidem-
ment, les coutumes de pasteurs ressemblent toujours, plus ou
moins, aux coutumes d’autres pasteurs (pasteurs Peuls et
anciens patriarches bibliques). Mais, avec le même raisonne-
ment, on pourrait faire des Peuls d’excellents Mongols! Il est
vrai que les Peuls sont noirs (ou très foncés) et les Mongols
jaunes, mais enfin les anciens patriarches de la Bible étaient
des blancs Sémites et non pas des Éthiopiens inférieurs et
très foncés comme nos Peuls!
Le Dr Morel cite encore une anecdote rapportée par Gordon
Laing et où l’on voit un chef Peul du Fouta-Djallon faire poser
la main sur un gâteau de farine de riz et sur un mouton égorgé
aux indigènes du pays qui veulent se convertir à l’Islamisme.
Mais cela ne prouve pas que les Peuhls soient des Juifs, cela
prouve simplement qu’ils sont musulmanisés.
Enfin, M. Morel cite encore le sultan Peuhl Bello (1825) dont
nous avons déjà parlé qui dit que les Torodo (ou Toucouleurs)
descendent des Juifs. Pourquoi pas les Peuhls eux-mêmes au
lieu de leurs métis Toucouleurs? Mais nous avons déjà vu ce
que valent les sottises historiques du sultan Bello.
Ce que dit M. Morel (p. 142, 143) d’une bôolatrie primitive des
Peuhls qui aurait précédé, soit le fétichisme tronqué et simplifié
de ceux qui ne sont pas encore Musulmans aujourd’hui, soit le
Musulmanisme du plus grand nombre, de la presque totalité des
Peuhls actuels, est sérieux et exact à mon avis, mais ne prouve
rien pour l’origine Hycsos ou Juive des Peuhls. Un médecin mili-
taire qui passa à Ouahigouya en 1914, me disait que lui et un
de ses amis, dans la brousse, au Sénégal, étaient un jour tombés
inopinément sur un groupe de Peuhls entourant un taureau
couronné de fleurs auquel ils avaient l’air de rendre des hom-
mages religieux... Cela confirmerait leur bôolatrie primitive soup-
çonnée par un certain nombre d’auteurs. Mais qui ne voit que
cette bôolatrie est la conséquence même de leur travail pastoral?
Elle a été imposée par l’élevage systématique du boeuf à bosse
et c’est, comme l'on dit en Science sociale, une répercussion du
Travail sur la Beligion. Il n’est pas du tout nécessaire, pour
expliquer cette bôolatrie de la faire remonter à un séjour des
Peuls-Hycsos en Égypte où ils auraient vu adorer le Dieu Apis!
En résumé, la théorie de M. Morel que les Peuhls sont des
Hycsos sortis d’Égypte au 17e siècle avant Jésus-Christ, ayant
conservé des traditions juives et égyptiennes, puisqu’ils sont
devenus, au 2e siècle après Jésus-Christ, les Leuco-Éthiopiens
de Ptolémée, est une théorie à rejeter complètement et qui n’a
pas l’ombre de vraisemblance.
Avant d’en venir à la théorie Delafosse, disons un mot de celle de
Grimai de Guiraudon. Il soutient que les Peulhs sont d’origine
Juive, mais que leur langue est une langue nègre de l’Ouest
Africain, ce qui est la théorie même de Delafosse. Voici, du reste,
comment celui-ci apprécie lui-même ce précurseur malheureux :
« Grimai de Guiraudon, dit-il, s’est rendu ridicule par sa pré-
tention, ses bizarreries, et la grossièreté avec laquelle il a traité
ses devanciers, même les plus illustres; mais, sous ses dehors
un peu fantasques, il n’en a pas moins été le premier qui ait
vu clair dans la langue peule : son système est parfois mal étayé,
il est incomplet, il renferme des inexactitudes, mais nous devons
reconnaître toutefois que de Guiraudon a eu à l’établir un mérite
incontestable. En ce qui concerne l’origine des Peuhls, et bien
qu’il se soit fondé sur des faits dont plusieurs sont erronés, il
me paraît actuellement avoir donné la bonne solution, en pen-
chant pour leur rattachement au peuple Juif et leur immigra-
tion de la Palestine au Soudan par l’Égypte, et surtout en affir-
mant que les gens de langue peule ne forment pas un peuple
de métis, mais sont constitués par deux groupements ethniques
bien distincts : l’un de race blanche (les Peuls proprement dits)
et l’autre, de race noire, les Toucouleurs » (p. 206). Delafosse
ajoute en note : « J’ai combattu il y a huit ans environ les con-
clusions de Grimal de Guiraudon; je croyais alors que les Peuhls
avaient apporté avec eux en Afrique la langue qu’ils parlent
actuellement : constatant l’impossibilité matérielle de rattacher
cette langue aux idiomes sémitique ou hamitique, je leur cher-
chais — bien vainement d’ailleurs — une origine hindoue. Une
étude plus approfondie de la langue actuelle des Peuhls et des
autres langues de l’Ouest africain m’a fait revenir de mon erreur
première. Je le confesse ici en toute sincérité, invitant à me
lapider ceux qui n’ont jamais erré en matière d’ethnologie et
de linguistique africaines ».
En définitive, Delafosse fait siennes, en gros, les conclusions
de Grimal de Guiraudon. Les Peuhls sont des Juifs mais leur
langue est une langue nègre empruntée aux Toucouleurs.
Ceci nous permet de passer à la théorie même de Delafosse1 (1912)
Celui-ci commence par exposer une théorie qui est, en fait,
en complète contradiction avec sa théorie définitive. Les Peuls,
dit-il, seraient les Fouth ou Foud ou Foul de la Bible et il énumère,
avec raison du reste, toutes les citations de celle-ci sur le peuple
de Fouth (pp. 199 et 200). Ainsi Ezechiel dit que les Loud et les
Fouth servaient dans l’armée de Tur (XXVII, 10), que la ruine
de l’Égypte par Nabuchodonosor, roi de Babylone (588 a. J. C.)
entraînera celle de l’Éthiopie, du Fouth, du Loud, etc. (XXX, 5),
que l’armée de Gog renferme des Éthiopiens et des Fouth

1. Haut-Sénégal-Niger, t. I, pp. 199 et suiv.


(XXXVIII, 5). Jérémie, parlant aussi de la défaite du pharaon
Néchao par Nabuchodonosor, signale parmi les troupes égyp-
tiennes des Éthiopiens, des Fouth armés de boucliers et des
archers Loudim (XLVI, 9). Isaïe mentionne le peuple des Foul
parmi les nations éloignées du Sud et de l’Occident (LXVI, 19).
Enfin, Nahoum, dans sa Prophétie contre Ninive, demande à
cette ville si elle se croit plus forte qu’Alexandrie 1 que n’a pas
réussi à protéger l’appui des Éthiopiens, des Fouth et des Loubim
(Lybiens) »
Ces textes de Nahoum, de Jérémie (600 av. J.-C.) d’Ezechiel
(575 av. J.-C.) et d’Isaïe (le second Isaïe (535 av. J.-C. ou le pre-
mier Isaïe vers 650 av. J.-C.) prouvent qu’on connaissait en
Judée à cette époque (7e et 6e siècle av. J.-C.) une nation de
Phout voisine de l’Égypte et rangée parmi les diverses nations
éthiopiennes. Était-ce nos Peuhls? Je serais assez porté à le croire.
Delafosse le croit aussi, mais il y a une contradiction entre
considérer les Peuls comme des Judéo-Syriens et les considérer
comme des Phout qui sont des Éthiopiens. Il se résout à faire de
ceux-ci des Judéo-Syriens à leur tour! Ainsi il n’y a plus de con-
tradiction.
« On pourrait conclure de là, dit-il sans trop de témérité, que
les Hébreux considéraient les Foudh ou Foul comme un peuple
originaire de la Syrie ou de la Palestine, mais qui, après un
long contact avec les Égyptiens et les Éthiopiens, avait élu do-
micile en Afrique vers le 6e siècle avant Jésus-Christ, dans le
voisinage de l’Égypte et non loin de la mer, puisqu’ils fournis-
saient des contingents aux armées de Tyr et à celles d’Alexandre,
— probablement dans la Cyrénaïque ».
Sans relever la bévue qu’il y a ici à parler d’Alexandre dans
une prophétie d’Ezechiel, qui vivait deux siècles avant lui (vers
575 av. J.-C.), il faut bien dire que rien des textes bibliques cités
par Delafosse n’indique que les Fouth soient des Judéo-Syriens
qui auraient passé par l’Egypte et qui se seraient établis ensuite
en Cyrénaïque. Ces textes rangent constamment les Fouth à

1. Il ne peut pas être question ici d’Alexandrie qui ne date que de l’époque
d’Alexandre, s'il s'agit vraiment d'une prophétie contre Ninive détruite en 607
av. J.-C. par les Médo Perses, il s’agit probablement de la ville qui fermait,
à l’est du delta, la frontière de l’Égypte contre les invasions des Assyriens
ou des Chaldéens. On comprend, en ce cas, qu’elle ait été défendue par des
Égyptiens, des Éthiopiens, des Lybiens et des Fouth. On l’appelle ici Alexan-
drie parce qu’Alexandrie la remplaça plus tard comme grande ville du delta
égyptien. Il est probable qu’il s’agit ici d’une des expéditions des Assyriens
contre l’Égypte du temps d’Assour-ban-Habal (vers 660 av. J.-C.).
côté des Éthiopiens et les désignent ainsi comme une nation
éthiopienne et pas du tout comme des Judéo-Syriens. Résumons
donc en disant que ces Fouth sont des Éthiopiens, encore en
place au 7e et au 6e siècle avant Jésus-Christ, puisque cités par
les prophètes hébreux de cette époque et qui sont peut-être
(je le croirais volontiers comme Delafosse) les ancêtres de nos
Peuls.
Delafosse se demande ensuite (p.201) à quelle époque on trouve
la première mention des Peuls et il la trouve chez Makrizi, poly-
graphe et historien arabe (ou plutôt égyptien) considérable, qui
vécut de 1364 à 1442. « Makrizi (1364-1442) parle d’une ambas-
sade envoyée vers l’an 1300 par l’empereur de Mali à celui du
Bornou et qui comprenait deux personnages parlant le peul (fou-
lania) » (p. 201). Nous avons donc ici la première trace historique
des Peuls proprement dits. Cadamosto, le fameux voyageur ita-
lien (vers 1450) mentionne ensuite les Peuhl sur le Sénégal. Joao
de Barros, le fameux auteur de l’Asia (qui est également une
Africa) nous en parle à son tour au XVIe siècle (vers 1550). C’est
Sadi dans le Tarikh-es-Soudan (vers 1667) qui nous parle le pre-
mier un peu longuement des Peuls. Il avait, parmi ses ancêtres
une femme Peuhle, du clan des Sonfoutir (ou Soumountara ou
Dialloubé). Il appelle les Peuls Foulâni et range à tort les Ouolofs
parmi eux (Delafosse, p. 201). Grey Jackson, consul anglais à
Mogador (vers 1810) apprit des Marocains qu’une tribu d’Israé-
lites habitait le pays de Malli. C’est sans doute des Peuls qu’ils
voulaient parler, dit Delafosse, mais cela n’est pas sûr, car on
sait que vers le Xe siècle de notre ère une tribu juive alla jusqu’au
Macina et y établit une cité et des puits qui subsistent encore
(je parle des puits et non de la cité qui n’existait plus dès la fin
du XVe siècle, dès l’époque du second empire Songhay). Il peut
donc se faire que les Marocains informateurs de Jackson lui aient
servi une antique tradition restée dans le Maroc et relative à ces
Juifs. Delafosse cite ensuite l’opinion du sultan peuhl de Sokoto,
Mohammed Bello, sur les origines de sa race. Nous avons vu plus
haut ce que valait une telle opinion.
Delafosse passe ensuite en revue un certain nombre d’opinions
sur les origines des Peuhls : celle d’Eichtal (1842), celle de Barth
(1855), celle de la descendance Égyptienne ou Éthiopienne. Dela-
fosse, mal renseigné à ce sujet, n’y voit qu’un calembour déplo-
rable sur le mot Foulah-Fellah. Après avoir parlé du capitaine
Figeac qui fait descendre les Peuhls des Pélasges et ceux-ci d’Apol-
lon, et du général Frey qui les fait descendre des Annamites et
les apparente aux Bretons, et nous révèle que ce sont les Peuls
de Ghana ou Ghanata qui ont fondé le Canada(!) (p.204, en note),
Delafosse passe à l’opinion du Dr Thaly qui en fait des Tziganes
ou gypsies (p. 205), opinion qu’il rejette, car le Dr Thaly fait
descendre les Peuhls (chassés d’Asie par les Mongols) au XVe siècle
seulement sur l’Afrique. Or, ils y étaient bien auparavant.
Après avoir parlé de l’opinion de Faidherbe, opinion qui va
au coeur de Delafosse, Faidherbe ayant signalé les ressemblances
de la langue peuhle avec quelques-unes des langues de l’Ouest
africain, particulièrement le Sérère, il passe à l’opinion de Grimai
de Guiraudon (les Peuhls sont ces Juifs) qu’il adopte, et, après
avoir parlé dédaigneusement des conclusions du Dr Verneau,
qui sont pourtant les plus solidement étayées que nous ayons sur
la question, il rejette (cette fois avec raison) l’assimilation des
Leuco-Éthiopiens avec les Peuhls (p. 207). Cela fait, il s’enfonce
dans la fantaisie, retraçant l’histoire des Peuhls depuis les Hycsos
et depuis Moïse. Pour lui, une partie des Hycsos et une partie
des Juifs s’enfuit à l’est de l’Égypte, tandis que la masse repre-
nait le chemin de l’Est (pp. 209 et 210). Plus tard, Ptolémée
Soter (320 av. J.-C.) déporta les Juifs en Cyrénaïque. Là, Dela-
fosse arrête son exposé historique pour nous parler des légendes
peuhles sur leurs origines. Sa thèse générale est que les anciennes
légendes peuhles parlaient d’une origine juive, mais que, depuis
que les Peuhls sont islamisés, ils ont voulu se donner une origine
arabe en se rattachant au conquérant arabe Okba-ben-Nafi. Pour
Delafosse, les premières légendes seules ont une valeur. Pour
nous, nous n’en accordons ni aux unes ni aux autres.
Delafosse reprend ensuite son exposé historique : les Juifs de
Cyrénaïque, persécutés par les Romains, émigrent d’abord dans
Le Fezzan, puis sur l’Aïr (Agadez) puis dans le Macina (p. 216-
217).
« L’an 40 de
notre ère, dit-il, saint Marc, qui était lui-même
un Juif de Cyrénaïque, vint évangéliser sa patrie et fut le premier
à prêcher le christianisme en Afrique 1. Il fit un certain nombre de
prosélytes parmi ses compatriotes mais, par contre, au contact
de la nouvelle doctrine, la ferveur religieuse redoubla chez les
Juifs demeurés fidèles à la religion de leurs ancêtres, et de vieilles

1. Nous laissons à Delafosse la responsabilité de toutes ces assertions har-


dies. Saint Marc est considéré généralement comme ayant connu saint Pierre;
mais on admet maintenant que l’évangile dit de saint Marc, ne fut écrit
qu’en 75 après Jésus-Christ. Il est vrai qu’il y a un Proto-Marc que l’on place
vingt ans auparavant.
haines, jusque-là assoupies, se réveillèrent entre Prae-Mosaïstes,
Mosaïstes et Orthodoxes. Des prêtres Juifs s’imaginèrent d’uni-
fier les différents cultes et prêchèrent une sorte de réforme du
Judaïsme, cherchant à le ramener à sa pureté primitive. Des
guerres intestines s’ensuivirent; Rome, que le Christianisme n’ef-
frayait pas encore, prit ombrage des Juifs réformés et, tant en
raison des persécutions dont ils eurent à souffrir de la part des
autorités impériales, que de l’espèce de réprobation dont ils furent
l’objet de la part de leurs compatriotes, ces partisans d’un retour
aux anciennes doctrines — qui n’étaient autres sans doute que
les Fouth Pré-Mosaïstes venus d’Égypte lors de la dispersion des
Hycsos — commencèrent vers l’an 80 à émigrer vers le Sud. »
Franchement, qui aurait cru que saint Marc avait déterminé
le mouvement des Peuhls vers l’Ouest africain? C’est une décou-
verte curieuse qui n’ajoutera, évidemment, aucune gloire à la
réputation d’historien de notre auteur.
« A cette époque, continue Delafosse, un officier romain Julius
Maternus, sur l’ordre de l’empereur Domitien, partait à la recher-
che des fameuses mines d’or du Soudan; guidé par les Berbères
du Djerma ou Fezzan (Garamantes) que Cornelius Balbus avait
soumis cinquante ans auparavant,il s’enfonçaau sud de la Tripo-
litaine; après un voyage fort long et fort pénible et sans avoir rien
rencontré qui ressemblât à une mine d’or, il atteignit un pays
où il vit des rhinocéros et dont le nom nous a été transmis par
les historiens latins sous la forme Agisymba, puis il revint à la
côte. On a pensé, non sans raison, que ce pays devait être l’Aïr
et qu’Agisymba correspondait à Asben ou à Agadès.
« Selon toute vraisemblance, c’est cette route que suivirent
les Foudh ou Judéo-Syriens Pré-Mosaïstes, soit que leur exode
ait devancé de quelques mois l’expédition de Julius Maternus et
que ce dernier ait marché sur leurs traces, soit que, l’ayant ren-
contré dans la Phazanie, ils aient profité de l’appareil guerrier
de cette expédition pour accomplir leur migration en toute sécu-
rité. Quoi qu’il en soit, ils atteignirent sûrement l’Aïr, mais il est
peu probable qu’ils aient poussé plus au Sud, et c’est sans doute
l’Aïr qui est désigné sous le nom de Bornou dans la légende que
j’ai rapportée plus haut. (L’Aïr fut à un moment donné une dé-
pendance politique du Bornou, ou tout au moins du Kânem au
temps où ce dernier empire englobait le Bornou). Dans l’Aïr, où
ils durent séjourner un certain temps, ils recueillirent sur l’em-
placement des fameuses mines d’or du Soudan, ou tout au moins
sur les pays où en parvenait le produit, des renseignements plus
précis que ceux que possédait Julius Maternus, et, continuant,
peut-être inconsciemment, la route que celui-ci n’avait fait qu’é-
baucher, ils arrivèrent par Takedda et Tadmekhet aux bords
du Niger, dans la région comprise entre Tombouctou — qui
n’existait pas encore — et Dia ou Diaga — qui existait déjà au
moins en tant que province. »
J’ai souligné dans ce paragraphe un certain nombre de phrases
de Delafosse. « Selon toute vraisemblance, c’est cette route que
suivirent les Foudh... C’est sans doute l'Aïr qui est désigné sous
le nom de Bornou dans la légende que j’ai rapportée plus haut...
Dans l’Aïr, ils durent séjourner un certain temps... continuant
peut-être inconsciemment la route... »
Tout ceci n’est qu’un roman peu sérieux et dont il n’y a abso-
lument rien à retenir.
« Sans doute (continue Delafosse) ils étaient demeurés par-des-
sus tout les pasteurs par excellence qu’avaient été leurs ancêtres
Israélites et traînaient avec eux des troupeaux; après avoir tra-
versé le Sahara, ils ne pouvaient manquer d’être frappés de l’abon-
dance des pâturages du Massina, et considérant cette région
comme la terre éternellement promise à leur mysticisme tradi-
tionaliste, ils s’y installèrent. Le pays était habité par des agri-
culteurs Soninké et des pêcheurs Bozo, mais le bétail devait y
être rare et les autochtones durent, au moins tout d’abord, faire
bon visage à ces pasteurs blancs, d’origine mystérieuse qui vi-
vaient surtout de laitages, ne semblaient pas nourrir de desseins
de conquête et apportaient avec eux un élément de richesse con-
sidérable.
« L’histoire de Joseph en
Égypte recommença sur les bords du
Niger, dans de moindres proportions il est vrai. Au bout de peu
de temps, les Judéo-Syriens devinrent les conseillers, puis les
maîtres des Soninké du Massina, jusqu’à ce que ces derniers, fati-
gués d’une tutelle qui à la longue leur semblait lourde, voulurent
prendre leur revanche en dépossédant ces étrangers devenus plus
riches que les autochtones, sans s’apercevoir qu’en faisant cela,
ils tuaient la poule aux oeufs d’or. Ce qui était arrivé au temps
de Moïse arriva de nouveau : les Judéo-Syriens qui n’en étaient
pas à un exode près, s’éloignèrent des bords du Niger, protégés
dans leur migration par un patriarche Soninké qui est devenu,
dans les légendes modernisées, le religieux musulman El-Hadj
Salihou Souaré. Gagnant des régions plus désertes, mais qui leur
devaient être par cela même moins inhospitalières, ils se dirigè-
rent vers l’extrémité septentrionale du Bagana du côté de Néma,
où sans doute des Soninké avaient fait depuis longtemps déjà
des essais clairsemés de colonisation, et s’établirent dans l’Aoukar,
vers le milieu du 11e siècle de notre ère. Des Berbères devaient
nomadiser dès cette époque dans la région, mais sans doute leur
point d’attache était plus à l’Ouest — au Nord-Ouest plutôt —
dans l’Adrar Mauritanien.
« Les Foudhs devaient être rejoints bientôt dans le Nord du
Bagana par un autre groupe de Judéo-Syriens de la Cyrénaïque
venu par une route différente. Le départ des Pré-Mosaïstes n’avait
pas, en effet, apporté une solution suffisante à la question reli-
gieuse; si le Christianisme ne faisait encore que des progrès assez
lents en Cyrénaïque et ne se montrait pas hostile aux pouvoirs
établis, il n’en était pas de même des différentes sectes judaïques.
Celles-ci finirent par mettre un terme à leurs querelles intestines
et s’unirent dans une commune haine des Romains. En l’an 115,
une révolte générale de toutes les communautés Judéo-Syriennes
menaça gravement l’autorité romaine en Cyrénaïque; les repré-
sentants de l’empereur durent mobiliser toutes leurs troupes et
faire appel aux populations berbères pour combattre la rébel-
lion qui dura deux années entières. Enfin, en 117, les Judéo-
Syriens, définitivement vaincus par les Romains, émigrèrent, en
masse cette fois, au nombre de plusieurs milliers.
« Parvenus dans le Sud de la
Tripolitaine, ils ne prirent pas
comme leurs devanciers, la route de l’Aïr, mais longeant la lisière
Nord du Sahara, ils se portèrent vers les oasis du Touat. Un grand
nombre d’entre eux y demeura. D’autres poussèrent plus loin
vers l’Ouest et allèrent fonder, dans le Sud du Maroc, des colo-
nies qui subsistent encore de nos jours. D’autres enfin, et non
des moins nombreux, s’en furent rejoindre dans l’Aoukar leurs
compatriotes venus là par l’Aïr et le Massina. Ceux-ci oublièrent
facilement les querelles religieuses de jadis dans la joie de voir
leur arriver ce nouvel élément de force et de richesse ; les nouveaux
venus s’incorporèrent à la fraction déjà installée et tous ensemble
formèrent une communauté unique.
« Et c’est
ainsi, je crois, que vers la fin du 11e siècle de notre
ère, se constitua dans l’Aoukar, au nord du Bagana, une colonie
surtout pastorale, de Foudh ou Judéo-Syriens, de religion hé-
braïque au sens large du mot, d’où devait sortir, un siècle plus
tard environ, l’empire de Ghana. »
Interrompons ici Delafosse : Au 1er siècle de notre ère, y avait-
il des Sônninké et des Bozo dans le Macina? c’est douteux. Le
Macina semble avoir été d’abord occupé par des Berbères pas-
teurs qui lui auraient donné son nom, puis par une colonie juive
qui, elle, il est vrai, au IXe siècle de notre ère, trouva dans le pays
des autochtones et « mit le joug sur les Sorkos stupides » dit le
Tarikh-el-Fettach. D’une façon plus générale, ce que dit Dela-
fosse du voyage des Peuhls ne peut être considéré que comme un
roman, tout au plus comme une série d’hypothèses hasardées
qui n’ont aucun point d’appui sérieux.
« Vers la fin du
VIIIe siècle, continue Delafosse, les Soninké du
Diaga ou Massina, attirés par la prospérité qu’avaient acquises
leurs colonies de l’Aoukar et notamment Ghana, sous la suze-
raineté des Judéo-Syriens, s’y portèrent en masse et dépossédè-
rent ces derniers de la suprématie politique. Ce fut pour les Foudh
le signal d’une nouvelle dispersion et d’un nouvel exode. »
Comme on le voit, Delafosse soutient que la fameuse dynastie
blanche de l’empire de Ghana « d’origine inconnue», dit le Tarikh-
es-Soudan, fut une dynastie Judéo-Syrienne. Dans le Tome II
de son ouvrage (l'Histoire) il revient sur ceci avec plus de détails
et discute la question à fond. Il dit, p. 22 et suiv. :
« En relatant le premier exode des Judéo-Syriens de Cyrénaï-
que, nous les avions suivis à travers FAIT jusqu’au Massina, où
nous les avions laissés, vers le commencement du IIe siècle après
J.-C., sous le commandement de Kara, descendant d’Israël et de
Gama, descendant du Syrien Souleiman. Lorsque, vers l’an 150
de notre ère, les Judéo-Syriens provenant de cet exode, quittè-
rent le Massina, pour se rendre dans l’Aoukar, leurs chefs appar-
tenaient encore aux deux mêmes familles; celle de Kara avait la
prééminence et le souvenir en a été conservé jusqu’à nos jours
par certaines fractions Peuhles, chez lesquelles les nobles portent
le nom modernisé de Karanké ou Kananké (ceux de Kara ou
Kana). Kara — ou son successeur— s’installa à Ghana, auprès
d’un village Soninké qui sans doute existait déjà depuis un cer-
tain temps sous un autre nom, et fut le chef de la première colonie
Judéo-Syriennearrivée dans l’Aoukar.Lorsque, une cinquantaine
d’années plus tard, le deuxième exode vint, par la voie du Touat,
rejoindre le premier, les nouveaux arrivants obtinrent du descen-
dant de Kara l’autorisation de planter leur tente dans la région et
reconnurent également son autorité. Mais cette dernière ne s’éten-
dait vraisemblablement pas encore aux Soninké, premiers maîtres
du pays. Ce ne fut guère, semble-t-il, que cent ans après l’arrivée
de l’immigration provenant du Touat que les Judéo-Syriens, qui
avaient dû, dans une certaine mesure, adopter des habitudes sé-
dentaires et faire de Ghana une véritable ville, devinrent les
maîtres effectifs du pays. C’est donc vers l’an 300 qu’il convient
de placer la fondation proprement dite de l’empire de Ghana et
le début de la dynastie impériale Judéo-Syrienne issue de Kara.
« Cette dynastie conserva le pouvoir, très probablement
jusqu’à la fin du VIIIe siècle. C’est elle qui fournit ces quarante-
quatre princes de race blanche et d’origine inconnue dont nous
parle Sa’di [Tarikh-es-Soudan],desquels 22 auraient régné avant
l’hégire — de 300 à 622 — et 22 après la même date — de 622 à
790 environ, ce qui ferait une moyenne de quinze à seize ans
pour chaque règne précédant l’hégire et de sept à huit ans seu-
lement pour chacun des règnes postérieurs à cette date. On peut
trouver cette proportion bien inégale : si elle est dans l’ordre
ordinaire des choses pour la période précédant l’hégire, elle
paraît plutôt faible pour la période suivante; mais il convient
d’expliquer que la division du Tarikh-es-Soudan en deux nom-
bres parfaitement égaux de règnes, séparés par l’Hégire, pré-
sente au contraire trop de symétrie pour l’être pas un arrange-
ment apocryphe; il est plus vraisemblable de supposer que la
tradition recueillie par Sa’di mentionnait simplement une
succession de 44 souverains dont une partie étaient antérieurs à
l’hégire et que l’auteur du Tarikh a traduit « partie » par «moitié ».
Si nous nous en tenons à cette hypothèse, et si nous admettons
seulement le chiffre de 44 princes — chiffre d’ailleurs peu certain
lui-même — s’étant succédé de 300 à 790, nous obtenons une
durée moyenne de onze ans pour chaque règne; étant donné que
le pouvoir passait en général à l’aîné des frères subsistants du
souverain défunt, cette moyenne n’a rien que de très normal;
certains empereurs devaient être, en effet, fort âgés lorsqu’ils
montaient sur le trône et, même sans tenir compte de révolutions
de palais assez probables, il se peut fort bien que 44 rois se soient
succédé durant une période de cinq siècles.
« Certains ont voulu faire des Berbères de ces empereurs blancs
de Ghana; la chose me paraît fort improbable. S’ils avaient
été des Berbères, Sa’di ne nous aurait pas dit : « Ils étaient de
race blanche, mais nous ignorons d’où ils tiraient leur origine »
(traduction Houdas, p. 8). Car il n’est pas admissible que, vivant
à Tombouctou en contact permanent avec des Touareg, il n’eût
pas recueilli quelques traditions relatives à cette ancienne
domination berbère. Ibn-Khaldoun, si abondamment docu-
menté sur l’histoire ancienne des Berbères du Sud, n’aurait pas
manqué également de connaître et de signaler la chose; or, dans
ses Prolégomènes il rapporte — ainsi que l’avait fait Edrissi
et sans doute d’après ce dernier — qu’on attribue l’origine des
anciens empereurs blancs de Ghana à un nommé Saleh, des-
cendant de Ali, gendre du Prophète, par Abdallah fils de Hassân,
fils d’El-Hassan, fils lui-même de Ali; puis il fait remarquer que
cette hypothèse est invraisemblable, aucun homme du nom
de Saleh n’étant cité parmi la descendance de Abdallah le Fati-
mite; il ajoute qu’au reste cette dynastie a entièrement disparu
et que, de son temps, le pays de Ghana faisait partie de l’empire
de Mali. Il aurait pu, s’il avait connu la chronologie du premier
empire de Ghana, observer simplement qu’un descendant de
Ali n’aurait pu donner naissance à une dynastie antérieure à
l’hégire, c’est-à-dire à Ali lui-même. Mais ce qui est à retenir de ce
passage d’Ibn-Khaldoun, c’est qu’il n’a pas songé un seul
intant à donner une origine berbère aux premiers princes de
Ghana. D’autres ont supposé que le fondateur de l’empire de
Ghana et le premier des 44 princes de race blanche aurait été
Kaya-Maghan. Cette supposition était basée sur une interpré-
tation, que je crois mauvaise, d’un passage du Tarikh-es-Soudan
cité plus haut. A mon avis, dans l’esprit de Sa’di, Kayamaghan
était, non pas le premier des 44 rois blancs dont il fait mention,
mais bien le premier des princes nègres de famille Mandé qui
succédèrent à cette dynastie blanche. Cela résulte, quoique peu
clairement d’ailleurs, du contexte de son récit. En tout cas, il
ne dit nulle part de façon explicite que Kayamaghan ait appar-
tenu à la dynastie des 44 rois blancs. Les traditions indigènes,
d’autre part, sont nettes et formelles à cet égard; Kaya-Maghan,
nègre Soninké, dernier roi du Ouagadou, s’empara du pouvoir
à Ghana sur un prince de race blanche.
« Je crois avoir suffisamment montré, par ce qui précède, et
par les pages de la deuxième partie de cet ouvrage relative à
l’origine des Peuhls, que la dynastie de race blanche qui régna
à Ghana du IVe au VIIIe siècle appartenait, au moins vraisembla-
blement,à la population sémitique d’origine Judéo-Syrienne qui
donna plus tard naissance aux Peuhls.
« Quant à l’histoire de Ghana sous cette dynastie, elle nous
est inconnue. Tout ce que nous apprend le Tarikh-es-Soudan,
c’est que le pays renfermait à côté de la population de race
blanche détenant le pouvoir, des vassaux Ouangara ou Ouakoré,
c’est-à-dire des Mandé; nous savons par ailleurs que ces Mandé
étaient des Soninké originaires du Diaga, mais c’est tout.
« Les traditions indigènes ne nous renseignent que sur les faits
qui précédèrent immédiatement et motivèrent en partie la main¬
mise des Soninké sur l’Empire. Ainsi que nous l’avons vu, le pou-
voir appartenait à la famille issue de Kara; les descendants de
Gama n’occupaient que le second rang. L’empereur qui régnait
vers la fin du VIIe siècle tua, pour une raison stupide, un Soninké
nommé Bentigui Doukouré, qui était le serviteur préféré du chef
de la famille issue des Gama, alors premier ministre de l’empereur.
La veuve de Bentigui, qui était enceinte, fut recueillie par ce
ministre; peu après elle accoucha d’un fils. Afin de soustraire
cet enfant à la haine de l’empereur, le ministre lui substitua
une petite fille née le même jour et fît cacher le fils de Bentigui
dans un village de culture éloigné. Lorsque l’enfant fut devenu un
homme, le ministre lui révéla le secret de sa naissance; le fils de
Bentigui, alors, se rendit auprès de l’empereur, le tua et s’empara
du pouvoir, soutenu par ses compatriotes Soninké. Ainsi finit
l’hégémonie Judéo-Syrienne à Ghana. »
Ici, en arrivant à Ghana, Delafosse est sur un terrain plus solide
et qui touche à l’histoire. Il a existé, en effet, nous le savons, un
royaume de Ghana et Delafosse n’est pas le premier, nous le
savons également, à avoir vu dans ce royaume, une création
des Peuhls. Malheureusement, ce royaume de Ghana Peuhl
est problématique. Qu’est-ce que dit à ce sujet le Tarikh-es-Sou-
dan? Reportons-nous à la traduction Houdas (1900, p. 18, ch. IV,
Le Royaume de Melli) : « Melli est le nom d’une grande contrée
très vaste qui se trouve à l’Extrême Occident du côté de l’Océan
Atlantique. Quaïamagha fut le premier prince dans cette région.
La capitale était Ghâna, grande cité sise dans le pays de Bâghena.
On assure que ce royaume existait avant l’hégire, que vingt-
deux princes y régnèrent avant cette époque et qu’il y en eut
également vingt-deux qui régnèrent ensuite. Cela fait en tout
quarante-quatre rois. Ils étaient de race blanche, mais nous
ignorons d’où ils tiraient leur origine. Quant à leurs sujets,
c’étaient des Oua’kori. »
Les Ouakori sont des Mandé, particulièrement des Sôninké
(ou Sarakolé) ou Mandé du Nord. Quant à ces rois de race blanche,
quels étaient-ils? Barth (et c’est une autorité), Knoetel, Crozals
et, nous le voyons, Delafosse, en font des Peuhls. Mais ce n’est
pas sûr. Nous savons seulement par El-Bekri qu’il y eut une
dynastie Maure très puissante au Soudan vers 800 de notre
ère sous laquelle prospérèrent Aoudaghost et Ghana. Mais au
XIe siècle, quand survinrent les Almoravides, ces deux grandes
villes de commerce, riches et décadentes, étaient tombées entre
les mains des nègres Soninké qui y régnaient. Aussi, quand en
1056, les Maures Almoravides prirent Aoudaghost d’assaut, ils
la traitèrent sans pitié.En 1076,ils prenaient Ghana et mettaient
fin à la domination nègre qui devait dater du Xe siècle au plus
tôt dans ces deux grandes métropoles antiques de l’or soudanais
exploité par les gens du Nord.
Ajoutez à cela qu’il faut encore tenir compte de l’invasion
arabe de 736 après Jésus-Christ. Les armées Ommiades, par le
Sud du Maroc, descendirent sur le Sénégal, puis remontèrent
à l’est vers Ghana. Les soldats Omniades restèrent dans le
pays et y formèrent ces Fama (ou El-Faman) ces princes, dont
parle Bekri. Cela se passait cent-quinze ans après l’Hégire et on
ne voit guère la place de 22 rois blancs tranquilles dans le pays
entre 621 et 736, pendant cette période de cent-quinze ans, ce
qui ferait un roi tout les cinq ans. Nul doute à mon avis que
les 22 rois avant l’Hégire, les 22 rois après, ne soient une affabu-
lation du Tarikh-es-Soudan, une légende tardive qui a conservé
le souvenir de princes Maures redoutables vivant au Sud du
Sahara sur des villes prospères et riches de commerce où les
Maures exploitaient l’or et les esclaves du Soudan. Il est pro-
bable, du reste, qu’après le choc arabe (736) et la décadence
rapide des El-Faman, une dynastie berbère se reconstitua sur
place. C’est la grande dynastie dont nous parle El-Bekri et qui
régna au désert au IXe siècle de notre ère. Après sa décadence,
les Soninké nègres prirent Aoudaghost et Ghana. Je ne voudrais
pas conclure trop vite, mais je ne vois pas dant tous ceci la
nécessité de faire intervenir les pasteurs Peuhls. Il me semble
que les aptitudes commerciales des Maures et leur supériorité
ethnique sur les nègres suffisent parfaitement à expliquer la for-
mation et la création d’Aouaghost et de Ghana. Du reste, des
Ghana (le mot veut dire exactement prince, c’est-à-dire la ville
du prince, la capitale), des capitales il y en eut beaucoup dans
l’Aoukar situées entre la Oualata actuelle et le cercle de Goum-
bou (ou de Néma). M. Bonnel de Mézières a, en 1913, découvert
nombre de ruines d’anciennes villes maures dans la région, si
bien qu’on ne sait pas encore où était exactement la véritable
Ghana. Tout cela indique seulement à mon avis que les Maures
exploitèrent, dès avant l’Hégire, l’or et les esclaves du Soudan
nègre, formèrent nombre de places de commerce dans l’Aoukar
qui vit ainsi fleurir nombre de dynasties maures. Ghana, c’était la
ville du prince, la capitale du moment. Après la dernière grande
dynastie maure mahométane dont nous parle El-Bekri (IXe siè-
cle) les nègres s’emparèrent de Ghana, mais les Senhadja musul-
manisés (El-Morabethim ou Al-Moravides) reprirent ces villes
au XIe siècle. Au XIIIe siècle, elles devaient repasser aux mains
des nègres Soussou et Malinké.
Je le répète, il n’est pas sûr du tout, que les pasteurs Peuls,
très bruns (ils ne sont pas blancs du tout) aient joué un rôle
quelconque dans la fondation de Ghana.
Notons encore que Edrisi (XIIe siècle) et Ibn-Khaldoun (XIIIe s.)
donnent à la dynastie de Ghana une origine vaguement arabe.
Il est vrai qu’ils ont pu ne pas connaître l’histoire du pays avant
la conquête Almoravide (1042-1076).
Ceci dit, reprenons la suite du récit copieux de Delafosse (t. I,
p. 220):
« Ce fut pour les
Peulh le signal d’une nouvelle dispersion et
d’un nouvel exode.
Certains d’entre eux, cependant, acceptèrent la domination
Sôninké et demeurèrent dans le pays; ceux-ci appartenaient
surtout à des familles provenant de la première immigration,
ils s’étaient unis à des Soninké durant leur séjour dans le Massina
et aussi depuis leur installation dans l’Aoukar et il était assez
naturel qu’ils tînssent à demeurer auprès de leurs parents par
alliance. Ce sont les descendants de ces Judéo-Syriens, plus
ou moins métissés de Soninké, que l’on appela les Mâssin ou
Ahl-Massina, en souvenir de leur séjour au Massina avant leur
arrivée à Ghana; on les rencontre encore aujourd’hui à Oualata
et à Néma; ils ont adopté la langue arabe et à cause de cela, on
les rattache aux Maures 1.
Quelques familles de Judéo-Syriens Massin, accompagnées
de Sôninké de Ghana, se portèrent vers l’Ouest et allèrent
fonder Chetou, dont le nom fut transformé plus tard en Tichit
par les Berbères. La tradition rapporte que leur chef était un
vieillard aveugle; Dieu lui avait promis en songe de le conduire
dans un pays qu’il lui destinait comme nouvelle patrie et que
le vieillard reconnaîtrait à une odeur spéciale émanant du sol;
tous les jours, en arrivant à l’étape, l’aveugle se faisait appor-
ter une poignée de sable et l’approchait de ses narines. Enfin,
arrivé à l’endroit où se trouve aujourd’hui Tichit, il reconnut le
parfum indicateur et choisit ce lieu pour y installer sa résidence
et celle de ses compagnons. Plus tard, des Mâssin de Tichit émi-
grèrent dans la Tagant; attaqués là par des Berbères, ils furent
1. Il est probable justement que ce sont des Maures et nullement des
Judéo-Syriens ou des Peuhls. Ce sont eux qui auraient donné leur nom aux
Massina, loin que le Massina le leur ait donné.
en partie massacrés; les survivants se réfugièrent à Diara, près
de Nioro, et enfin à Akor, près de Goumbou et devinrent les
Guirganké actuels, qui ont adopté la langue arabe — comme
d’ailleurs les Massîn demeurés à Tichit — et qu’on range pour
cela parmi les Maures.
Quant aux Judéo-Syriens qui s’étaient conservés à peu
près purs de tout mélange avec les Sôninké, ils ne consentirent
pas à accepter le joug de ces derniers. Les uns émigrèrent vers
l’Ouest et, devançant sans doute la fondation de Tichit par leurs
cousins, les Massîn, se portèrent dans le Tagant et dans l’Adrar
mauritanien. D’autres demeurèrent dans l’Aoukar, mais sans
se mêler aux Sôninké et constituèrent une petite peuplade
indépendante que Bekri nous a signalé au XIe siècle sous le
nom de Honeihîn ou Nehin ou Honimîn et qui se rencontre
encore dans la région de Oualata et en quelques autres points
sous le nom de Nimadi ».
Delafosse ajoute en note au sujet de Nehîn : « L’orthographe
varie selon les manuscrits. Bekri dit que cette peuplade a le
teint blanc et un belle figure, qu’elle professait de son temps
(XIe siècle) la même religion que les noirs de Ghana — lesquels
n’étaient pas Musulmans — mais ne contractent jamais de
mariage avec eux. Il suppose qu’elle a pour ancêtres les soldats
« que les Omniades envoyèrent contre Ghana dans les premier
temps de l’Islam », faisant évidemment allusion aux expéditions
de Okba-ben-Nafi dans le Maghreb de 670 à 681, mais, quoi
qu’on en ait dit, les armées de Okba ne dépassèrent jamais
l’extrême limite septentrionaledu Sahara et il n’est guère admis-
sible qu’une fraction de cette armée ait pu donner naissance à
la tribu dont a parlé Bekri... »
Au sujet des Nimadi, Delafosse ajoute en note : « Les Nimadi
passent pour être des sauvages vêtus de peaux de bêtes, ayant
la chasse comme principal moyen de subsistance et professant
une religion qui aurait des rapports avec le Judaïsme Pré-
Mosaïste ».
Il y a encore bien des erreurs ici. D’abord, Massîn, Nehîn et
Nemadi sont probablement des Maures. De plus, Delafosse
ignore ici qu’en 736 eut lieu une expédition des Arabes par le
Sud du Maroc jusqu’au Sénégal puis jusqu’à Ghana. Elle ne
fut pas le fait d’Obka ben Nafi (ou mieux Okba-ben-Nafa)
fondateur de Kairouan et qui porta la domination arabe jusqu’à
l’Atlantique, puisqu’il mourut tué par les Berbères en 683, mais
elle fut le fait d'Ismaïl, fils d'Obéïd-Allah et du général El-Habib.
Mercier dans son Histoire de l’Afrique septentrionale en parle
t. I, pp. 229 et 230 et Fournier dans ses Berbères donne aussi
des détails intéressants sur cette expédition qui porta les armes
arabes victorieuses jusque dans le Nord du Soudan.
Tout ce que dit Delafosse ici est donc encore du roman et même
du roman d’un auteur mal informé sur les faits et gestes des ar-
mées arabes sous les Ommiades.
Mais revenons à son texte :
« Enfin le plus grand nombre des Judéo-Syriens de Ghana,
emmenant avec eux leurs troupeaux de boeufs à bosse, de mou-
tons et de chèvres, se portèrent sur la rive Nord du Sénégal dans
la province de Mauritanie qui constitue aujourd’hui le cercle du
Gorgol et qui, alors, — fin du VIIIe siècle — formait une dépen-
dance de l’empire Toucouleur du Tekrour. Cette importante
migration n’eut pas lieu sans doute d’un seul coup et l’exode des
Judéo-Syriens dut s’accomplir selon plusieurs itinéraires : cer-
taines familles paraissent être arrivées au Gorgol en passant par
le Tagant, d’autres s’y rendirent par le Bakounou, le Diafounou,
le Diomboko et le Guidimaka.
« Ce second groupe, arrivé dans le Diomboko ou sur la lisière du
Diomboko et du Guidimaka (au nord et non loin de Kayes) s’ar-
rêta et demeura là un certain temps. Mais il y fut attaqué par
l’armée d’un chef Mandingue qui voulait s’emparer des troupeaux
des émigrants; un grand nombre de ceux-ci périrent dans la ba-
taille et le chef de l’émigration fut parmi les morts. Lorsque les
Mandingues se furent retirés avec leur butin, les Judéo-Syriens
ne purent s’entendre pour l’élection d’un nouveau chef et se sépa-
rèrent en deux fractions. L’une d’elles demeura dans le Diom-
boko. L’autre fraction, commandée par un chef que la tradition
appelle Mahmoud, traversa le Guidimaka et alla dans le Gorgol
se mettre sous la protection du groupe principal des émigreurs,
à la tête duquel se trouvait un chef nommé Ismaïl.
« Celui-ci avait su gagner les bonnes grâces de l’empereur de
Tekrour, qui résidait alors à Guédé sur le marigot de Doua, un
peu au sud-est de Podor, dans le Fouta-Toro. Cet empereur appar-
tenait au clan Toucouleur des Sal.
« Il invita Ismaïl et Mahmoud à venir s’installer auprès de lui,
sur la rive Sud du Sénégal, avec leurs compagnons et leurs trou-
peaux. Cette arrivée des Judéo-Syriens au Fouta-Toro dut s’ac-
complir vers le début du IXe ou la fin du VIIIe.
« Une fois de plus, nous allons voir se dérouler au Fouta sous
une forme et avec des conséquences nouvelles, l’éternelle histoire
des Juifs d’Egypte. Ismaïl, devenu le confident et le ministre d
l’empereur de Tekrour, épousa sa fille Diouma Sal et, à la mort
de son beau-père, il fut choisi comme souverain par les Toucou-
leurs. A sa mort, il fut remplacé par Mahmoud, et le trône du
Tekrour fut ainsi occupé désormais par des membres des deux
familles Judéo-Syriennes. Au bout de quelques générations, les
immigrants Sémites venus de Ghana s’étaient multipliés, sans
cependant égaler en nombre les Toucouleurs autochtones, avec
lesquels sans doute ils avaient contracté de fréquentes et fécondes
unions. Aussi, ne tardèrent-ils pas à abandonner leur langue —
qui était, sans doute, comme nous l’avons vu, un mélange d’Égyp-
tien et d’Araméen ou de quelque dialecte hébraïco-syriaque, soit
encore le berbère — pour adopter la langue du Fouta, le poular.
Peut-être aussi leur religion se modifia-t-elle assez profondément,
bien que ce soit moins sûr. D’autre part, ils restèrent fidèles à
leurs moeurs et surtout à leur vie pastorale. Cependant, au con-
tact et à l’imitation des Toucouleurs, ils adoptèrent certaines
institutions sociales de ces derniers, en particulier celles des clans
et celles des castes; et c’est vraisemblablement au Fouta-Toro,
alors qu’ils parlaient déjà la langue poular qu’apparurent pour
la première fois chez les descendants des Judéo-Syriens de Cyré-
naïque, ces quatre clans principaux dont la légende islamisée
place l’origine dans le Sinaï, au temps des premiers khalifes ara-
bes. Ces clans furent calqués sur les clans Toucouleurs qui avaient
alors la prééminence : Sal — clan royal — devint Diallo, Ba
devint Boli ou Bouro (ou Bourourdo), Sô devint Peredio; Bari
devint Daédio. Les artisans d’origine Judéo-Syrienne se parta-
gèrent en castes à l’imitation des artisans Toucouleurs et prirent
ces mêmes appellations: Laobé, Diawambé, etc. Les pasteurs
venus de Ghana durent conserver le pouvoir au Tékrour jusque
vers le début du XIe siècle, c’est-à-dire pendant 200 ans environ.
Depuis longtemps, les Toucouleurs commençaient à supporter
de mauvaise grâce la suzeraineté de ces étrangers et il dut y avoir
plus d’une tentative de complot dirigée contre le souverain. La
tradition nous rapporte comment les choses finirent par se gâter
complètement.
« Le trône
était occupé, vers le début du XIe siècle par un des-
cendant du Mahmoud venu au Fouta avec Ismaïl, descendant qui
portait le même nom que son ancêtre; ce Mahmoud II ayant dé-
couvert un complot tramé par des Toucouleurs contre sa vie con-
voqua les chefs de toutes les familles indigènes du Toro et exigea
que chacun lui remit en otage un de ses enfants mâles. Puis il
PL. I.

L’almamy de Timbo avec ses femmes (Fouta Djallon).


PL. II.

Femmes Peuhles du Fouta-Djallon.


confia ces enfants à la garde de l’un de ses frères qui se trouvait
être son héritier présomptif. Un devin dit à ce dernier que si Mah-
moud touché par les plaintes des parents, leur rendait un jour
les otages, lui, son frère, ne monterait jamais sur le trône. Pour
empêcher Mahmoud de rendre les enfants à leurs parents, son
frère usa d’un procédé aussi radical que barbare : il les fît tuer
tous durant la nuit. Lorsque le jour parut, les pères des otages —
ignorant encore ce qui s’était passé — allèrent trouver Mahmoud
et le supplièrent de leur rendre leurs enfants, jurant que sa man-
suétude lui porterait bonheur. Mahmoud, se laissant apitoyer,
envoya un messager à son frère pour lui réclamer les otages. Son
frère lui fit répondre qu’il venait de les mettre à mort. Lorsque
la nouvelle fut connue des chefs Toucouleurs, ceux-ci la répan-
dirent aussitôt dans le pays, réclamant une vengeance sanglante :
tous les indigènes de Fouta prirent les armes et coururent sus
aux pasteurs judéo-syriens dispersés parmi eux, massacrant ceux
qu’ils pouvaient atteindre et mettant les autres en fuite. Un Tou-
couleur nommé Ouar-Diabi, Ouar Diâdié, ou Ouar N’Diaye s’em-
para du pouvoir. Mahmoud et tous les membres de sa famille
furent tués. Ses serviteurs s’emparèrent du sabre qu’il portait et
qui était l’insigne du commandement des souverains du Tekrour;
mais la famille de Ouar Diabi le leur arracha et eut ainsi le pri-
vilège de premier empereur. Ce fut le clan Toucouleur des Ko-
liabé. Quant au fourreau, il resta entre les mains d’un autre clan
Toucouleur qui devait plus tard s’emparer du pouvoir, celui des
Dénianké.
« Quant, aux Judéo-Syriens qui échappèrent au massacre — et
qui d’ailleurs étaient certainement très nombreux—ils furent
obligés de quitter le Toro et, ne pouvant s’entendre pour le choix
d’un chef en remplacement de Mahmoud, s’éparpillèrent dans
toutes les provinces du Tekrour, sous la conduite de divers Ardo
ou chefs de migration. Leur ancien nom de Foudh, soumis aux
règles de la langue poular qu’ils avaient adoptée, devint — selon
les lois phonétiques et morphologiques de cette langue, — Poullo
au singulier et Foulbé au pluriel et prit la signification d’épar-
pillés, son étymologie première étant inconnue des Toucouleurs.
Le poular parlé par les Foulbé devint, conformément aux mêmes
lois, le Foulfouldé.
« Les Judéo-Syriens étaient devenus les Peuhls. La fin de leur
suprématie au Fouta et leur éparpillement durent avoir lieu dès
le début du XIe siècle puisque Bekri nous apprend que Ouâr Diâbi
mourut en 1040. Un peu plus tard, se fondait, non loin du Toro,
sur le bas-Sénégal, la secte berbère des Almoravides. Tout en
admettant comme vraisemblable le récit légendaire que je viens de
rapporter, je ne serais pas éloigné de croire que la conversion des
Toucouleurs à l’Islamisme, commencée par Ouar Diabi, d’après
Bekri — et achevée par les Almoravides, — ne fut pas étran-
gère aux revers de fortune des Peuhls; ceux-ci durent, en effet,
se montrer rebelles à l’islamisation, puisque, de nos jours encore,
un nombre appréciable d’entre eux sont infidèles, au sens musul-
man du mot même, parmi les fractions demeurées dans le voi-
sinage du Fouta (au Ferlo notamment) et principalement parmi
les familles chez lesquelles le type sémitique original est demeuré
le plus pur et qui sont le moins métissées de sang nègre. »
Le type sémitique dont parle ici Delafosse, est en réalité un
type hamitique inférieur (Kouschite, Éthiopien, Nubien). De
plus, l’auteur exagère le caractère rebelle des Peuhls à l’islamisme.
En réalité, ils sont beaucoup moins rebelles que les nègres à l’Is-
lam, parce que justement plus intelligents. Tout ce qu’on peut
dire, c’est que les Peuhls sont des musulmans relativement pai-
sibles actuellement (ils ne l’ont pas été au Fouta-Djallon au
XVIIIe et au XIXe siècle ni dans la Nigéria septentrionale au temps
de Othman dan Fodio et de ses successeurs) et c’est que les Tou-
couleurs d'El-Hadj-Omar se sont montrés encore plus fanatiques
qu’eux, mais, à part cette nuance, les Peuhls, bien mieux isla-
misés que les nègres, ne sont pas du tout à représenter comme
rebelles à l’Islam. Quand je commandais le cercle de Niafonké,
en 1913, comme Delafosse y porte 15.000 Peuhls (exactement
14.832) comme animistes sur un total de 76.132 Peuhls 1, je m’en-
quis de ces 15.000 Peuhls animistes et personne ne put me les
trouver! et mon interprète m’affirma que tous les Peuhls du cercle
étaient musulmans, comme du reste les Soninké du pays, les Ban-
bara du sud de cercle de Niafonké, les Songhaï du pays. Bref, il
faut faire disparaître les 15.000 Peuhls animistes du cercle de
Niafonké comme une erreur de Delafosse. Je souhaite pour notre
auteur que les Peuhls animistes qu’il cite au Ferlo (au sud du
fleuve Sénégal) soient plus réels que ceux du cercle de Niafonké!
Continuons à citer le texte de Delafosse, passant aux migrations
peuhles à partir du Fouta Toro, donc de l’Ouest à l’Est.
« Dès les premières années qui suivirent la mort de Mahmoud II,
l’immense majorité des Peuhls du Fouta Toro, se porta vraisem-
blablement vers le Sud, dans la région alors inhabitée mais favo-

1. Haut-Sénégal-Niger, t. I, p. 159.
rable à l’élevage qui est connue aujourd’hui sous le nom de Ferlo
et qui devait alors dépendre tout au moins théoriquement, de
l’empire de Tekrour. Un parti assez considérable continua en-
suite son exode vers l’est, s’établissant non loin de la rive gauche
du Sénégal entre Bakel et Kayes, dans le Nord du Boundou et
du Bambouk, c’est-à-dire dans le pays du Galam ou Gadiaga, à
cheval sur la Basse Falémé. Ce pays était alors (deuxième moitié
du XIe siècle) une dépendance du Tekrour, d’après le témoignage
de Bekri et les Soninké qui y possédaient déjà des colonies de-
vaient être vassaux des Toucouleurs 1. Quelques familles peuhles
durent, dès cette époque, passer sur la rive droite du Sénégal aux
environs de Kayes et rejoindre dans le Diomboko les descendants
des Judéo-Syriens qui y étaient demeurés en venant de Ghana.
« C’est cette colonie peuhle du Galam, du Kasso et du Diom-
boko que, très probablement, Bekri nous signale sous le nom d'Al-
Fâman —• on pourrait dire à la rigueur Al-Fellan 2 — sur l’un
des manuscrits et qu’il localise au sud-est du pays des Toronka
(Toucouleurs du Toro), dans la région de Silla, ajoutant que les
Al-Fâman appartiennent à la même race que les Honeïhin de
Gana, Certaines familles de cette colonie s’unirent plus tard à
des Mandé (Sôninké et Kagoro) et donnèrent naissance aux Khas-
sonké actuels. »
Il est malheureux d’avoir à relever tant d’erreurs dans le texte
d’un auteur qui a tant fait, si l’on prend son oeuvre en gros, pour
l’histoire et la linguistique de l’Afrique occidentale française
mais enfin il faut répéter que les Al-Faman d’El-Bekri qui sont
les descendants des soldats Ommia des de 736 n’ont aucun rapport
avec les Peuhls, et, d’autre part, les Khassonké provinrent à la
fin du XVIIe siècle (vers 1680) d’une fusion entre des Peuhls
descendus de Nioro et les Malinké dégénérés qui occupaient le
pays et qui, d’abord maîtres de ces Peuhls nomades, finirent par
être battus et vaincus par eux. Ces derniers faits ont été établis
définitivement par Monteil en 1915 dans son volume sur les
Khassonké et du reste étaient déjà connus au moment où Dela-
fosse écrivait (1912) mais celui-ci a arrangé son roman peuhl sans
se documenter suffisamment. De là de fortes erreurs qu’on est
obligé de relever maintenant.
Delafosse continue ainsi : « D’après les traditions indigènes,
1. El Bekri ne dit nullement que les villes Soninké du Sénégal dont il parle
étaient vassales des Toucouleurs.
2. Supposition inadmissible et que Delafosse fait pour les besoins de sa
cause.
cette colonie peuhle du Galam se choisit dans le clan Diallo un
roi dont le titre nous a été transmis sous les formes diverses de
Saltigué, Silatigui, Fondokoï et Ardo. Lorsque les Soninké de
Ghana, vaincus et pourchassés par les Berbères Lemtouna à la
faveur du mouvement almoravide, commencèrent à venir s’éta-
blir en nombre dans le Guidimaka et le Gadiaga ou Galam (fin
du XIe siècle), les Peuhls, sous la conduite de leur ardo quittèrent
en majorité ces régions et s’avancèrent vers l’Est à travers le
Diomboko et le Karta, laissant à chacune de leurs étapes des
familles qui, en s’unissant à des Mandingues, donnèrent naissance
aux Foulanké des cercles de Bafoulabé et de Kita 1.
Arrivé au Kaniaga, province méridionale du Bagana, le gros
de la migration y demeura plus longtemps que dans ses lieux
d’arrêt précédents. Il semble que, partis du Galam vers la fin
du XIe siècle ou le commencement du XIIe, les Peuhls n’avaient
pas sensiblement dépassé le Kaniaga à la fin du XIVe; sans doute
les efforts des Soninké Sossé ou Sosso pour conquérir Ghana sur
les Sissé, ensuite leur lutte avec les Mandingues et les razzia qui
suivirent la victoire finale de ces derniers avaient entretenu le
long de la rive gauche du Haut-Niger un état d’insécurité qui ne
favorisait pas les migrations vers l’Est. Au début du XIVe siècle,
pourtant, les Peuhls Diawambé s’étaient portés dans le Kingui
et avaient fondé Nioro. »
Ceci est exact. Il semble bien que les Peuhls aient fondé le
Fouta-Kingui (à l’ouest du cercle peuhl de Nioro) au XIVe siècle.
Mais pourquoi parler de Peuhls Diawambé? Les Diawambé (au
singulier Diavando), ne sont pas des Peuhls, mais une population
mixte issue de pères Peuhls et de femmes Soninké. Il put se for-
mer des métis Diawambé dans la région, mais il est probable que
les Peuhls qui colonisèrent le Fouta-Kingui étaient des Peuhls
purs.
Delafosse continue en ces termes :
« Mais, au début du XIe siècle, l’exode des Peuhls reprit son
essor d’une manière décisive à la suite de circonstances que les
traditions indigènes relatent de la manière suivante. Un Sila-
tigui 2 ou Ardo nomme Yogo, fils de Sadio ou Sadia Diallo, rési-
1. Ceci est encore uneerreur de Delafosse. Les Foulanké de Bafoulabé et
de Kita vinrent du nord dans ces pays au début du XVIIIe siècle ou à la fin.
du XVIIe. Leur mouvement appartient au même mouvement qui donna
la race métisse des Khassonké.
2. Le mot Silatigui n’est pas peuhl, c’est un mot mandé qui veut dire le
chef du sentier, le chef du chemin, et par conséquent le conducteur de l’im-
migration. Le mot Ardo, au contraire, est peuhl.
dant à Kouma ou Toï, dans le Kaniaga, mourut vers 1400 en
laissant une veuve et deux frères dont l’aîné s’appelait Diadié et
le plus jeune Maga (ou Magham) ou Atiba. Diadié voulut épouser
la veuve de Yogo, mais celle-ci refusa ses avances; Maga se ren-
dit auprès d’elle pour l’engager à accepter la main de son frère :
cependant la femme persista dans son refus et des ennemis de
Maga présentèrent à Diadié la démarche de son frère sous un
mauvais jour, prétendant que c’était Maga qui avait poussé la
veuve de Yogo à rejeter les propositions de Diadié dans le but
de l’épouser lui-même. Une querelle s’ensuivit entre les deux
frères qui, après avoir échangé des paroles blessantes, se sépa-
rèrent.
Maga Diallo (ou Maga Sal) quitta le Kaniaga avec ses parti-
sans, marchant droit devant lui dans la direction du Nord. Par-
venu dans le centre du Bagana, du côté de Kala (Sokolo) il ren-
contra un troupeau de boeufs égaré, et les poussant devant lui
dans la direction de l’Est, il parvint dans le Diaga ou Massina,
auprès d’une mare qu’avoisinait un village de Soninké Nono.
Maga leur demanda l’hospitalité et établit son campement près
de leur village; il alla ensuite saluer le fonctionnaire qui gouver-
nait le Bagana au nom de l’empereur de Mali et reçut de lui l’in-
vestiture officielle de chef (Ardo) des familles peuhles qui l’avaient
suivi, avec l’autorisation de résider dans le Massina. Plus tard,
d’autres Peuhls du Kaniaga, appartenant au clan Daédio ou
Bari,vinrent rejoindre Maga, ainsi que des gens appartenant aux
castes des Mabbé ou Maboubé et des Diawambé ; des serfs Rimaïbé
issus d’esclaves noirs acquis par les Peuls durant leur traversée
du bassin du Sénégal, vinrent encore grossir ce noyau qui donna
naissance au très important groupe des Peuhls du Massina et aux
fractions secondaires qui en sont issues par la suite.
Quant aux partisans de Diâdié, certains se mêlèrent aux Fou-
lanké du Nord de Kita et de Bafoulabé et aux Khassonké de la
région de Kayes, adoptant peu à peu la langue Mandé et trans-
formant leur nom de clan : Ourourbé en Diakaté ou Diakité (les
gens originaires du Diaka ou Diaga) Daébé en Sangaré, Férôbé
en Sidibé; seul le clan des Dialloubé conserva son nom sous la
forme du singulier (Diallo). »
Il est inutile de faire remarquer que, comme en 1400 ou 1425
les Khassonké et les Foulanké n’existaient pas encore (ils existèrent
à la fin du XVIIe siècle seulement), les Peuhls dont parle Delafosse
ne purent pas venir se mêler à eux ou bien ils le firent beaucoup
plus tard, au xvme siècle.
« Diadié lui-même, continue Delafosse, s’était dirigé vers le
Nord-ouest et était allé se fixer dans le Bakounou entre Goumbou
et Nioro, avec plusieurs familles appartenant aux clans Irlâbé,
des Yâlabé (ou Alaïbé),des Oualarbé, des Férôbé et des Ourourbé
(ou Boli). »
Delafosse ajoute en note (note 2, p.229) : «Environ un siècle plus
tard, vers 1510, un descendant de Diadié, nommé Tendo-Gala-
dio, chef des Yâlabé, prêcha la révolte au Bakounou contre l’em-
pereur de Gao, El-Hadj-Mohammed (le premier Askia) qui était
devenu maître de la majeure partie des anciennes dépendances
du Mali. El-Hadj-Mohammed entreprit en 1511-1512, une expé-
dition contre Tindo qu’il défit et tua à Diara, près et au nord-Est
de Nioro. Koli, fils de Tindo, prit alors le commandement des
Peuhls du Bakounou, réfractaires au souverain de Gao et, accom-
pagné de Goro ou Gara, chef des Oualarbé, de Diko, chef des
Férôbé et de Nima, chef des Ourourbé, il émigra au Fouta-Toro
qui, ainsi que tout l’ancien Tekrour, obéissait alors à l’empereur
du Diolof. Ce Koli, aidé par les Sérères et par le clan Toucouleur
des Dénianké, aurait réussi à tuer l’empereur du Diolof, à affran-
chir les Toucouleurs de la suzeraineté des Ouolofs et à fonder au
Tekrour un nouvel empire indépendant dont il fut le premier sou-
verain. Ses descendants régnaient encore au Fouta vers le milieu
du XVIIe siècle, d’après le témoignage de Sa’di. »
Ceci est exact et c’est même ce Koli qui, en 1534, descendit
avec des fortes colonnes peuhles sur la Haute Gambie et y éta-
blit les « Foulacounda ». Il entraîna même dans sa migration des
Serères, semble-t-il, et ceux-ci semblent avoir donné naissance
aux nègres Koniagui.
Delafosse continue :
« Du Massina, les Peuhls ne tardèrent pas à se répandre à tra-
vers la boucle du Niger et au-delà, bien que le gros de leur nation
soit encore aujourd’hui établi dans la région dont le marigot de
Dia ou Diaka forme comme le centre. Dès le XIe siècle 1 des Oua-
larbé, des Ourourbé, des Salsabé et des Torobé se portèrent vers
le nord dans le cercle actuel de Niafonké, avec un grand nombre
de Diawambé. D’autres franchirent le Niger et le Bani et, s’in-
filtrant au travers des Tombo et des Mossi, gagnèrent le Liptako
(région de Dori) où ils fondèrent une colonie prospère qui put
presque rivaliser avec celle du Massina. Ici encore, nous avons de
1. Ceci est évidemment faux. C’est au xve siècle seulement qu’on trouve
les Peuhls bien établis au Massina. Ceux de Niafonké (au nord du Massina)
ne s’établirent dans la région qu’à cette époque au plus tôt.
nombreuses traditions indigènes relatives aux différents exodes
dont l’ensemble constitua cette importante migration.
« Le clan peuhl des Tôrôbé — car il y a des Tôrôbé peuhls et
des Torôbé Toucouleurs — à la suite de la grande migration du
Fouta vers le Massina, s’était installé surtout au nord du lac
Débo, entre Niafounké et Saraféré. La légende dit que l’exode
des Torôbé avait été dirigée par trois frères nommés Sambo, Paté
et Yoro. Une partie d’entre eux, quittant la région de Saraféré,
s’en alla camper à Gorou, au nord de Douentza. Là, ils furent
rejoints par quatre membres de leur clan (Hamadi, Dembo,
Dello et Diobo) tous les quatre descendants d’un nommé Siré qui
aurait été père de Sambo, Paté et Yoro et qui serait demeuré au
Fouta avec une partie de sa famille lors de l’exode de ces trois
derniers. Les quatre émissaires venaient du Fouta, dans le but
d’engager leurs compatriotes à retourner au Sénégal. Non seu-
lement, ils échouèrent dans leur mission, mais ils demeurèrent
avec les Torôbé de Gorou et devinrent eux-mêmes des chefs de
migration : Dello, avec Dembo et ses fils, conduisit une partie
de la tribu au Liptako; Dembo s’arrêta dans le Djilgodi (région
de Djibo), d’où ses descendants pénétrèrent dans le nord-est du
Mossi (canton de Boussouma); la plupart des fils de Dembo de-
meurèrent au Liptako, mais Dello, allant coloniser le Torodi
(pays des Torôbé) et traversant le Niger près de Say, poussa jus-
qu’à Sokoto; Amadi, lui, conduisit dans le Yatenga une autre
bande dont le chef actuel, Abdoullahi, prétend descendre de
Sambo et de son père Siré, le premier ancêtre des Peuls Torôbé.
Enfin, Diobo, qui avait accompagné Hamadi au Yatenga, alla
ensuite au Djilgodi rejoindre Dembo, y laissa son fils Pelouna,
traversa le Liptako et le Torodi, gagna Sokoto et se porta de là
dans l’Adamaoua.
« Ibn Galâdio, ancêtre du clan des Yalâbé ou Alaïbé, aurait
fait partie de la migration qui demeura longtemps du côté de
Kayes et qui aurait, en partie, donné naissance aux Khassonké.
Beaucoup de ses descendants, cependant, avaient suivi le grand
mouvement vers le Kaniaga et le Massina, s’étaient établis sous
la conduite d’un nommé Dama ou Demba, dans le Sébéra, entre
Dienné et Sofara. Gao, fils de Dama, poussa vers le nord jusqu’à
Goumeouel dans le Fitouka, entre Niafounké et Saraféré. La
fraction des Yalâbé qui s’établit là aurait pris le nom de Fitôbé
ou Fitoubé (du nom de Fitouka). Plus tard, Diâdié, fils de Gao,
conduisit les Fitobé à Sari, sur la route de Bandiagara à Dori au
nord de Ouahigouya. Moussa, fils de Diadié, qui vivait vers le
milieu du XVIIIe siècle, aurait conclu une alliance avec les Tombo
de la région pour chasser de Bané (entre Sari et Ouahigouya) les
Nioniossé et les Soninké de langue Songaï qui s’y trouvaient alors
et s’installaient à leur place, poussant ainsi vers le sud. Goré,
l’un des compagnons de Moussa, se fixa plus au sud encore, à
Sittiga, dans le Yatenga. Demba, le chef actuel des Fitobé du
Yatenga, dit descendre de Moussa par les nommés Hamadou,
Sidikin, Tana et Hamat.
« Ce dernier — Hamat — fils et successeur de Moussa — vivait
aux environs de 1780. Un Peuhl de sa tribu, nommé Paté, se
transporta avec ses troupeaux à Téma, dans le Mossi, et épousa
une nommée Siboudou, fille du chef Mossi de Téma. Il en eut
5 fils (Mali, Koumbassé, Faéni, Garba et Sambo) et une fille
(Sadia). Cette dernière demeura à Téma et s’y maria avec un
Mossi; les cinq fils vinrent s’établir à Kalsaka, dans le Yatenga
et s’y marièrent avec des femmes Mossi : ce sont les descendants
de ces unions de Peuhls avec des Mossi qui sont appelés par les
Mossi Silmimossi, tandis que les Peuhls purs sont appelés Sil-
misi. Ces Silmimossi sont rattachés aux Peuhls plutôt qu’aux
Mossi, mais en réalité, ils participent des deux peuples : ils
parlent en même temps le peul et le mossi et sont à la fois pas-
teurset agriculteurs; mais ce sont les hommes chez eux qui
traient les vaches et non pas les femmes comme chez les vrais
Peuls.
« Les Dialloubé ont également
fourni un assez fort contingent
aux migrations peules qui se sont répandues dans la boucle du
Niger. Un de leurs chefs, Hamân, partit du Massina au XVIIe siècle
et vint s’établir à Gomboro, dans l’ouest du Yatenga, en pays
Samo. Guibril chef actuel des Dialloubé du Yatenga, serait le
quatorzième successeur de Hamân dont le sépareraient neuf géné-
rations. 1
« Revenons maintenant au Ferlo
qui avait été, comme nous
l’avons vu, le refuge de la majorité des Peuls chassés du Fouta-
Toro par les Toucouleurs. Tandis que s’organisaient les grands
exodes qui, du Ferlo, devaient aboutir au Massina et au Torodi,
une autre migration moins importante prenait la route du sud,
et laissant plusieurs colonies dans le Boundou, allait se fixer dans
le Fouta-Djallon. Cette migration eut lieu aussi, vraisemblable-
ment, du XIe au XIVe siècle, bien avant la conquête du Fouta-
1. On peut comparer à ce tableau de l’occupation de certains points du
Yatenga et du Mossi par les Peuls, ce que j’en ai dit dans mon Noir du Ya-
tenga (1917) en parlant des Peuls du pays.
Djallon par les Toucouleurs Dénianké, que l’on place générale-
ment vers 1720. »
Delafosse ajoute en note (note 1, p. 233) : « Les Dénianké
étaient ces Toucouleurs qui avaient aidé le Peul Koli Galadio à
s’emparer du Tekrour au début du XVIe siècle (voir plus haut,
p. 229, note 2). Leur clan était demeuré virtuellement au pou-
voir sous les descendants de Koli et, comme ce dernier, ils étaient
restés rebelles à l’islamisme. Au début du XVIIIe siècle, un mara-
bout Toucouleur nommé Abdoulkader Torodo prêcha la guerre
sainte contre les infidèles et renversa la dynastie peule des des-
dendants de Koli. Le pouvoir passa ainsi aux Torobé, tous mu-
sulmans; les Dénianké, bien que s’étant alors convertis à l’isla-
misme, perdirent toute influence au Fouta Toro et ils émigrèrent
en partie sous la conduite de deux chefs nommés Sidi et Séri
(ancêtres des Sidianké et des Sérianké) pour s’établir au Fouta-
Djallon auprès des Peuls qui s’y trouvaient depuis plusieurs
siècles. Un de leurs marabouts nommé Sori commença peu après,
sous prétexte de guerre sainte, la conquête du pays aux dépens
des Soussou ou Diallonké autochtones. Actuellement encore, on
distingue les Peuls des Toucouleurs au Fouta-Diallon en donnant
aux premiers — très peu nombreux — le nom de Poulli et aux
seconds — qui sont fortement mélangés de Mandé — le nom de
Foula. » (p. 233, en note).
Tout ceci est malheureusement de la haute fantaisie. Delafosse
n’avait pas eu le temps d’étudier l’histoire du Fouta-Djallon et
ne la connaissait pas. Les premiers Peuls qui vinrent dans le pays
(Haute-Gambie) furent les Peuls de Koli Tenguéla ou Koli Gala-
dio qu’on appelle encore actuellement Foulacounda (ou Poulli).
Quant à la grande migration peule de 1694 qui s’empara du Fouta-
Djallon vers 1725 sur les Dialonké, toutes les autorités les plus
sérieuses et les plus anciennes nous la montrent unanimement venant
du Macina (j’en ferai la démonstration quand j’en serai à l’his-
toire des Peuls du Fouta-Djallon). Cette migration n’a aucun rap-
port avec les Denianké du pays toucouleur. Du reste, Abdoul-Kader
qui renversa les Dénianké, est mort en 1809 et n’a pas pu, par
conséquent, s’emparer du pouvoir au Fouta-Toron au commen-
cement du XVIIIe siècle. Il semble avoir régné de 1773 à 1809 et
par conséquent ne renversa les Dénianké qu’en 1773. A cette
époque, les Peuls venus du Macina finissaient de s’emparer du
Fouta, brisant la coalition des Ouassoulonké et des Dialonké et
établissaient définitivement leur pouvoir sur le pays.
Ce que dit Delafosse ensuite des Ouassoulonké est aussi faux.
Les Peuls qui conquirent le Ouassoulou (au commencement du
XVIIIe siècle) venaient du nord, et après s’être établis à l’est du
Niger (Ouassoulou) le franchirent et vinrent alors se heurter aux
Peuls du Fouta-Djallon qui, après de vives luttes, les repoussè-
rent à l’est du Niger (vers 1776). Ce ne sont nullement des Peuls
du Fouta-Djallon de la grande invasion, qui, du Fouta, auraient
poussé vers l’est. Voici, du reste, ce que dit exactement Delafosse
à ce sujet :
« Lorsque précisément les Toucouleurs arrivèrent au Fouta-
Djallon et surtout lorsqu’ils voulurent convertir à l’islamisme
les Dialonkés et les Peuhls, le plus grand nombre de ces derniers
émigrèrent vers l’est, se portant dans le Sangaran 1 et le Ouas-
soulou où ils s’unirent à des Mandingues et grossirent le nombre
des Foulanké; d’autres, demeurés à peu près purs, poussèrent
plus loin encore et arrivèrent près de la Haute Volta noire, dans
le quadrilatère compris entre Sikasso, Koutiala, Koury et Bobo-
Dioulasso, s’avançant même jusqu’à Barani, entre Koury et San.
Beaucoup de ceux-là, bien qu’ayant conservé l’usage de la langue
peule, avaient adopté, durant le passage dans le Ouassoulou, la
forme foulanké des noms de clans (Diallo, Sangaré, Diakité,
Sidibé). L’un d’eux, Ouidi Sidibé, fonda à Barani une sorte de
royaume éphémère d’où sont parties quelques petites migrations
récentes (XIXe siècle), telles que celles de Daba Sangaré du côté
de Koutiala, celle d'Ali-Bouri du côté de San, etc. D’autres migra-
tions, anonymes celles-là, traversèrent vers la fin du XVIIIe siècle
le Dafina, le Mossi et une partie du Gourma, rejoignirent au To-
rodi le grand courant venu du Macina par le Liptako et suivirent
la route qu’il avait tracée déjà vers les pays haoussa, l’Adamaoua,
le Baguirmi et le Ouadaï. »
En résumé, celle longue histoire des Peuls par Delafosse n’est
qu’un roman pour la période qui va de la Cyrénaïque au royaume
de Ghana (1er au IIIe siècle de notre ère). Pour le royaume de
Ghana (IIIe au VIIIe siècle) elle est fort hypothétique, quoique
nous nous trouvions déjà sur un terrain un peu plus consistant, et,
à mon avis, elle doit être rejetée. L’histoire ne devient sérieuse
qu’à partir du Fouta-Toron (VIIIe siècle) et encore Delafosse a-t-il
commis ici des erreurs monstrueuses, comme la formation des

1. Le Sangaran ou Sankaran est surtout Malinké à l’heure actuelle et n’a


conservé que peu de traces d’une invasion peule : celle-ci, du reste, est sur-
venue par l’est. Ce sont des Ouassoulonké qui Vont faite, et non les Peuls du
Fouta-Djallon. Quelques éléments peuls semblent avoir pénétré jusqu’au
pays Toma (par mariage d’indigènes avec des femmes peules).
peuples Khassonké et Foulanké au XIe siècle, et celle du peuple-
ment peul du Fouta-Djallon par une immigration Toucouleur-
Dénianké de 1725! En définitive, il ne reste rien de la synthèse
peule tentée en 1912 par Delafosse, parce que : 1° les Peuls ne
sont pas des Juifs ou Judéo-Syriens; 2° parce qu’on ne sait pas
si ce sont eux qui ont formé le royaume de Ghana (il y a, au con-
traire, bien des raisons de penser le contraire) et enfin, parce que
l’histoire récente des Peuls (VIIIe au XIXe siècle), telle que la ra-
conte Delafosse, est défigurée par d’énormes erreurs qui vien-
nent de ce qu’il n’a pas consacré un temps suffisant à étudier les
documents sur les Peuls 1.
Après avoir examiné les théories d’origine juive des Peuls,
finissons en examinant les théories purement fantaisistes déjà
signalées au commencement de cette étude : ainsi l’origine
tzigane ou gypsy du Dr Thaly (qui fut médecin de la marine
et séjourna au poste de Bakel).
« En jetant un coup d’oeil, dit Thaly, sur l’histoire des grandes
migrations humaines, on retrouve au commencement du XVe siè-
cle, au moment où Tamerlan, parti de Samarkande, venait
à la tête de ses hordes de Mongols jusque sur les rivages de
l’Asie Mineure et de la Syrie, livrer au pillage les trésors de
Smyrne, à l’incendie l’opulente cité de Balbeck et mettre aux
fers le sultan des Turcs de Magnésie, menaçant déjà l’empire
de Paléologue, on retrouve à cette époque des multitudes fuyant
du centre de l’Asie devant des vainqueurs sans pitié, se dis-
persant d’abord sur les rives de la Mer Noire, de la Mer de
Marmara et de l’Archipel pour passer ensuite en Europe, en

1. Au sujet de la première partie de cette histoire peuhle, Delafosse ne


procède que par des : il est possible, il est permis de supposer, etc. ; par exemple,
parlant des Hycsos et des Juifs de Joseph, Delafosse constate que ni la Bible
pour les Juifs, ni Manéthon pour les Hycsos ne parlent d’autre chose que
d’un retour en Asie, mais il ajoute : « De même qu'il est permis de supposer
qu’une partie des Israélites ne suivit pas Moïse, il est loisible également de
penser que les Hycsos, d’abord persécutés par leurs vainqueurs Thébains,
puis laissés libres d’effectuerpaisiblement leur retraite, d’après le témoignage
de Manéthon, ne prirent pas tous la même route et que beaucoup se disper-
sèrent du côté de la Cyrénaïque et de la Haute-Egypte. »
J’ai souligné les expressions dont Delafosse se sert. Ce n’est pas avec des
suppositions que l’on fait de l’histoire sérieuse. De même quand Ptolémée
Sôter déporte les Juifs de Jérusalem en Cyrénaïque, ceci est un fait réel,
mais quand Delafosse ajoute qu’ils se mélangèrent à l’ancien élément judéo-
syrien (Juifs et Hycsos) plus ou moins pénétrés d’éléments Berbères, c’est
encore une supposition sans valeur. D’autant plus sans valeur que les Juifs
urbains et commerçants de l’époque de Ptolémée Sôter, déportés en Cyré-
naïque, durent se fixer dans les villes et non pas reprendre la vie de pasteurs
de leurs ancêtres du temps d’Abraham (17 siècles auparavant!).
Syrie, en Égypte, etc, etc.La Turquie, l’Autriche, l’Allemagne, la
France,l’Italie,l’Espagne, l’Angleterre, etc. servent d’asile encore
aujourd’hui aux derniers débris épars de ces asiatiques. Chose
singulière, partout ces Bohémiens, Zigani, Gitanos, Gipsy, etc.
ont conservé leur type et leurs moeurs. Leur langage même
modifié par celui des peuples au milieu desquels ils vivent,
possède partout encore des mots qui dénotent son unité première.
Quant à leur religion, elle est à peu près inconnue. C’est ce
mystère et aussi l’étrangeté de leurs habitudes qui ont attiré à
ces Bohémiens la réputation de sorcellerie dans les légendes
populaires. Je pense, d’après mes recherches, que les Foulah ont
une origine commune avec les Bohémiens d’Europe et qu’ils
n’en diffèrent que par suite de leur séjour dans la Sénégambie
et de leur mélange avec ses peuples. En effet, si j’étudie les
moeurs, la religion, la langue, etc. de ces co-indigènes, je les
vois arriver en conquérants chez les peuplades timides qui
habitaient la rive gauche du Haut Sénégal, vivre au milieu de
leurs troupeaux sous la tente ou dans les gourbis, sans cons-
truire de villages comme les noirs, dédaignant l’agriculture
et se nourrissant presque exclusivement de laitage. Leur lan-
gage n’a aucune analogie avec les idiomes des noirs, ni avec
la langue des Maures. Leur religion est une énigme comme
celle de leurs frères d’Europe. Sans vouloir tirer des considéra-
tions précédentes des conclusions absolues, je crois en résumé :
1° que les Foulah sont une race Indo-Européenne; 2° qu’ils
ont la même origine que les Bohémiens, les Gipsy, les Gitanes,
les Zigani, etc. Chassés de leur pays par les Mongols au XVe siècle,
ils auraient pris la route de l’Egypte par la Syrie pour s’enfoncer
plus tard dans le centre de l’Afrique; d’étape en étape, ils seraient
arrivés dans la Sénégambie, à une époque que je ne puis déter-
miner, mais qui doit être assez éloignée de nous, si l’on prend
en considération les puissants états toucouleurs déjà consti-
tués. »
Cette opinion est une opinion fantaisiste et peu sérieuse. Au
XVe siècle, il y a longtemps que les Peuhls étaient en Afrique
occidentale et les Peuls ne sont pas des Tziganes (qui sont, eux,
semble-t-til, d’origine hindoue). Mais il faut faire attention que
les Tziganes semblent être venus, eux aussi, jusqu’au Sénégal.
Ce sont peut-être les Bushréens du père Labat, tout à fait dif-
férents, du reste, des Peuls et des nègres. De même, de vrais
juifs étaient venus jusqu’au Massina au IXe siècle de notre ère,
comme nous le savons par le texte du Tarikh-el-Fettach et par
les fouilles de M. Bonnel de Mézières. Avec tout cela, les Peuhls,
pas plus que les nègres, ne sont ni des tziganes, ni des juifs.
Citons encore parmi les opinions grotesques, outre celle qui
ferait descendre les Peuls d’une légion romaine égarée dans le
désert, celle du Dr Lièvre (1882) qui en fait des Gaulois!! Crozals
qui cite cette opinion, (p. 260, en note de son volume sur les
Peuhls),dit : « Parlant des tribus de Gaulois qui, lors de l’émi-
gration en Grèce et en Asie, en 2801 poussèrent jusqu’en Égypte
et des 4.000 Gaulois qui tenaient garnison en 264 dans la seule
ville de Memphis, M. Lièvre ajoute : « Établis dans ces régions
saines et fertiles (plateaux de la Haute Éthiopie), les Gaulois y
sont devenus la souche de toutes ces peuplades blanches du
continent mystérieux qui ont tant étonné les voyageurs. De leur
mélange avec les indigènes sont nées ces races intelligentes
qui ont probablement entre leurs mains l’avenir de l’Afrique :
les Peuhls, Foulahs,Souhahélis» (Revue de Géographie avril, 1882,
p. 309).
En résumé, la théorie juive de l’origine des Peuhls est une
théorie fantaisiste qui doit êire absolument et définitivement rejetée.
Passons maintenant aux théories des vrais savants.

I. Avant Jésus-Christ.
CHAPITRE IV

L’ORIGINE HAMITIQUE INFÉRIEURE

Nous avons examiné, et même longuement, dans le dernier


chapitre, la théorie judéo-syrienne ou juive sur les origines
Peuhles. Maintenant nous allons passer en revue l’opinion des
savants compétents, anthropologistes et linguistes, qui ont porté
la clarté de la science dans l’origine obscure et contestée des
Peuhls.
Ces savants sont principalement :

Mollien 1818
Barth 1855
Faidherbe 1860
Knaetel 1866
Frédéric Muller 1868
Schweinfurth 1874
Hoeckel 1868-1875
.
Hartmann 1876
Topinard 1879
Oscar Lenz 1881
Quatrefage et Hamy 1882
Krause 1883
Hovelacque 1889
Armand de Préville 1894
Dr Tautain 1895
DrVerneau 1897-1899
Deniker 1900
DrLasnet 1900
Machat 1906
Lieutenant Desplagne 1907
Chantre 1917
André Berthelot 1924
G. Montandon 1928
Gautier 1935
Seligmann 1935

Mollien (1818), ce grand explorateur du commencement du


XIXe siècle, a le premier conclu comme la science moderne et de-
vancé ses résultats actuels sur l’origine des Peuhls. A la page 219
de son ouvrage, il distingue, après avoir traité des Yolof (p. 203
à 208) les Peuhls proprement dits ou Pouls rouges des Torodo
qui sont les Toucouleurs proprement dits ou Pouls noirs.
« Voici ce que l’on rapporte, dit-il, sur l’origine des Peuls qui
habitent le Fouta-Toro. Ce peuple, autrefois pasteur et nomade,
occupait une contrée fertile située dans la partie septentrionale
de l’Afrique, dans la direction de Tombouctou. Les Sarrasins,
en s’emparant de ce pays 1, en chassèrent les premiers habitants
qui traversèrent le désert et vinrent s’établir dans la contrée
qu’ils occupent maintenant. Les Sérères, qui en étaient alors
les maîtres, effrayés à la vue de ces hommes montés sur des cha-
meaux, et sur des chevaux, s’enfuirent vers le Sud-Ouest où ils
formèrent les royaumes du Baol et du Sin. Cependant les Maures
s’attachèrent aux pas de leurs ennemis et les poursuivirentjusque
dans leurs nouvelles possessions; et les malheureux Pouls se
virent forcés d’acheter la paix en embrassant la religion de leurs
vainqueurs et en leur payant un tribu de 10 moules 2 de mil
par chef de famille. Depuis ce temps, leurs mariages avec les
nègres Iolofs et Sérères ont donné naissance à une race de mu-
lâtres appelés Torodos; c’est de ces derniers que la province de
Toro, dans le pays de Fouta, a pris son nom qui s’est étendu
ensuite à toute la contrée par l’effet des conquêtes successives
des mulâtres sur les Pouls rouges, qui, forcés enfin de quitter
ces parages, mènent encore la vie nomade de leurs ancêtres dans
les solitudes des royaumes de Bourb-Iolof, de Cayor et de Saloum.
Les Pouls se répandirent aussi dans les régions situées plus à
l’Est. Ils occupent le Massina et plusieurs pays au delà de Tom-
bouctou; le Khasson où ils parlent le Mandingue; le Ouassoulou
où ils sont païens, le Sankaran, le Bondou et le Fouta-Djallon.
Ce fut là le terme de leurs conquêtes au Sud 3. »
Mollien retrace ensuite l’histoire du Fouta-Toro (Déniankés,
marabouts Abdoul, etc.) dans laquelle nous n’avons pas à entrer
ici (p. 211 à 214) et fait diverses observations sur le Bondou
(p. 215-216) : Il passe ensuite au Fouta-Djallon et, après l’avoir
décrit physiquement (p. 216-218), il dit en gros que les Poules
rouges qui conquirent cette contrée sur ses anciens habitants
ajoutèrent à son nom celui de Fouta qui signifie pays des Poules.
Leurs alliances avec les Dialonké ont donné naissance à cette
I. Peut-être invasion arabe de 736 sur le Sénégal et sur Ghana.
2. Ou mieux moudds.
3. Le Sankaran est plus au sud que le Fouta-Djallon et plutôt au sud-est
de celui-ci. Les Peuls y ont peu pénétré et on le compte aujourd’hui pour
un pays Malinké. Voir plus haut pour la pénétrationdes Peuls Ouassoulonkés
dans le Sankaran et même dans le pays Toma.
nation des Poules, Foulahs ou Fellatas qui s’est répandue entre
le Cap Vert et l’Abyssinie. La ressemblance des traits, du carac-
tère et des moeurs de ce peuple avec ceux des Barabras de la Nubie
lui fait penser qu’ils ont une même origine.
Nous remarquerons ici que Mollien rapproche, avec profon-
deur, les Peuls des Barabras de la Nubie. D’autre part, il a l’air
de croire que les vrais Peuls ou Poules ou Phoules ont d’une
part, gagné le Fouta-Toron et d’autre part le Fouta-Djallon.
C’est de cette dernière contrée qu’ils auraient commencé la
marche de l' ouest à l'est, revenant sur leurs pas jusqu’au Tchad
et au delà. Nous n’avons pas besoin de dire que Mollien se
trompe ici : c’est du Fouta-Toron et non du Fouta-Djallon, que
que les Peuhls sont allés au Khasso, dans le cercle de Nioro, dans
le Macina, dans la Nigeria du Nord, etc. Quant au Fouta-Djallon,
il a été colonisé au XVIe siècle en petite partie par des Peuhls
venus du cercle de Nioro (Koli Tenguéla) et surtout plus complè-
tement au xvme siècle par des Peuhls venus du Macina. Une
autre erreur est de croire que le Sankaran est habité par des
Poules païens comme il le dit. Cependant, le Sankaran a dû rece-
voir au XVIIIe siècle (par le Ouassoulou) un certain apport de
Peuhls qui se sont fondus dans la population Malinké.
En résumé, la théorie de Mollien, c’est que les Peuls sont des
Nubiens ou des Éthiopiens de race rouge. Ils vinrent ensuite
dans le Fouta-Toron (sous la pression des Sarrasins) et dans le
Fouta-Djallon d’où ils réessaimèrent dans la direction de l’est.
Barth (1855) ne se prononce pas d’une façon absolument
catégorique sur l’origine des Peuhls, mais il a tout de même son
hypothèse à lui : Crozals 1 dit en effet : « En même temps qu’il
condamne le système de M. d’Eichtal 2, Barth ajoute : « Je suis
moi-même d’avis qu’il faut chercher leur origine dans la direc-
tion de l’est, mais cela se rapporte à une époque entourée d’obscu-
rité. »
Crozals dit encore :
« Barth est disposé à admettre qu’ils ont occupé toute l’Afrique
septentrionale antérieurement à l’âge de l’expansion du peuple
Berbère dans la même région. »
Ceci est évidemment une erreur de Barth car les Berbères ou
Maures ou Kabyles sont très anciens dans l’Afrique du
Nord. La venue des Peuls de l’est à l’ouest (mettons à partir
du VIe siècle av. J.-C.) qui a abouti à leur arrivée sur le Sénégal
1. Les Peuhls (p. 259).
2. L’origine Malayo-Polynésienne.
PL. III.

Femme Peuhle du Fouta-Djallon.


PL. IV.

Jeune Peuhle. (Fouta-Djallon.)


vers 750 après Jésus-Christ, s’est effectuée sans doute bien au
sud du monde Berbère, à la lisière nord ou sud du Sahara. Donc,
cette hypothèse de Barth doit être absolument rejetée. Mais, du
reste, nous ne savons pas exactement quand s’est faite la migra-
tion des Peuhls de l’est à l’ouest.
Enfin, Barth fait une dernière hypothèse, tout à fait invé-
rifiable. Il assimile les Peuhls aux Pyrrhi Aethiopes de Ptolémée
(voir Crozals, p. 264) disant que cela désigne,ces Éthiopiens brû-
lés, « un teint jaune rouge cuivré ». Knoetel, dont nous parlerons
tout à l’heure, met ces Ethiopiens brûlés entre le 33° et le 34° de
latitude nord et de 0° à 3° de longitude ouest, sur les pentes
méridionales de l’Atlas.
En réalité, rien n’est plus en l’air que ce rapprochement des
Peuls avec les Pyrrhi Aelhiopes. Les Pyrrhi Aethiopes, cela veut
dire exactement les Éthiopiens brûlés et non les Éthiopiens cui-
vrés et peut désigner n’importe quelle tribu berbère ou maure
du Sud. Nous devons donc la considérer comme très suspecte.
En définitive, les opinions de Barth sur ce sujet ne sont pas
à l’abri de toute critique : les Peuls viendraient de l’Est afri-
cain (ce qui semble exact) mais auraient gagné le sud du Maroc
où ils auraient été fixés à l’époque de Ptolémée, c’est-à-dire en
150 après Jésus-Christ sous le nom de Pyrrhi Aelhiopes. De là,
ils seraient descendus plus tard, sur le Sénégal et le Fouta-Toron,
sans doute sous la pression des Arabes (750 ap. J.-C.). Tout
cela est très incertain.
L’opinion de Knoelel (1886) est plus critiquable encore que
l’opinion de Barth. Il rejette l’hypothèse de celui-ci (les Pyrrhi
Aelhiopes de Ptolémée) et fait des Peuls des Leuco-Ethiopiens
(Éthiopiens au teint blanc), ce qui me semble devoir s’appliquer
bien mieux aux Algériens ou aux Marocains qu’aux Peuhls.
Quoi qu’il en soit, il voit dans ces Leuco-Éthiopiens de Ptolémée
des Koushites : « Les Éthiopiens, dit-il, c’est-à-dire les Koushites,
doivent (et cela dès le temps de l’antique Égypte) s’être détachés
de l’Indus et, par dessus l’Arabie, être passés en Afrique où
ils ont fondé trois royaumes : le royaume de Méroë, celui des
Garamantes et celui de l'Hespérie, qui s’étendait vers l’ouest
jusqu’à l’Océan. »
En résumé, Knoelel comprend les Peuls dans les Éthiopiens
Koushites, qu’il fait venir de l’Inde, et place les Éthiopiens
Koushites, comme une zone de transition entre les Berbères au
nord et les nègres au sud. Rien n’est plus problématique que cette
position et, d’autre part, on ne voit pas pourquoi les Éthiopiens
de l’Afrique, du sud de l’Egypte, viendraient de l’Inde. Ils ont pu
se former sur place en Éthiopie et en Abyssinie. Crozals expose
dans tous ses détails la théorie de Knoetel (les Peuhls, p. 264 à
266) :
« M. Knoetel, dit-il, voit dans les Peuhls les Leuco-Aethiopes
de Ptolémée. Dans la carte du nord-ouest de l’Afrique, d’après
Ptolémée, qui accompagne son mémoire, il place les Leuco-
Éthiopiens sur le littoral de l’Océan Atlantique du 21 au 24° de
latitude nord. Le Cap Blanc (Hesperium cornu) marque leur
limite au sud. Le rio de Ouro et l’île de Cerné sont tout à fait au
milieu de leurs établissements. Au sud des Leuco-Éthiopiens
s’étendent les Afrikerones, du bassin moyen du Sénégal (Massi-
tholus fluvius) au bassin moyen du Niger 1. L’établissement des
Carthaginois dans l’île de Cerné (dans le golfe, à l’embouchure
du Rio de Ouro) n’avait d’autre but que de nouer des relations
commerciales avec les peuples de l’intérieur. Ce sont les Leuco-
Éthiopiens qui occupaient la côte en face de Cerné. Selon toute
vraisemblance, les Carthaginois étaient entrés en rapports avec
les Leuco-Éthiopiens par l’intermédiaire des Lixites qui les
avaient amenés avec eux. L’île qui avait, selon Ptolémée, envi-
ron mille pas d’étendue, servait de lieu de refuge et de magasins.
L’importance de Cerné comme station commerciale remonte au
6e siècle avant notre ère; elle paraît avoir duré trois siècles au
moins. Ératosthène parle encore de Cerné. Elle déchoit ensuite,
car Strabon met en doute jusqu’à son existence.
« Les
Leuco-Éthiopiens étaient, comme leur nom l’indique
suffisamment, un peuple au teint clair; ils occupaient les régions
que nous savons avoir été habitées primitivement par les Peuhls.
Quand M. Knoetel affirme l’identité des deux races, à défaut de
certitude, il réunit du moins en faveur de sa doctrine, la plus
grande somme de vraisemblance. »
Ce jugement bienveillant de M. Crozals ne sera pas le nôtre.
D’abord, les Peuhls ne sont pas un peuple au teint clair : ils sont
très foncés, moins que les nègres évidemment, un peu moins, mais
c’est tout ce qu’on peut dire. Et d’autre part, il n’est pas prouvé
du tout qu’au 6e siècle avant Jésus-Christ, les Peuhls, venus de
Nubie, aient atteint les bords de l’Atlantique au sud du Maroc.

1. Bien entendu, toute cette géographie est plus que problématique, le


ne semble pas que les anciens aient connu le Soudan, mais simplement II
Maroc et l’Atlas. M. Knoete1 suppose, contrairement à ce qu’a établi magis-
tralement Vivien de Saint-Martin, que les Carthaginois et les Romains au-
raient été jusqu’au Soudan nègre.
Il n’y a là qu’hypothèses très hasardées, pour ne pas dire autre
chose. Delafosse a aussi discuté cette hypothèse que les Peuls
seraient des Leuco-Aethiopes et il la rejette comme nous. Nous
reviendrons du reste sur la question. En résumé, Knoetel fait des
Peuls des Koushites ou Éthiopiens venus de l’Inde qui, par le
sud de l’Arabie, gagnèrent l’Éthiopie et, de là, l’Afrique du Nord
occidentale. Ce qu’il y a de mieux dans cette théorie, c’est son
point de départ (que les Peuls sont des Koushites). Le reste est
fortement douteux.
Nous avons oublié l’opinion de Faidherbe (1860) à placer entre
celle Barth (1855) et celle de Knoetel (1866). Il fait venir les Peuls
de l’Orient asiatique (Inde sans doute) amenant avec eux en
Afrique le boeuf à bosse d’origine hindoue (Bos indicus). Il en fait
donc des Éthiopiens (de l’Inde) comme Knoelel.
Nous passerons maintenant à l’opinion de Friedrich ou Fré-
déric Muller (1868), ce savant linguiste allemand qui est aussi
pour l’origine éthiopienne des Peuhls. Crozals, résumant son opi-
nion, dit (page 25 en note) : « Frédéric Muller rattache les Peuhls
à une race spéciale, la race Nuba ou Nuba-Foulah. Ces peuples,
dit-il, ne sont ni des nègres, ni des Hamites méditerranéens; ils
forment comme un degré intermédiaire entre les deux. Comme
les Cafres, ils servent de transition entre les nègres et les peuples
méditerranéens, mais plus spécialement avec les Méditerranéens
du type hamitique. Il y a toutefois entre les Cafres et les Nuba —
Fulah une notable différence; c’est que les Cafres, au double
point de vue physique et psychique, se rapprochent davantage
des nègres. Les Nuba-Fulah, au contraire, sont plus près des
Méditerranéens; ils s’éloignent d’autant des nègres proprement
dit. »
En définitive, les Nuba-Fulah sont des Hamites inférieurs,
des Koushites, des Éthiopiens, des Nubiens. Ils ne sont ni nègres,
ni Maures ou Berbères. Primitivement établis au nord de la race
nègre, dans l’Afrique du Nord, peut-être dans la région actuelle-
ment occupée par la race Berbère, la race Nuba-Fulah s’insinua
peu à peu dans son domaine actuel, d’où elle s’étendit de proche
en proche vers l’est jusqu’en Nubie, vers l’Ouest, jusqu’à Fouta-
Toro. La langue offre plus d’un point de contact avec les langues
hamitiques.
Telle est l’opinion remarquable de Friedrich Muller à laquelle
il n’y a qu’une chose à reprocher : celle d’avoir supposé que les
Peuls auraient, à un moment donné, occupé dans l’Afrique du
Nord la place des Berbères. Et encore Frédéric Muller dit : peut-
être. En réalité, comme je l’ai déjà dit plus haut, les Berbères sont
en place depuis infiniment longtemps dans l’Afrique du Nord et
avant eux, il y avait les Cro-Magnons (race de Mechta-el-Arbi).
Les Peuls sont bien venus de l’Éthiopie africaine dans l’Ouest
africain à une époque indéterminée, mais ils ont toujours été bien
au sud du monde berbère, et quand ils ont effectué cette migra-
tion (entre le 6e siècle av. J.-C. et le vIIIe après) les Berbères
étaient depuis longtemps dans l’Afrique du Nord.
Nous en venons à l’opinion de Schweinfurth, le célèbre explo-
rateur allemand du Haut Nil (1870). Parlant des Monboullou
(ou Monbuttu) il les rattache aux Pyrrhi-Aethiopes de Ptolémée
et trouve d’autre part d’étroits rapports entre les Monbouttou
et les Peuls. Il admet enfin l’origine orientale de ces derniers
(Grozals, p. 264, en note, extrait de Herzen : Von Africa, 1878,
II, p. 289). Bref les Peuls-Monbouttou seraient venus de l’Est
africain. Quant à l’identification avec les Éthiopiens brûlés de
Ptolémée, nous avons dit plus haut ce que nous en pensions.
N’oublions pas l’opinion du grand Haeckel, naturaliste et évo-
lutionniste illustre, auteur entr’autres chefs-d’oeuvre de VHis-
toire de la Création des Etres organisés d'après les lois naturelles
(éditions de 1868 à 1875). Pour lui, l’humanité doit être classée
d’après les cheveux comme caractère fondamental. Il distingue
donc les Ulotriques (cheveux laineux) et les Lissotriques (cheveux
droits ou bouclés).
Les Ulotriques comprennent les Lophocomes (chevelure dis-
posée en touffes) et les Eriocomes (chevelure disposée en toison).
Dans les Lophocomes, il place les Papous et Mélanésiens d’une
part, les Hottentots et Boschimans de l’autre. Dans les Erioco-
mes il place les Cafres ou Bantous et les nègres du Nord.
Les Lissotriques se divisent en deux groupes, les Euthgcomes
(groupe à cheveux droits et durs) et les Euplocomes ou Euploca-
miens (groupe à cheveux bouclés et doux). Dans les Euthycomes,
il place les Australiens, les Malais, les Mongols, les Esquimaux
et Arctiques, les Américains. Dans les Euplocomiens, il place les
Dravidiens, les Nubiens, les Méditerranéens, etc. C’est dans le
groupe nubien qu’il place les Peuls.
« Le Nubien (Homo Nuba) dit-il, p. 525 de l’ouvrage cité, n’a
pas donné aux ethnographes moins d’embarras que l’homme
Dravidien. Par homme Nubien, j’entends non seulement les vrais
Nubiens (Changallas ou Dongoliens) mais aussi leurs proches
parents, les Foulahs ou Fellatahs. Les Nubiens proprement dits
habitent les contrées du Haut-Nil (Dongola, Changalla, Barabra,
Kordofan) ; de là les Foulahs ou Fellatahs ont émigré vers l’Ouest,
et actuellement, ils occupent une large zone dans le Sud du Sa-
hara occidental, entre le Soudan au Nord et la Nigritie au sud.
Ordinairement, on range les peuplades Nubiennes et Fellahs,
soit parmi les nègres, soit parmi les peuples Sémitiques et Médi-
terranéens; mais elles diffèrent assez des uns et des autres pour
mériter d’être considérées comme une espèce à part. Cette espèce
a vraisemblablement occupé autrefois la plus grande partie de
l’Afrique septentrionale et occidentale 1. La peau des Nubiens
et des Foulahs est d’un brun jaune ou d’un rouge brun, plus rare-
ment d’un brun sombre ou noir; la barbe est beaucoup plus abon-
dante que chez les nègres. Le visage, ovale, se rapproche plus du
type méditerranéen que du type nègre. Le front est haut et
large, le nez saillant et point déprimé; les lèvres sont moins
grosses que celles du nègre. Les idiomes des Nubiens ne semblent
avoir aucune parenté avec ceux des vrais nègres. »
Comme on le voit, Hoeckel fait des Nubiens et des Peuls (qu’il
désigne par le nom Foulah que leur donnent les Mandé et non par
leur vrai nom Foul ou Phoul, au pluriel Phoulbé) une race inter-
médiaire entre les blancs et les nègres, ce que nous exprimerions
en disant que ce sont des Hamites inférieurs ou Koushites ou
Eihiopiens, mais par une singulière idée, et peu concevable, il
sépare ce groupe Nubien (où il range du reste les Barabra comme
les Peuls) du groupe Ethiopien ! En effet, au-dessus des Nubiens
il met l’homme méditerranéen (ou Caucasique ou homme blanc)
et dans ce groupe méditerranéen, il place les Chamo-Sémites (ou
Hamo-Sémites) et les Indo-Européens. Les Hamo-Sémites, il les
divise à leur tour en un groupe sémitique supérieur et un groupe
chamitique inférieur, et enfin dans ce groupe chamitique, il met
les Égyptiens anciens, les Berbères, les Canariens et les Ethio-
piens. Et parmi les Éthiopiens, il met les Bedjas, les Galla, Da-
nakil et Somali. Ainsi, tous ces Hamites inférieurs ou Kouschites
que sont les Bedja, les Galla, les Somali et les Danakil, il les rap-
proche des Hamites supérieurs (Égyptiens ou Berbères) et même
des Sémites (Juifs, Arabes, et même des Indo-Européens), et
il les sépare du groupe Nubien (Nubiens, Dongoliens, Barabras
et Peuls) avec lequel ils ont tant d'affinités, avec lequel ils se
confondent véritablement, car certainement les Galla et les Massaï
sont encore plus négritiques que les Peuls! Il y a là une sorte
d’aberration, difficilement explicable de la part d’un aussi grand

1. Hypothèse peu fondée, comme nous l’avons vu.


savant. En fait, ses Nubiens doivent se confondre avec les Éthio-
piens.
Actuellement, l’on reconnaît parmi les blancs des Indo-Euro-
péens, des Sémites et des Hamites ou Chamites. Et parmi les
Chamites, l’on distingue les Chamites supérieurs ou Chamites
blancs (Marocains, Algériens, Berbères, Kabyles, etc.) des Ha-
mites inférieurs très négritisés que l’on appelle indifféremment
Hamites inférieurs, Kouschites, Éthiopiens ou Nubiens. Et dans
cette branche, l’on range Nubiens, Dongoliens, Barabras et Peuls
comme Bedja, Galla, Danakil et Somali. Du reste,une étude pous-
sée peut établir entre ces tribus des différences somatiques et
elles ne sont sans doute pas également négritisées, mais enfin,
d’une façon générale, la division de ce groupe Kouschite en deux
blocs aussi tranchés que les Nubiens d’une part, les Chamo-Sé-
mites d’autre part, doit être abandonnée.
Quoiqu’il en soit, l’opinion de Hoeckel est très nette. Les Peuls
sont des Nubiens et ne sont ni des nègres, ni des Sémites.
Topinard (1879) dit à son tour que les Peuls sont des rouges :
« A ce type, dit-il, il convient de rattacher une partie des Bara-
bras actuels de la vallée du Nil au-dessus de la première cataracte,
les El-Akmar décrits par Caillaud dans les plaines de Sennaar,
une partie des Danakils, peut-être les Himyarites, bon nombre
de tribus riveraines du Bahr-el-Gazal. Il est possible même que
cette nuance se trouve dans des groupes de populations sur les
bords du Zambèze et dans le Congo. Mais le représentant le plus
important de ce groupe particulier paraît être le groupe Peuhl.
Cette teinte de la peau s’associe à la dolichocéphalie et à des che-
veux noirs et lisses. »
Hartmann (1876) divise les races de l’Afrique en trois groupes :
1° Berbères;
2° Éthiopiens (Abyssins, etc.);
3° Nigritiens ou Nègres.
Il ajoute à ces trois groupes un groupe intermédiaire (entre le
second et le troisième, donc entre les Éthiopiens et les Nègres)
qui comprend :
Les Tibbou ou Tedda,
Les Monbouttou,
Les Somali et Galla,
et les Peuls.
Il fait donc des Peuls des Sous-Ethiopiens, bien différents des
Nègres comme des Berbères : « Les origines du peuple Peuhl sont
obscures, dit-il, mais on peut tenir pour établi qu’il s’est combiné
dans le cours des siècles en partie avec les Berbères, en partie
avec les Nigritiens proprement dits. »
Les deux anthropologistes français, Armand de Qualrefages
de Bréau et Hamy s’occupent des Peuls dans leur « Crania Eth-
nica » (1882).
« Les Peuls, disent-ils,sont considérés par la plupart des ethno-
logues comme alliés intimement aux Egyptiens, tout en offrant
des marques plus ou moins apparentes de mélanges avec les
populations noires au milieu desquelles ils se sont graduellement
établis.
« Un crâne peulh que nous devons au Dr Bancal, de Saint-Louis
du Sénégal, présente en effet des caractères mixtes qui répondent
bien aux données acquises sur l’Éthnogénie de cette population. »
Naturellement, quand Quatrafages et Hamy rapprochent les
Peuhls des Égyptiens, il s’agit des plus anciens Égyptiens.
De Quatrefages dit encore, dans son Histoire Générale des
Races Humaines : Introduction 1 Paris, Hennyer, (1889) : « Les
Peuls, dont le point d’origine est encore à déterminer, me parais-
sent un rameau des races sémitiques à teint plus ou moins foncé
qui habite l’Est de l’Afrique centrale » (p. 399).
Il y a ici évidemment un mot de trop : sémitiques, car ces races
à teint plus ou moins foncé qui habitent à l’Est de l’Afrique sont,
non pas des Sémites, mais des Hamites inférieurs ou Kouschites.
Évidemment, Quatrefages et Hamy qui veulent rattacher les
Peuhls aux Égyptiens ou aux Sémites, marquent une régression
sur Hoeckel, Topinard et Hartmann.
Oskar Lenz dans Timbouctou (1879-1881), traduction française
Lehautcourt (1886-1887) rejette l’origine malaise (t. II; p. 270)
et se rallie aux idées de Friedrich Muller.
« Friedrich Muller pourrait avoir trouvé juste, dit-il, en réu-
nissant les Nouba et les Foulani dans un groupe particulier qu’il
nomme Nouba et qu’il partage en moitiés occidentale et orien-
tale. Il dit : « Sous l’expression de Nouba, ou plus exactement
de race Nouba-Foulah, nous comprenons un groupe de peuples
qui habite dans le nord de l’Afrique, partie au milieu des nègres,
partie à la lisière de leur pays, et qui se distinguent d’eux autant
par leur complexion physique que par certaines particularités
ethnologiques. Les Foulah à l’ouest et les Nouba à l’est peuvent

1. Cette introduction seule a paru. C’est du reste un gros volume. Des


volumes à part devaient paraître sur les Peuls et les différentes races nègres
de l’Afrique occidentale. Ils n’ont jamais vu le jour et c’est dommage. C’est
le DE Tautain qui devait faire l’ouvrage sur les Peuls.
passer pour leurs représentants principaux. Ces peuples ne sont
ni des nègres, ni des Hamites méditerranéens, mais une race
intermédiaire. Comme les Cafres, ils forment également la tran-
sition de la race noire à la race méditerranéenne et, spécialement,
dans ce dernier cas, au type hamitique. La différence entre eux
et les Cafres consiste pourtant en ce que ceux-ci sont plus près
des nègres que des Méditerranéens; aussi bien sous le rapport
physique que comme état moral, les peuples Nouba-Foula se
rapprochent plus des derniers que des véritables nègres » »
Oskar Lenz passe ensuite à l’opinion de Krause.
Celui-ci rejette l’opinion de l’origine arabe comme une pré-
tention légendaire inadmissible des Peuls et conclut que ceux-ci
sont d’anciens Hamites ou des Proto-Hamites qui auraient noma-
disé dans l’extrême sud de l’Afrique du Nord à la lisière Nord du
Sahara et qui auraient été chassés de là vers le Sud-Ouest (Sou-
dan nègre) par les Touaregs. Krause identifie les Peuls aux Djab-
bar ou Kel Yérou qui auraient été les ancêtres des Foulbé actuels
(Timbouctou par Lenz, p. 272-273).
Hovelacque (Les Nègres de l'Afrique sus équatoriale, Paris, 1889)
dit : « Il ne faut pas oublier d’autre part qu’au coeur même du
pays des nègres, occupant une grande partie de la région située
entre le Tchad et l’Atlantique, a pénétré et s’est installée une
population conquérante, de race rouge, les Peuls ou Pouls, ori-
ginaires de l’Est et qui n’ont rien de commun avec les races au
milieu desquelles ils se sont violemment établis. Le territoire des
Peuls, qui a une longueur d’environ 150 lieues, est coupé à mi-
chemin par le Niger. La population Peuhle est incontestablement
supérieure à celle des noirs; partout où elle a rencontré cette der-
nière, elle lui a fait subir son influence et, au point de vue ethni-
que, nombre de peuplades métisses se forment aujourd’hui, grâce
au mélange des deux races, la noire originaire et la rouge enva-
hissante. » (p. XIII).
C’est là un excellent résumé dans lequel il n’y a qu’un mot à
retrancher, le mot violemment pour caractériser le mode d’intro-
duction des Peuls parmi les nègres. En fait, les Peuls se sont tou-
jours introduits, insinués peu à peu et pacifiquement parmi les
nègres. Mais, une fois assez nombreux et assez forts, se groupant
souvent derrière l’idée musulmane, ils lèvent l’étendard de la
révolte, et, plus intelligents et plus capables de discipline que les
nègres, ils les battent et les soumettent, formant de petits em-
pires. Ils s’introduisent donc d’abord pacifiquement, mais il est vrai
que la conquête vient toujours ensuite.
Les Peuls ont été dans l’Afrique occidentale un puissant élé-
ment de régénérescence des nègres : c’est à eux que les nègres de
l’Ouest africain doivent de ne pas être des nègres purs, progna-
thes, stupides, au nez affreusement écrasé, aux lèvres en rebord
de pot de chambre, etc. etc. Les Peuls ont évidemment amélioré
le nègre de l’ouest africain au point de vue physique et au point
de vue psychologique.
Après la théorie d’Hovelacque (1889) nous pouvons citer l’opi-
nion d’Armand de Préville (1894). Celui-ci est un sociologue de
l’école de Le Play et d’Henri de Tourville et non un anthropo-
logiste. Cependant, comme il a bien analysé les Peuls et les con-
naît bien, son opinion est intéressante. Il en fait des pasteurs
bouviers (boeufs à bosse) d’origine éthiopienne.
La théorie du Dr Taulain (1895) et celle du Dr Verneau (1897-
1899) ont été admirablement résumées par M. Machal en 1906,
dans son ouvrage : Les Rivières du Sud et le Fouta-Djallon (p.273).
Nous donnerons donc ici l’ensemble des opinions de Tautain
(1895), de Verneau (1899) et de Machat (1906).
« M. le Dr Tautain, dit
Machat, avait déjà fait quelques men-
surations sur des Foulbé vivants, sur des crânes de provenance
authentique et indiqué scientifiquement le premier 1 un rapport
avec les populations de la Haute-Égypte et de la Nubie, consta-
tation d’ailleurs en accord avec les légendes Foulahnes repro-
duites par Hecquard et Olivier de Sanderval 2. Ce résultat a
récemment été confirmé. M. le Dr Verneau étudiant des crânes
rapportés du Fouta-Djallon par MM. Miquel et Maclaud, 3 a pu
reconnaître en eux les mêmes types que présentent ceux des
Éthiopiens et des anciens Égyptiens, ancêtres des Fellahs actuels.
C’est bien par l’est, selon lui, que les Foulbés ont venus peu à peu
jusqu’au Sénégal (Dans l’Anthropologie, 188, p. 658-662). Le
linguiste Muller a, de son côté, rattaché la langue des Foulbé (le
« foulfouldé
» )
au Nouba que parlent les habitants du Kordofan.
Et ainsi se trouve fermée la porte aux hypothèses souvent gra-
tuites sur l’origine de ces tribus. »
1. Ceci est faux, comme nous avons pu le voir ci-dessus. Depuis Mollien
(1818), le rapprochement avec les peuplades de la Haute Égypte et de la
Nubie avait été fait par de nombreux et authentiques savants.
2. Nous avons vu plus haut ce qu’il en était de ceci. En fait les Peuls ne
savent rien de leurs véritables origines. Leurs marabouts musulmanisés veu-
lent surtout, par vanité, les rattacher aux Arabes de Mahomet et même à
l’Ancien Testament!
3. Ce sont les crânes peuhls livrés par la bataille de Porédaka (1896) où
fut vaincu et tué l'almamy Bokar Biro et où sombra l’indépendance du Fouta-
Djallon sous les coups de la France.
Cette page vigoureuse résume les opinions du Dr Tautain, le
grand et définitif travail du Dr Verneau de 1897-1899 et l’opi-
nion de M. Machat lui-même.
Le Dr Lasnet, à la même époque (Une mission au Sénégal, 1900,

p. 37 à 39) dit :
« Tout récemment, le Dr Verneau, du Museum, a pu faire l’étude
de plusieurs crânes rapportés du Fouta-Djallon par le Dr Miquel
médecin de Ire classe des Colonies : il a montré que les Peuls se
rattachent intimement aux Éthiopiens et que les uns et les autres
présentent deux types, l’un caractérisé par l’ovale régulier de la
voûte crânienne et l’autre par sa forme pentagonale due à la forte
saillie des bosses pariétales, en même temps que par le surbais-
sement de la partie supérieure de la tête; il a prouvé, en outre,
que ce dernier type se trouve fréquemment dans les séries des
crânes anciens de l’Égypte... »
A cette opinion sérieuse qu’il fait sienne, le Dr Lasnet ajoute
quelques opinions plus ou moins fantaisistes qu’il amalgame avec
celle-ci. Ainsi, pour lui, les Peuls sont les Leuco-Éthiopes de Pto-
lémée (IIe siècle ap. J.-C.) et ils ont été auparavant les 240.000 sol-
dats égyptiens qui, sous le règne de Psammétik, abandonnèrent
l’Égypte pour aller s’établir en Nubie (6e siècle av. J.-C.) De là
ils auraient gagné le sud du Maroc où ils seraient devenus les
Leuco-Aetiopiens, puis enfin le Sénégal où ils seraient devenus
les Peuls que nous connaissons.
Pour moi, l’opinion qui fait descendre les Peuls des 240.000 sol-
dats sécessionnistes de Psammétik est une opinion excentrique
et peu sérieuse. Quant au fait que les Peuls seraient les Leuco-
Éthiopiens de Ptolémée,elle n’est guère plus sérieuse quoiqu’elle
ait été soutenue par un certain nombre d’auteurs. C’est peut-être
ici le moment de nous appesentir un peu sur cette opinionqui a été
celle d’auteurs distingués (Knoetel, Crozals, Morel, etc.)M.Crozals,
particulièrement, esprit prudent et réservé, bien documenté sur
la question Peuhle, puisqu’il a consacré un volume aux Peuls en
1883, se prononce pour cette identification,rejetée d’autre part
par Barth (qui aime mieux identifier les Peuls aux Pyrrhi-Aethio-
pes, Éthiopiens brûlés de Ptolémée, — et cela non sans raison,
les Peuls étant excessivement foncés) et par Delafosse. Quels
sont les arguments de Delafosse à ce sujet? — de Delafosse qui
combat cette identification? Le premier est que les fleuves Sta-
chir et Darados du Périple d’Hannon ont été mal identifiés. Du
Darados on a fait le Sénégal et du Stachir la Gambie! Mais, dit
Delafosse avec raison (H.-S.-N., tome I, p. 207).il est très pro-
bable que le Darados n’a jamais été que l’Oued-Draa actuel et le
Stachyr le Seguiet-el-Hamra ou une rivière voisine. Nous voici
donc ramenés de l’Afrique occidentale au Sud Marocain et les
populations blanches de ces fleuves vues par Hannon étaient tout
simplement des Maures. Deuxièmement, les anciens désignaient
sous le nom de Leuco-Aethiopes toutes les populations blanches,
Maures ou autres, qui étaient au Sud de l’Algérie, de la Tunisie,
du Maroc, de la Tripolitaine et de l’Égypte, par opposition aux
nigritiens purs, aux nègres, bref aux Ethiopiens Camus (comme
les appelle Diodore de Sicile).
Ces deux arguments de Delafosse me semblent excellents et
me paraissent trancher définitivement la question contre l’assi-
milation, malheureuse, à mon avis, des Peuls avec les Leuco-
Aethiopes. Nous donnerons donc tort au Dr Lasnet qui, en 1900,
soutient encore une fois et tardivement cette identification aven-
turée.
A part ces fantaisies pseudo-historiques, le Dr Lasnet se rat-
tache à l’opinion du Dr Verneau et à l’origine Nubio-Éthiopienne
des Peuls.
Pour Desplagnes (Le plateau central nigérien, 1907), les Peuls
sont, conformément à l’analyse des crânes peuls du Dr Verneau
de 1899, des Éthiopiens. De même la langue peuhle se rattache
au Nouba de Kordofan (opinion des linguistes Cust et Muller).
On ne peut être plus net et le lieutenant Desplagnes, qui est sou-
vent un écrivain fantaisiste, amateur des hypothèses les plus
hasardées, se montre ici d’une sagesse exemplaire.
André Arcin (La Guinée Française, 1907, pp. 225 à 231) déve-
loppe copieusement sa théorie des origines Peuhles.
Il marque d’abord fortement que les Peuhls sont venus du nord
au sud dans la dernière partie de leur exode à partir de l’Éthio-
pie. Ils sont venus primitivement de l’est par la lisière Nord du
Sahara jusqu’au sud Marocain. C’est de là qu’ils seraient descen-
dus sur le Sénégal. Il les montre d’abord établis à Tischitt, oasis
située au nord-ouest de Oualata et au sud-est de l’Adrar, c’est-à-
dire à mi-chemin du Hodh et de la Mauritanie. Actuellement, ce
sont des Maures qui sont établis à Tischitt. Plus anciennement,
les Peuls étaient, suivant lui, dans le Maroc méridional, le Tafi-
lalet et le Touat. Là aussi, ils auraient été chassés et remplacés
par des Maures.
Cela s’est fait, du reste, il y a très longtemps.
André Arcin rejette la théorie de Félix Dubois (Dans Tom-
bouctou la mystérieuse) qui fait, il est vrai, accomplir aux Peuhls
les mêmes étapes, mais seulement à la fin du XVe siècle de notre
ère, quand les Maures d’Andalousie furent chassés de Grenade
(1492) et rejetés en Afrique, rejetant eux-mêmes les Peuhls plus
au sud. André Arcin dit qu’il y a beau temps, en 1492, que ce
refoulement avait eu lieu.
« Nous voyons, dit-il, les Foula solidement établis à Tischit
parmi les nègres 1. Or Tischitt est une oasis située à l’ouest de
Oualata, sur la route de cette ville à Ouadan, entre le plateau.
d’El-Hodh au sud et le désert d’El-Djouf au nord. C’est à l’heure
actuelle la capitale de la tribu des Kountah, fraction des Zénata.
Les Berbères occupaient auparavant le Maroc méridional, le Tafi-
lalet et le Touat « où ils avaient subjugué une race plus ancienne
autochtone ». Le Chatelier).
« Cette race ancienne autochtone n’est-elle pas la race Foula
qui descendit à cette époque dans le désert et vint occuper Tis-
chitt et Oualata? Plus tard, les Kountah à leur tour,pour fuir les
Almohades et les Arabes, descendirent, en groupes nombreux,
vers les oasis de Tischitt d’où ils refoulèrent à nouveau les Foula,
s’emparant des riches mines de sel de l'Idgil.
« ...Tout ceci ne coïncide-t-il pas avec ce que nous apprend le
Tarikh 2 sur le pays d’origine des Foula qui, d’après lui, serait
aussi le pays de Tischitt? L’on comprend aussi la tradition de
certains marabouts Foula qui fait sortir ce peuple d’un pays
appelé Faz ou Zan (Fez et probablement Ouezzan). De son côté,
la famille des Férobé Foula dit descendre de Tioret ou Toirirt,
probablement le Taourirt qui se trouve au sud de Touat.
« Tout ceci répond à la tradition des Homr, Hamr ou
Beni
Hamran, ces Foula du Fôr, qui prétendent venir du Maroc et qui
se distinguent des autres habitants par le respect qu’ils témoi-
gnent à leurs femmes (Élisée Reclus). Ce nom Hamr suffirait à
lui seul pour nous renseigner sur leur origine. Il signifie « les
rouges » « (p. 228).
Ainsi, les Peuls, chassés par les Maures, seraient venus du sud
du Maroc dans l’Adrar (Tischitt) puis de là sur le Sénégal et c’est
du Fouta-Toron qu’ils auraient commencé leur grande expansion
historique vers l’est.
Mais quelle est, pour M. Arcin, l’origine lointaine des Peuls?
Il en fait, nous venons de le voir, des rouges ce qui indique une
origine africano-orientale ou éthiopienne. Il cite les observations
anthropologiques de M. Chantre. (Recherches anthropologiques
1. Jadis bien entendu puisque Tischitt est aujourd’hui maure.
2. Il s’agit du Tarikh-es-Soudand’Es Sadi.
en Egypte, 1904) qui concluent à la presque identité des Éthio-
piens, des Berbères et des anciens Égyptiens. Parlant des Nu-
biens, M. Chantre dit que, par une de leurs tribus, les Barabra
ils se rapprochent des Berbères de la Tunisie, de l’Algérie et de la
Tripolitaine. S’appuyant sur cette autorité, André Arcin fait
donc des Peuhls des Éthiopiens venus de l’Est par la lisière nord
du Sahara. Il s’attache à montrer que cette route offre des pâtu-
rages suffisants pour un peuple pasteur et a pu très bien être sui-
vie par les Peuls (p. 230).
André Arcin (qui est très éclectique, il faut le dire) rattache
aussi les Peuls au peuple de Phout. C’est là, pour lui, leur plus
ancienne origine. Page 161 de son ouvrage, il parle de ces popu-
lations rouges : « Ces dernières, dit-il, étaient les enfants de Fouth
dont parle la Bible et dont on retrouve le nom sur les inscrip-
tions de Misraïm. Ils semblent avoir été une des variétés de la
race égyptienne, rejetée de l’Égypte à la suite de la prise de pos-
session du pouvoir par une autre sous-race à une époque qu’il
n’est pas possible de préciser. Toujours est-il que ces frères enne-
mis sont constamment en lutte et que les fils de Phout sont l’objet
de continuelles attaques des Pharaons dont l’un se fait qualifier
de « Taureau blanc qui a mis en fuite les peuples de Fouth ». Ces
rouges dont une partie se mélangea aux nègres des pays où ils
s’établissaient, ne tardèrent pas à créer une nouvelle race, que
l’on pourrait appeler les Proto-Lybiens 1... Les rois Perses qui
vinrent en Égypte suivirent, tant à l’égard des Éthiopiens que
des Lybiens, les habitudes prises par leurs prédécesseurs et firent
chez eux plusieurs expéditions dont quelques-unes sans grand
succès. Ceux des Phout ou Foula qui, peu ou point métissés et
ayant conservé leurs habitudes de pasteurs nomades, ne voulurent
pas se plier aux exigences des vainqueurs, se réfugièrent vers
l’Occident, dans le Maroc, d’où ils descendirent plus tard dans
l’Adrar et dans le Oualata pour former un des importants fac-
teurs de l’Ethnologie soudanaise» (ouvr. cité, p. 161-162).
En définitive, les Peuls seraient le peuple de Phout dont parle
la Bible à plusieurs reprises et qui vivaient, d’après André Arcin,
au nord-ouest de l’Égypte. Chassés par les rois perses, au 6e ou
au 5e siècle avant Jésus-Christ, ils auraient gagné, par la lisière
nord du Sahara, le Maroc sud et de là seraient descendus par
étapes sur le Sénégal sous la pression des Maures 2.
1. Je laisse, bien entendu, à M. André Arcin, la responsabilité de ces hypo-
hèses très aventurées.
2. M. André Arcin dit encore (p. 159 et suiv., 228 et suiv.) que le peuple
Enfin, notons que l’éclectisme excessivement large de M. André
Arcin lui fait admettre une parenté des Peuhls avec les Hycsos( !) ! !

qui ont pu fournir certains éléments à la race (p. 229, en note).


Il dit aussi (p. 167) : « Vers 1900, les Hycsos, les farouches pas-
teurs, sont rejetés de l’Égypte. Une partie se retire en Asie, mais
un grand nombre envahit la Lybie. Toutmès Ier les poursuit en
Asie. Toutmès III, un de ses successeurs les attaque du côté de
l’Afrique et pousse ses conquêtes jusqu’au coeur de l’Algérie
(stèle découverte à Cherchell). »
Nous laissons aux Égyptologues le soin de décider si Thout-
mès III (15e siècle av. J.- G.) a réellement poursuivi les Hycsos
en Lybie. En tout cas, actuellement, ce n’est pas en 1900, mais
vers 1580, que l’on place la sortie de l’Égypte des Hycsos. Pour
le reste, il ne semble pas sérieux d’apparenter ces Asiatiques
venus sans doute du Mitanni (éléments Aryens mélangés à des
éléments Sémitiques pasteurs) avec les Peuls qui sont des Kous-
chites très inférieurs. L’hypothèse que les Hycsos ont quelque
chose de commun avec les Peuls est une de ces hypothèses pres-
que aussi ridicules que celle qui fait descendre les Peuls d’une
légion gauloise établie en Égypte ou d’une légion romaine égarée
dans le désert.
En définitive, le système d’André Arcin est celui-ci : Les Peuls
sont le peuple de Phout, rejeté des confins d’Égypte par les rois
Perses (du 6e au 5e siècle av. J.-C.) et venu, par la lisière nord
du Sahara, au Maroc. De là, il serait descendu par étapes, pressé
par les Maures dans le nord du Soudan nègre. Établi fortement
en dernier lieu au Fouta-Toro, il aurait repris de là son essaimage
vers l’est jusqu’au Tchad, dans les temps historiques (du VIIIe au
XIXe siècle de notre ère).
Remarquons que la théorie qui fait des Peuls le peuple de Phout
ne date pas de M. André Arcin (1907). C’est la seconde théorie de
G. d’Eichtal (1842) qui, comme on le sait, faisait des Peuls des
Malayo-Polynésiens. Sa seconde théorie identifie les Peuls au
peuple de Phout.
« D’après la ressemblance de nom et la concordance des posi-

de Phout, mentionné par la Bible, était analogue, en ses éléments ethniques


généraux au peuple de Koush, mais que, au lieu d’être situé, comme celui-
ci, au sud de l’Égypte, il l’était, lui, à l’ouest de l’Égypte sur la lisière nord
du Sahara. C’est ce peuple de Phout mélangé d’éléments nègres, blancs et
rouges (Nubiens) mais où aurait prédominé le sang rouge (Nubiens) qui se
serait transporté lentement, par la lisière nord du Sahara, au sud du Maroc,
d’où il aurait gagné à travers la Mauritanie, et en descendant du nord au
sud, la région du Sénégal.
tions géographiques, il me paraît extrêmement probable que
Pout ou Phout est le même peuple que les Poules ou Foulahs que
nous voyons toujours désignés en tant que formant un corps de
nation, sous le nom de Foula (Phout) et, qui, à une époque plus
ou moins éloignée, ont occupé le Dar-Four et même l’extrémité
méridionale du territoire de Méroé. D’ailleurs, la prophétie de
Nahum se place entre l’époque de la destruction du royaume
d’Israël et celle de la destruction de Ninive, c’est-à-dire au com-
mencement da 8e siècle avant l’ère chrétienne. Si ce passage s’ap-
plique réellement aux Foulah, nous aurions la preuve de l’exis-
tence de ce peuple en Afrique à l’époque dont nous venons de
parler. »
Remarquons que la destruction du royaume d’Israël est en
réalité de la fin du 8e siècle avant notre ère et celle de Ninive se place
vers 605 avant Jésus-Christ. En mettant entre ces deux dates la
prophétie du Nahum, on obtient le 7e siècle avant Jésus-Christ
et non le commencement du 8e comme le dit d’Eichtal. Mais
c’est là un détail.
Cette théorie que le peuple de Phout (proche parent du peuple
de Koush) ce serait les Peuls, n’est pas du tout absurde; elle est
même très admissible; elle forme, nous l’avons dit, la seconde
théorie de d’Eichtal sur l’origine des Peuls et elle est même fort
supérieure à la première. Elle a été relevée, on le voit, par André
Arcin et soutenue aussi par Delafosse, nous l’avons vu plus haut,
dont elle est également la seconde théorie (la première étant que
les Peuls sont des Judéo-Syriens). Par une rencontre curieuse,
la seconde théorie de d’Eichtal et la seconde théorie de Delafosse
coïncident et sont très préférables (ou mieux : elle est très pré-
férable) à la première théorie de d’Eichtal comme à la première
théorie de Delafosse. Il est curieux, en effet, de se rappeler que
les Peuls ont toujours appelé Phouta ou Foula les pays où ils se
sont établis : Fouta-Toron, Fouta-Djallon, Foula-Damga (ouest
du cercle de Nioro) etc, etc. On peut donc en inférer que les Phout
de l’antiquité, voisins alors de l’Égypte, sont les gens des pays
« Fouta » ou Peuls des temps modernes qui, venus de l’est éthio-
pien, descendirent sur le fleuve Sénégal au VIIIe siècle après Jésus-
Christ.
Pour mon compte, cela me semble assez probable, et s’accorde
bien par ailleurs avec la théorie anthropologico-scientifique sur
les Peuls et leur origine Nubio-Éthiopienne.
Chantre dans sa : Contribution à l’étude des races humaines du
Soudan Occidental (Sénégal et Haut-Niger), publiée en 1918 à
Lyon chez Rey, donne aux Peuls, comme nous l’avons vu dans
le chapitre Ier, une taille moyenne de 1 m. 67, ce qui est, peut-
être, un peu bas, mais bien supérieur aux exagérations en sens
contraire de Verneau et de Deniker (1 m. 74,1 m. 75) et, rappro-
chant les Peuls des Bedja, il dit (p. 28) que les affinités des deux
peuples sont fort grandes : après avoir donné aux Bedja une taille
moyenne de 1 m. 65, un indice céphalique horizontal de 77 (76,88
exactement), un indice nasal de 92, il ajoute que les rapports
incontestables qui relient ces deux populations portent :
1° sur la couleur de leur peau, qui n’est pas noire, mais rou-
geâtre;
2° sur la nature de leurs cheveux qui ne sont pas laineux;
3° sur leurs indices principaux qui ne diffèrent souvent que de
quelques millimètres;
4° sur des nombreux caractères ethnographiques qui leur sont
communs 1.
On voit donc que Chantre met ensemble, systématiquement,
Bedja et Peuls et prend ainsi parti très nettement pour l’origine
Nubio-Éthiopienne. C’est une haute autorité qui s’ajoute à celle
des Verneau, Deniker et tant d’autres.
Deniker, le célèbre anthropologiste, a toujours été partisan de
l’origine éthiopienne des Peuls. Cela, dès 1900 2. Dans Les races
et les peuples de la terre (édition 1926), après avoir étudié les Éthio-
piens ou Kouschito-Khamites (p. 533 et s.), il donne un groupe
Foulah-Sandé (p. 538) qui provient du mélange des Ethiopiens
avec les Nigritiens. Les Peuls forment la division occidentale de
ce grand groupe Foulah-Sandé.
« Le groupe occidental de la grande division
Foulah-Sandé,
dit-il, est formé d’une population plus homogène de type et de
langue que les Sandé, mais dispersée par îlots au milieu des nègres.
Ce sont les Foulbé ou Peuls parlant la langue Foulbé ou Poular :
c’est un idiome agglutinant à suffixes très mélodieux (on l’a sur-
nommé l’italien de l’Afrique), à vocabulaire très riche et nuancé.
Il participe des caractères communs à la plupart des langues nè-
gres-soudaniennes et présente même un parallélisme remarquable
avec le groupe Voltaïque et les groupes bantou; ainsi il possède
1. Il faut noter pourtant que les Peuls ont un indice céphalique horizontal
plus faible que celui des Bedja : 73 ou 74 et non pas 77. De plus, la couleur
dite rougeâtre, si elle se confond avec la couleur brun chocolat de la peau,
est celle de nombreuses tribus nègres dans l’Afrique occidentale —de toutes
même — sauf les Ouolof qui, eux, sont beaucoup plus noir cirage que les
autres nègres de l’A. O. F.
2. Mais en 1900, il leur donnait une origine mixte Berbéro-Ethiopienne.
17 classes de noms (12 pour le singulier et 5 pour le pluriel) ayant
chacune un prénom et un suffixe spécial, be pour le pluriel de la
classe des hommes, dam (au singulier) pour la classe des liqui-
des, etc. Meinhof rapporte la langue des Peuls au groupe Hami-
tique, mais selon Delafosse, c’est une langue nègre spéciale, ne
comprenant presque pas d’éléments Khamitiques 1. Le vrai nom
du peuple est Foul-bé (au singulier Poullo, ce qui veut dire, d’après
Sadew, « les éparpillés » en leur propre langue). Les Mandingues
les appellent Foula, les Haoussa Foulani, les Kanouri Fellata.
C’est une population mélangée dont le fond est éthiopien, mais
avec prédominance 2 suivant les régions, soit des éléments arabes
et berbères, soit des éléments nègres. Il existe aussi chez les Peuls
plusieurs clans et aussi des castes dont certaines comme les Laobé
(bûcherons et artisans en bois) ne portent pas le nom de Peuhls »
(p. 542).
Comme on le voit, Deniker fait, en gros, des Peuhls, dans la
dernière édition de son livre, des Éthiopiens pour le fond, mais
contaminés ici et là par des mélanges avec les Berbères ou avec
les nègres.
M. André Berthelot dans l'Afrique Saharienne et Soudanaise :
ce qu'en ont connu les anciens (Paris, Payot, 1927) dit des Peuls :
« Quoique l’habitat des
Éthiopiens paraisse géographiquement
localisé à l’est de l’Afrique, il y a de fortes raisons de rattacher
à ce groupe humain les populations à teint cuivré ou bronzé, nez
droit, qui, d’une extrémité à l’autre du Soudan, sont mélangées
avec les nègres : tels sont les Peuls ou Foulbé, depuis le Fouta-
Djallon jusqu’au Bornou et, plus proches peut-être des nègres,
les Nubiens modernes, ou Barabra, descendants présumés d’un
croisement d’Éthiopiens, d’anciens Égyptiens et de noirs » (p. 53).
Il dit encore :
« Au Soudan Oriental, le
Kordofan septentrional comprend
un noyau montagneux faiblement cultivé entre deux pays de
steppes : celle du nord où prévalent les Kébabich (chévriers),celle
du sud parcourue des Baggara (vachers). Ces nomades se préten-
dent Arabes, bien que les Baggara soient des rouges indiscutables,
voisins de la race éthiopienne et ressemblant ainsi aux Peuls du
Soudan occidental » (p. 71).
verra plus loin que, définitivement, c’est Cust, Muller et Meinhof
1. On
qui ont raison contre Delafosse.
2. Ce mot prédominance est mal choisi, puisque Deniker vient de nous
dire que le fond de la race peuhle est éthiopien. Il veut dire qu’il y a contami-
nation de la race Peuhle, suivant les endroits, par des éléments Berbères, ou
bien, au contraire, par des éléments nègres.
Il dit encore : « Le foula, langue des Peuls, a été souvent rap-
proché des langues hamitiques parce qu’il possède deux genres,
le rationnel et l’irrationnel et une remarquable harmonie des con-
sonnes, mais on admet que c’est une langue nègre qu’ils ont em-
pruntée aux Toucouleurs. »
En définitive, M. André Berthelot admet que les Peuls sont
des Éthiopiens, des rouges, et les rapproche des Barabra et des
Baggara, mais il admet aussi la théorie de Delafosse que leur
langue est une langue nègre empruntée aux Toucouleurs. Ainsi,
somatologiquement, ils sont des rouges, voisins de la race éthio-
pienne, et linguistiquement ils sont des nègres (par emprunt
d’une langue nègre).
G. Montandon dans L'Ologenèse Humaine (Paris, Alcan, 1928)
parle des Peuls, d’abord de la stature (p. 248). Il donne :
Peuls de Sokoto.
. .
1 m. 62 (10 individus) Bertholon et Chantre
Peuls 1 m. 67 (39 — ) Chantre, 1918
Peuls 1 m. 71 (20 — ) Deniker et Collignon.
ce qui fait, en additionnant les 3 séries, 1 m. 67 en moyenne.
Il leur donne 75 d’indice céphalique horizontal (75-3 et 74-6),
page 270.
Enfin, il leur donne pour Vindice nasal (83, 99 et 100) une
moyenne de 94, ce qui indique bien de la platyrhinie quoique ce
ne soit pas de l’ultra-platyrhinie.
Montandon met les Peuls parmi les races Pan-Ethiopiennes où
il bloque également les Barabra, les Danakil, les Somali, les Abys-
sins, les Galla, les Massaï et les Bahima.
On pourrait distinguer dans ce groupe des Éthiopiens supé-
rieurs (Abyssins) et des Éthiopiens inférieurs (Barabra, Peuls,
Massaï, etc.)
M. Gautier, dans son livre tout récent sur l’Afrique Noire occi-
dentale (Paris, Larose, 1935) paru dans les Publications du Comité
d’Etudes Historiques et Scientifiques de l’Afrique Occidentale Fran-
çaise) parle des Peuls avec beaucoup de pittoresque et de péné-
tration (à son habitude), mais ne semble pas avoir fixé d’une façon
particulière son attention sur le problème de leur origine. Il semble
hésiter entre une origine nubienne et une origine méditerranéenne,
c’est-à-dire entre une origine Hamitique inférieure (ou Kouschi-
tique) et une origine Hamitique supérieure. Il dit en effet :
« Les érudits ont
discuté sur l’origine mystérieuse des Peuhls.
En général, on les fait venir de l’Est, du Soudan égyptien. En
effet, le Peuhl a un peu l’aspect physique du Nubien. Le Sou-
dan égyptien semble être la patrie originelle du boeuf à bosse »1
(p. 170).
Il dit encore :
« Il faut s’arrêter à ce nom de Peuhl. Aucune autre peuplade
de l’Afrique Occidentale n’a excité au même degré la curiosité.
« Ils sont uniques par leur type physique. Malgré la couleur de
leur peau noire, qui garde d’ailleurs des teintes claires chez quel-
ques-uns, l’aspect général est bien plutôt méditerranéen que
nègre : traits réguliers et fins, stature du corps élancée et même
grêle, trop grêle; la résistance physique du Peuhl est nettement
inférieure à celle du nègre; il y a là un trait qui fait songer à un
organisme méditerranéen acclimaté en pays tropical, quelque
chose de créole. En revanche, la supériorité intellectuelle du Peuhl
sur le nègre est évidente. Une femme peuhle, qui entre, par ma-
riage, dans une famille non peuhle, y devient toujours, dit-on,
le rouage directeur. »
Le portrait est bien et très exact quant à l’infériorité physique
du Peuhl (dont on ne peut faire ni un terrassier, ni un porteur, ni
même souvent un tirailleur, un soldat) sur le nègre et aussi quant
à sa supériorité intellectuelle, mais l’auteur ne se prononce pas
définitivement sur l’origine des Peuhls, tout en étant dans la
bonne voie avec l’indication Nubienne.
Venons enfin à Seligman (Les Races de l' Afrique, traduction
Montandon, Paris, Payot, 1935, p. 133 à 136). Sa contribution
est particulièrement précieuse, intéressante et tout à fait « à la
page » comme l’on dit. Ce sera la conclusion naturelle de notre
étude sur les origines Peuhles.
« Les Peuls (Foula, Foulani, Filani, Foulbé, Fellata) sont dis-
persés, dit-il, sur toute la région de l’Afrique du nord qui va du
Haut-Niger au Sénégal; ils sont, soit d'inoffensifs éleveurs de
troupeaux 2, soit établis au milieu de peuples étrangers en qualité
de caste dominante 3 et sont le pouvoir politique dominant dans
le nord de la Nigeria. Ici, forts d’environ deux millions, ils sont
surtout massés dans les provinces de Sokoto, Kano et Adamaoua
(autrefois Yola). En dépit de nombreux passages de la littérature
qui en font des Sémites, les Peuls doivent être considérés comme des
Kamites qui, formant autrefois une branche du groupe septen-
trional 4, ont peu à peu étendu leur influence sur le Soudan Occi-
1. Compagnon du Peuhl.
2. C’est par là qu’ils commencent.
3. C’est par là qu’ils finissent.
4. Ici, je ne suis pas de l’avis de l’auteur : les Peuls, pour moi, ont toujours
dental et le Haut-Sénégal pendant l’époque de l’empire de Gana
et ont pénétré dans la Nigeria septentrionale vers la fin du XIIIe siè-
cle. Leur conquête de ce pays date de 1804, lorsqu’eut lieu la
révolte des Musulmans (Peuls et celle des tribus qui avaient
accepté l’Islam) contre les souverains païens et que la guerre
sainte fut déclarée, Osman dan Fodio de la famille Toronkaoua
(une sous-tribu peule) ayant été nommé Sarkinn, c’est-à-dire
chef des musulmans avec capitale à Sokoto. A la fin de 1810, la
domination peule était fermement établie sur tous les états
Haoussa et le pays était distribué entre les émirats actuels, cha-
cun sous un gouverneur peul. Pendant le siècle qui précéda l’oc-
cupation britannique, à la fin du XIXe siècle, l’empire Peul s’éten-
dit sur toute la longueur et la largeur des provinces du nord 1, à
l’exception du Bornou et des districts païens plus éloignés, mais
déjà avant l’arrivée des Anglais, il manifestait des symptômes
de dissolution. On constate aujourd’hui dans l’Afrique Occiden-
tale que les Peuls sont divisés en deux groupes, les Peuls pas-
teurs, dont les Aboré ou Bororo sont les plus typiques, et les Peuls
sédentaires ou Peuls Ghidda, comme ils sont appelés par les
Haoussa (ghidda, maison). Ces nomades sont les représentants
les plus purs de l’élément Kamitique en Nigéria, cheveux droits,
nez droit, lèvres minces, tête allongée, corps élancé, peau brun-
rouge, les femmes se distinguant par la beauté de leur maintien
et la grâce de leur allure. De caractère, ils sont excessivement
réservés, méfiants et ombrageux et, comme on le prétend, subtils
et astucieux, de sorte qu’aucun autre type africain ne les dépasse
en dissimulation et en finesse. Les Peuls sédentaires, d’autre part,
sont rapidement absorbés par les nègres, par intermariages et
concubinage en grand avec les races qu’ils ont conquises; on le
constate par la plus fréquente grossièreté du corps et de la face,
ainsi que par l’apparition de cheveux crépus et de prognathisme
comme chez les nègres. Mahométans de religion, ils ne se marient
pas avec les Peuls éleveurs de bétail qui sont païens et ils ont
abandonné les coutumes peules essentielles que suivent encore
ces derniers.
« Les nomades sont
environ 300.000... Les Peuls parlent une
langue (foufouldé) de la plus haute importance pour la compré-
hension de nombreux problèmes linguistiques africains, en par-
ticulier de celui des noms de classe du bantou. Cette grande auto-
appartenu au groupe Khamito-Kouschitique de l’est africain et non au groupe
septentrional des Hamites supérieurs.
1. De la Nigéria.
rité dans les questions africaines qu’était Maurice Delafosse con-
sidérait que le foufouldé était à l’origine un parler nègre; en dépit
du poids qui doit être attaché à son opinion, la manière de voir,
la plus récente et la plus probable, c’est qu'il représente un type
de langage très ancien, dont sont sortis les parlers Kamitiques. Si
l’on adopte la métaphore des relations de parenté, on peut dire
que le foufouldé n’est pas de la même génération que le berbère
ou le somali et ces langues ne peuvent pas être regardées comme
langues-soeurs. Le foufouldé appartient plutôt à une génération
plus âgée et c’est peut-être la tante ou la grand-tante des deux
autres langues, comme le professeur Werner l’a suggéré. Le carac-
tère le plus frappant dans la structure du foufouldé est une double
division en classes pour les noms. La première division comprend
un assez grand nombre de classes, chacune marquée par un suf-
fixe particulier (certains savants en comptent 35, d’autres da-
vantage) et chaque classe a son pronom distinct qui est en rap-
port manifeste avec le suffixe. Mais, tandis que dans le bantou,
les mots et par conséquent les choses introduites dans chacune
des classes, paraissent former une mixture hétérogène, dans le
foufouldé le but des classes est beaucoup plus clair, la plupart
d’entre elles contenant les noms d’une série particulière d’objets.
Ainsi le suffixe-am est essentiellement appliqué aux liquides, par
exemple adiam (l’eau), kosam (le lait); le suffixe-hi est essentiel-
lement appliqué aux arbres, le suffixe-re aux choses en masse,
par exemple noix de palme, riz, etc... Prenant en due considéra-
tion le fait des classes et aussi le vocabulaire Bantou, Sir Harry
Johnston émet l’idée, qui paraît pouvoir être acceptée, que l’ori-
gine des langues Bantou doit être expliquée par l’hypothèse d'un
langage similaire au Peul qui aurait été dominant parmi un groupe
de peuples à parlers simili-soudanais. Le vocabulaire de ces der-
niers aurait été assimilé et des traces du mode de pensée et de
l’expression simili-peul auraient persisté dans le nouveau groupe
de langues que nous appelons bantou. On peut, en effet, faire
remarquer que le mbougou, une langue soudanaise de l’Afrique
orientale, est en train d’acquérir des préfixes de classes bantou
quoique ses racines soient nettement non bantou. »
Nous avons tenu à citer presque complètement ce que dit
M. Seligman sur les Peuls à cause de l’importance des conclu-
sions :
1° les Peuls sont des Khamites et non des Sémites ou Judéo-
Syriens.
2° la langue Peuhle est également Khamitique, et ce n’est pas
une langue nègre. De plus, c’est une langue Chamitique fort
ancienne, soeur de la langue Khamilique qui a donné le Bantou en
influençant par sa syntaxe des idiomes nègres autrefois simili-
soudanais qui, par l’adjonction de la syntaxe susdite, sont deve-
nus les idiomes Bantou. Comme cette langue, soeur du Peul, a
influencé ces populations nègres par l’est de l’Afrique, il faut ad-
mettre que la langue Peuhle sa soeur (et les Peuls) sont venus,
eux aussi, de l’est de l’Afrique et non du nord et sont ainsi des
Khamites de ’Est ou Khamites Kouschites et non des Khamites
blancs ou du Nord analogues aux Marocains,Algériens, Tunisiens,
Tripolitains ou Touareg.
Ainsi, le Peuhl est une langue Chamito-Kouschistique fort
ancienne, très analogue à celle qui a donné les langues Bantou
par la domination d’une syntaxe Khamito-Kouschitique sur des
vocabulaires nègres. Et la langue Peul, comme les Peuls, vient de
l’Est africain.
Pour moi, si j’ose me citer après toutes ces compétences, j’ai
toujours été partisan de l’opinion qui rattache les Peuls aux Sous-
Éthiopiens, depuis que j’ai vu des Peuls au Soudan (entre 1905
et 1917).
En résumé, la théorie des anthropologistes les plus qualifiés et
des linguistes les plus éminents, concorde pour faire des Peuls
une race Khamito-Kouschite et de la langue Peuhle une langue
également Kamito-Kouschite.
C’est la conclusion à laquelle nous devons nous en tenir défi-
nitivement et le terme auquel ont abouti les analyses anthropo-
logico-somatiques et linguistiques relatives aux Peuls.
Cependant, dans le chapitre suivant, nous dirons encore un
mot de quelques théories diverses relatives à nos gens.
CHAPITRE V

THÉORIES DIVERSES RELATIVES


A L’ORIGINE DES PEULS

Nous avons vu dans les chapitres précédents :


1° ce que les Peuls pensent de leur propre origine;
2° la théorie juive ou judéo-syrienne;

Peuls.
30 les théories sérieuses des anthropologistes et des linguistes
qui aboutissent à l’origine Khamito-inférieure ou Kouschile ou
Kouschitique ou Nubienne des
Nous allons examiner dans ce dernier chapitre des opinions
diverses, plus ou moins sérieuses, s’éloignant plus ou moins de la
vérité.
D’abord, il y a une théorie qui a été soutenue par des gens de
talent et qui fait venir les Peuls des Hamites ou Chamites supé-
rieurs de l’Afrique du Nord ou Berbères. Cette théorie a été sou-
tenue par un journaliste voyageur qui découvrit Tombouctou
la Mystérieuse en 1897 (quatre ans après l’occupation militaire,
fin 1893). Il dit (p. 152 de son ouvrage qui a été très lu à cause
de son agrément littéraire et de son impressionnisme aigu) que,
si les Songhaï sont des Éthiopiens venus du Haut-Nil (théorie
complètement fausse, du reste et réfutée par Delafosse en 1912,
les Songhaï étant simplement des nègres Soudanais du nord et par
conséquent mélangés d’éléments Berbères, Maures ou Touareg
et aussi influencés par l’architecture Berbère), les Peuls, au con-
traire, sont conformément à ce que dit le Tarikh-es-Soudan, des
Arabo-Berbères, très analogues aux Touareg et venus du nord
du Sahara occidental dans l’Afrique nègre occidentale. Cette
opinion n’est pas absurde. Elle a été soutenue par Passarge, adoptée
par P. Constantin Meyer qui attribue aux Peuls un caractère
Berbère atténué (Voir Bulletin du Museum, 1900, p. 95). Elle
n’est pourtant pas exacte, à moins qu’il ne s’agisse d’une simple
contamination berbère et par endroits seulement, d’une popula-
tion essentiellement Hamitique inférieure et Kouschitique par elle-
même et dans son essence. De même qu’il y a contamination nègre
chez les Peuls par le sud, il a pu y avoir contamination berbère
(Touareg, Maures, etc.) par le nord chez certains de leurs éléments.
C’est ce qu’admet, du reste, un anthropologiste aussi sérieux et
aussi averti que Deniker. Il peut donc y avoir une certaine part
de vrai dans la théorie berbère des origines Peuhles, mais, en
gros, et présentée d’une façon carrée et massive, elle doit être
rejetée.
Parmi les érudits qui ont soutenu cette théorie berbère, citons
Cortambert (Géographie universelle de Malte Brun revue par
Corlambert. Asie et Afrique 1874-1875). Il dit :
« Les Peuls sont une race berbère conquérante établie à l’ouest
du lac Tchad. Ils sont rougeâtres ou cuivrés, petits, bien faits.
Ils ont les cheveux lisses, sont adroits, guerriers et intelligents.
Ils s’adonnent à la vie pastorale » (pp. 353-354).
M. de Grozals (1883) fait venir les Peuls du Sud-Marocain, mais
peut-être, antérieurement, de l’est. Voici comment il expose son
opinion :
« La thèse de Barth, dit-il, et celle de M. Knoetel 1 ne se con-
trarient pas d’une façon absolue. Barth établit, en effet qu’avant
qu’ils ne se fussent étendus par la conquête les Peuls se trouvaient
à l’ouest de leurs positions actuelles. C’est de l’ouest, c’est-à-dire
du Sénégal inférieur, qu’ils ont gagné de proche en proche des
régions plus orientales. Dans ce cas, il n’est pas loin d’admettre
avec M. Knoetel l’identité de position des Leuco-Aethiopienset
des Peuhls. »
Le raisonnement de M. Crozals n’est pas démonstratif; ce n’est
pas parce que, depuis le VIIIe siècle après Jésus-Christ époque où
ils s’établirent dans le Fouta-Toron, les Peuls ont pris un mouve-
ment d'ouest en est qui les a menés au XIXe siècle en pays Haoussa
(fait sur lequel tout le monde est d’accord et qui est pleinement
connu historiquement), ce n’est pas pour cela que Barth est forcé
d’abandonner sa thèse des Peuhls, Pyrrhi Aethiopiens ou Éthio-
piens brûlés, pour celle de Knoetel (Éthiopiens blancs).
Quoiqu’il en soit de ce point, Crozals continue ainsi :
« A l’époque de Ptolémée, les Leuco-Aethiopiens s’étendaient
dans toute la région d’El-Hodh. A peine un siècle et demi après,
nous trouvons un témoignage presque certain de la présence des
Peuls dans cette même région. Vers l’an 300 2 trois siècles environ
avant l’Hégire, Wakaya-Mangha fonda le royaume de Ghanat
(ou Ghana) dont le centre occupait la province actuelle du Ba-
I. Barth fait des Peuhls, nous le savons, les Pyrrhi-Aethiopes ou Ethiopiens
brûlés de Ptolémée, tandis que Knoetel fait des Peuls les Leuco-Aethiopes
ou Ethiopiens blancs! de Ptolémée.
2. De notre ère.
ghena. Ce royaume fut fondé au moment où le christianisme fai-
sait de grands progrès sur toutes les côtes de la Méditerranée,
surtout en Mauritanie, et y provoquait de grandes révolutions.
Il avait pour capitale Walata ou Birou 1. Si l’on peut en juger
d’après le nom de son fondateur, ce royaume semble avoir été
fondé par les Peuls; dans la langue Peuhle, en effet, le mot Mangho
veut dire grand. Il compta 22 rois jusqu’à l’hégire. »
Crozals ajoute en note : « Barth, IV, 600, a relevé d’étroits rap-
ports entre la langue Peuhle et le Kadzaga, c’est-à-dire la langue
de l’ancien royaume de Ghanata. Les Peuhls ont pris au Kadzaga
les mots qui signifient riz, coton, vache, éléphant... »
En réalité, le Kadzaga ou Kadiaga est la langue sôninnkée de
l’ouest, celle du Galam ou pays de Kadiaga. Barth note donc que
les Peuhls ont emprunté des mots au sôninnké qui était la langue
de Ghana. Cela prouverait plutôt que ce sont les Sôninnké qui
ont fondé ce royaume que les Peuls. Mais la question de l’origine
de Ghana (qui signifie textuellement Prince, c’est-à-dire la ville
du Prince, la capitale) est très obscure. On peut songer pour la
fondation de Ghana aux Maures, aux Peuls, aux nègres Sôninnké.
En tout cas, ces derniers s’emparèrent de Ghana pendant sa déca-
dence et la possédaient en 1050 quand elle fut décrite par Bekri.
En 1076, elle fut enlevée par les Almoravides.
Mais retournons à ce que dit Crozals :
« En confirmant, ajoute notre auteur, ces indications diverses
il est permis, nous semble-t-il, d'affirmer que, dès le 6e siècle avant
notre ère, les Peuhls étaient disséminés entre le groupe monta-
gneux de l’Afrique du Nord et le Soudan, à côté de l’Océan, dans
les oasis au sud du Maroc et dans le Touat. Au IIIe siècle de notre
ère, ils font un pas dans la direction du Niger, ou bien, en suppo-
sant que leur apparition dans ces contrées remonte plus haut
encore, ils y affermissent leur situation par la fondation d’un
royaume qui fut longtemps florissant » ( Crozals, les Peuhls, pp.267
et 268).
Gomme on le voit, d’après Crozals, les Peuls auraient occupé
le sud marocain dès le 6e siècle avant notre ère et auraient fondé
au IIIe siècle après Jésus-Christ le royaume de Ghana (vers 250 en-

Ceci est une erreur de détail de Crozals. Walata ou Birou, ville distincte
1.
de Koumbi ou Ghana, ne prit d’importance que beaucoup plus tard, proba-
blement au moment du sac de Ghana par Soundiata (XIIIe siècle), peut-être
même quand El-Hadj Mohammed détruisit définitivement Ghana au com-
mencement du XVIe siècle. A une époque ou l’autre, les gens de Ghana se
réfugièrent au Nord, à Oualata, et lui donnèrent de l’importance.
viron). Cependant, il ne faut pas conclure expressément de tout
ceci qu’il donne aux Peuls une origine Berbère, comme les auteurs
précédents, car il admet, avec Barth et Faidherbe, qu’à une épo-
que plus lointaine, mais difficile à fixer, les Peuls étaient dans
l’Est Africain et peut-être même antérieurement en Asie méri-
dionale. Crozals est du reste très réservé sur la question des ori-
gines Peuhles qu’il déclare plus loin insolubles. En revanche, le
Dr Bérenger-Féraud, lui, fait venir primitivement les Peuls du
Nord de l’Afrique :
« M. Bérenger-Féraud (dit Crozals, ouvr. cit. p. 262 à 264) est
d’avis qu’il n’est pas impossible que toute la zone de l’Afrique
qui s’étend de l’est à l’ouest, depuis la Mer Rouge jusqu’à l’Océan
et du 28e degré de latitude nord au 15e, fût habitée jadis par une
race humaine ayant les caractères propres aux Peuhls ou Fellahs »
(Bérenger-Féraud, Bevue d’Anthropologie, 4e année, I). M. Bé-
renger-Féraud ne craint pas d’étendre ses conjectures. II suppose
que les races noires suffisamment à l’aise dans les plantureux pays
qui sont au sud du Sénégal et du Niger, n’avaient pas dépassé en
latitude le Fouta-Djallon... Entre les nègres et les peuplades
blanches de l’Afrique septentrionale sollicitées à rester dans les
régions du Tell et du Sahara Algérien, s’étendaient d’immenses
espaces de terre, incultes et inhabités. Les Peuhls devaient habi-
ter alors les versants méridionaux des montagnes de l’Algérie et
de la Tunisie, l’Aurès et l’Atlas. « Ils étaient pasteurs et idolâtres,
vivant jusque-là en assez bonne harmonie avec leurs voisins, Car-
thaginois, Romains, dont l’esprit de conquête, tout actif qu’il
était, pouvait être combattu efficacement par eux, parce que, ne
reposant pas sur une idée religieuse, il n’était pas poussé à l’excès.
Lorsque l’Islamisme apparut, imposant le Coran avec le sabre,
détruisant tout ce qui lui résistait, les Peuhls, vaincus dès les pre-
mières rencontres, mirent du pays entre leurs agresseurs et eux,
chose d’autant plus facile qu’ils étaient pasteurs nomades, et, par
conséquent, très mobiles. Ils commencèrent leur migration vers
le sud. Sachant par le récit des voyageurs, par la tradition, qu’il
y avait, dans le sud, un pays assez analogue à leur contrée natale
sous le rapport de l’altitude, de la végétation, ils traversèrent
résolument et, peut-être en très peu de temps, la bande de 200 à
300 lieues de pays plat qui sépare le Fouta-Djallon de l’Aurès et
de l’Atlas et ils tombèrent inopinément au milieu des peuplades
noires qui s’étaient établies dans le pays où le Sénégal et le Niger
prennent leur source. D’envahis qu’ils étaient, les Peuhls étaient
devenus envahisseurs, de vaincus ils devenaient conquérants. »
Bien entendu, tout cela est de la haute fantaisie : ce sont des
Peuls du Macina qui ont été au Fouta-Djallon en 1694 (époque
de Louis XIV) et ont ensuite conquis le pays entre 1725 et 1776,
et avant eux, il n’y avait que les Peuls de Koli Tenguéla (1534,
époque de François Ier) qui avaient fait de même au N. O. de la
Guinée Française actuelle. Et ce ne sont pas des Peuls venus de
l’Aurès au VIIe ou au VIIIe siècle de notre ère qui ont conquis le
Fouta-Djallon. Bérenger-Féraud reproduit ici, au fond, la tradi-
tion rapportée successivement par Mollien et Boillat de la des-
cente des Peuls sur le Sénégal, vers 750 après Jésus-Christ quand
ils culbutèrent les Sérères et se mélangèrent en partie avec eux,
mais, par une innovation malheureuse, il fait descendre les Peuls
de beaucoup trop haut (Aurès) à beaucoup trop bas (Djallon).
Toute la théorie de Bérenger-Féraud est donc à rejeter aussi bien
que celle de Crozals lui-même.
Après les noms de Félix Dubois, Passarge, Constantin Meyer,
Cortambert, nous pouvons placer celui de Charles Monteil Notice
sur l’origine des Peuls.(Extrait de la Revue Africaine 1911). Charles
Monteil a recueilli à Dienné en 1901 une légende qui fait descendre
les Peuls de Oukbatou-Benou-Yassi lieutenant du conquérant
arabe Amrou-Benou-l'Aci (lui-même conquérant d’Égypte) et
de la fille du roi du Toro, qui était un nègre comme ses sujets.
Cette princesse noire s’appelait Yadjmaou. Elle donna à son époux
Oukbatou, le chef arabe, quatre enfants : Datou, Wayou, Nasou
et Barabou.
Datou enfanta la tribu des Djal, Wayou celle des Bari, Nasou
celle des Soh et Barabou celle des Bah. Ainsi naquirent les Peuls
qui sont les descendants d’un Arabe et d’une princesse nègre du
Toro.
Cette légende est une de celles que nous avons mentionnées
dans notre chapitre II (Ce que les Peuls pensent eux-mêmes de
leurs origines) et Ch. Monteil pourrait en conclure simplement
que les Peuls sont des descendants d’Arabes envahisseurs et de
nègres du Toro. Mais il n’en fait rien et rapporte ce que dit El-
Bekri (Description de l’Afrique, traduction de Slane, p. 391) des
Honeihim surnommés El-Faman (les rois, les princes, en Mandé)
qui sont pour lui, Bekri (écrivant au XIe siècle) les descendants
des soldats que les Ommiades envoyèrent contre Ghana dans les
premiers siècles de l’Islam. Ces gens, ajoute Bekri, ne s’allient pas
auec les nègres, ont le teint blanc et une belle figure... Monteil y
voit les ancêtres des Peuls qui seraient ainsi des Arabo-Berbères
préservés tout d’abord, on le voit, de toute contamination nègre.
Plus tard, dit Monteil, ils n’agirent plus ainsi et, s’alliant avec
les noirs, constituèrent plusieurs races métisses Négro-Peules que
l’on connaît...
Quelle que soit l’autorité de Gh. Monteil et les services qu’ils a
rendus à la connaissance de l’Afrique occidentale française par
ses nombreux ouvrages puissamment documentés, nous rejette-
rons sa théorie et ne perdrons pas notre temps à la réfuter. Une
grande race comme celle des Peuhls ne sort pas d’une poignée de
soldats arabo-Berbères, même ayant amené leurs femmes au Sou-
dan et du reste, les Honeihin. étaient-ils bien les descendants des
soldats Ommiades qui conquirent Ghana en 736 après Jésus-
Christ? En dehors de cela, l’anthropologiesomatique et la linguis-
tique renversent complètement la théorie de Gh. Monteil, quant à
l’origine des Peuls, en faisant de ceux-ci des Hamito-Kouschites et
non des Berbères ou Berbéro-Arabes. Nous n’insisterons donc pas.
Après les théories Berbères ou approchantes, nous passerons à
la théorie hindoue qui a été soutenue par un certain nombre d’au-
teurs.
Golberry (1787) trouve qu’il y a des différences singulières entre
les nègres de l’Afrique Occidentale. Les uns sont grossiers, laids
et féroces, dit-il,les autres bien faits et bons : «Des différences si
singulières se remarquent parmi ce grand nombre de nations et
les distinguent si bien les unes des autres, leurs langues et leurs
usages ont quelquefois si peu de rapport et de ressemblance 1
qu’on est disposé à croire que l’Afrique doit une partie de sa popu-
lation à l’Éthiopie et l’autre partie à des colonies d’Indiens qui
ayant abordé les rivages orientaux de ce continent, se sont, de
proche en proche, répandu jusqu’au bord de l’Océan Atlanti-
que. »
Plus loin, il dira : « Les traits des Foulahs et des Mandingues
paraissent avoir plus de rapport avec ceux des noirs de l’Inde
qu’avec ceux des nègres de l’Afrique. »
En résumé, pour Golberry, Peuls et Mandés sont d’origine
hindoue tandis que les autres noirs de l’Afrique occidentale
seraient d’origine éthiopienne. Gette théorie nous semble actuel-
lement assez bizarre et peu fondée (il est vrai qu’elle date de la
fin du XVIIIe siècle). Les nègres de l’Afrique occidentale nous
semblent réellement des nègres, et les Peuls (qui, eux, ne sont pas

1. Cela vient en réalité de ce que, de Tombouctou au golfe de Guinée, il


y a des nègres musulmans et des nègres fétichistes, des Peuls et des nègres,
des nègres purs et des nègres contaminés d’éléments Peuls, Maures ou
Touareg, etc. etc.
des nègres) nous semblent généralement des Éthiopiens ou sous-
Éthiopiens.
Voici ce que dit Golberry des Peuls :
« Une autre nation beaucoup plus célèbre et extrêmement nom-
breuse est celle des Foulahs. Elle est répandue depuis le 4e paral-
lèle nord jusque sur les bords méridionaux du Sénégal et elle a
fondé plusieurs colonies qui sont devenues des royaumes et, au
nord, c’est une colonie de Foulahs qui a fondé sur les bords du
Sénégal, le royaume des nègres qu’on nomme Foules ou Peuls et
qui borde le fleuve sur une étendue de 130 lieues.
« Mais le corps de cette nation, sous son nom propre, occupe un
grand territoire vers les sources du Rio Grande, sur le 10e paral-
lèle nord et entre le 5e et le 12e méridien oriental de l’Ile-de-Fer.
Timbo, ville très populeuse, située à 80 lieues au N.-E. de la
baie de Sierra-Leone, est la métropole de l’empire de cette grande
nation qui a eu une existence importante et qui domine encore
aujourd’hui sur une grande partie des contrées occidentales com-
prises entre le 4e et le 11e degré de latitude septentrionale. »
Golberry met donc le corps de la nation peuhle dans le Foula-
Djallon. Les Peuls du Fouta-Toro seraient une colonie des pre-
miers. Tout cela, nous le savons, est faux. Les Peuhls du Fouta-
Djallon sont venus (les Foulacounda) en 1534 du Sénégal et la
grande invasion a eu lieu, venant du Macina, probablement en
1694 et elle a conquis le pays entre 1725 et 1776.
Golberry dit encore :
« Les Foulahs de la grande nation 1 sont de beaux hommes forts
et braves; ils ont de l’intelligence, ils sont mystérieux et prudents
ils entendent le commerce, ils voyagent en marchant jusqu’aux
extrémités du golfe de Guinée et sont redoutés de leurs voisins.
Leurs femmes sont spirituelles et belles; la couleur de leur peau
est d’un noir-rouge; leurs traits sont réguliers et ils ont les che-
veux plus longs et moins laineux que le commun des races nègres;
leur langue est tout à fait différente de celle des nations parmi
lesquelles ils sont répandus; elle est plus belle et plus sonore. »
Tel est le résumé que Walkenaer, dans sa Collection des Voyages
en Afrique, fait au tome V, pp. 416 et 417, des notations de Gol-
berry. Le portrait des Peuls par celui-ci est naturellement un
peu flatté. La couleur de peau notée comme « noir-rouge » est
peut-être tout simplement le noir-chocolat qui est la teinte de
presque tous les nègres Soudanais (sauf les Ouolofs qui semblent

1. Fouta-Djallon.
un peu plus véritablement noirs) et qui est aussi la teinte des
Peuls du Fouta-Djallon.
Telle est la théorie de Golberry, la première théorie un peu
poussée (elle est de 1787) sur l’origine des Peuhls. Elle a été à la
mode à la fin du xvIIIe siècle. L’Anglais Malthews trouve aux
Peuls quelque ressemblance avec les Lascars de l’Inde. C’est, je
crois, cette opinion qui a aiguillé d’Eichtal sur l’origine Malayo-
Polynésienne des Peuls, opinion qui est, d’une certaine manière,
un raffinement extrême-oriental sur l’origine hindoue. D’autre
part, nous avons vu au chapitre précédent que Knoelel (qui fait
des Peuls des Éthiopiens) identifie Éthiopiens d’Afrique et Kous-
chites d’Asie et fait venir les derniers de l’Inde en Afrique. Il y a
là un pont entre l’origine éthiopienne et l’origine hindoue. Nous
avons placé la théorie Knoetel parmi les théories éthiopiennes,
mais elle pourrait être placée aussi parmi les théories hindoues
des origines peuhles.
Relevons, pour en finir avec Golberry, que celui-ci met beau-
coup trop bas les Peuls du Fouta-Djallon puisqu’il les fait des-
cendre jusqu’au 4e degré de latitude nord, ce qui les place en plein
dans l’Océan Atlantique, au sud de l’Afrique Occidentale conti-
nentale. Le rivage ne commence guère en effet, que vers le 5e de-
gré de latitude Nord et, quant aux Peuls du Fouta-Djallon, bien
plus nordiques, ils ne descendent guère au-dessous du 10e degré
de latitude nord. Évidemment, Golberry, mal renseigné, s’exa-
gère et l'antiquité d’une part, et l’étendue territoriale de l’autre,
des Peuls du Fouta-Djallon.
Après cette opinion vénérable et antique (Golberry a été en
Afrique Occidentale de 1785 à 1787 et a publié ses notes enl800),
nous pouvons mettre une opinion beaucoup plus récente (et bien
moins excusable à cause de cela) celle du célèbre explorateur
Binger (1892) qui ne s’est pas montré ici à la hauteur de ce qu’il
est généralement. Il n’a pas l’air de connaître les travaux les plus
récents à son époque sur les Peuls (Barth, Knoetel, Schweinfurth,
Hoeskel, Topinard, Tautain, etc.) et remonte aux opinions anti-
ques de Golberry (1800) et de d’Eichtal (1842).
Voici comment Madrolle (1895) résume son opinion :
« Binger, qui a rencontré, dans
la boucle du Niger, de nombreu-
ses fractions de Foulbé, assure que les Foulbé sont venus de 1 est
et qu’ils s’arrêtèrent dans leur marche vers l’Ouest vers la région
des Garamantes. Le courant se divisa alors en deux, l’un se dirigea
vers le sud et créa des colonies dans le Zaberma, le Bornou, 1 Ada-

maoua, l’autre marcha vers le sud-ouest et s’installa dans la boucle


du Niger. C’est de cette dernière fraction que dépendraient les
Foulahs du Fouta-Diallo et les Foulahs du Fouta-Toro. »
En réalité, si l’on se réfère à Binger lui-même, (Du Niger au
Golfe de Guinée, t. I, p. 391 à 393), les deux ou trois pages qu’il
consacrée aux Peuhls exposent une théorie bien inférieure.Binger
dit d’abord qu’il ne discutera pas la question d’origine, à savoir
si les Peuls sont des Malais ou des Hindous (comme si en 1892 il
n’y avait pas d’autres théories sur leur origine que ces théories
périmées). Il ajoute que si les Peuls sont venus par l’est, ils se sont
arrêtés dans le pays des Garamantes (Syrtes, ouest de la Tripoli-
taine) et qu’ils sont peut-être les Garamantes eux-mêmes. De là,
ils se sont divisés en deux courants, l’un qui est descendu vers le
sud et le sud-ouest, dans le Cameroun, la Nigeria, le Haoussa, le
Bas-Niger, le Zaberma et qui a donné le conquérant Othman dan
Fodio, l’autre beaucoup plus ancien qui s’est dirigé plus à l’ouest
et qui a donné les Peuls et les métis de Peuls du Fouta-Toron et
du Sénégal, du Fouta-Djallon, du Macina, etc.
Cette théorie est vicieuse parce qu’elle ne tient aucun compte
du mouvement historique en retour des Peuls de l'ouest à l’est,
qui s’est déroulé du VIIIe au XIXe siècle de notre ère. Notamment,
Othman dan Fodio qui conquit Sokoto et le nord de la Nigéria en
1801 est venu de l'ouest (non du nord ou du nord-est). Évidem-
ment, les Peuhls (s’ils sont d’origine éthiopienne ou nubienne,
comme nous le croyons avec la science actuelle) sont d’abord
venus de l’est à l’ouest, mais cela s’est passé à une époque anté-
historique sur laquelle nous n’avons pas de renseignements. S’il
faut en croire Mile Homburger (1930) qui rattache la langue
Peuhle à la langue Égyptienne de la grande époque Pharaonique
(15e siècle av. J.-C.) et l’en fait sortir, les Peuhls auraient été évi-
demment voisins de l’Égypte à cette époque et n’auraient com-
mencé leur mouvement vers l’ouest qu’à partir du 15e siècle
avant Jésus-Christ au plus tôt. Cela nous remet, on le voit, à une
époque très haute et anté-historique en ce qui concerne l’Ouest
africain. D’autre part, la théorie qui fait des Peuls le peuple de
Phout et que nous avons examinée plus haut (elle est très sédui-
sante et peut-être vraie) nous amène au 7e siècle ou au 6e siècle
avant Jésus-Christ., époque où les écrivains Bibliques parlent de
ce peuple de Phout qui se serait éloigné de l’Égypte à partir de
celle époque, à cause des Perses conquérants et agresseurs. Ce
serait donc vers le 5e siècle avant Jésus-Christ qu’il faudrait met-
tre le départ des Peuls de l’Est-Africain vers l’ouest. Et c’est seu-
lement en 750 après Jésus-Christ, que nous le retrouvons incon-
testablement sur le Sénégal, venant ici du nord, se mélangeant
aux Sérères et donnant naissance à la race mixte des Toucouleurs,
en même temps que les Peuls restés purs et nomades s’établis-
saient dans le Ferlo. Peut-être, en 300 après Jésus-Christ, ces
mêmes Peuls (ou d’autres groupes Peuls) s’étaient-ils établis à
Ghana.
Notons justement que Binger attribue aux Peuls la fondation
du royaume de Ghana, comme l’avait fait avant lui Crozals(1883),
comme le fera plus tard Delafosse (en 1912). Barth s’était déjà
demandé (1855) qui avait fondé ce royaume, Leuco-Éthiopiens
ou Peuls? On sait que Barth identifie les Peuls, non pas au Leuco-
Éthiopiens (qui sont pour lui des Maures) mais aux Pyrrhi-Aethio-
piens (Éthiopiens brûlés) qui pour lui sont bien des Peuls. C’est
toujours la question de savoir qui a fondé Ghana, des Berbères
ou des Peuls. Pour moi, Ghana a été d’abord et avant tout une
métropole Maure et Berbère fondée sur le commerce de l’or souda-
nais, bien que le pays ait pu être occupé auparavant par des races
plus autochtones, les Sôninnké d’abord et peut-être les Peuls
ensuite.
Quoi qu’il en soit, la théorie de Binger qui fait des Peuls des
Malais ou des Hindous, est vicieuse à de nombreux points de vue.
Une théorie beaucoup plus sérieuse est celle qui fait venir les
Peuls de l’Afrique australe. Cette opinion, dit de Crozals, ouvr. cit.,
p. 268, 269 «reposait sur l’analogie que présentent quelques noms
de nombre en foulfouldé avec les mots correspondants de certaines
langues sud-africaines. Richard Lander avait été frappé de ces
rapports.Barth les reconnaît,mais il se refuse à attribuer à ce fait
aucune valeur pour la détermination de la route suivie par les
Peuhls dans les temps historiques. Il reporte ces relations des Peuhls
avec les peuples de l’Afrique australe à une antiquité prodigieuse-
ment reculée, antérieure à la domination des Pharaons, à la première
migration des Berbères eux-mêmes (Barth, IV, 150, note).
Ici comme toujours, Barth a montré sa grande perspicacité et
sa vue profonde des choses, quoiqu’il recule un peu trop l’époque
où les Peuls ont pu voisiner avec les Bantou. Nous savons main-
tenant par l’étude récente de Mlle Homburger sur les langues
Peuhl et Massai (1936) que ces deux langues sont très proches et
même Mlle Homburger fait de ces deux langues une unité lin-
guistique absolue à une époque ancienne. Depuis, le Massaï et le
Peul auraient divergé dans des sens différents. De même, nous
savons, par les travaux de Werner, que c’est le Peuhl ou une langue
soeur qui a donné la syntaxe des langues dites Bantou à une épo-
que ancienne. Mais cela ne nous ramène pas nécessairement au
30e siècle avant Jésus-Christ (commencement des Pharaons) ou
au 60e siècle avant Jésus-Christ ou au 100e siècle. Il suffît que les
Peuls aient été dans l’est Africain auprès des Massaï à une époque
indélerminée, puis aient gagné le nord le long de l’Égypte, la li-
sière nord du Sahara, et aient quitté le voisinage de l’Égypte au
5e siècle avant Jésus-Christ pour venir dans le sud Marocain dans
les premiers siècles de notre ère.
Bref, il y a dans l’opinion que les Peuls viennent de l’Afrique
australe comme une part de vérité ou plutôt une mauvaise inter-
prétation de données exactes en elles-mêmes. Les Peuls sont venus
de l'Est Africain, proches parents des Massaï qui se sont pénétrés
davantage de sang nègre. Les Peuhls ont remonté vers le nord,
puis ont traversé l’Afrique de l’est à l’ouest, puis se sont établis
définitivement au Fouta-Toron (Peuls purs du Ferlo et Peuls
métis du Fouta-Toro proprement dit ou Toucouleurs). Ainsi
s’expliquent les affinités de la langue peuhle avec certains idiomes
de l’Afrique Australe ou Bantou.
Nous en venons maintenant aux théories déplorables, celles
qui font des Peuhls des Tziganes, ou Bohémiens, des Pélasges,
des Gaulois, des Romains, etc. Ne riez pas : tout a été soutenu au
sujet de ces malheureux Peuls.
Le Dr Thaly, d’abord, fait des Peuhls des Tziganes (et quoiqu’il
semble bien que des Tziganes soient venus, eux aussi, dans l’Afri-
que du Nord : ce seraient peut-être les Bushréens des anciens
auteurs) les Peuls ne sont nullement des Tziganes, pas plus qu’ils
ne sont des Juifs, quoique une colonie juive, vers le IXe siècle de
notre ère, soit bien venue s’installer au nord du Macina, sur les
bords du Niger, sur l’emplacement actuel de Tendirma. Au
XVe siècle de notre ère, cette colonie juive avait déjà disparu et
les nègres du lieu en parlèrent aux conquérants du second empire
Songhaï de la fin du XVe siècle comme d’anciens dominateurs du
pays. Mais ceci, relaté par le Tarikh-el-Fettach, ne prouve nulle-
ment que les Peuls sont des Juifs (et le Tarikh-el-Fettach ne dit
rien de tel) et ils ne sont pas non plus des Tziganes.
Maintenant, nous arrivons aux théories véritablement gro-
tesques émises par des gens qui avaient plus d’imagination que
de bon sens. Le capitaine Figeac (1902) donne aux Peuls une ori-
gine pélasgique (!!!) C’est ce même capitaine Figeac qui fait des-
cendre les nègres d’Apollon et des neuf muses! (Où l’imagination
peut-elle aller se nicher?) Le Dr Lièvre (Bevue de Géographie,
avril 1882, p. 309) en fait des Gaulois, des Galates, casernés en
Égypte (280, 264 av. J.-C.) et qui se seraient échappés dans le
désert. Le colonel Frey en fait, lui, des Annamites et de leur
langue une langue Annamite (comme toutes les langues du
monde). Ce seraient les Peuls qui auraient fondé le royaume de
Ghana et, qui plus est! le Canada qu’il faudrait orthographier en
réalité Ghana-da (!!!)
Notons que le même colonel Frey dans sa Côte d’Afrique (1890)
se contente de faire des Peuls des Sémites, ce qui est faux sans
doute, mais pas absurde comme la théorie annamite.
On a donné aussi comme ancêtres aux Peuls une légion romaine
descendue et égarée dans le désert et le Soudan. C’est toujours du
même tonneau!
Nous avons vu plus haut que les Peuls musulmanisés se donnent
une origine Arabe ou bien se présentent, plus modestement,
comme des métis d’Arabes conquérants du temps de Mohammed et de
femmes Torodo autochtones, de négresses donc. Ces théories sont
fausses évidemment et dictées par la vanité, mais on doit avouer
cependant que les Peuls ont plus de raison et de bon sens que cer-
tains auteurs français.
Avant de terminer, disons un mot d’un passage curieux de Mol-
lien, où après avoir noté le fanatisme musulman violent des Peuls
à son époque (1818) il dit que c’est d’autant plus surprenant
« qu’on serait tenté de croire en voyant les croix dont ils ornent
leurs vêtements et leurs maisons qu’ils ont anciennement professé
le Christianisme » (Mollien, II, 184). Ce passage pose une question:
les Peuls auraient-ils été anciennement chrétiens ? et ce peuple qui a
habité aux côtés des Massaï à une époque reculée, puis à côté de
l’ancienne Égypte, aurait-il, à une époque de son existence, subi
l’influence du Christianisme? Ce n’est pas impossible. Il est évi-
dent qu’à l’époque Byzantine, au IVe siècle après Jésus-Christ, les
Peuls étaient dans le sud-ouest de l’Afrique du Nord. Ils ont pu se
faire chrétiens à cette époque, puis plus tard, l’invasion arabe des
Ommiades (736 ap. J.-C.) venue par le sud Marocain, qui détruisit
une première fois Ghana, qui mit les El-Faman (les princes, les
blancs) dans le Soudan et qui rejeta les Peuls sur le fleuve Sénégal
et sur les nègres Sérères, commença une autre ère. Les Peuls, à part
tir de cette époque, se musulmanisèrent peu d peu et partiellement
jusqu’au moment où au XVIIIe siècle, ils devinrent musulmans
fanatiques. Ils le devinrent au Fouta-Djallon dès 1725, au Fouta-
Toron dès 1773, au Macina dès 1810 et dans le nord de la Nigeria,
en pays Haoussa, dès 1800. Enfin, ce mouvement de musulma-
nisme aigu a son faîte et a son apogée avec El-Hadj-Omar (1848 à
1863). Notons du reste que ce ne sont pas les Peuls purs eux-
mêmes qui se montrèrent les plus fanatiques en tout ceci, mais les
Toucouleurs métis de Peuls et de nègres.

Nous connaissons maintenant les origines Peuhles. Passons aux


moeurs et à l’histoire des Peuls fixés au sol de l'Issa-Ber et du
Macina.
LIVRE DEUXIÈME
MOEURS ET HISTOIRE DES PEULS
DE L’ISSA-BER ET DU MACINA

CHAPITRE PREMIER

LE LIEU ET LE TRAVAIL

Je vais réunir ci-dessous les notes prises par moi quand je com-
mandais le Cercle de l'Issa-Ber, capitale Niafonké, en 1913. Ce
cercle est au nord du lac Débo et est Peuhl en majorité. Au sud du
lac Débo est le Macina également peuplé de Peuls surtout. L’his-
toire du cercle de l’Issa-Ber est donc intimement liée à celle du
Macina. De même, par les moeurs et les coutumes, les deux ré-
gions sont étroitement apparentées.
D’après les chiffres de Delafosse (Haut-Sénégal-Niger,tome I,
1909) nous avons dans le cercle de l'Issa-Ber :

Peuls 75.000 âmes


Bambara 16.000 —
Sôninnké 13.000 —
Songhay et Sorko 11.000 —
Touareg 1.000
Maures 300 —
Total 116.300 âmes

Ce sont les Peuls qui dominent ici, depuis le XVe siècle environ
(auparavant c’étaient les Sôninnké et les pêcheurs Sorko), avec
leurs troupeaux de boeufs et de moutons, et il y a même opposition
jusqu’à un certain point entre le lieu et ses habitants actuels les
plus nombreux.
Considérons en effet le cercle de l’Issa-Ber : il est entouré de
lacs : au sud le lac Débo et le lac de Korienza ; à l’est la mare d’Ad-
diou, le lac Korarou, l’Aougoungou, le Niangaye; au nord, le lac
Horo; au nord-ouest les lacs de Cawati, Takadji, Soumpi; à l’ouest
les lacs de Kabara, Tenda, Tiouki. Il est parcouru entre ces
lacs par les trois grands bras du Niger qui sortent du réser-
voir du Débo : l’Issa-Ber (grand fleuve, de issa : fleuve et ber :
grand), la branche principale du Niger qui passe à Niafonké, le
chef-lieu du cercle et qui est parcourue par la navigation à va-
peur; le Bara-Issa (la main du fleuve, de Bara : main et Issa :
fleuve), qui sort également du Débo à l’est de l’Issa Ber, passe à
Sa, puis à Saraféré; enfin le Koli-Koli, qui sort à l’est du lac
Débo (ou plutôt du Niger même, un peu avant le Débo) passe
par le lac de Korienza, arrose Korienza et rejoint le Bara-Issa
un peu avant Saraféré. Joignez à cela les mille bras du fleuve, les
mille marigots, qui rejoignent entre eux ces trois grands bras
du Niger et tous ces lacs! Brochez sur le tout les inondations pé-
riodiques du fleuve qui se produisent aux hautes eaux et trans-
forment le pays en une multitude d’îles plus ou moins grandes
entourées de bras d’eau et vous en conclurez que le cercle de
l’IssaBer doit être habité avant tout par une population de
pêcheurs.
Le Niger, en effet, et ses différents bras, abonde en poissons :
il y a, en dehors du crocodile, de l’hippopotame et du lamantin,
une quantité d’espèces plus ou moins inconnues des Européens
parmi lesquelles certaines sont saisonnières et remontent et des-
cendent le fleuve. Ainsi le n'ténéni ou lénéni. De même la chasse
aquatique et la cueillette aquatique présentent de grandes possibili-
tés ici et elles ont sans doute été exploitées les premières.
Cependant, l’Issa-Ber est aussi et naturellement un pays de pâ-
turages, du moins partout où l’eau pénètre (mais elle pénètre à
peu près partout). N’oublions pas que nous sommes à Niafonké
sur le 16e degré de latitude nord environ, à un degré au nord de
Sokolo, de Goumbou et de Nioro! c’est-à-dire en plein pays Sahé-
lien. C’est le Niger qui transforme ce territoire qui, d’après sa lati-
tude devrait être Sahélien, en un pays très arrosé et en pâturages
copieux, l’eau abondante et surabondante fertilisant le sable.
Aussi les Peuls sont-ils venus s’y établir depuis 1400 environ
(d’après Delafosse) et forment-ils maintenant l’immense popula-
tion du cercle. Les Sôninnké (13.000) sont des commerçants culti-
vateurs.
Sorko, Songhaï et Sôninnké sont évidemment plus anciens dans
le pays que les Peuls. Il a dû y avoir d’abord des Soroko (Sorko ou
Bozo, vue siècle de notre ère approximativement), puis des Sô-
ninnké (IXe au XIIIe siècle), puis des Peuls (XVe siècle). Les Bam-
bara ont dû venir par le sud s’établir dans le cercle à l’époque de
l’expansion Bambara (XVIe au XVIIe siècle). En définitive, le cer-
cle de l’Issa-Ber forme un ensemble ethnique avec les cercles de
Mopti et de Dienné (au sud) qui, eux aussi ont été envahis par les
Peuls au commencement du XVe siècle. Voici du reste l’analyse de
ces cercles (d’après Delafosse : Haut-Sénégal-Niger, Tome I,1912) :
Races Cercle de Mopti Dienné Totals
l' Issa-Ber par race
Peuls 75.000 35.000 39.000 149.000
Bambara 16.000 7.000 17.000 40.000
Sôninnké 13.000 6.000 14.000 33.000
Songhaï 10.000 2.000 100 12.100
Bozo et Sorko 1.000 2.000 12.000 15.000
Bobo » 5.000 1.000 6.000
Dogon ou Habbé » 2.000 » 2.000
. . .
115.000 59.000 83.100 257.100
Comme on le voit, sur une population de 257.000 habitants
environ pour ces trois cercles, il y a 149.000 Peuls (en comptant
leurs serfs cultivateurs ou Rimaïbé) 40.000 Bambara, quelques
Habbé ou Tomba (2.000) descendus de la falaise de Bandiagara
vers le fleuve. De plus, 6.000 Bobo sont venus du sud-est à une
époque ancienne (sans doute du cercle de San où les Bobo forment
la majorité de la population).
Ajoutez les Songhaï qui ont, eux, remonté le fleuve et les Sô-
n:nnké au nombre de 33.000. Songhaï et Sôninnké forment,comme
nous le savons, la catégorie des cultivateurs-commerçants.
Enfin, il faut ajouter les plus anciens habitants sans doute du
lieu, les 15.000 pêcheursBozo ou Sorko qu’on trouve surtout dans
le cercle de Dienné (12.000 à Dienné, 2.000 à Mopti).
Gomme on le voit, il y a bien dans ces cercles de l’Issa-Ber,
Mopti et Dienné, un ensemble ethnique assez homogène, assez
identique où dominent actuellement les Peuls.
Revenons à ceux-ci et d’abord au Lieu.
Nous savons que le lieu est très bien arrosé par le Niger et par
les lacs qu’il remplit et les innombrables bras qu’il forme au mo-
ment des hautes eaux. Le cercle exploitable est même une créa-
tion du Niger car sans celui-ci, le cercle de l’Issa-Berserait, comme
il a déjà été dit, un territoire Sahélien ou Saharien (16e degré de
latitude nord).
Au point de vue climatologique, en effet la pluie n’est pas très
abondante dans le cercle de Niafonké. Elle ne tombe que pendant
quatre mois : juin, juillet, août et septembre.
Voici les quantités d’eau tombées pendant les années 1927 à
1930 (Extrait du Bulletin du Comité des Etudes historiques et scien-
tifiques de l’Afrique occidentale française, 1931, n° de juillet à sep-
tembre, p. 278 à 280).
Années Tombée de pluie

1927 366 mm.


1928 187 mm.
1929 438 mm.
1930 277 mm.

Total 1.268 mm.

ce qui donne 317 m/m en moyenne par an, soit en gros 32 centi-
mètres d’eau qui tombent chaque année de juin à septembre.
Le mois le plus chaud de l’année ici est mai, ensuite avril et
juin, puis octobre. Les mois froids (relativement) sont décembre et
janvier et après eux les mois de la grande tombée des pluies {juil-
let, août et septembre). La température se relève en octobre puis
retombe à la fin de novembre. Après les mois froids (décembre,
janvier, février) elle se relève brutalement dans la seconde quin-
zaine de mars, et alors viennent les mois chauds (mars, avril, mai
et juin, surtout mai).
Voici quelques notes annexes sur les tornades et pluies de
l'Issa-Ber :
Nuit du 14 au 15 mai 1913 : une tornade de sable a lieu avec
quelques gouttes de pluie à deux reprises différentes (11 heures du
soir, 2 heures du matin).
Le 5 juin de 5 à 7 heures du soir : tempête de sable et de pluie.
Le 8 juin de 5 à 7 heures du soir : tempête de sable et de pluie.
Le 9 juin : tempête de sable.
Le 15 juin : idem.
Le 18 juin : tempête de sable, petite ondée, de 16 h. 1/2 à
17 heures.
Le 19 juin : tornade pluvieuse de 17 à 19 heures.
Le 24 juin ; grande tempête de vent et de sable sans une goutte
d’eau de 17 heures à 20 heures.
On voit combien le régime des pluies a de difficultés à s’établir,
dans ce pays de sable envahi par l’eau du Niger.
Mais continuons :
Le 5 juillet, samedi soir, de 20 à 24 heures, il y a une tornade :
grand vent et de la pluie.
Le 7 juillet, lundi soir, de 20 à 24 heures, beaucoup de vent et
peu de pluie.
Le 8 juillet, à partir de 21 heures, vent et enfin pluie formidable
pendant toute la nuit, laissant des mares le lendemain matin dans
le sable et sous les vérandahs.
Le 10 juillet, jeudi soir : tempête de vent et de sable pendant la
nuit, avec quelques gouttes de pluie.
Le 11 juillet, vendredi : entre 17 et 19 heures, petite tornade et
grande pluie, beaucoup d’eau tombée.
Le 19 juillet, samedi : vers 4 heures du matin, une pluie simple
Du 23 au 24 juillet, pendant la nuit, pluie violente et courte
trombe de vent, puis encore de la pluie.
Du 27 au 28 juillet, pendant la nuit, pluie médiocre.
Du 28 au 29 juillet : à partir de 17 h. 1 /2, tornade confuse avec
un peu de pluie.
29 juillet: de 17 à 19 heures : tornades ratées, un peu de pluie.
Quant à la température, elle se maintient à l’ombre, à l’inté-
rieur des cases, entre 2701 /2 (7 heures du matin) et 34° ( 14 heures)
ce qui fait une moyenne de 31°.
Le 4 août, de 17 à 20 heures : forte tornade de sable avec quel-
ques gouttes de pluie.
Le 10 août, dimanche, de 17 à 20 heures : tornade, pluie vio-
lente et courte.
Le 12 août, de 19 à 22 heures : tornade de sable, sèche et fu-
rieuse.
Le 13 août, de 19 h. 1 /2 à 22 heures : tornade de sable, sèche et
furieuse.
Le 14 août, de 17 à 24 heures : tornade de sable (17 à 18 heures)
puis giboulées violentes, enfin pluie plus calme et assez continue.
Le 17 août, de 15 à 24 heures : 3 tornades de sable successives,
sans pluie (ou à peine quelques gouttes).
Du 18 au 19 août, pendant la nuit : courte tornade avec petite
pluie.
Le 19 août, à 9 h. 1 /2 (donc matin) : pluie très courte, mais assez
forte.
Le jeudi 21 août, de 18 heures à 22 heures : pluie violente et
courte, ensuite pluie fine.
Du 21 au 22 août, vers 2 heures du matin : tornade avec pluie
Du 23 au 24 août, pendant la nuit : vent et grande pluie conti-
nuée jusqu’au matin, laissant des flaques d’eau.
Dimanche 24 août, 7 heures du matin : température de 26° 1-2.
Du 10 juillet au 24 août 1913, température oscillant dans mon
bureau de 27° 1 /2 à 7 heures du matin à 34° à 14 heures. Moyenne :
31°.
Du 24 au 25 août, pendant la nuit : tornade vers le matin, pluie
presque immédiate et assez forte laissant des flaques d’eau. Le
matin à 7 heures = 270.
Lundi 25août: tornade de 17 à 21 heures. Beaucoup d’eau tom-
bée.
Le 26 août à 10 heures du matin : 28° 1 /2 au thermomètre. A
18 heures, commence une tornade de vent et de sable qui dure
toute la nuit du 26 au 27. Pas d’eau.
J’ajouterai à ces renseignementsclimatologiques les renseigne-
ments suivants au sujet de la crue du Niger à Niafonké même :
Décembre : offre le maximum des hautes eaux du fleuve.
Janvier et février : la descente commence.
Mars : elle s’accentue beaucoup.
Avril, mai : elle continue encore. En mai, le fleuve n’a plus que
0 m. 50 d’eau.
Juin : le 31 mai, le mouvement de descente du fleuve a cessé
(1913) mais le mouvement d’augmentation est à peine visible. On
peut toujours traverser le fleuve à pied mouillé.
Juillet : le Niger commence à remonter sérieusement.
Août: idem.
Septembre, octobre, novembre : la montée s’accentue.
Décembre : hautes eaux. Le Mage, petit vapeur du fleuve, trans-
portant fonctionnaires et marchandises, fait le service de Kouli-
koro à Tombouctou en septembre, octobre, novembre, décembre
et jusqu’au 15 janvier.
A partir du 15 janvier, le Mage ne peut plus faire le service et
les vedettes européennes fonctionnent du 15 janvier au 15 avril.
A partir de ce moment-là, le fleuve ne peut plus porter que les cha-
lands indigènes dits de Dienné qui fonctionnent du 15 avril au
15 juillet. A partir de ce moment (15 juillet) recommencent les
vedettes jusqu’au 1er septembre, époque où le Mage peut repren-
dre ses voyages.
Donnons maintenant quelques renseignements sur la flore du
cercle de l’Issa-Ber.
Il possède quelques fromagers (Eriodendron anfractuosum).
Mais il n’y a ici aucun bômou (mot bambara, Bombax buonopo-
zense) qui fournit le bon kapok.
Pas de Karités, ni de Nérés (Parkia biglobosa), le cercle étant
trop septentrional (16° de latitude nord) pour posséder des arbres
de cette espèce.
Les gommiers, il n’y en a pour ainsi dire pas. Le seul bois de
gommiers connu dans le cercle est très loin à l’ouest, sur la route
de Soumpi à Bassikounou.
Le caoutchouc vrai n’existe pas (liane gohine). Il n’existe que
le faux caoutchouc inférieur de la liane n’saba, non utilisé par
l’industrie Européenne.
Les bois précieux ou utiles n’existent pas non plus ici sauf le
palmier doum (Hyphenes Thebaïca) qui est ici en grande quantité
et dont les troncs servent à faire les toitures des cases quadrangu-
laires ou à construire les barques.
Le palmier doum fournit aussi, dans son fruit, le coroso ou faux
ivoire. Ce fruit est plus gros qu’un oeuf mais moins long. Son
écorce, quoique assez dure, est utilisée par les indigènes qui la
mangent ou plutôt s’amusent à la gratter avec leurs dents. Cette
écorce a une odeur de pain d’épice. Elle offre une épaisseur d’un
centimètre ou deux. L’on s’en sert aussi pour faire une boisson
appelée lèlè, bue par les Peuls musulmans avant toute fermenta-
tion. C’est la grande boisson du cercle de l’Issa-Ber, avec le bour-
gougui ou vin de bourgou dont nous allons parler plus loin.
En grattant l’écorce du fruit du palmier doum, l’on arrive donc
à la coque du fruit plus dure et non utilisable au point de vue ali-
mentaire, mais cette coque renferme à son tour un noyau blanc
solide et évidé dans son milieu qui est le faux ivoire ou coroso du
palmier doum. Cet ivoire végétal n’est pas laid. Malheureusement,
le fruit du doum n’est pas assez gros pour avoir un noyau d’ivoire
de forte dimension et, de fait, beaucoup de fruits ou noix de
l’Hyphenes Thebaïca sont inutilisables à cause de leur dimension
trop médiocre.
Un commerçant de Mopti, M. Simon, a obtenu en 1910 la con-
cession des bois d’hyphènes de l’Issa-Ber, pour l’exploitation des
fruits, des noyaux d’ivoire. Il a fait quelques envois en Europe
qui lui ont couvert ses frais de récolte, mais il ne semble pas qu’il
ait gagné beaucoup sur l’opération. Ce qui semblerait le prouver,
c’est qu’il a abandonné depuis longtemps 1 toute récolte de fruits
du doum. Et pourtant ces fruits ne sont pas difficiles à se procu-
rer. Les indigènes, après avoir mangé ou utilisé l’écorce, déposent
les noyaux en grands tas à la porte de leurs habitations et ne s’en
occupent plus. Il n’y aurait donc qu’à faire enlever les tas ainsi
formés. En fait, on les laisse bien tranquilles, ainsi que j’ai pu
le constater lors de ma tournée d’avril 1913.

1. Ceci a été écrit en 1913.


Ajoutons que dans tout le cercle de l’Issa-Ber, on trouve des
peuplements importants de ces rôniers fourchus. Chaque arbre
peut produire environ par an 160 noix ou fruits pesant dans les
50 grammes chacun. C’est pendant la saison sèche et froide, sur-
tout en janvier, que se fait la récolte.
Les hyphènes sont la propriété collective de chaque village. On
les exploite du reste d’une façon très peu intensive pour les troncs
(habitation) et les feuilles (vannerie), d’une façon un peu plus
intensive pour le fruit (que l’on suce, comme nous l’avons vu et
dont on fait une boisson non fermentée.)
Ici, toutes les cordes, tous les éventails, tous les paniers sont
en fibres de feuilles de doum. Les barques du pays sont faites de
grandes planches de bois cousues les unes aux autres par de gros
paquets de ficelle ou de corde de doum. Bref, le palmier doum est
ici l’arbre indispensable que l’on utilise, pour ainsi dire, des pieds
à la tête.
Ajoutons que le rônier (Borassus flabelliformis) n’existe pas
dans le cercle de l’Issa-Ber à cause de la latitude trop septentrio-
nale. On le rencontre, au contraire, en grande quantité, plus au
sud, comme on le sait, par exemple à Dienné.
Malheureusement, en dehors du palmier doum, il n’y a guère
ici d’autres arbres utiles. On peut cependant citer le Sounsoun
(néflier d’Afrique), le n’tomono ou jujubier, le faux gommier, et
les épineux qui poussent dans le sable bordant les canaux du Ni-
ger.
On cueille aussi dans la brousse les fruits de la liane n’saba
(fausse liane à caoutchouc). Ces fruits sont des espèces d’oranges
sucrées et à compartiments. On les vend sur les marchés 5 ou 6
pour 20 cauris (il faut 50 cauris pour faire un sou). Ce sont les
Rimaïbé (serfs cultivateurs des Peuls) qui cueillent ces fruits au
commencement et à la fin de la saison des pluies (juin et octobre).
Il faut citer aussi une céréale sauvage bien connue dans toute
la région Sahélienne sous le nom de cram-cram (petite céréale
épineuse appelée pagri ou paguiri en Peul, ghdizi ou gaïnchi en
Songhy, norona en Bambara). Elle est recherchée par les captifs
des Maures et des Touareg (Harratinn et Bellah) et par les Peuls
du cercle de l’Issa-Ber. Mais les Bambara, du sud du cercle, mé-
prisent le cram-cram et ne le recherchent pas, faisant des grains
en suffisance (mil, riz, etc.).
Une autre cueillette dont nous devons dire un mot est celle du
nénuphar. Les indigènes du cercle en distinguent trois espèces :
l° Le grand nénuphar à longues feuilles vertes. Il s’appelle gan¬
gari en Songhaï et en peuhl, Kaan en bozo et n'gokou en bambara.
Il possède une fleur blanche au milieu jaune. Le fruit en est gros
comme une petite pomme et rempli de grains (genre grenade).Il
est bon et rafraîchissant. Les racines aussi sont grosses, mais pas
bonnes, du moins pour les Européens. Les indigènes aussi, tout
en les consommant, les trouvent moins bonnes que les racines
des autres espèces. Quand cette racine est pelée et bouillie, elle
forme une masse ronde de la grosseur d’une petite pomme. Si on
la mange, on a d’abord un goût d’artichaut dans la bouche, puis
une saveur désagréable de cendre. Bref, ici, c’est surtout le fruit
qui est bon.
2° Le petit nénuphar à feuilles roses ou rougeâtres comme celles
de la vigne sauvage. La fleur est jolie, avec des pétales roses très
longs et un centre jaune. Le fruit est malheureusement minuscule,
comme une petite nèfle qui serait grosse comme le bout du pouce.
Il n’est, pas mauvais, mais vraiment « il n’y en a pas assez ». Quant
aux tubercules formés par les racines, ils sont petits, plus petits
naturellement que ceux du nénuphar gangari, mais, pelés et bouil-
lis, ils sont excellents : on dirait absolument des chataignes ou
des marrons cuits à l’eau. La chair de ces tubercules prend même
les tons de la chataigne bouillie.
Ce nénuphar se dit debbé en peuhl, doundou en Songhay, kaan
ou kouan en bozo.
3° Il y a une troisième espèce de nénuphar,le monôdié (peuhl et
songhay) môné en Habbé, Kouan en Bozo. (En Bozo, il semble
que ce soit le même mot qui désigne toutes les espèces de nénu-
phars).
Je n’ai pas vu cette espèce, tandis que j’ai vu moi-même les
deux précédentes. Elle est, paraît-il, semblable au debbé ou petit
nénuphar, mais sa racine n’est pas si bonne. Il n’y en a pas à la
saison sèche sur les eaux, mais elle apparaît à la saison des pluies
seulement.
4° Il y a enfin l’espèce droumboï (terme songhaï et peuhl). C’est
aussi une espèce de petit nénuphar. Les racines ont, cuites et
bouillies, un excellent goût de navet tendre. Elles ont d’ailleurs
la chair blanche du jeune navet 1. Les feuilles sont effilées, allon-
gées, arrondies aux extrémités. Les fleurs sont en forme de cor-
nes, formées de petites masses vertes charnues.
Il faut parler aussi du bourgou dont les immenses champs (que
les Européens appellent des Bourgoutières) se développent sur

1. Notes du 22 janvier 1913.


la surface du fleuve et des innombrables marigots du pays. Le
bourgou est une herbe aquatique sucrée qui donne :
1° Un grain très petit ressemblant à celui du fonio. Ce grain
peut être extrait par le battage de la tige du bourgou et réduit en
farine ou bien cuit et bouilli. Les indigènes l’extraient et le man-
gent.
2° Ceux-ci écrasent les tiges de bourgou et les réduisent en pe-
tits morceaux que l’on fait passer légèrement au feu, puis on broie
ces morceaux dans les mortiers en bois. Quand la tige est ainsi
écrasée, l’on fait couler de l’eau dessus. Cette eau se pénètre des
principes du bourgou et devient le bourgougui (mot mandé, de
gui : eau et bourgou : bourgou). Cette boisson est une sorte de
cidre légèrement sucré, mais laissant après elle, dans la bouche,
un goût désagréable de poussière. Certes, le dolo (ou cidre de mil)
est meilleur que le bourgougui !
On fait aussi des confitures avec le bourgou (on les appelle dollé
en Peuhl, kalou en Songhaï et en Bambara). C’est en réalité un
caramel visqueux et épais d’un goût fort qui demanderait à être
corrigé, comme le caramel de nos pays par la noix fraîche ou quel-
que chose de ce genre. Le cercle de l’Issa-Ber n’ayant pas d’abeil-
les, le miel y est fort cher; il y vient par importation du sud et la
bouteille de miel coûte 2 francs sur le marché (en 1913). On rem-
place donc ici le miel d’abeilles par le miel au caramel de bourgou
qui ne vaut que 0 fr. 30 la bouteille. Ajoutons du reste que l’on
fait des confitures, plus liquides que le caramel de bourgou, avec
les fruits du sounsoun et aussi ceux du rônier.
Mais l’usage le plus général que l’on fait ici du bourgou, c’est
de le couper pour les animaux domestiques (chevaux, ânes) pour
lesquels il constitue un fourrage excellent. C’est pendant janvier,
février et mars qu’il est ainsi coupé, cueilli,séché et emmagasiné,
surtout en mars. Enfin, les Peuls poussent leurs troupeaux de
boeufs et de moutons, à mesure que l’eau descend (janvier à mars)
dans les champs de bourgou. Le bétail aime énormément ce four-
rage naturel et s’en donne à coeur joie dans les plaines Nigériennes.
Enfin, il y a le riz d'eau sauvage qui croît dans le Niger; il est
tellement commun par ici (qu’il soit spontané ou seulement sub-
spontané) qu’il y en a de véritables champs que les indigènes peu-
vent couper à la faucille, comme le riz d’eau cultivé. Le grain de
ce riz sauvage, et c’est son infériorité, est beaucoup plus petit que
celui du riz cultivé, mais les indigènes l’estiment meilleur, et de
qualité supérieure.
On voit les ressources de cueillette qu’offre le cercle.
Les ressources de pêche et de chasse sont aussi abondantes, mais
elles ne sont pas exploitées par les Peuls. Elles sont exploitées par
leurs Rimaïbé et les Bambara du sud du cercle. Les poissons sont
pour les Sorko du nord ou les Bozo du sud.
La culture existe naturellement ici, mais elle est surtout le fait
des Rimaibé (serfs cultivateurs des Peuls) et des Bambara établis
dans le sud du cercle de l’Issa-Ber, au nord du Débo. Le mil est
semé en janvier, février, mars, quand les eaux descendent. Quant
au riz, il est semé en juillet.
On cultive aussi du coton dans l’Issa-Ber. Le henné est cultivé
sur la rive gauche du fleuve. Le village de Doué, dans le canton
de l’Attara, le cultive. Il est peuplé de Sorko et de Habbé, il est
vrai, car ni les Peuls ni les Rimaïbé ne le cultivent.
L’élevage est très développé naturellement dans le cercle, car
c’est le travail essentiel de nos Peuls même sédentarisés. (Les
Peuls de l’Issa-Ber sont sédentaires). D’après Meyniaud (Géogra-
phie économique du Haut-Sénégal-niger, (1912) il y a dans le cercle :
67.328 bovidés
295.426 ovidés et capridés
4.000 équidés
1.000 ânes, etc.
Les Peuls ne font pas le commerce de leur bétail, mais ce sont
bien pourtant leurs troupeaux qui alimentent les marchés de
Saraféré et de Korienza (dans l’est du cercle), et fournissent à une
exportation qui va jusqu’en Gold Cost. Ce sont les Sôninnké
(Mandé du Nord commerçants) fondateurs des places commer-
ciales de Saraféré et de Korienza, comme de celles de Sofara et de
Dienné plus au sud, qui se chargent de ce commerce et le pra-
tiquent, non sans bénéfices, à la place des Peuls.
Il est remarquable que les moutons de l’Issa-Ber et du Macina
soient les seuls moutons à laine (à laine pauvre et courte du reste)
de toute l’Afrique occidentale. Mais cela suffit pour donner lieu
à l’industrie des Kasa ou couvertures du Farimaké (province du
Macina).
Ces Kasa sont d’amples couvertures en laine faites pour s’en-
velopper tout le corps de la tête aux pieds, pour se draper com-
plètement.
Les tisserands de l’Issa-Ber et du Macina forment caste, bien
entendu : la caste peuhle des Mabbo, au pluriel Maboubé, dont
les procédés sont traditionnels. Ils ne cherchent pas à améliorer
le métier dont ils se servent qui reste et restera longtemps encore
à l’état primitif. Ils possèdent pour chaque espèce de couverture
en laine en usage dans le pays, un modèle invariable qui s’est
transmis de génération en génération et qui continue à se trans-
mettre de père en fils. Les motifs en usage étant peu nombreux,
ils peuvent les exécuter rapidement et sans modèle.
On peut même ajouter que les 3 ou 4 variétés de couvertures
fabriquées dans le pays ont chacune leurs spécialistes et tel qui
fabrique la couverture tiouki, par exemple, ne fabriquera que
celle-là.
Voici la liste de ces couvertures :
1° La couverture liouki.
Celle-ci se fabrique surtout dans le Farimaké, d’où son nom,
Tiouki étant le chef-lieu de cette province. La trame est de coton
ainsi que les petites bandes blanches apparentes. Le reste est en
laine. Il faut à peu près 4 kilos de coton filé et 3 kilos de laine filée
pour fabriquer cette couverture qui pèse en moyenne 7 kilos. Elle
est composée de bandes mesurant 25 centimètres de largeur,
reliées entre elles.
Trois teintes sont employées : le bleu, le rouge, le jaune. Le
bleu est obtenu par l’indigo, le jaune par une cuisson de tamarin
et de cendres, le rouge de la même façon que le jaune en y ajou-
tant de l’oseille indigène. Ces teintures sont excellentes comme
qualité et, malgré les nombreux lavages, elles gardent toujours
le même éclat et ne débordent jamais l’une sur l’autre.
Cette couverture est un objet de luxe, et, dans toute case de
Peul aisé, elle orne son lit et lui sert de moustiquaire. Elle vaut
dans le pays de 40 à 60 francs (prix de 1913).
Dans d’autres parties du cercle, notamment à Saraféré, l’on
fabrique une imitation de cette couverture, qui vaut de 20 à
30 francs. Elle ne diffère de l’autre que par la qualité, et les teintes
bleues sont remplacées dans l’imitation par des teintes noires.
2° La couverture nounou.
Cette couverture est fabriquée dans le Haoussa-Katawal un
des cantons de l’Issa-Ber, et plus particulièrement dans la région
de Nounou, d’où son nom.
Elle est destinée au même usage que la tiouki, mais de même
que l’imitation de cette dernière, elle s’adresse à une classe moins
riche.
Elle est faite de bandes reliées entre elles comme la tiouki, mais
elle diffère de cette dernière en ce qu’elle ne contient pas de coton
La trame elle-même est de laine. En revanche, le dessin est moins
recherché, les teintes sont moins vives et le bleu, qui revient cher,
est remplacé par un gris sale qui donne à l’ensemble un aspect
terne peu agréable à l’oeil. Cette couverture, qui pèse en moyenne
trois kilos et demi vaut de 15 à 20 francs (prix de 1913).
3° Le pagne pour femme.
Le pagne est entièrement en laine et teint au moyen de l’in-
digo. Les femmes Peuhles le portent à la saison fraîche. Sa valeur
est de 4 à 6 francs suivant la finesse de la laine employée pour la
confection.
4° Kasa vulgaire sans dessins.
Ce Kasa (espèce de manteau) est entièrement en laine. La laine
servant à sa confection est prise parmi les toisons des animaux
les plus vieux du troupeau (brebis et béliers).
Ce Kasa est, pour ainsi dire, le vêtement national du pays. Tous
le possèdent. Pour quelques-uns, pour les bergers Peuhls par
exemple, il compose l’unique vêtement dont ils font usage. La
classe élevée qui le dédaigne, parce qu’il est employé par les au-
tres classes, l’utilise néanmoins comme vêtement de nuit, pour
se garantir du froid. Cependant, il faut ajouter qu’elle fait géné-
ralement usage d’un kasa plus fin (voir plus loin).
Le Kasa vulgaire vaut de 2 fr. 50 à 5 francs. Il a un cours très
variable et la raison en réside uniquement dans l’imprévoyance
de nos Peuls qui ne songent à se couvrir que lorsqu’ils souffrent
réellement du froid. Le même Kasa qui vaut 2 fr. 50 à la saison
chaude, monte à 4 fr. 50 et à 5 francs à la venue des premiers
froids, conséquence naturelle des nombreuses commandes qui
s’abattent alors sur les tisserands.
Ce Kasa pèse généralement un kilogramme et demi.
5° Kasa ordinaire à bandes rouges sans dessins.
Ce Kasa, comme le précédent, est entièrement en laine, mais
la laine employée est choisie. Elle est prise parmi les toisons des
animaux de un à deux ans.
Ce Kasa est employé au même usage que le précédent. Comme
lui, il sert de vêtement et de couverture et son prix est très va-
riable : il oscille entre 4 et 7 francs.
Cependant, pour être absolument exact, il faut ajouter que l’on
fait aussi des Kasas à bande rouge dans la catégorie précédente,
c’est-à-dire avec de la laine d’animaux vieux.
Le Kasa dont nous parlons pèse en moyenne 2 kgr. 200, car il
est toujours beaucoup plus grand, plus étoffé que le kasa vulgaire.
6° Kasa mi-fin avec dessins.
Il est entièrement en laine comme les précédents, mais plus
fin, la laine employée étant celle d’animaux de cinq mois à un an.
Les dessins sont les mêmes sur tous les exemplaires. Le prix varie
de 7 à 10 francs et l’objet pèse de 1 kgr. 800 à 2 kilos.
7° Kasa fin avec dessins.
Il est entièrement en laine comme les précédents, mais plus fin
encore, la laine provenant des plus jeunes agneaux (un à quatre
mois). Il faut la toison de 40 à 50 agneaux pour obtenir la quantité
de laine nécessaire à la confection. Ce kasa peut être plus ou moins
fin suivant que la laine est prise sur des agneaux plus ou moins
jeunes : dans le cas d’agneaux de quatre mois, il faudra évidem-
ment moins de toisons pour fournir la quantité nécessaire, mais
la qualité, ne sera plus aussi bonne. En fait, l’on rencontre toutes
les transitions entre le Kasa mi-fin avec dessins (n° 6) et le Kasa
fin avec dessins dont nous parlons en ce moment. Le prix varie de
12 à 15 francs (toujours prix de 1913). Il ne varie pas seulement
suivant la qualité de l’objet, mais suivant la saison, mais la va-
riation est ici beaucoup moins sensible que pour les kasas précé-
dents, le kasa fin avec dessins étant un objet de luxe, beaucoup
moins demandé, par conséquent, que les kasas précédents :
Son poids moyen est de 1 kgr. 500.
Il est utilisé comme vêtement et comme couverture de nuit et
est très apprécié des femmes peuhles à cause de sa finesse qui per-
met de le porter à même la peau sans craindre les démangeaisons,
comme peuvent en donner les autres kasas, surtout les numéros 4
et 5.
Comme on le voit, la production d’objets en laine est ici remar-
quable. C’est la caractéristique du cercle de l’Issa-Ber.
Nous avons vu plus haut que M. Meyniaud, en 1909, estimait
les moutons et chèvres de l’Issa-Ber à 300.000 environ. Mais
M. Jabouille, un fonctionnaire du cercle, auteur de l’étude sur les
Kasas que nous venons de reproduire, dit qu’il y a 600.000 mou-
tons à laine dans le cercle. D’autre part, on peut compter que ces
moutons produisent de 250 à 400 grammes de laine environ par
an, soit 300 à 350 en moyenne. En France, un mouton, à la fin du
XVIIIe siècle, en donnait 1 kgr. 1/2 environ tandis qu’en 1900 les
moutons de France donnaient de 6 à 7 kilos par an. Avec les
moutons du Macina, à laine pauvre, sale et courte, nous sommes
loin de ces 6 à 7 kilos et même de 1 kgr. 1 /2! Mais enfin, avec cette
laine, Jabouille estime qu’on fabrique 40.000 kasas par an pesant
dans les 3 kilos l’un, en moyenne, ce qui emploierait 120.000 kilos
de laine. D’autre part, les commerçants européens exportent 140
tonnes de laine du cercle. Cela ferait à raison de 300 grammes de
tonte par mouton, 660.000 bêtes,ce qui est probablement exagéré.
Ajoutons que les tisserands tissent aussi le coton ici. Un pagne
en coton du pays vaut 3 francs. Le coton est cultivé par les Bam-
bara et quelques Rimaïbé.
L’industrie de la peausserie-cordonnerie existe aussi dans le cer-
cle de l'Issa-Ber. Elle s’applique aux peaux de chèvres, de mou-
tons et de boeufs. Le prix que valent ici les peaux est dérisoire; les
peaux de chèvres et de moutons valent 0 fr. 25 les grandes et
0 fr. 15 les petites. La peau de boeuf vaut 3 fr. 50 1.
En France, une douzaine de peaux de chèvres se vend de 11 à
26 francs, en moyenne 18 fr. 50 et ici, la même douzaine vaut
2 fr. 40. Gomme, d’autre part, le transport en France de la même
douzaine de peaux se solde par 0 fr. 30 de frais, l’on voit ici le
bénéfice que peuvent avoir les exportateurs.
Quant à la peau de boeuf, elle vaut en France de 150 à 210 francs
les 100 kilos, c’est-à-dire en moyenne 180 francs. Ici, comme la
peau moyenne valant 3 fr. 50 possède 4 kgr. 500 de poids, on a
78 francs pour les 100 kilos. Gela laisse une marge de bénéfice de
102 francs pour les 100 kilos de laquelle il faut, il est vrai, déduire
les frais de transport.
Ajoutons que le tannage et la préparation des peaux sont aux
mains d’une caste peuhle qui s’appelle saké (au pluriel sakébé) ou
gargassadio (au pluriel gargassabé). Les peaussiers ou cordon-
niers tannent et enlèvent les poils de la peau avec l’écorce du kil-
louki (nom Peuhl). Le killouki est le bagui des Bambara ou le kar-
guikoré des Songhaï. C’est probablement le goniaké des Ouolof,
Acacia Adansonii en langage scientifique.
On commence par faire tremper la peau à tanner dans l’eau
froide. On brûle l’écorce du killouki et on la réduit en cendres. On
met celle-ci dans la grande calebasse pleine d’eau où trempe la
peau. On laisse deux jours la peau dans le bain et le troisième, on
la sort et on enlève les poils avec le dos d’un couteau en fer.
Ensuite, on prend les feuilles du troudiadié (nom peuhl, troumba
en Bambara, goumba en Songhay) et on les pile dans un mortier.
La pâte ainsi obtenue est mise dans l’eau avec la peau traitée. On
laisse tremper celle-ci pendant deux jours : le troisième jour, on la
sort et on la gratte de nouveau.
Ensuite, on prend les gousses de l’arbre qu’on appelle gaoudé en
Peuhl (c’est le bôna ou bouana bambara et le bagani songhaï). On
les pile et on met la pâte ainsi obtenue dans un grand canari noir

1.Naturellement, ce sont toujours les prix de 1913 qui ont dû quintupler


au moins, depuis.
plein d’eau avec la peau (ajoutons que la gaoudé est probablement
le nep-nep ou neb-neb des Ouolofs ou Acacia arabica ou nilotica).
C’est une variété d’acacia mimosa qui sert au tannage des cuirs
d’une façon générale en Afrique occidentale française 1. On remue
la peau à la main pendant un ou deux jours.
Enfin, on tord la peau et on la passe dans de l’eau pure, puis on
l’expose au soleil pour sécher. Avant qu’elle soit complètement
sèche, on la frappe sur du bois pour lui donner de la souplesse,
puis on la graisse avec du beurre frais de vache. Alors on peut se
servir des peaux pour fabriquer les objets que l’on veut (musettes,
carniers, etc.).
Avec l’industrie de la laine et l’industrie des peaux, il faut si-
gnaler celle du forgeron et du bijoutier (le forgeron s’appelle baïlo
en Peuhl, Waïloubé au pluriel et le bijoutier qui traite les objets en
cuivre, en argent ou en or s’appelle tiayakou, au pluriel Tiayan-
kobé). Le baïlo fabrique les objets en fer, outils de culture, armes,
le tiayakou fabrique les bijoux. Ici, ces deux industries connexes
paraissent assez médiocres et ne produisent rien de particulière-
ment curieux. Pour les poteries du cercle, elles sont assez plai-
santes avec leur couleur rouge-clair et leur dessous d’un noir
foncé. Ces poteries sont fabriquées par les femmes des forgerons, à
Saraféré, et par celles des tisserands (maboubé) à Niafonké. L'in-
dustrie du tressage est assez remarquable ici. Il se fabrique, en
effet, dans le cercle une grande quantité de nattes. Il y en a de
toutes les dimensions et de tous les prix. Elles sont blanches ou de
couleurs variées.
Ces nattes sont fabriquées avec les feuilles du rônier fourchu ou
palmier doum, l’arbre par excellence du cercle, comme nous le
savons. Il y a d’abord la natte blanche ordinaire. Elle mesure un
mètre sur deux. C’est la natte courante utilisée par tous, confec-
tionnée dans chaque village par les femmes et qui coûte 0 fr. 25 ou
0 fr. 30 pièce (prix de 1913).
Les nattes de couleur servent à différents usages. Elles ornent
le lit et font aussi les séparations dans les cases peuhles, quand on
1. Le gaoudé ou bouana (Acacia arabica ou nilotica) ressemble beaucoup
au killouki ou bagni (Acacia Adansonii). Les feuilles de ces deux arbustes
se ressemblent étrangement. Le killouki est un arbuste blanc-verdâtre à
grandes épines blanches. Le gaoudé, lui, est un arbuste brun à grande épines
brunes. Au fond, la grande différence entre les deux arbustes est que le
gaoudé a des épines brunes, tandis que le killouki a des épines blanches.
Celles du gaoudé sont aussi longues et aussi fortes que celles du killouki
(3 centimètres et demi environ). De même, l’écorce est brune au lieu d’être
blanc-verdâtre. Ces deux arbustes sont donc très voisins et appartiennent
évidemment à la même famille végétale.
les place verticalement. On en fait de toutes les grandeurs et
les prix varient suivant les dimensions. Certaines valent 2 fr. 50
pièce.
Les couleurs employées pour teindre les fibres de feuilles de pal-
miers doums sont le rouge, le jaune et le noir. Les deux premières
couleurs se fabriquent comme pour la laine. Quant au noir, on
l’obtient par un mélange d’indigo et de charbon ou, plus simple-
ment encore, en enterrant les feuilles du palmier dans de la vase
pendant un certain temps.
L’industrie de la menuiserie, exercée par la caste peuhle des
Labbo (au pluriel Laobé) existe aussi dans le cercle. Le Labbo est,
en général, un artiste assez habile, dans le travail du bois. Je cite-
rai les lits des Peuhls qui sont joliment travaillés et qui ne sont
pas chers. Ils reviennent à cinq francs l’un (prix de 1913). Les me-
nuisiers fabriquent également les fourches pour supporter le cadre
des lits et des perches pour les pirogues. Ces fourches et ces per-
ches sont fabriquées avec le bois de l’arbre nommé en bambara
Diarasounkalani.

Ajoutons quelques renseignements sur le commerce du cercle.


C’est dans la résidence de Saraféré (est du cercle) que se fait le
grand mouvement commercial de l’Issa-Ber. C’est de là qu’on
exporte les boeufs peuhls vers le sud-est. Rien que pour le deuxième
trimestre 1913, on en a exporté 2.812, ce qui représente une valeur
de 112.480 francs (le boeuf valant, en 1913,40 francs enmoyenne,
pris dans le cercle, mais se vendant beaucoup plus cher en Gold
Coast). Ces boeufs, en effet, vont vers le Gold Coast qui en fait une
grosse consommation et qui paye en or anglais.
On exporte aussi par Saraféré des peaux de boeufs et des peaux
de moutons et on fait de même par Niafonké à destination de
Mopti et du Sud.
Laine et couvertures de laine du Farimaké donnent lieu aussi à
un commerce drainé par les commerçants européens.
Il y a aussi, comme commerce européen, les plumes d’aigrettes
et de marabouts. Le cercle possède, en effet, quelques héronnières
étendues qui ont été mises en adjudication. Ces plumes sont ache-
minées vers Mopti et expédiées de là sur la métropole.
Les importations du cercle consistent surtout en sel et en kolas,
le sel venant du nord du Sahara, et les kolas venant du sud. Il y a
aussi des importations de cotonnades européennes, mais beaucoup
moins importantes ici que dans les autres régions de l’Afrique
occidentale, et cela se conçoit, les Peuls de l’Issa-Ber utilisant la
laine de leurs troupeaux pour fabriquer les couvertures ou Kasa
dont nous avons parlé plus haut.
Quant au mil et au riz, le pays, grâce aux Sôninnké et surtout
aux Bambara du sud, en produit plutôt plus qu’il ne lui en faut. Il
y a donc une certaine exportation de ces céréales, surtout du mil,
vers le nord, mais elle n’est pas très importante.
Le commerce des Européens établis dans le cercle est assez mé-
diocre : ils vendent du sel, des cotonnades pour indigènes. Ils ex-
portent de la laine brute, des peaux de boeufs et de moutons, des
plumes d’aigrettes et de marabouts, etc.
Le commerce indigène est représenté par les commerçants Sô-
ninnké de Saraféré et de Korianzé (ou Koranzia) qui achètent leurs
boeufs aux Peuls et les expédient sur la Gold Coast. Les mêmes
achètent les kolas aux dyoulas venus du sud-est et les font circu-
ler ensuite dans le cercle. Ils font de même pour le sel Maure.
Notons que les Peuls de l’Issa-Ber appellent les commerçants des
Diagotodo, au pluriel des Diagotobé, ou bien ils disent un Diou-
lanké (au pluriel des Dioulankobé), mot où nous retrouvons la
racine Dyoula des Mandé.
Pour désigner les Sôninnké du cercle, ils disent un : Malinké (au
pluriel : des Malinkobé) les confondant ainsi avec les Malinké.
Ils appellent les pêcheurs (Bozo, Soroko) awowo, au pluriel
awobé.
En résumé, les Peuls de l’Issa-Ber sont des éleveurs sédentarisés.
Mais il y a dans le cercle des pêcheurs (Sorko et Bozo), des cultiva-
teurs (Bambara et Rimaïbé), des commerçants (Sôninnké). Bref,
c’est une mosaïque complexe où l’élément Peuhl ne joue qu’un
rôle partiel : il est vrai que c’est le rôle dominant. Passons mainte-
nant dans le chapitre su vant, à l’étude de la Famille et des Pou-
voirs Publics.
CHAPITRE II

FAMILLE. POUVOIRS PUBLICS


ET CASTES CHEZ LES PEULS

Donnons d’abord quelques renseignements sur la morphologie


de la Famille.
Voici des villages Peuhls avec leurs habitants, leurs groupe-
ments familiaux et la moyenne de personnes par groupement fami-
lial.
Villages Total Groupements Moyenne
habitants familiaux par
groupement
familial
Kalandia 294 40 7
Kokoye 76 14 5
Karnga 33 3 11
Kobadji 93 15 6
Kiengara 125 20 6
Ouro-Eni 96 16 6
Ouro-Esso 866 79 11
Ernghem 427 49 9
Barkanielbi 108 21 5
Mandiébougou 95 16 6
Total 2.213 273 8

Comme on le voit, les groupes familiaux sont peu fournis et ne


groupent en moyenne que deux ménages tout au plus.
Maintenant, voici le recensement de Niafonké même (Peuls) par
groupes familiaux. Il y a 122 de ces groupes familiaux faisant en
tout 798 personnes. Cela fait de 6 à 7 habitants par groupe fami-
lial.
Voici maintenant une analyse plus serrée de ces 122 groupes :
Groupes de 1 personne 1
2 personnes 11
— 14
— 3
4 14
— — 17
5 —
— 18
— 6
Groupes de 7 personnes 10
— 8 — 11
.
— 9 —
4
— 10 — 5
11 2
— —
12 — 5
— 13 — 1
— 14 — 3
— 15 2
— 16 — 2
— 17 — 2
— 30 — 1

Gomme on le voit, les groupes les plus importants sont de 2,3,4,


5, 6, 7 et 8 personnes.
La moyenne est peu élevée.
Si nous mettons ensemble les recensements des villages précé-
dents avec celui de Niafonké, on a pour les Peuls de l’Issa-Ber
3.011 personnes, et 395 groupes familiaux, ce qui donne de 7 à
8 personnes par groupe familial (soit exactement 7,62 par groupe
familial).
Nous pouvons comparer ces chiffres avec ceux des Peuls To-
ronké du Cercle de Nioro.
Les Peuls Toronké de Nioro, dit M. d’Arbousier dans un rap-
port de 1908, forment une tribu de pasteurs semi-nomades com-
posée de 9.267 habitants. Les anciens recensements accusaient un
total de 7.859 individus.
Ils habitent dans le Kingui des villages où seuls leurs serviteurs
forment une population sédentaire, la masse des gens libres me-
nant une vie errante, à la recherche d’eau et de pâturages pour
leurs nombreux troupeaux. Certains d’entre eux n’habitent ja-
mais de village. Les gens de Kobi constituent par exemple une
tribu purement nomade.
Ces Toronké sont originaires du Toro sénégalais d’où ils sont
venus dans le Kingui à la suite d’El-Hadj-Omar. Depuis leur arri-
vée dans ce pays, les familles des anciens ardo du Sénégal n’ont
gardé aucune autorité, la tribu obéissant directement au repré-
sentant à Nioro du roi foutanké. Une sorte de conseil des anciens
servait d’intermédiaire entre celui-ci et la population.
Comme on le voit, nous avons bien affaire ici à des Peuls et non
à des Toucouleurs, mais ils sont cependant venus ici du Toro au
Kingui à la suite d’El-Hadj-Omar et de ses Toucouleurs. Comme
ils sont originaires du Toro, on les a appelés Foulbé Toronké. Ce
sont des Peuhls qui ne sont donc que depuis 1854 dans le cercle de
Nioro, mais ils semblent y avoir renouvelé l’ancien élément peul
du XIVe siècle disparu.
M. d’Arbousier ajoute : « Depuis la conquête française, l’unité
administrative est le village, ce qui ne laisse pas de présenter des
inconvénients, leur vie nomade leur permettant d’échapper à tout
contrôle de notre part; elle nécessiterait un contrôle exercé par un
chef de groupement. »
Ces Peuls Toronké comptés par village donnent :

Villages Habitants Groupes Moyenne


familiaux par
groupe
familial

Arifanda 184 19 10
Diakanmodi 734 39 19
Demba-Demba 494 77 6
. . .
Gavinani 750 117 6
Hamdallaye 139 17 8
Farandallah 164 25
.... 7
Léva-Déléma 514 57 9
Fasséguerla 290 37 8
Maël 459 50 9
Gourel-Bouyaré 190 17 11
. . .
Filofdodé 285 31 9
Longuépourel.... 478 47 10
Bodévi 392 41 10
Ballé-Séno 142 22 6
Ballé-Kadié 127 25 5
Kadiel-Pobbi
Diaï-Salif
Touro
.... 397
65
332
47
11
46
8
6
7
Koumarenga
Diongui .... 350
317
37
41
9
8
Léwa-Dékellé
Léwa-Barkégui
Koriga
.... . . .
541
296
545
70
38
53
8
8
10

23 villages 8.185 964 8 à 9 habit,


habitants groupes environ par
groupe fami-
lial 1.

En fait, chaque groupe familial ne groupe que deux ménages


tout au plus (8 à 9 personnes).

1. 8,49 en moyenne.
Voici maintenant la statistique du bétail :
Villages Chevaux Anes Boeufs Moutons

Arifanda
Diékanmodi.
Demba-Demba..
.... .
6
55
9
8
17
42
445
1.622
664
276
438
3.570
Gavinani . 22 1.282 933
46
. . . .
Hamdallaye. 1 1 125 1.347
.
Farandallah. 1 16 275 436
. . 10.349
Léva-Déléma. 11 42 603
. .
Fasséguerla 12 14 298 2.172
. . . 565 541
Maël 24 60
Gourel-Bouyaré 11 17 307 634
Filofilodé . 9 27 569 791
. . . .
Longuépourel 14 37 1.475 150
. .
Bodévi 11 37 819 5.723
Ballé-Séno. 4 14 163 715
Ballé-Kadié . . . 2 14 139 219
. . .
Kadiel-Pobbi.
Diaï-Salif
Touro
.
.... .
9
5
11
34
9
10
588
149
543
1.507
92
393
Koumarenga. . 20 47 1.238 3.293
.
Diongui 18 18 650 749
Léwa-Dékollé 26 57 1.716 3.651
. .
Léwa-Barkégui. 20 25 1.006 1.801
.
Koriga 16 21 472 416
8.185 habitants 307 613 15.713 40.196

Cela fait en moyenne un cheval par 27 habitants, un âne par


13, deux boeufs par habitant et cinq moutons environ par habi-
tant. Nos Peuls sont donc des pasteurs de boeufs et de moutons.
Voici maintenant une analyse plus poussée des groupements
familiaux prise à Kadiel-Pobbi, village moyen où les groupements
familiaux groupent en moyenne 8 personnes chacun.
L’on a donc 397 personnes réparties en 47 groupements fami-
liaux qui font 100 ménages à eux 47. On a donc deux ménages
par groupement familial. Il y a 110 hommes, 152 femmes et
135 enfants.

L’on trouve 22 groupements à 1seul ménage (ou de 4 personnes


environ).
------
10 — à 2 ménages (8environ)

7

à 3 ménages (12 personnes environ).
-- 4 — à 4 ménages (soit 16).
3
— à 5 ménages (soit 20).
— 1
— à 6 ménages (soit 24).
Comme on le voit, les Peuhls Toronké de Nioro ne sont pas
réfractaires aux groupements comprenant plusieurs ménages,
mais beaucoup de ces groupements familiaux (22 sur 47) sont
réduits au simple ménage et 10 ne comprennent que deux ména-
ges. 15 seulement sont plus ou moins supérieurs à deux ménages.
Chez les Peuls de l’Issa-Ber, la situation est la même et même, au
lieu de groupements moyens de 8 à 9 personnes, la moyenne est
seulement de 7 à 8 personnes. Cela veut dire qu’en gros, le grou-
pement familial se réduit chez les Peuls de Nioro comme chez les
Peuls de l’Issa-Ber à deux ménages environ.
Au fond, cela vient de ce que chez les Peuls, les jeunes ménages
s’établissent généralement à part, dès leur mariage, dans leur
enclos propre. J’ai noté ce trait jadis chez les Peuls du Mossi sud
(Ouagadougou) et du Gourounsi (voir mon Noir du Soudan. Pags
Mossi et Gourounsi, 1912, p. 617), Peuls que j’ai vus de près en
1909. Je l’ai noté aussi chez les Peuls du Yatenga, Peuls que j’ai
vus de non moins près de 1914 à 1916 (voir mon Noir du Yatenga,
1917, p. 632). Je l’ai noté aussi pour les Foutanké du Fouta-Toro
ou Toucouleurs, sur renseignements beaucoup moins sûrs (mais
que j’ai tendance à croire cependant exacts, puisque cet établis-
sement à part se retrouve chez tous les groupes peuhls que j’ai
vus d’un peu près). Ainsi, la famille peuhle se trouve réduite géné-
ralement au simple ménage et, de là, la médiocrité moyenne des
groupements peuhls. Évidemment, cependant, il reste des groupes
réunissant plusieurs ménages, nous l’avons vu ci-dessus, mais
enfin, ils sont l’exception. La tendance est à la désintégration
jusqu’au simple ménage, tandis que chez les vrais nègres, la ten-
dance est à rester groupés à plusieurs ménages (Samos, Bobos, etc.)
Il faut ajouter tout de suite que la familleglobale ou totale (expres-
sion de Delafosse) subsiste chez les Peuls de l’Issa-Ber, comme
chez ceux du Mossi sud, du Gourounsi, du Yatenga ou Mossi nord,
au-dessus des ménages isolés ou des groupements de ménages.
Cette famille globale peut comprendre des dizaines de ménages
isolés ou groupements de ménages et atteindre 100 ou plusieurs
centaines de personnes. Je n’ai pas pris de chiffres pour les Peuls
de l’Issa-Ber, mais chez les Peuls-Mossi ou Silmi-Mossi du Yatenga
qui proviennent des Peuls Fitobé ou Fitougabé, venus eux-mêmes
de l’Issa-Ber (province du Fitouka ou Fitouga), les grandes fa-
milles totales ne sont que douze et comptent 469 personnes en
moyenne. Ces familles se scindent, il est vrai, en sous-familles,
mais qui comptent encore 76 personnes en moyenne. Viennent
ensuite les ménages ou groupes de ménages (11 ou 12 personnes
en moyenne ici, étant donné que l’influence des nègres Mossi,
plus intégrés que les Peuls, s’exerce chez nos Peuls Mossi (moitié
Peuls et moitié Mossi). Pour en revenir à la famille globale, elle
existe chez nos Peuls de l’Issa-Ber, mais comme partout, le chef de
cette famille n’a que des devoirs religieux et justiciers sur l’en-
semble de la famille, c’est-à-dire sur les ménages ou groupes de
ménages dont elle se compose. Chaque ménage ou groupe a son
existence économique propre, gagne sa vie et s’arrange lui-même,
enfin marie ses filles et ses garçons.
Enfin, au-dessus de la famille globale, il y a le clan peuhl qui
a un chef (voir les Peuls du Ouagadougou et du pays Gourounsi
dans mon Noir du Soudan, p. 628). Chez les Peuls Mossi ou Silmi
Mossi du Yatenga, il y a trois clans : les Sankaré, les Zida et les
Bari, qui composent à eux trois la tribu des Peuls Mossi. Chez
les Peuls du Mossi Sud (région de Ouagadougou et du Gourounsi)
il y a des Dialloubé, des Bari, des So, des Ba, etc.
Les clans peuls, ajoutons-le, possèdent ou possédaient jadis
des animaux sacrés. Ainsi, M. Henri Gaden 1 dit que le trigono-
céphale (Soré) est Tabou pour les Peuls du clan Soh, et la cou-
leuvre pour les Peuls du clan Bah. Il ajoute qu’on attribue aux
Peuls dans le passé une vénération particulière pour les serpents.
Encore aujourd’hui, quand une couleuvre passe auprès d’un Peul,
il jette sur elle, ou tout au moins sur sa trace, quelques gouttes
de lait ou simplement d’eau, s’il n’a pas de lait sous la main.
Il faut ajouter qu’actuellement, les Peuls, sous la poussée musul-
manique, et même leurs gens de caste, ont une tendance à rejeter
ou à mépriser ces anciens totems ou interdits. Ainsi les Maboubé
(tisserands), nous le verrons, ne veulent plus avoir la hyène comme
bête sacrée et si leur nom de clan dérive de la hyène, c’est que
justement, ils en ont tué et mangé une, disent-ils maintenant,
loin qu’ils en descendent ou en soient parents ou même l’aient
comme amie ou protectrice.Les Peuls du Yatenga ne veulent plus
reconnaître non plus ni caractère de parenté, ni même d’amitié
à leurs anciens « Ouoda ». C’est un objet méprisé contre lequel
ils ont justement un interdit! Ainsi les Peuls, quoique l’on re-
trouve chez eux les traces d’un ancien système totémique et que
l’on puisse çà et là en noter quelques débris isolés, se sont beau-
coup plus éloignés de ces anciennes idées que les Nègres Mandé
et à plus forte raison que les nègres, plus primitifs, de la forêt du
Sud.

1. Proverbes et Maximes peuhls et toucouleurs. Paris, 1931, p. 220.


Venons-en au système des castes. II est très important chez les
Peuls et ce sont eux, on peut le supposer, qui l’ont propagé dans
l’ouest africain nègre tout entier, car il n’est nulle part aussi déve-
loppé que chez les Peuls et, au contraire, chez les nègres du sud
et de la forêt (non contaminés par les Peuls), il n’existe pas, même
chez des nègres aussi développés sous d’autres rapports que les
nègres Agni. Le système des castes est donc une pièce fondamen-
tale de la société peuhle et je m’appesantirai quelque peu sur
cette question.
Les Peuls libres sont pasteurs et guerriers, pasteurs tout le
temps et guerriers à l’occasion. Ils ne sont pas guerriers de mé-
tier, bien entendu, ils ne sont pas mercenaires, mais ils sont guer-
riers : voilà les occupations nobles des hommes libres. Au-dessous,
viennent les castes, les métiers castés, qui embrassent, on peut
le dire, tout le reste de l’activité humaine.
1° Les Diavando ou Diawando (forme du singulier) au pluriel
Diavambé on Diawambé, qui sont des commerçants éleveurs de
bétail, et des courtiers, les renseigneurs, et souvent même les
conseillers des chefs peuls. Ils sont riches et très considérés pour
des hommes de caste (car les hommes de caste sont, d’une façon
générale, très méprisés des Peuls), mais les Diawambé sont les
moins mal vus des hommes castés.
2° Après eux, il faut mettre le Dimadio (au sing.) les Rimaïbé
(au pluriel). Ce sont les serfs cultivateurs des Peuls. Évidemment,
ils forment une caste serve, moins considérée que les Diawambé,
mais ils sont beaucoup mieux considérés cependant que les castes
suivantes.
3° Ensuite, viennent les forgerons : baïlo au singulier, Waïlbé
ou Wailoubé au pluriel. Les forgerons sont flanqués des bijoutiers
(tiayakou au singulier, tiayankobé au pluriel, dans l’Issa-Ber). Ils
sont désignés dans le Fouta-Toron sous le nom de gabardo au sin-
gulier, abardé au pluriel). Ces bijoutiers, au lieu de travailler le
fer comme les Wailbé, travaillent les métaux précieux (le cuivre,
l’argent et l’or).
4° Ensuite viennent les menuisiers ou bûcherons. Ce sont les
Labbo bien connus (Labbo au singulier,Laobéau pluriel). Ils n’ont
pas trop bonne réputation, comme les forgerons eux-mêmes, et
sont considérés, la plupart du temps, comme des magiciens sou-
vent malfaisants.
Les Mossi du Yatenga appellent les Laobé séta, mais ne les con-
sidèrent pas mieux que les Peuls eux-mêmes, témoin la légende
suivante que me raconta en 1915 le jeune Managado demeurant
à Binngo (cercle de Ouahigouya) : « Autrefois, il n’y avait pas de
séta dans le Yatenga. Mais un habitant du pays se transformait
la nuit en hyène pour manger les enfants de ses compatriotes.
Les vieillards se réunirent à la fin et, ayant trouvé le coupable,
l’exilèrent du village. L’homme emporta une hache avec lui et,
pour vivre, il coupait des arbres pour fabriquer des calebasses
en bois. Il les vendait dans le voisinage et on l’appela séta. Des
Peuls s’établirent auprès de lui et ainsi, depuis cette époque, les
séta vivent toujours auprès des Peuls. »
Il est très probable, en réalité, que, dans le Mossi du nord ou
Yatenga, ce sont les Peuls qui ont les premiers amené des Laobé
ou travailleurs du bois, appelés séta par les Mossi. Les Peuls eux-
mêmes et les Mossi les tiennent donc pour des magiciens malfai-
sants.
5° Ensuite viennent les travailleurs du cuir ou peaussiers ou
cordonniers. Ce sont les gargassadio, au pluriel gargassabé, ou les
saké, au pluriel sakébé. Les galabbo, au pluriel alaubé, sont une
stratification encore inférieure de la caste précédente. Ce sont les
plus ignobles, pour ainsi parler, des travailleurs du cuir.
6° Ensuite viennent les tisserands : mabo ou mabbo, au pluriel
maboubé.
70 Ensuite viennent les tailleurs : un nioo, des nioobé et les tein-
turiers : un gobbo au singulier, des gobobé au pluriel. L’on dit en-
core un badobourou au singulier et des badobébourou au pluriel.
8° Ensuite viennent les musiciens et conteurs, qui chantent les
hauts faits des chefs et la générosité des gens riches. Ce sont les
bambadio au singulier, au pluriel bambabé. On dit aussi un niénio,
au singulier, au pluriel des niéimmbé.
9° Enfin tous les hommes de caste sont désignés par un terme
général. Les gens castés sont dits diémoudio au singulier et dié-
moubé au pluriel.
Notons que Delafosse ( Haut-Sénégal-Niger, tome I, p. 134 à
136) a donné aussi, en 1912, un tableau des castes peules, où il
cite les Diawambé, les Rimaïbé, les Waïloubé, les Abarbé, les
Laobé, les Mabbé ou Maboubé, les Ouambabé ou Bambabé, etc.
Mais il ajoute deux castes que je n’ai pas signalées :
1° les Tiouballo, au pluriel Soubalbé, qui sont les pêcheurs et
par extension les bateliers.
2° les Baoulo, au pluriel Baouloubé ou Ouaouloubé, qui sont les
mendiants.
Enfin, M. Gaden, dans son livre : Proverbes et Maximes peuls
et toucouleurs, Paris, 1931, parle çà et là des castes chez les Peuls
et Toucouleurs du Fouta-Toron. Il admet dans ce pays des castes
que je n’ai pas trouvées dans l’Issa-Ber. Ainsi il parle des Torodo
ou Torobé (qui sont les marabouts et deviennent ainsi la première
caste des Peuls au-dessus même des Diawambé), des Tiedo, au
pluriel Tiebbé, qui sont des soldats de profession, enfin des Tillo,
au pluriel Silbé, qui sont des Soninnké commerçants du clan de
Silla. Il donne d’abord des détails intéressants sur les Alaubé,
(au singulier Galabbo) fraction de la caste des travailleurs du
cuir, mais encore inférieurs aux Sakébé puisque ceux-ci ne veu-
lent pas leur donner leurs filles en mariage et les considèrent
comme des sorciers malfaisants et extrêmement dangereux. Gaden
dit, en effet ceci (p. 285) : « Les Sakébé, singulier Sakké, forment
la caste des artisans qui travaillent le cuir. Les Alaubé, sing. Ga-
labbo, comptent dans cette même caste, mais y forment un groupe
particulièrement mal vu et redouté parce qu’ils passent pour sor-
ciers. On croit que si un Gâlabbo en veut à un Sakké, il peut, lors-
que celui-ci a mis des peaux à tanner, se métamorphoser en un
petit insecte qui va ronger les peaux. On assure que le Gâlabbo
peut donner au Sakké un tremblement qui fait qu’il se pique tou-
jours en cousant ses cuirs. On croit qu’il peut jeter d’autres mau-
vais sorts. On croit encore que lorsqu’un Gâlabbo veut acheter à
quelqu’un, même non Sakké, un mouton ou une chèvre et que
la bête lui est refusée, il s’introduit dans le corps de celle-ci et en
mange tous les bons morceaux, si bien qu’elle dépérit et meurt.
C’est cette réputation des Alaubé qui fait que les Sakké ne leur
donnent pas habituellement leurs filles en mariages. »
M. Gaden n’est pas loin de mettre parmi les gens de caste les
Torodo, au pluriel Torobé qui sont les marabouts et les Tillo (au
singulier), Silbé (au pluriel) qui sont les Soninnké du clan Silla
habitant le Galam mais qui se trouvent aussi chez les Toucou-
leurs du Fouta-Toron, puis chez les Songhaï, le long du Niger,
chez les Djerma, les Haoussa et dans le Kebbi (on voit l’extension
de ce clan qui va du Sénégal et du Fouta-Toro jusqu’au Haoussa
et jusqu’au Kebbi) mais on se marie avec les Torobé et avec les Silbé.
De plus, ces derniers étant des Soninnké, sont une race différente
des Peuls et non une caste Peuhle. Quant aux Torobé ou mara-
bouts, ils sont généralement Toucouleurs (et non Peuls) et res-
pectés. Les gens du Fouta-Toro ont aussi un nom spécial pour
les Tiédo, au pluriel Tiebbé qui sont des soldats de profession et
de métier, des mercenaires en un mot, à l’encontre des Peuls libres
qui sont pasteurs et guerriers volontaires.
En définitive, au moins avec les Torobé et les Silbé nous sortons
des gens de caste véritables et nous entrons dans des groupes spé-
ciaux auxquels les Peuls libres peuvent se préférer, mais qui ne
sont pas réellement castés.
Comme on le voit, le système des castes est complet chez les
Peuls et comprend à peu près toutes les formes de l’activité cul-
turelle, industrielle, commerciale et même intellectuelle.
Ceci dit en général sur les Castes, passons à notre étude sur les
Diawando ou Diawambé.
Les Diawambé, naturellement, parlent le Peuhl et se disent
eux-mêmes souvent des Peuls. Cependant, ils avouent que si leurs
pères étaient des Peuls, leurs mères étaient des femmes Soninnké
ou Sarakolé. En disant cela, ils avouent leur vraie race, un métis-
sage de Peuls et de Soninnké où le sang Soninnké domine sans
doute. Les Peuls du Macina, du reste (Bandiagare et Mopti),
disent qu’ils ne sont pas du tout Peuls, que ce sont leurs commis-
sionnaires, leurs courtisans et qu’ils ne peuvent pas se marier
avec les filles Peuhles libres.
En tout cas, si les Diawando sont considérés comme étant bien
au-dessous des Peuls, ils sont considérés aussi comme au-dessus
des Rimaïbé et des autres castes de la société peuhle. Ainsi les
Rimaïbé ne peuvent épouser de filles Diawambé, quoique les
Diawambé puissent épouser des filles Rimaïbé.
Ceci était écrit lorsque j’ai trouvé dans le livre déjà cité de
Gaden (Proverbes et Maximes Peuls et Toucouleurs, 1931) une note
substantielle sur l’origine des Diawambé qui confirme et précise
ce que je viens de dire.
« Les Diawambé, sing. Diawando, dit Gaden, pp. 319 et 320,
comme les appellent les Peuls, sont les Diogorane des Mandingues
et les Zaghrâni du Tarikh-es-Soudan d’Abderrhaman-es-Sadi.
Barth, les trouvant nombreux au Sokoto, dit : « Les Dyawambé,
comme ils sont appelés par les Foulbé, mais plutôt comme ils
s’appellent eux-mêmes Zoghoran, ou comme ils sont nommés par
les Haoussas, Zoromawa (Travels in central Africa IV, 146) » et
,
donne sur eux d’intéressants renseignements. On trouvera égale-
ment dans les Chroniques du Fouta Sénégalais (p. 146) une note
sur leurs migrations et un tableau généalogique d’après Siré Ab-
bas. »
Les Dyawambé ont une réputation bien établie d’intelligence et
de ruse. Dans les contes populaires du Fouta, c’est toujours une
femme dyawando qui donne à l’héroïne du conte les conseils qui
lui permettent de se venger de son mari ou de le tromper. Au
Fouta, comme au Macina, il est de longue tradition que les chefs et
les notables aient, attaché à leur service, un Dyawando qui les
renseigne secrètement et qu’ils chargent, à l’occasion, de missions
délicates à l’extérieur. Ce sont ce rôle et les qualités qu’il y dé-
ployait qui ont dû faire donner à cet agent de confiance le surnom
de diawando « celui qui est rapide à savoir, à connaître », surnom
qui a servi ensuite à désigner tous ceux de sa tribu. On voit,
d’après le dicton ci-dessus, que si dévoué qu’il soit, un Dyawando
passe pour ne marcher à fond que si son intérêt est servi par
celui de son chef (p. 319, 320).
Je me demande si l’étymologie donnée ici par Gaden pour Dya-
wando : «celui qui est rapide à savoir », bien exacte. Les Dya-
wambé sont, comme le montre la note même de Gaden, des
Sôninnkés de Dia ou Dio, ou Za, de la province donc de Diagha ou
Zagha. De là le nom de Diogorane que leur donnent les Mandé et
de Zoghoran, et celui de Zoromawa que leur donnent les Haoussas.
Dans tous ces mots, le radical est Dia ou Diagha ou Zagha ou
Zorho, etc. N’en serait-il pas de même pour le mot dont les Peuls
es désignent, à savoir Diawando, au plurielDiawambé, et cela ne
signifierait-il pas simplement les habitants de Dia ou du Diagha,
les Sôninnké deDia ou du Diagha? Cela me semble beaucoup plus
probable que l’étymologie donnée par Gaden. Il reste entendu
que les Dyawambé ne sont pas sans doute des Sôninnké purs, de
vrais Diagharani ou Zagharani ou Sôninnkés de Dia. Ce sont des
Zagharani, sans doute métissés de Peuls, mais là-dessus, il faudrait
faire une enquête approfondie.
Quant à la note des Chroniques du Foula (p. 146) elle est assez
peu satisfaisante. Elle nous apprend que les Diawambé vien-
draient de Kôn, village qui se trouvait à l’est du Tagant. Ils des-
cendraient d’un nommé Kinanata (qui n’est pas, bien entendu, le
Kinanala ancêtre de Soundiata, le grand sultan du Mali du
XIIIe siècle de notre ère). De Kôn, les Diawambé auraient émigré
dans le Macina, dans le Mandé, le Fouta-Toro, le Kaarta, etc.
Tout ceci est assez contradictoire avec la tradition qui ferait
des Diawambé des descendants (du côté Sôninnké) des Sôninnkés
de Dia ou du Diagha.
Ce qui prouve bien que les Diawambé sont surtout (et peut-être
même exclusivement) des Sôninnké, c’est que leur principal travail
est le commerce, et l’élevage, qu’ils pratiquent comme les Peuls,
ne vient qu’ensuite. Ils ont moins de bétail que les Peuls, mais
plus que les Rimaïbé. Ils possèdent des boeufs à bosse, quelques
chevaux, quelques ânes, quelques moutons et chèvres, quelques
poulets. Les boeufs à bosse et les ânes leur servent pour le com-
PL. V.

Jeune femme Peuhle. (Fouta-Djallon.)


PL. VI

Jeunes

filles

Peuhles.

(Fouta-Djallon).
merce. Ils confient souvent leurs autres bestiaux aux Peuls,
n’ayant pas le temps de s’en occuper, car ils font assez de culture :
le millet ou petit mil, le sorgho blanc (ceci dans leurs champs). Ils
font aussi une espèce de petit mil qu’ils appellent ségué (souna en
Mandé) et ils plantent du maïs autour de leurs cases, suivant une
coutume que l’on rencontre universellement au Soudan. Ils font
aussi du fonio, des arachides, des haricots, un peu de pois souter-
rains, du gombaud, de l’oseille, des calebasses, des courges, mais
ni coton ni tabac. Ils mettent quelques pieds de gombaud dans
leurs petits jardins de maïs. De même des courges.
Les Diavando ne font ni pêche ni chasse. Ils font un peu de
cueillette (surtout pour les rôniers). Ils exploitent aussi quelques
karités, baobabs et tamarins.
Quelquefois les Diavando sont tailleurs et leurs femmes fabri-
quent des nattes. Quant au commerce, c’est là leur fort. Ils achè-
tent des bestiaux aux Peuls et vont les vendre jusqu’à Bondoukou
(Haute Côte d’Ivoire). Ils en reviennent avec des kolas surtout et
des cotonnades européennes. Ils vont revendre tout ceci à Fato-
roma, à Korientza, aux marchés de l’est du Macina et en rappor-
tent du sel.
Ils achètent peu de grains, en faisant à peu près assez pour leur
consommation, mais pas plus.
Interrogés sur la question de savoir s’ils sont plus ou moins ri-
ches que les Peuls, ils disent que ceux-ci sont plus riches qu’eux à
cause de la grande quantité de leurs bestiaux.
Ajoutons que les femmes Diavambé filent le coton acheté aux
Bambara. Une fois filé, nos gens le font tisser par ceux-ci en
bandes longues et minces, puis, une fois en possession de ces
bandes, ils les cousent en boubous et en pagnes que leurs femmes
teignent. Ils vont vendre ces bandes dans le Soudan occidental
et jusqu’au Sénégal.
Les Diavambé vivent par groupes familiaux dépassant souvent
le simple ménage. Ainsi à Ouro-Esso, il y a 7 groupes familiaux
faisant 129 personnes. Cela fait 18 personnes ou 3 ménages en
moyenne par groupe. Cependant, si on prend le détail, on a une
autre vue.

On a en effet :

1 groupe familial de 40 personnes


1
— — 51 —
1
— — 19 —
et à côté :
1 groupe familial de 2 personnes
1 — — 4 —
1
— — 6 —
1 — — 7 —
On a donc 3 groupes à multiples ménages et 4 groupes réduits
au simple ménage. C’est la moyenne qui est élevée plutôt que la
réalité.
A Niafonké même, les Diavambé forment 37 groupes familiaux
faisant en tout 300 personnes. Cela fait 8 personnes en moyenne
par groupe familial. Donnons-en l’analyse :
Groupes familiaux de 1 personne 1
— —
2 personnes 2
— — 3 — 3

- —
4
——
5 —
— 4
3
— — 6 — 3
— 7 — 4
— — 8 — 4
— — 9 — 3
— — 10 — 1
— 11— — 1
— — 14 — 1
— — 15 — 1
— — 19 — 3
— 20 — 1

Enfin, si l’on prend les Diavambé du cercle de Nioro, l’on a :

Villages Habitants Groupes Moyenne


familiaux d'habitants
par groupe
familial
Kamissakidi. 59 5 12
. .
Leva 83 6 14
Kaniara 116 10 12
Draguila 127 6 21
. . . .
Total. 385 27 14
. . .

D’une autre statistique, il ressort que 469 Diavambé du cercle


de Nioro possèdent 21 équidés, 8 ânes et 337 bovidés (67 boeufs,
270 vaches). Ils ont aussi 28 moutons et 51 chèvres. Cela donne un
cheval par 22 habitants, un âne par 59 habitants, un bovidé par
un Diavando 1 /2 (1-39),un mouton par 17 personnes et une chèvre
par 9 personnes.
En définitive, pour la famille Diavando, l’on a pour les groupes
familiaux :

Groupes Personnes
Ouro-Esso (cerclede l’Issa-Ber). 7 129
.
Niafonké (capitale de l’Issa-Ber). 7 300
.
Diavando du cercle de Nioro . . .
27 385
Totaux 71 814

Cela donne en tout une moyenne de 11 à 12 personnes par


groupe familial, ce qui fait 2 ou 3 ménages en moyenne par groupe.
Ces chiffres nous indiquent, en définitive, qu’on ne reste en-
semble, un chef de groupe mort, qu’exceptionnellement. Le groupe
se disloque alors, sans cela on aurait des groupes infiniment plus
étendus. Cependant, le ménage isolé est peu répandu chez les Dia-
vando et l’on reste ensemble, en définitive, à 2 ou 3 ménages.
Dans le groupe, tout le monde travaille pour le chef de groupe
et, en revanche, celui-ci nourrit et habille tout le monde.
Pour l’habillement, il partage entre toutes les femmes du groupe
le coton récolté sur le champ de la famille. Celles-ci le filent. Une
fois filé, le chef de groupe le donne à tisser aux esclaves, quand ils
savent le faire, ou à des Bambara. Quand il est tissé en bandes, les
hommes du groupe cousent ces bandes en pagnes, boubous, etc. et
les femmes les teignent.
Le chef de groupe achète leur première femme à tous les jeunes
gens du groupe. Il marie aussi les filles, mais la dot nous le verrons
tout à l’heure, n’est pas pour lui et retourne en définitive à la
fille.
La dot (ou prix de vente de la fille) était jadis (chez les Dia-
vambé de Ségou) de deux vaches et une captive. Maintenant, elle
n’est plus que de deux vaches. Une vache valait ici (1909) de 60 à
100 francs. La dot est donc actuellement de 160 francs environ.
Il y a en plus les cadeaux : l’on donne deux paniers de mil à la
mère de la fille et, de plus, à chaque Ramadan, si les ressources du
jeune homme le lui permettent, un mouton et 1000 cauris.
Pour la dot, le fiancé l’apporte solennellement. Le père de la
fille appelle tous les gens du groupe familial, et les voisins même, à
venir comme témoins. Il prononce : « Voici la dot de ma fille. Le
jour de son mariage, ma fille retournera avec cette dot chez son
mari. »
Comme on le voit, le prix d’achat de la fille se transforme ainsi
en une véritable dot à la façon européenne, mais en définitive, ici,
pour avoir cette dot, le mari commence par la payer aux parents
de sa fiancée qui la donnent alors à la fille. Cette coutume me sem-
ble former la transition entre l’achat de la fille (coemptio des an-
ciens Romains) et la dot apportée par la fille chez son mari qui est
la coutume de l’Europe occidentale moderne.
Quand un chef de groupe meurt, le frère puîné prend le com-
mandement du groupe.
Il épouse les femmes du défunt qui y consentent, mais ne peut
les forcer. En tout cas, il conserve toujours les enfants en bas âge
des unes et des autres.
Il prend les champs du défunt, champs du groupe et s’installe
dans la case même du défunt. En fait de biens mobiliers (bestiaux,
esclaves, cauris, etc.) il prend tout ce qui est bien de famille, car
les biens particuliers du défunt sont pour les fils et les filles à rai-
son d’une part pour les fils et d’une demi-part pour les filles.
Les vêtements du défunt sont donnés aux pauvres suivant la
coutume peuhle. Les bijoux et les armes sont pour le fils aîné.
A défaut de frère puîné, quand un chef de groupe meurt, c’est le
plus âgé du groupe qui hérite. La dévolution faite, le plus souvent
chaque ménage tire à part, ou du moins il y a une dislocation sé-
rieuse qui ne laisse subsister finalement que des groupes réduits. Ce
sont généralement les frères mariés du défunt qui vont s’établir à
part, mais les fils mariés restent avec leur père, au moins l’un
d’entre eux.
Ajoutons encore que quelquefois, des frères mariés qui habitent
à part et travaillent à part, s’ils ont autrefois travaillé dans le
groupe qui vient de perdre son chef (avant de faire sécession), ont
un certain droit sur l’héritage, mais peu élevé. On va trouver l’al-
kali qui décide quelle est cette part.
Quand il n’y a plus de mâles dans un groupe, ce sont les parents
proches, établis à part maintenant, qui viennent à la succession et,
à leur défaut, les parents éloignés. S’il n’y a aucun héritier fami-
lial, c’est le sultan (Peuhl ou Toucouleur) qui héritait des biens
qui pouvaient exister.
Donnons maintenant un exemple de famille pris chez les Dia-
vambé de Ségou.
L’interlocuteur qui me donne ces renseignements est un captif
qui fait du commerce. Il a quitté son maître Mamodou depuis
trois ans. Mamodou a quatre femmes, quatre jeunes fils et possé-
dait jadis une trentaine d’esclaves qui sont actuellement partis.
Dans la même habitation que lui habite son fils aîné Mohamma-
dou qui a une femme, mais pas d’enfants. Mamodou a bien trois
frères mariés, mais ils sont établis à part. L’un, Mohammadou
Aliou, a une femme, deux enfants et une dizaine d’esclaves. Le
second frère,qui est marié, habite avec celui-ci. Quant au troisième,
il a suivi jadis Ahmadou, le sultan Toucouleur, à Nioro et s’est
établi là-bas.
Ainsi, en définitive, le premier établissement groupe deux mé-
nages, le second deux aussi et le troisième on ne sait pas. C’est le
groupe familial ordinaire des Diavambé.
Les femmes Diavambé libres ne travaillent aucunement la
terre. Elles traient les bestiaux en revanche et fabriquent le
beurre. Elles vendent ce beurre au marché et aussi le lait frais et
caillé qui est en excédent de la consommation du ménage. Le pro-
duit de ces ventes est pour la femme (que les animaux soient à
elle, dot qu’elle emmène chez son mari, ou à lui-même) mais, si le
mari a besoin d’argent, il peut prendre sur ces gains.
Les femmes Diavambé font la cuisine, le ménage, vont cher-
cher l’eau, le bois, celles du moins qui n’ont pas d’esclaves, car
celles qui en possèdent se reposent sur leurs esclaves de ces soins.
Elles filent le coton et s’occupent de leurs enfants.
Quand une femme Diavando meurt, son héritage est partagé
entre ses fils et ses filles, à raison d’une part pour les garçons et
d’une demi-part pour les filles. Si elle n’a pas d’enfants, il y a par-
tage égal entre le mari et la famille de la femme.
Quand une femme veut divorcer, elle laisse à son mari les
enfants et la dot. Quand un mari, au contraire, renvoie sa fem-
me, les enfants restent au mari, mais la femme s’en va avec sa
dot.
Quand une femme trompait son mari jadis, il pouvait la battre
et frapper l’amant, ou bien il faisait comparaître celui-ci devant
l’alkali qui lui faisait donner cent coups de corde. Le mari pou-
vait aussi renvoyer sa femme adultère en gardant les enfants et la
dot.
Si un jeune mari trouvait sa fiancée déjà déflorée le soir de ses
noces, il pouvait la battre et la renvoyer en gardant la dot. Mais,
généralement, le Diavando gardait sa femme à qui il faisait des
reproches. De plus, les parents de la jeune fille la sermonnaient
sérieusement.
Au sujet des serfs et des esclaves, disons que les Diavambé en
possédaient beaucoup jadis avant l’occupation française (1893),
mais depuis, ils se sont sauvés ou ont quitté leurs maîtres.
Les Rimaïbé travaillaient sur les champs de leur maître Dia-
vando la plus grande partie de la journée. Mais ils étaient libres à
partir de 14 heures (à peu près) et avaient tout le vendredi pour
eux.
Les esclaves non mariés étaient tout le temps à la disposition
du maître ou des gens du groupe, même le vendredi, mais ils
étaient nourris et entretenus toute l’année par le chef du groupe
tandis que les esclaves mariés n’étaient nourris par celui-ci que
pendant la saison des pluies ou des cultures — et encore pas le
vendredi.
Quand un esclave mourait, son héritage était pour son maître.
Autrefois, les cases des Diavambé de Ségou étaient en paille
(comme celles des Peuls), mais les Bambara du pays les ayant
attaqués après le départ d’Ahmadou, le sultan Toucouleur, pour
Nioro, nos Diavambé refirent des cases quadrangulaires en terre à
la façon des Songhaï, des gens de Dienné et des Bambara de Sé-
gou. Ces cases en terre sont serrées les unes contre les autres et il y
a un mur en terre qui les entoure, protégeant tout le village. Les
champs de maïs de chaque maisonnée sont en dehors de ce
mur.
Nous en avons fini avec les Diavambé, qui forment un type
intéressant d’hommes castés, qui tient la seconde place dans la
société peuhle et qui sont surtout des Sôninnké. Commerçants,
hommes d’affaires, conseillers des chefs, éleveurs et cultivateurs,
ayant des groupes de ménages plus forts que ceux des Peuls, ils
méritaient qu’on leur consacrât une notice comme partie impor-
tante de la société peuhle soudanaise.
Après les Diavambé, nous devons dire maintenant quelques
mois des Rimaïbé, nos notes concernant du reste les Rimaïbé du
cercle de Mopti.
Nous savons ce que sont les Rimaïbé, la classe serve et culti-
vatrice de la civilisation peuhle. Les Rimaïbé du cercle du Mopti
ne sont naturellement pas des Peuls d’origine : ce sont des Habbé,
des Bambara, des Bobo, des Samo, des Bozo, etc... Ce sont les
Habbé qui sont les plus nombreux parmi eux.
Naturellement, ils sont avant tout cultivateurs. Les Rimaïbé,
qui habitent au nord du Niger, ne font que du riz. Ceux qui habi-
tent dans l’intérieur des terres font du mil, du maïs, des arachides,
des haricots, des pois souterrains, du gombo, de l’oseille, des cale-
basses, etc. Ils ne font pas de pêche, sauf les Rimaïbé, cultiva-
teurs de riz, sur les bords du Niger.
Les Rimaïbé des bords du fleuve n’ont, en fait de bétail, que
des poulets et des canards. Ceux de l’intérieur ont, en plus, des
chèvres naines, même des moutons et des boeufs à bosse. Naturel-
lement, ils ont beaucoup moins de bestiaux que les Peuls ou même
que les Diavambé, sauf les chèvres naines qu’ils ont en plus grande
quantité au contraire (les chèvres naines constituant l’élevage
préféré des nègres cultivateurs). Ils ont aussi plus d’ânes que les
Peuls et les Diavambé et moins de chevaux. On pourra s’étonner
que les Diavambé, qui sont surtout des commerçants, aient moins
d’ânes que les Rimaïbé cultivateurs, mais on s’expliquera le fait
en réfléchissant que les Diavambé font leur commerce avec les
boeufs à bosse par terre et les pirogues sur le fleuve. Ils dédaignent
donc les ânes qu’ils laissent aux Rimaïbé pour le transport de
leurs grains.
Les Rimaïbé de l’intérieur font un peu de chasse. Ils font aussi
de la cueillette (nérés, peu de karités, baobabs qui leur fournis-
sent la farine de leurs énormes amandes ou siramogou, tamari-
niers, n’kouna ou pruniers sauvages, etc. Ils ont aussi quelques
rôniers dont ils mangent les fruits).
Ils laissent les métiers spéciaux aux forgerons, peaussiers, etc.
Pourtant, ils tissent pendant la saison sèche et fabriquent des
corbeilles.
Ils ne font pas de commerce. Ils achètent leur sel et du poisson
sec (les Rimaïbé de l’intérieur) pour du mil. Ils cultivent le coton.
Leurs femmes le filent, et, étant souvent tisserands, ils en font
des bandes qu’ils cousent eux-mêmes pour se procurer leurs vête-
ments et ceux de leurs femmes.
Ils achètent les objets en fer, en cuir, la poterie, les nattes, tout
cela avec leur excédent de grains.

— Passons maintenant aux Forgerons.


Les Waïlbé de Mopti (Baïlo au singulier) seraient de même race
que les Somono (pêcheurs du pays Bambara) avec lesquels ils
peuvent se marier. Cependant, ils ne peuvent pas se marier avec
les Bozo, pêcheurs du cercle de Mopti, restés indépendants entre
le monde Songhaï et le monde Bambara.
Ces forgerons pratiquent naturellement avant tout leur métier
de forgeron. Mais ils s’aident beaucoup de culture (riz d’eau sur
les bords du Niger et du Bani) et aussi d’élevage, car ils ont quel-
boeufs, quelques ânes, quelques chèvres et quelques poulets.
ques
Mais ils se livrent surtout à l’élevage du cheval et à sa vente, car
ils sont maquignons dans l’âme, comme beaucoup de forgerons
soudanais. Ils ne font, par contre, ni pêche, ni chasse, ni cueil-
lette, ils sont occupés par la forge, la culture et le maquignon-
nage, car
et leurs femmes par le travail de la poterie qui est leur spé-
cialité et leur monopole et par le tissage du coton. Pas d’autre
commerce que le commerce du cheval.
Les familles des forgerons du cercle de Mopti ont été, me
disent mes interlocuteurs, désorganisées par l’invasion toucou-
leure (1861). Jadis, on habitait ensemble et on travaillait pour le
chef de groupe qui nourrissait et entretenait tout le monde et
mariait les filles et les garçons. Le frère puîné succédait au chef
du groupe défunt et prenait tout l’héritage. Les fils n’avaient
rien, tout le monde restait ensemble 1 et l’on travaillait pour le
nouveau chef de groupe. Mais les Toucouleurs survinrent et dis-
persèrent les forgerons. Depuis, ceux-ci revinrent, mais pas tous,
et adoptèrent sous la pression toucouleure, les coutumes kora-
niques touchant l’héritage et sa division entre les fils et les filles.
Actuellement, il y a à Mopti 27 groupes familiaux de forgerons
comptant 209 personnes en tout, ce qui fait 8 personnes par
groupe. On a donc des groupes de deux ménages environ. Le frère
n’hérite plus. On partage également (sauf exceptions importantes
que nous allons voir) les biens du défunt entre tous ses fils et toutes
ses filles, à raison d’une part pour les fils et d’une demi-part pour
les filles. Le fils aîné a cependant des avantages : il prend d’abord
la forge (pour lui tout seul), puis les champs du père, mais il en
donne une part à ses frères qui viennent lui en demander. Il a
aussi les vêtements de son père, ses bijoux, ses armes, son chape-
let. Il conserve les beaux vêtements pour lui et donne les mauvais
en charité. En revanche, bestiaux, esclaves, cauris, argent, etc.
sont partagés comme il a été dit plus haut. Sans être absolument
réduit au simple ménage, le groupe familial est peu important.
Pour la religion, les Waïlbé du cercle de Mopti seraient con-
vertis au Musulmanisme depuis Ahmadou Cheikou (1816) mais
ils n’adoptèrent qu’en 1861 (Toucouleurs) les prescriptions kora-
niques pour l’héritage.
Donnons ici, en annexe, sur les forgerons une statistique con-
cernant les forgerons du nord de l'Issa-Ber qui ont été agrégés,
de force sans doute, à la société Touareg. Voici leurs groupes
familiaux :
Aer 9 personnes
2e 10 —
3e 7 —
4e 3 —
5e. 6
. —

1. Ceci doit être quelque peu exagéré.


Report 35 personnes
. . .
6e 12 —
32 -----
8e 11 —
9e 8 —
14 —
11e 4 —
12e 2

13e 8 —
14e 2 —
14 groupes 128 personnes

Cela fait 9 personnes en moyenne par groupe. Les uns sont ré-
duits au simple ménage et même à l’homme et à la femme seule-
ment, les autres groupent plusieurs ménages.
En résumé, les forgerons de Mopti et de l’Issa-Ber sont assez
désintégrés maintenant, sous la pression des Peuls et des Toucou-
leurs. Ils ont dû ressemblerjadis, au point de vue des groupements
familiaux, aux Diavambé et fournir des groupes de ménages assez
copieux. Aujourd’hui, sous ce rapport, ils sont, comme les Peuls
eux-mêmes, fort désintégrés et aussi comme les Rimaïbé, serfs
cultivateurs de nos Peuls et ayant subi également la pression de
ceux-ci.

Je ne dirai rien des Mabo, au pluriel Maboubé, qui sont des


tisserands de caste. Siré Abbas-Soh, dans les annexes de ses Chro-
niques du Fouta Sénégalais (trad. Delafosse, 1913, pp. 140 et 141)
énumère les noms de clans (ou yettôdé en Peul, (diamou en Mandé)
des Maboubé et les fait sortir de la prise d’une hyène par des jeux
de mots tirés par les cheveux. Ainsi le premier aurait dit : Kume
n’du, amarrez-la, et aurait pris pour yettôdé Kume. Le second
aurait pris des branches et aurait dit : Séparez ces branches
(Tyare tyale) afin d’en faire une litière pour brûler et manger la
hyène. On l’aurait appelé Saré, forme faible du mot Tyare, etc.etc.
Delafosse, après avoir traduit, ajoute : « Si non e vero, e bene
trovato. C’est un joli exemple d’étymologie à la manière indigène.»
En tout cas, aucun clan chez les Maboubé, n’a le pas sur les autres,
chacun peut devenir dyarno (chef des Maboubé), quelle que soit
son origine.
L’on peut soupçonner que les Maboubé avaient jadis la hyène
elle-même comme bête sacrée (ouoda en peul, n'tana en Mandé),
mais ensuite, sous la pression musulmanique, ils ont eu honte de
ce totem primitif et ils ont pris des noms de clan autres que celui
de la hyène. Cependant, le souvenir de cette antique parenté sub¬
sistant toujours, ils ont tiré par des jeux de mots, plus ou moins
bien réussis, leurs noms de clans actuels de la prise d’une hyène
qu’ils auraient mangée (reniement du totem primitif). Ainsi, ils
ont rejeté leur ancienne parenté, mais elle subsiste toujours loin-
tainement à travers les complications de la légende actuelle qui
est certainement récente et de l’époque musulmanique.
Nous arrêterons ici cette étude sur les clans peuls. Nous avons
étudié tour à tour les Diavambé et les Rimaïbé, les forgerons et
les Maboubé. Cela suffit pour donner une idée du système des
castes chez nos Peuls.

Concluons maintenant sur ceux-ci : en résumé, famille désin-


tégrée et à peu près réduite au simple ménage, pouvoirs publics
assez puissants relativement et mieux entendus que chez les nè-
gres, enfin système de castes extrêmement minutieux et extrê-
mement étendu, qui s’est propagé plus ou moins dans tout l’ouest
africain jusqu’à la forêt dense, voilà les conclusions générales de
notre étude sur les groupements sociaux des Peuls de l'Issa-Ber
et du Macina. Le lecteur curieux de moeurs peuhles un peu plus
primitives que celles de ces Peuls, pourra consulter :
1° Mon étude de 1912 (Le Noir du Soudan, Pays Mossi et Gou-
rounsi, Paris, Larose, p. 609 à 631) sur les Peuls du Gourounsi et
du Mossi Sud (cercle de Ouagadougou) qui sont encore en partie
des Peuls transhumants et d’autre part, des Peuhls pauvres ve-
nant s’établir par ménages isolés auprès des villages Mossi ou
Gourounsi possédant du bétail. Cette étude est fort nette et mon-
tre les Peuls tels qu’ils sont dans les pays où ils ne gouvernent pas
politiquement et où, établis depuis peu longtemps, ils sont seule-
ment tolérés ou acceptés en sous-ordre.
2° Mon étude de 1917 sur les Peuls du Yatenga (Le Noir du
Yatenga, Paris, Larose, 1917, p. 621 à 661). Elle est relativement
développée et montre des Peuls plus fixés au sol que ceux du Gou-
rounsi et du Mossi Sud, mais moins que ceux du Macina, de l’Issa-
Ber et du Fouta-Djallon. Pas plus que dans le Gourounsi et le
Mossi sud, ils ne commandent ici, quoiqu’ils aient leurs chefs par-
ticuliers, et ils doivent reconnaître la suprématie générale des
chefs Mossi.
3° L’étude sur les Moeurs et Coutumes des Peuls du Fouta-Djal-
lon que l’on trouvera plus loin dans ce volume à la suite de l’his-
toire du Fouta-Djallon. Là, nous aurons affaire à des Peuls bien
fixés au sol, comme ceux de l’Issa-Ber et du Macina, et devenus
dominateurs du pays depuis longtemps (1726 à 1896).
4° Ajoutez enfin l'Annexe 1 de ce volume qui décrira le mode
d’existence des Peuls du Yatenga, ajoutant quelques notes inté-
ressantes à mon étude fondamentale de 1917 sur ceux-ci.
On pourra comparer ces études entre elles pour acquérir une
vue sociologique aussi large et aussi approfondie que possible du
Peul, depuis le moment où il vit toléré et en sous-ordre dans un
pays et en marge des populations autochtones, jusqu’au moment
où devenu roi, il commande à son tour et vit sur ces populations.
Ainsi va la malheureuse humanité : elle ne peut pas trouver
de moyen terme entre la servitude et le despotisme. Ou bien on
est exploité par les autres ou bien soi-même on les exploite.
CHAPITRE III

HISTOIRE DE L’ISSA-BER ET DU MACINA


JUSQU’A LA CONQUÊTE TOUCOULEURE

Nous puiserons les éléments de l’histoire des Peuls du Macina


et de l'Issa-Ber dans Delafosse (Haut-Sénégal-Niger,1912,tome II
chap. VIII, p. 223), et dans Menvielle (Notice du Capitaine Men-
vielle sur le cerole de Bandiagara, 1896) ainsi que dans le capi-
taine Bergeron (Notice sur le cercle de Soumpi, octobre 1903).
Nous devons ajouter que l’histoire de la fin du prophète El Hadj
Omar est fort maltraitée dans Delafosse, dont les documents, les
seuls qu’on possédât en 1912, étaient mauvais. Depuis cette épo-
que, le lieutenant Péfontan dans son Histoire de Tombouctou de-
puis sa fondation (Bulletin du Comité d’Études de l’A.O. F. 1922)
et M. Gaden (la vie d' El Hadj Omar, Qacida en Poular par Mo-
hammadou Aliou Tyam, Paris, 1935, p. 190 à 192) ont rétabli la
vérité sur les derniers moments de la mort du conquérant tou-
couleur. Il faut donc ajouter ces deux sources : Péfontan en 1922
et Gaden-Aliou Tyam (1935) aux trois sources énumérées plus
haut.
En tout cas, pour les anciennes périodes de l’histoire de l’Issa-
Ber et du Macina, Delafosse reste bon et ainsi nous commence-
rons par lui, citant Menvielle, Bergeron et Gaden au fur et à me-
sure du développement des faits historiques.
Delafosse dit donc que les Peuls arrivèrent dans le Macina,
venant de l’Ouest (du Kaniaga ou cercle actuel de Goumbou ou
Nara) vers 1400, sous la conduite d’un nommé Maga Diallo. Son
autorité ne tarda pas à s’étendre sur les Peuls d’autres clans (Bari
principalement) qui vinrent peu après s’établir dans la même
région. C’est dans l’est du Macina, dans la région de Dia (ou Dia-
gha), que les Peuls s’établirent d’abord.
Maga Diallo mourut vers 1404. Son fils aîné Brahima ou Ibra-
him (1404-1424) lui succéda, puis son second fils Alioun (1424-
1433). Kanta, fils aîné de Brahima, fut chef de 1433 à 1466 et
Alioun II, second fils de Brahima, de 1466 à 1480. Nia ou
Aniaye, fils de Kanta, fut chef de 1480 à 1510.
« Kanta, dit Delafosse, périt dans un combat contre
les Zagh-
râna 1 qui furent vainqueurs des Peuls. C’est sous le règne de son
successeur Alioun II (1466 à 1480) que le Massina fut attaqué
par le Sonni Ali-Ber, empereur de Gao, qui fut repoussé et défait
par les Peuls du Borgou ou Massina central (entre le marigot de
Dia et le Niger); c’est vers la fin du règne du même ardo que le
pays fut traversé et ravagé par l’armée Mossi de Nasséré dans
sa marche sur Oualata; d’après Sa’di, Alioun II aurait infligé
une défaite aux Mossi 2.
« Sous le règne de Nia ou Aniaya (1480-1510) le Macina tout en-
tier fut annexé à l’empire de Gao, en 1494, par Omar Komdiago,
frère et lieutenant du premier Askia Mohammed Touré. Les Peuls
n’acceptèrentpas cette annexion de gaîté de coeur et demeurèrent,
autant qu’ils le purent, fidèles à l’empereur de Mali. C’est ainsi
que sous le commandement de Demba-Dondi, l’un des frères de
Nia ou Aniaya, ils aidèrent Ousmana, gouverneur mandingue du
Bagana, à résister à l’askia en 1498-1499, mais ils furent vaincus
comme Ousmana lui-même. Demba fut tué et les rois peuls du
Massina furent désormais vassaux de l’empire de Gao. C’est vers
l’an 1500, après la défaite de son frère Domba par Mohammed
Touré, que le roi Nia quitta Kéké et transporta sa résidence dans
le Guimbala, près du lac Débo. D'une façon générale, les rois de
la dynastie des Diallo habitèrent tantôt sur la rive gauche du ma-
rigot de Dia (soit à ou près de Kéké, soit à ou près de Ténenkou),
tantôt entre le marigot et le Niger, ou encore à Soï entre le Niger
et le Bani. »
Ajoutons une chose à ce récit de Delafosse; c’est que, dès 1400,
le Mali avait décliné etl les prédécesseurs mêmes d’Ali-Ber (Ali le
Grand, 1469 à 1492) progressèrent vers l'ouest. Il est donc probable
que les chefs des Peuls du Macina ne relevaient plus depuis long-
temps du Mali, mais étaient indépendants quand ils tombèrent
définitivement sous le joug du second empire Songhay (1494).
C’est Ali le Grand qui avait pris Dienné (1475) et Tombouctou. En
1494, le Macina tout entier, avec ses Peuls nomades ou demi-no-
mades, qui ne relevait plus depuis longtemps du Mali, tombe défi-
nitivement sous le joug Songhaï.
1. Les Zaghrâna sont justement les Sôninnké, habitants du Dia, ou du
Diagha qui avaient reçu les premiers Peuls. Ceux-ci étaient des pasteurs à
moitié nomades, les Zagharana des cultivateurs commerçants. Des conflits
durent forcément s’élever entre eux.
2. Il est probable qu’il y a là une vantardise des Peuls ou de Sadi, car les
Mossi pillèrent bien Oualata et ne furent vaincus à leur retour que par Ali
Ber, le grand roi Songhaï. Peut-être y eut-il quelque petite action sans impor-
tance où les Peuls remportèrentun avantage sur une partie de l’armée Mossi.
Delafosse continue ainsi :
« Le successeur de Nia Diallo fut Soudi ou Saouadi, petit-fils de
Bouhima par Diâdié; il régna de 1510 à 1539. A sa mort, son fils
Ilo et Hamadou-Siré fils de Nia, se disputèrent le pouvoir; le litige
fut porté devant l’askia Issihak I, qui décida de s’en remettre à la
volonté du peuple; mais les gens du Massina se divisèrent en deux
fractions et en vinrent aux mains. Ilo attaqua son rival et le chassa
du pays; aidé par les Sangaré, Hamadou-Siré rentra au Massina,
fut défait de nouveau et alla à Gao implorer l’aide de l’Askia. Ce-
lui-ci invita Ilo à venir lui parler et le fit tuer sur la route. Ilo
avait régné un an (1539-1540). »
Dela fosse ajoute en note :
« M. Ch. Monteil (Monographie de Dienné, 1903) fait régner Ilo
en 1520-1521 ; cette date me semble difficile à admettre puisque le
Tarikh-es-Soudan, notre seul guide en la matière, fait intervenir
dans la mort de ce prince l’askia Issihak I, lequel régna de 1539 à
1549. Pour le reste, j’ai adopté les dates données par M. Ch. Mon-
teil toutes les fois qu’elles s’accordent avec les indications four-
nies par Sa’di. »
Delafosse continue ainsi :
« Hamadou-Siré (1540-43) lui succéda et fut déposé, au bout de
quatre ans de règne, par Issihak I, qui fît nommer à sa place Ha-
madou-Poullo, frère d’Ilo. Ce dernier, s’étant mis à persécuter
beaucoup de familles qui appartenaient comme lui au clan des
Dialloubé et ayant obligé plusieurs d’entre elles à quitter le Mas-
sina, Issihak I lui enleva le pouvoir l’année suivante (1544) et le
confia à son neveu Boubou-Ilo (Boubou fils d’Ilo), qui régna de
1544 à 1551. C’est sous le règne de Boubou-Ilo, en 1550, que les
Peuls de la région de Nampala, sous la conduite de Diadié Tou-
mané, se révoltèrent contre l’askia Daoud, qui venait de monter
sur le trône; Daoud leur infligea une sanglante défaite et fit sur
eux de nombreux prisonniers, dont des griots de la caste des Mabbé
ou Maboubé.
« Après Boubou-Ilo régnèrent Ibrahim-Boye (1551-59) et Bou-
bou-Mariama (1559-83), tous les deux fils de Hamadou-Poullo.
Ibrahim-Boye mourut à Dienné, au moment où l’askia Daoud y
passait en revenant de son expédition au Mali (1558-59). En 1582,
vers la fin d’un règne de vingt-quatre ans, Boubou-Mariama vou-
lut se distinguer par un coup d’audace : il attaqua sur le Niger —
ou sur l’un de ses bras — et pilla une embarcation qui ramenait de
Dienné vers Gao El-Hadj-Mohammed, fils de l’askia Daoud et son
futur successeur; Mohammed-Bengan, autre fils de Daoud et
chargé alors des fonctions de gouverneur du Gourma, marcha
aussitôt sur le Massina, ravagea le pays et massacra un grand
nombre d’habitants, dont beaucoup de lettrés musulmans. Bou-
bou-Mariama se réfugia à Fi, entre Kobikéré et Kokry, puis revint
au Massina après le départ de Mohammed-Bengan. Lorsqu'El-
Hadj-Mohammed (Mohammed II) succéda à son père à la fin de
la même année (1582), Bouboü-Mariama refusa de faire acte de
soumission entre ses mains. Nous avons vu comment il fut arrêté
en 1583, sur l’ordre de l’askia et emmené à Gao, et comment, mal-
gré l’offre de Mohammed II de lui rendre son royaume, il préféra
demeurer à la cour de son ancien ennemi.
« Il fut remplacé au Massina par Hamadou-Amina, fils de
Boubou-Ilo (1583-1603). Ce prince fut contemporain de l’écrase-
ment de l’askia Issihak II par les Marocains (1591); son prédé-
cesseur Boubou-Mariama, qui vivait encore à ce moment et avait
suivi l’armée de l’askia à Tondibi, fut tué dans la mêlée. Les pa-
chas de Tombouctou remplacèrent désormais les empereurs de
Gao comme suzerains du Massina, mais leur suzeraineté fut plus
nominale et plus précaire que ne l’avait été celle de ces derniers.
C’est ainsi qu’en 1598, Hamadou-Amina se révolta ouvertement
contre les autorités marocaines; le caïd Moustafa-el-Tourki, par-
tant de Tendirma, marcha sur le Massina à la tête de 700 soldats
marocains et songaï et joignit l'ardo près de Diaga en un endroit
appelé Touloufina. Hamadou avait avec lui un grand nombre
d’alliés Banmana; se sentant malgré cela en état d’infériorité, il
s’enfuit avec ses Peuls, laissant les Banmana aux prises avec l’ar-
mée du caïd. Celle-ci cerna les Banmana, en tua un grand nombre
et s’empara de la famille de leur chef, qui fut emmenée captive à
Dienné. Après s’être débarrassé des Banmana, Moustafa se mit à
la poursuite de Hamadou-Amina, qu’il n’abandonna qu’en arri-
vant dans le Kaniaga; l’ardo s’enfuit jusqu’à Diara (près Nioro)
tandis que le caïd revenait vers le Macina en passant par Koukiri
ou Kokry, où se trouvait alors le gouverneur de la province de
Karadougou. Arrivé en face de Tenenkou, sur la rive droite du
marigot de Dia, Moustafa héla les habitants de cette ville, leur
demandant de lui envoyer des pirogues pour traverser le fleuve;
les gens de Tenenkou obtempérèrent à cet ordre : aussitôt débar-
qué sur la rive gauche, le caïd attaqua Tenenkou et s’en empara.
Le futur pacha, Ali-ben-Abdallah, qui se trouvait à côté de Mous-
tafa durant l’assaut, fut blessé d’une flèche empoisonnée par les
assiégés, mais il guérit grâce à des vomissements provoqués par la
fumée de tabac. Moustafa fit à Tenenkou de nombreux prison-
niers qu’il emmena à Tombouctou; il devait, peu après le retour de
son expédition, être assassiné à Kabara, sur l’ordre de Djouder
(juillet 1598). Avant de quitter le Massina, Moustafa y avait ins-
tallé comme roi, en remplacement de Hamadou-Amina, un prince
de la famille royale nommé Hamadi-Aïssata.
« Lorsqu’Hamadou-Amina apprit la mort du caïd Moustafa, il
quitta Diara et retourna au Massina, où il fit sa rentrée en 1599,
puis il reprit le commandement des mains de Hamadi-Aïssata. La
même année, il prêta son concours à Mamoudou III, empereur de
Mali, pour attaquer Dienné : j’ai dit comment les Marocains, qui
étaient conduits par Moustafa-el Fîl et un Portugais nommé
Abdelmalek, eurent le dessus et comment Ahmadou-Amina se
replia à Soï (entre Dienné et Mopti) à moins que ce ne fût à Soua
dans le Pondori. Tandis que, quelque temps après, le caïd Chi-
mân-Chaouch revenait d’une expédition au Bendougou, Hama-
dou-Amina l’attaqua sur les bords du Bani, en face de Tié et lui
infligea une si sévère défaite que les Marocains traitèrent avec lui
et lui promirent de respecter désormais le territoire formant son
royaume.
« Boubou-Aïssata, dit Niamé, fils de
Hamadou-Amina, succéda
à son père et régna de 1603 à 1613. Après lui vint Bourahima-
Boye son frère (1613-1625), qui eut pour successeur Silamaya-
Aïssata, frère de père et de mère de Boubou-Aïssata; Silamaya
régna seulement deux ans (1625-1627) et fut, d’après Sa’di, un
prince juste et énergique.
« Hamadou-Amina II, fils de
Boubou-Aïssata,montasur le trône
en 1627. Lorsque, l’année suivante, le pacha Ali-ben-Abdelkader
prit le commandement à Tombouctou, il fit ordonner à Hamadou-
Amina II de venir recevoir de ses mains l’investiture officielle.
L’ardo refusa. Aussi, en 1629, Ali-ben-Abdelkader entreprit une
expédition contre le Massina; mais les Peuls se dérobèrent, n’ac-
ceptant pas le combat et fuyant devant les Marocains pour revenir
ensuite les attaquer sur leurs derrières. Le pacha se fatigua bien-
tôt de cette campagne inutile et revint à Tombouctou. De là, il
envoya un message à Hamadou-Amina II pour l’aviser qu’il le
reconnaissait officiellement comme ro du Massina et l’autorisait
à percevoir l’impôt; Sa’di, l’auteur du Tarikh-es-Soudan, qui se
rendit au Massina cette même année (1629) pour aller visiter un
de ses amis, le cadi Samba, eut l’occasion de voir Hamadou-
Amina II au moment où il venait de recevoir le massage du pacha.
« En 1634,
Hamadou-Amina se transporta à Dienné sous pré-
texte d’aller y chercher un captif évadé et, se jouant de deux caïds
PL. VII.

La mosquée de Timbo.

Dépendances de la mosquée : le minaret.


PL. VIII.

Timbo : Une rue et la mosquée.

Timbo : Tata de l’almamy


marocains envoyés pour l’arrêter, il arriva jusqu’à la ville, posa
sa main sur les remparts et repartit sans qu’on osât l’inquiéter.
Dix ans après, le pacha Mohammed-ben-Mohammed dirigea con-
tre lui une expédition, avec le concours de son vassal, l’askia du
nord El-Hadj, et celui de la garnison de Dienné; l’armée maro-
caine essuya d’abord une sanglante défaite, le 20 mai 1644, du
côté de Soï, mais, le lendemain, ce fut au tour de Hamadou-Amina
d’être mis en déroute. L’ardo se replia sur Kéké et les débris de
son armée se sauvèrent dans le pays des Banmana, pensant y trou-
ver un refuge; mais ces hommes pour se venger des nombreux
actes de brigandage auxquels les Peuls se livraient habituellement
sur le territoire, s’emparèrent de tout ce qui tomba entre leurs
mains, hommes et biens. Cependant, le pacha avait fait demander
aux chefs du Sana (Sansanding) et du Fadougou (Farako) d’arrê-
ter Hamadou-Amina; ces deux chefs armèrent treize pirogues,
s’embarquèrent à Nakry le 12 juillet 1644, descendirent le Niger,
puis le marigot de Diaga, et rencontrèrent l’ardo à Kéké. Ce der-
nier leur ayant demandé ce qu’ils venaient faire au Massina, les
deux chefs se troublèrent et, sans oser aucune tentative pour
s’emparer de la personne du roi, ils lui dirent qu’ils allaient à Tom-
bouctou saluer le pacha; Hamadou-Amina les engagea à n’en rien
faire, mais, comme ils semblaient persister dans leur projet, il les
laissa aller et leur donna même des vaches en cadeau. Continuant
leur chemin, ils rencontrèrent à Karan (rive gauche du marigot de
Dia, à hauteur de Kakagnan) l’armée du pacha; celui-ci accueillit
les deux chefs avec bienveillance, malgré l’échec de leur mission;
puis il prononça la déchéance de Hamadou-Amina II et nomma à
sa place, comme roi du Massina, son cousin Hamadi-Fatima, fils
de Bourahima-Boye; ensuite il renvoya les chefs du Sana et du
Fadougou, en les chargeant de nouveau de s’emparer de Hama-
dou-Amina. Mais ce dernier, ayant eu connaissance de leurs des-
seins, s’était réfugié à Fi (près Kobikéré) et la flottille ennemie ne
les trouva plus à Kéké. Après être passés à Diaga, les chefs du
Sana et du Fadougou étant arrivés à hauteur de Fi, envoyèrent
un émissaire au chef de ce village pour l’engager à chasser de chez
lui Hamadou-Amina et à le capturer si possible. Le chef de Fi
déclara donc à l’ardo en fuite qu’il ne pouvait pas lui accorder plus
longtemps l’hospitalité, mais il ne lui fit aucun mal, et Hamadou-
Amina put retourner au Massina, rassembler ses partisans, met-
tre en déroute ceux de Hamadi-Fatima et reprendre le pouvoir
(18 septembre 1644) ; il le conserva jusqu’à sa mort, qui eut lieu en
1663, après trente-six ans d’un règne glorieux, mais souvent agité,
Nous ne possédons que fort peu de renseignements sur ses
successeurs qui furent : Alioun III, frère de Hamadi-Fatima
(1663-1673), Gallo-Haoua (1673-1675), Gourori, fils du précédent
(1675-1696), Guéladio (1696-1706), Guidado, neveu du précédent
(1706-1761), Hamadou-Amina III, fils de Guidado (1761-1780),
YaGallo (1780-1801) et Hamadi-Dikko ou Gourori II, fils de Ya-
Gallo (1801-1810). Tous furent plus ou moins vassaux, non plus
des pachas de Tombouctou, qui n’existaient plus depuis 1670
environ en tant qu’autorité constituée, mais des empereurs ban-
mana de Ségou. »
Delafosse ajoute en note (note 1 de la page 231) : « Je donne les
noms et les dates des rois du Massina, de 1663 à 1810, d’après la
Monographie de Dienné de M. Ch. Monteil. »
Delafosse continue :
« Hamadi-Dikko fut le dernier roi de la dynastie des Diallo qui
avait ainsi exercé la suprématie au Massina durant plus de quatre
cents ans. Bien que nous n’ayons pas d’indications précises à cet
égard et que quelques-uns des princes de cette dynastie portent
des prénoms musulmans, il semble bien qu’aucun d’eux n’ait pro-
fessé l’islamisme : ce fut, en tout cas, la raison qu’invoqua Sékou-
Hamadou, fondateur de la dynastie des Bari, pour s’emparer du
pouvoir, ainsi que nous l’allons voir à l’instant. »
Ajoutons à ces notes de Delafosse que la suprématiedu royaume
Banmana de Ségou sur les Peuls du Macina ne peut dater que du
grand roi le bilon ou tiguilon Mamari Koulibali (1712-1755). C’est
donc à partir de Guidado seulement (1706-1761) que cette supré-
matie a pu s’exercer. Auparavant, le petit royaume Bambara de
Ségou était un minuscule royaume sans grande importance. A
partir du conquérant Mamari Koulibali il devient puissant.
De plus, il faut bien dire qu’à cette époque, le nord du Macina,
je veux dire le cercle actuel de Niafonké ou de l’Issa-Ber (au nord
du lac Débo, entre le Débo et Goundam), était tombé sous la domi-
nation des Touareg. Ceux-ci, à partir de 1750 environ, profitant
de l’anarchie qui régnait à Tombouctou, se rapprochaient du
fleuve et devenaient les véritables maîtres vers Soumpi et Nia-
fonké. A cette époque, on distinguait déjà dans le pays les trois
cantons du Farimaké, de l’Haoussa-Katawal et du Soboundou-
Somba. La contrée était peu peuplée et le régime Touareg n’était
pas fait pour la mettre en valeur. Des immigrants Peuls traver-
saient le fleuve, venaient grossir la population et reconnaître le
pays. Trop faibles pour entamer la lutte contre les Touareg, ils
payaient l’impôt à ceux-ci, en échange du droit de pâture. Les
Touareg étaient de la tribu des Tenguéréguif. Vers 1820, le chef
de la tribu était Sirim, aïeul de Cheboun ou Sobo, chef actuel (ceci
était écrit en 1903).
Les chefs de canton, Touareg aussi, étaient :
Waïfo au Farimaké,
Bouyé à l’Aoussa-Katawal,
et Samba au Soboundou 1.
C’est alors que survint Ahmadou-Cheikou, le fondateur de
l’empire Peul du Macina, pour lequel nous allons revenir à Dela-
fosse.
« Les Peuls du Macina, dit celui-ci, appartiennent à un certain
nombre de familles réparties en plusieurs clans, ainsi que j’ai eu
l’occasion de le dire. Au début de leur organisation, le clan Diallo
ou des Dialloubé avait le pas sur les autres et c’est ainsi que Maga
Diallo put s’emparer du commandement et que ses descendants
le conservèrent durant quatre siècles. Le clan le plus puissant
après celui des Dialloubé était le clan des Daébé, qui est connu
également sous les noms de Bari et de Sangaré et qui correspond
au clan Toucouleur des Si et au clan Mandé des Sissé. On a vu
qu’à plusieurs reprises, les Bari ou Sangaré avaient pris le parti
des ennemis du Massina contre les rois Dialloubé.
« A la fin du XVIIIe siècle vivait à Yogoumsirou près d’Ouro-
modi (Massina central) un pieux musulman originaire du Fitouka
(région à l’est de Niafounké), qui appartenait au clan peul des
Bari et était appelé Hamadou-Lobbo ou Ahinadou-Lobbo, parce
qu’il avait pour mère une femme nommée Lobo, ou encore Hama-
dou-Boubou, parce que son père s’appelait Boubou. Hamadou-
Lobbo avait eu à Malangal ou Maréval (Massina central) un fils
auquel il donna le même nom qu’il portait lui-même et qu’on
appela pour cette raison Hamadou-Hamadou-Lobbo, c’est-à-dire
« Hamadou fils de Hamadou fils de Lobbo » ; lorsque, plus tard, ce
fils reçut le surnom de Sékou ou « vénérable » (corruption du mot
arabe cheihk), on l’appela Sékou-Hamadou, c’est-à-dire « Sékou,
fils de Hamadou ».
Sékou-Hamadou, après avoir été instruit par son père à Yo-
goumsirou, se mit à voyager. Il accompagna en 1800 Ousmân-
dan-Fodio dans ses expéditions en pays haoussa et, au retour, vint
s’établir dans un hameau peul voisin de Dienné et nommé Non-
1. Ces renseignements sont empruntés à une notice sur le cercle de Sumpi
(ancien cercle de Niafonké, Sumpi étant du reste plus au nord que Niafonké
même) écrite par le capitaine Bergeron en 1903.
kama. Les Arma de Dienné l’en ayant expulsé, il alla se fixer à
Sono, dans le Sébéra, pays d’origine de sa mère Fatimata, et y
fonda une école. Ses Talibés ou disciples s’étant rendus un jour au
marché de Siman, près et au nord de Dienné, un fils de Hamadi-
Dikko, l'ardo du Massina, leur chercha dispute et confisqua leur
couvertures; ils vinrent se plaindre à Sékou-Hamadou, qui leur
conseilla de tuer le fils de l’ardo, ce que firent les Talibés. Alors
pour fuir la colère de Hamadi-Dikko, Sékou-Hamadou alla s’éta-
blir auprès de Soï.
Cependant l’ardo, effrayé des agissements et de la renommée
grandissante de Sékou-Hamadou, implora contre ce dernier l’aide
de Da, alors empereur de Ségou et suzerain du Massina. Da or-
donna à l’un de ses généraux, nommé Fatouma-Séri, d’aller s’em-
parer de la personne du cheikh; arrivé à Dotala (près et au nord-
est de Dienné), Fatouma-Séri comprit que Sékou-Hamadou, dont
la réputation de science et de vertu était déjà considérable, cons-
tituait un adversaire sérieux; il fit occuper la rive du Niger par
les guerriers de l'Ardo et celle du Bani par Galadio, chef du Kou-
nari (pays de Kouna, entre Mopti et Sofara). Puis il marcha sur
Soï à la tête de l’armée banmana. Sékou-Hamadou proclama
alors la guerre sainte, marcha au devant de Fatouma-Séri, battit
ses troupes près de Soï et les repoussa jusqu’à Yari, à côté de
Dotala, où elles se fortifièrent. On prétend que le cheikh n’avait
à sa disposition que quinze cavaliers, mais que, ayant fait rassem-
bler un grand troupeau de boeufs, il fît recouvrir ces animaux de
guenilles auxquelles on mit le feu et les lâcha ensuite sur les Ban-
mana, parmi lesquels, les boeufs, affolés parla douleur, jetèrent
le désarroi et la panique. Fatouma-Séri, en apprenant qu’il s’était
ainsi laissé jouer par son adversaire, se tua de honte et de dépit;
quant à ses guerriers, ils se dispersèrent, et c’est à partir de cet
événement que l’empire de Ségou perdit la tutelle qu’il avait
jusque-là exercée, depuis 1670 environ 1 sur le Massina. Sékou-
Hamadou avait envoyé deux de ses frères auprès de Ousmân-dan-
Fodio, empereur de Sokoto, pour solliciter sa bénédiction et lui
demander des drapeaux; ces drapeaux arrivèrent au moment de
la déroute de Fatouma-Séri et ne contribuèrent pas peu à fortifier
le prestige dont jouissait déjà le cheikh. Il en profita pour imposer
fortement son autorité à tout le Sébéra, où il plaça l’un de ses
Rimaïbé, Sanoussi-Sissé, comme gouverneur. Les Peuls de la ré-
gion, heureux en somme de l’occasion qui s’offrait à eux d’échap-

1. Depuis 1725 environ en réalité et non depuis 1670.


per au joug des Banmana, firent leur soumission à Sékou-Hama-
dou et lui livrèrent la personne de Hamadi-Dikko, le dernier ardo
du Massina (1810). Sékou-Hamadou, en effet, répudia ce titre
d’ardo (guide, conducteur, chef de migration ou de tribu nomade)
qui lui paraissait trop modeste et prit celui d‘amirou--moumenîm
(prince des Croyants). Cependant, il installa son neveu Bokar-
Amina à Ténenkou, avec le titre d’amirou tout court (comman-
dant), en lui donnant le gouvernement du Massina occidental et
en faisant en quelque sorte le successeur local de Hamadi-Dikko.
Les habitants de Dienné, fervents musulmans et surtout mar-
chands avisés, toujours du parti du plus fort, firent leur soumis-
sion au cheikh qui envoya des représentants dans la ville pour y
exercer l’autorité en son nom. Mais les Arma, descendants des
derniers caïds marocains, qui avaient remplacé ces derniers dans
le commandement de la ville et de ses environs, ne voulurent pas
supporter ces maîtres qu’on leur imposait malgré eux et les mas-
sacrèrent. Sékou-Hamadou vint alors mettre le siège devant
Dienné, qui se rendit au bout de neuf mois avec d’autant plus de
facilité que, à part les Arma, tous ses habitants étaient favo-
rables au cheikh. Une fois maître de Dienné, Sékou-Hamadou
traversa le Bani et se rendit dans le Kounari pour y fixer sa rési-
dence; Galadio, mécontent, alla à Tombouctou pour implorer le
secours des Bekkaï, lesquels formaient la principale famille des
Kounta et détenaient alors la suprématie politique à Tombouctou.
Les Bekkaï refusèrent de donner leur appui à Galadio qui, après
deux ans de lutte, fut définitivement battu par Sékou-Hamadou
et alla, avec ses partisans, se réfugier au Yagha, entre Dori et Say
où son fils Ibrahim jouissait encore d’une réelle autorité à la fin
du XIXe siècle.
Sékou-Hamadou fonda alors dans le Kounari, sur la rive
droite du Bani et au pied des montagnes du Pignari, entre Kouna
et Sofara, un village qu’il appela Hamdallahi (glorification de
Dieu) et dont il fit sa capitale (1815). C’est là qu’il reçut la visite
d’El-Hadj-Omar, vers 1838, lorsque ce dernier revenait de la
Mecque; Sékou-Hamadou lui prédit, dit-on, qu’il serait un grand
prince, mais périrait misérablement.
Delafosse passe ensuite à la description de l’organisation des
états de Sékou-Ahmadou. Il dit en note : « Presque tous les détails
concernant la vie et le règne de Sékou-Hamadou, ainsi que l’or-
ganisation de son royaume, ont été empruntés à la Monographie
de Djenné, de M. Ch. Monteil; on les retrouvera, bien plus déve-
loppés, dans ce très remarquable travail (p. 265 à 276). J’ai
utilisé aussi la monographie du cercle de Bandiagara de M. J. de
Kersaint-Gilly (1909). » Puis il continue ainsi : « Une fois solide-
ment établi à Hamdallahi, il organisa ses États, les partagea en
provinces, mit dans chaque province un gouverneur et un cadi,
établit des impôts et une sorte de service militaire. Les impôts
consistaient principalement en une dîme sur les récoltes; un
dixième de la dîme formait la solde du percepteur, un cinquième
revenait au roi et le reste servait à payer le chef de province, à
entretenir le contingent militaire et à secourir les indigents. On
percevait en outre un impôt en nature sur les troupeaux, impôt
dont le montant était dépensé par le roi en frais de représentation;
le taux était d’un taureau sur trente, une vache sur quarante, un
mouton sur quarante et une chèvre sur cent. De plus, Sékou-
Hamadou institua une sorte d’impôt somptuaire, qui consistait à
prélever le quarantième de la fortune monnayée des gens riches
(or et cauris) et le quarantième de leur provision de sel. A la fête
de la rupture du jeûne, chaque chef de famille payait un moudd
(mesure de capacité variant au Soudan entre un et trois litres)
de mil par adulte, dont un cinquième revenait au roi, le reste
étant affecté au personnel des mosquées et aux indigents. Les
serfs devaient aussi une contribution en mil ou en riz pour la
nourriture de l’armée. Tous ces impôts étaient annuels.
« En dehors des impôts existait la taxe de l’oussourou ou du
dixième des marchandises importées de l’extérieur et vendues
dans le royaume. Quant au butin fait à la guerre, une fois diminué
d’un cinquième qui servait à payer le chef de la colonne et à
racheter les prisonniers, il était partagé entre les guerriers, à
raison d’une part par fantassin et de deux parts par cavalier.
Pour son alimentation et celle de sa cour et des hôtes de passage,
le roi se réservait dans chaque province des terrains qui étaient
cultivés par les Rimaibé attachés à la couronne.
«Chaque village devait fournir un contingent militaire divisé en
trois fractions qui étaient appelés à tour de rôle; mais en cas de
nécessité, elles pouvaient être appelées toutes les trois à la fois.
On faisait généralement une expédition militaire ou une razzia
tous les ans, au moment de la saison sèche; pendant la durée de
l’opération, les guerriers recevaient une indemnité de vivres en
grains ou en cauris. Il y avait cinq généraux : le général en chef
ou amirou mawngal résidait à Dienné et campait durant la saison
sèche au Pondori, d’où il surveillait les Banmana; trois généraux
résidaient à Handallahi pendant la saison des pluies; le reste du -
temps, l’un campait à Poromani (ou Foromana) sur la rive droite
du Bani et à peu près en face de Dienné, pour surveiller les
Minianka, un autre au Kounari pour surveiller les Tombo et les
Mossi, et le troisième à Saréniamou,au Nord de Bandiagara, pour
surveiller les Touareg et les Peuls de la Boucle; un cinquième
général résidait à Ténenkou et surveillait la frontière de l’Ouest :
c’était le remplaçant local des anciens rois de la dynastie des
Diallo.
« Dans chaque chef-lieu de canton et dans chacun des sept quar-
tiers de Hamdallahi était un cadi jugeant les affaires civiles. Le
grand cadi de Hamdallahi, entouré des cadis de quartier, con-
naissait des crimes, et, en appel, de tous les jugements des cadis
secondaires. On pouvait en appeler au roi des jugements du
grand cadi; lorsqu’il y avait divergence entre l’avis de ce dernier
et celui du roi, on avait recours à l’arbitrage d’un jurisconsulte
réputé. L’assemblée des jurisconsultes de la capitale formait
auprès du roi une sorte de Conseil d’État.
« Sékou-Hamadou réussit à convertir à l’Islam presque tous les
Peuls, dont la plupart étaient encore païens au début du
XIXe siècle et même beaucoup de Banmana; ces derniers, d’ail-
leurs, abandonnèrent presque tous l’Islamisme après la chute de
l’État Toucouleur qui remplaça au Massina le royaume des Bari.
Du temps de la domination des Diallo, le système de succession
en usage dans le pays était le système de succession patriarcale;
Sékou-Hamadou l’interdit et imposa à ses sujets la succession en
ligne directe. »
D’après Monteil, résumé par Delafosse, les impôts étaient
donc :
1° la dîme (sur les grains);
2° l’impôt sur les troupeaux;
3° l’impôt somptuaire sur les riches;
4° l’impôt de mil du Ramadan;
5° la contribution des serfs pour la nourriture de l’armée;
6° l’oussourou (impôt de douane du 1 /10).
Enfin, le roi avait comme autres ressources les Rimaïbé de la
couronne ou serfs de la couronne.
Deux remarques peuvent être faites là-dessus : la dîme est
l’impôt courant musulmanique. La taxe sur les troupeaux s’im-
posait dans un pays d’élevage. L’impôt somptuaire a déjà un
caractère plus spécial, plus religieux et plus social. Dans nos pays
Européens, un tel impôt paraîtrait absolument « socialistoïde ».
En effet, quelqu’un possédant un million paierait de ce chef (en
dehors des impôts ordinaires européens correspondant à la
dîme et au droit sur le bétail) 25.000 francs par an (cet impôt
somptuaire étant annuel) et un milliardaire paierait 25 millions
par an. Quant au quarantième de la provision de sel, ce n’est pas
cela sans doute qui effraierait beaucoup nos Rothschild.
La seconde remarque à faire, c’est que les Rimaïbé étaient du-
rement frappés; en effet, le Dimadio donne les2/3 de la récolte au
Peuhl dont il est le serf et n’en garde qu’un tiers pour lui et pour
son entretien. Sur ce tiers, le Dimadio acquitte la dîme, le petit
impôt en mil pour la rupture du jeûne (ou Ramadan) et enfin la
contribution en nature pour la nourriture de l’armée. Quant à
l’impôt sur les troupeaux, ce n’est pas cela qui le gênait beau-
coup ayant peu de bétail, ni l’impôt somptuaire non plus. Mais
il en avait assez pour sa part sans compter ces deux-là.
Delafosse continue :
« Sékou-Hamadou régna de 1810 à 1844. Il avait étendu son
autorité, surtout du côté de l’Est, jusqu’aux premières monta-
gnes du Tombo, et au Sud-Est, jusque vers le confluent de la
Volta-Noire et du Sourou. Au Nord, son pouvoir s’exerçait,
depuis 1827, jusqu’à Tombouctou où son influence, néanmoins,
était contrebalancée par celle des Bekkaï et par celle des Touareg.
C’est en 1826-1827 que Sékou-Hamadou avait conquis Tombouc-
tou et en avait fait une dépendance du Macina ».
Ceci nous amène, comme par la main, à la conquête de l'Issa-
Ber par Ahmadou Cheikou car, avant d’aller à Tombouctou, le
sultan du Macina avait dû conquérir l’Issa-Ber. Le capitaine
Bergeron (1903) nous donne quelques détails là-dessus.
Le pays était tombé, nous l’avons vu, sous la domination pil-
larde des Touareg (1750 à 1825). « C’est alors que survint le fon-
dateur de l’empire peul Cheïkou-Ahmadou. Son lieutenant,
Ahmadou Alfaka, détaché sur la rive gauche du fleuve, envahit
le Farimaké et défit complètement les partisans des Touareg à
Naïbé près de Tiouki. Waïfo, vaincu, se réfugia à Ségou et son
vainqueur peuhl, Ahmadou Alfaka prit sa place.
« Plus prudents, les deux autres chefs font leur soumission.
Cheïkou les maintient, mais en leur adjoignant un marabout
peuhl pour les surveiller. Devant cette mesure, Bouyé inquiet, se
réfugie à Tombouctou en laissant le pouvoir à son fils, Diambélé.
En même temps, le canton d’Atara, nouvellement formé, reçoit
pour chef le Peuhl Sambourou Kolado.
« C’est cette organisation en 4 cantons qui s’est maintenue
jusqu’à l’arrivée des Français.
«Peu à peu les hordes Touareg disparaissent devant la prise de
possession méthodique des Foulbé. Cheïkou-Ahmadou rend
obligatoire la religion musulmane. Il réglemente l’enseignement
et l’exercice de la justice. Pendant cette période de paix d’environ
cinq ans, les cantons jouirent d’une véritable prospérité.
« Une brouille survient alors entre Ahmadou Alfaka, chef du
Farimaké et son souverain, Cheïkou. D’après une légende, ce
dernier, pour atténuer une lutte fratricide, prescrit à ses troupes
de combattre armées de tiges de mil. La rencontre a lieu au Kou-
nari. Ahmadou Alfaka, battu par les tiges de mil, se réfugie à
Tombouctou, puis au Kounari. Il est remplacé par Cheïkou
Saïdou.
« Cet épisode n’a pas troublé les autres cantons. Le commerce
et la paix continuent à enrichir le pays ».
Comme on le voit, ce fut Ahmadou Alfaka qui conquit l'Issa-
Ber sur les Touaregs dominateurs. Mais revenons à Ahmadou-
Cheïkou qui mourut en 1844 après avoir créé l’empire Peuhl du
Macina.
« Lorsqu’il mourut, dit Delafosse, les habitants de la ville,
qui détestaient les Peuls, firent appel à El-Moktar Bekkaï, qui
résidait alors à Mabrouk : celui-ci intervint auprès des Touareg de
la région et, grâce à leur concours et à celui de ses Kounta, il
parvint à affranchir Tombouctou du joug du Massina et à en
chasser la garnison peuhle (1844).
« Hamadou-Sékou, fils de Sékou-Hamadou, succéda à son
père; deux ans après son avènement, il faisait de nouveau accepter
la suzeraineté du Massina par Tombouctou (1846), sans cepen-
dant réoccuper la ville; grâce à une convention passée avec El-
Bekkaï, frère d’El-Mokhtar, les susceptibilités des habitants
purent recevoir satisfaction : il fut décidé que tous les fonction-
naires seraient des Songhaï à l’exception d’un percepteur peul
qui assisterait le percepteur Songaï dans le recouvrement de
l’impôt à verser au roi Massina ».
C’est sous Hamadou-Sékou (1844-1852) qu’un incident eut
lieu dans l'Issa-Ber. « Vers 1848, dit le capitaine Bergeron, Cheï-
kou Saïdou nouveau chef du Farimaké, dirige une colonne (paci-
fique) sur Tombouctou pour y lever l’impôt au nom de son maî-
tre. A son retour, son canton est en révolution. Son frère, chargé
de l’intérim, a soulevé par ses exactions les gens du pays qui l’ont
tué. Cheïkou Saïdou entreprend de venger son frère, mais son
souverain juge sa cause mauvaise et le fait remplacer par Bokary
Modi.
« Vers 1851, nouvel incident. Un marabout assez obscur, Modi
Bo Fafou, entreprend de soulever le pays contre le roi du Macina
et entraîne dans le mouvement le chef du Farimaké Bokary
Modi. Cette révolte est aussitôt réprimée par les autres chefs de
canton. Bokary Modi, destitué, est remplacé par Ahmadou
Cheïkou ».
Maintenant, revenons au récit de Delafosse pour le Macina en
général :
« Hamadou-Sékou abdiqua en
1852 en faveur de son fils Hama-
dou-Hamadou, au détriment de ses frères Ba-Lobbo et Abdessâ-
lem-Hamadou. Hamadou-Hamadourègnade 1852 à 1862; sa lutte
avec El-Hadj-Omar et sa défaite seront contées dans l’histoire de
l’empire Toucouleur. Qu’il me suffise de dire ici qu’El-Hadj,
après s’être emparé de Sansanding en 1860, puis de Ségou en
1861 1, marcha contre Hamadou-Hamadou et prit Hamdallahi
en 1862, après quoi, il fit arrêter Hamadou-Hamadou, près de
Tombouctou et le fit mettre à mort. Ba-Lobbo 2, cependant, con-
tinua la lutte contre les Toucouleurs et arriva même à se tailler
dans la Boucle du Niger une sorte de royaume assez étendu, mais
en réalité le royaume peul du Macina et la dynastie des Bari
avaient pris fin avec l’entrée d’El-Hadj-Omar à Hamdal-
lahi. »
Le capitaine Bergeron, se plaçant au point de vue plus spécial
de l’Issa-Ber, dit à son tour :
« A la veille de l’invasion Toucouleur, nous trouvons les chefs
suivants dans le pays :
« Ahmadou Cheïkou au Farimaké.
« Babakar Sambourou dans l’Atara.
«
Damélou Bouyé, dans l'Aoussa-Katawal et Alfa Guidado dans
le Soboundou.
« Soulignons., pour clore cette phase, le développement remar-
quable survenu dans le pays sous la dynastie Peuhle. Les Foulbé
ont multiplié à cette époque leurs troupeaux, ont fondé de grands
et riches villages. Leurs captifs ont mis en culture les plaines de
la rive gauche. Les Touareg restés dans le pays sont devenus
sédentaires et fermiers. Un commerce actif règne avec Tombouc-
tou grâce à l’entente survenue entre les Kounta de cette cité et le
gouvernement du Macina ».
Nous allons maintenant quitter le capitaine Bergeron et
prendre au capitaine Menvielle (Notice sur le Massina établie en
1.Ségou était la capitale du royaume Bambara.
2. C’était le frère de Hamadou-Hamadou mis à mort par ordre de El-Hadj-
Omar.
1896 sur l’ordre du colonel de Trentinian) un autre récit de la vie
de Sékou Ahmadou (1826-1844) et de ses successeurs. Nous com-
parerons ainsi avec le récit de Delafosse.
« Le père et le grand-père de Cheïkou-Amadou, dit le capitaine
Menvielle, habitaient un petit village du Macina nommé Ouro-
Modi où naquit le futur conquérant. Celui-ci donna de très bonne
heure les signes d’une grande intelligence; il fréquenta l’école
des marabouts des environs et sut rapidement tout ce qu’ils
pouvaient lui apprendre. Très jeune encore, il quitta le Macina
pour s’installer avec ses frères et ses troupeaux à Ouroundé-Sirim
appelé aussi Bambina, tout près de Djenné. Cette ville, habitée
par les métis marocains et une population commerçante, cons-
tamment en rapport avec Tombouctou, possédait des marabouts
instruits dont Cheïkou Amadou voulut se rapprocher pour déve-
lopper ses connaissances. L’un de ces marabouts, frappé par son
intelligence, l’aurait signalé aux autorités de la ville comme un
esprit supérieur et aurait prédit qu’il deviendrait un jour roi
du pays. Aussi devint-il suspect aux chefs de Djenné qui l’expul-
sèrent. Il se retira alors à Nonkouma dans le Sébéré où il fonda une
école. Sa réputation s’était rapidement répandue au loin, de sorte
que des élèves nombreux lui vinrent de tous les côtés. Au bout de
peu de temps, il fut entouré d’une véritable armée de disciples
qu’il sut fanatiser et qui lui étaient dévoués corps et âme. Tl acqué-
rait en même temps de l’influence sur les populations qui venaient
le consulter de fort loin. Il devenait une puissance avec laquelle
il fallait compter, il le sentait et, pour faire l’essai de sa force, il
n’hésita pas à attaquer le fds de l’ardo du Macina lui-même.
Voici dans quelles circonstances : un pauvre homme vint se
plaindre à Cheïkou Amadou d’avoir été volé par le fils d’Ahmadi
Diko et le pria d’user de son influence pour lui faire restituer son
bien. Cheïkou-Amadou envoya ses disciples les plus dévoués au
marché de Sinsaï où se trouvait le coupable avec ordre de lui
demander de rendre ce qu’il avait pris, par crainte de Dieu, et de le
tuer s’il refusait. L’issue des négociations ne pouvait être dou-
teuse; le fils de l’ardo refusa d’écouter les conseils du marabout
et les talibés, exécutant leur consigne, le mirent à mort.
«A cette époque, les deux partis qui divisaient le Guimbala
étaient en guerre et l’un d’eux avait appelé à son secours les
Bambaras de Ségou. Une colonne de 35 compagnies, comman-
dée par Fatoma, se rendait au Guimbala et arrivait près de
Djenné lorsque se produisit l’incident du marché de Sinsaï. Les
chefs de Djenné, par crainte de voir se réaliser la prédiction de
leur marabout concernant Cheïkou Amadou, et Ahmadou Diko,
pour venger la mort de son fils, demandèrent aux Bambaras de
Ségou d’attaquer Cheïkou Amadou et de s’emparer de ce mara-
bout qui devenait un danger pour le pays. Fatoma marcha contre
Nonkouma avec sa nombreuse armée. Mais Cheïkou Amadou,
bien qu’il n’eut que 1.000 fantassins et 40 cavaliers, le repoussa
en lui infligeant de grosses pertes. Cependant les Bambaras
allèrent se reformer à Pêma et marchèrent de nouveau contre
Nonkouma. Repoussés une deuxième fois, ils se retirèrent à
Yéri. Enhardi par ses deux premiers succès, Cheikou Amadou
prit l’offensive, s’empara de Yéri et dispersa complètement
l’armée bambara après avoir tué son chef Fatoma. »
Arrêtons-nous un instant ici. Dans ce paragraphe, le capi-
taine Menvielle donne un renseignement précieux sur le Djimbala
ou Guimbala, province orientale du cercle actuel de Niafonké,
s’étendant à l’est du Niger entre le Débo au sud et le Fati au
nord. Même le mot de Guimbala s’applique à la rive Est du
Niger au sud du Débo, jusqu’à Mopti. On appelle encore cette
rive Gourma, par opposition à la rive ouest qui, de Mopti au
Débo, puis du Débo au lac Horo, s’appelle Haoussa. Ainsi, on a
le Haoussa à gauche et le Gourma ou Djimbala à droite. Le capi-
taine Menvielle nous dit donc que dans le Guimbala il y avait
deux partis en guerre et que l’un d’eux avait appelé les Bamba-
ras de Ségou. De cela nous pouvons conclure qu’au commence-
ment du XIXe siècle (vers 1810 ou 1816 suivant qu’on place
l’avènement de Gheïkou-Amadou à l’une ou l’autre de ces
dates) :
1° le Guimbala était indépendant de l’ardo du Macina puisque
des luttes intestines s’y livraient sans que celui-ci intervint, et
puisqu’un des deux partis, sans souci de l’ardo et sans recourir
à lui, s’adressait au roi Bambara de Ségou. Quant à ce parti, il
n’est pas difficile de savoir qui il était; actuellement encore, le
Dodjiga, gros canton situé au nord du Débo, qui a Sa pour chef-
lieu et qui forme le sud du Guimbala de l’Issa-Ber (tandis que le
Fitouka forme le nord de la même province) est peuplé moitié
de Bambaras et moitié de Foulbé. Il est donc probable que les
deux partis qui se déchiraient dans le Guimbala étaient le parti
Bambara et le parti peul. Rien d’étonnant alors à ce que le pre-
mier ait appelé à son aide les Bambaras de Ségou.
Rappelons que l’Issa-Ber se divise en Guimbala ou Gourma
à l’est du Niger et en Haoussa à l’ouest du même fleuve. Dans le
Guimbala ou Gourma, nous avons comme cantons :
1° le Fitouka avec Saraféré pour chef-lieu (20.000 imposables
en 1913), au nord du Guimbala;
2° le N’Gorkou avec N’Gorkou pour chef-lieu (12.000 imposa-
bles en 1913) au centre du même Guimbala;
3° le Korombana au sud, avec Korianza ou Korianzé pour chef-
lieu (12.000 imposables en 1913);
4° le Dodjiga à l’ouest du Guimbala avec Sa pour chef-lieu
(12.000 imposables en 1913);
Dans le Haoussa (ou Aoussa) à l’ouest du Niger, on a :
1° le Sobounda-Samba au nord, avec Niafonké pour chef-lieu,
(7.000 imposables en 1913);
2° le Haoussa-Katawal au sud-ouest du précédent avec Soumpi
pour chef-lieu (6.000 imposables en 1913);
3° le Farimaké au sud du Haoussa-Katawal avec Diolli pour
village le plus important (11.000 imposables en 1913).
Il y a d’autres cantons dans l'Issa-Ber puisqu’il y en a 18 en
tout, mais les sept que je viens de citer (4 dans le Guimbala,
3 dans le Haoussa) sont les plus importants de beaucoup. Signa-
lons que quand le cercle de Niafonké était le cercle de Soumpi
(1903, époque du capitaine Bergeron) le Haoussa seul (cantons à
l’ouest du Niger) lui appartenait; les cantons du Guimbala (à
l’est du Niger) lui furent ajoutés quand le cercle de Soumpi
devint le cercle de Niafonké. C’est donc à Soumpi et dans l’Aoussa
du Cercle de Niafonké que les Touareg s’étaient installés entre
1750 et 1825 avant Ahmadou Cheïkou. Mais ils n’avaient pas
pénétré dans le Guimbala (à l’est du Niger). Ceci dit pour éclai-
rer le récit du capitaine Menvielle, chaque fois qu’il touchera
à l'Issa-Ber, reprenons ce récit :
« Il n’en fallut pas davantage, continue le narrateur, pour éta-
blir sa renommée et grossir le nombre de ses partisans. Il vit venir
à lui la plupart des sujets de l’ardo qui le reconnurent comme roi
du Macina; les chefs seuls restèrent encore fidèles à Ahmadi Diko.
« Quelque temps avant d’être attaqué à Nokouma, Cheïkou Ama-
dou, voyant sa popularité grandir de jour en jour, avait songé à
accomplir une révolution et, voulant se ménager l’appui d’un
puissant voisin, il avait envoyé ses deux frères Bokar Amat
Lobbo et Amadi Djiouldé, à Sokoto pour demander à Othman
Fodié sa protection et un drapeau pour entreprendre la guerre
sainte. Ces envoyés reçurent un bon accueil du sultan du Haoussa
qui leur remit le drapeau qu’ils sollicitaient et, après leur avoir
demandé quels étaient les pays contre lesquels Cheïkou Amadou
voulait faire la guerre, leur prédit que leur frère réussirait dans
son entreprise. Les ambassadeurs ayant fait observer qu’ils
avaient oublié de nommer le Sarro et le Mossi, Othman Fodié
leur répondit que Cheïkou Amadou ne commanderait pas à ces
deux pays : Dieu en avait ainsi décidé.
« Lorsque Bokar Amat Lobbo et Amadi Djiouldé revinrent au
Macina, ils trouvèrent la révolution accomplie; le drapeau qu’ils
apportaient devenait donc plus gênant qu’utile. Cependant,
quelques partisans de Cheïkou Amadou parlèrent de reconnaître
la suzeraineté du sultan de Sokoto, mais le parti opposé étant le
plus nombreux et le nouveau roi n’y tenant aucunement, il n’en
fut plus question.
« L’ambition de Cheïkou Amadou ne se bornait pas à comman-
der la petite province du Macina; il rêvait de reconstituer à son
profit l’ancien empire Songhay et il travailla à la réalisation de
son projet.
« Une fois proclamé roi, Djenné fut son premier objectif. II
envoya contre elle Ousman, un de ses lieutenants connu sous le
nom d’amirou Mangal (le gros) qui en fit le siège pendant neuf
mois. Djenné dont le commerce était interrompu par cette guerre
souffrait de la famine et dut se rendre. Amirou Mangal en reçut
le commandement.
« Pendant ce temps, les Macinankés s’étaient emparés par
trahison de l’ardo Amadi-Diko et l’avaient livré à Cheïkou-Ama-
dou. Celui-ci le garda près de lui et donna le commandement du
Macina au fils de sa soeur, Bokar-Amadou Sala.
« Guéladio, chef du Kounari, sur la rive droite du Bani, vint
aussi faire sa soumission à Cheikou Amadou et conserva son com-
mandement.
« Pendant les huit premières années de son règne, Cheikou Ama-
dou imposa successivement son autorité à la plus grande partie
des provinces de l’ancien empire Songhay et envoya plusieurs
expéditions dans le Bendougou.
« Après le Kounari, Cheikou Amadou soumit le plateau de Ban-
diagara habité par les Habbés et en donna le commandement à
sa nièce, Gouro Malado, fille de sa soeur.
« Jusqu’alors, ce plateau peu connu était resté indépendant
sauf le canton du sud-ouest, appelé Pignari, qui avait reconnu
l’autorité de Guéladio, à la suite d’une pointe poussée par ce chef
jusqu’à Doukombo, tout près de Bandiagara, à la tête d’une co-
lonne de Bambaras de Ségou.
« La conquête du Guimbala, province Bambara (ceci n’est pas
complètement exact, le Guimbala étant demi-Bambara, demi-
Peuhl) suivit celle du plateau; le commandement en fut donné
à Amadou Lobbo, petit-neveu de Chékou-Amadou. Puis vint le
tour du Farimaké donné à Bokar Modi, neveu du chef du Macina.
Tombouctou aussi dut se soumettre et reçut pour chef Bokar
Borel, fils de la soeur de Sékou Amadou.
« Le commandement de Dalla fut donné à Alpha Seïoma, Peul du
pays; celui de Hombori, à Moussa Bodédio, Peul de Gao. Cette
famille l’a conservé jusqu’à l’arrivée des Français; à cette époque,
son chef ayant suivi Amadou dans sa fuite, Aguibou a rendu le
commandement de ce district à l’ancienne famille Songhay qui
l’exerçait avant Moussa Bodédio.
«Aucun chef ne put s’installer au Djilgodi qui se révoltait cons-
tamment et appelait les Mossi à son secours. »
Gomme on le voit, le capitaine Menvielle recule les bornes de
l’empire d’Amadou au delà de ce que disent Monteil et Delafosse
qui ne parlent pas de la conquête du Hombori et des efforts guer-
riers tentés sur le Djilgodi.
« Restait, continue le capitaine Menvielle, le Bobola (pays des
Bobos) (commandement actuel de Ouidi) et le pays des Samos
Cheikou Amadou y envoya le Foutanké Alpha Semba qui prit
Ouonkoro, battit le grand-père de Ouidi et s’empara de Koïma
et de Kombori. Un marabout peuhl, nommé Ousman Oumarou
fut placé à la tête de cette province qui comprenait le territoire
des Samos situé sur la rive droite du Bargué. Les Samos de la
rive gauche ayant repoussé une colonne conduite par le fils aîné
de Gheïkou Amadou ne furent plus attaqués.
« Maître désormais d’un vaste empire, Cheikou Amadou qui,
jusque-là, avait habité Nonkouma, complètement entouré d’eau
pendant l’hivernage, songea à construire une capitale mieux
située. Il choisit, à cet effet, un emplacement dans le Kounari,
au pied du plateau, et donna à la future ville qui s’éleva rapide-
ment le nom d’Haldallahi (el hamdou lillahi, louange à Dieu).
« Ce déplacement donna des inquiétudes à Guéladio le chef
du Kounari qui, quoique soumis depuis huit ans, craignit de se
voir déposséder de son commandement et de subir le sort de
Amadi Diko. Ayant résolu de se révolter, il se rendit à Tombouc-
tou pour demander l’assistance du père de Bekkay, le chef de la
grande tribu maraboutique des Kounta, auquel il fit part de ses
projets. Celui-ci, l’ayant conduit pendant la nuit en dehors de la
ville, lui montra un homme armé de pied en cap et lui demanda
s’il se sentait capable de l’arrêter et de le tuer. Gueladio ayant
répondu négativement, le marabout lui prédit qu’il serait battu
par Cheikou Amadou et obligé de quitter son pays. Mais Dieu le
conduirait dans une bonne contrée où lui et ses descendants com-
manderaient longtemps. Guéladio revint au Kounari sans les
secours qu’il avait espéré obtenir. Cheikou Amadou, qui avait été
instruit de ces menées, le manda à Nonkouma, mais Guéladio
refusa de s’y rendre et entra par le fait en insurrection.
« Une première colonne envoyée dans le Kounari sous les ordres
d’El Hadji, neveu de Cheikou Amadou, ayant été tenue en échec
pendant une année entière, le commandement d’une deuxième
expédition fut confié à Amirou Mangal. Cependant quelques
Foulbé hésitaient à marcher contre Guéladio; un nommé San-
Babou, se faisant leur porte-parole, demanda à Cheikou Amadou
s’il avait le droit de faire la guerre à un coreligionnaire, marabout
comme lui. Le roi lui répondit que Guéladio avait fait d’abord sa
soumission et venait ensuite de se révolter : un roi a le droit de
châtier tous ses sujets qui méconnaissent son autorité. Cet argu-
ment leva tous les scrupules et la colonne se mit en marche. Dans
le choc qui ne tarda pas à se produire, San-Babou trouva la mort
après avoir tué Ousman Ham Bodédio, frère de Guéladio, qui
avait quitté son commandement du Gondo pour prendre part à
la révolte. Le parti de Guéladio fut battu et obligé de prendre la
fuite vers l’est. El Hadji le poursuivit jusqu’au Djilgodi, mais
n’ayant pu l’atteindre, il rentra au Macina et obtint de son oncle
le commandement du Kounari.
« Guéladio ne se trouvant pas en sûreté au Djilgodi poussa jus-
qu’à Dori, puis continua sa route à travers le Yagha et le Torodi,
jusqu’auprès de Say et fonda Ouro Guéladio (village de Guéla-
dio) où ses descendants commandent encore (ceci écrit en 1895).
La prédiction du père de Bekkay fut ainsi réalisée.
« Le Djilgodi se soumit à Cheikou Amadou et le marigot de
Béléhêdé forma la limite de ses états avec l’empire de Sokoto.
« Huit ans après son arrivée au pouvoir,
Cheikou Amadou
avait reconstitué l’empire Songhay depuis Tombouctoujusqu’au
Mossi et depuis Djenné jusqu’à Gao. Il porta alors ses vues du
côté de l’ouest et songea à soumettre le Bakhounou habité par
les Foulbé de Samonné, grand-père de Sambourou, et de Bou-
gouni, grand-père d’El Hadj Bougouni, tous deux devenus célè-
bres par la lutte qu’ils ont soutenue contre les Français.
« Ces Peuls étaient sous la dépendance d’une
tribu maure, les
Ouled M’Barck qui avaient pour chef El Mokhtar. Cheikou Ama-
dou donna une colonne à son fils aîné avec mission d’aller chercher
les Diavandos du Kaarta et de les ramener au Macina, mission
qui réussit complètement. II profita de cette occasion pour atti-
rer à lui Samonné et Bougouni qui lui firent leur soumission, tout
en continuant de ménager El-Mokhtar dont ils avaient peur.
A la mort de ce dernier, Cheikou Amadou, profitant d’une que-
relle à la suite de laquelle les deux chefs Foulbé en étaient venus
aux mains, les obligea à venir habiter tous les deux le Macina.
Cependant, le Bakhounou fut encore troublé quelque temps par
le fils d’El-Mokhtar et chaque année, Cheikou Amadou devait y
envoyer des troupes pour lever l’impôt. Par ruse, il réussit à
s’emparer du chef Maure qu’il interna à Hamdallahi; à partir de
ce moment, la soumission du Bakhounou fut complète. »
Ici, arrêtons le capitaine Menvielle. On pourrait croire que
Cheikou Amadou conquit le Bakhounou y compris Nioro et le
Kaarta. En fait, le royaume des Bambaras Massasis qui domi-
nait alors la circonscription de Nioro dans son extension actuelle
ne fut pas touché par les colonnes de Cheikou Amadou et aucun
conflit ne se produisit entre Bambara et Foulbé d’Ahmadou. Ce
que celui-ci conquit, ce fut donc le territoire actuel des cercles de
Sokolo et de Goumbou. En fait, l’empire d’Ahmadou et le
royaume des Massassi devinrent à peu près limitrophes. Aussi
verrons-nous plus tard, quand en 1854 El-Hadj-Omar préluda à
ses conquêtes orientales par l’écrasement des Massassi et la
prise de Nioro, une colonne peuhle être envoyée par le petit-fils
d’Ahmadou pour repousser les Toucouleurs et secourir les Massas-
sis. Cette colonne, du reste, fut battue comme les Massassis eux-
mêmes. Donc l’empire d’Ahmadou ne comprit jamais le territoire
de Nioro et dut s’arrêter à ce qui forme actuellement la limite
orientale de ce cercle, mais le territoire de Sokolo et de Goumbou
fit en revanche partie de cet empire, ce que ne marque pas Dela-
fosse, de même qu’il ne marque pas (à l’est) la conquête du Hom-
bori et du Djilgodi. Si donc le capitaine Menvielle a une tendance
à exagérer les limites de l’empire d’Ahmadou, Delafosse, en
revanche, a une tendance aussi marquée à les rétrécir. En fait,
cet empire s’est étendu sur sa gauche jusqu’à Sokolo et Goum-
bou compris et sur sa droite jusqu’à Hombori et le Djilgodi, ce
que la carte de Delafosse, page 237, ne marque pas (carte 14 du
IIe tome. Il faut donc amplifier cette carte sur la droite et sur la
gauche pour avoir le véritable empire d’Ahmadou).
Le capitaine Menvielle continue ainsi :
« Du côté de Ségou, Cheikou Amadou fut moins heureux :
Ses guerriers y firent plusieurs razzias, dont l’une fut poussée jus-
qu’à Mérikoro et rapporta un grand nombre de troupeaux et de
captifs. Mais il ne réussit jamais à imposer son autorité au
royaume bambara. Il mourut au bout de vingt-huit ans de règne.
« Amadou Cheikou (1844-1852). — Rompant avec la coutume
du pays qui veut qu’à la mort d’un chef, le pouvoir passe à son
frère et non à son fils, Cheikou Amadou avait désigné de son
vivant son fils Amadou comme son successeur. Celui-ci réunit
tous les notables devant le cercueil de son père avant de procéder
à son inhumation et, leur rappelant les dernières volontés du
défunt, il se fît reconnaître roi. Son oncle El Hadji n’osa pas pro-
tester, de sorte que personne ne lui disputa le pouvoir. Pendant
son règne qui dura huit ans, le pays fut tranquille. Sauf deux expé-
ditions heureuses dirigées vers l’est, dont une fut poussée jusqu’à
Téra et l’autre jusqu’à Gao, il ne se produisit aucun événement
saillant dont on ait conservé le souvenir. Amadou Cheikou mourut
en laissant la réputation d’un prince juste et bon.
« Amadi Amadou (1852-1861). — A l’exemple de son père, il
désigna son fils Amadou Amadi pour lui succéder et même le
fit reconnaître, avant de mourir, par, les chefs et les notables.
Lorsque mourut Amadou Cheikou, son frère Abdoulaye Cheikou,
issu de la même mère et plus jeune que lui de 3 ans seulement se
trouvait à Tombouctou. A son retour, celui-ci trouva Amadi
Amadou installé au pouvoir. Plusieurs chefs se trouvant réunis à
Hamdallahi, Abdoulaye Cheikou essaya de les engager dans une
conspiration dans le but de détrôner Amadi Amadou. Mais ils ne
purent pas s’entendre et sa mère, instruite de ses intentions,
alla le trouver et le ramena à l’obéissance. Abdoulaye Cheikou
renonça à revendiquer ses droits à la couronne; mais il se démit
de son commandement du Macina dont il ne voulut pas non plus
pour son fils. Cette province échut à un frère du roi (qui avait
d’abord voulu la donner à son oncle Ba Lobbo), mais Abdoulaye
l’en dissuada. Ba Lobbo reçut 200 captifs et conserva son com-
mandement de Foromani chez les Bobos.
«Le Djilgodi s’étant révolté, Amadi Amadou réunit une colonne
pour le châtier et en donna le commandement à Abdoulaye el
Hadji. Lorsque celui-ci se présenta chez les insurgés, tout le
monde se soumit ; il réunit les chefs et en fit exécuter 35. Mais leurs
fils allèrent en toute hâte chercher du secours au Mossi et revin-
rent au bout de trois jours avec une colonne nombreuse. Ils tom-
bèrent à l'improviste sur El Hadji et l’obligèrent à se réfugier à
Hombori après lui avoir tué beaucoup d’hommes et avoir fait un
grand nombre de captifs.
« El Hadji retourna à Hamdallahi sans avoir pu venger cet
échec.
« Amadi Amadou avait songé à faire la conquête du Sarro
1
contre lequel il envoya une petite expédition. Mais celle-ci dut
faire demi-tour sans avoir obtenu d’autre résultat que de piller
un petit village.
Sur ces entrefaites, la nouvelle parvint au Macina de l’arrivée
d’El-Hadj-Omar au Kaarta. Amadi-Amadou voulut s’opposer
immédiatement à la marche du conquérant et envoya dans le
Bakhounou une colonne commandée par Abdoulaye Bokari Ha-
man Salah. La rencontre avec les Foutankés eut lieu à Kaskéri;
les Foulbé furent battus et perdirent de nombreux prisonniers.
Ceux-ci furent conduits à Nioro à El-Hadj-Omar qui leur rendit
la liberté après avoir soigné les blessés (1854).
2

« Cependant l’armée d’El Hadj, après s’être emparée de Djaba


et de Oueïtala dans le Ségou, était parvenue jusqu’à Sansanding
et Ali, fama de Ségou, avait fait demander du secours à Amadi
Amadou. Bien que les Cissé n’eussent jamais réussi à placer le
Ségou sous leur dépendance, le roi du Macina écrivit une lettre
à El-Hadj-Omar dans laquelle il prétendit que cet état avait été
soumis par son père et son grand-père (en politique, surtout en
pays noir, le mensonge est admis). S’attaquer à Ségou, c’était
déclarer la guerre au Macina dont le chef appartient à la vraie
religion. Ce ne serait donc plus une guerre sainte, mais une guerre
inique dont Amadou laissait toute responsabilité à El-Hadj-
Omar.
« Le mensonge était trop grossier et la réponse fut facile. El
Hadj rappela à son royal adversaire que les expéditions envoyées
par les Cissé dans le Ségou avaient toutes échoué. La preuve
que le fama Ali ne leur avait jamais été soumis, c’est qu’il était
à Ségou-Sikoro avec tous ses gris-gris et qu’il n’avait pas em-
brassé la vraie religion. C’est uniquement la peur des Foutankés
qui l’avait poussé à demander des secours au Macina. El Hadj
ne voulait pas faire la guerre à Amadi Amadou, mais que celui-ci
ne se mêlât pas des affaires de Ségou!
« Cette lettre fut lue à Hamdallahi au milieu de tous les chefs
rassemblés et une longue discussion s’ensuivit entre les partisans
1. Province Bambara à l’ouest de Dienné.
2. J’ai représenté par cette ligne de points un intervalle de plusieurs années
dont le capitaine Menvielle ne tient pas compte, qui permit à El-Hadj-Omar
de passer du Kaarta au Ségou et de faire la conquête de celui-ci.
de l’abstention et ceux de la guerre. Ce furent ces derniers qui
l’emportèrent.
« Amadi-Amadou donna une colonne forte d’environ 4.000 ca-
valiers à Ba Lobbo qui se dirigea vers le Ségou. De son côté, le
fama Ali vint le rejoindre en face de Sansanding avec une nom-
breuse armée de Bambaras.
« Les Foutankés étaient rassemblés en face d’eux sur la rive
gauche du Niger et la situation ne manquait pas d’être délicate.
Jusqu’alors, El-Hadj Omar n’avait fait la guerre qu’aux infi-
dèles et c’était la justification de ses conquêtes. Mais voilà qu’il
se trouvait en présence d’un chef musulman qu’il n’avait aucune
raison d’attaquer sans risquer de porter atteinte à son prestige de
prophète. Voulant mettre toutes les apparences de justice de son
côté et tous les torts du côté d’Amadi-Amadou, El Hadj donna
l'ordre à ses guerriers de tomber sur les Bambaras et de ne com-
battre les Foulbé que dans le cas où ceux-ci attaqueraient les
premiers.
« Les Foutankéstraversèrent
le fleuve et suivant les instructions
de leur chef, ils engagèrent le combat avec l’armée d’Ali qu’ils
mirent en déroute. Mais les Foulbé qui ne s’étaient pas mêlés,
au début, de la lutte, voyant le succès des Foutankés, fondirent
sur eux, leur tuèrent 400 hommes et les obligèrent à repasser le
fleuve. Malgré les pertes de cette journée, ce fut un succès pour
EI-Hadj-Omar qui avait obtenu ce qu’il désirait, se faire attaquer
par Amadi Amadou, et qui, désormais, pouvait justifier la guerre
qu’il avait l’intention de lui faire.
« Le lendemain,
El Hadj fit repasser le fleuve à toutes ses troupes
et tomba à la fois sur les deux armées de Ségou et du Macina qu’il
mit en déroute. Ali rentra dans ses états; El-Hadj-Omar le pour-
suivit, le chassa de Ségou-Sikoro, sa capitale et s’y installa à sa
place. Le fama détrôné se dirigea vers le Bendougou et alla
rejoindre à Hamdallahi Amadi Amadou qui l’installa à Tomi-
nadjombo.
« Le roi du Macina ne
pouvait rester sur l’échec que les Tou-
couleurs venaient de lui infliger. Il voyait son prestige atteint
et l’intégrité de ses états menacée par le conquérant. Aussi se
mit-il en posture de résister à l’envahisseur. Il convoqua les guer-
riers de toutes ses provinces, y compris ceux de Tombouctou et
réunit une armée d’environ 10.000 cavaliers et un nombre con-
sidérable de fantassins dont il donna de nouveau le commande-
ment à Ba-Lobbo. Celui-ci marcha sur Ségou; mais il fut encore
repoussé et obligé de retourner au Macina.
« El-Hadj-Omar avait décidé d’envahir les états d’Amadi-
Amadou, mais voulant encore mettre toutes les apparences de
tort du côté de son adversaire, il écrivit une lettre qu’il fit porter
à Hamdallahi par Tierno Hamidou pour être montrée à tous les
marabouts. Le prophète rappelait qu’il n’était pas venu faire la
guerre aux musulmans, que dès le début, il l’avait fait connaître
aux Foulbé et que néanmoins, ceux-ci étaient venus l’attaquer.
C'est sur eux seuls que devaient peser les responsabilités de cette
lutte. Ils avaient tué ses Talibés, guerriers de Dieu et de son pro-
phète; il réclamait une réparation légitime; si on la lui refusait, il
serait obligé de se faire justice lui-même.
« Amadi-Amadou répondit que si El-Hadj-Omar ne voulait pas
lui pardonner pour l’amour de Dieu, la conciliation était impos-
sible, car il ne pouvait lui accorder aucune réparation. La guerre
devenait dès lors inévitable; El Hadj ne désirait pas autre chose.
« Sans perdre de temps, il s’avança vers le Macina avec toute
son armée et rencontra près de Konihou Allaï Gouro Mallado qui
essaya de l’arrêter, mais fut battu et obligé de se replier. Amadi
Amadou, avec toutes ses forces, attendait l’envahisseur près de
la mare de Tiaïwal où son sort devait se décider. El-Hadj-Omar
marcha sur lui et le combat s’engagea dès que les deux armée
furent en contact. Après une journée entière de lutte, la victoire
étant restée indécise, les deux partis s’observèrent pendant deux
jours sans combattre. Puis les Foulbé tombèrent pendant la
nuit sur les Toucouleurs qu’ils surprirent et dont ils tuèrent un
grand nombre. Néanmoins, El-Hadj-Omar conserva ses positions
et pendant deux jours encore, les deux armées s’observèrent.
Enfin, le troisième jour, un jeudi, El-Hadj-Omar, feignant d’être
découragé par la résistance énergique des Macinankés, simula une
retraite, mais dans un ordre parfait, les différents groupes de ses
guerriers n’ayant qu’à faire demi-tour pour se trouver placés
dans l’ordre dans lequel ils avaient coutume de combattre. Les
Foulbé tombèrent dans le piège qui leur était tendu; croyant les
Toucouleurs en déroute, ils se jetèrent sur eux en désordre, comp-
tant en faire un massacre général. Par une volte-face rapide, les
guerriers d’El-Hadj-Omar tinrent tête à leurs assaillants et grâce
à leur cohésion repoussèrent l’attaque désordonnée des Foulbé.
Puis, prenant l’offensive à leur tour, ils dispersèrent l’armée du
Macina qui perdit beaucoup d’hommes et plusieurs de ses chefs
Amadi Amadou, blessé lui-même ainsi que son cheval, dut pren-
dre la fuite; arrivé à Kaka, il s’embarqua sur une pirogue pour
partir dans la direction de Tombouctou.
« El-Hadj-Omar coucha ce soir-là à Dio et le lendemain, il entra
à Hamdallahi, la capitale des Cissé. »
Il est intéressant de comparer le récit qu’a fait Delafosse de la
marche victorieuse d'El-Hadj-Omar d’Oïtala à Hamdallahi à
celui du capitaine Menvielle que nous venons de citer. Donnons
donc maintenant la version de Delafosse (tome I, page 316).
Oïtala vient d’être pris par El-Hadj-Omar qui marche sur San-
sanding et va se trouver en conflit avec le Macina.
« Koromama,
dit Delafosse, chef de la famille Soninnké des
Koumma ou Koumba, qui détenait autrefois le pouvoir à San-
sanding et en avait été dépossédée par celle des Sissé, alliée aux
Peuls Bari du Massina, fit prier El-Hadj de venir prendre San-
sanding dont les habitants supportaient aussi mal le joug des
rois peuls du Massina que celui des empereurs banmana de
Ségou. Omar, vingt-six jours après la prise d’Oïtala, marcha donc
sur Sansanding qui lui ouvrit ses portes sans résistance; il y
passa cinq mois à lever des impôts, et bientôt sa suzeraineté
parut plus dure aux Sôninnké que celle des empereurs de Ségou
ou celle plus récente, et nominale plutôt que réelle, des rois du
Massina. Hamadou-Hamadou, informé de cette situation, écri-
vit alors à El-Hadj, d’avoir à évacuer Sansanding et toutes les
provinces relevant de Ségou, territoires qui, disait-il, lui apparte-
naient, à lui Hamadou-Hamadou, puisqu’il en avait converti
les habitants à l’islamisme. El-Hadj répondit en proposant à
Hamadou-Hamadou de s’unir à lui contre l’empereur de Ségou
et de partager les dépouilles; Hamadou se considéra comme in-
sulté, fit mander à El-Hadj d’évacuer immédiatement Sansan-
ding, rassembla 8.000 cavaliers, 500 fantassins armés de lances et
1.000 fusiliers et confia cette armée à son oncle Ba-Lobbo, qui
vint camper à Koni, à quarante kilomètres en aval de Sansanding,
sur le Niger. El-Hadj menaça d’aller prendre Hamdallahi, mais
Ba-Lobbo envoya prévenir Ali, dont l’armée vint se réunir à
celle du Massina à Tio, en face de Sansanding. Durant deux mois,
les deux armées demeurèrent sans bouger en face l’une de l’au-
tre, se contentant de s’insulter à travers le fleuve. Un jour, les
pêcheurs des deux rives ayant échangé des coups de fusil, les
soldats d’EI-Hadj se précipitèrent dans le Niger, guéable en cette
saison, portant sur la tête leurs fusils et leurs poires à poudre;
Omar voulut les rappeler, mais ils ne l’écoutèrent pas et tombè-
rent, au nombre de 500, sur l’armée du Massina, qui les tua à
coups de lance. Le lendemain, El-Hadj fît traverser le fleuve à la
moitié de ses troupes, à Sansanding même, sous le commandement
d’Alfa-Oumar-Boïla ; l’autre moitié passa le Niger plus en aval
avec Alfa-Ousmân; les Peuls et les Banmana furent pris entre
deux feux et se débandèrent, l’armée du Massina s’enfuit vers
Hamdallahi et celle de Ali vers Ségou (janvier 1861).
« El-Hadj, qui était resté en prières à Sansanding durant l’ac-
tion, fit camper ses deux colonnes à Kéranion ou Kérango (rive
droite, près de Tio) et vint se mettre à leur tête, laissant Bakari
Tako avec mille hommes à la garde de Sansanding. Une semaine
après la bataille de Tio, il se mit en marche vers Ségou et vint
camper à Bamabougou ou Bambabougou; l’armée de Ségou com-
mit la faute de sortir à sa rencontre, mais se débanda d’ailleurs
à Banankoro avant d’avoir pris le contact et se dispersa de tous
côtés. Prévenu par quelques hommes dévoués, Ali eut le temps de
monter à cheval et de s’enfuir de sa capitale par la porte de l’ouest;
quelques moments après, EI-Hadj-Omar entrait sans résistance
dans Ségou-Sikoro privé de ses défenseurs (10 mars 1861). »
Delafosse ajoute en note (note 1, page 317).
« La nouvelle de la prise de Ségou par El-Hadj-Omar répandit
la consternation dans tous les pays qui se trouvaient en relations
avec l’empire banmana. Ahmed-el-Bekkaï, chef des Kounta de
Tombouctou, qui avait entendu parler par l’explorateur Barth
de la reine Victoria et la considérait comme le plus puissant des
souverains de l’Europe, lui expédia des ambassadeurs par la voie
du Sahara, afin de solliciter son concours pour l’aider à protéger
Tombouctou contre les Toucouleurs. Les envoyés d'El-Bekkaï
parvinrent jusqu’à Tripoli, mais là, les fonctionnaires turcs,
ayant saisi les lettres dont ils étaient porteurs, crurent servir la
cause de l’Islam en empêchant ces lettres d’arriver à destination
et renvoyèrent les ambassadeurs à Tombouctou après leur avoir
fait des cadeaux. »
Delafosse continue ainsi (p. 318) :
« Quelques mois après l’entrée d’El-Hadj à Ségou, tous les
anciens fonctionnaires, chefs d’armée et chefs de canton de l’em-
pire avaient fait leur soumission; le conquérant toucouleur leur
imposa de se raser la tête, de ne plus boire de liqueurs fermentées,
de ne plus manger de chiens ni de chevaux ni d’animaux morts de
maladie, enfin de faire les prières musulmanes et de ne conserver
chacun que quatre épouses. Il se fit donner en otages des fils et
frères de chefs dont il fit des officiers militaires; sur ses plans,
Samba Ndiaye entoura Ségou-Sikoro de fortifications impor-
tantes et construisit un réduit où furent enfermés désormais le
butin pris à l’ennemi, l’or, le sel, les cauris, la poudre, etc...
« Cependant Ali, qui avait échappé à la poursuite d’Alfa-Ou-
mar, s’était réfugié dans le Massina. Hamadou-Hamadou leva
une armée de 30.000 hommes dont 10.000 cavaliers qui s’avança
jusqu’à Kogou, en vue de Ségou, où elle demeura quatorze jours
sans attaquer; le quinzième jour, à la suite d’une escarmouche
d’avant-garde, on en vint enfin aux mains et, après des sautes de
chance diverses, El-Hadj finit par mettre l’armée du Massina en
déroute. Ali, qui avait accompagné cette armée, s’échappa
encore et put atteindre Touna, sur la rive droite du Bani, où
il se retrancha. El-Hadj envoya contre lui une colonne qui s’em-
para de Touna et détruisit la résidence de Ali, mais ce dernier
ne fut pas pris et rejoignit Hamadou-Hamadou.
« Les gens du Massina n’étaient pas d’accord entre eux pour
continuer la guerre et Hamadou fit à Omar des propositions de
paix; ce dernier refusa de les accepter, disant qu’il avait offert
autrefois à Hamadou de s’associer avec lui contre le Banmana
et que le roi du Massina avait refusé; mais il consentit à sou-
mettre le différend à l’arbitrage de quelque marabout vénéré;
Hamadou ne voulut pas entendre parler d’arbitrage et répondit
qu’il préférait la guerre. Il y avait alors un an qu’El-Hadj était
à Ségou. Il donna à son fils Ahmadou le commandement de cette
ville et des provinces qui en dépendaient, lui fit jurer obéis-
sance par les Banmana et quitta Ségou le 13 avril 1862, pour
aller s’établir près de Dougassou, sur les bords d’un lac situé
non loin de Ségou, dans la direction du Bani, afin d’y orga-
niser son armée. Il avait avec lui ses fils Makiou, Hadi, Maï,
Mountaga et ses neveux Tidiani (fils d’Alfa-Ahmadou), Saïdou
et Ibrahima (tous deux fils de Tierno-Boubakar), ainsi que ses
lieutenants Alfa-Oumar-Boïla, Alfa-Ousmân, Mamadi-Sidianké,
Mamadi-Yorouba, etc. Il réunit 30.000 hommes, Sofa et Talibé,
puis, quittant Dougassou, il traversa le Bani et arriva à Konihou,
où Ba-Lobbo avait concentré l’armée du Massina. Ba-Lobbo fut
défait et se replia sur Dienné où se trouvait alors Hamadou-
Hamadou. Celui-ci prit la tête de l’armée peule et joignit El-
Hadj à Saéwal (ou Tiaéwal), sur le Bani, entre Sofara et Hamdal-
lahi. Ses lanciers, le chapeau de paille rabattu sur les yeux pour
le protéger des balles, chargèrent avec impétuosité, mais le
nombre des fusils de l’armée toucouleure rendit ces charges inu-
tiles. Après un jour et une nuit de bataille, la situation demeu-
rait indécise; Hamadou, qui avait plus de 50.000 hommes, cerna
alors l’armée d’EI-Hadj pour l’affamer : El Hadj avait encore de
sa poudre, mais les balles lui manquaient, et, si Hamadou avait
poursuivi l’attaque, Eh-Hadj eût été promptement à sa merci.
Profitant du répit que lui laissait la tactique de son ennemi,
Omar fit fabriquer 10.000 balles par jour durant cinq jours par
tous les forgerons de son armée, puis il fit abattre tout son trou-
peau et, une fois ses hommes bien repus et bien approvisionnés
de munitions, s’étant d’autre part fait indiquer par un espion la
disposition du camp de Hamadou et l’endroit où se trouvaient
ce dernier et ses principaux officiers, au matin du sixième jour,
il lança ses différentes compagnies sur des points bien précis, se
réservant pour lui-même et ses Foutanké l’attaque du point où
se tenait le roi du Massina. Celui-ci, voyant s’avancer El-Hadj,
fit coucher ses fusiliers et plaça sa cavalerie en arrière. Omar
continua à avancer sans tirer, malgré la grêle de balles, de flèches
et de javelots qui pleuvait sur ses hommes, et arrivé à cinquante
mètres de l’ennemi, il ordonna la charge en criant : « Haïva!
Haïva! » L’infanterie du Massina fut culbutée et la cavalerie mise
en déroute. Mais Hamadou, blessé à la poitrine, un bras cassé
par une balle, n’avait pas bougé; se dressant sur ses étriers,
tenant entre ses dents les lances de ses ancêtres, il se précipita
sur les Toucouleurs, plantant successivement, de son bras valide,
trois lances dans la poitrine de trois chefs talibé, en disant :
« Pour mon grand-père, pour mon père et pour moi! » Telle était
l’impétuosité de son élan que, avec une poignée de fidèles aux-
quels il ouvrait la voie, il put traverser les rangs de l’armée d’El-
Hadj et s’enfuir sans qu’on songeât sur le moment à le poursui-
vre. Quand on y pensa, il descendait déjà le Bani en pirogue.
« Omar rassembla son monde, enterra ses morts, ramassa ses
blessés et arriva le soir devant Hamdallahi, qui n’était pas défen-
due et que ses habitants avaient abandonnée; il y entra le len-
demain matin, en bon ordre, ses troupes divisées en trois armées :
d’abord celle du Ganar avec pavillon blanc, puis celle des Irlabé
avec pavillon noir, ensuite celle du Toro avec pavillon blanc et
rouge. Lui et sa suite entrèrent en dernier lieu (1862). »
Comme on a pu le voir, les récits de Delafosse et du capitaine
Menvielle diffèrent en ce qui concerne le détail des faits : ainsi
la manoeuvre de la bataille de Tiaéwal est racontée de façons
différentes par nos deux narrateurs, mais ils sont d’accord en
ce qui concerne les grandes lignes.
A ce moment, le Macina et l’Issa-Ber sont conquis par les Tou-
couleurs. Dans le chapitre suivant, nous traiterons de leur domi-
nation dans le pays (1862 à 1893) et de la conquête française.
CHAPITRE IV

HISTOIRE DE L’ISSA-BER ET DU MACINA


DE LA CONQUÊTE TOUCOULEURE A NOS JOURS

El-Hadj-Omar est à Hamdallahi (1862), mais il doit périr sur


sa conquête (1864). Son neveu Tidiani s’emparera tout de même
définitivement du pays et les Toucouleurs y régneront jusqu’à
l’arrivée des Français (1893). Le capitaine Menvielle fait ainsi
le récit des derniers jours d’El-Hadj-Omar :
« Qui dit Peuhl dit fourbe! Les hommes de cette race n’hésitent
pas à se soumettre au plus fort, en attendant une occasion favo-
rable pour se révolter. C’est ainsi qu’aussitôt après la fuite de
leur parent et roi, Ba Lobbo, Allaï El Hadji, Abdoul-Salam et la
plupart des chefs vinrent faire leur soumission à El-Hadj-Omar
qui se contenta de les renvoyer dans leurs maisons en leur disant
qu’il n’accepterait aucune soumission tant qu’Amadi Amadou
ne serait pas tombé entre ses mains. Il envoya à la poursuite de
ce dernier Alpha Oumar Tierno et Maremba Moussa qui s’empa-
rèrent d’un grand nombre de pirogues et descendirent le Niger
avec un assez fort détachement jusqu’à Diré, à une journée de
Tombouctou où ils rejoignirent Amadi Amadou qui n’avait pas
pu aller plus loin, ayant trouvé la route barrée par les Tenguéréguif.
« Les Toucouleurs n’eurent pas de peine à s’emparer de
la per-
sonne du roi Peuhl et de celles qui formaient sa suite. Parmi les
rares partisans qui l’avaient suivi se trouvait Ousman Oumarou,
le gouverneur du Bobola (pays des Bobos), au pays de Ouidi.
« Alpha Oumar Tierno conduisant son royal
prisonnier se remit
en marche vers Hamdallahi et dépêcha un courrier à El-Hadj-
Omar pour lui annoncer la capture qu’il avait faite. Le prophète
lui envoya-t-il l’ordre d’exécuter Amadi Amadou ou bien Alpha
Oumar Tierno alla-t-il au devant du désir de son maître, c’est ce
que l’on ignore! mais Amadi-Amadou n’arriva pas à Hamdallahi
et périt en route. Lorsque cette nouvelle lui fut parvenue, le pro-
phète reçut la soumission des chefs Foulbé auxquels il fit grâce,
excepté Ousman Oumarou qui fut exécuté.
« El-Hadj-Omar avait
espéré s’attacher les anciens chefs du
Macina par sa magnanimité; aussi, non content de leur laisser
la vie sauve, il les maintint presque tous dans leurs commande-
ments. Tout d’abord, il ne réserva que trois postes pour les siens;
ainsi Allaï Haoussa fut placé à Sofara ou Kaka, Kango Moussa à
Djenné et Daouda à Mopti.
« D’après ce que nous avons dit du caractère des Foulbé, nous
ne serons pas étonnés de les voir bientôt conspirer. C’est ce qu’ils
firent, en effet, mais ne se sentant pas assez forts pour chasser
les Toucouleurs du Massina, ils appelèrent à leur secours les
Kounta de Tombouctou. La réponse que leur adressait Bekkay
fut surprise et apportée à El-Hadj-Omar par un de ses fidèles.
Le prophète réunit les chefs Foulbé à Hamdallahi et, après leur
avoir donné lecture du document qui établissait leur trahison,
il les fit arrêter et mettre aux fers où ils périrent tous, sauf Ba
Lobbo et Abdessalam qui réussirent à s’évader. »
Il faut ajouter à cela que Ahmadou Cheikou, chef du Fari-
maké et Bubakar Sambourou, chef de l’Atara (tous deux de
l'Issa-Ber) sont décapités. Le premier est remplacé par un nota-
ble de Tiouki nommé Aoudi, le second par son frère Bokary
Sambourou. Plus heureux, les chefs Touareg des deux cantons
du nord obtiennent leur pardon et restent en fonction (capi-
taine Bergeron). Ainsi, l’Issa-Ber était soumis aux Toucouleurs
comme le Macina. Revenons à Menvielle.
« Ba Lobbo se cacha pendant quatre mois, tandis que Abdes-
salam se rendit à Tombouctou d’où il ramena une colonne com-
mandée par Bekkay Koroba à la tête de laquelle il marcha sur
le Macina. El-Hadj-Omar envoya contre eux Ardo Ali qui se
laissa assiéger à Namantié près d’Arkodia et obligea le Prophète
à envoyer à son secours Alpha Oumar Tierno. Celui-ci battit les
alliés qui prirent la fuite chacun de son côté. Bekkay Koroba
s’étant dirigé vers Tombouctou, Alpha Oumar Tierno se mit à sa
poursuite et atteignit ainsi Kabara, le port de Tombouctou.
Voulant profiter de son succès, et pour punir les habitants de
Tombouctou d’avoir fourni des guerriers à Bekkay, il fit appeler
les notables de la ville, il s’empara de San Cherifi, de Baba Ousman
et de son frère et les emmena avec lui au Macina. Mais entre
temps, les Foulbé du Kounari et ceux du Farimaké, conduits par
Hammadi Aoudi, s’étaient révoltés. Ils attendirent sur le Niger
les Toucouleurs revenant de Tombouctou, les attaquèrent et les
défirent complètement à Mani-Mani entre Korienza et Sendé-
gué 1. Les prisonniers de Tombouctou furent délivrés. Quant à
1. Mani-Mani est un petit village situé entre le lac Débo et le lac de Ko-
rienza, au nord du village de Sendégné, donc à la limite sud du cercle de
l'Issa-Ber.
Alpha Oumar Tierno, il fut tué, ainsi que la plupart des chefs
sous ses ordres. Plusieurs de ceux qui échappèrent périrent en
route, de sorte que très peu rentrèrent à Hamdallahi.
«Lorsque Bekkay Koroba avait battu en retraite sur Tombouc-
tou, son allié Abdessalam avait fui vers Dalla avec les Foulbé
parmi lesquels se trouvaient plusieurs fils des chefs qu’El-Hadj-
Omar avait fait périr. Les habitants de Dalla leur ayant défendu
l’accès de la seule mare qui eut encore de l’eau en cette saison,
les firent prisonniers et prévinrent El-Hadj-Omar de cette cap-
ture. Celui-ci les envoya chercher et les fit tous mettre à mort.
Toutefois, cette exécution ne ramena pas le calme dans le pays.
Au contraire, Ba Lobbo qui, depuis son évasion, était resté caché,
sortit de sa retraite, souleva de nouveau les Foulbé et marcha
contre Hamdallahi. De son côté, Bekkay, à peine de retour à
Tombouctou, fit partir son parent Sidia avec une nouvelle
colonne pour se joindre à Ba Lobbo. Sauf la montagne, depuis le
Pignari à l’ouest jusqu’à Hombori à l’est, tout le Macina prit
part à la révolte. Hamdallahi fut investi complètement, les insur-
gés occupant les villages de Sio, Yoro et Kouna. Le siège dura
neuf mois entiers pendant lesquels les Toucouleurs connurent
la misère la plus complète avec les horreurs de la famine. Pour
empêcher les défections de se produire dans son camp, El-Hadj-
Omar dut employer une extrême rigueur, faisant exécuter sans
merci quiconque cherchait à sortir de la ville.
« Cependant, vers la fin du 8e mois, la situation devenant de
plus en plus critique, le prophète se voyait perdu s’il ne lui
venait pas de secours de l’extérieur. Son fils Amadou, roi de
Ségou, ne donnant pas de ses nouvelles, il ne restait à El Hadj
d’autre ressource que de s’adresser à la montagne 1 qui, nous
l’avons dit, lui était restée fidèle. Il résolut donc d’y envoyer un
homme de confiance pour tâcher d’y recruter une colonne qui
ferait lever le siège d’Hamdallahi. Il pouvait confier cette mis-
sion à l’un de ses fils, Maki, Hadi et Mafi ou à son neveu Tidiani.
Tous les quatre étaient les élèves du nommé Cheikou Yorokoï
Taléfi, marabout peuhl qu’EI-Hadj avait en grande estime. Sur
les conseils de ce marabout, il choisit Tidiani et, après lui avoir
fait toutes les recommandations nécessaires, il lui remit deux
lettres, l’une pour l’amirou Dé et l’autre pour Amadou Ali-Founé,

1. Il s’agit ici de la montagne des Tombo ou Habbé, ou Dogon, nègres féti-


chistes qui, brimés par les Foulbé, avaient été heureux de voir ceux-ci écra-
sés par les Toucouleurs et étaient pour ceux-ci, en attendant que les Tou-
couleurs les brimassent à leur tour.
chef des Dialloubés du canton de Kaguioumé au nord de
Douentza.Tidiani reçut en outre une grande quantité d’or pour le
distribuer aux chefs qui lui amèneraient des guerriers.
« Mais les assiégeants faisaient bonne garde autour de Hamdal-
lahi dont ils prévoyaient la chute prochaine, et il n’était pas facile
d’en sortir sans être vu. Cependant, après être resté caché pen-
dant une journée, Tidiani réussit à traverser pendant la nuit les
lignes ennemies et put atteindre sans encombre Bandiagara et
ensuite Dé où il se mit en demeure de remplir sa mission. Soit
par haine de Ba-Lobbo et de ses Foulbé, soit par l’appât de l’or
et l’espoir de faire du butin, ces gens de Dé et les Habé de Go-
gouna se rendirent à son appel. Au bout de peu de temps, Tidiani
se trouva à la tête d’une nombreuse colonne et se remit en route
pour marcher au secours d’El-Hadj-Omar. Mais pendant ce temps,
les événements avaient marché à Hamdallahi; les assiégeants
s’étaient emparé de la ville et les Toucouleurs avaient été obligés
de se renfermer dans le tata du chef qui leur servait de réduit.
La situation était désespérée; les secours n’arrivant pas, il allait
falloir se rendre, si El-Hadj n’avait réussi pendant la nuit à sor-
tir avec ses guerriers sans être aperçu. Une fois hors des lignes
ennemies, il se dirigea vers Bandiagara, espérant rencontrer Tidiani
avec les forces que celui-ci ne pouvait manquer de lui amener.
« Lorsque le jour parut, les assiégeants constatèrent que le tata
était vide. Mais alors la discorde se mit dans les rangs. Ba Lobbo,
chef des Foulbé, et Sidia, chef des Kounta, se disputèrent pour
savoir lequel des deux entrerait dans le tata et aurait le comman-
dement du pays. Cette rivalité, qui persista tant que dura la lutte
contre les Toucouleurs, devait amener la ruine des deux partis et
permettre à Tidiani, en les battant séparément, d’asseoir défi-
nitivement son autorité sur le Macina. Les Foulbé du Kounari
et du Macina se rangèrent du côté des Kounta; ceux du Fakalla,
du Sébéré et du Djennéri marchèrent avec Ba Lobbo, ainsi
qu’Allaï Bakary Haman Salah. Ce fut Ba Lobbo qui entra dans
le tata d’Hamdallahi.
« Cependant, quelqu’un fit remarquer que l’heure était mal choi-
sie pour se disputer; ne fallait-il pas songer à détruire l’ennemi,
car El-Hadj-Omar était vivant et n’allait pas tarder à réunir de
nouvelles forces. Le conseil fut entendu : les deux partis se mirent
sur les traces des Toucouleurs et arrivèrent ainsi à l’entrée du
passage de Goro où El-Hadj s’était réfugié. Mais chaque colonne
marchait isolément et, à l’arrivée en face de Goro, chacune d’elles
campa de son côté, un grand espace les séparant.
« Le lendemain, le combat s’engagea avec les Toucouleurs et
dura deux jours pendant lesquels El-Hadj-Omar et ses fils firent
des prodiges de valeur. Mais le deuxième jour, les compagnons
d’El-Hadj-Omar, voyant la partie perdue, trahirent le chef qui,
depuis tant d’années, les avait conduits de conquête en conquête.
L’abandonnant lâchement, ils passèrent aux camps ennemis; les
talibés toucouleurs se rendirent auprès de Sidia et les sofas rejoi-
gnirent Ba Lobbo. El Hadj resta seul avec ses trois fils Hadi,
Maki et Mahi. Hadi fut tué à coups de lance; les deux autres
entrèrent dans une grotte avec leur père et tous les trois se firent
sauter sur un baril de poudre. »
Voici maintenant comment Delafosse fait le récit des mêmes
événements (de l’entrée d’El-Hadj-Omar à Hamdallahi à sa
mort) :
« Alfa-Oumar, envoyé à
la poursuite de Hamadou, le rejoignit
sur le Niger, alors qu’il fuyait sur Tombouctou avec quatre
pirogues, emmenant sa grand’mère, sa mère, son trésor, ses
livres et ses fidèles. Le roi du Massina fut fait prisonnier et
emmené sous escorte à Mopti, qu’il avait déjà dépassé. El-Hadj,
averti, donna l’ordre de lui couper la tête, ce qui fut fait. Ali,
fait prisonnier d’un autre côté, fut simplement mis aux fers.
« Les chefs du Massina firent alors leur soumission à El-Hadj
Omar, qui les laissa presque tous en fonctions, installant seule-
ment des hommes à lui à Dienné (Kango-Moussa) et à Mopti
(Modibbo-Daouda) (fin juin 1862). Il envoya ensuite une colonne
à Tombouctou pour y chercher les trésors que Hamadou y avait
en dépôt. Les oncles de Hamadou, Ba-Lobbo et Abdessâlem,
vinrent vivre à la cour d’EI-Hadj. Ahmadou, fils de ce dernier,
vint visiter son père à Hamdallahi, puis retourna à Ségou (fin
1862).
« Vers cette époque, le conquérant toucouleur envoya contre
Tombouctou une colonne commandée par Alfa-Oumar; Ahmed-
el-Bekkaï, chef des Kounta, s’était sauvé chez les Touareg Kel-
Antassar : ceux-ci accoururent et livrèrent, au nord de Tombouc-
tou, un violent combat aux troupes d’El-Hadj, qui durent
évacuer la ville. Mais El-Hadj, étant arrivé en personne avec
30.000 hommes, mit en fuite les Kounta et les Touareg et pilla
Tombouctou; pendant qu’il était absorbé par le rassemblement
du butin, les Kounta et les Touareg revinrent à l’improviste, et
Omar ne dut son salut qu’à des Bozo qui le cachèrent dans une
pirogue et le ramenèrent à Hamdallahi (janvier 1863). El-Hadj
voulut alors faire la paix avec Ahmed-el-Bekkaï et lui envoya
70 esclaves et une grosse somme en or. Ahmed répondit à ses
avances par une lettre, accompagnée d’un cadeau de 7 chevaux,
dans laquelle il engageait Omar à remettre le Massina au repré-
sentant de la dynastie des Bari, c’est-à-dire à Ba-Lobbo; El-
Hadj ne répondit pas à cette lettre. »
Il y a dans ce récit quelque chose qui semble bizarre. Dela-
fosse met la visite d’Ahmadou à son père El-Hadj-Omar en fin
1862 et il met en janvier 1863 : 1° une expédition d’Alfa-Oumar à
Tombouctou; 2° un retour victorieux d'El-Hadj-Omar à Tom-
bouctou, la première expédition ayant échoué, le pillage de
Tombouctou, enfin l’écrasement des troupes d’El-Hadj-Omar et
son retour en fugitif à Hamdallahi. Il me semble qu’il est impos-
sible de faire tenir ces deux expéditions avec leurs péripéties
diverses dans l’espace d’un mois. Trois mois seraient encore trop
courts et six mois seraient mieux appropriés.
Delafosse continue ainsi :
« Mais il [El-Hadj-Omar] se décidait à retourner à Ségou et
avait fait venir Ahmadou à Hamdallahi pour lui passer le gou-
vernement du Massina (février 1863) lorsque la révolte éclata
dans ce pays. Ba-Lobbo et Abdessâlem avaient fait leur paix
avec Omar dans l’espoir qu’il leur laisserait le commandement du
pays; lorsqu’ils virent qu’il allait donner ce commandement à son
fils Ahmadou, ils complotèrent la révolte de concert avec Ahmed-
el-Bekkaï. Ce dernier écrivit à un de ses disciples, Modibho-
Daouda, qui suivait El-Hadj depuis l’entrée de ce dernier à
Nioro, l’avisant que les chefs du Massina sollicitaient son appui
pour se débarrasser d’El-Hadj, mais qu’il voulait d’abord con-
naître les forces et la façon de combattre de celui-ci; Modibbo-
Daouda vint montrer la lettre à El-Hadj, qui fit mettre aux fers
Ba-Lobbo, Abdessâlem et tous leurs parents. Puis ayant ren-
voyé Ahmadou à Ségou, Omar marcha sur Tombouctou; battu
à Goundam (mars 1863), il s’enfuit dans le Hodh pour tâcher de
gagner Nioro par le désert, mais menacé par les Oulad-Mbarck,
il fit volte-face, traversa le Bagana et réussit à atteindre le Mas-
sina (avril 1863).
« Cependant, en mai 1863, Ba-Lobbo et Abdessâlem réussirent
à s’échapper de prison. Omar, furieux, fît tuer tous les membres de
leur famille qui se trouvaient à Hamdallahi, en même temps que
l’ex-empereur Ali. Ce massacre fut le signal d’une révolte géné-
rale du Massina. »
J’ai bien peur qu’ici, Delafosse ne nous raconte deux fois les
mêmes faits avec des détails quelque peu différents. Il est impos-
sible, nous l’avons remarqué tout à l’heure que : 1° l’expédition
d’Alfa-Oumar à Tombouctou; 2° l'expédition d'El-Hadj lui-même à
Tombouctou, tiennent en un seul mois, janvier 1863. Or, remarquez
que la seconde expédition d’El-Hadj à Tombouctou (mars 1863)
est précédée et suivie des mêmes événements que la première :
c’est un séjour d’Ahmadou chez son père qui la précède —comme
la première — et c’est une révolte générale du Massina qui la
suit, comme la première. Ceci peut déjà attirer l’attention. Mais
étant donné de plus qu’on ne peut mettre dans l’espace de qua-
tre mois (janvier, février, mars et avril 1863) : 1° une expédition
d’Alpha-Oumar à Tombouctou avec succès et revers; 2° une
expédition d'El-Hadj-Omar à Tombouctou avec succès, pillage
de la ville, revers et fuite; 3° une expédition d’El-Hadj-Omar à
Goundam avec revers et fuite, nous sommes bien forcés de con-
clure que Delafosse a mis à la file deux versions un peu différentes
des mêmes événements. Il est probable qu’il n’y a eu qu’une expé-
dition d’El-Hadj-Omar à Tombouctou, expédition d’abord vic-
torieuse, puis finalement malheureuse, et que c’est cet insuccès
(joint à des exécutions peu politiques à Hamdallahi) qui a amené
la révolte générale du Macina. Remarquons même que la version
que le capitaine Menvielle donne des événements, qui est mieux
suivie et se comprend mieux que celle de Delafosse, (on saisit
chez lui pourquoi les Toucouleurs furent entraînés à attaquer
Tombouctou, alors que chez Delafosse les hostilités d’El-Hadj-
Omar contre Tombouctou paraissent gratuites et sans cause),
cette version, dis-je, ne fait mention d’aucune expédition du
prophète lui-même contre Tombouctou. Cela ne suffit pas à
infirmer le fait, mais rend bien improbable en tous cas trois expé-
ditions successives.
Delafosse continue ainsi :
« Un village s’étant
fortifié, des chefs peuls, soi-disant dévoués
à El-Hadj, demandèrent à celui-ci une armée pour châtier ce
village; ils obtinrent 500 talibé qui marchèrent contre la place
ennemie, encadrés de partisans fournis par les chefs peuls; lors-
qu’on arriva au village, ces partisans se joignirent aux assiégés
et massacrèrent la plupart des talibé. Omar envoya alors chercher
de la poudre à Ségou pour préparer sa revanche; Ahmadou lui
en expédia 150 barils, portés par des Somono qu’escortaient
300 talibé; en arrivant près de Dienné, les porteurs jetèrent leur
charge à terre, sur l’ordre de Peuls postés près de la route; les
talibé prirent la fuite, poursuivis par les Peuls, qui en tuèrent un
grand nombre à coups de lances (juin 1863). A partir de cet inci-
dent, les communications furent coupées entre Hamdallahi et
Ségou. »
Delafosse ajoute en note :
« C’est pourquoi Mage, qui arriva à Ségou avec
Quintin au
début de 1864 et auquel nous sommes redevables de la plupart
des détails qui précèdent concernant El-Hadj-Omar, ne reçut
pas de nouvelles des faits et gestes de ce dernier, postérieurs à
juin 1863 et ne connut les événements qui vont suivre que de
façon imparfaite.
« Peu de temps après, continue Delafosse,
El-Hadj expédia à
Tombouctou, pour la troisième fois, une armée commandée par
;
Alfa-Oumar celui-ci trouva la ville abandonnée de ses habitants
et la mit au pillage; mais en revenant au Massina, il fut attaqué
par Ba-Lobbo et un fils d'Ahmed-el-Bekkaï nommé Sidia, à la
tête d’une forte armée de Peuls et de Maures Kounta; il fut mis
en déroute, dut abandonner son butin et ses canons et fut tué
avant d’avoir pu gagner Hamdallahi.
« El-Hadj fut bientôt
bloqué dans cette ville : la famine étant
survenue, beaucoup de talibé désertaient et passaient à l’ennemi.
Le siège, commencé en septembre 1863, durait depuis huit mois
lorsque, par une nuit obscure, El-Hadj réussit à faire sortir de la
ville assiégée son neveu Tidiani, qu’il envoyait demander des
vivres et du secours aux Tombo de la montagne. Mais, ne voyant
pas revenir son neveu, qui se trouvait coupé de Hamdallahi par
les assiégeants, il mit le feu à sa capitale et, à la faveur de l’incen-
die, parvint à s’enfuir. Rejoint par l’armée de Ba-Lobbo à Ngoro,
dans un ravin du Pignari, voyant ses meilleurs partisans tués,
abandonné par les autres, il se réfugia dans la grotte de Dayam-
béré (falaise de Bandiagara) où il mourut de faim, se fit sauter à
l’aide d’un baril de poudre ou périt enfumé par les Peuls, suivant
les différentes versions qui circulent à ce sujet (septembre 1864).
Plus tard, ses ossements furent recueillis par Tidiani, qui les fit
déposer dans la forteresse qu’il s’était construite à Bandiagara »
(p. 323).
Comme on le voit, le récit de Delafosse sur les événements de
1862 à 1864 est assez suspect. Il semble avoir raconté plusieurs
fois la même chose avec des détails différents et avoir multiplié
les expéditions malheureuses d’El-Hadj-Omar à Tombouctou. Le
récit du capitaine Menvielle est beaucoup plus simple, plus exact
probablement et nous préférons cette version...
Ces pages-ci étaient écrites lorsque j’ai lu la Qacida en Poular de
Mohammadou Aliou Tyam, traduite par Henri Gaden (1935) et
nous avons maintenant tous les éclaircissements souhaitables sur
la fin d’El-Hadj Omar. Voici ce que dit Henri Garden (p. 190-
191) :
« Après la mise aux fers des Macinankés 1, probablement au
début de mars 1863, les événements se précipitèrent. Étant passé
au service d’Ahmadou à Ségou-Sikoro, notre auteur (Mohamma-
dou Aliou Tyam) n’est malheureusement plus là pour les noter
avec sa précision habituelle. Il n’en cite, et sans détails ni dates,
que les plus saillants. Mage 2 en fut mal informé, Ahmadou tenant
la main à ce que les mauvaises nouvelles ne circulassent pas à
Ségou. Faidherbe en fut plus mal informé encore. Les renseigne-
ments qui lui furent donnés en août 1863, que Mage a reproduits,
(op. cit., p. 7-11) et que Delafosse a utilisés (Haut-Sénégal-Niger,
II, 321-323) sont à peu près entièrement faux. Les faits peuvent
être reconstitués dans leurs grandes lignes, à l’aide d’une courte
Histoire de Tombouctou depuis sa fondation du lieutenant Péfon-
tan (Bulletin du Comité d’Études de l’A. O. F. (1922) et des tra-
ditions recueillies par Ousman Sâlif.
«Le cheikh Sidi Ahmed el Bekkaï dont on sait les services qu’il
rendit à Barth, s’était fait, à Tombouctou une situation toute par-
ticulière de protection de la ville, tant contre les exactions des
Touareg, sur lesquels s’exerçait son influence religieuse, que contre
le fanatisme et les exigences des Peuls du Hamdallahi. Après Kas-
sakéri 3 et sur son initiative, avait commencé l’échange entre lui
et le cheikh Omar de quelques lettres courtoises; mais, après la
prise de Hamdallahi, les Toucouleurs s’étant substitués aux Peuls,
ne pouvaient manquer d’entrer en conflit avec lui à Tombouctou
et de préparer ainsi son alliance avec Balobbo. Le cheikh Omar
envoya d’abord à Tombouctou, dit le lieutenant Péfontan, un
« messager » demander aux notables la soumission de la ville.
Celle-ci se soumit d’abord, mais les abus furent tels que Bekkaï
dut intervenir. Les habitants se soulevèrent et les Toucouleurs
durent repartir. Il ne semble pas qu’il y ait eu d’hostilités ouvertes
mais ici se place probablement l’envoi de la lettre dont parle Mage
et dont Delafosse a vu une copie (toc. cit., II, p. 321) dans laquelle
Bekkaï conseillait au cheikh Omar de remettre le Macina à Ba-

1. Il s’agit des chefs du Macina qui s’étaient révoltés.


2. Le voyageur français était, en effet, à cette époque, à Ségou (1864).
Voir son oeuvre. Quant à Faidherbe, il était à Saint-Louis.
3. Bataille entre El Hadj Omar et une colonne peule du Macina envoyée
par le sultan Hamadou Hamadou contre le conquérant du Kaarta Bambara.
Elle eut lieu en 1854 (Voir plus haut).
lobbo. C’est que les ouvertures de celui-ci avaient été accueillies.
« Balobbo et Abdo ul-Salam durent s’évader à la fin de mars. Ils
se rendirent, dit Ousman Sâlif, dans le Guimbala, à Namandyi,
village qui ne figure pas au Répertoire et soulevèrent le pays. De
là, Balobbo écrivit au chef Omar pour protester de son dévoue-
ment et lui demander de venir lui-même à Namandyi où il renou-
vellerait entre ses mains le serment de fidélité, ce qu’il n’osait
aller faire à Hamdallahi. Craignant une trahison, le cheikh resta
à Hamdallahi; mais il envoya Ardo Alioun Dyérébi avec 1500 hom-
mes. Arrivé à Namandyi, ils furent attaqués par les Peuls et obli-
gés de se réfugier dans le village où ils furent bloqués. Prévenu, le
cheikh envoya immédiatement Alpha Oumar avec une colonne
de même force.
«Alpha Oumar dut quitter Hamdallahi dans les premiers jours
de mai. Le jour même de son départ, dit Mage, le cheikh Omar
envoya un talibé à Ségou pour demander de la poudre au plus vite.
Un convoi fut mis en route, mais ne parvint pas à destination, car
son escorte fut massacrée par les Peuls, près de Djenné : « Ce
massacre, dit Mage, est de la fin de mai 1863. Depuis cette époque,
les communications naturelles étaient fermées avec le Macina. »
Alpha Oumar dégagea Ardo Alioun dont les forces grossirent les
siennes et pilla le Guimbala. Malgré son désir de rentrer à Ham-
dallahi, il se laissa entraîner par ses troupes jusqu’à Kabara. Il y
fit un court séjour, dit le lieutenant Péfontan, pilla Tombouctou,
et repartit emmenant en otages des notables de la ville et suivi
par Bekkaï ou son cousin Sidia et des forces Maures et Touareg. Il
avait hâte de rejoindre Hamdallahi et, par un itinéraire hors du
bourgou 1 plaine que la crue inonde, mais alors à sec et favorable
à la cavalerie peuhle. Là encore, il se heurta à l’indiscipline des
Talibés qui voulurent passer par le bourgou à cause des grands
troupeaux peuls qu’ils avaient pillés et qu’ils ramenaient. A Ko-
rienza, on le prévint que les Peuls l’attendaient à peu de distance.
Il partit quand même et fut attaqué par les Peuls et les contin-
gents de Bekkaï à Mani-Mani, vaste terrain voisin du lac Débo, au
S.-E. de Gourao, village situé sur la rive nord du lac, au pied d’une
éminence rocheuse que les Peuls nomment « haïré guram, la mon-
tagne de Gouram ». Les Toucouleurs furent anéantis. Alpha Ou-
mar fut tué et avec lui tout ce qui avait un nom et comptait chez

1. Le bourgou est exactement une plante aquatique, comme nous l’avons


vu plus haut, en décrivant le Lieu, et par extension le marécage où croît
cette plante aquatique.,
les talibés de son armée. Il ne rentra à Hamdallahi que des fuyards
sans valeur.
« On compte normalement 17 étapes de Hamdallahi à Tombouc-
tou. Si vite que marchait Alpha Oumar, il n’est pas possible que
ses fuyards soient arrivés à Hamdallahi avant la première quin-
zaine de juin. Une dernière chance restait au cheikh Omar. Il ras-
sembla immédiatement une nouvelle armée et la donna à Alpha
Ousman. Celui-ci trouva Balobbo et Sidia campés auprès de Sé-
gué, village du Kounari, voisin de Hamdallahi. Ce fut un nouveau
désastre pour les Toucouleurs et Hamdallahi fut immédiatement
investi » (p. 192).
D’autre part, le texte de Aliou Tyam lui-même fait mention de
l’enveloppementet de la délivrance d’Ardo Aliou, puis de la jour-
née fatale de Mani-Mani et de la journée encore plus fatale de
Ségué, sans cependant donner des dates et sans parler non plus
de la pointe poussée jusqu’à Tombouctou par Alpha Oumar entre
la délivrance d’Ardo Aliou et la bataille de Mani-Mani. Il parle
ensuite de la sortie de Tidjani de la ville assiégée pour aller cher-
cher du secours chez les Habbé ou Tombo ou Dogon et de la sortie
même d’El Hadj le 6-7 février 1864.
M. Gaden résume ainsi ces derniers événements :
« Depuis son entrée à Hamdallahi, le cheikh Omar n’en avait
pas bougé. Il en sortit (au bout de huit mois d’investissement) dans
la nuit du samedi 6 au dimanche 7 février 1864 avec tout ce qui
était encore en état de porter les armes. Épuisés par les privations,
les Toucouleurs ne pouvaient marcher vite. Ils furent, dit la tra-
dition, rattrapés à Yonnono (Niongono du Répertoire) et se réfu-
gièrent dans la montagne. On se battit, dit-on, dans la nuit du
lundi au mardi et encore dans la nuit du mardi au mercredi.Les
Toucouleurs avaient l’avantage du feu et de la position; l’ennemi,
qui les sentait perdus, ne devait pas mettre grande vigueur dans
ses attaques; il semble qu’il y ait eu une accalmie le mercredi
Dans la nuit, le cheikh qui cherchait certainement à se rapprocher
de Doukombo, réussit à atteindre Déguembéré au petit jour et
grimpa dans la montagne avec sa troupe. Ils y furent cernés et se
défendirent encore toute la journée et une partie de la nuit. Le
vendredi matin, les Toucouleurs, sauf les fds du cheikh et quel-
ques fidèles, descendirent de la montagne et allèrent se rendre, sur
l’ordre du cheikh, dit la légende, parce qu’ils n’en pouvaient plus,
dit une autre version plus vraisemblable. L’un d’entre eux, Mah-
madou Ismaïla Samba Siré, de Guiraï, alla dire à Sidia que le
cheikh annonçait l’arrivée de secours pour le lendemain et Sidia
décida de brusquer le dénouement. Il fit apporter dans la mon-
tagne du bois et des broussailles et y fit mettre le feu. Le cheikh et
les siens s’étaient réfugiés dans une caverne; le feu se communiqua
à la réserve de poudre qu’il avait toujours avec lui; il y eut une
forte explosion, le cheikh et ses fidèles furent mis en pièces. Un
seul survécut, Yéro Koïdolfi à qui le cheikh avait remis ses objets
les plus précieux et qu’il avait fait se cacher ailleurs.
« S’attribuant la gloire de la victoire, Sidia voulut en avoir le
bénéfice et exigea que Balobbo et les Macinankés vinssent lui ju-
rer fidélité. Ils s’y refusèrent et une grande discussion s’ensuivit
dont Yéro Koïdolfi profita pour s’éloigner sans être vu. »
Ce fut le 12 février 1864 (date donnée par Aliou Tyam) que pé-
rit El-Hadj Omar. La caverne de Déguembéré (ajoute Gaden
p. 198, en note) est encore un lieu de pèlerinage pour les Toucou-
leurs. Aguibou, quand il était fama de Bandiagara, allait tous les
ans y faire un sacrifice.
« D’après les traditions recueillies par le Châtelier chez
les Ma-
linkés et chez les Soninnkés, les Kounta avaient dépecé et mutilé
le cadavre du cheikh Omar et jeté ses restes dans la brousse (Le
Châtelier, op. cit., p. 188). De son côté, Mage, à la date du 14 mai
1864, parle d’un chef bambara qui venait d’être tué dans un enga-
gement avec l’armée d’Ahmadou et qui « annonçait la mort d’El-
Hadj, dont il promenait, prétendait-il, un bras » (Mage, op. cit.,
p. 321). Au contraire, notre auteur (AliouTyam) loue Dieu d’avoir
préservé le corps du cheikh Omar de toute profanation et traite de
menteurs les Macinankés qui se vantaient de l’avoir eu entre les
mains.
« D’après les traditions recueillies à Bandiagara par Ousman
Sâ-
lif, Tidjani ne se préoccupa des corps de ceux restés à Déguembéré
qu’après qu’il eut vaincu les Kounta et les Peuls. Il retourna alors
à la montagne. Les corps avaient été mis en pièces par l’explosion
de la réserve de poudre et aucun ne put être reconnu. Il fit rassem-
bler ces restes et les apporta à Bandiagara où il les fit enterrer. On
suppose que ceux du Cheikh s’y trouvent mêlés aux autres, mais
on n’en est pas certain. On admet, chez les Toucouleurs que le corps
du Cheikh, ne pouvant être identifié, n’a pu être profané » (p.199).
En réalité, il semble bien que le corps d'El-Hadj-Omar et celui
de ses compagnons tués par l’explosion, furent au pouvoir de leurs
ennemis pendant plusieurs jours. II est très probable qu’ils furent
profanés. L’état où les retrouva Tidiani (non reconnaissables)
provenait sans doute aussi bien des mutilations infligées aux morts
que de l’explosion qui les tua.
Ainsi nous avons maintenant la vérité sur la mort d’El-Hadj-
Omar, les événements qui la précédèrent et sa date. Il n’est allé
nullement à Tombouctou et seul, son lieutenant Alpha Oumar est
allé jusqu’à cette ville et une seule fois. Ce fut, du reste, cette
expédition téméraire à laquelle se laissa entraîner Alpha Oumar à
la poursuite des ennemis (de Bekkay Koroba venu justement de
Tombouctou jusqu’à Namantié, dit le capitaine Menvielle) qui
causa la perte et d’Alpha-Oumaret des Toucouleurs et d’El-Hadj
Omar car le retour de Tombouctou, le long du Niger, amena
la défaite sanglante de Mani-Mani, la perte d’une armée de
3.000 hommes et la mort du meilleur lieutenant du Prophète.
Elle fut suivie de la défaite non moins sanglante de Ségué et de
la destruction de la deuxième armée rassemblée à la hâte à
Hamballahi. Vint ensuite le siège de Hamdallahi par les coalisés
pendant huit mois, l’envoi de Tidjani dans la falaise de Bandia-
gara, la sortie du Prophète lui-même, enfin sa mort dans la ca-
verne de Déguembéré (12 février 1864). Du reste, El-Hadj manqua
de fort peu d’être sauvé parTidjani qui arrivait sur ces entrefaites
et allait le venger.
J’ai résumé dans un petit tableau les événements tels qu’ils
sont présentés par Menvielle (1896), Delafosse (1912) et Gaden
(1935) :

DELAFOSSE MENVIELLE GADEN

Prise et mort de Hama- Prise et mort de Ha-


dou Hamadou, sultan madou Hamadou.
du Macina.
El Hadj prend et pilleConspiration et mise à Révolte des chefs Peuls.
Tombouctou, puis il mort des chefs Peuls. Ba Lobbo s’enfuit.
est battu et regagne Ba Lobbo s’enfuit. lre occupation deTom-
Hamdallahi. bouctou par les Tou-
couleurs.
Seconde expédition de Ardo Ali est assiégé à Ardo Alioun Dyérébi
El-Hadj à Tombouc- Namantié. est assiégé à Naman-
tou (mars-avril 1863). dyi.

Troisième expédition Alpha Oumar le déli- Alpha Oumar le déli-


des Toucouleurs à vre. A la poursuite de vre et à la poursuite
Tombouctou. C’est Bekkaï Koroba, il va de ses ennemis Alpha
celle d’Alpha Oumar. jusqu’à Tombouctou Oumar va jusqu’à Ka-
qu’il pille. bara et Tombouctou
et pille la ville.

A son retour, il
est at- Mais à son retour, il est Il est vaincu et tué à
taqué, vaincu et tué battu et tué à Mani- son retour à Mani-
au nord de Débo. Mani. Mani.
Investissement de Ham- InvestissementdeHam- Bataille de Ségué : nou-
dallahi. dallahi. veau désastre Toucou-
leur et investissement
de Hamdallahi.
Sortie de El-Hadj et deSortie de Tidiani pour
Tidjani. aller chercher des se- Sortie de Tidjani.
cours.
El-Hadj est rejoint à Sortie d’El-Hadj. Il est Sortie par El-Hadj le
Goro et meurt dans la rejoint à Goro. Il com- 6-7 février 1864. Mort
grotte de Dayambéré bat pendant 2 jours d’El-Hadj-Omar dans
(sept. 1864). mais trahi par les la grotte de Déguem-
siens, il se fait sauter béré (12 février 1864).
sur un baril de poudre.

Nous avons insisté sur ces événements parce que leur teneur
exacte n’est connue que depuis peu longtemps (1935). Revenons
maintenant à Tidjani qui va venger son oncle.
« Tidiani, dit Menvielle, dont nous reprenons le
récit, arriva à
Goro le jour même (de la mort d’El-Hadj Omar), à quatre heures
du soir, trop tard pour sauver son oncle et ses cousins, mais non
pour infliger à ses adversaires un échec sanglant 1.
« Il se rendit rapidement compte de la situation et, sans hésiter,
il tomba sur l’armée de Sidia qu’il mit en déroute et à laquelle il
prit 400 chevaux. Obligé de battre en retraite, Sidia alla camper
dans le Kounari.
« Pendant ce combat, les Toucouleurs, qui, le matin, avaient
abandonné El-Hadj-Omar, pour se rendre dans le camp de Tom-
bouctou, restèrent inactifs, et, après la défaite de Sidia, vinrent
faire leur soumission à Tidiani et implorer son pardon. Tidiani leur
fît grâce à tous, sauf à un seul qui fut exécuté : c’était celui qui
avait prévenu les ennemis qu’El-Hadj-Omar était resté seul avec
ses fils à Goro.
« Le lendemain matin, Tidiani, informé de la présence de Ba-
Lobbo avec son armée à proximité de Goro, marcha à sa rencontre,
le battit complètement et l’obligea à prendre la fuite. Ba-Lobbo se
rendit aussitôt dans le Kounari où il retrouva Sidia avec lequel il
se réconcilia en apparence pendant quelques jours.
«Les sofas d’El-Hadj-Omar qui s’étaient réfugiés dans le camp
de Ba-Lobbo imitèrent les Toucouleurs et se soumirent à Tidiani
qui leur pardonna également.
« Tidiani ne s’arrêta pas à ce premier succès; pour empêcher ses
adversaires de se reformer, il se mit résolument à leur poursuite

1. On voit que Menvielle est en contradiction avec Gaden sur l’arrivée de


Tidiani à Goro et à Déguembéré. D’après lui, elle eut lieu le jour même de
la mort d’El Hadj Omar, d’après Gaden plusieurs jours après seulement.
a fin d’achever leur défaite. Les ayant rejoints, il leur livra deux
combats, l’un à Dongoro et l’autre à Fatoma, dans lesquels il les
battit complètement. Sidia abandonnant Ba-Lobbo passa le Niger
à Mopti et se rendit dans le Macina.
« Débarrassé des Kounta, Tidiani vint retomber sur Ba-Lobbo
et lui fit essuyer une sanglante défaite à Takouti, le poursuivit
l’épée dans les reins jusqu’à Kouna. Ba-Lobbo ayant passé le Bani
pour entrer dans le Sébéré, Tidiani revint alors sur Bandiagara.
« Il songeait sans doute à organiser sa
conquête ; mais ses adver-
saires, au lieu de lui en laisser le loisir, allaient l’obliger à guer-
royer encore pendant de longues années,
« Le Guimbala n’était pas encore soumis; Tidiani se dirigea de
ce côté et s’empara de Kouna 1. Mais une colonne envoyée de Tom-
bouctou par Bekkay N’Tiéni et commandée par Seydou Cheikou
l’obligea à battre en retraite et poursuivit sa marche jusqu’au
Kounari.
« Tidiani, de son côté, se rendit à Bérè auprès de ses amis,l‘ami-
rou Konimba et le chef habé Samandé Sana. Avec l’aide que lui
prêtèrent ces deux chefs, Tidiani put battre et mettre en déroute
à Djouna les guerriers du Guimbala commandés par le Maure El
Ouafi et le Peuhl Modi Bô Amadou.
« De là, s’étant rendu à Douentza,il fit arrêter le chef de Dalla
qui lui était suspect et le remplaça, dans son commandement. Il se
rendit ensuite dans le Séno, s’empara de Yalema et de Tégué, en-
tre Bankasso et Barani et, ayant reçu la soumission de tout le pays
de Ouidi, il rentra à Bandiagara.
« Cependant, le Macina ayant encore demandé du secours à Tom-
bouctou, Bekkay n’Tieni s’était mis en marche et était arrivé dans
le Kounari. Ba-Lobbo s’y étant rendu aussi, les deux chefs négo-
cièrent pendant quelque temps sans pouvoir se mettre d’accord.
Au contraire, la scission fut désormais définitive entre les deux
partis qui, au lieu de se réunir contre Tidiani, allaient employer à
se faire mutuellement la guerre tous les moments de répit que
leur laisseraient les Toucouleurs.
« Informé de leurs dissentiments,Tidianimarcha contre eux pour
les chasser du Kounari. Ils se retirèrent tous les deux sans com-
battre, Bekkay N’Tiéni dans le Macina, Ba-Lobbo dans le Sébéré.
Tidiani après s’être emparé de Kaka retourna à Bandiagara.
«Les Macinankés ayant demandé de nouveaux secours à Tom-

1. Est-ce Koma dans l'Issa-Ber, sur le Bara-Issa, à égale distance au nord


de Sa et au sud de Niafonké?
bouctou, Bekkay Koroba se mit en marche en personne pour
rejoindre son neveu Bekkay N’Tiéni, qui l'attendait à Sarédina.
Ba Lobbo, apprenant son arrivée, se posta à Feibaka,sur le bord
du fleuve, et lorsque la pirogue de Bekkay Koroba défila devant
lui, il le fit insulter par ses guerriers. Bekkay Koroba mourut
trois jours après son arrivée à Sarédina.
« Au bout de cinq jours après cet événement,Bekkay N’Tiéni
alla attaquer Ba-Lobbo. Mais il fut repoussé, perdit dans ce com-
bat un millier d’hommes et Sarédina tomba au pouvoir de Ba-
Lobbo. Celui-ci poursuivit son adversaire jusqu’à Sara-Seïni où
les deux partis s’installèrent pendant quelques jours et s’inquié-
tèrent mutuellement par des escarmouches continuelles. Puis
Bekkay N’Tiéni ayant battu en retraite vers le Macina, Ba-Lobbo
le fit poursuivre par Allaï Boukari Haman Salah qui fut repoussé.
« Jusqu’alors,Tidiani avait laissé ses deux adversaires s’affaiblir
mutuellement. Lorsqu’il apprit la défaite de Bekkay, il se mit lui-
même en marche avec une colonne, s’empara de Kouna et de
Toumaï et traversa le Bani.
« En apprenant son arrivée, Ba Lobbo passa sur la rive gauche
du Niger, mais Tidiani traversa le fleuve derrière lui, battit les
Foulbé et s’empara d’Allaï Boukary Haman Salah qui fut exécuté.
Ba Lobbo entra dans le Macina, tandis que Tidiani se retourna
contre le Sébéré où il fit plus de douze mille captifs, puis, repas-
sant le Bani, vint camper à Soukourlay.
« Quant à Ba Lobbo, il s’installa à Morari et à Ouro-Modi. Bek-
kay s’étant fixé à Ténenkou, les escarmouches recommencèrent
entre les deux partis.
« Tidiani profitant du répit que lui laissaient ses deux adver-
saires, entreprit la conquête de la province de Djenné. Une co-
lonne confiée à Koli Modi et partie de Kaka s’étant emparée de
Pémani, tous les Bambaras du Djennéri se soumirent à Tidiani.
Koli Modi repoussa successivement deux colonnes de Foulbé, la
première commandée par Amadou Abdoul et la deuxième par
Ba Lobbo en personne qui dut retourner au Macina.
« Cependant, Djenné refusant de se soumettre, Tidiani traversa
le Bani et alla en faire le siège qu’il dut lever au bout d’un mois
sans avoir obtenu de résultat. Il retourna à Soukourlay en atten-
dant une occasion plus favorable.
« Peu de temps après, Ba Lobbo, chassé du Macina par Bekkay
N’Tiéni, alla se réfugier à Djenné.
« Après l’hivernage, Tidiani réunit une colonne très forte et
marcha de nouveau contre Djenné qu’il essaya de prendre d’as-
saut. Malgré les efforts les plus héroïques tentés par ses guerriers
dans un combat qui dura depuis le matin jusqu’au coucher du
soleil, la ville ne put être prise. Tidiani retourna à Soukourlay
avec une partie de ses forces, mais laissa Koli Modi à Pêma pour
continuer à harceler Djenné et gêner son commerce. L’effet qu’il
attendait de cette tactique ne tarda pas à se produire. La popu-
lation de Djenné était presque exclusivement composée de mar-
chands qui, voyant leur commerce ruiné, demandèrent à Ba-
Lobbo de sortir de leur ville. Celui-ci s’en alla à Kondala et
Djenné fit sa soumission à Tidiani.
« Ba Lobbo avec trois cents cavaliers, se réfugia chez les
Bobos
qui lui donnèrent asile.
« Tidiani avait résolu d’en finir avec cet adversaire. Il appela
auprès de lui tous les chefs qui lui étaient soumis et réunit à Sou-
kourlay une armée nombreuse. Parmi les chefs qui s’étaient ren-
dus à son appel se trouvait celui du Goddo, Bokar Haman Diko,
qui mourut à Kaka et dont le fils Abdoulaye Bokari se révolta
plus tard contre Tidiani.
« L’armée de Tidiani passa le Bani pour aller attaquer
Wandia
où elle fit de nombreux captifs, puis revint sur la rive droite, se
préparant à marcher contre Ba Lobbo.
« Les conquérants ne sont pas constamment
heureux; le neveu
d’El-Hadj-Omar allait éprouver un revers qui pouvait compro-
mettre gravement sa situation si l’entente avait régné entre ses
adversaires. Profitant de ce que l’armée de Tidiani était composée
d’éléments disparates comprenant des contingents de toutes les
provinces de son royaume, Bekkay fit travailler secrètement ceux
dont la fidélité était la plus douteuse et prépara ainsi la défection
des guerriers du Kounari. Puis il donna une colonne à Sidia qui
vint attaquer Tidiani à Mamétongo. Abandonné par les gens du
Kounari qui passèrent à l’ennemi, Tidiani dut battre en retraite
et rentrer à Bandiagara, tandis que Sidia occupa le Kounari.
« Après l’hivernage, Sidia donna une
colonne à Seydou Cheikou
qui s’avança jusqu’à Doukombo, menaçant Bandiagara qui n’en
est éloigné que de six à sept kilomètres.
« La fortune, après avoir paru un
moment abandonner Tidiani,
allait lui redevenir favorable. Il fit appel à ses chefs de province
qui lui amenèrent tous leurs contingents, sauf Abdoulaye Bokary
qui resta à Pélou avec trois cents cavaliers, prêt à passer du côté
des Kounta si Tidiani était battu. Pendant quatorze jours, les
deux partis s’observèrent, puis enfin Tidiani, prenant l’offensive,
tomba sur Seydou Cheikou qu’il mit en déroute. Il le poursuivit
depuis neuf heures du matin jusqu’à la nuit, tua un grand nombre
de ses guerriers et lui prit plus de quatre cents chevaux. Le lende-
main, les Toucouleurs entrèrent à Fatoma et firent dans le Kou-
nari une grande quantité de captifs. Seydou Cheikou et Sidia
allèrent rejoindre Bekkay dans le Macina.
« Après cette victoire, à peine rentré à Bandiagara, Tidiani pré-
para une nouvelle expédition contre Ba Lobbo. Celui-ci se réfugia
dans le village peuhl de Dimana renommé par la force de son tata
et le poison de ses flèches. Les Toucouleurs, ne pouvant le prendre
d’assaut, se contentèrent d’en faire le siège. Après quatorze mois
d’investissement, les habitants, à bout de ressources, firent sortir
clandestinement Ba Lobbo qui, malade et porté sur un brancard,
se retira à Massara, escorté seulement par trois cavaliers. Il y
mourut peu de temps après.
« Amadou Abdoul et son frère Ba Lobbo Abdoul étaient sortis
quelques jours avant; ce dernier tomba entre les mains des Tou-
couleurs et fut emmené à Bandiagara d’où il s’évada.
« Débarrassés de Ba Lobbo qu’ils n’avaient pas voulu trahir, les
Bobos firent leur soumission à Tidiani qui l’accepta. Le sofa Dia-
waro Moussa, qui commandait à Konihou, reçut aussi le comman-
dement du Dimana.
« De retour à Bandiagara, Tidiani voulut réduire à l’obéissance
Abdoulaye Bokary qui, nous l’avons dit, s’était abstenu de lui
amener ses contingents. Une députation du Gondo comprenant
Diadjie, père d’Abdoulaye Bokary, Amadou Ella-bouré, chef de
Diankabo, Galo, fils du chef de Boumbou, se rendit auprès de
Tidiani qui le chargea d’aller dire à Abdoulaye Bokary de venir
lui-même à Bandiagara. Celui-ci refusa et se retira à Banan. Alors
Tidiani le déchut de son commandement et le remplaça par le
foutanké Mamadou Ali qui alla s’installer à Diankabo avec une
centaine de cavaliers et qui devait s’appuyer sur les Tané, parti
de Foulbé du Gondo, opposé à Abdoulaye Bokary. Mais celui-ci
ayant réuni un certain nombre de guerriers vint surprendre Dian-
kabo, tua Sidi Ardo, Amadou Ellabouré, Galo et un grand nombre
de Tané.
« Dès l’annonce de cette nouvelle, Tidiani se rendit lui-même à
Diankabo avec une colonne. Mais il ne put atteindre Abdoulaye
Bokary qui se réfugia au Mossi à son approche et il dut se conten-
ter de brûler ses villages et de combler leurs puits.
« Tidiani se rendit ensuite à Dé d’où il envoya dans le Binga une
colonne commandée par Ibrahima Abi qui s’empara de Sarayémo.
« A cette époque, les Sarro et Sansanding s’étaient révoltés
contre les Toucouleurs de Ségou et avaient fait demander des
secours à Bekkay qui leur envoya son fds Abiddin avec une nom-
breuse colonne.
« Apprenant que Bekkay s’était ainsi dégarni d’une partie de
ses forces, Tidiani jugea le moment opportun de l’attaquer de
nouveau.
« Afin de mieux surprendre le Macina,il tint ses projets entière-
ment secrets et rassembla son armée à Solinké, au sud de Bandia-
gara, laissant croire à tout le monde qu’il allait marcher sur le
Mossi. Lorsque ses préparatifs furent terminés, il se dirigea à
marches forcées sur le Macina et arriva à Ténenkou avant que
Bekkay ait eu le temps de réunir ses guerriers. Ténenkou fut pris.
Les femmes de Bekkay et un grand nombre de captifs tombèrent
entre les mains des Toucouleurs qui retournèrent à Hamdallahi
pour en faire le partage.
« Dans les guerres des noirs où l’appât du butin est pour ainsi
dire le seul mobile des combattants, il arrive souvent que les résul-
tats d’une victoire soient compromis par la hâte qu’ont les guer-
riers de jouir de leurs prises, négligeant de se pourvoir contre la
possibilité d’un retour offensif de la part de l’ennemi. Ainsi en
advint-il à Tidiani après la prise de Ténenkou. Bekkay rappela
Abiddin en toute hâte, réunit les contingents du Macina, du Fari-
maké et du Guimbala et, prenant l’offensive, marcha contre
Tidiani. Arrivé à Goundaka, au lieu de continuer sur Bandiagara
il se dirigea sur Ningari de façon à menacer Dé où Tidiani avait’
une maison.
« Celui-ci, de son côté, ne perdit pas de temps et marcha aussitôt
vers Ningari où il arriva en même temps que son adversaire. Les
deux armées campèrent à proximité l’une de l’autre, séparées seu-
lement par une crête de rochers qui les empêchait de s’apercevoir
et restèrent ainsi dix jours en présence. Le onzième jour, Abiddin
leva le camp : on ne sait si c’était pour marcher sur Tidiani ou
bien pour choisir un meilleur emplacement. Averti par ses ve-
dettes de ce mouvement, Tidiani fondit sur lui à l’improviste et
ayant surpris ses troupes au milieu du désordre du déménage-
ment, il les mit en complète déroute. Pendant deux jours, Tidiani
les poursuivit et en fit un grand massacre; on dit que des mille ca-
valiers qu’avait fournis le Macina à Bekkay, il en échappa à peine
une soixantaine; un grand nombre de chefs périrent aussi et
neuf cents chevaux tombèrent entre les mains des Toucouleurs.
« Abiddin, Ari Aoudi et les chefs survivants durent abandonner
leurs montures et se réfugier sur la montagne de Douléri. Grâce
au concours du chef habé Sanabéri qui leur servit de guide, ils
réussirent à gagner Kouna où ils passèrent le Niger. Abiddin rega-
gna le Macina et rejoignit à Diamou Alla Bekkay N’Tiéni qui
mourut trois jours après son arrivée.
« Non seulement cette campagne porta un coup décisif au parti
des Kounta, mais elle amena à Tidiani la soumission du Guimbala.
Le nommé Kanoro, frère du chef de Sa 1 vint le trouver et lui
offrir son concours pour obtenir cette soumission. Tidiani l’em-
mena à Bandiagara, lui donna un cheval et de riches cadeaux et le
renvoya ensuite dans son pays. Kanoro, de retour auprès de son
frère, lui exposa la puissance des Toucouleurs et l’avantage qu’au-
rait son canton à se soumettre volontairement à leur fama. Les
chefs du Guimbala se laissèrent convaincre et envoyèrent une
députation à Bandiagara pour y porter leur soumission. Tidiani
leur désigna, comme représentant, Konimba, amirou Boré.
« Dès lors, il ne resta plus de l’empire des Cissé que le Farimaké
et le Macina qui luttaient encore contre la domination des Tou-
couleurs.
« Ce fut contre le Macina que Tidianitourna ses premiers efforts.
Une de ses colonnes franchit le Niger à Saya et livra à Memendé
un combat dans lequel périrent un grand nombre de Macinankés;
puis ayant repassé le fleuve, elle vint s’installer à Djiriouel.
« De leur côté, les Macinankés et les Kounta, ayant à leur tête
Seydou Cheikou dont il a été déjà parlé, vinrent se poster à
Kakana.
« Tidiani forma une deuxième colonne dont il donna le com-
mandement à Koli Modi et qu’il fit transporter en pirogue jus-
qu’en face de Kakana. Koli Modi attaqua Seydou Cheikou qui fut
tué, mit ses guerriers en déroute et s’empara de Kakana.
« Une insurrection de la montagne obligea Tidiani à suspendre
momentanément ses opérations contre le Macina. En effet, les
Habé, dont la fidélité jusqu’alors lui avait facilité ses succès, ve-
naient de se révolter poussés par Abdoulaye Bokari qui était ren-
tré du Mossi et par Ahmadou Abdoul qui s’était rendu dans le
Balassara.
« Kani-Bouzou, Kani-Kombolé, Dourou, le Guimini avaient
réuni leurs guerriers pour résister aux Toucouleurs. Tidiani fit
exécuter le frère de Bouzou et envoya Koli Modi à Bankasso avec
une colonne pour réprimer l’insurrection. Mais les rebelles, pre-
1. Le chef de Sa, à cette époque, était un nommé Dionké. Il s’agit ici de
chefs Bambaras, les chefs du Dodjiga étant des chefs Bambaras — quoique
le canton contînt un certain nombre de Foulbé.
nant l’offensive, se dirigèrent sur Bandiagara et vinrent prendre
Tintinbolo qui n’en est distant que de quinze kilomètres. Alors,
Tidiani, en personne, marcha contre eux, les battit à Pelou et les
rejeta dans la plaine, au sud de la falaise. Ils allèrent attaquer
Koli-Modi à Bankasso, mais éprouvèrent un nouvel échec, ce qui
permit à ce dernier de se rendre dans le Balassara pour en chasser
Amadou Abdoul. Celui-ci, après avoir été battu dans plusieurs
combats, fut blessé et se réfugia dans le Bendougou.
« Débarrassé d’Amadou Abdoul, Koli Modi se tourna contre
Abdoulaye Bokary, qui s’était installé à Boumbou et tomba à
l’improviste sur ce village. Mais Abdoulaye Bokary en était parti
depuis la veille, y laissant seulement deux de ses frères avec cin-
quante cavaliers qui furent tous tués, sauf un.
« L’insurrection était vaincue : les Habé s’assemblèrent et réso-
lurent d’entrer en pourparlers avec Tidiani pour faire leur sou-
mission. Abdoulaye Bokary lui-même chercha à rentrer en grâce.
Les Habé acceptèrent les amendes qui leur furent imposées, à la
condition qu’ils ne livreraient pas Abdoulaye. Tidiani, qui était
impatient de reprendre la campagne contre le Macina, se montra
conciliant et consentit à laisser en liberté Abdoulaye Bokary dont
le fils seulement se rendit à Bandiagara avec les chefs Habé. Toute
la montagne se trouva ainsi pacifiée.
« C’était au moment de la fête de la Tabaski, époque à laquelle
tous les chefs des pays soumis se rendaient à Bandiagara pour
saluer le fama 1. Tidiani profita de leur présence pour leur pres-
crire de réunir à Kouna toutes les pirogues du Niger, depuis
Djenné jusqu’à Sa, ce qui fut fait. Il concentra sur le même point
une très forte colonne dont il donna le commandement à Koli-
Modi; Kango Moussa commandait les sofas.
« Le plan de Tidiani était de harceler les Macinankés par des
attaques réitérées et de permettre à son armée de venir se refor-
mer à Kouna après chaque expédition, le passage du fleuve lui
étant facilité par le grand nombre d’embarcations assemblées en
cet endroit.
« Le premier village attaqué par Koli-Modi fut celui de Kora
2
habité par les Soukoulbé qui lui opposèrent une résistance éner-
1. C’est à tort que le capitaine Menvielle donne à Tidiani le titre de fama
qui veut dire roi en bambara. Il devrait l’appeler soit almamy, soit sultan.
2. Ce village de Kora est dans le Farimaké, au nord-ouest du Débo. Cette
position, ainsi que celle du village de Youwarou situé tout près du Débo, à
l'ouest du lac, prouve que Koli Modi commença son attaque par le Farimaké
(Issa-Ber), sur la même rive que le canton propre du Macina, mais au nord
de celui-ci et ne commença pas son attaque par le Macina lui-même.
gique. Mais tous les défenseurs furent tués, le village fut pris, les
femmes et les enfants furent emmenés comme captifs sur la rive
droite et partagés entre les guerriers toucouleurs.
« Ourounguia, puis Youwarou,habités par les Yallalbé, subirent
successivement le même sort que Kora.
« Se voyant dans l’impossibilité de résister à l’armée de Tidiani,
les Foulbé du Macina abandonnèrent leurs villages et se réfugièrent
à l’ouest du marigot de Diaka. Les Sossobé seuls firent leur sou-
mission et furent transportés à Soufourlay.
« La campagne se termina par la prise de Diafarabé; comme à
Kora, les guerriers foulbé périrent tous et les femmes et les en-
fants furent faits captifs. Comme l’hivernage approchait, la
colonne de Koli-Modi fut dissoute.
« Cette campagne avait considérablement affaibli le Macina qui
allait achever sa ruine en recommençant la lutte contre les
Kounta.
« La saison des pluies était à peine terminée que les Foulbé,
s’étant réunis autour de Hamadou Bokar Ba Lobbo, neveu et
gendre de Ba-Lobbo, allèrent attaquer Abiddin, fds de Bekkay
N’Tiéni, qui fut obligé de se retirer à Kikiri entre Diaka et Sokolo.
« Alors le Farimaké,qui restait fidèle aux Kounta, fit venir de
Tombouctou le fils de Bekkay Koroba, nommé aussi Abbidin.
Celui-ci marcha contre Hamadou Bokar Ba Lobbo qu’il chassa du
Macina, puis s’étant installé à Fendina et à Kassa, il manda au-
près de lui son cousin, l’autre Abiddin, lui enleva tout ce qu’il
possédait, même sa femme, et se proclama chef du Macina.
« Le fils de Bekkay N’Tiéni se retira chez les Bambaras du
Moumpé et mourut à Tiéridjiambé.
« Abiddin, fils de Bekkay Koroba, fit venir Baba Sidi Alouat, un
autre de ses cousins, et lui donna le commandement du Macina;
lui-même retourna dans le Farimaké d’où il envahit le Guimbala
qui, nous l’avons dit, avait fait sa soumission à Tidiani. Koli-
Modi et Ifra-Almamy furent envoyés contre lui avec des forces
nombreuses, mais ne réussirent à le chasser du Guimbala qu’après
une campagne assez longue et seulement après que le Macina eut
fait sa soumission.
« Diaka, s’étant soumis, avait reçu comme chef un peuhl nommé
Balassara qui jusque-là commandait à Tekri, près de Mopti. A
peine celui-ci était-il entré à Diaka que Baba Sidi Alouat vint l’y
assiéger. Tidiani prévenu envoya à son secours une colonne com-
mandée par Hamadou Hafsa et le frère de Diankounda. Les Tou-
couleurs pénétrèrent la nuit dans Diaka sans être vus des Foulbé
qui ne connurent leur arrivée qu’en apercevant le lendemain ma-
tin les traces de leurs chevaux. Les guerriers du Macina se rassem-
blèrent très nombreux devant la place pour en resserrer l’inves-
tissement. Mais dans une sortie vigoureuse, Hamadou Hafsa les
mit en déroute et en fuite jusqu’à Kassa. Douze chefs du Macina
périrent dans cette affaire et neuf autres furent faits prisonniers.
Les Toucouleurs s’emparèrent de nombreux troupeaux de mou-
tons qu’ils emmenèrent à Bandiagara.
« Tidiani, résolu d’en finir avec le Macina, rassembla une nou-
velle colonne et en donna encore le commandement à Hamidou
Hafsa. Celui-ci passa par Djenné dont tous les guerriers se joi-
gnirent à lui. Il s’empara de Dia, de Kondo habités par les chefs
des captifs des Ardo, de Kassa, de Fadima et enfin de tous les vil-
lages importants du Macina. Baba Sidi Alouat s’enfuit au Fari-
maké et les Macinankés épuisés et incapables de résister plus long-
temps, firent leur soumission à Tidiani qui l’accepta et les installa
dons le Kounari, sur la rive droite du Bani et du Niger.
« Lorsque cette nouvelle parvint à Abiddin, il quitta le Guim-
bala. Koli-Modi le poursuivit jusqu’à ce qu’il eut traversé le fleuve,
puis rentra à Bandiagara.
« Pour compléter sa conquête, il ne restait plus à Tidiani qu 'à sou-
mettre le Farimaké et à réduire Abiddin. Il allait accomplir une
partie de cette tâche, la seconde était réservée à son successeur
Mounirou.
« Malgré les succès des Toucouleurs, Abiddin, au lieu d’abandon-
ner la lutte, chercha à reprendre l’offensive. A cet effet, il envoya
contre Djenné une colonne commandée par Ali Aoudi, chef du
Farimaké. Mais celui-ci fut tenu en respect par Kango Moussa,
gouverneur de Djenné, et dut s’en retourner sans avoir obtenu un
seul succès.
« Tidiani, de son côté, apprenant que le Farimaké était dé-
pourvu de défenseurs se hâta d’y envoyer une colonne de mille
cavaliers, conduite par Bokar Moussa, frère d’Amadou Aliou. Ce-
lui-ci tomba sur Gaedji 1 dont il s’empara après un combat dans
lequel Abiddin fut blessé à la tête et un grand nombre des siens
furent tués. Puis il retourna à Bandiagara avec une grande quan-
tité de butin.
« Après cette affaire, la discorde allait se mettre dans le camp
d’Abiddin et devenir pour les Toucouleurs un puissant auxiliaire.
En effet, lorsqu'Ali Aouda revint de Djenné, Abiddin lui adressa

1. Probablement Gatié ou Gakié à côté de Tiouki.


des reproches sanglants pour avoir reculé devant Kango Moussa
et le menaça de lui enlever le commandement du Farimaké. La
querelle s’envenima au point que les deux partis en vinrent aux
mains, tous les Foulbé combattant pour Ali Aoudi, les autres noirs
pour Abiddin. Dans une première rencontre, les Foulbé eurent le
dessus, mais Abiddin les repoussa par un vigoureux retour offen-
sif et alla s’installer et se fortifier à Gardio 1.
« La conséquence de cette lutte intestine fut d’amener les Foulbé
à Tidiani; en effet, Ali Aoudi lui envoya faire sa soumission en lui
demandant des secours contre son adversaire.
« Ce fut encore Bokar Moussa qui fut chargé d’aller combattre
contre Abiddin. Après avoir fait sa jonction avec Ali Aoudi, il
marcha sur Gardio dont il s’empara dans une première fois, mais
où il ne put se maintenir. Attaqués à leur tour par Abiddin, les
Foulbé et les Toucouleurs durent évacuer la place. Ali Aoudi fut
tué et Bokar-Moussa dut repasser le Niger, emmenant avec lui les
Foulbé, ses alliés dont Modi Aoudi, frère d’Ali, avait pris le com-
mandement. Ceux-ci furent installés à Kouna.
« Après l’abandon des Foulbé, la résistance du Farimaké ne
pouvait plus être de très longue durée. Toutefois, comme nous
l’avons dit, il n’appartenait pas à Tidiani de voir la défaite défini-
tive d’Abiddin.
«
Tidiani envoya, du côté de l’est, une expédition qui fut très
heureuse, commandée par Ifra Almamy, accompagné par l'ami-
rou Boré. La colonne ayant traversé le Djilgodi, l’Aribinda et le
Liptako, s’empara de Téra, puis vint camper à Dori et retourna à
Bandiagara chargée de butin.
« Du côté du sud-ouest
s’agitait Amadou Abdoul qui, à la mort
de Ba-Lobbo, avait pris sa succession et qui était venu s’installer
à Toun près de Ouonkoro. Ibrahima Abi chargé par Tidiani de le
chasser, alla mettre le siège devant Toun pendant six mois, sans
pouvoir s’en emparer. Enfin, Ahmadou Abdoul ayant quitté la
place pour se réfugier chez les Bobos, les habitants firent leur
soumission et Ibrahima Abi rentra à Bandiagara avec ses troupes.
« Tidiani appela aux armes tous
les guerriers de ses états et con-
centra à Dio près de Hamdallahi, une forte colonne dont il donna
le commandement à Koli-Modi avec mission de s’emparer d’Ama-
dou Abdoul et de le chasser du Bobola. Koli-Modi alla camper à
Konihou au bord du Séguéné, d’où il fit inquiéter son adversaire
par des partis de cavalerie. Mais les Toucouleurs n’osant pas atta-
1. Dans le Haoussa-Katawal, au nord du Farimaké.
quer les villages bobos par crainte des flèches empoisonnées, le
temps se passa en escarmouches insignifiantes. Voyant que Koli-
Modi n’obtenait aucun résultat, Tidiani le rappela à Bandiagara.
« A cette époque, année
1887, arrivait à Bandiagara le lieute-
nant de vaisseau Caron, chargé de conclure un traité de commerce
et d’amitié avec le roi du Macina. Le traité ne fut pas conclu, le
parti toucouleur hostile à l’influence française ayant eu raison des
hésitations de Tidiani qui n’était pas très éloigné d’accepter nos
propositions. Celui-ci mourut peu de temps après.
« Le succès du voyage de Caron jusqu’à Kabara, port de Tom-
bouctou, avait causé des inquiétudes à nos ennemis. D’autre part,
l’attitude de Tidiani vis-à-vis de notre envoyé le rendit suspect à
son entourage. Aussi croit-on qu’il mourut empoisonné par une de
ses femmes, tandis que les Toucouleurs, afin de rendre l’opinion
complètement hostile à un rapprochement avec les blancs répan-
dirent le bruit que le fama avait été victime d’un sort que lui
avaient jeté les Français.
« Tidiani fut
remplacé par un fils d’El-Hadj-Omar nommé
Thapsirou ou Seydou Habi qui mourut au bout de quatre mois de
règne. Il ne s’accomplit aucun événement important pendant son
court passage au pouvoir (1888).
« Mounirou
(1888-1891) succéda à son frère Thapsirou. Le fait
capital de son règne fut l’anéantissement du parti des Kounta qui,
comme nous l’avons dit, tenait encore Gardio dans le Farimaké
avec l’appui des noirs de cette région.
« Une première
colonne,commandée par Amadou Aliou, péné-
tra dans le Farimaké et y fit beaucoup de captifs, mais rentra à
Bandiagara sans avoir obtenu de résultat sérieux.
« Toutefois,
Abiddin, sentant sa situation devenir de plus en
plus précaire, résolut de prendre l’offensive. Ayant rassemblé les
Bambaras ses partisans, il quitta Gardio, traversa le Macina et
vint camper à Sarédina, près du tombeau de son père. Ce mouve-
ment fut diversement interprété par les Toucouleurs; les uns di-
saient qu’Abiddin accomplissait un simple pèlerinage, d’autres
lui prêtaient l’intention de marcher sur Bandiagara, d’autres en-
fin, celle d’aller attaquer Djenné.
« Mounirou réunit une
nombreuse colonne et en donna le com-
mandement à Nouhou Moussa. Celui-ci alla camper à Mopti et fit
surveiller tous les mouvements d’Abiddin par des patrouilles de
cavalerie.
« Au bout de dix jours,
Nouhou Moussa ayant appris qu’Abid-
din avait levé son camp et marchait sur Djenné, franchit lui-
même le Bani et pénétra dans le Sébéré. Sa cavalerie ayant pris le
contact de l’adversaire à quatre heures du soir à Seno Sa, tout près
de Djenné, avait engagé le combat en attendant l’infanterie, lors-
qu’un envoyé de Kango-Moussa vint conseiller aux Toucouleurs
d’entrer à Djenné le jour même, ce qui fut fait.
« Quant à Abiddin,qui avait déjà eu plusieurs hommes tués, ses
partisans l’engagèrent à se rapprocher du Niger afin de n’avoir
plus qu’à traverser le fleuve le lendemain pour entrer au Macina
en cas d’échec. Il leva donc le camp au milieu de la nuit et, d’une
seule traite, passa sur la rive gauche du fleuve pour camper en face
d’Ouro Modi.
« Sa retraite fut signalée à Nouhou Moussa par les patrouilles
qu’il avait fait sortir avant le jour. Les Toucouleurs se mirent à
sa poursuite et campèrent le soir même au bord du Niger sur la
rive droite. La nuit suivante, Abiddin déménagea de nouveau et
le lendemain matin, Nouhou Moussa traversa le fleuve et continua
à le poursuivre. Sa cavalerie l’ayant rejoint à Moura, village en
ruines, commença une fusillade hors de portée et par suite peu
dangereuse. Abiddin, dédaignant cette première attaque, fit cam-
per ses troupes pour répondre au feu des Toucouleurs. Mais bien-
tôt arriva l’infanterie de Nouhou Moussa qui prit position au
centre de la ligne, la cavalerie divisée en deux groupes formant
crochet en fer à cheval sur chacune des ailes. Alors, Abiddin, ju-
geant que le moment était venu de tenter un effort suprême, cei-
gnit gravement son boubou, monta à cheval et donna aux siens
le signal de l’attaque; il marcha droit sur l’infanterie toucouleur
suivi de tous ses guerriers, fanatisés par son exemple. Mais, fusillés
sur les deux flancs par les cavaliers, sur le front par les fantassins
de Nouhou Moussa, leur élan fut brisé sans pouvoir atteindre la
ligne ennemie. Abiddin et Baba-Sidi Alouat furent tués des pre-
miers; un grand nombre de leurs guerriers trouvèrent aussi la
mort dans ce combat désespéré et les autres furent faits prison-
niers; on prétend que trois d’entre eux seulement purent échapper
par la fuite.
« Ce succès amena la
soumission de Gardio et fut le couronne-
ment de l’oeuvre entreprise par Tidiani, la conquête du royaume
peuhl des Cissé.
« Mounirou envoya
aussi une expédition du côté du Mossi, con-
duite par El-Hadj-Guidado et dont le seul résultat fut la capture
de nombreux troupeaux de boeufs.
« En outre Assahui et
El Hadéri, deux chefs des Touareg Irré-
guénaten s’étant pris de querelle, Assahui demanda des secours à
Bandiagara. Mounirou lui envoya une colonne commandée par
Bandjiougou Diawara et Ousman Koumba. Mais, à leur approche,
El Hadéri s’enfuit, de sorte que les Toucouleurs rentrèrent à Ban-
diagara sans avoir eu à combattre. »
Gomme on le voit, le capitaine Menvielle a décrit ici d’une façon
détaillée tout le règne de Tidiani et celui de son successeur Mou-
nirou. Ces deux règnes furent un long effort, couronné de succès,
pour remettre la main sur le royaume d’EI-Hadj-Omar, allant de
Dienné à Tombouctou, perdu par ce dernier à la suite des revers
de sa dernière année.
Au commencement de son règne, Tidiani ne possédait guère
que Bandiagara et Hamdallahi, somme toute la province du Pi-
gnari, sur la rive droite du Niger. Son premier soin fut de repren-
dre Dienné (au sud-ouest), puis ensuite de remettre la main sur le
reste de la rive droite du Niger, sur le Gourma ou Guimbala.
Quand il eut toute la rive droite, il écrasa le Massina proprement
dit (rive gauche) mais n’eut pas le temps de compléter son oeuvre
dans le Farimaké et Haoussa (au nord du Massina, rive gauche)
où tenaient encore les Maures Kountah appelés jadis par ses ad-
versaires. Ce fut Mounirou qui écrasa définitivement les Maures,
le Farimaké, le Haoussa (rive gauche actuelle du cercle de l’Issa-
Ber). Le royaume d’EI-Hadj-Omar se trouvait ainsi reconstitué;
malheureusement pour eux, les Toucouleurs ne devaient pas jouir
longtemps de leur victoire.
Il est intéressant de voir ce que Delafosse dit de cette période.
Il ne la traite pas avec le luxe de détails du capitaine Menvielle,
qui doit sans doute être préféré ici comme ailleurs, mais sa version
doit cependant être citée.
« J’ai dit
plus haut [dit Delafosse, tome II, page 335] comment
El-Hadj-Omar avait conquis le Macina en 1862 et comment, après
des luttes perpétuelles pour conserver sa conquête, il avait trouvé
la mort en 1864 dans la falaise de Bandiagara. Son neveu Tidiani
lui succéda au Massina de 1864 à 1887.
« Ayant
reconstruit Hamdallahi, Tidiani équipa une armée,
poursuivit Ba-Lobbo dans le Kounari et, pour utiliser la bonne
volonté des Tombo, disposés à le soutenir contre les Peuls, trans-
porta sa capitale à Bandiagara. Son règne ne fut qu’une lutte con-
tinuelle contre les habitants de son prétendu royaume, lequel en
réalité ne dépassait guère les environs immédiats de Bandiagara.
Il eut cependant des alternatives de succès et de revers. Son plus
terrible adversaire fut El-Bekkaï, qui avait établi son quartier
général à Ténenkou; son meilleur secours lui vint de la rivalité et
du défaut d’entente qui divisaient Ba-Lobbo et El-Bekkaï. C’est
ainsi qu’il put battre ces deux derniers simultanément, l’un à Po-
romani ou Foromani (entre Sofara et San) et l’autre à Sénidiadio.
Mais ensuite Ba-Lobbo s’enferma à Dienné que Tidiani ne parvint
à reprendre qu’après un siège pénible. Ba-Lobbo, d’ailleurs, avait
pu s’échapper et s’était réfugié à Fiou (circonscription actuelle de
San) auprès des Peuls originaires du Macina. Pendant ce temps,
El-Bekkaï, avec les gens du Kounari, menaçait Bandiagara, que
Tidiani eut grand’peine à préserver; enfin il put refouler El-Bek-
kaï sur Ténenkou et s’emparer successivement de Ténenkou, de
Kakagnan, de Diafarabé et du Sébéra. C’est à cette époque que
mourut Ba-Lobbo, qui ne fut qu’imparfaitement remplacé par
Hamadou-Abdoul,lequelrésida à Fiou, et Amirou-Ba-Lobbo,lequel
s’était établi à Bengadina, au sud-est de San, chez les Minianka.
« Le décès de Ba-Lobbo entraîna
la soumission d’une grande
partie des Peuls au prince toucouleur. Peu après, Ahmed-el-Bek-
kaï, au cours d’un combat contre l’armée de Tidiani, était tué
près de Sarédina (Sébéra), où son tombeau est devenu un lieu de
pèlerinage.
« Tidiani put enfin se considérer comme
roi du Massina, mais le
Massina était devenu presque un désert.
« En 1887, Tidiani reçut à Bandiagara
la visite du lieutenant de
vaisseau Caron, qui venait lui demander la route de Tombouctou
et l’accès de Dienné; le roi répondit à l’explorateur : « Je suis un
porteur d’outres et mes outres sont Dienné et Tombouctou; si tu
les veux, empare-toi d’abord du porteur. » Néanmoins, Caron put
parvenir jusqu’à Kabara et s’en revenir sur ses pas, malgré l’oppo-
sition et les menaces de Tidiani, qui mourut la même année.
« Tidiani avait fait tous ses efforts pour organiser ses
États. Il
les avait divisés en provinces, à la tête de chacune desquelles était
placé un amirou ou gouverneur. Les divers amirou résidaient
d’ordinaire à Bandiagara, auprès du roi, mais effectuaient des
tournées dans leurs districts respectifs en vue de percevoir l’im-
pôt. L’armée comprenait quatre corps, dont les deux premiers
étaient composés de Toucouleurs, le troisième était formé des
esclaves du roi et le quatrième de Banmana enrôlés qu’on appelait
sofa. Les impôts ordinaires et les impôts religieux furent organisés
comme à Nioro; les Tombo étaient à peu près dispensés de l’im-
pôt, mais ils devaient fournir des porteurs au roi lors de ses dé-
placements et de ses expéditions militaires.
« Thapsirou, fils de Tidiani,lui succéda,mais ne régna que quel-
ques mois (1887-1888).
« Mounirou, frère de Thapsirou, remplaça ce dernier (1888-
1891). Son règne se passa en luttes contre les Kounta que com-
mandait Abiddine, fds et successeur d’Ahmed-el-Bekkay (Abid-
dine fut tué en 1889, au cours d’une bataille livrée aux troupes de
Mounirou) et contre les Peuhls, surtout ceux du Farimaké. Néan-
moins, il parvint à conserver son autorité, grâce surtout à l’appui
des Tombo de la région de Bandiagara et de leur chef Gogou-
na. »
Nous en arrivons maintenant au dernier acte de la tragédie. Ce
royaume du Macina sur lequel avaient régné depuis 1400 les Ardo
Foulbé, d’abord sous la dépendance du Mali, puis sous celle du
second empire Songhay, puis sous celle des pachas marocains,
puis sous celle des rois Bambaras de Ségou, — ce royaume du Ma-
cina, dis-je, constitué en empire indépendant par le Peul Cheïkou
Amadou, puis transformé en empire toucouleur par El-Hadj-
Omar et Tidiani, va passer sous la domination française. En 1889,
le colonel Archinard bat Aguibou, roi du Dinguiraye, descendant
d’El-Hadj-Omar. En avril 1890, il détruit le royaume toucouleur
de Ségou et prend la ville. En décembre 1890, il marche sur Nioro
et y entre le 1er janvier 1891, chassant Ahmadou, fds d’El-Hadj-
Omar vers l’est. C’est alors que celui-ci se réfugie au Macina.
« Fuyant, dit le
capitaine Menvielle, devant la colonne fran-
çaise qui venait de le chasser de Nioro, Amadou se dirigea du côté
du Macina. Lorsque la nouvelle de son arrivée à Djenné fut con-
nue à Bandiagara, Mounirou songea d’abord à s’opposer par la
force à ce frère aîné qui venait pour le déposséder. Mais, les Tou-
couleurs ayant désapprouvé cette lutte et s’étant déclarés pour
Amadou, Mounirou voulut se faire sauter sur un tonneau de
poudre. Ses conseillers le détournèrent de ce projet, lui exposant
que s’ils reconnaissaient à Amadou dépossédé de ses états le droit
de commander au Macina, comme étant le fils aîné d’El-Hadj-
Omar, ils s’opposeraient à ce qu’il fît aucun mal à son frère qui
conserverait tous ses biens personnels.
« Mounirou se laissa persuader et se rendit avec les Toucouleurs
au devant d’Amadou lorsque celui-ci fut aux portes de Bandia-
gara. Il mit pied à terre en arrivant près de son frère aîné qui resta
à cheval,et, après lui avoir serré la main, il prit place dans le cor-
tège tandis qu’Amadou fit une entrée triomphale dans la capitale
de Tidiani.
« Conformément à la promesse qui lui en
avait été faite, Mouni-
rou conserva ses biens personnels, mais il mourut peu de temps
après l’arrivée d’Amadou. »
Delafosse raconte ainsi l’agonie de l’empire Toucouleur du
Macina (chapitre XV, H. S. N.).
Le général Archinard, revenu au Soudan fin 1892, soumit
d’abord le Miniankala (ou pays Minianka) en mars 1893. « Une
fois le pays Minianka ainsi pacifié, le général Archinard se rend
par San au Massina, mais est arrêté à Dienné par Alfa-Moussa qui
commandait la ville au nom d’Ahmadou et est obligé de la prendre
d’assaut, perdant dans cette opération le capitaine Lespieau et le
lieutenant Dugast (12 avril 1893). Se rendant à Mopti, il y fait
reconnaître Aguibou, fils d'El-Hadj-Omar, frère d’Ahmadou et
ancien roi du Dinguiraye, qui avait embrassé notre cause, comme
roi du Massina, puis s’empara de Bandiagara, évacué par Ahma-
dou (28 avril) et installa Aguibou à la place de son frère Ahmadou,
lequel avait pris la fuite vers l’est. Le capitaine Blachère était
laissé comme résident auprès d’Aguibou et le lieutenant de vais-
seau Boiteux était placé à Mopti pour protéger les relations com-
merciales entre Dienné et Tombouctou. Hamadou-Abdoul, fils de
Ba Lobbo et chef des Peuls du Massina, avait immédiatement fait
sa soumission au général Archinard. Ahmadou chercha à soulever
contre nous les Tombo de Douentza, mais sa résistance fut brisée
en cet endroit le 19 mai par le capitaine Blachère et il dut s’enfuir
à Hombori, puis à Say » (page 418).
En réalité, la dernière page glorieuse de celte guerre pour les
Toucouleurs fut la défense de Djenné par Alfa-Moussa, comme la
page glorieuse de la défense de Nioro avait été la défense éner-
gique de Kolomina par Ali-Bouri, défense qui avait permis à
Ahmadou de s’échapper le 3 janvier 1891. En dehors de ces deux
actions d’éclat, les Toucouleurs furent toujours battus par nos
troupes avec une facilité dérisoire.
Ajoutons qu’une partie de la troupe française victorieuse le
19 mai à Douentza continua la poursuite jusqu’à Dalla, mais ne
put prendre Ahmadou qui s’enfuit à Hombori et se réfugia ensuite
dans l’Aribinda.
De l’Aribinda, où il séjourna quelque temps, il se rendit à Dori
où plusieurs de ceux qui l’avaient suivi jusque-là le quittèrent
pour rentrer à Bandiagara. Alors le sultan toucouleur, avec ses
derniers fidèles, peu nombreux et réduits à une extrême misère,
se rendit au Yagha. Enfin, au commencement de 1895, il traversa
le Niger à Say et alla s’installer sur la rive gauche à Kounga où il
se trouvait encore en 1896. De là, il gagna le pays Haoussa où il
mourut obscurément en 1898. Les derniers talibés et parents qui
l’avaient accompagné dans sa fuite soutinrent en 1899 l’émir de
Sokoto dans sa tentative de résistance contre les Anglais. Après
la victoire de ces derniers qui s’emparèrent de Bassirou, fils
d’Ahmadou et petit-fils d'El-Hadj-Omar et occupèrent Sokoto,
les anciens partisans d’Ahmadou prirent en 1906 le chemin du
Bornou, du Ouadaï et du Darfour pour aller s’installer en Arabie,
dans le Hedjaz où ils sont encore.
Quant à Aguibou, ancien roi du Dinguiraye et frère d’Ahma-
dou, il conserva de 1893 à 1902, sous notre protection et contrôle,
le titre et les fonctions de roi du Macina avec résidence à Bandia-
gara, mais, faible et sans valeur, il ne sut pas ramener le calme
dans ce pays troublé ni parvenir à y faire aimer le nom des Tou-
couleurs. A la suite d’incidents divers, un arrêté du 26 décembre
1902, rendu sur la proposition du gouverneur du Haut-Sénégal-
Niger, Merlaud-Ponty, plaça le Macina sous le régime de l’admi-
nistration directe et mit Aguibou à la retraite en lui accordant une
pension. Les chefs Toucouleurs installés comme chefs de province
par EI-Hadj et ses successeurs furent supprimés par extinction;
à la mort de chacun d’eux, les cantons et les villages qu’ils com-
mandaient furent rendus à leurs chefs autochtones. Aguibou lui-
même, dernier représentant de la dynastie des Tal, s’éteignit en
1908.
Le capitaine Bergeron, dans son travail sur le cercle de Soumpi
(devenu ensuite, nous le savons le cercle de l’Issa-Ber) donne
quelques détails intéressants sur l’état de l’Issa-Ber après notre
conquête de 1893. Le pays était misérable et Aguibou ne deman-
dait même pas l’impôt. Le Farimaké surtout était ruiné pour
longtemps, les cultures abandonnées, les troupeaux décimés, les
villages déserts, la population amoindrie et dispersée. Tel était
l’aspect qui s’offrit à la colonne Joffre quand elle monta en 1894
vers Tombouctou pour venger le massacre de la colonne Bonnier.
Les Touareg avaient reparu à la faveur du désordre, les Maures
pillards se montraient du côté de l’ouest. Bien accueillie à Soumpi,
la colonne Jofïre rencontra une résistance à Niafonké de la part
des Touareg et des Peuls, mais ceux-ci, aux premiers feux de
salve, se débandèrent et, abandonnant leurs palissades, repas-
sèrent précipitamment sur la rive droite du Niger (24 janvier
1894). Jofïre continua sa marche victorieuse et, arrivé à Tom-
bouctou, construisit un fort et battit les Touareg en plusieurs
rencontres décisives. Dès mars 1894, le pays était pacifié et l’Issa-
Ber reconquis définitivement.
Cependant, les Kel Antassar faisaient assassiner Sidi Dio, chef
de l’Aoussa-Katawal (province de l'Issa-Ber), qui avait guidé
jusqu’à Tombouctou la colonne Joffre. Idal Ousman, qui a été
complice du crime, succède à Sidi Dio.
Cependant, les Français occupent Soumpi (19 novembre 1895)
où s’installe le lieutenant Sagols. Le cercle de Soumpi est créé
officiellement le 1er mars 1896.
En 1897, la paix règne complètement dans le cercle. Le retour
des émigrés repeuple lentement les cantons, sauf le Farimaké
dont les habitants sont retenus dans le Macina par la mauvaise
volonté d’Aguibou. L’impôt rentre sans difficulté. Il monte de
23.000 à 35.000 francs.
En 1901, l’impôt atteint 43.000 francs et rentre en grains sans
difficulté. En 1902, il est de 48.000 francs. En 1903, le cercle de
Soumpi passe de l’administration militaire à l’administration
civile (Notice sur le cercle de Soumpi par le capitaine Bergeron
d’octobre 1903).
Un peu plus tard, le cercle de Soumpi devenait le cercle de
l'Issa-Ber par l’adjonction du Guimbala (La grande eau exacte-
ment, rive orientale du Niger au nord du lac Débo) aux territoires
de l’ouest. La capitale du cercle était transférée à Niafonké.
Telle est en définitive l’histoire de l’Issa-Ber et du Macina. Les
documents les plus importants sont par ordre chronologique :
1° Le Tarikh-es-Soudan (XVIIe siècle);
2° Le Tarikh-el-Fettach (XVIIe siècle);
3° La Notice du capitaine Menvielle sur les Etats d’Aguibou
écrite en 1896 sur l’ordre du général de Trentinian ;
4° La notice sur le cercle de Soumpi par le capitaine Bergeron
(octobre 1903);
5° La Monographie de Dienné, par Ch. Monteil (Tulle, 1903)
ouvrage épuisé actuellement et mis à contribution par Delafosse
pour son histoire du Macina dans son Haut-Sénégal-Niger.
6° La Monographie du cercle de Niafonké par l’administrateur
Bocaché (1909);
7° La Monographie du cercle de Dienné par Gilbert (1909);
8° La Monographie du cercle de Bandiagarapar Kersaint-Gilly ;
9° Le Haut-Sénégal-Niger de Maurice Delafosse (3 volumes
Paris,1912) surtout le tome II (Historique du Haut-Sénégal-Niger);
10° Lieutenant Péfontan, Histoire de Tombouctou depuis sa
fondation (Bulletin du Comité d’Etudes Historiques et Scienti-
fiques de l’Afrique Occidentale Française, Paris, 1922);
Et enfin 11° Gaden, La Vie d’El Hadj Omar, Qacida en Poular
par Mohammadou Aliou Tyam. Traduction et notes de Gaden.
Paris. Institut d’Ethnologie, 1935.
LIVRE TROISIÈME

HISTOIRE DES PEULS DU FOUTA-DJALLON

CHAPITRE PREMIER

LES SOURCES ET LES RENSEIGNEMENTS


JUSQU’EN 1880

L’histoire des Peuls du Fouta-Djallon n’a pas été faite d’une


façon sérieuse jusqu’ici. Les synthèses récentes de Guebhard
(1909), André Arcin (1907-1911) et Delafosse (1912) sont insuf-
fisantes pour des raisons diverses, manque de connaissance des
textes anciens, bibliographie insuffisante, grosses erreurs, etc.
Nous nous flattons de donner ici pour la première fois une histoire
détaillée, approfondie et complète des Peuls du Fouta-Djallon.
Les sources sont nombreuses et diverses, anciennes et contem-
noraines. L’on peut consulter en effet sur cette histoire :
1° le père Labat (1728);
2° Golberry (1787);
3° Matthews (1787);
4° Mungo-Park (1797);
5° Mollien (1818);
6° Gray et Dochard (1821);
7° Gordon Laing (1822);
8° René Caillié (1830);
9° Raffenel (1846);
10° Hecquard (1853);
11° Lambert (1861);
12° Noirot (1881);
13° Bayol (1887);
14° Madrolle (1895);
15° Olivier de Sanderval (1893-1899);
16° Maclaud (1900);
17° Machat (1906);
18° Guebbard (1909);
19° André Arcin (1907-1911);
20° Delafosse (1912);
21° Paul Marty (1921).
C’est Gordon Laing (1822) qui a donné la première chronologie
sérieuse du royaume Peuhl du Fouta-Djallon et actuellement,
c’est encore sur celle assise de pierre inentamée que nous pouvons
construire l’histoire du royaume Peuhl au xvIIIe siècle. Après
lui, Hecquard (1853) est une des sources les plus complètes, les
plus sérieuses, les plus approfondies qu’il y ait pour l’histoire du
Fouta-Djallon. Lambert (1861), en revanche, est une source
médiocre et pleine d’erreurs. Il faut consulter Noirot et Bayol,
même Guebhard (1909) qui a recueilli des traditions détaillées de
la bouche des Peuhls, mais dont la chronologie (toute d’imagina-
tion) est déplorable, toujours fausse et toujours en pleine contra-
diction avec les dates certaines que nous avons par le passage des
grands voyageurs du XIXe siècle dans la Fouta. C’est André Arcin
qui dans son Histoire de la Guinée Française (1911) a donné jus-
qu’ici la synthèse la meilleure, la plus détaillée et la plus exacte
de l’histoire des Peuls du Fouta-Djallon. Dans sa Guinée Fran-
çaise (1907) il n’avait donné qu’un embryon confus de cette his-
toire qu’il a reprise, développée et améliorée en 1911.
La synthèse rapide que Delafosse a donnée en 1912 dans son
Haut-Sénégal-Niger (tome Ier) de l’histoire des Peuls du Fouta-
Djallon, en faisant l’histoire générale de cette race, est pleine en
revanche d’erreurs énormes qui la disqualifient complètement.
Evidemment, Delafosse ne connaissait pas bien le Fouta-Djallon
et son histoire. En résumé, trois grandes dates pour l’histoire des
Peuls du Fouta-Diallo :
Gordon Laing (1822;
Hecquard (1853);
André Arcin (1911).
Madrolle (1895) ne vaut guère que par les citations abondantes
qu’il fait des voyageurs venus avant lui.
Maintenant reprenons plus en détail tous ces voyageurs ou his-
toriens, en commençant par le père Labat.
C’est dans le tome V et dernier de sa Nouvelle Relation de
l’Afrique occidentale (1728, en 5 volumes) que le père Labat
(chap. IX, p. 259) découvre les Peuls du Fouta-Djallon après
avoir parlé des Zapas ou Bagas qu’il divise en Zapas vagabonds,
Zapas volumes, Zapas râpés et Zapas foncés (actuellement encore
on divise les Baga en plusieurs groupes). « Le plus à l’est de ces
peuples, dit le Père Labat, sont les Foulis. C’est d’eux de qui (les
Anglais de Sierra Leone) tirent le plus de captifs, de morphil
(ivoire) et même d’or en assez bonne quantité. On ne sait pas
encore si cet or vient de leur pays ou s’ils le tirent de plus loin par
le commerce qu’ils font fort avant dans les terres » (p. 260 et 261).
Évidemment, cet or était tiré par les Peuls soit du Bambouk
seul, soit du Bambouk (au nord) et du Bouré (à l’est), le Fouta-
Djallon lui-même ne produisant pas d’or. D’autre part, le père
Labat écrivait en 1728 et les renseignements sur lesquels il écri-
vait avaient été pris par Bru et autres directeurs du Sénégal de
1677 à 1725. Comme on le voit, dès cette époque, les Foulis ou
Phouls ou Pouls sont dans le Fouta-Djallon. Cela confirme la
chronologie de Gordon Laing que nous verrons tout à l’heure.
Après le père Labat, il faut aller jusqu’à Golberry qui résida en
Afrique Occidentale de 1785 à 1787, mais ne publia ses renseigne-
ments qu’en 1802. Peut-être quelque autre auteur du xvIIIe siècle
a-t-il parlé du Fouta-Djallon entre Labat et Golberry, mais, pour
mon compte, je n’en connais pas. Des recherches minutieuses à ce
sujet seraient du reste indiquées et donneraient peut-être quelque
résultat.
Golberry (je cite le résumé qu’en fait Walkenaer dans son His-
toire générale des Voyages (il s’agit des Voyages Africains, tome V,
p. 416 et suivantes), dit :
« Une autre nation beaucoup plus célèbre est celle des Foulahs ;
elle est répandue depuis le quatrième parallèle nord jusque sur les
bords méridionaux du Sénégal et elle a fondé plusieurs colonies
qui sont devenues des royaumes. Sur les bords septentrionaux de
la rivière de Mesurado, ces nègres sont connus sous le nom de
Foulahs-Sousous ou Susos. On les retrouve encore sous le même
nom dans les montagnes de la chaîne de Sierra Leone, sur les
rives du Sherbroo, du Rio-Sestos aux caps de Monte et de Palmes,
et au nord, c’est une colonie de Foulahs qui a fondé sur les bords
du Sénégal le royaume des nègres qu’on nomme Foules ou Peuls
et qui borde le fleuve sur une étendue de cent trente lieues.
« Mais le corps de cette nation, sous son nom propre de Foulahs,
occupe un grand territoire, vers les sources du Rio-Grande sous le
dixième parallèle nord et entre le cinquième et le douzième méri-
dien oriental de l'Ile de Fer.
« Téembou (Timbo), ville très populeuse, située à quatre-vingts
lieues au nord-est de la baie de Sierra Leone est la métropole de
l’empire de cette grande nation qui a eu une existence importante
et qui domine encore aujourd’hui une grande partie des contrées
occidentales comprises entre le quatrième et le onzième degré de
latitude septentrionale.
« Les Foulahs de la grande nation sont de beaux hommes forts et
braves; ils ont de l’intelligence, ils sont mystérieux et prudents,
ils entendent le commerce, ils voyagent en marchands jusqu’aux
extrémités du golfe de Guinée et ils sont redoutés de leurs voisins.
Leurs femmes sont spirituelles et belles; la couleur de leur peau
est d’un noir rouge; leurs traits sont réguliers et ils ont les che-
veux plus longs et moins laineux que le commun des races nègres;
leur langue est tout à fait différente de celle des nations parmi
lesquelles ils se sont répandus; elle est plus belle et plus sonore.
« Les Foulahs du royaume de Téembou ont conservé en partie
la religion des fétiches et la pratique de toutes sortes de supersti-
tions; ils mêlent le fétichisme à la loi de Mahomet qu’ils ont reçue,
mais qu’ils professent avec un grand mélange de croyances ido-
lâtres et superstitieuses. Ceux des bords du Sherbroo ont con-
servé l’institution du Purrah, association de guerriers qui remonte
à une très haute antiquité et que nous décrirons incessam-
ment. »
Golberry passe ensuite aux Peuls du Fouta-Toron qu’il consi-
dère (à tort) comme une colonie de ceux du Fouta-Djallon. Il y a
bien d’autres erreurs dans son récit; la confusion des Soussou ou
Soso avec les Peuls qui les ont chassés du Fouta-Djallon, l’attri-
bution du Pourrah (société religieuse secrète des Timéné) aux
Peuls. D’une façon générale, Golberry fait de toutes les peuplades
nègres à partir du cap des Palmes (4e degré de latitude nord) des
Peuls alors que ce sont des Kroumen, des Dan ou Dio ou autres
populations de la forêt dense.
De même il attribue aux Peuls toutes les populations de la côte
ouest au sud des Bagas. Bref, il y a dans son récit beaucoup d’er-
reurs qui seront débrouillées par la suite, mais il y a aussi des traits
intéressants à recueillir.
Matihews (voyageur anglais de 1785 à 1787, parti du Sierra
Leone) parle à son tour des Peuls du Fouta-Djallon. Il dit d’eux
(d’après Walkenaer, tome VII, p. 170 et suivantes) :
« Les Foulahs qui habitent au delà des montagnes de la côte
semblent être une espèce intermédiaire entre les Arabes et les
noirs. Ils ont beaucoup de conformité avec les lascars des Indes
Orientales. Ils ont la figure maigre, les cheveux noirs, longs et
droits, le teint jaune et le nez aquilin. Mahométans intrépides, ils
font, dans leurs guerres entreprises pour propager l’Alcoran, un
grand nombre d’esclaves qu’ils vendent à la côte. »
Matthews, à la différence de Golberry, distingue fort bien les
Sousou, Timéné, Bulloms, etc. des Foulahs et il sait que le Pour-
rah, qu’il décrit du reste, ne leur appartient pas. La description
du Peul physique est aussi meilleure et plus exacte que celle de
Golberry.
Mungo-Park a aussi parlé des Peuls.
« Les Foulahs (dit Walkenaer résumant les observations de
Mungo-Park) sont, ainsi que Mungo-Park l’a déjà observé, plutôt
basanés que noirs et ont de petits traits et des cheveux soyeux.
Après les Mandingues, c’est sans contredit la nation la plus consi-
dérable de cette partie de l’Afrique 1. Ils sont, dit-on, originaires
du Fouladou, nom qui signifie le pays des Foulahs 2. Dans le
royaume de Bondou et dans les autres états voisins du pays des
Maures, ils ont le teint plus clair que dans les contrées méridio-
nales. Ces Africains considèrent tous les autres nègres comme leurs
inférieurs et, quand ils parlent des différentes nations, ils se
rangent toujours dans la classe des blancs 3. A l’exception du roi,
tous les grands personnages et la plupart des habitants du Bon-
dou sont musulmans. Ils ne connaissent pas la persécution reli-
gieuse et ils n’ont pas besoin de la connaître; car la secte de Maho-
met s’étend dans leur pays par des moyens efficaces. Ils ont établi,
dans toutes les villes, de petites écoles où beaucoup d’enfants des
païens, comme les enfants des Mahométans, apprennent à lire le
Coran et sont instruits des préceptes du Prophète. Avec la loi
Mahométane s’est introduite la langue arabe dont la plupart des
Foulahs ont une légère connaissance. Leur langue naturelle est
remplie de syllabes mouillées. »
Mungo-Park continue en donnant (pp. 19 et 20) quelques détails
sur la vie économique des Peuls (qu’il appelle du nom mandé,
Foulahs) : le lait, la fabrication du beurre, l’absence de fromage
qu’ils ne connaissent pas, les chevaux, etc.
Mollien (1816-1818) qui a parcouru en partie le Fouta-Djallon
(au nord-ouest) aurait pu nous donner des détails sur l’histoire
des Peuls de ce pays, malheureusement il n’a rien recueilli à ce
sujet. En revanche, ses données sur le Fouta-Toron et les Peuls
1. Il s’agit de l’Afrique occidentale.
2. S’il s’agit du Fouladougou des cercles de Bafoulabé et de Kita, l’opinion
est fausse car ce Fouladougou n’a été peuplé par les Peuls qu’au commen-
cement du XVIIIe siècle. S’il s’agit d’un mot général signifiant (en mandé)
pays des Peuls, évidemment les Peuls sont originaires de leur pays d’origine.
3. Ou des métis de blancs et de nègres.
de ce pays sont précieuses, mais elles ne nous intéressent pas ici.
Notons cependant qu’il sait bien que c’est du Fouta-Toro que
vinrent les Peuls qui occupèrent le Macina et le Khasso et plus
tard le Fouta-Diallon. Au sujet du Fouta-Diallo, il parle d’abord
des Diallonké qu’il caractérise assez mal en les disant rouges (ils
sont chocolat foncé comme les autres Mandé). Puis il parle des
Peuls du Fouta-Djallon, qu’il dit un mélange de Peuls et de Dial-
lonké, opinion où il y a du vrai, car certainement les Peuls du
Fouta-Diallo, venus du Macina, se mélangèrent jusqu’à un certain
point à la population autochtone. Il caractérise d’une façon assez
malheureuse, les mêmes Peuls en les disant laids, laborieux et très
sobres, traits qui sont faux, sauf le dernier. Du reste, il confond
les Peuls ou Foulahs proprement dits avec leurs captifs et gens de
caste (Laobé, Waïlbé, menuisiers, forgerons, etc.) ce qui contri-
bue à ses erreurs sur les caractéristiques des Peuls. Comme nous
l’avons déjà dit plus haut, il n’a rien recueilli sur l’histoire même
de ce pays depuis l’arrivée des Peuls.
Gray et Dochard (1816-1821) furent envoyés par le gouverne-
ment anglais pour continuer et compléter l’oeuvre de Mungo-Park.
On leur doit des renseignements précieux sur les guerres du Kaarta
Bambara avec les Toucouleurs, le Bondou, le Khasso, etc. (ceci
vers 1818). Ce sont eux, les premiers qui nous ont donné en 1821
(leur voyage est de 1816 à 1821) une histoire du Fouta-Djallon,
malheureusement erronée quant à la chronologie que devait éta-
blir peu de temps après Gordon Laing d’une façon exacte. Voici
comment Walkenaer (tome VII, p. 159 et suivantes) résume les
observations de nos deux voyageurs.
« La Fouta-Djallon qui a pour capitale la ville de Timbo
(Téembo) est une vaste contrée située entre le Sierra-Leone 1 et la
rivière de Gambie 2. Tant qu’il resta dans la possession des abori-
gènes, les Djallonkés, elle porta le nom de Djallonk, qui fut gra-
duellement changé en celui de Djallo, auquel on ajouta le mot de
Fouta 3, les deux noms réunis signifiant les Foulahs de Djallo ou
Fouta-Djallo. Les Djallonkés sont maintenant soumis aux Fou-
lahs, qui vinrent faire la conquête du pays sous la conduite d’une
famille du Massina. Au nombre des conquérants, il se trouva un
marabout qui gagna bientôt une si grande influence sur les vain-

1. Au sud.
2. Au nord.
3. Le mot de Fouta est Peul et désigne tout établissement Peul : Fouta-
Toro, Fouta-Diallo, Fouta-Damga, etc. Ce sont les Peuls qui ont appelé le
pays dont il s’agit Fouta-Diallon.
cus qu’il en convertit un grand nombre au Mahométisme et se les
attacha étroitement par des libéralités.
« L’almamy qui régnait à l’époque du voyage du Major Gray
descendait de ces premiers conquérants.
« Karamoko Alpha fut le premier almamy de Timbo et reçut le
surnom de Moudou « grand » en sa qualité de chef des émirs et
défenseur de la religion.
« Son fils Yoro Paddé surnommé Sourie 1 lui succéda dans ses
différentes charges et fut lui-même remplacé par Almamy Saadou
qui, détrôné par Ali Bilmah et Alpha Salihou, tomba bientôt vic-
time de leurs intrigues sanguinaires. Salihou, proclamé roi, signala
son administration par des pillages et des incursions dans les
Etats voisins. Son successeur Abdoullahi ba Demba fît saisir Ali
Bilmah à la suite d’une dispute qu’il avait eue avec lui et l’envoya
chargé de fers, dans le Bondou, croyant le mettre ainsi hors d’état
de nuire, mais Ali Bilmah parvint à communiquer avec ses parti
sans et renversa son ennemi du trône qui échut alors à Abdoul-
ghader. Une guerre s’engagea entre ce dernier et le monarque dé-
possédé qui s’était retiré dans le village de Tougoumba, à quelque
distance au nord-ouest de Timbo, mais, trop inférieur en force à
son adversaire, Ba Demba fut tué avec un de ses fils et Abdoul-
ghader affermit sa puissance par cette importante victoire. Il
régnait encore quand le major Gray visita le pays.
« Les Foulahs,suivant leurs propres rapports, sont en possession
du Fouta-Djallon depuis soixante ans ». Suivent quelques remar-
ques sur le gouvernement, la religion et le commerce.
La dernière affirmation est évidemment fausse, si elle veut dire
que les Peuls ne mirent le pied au Fouta-Djallon que soixante ans
avant la visite de Gray (soit en 1758) car ils arrivèrent en fait au
Fouta-Djallon vers 1694 et déclarèrent la guerre sainte aux Mandé
Soussou ou Diallonké vers 1725. Si elle veut dire qu’ils n’eurent la
possession définitive du pays qu’en 1758, elle est un peu plus
exacte quoique les guerres contre le Souliman et le Ouassoulou se
soient prolongées jusqu’en 1776 environ. En tout cas, Gray et
Dochard ont le grand mérite de nous avoir donné les premiers
une histoire succincte, mais une histoire du Fouta-Djallon.
Gordon Laing (1821-1822) est le premier auteur qui nous ait
1. Ce Yoro Paddé surnommé Sourie, est évidemment Ibrahima Seuri ou
Sori surnommé Maoudo (le grand). Mais Karamokho-Alfa n’était pas son
père, son cousin seulement. Du reste, Karamokho-Alfa, vaincu et devenu
fou, ne fut jamais surnommé le grand, mais seulement son cousin et succes-
seur, Ibrahima Sori, ou le matinal, qui lui succéda et le vengea. Nous rever-
rons, du reste, en détail, toute cette histoire plus loin.
PL. IX.

Timbo : Butte des guerriers.

Timbo : Intérieur du tata et habitation de l’almamy.


PL. X.

Timbo : Dépendances du tata de l’almamy.

Timbo : Une rue.


donné une histoire circonstanciée, et très exacte chronologique-
ment, du Fouta-Djallon. Ce qui est curieux, c’est qu’en réalité, il
n’a pas étudié directement l’histoire des Peuls du Fouta, mais
celle des Diallonka ou Diallonké du Soulimana ou Soliman, pro-
vince importante située au sud du Fouta-Djallon. Actuellement,
le Souliman est partagé entre la Guinée Française et le Sierra-
Leone anglais. La partie nord du Soliman est dans le cercle de
Faranah et forme la province du Soliman. La partie sud (et la
plus vaste) constitue le nord du Sierra-Leone et a pour capitale
Falaba, ville fondée au XVIIIe siècle par nos Diallonké et qui de-
vint alors la capitale de tout le Souliman.
Walkenaer (tome VII, p. 339 et suiv.) résume ainsi les dires
de Gordon Laing : « Le major Laing, aidé d’un marabout du
Fouta-Djallon qui connaissait l’histoire du Soulimana et celle de
sa patrie, a recueilli dans les chants guerriers des djillis (diéli ou
griots, mot mandé) une histoire des guerres de ce peuple à laquelle
il a été à même d’assigner quelques dates certaines.
« Gima-Fondo, qui régnait vers 1690, fut le premier roi des Sou-
limas. Ils conservent tous la mémoire de son nom. Il fit une guerre
continuelle au Kissi et au Limba. Mansong-Dasa, son fils, lui
succéda en 1700. A la même époque, plusieurs milliers de Foulahs
partirent du nord pour aller propager la religion de Mahomet et
convertirent une partie du Djallonkadou 1. Vers 1730, Mansong-
Dansa eut pour successeur son fils Yina-Yalla qui régna vingt ans
et fut l’allié constant des Foulahs dans la paix comme dans la
guerre. En 1750, Yella-Dansa, son fils, monta sur le trône et se
joignit aux Foulahs pour combattre les Sangaras 2. La première
année, on détruisit les villes 3 de Bantou, Setacota, Maradougo,
Sandangkota et Manyerai et l’on s’empara d’un riche butin, de
prisonniers et de bétail.
« L’année suivante, on rasa Saindougo,
ville située à environ
cinq journées de marche de Labi, près du pays de Goubo. Un an
après, ils attaquèrent le Biréko, contrée située à l’est du Sangara 4
et revinrent avec un riche butin.
1. En réalité, il y a eu un certain intervalle entre la venue des Peuls du
Macina au Fouta-Djallon et la guerre sainte déclarée aux autochtones, peut-
être un intervalle de quarante ans (1694-1725).
2. C’est la province du Sankaran peuplée depuis longtemps de Malinké,
dès avant le XIIIe siècle de notre ère.
3. Lisez : villages.
4. Setacota est probablement le village de Sitacoto, situé à l’est du cercle
de Faranah dans le Sankaran occidental. Saindougo est peut-être le Sandou-
gou actuel à l’ouest de Faranah. Quant au Bireko, située à l’est du Sankaran,
c’est peut-être le pays de Beyla.
« En 1754, année de la naissance de Assana-Yira, roi actuel (du
Solimana) la grande et populeuse ville de Farrabana 1, à deux
jours de marche au sud du Bondou résista à un siège de trois mois.
Dans le même temps, Yella-Dansa mourut et eut pour successeur
son fils Tahabaïré. Farrabana fut de nouveau assiégée en vain en
1755. En 1756, les esclaves du Fouta-Djallon se révoltèrent, se
déclarèrent libres et se rendirent en grand nombre dans le Fouta-
Bondou où ils élevèrent la ville de Koundiah et firent respecter
leur indépendance 2.
« En 1760 et 1761, les Soulimas firent différentes irruptions dans
le Kissi, pays où le Djoliba (Niger) prend sa source. En 1762, ils
se réunirent aux Foulahs et pénétrèrent dans le Ouassoula (Was-
sula) d’où ils ne purent sortir qu’après avoir perdu deux batailles,
l’une à Balia, l’autre sur les rives du Daimouko. »
Interrompons un moment Walkenaer pour dire que le Ouas-
soulou, pays Malinké jusqu’au XVIIe siècle, avait été envahi au
commencement du XVIIIe par des Peuls venus du nord et rénové
par cette invasion. Les Peuls du Fouta-Djallon se heurtèrent donc
là à des gens de leur race, belliqueux comme eux et plus redou-
tables que les Malinké usés et abâtardis de cette époque. Rien
d’étonnant donc à ce que les.Peuls du Ouassoulou aient résisté
victorieusement à l’invasion conjointe des Peuls du Fouta et des
Diallonké du Soulimana leurs voisins du sud. Du reste, cette
alliance des Soulimana (qui sont des Diallonké) et des Peuls, qui
avaient mis le joug sur les Diallonké du Fouta, était contre nature
et ne résista pas à la défaite éprouvée, comme nous allons le
voir.
« Quelques jours après cette défaite, dit en effet Walckenaer, les
Foulahs firent trancher la tête à tous les chefs soulimas qui se
trouvaient dans le pays 3. En 1764, ces derniers tuèrent à leur
tour tous les Foulahs qui étaient dans le Soulimana, portèrent la
guerre dans le Fouta-Djallon, brûlèrent Sacca et, s’avançant tou-
jours à l’est, furent vaincus près de Saholia. L’année suivante
(1765) leur chef Tahabaïré entra de nouveau en campagne et
revint en triomphe, chargé d’un riche butin et traînant à sa suite
treize cents prisonniers.
1. Ou Farabana, toujours existante à l’ouest du cercle de Faranah.
2. Il est probable que ces esclaves du Foutah étaient les autochtones Dial-
lonkés restés dans le pays et mis sous le joug par les Peuls, devenus serfs de
la terre (Rimaïbé), etc. Ils se révoltent et se réfugient au Bondou, pays Peul
cependant à cette époque.
3. Il y avait peut-être eu, dans le Ouassoulou, une trahison des Soulimana
contre les Peuls, leurs alliés.
« En 1766, Moundia, Foulaba, Toumania, Harnaïa et Bokaria
tombèrent entre les mains du vainqueur.
« En 1767, il s’avança au delà de Timbo et attaqua Fougoumba
(ou Foukoumba) ville où l’on couronne les almamy du Fouta,
mais il fut battu. Dans sa retraite, il fit une invasion dans le
Limba, brûla la ville de Bambouk 1 et revint avec 3.500 prison-
niers qui furent vendus au comptoir du Bio-Pongo. C’est en 1768
que fut bâtie Falaba, capitale actuelle.
« Jusqu’en 1776, les Soulimas et les Foulahs se firent une guerre
continuelle, mais, en 1778, les deux chefs Tabahiré et Konta-
Brimah, ayant succombé dans une action sanglante où les Fou-
lahs obtinrent un succès complet, les Soulimas avouèrent leur
infériorité et n’ont plus tenté depuis de se mesurer en plaine avec
leurs ennemis ». Ici, interrompons un moment Walckenaer pour
dire que Konta-Brimah ou mieux Kondé-Birama était le chef,
non des Diallonkés du Soliman, mais le chef des Ouassoulonkés,
leurs alliés et, ce qui faisait la force de cette coalition contre les
Peuls du Fouta-Djallon, c’étaient non pas les Diallonkés du Souli-
man, mais les Peuls du Ouassoulou qui venaient de s’établir dans
cette région. Quand Kondé-Birama, le redoutable adversaire des
Peuls musulmanisés du Fouta-Djallon, eut été vaincu et tué avec
Tabahiré,son allié, la coalition se trouva dissoute et les Peuls du
Fouta-Djallon définitivement vainqueurs.
« Dinka, frère puîné de Tahabaïré, continue Walkenaer, fut
proclamé roi à sa place. Ce chef porta la guerre dans le Kouranko 2
et détruisit Kellima et Soubaya. L’année suivante, on se dirigea
sur le Limba 3 et on en revint avec un grand nombre de prison-
niers après avoir incendié Dangkang. Vers 1795, Alfa-Salou 4, roi
des Foulahs, assiégea en vain Falaba. Dinka mourut en 1800; le
pouvoir échut à Assana-Yira, fils de Tahabiré. Ce prince com-
mença son règne par une expédition contre le Limba. Les habi-
tants de Kori et de Mori furent vendus comme esclaves aux mar-
chands mandingues. En 1805, Ba-Demba, roi du Fouta-Djallon,
porta la guerre dans le Soulimana et fut enfin repoussé par la
bravoure du roi et de son frère Yarradi. Depuis cette époque, les
Soulimas et les Foulahs ont vécu en bonne intelligence jusqu’en
1. Peut-être le Bambaïa actuel à l’ouest extrême du cercle de Faranah.
Il s’agit peut-être aussi d’une incursion dans le Bambouck, bien au nord
du Fouta-Djallon.
2. Province située à l’ouest du Sankaran et peuplée de Malinkés fétichistes.
Le Kouranko avait 24.000 habitants en 1907.
3. Autre province à l’ouest du Soulima et du Kouranko.
4. Ou mieux Alfa-Salihou.
1820, époque où ces derniers attaquèrent en vain Sangouia 1.
« En 1822, Yarradi fut fait prisonnier dans une expédition contre
la ville 2 de Boto située dans le Limba et ne dut la vie qu’à la géné-
rosité de ses ennemis.
« Telles sont à peu près toutes les guerres remarquables de cette
nation belliqueuse. Leurs autres entreprises guerrières, qui ont
pour but le pillage et les esclaves, présentent presque toutes les
mêmes circonstances et amènent rarement de grands change-
ments dans la forme du gouvernement ou dans l’étendue du ter-
ritoire des peuples rivaux ».
Telle est cette remarquable histoire où Gordon Làing, voulant
nous parler du petit royaume Diallonkéméridional du Soulimana,
nous donne en réalité les indications les plus précieuses sur l’his-
toire et la chronologie du Fouta-Djallon au XVIIIe siècle. On voit
les Peuls du Fouta-Djallon devenus maîtres de ce pays, se liguer
d’abord avec le Soliman contre le Sankaran et le Ouassoulou(1762).
A la suite d’une défaite où les Diallonké du Souliman trahirent
sans doute les Peuls, la guerre éclate entre les deux peuples et les
Soulimans s’allient à leurs adversaires d’hier, les Ouassoulonké.
Avec leur aide, ils tâchent de détruire le Fouta-Djallon par des
expéditions annuelles et, en 1767, ils pénètrent jusqu’à Fou-
koumba, ville sainte des Peuls. Mais en 1778 (ou plutôt en 1776,
comme nous le verrons plus loin) ils sont définitivement écrasés
avec le Ouassoulou dans une bataille décisive, et cette fois, lais-
sent les Peuls tranquilles. Vingt ans après (1797) c’étaient les
Peuls qui devaient reprendre l’offensive contre Falaba, capitale
du Soliman.
En résumé, Gordon Laing a été le premier historien et chrono-
logiste sérieux du Fouta-Djallon. Et c’est, avec ces données, que
l’on peut encore le mieux établir l’histoire du Fouta-Djallon au
XVIIIe et au commencement du XIXe siècle.
Ajoutons quelques détails supplémentaires, très importants,
tirés du texte même de Gordon Laing.
Dans la traduction de ce voyageur par Eyrès et Larenaudière
(1826) nous lisons, page 257, que Abdoul-Ghader almamy du
Fouta-Djallon, attaqua inutilement Sangouïa (ou Songoya-Ton-
koro) en 1820 avec une armée de 10.000 Peuls. Il perdit dans ce
siège une bonne partie des siens.
Page 335, il est dit que le roi du Solimana est lui-même musul-
1. Il s’agit évidemment du gros village de Soungouya-Tounkouro situé
à l’ouest du cercle de Farana sur la frontière franco-anglaise.
2. Lisez village.
manisé, mais que ses sujets sont restés fétichistes. Le fils même du
roi Yarradi est fétichiste. Page 376, nous lisons que c’était
Mahammadou Saïdi qui commandait les Peuls quand ils s’éta-
blirent dans le Fouta-Djallon en 1700. Moussah-Ba succéda à
Mahammadou Saïdi. Celui-ci convertit les Dialonké du Fouta à
l’Islam pacifiquement? Alifa-Ba (ou Alfa-Ba) succède dans le
Fouta-Djallon à Moussah-Ba (cet Alifa-Ba est sans doute Kara-
mokho-Alfa). En 1751, l’almamy Souri (sans doute Ibrahim Sori)
succède à Alifa-Ba. Tahabaïré monte presque en même temps sur
le trône de Soulimana (en 1754). En 1762, Peuls et Dialonkés
alliés envahissent le Ouassoulou.Ils sont d’abord vainqueurs, puis
vaincus par Konta-Biraïma chef des Ouassoulonké. En 1763, les
Dialonké lâchent les Peuls. Ceux-ci massacrent, par représailles,
les chefs Dialonké du Fouta-Djallon. Les Soliman, pour se venger,
s’allient aux Ouassoulonké et, avec ceux-ci, brûlent Timbo, la
capitale du Fouta-Djallon (pas la capitale en réalité alors, mais
cependant une ville importante). En 1764, les Soliman massacrent
les Peuls qui étaient dans le Soliman. Ils incendient Sacca, mais
sont battus à Saholia.
En 1765, Tahabaïré fait 1.300 prisonniers Peuls.
En 1767, les Soliman s’avancent jusqu’à Foukoumba, mais sont
battus complètement.
En 1768, ils fondent Falaba.
De 1768 à 1776, la guerre continue entre Peuls d’une part, Sou-
liman et Ouassoulonké d’autre part.
En 1776, grande bataille à Hériko entre les Peuls d’une part,
Soliman et Ouassoulonké d’autre part. Tahabaïré, roi du Soli-
man, et Kounta-Biraïma, roi du Ouassouiou sont tués et les Peuls
remportent une victoire définitive.
(Comme on le voit, c’est en 1776 qu’eut lieu cette bataille déci-
sive que Walkenaer dans son résumé de Gordon Laing place à
tort en 1778.)
En 1797, Falaba, capitale du royaume Dialonké du Soliman,
est attaqué par l’almamy du Fouta-Djallon, Alifa Salou (ou
mieux Alifa ou Alpha ou Alfa Salihou). Les Peuls sont repoussés.
Dinka, roi du Solimana, fut celui qui repoussa cette invasion. Il
régna de 1776 à 1800 et Assana-Yira lui succéda.
(Là encore, il y a une erreur de Walkenaer dans son résumé. Il
place l'ataque de Falaba par Alpha Salihou en 1795 et non en
1797.)
En 1805, Ba-Demba, almamy du Fouta, qui venait de prendre
le pouvoir, vient assiéger Falaba avec 10.000 hommes. Le siège
dura vingt jours. Les Peuls perdirent 2.000 hommes et les Dia-
lonké autant, mais Ba-Demba dut lever le siège (p. 388 et 389).
Enfin, en 1820, il y a la tentative encore malheureuse de l’al-
mamy Abdoul-Ghader, avec ses 10.000 hommes, sur Soungouva
Tounkoro. Il est repoussé.
Tels sont les détails donnés par Gordon Laing qui quitta Falaba
le 17 septembre 1822 et arriva à Sierra-Leone en octobre.
En résumé, on peut, sur les indications de Gordon Laing, résu
mer ainsi la chronologie des Peuls du Fouta-Djallon au XVIIIe siè-
cle et au commencement du XIXe :
Mohammadou Saïdi vers 1700
Mousa-Ba ou Mousah le Grand vers 1715
.
Alifa Ba ou Alpha Ba ou Alpha Karamokho 1. de 1726 à 1751
. .
Ibrahim Sori (ou Souri ou Seuri) de 1751 à 1784
Invasion du Ouassoulou par les Peuls et les Dial-
lonké 1762
Peuls et Diallonké sont battus 1763
Ouassoulonké et Diallonké réconciliés envahissent
le Fouta 1764 à 1775
Victoire décisive des Peuls à Hériko 1776
Saadou devient almamy 1784
Alpha Salihou lui succède. Il attaque en vain Fa-
laba 1797
Ba-Demba devient almamy 1805
Il attaque en vain Falaba 1805
Abdoul-Ghader almamy du Fouta-Djallon
Il attaque en vain Falaba .... 1813-1825
1820
(Nous reviendrons plus loin sur cette chronologie pour la complé-
ter ou la modifier.)
Après Gordon Laing, cette grande et décisive date de l’histoire
du Fouta-Djallon, il faut en venir au voyageur français René
Caillé (1827-1828). Né en 1800, il avait la passion des voyages et il
part pour le Sénégal en 1816. Il y revient en 1824 et va d’abord
chez les Maures, puis part pour Freetown et Kakondy. Il voit les
Landoumans, les Nalous, alors tributaires des Peuls, puis les
Baga. Il part de Kakondy le 19 avril 1827 et arrive chez les Peuls
de l’Irnanko. Il apprend la mort de l’almamy Abdoul-Gadri (ou
Abdoul-Ghaderou Abd-el-Kader) et les luttes de ses successeurs 2.
Il passe par Foukouba (Foukoumba) et Digui. Il évite Timbo et
l’almamy. Au chapitre VIII, il parle de la déposition de Yayaye
1. Karamokho veut dire en peuhl : maître d’école, lettré savant. On
appelle généralement cet almamy Karamokho Alfa.
2. P. 285, 286. Journal d'un voyage à Tombouctou et à Jenné dans l'Afrique
Centrale, par René Caillié, 1830.
comme almamy du Fouta. Boubakar le remplace. Un peu plus
loin (p. 328 à 332) René Caillié fait le portrait physique et moral
des Peuls ou Foulahs, puis il parle de leurs cultures, de leur com-
merce, de leur armement, de leur habillement, de leur ameuble-
ment, enfin des femmes Peuhles, puis passe au Kouranko et au
Sankaran (pays Malinkés) divisés alors en petits cantons indépen-
dants. Enfin, il sort du pays Peul et arrive à Kouroussa (canton
d’Amana) où il rejoint le Niger.
Au fond, René Caillié donne peu de renseignements sur l’his-
toire du Fouta-Djallon. Nous savons seulement par lui qu’au
milieu de l’année 1827, Abd-el-Kader, le dernier almamy, était
mort et que ses successeurs se disputaient le pouvoir. Yayaye,
battu, est déposé (1827) et Boubakar le remplace.
Quant à Anne Raffenel qui voyagea dans l’Afrique occidentale,
d’abord en 1843-1844 (son volume est de 1846) puis de nouveau,
surtout dans le Kaarta en 1846-1848 (le volume est de 1856), il
n’a pas voyagé dans le Fouta-Djallon et en dit peu de chose. Dans
son premier volume, il en parle un peu (p. 301-302) et dans le
second (tome II) il parle seulement des légendes concernant l’ori-
gine des Pouls (comme il dit) et des Laobé (p. 309 à 315). Bref, fl
ne nous apporte rien sur l’histoire du Fouta-Djallon.
Il faut donc en venir au voyageur français Hecquard (1851) qui
visita le Fouta-Djallon. On sait qu’il alla d’abord au Gabon où
nous venions de nous installer (sur un point de la côte), puis à la
Côte d’Ivoire (établissement français à Assinie en 1843) dans le
but de remonter vers le nord et d’atteindre Ségou sur le Niger.
Mais ne pouvant passer par la Côte d’Ivoire par suite de l’hostilité
des Agni, il s’embarqua pour la Gambie (mai 1850) et gagna ainsi
le petit royaume de Diagara (Mandingues Sonninquais, ce qui
veut probablement dire Mandingues fétichistes). Il note que
Mamali Sonko a été attaqué par les Peuls du Fouta-Djallon en
1848. Il arrive enfin au Fouta où la guerre civile venait de s’em-
braser. Ibrahim ou Ibrahima (il s’agit d’Ibrahima Sori II dit de
Dura, capitale des Alphayas) s’était levé contre l’almamy régnant
Omar ou Oumarou (l’almamy Soria) et Hecquard rencontra la
colonne du prétendant. Il fut reçu par celui-ci et assista au cou-
ronnement d’Ibrahima à Foukoumba le 19 janvier 1851. Mais le
24 janvier, sous Timbo, l’almamy Omar écrase Ibrahima et le
met en fuite (événements que nous reverrons plus loin avec plus
de détails). Le 5 février 1851, Omar arrive vainqueur à Fou-
koumba et prend à son tour Hecquard sous sa protection. Il
l’emmène à Timbo, capitale ruinée alors par la guerre civile, puis
à Sokotoro et lui permet de visiter les sources du Bafing, rivière
principale du Sénégal (2 avril 1851). Ensuite, il l’envoie auprès
d’Ibrahima à Dara, capitale particulière des Alphayas, pour
obtenir la soumission définitive de son rival malheureux. Les
Alphayas en avaient assez de la guerre et la soumission d’Ibra-
hima (Oumar fut du reste très amical et très courtois envers le
vaincu) eut lieu le 6 juin 1851. Plus tard, en 1859,1e danger des
Houbbous devait réconcilier les deux anciens adversaires et
Omar reconnut alors Ibrahima Sori Dara comme son collègue
dans le gouvernement du Fouta-Djallon. Pour le moment, Omar
eut le tort de favoriser le mouvement religieux, puritain, démo-
cratique, de ces Houbbous qui devaient lui causer plus tard de si
graves ennuis (mais tout cela n’eut lieu qu’après le départ de
Hecquard).
Au chapitre VIII 1, Hecquard donne l’histoire détaillée de
l’almamy Omar (ou Oumarou) depuis sa naissance qu’il place vers
1815. Il raconte sa jeunesse et son séjour chez Boubakar Saada,
l’almamy du Bondou qui fut un maître en science politique pour
le jeune homme. Omar revient ensuite au Fouta (vers 1836).
Généreux, il dépense ses biens patrimoniaux avec la jeunesse
noble du pays qu’il s’attache et un jour, par malheur, il tue le fils
de l’almamy Bou-Bakar, qui avait insulté une de ses femmes.
Bou-Bakar réclame réparation, mais Omar lève l’étendard de la
révolte et livre à son adversaire une bataille terrible sous les murs
de Timbo. Au moment où il va être vainqueur, la mère d’Omar
intervient et obtient de l’almamy Bou-Bakar que tout soit par-
donné à son fils et qu’il soit reconnu comme le successeur légitime
au détriment d’Ibrahim ou Ibrahima Sori (le matinal), deuxième
du nom, fils de Bou-Bakar. Le vieil almamy Bou-Bakar accepte
ces conditions et meurt quelques mois après en 1837.
Averti de cette mort qu’on voulait lui cacher, par ses espions,
Omar se rend rapidement à Timbo et prend le pouvoir après avoir
fait le salam lui-même sur le cercueil du vieil almamy. Il convoque
du reste Ibrahima Sori Dara et, devant les anciens, s’engage à lui
céder le pouvoir dans trois ans, à condition qu’Ibrahima Sori,
après avoir régné lui-même pendant deux ans, lui rétrocède le
pouvoir, et ceci ad infinitum. Donc, en 1840, Omar, fidèle à sa pro-
messe, cède le pouvoir à Ibrahima Sori qui, circonvenu par les Al-
phayas ses partisans, tente tout de suite un coup de force contre
Omar qui se rendait à Socotoro. Mais le coup de force échoue et
1. Voyage sur la côte et dans l'intérieur de l'Afrique occidentale, par Hya-
cinthe Hecquard, 1 volume, 1855.
Omar qui peut regagner sa forteresse de Tsaïn, battit ensuite com-
plètement son adversaire, si bien qu’en 1841, il était de nouveau
le maître de Timbo.
Il ne faudrait pas croire du reste que cette victoire ait été écra-
sante et définitive puisque dix ans après, au commencement de
1851, quand Hecquard arrive dans le Fouta, la guerre est de nou-
veau allumée entre Omar le Soria et Ibrahima Sori II l’alphaya.
En effet, quand Hecquard arrive à M'Béri (p. 248) il apprend que
le prétendant Ibrahim est en marche pour venir attaquer l’al-
mamy régnant. Puis il arrive à Broultapé où le bruit se confirme.
Le cousin d’Ibrahim l’Alphaya arrive lui-même à Broultapé et en
fait partir notre vayageur (chap. VII, p. 254 et 255). Celui-ci suit
de force l’armée du prétendant et est même reçu par celui-ci à
Foukoumba (p. 259 à 260). Dans cette ville, les partisans d’Omar
avaient déserté à l’approche de l’armée d’Ibrahim pour rejoindre
leur chef. Le 19 janvier, Ibrahima se fit couronner solennellement
à Foukoumba comme almamy du Fouta-Djallon. On appela à
parler les contradicteurs, mais naturellement, ils ne se présen-
tèrent pas (ils avaient rejoint Omar à Timbo) (p. 263). Le diman-
che 20 janvier 1851, l’armée se mit en marche. Ibrahima était
rayonnant et assuré de la victoire. Malheureusement, il commit
la faute de s’arrêter à Bouria pour y attendre de nouveaux ren-
forts au lieu de marcher directement sur Timbo où l’almamy Omar
n’avait presque personne autour de lui. « Cependant, celui-ci, dit
Hecquard, p. 265, profitant des lenteurs de son adversaire avait
envoyé de tous côtés des cadeaux aux chefs encore incertains sur
le parti qu’ils devaient suivre ou qui voulaient rester neutres. II
avait appelé à lui tous ses partisans et réuni ainsi une armée moins
nombreuse, mais mieux aguerrie et plus dévouée que celle
d’Ibrahim. Le 24 janvier, il sortit de Timbo et marcha à la ren-
contre de son adversaire qu’il joignit dans la plaine qui s’étend
sous cette ville.
« L’affaire s’engagea à dix heures du matin, mais les hommes
d’Ibrahim et ceux de ses frères combattirent seuls. La tourbe
qu’il traînait avec lui n’était là que pour profiter de la victoire, et
peu confiante d’ailleurs dans le succès de ses armes, ne voulut pas
combattre et resta spectatrice de la lutte, afin d’obtenir plus faci-
lement son pardon de l’almamy Omar. Dès ce moment, l’issue de
la journée ne pouvait être douteuse.
« Après une vive fusillade de part et
d’autre, l’armée du préten-
dant commença par se débander et finit par prendre la fuite. Alors
Ibrahim descendit de cheval et, entouré de quelques hommes seu-
lement, il soutint bravement le choc afin de couvrir la retraite de
ses frères. Dédaignant les conseils de ses courtisans, il ne voulait
pas quitter le champ de bataille et il cherchait à se faire tuer plu-
tôt que de subir une seconde défaite. Mais l’almamy Omar, qui
l’avait reconnu dans le groupe des derniers combattants, envoya
leur oncle près de lui pour le prier de se retirer, ne voulant pas,
dit-il, qu’il pérît de la main d’un Peuhl et lui promettant d’empê-
cher qu’on ne le poursuivit.
« Ibrahim céda enfin aux instances de son oncle, vieillard véné-
rable. De son côté l’almamy Omar ordonna aussitôt la retraite, fit
cesser le feu et défendit d’inquiéter les fuyards, puis il rendit la
liberté à trente personnes qu’on venait de lui amener et dont ses
partisans demandaient la mort à grands cris 1.
« Pendant toute la journée, les débris de l’armée d’Ibrahim tra-
versèrent Foucoumba pour retourner dans leurs foyers... »
Le 5 février, l’almamy Omar entra à Foukoumba et prit sous sa
protection Hecquard. Nous verrons plus loin, en citant les extraits
de Hecquard que donne Madrolle, que Omar envoya Hecquard à
Dara, capitale des Alphaïas pour obtenir d’une façon définitive la
soumission de son cousin battu. Cette soumission, obtenue le
6 juin 1851, mit fin à la guerre civile du Fouta-Djallon dans la-
quelle Hecquard était malencontreusement tombé.
Après ces événements contemporains, dont quelques-uns seront
rapportés plus en détail un peu plus loin, Hecquard passe à l’histoire
ancienne du Fouta-Djallon (chap. VIII, p. 307). « Les Sidrian-
qués 2 dit-il, sont venus dans le Diallonqué, sous la conduite d’une
famille du Massina. Après des mariages et des progrès religieux, ils
commencèrent la guerre sainte contre les Diallonkés qui furent
refoulés au Tenda ou à la mer 3. Le conseil des marabouts de Fou-
koumba gouverna d’abord et se rendit tyrannique. Ibrahima
Seuris, célèbre par ses nombreuses victoires, songe à le renverser.
Le conseil le cite à sa barre. Ibrahima Seuris marche sur Fou-

1. Cet Almamy Omar était un personnage remarquable, bien supérieur


aux autres Peuls, et dont Hecquard fait le plus grand éloge. Fort de corps,
adroit à tous les exercices, vaillant, héroïque, il était également clément et
toujours politique. Ce fut certainement le plus grand almamy du Fouta-
Djallon avec Ibrahima Sori Maoudo (le grand), mais aussi vaillant, il était
moins cruel. Il n’aurait pas fait tuer, comme Ibrahima Sori, les marabouts
de Foukoumba.
2. Ou mieux Sidianké.
3. Ceci est un résumé emprunté à Madrolle de ce que dit Hecquard, p. 314.
Remarquons que pour les origines Peuhles lointaines, Hecquard, reprodui-
sant ce que les Peuls lui dirent, en fait des blancs venus de l’est, qui se mélan-
gèrent aux nègres et finirent par arriver dans l’Ouest africain (p. 314).
koumba, fait décapiter ses ennemis et se fait décerner le pouvoir
souverain sous le nom d’almamy (El. Iman).
« Il laissa subsister l’ancien conseil qu’il peupla de ses partisans
(dit Hecquard, p. 316) en augmentant le nombre de ses membres
et le transféra à Timbo 1. De cette époque date la prospérité du
Fouta-Dialon. Ibrahim porta la guerre à l’extérieur, soumit à son
empire les districts du Labé, du Koïn et du Kolladé, auxquels il
•imposa sa religion.
« Son fils, Kramaka-Alpha lui succéda et, imitant la politique de
son père, il fit de nouvelles conquêtes 2 mais, à sa mort, la division
naquit dans le royaume. Ce prince laissait deux fils également
ambitieux et qui, tous deux, aspiraient au trône. L’aîné appelé
Yoro-Paddé, surnommé Seuris, s’empara le premier du pouvoir,
mais, ayant fait une absence pour aller combattre les infidèles, il
fut supplanté par Ali-Alpha. Or, ces deux compétiteurs donnèrent
leurs noms respectifs aux deux partis qui divisent encore le Fouta-
Djallon, les Souria et les Alphaïas. Ali-Alpha succéda à l’almamy
Sada qui fut détrôné par l’almamy Yaya, lequel resta peu de
temps sur le trône et eut Ali-Bilmah pour successeur. Cinq ans
après, Salihou montait sur le trône et signalait son règne par l’ad-
jonction à son royaume des provinces du Tangué et du Sarréia.
Après ce chef vint Badimba qui conquit le Koli et qui, à la suite de
plusieurs batailles contre l’almamy Abd-el-Kader son compéti-
teur, succombait, ainsi que son fils aîné, dans un dernier combat
livré dans les plaines de Quétiguia. Abd-el-Kader, père de l’al-
mamy Omar, après avoir réuni le Niocolo à son royaume et rendu
tributaire une partie du Cabou 3 fut détrôné à son tour par l’al-
mamy Boubakar, père d’Ibrahima Seuris 4 et nous avons vu plus
haut comment sa couronne était échue en partage à l’almamy
Omar, souverain actuel du pays » (p. 316, 317).
Ces renseignements d’Hecquard ne sont pas de tous points

1. En réalité Ibrahima Sori le Grand ne créa pas Timbo comme on l'a dit
à tort, mais en fît la capitale du Fouta-Djallon qui, avant cette époque, était
Foukoumba. Cependant, Timbo était déjà une ville importante du Fouta.
C’est vers 1780 (probablement) qu’elle devint capitale.
2. Dans ce Kramaka-Alpha, il nous faut reconnaître le nom défiguré de
Karamokho-Alfa, cousin d’Ibrahima Sori (et non son fils) et qui avait régné
avant lui en réalité. Karamokho-Alpha mourut, nous le savons, en 1751 et la
guerre fit rage contre Ouassoulonké et Dialonké du Soliman de 1751 à 1776,
époque de la victoire définitive d’Ibrahima Sori sur les troupes coalisées.
Comme on le voit, Hecquard ignore complètement Gordon Laing et mul-
tiplie ainsi les erreurs sur la vieille histoire du Fouta-Djallon qu’il ne connaît
que fort imparfaitement.
3. Ou Gabou, vers la Gambie.
4. C’est-à-dire d’Ibrahima Seuris II dit Dara, le rival malheureux d’Omar.
exacts, nous le savons. Il met Karamokho Alfa (en réalité cousin
et prédécesseur d’Ibrahima Sori) après celui-ci. Puis il parle d’un
Yoro Paddé surnommé Seuris qui est probablement un doublet
d’Ibrahima Sori le Grand, puis il parle d’un Ali Alpha qui est
peut-être lui aussi un doublet (mais cette fois de Karamokho Al-
pha). Enfin, il en vient à Sada où nous retrouvons le Saadou de
Gordon Laing, vrai successeur probablement d’Ibrahima Sori le
Grand, puis vient Yaya qui le détrône et reste peu de temps al-
mamy. Ensuite, Ali Bilmah, puis cinq ans après Salihou. Or, nous
savons par Gordon Laing que Alfa Salihou attaqua le Soliman en
1797. Si nous plaçons la mort d’Ibrahima Sori vers 1784, nous
avons donc à peu près, en ne tenant compte que de ce qui est bon
dans ces renseignements et en les ajoutant à ceux tirés de Gordon
Laing :
Ibrahima Sori le Grand 1751-1784
Saada 1784-1792
Yaya 1792
Ali Bilmah 1792-1797
Alfa Salihou 1797-1804
Abdoullahi-Ba-Demba (ou Badimba) 1805-1813
Abd-el-Kader (ou Abdoul Ghader) 1813-1825
Yayaye 1825-1827
Boubakar 1827-1837
Omar à partir de 1837

Une autre erreur de Hecquard, c’est de prétendre que Abd-el-


Kader fut détrôné par Boubakar. D’après les renseignements, en
effet, de René Gaillié qui passa lui-même dans le pays en 1827,
Abdoul-Gadiri était mort depuis un certain temps à cette époque
et ses successeurs se disputaient le pouvoir. Ainsi il faut mettre
Yayaye entre Abd-el-Kader (ou Abdoul Gadiri) et Boubakar.
Pour en finir avec Hecquard, disons que ce voyageur quitta le
Fouta-Djallon pour revenir à Saint-Louis du Sénégal le 24 juin
1851 et passa par la plaine où Abd-el-Kader avait vaincu et tué
Ba-Demba. Il parle ensuite (p. 359) de la révolte des Landoumans
contre les Peuls en 1841. Ils égorgèrent alors les Peuls qui étaient
dans leur pays 1. Il note aussi une opinion peuhle curieuse sur les
blancs. « Ceux-ci sont les maîtres de tout, parce qu’ils ont le
bonheur de posséder le nom de la mère de Moïse! » Il note plus loin
(p. 373) que le Niokolo, peuplé de Malinkés, était, à cette époque,
1. En 1841, c’est la lutte entre Omar et Ibrahima Sori Dara pour la pos-
session du pouvoir. Ibrahima rate son coup de traître contre Omar et est
battu. Les Landoumans ont pu profiter de cette guerre civile.
tributaire du Fouta-Djallon. Après avoir passé par le Tenda, Le
Gamon (ou Kaman) et le Bondou, Hecquard rentre en France le
28 décembre 1851.
Passons maintenant à Lambert qui visita le Fouta-Djallon en
1861.
« Il n’y a pas plus d’un siècle 1 dit Lambert, que les Foulahs
vivaient à l’état de tribus sous de simples chefs héréditaires dans
le pays des Djallonkés. Ils y étaient venus d’un lieu fort éloigné
du côté du soleil levant (la terre de Faz suivant les uns, de Sam
suivant les autres). Quelques-unes de ces tribus, réunies sous un
chef du nom de Séri, s’étaient établies sur le territoire de Fou-
coumba, quelques autres autour de Timbo. Séri permit à son frère
Séidi 2 de prendre le titre d’alpha ou chef suprême, à condition que
les alphas seraient toujours élus par les habitants de Foucoumba
privilège qu’ils ont gardé jusqu’à ce jour. Séri mourut sans enfants
et Séidi transmit à son fils Kikala son titre et sa puissance. Le
titre d’alpha fut ensuite porté successivement par les deux fils de
ce dernier, Malic et Nouhou qui ne se départirent pas à l’égard des
Djalonkés idolâtres des procédés de douceur et de persuasion em-
ployés par leurs ancêtres. Le fils de Malic, Ibrahima, fut le pre-
mier à ériger en système la conquête et la conversion à main
armée. Cet Ibrahima, élevé par un marabout, son parent,avait,dit-
on, un tel respect pour son précepteur qui, entre autres choses,
lui avait appris l’arabe, que lorsqu’il pleuvait (ce qui arrive dans
ce pays six mois de l’année sur douze), il montait pieusement sur
la case du saint homme et la couvrait de ses vêtements, pour que
la pluie ne pénétrât pas jusque dans l’intérieur. Aussi, disent les
Foulahs, Dieu récompensa Ibrahima de cette piété vraiment
filiale en bénissant toutes ses entreprises.
« Le nombre des Foulahs, ses sujets et des musulmans qui lui
étaient soumis s’étant accru peu à peu, il prit le titre d’almamy3 et
commença la conquête de toute la contrée qui porte aujourd’hui
le nom du Fouta-Djallon. Cette conquête fut, du reste, l’oeuvre de
toute sa vie ; il eut à repousser aussi les attaques des peuples païens
qui vinrent d’au delà du Niger au secours des Djalonkés. Il vain-
1. Erreur de Lambert, car il aurait dû écrire : il y a un siècle et demi envi-
ron. La terre de Sam, c’est la Syrie, la terre de Faz, c’est peut-être Fez, mais
alors ce n’est plus le soleil levant. Dans tout cela, nous retrouvons des erreurs
et des prétentions maraboutiques de Peuls convertis à l’Islam. L’indication
du soleil levant est sans doute ici la plus ancienne et la seule sérieuse, les
Peuls venant d’Éthiopie.
2. Sans doute, le Mohammadou Saïdi de Gordon Laing (1700).
3. Emir-el-Mouménin. : Commandeur des croyants, en arabe. Almamay
est une déformation peuhle et nègre de ce mot.
quit, dit-on, dans plus de cent rencontres et ne tua pas moins de
174 rois ou chefs de tribus. On prétend même qu’en une seule fois,
il en mit à mort 34 sur 35 qu’il avait en face de lui et encore n'épar-
gna-t-il le dernier champion que parce que celui-ci était une
femme, une véritable amazone n’ayant conservé qu’un sein, ni
plus ni moins que les héroïnes qui combattirent sur les bords du
Thermodon 1.
« Vainqueur des idolâtres de l’Est, Ibrahima se tourna vers le
Nord, força Maka, roi des Bondous, à embrasser l’Islamisme et à
prendre le titre d’almamy; puis il passa la Falémé et le Sénégal et
porta ses armées victorieuses jusqu’à Kouniakari au coeur du
Kaarta 2, à cent soixante lieues de Timbo. La rapidité de cette
expédition et de ses succès lui valut le surnom de Sori (le matinal)
que la tradition lui a conservé. »
Il y a, dans ces notes de Lambert, des choses très intéressantes
et aussi des confusions. Ce qui est intéressant, c’est la notion de
Séri, frère aîné de Mohammadou Saïdi ou Seidi. Ce Séri peut être
placé vers 1694. C’est aussi la mention de Kikala 3 fds de Saïdi et de
ses deux enfants Malic et Nouhou dont le premier, (ou le second, on
ne sait pas) correspond sans doute au Moussa-Ba de Gordon Laing,
qui, d’après celui-ci, aurait converti les Dialonkés, mais seulement
par la douceur. Lambert parle ensuite d’Ibrahima Sori qui aurait
été le premier à employer la force contre les Dialonkés, qui aurait
repoussé les Ouassoulou et les Dialonkés (du Sud), qui aurait ter-
miné enfin sa vie par une expédition au nord contre le Bondou et
le Khasso. Mais il y a certainement, au début de ce qu’il dit sur
Ibrahima Sori, une confusion entre Karamokho dont il ne parle pas
justement et Ibrahima Sori. Disons en passant que Karamokho
Alfa ou Alifa Ba s’appelait de son vrai nom Ibrahima Moussou,
Karamokho-Alfa-Ba ne signifiant pas autre chose que le grand roi
savant (Alpha = roi, chef, ba = grand et Karamokho = maître
1. D’après d’autres renseignements, plus sûrs que ceux de Lambert, cette
amazone n’était que la femme du chef Ouassoulonké Kondé Birama ou Kondé
Ibrahima et s’appelait Awa (ou Êve), Awa Birama. Les idolâtres de l’Est,
au delà du Niger, dont parle ici Lambert, sont des Ouassoulonké ou Peuls
du Ouassoulou restés fétichistes.
2. Il y a ici une erreur de Lambert : Kouniakari (ou mieux Koniakari)
était alors un des villages principaux du pays Khassonké au nord du Sénégal
(et l’est du reste toujours). Comme ces exploits d’Ibrahima Sori datent sans
doute de la période qui va de 1776 à 1780, Kouniakari était alors aux mains
des rois Khassonkés et la guerre d’Ibrahima Sori fut donc conduite contre
les Khassonkés. Les Bambaras du Kaarta ne s’emparèrent de Koniakari
qu’au commencement du XIXe siècle.
3. Kikala pourrait être placé vers 1710, Malic et Nouhou entre 1710 et
1735.
d’école, lettré, savant). Et en effet les faits de piété envers son
précepteur qui lui avait appris le Coran et l’Arabe, appartiennent
à la légende d’Ibrahima Moussou, alias Karamokho Alfa. Ce sont
les victoires qui appartiennent à son successeur, Ibrahima Sori,
qui, après avoir subi l’assaut des Ouassoulonkés et des Dialonkés
du sud ou Soulimana, finit par dompter et écraser ses ennemis et
porta la guerre bien au nord du Fouta-Djallon dans les dernières
années de sa vie. Notons du reste que les cent soixante-quatorze
rois qu’aurait exterminés Ibrahima Sori sont tout au plus des
chefs de village ou de canton. A part cela, ce fut un grand guer-
rier.
En résumé, Lambert a enrichi l’histoire du Fouta-Djallon de
quelques données importantes. Mais ce qu’il y a de plus intéres-
sant chez lui, ce sont ses détails sur les premiers chefs des Peuls du
Fouta-Djallon. Réformons donc ainsi la chronologie donnée plus
haut :
Séri vers 1694
Mohammadou Saïdi — 1700
Kikala — 1710
Malic et Nouhou (dont l’un est le Moussa-Ba de Gor-
don Laing) 1715 à 1735
Ibrahima Moussou (ou Karamokho Alfa Ba) 1735 à 1751
Enfin Ibrahima Sori 1751-1784

Ajoutons que la division des rois du Fouta en Alphaya et en


Souria date de Karamokho-Alfa et d’Ibrahima Sauri, Karamokho
ne portant que le titre d’Alpha (ou Alifa) et ayant ainsi donné
naissance aux Alphaya, Ibrahima Sori ou Sauri portant le titre
d’Almamy et ayant donné naissance, par son surnom (Sori ou
Sauri le matinal) aux Sauria ou Soria. En résumé, les Alphaya
étaient les pieux, les religieux, et les Soria les guerriers et cavaliers
matinaux. C’est donc de la mort d’Ibrahima Sori (vers 1784) que
date la division de la royauté, chez les Peuls du Fouta-Djallon, en
deux branches rivales se faisant souvent la guerre et se disputant
le pouvoir. En principe, un Soria devait succéder à un Alphaya
après deux ans de règne et vice-versa.
CHAPITRE II

LES SOURCES ET LES RENSEIGNEMENTS


DE 1880 A 1890

M. Noirot qui traversa la Fouta-Djallon et le Bambouck avec la


mission Bayol et qui nous a donné un petit livre très vivant sur
son voyage : A travers le Fouta-Djallon et le Bambouck, (Paris,
Dreyfous, 1882) a tracé un tableau animé de l’histoire ancienne
des Peuls du Fouta, respectant le style et les tournures de phrases
employées par son renseigneur.
« Les Peuls, ce sont des blancs comme vous! S’ils sont noirs,
c’est que le soleil les a brûlés. Guidés par Dieu qui les aime bien,
les Foulahs sont venus du Founangué (pays de l’est) où il n’y
avait plus d’herbe pour faire paître leurs troupeaux, dans les mon-
tagnes du Fouta qui est un beau pays, où il y a toujours de l’eau,
de l’herbe et du bois.
« C’étaient les Diallonkés qui étaient les maîtres du Fouta, mais
ces hommes-là buvaient du sangara (eau-de-vie), ne faisaient ja-
mais salam et Dieu n’était pas content pour eux. C’étaient tout de
même de bons garçons car ils ont dit au Foulah : Reste là, fais des
lougans et tes boeufs mangeront de la bonne herbe.
« Les Peuls qui voyaient que le pays était bon pour eux sont ve-
nus en grand nombre, et, quand ils ont été les plus forts, ils ont
dit : Il faut que les Diallonkés fassent prière comme nous. Alors
ceux qui étaient chefs des Peuls ont dit aux chefs du Diallo : Il
faut faire salam avec nous, c’est Dieu qui l’a dit! Mais les kéfirs
(infidèles) ont répondu : « Nous sommes chez nous et nous ferons
comme nous voudrons, si vous n’êtes pas contents, il faut quitter
le pays ». Alors, les Peuls ont fait la guerre aux Diallonkés qui
n’avaient pas la force et ont gagné le pays jusqu’à Fougoumba.
Ces Peuls-là, c’étaient des Radinké, des Sidinnké, c’étaient les
fils de Sidi et de Raidi qui commandaient à Tombouctou 1.
« Un de ces hommes-là qui était de la famille de Sidi
s’appelait
Kikala. C’était un grand marabout (homme pieux). Alors les Pou-
1. CeRaidi n’a pas été nommé jusqu’alors. Quant à Sidi, c’est probable-
ment Séri, père de Mohammadou Saïdi. Pour Tombouctou, il faut entendre :
qui commandaient dans le Macina d’où venaient nos Peuls.
PL. XI.

Les bords du Bafing près de Sokotoro. (Fouta-Djallon.)

Village Foulacounda.
PL. XII.

Chef

Peuhl

du

Macina.

Femme

Peuhle

de

la
région

du

lac

Débo.
lars ont dit : C’est lui qui est notre chef! et Kikala a été chef.
Quand il est mort, c’est son fils Sambigou qui l’a remplacé. Mais
Sambigou eut deux fils : Nohou et Malik-Si qui étaient aussi de
grands marabouts.
« Quand Sambigou est mort, ils voulaient être chefs tous les deux,
mais ça n’était pas bon. Alors les Peuls ont dit : Voilà Karamoko-
Alpha qui est le fils de Nohou, Dieu l’aime trop 1 parce qu’il est
grand marabout; il faut qu’il soit le chef du Fouta! Et Karamo-
kho-Alpha a été le premier grand chef. Ce n’était pas Almamy,
mais c’était comme almamy. Karamokho faisait salam toute la
journée et aussi toute la nuit. Avec les autres chefs et avec Modi-
Maka, le grand-père de Modi-Diogo, qui était le grand porte-
parole des Peuls, il a dit : Dieu n’est pas content parce que les
hommes ne font pas salam! Alors les Peuls ont pris des lances et
des flèches 2 et ils ont fait la guerre aux buveurs de sangara.
« C’est Karamokho qui commandait. Il a rencontré Kondé-Bi-
rama qui était commandant des kéfirs 3. On a livré bataille et
Kondé-Birama, qui était le plus fort, a gagné. Il a pris beaucoup
de captifs et a coupé le cou au chef des Poulars 4. Karamokho-
Alfa s’est sauvé, mais il n’avait plus la tête solide.
« Kondé-Birama a bâti un tata (forteresse) près de Fougoumba
et il a dit : Maintenant c’est moi le maître, j’ai la force, et si les
Poulos ne travaillent pas bien les lougans, je leur couperai le cou.
Les Peuls n’étaient pas contents d’être captifs et ils ont dit : Il faut
tuer Kondé-Birama! Modi-Makha, qui avait beaucoup de tête, a
dit : Celui qui sauvera les Peuls, c’est Alpha-Ibrahima, fds de
Malik-Si. C’était le cousin de Karamokho. Ibrahima a appelé tous
les hommes et a dit : Nous allons casser le tata de Kondé-Birama;
mais il faut faire salam et Dieu nous accordera la force. Les hom-
mes d’Alpha-Ibrahima ont rencontré les Kéfirs au Tiangol-Sira-
Kouré près de Timbo. Ils ont fait une grande bataille et Ibrahima
qui avait obtenu la force a tué Kondé-Birama ainsi que sa femme
Awa Birama qui commandait aussi les guerriers et il a coupé le
cou à ceux qui ne voulaient pas faire salam.

1. Expression usitée chez les noirs et qui veut dire simplement : beaucoup.
Elle ne marque pas autre chose que le superlatif.
2. La véritable arme des Peuls était la lance et le javelot, mais ils avaient
emprunté les arcs et les flèches aux nègres autochtones.
3. Konde-Birama était, comme nous le savons, le chef des Ouassoulonké,
Peuls fétichistes.
4. Ce chef des Peuls était le chef des guerriers et non pas Karamokho
Alpha, grand marabout des Peuls, qui parvint à se sauver, mais qui devint
fou.
« C’était bien pour les Peuls cette affaire-là et les Diallonkés qui
n’avaient plus la force ont fait salam. Mais Ibrahima n’était pas
encore content parce qu’il y avait des hommes de Kondé-Birama
qui s’étaient sauvés du côté de Donhol-Fella. Il a couru après et
les a tous tués!
La guerre était finie et les anciens du pays étaient trop con-
tents pour Ibrahima; ils ont fait le palabre et Modi-Maka a dit :
Ibrahima, c’est un grand guerrier, il faut le nommer almamy du
Fouta et puisqu’il livre toujours la bataille quand le soleil se lève,
il s’appellera Sory (le matinal) Ibrahima-Sory a été le premier
almamy du Fouta » (Ernest Noirot, A travers le Fouta-Djallon et
le Bambouck, 1882, Paris, Dreyfous). Ajoutons que la traduction
du récit a été faite par l’interprète de la mission Bayol-Noirot
sous la dictée d’un Peul nommé Mahamadou-Saïdi.
Dans ce récit, il y a des choses intéressantes et nous pouvons
reprendre notre chronologie ancienne des Peuls du Fouta-Djallon
en la modifiant ainsi :
Séri (ou Sidi), avec Raidi vers 1694
Mohammadou Saïdi (fils de Séri ou Sidi) — 1700
Kikala (homme pieux et grand marabout. Est sans
doute le Moussa-Ba de Gordon Laing) — 1710
Sambigou (son fils) — 1715
Nouhou et Malik-Si, fils de Sambigou 1715 à 1726
Ibrahima Moussou dit Karamokho-Alpha ou Alifa-Ba. 1726 à 1751
Enfin Ibrahima-Sori 1751 à 1784

Quant au récit des guerres avec les Ouassoulonké soutenus par


les Diallonkés du sud, il est ici réduit à l’excès et synthétisé en
deux batailles, une défaite décisive et une victoire décisive. Dans
la réalité, nous le savons par Gordon Laing, il y a eu de longs com-
bats entre Peuls musulmans du Fouta-Djallon et Peuls fétichistes
du Ouassoulou, de 1762 à 1776 (d’après Gordon Laing) et ces com-
bats ont même commencé plus tôt si on admet, d’après le récit de
Noirot, que Karamakho-Alpha (mort en 1751 d’après Gordon
Laing) a été battu par Kondé-Birama et en est devenu fou avant
sa mort (1751). Mais c’est un point d’histoire que nous ne fixerons
pas pour le moment et sur lequel nous aurons à revenir.
Nous arrivons maintenant au Dr Bayol qui fit un voyage dans
le Haut-Niger en 1880, dans le Fouta-Djallon en 1881 et dans le
Bélédougou en 1883. C’est en 1888 qu’il publia son ouvrage
Voyage en Sénégambie.
C’est le 12 mars 1881 que partit la mission du Fouta-Djallon,
chargée d’imposer aux Peuls un traité de protectorat français. Elle
comprenait, outre M. Bayol, M. Noirot, jusqu’alors acteur aux
Folies-Dramatiques (et qui devint pourtant un excellent explora-
teur, comme nous l’avons vu). Elle arrive à Boké (chez les Lan-
doumans) le 10 mai et à Fougoumba le 23 juin. Il y avait alors
dans le Fouta une de ces révolutions politiques si fréquentes,
comme nous en avons déjà vues beaucoup, et Hamadou venait de
remplacer comme almamy un Ibrahima Sori. Hamadou répondit
au Dr Bayol : La France aux Français, le Fouta-Djallon aux Peuls!
Cependant, il finit par signer et ratifier le traité de protectorat que
Bayol avait en main (14 juillet 1881).
Bayol donne des détails intéressants sur les Peuls qu’il appelle
des Nubi-Berbères, venus depuis un temps immémorial du côté de
l’Égypte. Leur organisation politique au Fouta est une république
aristocratique possédant deux rois ou almamy se remplaçant tous
les deux ans (non sans heurts). Les Seuria ou Soria sont les guer-
riers, les Alphaya les marabouts (p. 78 à 79).
Bayol donne ensuite une notice historique sur les Peuls. Les lé-
gendes musulmaniques les font descendre de Modi Ousman et de
Modi Aliou, compagnons du prophète. Mais ceci n’est que légende.
En fait, les Peuls sont des Nubiens apparentés aux Berbères et
leur langue a des analogies avec le Sérère et le Ouolof. Pour l’his-
toire même des Peuls du Fouta-Djallon, ils viennent du Macina
(p. 92). Bayol parle de chroniques écrites en arabe sur eux et par eux
qu'il aurait rapportées (p. 98) et qui, par malheur, n'ont jamais été
traduites et dont il n'a jamais plus été question (à ma connaissance).
Voici, du reste, exactement ce que dit Bayol (p. 98) :
« L’histoire du Fouta-Djallon est peu connue encore. Caillié,
Mollien, Hecquart et M. Lambert, les deux derniers surtout, ont
donné des renseignements précieux 1. Mais, j’ai pu m’apercevoir
pendant mon séjour chez les Peuls combien il est difficile d’obte-
nir qu’ils disent la vérité. Les différentes chroniques écrites en arabe
que j'ai rapportées jetteraient de la clarté sur cette question; je n'ai
malheureusement pu encore les faire traduire. Elles donnent la liste
exacte des chefs principaux, tant des provinces de Timbo et Fou-
goumba que de l'important pays de Labé dont le chef, à l’origine,
faillit devenir le maître suprême du Fouta-Djallon.
« Ce sont les
renseignements recueillis de la bouche même de l'al-
mamy Ibrahima Sori et de celle de l’almamy Hamadou que je vais
transcrire. Ils ont été complétés par le récit des griots, chanteurs
attachés à ces princes et qui ont, comme autrefois les trouvères du
1. Comme on le voit, Bayol ignore les sources anglaises de l’histoire du
Fouta, Gordon Laing entr’autres, dont il aurait pu se servir avec fruit.
moyen âge, recueilli les hauts faits de leurs seigneurs et les légendes
concernant les aïeux.
« Les Peuhls, comme nous l’avons dit, prétendent descendre des
blancs. Ils sont venus de l’Est et la tribu qui a envahi les hauts
plateaux du Ba-Fing, de la Gambie et du Rio-Grande, arrivait du
Macina, pays situé sur la rive droite du Niger entre Ségou et Tom-
bouctou 1. A cette époque, tous les Peuls n’étaient pas musulmans
et même aujourd’hui l’on rencontre dans le Ouassoulou et le Kan-
kan des Peuhls nomades qui n’ont qu’un seul culte : celui de leurs
troupeaux, qu’ils font prospérer le mieux qu’ils peuvent, sans se
préoccuper du lendemain. Il y a près de deux siècles que ce peuple
habite cette contrée où il avait trouvé une population nombreuse,
les Diallonkés qui faisaient partie de la grande famille Man-
dingue 2.
« Les Peuhls se dispersèrent dans le
Dialonka-Dougou (Dialonké,
pays, c’était le nom du pays), à la recherche des meilleurs pâtu-
rages et ne tardèrent pas à voir leurs troupeaux prospérer sur ce
sol fertile. D’autres Peuhls descendirent du Fouta sénégalais où,
au commencement du XVIIIe siècle, Abdou-el-Kader avait fondé
un grand État et se mêlèrent aux tribus venues de l’est 3.
Les tribus vivaient à l’état d’isolement. Quelques noms de chefs
étaient prononcés, mais aucun n’avait eu l’idée d’unir les Peuhls en
une même nation et de les rendre par là capables de se faire res-
pecter d’abord et de devenir ensuite les maîtres de ces pays si fer-
tiles. C’est à Modi-Maka-Maoudo (Maka le Grand) grand-père de
Modi Djogo, président actuel de l’assemblée des anciens à Timbo,
que devait venir cette pensée qui a fait la grandeur de son pays 4.
1. Le Massina est situé en réalité sur les deux rives du Niger et même le
petit canton du Massina proprement dit est sur la rive gauche du Niger entre
le lac Débo au nord et le Diaka au sud. De plus, le Massina, pris dans toute
son extension du sud au nord, ne touche ni à Ségou au Sud, ni à Tombouctou
au Nord.
2. Le culte des troupeaux dont parle ici Bayol est cette boôlâtrie (ou culte
du boeuf) qui m’a été signalée en 1913 à Niafonké comme encore existante
dans le Ferlo sénégalais par un lieutenant français qui était tombé par hasard
dans la brousse sur une scène de culte boôlâtrique. Avant d’être musulma-
nisés, les Peuls avaient le culte religieux du boeuf.
3. Il peut se faire que des Peuls soient descendus du Fouta sénégalais sur
le Fouta-Djallon, mais faisons attention que le marabout Abd-el-Kader du
Fouta-Toro a pris le pouvoir en 1773-1774 seulement et est mort vers 1809.
C’est donc, non au commencement, mais à la fin du XVIIIe siècle que des
Peuls du Ferlo (Fouta sénégalais) seraient venus renforcer les Peuls du Mas-
sina venus un siècle plus tôt.
4. Ce Modi-Maka, Noirot en parle plus haut. C’était le membre du Con-
seil des Anciens de Foukoumba qui, en 1751, fit choisir Ibrahima Sori pour
chef des armées peuhles. C’était un bon choix, mais pas pour le conseil même
des anciens de Foukoumba.
«A leur arrivée, les Peuhls étaient conduits par deux frères Séri et
Seïdi, de la famille princière des Sidiankés à laquelle appartenait1
Ahmadou Lobbo, chef du Massina. A cette époque, les chefs
Peuhls, comme aujourd’hui, portaient des titres de noblesse. Alfa
était le premier titre; venaient ensuite les tierno et les modi. Modi
correspond au titre espagnol don.
« Séri et Seïdi vivaient dans les environs de Fougoumba, où
commençaient déjà à se réunir des assemblées populaires. L’his-
toire ne parle pas des enfants de Séri. Seïdi, qui était plus remuant
que son frère, prenait peu à peu de l’importance : il eut un fils
appelé Sambégou qui lui succéda. Sambégou eut pour descendant
Madi qui fut remplacé par son fils Alfa Kikala. Kikala eut deux
fils : Nouhou et Malik-Sy. Les deux frères vécurent en bonne in-
telligence. »
Ces données de Bayol, dont nous interrompons un moment le
récit, peuvent se résumer ainsi :

Séri et Seïdi vers 1694


Sambégou — 1700
Madi — 1710
Alfa Kikala — 1720
Nounou et Malik Sy — 1725

Si nous comparons ce tableau au dernier que nous avons donné


pour cette époque, nous trouvons quelques dissemblances. Dans
Bayol, Raldi n’est pas nommé, pas plus que Mohammadou Saïdi,
fils de Séri. Sambégou et Madi sont mis avant Alfa Kikala. Bref, il
y a quelques petites difficultés que seules les chroniques écrites en
arabe qu’a rapportées Bayol, pourraient résoudre.
« Fougoumba, continue Bayol (p. 99) devenait de plus en plus
le centre intellectuel et politique des Peuls. Des écoles où l’on en-
seignait l’arabe existaient. C’est là que furent élevés Alfa, fils de
Nouhou et Ibrahima, fils de Malik Sy. Tous deux étaient très
pieux, mais Alfa ne tarda pas à acquérir une instruction supérieure
à celle de ses concitoyens, il lut et prêcha le Koran avec une telle
éloquence qu’on lui décerna le titre de Karamokho (l’illustre) et
désormais, Karamakho Alfa fut vénéré comme un grand mara-
bout 2.

1. C’est-à-dire devait appartenir plus tard Ahmadou Lobbo (1816).


2. Karamakho ne veut pas dire l’illustre, comme le dit ici Bayol, il veut
dire exactement maître d'école et par extension lettré, savant, etc. Karamokho
Alfa est donc le savant Alfa ou Alfa le Savant (de son vrai nom Ibrahima
Moussou).
« Karamokho avait eu pour maîtres : Tierno Samba, marabout
renommé qui habitait alors Fougoumba et devait mourir plus
tard à Bouria...
« Les Peuls, devenus nombreux,
riches et puissants commençaient
à lever la tête et parlaient de convertir, les armes à la main, les
Diallonkés fétichistes qui avaient refusé de croire au vrai Dieu. De
nombreux conciliabules eurent lieu à Fougoumba, point central
situé à égale distance de Timbo (au sud) et du Labé (au nord),
mais la réunion la plus célèbre fut tenue entre Broualtapé et Bom-
bolé, dans un endroit connu des marabouts seuls, sur les bords d’un
ruisseau sacré. C’est là que fut décidée la guerre à outrance contre
les Keffirs (ou infidèles). Les marabouts donnèrent à l’endroit où
se réunissait la conférence le nom de Fouta-Djallon, désignant par
ce nom seul le but à poursuivre : l’unité nationale des Peuls et des
Diallonkés, convertis de gré ou de force, et comptant plus tard
étendre ce nom à tout le territoire compris entre le Niger et
l’Océan. C’est de là d’abord, de Fougoumba ensuite, que sont par-
tis les mots d’ordre qui dirigeaient les fidèles pour les grandes
guerres de l’Islam » (p. 100).
Bayol donne encore de nombreux renseignements sur cette pé-
riode d’effervescence et de préparation à la guerre sainte. Ainsi,
Karamokho Alfa, ayant pris une jeune femme,se sépara d’elle pen-
dant sept ans, sept semaines et sept jours pour aller faire salam et
demander à Allah la conversion des idolâtres. Au bout de ce temps,
sa jeune femme vint lui dire que les anciens réunis à Fougoumba
venaient de le désigner comme chef suprême des Peuls, malgré la
compétition d’Alfa Labé, le guerrier le plus célèbre du moment
(p. 101 et 102). Bayol raconte ensuite que Karamokho Alfa ren-
contra les armées du Ouassoulou et du Sankaran (sans compter
celle des Diallonkés du Souliman. De même, Bayol prend Ava
Bouramo ou Bourama, en réalité la femme du chef Ouassoulonké
Kondé Bouramo ou Birama, pour un chef) et fut battu malgré la
bravoure de son fils Modi Salifou. Les alliés victorieux établirent
une forteresse non loin de Fougoumba, d’où ils pillèrent le pays.
Comme Karamokho Alfa avait la raison ébranlée par tous ces
désastres, on nomma à sa place Alfa Ibrahimo ou Ibrahima. Ce-
lui-ci en réunissant tous ses parents, attaqua sur-le-champ les
deux chefs alliés, les tua sur les bords du marigo de Sirakouré non
loin du mont Kourou, puis il rejeta les restes de l’armée ennemie
sur les bords du Niger en épargnant l’amazone, femme du chef
Kondé Bouramo (p. 102-103). Comme on le voit, Bayol ne con-
naît pas plus le détail de ces guerres que ses prédécesseurs fran-
çais. En réalité, nous savons par Gordon Laing qu’au lieu de deux
batailles décisives et rapides, il y eut une série de guerres de 1750
à 1776, pendant vingt-six ans. Les Peuls, nous l’avons vu, finirent
par en sortir victorieux, mais non sans de nombreuses défaites (et
de nombreuses victoires aussi).
Ibrahima prit le titre de Cheïkou, puis celui d’Almamy, « à la
condition formelle, dit Bayol, qu’il reconnaîtrait toujours au con-
seil des Anciens le droit de donner son avis sur toutes les ques-
tions de politique intérieure et extérieure, que, de plus, ses suc-
cerseurs, pris dans sa famille, seraient d’abord reconnus tels par
un vote de l’assemblée. »
Comme on le voit, Bayol ignore le conflit brutal qui mit aux
prises Ibrahima Sori, vainqueur, et le conseil des Anciens de Fou-
goumba, anciens auquel il fit couper la tête (du moins à ceux qui
étaient ses ennemis). Ses informateurs, de même qu’ils ont syn-
thétisé, d’une façon un peu enfantine, les guerres entre les Peuls
d’un côté, les Ouassoulonké, les Sankaranké et les Soulimananké
de l’autre, ont jeté un voile pudique sur ce massacre des vieux ma-
rabouts par le soldat vainqueur qui n’acceptait pas de se sou-
mettre à leurs ordres.
C’est de cette époque, d’après Bayol, que date la fondation de
Timbo (1789 environ). Auparavant, c’était un gros village Dial-
lonké appelé Gongovi (la grande maison). Ibrahima Sori y trans-
porta le siège du gouvernement, abandonnant Fougoumba,et lui
donnant le nom de Timmé 1 (d’où Timbo, espèce de faux acajou
de l’endroit).
Cependant, Ibrahima Sori avait soumis le Koïn et le Kolladé. Il
fit reconnaître son autorité par le chef peuhl du Labé, province
du nord, qui affectait d’être indépendant des chefs de Fougoumba
et Timbo. Il marcha ensuite sur la Haute Gambie, imposa le Nio-
kolo, (province Mandingue) et força Maka, roi du Boundou à se
faire musulman et à prendre le titre d’almamy 2. Il n’alla pas jus-
qu’au Kaarta, mais il y envoya des émissaires (p. 104). Cependant,

1. En fait, on ne peut pas parler ici de la fondation, de Timbo. Ce fut sans


doute, d’abord un gros village Diallonké s’appelant Gongovi, mais ce devint
ensuite un établissement peuhl, puisque Gordon Laing dit qu’en 1763, les
Ouassoulonké et les Diallonké du Soliman, coalisés, brûlèrent Timbo. Ils n’au-
raient pas brûlé un village Diallonké. Donc, Timbo, dès 1763, était un gros
village peuhl. Mais ce fut Ibrahima Sori le Grand qui, après le massacre
d’une partie des marabouts de Foukoumba, transporta la capitale du Fouta
Djallon de Foukoumba à Timbo. Foukoumba resta la capitale religieuse du
pays.
2. Cet événement aurait besoin d’être confirmé par l’histoire du Boundou
même, car les chefs de ce pays étaient sans doute musulmans bien avant
Modi Maka, le conseiller et le héraut réputé des assemblées du
Fouta Djallon, s’allia aux Alphayas, partisans de Karamokho
Alfa (ou plutôt de sa pieuse descendance, puisque le saint homme
était mort fou) et fit proclamer comme almamy, rival d’Ibrahima
Sori, Abdoulaye Bademba, fils de Karamokho Alfa. Ibrahima Sori
se soumit à la décision du conseil et céda le pouvoir à Bademba,
mais il fut rappelé peu de temps après, remporta de nouvelles
victoires, et reçut le surnom de Maoudo (le Grand). Il mourut
dans le Labé, après avoir régné trente-trois ans (après Lambert).
Cela met son règne de 1751 à 1784. (Je me demande si toute
cette histoire, qui est peut-être exacte, d’un Alphaya nommé
comme second almamy du temps même d’Ibrahima Sori, ne doit
pas être placée avant le massacre par celui-ci du grand conseil des
Anciens de Foukoumba. Ibrahima Sori ne dut pas accepter de
gaîté de coeur de résigner son commandement et de se soumettre,
fût-ce pour deux ans, à un almamy rival. Et c’est probablement
au cours des luttes intestines, provoquées par cette situation sca-
breuse, que les anciens du Foukoumba furent, au moins en partie,
massacrés par Ibrahima Sori).
Notons encore que c’est le même Modi Maka, conseiller et hé-
raut de l’assemblée de Foukoumba, qui, en 1751, avait fait nom-
mer Ibrahima Sori généralissime des armées du Fouta Djallon, qui
à l’époque où nous sommes, ayant peur du pouvoir absolu de son
ancien protégé, fait nommer un almamy rival, du parti Alphaya.
Cette décision qui opposait deux almamys l’un à l’autre, mettait
l’anarchie au coeur même du royaume peuhl, mais sauvegardait
jusqu’à un certain point le pouvoir de la haute assemblée de Fou-
koumba. Cependant, celle-ci n’eut pas à se louer tout de suite de
cette innovation.
D’autre part, si Ibrahima Sori Maoudo (le Grand) a régné trente-
trois ans, comme nous savons, d’autre part, par Gordon Laing,
qu’il prit le pouvoir en 1751, cela met son règne de 1751 à 1784 et
par conséquent le transfert de la capitale du Fouta Djallon de
Foukoumba à Timbo ne peut pas être de 1789, comme le dit
Bayol, mais de quelques années plus tôt (par exemple 1780).
Bayol, mal renseigné, donne ensuite une histoire très abrégée,
par ses interlocuteurs sans doute, de ce qui arriva après la mort
d’Ibrahima Sori le Grand. Il nomme Sadou, fils d’Ibrahima Sori,
massacré à Timbo par Abdoullaye Bademba, le rival d’Ibrahima
1780. De plus, le Kaarta n’avait pas d’importance à cette époque (1780)
mais le Khasso. C’est sans doute avec le Khasso (Koniakari) que Ibrahima
Sori le Grand eut des relations plus ou moins hostiles.
Sori à la tête des Alphayas, mais, de là, sans parler de Yaya, Ali
Bilmah et Alpha Salihou, il arrive d’un seul trait à Abd-el-Kader
qui aurait vengé Sadou en tuant de sa main Abdoulaye Badamba
à Quétiquiya (dans le Kolladé). Cette bataille a eu lieu, en effet,
probablement en 1813, mais justement il ne doit pas s’agir du
même Abdoulaye Bademba, le premier étant de 1780 environ,
le second étant mort en 1813. Comme Sadou ou Saada, fils
d’Ibrahima, Sori est mort approximativement en 1791, on voit
que la vengeance aurait été lente à venir (1813!). J’aime mieux
croire qu’il y a eu deux Abdoulaye Bademba, l’un que le parti des
marabouts et les Alphayas opposèrent entre 1776 et 1784 ou
même plutôt à Ibrahima Sori le Grand, et un autre que nous
voyons apparaître après Yaya, Ali Bilma (1797) et Alpha Salihou.
C’est en 1805 que ce second Ba Demba devint almamy et nous
savons par Gordon Laing qu’il attaqua Falaba en vain en 1805.
Ce fut celui-ci qui fut vaincu et détrôné par Abd-el-Kaderen 1813
Du reste, il n’y a pas d’impossibilité absolue à ce qu’il n’y ait eu
qu’un seul Abdoullaye Bademba, almamy du parti Alphaya, de
1776 à 1813 (pendant 37 ans) mais cela me semble peu probable.
Là encore, les renseignements de Bayol ont dû être très synthé-
thisés et comprimés par ses interlocuteurs, comme le récit des
guerres entre les Peuls et la coalition, qui eurent lieu en réalité
de 1750 à 1776 et que notre auteur fait, sur la foi de ses inter-
locuteurs, tenir en deux batailles très rapprochées.
Il est vrai qu’ensuite les renseignements de Bayol deviennent
précieux pour la période peu connue qui va de la mort d’Abd-el-
Kader (vers 1825) à l’avènement de l’almamy Omar (1837).
« Almamy Abdoul Gadiri, dit-il, mourut de maladie à Timbo
après un règne peu tourmenté1. Il fut remplacé par son frère
Almamy Yaya. Almamy Abdoulaye avait eu pour successeur
Almamy Boubakar 2. Le règne d’Almamy Yaya ne fut pas im-
portant. Il mourut de maladie à Timbo 3 et eut pour successeur
Almamy Hamadou, fils de Modi Hamidou. Modi Hamidou était
fils d’Almamy Sory Maoudo et par conséquent, le frère d’Al-
mamy Yaya.
« Almamy Hamadou n’est resté au pouvoir que pendant trois
mois et trois jours. Sa nomination avait eu lieu par surprise et

1. En réalité, il avait vaincu et tué son prédécesseur Abdoulaye Bademba.


2. Naturellement parmi les Alphayas. C’était l’almamy Alphaya.
3. Caillié, nous l’avons vu, qui passa dans le pays en 1827, rapporte les
choses autrement. Abdoul Kader étant mort, ses successeurs se battirent.
En 1827, Yayaye (ou Yaya) est déposé et Boubakar le remplace.
dans un grand et violent palabre, les habitants décidèrent que
Modi Hamidou n’ayant pas été almamy, son fils ne pouvait l’être
d’après les coutumes des Peuhls. Ils sommèrent almamy Hami-
dou 1 de quitter le pouvoir. Celui-ci refusa, s’échappa de la capi-
tale, et s’enfuit dans la direction de Sokotoro; rejoint par ses
ennemis au delà de Saréboval, il fut massacré sur les rives du
Tiangol-Fella, marigot qui coule au pied du monticule où se trouve
le village de Donhol-Fella.
« Almamy Oumarou, fils d’almamy Abdoul Gadiri, un des chefs
les plus aimés du Fouta, et qui, depuis plusieurs années, s’était
fait connaître par sa bravoure contre les infidèles et sa haine con-
tre les Alfaïas, fut appelé au pouvoir comme chef des Sourias.
«Oumarou ne prit en réalité le pouvoir qu’à la mort d’almamy
Boubakar qui arriva inopinément. Ses partisans avaient caché sa
maladie, mais le soir même du décès, il (Oumarou) faisait son
entrée dans la capitale et conviait son cousin, Ibrahima Sori 2 fils
de Boubakar, à une réconciliation complète. Il convint de lui
céder le pouvoir au bout de trois années. Ibrahima Sori prit le
titre d’almamy et se retira au village de Dara, dans le voisinage
de Timbo. C’est sous le règne d’almamy Boubakar que le terri-
toire de Dinguiray fut cédé à El Hadj-Omar et appartint désor-
mais à la famille du prophète Toucouleur. D’après M. Lambert,
El Hadj Omar aurait réussi à détacher du trône national... un
parti de Foulahs ou Peuhls, connu sous le nom de Houbous qui, à
la voix du faux prophète, auraient attaqué Timbo en 1859. C’est
un marabout vénéré, Modi-Mamadou-Djoué qui a formé ce parti
hostile aux habitants de Timbo et non le fameux guerrier tou-
couleur. Cette histoire des Obous ou mieux Houbbous est intime-
ment liée au règne de l’almamy Omar et de l’almamy Alphaya
Ibrahima Sory (Ibrahima Sory H) 3...
«Au début du règne de l’almamy Oumarou, un chef appelé Modi
Mamadou Djoué qui habitait à Laminia, dans le diwal 4 de Fodé-
Hadji, vint à Podor et fut ensuite dans le Gannar (Fouta-Toro)
sur la rive droite du Sénégal, où un chef maure fit de lui un mara-
bout fervent et instruit. Il revint sept ans après au Fouta, se re-

1. Bayol appelle cet almamy tantôt Hamadou, tantôt Hamidou. Comme


il appelle le père Modi Hamidou, le fils s’appelait sans doute Amidou ou
Hamidou plutôt qu'Hamadou ou Amadou.
2. C’est Ibrahima Sori II, dit Ibrahima Sori Dara, du nom de sa capitale
Dara, fief des Alphayas.
3. Je passe un certain nombre de considérations inutiles dont Bayol alour-
dit son récit.
4. Canton ou province.
tira dans sa maison de Laminia et commença à prêcher. Sa répu-
tation ne tarda pas à se répandre : on vint de tous les points du
Fouta-Djallonvoir cet homme vénéré et lui demander des prières.
Les chefs lui confièrent leurs fils. Alfa Ibrahima, frère de l’almamy
Oumarou, aujourd’hui almamy des Peuls 1 sous le nom d’Ibrahima
Sory, vint quelque temps auprès de Modi Mamadou et fut un de
ses talibés favoris. Le village de Laminia acquit de l’importance;
les élèves et les admirateurs de Modi Djoué prirent le nom de
Houbbous (Houbbou rasoul Allai : quelqu'un qui aime bien Dieu).
« Une querelle insignifiante donna occasion à ce chef religieux de
compter ses partisans et de s’ériger en chef politique indépendant
de l’almamy de Timbo.
« Au sud de Fello-Koumta existe une région montagneuse d’un
abord difficile et qui s’étend à plusieurs journées de marche dans
la direction de Falaba 2. De nombreux villages peuhls amis de
Modi Mamadou étaient cachés dans les montagnes. Ils considé-
raient le pays comme leur appartenant. Cheikou-Sery, fils du chef
de Baïlo et son ami Mamadou Salifou vinrent à cette époque éle-
ver un roundé (maison de campagne) dans ces montagnes et firent
des plantations de manioc. Des élèves de Modi Mamadou dévas-
tèrent les champs, coupèrent le manioc et répondirent par des in-
solences, que le latin seul permettrait de rendre, aux justes obser-
vations de Cheikou Séry. La querelle dégénéra en bataille et un
esclave fut assommé à coups de bâton.
«Le chef de Baïlo envoya une députation à l’almamy Oumarou
l’informer des troubles qui venaient d’avoir lieu. Celui-ci ne vou-
lut pas trancher le différend, il désigna deux hommes qui furent,
avec ceux de Baïlo, trouver Modi Mamadou Djoué qui devait, en
sa qualité de marabout, prononcer le jugement. Le chef des Houb-
bous reçut les envoyés de l’almamy Omar entouré de ses talibés.
Il fit un discours sur la religion qui arracha des larmes à toute
l’assistance et se termina ainsi : « Mes talibés appartiennent à
Dieu et à moi; ils ne doivent rien à l’almamy. »
«Les envoyés sortirent de la salle du conseil en laissant tomber
ce mot de : Modji ! C’est bon! que ces peuples emploient toujours à
la fin d’un palabre. C’était la guerre. Le tabala (tambour de
guerre) retentit dans les provinces de Timbo et de Fougoumba,
et, quand les Peuls furent réunis, l’almamy Oumarou leur dit que

1. En 1881, c’est Ibrahima Sori III.


2. C'est le Fitaba au nord du cercle actuel de Faranah où les Houbbous
vivent toujours. C’est au sud du Fouta-Djallon, dans une région montagneuse
qui forme le sud du massif montagneux du Fouta.
les Houbbous étaient trop puissants, qu’ils voulaient se mettre
au-dessus des lois et qu’il fallait les combattre.
« Le conseil refusa, à l’unanimité, de donner des soldats à l'al-
mamy : « C’est ta politique qui a fait les Houbbous puissants. Ce
sont nos parents ou nos amis et non des rebelles. » — « Vous avez
le droit de refuser, répondit Oumar, mais vous ne sauriez m’em-
pêcher d’aller les combattre avec mes propres ressources; j’arme-
rai tous mes esclaves et je les conduirai à la victoire. »
«Les anciens de Timbo envoyèrent un courrier à Modi Djoué le
prévenir de l’attaque qui se préparait contre lui et un grand nom-
bre de Peuhls se joignirent à l’almamy, espérant par leur présence
hâter la conclusion de la paix.
« Après plusieurs rencontres avantageuses pour l’almamy, les
anciens le prièrent de cesser une guerre sacrilège puisque c’étaient
des musulmans Peuhls qui combattaient les uns contre les autres.
L’almamy se soumit, mais à regret, à l’avis de ses conseillers et
retourna à Timbo. Il fit appeler son cousin almamy Ibrahima-
Sory qui était à Dara et lui dit : « Les Peuhls viennent de laisser
se créer un troisième almamy : c’est le chef des Houbbous Modi
Djoué. Devons-nous laisser amoindrir notre prestige? »
«Les deux almamys convinrent de faire de concert une nouvelle
campagne à la fin de l’hivernage, mais ils furent devancés par les
Houbbous, qui avaient recruté de nombreux partisans. Ces der-
niers détruisirent un village voisin de Baïlo, mais leur armée
échoua à l’attaque du village de Malako, non loin de Donhol-
Fella. Almamy Omar et Ibrahima-Sori arrivèrent sur ces entre-
faites avec des renforts, livrèrent une bataille désastreuse à Modi
Djoué sur les bords du marigot de Mongo, affluent du Tinguisso,
et furent obligés de battre en retraite, poursuivis par les Houbbous
qui saccagèrent Timbo. Oumarou 1 se retira dans le diwal de Koïn
et Sory se réfugia au Labé 2.
« Bademba, frère de Sory, réunit plus de six cents guerriers du
Labé et se dirigea sur Timbo qui était resté sans défenseurs. Sa
population se composait de femmes et d’enfants. Les Houbbous
occupèrent tous les villages situés dans les environs de Donhol-
Fella où ils s’étaient retranchés.
«Bademba envoya le chef de ses esclaves annoncer à Modi Djoué

1. Je supprime l’éternel almamy dont Bayol fait précéder les noms d’Ou-
marou et d’Ibrahima Sori II.
2. Ces événements, inconnus de Hecquard (1851), se passèrent après lui.
C’est en 1859, d’après une indication donnée précédemment, que les Houb-
bous prirent Timbo.
et à tous les Houbbous qu’il les considérait comme ses captifs et
que lui, Bademba, était leur maître. Une bataille sanglante eut
lieu à Koumi : 2.400 Houbbous (des Peuhls, des Malinkés, des
Dialonkés 1 s’étaient réunis et avaient formé cette armée) luttè-
rent tout un jour contre les hommes de Bademba et furent obligés
de battre honteusement en retraite. Après cette victoire, le chef
peuhl écrivit aux deux almamys de revenir à Timbo, « que les
Houbbous n’étaient pas 2 à craindre ».
« Ce ne fut que six mois après que Oumarou et Sory revinrent,
l’un de Koïn et l’autre de Labé où ils avaient passé l’hivernage.
Ils firent avec succès une expédition contre les Houbbous qu’ils
battirent à Consogoya; les femmes assistèrent à la bataille et ra-
menèrent des prisonniers. Modi Mamadou Djoué gagna avec ses
partisans les hautes montagnes qui s’étendent entre le Ba-Fing et
le Tinguisso (ou Tinkisso) et mourut quelque temps après. Son
fils Mamadou que le Fouta connaît sous le nom d’Abal (le Sau-
vage) devint le chef des rebelles. Oumarou ne tarda pas à venir
l’attaquer et le battit complètement sur les bords du Kaba, af-
fluent du Tinguisso.
«La défaite des Houbbous semblait irrémédiable, quand les sol-
dats de l’almamy l’abandonnèrent, lui reprochant de vouloir
anéantir des gens de leur race et de n’agir que par ambition per-
sonnelle, sans songer aux intérêts du Fouta-Djallon 3. Resté seul
avec ses captifs, Oumarou eut à supporter une attaque d’Abal et,
ne se trouvant plus en force, il se replia du côté de Socotoro, ac-
compagné par son frère Alfa Ibrahima, l’almamy actuel 4.
«Les Peuhls avaient vu d’un mauvais oeil la guerre contre les
Houbbous et les deux almamys en sortirent amoindris dans leur
influence et leur prestige. Oumarou était trop fin politique pour ne
pas essayer de reconquérir sa popularité et de refaire sa fortune
entamée par les dépenses de ses dernières expéditions. Il déclara
qu’il voulait augmenter le territoire peuhl du côté du Comba (Rio-
Grande) et combattre les populations fétichistes du N’Gabou. II
laissa Alfa Ibrahima comme gardien du pays et le fit reconnaître
1. Comme on le voit, les Houbbous, sorte de puritains de l’Islam au Fouta-
Djallon, avaient la sympathie des autochtones Diallonké, Malinké, asservis
ou refoulés par les Peuls.
2. En réalité, n’étaient plus à craindre.
3. Ces soldats étaient les Peuhls libres et riches, ou tout au moins pro-
priétaires (bref, une aristocratie), qui combattaient avec l’almamy. L’at-
taque par les Houbbous de Timbo (1859) les avait révoltés, mais, quand ils
virent les mêmes Houbbous refoulés, punis et réduits à la défensive, ils se
souvinrent que c’étaient aussi des Peuhls.
4. Actuel en 1881.
comme son successeur. Ses fils, Mamadou Paté et Bou-Bakar-
Biro l’accompagnaient dans son expédition. Oumar détruisit le
village de Kamsala, coupa la tête au chef et parcourut en vain-
queur tout le territoire de Koli. Cette campagne, qui dura deux
ans, cessa par la mort de l'almamy Oumar qui survint en 1872.
Le chef peuhl s’éteignit à Dombi-Hadji, dans le n’Gabou, des
suites d’une maladie chronique pour laquelle ses médecins lui
avaient fait faire usage des eaux thermales du village de Kadé.
« Alfa Ibrahima fut proclamé
almamy sous le nom d’Ibrahima
Sory 1. La nouvelle de la mort d’Oumar s’était répandue dans
tout le Fouta-Djallon avec une étonnante rapidité. Les regrets
sincères des Peuhls prouvèrent en quelle estime ils tenaient le chef
qui venait de disparaître. C’est sous le règne de ce prince que les
deux explorateurs Hecquard et M. Lambert visitèrent le Fouta-
Djallon 2.
« Ils furent accueillis par lui avec la
plus grande bienveillance
tandis qu’ils trouvèrent une sorte d’antipathie auprès du chef
alphaya Ibrahima Sory. Ils en conclurent l’un et l’autre que les
Sourias étaient nos amis et les Alphayas nos ennemis. Les deux
partis sont nos alliés et le resteront tant que nous ne chercherons
pas à occuper le Fouta-Djallon 3. C’est un sentiment de jalousie
contre Oumar qui a fait d’Ibrahima Sory un ennemi pour Hec-
quard et M. Lambert.
« Les deux chefs du Fouta
s’appelant (alors) tous les deux
Ibrahima Sory, on disait Sory-Donhol-Fella pour désigner le chef
des Souria, successeur de Oumar et Sori-Dara quand on parlait du
chef alphaya.
« Pendant la campagne
d’Oumar sur les bords du Rio-Grande,
Sori-Dara était resté à Timbo sans songer à faire la guerre aux
Houbbous.
«A l’annonce de sa mort 4, il crut le moment favorable pour ap-
peler le Fouta-Djallon à entreprendre une nouvelle expédition
contre des gens qu’il considérait comme des rebelles. Ayant réuni
un contingent assez fort, il se rendit à Baïlo, ensuite à Firia, dans
le pays des Dialonkés, cherchant inutilement les Houbbous, qui,

1. Cet Alfa Ibrahima était le frère d’Omar; on peut le désigner sous le


nom d’Ibrahima Sori III.
2. Hecquard en 1851, Lambert en 1863.
3. Nous cherchâmes toujours à l’occuper en réalité et en 1896, c’est un
fils du grand almamy Omar, à savoir Bou-Bakar-Biro, donc un Soria, que
nous trouvâmes devant nous. Il fut vaincu et tué par une colonne française
à Porédaka, en 1896.
4. Il s’agit de la mort d’Oumar.
prévenus par des espions, s’étaient dirigés vers les montagnes de
Coumtat, non loin de Donhol. II finit par les rencontrer au village
de Boquetto (ou Boketto) résidence d’Abal 1.
« Voici le récit de ce combat d’après Mamadou Saïdou : «La ba-
taille commença à 4 heures du soir un samedi et continua jus-
qu’au dimanche. A 4 heures du soir, le dimanche, Abal fit tuer
Sori-Dara sur les bords d’un petit ruisseau appelé Mongodi. Sori,
abandonné par ses hommes, n’avait pas voulu s’enfuir; il s’assit
sur les bords du marigot et un homme d’Abal le trouvant là, le
frappa d’un coup de sabre à l’avant-bras droit. Cet homme,
nommé Coumba, appelait à son aide, tout en frappant : « Venez,
criait-il, venez, je tiens l’almamy! » II donna un dernier coup de
sabre sur l’épaule du chef peuhl et celui-ci ne bougea pas. Un en-
fant, entendant les cris, était allé prévenir Abal. Après avoir inu-
tilement frappé l’almamy, Comba courut après les Peuhls qui
fuyaient et coupa le cou à un grand nombre.
«Abal arriva sur ces entrefaites. Il vient dire bonjour à Almamy
Ibrahima. Almamy lui dit bonjour ; « Viens dans le tata, enceinte
du village, je vais te faire soigner » ajouta Abal. Almamy répon-
dit : « Non, je ne bouge pas de place, ni pour aller à Timbo, ni pour
entrer dans ton tata. A la fin du monde, on me trouvera ici. Tue-
moi. » Abal lui dit : « Tu ne veux pas venir? » Almamy dit : « Non !»
Aux renseignements que le chef Houbbou cherche à obtenir de
l’almamy vaincu, celui-ci répond : « Si tu étais mon prisonnier, je
ne te demanderais rien. Tu n’as rien à me demander! »
« Abal est parti pour retourner dans son village en disant aux
gens qui étaient avec lui de rester et de tuer l’almamy. Ces hommes
l’ont tué à coups de bâton, parce qu’un grand marabout comme
Ibrahima Sory est invulnérable par le sabre, la balle et le fer, il
faut l’assommer pour en venir à bout, il a la peau trop dure. Une
fois mort, on lui a coupé la tête. Mamadou, fils d’almamy Sory-
Dara, est retourné sur le champ de bataille où il avait laissé son
père. II est descendu de cheval, puis est resté immobile. Les
hommes d’Abal l’ont tué à coups de sabre. Un autre de ses fils,
Ba-Paté, est venu également se faire massacrer sur le corps de
l’almamy, ainsi que ses deux frères, Sadou et Aliou, puis quarante-
cinq guerriers peuhls 2 sont venus l’un après l’autre se faire tuer
escortés de leurs griots qui chantaient leurs louanges et les encou-
rageaient à mourir avec leur roi. C’est Bay, Toucouleur du Bon-
1. Boketto est la capitale du Fitaba, province habitée par les Houbbous
dans la montagne, dans le nord du cercle actuel de Faranah.
2. Des gens de la haute aristocratie peuhle évidemment.
dou, griot dévoué à l’almamy qui, par son chant enthousiaste,
avait fait revenir tous ces hommes qui fuyaient. Il fut massacré
à son tour. Un autre chanteur reçut trois coups de sabre et trois
balles : il a survécu. Seul, le plus jeune des chanteurs, appelé
Hamadou, dut à sa grâce et à sa bonne mine d’être épargné. Il fut
emmené par les Houbbous et plus tard, Abal en fit cadeau à Al-
mamy Ibrahima, le chef des Sourias. La tête de Sory Dara fut
exposée sur la porte de la maison d’Abal 1.
« Quand le bruit de ce désastre parvint à Timbo,les Alphayas
proclamèrent Mamadou, second fils de Bou-Bakar almamy. Celui-
ci, depuis son avènement au pouvoir, n’a jamais songé à venger
son frère. Je crois devoir ajouter que le chef alphaya est peu in-
fluent. Almamy Ibrahima Sory 2 que son titre d’ancien talibé de
Mamadou Djoué père d’Abal, a rendu favorable à celui-ci, ne per-
mettrait sans doute pas cette expédition.
«Les Houbbous ne sont pas nombreux. Abal, qui n’a que 43 ans 3
sera remplacé par son frère Sory. Bien qu’ils habitent un pays
d’une défense facile, je les crois appelés à disparaître ou, mieux, à
se mêler de nouveau à leurs frères du Fouta-Djallon, si Fodé Da-
rami, poursuivant ses succès du côté du Kouranko et de Falaba,
leur fermait la route de Mellacorée et de Sierro-Leone où ils vont
acheter des fusils et de la poudre » (page 112).
Nous verrons plus loin ce qu’il en advint des Houbbous et com-
ment leur chef Abal fut vaincu, tué et coupé en morceaux par Sa-
mory en 1896 — ce qui n’empêche pas les Houbbous d’exister
toujours 4. Ajoutons, pour en finir avec le Dr Bayol, que celui-ci
ajoute à son histoire du Fouta-Djallon une description de la cons-
titution politique du pays (p. 113). Il ajoute aussi des renseigne-
ments intéressants sur les villages du pays (p. 114), sur la culture,
l’élevage, la flore, la faune, le lieu physique (p. 115). Quelques
considérations politiques sur l’avenir du Fouta complètent le
tout (p. 116 à 118).
Comme on le voit, Bayol donne des détails intéressants sur
l’histoire du Fouta-Djallon. Il connaît fort mal, il est vrai, le
1. Ainsi mourut Ibrahima Sory Dara ou Ibrahima Sori II qui de 1837 à
1872 fut le rival du grand Omar. Quant à Ibrahima-Sori-Donhol-Fella, frère
puiné d’Omar, qui prend le pouvoir du côté des Soria, après la mort de son
éminent frère et prédécesseur, on peut le désigner sous le nom d’Ibrahima
Sori III.
2. Bayol écrit : Ibrahima-Lory avec un L, mais c’est évidemment une
faute d’impression non corrigée.
3. En 1881, Abal était donc né en 1838.
4. Je les ai vus moi-même en 1907 quand je commandais le cercle de Fara-
nah. Ils constituent le canton du Fitaba et ont toujours un chef à eux.
XVIIIe siècle peuhl, par des légendes abrégées et synthétisées à
l’excès, substituées au récit des faits réels, mais à partir de 1859,
ses notations sont intéressantes. Donnons maintenant le tableau
chronologique de l’histoire peuhle d’après Laing, René Caillié,
Hecquard, Lambert, Noirot, et Bayol :
Séri ou Sidi (et aussi Raldi) vers 1694
Mohammadou Saïdi, fils de Séri — 1700
Kikala (ou le Moussa-Ba de Gordon Laing)
Sambigou (son fils)
Nouhou et Malick-Si
.... — 1715
— 1720
1720-1726
Ibrahima Moussou, dit Karamokho-Alfa ou Alifa-Ba. 1726-1751
Ibrahima-Sori-Maoudo 1 (le Grand) 1751-1784
Saadou ou Saada 1784-1791 (?)
Yaya 1792
Alpha-Salihou
.................
Ali-Bilmah (règne cinq ans)
Abdoulaye Ba-Demba
Abd-el-Kader
1792-1797 (?)
1797-1805
1805-1813
1813-1825
Yaya (ou Yayage) 1825-1827
Amidou (ou Hamadou) (règne 3 mois) 2 1827-1828
Boubakar 1827-1837
Omar (Almamy Soria) et Ibrahima-Sori-Dara ou
Ibrahima-Sori II (almamy Alphaïa) 1837-1872
Ibrahima-Sori-Donhol-Fella ou Ibrahima Sori III. 1872-1881
.

Comme on le voit, les contributions de Noirot et de Bayol sont


importantes pour l’histoire du Fouta-Djallon.Mais il est dommage
que l’on ignore où se trouvent les chroniques Foulahnes rédigées
en arabe, ramenées par Bayol.

1. La variante de Bayol pour ces temps éloignés serait :


Séri et Seïdi vers 1694
Madi..................
Sambégou, fils de Seïdi

Alpha Kikala
vers 1700
vers 1710
vers 1720
Nouhou et Malick-Si (fils d’Alpha Kikala). vers 1730
.
2. René Caillié qui passa dans le pays en 1827 connaît Abd-el-Kader qui
vient de mourir et Yaya qu’il appelle Yayaye, mais non cet Amidou ou
Ahmadou dont Bayol parle, p. 106. Je mets donc Amidou approximativement
en 1827-1828, parce qu’il a pu régner à la fin de 1827 ou au commencement
de 1828, après le passage de René Caillié.
CHAPITRE III

LES SOURCES ET LES RENSEIGNEMENTS


DE 1890 A 1905

Maintenant, reprenons l’histoire des explorateurs du Fouta-


Djallon et parlons de Claudius Madrolle qui vit le pays en 1893 et
publia son gros ouvrage : En Guinée en 1895. Il a donné (p. 295 à
320) une histoire du Fouta-Djallon, en grande partie empruntée à
ses prédécesseurs Bayol, Noirot, etc. Du reste, il débute par une
erreur énorme (qui vient de ce qu’il n’a pas lu Gordon Laing, pas
plus que ses prédécesseurs, du reste). Il place, en effet, en 1775
seulement, la guerre sainte des Peuhls contre les infidèles du
Fouta-Djallon. La vraie date, nous le savons, se trouve vers 1725.
Puis, quittant Bayol, il fait l’histoire des Peuhls jusqu’à la ren-
contre décisive de 1776 (qu’il place, lui, en 1780). Accumulant les
erreurs, il place la mort d’Ibrahima Sori le Grand en 1813 (alors
qu’il faut la placer approximativement vers 1784). Il ignore com-
plètement Saadou, Yaya (ou Yaga), Ali-Bilmah et Alpha Salihou
(qui vont en bloc de 1784 à 1805 approximativement) et il passe
tout de suite à Abdoulaye Bademba qu’il place de 1813 à 1819 (et
qui est de 1805 à 1813, approximativement). Il dit qu’Abdoulaye
Bademba tua l’almamy des Soria à Timbo (1813) et qu’Abd-el-
Kader le tua à son tour en 1819 et régna de 1819 à 1830. Or, ces
dates sont évidemment fausses puisque quand René Caillié passa
en 1827 dans le Fouta-Djallon, Abd-el-Kader était mort et Yayaye
même fut déposé pendant que notre voyageur était dans le Fouta
et alors Boubakar le remplaça.
A partir de cette époque, et avec l’aide de Hecquard, Madrolle
est sur un terrain plus solide. Si Boubakar a commencé à régner en
1827 (et non en 1830 comme il le dit) il semble bien être mort en
1837 comme Madrolle l’affirme et comme nous l’avons déjà vu
nous-même.
Madrolle copie ensuite chez Bayol l’histoire d’Amidou ou Ahma-
dou qui fut tué après un règne de trois mois et trois jours. Il passe
ensuite au grand almamy Omar. Il donne l’histoire de sa jeunesse
d’après Hecquard qu’il copie. Nous reproduisons ce passage que
nous n’avons pas donné plus haut :
« Encore jeune, dit MadroIIe, il dut s’expatrier et se retirer chez
l'almamy Sada, roi du Boundou. Dans les fréquents palabres 1 que
l’almamy Sada eut avec des Français pendant qu’Omar résidait
près de lui, ce dernier apprit à nous connaître, à admirer notre
puissance et à nous aimer 2. Il avait vingt et un ans quand il ren-
tra dans son pays. Son père était mort en lui laissant une fortune
assez considérable et que l’almamy Bou-Bakar, alors régnant,
n’osa pas confisquer. A peine de retour à Sokotoro, résidence
habituelle de sa famille, il attira près de lui la jeunesse du pays
qu’il s’attacha par ses générosités. Une des maximes favorites de
l’almamy Sada, son maître en politique, était qu’un chef devait
toujours renvoyer les mains pleines ceux qui venaient le voir et
l’élève resta fidèle à cette maxime aussi longtemps que dura son
riche patrimoine; mais il le dissipa si vite et si complètement
qu’un jour, n’ayant plus rien, il retira son coussaye 3 pour l’offrir
à un griot qui venait de chanter ses louanges. Cependant, si ses
biens étaient partis, il lui restait de nombreux partisans d’autant
plus attachés à sa fortune et à sa personne qu’ils avaient appris à
le connaître et savaient parfaitement que, s’il arrivait au pou-
voir, il ne les oublierait pas. Dans plusieurs expéditions contre les
infidèles, Omar se fit une grande réputation militaire et gagna
d’autant plus vite le coeur de ses guerriers qu’il leur abandonnait
toujours la plus grande part du butin.
« Enfin l’occasion de mettre à l’épreuve la fidélité de ses partisans
se présenta. Un des fils de l’almamy régnant ayant insulté une de
ses femmes, il l’étendit mort à ses pieds la première fois qu’il le
rencontra sur son passage. Quand la nouvelle de ce meurtre par-
vint à Timbo, le conseil des anciens, entièrement composé des
ennemis de sa famille, fut assemblé pour le juger et le condamna
à mort sans qu’il eût voulu comparaître devant ce tribunal.
Sachant le sort qui l’attendait, Omar s’était retiré à Tsaïn où il
avait convoqué ses jeunes amis qu’il compromit à sa cause en leur
permettant d’enlever toutes les femmes du parti adverse dont ils
avaient envie. Alors l’almamy Bou-Bakar voulut faire exécuter la
sentence prononcée contre Omar, mais un de ses hommes, envoyé
à cet effet à Tsaïn, fut arrêté, bafoué et ignominieusementchâtié.
A cette nouvelle, l’almamy, furieux, voulut diriger contre lui une

1. Ici commence la citation même de Hecquard.


2. Nos établissements de la Falémé étant des forts touchant au Boundou,
nous avions des relations avec l’almamy du pays auquel nous payions une
redevance.
3. Manteau (on dit plutôt coussabe).
armée assez considérable pour le prendre ou le tuer. Mais des
cadeaux faits adroitement à Timbo par Omar, sa générosité pro-
verbiale et la crainte de voir détruire la partie la plus brillante de
la jeunesse du pays, parmi laquelle se trouvaient un grand
nombre d’alphaïas, lui avaient fait des partisans 1 et les anciens
consultés refusèrent d’en appeler aux armes pour une querelle
personnelle. L’almamy Bou-Bakar ne pouvant, avec ses propres
forces, se flatter de prendre Tsaïn défendu par Omar, dut donc
ajourner sa vengeance.
« Alors les jeunes partisans de ce chef habile l’engagèrent à se
proclamer almamy et appelèrent à eux tous les hommes qui lui
étaient dévoués. Le moment ne semblait pas propre à Omar qui
refusa d’abord, mais, craignant qu’on attribuât ce refus à un sen-
timent de crainte et voyant à ses côtés une armée prête à marcher
et bien disposée à combattre, il se résolut bientôt à courir les
chances d’une bataille qui, s’il était vaincu, aurait du moins pour
résultat de le poser en prétendant.
« Ses partisans une fois réunis, Omar marcha sur Timbo où
l’almamy Bou-Bakar avait, de son côté, rassemblée une armée.
Les deux adversaires se rencontrèrent sous les murs de cette ville :
le combat dura trois jours. Trois fois, Omar pénétra dans Timbo
et trois fois, il fut obligé de se retirer. Néanmoins la fortune sem-
blait se prononcer pour lui lorsque sa mère, Néné-Kadiata, arriva
dans l’intervalle d’une trêve convenue entre les deux partis pour
se donner le temps de faire le salam du vendredi.
« Le premier soin de cette femme héroïque fut d’aller trouver son
fils, auprès duquel, usant de son autorité maternelle et invoquant
la tendresse qu’il lui avait toujours montrée, elle obtint qu’il se
soumettrait si l’almamy Bou-Bakar consentait à oublier le passé
et à le reconnaître pour son successeur, puis elle se transporta sous
la tente de celui-ci et l’amena à accepter cet engagement en mon-
trant l’avantage qu’avait déjà son fils et les malheurs qu’allait
entraîner la guerre. Ce traité conclu, Omar désarma, son but
atteint, son droit au trône sanctionné, et il n’avait plus qu’à
attendre, ce qu’il fit patiemment, mais sans cesser néanmoins
d’accroître le nombre de ses partisans.
« La mort de Bou-Bakar arriva cinq mois après. Quelques soins
qu’on eût pris pour cacher la maladie de ce prince, Omar en avait
été instruit par les agents qu’il entretenait à Timbo où il rentrait
le jour même du décès de son prédécesseur, s’emparait du pou-

1. Dans le grand conseil du Fouta.


voir et, chose inouïe depuis la mort des premiers almamys, disait
la prière sur le corps du défunt et conviait les deux partis à une
réconciliation qu’il désirait sincèrement. En effet, pour ôter désor-
mais tout motif à la guerre civile, il faisait appeler Ibrahima Sauri,
son cousin, successeur désigné avant le combat de Timbo et lui
promettait de lui céder la couronne dans quelques années sous la
condition qu’ils régneraient alternativement afin d’éviter dans
l’avenir les représailles et l’effusion du sang qui amoindrissaient
depuis trop longtemps l’influence extérieure du Fouta-Diallo.
« Ibrahima souscrivit à cet arrangement. Trois ans après
qu’Omar fût monté sur le trône, ainsi que cela était convenu, son
cousin se présenta devant Timbo tandis que l’almamy Omar se
retirait sans combattre. » (Hecquard)
« Ibrahima, continue Madrolle (p. 308),
esprit faible et orgueil-
leux, cédant à l’influence de son entourage, profita de la confiance
d’Oumarou (Omar) qui n’avait aucune force autour de lui pour
chercher à se saisir de sa fortune. Heureusement pour Oumarou,
les eaux du Sénégal 1 étaient hautes, les troupes d’Ibrahima ne
purent le surprendre. Oumarou eut le temps de gagner Tsaïn, sa
place forte, et d’appeler ses partisans. Six mois après, il battait
Ibrahima et rentrait définitivement à Timbo » (p. 308).
Madrolle passe ensuite directement à l’envoi par Omar du
voyageur Hecquard à Dara pour solliciter la soumission de son
rival. Il ignore donc (preuve qu’il n’a pas lu complètement le
volume de Hecquard) qu’Ibrahima Sori-Dara avait, à la fin de
1850, formé une colonne contre l’almamy de Timbo et après
s’être fait couronner à Foukoumba (19 janvier 1851) s’était fait
battre par Omar sous les murs de Timbo (24 janvier). C’est à la
suite de cette défaite définitive qu’Omar, comme nous l’avons vu
plus haut, envoya Hecquard à Dara. Madrolle donne, copiant
Hecquard, un récit circonstancié de l’ambassade.
« Ibrahima, ayant été prévenu de notre arrivée, deux de ses
hommes nous introduisirent dans une grande chambre où se trou-
vaient déjà quelques anciens de son parti, impatients de voir la
paix conclue pour rentrer à Timbo et reprendre leur place au con-
seil et dans les assemblées... Le lendemain, les palabres recom-
mencèrent; comme toujours, Ibrahima se montrait faible et irré-
solu » (Hecquard).
Lorsque les marabouts et les vieillards eurent terminé leur
harangue, Ibrahima demanda comme condition de sa soumission

1. Il s’agit du Ba-Fing, la haute branche de Guinée du Sénégal.


qu’on lui laissât les provinces du Timbi et du Labé. « Cette pré-
tention était inadmissible, car c’eût été le démembrement de
l’état et donner à un rebelle les moyens de rassembler une armée
et de recommencer la guerre sans que l’almamy pût s’y opposer.
Le frère d’Omar repoussa énergiquement de pareilles conditions.
Cette première conférence dura fort avant dans la nuit et il fut
convenu que nous la reprendrions le lendemain. Effectivement, le
soir de ce jour, après une assemblée de trois heures dans la mati-
née, j’étais de retour à Socotoro où j’eus la satisfaction de rap-
porter à l’almamy l’heureuse nouvelle qu’Ibrahima était prêt à
faire sa soumission sans autre condition que la vie sauve.
« Le vendredi 6
juin 1851, jour desalam, fut choisi pour la renon-
ciation solennelle que devait faire Ibrahima devant le conseil de
Timbo. Nous nous étions rendus la veille dans cette ville ou Ibra-
hima qu’on logea près de moi envoya un des siens pour me préve-
nir de son arrivée et m’inciter à l’aller voir. Il m’interrogea long-
temps sur les dispositions dans lesquelles j’avait laissé l’almamy
à son égard et me pria d’aller moi-même lui demander à quelle
heure il pourrait le recevoir. Je me rendis chez l’almamy qui
ordonna d’aller immédiatement chercher son cousin. Quand Ibra-
hima parut devant lui, il ne lui laissa pas le temps de faire des
excuses : lui tendant la main, il le fit asseoir à ses côtés sur sa
peau de mouton et lui parla de leur enfance et de leur ancienne
amitié, comme si jamais ils ne s’étaient brouillés. Leur conversa-
tion dura une heure. Le soir, l’almamy envoya à Ibrahima un
magnifique souper.
« Le
souverain du Fouta-Diallo,tenant son compétiteur par la
main se rendit à la mosquée, accompagné d’une foule immense et
des chefs du pays convoqués à cette cérémonie et prêts à se battre
en cas de surprise. Le tamsir fit le salam auquel Omar et Ibrahima
assistèrent, placés sur la même peau. Lorsque la prière fut termi-
née, ce dernier, suivi de ses principaux partisans, renonça en
présence des Anciens et des Chefs, à toute prétention au trône et
jura sur le koran fidélité à l’almamy Omar (Hecquard)... »
Madrolle passe ensuite à l’affaire des Houbbous et reproduit le
récit de Bayol. Comme nous l’avons fait nous-même plus haut,
nous ne nous appesantirons pas davantage sur ces événe-
ments.
C’est en 1873 (un an environ après la mort de Omar) que
Madrolle place la campagne d’Ibrahima-Sori-Dara contre les
Houbbous et sa mort. Il reproduit du reste, après le récit de
Bayol, celui du Dr Noirot qui est à peu près le même, Bayol et
Noirot ayant fait leur mission ensemble et ayant entendu les
mêmes interlocuteurs.
« A la mort d’Oumarou, ajoute Madrolle, son frère Ibrahima-
Sauri-Donhol-Fella lui succéda. Du côté des Alphayas, Ahmadou,
frère d’Ibrahima-Sauri-Dara et troisième fils de Boubakar fut
nommé almamy.
« Ce fut sous le règne d’Ibrahima (1872-1889) et d’Ahmadou
(1873-1896) que le Fouta-Dialo signa un traité d’amitié avec l’An-
gleterre puis avec la France 1. Depuis 1888, les Foulahs ont défi-
nitivement accepté la suzeraineté nominale de la France, traité
qui a été ratifié par le gouvernement et que le Portugal et l’An-
gleterre ont reconnu valable.
« Le Fouta-Dialo est donc bien, cartographiquement du moins
dans la zone d’influence de la France, en attendant le temps, rap-
proché il faut l’espérer, où notre autorité sera représentée, militaire-
ment au besoin, pour faire respecter les deux conventions de 1882
et de 1888 et donner au commerce la liberté qui lui est nécessaire.
« Bou-Bakar-Biro, du parti des Saurias, a remplacé en 1889 son
oncle Ibrahima-Sauri mort à Socotoro. Il a pris le pouvoir de
1890 à 1892 et est encore actuellement à la tête du Fouta-Diallo
pour la période de 1894 à 1896 2.
« Dans ces dernières années, la France a envoyé plusieurs mis-
sions étudier le Fouta; on peut citer celles de M. de Beckmann
(1891) et Alby (1893) vers Timbo, et Madrolle et Baillat (1893)
dans le diwal de Labé » (Madrolle, p. 299 à 314).
Ce que ne dit pas Madrolle ici même, c’est que sous le procon-
sulat du commandant Galliéni au Soudan, une colonne française
envoyée du nord passa par le Fouta-Djallon en 1888. Peu s’en fal-
lut que le choc (qui eut lieu définitivement en 1896) ait eu lieu à
cette époque. Du reste,Madrolle relate la chose dans son récit des
explorations en Guinée, dans les premières pages de son livre.
Voici ce qu’il dit à ce sujet sous les titres : Levasseur, Plat et Au-
déoud 3, p. 31 à 33 :

1. Ce fut le traité que Bayol et Noirot firent signer, en 1881, à Ibrahima


Sauri-Donhol-Fella (c’est-à-dire Ibrahima le Matinal de Donhol-Fella, capi-
tale particulière des Soria comme Dara était celle des Alphaïas). Il fut
ratifié en 1882 par la France.
2. Bou-Bakar-Biro, qui devait avoir, contre les colonnes françaises, la
fin tragique que nous verrons plus loin, était le fils du grand Almamy Omar
et par conséquent le neveu d’Ibrahima Sori Donhol-Fella ou Ibrahima
Sauri III, frère d'Omar, auquel il succéda en 1889. Madrolle, qui écrit en
1895, dit qu’ayant commandé de 1890 à 1892 et l’almamy Alphaïa de 1892
à 1894, Bou-Bakar-Biro commande encore pour la période 1894-1896.
3. On avait envoyé les lieutenants Plat et Levasseur pour faire exécuter
« Levasseur, du Boundou à Labé (1888) — Le sous-lieutenant
Levasseur fut détaché de la colonne dirigée par le capitaine For-
tin contre Mahmadou Lamine, pour reconnaître les pays situés
depuis le Gaman vers le Fouta-Diallo.
« Cet officier parvint à Labé, mais ne put gagner Timbo, l’al-
mamy du Fouta ne lui ayant pas permis d’entrer dans sa capi-
tale 1.
« Plat, de Kayes à Timbo (1888). — Sur l’initiative du gouver-
neur du Soudan qui était alors le colonel Galliéni, une mission fut
organisée pour être dirigée vers le Fouta-Dialo. La direction de
cette expédition fut donnée au capitaine Oberdorf qui prit pour
sa mission le sous-lieutenant Plat et le docteur Fras, l’interprète
Amadi-Gabi, huit tirailleurs pour l’escorte et vingt-trois conduc-
teurs avec 5 chevaux, 5 mulets et 30 ânes.
« Le but de ce voyage
était de reconnaître la route depuis Kayes
vers les rivières du sud en passant par Dinguiraye et Timbo.
« Dès les
premières marches, le capitaine Oberdorf tomba
malade, et mourut à peu de temps de là (9 janvier) près du village
de Tombé, laissant la direction de la mission au sous-lieutenant
Plat.
« Cet
officier atteignit Dinguiraye et Timbo où, après bien des
palabres avec l’almamy du Fouta, ce chef convint de placer son
pays sous le protectorat de la France. »
Madrolle, qui écrivait en 1895, met en note :
« De ce traité, la France
n’a encore rien recueilli. Les Français
qui se rendent au Fouta-Dialo sont toujours aussi mal reçus et
cela malgré les 10.000 francs de rente que la colonie de la Guinée
Française donne à l’almamy. Cette subvention, qui, du reste, est le
plus souvent apportée à Timbo, fait dire par les indigènes que la
France est sujette du Fouta. » Après cette note, Madrolle reprend
son récit et cite le lieutenant Plat :
« Le texte
du traité, en français et en arabe, soigneusement
relu, nous nous apprêtions à partir lorsque deux hommes du Din-
guiraye nous apportent soudain un courrier, le courrier du colonel
attendu depuis si longtemps. Avec une émotion profonde, une
joie fébrile, nous décachetons, dévorons les lettres. Cette coïnci-
dence nous semble de bon augure. On me hisse sur un cheval et
nous partons pour les derniers palabres.
« Cependant, après
la lecture du traité, dont chaque article est

enfin le traité de protectorat (1881) puis, pour intimider les Peuls, on envoya
sur leurs traces le capitaine Audéoud avec 100 tirailleurs.
1. Cet almamy était encore Ibrahima Sauri III (1872-1889).
longuement expliqué et commenté, tout ne se passe pas sans
encombres. L’almamy croit de son devoir de résister devant le
public et, pendant une grande heure, c’est une lutte émouvante
contre de misérables objections; puis il renvoie la signature au
lendemain matin : les esprits malins volent dans l’air la nuit et
viennent souffler et ternir les lunettes, objecte-t-il.
« A 4 heures du matin, une reprise d’hématurie me replongeait
dans les misères d’une fièvre assez violente pour inspirer de l’in-
quiétude au docteur, mais le traité de protectorat de la France
sur le Fouta-Dialo était signé en séance publique le vendredi
30 mars 1888. » (Plat, Tour du Monde, XIL, I, 537e livraison).
Ce traité, remarquons-le, était le second traité de protectorat
imposé au Fouta-Djallon, le premier étant de 1881 (Mission Bayol-
Noirot), mais les Peuls répugnaient invinciblement à appliquer
les clauses de ces traités et ils étaient pour eux comme nuis et non
avenus. Aussi, le colonel Galliéni, partisan de la manière forte,
envoie une mission,avec 100 tirailleurs cette fois, appuyer le lieu-
tenant Plat. C’est ce que Madrolle nous explique en ces termes
(p. 32) :
Audéoud, de Siguiri au Foula (1888). — L’année 1888 fut
féconde en explorations : tandis que le lieutenant Plat cherchait
à Timbo à placer le Fouta-Dialo sous le protectorat de la France,
le capitaine Audéoud,avec toute sa compagnie de tirailleurs, quit-
tait Siguiri le 25 mars 18881 pour s’assurer que les lieutenants
Plat et Levasseur étaient bien traités dans les pays habités par
les Mandingues et les Foulahs.
« Cette compagnie de tirailleurs sénégalais, forte de 100 indi-
gènes, du lieutenant Radisson et du sous-lieutenant sénégalais
Toumané Aïssa, franchit le Tinkisso, et pénètre dans le Fouta où
elle fut reçue avec une certaine crainte mêlée de respect.
« Un retard de porteurs nous retient encore au campement 2
pour la matinée. Cela nous vaut le coup d’oeil curieux du défilé de
la colonne de l’almamy.
« Auparavant, Demba est venu trouver mystérieusement le
capitaine et, l’obligeant à s’écarter, lui a, plus mystérieusement
encore, donné une espèce de plaque en or. C’est le remerciement
du cadeau d’hier : 300 francs en gourdes (pièces de 5 fr.) renfer-

1. Remarquez que le traité de protectorat proposé par le lieutenant Plat


fut signé le 30 mars. Il est très probable que la nouvelle de la mise en marche
de la colonne Audéoud le 25 mars 1888, bien vite connue des Peuls, ne fut
pas étrangère à cette conclusion si longtemps retardée.
2. Journal de route du lieutenant Radisson (Tour du Monde).
mées dans un petit coffret en orfèvrerie et deux boubous en soie
brodés d’or remis à l'almamy par ordre du colonel 1.
« Un détachement d’esclaves est parti avant-hier et a préparé la
route que l’almamy doit suivre, faisant des ponts sur les torrents,
pratiquant des tranchées dans les forêts.
«II est neuf heures:voici d’abord les deux fds d’Ibrahima,pré-
cédés d’une espèce de bannière et d’un choeur de griots. Cent
mètres plus loin et à cent mètres les uns des autres, les groupes de
chaque chef à cheval, entouré de guerriers et de captifs, et précédé
de griots chantant ses louanges.
«Les armées françaises devaient marcher comme cela au temps
de la féodalité lorsque le roy convoquait ses vassaux. Les chefs
sont par ordre d’importance. Enfin, voici l’almamy ayant devant
lui ses bannières, ses griots, ses marabouts, les gens de sa suite, et
derrière, une troupe compacte de guerriers. Il marche à pied, suivi
de son cheval. Nous allons au-devant de lui pour le saluer. Il
s’arrête. Mais les paroles ne s’entendent pas parmi les vociféra-
tions de ses griots, faisant un porte-voix de leurs mains. Puis, il
continue sa route et, dans le bruit qui décroît, on n’aperçoit bien-
tôt plus que les longues draperies de ses femmes ondulant dans
une perspective décroissante. »
Le mot de la fin sera donné par un fils de l’almamy : un des
officiers lui annonçant le départ de la compagnie pour le lende-
main : « Vous partirez si mon père le veut! » ou bien encore ce
Peuhl disant à un de nos porteurs : « N’as-tu pas honte de te faire
le captif des blancs? » ou enfin par ce vieillard défendant à un
marchand de vendre des oranges à ces « fils du diable » (Radisson
cité par Madrolle, p. 33).
Ce que ne dit pas ici Madrolle, c’est qu’il manqua d’y avoir un
choc entre la colonne Audéoud et les Peuls. Mais la sagesse du
capitaine Audéoud évita le conflit. Il n’était que retardé du reste
et devait se produire en 1896, car les Peuls, peuple fier et vani-
teux, ne voulaient pas admettre la supériorité militaire des Fran-
çais, malgré nos faits d’armes du Soudan de 1878 à 1888, et ne
l’admirent que quand ils eurent été écrasés.
En attendant que l’almamy guerrier et Soria, Bou-Bakar-Hiro,
dernier héros de la race, se lève contre les Français, les missions
continuaient au Fouta-Djallon. En 1891, M. de Beckmann vint
de Konakri à Timbo.

1. Il s’agitdu colonel Galliéni qui faisait remettre ces cadeaux à l’almamy


du Fouta-Djallon par le capitaine Audéoud. C’est l’éternelle politique du
sucre et de la cravache administrés tour à tour.
« M. de Beckmann, administrateur du cercle de Dubréka, fut,
lui aussi, dit Madrolle, page 37, chargé en 1891 de se rendre à
Timbo pour reconnaître le tracé de la future route coloniale vers
le Fouta.
« M. de Beckmann
apportait à l’almamy la redevance annuelle
que la colonie de la Guinée française a la mauvaise habitude de
payer à des chefs peu respectueux des traités et toujours animés
de mauvais sentiments à l’égard des Européens s’égarant dans
leur pays. »
On conçoit assez bien en réalité que les Peuls nous vissent d’un
mauvais oeil dans le Fouta. Il ne leur fallait pas beaucoup de
perspicacité pour voir où nous voulions en venir (la conquête) et,
comme le lapin ne demande que, par manière de parler, à avoir le
derrière rôti ou le train d’avant mis en daube, de même les Peuls
ne voulaient pas être mangés à la sauce française. Mais les gros
poissons avalent les petits dans les rivières et le destin du Fouta
était d’ores et déjà fixé.
C’est à Olivier de Sanderval que nous demanderons (La Con-
quête du Fouta-Djallon, 1899) le récit de l’agonie de l’empire
Foulah et sa soumission définitive à la France (1896). Les Anglais
avaient eu, au cours du XIXe siècle, des visées sur le Fouta-Djal-
lon, comme plus à l’est, sur le Mossi. Mais les Anglais sont sages,
et, ayant énormément de colonies et riches, ont décidé, une fois
pour toutes qu’il fallait laisser à la France une part du butin. A
partir de leur dernière mission au Fouta-Djallon (mars 1881) ils
ne nous disputèrent plus le pays et reconnurent notre traité de
protectorat de juillet 1881 (Bayol, Noirot).
Aimé Olivier (comte de Sanderval au titre portugais) avait, lui
aussi, des visées sur le Fouta-Djallon. Après s’être établi sur la
côte, il alla jusqu’à Timbo et le 2 juin 1880, obtint de l’almamy
Ibrahima Sauri III, le neveu du grand Omar, l’autorisation d’éta-
blir un chemin de fer dans le pays (p. 28). Malheureusement pour
Aimé Olivier, l’administration française avait aussi ses projets à
elle et envoya en 1881 au Fouta la mission Bayol et Noirot. Il faut
dire que les Anglais, eux aussi, s’étaient émus du voyage d’Olivier
de Sanderval en 1880. En 1881, le docteur Goldsbury, gouver-
neur de la Gambie, fut envoyé à Timbo à la tête d’une compagnie
de cent soldats. Il fit manoeuvrer ses hommes devant l’almamy
(31 mars 1881) et en même temps, il lui présenta une convention
toute préparée. Cette convention fut signée sans discussion. Elle
stipulait que l’almamy ouvrait les routes du Fouta aux Anglais,
et mettait ses territoires à leur disposition (p. 38). Cela n’empêcha
pas du reste le Fouta-Djallon de signer peu de temps après le
traité de protectorat présenté au nom de la France par la mission
Bayol et Noirot. En effet, cette mission partit de Dakar le 4 mai
18811 arriva le 23 juin à Fougoumba où venait de s’accomplir la
petite révolution périodique du Fouta-Djallon : l’almamy Ibra-
hima Sauri III, almamy Sauria venait de céder la place à l’almamy
Alphaïa Hamadou 2. Le 14 juillet, Bayol était à Timbo, en même
temps que M. Gaboriau, envoyé d’Olivier de Sanderval. Bayol
n’eut aucune peine à faire signer son traité par l’almamy Hama-
dou le 14 juillet 1881. Ainsi, à six mois de distance, le Fouta-Djal-
lon s’était mis à la fois sous le protectorat de l’Angleterre et sous
le protectorat de la France (c’est ce qu’on appelle neutraliser le
mal par le mal). Du reste, Olivier de Sanderval ayant envoyé à
Timbo une mission particulière pour s’assurer que son traité à lui
(1880) n’était pas effacé par le traité avec l’Angleterre de mars
1881, obtint cette réponse magnifique que son traité était bon,
tandis que celui signé avec l’Angleterre sous la menace des armes,
ne liait aucunement le Fouta-Djallon.
Cependant, en 1887-1888, Olivier de Sanderval se faisait pro-
clamer par l’almamy citoyen du Fouta-Djallon et se faisait donner
les hauteurs de Kahel avec le droit de frapper monnaie (p. 42), et
cependant encore, l’administration française continuait à écarter
Olivier de Sanderval qu’elle considérait comme marchant sur ses
brisées et foulant sans vergogne les plates-bandes des projets
officiels. Bref, pour elle, c’était un individu gênant, vaniteux,
encombrant, et à mettre de côté 3.
En 1888, nous le savons, trois missions furent « précipitées »
sur le Fouta-Djallon. Aimé Olivier était alors à Fougoumba et le

1. Bayol, Voyage en Sénégambie, p. 67.


2. Idem, Voyage en Sénégambie, p. 76.
3. Il y a du vrai dans ce jugement de l’administration. L’histoire d’Olivier
de Sanderval est une histoire à la fois lamentable et comique. C’est l’histoire
d’un homme énergique, mais vaniteux, s’obstinant à une besogne dont on
ne voulait pas, contre un adversaire plus puissant (l’État français) qui devait
finir, naturellement, par l’évincer. L’idée de Sanderval en 1880 semble avoir
été celle-ci : conquérir le Fouta-Djallon, le donner à la France; pour récom-
pense, être une espèce de vice-roi, un haut gouverneur du pays jusqu’à sa
mort, bref, faire au Fouta ce que Savorgnan de Brazza faisait au Gabon.
Malheureusement, au moment où Aimé Olivier faisait ce rêve, la France
avait déjà jeté son dévolu sur le Fouta-Djallon, la France, c’est-à-dire le
ministère de la Marine, remplacé bientôt par le ministère de la Guerre,
remplacé à son tour et définitivement par le ministère civil des Colonies.
La France, représentée successivement par ces trois ministères, l'adminis-
tration française en un mot, voulait conquérir directement le Fouta, ne le
devoir à personne, y être maîtresse et maîtresse absolue, avoir ses coudées
franches, faire du pays ce qu’elle voudrait, y construire son chemin de fer
vieil almamy Ibrahima Sauri III se plaint à lui des exigences
brutales de la France. « Il ne voulait pas donner, disait-il, son
royaume aux Français, pour un sac d’écus. En 1881, il avait
échangé des paroles d’amitié avec la France, mais il entendait
rester indépendant. » Cependant, la colonne du capitaine Au-
déoud se mettait en mouvement avec 106 hommes. L’almamy
s’enfuit de Fougoumba, mais fut rejoint à quelque distance par le
capitaine Audéoud. La colère était vive chez les Peuls, mais le
capitaine sut éviter un choc (p. 48).
A cette époque, et depuis juillet 1881, un accord conclu, nous
l’avons vu plus haut, entre la France et l’Angleterre, nous attri-
buait le Fouta. Cependant, jusqu’en 1895, la colonie anglaise du
Sierra-Leone paya une rente à l’almamy de Timbo pour assurer
la liberté des transactions commerciales entre la Sierra-Leone et le
Fouta-Djallon (p. 51).
En 1891, un fonctionnaire fut envoyé pour visiter le pays. (Il

à elle, etc. Et ce vouloir est très net chez l’administration française dès 1881
(Mission Bayol-Noirot).
Là-dessus, imaginez ce gêneur que voici (Aimé Olivier devenu comte de
Sanderval par la grâce du Portugal) qui veut conquérir le pays lui-même
qui veut construire son chemin de fer lui-même,
— pour l’offrir à la France ! —sent
pour l’offrir à la France! On que l’administration, la sacro-sainte admi-
nistration, est excédée et qu’elle se retient pour ne pas crier à tue-tête au
gêneur : Mais fichez-moi la paix! Je conquerrai bien le pays moi-même!
Je le mettrai bien en valeur moi-même! (Hum!), je construirai bien mon
chemin de fer moi-même ! Si vous voulez coloniser, allez dans une île incon-
nue du Pacifique et colonisez-la à votre aise. Tout vous est ouvert, tout le
vaste monde, sauf justement le Fouta-Djallon (et les autres endroits sur
lesquels l’administration française a jeté son dévolu).
Et, en définitive, toute l’histoire de M. Aimé Olivier est là. Il s’obstine
à faire le bonheur de l’administration malgré elle et celle-ci, excédée, le
récompense en mauvais procédés, et finit par le mettre à la porte.
Qui a tort? Qui a raison dans cette histoire? A la base de la conduite de
M. Aimé Olivier, il y a un manque certain de jugement : lui-même raconte
que tous les officiers de marine, tous les coloniaux qu’il rencontra, lui répé-
taient : Le Fouta-Djallon? chasse gardée! allez chasser ailleurs! Le conseil
était simple et bon, mais Aimé Olivier avait peu de jugement et une vanité
de nègre; il s’obstina contre l’évidence et fut écrasé.
Lui-même ne dit-il pas (p. 52) que le secrétaire d’État en 1888, le reçut
147 fois (je dis cent quarante-sept fois!)? Quels sentiments pouvait bien
nourrir in petto le secrétaire d’État de l’époque pour un aussi sinistre raseur?
Non seulement, il s’obstina pendant des années à faire la mouche du coche
au Fouta-Djallon, autour de ce coche administratif qui lentement et pénible-
ment (de 1881 à 1896) gravissait les étapes (de plus, cette mouche du coche
était en réalité une guêpe batailleuse qui chargeait sans se lasser contre
l’administration) mais encore Aimé Olivier joua dans une circonstance mé-
morable le rôle de l’ours de la fable, précipitant un pavé de taille sur la
figure de son amie, l’administration locale. L’aventure est trop drôle pour
ne pas être rapportée. Nous la verrons plus loin, à son heure, en décrivant
les péripéties de la fin du Fouta-Djallon.
s’agit sans doute de M. de Beckmann). Il fut reçu poliment, dit
Aimé Olivier, emmené à la chasse, son nom fut donné au dernier
fils de l'almamy, mais « il demeura l’étranger auquel on ne confie
pas la clef de la maison. » (p. 53).
En 1894-95, Aimé Olivier revint à Timbo. L’almamy Ibrahima
Sori III étant mort en 1889, son neveu Bokar Biro, fils d’Omar,
avait pris sa place. Il avait fait assassiner, dit Aimé Olivier, son
frère aîné et était ainsi devenu le représentant des Soria (voir plus
loin) : Ce fut en cette qualité qu’il prit le pouvoir après la mort
d’Ibrahima Sori III en 1889 et le conserva de 1889 à 1891, puis il
dut le céder à l’almamy Alphaïa (plus ancien que lui), Ahmadou
ou Hamadou, de 1891 à 1893. Il le reprit à cette époque et devait
le céder de nouveau en 1895 à Ahmadou. Mais en mars 1895
(approximativement) il déclara, ce qui était du reste un vrai coup
d’État contre la constitution du Fouta-Djallon, qu’il garderait
désormais le pouvoir indéfiniment. Ahmadou, plus vieux que lui,
était malade et se mourait de la phtisie. Ce qui, outre cette mala-
die, encourageait Bou Bakar Biro à garder le pouvoir, c’est qu’il
venait de vaincre et de tuer un de ses frères Mahmadou Paté. Le
syndicat des marabouts avait soutenu dans cette lutte Bou Bakar,
jugeant Mahmadou Paté trop intelligent et trop redoutable. Il
avait fait retirer secrètement les balles des fusils des captifs de
Mahmadou Paté, si bien que celui-ci fut plutôt assassiné dans un
guet-apens que vaincu dans une guerre véritable. « Bokar Biro,
dit Aimé Olivier, page 61, vainqueur dès le premier engagement,
était fier de son succès. Il nous fit conduire sur le champ de
l’action, au milieu des cases en ruines de Mahmadou Paté, témoins
éloquents de ce qu’il croyait avoir été une glorieuse bataille. »
C’est cet almamy brutal et batailleur, représentant du parti
guerrier du Fouta, que le lieutenant-gouverneur de la Guinée en
1895 (M. Ballay, un homme énergique) fit inviter enfin à venir à
Conakry. En fait, les lois du Fouta-Djallon ne permettaient pas à
l’almamy de quitter le pays. Aussi Bokar Biro refusa-t-il à l’admi-
nistrateur (envoyé par le gouveneur à Timbo) de venir lui-même à
Conakry ou même d’y envoyer quelque grand personnage du
Fouta pour le représenter ( marsl895). Pendant que cet envoyé
revenait fort mécontent, traitant Bou Bakar Biro de « fourbe
irréductible », Aimé Olivier qui passait non loin de lui et reçut
ses doléances par correspondance, continuait son chemin sur
Timbo, espérant ameuter contre Bakar Biro les Alphaïas, les fils
de Mahmadou Paté, tous ses ennemis enfin et entre autres le
grand marabout de Fougoumba, Ibrahima, qui l’avait soutenu
contre son frère Mahmadou Paté, mais qu’il avait irrité depuis
en ne tenant pas les promesses faites. Enfin, on pouvait dresser
contre l'almamy de Timbo le chef du Labé (province nord du
Fouta-Djallon) toujours impatient de ne plus obéir au pouvoir
central. Aimé Olivier trace un tableau curieux des moeurs poli-
tiques peuhles à ce sujet :
« Alpha Yaya, roi du Labé 1, est un vigoureux garçon, intelli-
gent, sans imagination, attaché aux ambitions utiles. Il avait fait
assassiner son frère Agui-Bou qui régnait avant lui. Agui-Bou étai
un brave homme dont la fin prématurée méritait un regret. Cet
Agui-Bou avait fait assassiner un de ses voisins qui avait conspiré
contre son pouvoir et dont je vis les fils captifs chez lui; de plus,
il avait une femme immensément riche, la belle Tahibou... Yaya,
son frère, lui ôta la vie, s’empara du pouvoir et prit sa femme. Les
mêmes procédés de succession le menaçaient... »
Aimé Olivier travailla le chef du Labé en secret et le poussa à
se révolter (p. 68), puis il partit pour Timbo où il palabra avec
Bokar Biro qu’il excita à son tour contre le chef du Labé. Bokar
Biro, en revanche, essaya de l’empoisonner quand il eut dépassé,
pour rentrer en France, le village de Sokotoro, petit Versailles des
almamy Soria, où pourtant les fds de Bokar reçurent bien notre
voyageur. Cependant, tandis qu’Aimé Olivier gagnait Kouroussa,
Siguiri, Kayes et Dakar, Bokar Biro attaquait tout de suite après
la saison des pluies (donc fm 1895) le chef du Labé. Il fut vaincu
à Bentiguel-Tokocéré. « Mes gens et mes armes, dit Olivier de
Sanderval, entraînant la confiance de la petite armée de Alpha
Yaya, les troupes de l’almamy furent mises en déroute et lui-
même prit la fuite. » (p. 89). Notre auteur ajoute que le principe
de Bokar était « qu’il vaut mieux fuir si l’on était vaincu et se
réfugier en lieu sûr pour préparer de nouveaux combats que de
rester mort sur le champ de bataille » (p. 90).
Bokar Biro, vaincu, jeta donc son turban royal, enfouit dans
une cachette le sac de peau de bouc dans lequel il portait son tré-
sor représenté par les bracelets et les boucles d’or de ses femmes;
il laissa son cheval et, à travers la brousse, tantôt secrètement
dans les régions habitées par des populations ennemies, tantôt
plus à l’aise, mais toujours prudent dans les villages amis, il fit
deux cents kilomètres à pied pour gagner la Guinée Française, se
réfugiant auprès de l’Administrateur envoyé en vain à Timbo

1. Il
vaudrait mieux dire chef, car le Labé dépendait en principe du
royaume peuhl, c’est-à-dire de Timbo sa capitale.
pour l’engager à venir à Conakry et qui le traitait de « fourbe irré-
ductible » dans ses lettres à Aimé Olivier. Ce fonctionnaire sans
rancune reçut l'almamy vaincu le plus galamment du monde
(p. 91). Il lui donna deux miliciens en uniforme pour l’accompa-
gner jusqu’à Timbo. D’autre part, Bokar Biro recruta en pays
soussou où il avait des partisans (sa mère étant de race Soussou)
une petite armée. Il rencontra l’armée des opposants entre Téliko
et Timbo, mais celle-ci se retira à la vue des uniformes français
(p. 93). Cependant, l’administration avait envoyé une colonne à
Timbo et pressait l’almamy de descendre à Conakry. Celui-ci
refusa encore, mais ne put pas ne pas signer un nouveau traité de
protectorat qui le mettait définitivement et étroitement sous la
dépendance de la France. La colonne qui occupait Timbo redes-
cendit alors dans la plaine à quelque distancede la capitale (p. 99).
Il faut ajouter que Bokar Biro n’avait pas signé le traité de son
nom. S’il faut en croire Olivier de Sanderval, il avait mis à la place
Bissimilaï (grâce à Allah! merci à Allah!) De plus, on s’aperçut à
Saint-Louis, le traité traduit, qu’il ne reproduisait pas exactement
ce que nous avions voulu y mettre. Bokar Biro avait, une fois de
plus, rusé, pour éviter notre protectorat. C’est alors (les dés
étaient cette fois jetés et bien jetés) qu’on donna l’ordre au capi-
taine Muller, qui commandait la colonne d’occupation, de réoc-
cuper Timbo par la force et de s’emparer de l’almamy. Celui-ci,
en qui survivaient les qualités guerrières de son père, l’almamy
Omar, fit un appel suprême à ses partisans, aux Sorias, à tout le
Fouta-Djallon, et marcha avec 1500 hommes contre nous. La
rencontre définitive eut lieu à Porédaka. Bokar Biro essaya de
tourner et d’envelopper la petite ligne française (100 tirailleurs et
les officiers blancs). Mais les feux de salve réguliers et meurtriers
des Français mirent la cavalerie peuhle en déroute. Quatre frères
de Bokar Biro sur dix-huit restèrent sur le champ de bataille.
Lui-même s’enfuit, espérant gagner le Sierra-Leone, mais on mit
à ses trousses un chef indigène qui le haïssait. Il fut rejoint assez
loin du champ de bataille. Un paysan montra la case où il s’était
réfugié avec quatre de ses captifs les plus dévoués. Rejoint, il
essaya de se défendre et ordonna à ses captifs de faire feu, mais il
fut tout de suite abattu et tué avec ses défenseurs. Mort, on lui
coupa la tête qui fut portée aux Français avec celle de ses
hommes 1. C’était la fin de l’indépendance du Fouta-Djallon.
1. Ce fut ces têtes que le Dr Miquel rapporta en 1896 de Timbo en France
et que le Dr Verneau étudia ensuite dans un travail devenu célèbre pour
l'anthropologie peuhle en 1899. Remarquons que Bokar Biro était un métis
Bou Bakar Biro, almamy Soria vaincu et tué (1896), il fallait
nommer un nouvel almamy. Or, l’almamy Alphaïa, Ahmadou,
venait lui-même de mourir. Olivier de Sanderval fut consulté par
le Gouverneur Général pour savoir qui l’on devait nommer : il
désigna Oumarou mo Bademba, un Alphaïa qui réunissait le plus
grand nombre de suffrages dans le pays, homme paisible et hon-
nête. Mais le sort en décida autrement. En effet, le commandant
de la compagnie victorieuse campée à Timbo désigna le 9 février
1897 comme almamy le nommé Sauri Elili qui avait eu un almamy
parmi ses ascendants, mais qui était de petite noblesse. On l’avait
choisi pour les services qu’il rendait et la façon exacte dont il ravi-
taillait la colonne. Malheureusement, il se faisait aussi sa part et
pillait le pays. En octobre 1897, il fut assassiné par un nommé
Tierno Ciré.
Cependant Aimé de Sanderval voulait toujours établir son
chemin de fer de la côte au Fouta. Mais il se heurta à nouveau au
ministère des Colonies qui finit par dire franchement aux séna-
teurs et députés qui s’intéressaient à Aimé Olivier : le chemin de
fer, nous voulons le faire nous-mêmes (c’est-à-dire le confier au
génie militaire). Aimé Olivier était définitivement évincé et
quitta le Fouta. En 1899, il publiait sa Conquête du Fouta-Djallon
où il soutenait que c’était l’initiative privée (la sienne) qui avait
fait la conquête du pays. En fait, Aimé Olivier n’a guère été
qu’une mouche du coche et (fut-il ou ne fut-il pas intervenu) les
colonnes françaises auraient toujours lait la conquête du pays 1.

de Peuhl et de Soussou, fils du grand almamy Omar et d’une princesse


Soussou.
1. Cette mouche du coche était aussi, à l’occasion, nous l’avons déjà
dit, l’ours qui décoche un pavé sur la figure de son ami pour lui rendre ser-
vice. Nous avons vu tout à l’heure que quand Bokar Biro berna en 1896
nos envoyés en mettant au bas du traité de protectorat la formule « Bissi-
milaï ! » au lieu de mettre son nom, Aimé Olivier fut tout de suite averti
de la supercherie. Le mieux était de ne pas la voir. Au lieu de cela, Aimé
Olivier s’empressa de souligner et de mettre bien en évidence le tour qui
nous était joué en passant un traité avec le chef du Labé et en l’envoyant
par courrier ultra-rapide, par marches forcées, à Kayes, en faisant connaître
qu’ainsi, si Bokar Biro nous avait joué, lui, Aimé Olivier de Sanderval, répa-
rait l’affront en nous offrant un traité tout neuf et celui-ci bien authentique
et bien revêtu de tous les sacrements. On voit d’ici la tête de l’Administra-
tion à Kayes et à Saint-Louis! Celle-là n’a pas dû être pardonnée à Olivier
de Sanderval, pas plus que ses 147 visites de 1887-1888 au Sous-Secrétaire
d’État à Paris. Ajoutons encore que les malheurs d’Aimé Olivier vinrent
surtout de sa vanité énorme et puérile (par exemple son titre de comte de
Sanderval acheté en Portugal). Il rêvait non seulement d’une vice-royauté
au Fouta-Djallon et dans toute l’Afrique occidentale française (considérée
par lui comme une annexe du Fouta-Djallon) mais encore il rêvait de lever
dans son royaume, au nom de la France, 300.000 hommes (Peuls et nègres)
Cependant, on devait quelque chose à un homme qui s’était ruiné
dans le Fouta-Djallon et, en 1913, on n’avait pas encore payé à
Olivier de Sanderval cette dette qu’on aurait dû accompagner du
ruban de la Légion d’honneur.
Olivier de Sanderval disparaît donc de la scène du Fouta-
Djallon en 1899. En 1900, c’est l’Exposition Universelle et
M. Famechon dans sa Notice sur la Guinée Française pour l’Expo-
sktion de 1900, parle à son tour du Fouta-Djallon. En fait, il ne
donne pas de renseignements inédits sur les Peuls. Il distingue
avec raison les Peuls fétichistes venus au XVIe siècle, en 1534,
avec Koli Tenguéla ou Koli Galadio (appelé encore Koli Pouli,
c’est-à-dire Koli le Peul) dans le Labé et vers la Gambie et les

avec lesquels il s’embarquerait à Bizerte, conquerrait l’Italie (Les Italiens


ne nous haïssent pas... dit-il, avec une tranquillité ineffable, et par conséquent
seront bien contents d’être conquis par nous! propos qui aurait été mieux
placé dans la bouche de Bonaparte en 1796 lorsqu’il entrait à Milan), rejoin-
drait les Alpes et pénétrerait en Allemagne. Là, l’Allemagne battue et con-
quise, il nous aurait restitué l’Alsace et la Lorraine! Voilà quels étaient les
projets et rêves d’Olivier, comte de Sanderval! (Et que l’on ne croie pas
que j’invente ; tout ceci est dans son livre : Le Soudan Français, Kahel,
1893, p. 424 et 425). Naturellement, la France n’aurait pas pu faire autre
chose que de confier ses destinées à ce nouveau Napoléon, flanqué de ses
300.000 Peuhls et nègres (et le moins nègre dans tout cela n’était certaine-
ment pas notre homme). Donc, un manque complet de bon sens, une vanité
formidable, voilà les graves défauts qui firent le malheur d’un homme par
ailleurs riche et actif. Il fut écarté irrésistiblement par l’Administration
exaspérée de voir perpétuellement ce demi-fou sur son chemin et voulant
faire ce qu’elle se réservait, elle, de faire à son heure, avec ses hommes et
ses moyens tout-puissants. Pour entendre toutes les cloches et tous les sons,
mentionnons, dans une note plus sympathique à Olivier de Sanderval, un
article de M. Jourdier dans la Dépêche Coloniale du 18 novembre 1913.
En tout état de cause, on devait tout de même à ce vieil explorateur du
Fouta la croix de la Légion d’honneur et une indemnité pécuniaire pour sa
fortune perdue.
Encore une remarque. Aimé Olivier ne connaît rien à l’histoire de ce
Fouta dont il s’est tant occupé et qu’il croit avoir conquis. Il ne connaît
pas Gordon Laing, le véritable historien du vieux Fouta-Djallon, ni Gray et
Dochard. Il cite bien René Caillié, mais c’est pour célébrer seulement en
lui «les mérites éminents de l’initiative privée! » Il cite Hecquard et Lam-
bert, mais il n’a sans doute lu ni l’un ni l’autre car il écrit toujours Hecquart
avec un t final alors que Hecquard s’écrit avec un d final. De même, il place
1e. voyage d’Hecquard dans le Fouta-Djallon en 1852 (alors que c’est en
1851 que Hecquard se trouva dans le pays). — Pour tout cela, voir sa
Conquête du Fouta-Djallon, p. 12). Enfin, il croit, dur comme fer, que les
chefs du Fouta descendent des rois de la Mecque (p. 37) et même possèdent
le sabre du Prophète! Ce seraient donc des Arabes à son avis, que les Peuls
du Fouta-Djallon, l’aristocratie tout au moins. Quelle candeur! et pourrait-on
croire qu’Aimé Olivier a vu réellement les Peuls! et pourtant, il s’est promené
dans le pays, de 1880 à 1896, au cours de plusieurs voyages. De même, pour
l’histoire peuhle au Fouta-Djallon, il dit que Karamokho-Alfa, fils du roi
du Macina, a été le premier roi ou almamy Peuhl du Fouta-Djallon. Bref,
il ne connaît rien à l’histoire d’un pays qu’il a pourtant voulu conquérir !
Peuls venus du Macina à la fin du xvIIe siècle. C’est par la voie du
Tinkisso ou Tankisso, affluent occidental du Niger, et en le remon-
tant, comme ils firent du Niger lui-même, que les Peuls du Macina
pénétrèrent dans la région de Foukoumba et de Timbo, conduits
par quelques familles nobles (Séri, Saïdi). Ils se virent assigner au
début un district par les Dialonké, maîtres alors du pays, puis,
des marabouts étant venus les renforcer, ils firent la Guerre
Sainte aux Dialonké et s’emparèrent du Fouta, soumettant les
Dialonké ou les poussant dehors.
M. Machat (Les Bivières du Sud et le Fouta-Djallon, 1906)1 parle
lui aussi de l’histoire des Peuls du Fouta-Djallon, mais il se rallie
à une théorie fausse qu’ils sont venus directement de Ghana.
Écartant tous les témoignages unanimes des voyageurs et histo-
riens précédents, il imagine d’abord que les Peuls du Fouta-
Djallon sont venus du Fouta-Toron par la voie courte (et très
facile évidemment sur la carte) du Bondou et de la Haute-Gambie!
Géographiquement parlant, cette route est parfaite, mais voilà,
les Peuls du Fouta (je parle de l’immigration de 1694 et non de
celle de Koli Tenguéla qui est de 1534) sont venus du Macina :
tous les voyageurs et historiens l' affirment, comme nous l’avons vu :
Gray et Dochard, Gordon Laing, Hecquard, Bayol et Noirot, etc.,
etc. Mais dit M. Machat, Mollien (1818) dit le contraire. Nulle-
ment : Mollien dit simplement, en général, que tous les Peuls
d’Afrique occidentale et leurs métis viennent du Fouta-Toron, ce
qui est vrai d’une vérité générale et incontestable car les Peuls de
Nioro et ceux du Macina eux-mêmes et aussi ceux du nord du
Haoussa, viennent du Fouta-Toron. Ainsi, les Peuls du Fouta-
Diallon, même ceux du XVIIIe siècle, viennent indirectement du
Fouta-Toron (et indirectement même d’Ethiopie à une époque
encore plus reculée) mais ils viennent directement du Macina.
Tout ce qu’on peut admettre, c’est que quand le marabout Abd-
el-Kader s’empara du pouvoir au Fouta-Toron en 1773, des Peuls
du Fouta-Toro vinrent rejoindre ceux du Fouta-Djallon, à
l’époque du grand almamy Ibrahima Sori Maoudo.
Il en est de même de Tautain (1886) cité par M. Machat à
l’appui de sa thèse. Il affirme simplement que le centre original et
premier de l’expansion Peuhle en Afrique occidentale a été le
Fouta-Toron. Seulement, il le fait en termes singulièrement criti-
quables et équivoques, quoiqu’au fond on voie bien sa pensée.
M. Machat se demande ensuité à quelle date les Peuls sont

1. P. 276 et suivantes.
venus au Fouta-Djallon. Il cite M. Le Chatelier qui dit au
XVIIe siècle (et qui a raison à condition qu'on entende la fin du
XVIIe siècle), Madrolle qui placerait cet exode des Peuls vers
1650 1, Noirot qui le place en 1694. Il cite aussi la carte du grand
géographe français du xvme siècle, d’Anville, faite pour l’édition
des voyages d’André Brue et qui porte la mention au S. E. des
sources de la Falémé de Foutaguialon « pays naturel des
Peules. »
M. Machat ajoute : « C’est pour la première fois, à ma connais-
sance, que le nom à peine déguisé de Fouta-Diallon pouvait se lire
sur un document cartographique; outre qu’il indique à lui seul que
les Diallonkés n’étaient plus les maîtres incontestés de la contrée,
l’expression accolée de « pays naturel » prouve, à mon avis, deux
choses : que d’après les renseignements d’André Brue, les Foulbé
(et par conséquent leurs métis) étaient depuis assez longtemps au
Fouta et que, ni pour les indigènes, ni pour les Européens de Séné-
gambie, ils n’y étaient venus du Nord. »
Cette conclusion de M. Machat ne nous semble nullement sé-
rieuse. André Brue (et le père Labat que M. Machat ne nomme
pas) avaient fort peu de renseignements sur les Peuls du Fouta et
se sont contentés de les découvrir, ce qui est déjà bien joli. On ne
peut tirer d’un mot (pays naturel) qui exprime une idée d’ailleurs
fausse (puisque, s’il y a un pays naturel des Peuls, c’est en Afrique
occidentale, le Fouta-Toron et en Afrique orientale, l’Ethiopie ou la
Nubie), les conséquences énormes que M. Machat veut en tirer.
Du reste, l’étude de M. Machat sur les Peuls et leurs métis est sé-
rieuse. Il distingue fortement les Peuls purs (ceux de la brousse,
nomades, pasteurs et chasseurs) des Peuls du Fouta-Djallon qui,
dit-il, sont très métissés de Mandés (Dialonké et Malinké) et qu’il
aime mieux appeler Foulahs (quoique ce nom soit un nom Mandé :
Foula au singulier et Foula-ou au pluriel, désignant les Peuls en
général) et il s’appuie surtout ici sur l’autorité du Dr Maclaud 2.
Évidemment, il a raison en partie et Bokar Biro lui-même, nous
l’avons vu, ce dernier défenseur de l’indépendance du Fouta-

1. Mais la citation de Madrolle par M. Machat est inexacte. En fait,


p. 299 de son gros volume : En Guinée, Madrolle dit que les Peuls se soule-
vèrent contre les idolâtres (Diallonké) en 1775 et que dès le milieu du
XVIIIe siècle (donc 1750) ils étaient assez nombreux pour former quelques
villages indépendants. C’est donc vers 1750 et non vers 1650 que Madrolle
place l’arrivée au Fouta-Djallon des Peuls du Macina. En fait, cette arrivée
se fit à la fin du XVIIe siècle (vers 1694).
2. Maclaud dans Revue Coloniale, 1899, p. 450 et dans Bulletin de la
Société de Géographie commerciale de Paris, 1899, p. 517.
Djallon, était le fils d’un Peuhl, le grand Omar, et d’une femme
Soussou et ce qui est vrai de Bokar Biro est vrai d’une grande par-
tie des Peuls du Fouta-Djallon...
M. Machat indique ensuite ce que sont les Peuls en eux-mêmes :
il cite le Dr Verneau, qui a reconnu sur eux les deux mêmes types
que présentent les Éthiopiens et les anciens Égyptiens, ancêtres
des Fellahs actuels. Il cite aussi, il est vrai, mais moins favorable-
ment, l’hypothèse que ce seraient des Arabo-Berbères (Dubois,
Passarge, Constantin Meyer) et aussi l’hypothèse de Deniker
(1900) qui concilie les deux opinions en disant que les Peuls sont
des métis d’Éthiopiens pénétrés de sang Arabo-Berbère (p. 273,
en note). C’est cette dernière théorie qui semble, en définitive,
avoir les faveurs de M. Machat puisqu’il traite couramment les
Peuls de Nubi-Berbères (ainsi p. 270).
M. Machat revient ensuite sur les Peuls du Fouta-Djallon qu’il
appelle, comme nous l’avons vu, des Foulahs (p. 276) : Il cite
encore Maclaud qui dit que les Irlabé sont des Toucouleurs d’une
famille qui a laissé beaucoup de ses membres au Sénégal et les
Sidianké des Mandé qui se sont implantés au Fouta avec Karamo-
kho-Alfa. Si ces faits sont vrais, ils prouvent tout simplement, ce
que tout le monde admet, qu’il y a eu un fort métissage des Peuls
du Macina avec les autochtones (Dialonké) et même des Malinké
et qu’il y a aussi des Toucouleurs qui sont venus du Fouta-Toron
(probablement vers 1773). Puis il examine d’où sont venus les
« Foulahs » du Fouta-Djallon et cite l’opinion classique
qu’ils sont
venus du Macina (il la cite chez Bayol et Noirol, mais pourrait la
citer chez bien d’autres). Puis il cite l’opinion de Mollien que nous
avons discutée plus haut et qui se contente en réalité d’indiquer le
Fouta-Toron comme point de départ des migrations des Peuls en
Afrique Occidentale, point de vue exact. Mais Mollien, qui ne con-
naissait nullement l’histoire du Fouta-Djallon, n’a jamais déterminé
et ne pouvait déterminer avec ses moyens et à son époque si les
Peuls du Fouta-Djallon venaient directement du Fouta-Toron ou
indirectement par le Macina, solution qui est celle des Peuls du
Fouta-Djallon eux-mêmes, de leurs traditions et de la plupart de
leurs historiens.
Cependant, avec tout cela, M. Machat n’admet pas que ce soit
seulement des Peuls du Fouta-Toron ou des Toucouleurs qui aient
peuplé le Fouta-Djallon. Il croit en définitive (p. 278) que la
masse Peuhle du Fouta-Djallon est arrivée directement par l’est
et même déjà si fortement métissée de noirs, qu’elle était presque
Mandéïsée à son arrivée dans le Fouta. Tout cela, c’est de la fan-
taisie et nous avons déjà exposé longuement ce qu’il en est réelle-
ment.
M. Machat passe ensuite à l’histoire détaillée de l’empire des
Peuls du Fouta-Djallon. Il fait remonter les premiers groupements
Peuls dans le Fouta à la dispersion de l’empire de Ghana (XIe siè-
cle) qui était, pour lui, un empire Peuhl. Il met l’arrivée de ces
groupements du XIIIe au XVe siècle (d’après le Dr Quintin) 1 et
dit qu’en tout cas, au XVIIe siècle, des Peuhls (purs) et même des
Foulahs (Peuls métissés) étaient depuis longtemps dans le pays,
ce qui ne l’empêche pas de citer en même temps l’opinion con-
traire de Noirot qui place l’arrivée des Peuls du Macina en 1694.
Il y a ensuite d’énormes erreurs de chronologie dans M. Machat,
erreurs qui proviennent de ce qu’il a mal lu Gordon Laing. Il le
cite cependant, mais malgré cela, place Karamokho-Alfa vers
1780 (p. 281, in fine) alors que nous savons par Gordon Laing qu’il
est mort en 1751 et que les grandes guerres pour la domination du
Fouta eurent lieu de 1750 à 1776 contre les Dialonké du Soliman,
les Ouassoulonké et les Sankaranké. Cependant, Machat, puis-
qu’il a lu Gordon Laing (p. 282, 283), aurait pu en tirer une ver-
sion plus exacte de ces événements. En tout cas, il note, d’après
Gordon Laing, la destruction de Timbo en 1763 par les Ouassou-
lonké et les Diallonké du Soulima, ce qui prouve que quand
Ibrahima Sori, après sa victoire définitive (1776),transféra défini-
tivement la capitale du Fouta-Djallon de Foukoumba la vieille
capitale et la ville sainte à Timbo (ceci vers 1780) il ne faisait que
rétablir un village important du pays, d’abord créé par les Dia-
lonké, puis occupé ensuite, bien avant 1763 par les Peuls (p. 283).
Machat note ensuite, cette fois avec exactitude, le coup d’état
d’Ibrahima Sori contre le grand conseil des marabouts de Fou-
goumba et son établissement définitif à Timbo, avec le titre d’al-
mamy que lui avaient donné les guerriers (p. 284).
Ce qu’il y a de mieux dans Machat, c’est l’histoire chronologique
des progrès extérieurs des Foulahs à partir de 1830. A cette épo-
que, le Labé (province peuhle du Nord), les Timbi, le Niocolo, le
Bandéia, le Koïn, le Kolladé, obéissaient à l’almamy (le Niocolo
est Mandé). Son pouvoir s’étendait vers le sud jusqu’au Rio-Nu-

1. Tout ceci est de la haute fantaisie. Le Fouta-Djallon fut d’abord peuplé


de Bagas, Landoumans, etc. Au XIIIe siècle, les Soussou-Dialonké chassés
par les Malinké de la vallée du Niger (Soundiata) s’y réfugièrent et prirent
le pays, refoulant Bagas et Landoumans sur la côte. En 1534, les « Foula-
counda » de Koli Tenguéla vinrent du Fouta-Toron s’établir à l’ouest du
Fouta-Djallon et vers 1694 eut lieu enfin la grande immigration du Macina
qui devait constituer l’empire Peuhl du Fouta-Djallon entre 1694 et 1775.
nez supérieur, au Limba, au Soulima. Sans doute, plusieurs des
pays gouvernés par lui étaient plutôt vassaux ou « protégés » que
sujets; ils étaient probablement dans la situation décrite un peu
plus tard par Hecquard pour le Kantora 1 l’almamy nommant le
chef et protégeant les caravanes moyennant redevance. Mais les
Foulahs avaient déjà émigré dans toutes ces régions. L’almamy
avait en outre, comme tributaires, selon René Caillié, les Landou-
mans et les Nalous (Machat, p. 285-286).
Machat continue ainsi :
« Chacune des relations de voyages postérieurs, jusqu’à l’éta-
blissement du protectorat français au Fouta-Djallon (1888 et dé-
finitivement 1896-1897), permet d’enregistrer de nouvelles étapes
de la conquête foulahne... D’après Hecquard, c’est en 1840 que
les Foulahs « aidés par les Mandés musulmans » 2 commencent à
soumettre les « Sonninquais » fétichistes de la Casamance 3. Et lors
de sa mission (1851) il constate que les Bauvés étaient devenus des
provinces du Fouta-Djallon, que l’almamy avait des représen-
tants auprès des chefs Tyapis (dont le pays était pour lui un ter-
rain de razzia et un lieu de passage), que les Foulahs protégeaient
les villages mandingues entre les rivières Mana et Koli, que Kadé
était devenu tributaire, que l’almamy avait même des résidences
dans les « foulacoundas» fondés sur la Gambie et sur la Casamance,
à côté des écoles tenues par les marabouts foulahs 4. Vers la même
époque (1842) Cooper-Thomson venu à Timbo par le sud, englobe
dans le Fouta-Djallon certains pays Soussou, le Tamisso, le Kin-
sam et fait aller le royaume de Timbo jusqu’au Benna (Thomson
dans Journal de la Société Royale de Géographie, 1846, p. 131-132).
Aimé Olivier trouve (en 1879-1880) le Foreah conquis et des Fou-
lahs déjà installés au Rio Nunez et M. le Dr Bayol (1881) présente
tous les pays Soussou comme tributaires. D’un autre côté, le Din-

1. Pays Mandé.
2. Ces Mandés musulmans sont les Mandingues de la côte c’est-à-dire
des commerçants, d’origine Malinké, assez analogues aux Mandés-Dyoula
du pays de Kong et de la Haute Côte d’Ivoire et musulmanisés comme eux.
3. Il ne faudrait pas croire que les populations de la Casamance sont des
Sonninké. Ici le terme « Sonninquais » péjoratif, désigne les fétichistes (de
races diverses) du pays, les buveurs de dolo ou de vin de palme. Le mot
Sôninnké, pris dans son mauvais sens, remonte loin, à la prise de Ghana
par les Almoravides (1076) sur les Sôninnké fétichistes.
4. On sait que les Tyapis sont les Landoumans de l'Est. En définitive,
dès l’époque de Hecquard, les Peuls du Fouta-Djallon avaient mis la main
sur tout le pays Landouman. (Tyapis de. l’est et Landoumans de l’ouest ou
Landoumans proprement dits) puisque Kadé était devenu tributaire. De
même, les anciens Peuls du pays (ou Foulacoundas) étaient devenus aussi
sujets.
guiraye où beaucoup de Foulahs avaient émigré de la Haute-
Falémé (Firia) fut cédé en partie à l’almamy El-Hadj Omar 1.
« La nomenclature des provinces (ou « diouals ») 2 du royaume
foulah faite par M. Bayol en 1881 et celle donnée par le lieutenant
Plat (1887-1888) présentent des différences assez sensibles : le
second compte treize subdivisions, le premier onze seulement,
(tandis que le Dr Fras en trouve treize aussi). On voit, d’autre
part, qu’il y aurait lieu de distinguer, comme dans l’empire de
Charlemagne, les pays directement gouvernés et ceux qui ne sont
que les vassaux des almamys ou protégés par eux (tributaires).
Mais l’important pour une étude géographique est d’établir quelles
étaient à peu près alors les limites de la race foulahne, c’est-à-dire
les établissements d’émigrés foulahs... partis du Fouta-Diallon
sous la conduite de chefs musulmans » (p. 287). Machat parle en-
suite du Bondou, royaume peuhl et musulmanisé, qui fut toujours
indépendant du Fouta-Djallon et qui mérite une histoire à part
(elle a été faite, du reste, du moins en partie). Puis il parle du Din-
guiraye (Dialonké, Peuls et Toucouleurs de El-Hadj-Omar) enfin
des extrêmes établissements peuls au sud et à l’ouest (p. 287 à
289). Ensuite vient l’histoire des Houbbous qui est du reste erro-
née au point de vue chronologique (la prise de Timbo par les Houb-
bous est de 1859 et non de 1850. Hecquard, en 1851, ne connaît
pas les Houbbous et ils n’existaient pas encore), et même au point
de vue historique, car Machat met à tort, suivant Lambert en cela,
sur le dos d'El-Hadj-Omar (qui avait d’autres chats à fouetter et
d’autres conquêtes à faire) la création de la secte des Houbbous.
Comme Bayol l’a expliqué avec soin (Voyage en Sénégambie,
p. 106 à 107) Lambert s’est trompé sur ce point et c’est Modi Ma-
madou Djoué, marabout peuhl vénéré, qui a créé cette secte des
Houbbous qui, s’étant révoltés, comme nous l’avons vu, contre
l’autorité d’Omar, pilla Timbo en 1859. Machat a donc tort ici de
1. Machat place à tort la venue d’El-Hadj-Omar au Dinguiraye en 1849!
alors qu’elle est antérieure à 1837. D’autre part, il cite un auteur portugais
récent, Vasconcellos qui dit que « depuis 1863, les Foulahs établis dans la
Guinée portugaise s'étaient révoltés contre les Mandés, les Biafades et les
Balantes. Ils formèrent ensuite par croisements les groupes autonomes des
Foula-Pretos, des Fouta-Foulahs, etc... » C’est toujours le même système :
les Peuls essaiment d’abord par petits groupes, reconnaissant la suzeraineté
des chefs autochtones du pays, puis, quand ils se sentent assez nombreux
et assez forts, ils se révoltent et établissent leur domination ou tout au moins
leur indépendance. Mais cette immigration en Guinée portugaise, toute
individuelle et privée, n’a rien à voir avec la colonisation guerrière dee
almamys du Fouta, sauf que ces Peuls ou Foulahs sortaient aussi du Fouta
et faisaient partie par conséquent de la grande poussée foulahine.
2. On dit généralement a diwal ».
suivre Lambert et une étude un peu plus sérieuse des textes que
nous possédons l’eût préservé facilement de cette erreur.
En définitive, la synthèse de M. Machat (1906), au sujet de
l’histoire des Peuls du Fouta Djallon, est très sujette à caution.
Les Peuls du Fouta-Djallon ne sont pas venus de Ghana (ou Gha-
nata) du XIIIe au XVe siècle et à cette époque, le Fouta-Djallon
était Dialonké après avoir été Baga, Landouman ou Tenda. La
première invasion peuhle dans l’ouest du pays est celle de Koli
Tenguéla ou Galadio qui est de 1534 (date que nous savons par les
Portugais). La grande immigration des Peuls musulmanisés est
venue du Macina vers 1694 (les Peuls du Macina venaient eux-
mêmes anciennement du Fouta-Toron vers 1400, mais, dans le
pays riche et gras du Macina, ils se multiplièrent vite, et le Ma-
cina devint rapidement un centre d’expansion et d’émigration
pour les Peuls). Vers 1725, les Peuls du Fouta-Djallon commen-
cèrent la guerre sainte contre les infidèles et, d’abord vainqueurs,
ils subirent ensuite de graves défaites quand ils se heurtèrent aux
Dialonké du Soliman, aux gens du Sankaran et aux Peuls du
Ouassoulou. Karamokho-Alfa, battu, devint fou et mourut en
1751. Ibrahima Sori, après des luttes terribles, où Timbo fut même
pris par les coalisés (1763), triompha enfin définitivement de la
coalition en 1776. Voilà l’histoire réelle des Peuls du Fouta-Djal-
lon pour les origines et non le méli-mélo de M. Machat. Il est vrai
qu’à partir de 1830, Machat connaît extrêmement bien les faits et
les sources. Néanmoins, sa synthèse, dans son ensemble, doit être
rejetée comme fantaisiste.
Nous arrivons maintenant à Guébhard (1910) et à André Arcin
(1911). Ces deux auteurs ont donné chacun une histoire complète
du Fouta-Djallon que nous allons examiner en détail.
CHAPITRE IV

LA SYNTHÈSE DE GUÉBHARD

Guébhard, administrateur au Fouta-Djallon, (j’ai eu le plaisir


de le connaître en 1907) n’est pas un auteur sûr. Il est intéressant
par les détails qu’il a recueillis de la bouche de ses renseigneurs,
mais il ignore malheureusement l’histoire véritable et la chrono-
logie du Fouta, n’ayant pas consulté les sources. Nous donnerons
cependant son récit à cause des détails intéressants qu’il contient.
Il dit d’abord que le Fouta-Djallon fut un refuge pour diverses
tribus peuhles, puis vinrent des marabouts musulmans qui exci-
tèrent les Peuhls contre les Dialonkés fétichistes. Vers 17501
« vivait à Timbo un musulman qu’entourait un renom de sainteté.
Il s’appelait Ibrahima Sambégo et descendait d’une famille mu-
sulmane établie depuis près d’un siècle dans le pays. Cet Ibrahima
Sambégo, pendant sept ans, n’était pas sorti de l’enclos de sa
résidence; nuit et jour, il était en prières, occupé à la lecture de
livres pieux ou enseignait la religion à ses disciples. Son cousin
Sory, quoique bon musulman, était un gaillard vigoureux, rompu
à tous les exercices du corps, sans cesse à la chasse ou en quête
d’aventures 2. Son caractère lui faisait mal supporter la promis-
cuité des idolâtres et leurs amusements profanes. Un jour, aux
environs de Timbo, avait lieu une grande fête à laquelle prenaient
part les fétichistes de l’endroit; il vint, se mêla aux danseurs, et,
brusquement, tirant son sabre, il creva les tambours au son des-
quels ils évoluaient. Profitant de la stupeur des assistants et non
sans en blesser plusieurs, il s’enfuit et se réfugia chez son cousin,
près de qui les infidèles vinrent réclamer, demandant à ce qu’il
leur soit livré pour être mis à mort. Ibrahima Sambégo reçut fort

1. Dans l’opuscule de M. Guébhard, il est imprimé 1780. Mais ce doit


être une faute d’impression pour 1750 ou 1730? puisqu’un peu plus loin,
Guébhard, parlant de la bataille de Benténiel, très postérieure, la place en
1775.
2. L’Ibrahima Sambégo dont il est ici question est Karamokho Alfa (alias
Ibrahima Moussou) et son cousin Sory est celui qui devait devenir plus
tard le fameux Ibrahima Sori Maoudo (le grand). Comme on le voit, Gué-
bhard ignore complètement les origines du Fouta-Djallon peuhl et son
histoire de 1694 à 1730 environ. Voir cependant plus loin.
diplomatiquement les plaignants et leur dit qu’il ferait rechercher
le coupable. Entre temps, il fit prévenir Sory, qui était dans les
environs, de venir en simulant la folie et en chantant comme s’il
avait perdu la raison, ce qu’il fit en effet : « Voyez, dit alors
Ibrahima, mon cousin est fou, il ne sait ni ce qu’il dit, ni ce qu’il
fait; arrangeons-nous et acceptez réparation avec ces présents. »
Calmés et satisfaits, les infidèles s’en allèrent emportant ce qu’ils
avaient accepté. A peine étaient-ils partis que toute la famille
d‘Ibrahima Sambégo se réunissait et que les têtes s’exaltant, la
guerre sainte dont, depuis longtemps déjà il était en secret ques-
tion, était fermement décidée. S’armant sur-le-champ, les croyants
se mirent à la poursuite des infidèles pour venger leur humiliation
et faire triompher leur foi. Sortis de Timbo, ils se comptèrent; ils
étaient en tout 99; encore avaient-ils avec eux tous les hommes
composant la famille et dont quelques-uns n’étaient encore que
des enfants. Tandis qu’ils se dénombraient ainsi, l’on vint annon-
cer à Ibrahima qu’un fils venait de lui naître. Aussitôt, rendant
grâce au ciel, ses compagnons et lui remercièrent Dieu d’avoir
porté leur nombre à cent et virent dans cette naissance un heu-
reux présage. Pleins d’un nouveau courage, ils se précipitèrent
sur leurs ennemis qui, les voyant venir, s’étaient arrêtés. Le pre-
mier, Salli Moussa, tira une flèche qui manqua son but. Tierno
Oumar tira à son tour et sa flèche vint traverser un Poulli qui
tomba. La bataille devint alors générale et le sort se montrait
défavorable aux croyants lorsque survint Marna Harouna qui
possédait un fusil 1, arme encore inconnue des infidèles qui, au
premier coup, pris de terreur et croyant que Dieu lui-même ve-
nait au secours des musulmans, se débandèrent et s’enfuirent.
Cette bataille avait eu lieu dans un endroit appelé Talansan
situé à peu de distance du Bafmg.
« Fiers de ce premier succès, les musulmans dont le nombre s’ac-
croissait sans cesse, car tous les croyants établis çà et là s’étaient
joints à eux, poursuivaient leurs ennemis et dans de multiples
engagements leur infligeaient de nouvelles défaites. Ibrahima et

1. Il semble que les fusils se soient répandus en Afrique occidentale


française au commencement du XVIIIe siècle. Le fameux roi Bambara, le
biton Mamari Kouloubali (1712-1755), en arma ses soldats. Il est vrai que
les Marocains venus en vainqueurs sur le Niger en 1591 avaient déjà des
fusiliers qui leur valurent, la discipline aidant, tous leurs succès, mais cette
première immigration des fusils dans le royaume Songhay (de 1591 à 1650)
ne semble pas s’être généralisée ou, tout au moins, dans le Sud (pays Bam-
bara, Malinké, Fouta-Djallon, etc.), les fusils ne se répandent qu’au com-
mencement du XVIIIe siècle.
sa petite armée vinrent alors camper près de la rivière Diendiou
afin de livrer bataille à une grande quantité d’infidèles Dialonkés
établis dans la région avoisinante. Ceux-ci, effrayés par les succès
toujours croissants de leurs ennemis, par leur courage, leur intré-
pidité, allèrent trouver un musulman important établi dans leur
région qui, sans les avoir convertis, était leur fabricant attitré de
gris-gris; ils lui dépeignirent l’armée qui s’avançait vers eux
comme un ramassis de pillards, son chef Ibrahima Sambégo
comme un faux musulman cherchant à conquérir pour lui le pays
et lui demandèrent de leur fabriquer un talisman qui leur assure-
rait la victoire sur leurs ennemis. Feignant d’épouser leurs que-
relles, Fodé Hadji écrivit leurs noms sur un morceau de papier
avec le nom de leurs ennemis, le leur remit, après en avoir pris
copie, leur disant d’être pleinement rassurés, paisibles, puis il les
renvoya non sans s’être fait donner d’utiles indications sur les
lieux où ils comptaient se retirer. En leur présence, il plaça sous
une pierre un autre gri-gri dont la vertu devait suffire à écarter
d’eux tout péril. Confiants dans cette promesse, les infidèles s’en
allèrent chez eux tandis que Fodé Hadji se rendait auprès d’Ibra-
hima Sambégo : « Je viens vous demander, lui dit-il, la direction
de la guerre, les ennemis sont tous dans leur village appelé Tiay;
nous les vaincrons avec l’aide de Dieu! — Ce sera difficile, répon-
dit Ibrahima Sambégo car ils ont dû faire des préparatifs pour se
défendre et ils sont nombreux. — Ne craignez rien, dit Fodé
Hadji, je les ai trompés, ils ne nous attendent pas et n’ont pris
aucune mesure pour se défendre. »
« Il raconta alors toutes les mesures qu’il avait prises pour con-
naître les retraites des ennemis, les défenses dont ils disposaient
et sa demande lui ayant été accordée par Ibrahima Sambégo,
avec l’aide de Sory et des guerriers, il vainquit à Tiay les ennemis
qui s’y étaient réfugiés sans défiance. Cette dernière défaite
acheva de terrifier les infidèles de la région qui abandonnèrent en
masse le Fouta et se réfugièrent dans la vallée du Niger, non sans
avoir été maltraités dans de nouveaux combats. Rien qu’à Tiay
et le même jour, la tradition rapporte que 170 vieillards, anciens
des tribus fétichistes, furent mis à mort; beaucoup se soumirent;
d’autres furent réduits en captivité. A la bataille de Talansan, les
musulmans avaient eu affaire à des Poulli 1, c’est-à-dire à des

1. Ces Poulli, si la tradition rapportée ici est exacte, étaient sans doute
des Peuls de Koli Tenguéla dits Foulacounda et restés fétichistes, ou peut-
être, à la rigueur, des Peuls de la brousse venus du Macina comme les autres,
mais restés fétichistes. Les commerçants Malinkés dont il est ensuite ques-
Peuls ; à Tiay, ils eurent affaire à des Dialonkés. Dans la même
région, il existait des groupements importants de commerçants
Malinkés, embryons de ceux qui y existent encore; il ne leur fit
pas la guerre parce qu’ils se soumirent; leur chef se convertit et
épousa une fille de Sory. Pendant qu’Ibrahima guerroyait ainsi
dans la région du Sud-Est, assisté de tous les musulmans de la
contrée, dans toutes les parties du Fouta, des guerres semblables
étaient plus ou moins commencées, mais avec des fortunes
diverses. Ibrahima convoqua à Tiay tous les chefs religieux épars
dans le Fouta qui répondirent à son appel et s’y réunirent.
C’étaient Mamadou Sellou du Labé, Tierno Abdouramani Massi,
Tierno Mahadiou Timbis, Tierno Salifou, Balla Koïn, Tierno
Amadou Kankalabé, Tierno Moussa Kébalé, Tierno Samba
Bouria, Tierno Ousman Foukoumba et Fodé Hadji. Le pays fut
partagé entre tous ces chefs, à qui fut déléguée la guerre sainte.
L’assemblée régla tous les détails de l’assistance que les confédé-
rés devaient se prêter pour assurer le résultat de leurs efforts. Il
fut convenu que, la guerre finie, on se réunirait à nouveau et,
afin de se concilier le secours d’Allah, Mamadou Seyllou sacrifia
un boeuf noir dont la viande fut partagée entre les neuf fractions
guerrières qui venaient d’être constituées en souvenir des neuf
compagnons du Prophète. Une prière solennelle fut ensuite faite
et les conjurés se séparèrent pour aller, chacun dans la région qui
lui avait été assignée, commencer la guerre. La tradition raconte
que lorsque Mamadou Seyllou revint chez lui à Labé, il réunit
neuf disciples pour manger dans une case sans lumière où ils con-
vinrent en même temps, des dispositions à prendre en vue de la
guerre. Ils mangèrent tous jusqu’à ce qu’ils fussent rassasiés;
mais quel ne fut pas leur étonnement, lorsque l’on apporta la
lumière, de voir que la calebasse qui contenait la nourriture était
encore intacte; devant ce miracle qui parut de bon augure, le
zèle des croyants redoubla et la conquête du pays ne tarda pas à
être complète. Il en fut de même dans les autres régions, mais la
conquête n’y fut pas aussi sanglante qu’elle l’avait été dans le
Sud-Est, parce que la région était peuplée de Peuls, du même
rameau ethnique que les vainqueurs qui durent à cette circons-
tance et aussi à leur conversion en masse, de n’être ni massacrés
ni réduits en esclavage, leurs personnes furent respectées, un

tion sont sans doute les « Diakankhé actuels commerçants musulmans, de


langue Malinkée, du Fouta-Djallon. Ces Diakankhé correspondent, dans
le pays, aux Mandé-Dyoulas des pays Sénioufo et de la Haute-Côte d’Ivoire.
tiers de leurs biens fut enlevé et pris par les vainqueurs pour leur
rançon, la terre devint par droit de conquête la propriété des
vainqueurs, mais la jouissance leur en fut laissée. A cette même
époque, Tierno-Moussa livrait bataille à Kébalé, Tierno-Samba à
Sambalako, Tierno-Salifou à Aïndé-Balla. Quant à Tierno Mama-
dou Kankalabé et à Tierno Ousman Foukoumba, ils palabrèrent
avec les Peuls infidèles et grâce au succès de leurs voisins, ils
obtinrent soumission et conversion sans coup férir. Dans les
Timbis où résidait un parti considérable de Poulli 1 et de Dialon-
kés, les choses n’allèrent pas tout seul et Tierno Mahadiou se vit
obligé de faire appel au concours des confédérés qui se réunirent
et vinrent assurer le succès de son effort. La bataille eut lieu près
de Benteniel (1775) 2 contre les Dialonkés qui furent défaits. Les
Peuls se convertirent. Après la victoire, une grande réunion eut
lieu à Timbi Tounni; tous les chefs religieux et guerriers du Fouta
s’y rendirent. On se montrait avec respect les vieillards qui
n’avaient pu prendre part à la guerre sainte mais qui l’avaient
inspirée et dont les prières avaient obtenu du ciel la victoire. A
l’heure actuelle encore, la mémoire de ces ancêtres vénérés s’est
pieusement conservée dans les familles sur lesquelles a rejailli
l’illustration de leur ascendance. Ce devait être un curieux spec-
tacle que cette assemblée, mélange de types de races si diverses,
les unes issues du nord, les autres du sud ou de l’est, descendants
de chérifs Marocains ou Berbères, Mandingues et Peuls dont les
rêves ambitieux de pouvoir et de fortune allaient se réaliser dans
leurs personnes 3... Le Fouta, désormais conquis, fut placé sous la
protection d’Allah qui en avait permis la conquête et, pour bien
marquer cette attribution, il fut décidé qu’on élirait un représen-
tant de sa puissance. Cette décision prise à l’unanimité, les diffi-
cultés commencèrent lorsqu’il s’agit de nommer ce représentant,
car les compétitions se firent nombreuses. Si la foi des vainqueurs
était vive, leur ambition ne l’était pas moins; tous voulaient bien
un chef, parce que c’est la loi du Coran qui enjoint aux musul-
mans, dès qu’ils sont réunis, de nommer un chef pour les com-
1. Ces Poulli, comme les précédents, étaient probablement des Foula-
counda.
2. Cette date de 1775 est beaucoup trop récente. Comme il s’agit des
premiers succès de la guerre sainte avant la défaite, la folie et la mort de
Karamokho-Alfa (1751), il faut la mettre vers 1725 ou un peu plus tard
seulement.
3. Je passe ici quelques lignes, évidemment fausses, où Guebhard repré-
sente les Peuls du Fouta-Djallon comme un amas indistinct de races diverses.
En fait, le gros noyau était constitué par les Peuls venus du Macina vers
1694.
mander au nom du Prophète et parce que les nationalités nais-
santes ont toujours besoin, selon le cours naturel des choses, de se
personnifier pour s’affirmer; mais chacun des vainqueurs espé-
rait bien être élu et, en cas d’échec, sauvegarder son indépen-
dance. Après bien des pourparlers, on élut enfin Alfa Ibrahima
Sambégo qui fut choisi parce qu’il était très pieux, très doux, très
poli et que ses origines arabes et la parenté qui l’unissait, paraît-il,
au prophète, lui créaient des titres spéciaux dont son attitude
pendant les guerres récentes, venait encore augmenter la valeur.
Telles furent les raisons apparentes de son élection; mais un vieux
Foulah qui, mieux qu’aucun autre, connaît les mobiles secrets de
l’âme peuple, m’a confidentiellement dit un jour que si Ibrahim
avait été élu, c’est que sa grande piété qui tournait au mysti-
cisme, avait atténué son énergie et amolli son caractère, ce qui
permettait à ses concurrents malheureux d’espérer échapper à
son autorité. Son couronnement, solennel, fut marqué par un
événement qui eut, sur l’histoire du Fouta, une répercussion con-
sidérable et qui montre bien l’esprit des vassaux vis-à-vis du
maître qu’ils s’étaient donné. Ce fut Alfa Mamadou Kankalabé
qui fut chargé de mettre sur la tête du nouvel almamy le turban
à neuf tours qui plaçait sous son autorité les neuf diwals ou pro-
vinces du nouvel empire; or, tandis qu’il l’enroulait, il parla ainsi :
« Tout le Fouta est placé sous ton commandement, sauf moi et ma
famille. » Alfa Ousman, chef de la famille des Sériankés, branche
collatérale de celle des Sidiankés, dont faisait partie le nouvel
almamy, pour lequel il avait été pourtant un concurrent acharné,
se leva alors et, prenant un nouveau turban, il recommença à
l’enrouler autour de la tête de l’almamy en disant : « Que tout le
Fouta avec sa population, ses êtres et ses choses, ses bois, ses mon-
tagnes et jusqu’à l’herbe et la poussière soit placé entièrement
sous l’autorité du nouveau chef! » Puis, se tournant vers Alfa Sel-
lou, il l’interpella suivant l’usage en lui demandant : « Ai-je bien
parlé? » Celui-ci, sans hésiter, répondit : « Oui ». Tous les autres
chefs, à leur tour répondirent : « Qu’il en soit ainsi » et la foule
approuva d’un murmure d’acquiescement. En mémoire de cet
acte de loyalisme, il fut décidé qu’à l’avenir, ce seraient Alfa Ous-
man et ses descendants qui auraient le privilège de sacrer les
almamys et c’est pourquoi nous verrons dans la suite de l’histoire,
les almamys nommés à Timbo, aller se faire sacrer à Foukoumba
et recevoir l’investiture de la main du chef de la famille des
Sériankés, assisté de l’alfa du Labé.
« Le chef suprême élu, on procéda à l’élection des chefs qui
allaient commander les provinces du nouvel empire. Tierno Maha-
diou obtint la région des Timbis qui comprenait alors le Massi, le
Médinah avec le Kébou, le Broual Tapé et le Benténiel. Alfa
Mamadou Sellou obtint la vaste province de Labé; Tierno Hama-
dou fut nommé chef de Kankalabé; Tierno Ousman, de Fou-
koumba ; Tierno Moussa de Kébalé; Tierno Samba fut nommé
chef du Bouria, mais il n’était pas satisfait et se plaignit; et,
comme son rôle, dans les dernières guerres, avait été très impor-
tant, on lui confia, en outre, tous les captifs Dialonkés pris à la
guerre qui avaient été réunis à Aïndé-Dara. La province de Bou-
ria comprenait alors le Kolen, qui n’en fut distrait que plus tard.
Fodé Hadji, dont on se rappelle le rôle, reçut en partage la région
qu’il avait contribué à conquérir. Tierno Salifou Balla reçut le
Koïn; enfin Alfa Diakouana, de Gougoré, et Tierno Oumar
Kalako se virent attribuer des suzerainetés dans la province de
Timbo, mais sans former de territoires indépendants, car le
nombre des provinces fut strictement limité à neuf, en mémoire,
comme nous l’avons vu, du nombre des premiers disciples du
Prophète. Le partage fait, l’on régla les attributions du pouvoir
royal; il fut alors décidé qu’une part serait réservée à l’almamy,
sur le butin pris à la guerre, sur les récoltes, sur les successions.
Des dispositions secondaires furent prises dans chaque province
pour les familles conquérantes et celles des vaincus qui allaient
désormais devenir leurs vassaux. La terre fut partagée sur des
bases qui subsistent encore aujourd’hui, entre les vainqueurs et
les vaincus, à qui cependant on enleva toutes les terres non réel-
lement exploitées. Pour le bétail encore en la possession des vain-
cus, on en fit trois parts dont deux leur furent conservées et la
troisième partagée entre les vainqueurs. Toute l’organisation
politique fut alors élaborée; à côté de l’almamy chef suprême, les
marabouts qui l’avaient élu se placèrent en conseil de l’empire
pour le diriger, le conseiller et l’assister en cas de besoin. Il fut
décidé que ce conseil, qui représentait la confédération des diwals
(provinces), se réunirait chaque fois que les intérêts politiques et
religieux de l’empire le nécessiteraient; qu’à lui appartiendraient
la nomination des almamys et les décisions concernant les guerres
à livrer et les traités à passer. En définitive, pour se conformer à
la loi du Prophète, les Foulahs venaient de se donner un chef, mais
ceux même qui venaient de l’élire s’efforçaient, par des mesures
secondaires, de diminuer son autorité et de conserver leur indé-
pendance. Dans la suite de l’histoire, nous assisterons aux diffi-
cultés du pouvoir royal à s’affermir. Nous verrons le grand con-
seil de l’empire, formé autrefois de grands vassaux confédérés se
recruter dans l’entourage direct du souverain, lutter contre l’au-
torité souveraine en lui suscitant des concurrents et des diffi-
cultés 1... A peine les membres de l’assemblée étaient-ils de retour
dans leurs demeures que d’autres périls les forcèrent à se réunir à
nouveau pour repousser le retour agressif des infidèles qu’ils
avaient chassés du pays. L’almamy Ibrahima ne dirigea plus les
armées et confia cette direction à son frère Sory 2 qui, d’ailleurs,
avait toujours dirigé les opérations militaires dont Ibrahima était
l’âme et l’instigateur. Ibrahima, chef religieux plutôt que guer-
rier, ordonnait la guerre et Sory la commandait en son nom.
Après l’assemblée de Benténiel, l’almamy Ibrahima et, pour lui
conserver le nom que lui donne l’histoire, Karamokho Alfa, dont
les facultés étaient ébranlées par les jeûnes, les veilles pieuses et
le mysticisme de plus en plus profond, se vit forcé de choisir
comme bras droit son frère Sory; les divisions qui existaient dans
sa propre famille rendaient cette décision nécessaire et, pour
mieux en faire comprendre l’opportunité, et en même temps pour
donner à cette famille des almamys, qui doit tenir une si grande
place, la physionomie qui lui est propre, nous en raconterons
l’origine et la composition à l’époque où Ibrahima Sambégo fut
nommé almamy. L’ancêtre de la famille s’appelait Seikou-Abana;
il vivait auprès de Tischitt et descendait du prophète par Néné‘-
Rugbiatou, une de ses filles. Il était parti de la Mecque sous le
règne de Sédinah Oumarou à la recherche de pays à convertir et à
conquérir. Parvenu à Tischitt, il avait, en effet, fondé un empire,
disent les traditions, également composé de neuf diwals et sa pos-
térité ayant augmenté 3 un de ses descendants nommé Abassy,
résolut de quitter la région pour aller lui-même, ainsi que l’avait
fait son ancêtre, convertir un pays et en assurer la possession à sa
descendance. Béni par le vieux de la tribu, il reçut de lui la pro-
1. Suivent des réflexions que je supprime comme n’étant pas très
justes.
2. Mais Sory n’était pas le frère, c’était le cousin de Karamokho-Alfa.
3. Bien entendu, il ne faut pas prendre au sérieux cette légende mara-
boutique sur la famille de Karamokho-Alfa, surtout en ce qui concerne sa
descendance du Prophète. On peut se demander si la Néné Rugbiatou dont
il est question ici ne serait pas une déformation du fameux Okba ou Okbalou,
le conquérant musulman de l’Afrique du Nord dont bien des Peuls musul-
manisés disent descendre (voir Origines Peuhles). D’autre part, cet empire
à neuf provinces ou diwals de Tischitt, ne serait-ce pas le fameux empire
de Ghana ? En tout cas, il y a ici de la légende et nullement de la réalité.
Notons que Maclaud dit, en sens absolument contraire, que la famille de
Karamokho-Alfa était une famille de Malinkés musulmanisés, de nègres
musulmanisés. Nous voilà bien loin du Prophète!
phétie que ses rêves ambitieux seraient réalisés lorsque lui ou un
de ses descendants trouverait un endroit appelé Timbo dont un
génie indiquerait la place à celui de ses descendants qui devait y
régner 1. Chargé de bénédictions, le voyageur se mit en marche;
il suivit le Sénégal, gagna la vallée du Niger et, remontant le cours
de ce fleuve, vint une première fois dans le Fouta, dans le Labé
où il forma un village à Dayébé Tondon. Sa famille, lui-même
était mort depuis longtemps déjà, se dirigea vers le Sud, où elle
séjourna quelque temps et d’où vinrent les ancêtres de Kara-
mokho-AIfa, toujours en quête du fameux Timbo où la race
devait régner. Tour à tour, les fils de Seikou Habana avaient
campé dans des endroits divers et jamais aucun génie ne leur
avait montré là où était Timbo; Ibrahima Sambégo voulait éta-
blir Timbo dans un endroit situé à peu de distance du Timbo
actuel, mais son frère Sory s’y opposait, disant qu’un génie
appelé Sountou lui avait révélé que là n’était pas Timbo. Lui-
même chercha longtemps; un jour qu’il se promenait avec Tierno
Amadou Guirladio, il arriva dans un endroit où, avant la con-
quête, les Poulli du voisinage rassemblaient leurs troupeaux : il
dit : « Là est Timbo! » et aussitôt il se mit en prière. Lorsqu’il se
releva, son compagnon avait, avec des pierres, délimité l’empla-
cement sur lequel devait s’élever peu de temps après, la mosquée
de Timbo, telle qu’elle existe encore. Karamokho Alfa, avec toute
sa famille, vint alors se fixer à Timbo, ne conservant à Kobilato
qu’un village de culture.
« Au moment où
Karamokho Alfa fut nommé chef, sa famille
était nombreuse. Nous savons que, rien que par les hommes, elle
s’élevait à une centaine d’individus. Voici comment elle se compo-
sait et quels en étaient les ascendants :

Généalogie de la famille des Sidiankés.

1. Fodé Seydi Frère de Fodé Séri de Foukoumba et


chef de la famille collatérale des Sérian-
2. Kikala kés. Tous deux descendants de Seikou
Habana avec qui leur généalogie n’est
3. Sambégo pas établie.

1. Toute cette légende sur Timbo est fausse. La première capitale du


Fouta-Djallon fut Foukoumba ou Fougoumba, et Timbo, d’abord village
Dialonké, puis devenu un gros établissement peuhl, ne devint capitale
qu’à la fin du règne d’Ibrahima Sory Maoudo (après 1776). En 1763, l'éta-
blissement peuhl avait été pris et pillé par les Ouassoulonkés et les Dia-
lonkés du Soliman.
4. Nouhou 5. Malégui
Karamokho Alfa Almamy Sory (enfants légitimes).
(Ibrahima Sambégo).
Mamadou Dian Tierno Mellal
Tierno Yousoufou
Hassana Paté
Tierno Mamadou Samba
Baye Si (Bâtards)
Tierno Mamadou Kala 1

Comme on le voit, Sori et Karamokho Alfa étaient cousins 2


«
et, si on les dit frères, c’est qu’il est dans les habitudes des noirs
d’appeler leurs cousins des frères. Karamokho Alfa n’avait qu’un
seul frère, tandis que Sori en avait quatre légitimes et deux autres
sur lesquels pesait la tare de bâtardise. L’un d’eux, Tierno Ama-
dou Kala, était plus âgé que Karamokho Alfa et fut un de ses
compétiteurs. Ses prétentions gênaient considérablement ses
parents qui n’osaient lui reprocher sa bâtardise, à cause de sa
mère qui était aussi celle de Sori, et, avec l’habituel respect des
indigènes pour leur mère, Sori, ni aucun des frères ou cousins par
lesquels elle était appelée mère, n’aurait osé incriminer la nais-
sance de Mamadou, car c’eût été une insulte à leur mère commune.
Cependant, le conseil de famille se réunit et l’on était décidé à
quelque extrémité lorsque Sori s’y opposa et déclara que par la
ruse, il était facile de se débarrasser de lui. Les vaches et les
boeufs pris à la guerre et revenant à l’almamy Karamokho Alfa,
avaient été assemblés à Kala et y étaient gardés. Sori annonça un
beau jour qu’il allait se fixer dans le troupeau, afin de boire du
lait, breuvage dont Mamadou était très friand; aussi celui-ci ne
pensant plus à ses ambitieux projets, déclara que, comme il était
l’aîné,c’était à lui de garder le troupeau de la famille et, sans rien
entendre, il partit pour Kala où il demeura désormais et où il
devint très gros à force de boire du lait, disent les traditions.
Lorsque Karamokho Alfa fut mort, que son cousin Sori fut devenu
almamy, sa famille ramena Mamadou, devenu très vieux, à

cette généalogie, Paul Guébhard retrouve l’histoire du Fouta-


1. Avec
Djallon antérieure à Karamokho Alfa. Il cite Seydi et Séri ancêtres des
Sidiankés et des Sériankés, puis le fameux Kikala, grand marabout pieux
(sans doute le Moussa Ba de Gordon Laing), enfin, Nouhou et Maléki ses
fils. Nouhou donne naissance à Karamokho Alfa et Maléki à celui qui devait
devenir Ibrahima Sori le Grand. Les deux héros étaient donc cousins et
nous le savons, du reste, depuis longtemps.
2. Guébhard revient ainsi lui-mêmé à la vérité historique, autant que nous
pouvons la connaître maintenant.
Timbo, près de la mosquée nouvellement construite; son fils
Aliou, conduisit les vaches près de Timbo, dans un endroit qui
s’appela dorénavant Aliouya.
« Outre cette famille nombreuse, Karamokho Alfa était entouré
de plusieurs notables qui, quoique de famille différente de la
sienne, étaient arrivés dans le pays avec ses ancêtres, avec les-
quels des alliances leur avaient créé des liens d’intérêt. Parmi ces
notables, dont la descendance doit jouer un rôle si important dans
l’histoire du Fouta, il faut citer Modi Maka, chef de la famille des
Irlabés, Tierno Amadou, de cette même famille, Mama Harouna
et bien d’autres qui usurpèrent bientôt, au chef des provinces du
Fouta, les pouvoirs que leur donnait la conquête. Dès le début du
règne de Karamokho-Alfa, ils s’érigèrent, ainsi que les parents de
l’almamy, en porte-paroles des provinces qu’ils se partagèrent de
la façon suivante :

Modi Maka Koïn Kébalé.


Tierno Yousoufou Labé Foukoumba.
Tierno Samba Timbi-Tounni.
Baye Si Timbi-Médinah.
Bayéro Talato Benténiel. Kolladé. Bomboli.
Tierno Mallal Timbi Ouest. Massi.
Tierno Amadou Bouria.

« Ces divisions sont importantes, car elles subsistent jusqu’à nos


jours et représentent une des institutions qui ont le plus influé sur
toutes les destinées du Fouta et sur celles des almamys. Ces
notables furent à l’origine les hôtes des chefs de provinces; lorsque
des assemblées se tenaient à Timbo, ils prenaient pour eux la
parole et présentaient à l’almamy leurs envoyés, lorsqu’en temps
ordinaire, ils avaient quelque communication à faire au souverain.
C’est ainsi qu’ils ne tardèrent pas à détourner à leur profit l’auto-
rité dont jouissaient ceux dont ils étaient les porte-parole et à for-
mer en quelque sorte les anciens de la vaste tribu que devenaient
les Foulahs sous l’influence du pouvoir centralisateur. Ils n’hési-
teront pas dans la suite à se substituer au pays, à le représenter, à
parler en son nom sans le consulter même. Ce seront eux, ces
notables, se transmettant de père en fils leur charge, les véritables
maîtres du pays, élisant et révoquant les chefs, les affaiblissant,
en leur suscitant des compétiteurs, pour ouvrir à nouveau les
vacances dont leur appui intéressé faisait pour eux la source de
fructueux bénéfices
« Sept ans après (1782) l’assemblée de Timbi, le Fouta se rassem-
blait à nouveau pour faire face à une révolte des captifs confiés à
Tierno Samba Bouria. Une première fois, l’assemblée réussit à les
soumettre par de bonnes paroles, mais, avant la fin même de la
réunion, plusieurs hommes libres furent massacrés et les confédé-
rés résolurent d’infliger un châtiment exemplaire aux révoltés.
Tous les vieux eurent la tête tranchée, tous les jeunes gens reçu-
rent cent coups de corde et se soumirent, mais une importante
fraction de plusieurs milliers d’individus s’enfuit et se réfugia
dans la brousse du Bennah où elle fonda une petite tribu qui sub-
siste encore sous le nom de Foulacogny. Ceux qui ne purent par-
venir à s’enfuir furent partagés entre tous les notables du Fouta 1.
« Sur ces entrefaites (1791) Karamokho-Alfa devint tout à fait
fou 2. Le Fouta réuni nomma son frère Sori almamy et il fut sacré
à Foukoumba. L’almamy Sori fit la guerre pendant dix ans 3
presque sans interruption dans le Limban, le Kouranko et le
Kissi. Il revint à Timbo avec un butin considérable et avec des
fractions importantes de peuples soumis, dont les chefs vinrent
chercher à Timbo l’investiture. Son armée se dénombra, et chaque
homme apportant une pierre, il ne tarda pas à s’élever une butte
de huit à dix mètres de hauteur sur autant de largeur que l’on
voit encore dans le tata des Sorias. Alentour, l’almamy, profitant
des vassaux qu’il avait amenés avec lui, fit construire un tata, et,
sur le sommet de la butte, il plaça sa case. Ces constructions
1. Cette révolte des esclaves n’est pas de 1782, comme le dit Guébhard,
dont la chronologie est absolument fantaisiste. Elle est de 1756, nous le savons
par Gordon Laing et donc, à cette époque, Karamokho-Alfa était mort
(1751) et les Peuhls avaient affaire à une coalition terrible des Ouassou-
lonkés et des Dialonkés du Soliman. Il n’est donc pas étonnant que les
serfs et esclaves des Peuhls, d’origine Dialonké, aient profité de ces difficultés
où se débattait le Fouta-Djallon, pour se révolter.
Walkenaer, t. VII, p. 340, résumant Gordon Laing, dit : « En 1756, les
esclaves du Fouta-Djallon se révoltèrent, se déclarèrent libres et se rendirent
en grand nombre dans le Fouta Bondou où ils élevèrent la ville de Koundia
et firent respecter leur indépendance. »
2. Nous savons par Gordon Laing que c’est en 1751 que mourut Kara-
mokho-Alfa. La date que donne Guébhard est donc inexcusable. D’autre
part, les renseigneurs de Guébhard ne lui ont rien dit des revers qui avaient
amené d’abord la folie, puis la mort de Karamokho-Alfa, revers que nous
connaissons par Gordon Laing : envahissement du pays Ouassoulonké par
les Peuls du Fouta aidés des Dialonkés du Soliman, trahison de ceux-ci,
revers de l’armée peuhle obligée d. regagner le Fouta en désordre et au
plus vite.
3. Si ce chiffre est exact, Ibrahima Sori aurait fait la guerre de 1751 à
1761, puis le jeune fils de Karamokho-Alfa, comme il est dit plus loin dans
la tradition Guébhard, ayant été nommé almamy par les Peuls, par jalousie
contre Ibrahima Sori, les désastres de 1763 (prise de Timbo par les coalisés)
seraient survenus, comme nous allons le voir plus loin, jusqu’à ce que
Ibrahima Sori ait repris le commandement.
firent murmurer le Fouta; on trouvait que le nouveau chef était
devenu trop riche, et, selon l’expression foulah, qui s’emploie
lorsqu’on veut dire que l’on a mangé jusqu’aux limites du pos-
sible, il était « Aru Teuf » c’est-à-dire « plein ». Aussi, tous les
grands vassaux, qui regrettaient déjà, comme nous l’avons vu, de
s’être donné un maître, détruisirent le tata de terre, remplacèrent
les fortifications par une clôture en bambou et en paille, comme
celles que les Peuls ont l’habitude de faire et dirent à l’almamy
que, comme il était devenu très riche, il était bon qu’il passât un
peu la main à un autre.
« Devant ce désir exprimé par l’unanimité, l’almamy déposé se
résigna. Ses guerriers et les membres même de sa famille étaient
contre lui; il se retira donc, et quittant Timbo, s’installa avec
toute sa famille et son bétail dans la montagne Hélaya, qui se
trouve derrière Timbo, sur le sommet de laquelle il installa sa
demeure, refusant de descendre à nouveau dans la ville (1801)1.
Les chefs et notables du Fouta, instruits par une première expé-
rience, résolurent de ne plus désormais se donner un maître, mais,
soucieux cependant du principe qui les avait une fois déjà ins-
pirés, ils nommèrent comme almamy Alpha Salifou, jeune fds de
Karamokho-Alfa, à peine âgé de quinze ans, et l’autorité fut
immédiatement prise par tous ceux qui étaient de force à en
détourner une partie à leur profit. Ce fut alors une période d’anar-
chie dont profitèrent les ennemis du dehors pour venir dans le
Fouta reprendre le butin pris dans les dernières guerres, et ce fut
en vain que l’armée foulah essaya de résister à leur attaque. Elle
fut chaque fois vaincue et les deux chefs Ouassoulonkés : Condé
Girama et Condé Aoua, envahirent le Fouta par le Koïn, le Kol-
ladé et virent établir leur campament jusqu’à Foukoumba où
vint également camper l’armée du Fouta impuissante à s’op-
poser à leur pillage; tous les troupeaux étaient dévastés par les
pillards qui égorgeaient ceux qu’ils ne pouvaient emmener (1806)2.
Les députations du Fouta allèrent alors chercher l'ex-almamy
Sory sur sa montagne, chaque province envoya un messager : lui
seul désormais pouvait sauver le Fouta de la ruine. L’almamy

1. Cette date est naturellement fausse comme toutes les autres. En fait,
ces événements ont dû se passer en 1762 si la donnée antérieure de dix ans de
victoires d’Ibrahima Sori est exacte, car alors, elle se place de 1751 (mort
de Karamokho-Alfa) à 1761. C’est alors que les Peuls auraient nommé un
almamy Alphaïa, par envie contre Ibrahima Sori.
2. En réalité, les événements, relatés ici par Guébhard sont la défaite de
1763 où les coalisés prirent et pillèrent Timbo. Notons que Aoua Kondé, la
femme de Kondé Birama, est prise ici pour un homme.
Sory, sans récriminer, réunit ses fils, qui étaient au nombre de
33 et leur exposa la situation : « Dieu a puni le Fouta, leur dit-il,
et demande maintenant une victime expiatoire; un ange m’a
appris qu’en échange de ce sacrifice, Dieu nous donnera la vic-
toire car, à lui seul, il sera plus fort que l’armée des infidèles.
Quel est celui d’entre vous dont la force et le courage sont supé-
rieurs à ceux de 100 hommes et qui à lui seul puisse tuer les deux
chefs infidèles ? »
« Tous ses fils se présentèrent alors, se disputant pour être choi-
sis. Sadou le premier, mais son père l’écarta en lui disant : « Non,
car à toi sont réservées d’autres destinées ». Ahmidou se présenta
ensuite, mais son père l’écarta en lui disant que si grand que fût
son courage, il ne pourrait résister à plus de 50 hommes; Alceyni se
présenta à son tour, mais lui ne pouvait résister qu’à 40 hommes;
puis vint Amadou Bemba, mais, comme il avait la lèpre, son père
lui dit que dans cet état il ne saurait lutter contre un homme seul.
Tour à tour les autres fils se présentèrent et furent repoussés;
enfin survint Mamadou Ouleng, le fils aîné de l’almamy, qui arri-
vait en retard à la convocation de son père; dès qu’il se présenta,
celui-ci l’agréa comme le champion qui devait délivrer le pays en
sacrifiant sa vie, car seul il avait le courage de 100 hommes réunis.
« Mamadou Ouleng accepta et jura de délivrer son pays en
sacri-
fiant sa vie. Il pria son père de reporter son droit d’aînesse sur
Sadou, à qui il confia ses femmes et ses enfants, et de le désigner
comme almamay à sa mort. L’almamy lui dit : « Que personne
n’aurait besoin de nommer Sadou almamy, qu’il se nommerait
lui-même, qu’il avait vu, dans un songe, Sadou couronné de son
propre turban ». On régla alors les derniers détails et l’on se mit
en route pour Foukoumba par Ioukounsan. En route, les bâtons
avec lesquels on frappait le Tabala de l’almamy se trouvèrent
perdus et l’almamy Sory lui-même coupa une liane pour les rem-
placer provisoirement. Mamadou Ouleng lui dit : « Mon père, tu
as tué une liane » — « Non, répondit l’almamy, elle ne mourra
pas ». La tradition rapporte qu’en effet, cette liane resta verte
jusqu’à la fin du règne de l’almamy Bokar, c’est-à-dire jusqu’à
notre arrivée dans le pays et notre occupation définitive. Comme
on le voit, tous les récits de cette époque sont empreints de mys-
ticisme, entremêlés de légendes et tous les personnages, surtout les
premiers marabouts, sont doués d’une seconde vue et sont regar-
dés comme une sorte de prophètes par leurs descendants.
« Arrivés à Foukoumba, ils trouvèrent
le campement des chefs
infidèles et là, l’almamy Sory dit à son fils : « C’est à toi seul que
revient l’honneur de cette journée; à toi seul Allah permettra de
tuer les chefs ennemis, mais il exige le sacrifice de ta vie; es-tu prêt
à le faire? car d’autres briguent de délivrer leur pays; songe que
ton nom vivra dans la mémoire de tous les vrais Foulahs et que
dans le paradis, tu jouiras des faveurs d’Allah et des anciens de
notre race qu’il a accueillis auprès de lui et parmi lesquels tu
prendras place. »
« Puis il le bénit, et ses frères ayant sellé son cheval, il partit au
galop à travers l’armée des infidèles « qui le piquaient de leurs
flèches ». Mais les flèches n’entraient pas dans la peau du héros qui
faisait cabrer son cheval et cherchait les chefs ennemis qui se pré-
sentèrent et furent tour à tour tués par lui; puis, pour bien mar-
quer son sacrifice, il retira ses gris-gris et recommença la lutte; il
fit encore un grand carnage d’infidèles, mais tomba à son tour
criblé de coups, tandis que l’armée ennemie, effrayée de la dispa-
rition de ses chefs, se dirigeait à la débandade vers la rivière Sira-
kouré où étaient postés l’almamy et ses guerriers. C’était en
saison sèche et l’armée ennemie campa dans le lit de la rivière à
moitié tarie. Alors Sountou, le génie de l’almamy Sory, lui inspira
de crier et aussitôt, la rivière arriva en mugissant et engloutit tous
les guerriers ennemis. Cette légende que la rivière Sirakouré a
« mangé les ennemis » la
rend chère aux musulmans qui, encore à
l’heure actuelle, chaque fois qu’ils la traversent, font en passant
des actions de grâces et boivent son eau avec respect (1806) 1. Cette
victoire consolida la puissance de l’almamy Sory qui régna sans
conteste sur le Fouta, ne s’absentant que pour aller à la guerre
dans le Kouranko, dans le Boundou, dans le Ouassoulou, sur les
bords de la Falémé et presque jusqu’à côté de Kayes. Dans une
guerre qu’il fit dans le Sérima 2 il était accompagné d’Alfa Salifou
qui avait été un moment almamy; son armée y fut décimée par
une épidémie de petite vérole et, ce qui était grave, c’est que le
pays était dépeuplé; aussi, ne pouvant faire de captifs, l’armée
dut retourner à Timbo (1810). Il s’écoula une période de quatre
années pendant lesquelles il n’y eut pas de guerres; l’almamy en
profita pour organiser le pays. A cette époque, il convoqua à
Timbo Alfa Mamadou Dian, fils d’Alfa Sellou, qui venait de lui
1. Il s’agit sans doute ici de la victoire décisive de 1776 où furent tués
Kondé Birama et Aoua Birama, sa femme, l’amazone Ouassoulonké. Comme
on le voit, Guébhard met encore trop tard tous ces événements, fort enjolivés
par la légende.
2. Il s’agit sans doute ici du Solima ou Soliman et de l’attaque de Falaba
de 1797 par Alpha Salihou (voir Gordon Laing). Ibrahima Sori devait être
mort depuis longtemps (vers 1784).
succéder à la tête du Labé. Pendant qu’Alfa Mamadou Dian était
à Timbo, il tomba malade très gravement; il fit appeler l'almamy
à son chevet et lui demanda quel endroit il avait choisi pour être
enterré, car il est dans les usages que les vieillards et les chefs
désignent à l’avance l’endroit où ils désirent reposer; quelquefois
ces désignations se font au lit de mort, lors des dernières recom-
mandations. L’almamy lui indiqua la place qu’il avait choisie et
Alpha Mamadou Dian lui demanda de la lui céder, parce qu’il
sentait bien qu’il allait mourir; lui-même donna à l’almamy la
place qu’il avait choisie dans sa missidi de Labé pour le cas où
l’almamy viendrait à y mourir. Peu de jours après, Alpha Mama-
dou mourait; l’almamy lui rendait les honneurs funèbres et le fai-
sait enterrer dans l’endroit qu’il s’était jusqu’alors réservé pour
lui-même. Or, il advint que, l’année suivante, l’almamy partait
pour faire la guerre dans le N’Gabou lorsqu’il tomba malade à
Labé et mourut presque subitement non sans avoir témoigné le
désir d’être enterré à la place cédée par Mamadou Dian, en
échange de la sienne (1814) 1.
« Lorsqu’il fut mort, son fils Sadou appela les sofas de son père
dans sa case et, essayant sous leurs yeux le turban du défunt, il
demanda « s’il lui seyait bien » — « Comme à lui-même! » répon-
dirent-ils. Sur ces entrefaites, ils partirent pour les funérailles et
Sadou, par inadvertance ou volontairement, sortit avec le tur-
ban de son père sur la tête et avec son bâton. A l’enterrement,
tous les gens de Sadou s’étonnèrent et, voyant Sadou dont la res-
semblance avec son père était frappante, ils ne voulaient pas
croire que l’almamy fût mort; ignorants des circonstances ils
rendirent à Sadou les honneurs royaux. Lorsqu’ils apprirent la
vérité, ce fut pour le reconnaître à l’unanimité comme l’almamy
et Alpha Abdoulaye, chef du Labé, lui mit le turban sur la tête
selon les rites. Le nouvel Almamy voulait partir, mais les vieux
du Labé lui dirent : « Attends quelques jours, le Fouta ignore ta
nomination; si nous nous passons de lui, il se fâchera; nous allons
le convoquer à Foukoumba sans rien lui dire et, lorsqu’il sera
réuni, nous nous arrangerons pour faire sanctionner ta nomina-
tion. » Ainsi fut fait et, lorsque l’assemblée se réunit, l’almamy
Sadou s’y rendit turban en tête et le bâton de son père à la main.
1. Cette date doit être reculée de trente ans et mise en 1784, à moins cepen-
dant qu’Ibrahima Sori le Grand n’ait encore vécu en 1797 à l’époque de
l’attaque de Falaba par Alpha Salihou ou Salifou. Alors, il faudrait mettre
sa mort vers 1800, mais il est impossible de l’avancer davantage.
A noter que Madrolle place la mort d’Ibrahima Sori en 1813 (p. 305) mais
c’est certainement inexact.
Alpha Abdoulaye le présenta au Fouta comme almamy en lui
demandant de ratifier cette nomination. Toute l’assemblée fut
d’accord; seul Alpha Ousman qui, comme nous l’avons dit, avait
sacré Karamokho Alfa, se leva et déclara qu’il n’acceptait pas de
voir violer son privilège, car seul il pouvait sacrer l’almamy.
Alpha Abdoulaye, s’adressant à l’assemblée, interrogea indivi-
duellement tous les notables et leur demanda s’ils acceptaient?
Tous répondirent : « Nous avons entendu, nous avons accepté »
« N’nani n’diabi ». Mais Alpha Ousman dit encore : « J’ai entendu,
mais je n’ai pas accepté. » On ne tint pas compte de ses protesta-
tions et l’assemblée se dispersa, tandis que le nouvel almamy s’en
allait à Timbo où il entra avec le cérémonial d’usage (1814). Le
soir même, Alpha Salifou, fils de Karamokho Alpha, qui ne s’était
pas rendu à Foukoumba, comptant y être convoqué par le Fouta
réuni, furieux de l’échec de ses espérances, alla trouver son rival
et lui dit : « Tu m’as pris l’héritage de mon père, car c’est lui et
non le tien que le Fouta a nommé almamy à Timbo. Ton père n’a
été nommé que parce que j’étais trop jeune, mais maintenant que
j’ai l’âge, je ne puis admettre que tu me prennes ainsi ma place! »
Accepte ou n’accepte pas, lui répondit l’almamy Sadou, peu
— «
m’importe! Les services que mon père a rendus lui ont créé des
droits que le pays a sanctionnés en le nommant almamy par deux
fois et les droits de ton père ont été déclarés déchus dans ta per-
sonne, parce que le Fouta, après t’avoir nommé, t’a révoqué. Fais
ce que tu veux, je serai toujours le chef que tu le veuilles ou non! »
— Alpha Salifou lui répondit : « J’ai compris. » Et, comme Alpha
Ousman, il ajouta : « Je n’ai pas accepté. « Ce point de l’histoire
du Fouta est intéressant à noter, car de là date la scission de la
famille royale désormais divisée en deux partis : le parti des
Alphaïas,qui reconnaît comme légitimes les seules prétentions des
descendants de Karamokho Alpha, et les Soryas qui appuient les
prétentions des descendants de l’almamy Sory. En plus des dis-
cussions qu’ils élèvent contre la légitimité des droits de la branche
Sorya, les Alphaïs prétendent, en outre, que l’almamy Sory
n’était pas le cousin de Karamokho Alpha, mais simplement un
de ses disciples, c’est-à-dire un étranger. Ce point de l’histoire
n’est pas éclairci et est très discuté de part et d’autre. Il faut dire
que ceux qui admettent l’origine étrangère des Soria sont en petit
nombre; d’ailleurs ce qui contribue à en accréditer l’hypothèse
sont les descendants de ce même Karamokho Ousman de Fou-
koumba dont nous verrons ci-dessous les malheurs. Quoi qu’il en
soit, de la scission de la famille royale naîtront tous les conflits
et toutes les guerres civiles qui ensanglanteront le pays et plus
particulièrement Timbo et ses environs car, si nombreuses devien-
dront ses querelles pour le pouvoir, que le Fouta s’en désintéres-
sera et laissera au monde de la famille royale, aux grands porte-
parole de Timbo, le soin d’y prendre part, et il s’efforcera d’en
éviter pour lui les conséquences.
« Ce fut sans encombre que le Fouta passa des mains de l'al-
mamy Sory dans celles de son fils et nous noterons en passant,
comme le font les Foulahs qui voient des prophètes dans leurs
ancêtres religieux, la réalisation de la prophétie faite par l’almamy
Sory lorsqu’il dit à son fils Mamadou Ouleng : « Que, personne
n’aurait besoin de nommer Sadou, qu’il l’avait vu, en songe, le
front ceint de son propre turban. » Mais le vieux Alpha Ousman
n’oubliait pas l’affront reçu et ses droits méconnus; il commença
à nouer des intrigues de tous côtés et manda même Alpha Salifou
à Foukoumba pour organiser un coup d’Etat. Mais l’almamy
Sadou l’apprit; il partit un beau matin à cheval et, sans s’arrêter,
sauf près du marigot Toukounian, où il fit ses ablutions, il arriva
à Foukoumba suivi seulement de quelques sofas à cheval, tomba
à l’improviste chez Alfa Ousman, l’amarra solidement lui-même
et, rassemblant ses biens, ses femmes et ses serviteurs, il revint
dans la même journée à Timbo avec son prisonnier lié sur un
cheval. En arrivant, il le fît mettre aux fers et en fît publier par-
tout la nouvelle. Aussitôt grand émoi dans le Fouta, les notables
se réunirent et allèrent demander pardon pour lui à l’almamy,
dont le courroux fut long à fléchir; ils obtinrent enfin qu’il fût mis
en liberté. Alfa Ousman fit semblant de se soumettre, mais jura
dans son coeur de ne pas quitter Timbo avant de s’être vengé. Il
mit sept ans à préparer sa vengeance. D’accord avec Alfa Salifou,
il détacha par des présents et des promesses tous les partisans de
l’almamy Sadou, qui étaient nombreux car, ainsi que le disent les
indigènes, « tout le Fouta était derrière lui. » Il profita des mécon-
tentements que provoque au Fouta chaque occasion où le pouvoir
doit s’exercer. Enfin, au bout de sept ans 1, les notables fatigués
d’obéir plus longtemps au même homme, se mirent du parti de
l’opposition, et la mort de l’almamy fut décidée. Alfa Salifou,

1. Cela mettrait la mort de Sadou en 1821, puisqu’il prit le pouvoir en


1814, d’après Guébhard. Or, nous savons par Gordon Laing qu’en 1820,
l’almamy Abd-el Kader gouvernait le Fouta-Djallon et attaqua en vain
Falaba. Guébhard est déplorable dans sa chronologie et ne s’est pas donné
la peine d’étudier sérieusement l’histoire du Fouta-Djallon, aimant mieux
nous raconter des histoires enjolivées et les légendes de ses renseigneurs.
dont la haine était soigneusement attisée par les conjurés, tua
lui-même son rival. Dans la lutte, il lui avait, d’un coup de sabre,
coupé la main droite et, lorsqu’il le vit couché mort à ses pieds, il
fut saisi d’un remords : tous les souvenirs de leur enfance et de
leur vie longtemps commune vinrent troubler sa pensée; il ra-
massa la main tranchée et, couvert de sang, se rendit à la mosquée
où les vieux étaient réunis, attendant le résultat du crime qu’ils
avaient inspiré et dont ils espéraient récolter les fruits. Alfa Sali-
fou arriva, et, mettant devant eux la main sanglante, il leur dit :
« Voyez, voilà votre oeuvre, l’oeuvre de vos lâches conseils et de
vos intrigues, vieillards dont les dehors sont propres mais dont le
coeur est sale. Regardez cette main, c’est la main d’un homme qui
n’a jamais prêté de faux serments, qui n’a jamais pris le bien de
personne, jamais touché la femme de son voisin; cette main a
écrit sept Corans; jamais pour ses ablutions, elle n’a employé le
sable ou la terre, et c’est toujours avec de l’eau qu’elle se puri-
fiait avant la prière. C’est vous, vieillards, qui lui serriez la main
en l’appelant almamy, qui avez comploté sa mort comme vous
comploterez la mienne demain, car vous ne voulez pas de maître,
quoi qu’en disent vos bouches menteuses. Vous m’avez fait tuer
mon frère, celui avec lequel j’ai été élevé, et tout cela pour com-
mander à des traîtres et à des menteurs comme vous. Le pouvoir,
je n’en veux pas, le prenne qui veut, maudits soyez-vous qui avez
suscité un frère contre son frère! » Après avoir ainsi parlé, Alfa
Salifou sortit de Timbo sans rien dire, quoiqu’il lui eût été facile
de succéder à sa victime (1820) 1.
« Pendant près d’une année, personne ne se
présenta pour être
chef; au bout de ce temps, un membre de la famille Alphaïa, Alfa
Bakar Dikourou fut élu et sacré à Foukoumba; il régna trois ans
sans que les notables lui suscitâssent de rival et sans qu’il s’en
présentât, mais, un beau jour, sans avoir convoqué le parti
Alphaïa et le parti Soria, Amadou Fella, le frère de l’almamy
Sadou 2, tenta un coup d’Etat, entra à Timbo et le jour même fut

1. Au sujet de la tragédie de la mort de Saadou, Gray et Dochard la pré-


sentent, nous le savons, bien autrement : « Détrôné par Ali Bilma et Alpha
Salihou, il tomba bientôt victime de leurs intrigues sanguinaires, disent-ils.
Salihou proclamé roi, signala son administration par des pillages et des
incursions dans les États voisins.» Nous voilà loin de l’Alpha Salifou de.
Guébhard, devenu un saint personnage, plein de remords pour le meurtre
de Saadou. Du reste, l’indication de Gordon Laing qu’en 1797, Alpha Salihou
pillages et
ou Salifou attaque en vain Falaba montre qu’en effet, il fit des
incursions dans les États voisins. On peut donc douter de la vérité de la
légende ou tradition rapportée par Guébhard.
2. Donc un Sorya, fils de Ibrahima Sori le Grand et frère de Saadou.
tué par l’almamy Bakar Dikourou. Peu de temps après, l'almamy
Bakar mourait à Hériko-Compou 1 et Abdoulaye Bademba était
nommé almamy et sacré à Foukoumba. Il régna huit ans tran-
quille, mais les vieux du Fouta se fatiguèrent d’obéir toujours au
même homme et commencèrent à murmurer, disant : « qu’à
régner ainsi sans conteste, il finissait par les prendre pour ses cap-
tifs »(1830) 2.
« Tous les vieux se réunirent en assemblée secrète et décidèrent
de se débarrasser d’Abdoulaye en lui suscitant un prétendant. Ils
choisirent pour cela Abdoul Gadiri, jeune prince de la famille
Sorya, dont l’ambition n’attendait qu’une occasion pour s’affir-
mer et Tierno Amidiata Kala fut chargé de sonder ses intentions.
Un jour de fête, à Timbo, l’almamy Abdoulaye avait prié Abdoul
de faire courir son cheval devant lui et celui-ci était parti à fond
de train et bientôt disparaissait aux regards, suivi par Amidiata
qui, lorsqu’il fut assez loin dans la brousse, le pria de descendre de
cheval et lui parla en ces termes : « As-tu donc peur d’être chef? »
— « Non », lui répondit Abdoul. — « Alors, accepterais-tu si on
t’offrait le pouvoir? » reprit Tierno Amidiata et Abdoul de répon-
dre qu’il accepterait s’il était sûr d’avoir la confiance du Fouta.
« Tu l’as, lui fut-il répondu, le Fouta veut te confier douze mille
hommes, pour que tu ailles faire la guerre dans le Soulima. Lorsque
tu reviendras avec du butin, tout le pays sera pour toi et tu ren-
verseras Abdoulaye. » Il en fut ainsi et les vieux de Timbo per-
suadèrent l’almamy Abdoulaye d’envoyer Abdoul devant afin de
lui préparer les routes et le triomphe dont lui-même n’aurait qu’à
profiter. Abdoulaye se laissa tromper, Abdoul s’en fut avec les
guerriers et avant que l’almamy, retenu à Timbo par les vieux, ne
fût arrivé, il fit un butin considérable, détruisit plusieurs villages,
entre autres ceux de Simitya et de Modouya. Pendant ce temps,
tous les partisans de la famille Sorya se groupèrent autour
1. Ce Bakar-Dikourou n’est pas nommé par les auteurs vus jusqu’ici. S’il
a régné trois ans, il faut mettre Alpha Salihou de 1797 à 1802, et Alpha
Bakar Dikourou de 1802 à 1805, Bademba devant être placé alors de 1805
à 1813. Ainsi il faut modifier les chronologies précédentes et les lire ainsi :
Saadou . . . .
1784 à 1791
Yaya 1792
Ali Bilmah (règne 5 ans) 1792 à 1797
Alpha Salihou ou Salifou 1797 à 1802
Alpha Bakar Dikourou 1802 à 1805
Ba-Demba 1805 à 1813
1813 à 1825
Bien entendu, tout ceci n’est qu’approximatif.
2. En fait, ceci dut se passer en 1813.
d’Abdoul et lorsque l'almamyAbdoulaye arriva enfin, son rival lui
présenta le butin que celui-ci lui laissa, ce qui lui permit de faire
des cadeaux à ceux qui lui faisaient obstacle et dont il s’acquit
ainsi le concours. L’armée se mit en route pour Timbo après la
soumission du pays, mais les vieux, par des chemins détournés et
à l’insu d’Abdoulaye, conduisirent Abdoul jusqu’à Foukoumba
où ils le firent sacrer almamy et le ramenèrent à Timbo. L’almamy
Abdoulaye alla à sa rencontre et le battit auprès de Doubel de
telle façon qu’Abdoul s’enfuit et se réfugia en pays soussou, à
Farenta.
« Ce n’était point là l’affaire de ses partisans, parmi lesquels figu-
raient presque tous les notables du Fouta, lassés du règne sans
interruption d’Abdoulaye; aussi Modi Bakar, fils de l’almamy
Sadou, Alfa Ousman Korombouya, Modi Ousman Tanou,Modi
Sounounou, Bakar Siddi se mirent à la tête d’un mouvement pour
rappeler Abdoul en disant partout que « s’il restait là-bas, il y
deviendrait chef des Soussous et reviendrait un jour pour se
battre avec eux ». Aussi, à la fin de l’hivernage, les partisans de la
famille Sorya se réunirent à Koumi pour attendre Abdoul qui
vint à leur rendez-vous escorté d’auxiliaires soussous; l’almamy
Abdoulaye se rendit lui-même à Koumi avec les partisans des
alfayas et une bataille eut lieu que gagna Abdoul. L’almamy
Abdoulaye se retira alors à Dara; son vainqueur ne le poursuivit
pas et conserva le pouvoir pendant deux ans moins deux mois;
à cette date, l’almamy Abdoulaye Bademba revint à la charge, lui
livra bataille à Boudou Demba et le mit à la porte de Timbo où il
s’installa. L’almamy Abdoul se retira à Kounta et, au bout de
deux ans, « envoya une commission » à l’almamy Abdoulaye pour
qu’il lui cédât la place; comme celui-ci refusait, il réunit ses guer-
riers, traversa le Bafing, passa à Kobilato, à Ley Séré, gravit
l’Helleya et, par Madiel Mouké, descendit sur Timbo. Abdoulaye,
pris au dépourvu, s’enfuit pour se réfugier à Dara. L’almamy
Abdoul se réinstalla à Timbo où il resta pendant deux ans. Un
matin, grand émoi, l’almamy Abdoulaye arrive avec une suite
peu nombreuse au moment du salam et prend place dans la mos-
quée. A la fin de la prière, il s’avance vers l’almamy Abdoul et le
salue « Bonjour, almamy » — « Bonjour, tu trouves la paix ici ».
Et la conversation s’engage pendant que les guerriers veillent aux
alentours, prêts à intervenir au premier signal. L’almamy Abdou-
laye fait ressortir à l’almamy Abdoul tous les inconvénients pour
le pays et pour eux-mêmes de luttes continuelles; ne vaudrait-il
pas mieux s’entendre et se partager le pouvoir que chacun exer-
cerait pendant deux ans tour à tour. L’assemblée des anciens est
gagnée, cet arrangement lui agrée, mais l’almamy est hésitant,
tous le pressent d’accepter et, vaincu par les supplications de
l’assemblée, il consent, comptant sur la promesse des anciens,
pour assurer sa rentrée au pouvoir lorsque son tour sera venu.
Chargé des bénédictions des marabouts et de toute la population
à qui il vient d’éviter la guerre par sa sage détermination, dictée
au fond de son âme par les circonstances, plutôt que par une
conviction sincère, Abdoul se retira à Sokotoro et de là recom-
mença ses intrigues qui trouvèrent partout un écho, car le conseil
des anciens, de son côté, ne trouvait pas son compte à cette
entente entre les deux almamys parce qu’elle resserrait encore
leur autorité et diminuait la sienne. Les intrigues que voulait
nouer Abdoul les trouvaient disposés à les écouter. Ils pensaient
bien se débarrasser ainsi de l’un et de l’autre. Les vieux commen-
cèrent donc à répandre le bruit qu’Abdoul préparait une guerre
dans le Limban, ce qui leur permit, sans attirer l’attention, de lui
fournir des guerriers; de son côté, Abdoulaye fit semblant de ras-
sembler ses partisans pour une guerre dans le N’Gabou et il se
dirigea vers Foukoumba, mais là les vieux lui dirent : « Ne reste
pas ici, car Abdoul te cherche et va venir; cache-toi aux environs;
lorsqu’il viendra, nous te préviendrons et tu l’attraperas, car nous
ne lui dirons pas que tu es là » — « Merci », dit l’almamy Abdou-
laye et il alla se cacher à Kétiguia. Pendant ce temps, les émis-
saires des anciens allaient chercher Abdoul à Soukou où il atten-
dait avec ses guerriers soryas et le conduisaient à Kétiguia par
Gongoré. Afin de détourner l’attention d’Abdoulaye, les anciens
faisaient tirer des coups de fusil à blanc à Foukoumba et Abdou-
laye, dans sa retraite, les entendant et pensant que c’était Abdoul
que l’on arrêtait, envoyait ses partisans à la rescousse. Sur ces
entrefaites, Abdoul arrivait, le trouvait seul dans sa case et le
tuait. Imméd atement, la nouvelle s’en répandit et l’armée d’Ab-
doulaye se débanda. Après s’être débarrassés de l’un de leurs
maîtres, les anciens comptaient bien se débarrasser de l’autre à la
faveur de l’assassinat qu’il venait de commettre. Par d’allé-
chantes promesses, ils l’attirèrent à Foukoumba, sous prétexte de
présider leur tribunal dans des affaires de justice, mais dès qu’il
fut arrivé, c’est lui-même qu’ils se mirent en devoir de juger pour
avoir tué l’almamy Abdoulaye. Abdoul était rusé et il répondit
que, s’il avait tué Abdoulaye, c’était pour venger son frère Sadou,.
meurtre dont ses juges eux-mêmes étaient complices. Entre-
temps, il acheta en secret la plupart des juges, afin de se tirer de
ce mauvais pas, dépensa ainsi une grande partie de sa fortune, fut
prodigue de promesses et assez adroit pour se voir acquitté. Il
rentra à Timbo où il resta ensuite chef de tout le Fouta pendant
quinze ans et mourut à Kounta d’où il fut porté à Timbo et
enterré près de la mosquée sous les grands arbres que l’on y voit
encore 1. A sa mort, les Soryas et les Alfayas nommèrent chacun
un chef : le premier l’almamy Yaya, les seconds l’almamy Bakar.
Ces deux almamys devaient régner deux ans tour à tour, mais
l’almamy Bakar évinça son rival et refusa de lui céder le pouvoir
lorsque son temps de règne fut terminé (1849). »
Nous savons qu’en 1849, il y avait longtemps que Bakar (ou
mieux Boubakar) était mort et enterré. En fait, il régna de 1827 à
1837. II est malheureux que le récit, souvent intéressant, de Gué-
bhard, soit dégradé par une chronologie déplorable qu’il aurait pu
réformer en étudiant sérieusement l’histoire du Fouta.
Dans le chapitre suivant, nous donnerons la fin du récit de
Guébhard. Il s’agit maintenant de l’almamy Oumarou.

1. Vers 1825.

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