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LOUIS TAUXIER
ADMINISTRATEUR DES COLONIES EN RETRAITE
BIBLIOTHÉCAIRE-ARCHIVISTE DE LA SOCIÉTÉ DES AFRICANISTES
MOEURS ET HISTOIRE
DES PEULS
1. ORIGINES. - LESLESPEULS
III.
II. PEULS ET
DE L’ISSA-BER
DU FOUTA-DJALLON.
DU MACINA.
PAYOT, PARIS
MOEURS ET HISTOIRE
DES PEULS
DU MÊME AUTEUR
LOUIS TAUXIER
ADMINISTRATEUR DES COLONIES EN RETRAITE
BIBLIOTHÉCAIRE-ARCHIVISTE DE LA SOCIÉTÉ DES AFRICANISTES
MOEURS ET HISTOIRE
DES PEULS
I. ORIGINES. — II. LES PEULS DE L’ISSA-BER ET DU MACINA.
III. LES PEULS DU FOUTA-DJALLON.
PAYOT, PARIS
106, Boulevard St-Germain
1937
Tous droits réservés
Tous droits de traduction, de reproduction et d’adaptation
réservés pour tous pays.
Copyright 1937, by Payot, Paris.
INTRODUCTION
L. TAUXIER.
MOEURS ET HISTOIRE DES PEULS
LIVRE PREMIER
CHAPITRE PREMIER
1. Pour en finir avec la question du nombre des Peuls, Delafosse dans son
Haut-Sénégal-Niger(1912), p. 146 en compte 405.000, dont 36.000 animistes
et 369.000 musulmans dans le Haut-Sénégal-Niger, région qui correspon-
dait à la colonie du Soudan et à la Haute-Volta actuelle. Verneau en compte
plus de 700.000 en 1931.
démontré depuis Ch. Monteil (Les Khassonké, 1915) en faisant
remonter ici l’immigration Peuhle au XIe siècle. Les Khassonké
ont 11.000 dans le Haut-Sénégal-Niger (Delafosse, p. 150). Les
Khassonké parlent le Mandé et sont fétichistes;
3° Les Foulanké, mélange également de Peuls et de Malinkés
où l’élément nègre l’a emporté comme chez les Khassonké. Les
Foulanké (106.000 d’après Delafosse, p. 150) habitent surtout les
cercles de Bafoulabé, de Kita, de Bougouni et Sikasso;
4° Les Ouassoulonké, habitant le Ouassoulou, à l’est du Niger
en face des Malinké qui sont dans le Manding montagneux sur la
rive occidentale.Les Ouassoulonkésont un mélange de Peuls et de
Malinkés qui semble s’être formé au début du xvIIIe siècle. Ils
luttèrent contre les Peuls du Fouta-Djallon vers 1760 et furent
rejetés par eux dans le Ouassoulou qu’ils avaient colonisé et d’où
ils s’étaient élancés ensuite à l’ouest du Niger dans le Fouta-
Djallon.
Donc Toucouleurs, Khassonké, Foulanké et Ouassoulonké sont
les principaux peuples métis de Peuls et de nègres.
Ce métissage nous conduit justement à parler du type physique
des Peuls.
Certains auteurs nous représentent les Peuls comme une race
sinon très forte du moins très grande, qui serait une des plus
hautes de l’Afrique. C’est là une erreur. Mais il faut distinguer ici
entre les Peuls des différentes régions et surtout entre les Peuls et
leurs métis Négro-Peuls. Pour moi, voici ce que j’ai vu pour les
différents Peuls qu’il m’a été donné de rencontrer en Afrique occi-
dentale de 1905 à 1926.
1° Les Peuls du Fouta-Djallon (Timbo, etc.) sont de taille
moyenne ou plutôt grande, maigres et peu solides. A l’époque où
j’étais en Guinée Française (1905-1907) on ne les employait pas
pour les travaux de terrassement comme les nègres car les Peuls
s’enfuyaient et si on les contraignait à rester et à travailler, mou-
raient. De même pour le portage : ils lâchaient un beau matin leurs
charges et laissaient au milieu du chemin l’administrateur qu’ils
étaient chargés de porter, et ce n’était pas absolument mauvaise
volonté de leur part, car ils n’avaient pas la force physique néces-
saire pour faire des porteurs, pas plus que pour faire des terras-
siers. Des difficultés du même ordre se sont élevées pour tous les
Peuls de l’Afrique occidentale, difficultés sur lesquelles nous
reviendrons plus loin, quand il s’est agi de service militaire.
Cependant il faut ajouter qu’ayant demandé en 1934 à M. l’ad-
ministrateur du Cercle de Labé de me mesurer 50 hommes et
50 femmes Peuhles, voici le tableau qu’il m’a envoyé qui donne
1 m. 69 de taille moyenne aux hommes et 1 m. 54 aux femmes.
Les femmes peuhles sont ici de petite taille et l’on peut se deman-
der si elles n’appartiennent pas à l’ancienne race Diallonké qui
dominait le pays avant 1725, avant la conquête peuhle. Les hom-
mes ont une taille assez haute. L’administrateur qui m’a donné
ces notes note que le Peuhl du Labé est assez fortement mêlé de
sang Mandingue (c’est-à-dire, Diallonké) et que très peu de Peuhls
sont restés purs.
Guinée Française
Cercle de Labé
Hommes Femmes
Taille (hauteur) Taille (hauteur)
1 m. 75 1 m. 62 1 m. 50 1 m. 52
1 m. 68 1 m. 68 1 m. 62 1 m. 51
1 m. 66 1 m. 68 1 m. 61 1 m. 68
1 m. 62 1 m. 73 1 m. 59 1 m. 52
1 m. 77 1 m. 79 1 m. 53 1 m. 53
1 m. 68 1 m. 71 1 m. 56 1 m. 54
1 m. 68 1 m. 58 1 m. 43 1 m. 42
1 m. 69 1 m. 76 1 m. 63 1 m. 47
1 m. 77 1 m. 75 1 m. 54 1 m. 53
1 m. 73 1 m. 69 1 m. 53 1 m. 53
1 m. 76 1 m. 63 1 m. 53 1 m. 53
1 m. 67 1 m. 73 Taille 1 m. 63 1 m. 49 Taille
1 m. 67 1 m. 66 moyenne 1 m. 53 1 m. 54 moyenne
1 m. 61 1 m. 63 des 1 m. 62 1 m. 50 des
1 m. 69 1 m. 62 hommes = 1 m. 49 1 m. 57 femmes =
1 m. 63 1 m. 69 1 m. 69 1 m. 43 1 m. 51 1 m.54
1 m. 70 1 m. 66 1 m. 63 1 m. 49
1 m. 69 1 m. 62 1 m. 47 1 m. 53
1 m. 71 1 m. 70 1 m. 40 1 m. 49
1 m. 64 1 m. 71 1 m. 58 1 m. 65
1 m. 69 1 m. 66 1 m. 58 1 m. 63
1m. 71 1 m. 76 1 m. 44 1 m. 66
1 m. 63 1 m. 80 1 m. 37 1 m. 77
1 m. 74 1 m. 71 1 m. 53 1 m. 56
1 m. 73 1 m. 65 1 m. 58 1 m. 60
42 m. 30 42 m. 22 38 m. 36 38 m. 77
1. Il faut sans doute comprendre : ils partirent vers une région éloignée du
Sénégal, celle de Tombouctou, et là se développa la nouvelle race. Cependant
l’indication de la fin marque que ce pays aurait été entre le Niger et le Tchad,
c’est-à-dire à l’est de Tombouctou.
quatre fils. Le premier fit souche de certains Mandé : Sarakholé,
Dioula, Soso. Le second fut le père des Férobé 1, le troisième des
N’Daédio. Dialo était muet. Un jour, sa mère ayant été chercher
de l’eau, il resta dans la maison avec N’Daédio. Celui-ci se prit
à pleurer en appelant sa mère. Alors le muet, voulant consoler
son jeune frère, se mit à lui parler et, dans un langage incom-
préhensible, il lui disait : Tais-toi, tais-toi, petit frère, voilà
notre mère qui revient! (Deddiou, deddiou, etc.). En effet, la
mère était sur le seuil, mais, en entendant ces mots étranges, elle
s’enfuit terrifiée et alla trouver son mari pour lui conter la scène
à laquelle elle venait d’assister. Le Maure ouvrit alors son Koran
et vit que Mohammed avait prédit que des gens, parlant une
langue inconnue à son époque, domineraient une partie du monde.
Il partit alors, abandonnant ses enfants chez les nègres. Ces
derniers les chassèrent, sauf Dialo qui fut admis parmi eux.
Mais il avait auparavant appris la nouvelle langue à ses frères
et ceux-ci, après s’être dispersés et être allés qui au Haoussa,
qui au Macina, etc. revinrent plus tard voir leur pays d’origine. »
Comme on le voit, cette légende diffère de celle rapportée par
Madrolle en deux points : 1° le père des Peuhls est un Arabe ou
un Maure, plutôt un Maure; 2° il n’y a pas que les Peuhls qui
soient les descendants d’un Maure ou d’un Arabe il y a toutes
les populations nègres tant soit peu musulmanisées, même les
Soso.
D’autre part, le sultan Peuhl Mohammed Bello, fils du con-
quérant Osman dan Fodio qui conquit Sokoto et la Nigéria du
Nord au commencement du XIXe siècle, visité par le voyageur
anglais Clapperton (1824), lui remit un mémoire sur les hauts
faits et les origines de sa race.
Disons d’abord que ce mémoire ne vaut pas grand'chose.
Pour donner une idée des connaissances de son auteur, je donne
ici sa définition des Maures ou Berbères :
« Les Berbères descendent d’Abraham. Quelques-uns préten-
dent qu’ils sont issus de Japhet et d’autres de Gog et de Magog
dont une tribu qui se trouvait à Ghairoun (Kairouan?) s’est
unie avec les Turcs et les Tartares. »
Ainsi, d’après cette définition substantielle, les Maures seraient
des Sémites, à moins qu’ils ne soient des Aryens ou à moins
qu’ils ne soient issus d’un mélange de Gog et de Magog avec des
Turcs et des Tartares!!!
1. Les Férobé, les Dialo, les N’Daédio sont des clans Peuhls tandis que
les Soninnké ou Sarakolé, les Dyoula et les Soso sont des Mandé.
D’après Bello, les Sôninnkés ou Saracolets sont des Persans,
les Torodo des Juifs, les Malinké des Coptes, enfin les Peuls des
Arabes par leur père, des Toucouleurs par leur mère. On est
évidemment ici en pleine fantaisie.
Delafosse (Haut-Sénégal-Niger, t. I, p. 202) résume ainsi l’opi-
nion de Bello :
« D’après lui, les Peuls — ou tout au moins ceux du clan
Torodo auquel il appartient lui-même, descendent des Juifs,
bien que certains les rattachent aux Chrétiens et d’autres aux
Bambara. »
D’autre part, André Arcin dit, au sujet de Bello : « Cette
légende [celle d’après laquelle, nous l’avons vu, les Peuls des-
cendraient d’un Maure ou d’un Arabe et d’une négresse] est
confirmée par le manuscrit de Bello. L’Arabe est un chef des
Sohabat qui apporte au Soudan la religion de Mahomet. Ses
fils, les Foulbé, parlent une langue nouvelle différente de celle
de leur père (l’Arabe) et de leur mère (la langue Wakoré ou
Mandé). Cette dernière est une Touroude (Torodo). »
Il est assez singulier que, si la mère est une Touroude ou
Torodo (une Toucouleur), elle parle le Mandé et non pas le Tou-
couleur (qui est du reste le Peul) mais passons.
On voit que le Sultan Bello n’est pas une autorité et que son
fameux manuscrit n’est qu’une élucubration de barbare qui
connaît mal l’histoire et n’a aucun renseignement sérieux sur
l’origine de sa race. Il est particulièrement désastreux de faire
descendre les Peuls des Arabes et des Toucouleurs vu que ceux-ci
sont un mélange, justement, de Peuls et de nègres Sérères.
Les traditions que nous venons de voir, en tout cas, admettent
une double origine des Peuls : ce serait un mélange d’Arabes
(ou de Maures) avec des nègres et ceci n’est pas une opinion
si grotesque puisque, au XIXe siècle, le Dr Roubaud admet
encore que les Peuls sont issus d’un mélange de Maures et de
nègres. Mais la vanité Peuhle a été plus loin et ils seraient de
vrais Arabes.
« D’autres traditions, dit Madrolle, ouvr. cit., p. 297, font
descendre les Peuhls de Fello-ben-Hymier, c’est-à-dire de Fello
ou Poullo fils d’Hymier, donnant ainsi aux Peuhls une origine
Himyarite, Arabe.
Crozals dit dans son ouvrage sur les Peuls (1883, p. 248) :
« Un iman
de la tribu Peuhle des Irlabés racontait en 1817 à
un voyageur Européen que les Peuhls, jadis voisins de l'Arabie,
reçurent la commotion générale que la naissance du Mahomé¬
tisme fit éprouver aux nations environnantes; nouveaux con-
vertis, ils traversèrent l’Afrique en conquérants, imposant le
culte islamique aux peuples plus faibles qu’eux (d’Avezac,
Bayol). Cette tradition évidemment inspirée par le désir d’asso-
cier, dès le premier jour de la prédication du prophète, les
destinées des Peuhls à celles des Arabes, ne mérite aucune
créance et laisse entière la question qu’elle prétend résoudre. »
Un Hadji Peuhl raconta à Clapperton qu’il avait rencontré
des hommes de même race que lui à la Mecque, ayant les mêmes
traits, parlant un langage semblable (Crozals).
Une légende du même genre est celle qui fut recueillie en 1857
par C.-J. Reichardt et qui est relative exactement aux origines des
Peuls du Fouta-Djallon. Delafosse en parle, p. 203. Les Peuls
du Fouta-Djallon proviendraient de familles arabes venues de
Fez dans le Dioka ou Diaga (Massina), sous la conduite de deux
chefs nommés Sidi et Séri; ceux-ci auraient été accueillis dans
le Dioka par un saint personnage nommé El Hadj Sahilou
Souaré, chef d’une tribu mandingue (ou plus exactement So-
ninké, d’après son nom de clan : Souaré), lequel les aurait dirigés
vers le Fouta-Djallon, où il devinrent les ancêtres des deux
familles des Sidianké et des Sérianké.
En fait, ce qu’il y a de vrai dans cette légende est la venue
d’une colonne de Peuls depuis le Macina jusqu’au Fouta-Djallon
(vers 1694), mais que ces Peuls soient des Arabes installés au
Maroc dans les environs de Fez et venus de là au Macina, ceci
est la part légendaire de la tradition. Il s’agit toujours de donner
aux Peuls, peuple islamisé, une origine arabe.
Delafosse dit, lui aussi, que tout n’est pas à rejeter dans cette
légende, mais il la commente d’après son point de vue à lui :
origine Juive et non Arabe des Peuls. De plus, comme il croit
(à tort) que les Peuls du Fouta-Djallon sont venus du Fouta-
Toron et non du Macina, il intercale une promenade de ces
Peuls du Macina au Fouta-Toron avant d’aboutir au Fouta-
Djallon.
Delafosse a encore rapporté d’autres légendes d’origine arabe 1.
Ainsi, p. 212 et 213, tome I de son Haut-Sénégal-Niger, il dit,
parlant des Peuls islamisés : « C’est ainsi que beaucoup pré-
« Un manuscrit arabe encore inédit, recueilli au Sénégal par M. le chef
1.
de bataillon Gaden, qui me l’a communiqué, localise la patrie de l’ancêtre
des Peuls à Akka, c’est-à-dire à Saint-Jean d’Acre, sur la côte de Galilée,
au sud de Tyr et non loin de Nazareth, au point de jonction de la Palestine,
de la Phénicie ou Syrie occidentale (Seur) et de la Syrie orientale (Gham)
(p. 211, 212, en note). »
tendent que leurs premiers ancêtres se trouvaient encore au
Sinaï après la mort de Mahomet, lorsque, en 639, le calife Omar-
ben-el Khattab (634-644) envoya du Hidjaz par la Mer Rouge
une armée commandée par Amrou-ben-el-Assi dans le but de
convertir les Juifs et les infidèles du Sinaï et de l’Egypte. Amrou
aurait débarqué au pays du Tor (Sinaï) une partie de ses troupes
dirigée par un nomméOkba-ben-Yasser; ce dernier aurait converti
à l’Islamisme la majeure partie des Juifs du Sinaï, tandis que
ceux qui refusèrent d’abjurer le Mosaïsme auraient été massacrés.
Lorsque Amrou, en revenant de son expédition en Egypte,
s’arrêta au Sinaï, pour se rendre compte des résultats obtenus
par Okba, le roi de Tor pria le général Arabe de laisser dans le
pays quelqu’un capable de compléter l’instruction religieuse des
nouveaux convertis; Amrou laissa donc Okba au Sinaï et reprit
sa route vers Médine où résidait le Khalife Omar. Okba, demeuré
ainsi dans le Sinaï, y épousa ainsi Tadiouma, fille du roi de Tor,
qui lui donna quatre enfants : trois filles (Daa ou Daadou, Ouoï
et Noussou) et un garçon (Raabou ou Raarabou). De Daa serait
issu le clan des Dialloubé, de Ouoï celui des Bari ou Daébé, de
Noussou de lui ces Sô ou Férobé et de Raabou celui des Ba
ou Ourourbé. C’est ainsi que, d’après les traditions islamisées,
les quatre principaux clans peuls descendraient d’une juive du
Sinaï et de Okba, fils de Yasser, fils de Maadj, fils de Maghih,
fils d’un Foulâni, fils de Sélim, fils de Saïd, fils de Maad, fils de
Adnan, lequel était issu d’Abraham par Ismaël et qui, par un
autre de ses petits-fils (Nizar, frère de Saïd) fut l’ancêtre de
Koreich et de Mahomet. »
Ainsi les Peuls descendraient du général arabe Okba et d’une
juive du Sinaï. Le général arabe lui-même aurait dans son ascen-
dance un Foulâni ou Peul (ce qui est bizarre puisque la race
Peuhle n’était pas encore créée) et Ismaël et Abraham lui-même.
Ainsi les Peuls seraient les descendants d’Arabes et de Juifs.
Remarquons que cette légende est basée sur l’identification
du Fouta-Toro qui se trouve au Sénégal au bout de l’Afrique
occidentale, avec le pays de Tor ou Sinaï. C’est la ressemblance
du mot Tor (Sinaï) avec le Fouta-Toro qui a permis la création
de cette légende de haute fantaisie.
Delafosse rapproche de cette légende racontée tout au long
(p. 213, en note) cinq légendes analogues, l’une recueillie par
Guebhard au Fouta-Djallon et publiée en 1909, une autre
donnée par N. Vicars Boyle et recueillie dans l’Adamoua (1910),
une autre donnée par le comte Escayrac de Lauture, légende
du Baguirmi (1855-1856), la quatrième de Clapperton (1829)
recueillie à Sokoto, la cinquième de l’administrateur Logeay
recueillie chez les Peuls du cercle de Goumbou (1909).
Delafosse fait remarquer la confusion du Tor (Sinaï) avec
le Fouta-Toro (Sénégal). Il ajoute que dans la légende Vicars-
Boyle, Okba-ben-Yasser est devenu Oukouba, que dans la légende
d’Escayrac de Lauture, il est devenu Yakoub, que dans la
légende Clapperton, il est devenu Okba-ben-Amir, que dans
la légende Logeay, il est devenu Ougoubata. « Dans d’autres
légendes, enfin, dit Delafosse, Okba est donné comme le neveu
d’Amrou et porte le nom d’Okba-ben-Amir qui est en effet le
nom d’un des lieutenants d’Amrou, mais on le confond avec Okba-
ben-Nafi et on le fait aller sur l’ordre du calife Moaouiya, non
seulement en Egypte et au Sous, mais jusqu’à Tekrour et à
Ghana. »
Bref, Okba a été un personnage historique, ou plutôt il y a
deux Okba, mais le premier, lieutenant de cet Amrou, qui prit
l’Egypte en 640, est un personnage peu connu et le grand Okba
est Okba-ben-Nafi ou mieux Okba-ben-Nafa qui en 669 fonda
Kairouan la grande métropole arabe et musulmane de l’Afrique
du Nord, fit ensuite une grande expédition au Maghreb (681) et
fit baigner le premier son cheval dans les eaux de l’Atlantique
ou Océan Ténébreux. Cet Okba-ben-Nafa, qui conquit vérita-
blement l’Afrique du Nord sur les Maures et les arracha aux
dernières prises de la domination Byzantine, mourut en 683,
massacré par les Berbères, mais son oeuvre devait lui survivre
après des vicissitudes diverses. C’est lui qui certainement est
visé par les légendes Peuhles, mais il ne vint pas sur le Sénégal
et à Ghana, car c’est en 736 seulement que les Arabes, partis
de l’extrémité sud du Maroc, traversèrent le désert et arri-
vèrent au fleuve Sénégal, puis au fleuve Niger. Cette expédi-
tion peu connue, mais certaine, dont la date peut se placer vers
736, fut faite par Ismaël, fils d’Obéid-Allah et par le général
El-Habib-ben-Abou-Obeida. (Pour tous détails, consulter entre
autres Mercier, Histoire de l’Afrique septentrionale, tome I,
pp. 229 et 230).
Voici encore une légende donnée par les Peuhls islamisés et
rapportée par Delafosse (H. S. N., t. I, p. 214). Elle a été prise
auprès des Peuhls du Sahel.
« Les premiers ancêtres des Peulhs auraient été Yakouba
(Jacob) fils d’Israïla (Israël), fils d’Issihaka (Isaac), fils d’Ibrahima
(Abraham) et un nommé Souleïman. Le premier, parti du pays
de Kénana (Chanaan), serait venu par le Tôr (Sinaï) dans le
pays de Missira (Égypte) où régnait alors son fils Youssoufou
(Joseph). Celui-ci, venu précédemment en Égypte, avait épousé
la fille du roi du pays et lui avait succédé sur le trône. Le second
ancêtre, Souleïman, était venu du pays de Sam (Syrie) en
même temps que Joseph et s’était établi auprès de lui.
Les enfants de Joseph, ainsi que ceux de Souleïman, auraient
formé la souche d’où devait sortir plus tard le peuple Peulh. On
confondit les uns et les autres sous le nom de Banissiraïla (Beni-
Israël, Israélites). Après la mort de Joseph, les Égyptiens vou-
lurent secouer le joug des Bannisiraïla et confièrent le sceptre
à un homme du pays Firaouma (Pharaon). Ce dernier, jaloux
du nombre, de la puissance et de la richesse en troupeaux des
Banissiraïla, les accabla d’impôts de toutes sortes. Les Israélites
s’enfuirent alors de l’Égypte. Une partie d’entre eux gagnèrent
le Kénana (Chanana, Palestine) et le Sam (Syrie) sous la con-
duite d’un chef nommé Moussa (Moïse). Les autres franchirent
le Nil sous la conduite d’un descendant de Joseph et d’un des-
cendant de Souleïman, se dirigeant vers le soleil couchant.
Firaouma les poursuivit, mais, comme il traversait le Nil, la
pirogue qui le portait chavira et il se noya. Ses guerriers abandon-
nèrent alors la poursuite des Judéo-Syriens qui, avec leurs trou-
peaux, vinrent se fixer dans le pays de Sartou (Cyrénaïque) et
prirent, dès ce moment, en souvenir de leur fuite, le nom de
Foudh ou Fouth.
Plus tard, une fraction d’entre eux, prenant la route du sud-
ouest, se rendit au Touat, mais une autre fraction se dirigea
vers le Sud et gagna le Bornou (ou plutôt l’Aïr comme nous le
verrons plus loin 1) sous la conduite de deux chefs nommés Gadia
et Gaye, descendant le premier d’Israël et le second de Souleï-
man. Kara ou Karaké, fils et successeur de Gadia, et Gama fils
et successeur de Gaye, menèrent leurs compatriotes du Bornou
au Diaga ou Massina où ils furent accueillis favorablement par
les Sébé (Sôninnké) ».
Delafosse donne, avec une grande naïveté, il faut l’avouer,
une valeur historique à cette légende, plat démarquage de la
Bible par des Peuls musulmanisés avec des innovations malheu-
reuses dans le détail : ainsi les Égyptiens élèvent au pouvoir un
nommé Firaouma (Pharaon), alors que le mot Pharaon vient en
réalité de Pérao, la grande maison et veut dire : l’hôte de la
1. Cette réflexion est de Delafosse lui-même, ainsi que l’expression Judéo-
Syriens mise pour Beni-Israël.
grande maison, de la sublime porte, le roi en un mot. Ainsi encore
la noyade du Pharaon dans le Nil qui démarque la noyade du
Pharaon et de son armée dans la Mer Rouge, seule noyade dont
parle la Bible. Bref, cela n’a aucune valeur. Les Peuls qui ne
connaissent même pas leur histoire exacte depuis le VIIIe siècle
de notre ère (histoire que les Européens seuls ont reconstituée
à peu près) se rappelleraient exactement d’événements datant
du 15e siècle avant Jésus-Christ! N’insistons pas...
Du reste, la meilleure critique que l’on puisse faire de ce pot
pourri maraboutique, assez ingénieux du reste, si l’on veut bien
laisser un moment de côté sa fausseté fondamentale, c’est Dela-
fosse lui-même qui l’a fait,en observant (tome I, p. 216, en note)
que « les Soninnké du Sahel (des nègres) se sont approprié cette
tradition et la donnent comme expliquant leur propre origine;
ils y ont même introduit des noms de clans à eux pour rendre la
chose plus vraisemblable ». Ils ont tort, ajoute gravement Dela-
fosse, et, si la tradition est vraie pour les Peuls, elle est fausse
pour les Soninnké! Le malheur est qu’elle est aussi fausse pour
les uns que pour les autres.
Donc, les Peuls qui se présentent dans certaines légendes comme
des métis d’Arabes et de Nègres, ou de Maures et de Nègres, se
présentent dans d’autres comme les descendants d’un général
Arabe et d’une princesse Juive, venus du Tor (Sinaï), enfin, dans
la dernière légende, ils descendraient purement et simplement de
Joseph et de Souleïman 1, des Beni-Israël et d’un petit apport
arabe, tout cela du 15e siècle avant Jésus-Christ.
Cependant, certains Peuls, plus sérieux et moins ambitieux,
font tout simplement descendre les Peuls d’un fils de Cham qui
s’appelait Ilo Falagui. André Arcin, qui rapporte ce renseigne-
ment dans son livre La Guinée Française, p. 231, dit que ce sont
des Peuls relativement purs, restés fétichistes ou devenus musul-
mans assez tièdes. N’ayant pas les mêmes préoccupations mara-
boutiques ou musulmaniques que les autres, ils ne prétendent
pas descendre des Arabes ou des Juifs.
Ch. Monteil a recueilli dans son volume sur les Khassonké (1915)
une autre légende, celle des Khassonké, relative à l’origine des
Peuls. On sait que les Khassonké sont des métis de Peuls enva-
hisseurs venus du Nord, du cercle de Nioro et de Malinké envahis
par eux et battus définitivement vers 1680. Les Khassonké se
1. Peut-être ce Souleïman est-il tout simplement une réminiscence de
Salomon! Que si l’on objecte que Joseph et Salomon ne sont pas de la même
époque, cela n’est pas pour embarrasser nos marabouts Peuls.
donnent donc pour des Peuls, quoique réellement ils tiennent
plus (sauf les noms de clans) des Malinké que des Peuls (parlant
le Malinké, ayant une religion fétichiste, etc.). Ils disent donc
descendre d’un nommé Dyadyé et les ascendants directs de Dya-
dyé se trouveraient encore actuellement aux environs de Nioro
et surtout vers Lakhamané (cercle de Nioro). Le grand ancêtre
de Dyadyé serait Oubobiliasi qui vivait au temps de Mahomet.
Les descendants de Oubobiliasi seraient en ligne directe :
Amadou
Ilo
Dyadyé (un premier Dyadyé)
Sadiga
Sannyéré
Bodéoul
Dété
et Wondyé
Cet Oubobiliasi (altération dialectale, dit Monteil, de Okba-
ben-Yassiri, nous retrouvonstoujours donc le fameux Okba arabe
à l’origine des Peuls selon les marabouts), était un caïd (chef) du
temps de Mahomet. Comme tous les caïds, il devait chaque année
fournir au Prophète un certain tantième de ses troupeaux. Une
année, il dissimula une partie de ses richesses. Mahomet, s’en
étant aperçu, le chassa en lui disant : « Va, ta race sera maudite,
tes descendants seront des vagabonds ». En dernier lieu, Oubo-
biliasi campa à l’est de Tombouctou 1; là, il apprit la mort du
Prophète et cédant à la nostalgie, il abandonna, sans esprit de
retour, la famille qu’il s’était créée en épousant des femmes indi-
gènes. Comme son nom était inconnu, on appela ses quatre fils
chacun par le nom de sa mère : ce furent les ancêtres des Dialo,
Diakhité, Sidité et Sankaré. Ce furent les pères des quatre grandes
tribus Peuhles ou plutôt des quatre grands clans Peuhls.
Comme nous le voyons, c’est toujours la tradition d’Arabes
unis à des femmes indigènes. Monteil dit (en note) que certains
passages d’El-Bekri donnent quelque crédit à cette opinion. Ces
passages, ou plutôt ce passage, est bien connu. Il s’agit des guer-
riers ommiades de l’expédition de 736 dont nous avons parlé plus
haut, qui descendirent du Sous sur le Sénégal, puis remontèrent
le Sénégal vers l’Est et gagnèrent le Niger, prenant Ghana. Une
partie de ces guerriers resta dans le pays et s’allia à des femmes
1. Ajoutons que Monteil a publié à ce sujet une note dans la Revue afri-
caine de 1911 avec, à l’appui, le texte arabe de la tradition et sa traduction.
2. L’opinion de Lambert (1860) rapportée par Madrolle : En Guinée Fran-
çaise (1895) ou plutôt l’opinion que se fit Lambert d’après les dires des Peuls
chance d’être sérieuses sont celles rapportées par Mollien (1818)
et Boillat (1853). Elles ne concernent pas du reste l’origine des
Peuhls mais leur descente du Nord sur le Sénégal où ils se seraient
mélangés aux Sérères. Ce seraient les Maures (repoussés eux-
mêmes vers le Sud par l’invasion arabe du VIIe et du VIIIe siècle)
qui les auraient repoussés de la Mauritanie vers le Sud. Ceci ne
concerne pas l’origine Peuhle et du reste est assez douteux.
Mais les nègres eux-mêmes que disent-ils des origines Peuhles ?
Évidemment les nègres, les vrais nègres n’en pensent rien. Mais
il y a, parmi les nègres, des peuples musulmanisés qui ont, eux
aussi, leurs marabouts, plus ou moins ingénieux comme ceux
des Peuhls et frottés du reste aux marabouts Peuhls et Maures.
Ces marabouts ont créé, eux aussi, des légendes, à l’instar des
marabouts Peuhls et en particulier, voici la singulière légende
des Soninkés recueillie par Robert Arnaud en 1912. Naturelle-
ment, les Soninkés, qui sont des nègres en gros (quoique assez
métissés d’éléments Peuhls) se donnent dans cette légende des
« gants », comme l’on dit, de toutes les manières : ils habitaient,
bien avant Abraham, le Yémen. Ce n’étaient pas des blancs, il
est vrai, mais des rouges. Du Yémen, ils arrivèrent dans l’Afrique
occidentale (cercle de Nioro actuel), et ils détruisirent ou refou-
lèrent les autochtones du « Ganar », enfin ils fondèrent le royaume
de Ghana. C’est à cette époque que le Kayamagha Djiabé maria
sa fille à un étranger dont l’histoire était étonnante (p. 144 à 152).
Il se nommait Oukbatou boun Yacer et il était établi dans le
Yémen à l’époque de Mohammed. C’est l’ancêtre des Peuls qui
sont des hommes rouges comme les Soninké.
Mohammed déclara avant sa mort : Il surgira, après moi, dans
les contrées de l’Ouest, une tribu très fervente et très fidèle et
que j’aime beaucoup par avance. Cette tribu parlera une langue
qui n’est semblable à aucune autre!
Cependant, Oukbatou, accompagné de son captif Diaoua,
quitta le Yémen, arriva à Koumbi (Ghana), et y salua le Kaya-
magha Djiabé.
Celui-ci lui donna sa fille et il en eut quatre mâles : Diallo, Ba,
de Timbo (Fouta-Djallon) concilie l’origine arabe et l’origine juive : « Selon
Lambert (1860), qui séjourna à Timbo, les Foulahs seraient originaires des
pays du soleil levant, de la terre de Faz suivant certains indigènes ou de
celle de Sam, d'après d'autres marabouts non moins éclairés sur leur origine. »
Je crois que ce bon Lambert est ici quelque peu ironique. En tout cas, la
terre de Faz (Fez) c’est le Maroc et la terre de Sam, c’est la Syrie. S’ils vien-
nent du Maroc, ils se présentent comme des Arabes arrivés au Maroc avec
l’invasion mahométane. S’ils viennent de la Syrie, ils se présentent comme
des Judéo-Syriens ou des Juifs, selon la théorie chère à Delafosse.
So, Bari, noms que les Peuls du Ouassoulou devaient ensuite chan-
ger en Diallo, Diakhité, Sidibé et Sangaré.
Et ces enfants imaginèrent un langage à part différent de celui
des Arabes et différent de celui des Sônninké. Alors Oukbatou se
souvint des paroles du Prophète et songea qu’il était mort. Alors,
il voulut retourner dans le Yémen pour s’en assurer et il laissa
sa femme avec son esclave Diaoua en lui disant : Si je ne reviens
pas, marie-toi, mais ne prends pour mari que l’homme pudique
qui ira faire ses besoins très loin dans la brousse. Après avoir
attendu son mari très longtemps, la fille de Djiabé, désespérant
de le voir revenir, prit pour mari Diaoua, car elle avait pu cons-
tater que tous les jours, pour faire ses besoins, Diaoua allait jus-
qu’à la lointaine forêt. Et elle en eut un fils Dabi qui donna nais-
sance aux Diavandos 1 la première caste de la société peuhle.
Cependant les quatre fils d’Oukbatou (qui avaient créé la langue
Peuhle) se rendirent à La Mecque et ils étaient tellement fervents
qu’ils consentirent à se laisser trancher la tête pour aller voir
tout de suite le Nabi dans le ciel. Naturellement, ce n’était qu’une
épreuve qu’on leur fit subir et par laquelle les gens de La Mecque
éprouvèrent leur foi ardente.
Et l’on découvrit un écrit laissé par Mohammed et qui était
justement un vocabulaire de cette langue inconnue que parlaient
les quatre jeunes gens, si remarquables par leur foi. Et l’on con-
nut ainsi la langue Peuhle créée par le Prophète lui-même ou créée
par Dieu et enregistrée par le Prophète. Ensuite, les quatre frères
Peul regagnèrent l’Afrique occidentale et s’établirent à Troum-
banou dans le Bakhounou (cercle de Goumbou ou de Nara) où
leur beau-père Diaoua (avec toute sa descendance Diavando) les
rejoignit.
Or, Dieu permit que plus tard, leur descendance abandonnât
l’Islam et s’entêtât longtemps dans les voies de la mécréance.
Cependant, ils devaient revenir (et définitivement cette fois)
à l’Islam, et, parmi les Diallo, les premiers qui se reconvertirent
à l’Islam, prirent le nom de Kann (pp. 152 à 154).
En définitive, dans cette légende ingénieuse des marabouts
Sôninnké (dans laquelle ils font rentrer du reste non seulement
l’histoire Soninnké, mais toute l’histoire du Soudan jusqu’aux
Bambara compris) les Peuls sont considérés comme des hommes
rouges venus du Yémen. Leur ancêtre Okbatou (on retrouve ici
1.Les Diavando (au plur. Diawambé) sont en réalité des métis de Peuhls
mâles et de femmes Sônninké ou bien des Sônninké purs.
une fois de plus le conquérant arabe Obka-ben-Nafa qui fonda
Kairouan et poussa jusqu’à l’Atlantique au VIIe siècle de notre
ère) épouse la fille du roi Sôninnké Kayamagha Djiabé et en a
quatre fils, origine de la race Peuhle. Comme les Sôninnké, dans
cette légende, ne sont pas des noirs, mais des rouges, c'est l’al-
liance entre deux peuplades de Rouges qui a donné les Peuhls. En
définitive, les Peuhls sont présentés ici, non comme des blancs,
mais comme des Ethiopiens ou Kouschites d’Arabie.La légende,
assez jolie du reste, telle qu’on l’a présentée à Robert Arnaud,
n’est donc pas absurde comme fond, les Peuhls étant réellement
des Éthiopiens ou Khamites et non pas des Arabes ou des Juifs.
Somme toute, les Sôninnké ont vu plus clair ici que quelques
érudits dont nous ne citerons pas les noms.
Après avoir écouté les Peuhls eux-mêmes et les marabouts musul-
manisés du pays Sôninnké, écoutons maintenant les érudits ou sa-
vants modernes qui ont travaillé sur eux et reprenons d’abord les
opinions les plus contestables avant d’en venir à l’opinion pres-
que unanime des anthropologistes qualifiés.
CHAPITRE II
LA THÉORIE JUIVE
1. Il ne peut pas être question ici d’Alexandrie qui ne date que de l’époque
d’Alexandre, s'il s'agit vraiment d'une prophétie contre Ninive détruite en 607
av. J.-C. par les Médo Perses, il s’agit probablement de la ville qui fermait,
à l’est du delta, la frontière de l’Égypte contre les invasions des Assyriens
ou des Chaldéens. On comprend, en ce cas, qu’elle ait été défendue par des
Égyptiens, des Éthiopiens, des Lybiens et des Fouth. On l’appelle ici Alexan-
drie parce qu’Alexandrie la remplaça plus tard comme grande ville du delta
égyptien. Il est probable qu’il s’agit ici d’une des expéditions des Assyriens
contre l’Égypte du temps d’Assour-ban-Habal (vers 660 av. J.-C.).
côté des Éthiopiens et les désignent ainsi comme une nation
éthiopienne et pas du tout comme des Judéo-Syriens. Résumons
donc en disant que ces Fouth sont des Éthiopiens, encore en
place au 7e et au 6e siècle avant Jésus-Christ, puisque cités par
les prophètes hébreux de cette époque et qui sont peut-être
(je le croirais volontiers comme Delafosse) les ancêtres de nos
Peuls.
Delafosse se demande ensuite (p.201) à quelle époque on trouve
la première mention des Peuls et il la trouve chez Makrizi, poly-
graphe et historien arabe (ou plutôt égyptien) considérable, qui
vécut de 1364 à 1442. « Makrizi (1364-1442) parle d’une ambas-
sade envoyée vers l’an 1300 par l’empereur de Mali à celui du
Bornou et qui comprenait deux personnages parlant le peul (fou-
lania) » (p. 201). Nous avons donc ici la première trace historique
des Peuls proprement dits. Cadamosto, le fameux voyageur ita-
lien (vers 1450) mentionne ensuite les Peuhl sur le Sénégal. Joao
de Barros, le fameux auteur de l’Asia (qui est également une
Africa) nous en parle à son tour au XVIe siècle (vers 1550). C’est
Sadi dans le Tarikh-es-Soudan (vers 1667) qui nous parle le pre-
mier un peu longuement des Peuls. Il avait, parmi ses ancêtres
une femme Peuhle, du clan des Sonfoutir (ou Soumountara ou
Dialloubé). Il appelle les Peuls Foulâni et range à tort les Ouolofs
parmi eux (Delafosse, p. 201). Grey Jackson, consul anglais à
Mogador (vers 1810) apprit des Marocains qu’une tribu d’Israé-
lites habitait le pays de Malli. C’est sans doute des Peuls qu’ils
voulaient parler, dit Delafosse, mais cela n’est pas sûr, car on
sait que vers le Xe siècle de notre ère une tribu juive alla jusqu’au
Macina et y établit une cité et des puits qui subsistent encore
(je parle des puits et non de la cité qui n’existait plus dès la fin
du XVe siècle, dès l’époque du second empire Songhay). Il peut
donc se faire que les Marocains informateurs de Jackson lui aient
servi une antique tradition restée dans le Maroc et relative à ces
Juifs. Delafosse cite ensuite l’opinion du sultan peuhl de Sokoto,
Mohammed Bello, sur les origines de sa race. Nous avons vu plus
haut ce que valait une telle opinion.
Delafosse passe ensuite en revue un certain nombre d’opinions
sur les origines des Peuhls : celle d’Eichtal (1842), celle de Barth
(1855), celle de la descendance Égyptienne ou Éthiopienne. Dela-
fosse, mal renseigné à ce sujet, n’y voit qu’un calembour déplo-
rable sur le mot Foulah-Fellah. Après avoir parlé du capitaine
Figeac qui fait descendre les Peuhls des Pélasges et ceux-ci d’Apol-
lon, et du général Frey qui les fait descendre des Annamites et
les apparente aux Bretons, et nous révèle que ce sont les Peuls
de Ghana ou Ghanata qui ont fondé le Canada(!) (p.204, en note),
Delafosse passe à l’opinion du Dr Thaly qui en fait des Tziganes
ou gypsies (p. 205), opinion qu’il rejette, car le Dr Thaly fait
descendre les Peuhls (chassés d’Asie par les Mongols) au XVe siècle
seulement sur l’Afrique. Or, ils y étaient bien auparavant.
Après avoir parlé de l’opinion de Faidherbe, opinion qui va
au coeur de Delafosse, Faidherbe ayant signalé les ressemblances
de la langue peuhle avec quelques-unes des langues de l’Ouest
africain, particulièrement le Sérère, il passe à l’opinion de Grimai
de Guiraudon (les Peuhls sont ces Juifs) qu’il adopte, et, après
avoir parlé dédaigneusement des conclusions du Dr Verneau,
qui sont pourtant les plus solidement étayées que nous ayons sur
la question, il rejette (cette fois avec raison) l’assimilation des
Leuco-Éthiopiens avec les Peuhls (p. 207). Cela fait, il s’enfonce
dans la fantaisie, retraçant l’histoire des Peuhls depuis les Hycsos
et depuis Moïse. Pour lui, une partie des Hycsos et une partie
des Juifs s’enfuit à l’est de l’Égypte, tandis que la masse repre-
nait le chemin de l’Est (pp. 209 et 210). Plus tard, Ptolémée
Soter (320 av. J.-C.) déporta les Juifs en Cyrénaïque. Là, Dela-
fosse arrête son exposé historique pour nous parler des légendes
peuhles sur leurs origines. Sa thèse générale est que les anciennes
légendes peuhles parlaient d’une origine juive, mais que, depuis
que les Peuhls sont islamisés, ils ont voulu se donner une origine
arabe en se rattachant au conquérant arabe Okba-ben-Nafi. Pour
Delafosse, les premières légendes seules ont une valeur. Pour
nous, nous n’en accordons ni aux unes ni aux autres.
Delafosse reprend ensuite son exposé historique : les Juifs de
Cyrénaïque, persécutés par les Romains, émigrent d’abord dans
Le Fezzan, puis sur l’Aïr (Agadez) puis dans le Macina (p. 216-
217).
« L’an 40 de
notre ère, dit-il, saint Marc, qui était lui-même
un Juif de Cyrénaïque, vint évangéliser sa patrie et fut le premier
à prêcher le christianisme en Afrique 1. Il fit un certain nombre de
prosélytes parmi ses compatriotes mais, par contre, au contact
de la nouvelle doctrine, la ferveur religieuse redoubla chez les
Juifs demeurés fidèles à la religion de leurs ancêtres, et de vieilles
1. Haut-Sénégal-Niger, t. I, p. 159.
rable à l’élevage qui est connue aujourd’hui sous le nom de Ferlo
et qui devait alors dépendre tout au moins théoriquement, de
l’empire de Tekrour. Un parti assez considérable continua en-
suite son exode vers l’est, s’établissant non loin de la rive gauche
du Sénégal entre Bakel et Kayes, dans le Nord du Boundou et
du Bambouk, c’est-à-dire dans le pays du Galam ou Gadiaga, à
cheval sur la Basse Falémé. Ce pays était alors (deuxième moitié
du XIe siècle) une dépendance du Tekrour, d’après le témoignage
de Bekri et les Soninké qui y possédaient déjà des colonies de-
vaient être vassaux des Toucouleurs 1. Quelques familles peuhles
durent, dès cette époque, passer sur la rive droite du Sénégal aux
environs de Kayes et rejoindre dans le Diomboko les descendants
des Judéo-Syriens qui y étaient demeurés en venant de Ghana.
« C’est cette colonie peuhle du Galam, du Kasso et du Diom-
boko que, très probablement, Bekri nous signale sous le nom d'Al-
Fâman —• on pourrait dire à la rigueur Al-Fellan 2 — sur l’un
des manuscrits et qu’il localise au sud-est du pays des Toronka
(Toucouleurs du Toro), dans la région de Silla, ajoutant que les
Al-Fâman appartiennent à la même race que les Honeïhin de
Gana, Certaines familles de cette colonie s’unirent plus tard à
des Mandé (Sôninké et Kagoro) et donnèrent naissance aux Khas-
sonké actuels. »
Il est malheureux d’avoir à relever tant d’erreurs dans le texte
d’un auteur qui a tant fait, si l’on prend son oeuvre en gros, pour
l’histoire et la linguistique de l’Afrique occidentale française
mais enfin il faut répéter que les Al-Faman d’El-Bekri qui sont
les descendants des soldats Ommia des de 736 n’ont aucun rapport
avec les Peuhls, et, d’autre part, les Khassonké provinrent à la
fin du XVIIe siècle (vers 1680) d’une fusion entre des Peuhls
descendus de Nioro et les Malinké dégénérés qui occupaient le
pays et qui, d’abord maîtres de ces Peuhls nomades, finirent par
être battus et vaincus par eux. Ces derniers faits ont été établis
définitivement par Monteil en 1915 dans son volume sur les
Khassonké et du reste étaient déjà connus au moment où Dela-
fosse écrivait (1912) mais celui-ci a arrangé son roman peuhl sans
se documenter suffisamment. De là de fortes erreurs qu’on est
obligé de relever maintenant.
Delafosse continue ainsi : « D’après les traditions indigènes,
1. El Bekri ne dit nullement que les villes Soninké du Sénégal dont il parle
étaient vassales des Toucouleurs.
2. Supposition inadmissible et que Delafosse fait pour les besoins de sa
cause.
cette colonie peuhle du Galam se choisit dans le clan Diallo un
roi dont le titre nous a été transmis sous les formes diverses de
Saltigué, Silatigui, Fondokoï et Ardo. Lorsque les Soninké de
Ghana, vaincus et pourchassés par les Berbères Lemtouna à la
faveur du mouvement almoravide, commencèrent à venir s’éta-
blir en nombre dans le Guidimaka et le Gadiaga ou Galam (fin
du XIe siècle), les Peuhls, sous la conduite de leur ardo quittèrent
en majorité ces régions et s’avancèrent vers l’Est à travers le
Diomboko et le Karta, laissant à chacune de leurs étapes des
familles qui, en s’unissant à des Mandingues, donnèrent naissance
aux Foulanké des cercles de Bafoulabé et de Kita 1.
Arrivé au Kaniaga, province méridionale du Bagana, le gros
de la migration y demeura plus longtemps que dans ses lieux
d’arrêt précédents. Il semble que, partis du Galam vers la fin
du XIe siècle ou le commencement du XIIe, les Peuhls n’avaient
pas sensiblement dépassé le Kaniaga à la fin du XIVe; sans doute
les efforts des Soninké Sossé ou Sosso pour conquérir Ghana sur
les Sissé, ensuite leur lutte avec les Mandingues et les razzia qui
suivirent la victoire finale de ces derniers avaient entretenu le
long de la rive gauche du Haut-Niger un état d’insécurité qui ne
favorisait pas les migrations vers l’Est. Au début du XIVe siècle,
pourtant, les Peuhls Diawambé s’étaient portés dans le Kingui
et avaient fondé Nioro. »
Ceci est exact. Il semble bien que les Peuhls aient fondé le
Fouta-Kingui (à l’ouest du cercle peuhl de Nioro) au XIVe siècle.
Mais pourquoi parler de Peuhls Diawambé? Les Diawambé (au
singulier Diavando), ne sont pas des Peuhls, mais une population
mixte issue de pères Peuhls et de femmes Soninké. Il put se for-
mer des métis Diawambé dans la région, mais il est probable que
les Peuhls qui colonisèrent le Fouta-Kingui étaient des Peuhls
purs.
Delafosse continue en ces termes :
« Mais, au début du XIe siècle, l’exode des Peuhls reprit son
essor d’une manière décisive à la suite de circonstances que les
traditions indigènes relatent de la manière suivante. Un Sila-
tigui 2 ou Ardo nomme Yogo, fils de Sadio ou Sadia Diallo, rési-
1. Ceci est encore uneerreur de Delafosse. Les Foulanké de Bafoulabé et
de Kita vinrent du nord dans ces pays au début du XVIIIe siècle ou à la fin.
du XVIIe. Leur mouvement appartient au même mouvement qui donna
la race métisse des Khassonké.
2. Le mot Silatigui n’est pas peuhl, c’est un mot mandé qui veut dire le
chef du sentier, le chef du chemin, et par conséquent le conducteur de l’im-
migration. Le mot Ardo, au contraire, est peuhl.
dant à Kouma ou Toï, dans le Kaniaga, mourut vers 1400 en
laissant une veuve et deux frères dont l’aîné s’appelait Diadié et
le plus jeune Maga (ou Magham) ou Atiba. Diadié voulut épouser
la veuve de Yogo, mais celle-ci refusa ses avances; Maga se ren-
dit auprès d’elle pour l’engager à accepter la main de son frère :
cependant la femme persista dans son refus et des ennemis de
Maga présentèrent à Diadié la démarche de son frère sous un
mauvais jour, prétendant que c’était Maga qui avait poussé la
veuve de Yogo à rejeter les propositions de Diadié dans le but
de l’épouser lui-même. Une querelle s’ensuivit entre les deux
frères qui, après avoir échangé des paroles blessantes, se sépa-
rèrent.
Maga Diallo (ou Maga Sal) quitta le Kaniaga avec ses parti-
sans, marchant droit devant lui dans la direction du Nord. Par-
venu dans le centre du Bagana, du côté de Kala (Sokolo) il ren-
contra un troupeau de boeufs égaré, et les poussant devant lui
dans la direction de l’Est, il parvint dans le Diaga ou Massina,
auprès d’une mare qu’avoisinait un village de Soninké Nono.
Maga leur demanda l’hospitalité et établit son campement près
de leur village; il alla ensuite saluer le fonctionnaire qui gouver-
nait le Bagana au nom de l’empereur de Mali et reçut de lui l’in-
vestiture officielle de chef (Ardo) des familles peuhles qui l’avaient
suivi, avec l’autorisation de résider dans le Massina. Plus tard,
d’autres Peuhls du Kaniaga, appartenant au clan Daédio ou
Bari,vinrent rejoindre Maga, ainsi que des gens appartenant aux
castes des Mabbé ou Maboubé et des Diawambé ; des serfs Rimaïbé
issus d’esclaves noirs acquis par les Peuls durant leur traversée
du bassin du Sénégal, vinrent encore grossir ce noyau qui donna
naissance au très important groupe des Peuhls du Massina et aux
fractions secondaires qui en sont issues par la suite.
Quant aux partisans de Diâdié, certains se mêlèrent aux Fou-
lanké du Nord de Kita et de Bafoulabé et aux Khassonké de la
région de Kayes, adoptant peu à peu la langue Mandé et trans-
formant leur nom de clan : Ourourbé en Diakaté ou Diakité (les
gens originaires du Diaka ou Diaga) Daébé en Sangaré, Férôbé
en Sidibé; seul le clan des Dialloubé conserva son nom sous la
forme du singulier (Diallo). »
Il est inutile de faire remarquer que, comme en 1400 ou 1425
les Khassonké et les Foulanké n’existaient pas encore (ils existèrent
à la fin du XVIIe siècle seulement), les Peuhls dont parle Delafosse
ne purent pas venir se mêler à eux ou bien ils le firent beaucoup
plus tard, au xvme siècle.
« Diadié lui-même, continue Delafosse, s’était dirigé vers le
Nord-ouest et était allé se fixer dans le Bakounou entre Goumbou
et Nioro, avec plusieurs familles appartenant aux clans Irlâbé,
des Yâlabé (ou Alaïbé),des Oualarbé, des Férôbé et des Ourourbé
(ou Boli). »
Delafosse ajoute en note (note 2, p.229) : «Environ un siècle plus
tard, vers 1510, un descendant de Diadié, nommé Tendo-Gala-
dio, chef des Yâlabé, prêcha la révolte au Bakounou contre l’em-
pereur de Gao, El-Hadj-Mohammed (le premier Askia) qui était
devenu maître de la majeure partie des anciennes dépendances
du Mali. El-Hadj-Mohammed entreprit en 1511-1512, une expé-
dition contre Tindo qu’il défit et tua à Diara, près et au nord-Est
de Nioro. Koli, fils de Tindo, prit alors le commandement des
Peuhls du Bakounou, réfractaires au souverain de Gao et, accom-
pagné de Goro ou Gara, chef des Oualarbé, de Diko, chef des
Férôbé et de Nima, chef des Ourourbé, il émigra au Fouta-Toro
qui, ainsi que tout l’ancien Tekrour, obéissait alors à l’empereur
du Diolof. Ce Koli, aidé par les Sérères et par le clan Toucouleur
des Dénianké, aurait réussi à tuer l’empereur du Diolof, à affran-
chir les Toucouleurs de la suzeraineté des Ouolofs et à fonder au
Tekrour un nouvel empire indépendant dont il fut le premier sou-
verain. Ses descendants régnaient encore au Fouta vers le milieu
du XVIIe siècle, d’après le témoignage de Sa’di. »
Ceci est exact et c’est même ce Koli qui, en 1534, descendit
avec des fortes colonnes peuhles sur la Haute Gambie et y éta-
blit les « Foulacounda ». Il entraîna même dans sa migration des
Serères, semble-t-il, et ceux-ci semblent avoir donné naissance
aux nègres Koniagui.
Delafosse continue :
« Du Massina, les Peuhls ne tardèrent pas à se répandre à tra-
vers la boucle du Niger et au-delà, bien que le gros de leur nation
soit encore aujourd’hui établi dans la région dont le marigot de
Dia ou Diaka forme comme le centre. Dès le XIe siècle 1 des Oua-
larbé, des Ourourbé, des Salsabé et des Torobé se portèrent vers
le nord dans le cercle actuel de Niafonké, avec un grand nombre
de Diawambé. D’autres franchirent le Niger et le Bani et, s’in-
filtrant au travers des Tombo et des Mossi, gagnèrent le Liptako
(région de Dori) où ils fondèrent une colonie prospère qui put
presque rivaliser avec celle du Massina. Ici encore, nous avons de
1. Ceci est évidemment faux. C’est au xve siècle seulement qu’on trouve
les Peuhls bien établis au Massina. Ceux de Niafonké (au nord du Massina)
ne s’établirent dans la région qu’à cette époque au plus tôt.
nombreuses traditions indigènes relatives aux différents exodes
dont l’ensemble constitua cette importante migration.
« Le clan peuhl des Tôrôbé — car il y a des Tôrôbé peuhls et
des Torôbé Toucouleurs — à la suite de la grande migration du
Fouta vers le Massina, s’était installé surtout au nord du lac
Débo, entre Niafounké et Saraféré. La légende dit que l’exode
des Torôbé avait été dirigée par trois frères nommés Sambo, Paté
et Yoro. Une partie d’entre eux, quittant la région de Saraféré,
s’en alla camper à Gorou, au nord de Douentza. Là, ils furent
rejoints par quatre membres de leur clan (Hamadi, Dembo,
Dello et Diobo) tous les quatre descendants d’un nommé Siré qui
aurait été père de Sambo, Paté et Yoro et qui serait demeuré au
Fouta avec une partie de sa famille lors de l’exode de ces trois
derniers. Les quatre émissaires venaient du Fouta, dans le but
d’engager leurs compatriotes à retourner au Sénégal. Non seu-
lement, ils échouèrent dans leur mission, mais ils demeurèrent
avec les Torôbé de Gorou et devinrent eux-mêmes des chefs de
migration : Dello, avec Dembo et ses fils, conduisit une partie
de la tribu au Liptako; Dembo s’arrêta dans le Djilgodi (région
de Djibo), d’où ses descendants pénétrèrent dans le nord-est du
Mossi (canton de Boussouma); la plupart des fils de Dembo de-
meurèrent au Liptako, mais Dello, allant coloniser le Torodi
(pays des Torôbé) et traversant le Niger près de Say, poussa jus-
qu’à Sokoto; Amadi, lui, conduisit dans le Yatenga une autre
bande dont le chef actuel, Abdoullahi, prétend descendre de
Sambo et de son père Siré, le premier ancêtre des Peuls Torôbé.
Enfin, Diobo, qui avait accompagné Hamadi au Yatenga, alla
ensuite au Djilgodi rejoindre Dembo, y laissa son fils Pelouna,
traversa le Liptako et le Torodi, gagna Sokoto et se porta de là
dans l’Adamaoua.
« Ibn Galâdio, ancêtre du clan des Yalâbé ou Alaïbé, aurait
fait partie de la migration qui demeura longtemps du côté de
Kayes et qui aurait, en partie, donné naissance aux Khassonké.
Beaucoup de ses descendants, cependant, avaient suivi le grand
mouvement vers le Kaniaga et le Massina, s’étaient établis sous
la conduite d’un nommé Dama ou Demba, dans le Sébéra, entre
Dienné et Sofara. Gao, fils de Dama, poussa vers le nord jusqu’à
Goumeouel dans le Fitouka, entre Niafounké et Saraféré. La
fraction des Yalâbé qui s’établit là aurait pris le nom de Fitôbé
ou Fitoubé (du nom de Fitouka). Plus tard, Diâdié, fils de Gao,
conduisit les Fitobé à Sari, sur la route de Bandiagara à Dori au
nord de Ouahigouya. Moussa, fils de Diadié, qui vivait vers le
milieu du XVIIIe siècle, aurait conclu une alliance avec les Tombo
de la région pour chasser de Bané (entre Sari et Ouahigouya) les
Nioniossé et les Soninké de langue Songaï qui s’y trouvaient alors
et s’installaient à leur place, poussant ainsi vers le sud. Goré,
l’un des compagnons de Moussa, se fixa plus au sud encore, à
Sittiga, dans le Yatenga. Demba, le chef actuel des Fitobé du
Yatenga, dit descendre de Moussa par les nommés Hamadou,
Sidikin, Tana et Hamat.
« Ce dernier — Hamat — fils et successeur de Moussa — vivait
aux environs de 1780. Un Peuhl de sa tribu, nommé Paté, se
transporta avec ses troupeaux à Téma, dans le Mossi, et épousa
une nommée Siboudou, fille du chef Mossi de Téma. Il en eut
5 fils (Mali, Koumbassé, Faéni, Garba et Sambo) et une fille
(Sadia). Cette dernière demeura à Téma et s’y maria avec un
Mossi; les cinq fils vinrent s’établir à Kalsaka, dans le Yatenga
et s’y marièrent avec des femmes Mossi : ce sont les descendants
de ces unions de Peuhls avec des Mossi qui sont appelés par les
Mossi Silmimossi, tandis que les Peuhls purs sont appelés Sil-
misi. Ces Silmimossi sont rattachés aux Peuhls plutôt qu’aux
Mossi, mais en réalité, ils participent des deux peuples : ils
parlent en même temps le peul et le mossi et sont à la fois pas-
teurset agriculteurs; mais ce sont les hommes chez eux qui
traient les vaches et non pas les femmes comme chez les vrais
Peuls.
« Les Dialloubé ont également
fourni un assez fort contingent
aux migrations peules qui se sont répandues dans la boucle du
Niger. Un de leurs chefs, Hamân, partit du Massina au XVIIe siècle
et vint s’établir à Gomboro, dans l’ouest du Yatenga, en pays
Samo. Guibril chef actuel des Dialloubé du Yatenga, serait le
quatorzième successeur de Hamân dont le sépareraient neuf géné-
rations. 1
« Revenons maintenant au Ferlo
qui avait été, comme nous
l’avons vu, le refuge de la majorité des Peuls chassés du Fouta-
Toro par les Toucouleurs. Tandis que s’organisaient les grands
exodes qui, du Ferlo, devaient aboutir au Massina et au Torodi,
une autre migration moins importante prenait la route du sud,
et laissant plusieurs colonies dans le Boundou, allait se fixer dans
le Fouta-Djallon. Cette migration eut lieu aussi, vraisemblable-
ment, du XIe au XIVe siècle, bien avant la conquête du Fouta-
1. On peut comparer à ce tableau de l’occupation de certains points du
Yatenga et du Mossi par les Peuls, ce que j’en ai dit dans mon Noir du Ya-
tenga (1917) en parlant des Peuls du pays.
Djallon par les Toucouleurs Dénianké, que l’on place générale-
ment vers 1720. »
Delafosse ajoute en note (note 1, p. 233) : « Les Dénianké
étaient ces Toucouleurs qui avaient aidé le Peul Koli Galadio à
s’emparer du Tekrour au début du XVIe siècle (voir plus haut,
p. 229, note 2). Leur clan était demeuré virtuellement au pou-
voir sous les descendants de Koli et, comme ce dernier, ils étaient
restés rebelles à l’islamisme. Au début du XVIIIe siècle, un mara-
bout Toucouleur nommé Abdoulkader Torodo prêcha la guerre
sainte contre les infidèles et renversa la dynastie peule des des-
dendants de Koli. Le pouvoir passa ainsi aux Torobé, tous mu-
sulmans; les Dénianké, bien que s’étant alors convertis à l’isla-
misme, perdirent toute influence au Fouta Toro et ils émigrèrent
en partie sous la conduite de deux chefs nommés Sidi et Séri
(ancêtres des Sidianké et des Sérianké) pour s’établir au Fouta-
Djallon auprès des Peuls qui s’y trouvaient depuis plusieurs
siècles. Un de leurs marabouts nommé Sori commença peu après,
sous prétexte de guerre sainte, la conquête du pays aux dépens
des Soussou ou Diallonké autochtones. Actuellement encore, on
distingue les Peuls des Toucouleurs au Fouta-Diallon en donnant
aux premiers — très peu nombreux — le nom de Poulli et aux
seconds — qui sont fortement mélangés de Mandé — le nom de
Foula. » (p. 233, en note).
Tout ceci est malheureusement de la haute fantaisie. Delafosse
n’avait pas eu le temps d’étudier l’histoire du Fouta-Djallon et
ne la connaissait pas. Les premiers Peuls qui vinrent dans le pays
(Haute-Gambie) furent les Peuls de Koli Tenguéla ou Koli Gala-
dio qu’on appelle encore actuellement Foulacounda (ou Poulli).
Quant à la grande migration peule de 1694 qui s’empara du Fouta-
Djallon vers 1725 sur les Dialonké, toutes les autorités les plus
sérieuses et les plus anciennes nous la montrent unanimement venant
du Macina (j’en ferai la démonstration quand j’en serai à l’his-
toire des Peuls du Fouta-Djallon). Cette migration n’a aucun rap-
port avec les Denianké du pays toucouleur. Du reste, Abdoul-Kader
qui renversa les Dénianké, est mort en 1809 et n’a pas pu, par
conséquent, s’emparer du pouvoir au Fouta-Toron au commen-
cement du XVIIIe siècle. Il semble avoir régné de 1773 à 1809 et
par conséquent ne renversa les Dénianké qu’en 1773. A cette
époque, les Peuls venus du Macina finissaient de s’emparer du
Fouta, brisant la coalition des Ouassoulonké et des Dialonké et
établissaient définitivement leur pouvoir sur le pays.
Ce que dit Delafosse ensuite des Ouassoulonké est aussi faux.
Les Peuls qui conquirent le Ouassoulou (au commencement du
XVIIIe siècle) venaient du nord, et après s’être établis à l’est du
Niger (Ouassoulou) le franchirent et vinrent alors se heurter aux
Peuls du Fouta-Djallon qui, après de vives luttes, les repoussè-
rent à l’est du Niger (vers 1776). Ce ne sont nullement des Peuls
du Fouta-Djallon de la grande invasion, qui, du Fouta, auraient
poussé vers l’est. Voici, du reste, ce que dit exactement Delafosse
à ce sujet :
« Lorsque précisément les Toucouleurs arrivèrent au Fouta-
Djallon et surtout lorsqu’ils voulurent convertir à l’islamisme
les Dialonkés et les Peuhls, le plus grand nombre de ces derniers
émigrèrent vers l’est, se portant dans le Sangaran 1 et le Ouas-
soulou où ils s’unirent à des Mandingues et grossirent le nombre
des Foulanké; d’autres, demeurés à peu près purs, poussèrent
plus loin encore et arrivèrent près de la Haute Volta noire, dans
le quadrilatère compris entre Sikasso, Koutiala, Koury et Bobo-
Dioulasso, s’avançant même jusqu’à Barani, entre Koury et San.
Beaucoup de ceux-là, bien qu’ayant conservé l’usage de la langue
peule, avaient adopté, durant le passage dans le Ouassoulou, la
forme foulanké des noms de clans (Diallo, Sangaré, Diakité,
Sidibé). L’un d’eux, Ouidi Sidibé, fonda à Barani une sorte de
royaume éphémère d’où sont parties quelques petites migrations
récentes (XIXe siècle), telles que celles de Daba Sangaré du côté
de Koutiala, celle d'Ali-Bouri du côté de San, etc. D’autres migra-
tions, anonymes celles-là, traversèrent vers la fin du XVIIIe siècle
le Dafina, le Mossi et une partie du Gourma, rejoignirent au To-
rodi le grand courant venu du Macina par le Liptako et suivirent
la route qu’il avait tracée déjà vers les pays haoussa, l’Adamaoua,
le Baguirmi et le Ouadaï. »
En résumé, celle longue histoire des Peuls par Delafosse n’est
qu’un roman pour la période qui va de la Cyrénaïque au royaume
de Ghana (1er au IIIe siècle de notre ère). Pour le royaume de
Ghana (IIIe au VIIIe siècle) elle est fort hypothétique, quoique
nous nous trouvions déjà sur un terrain un peu plus consistant, et,
à mon avis, elle doit être rejetée. L’histoire ne devient sérieuse
qu’à partir du Fouta-Toron (VIIIe siècle) et encore Delafosse a-t-il
commis ici des erreurs monstrueuses, comme la formation des
I. Avant Jésus-Christ.
CHAPITRE IV
Mollien 1818
Barth 1855
Faidherbe 1860
Knaetel 1866
Frédéric Muller 1868
Schweinfurth 1874
Hoeckel 1868-1875
.
Hartmann 1876
Topinard 1879
Oscar Lenz 1881
Quatrefage et Hamy 1882
Krause 1883
Hovelacque 1889
Armand de Préville 1894
Dr Tautain 1895
DrVerneau 1897-1899
Deniker 1900
DrLasnet 1900
Machat 1906
Lieutenant Desplagne 1907
Chantre 1917
André Berthelot 1924
G. Montandon 1928
Gautier 1935
Seligmann 1935
p. 37 à 39) dit :
« Tout récemment, le Dr Verneau, du Museum, a pu faire l’étude
de plusieurs crânes rapportés du Fouta-Djallon par le Dr Miquel
médecin de Ire classe des Colonies : il a montré que les Peuls se
rattachent intimement aux Éthiopiens et que les uns et les autres
présentent deux types, l’un caractérisé par l’ovale régulier de la
voûte crânienne et l’autre par sa forme pentagonale due à la forte
saillie des bosses pariétales, en même temps que par le surbais-
sement de la partie supérieure de la tête; il a prouvé, en outre,
que ce dernier type se trouve fréquemment dans les séries des
crânes anciens de l’Égypte... »
A cette opinion sérieuse qu’il fait sienne, le Dr Lasnet ajoute
quelques opinions plus ou moins fantaisistes qu’il amalgame avec
celle-ci. Ainsi, pour lui, les Peuls sont les Leuco-Éthiopes de Pto-
lémée (IIe siècle ap. J.-C.) et ils ont été auparavant les 240.000 sol-
dats égyptiens qui, sous le règne de Psammétik, abandonnèrent
l’Égypte pour aller s’établir en Nubie (6e siècle av. J.-C.) De là
ils auraient gagné le sud du Maroc où ils seraient devenus les
Leuco-Aetiopiens, puis enfin le Sénégal où ils seraient devenus
les Peuls que nous connaissons.
Pour moi, l’opinion qui fait descendre les Peuls des 240.000 sol-
dats sécessionnistes de Psammétik est une opinion excentrique
et peu sérieuse. Quant au fait que les Peuls seraient les Leuco-
Éthiopiens de Ptolémée,elle n’est guère plus sérieuse quoiqu’elle
ait été soutenue par un certain nombre d’auteurs. C’est peut-être
ici le moment de nous appesentir un peu sur cette opinionqui a été
celle d’auteurs distingués (Knoetel, Crozals, Morel, etc.)M.Crozals,
particulièrement, esprit prudent et réservé, bien documenté sur
la question Peuhle, puisqu’il a consacré un volume aux Peuls en
1883, se prononce pour cette identification,rejetée d’autre part
par Barth (qui aime mieux identifier les Peuls aux Pyrrhi-Aethio-
pes, Éthiopiens brûlés de Ptolémée, — et cela non sans raison,
les Peuls étant excessivement foncés) et par Delafosse. Quels
sont les arguments de Delafosse à ce sujet? — de Delafosse qui
combat cette identification? Le premier est que les fleuves Sta-
chir et Darados du Périple d’Hannon ont été mal identifiés. Du
Darados on a fait le Sénégal et du Stachir la Gambie! Mais, dit
Delafosse avec raison (H.-S.-N., tome I, p. 207).il est très pro-
bable que le Darados n’a jamais été que l’Oued-Draa actuel et le
Stachyr le Seguiet-el-Hamra ou une rivière voisine. Nous voici
donc ramenés de l’Afrique occidentale au Sud Marocain et les
populations blanches de ces fleuves vues par Hannon étaient tout
simplement des Maures. Deuxièmement, les anciens désignaient
sous le nom de Leuco-Aethiopes toutes les populations blanches,
Maures ou autres, qui étaient au Sud de l’Algérie, de la Tunisie,
du Maroc, de la Tripolitaine et de l’Égypte, par opposition aux
nigritiens purs, aux nègres, bref aux Ethiopiens Camus (comme
les appelle Diodore de Sicile).
Ces deux arguments de Delafosse me semblent excellents et
me paraissent trancher définitivement la question contre l’assi-
milation, malheureuse, à mon avis, des Peuls avec les Leuco-
Aethiopes. Nous donnerons donc tort au Dr Lasnet qui, en 1900,
soutient encore une fois et tardivement cette identification aven-
turée.
A part ces fantaisies pseudo-historiques, le Dr Lasnet se rat-
tache à l’opinion du Dr Verneau et à l’origine Nubio-Éthiopienne
des Peuls.
Pour Desplagnes (Le plateau central nigérien, 1907), les Peuls
sont, conformément à l’analyse des crânes peuls du Dr Verneau
de 1899, des Éthiopiens. De même la langue peuhle se rattache
au Nouba de Kordofan (opinion des linguistes Cust et Muller).
On ne peut être plus net et le lieutenant Desplagnes, qui est sou-
vent un écrivain fantaisiste, amateur des hypothèses les plus
hasardées, se montre ici d’une sagesse exemplaire.
André Arcin (La Guinée Française, 1907, pp. 225 à 231) déve-
loppe copieusement sa théorie des origines Peuhles.
Il marque d’abord fortement que les Peuhls sont venus du nord
au sud dans la dernière partie de leur exode à partir de l’Éthio-
pie. Ils sont venus primitivement de l’est par la lisière Nord du
Sahara jusqu’au sud Marocain. C’est de là qu’ils seraient descen-
dus sur le Sénégal. Il les montre d’abord établis à Tischitt, oasis
située au nord-ouest de Oualata et au sud-est de l’Adrar, c’est-à-
dire à mi-chemin du Hodh et de la Mauritanie. Actuellement, ce
sont des Maures qui sont établis à Tischitt. Plus anciennement,
les Peuls étaient, suivant lui, dans le Maroc méridional, le Tafi-
lalet et le Touat. Là aussi, ils auraient été chassés et remplacés
par des Maures.
Cela s’est fait, du reste, il y a très longtemps.
André Arcin rejette la théorie de Félix Dubois (Dans Tom-
bouctou la mystérieuse) qui fait, il est vrai, accomplir aux Peuhls
les mêmes étapes, mais seulement à la fin du XVe siècle de notre
ère, quand les Maures d’Andalousie furent chassés de Grenade
(1492) et rejetés en Afrique, rejetant eux-mêmes les Peuhls plus
au sud. André Arcin dit qu’il y a beau temps, en 1492, que ce
refoulement avait eu lieu.
« Nous voyons, dit-il, les Foula solidement établis à Tischit
parmi les nègres 1. Or Tischitt est une oasis située à l’ouest de
Oualata, sur la route de cette ville à Ouadan, entre le plateau.
d’El-Hodh au sud et le désert d’El-Djouf au nord. C’est à l’heure
actuelle la capitale de la tribu des Kountah, fraction des Zénata.
Les Berbères occupaient auparavant le Maroc méridional, le Tafi-
lalet et le Touat « où ils avaient subjugué une race plus ancienne
autochtone ». Le Chatelier).
« Cette race ancienne autochtone n’est-elle pas la race Foula
qui descendit à cette époque dans le désert et vint occuper Tis-
chitt et Oualata? Plus tard, les Kountah à leur tour,pour fuir les
Almohades et les Arabes, descendirent, en groupes nombreux,
vers les oasis de Tischitt d’où ils refoulèrent à nouveau les Foula,
s’emparant des riches mines de sel de l'Idgil.
« ...Tout ceci ne coïncide-t-il pas avec ce que nous apprend le
Tarikh 2 sur le pays d’origine des Foula qui, d’après lui, serait
aussi le pays de Tischitt? L’on comprend aussi la tradition de
certains marabouts Foula qui fait sortir ce peuple d’un pays
appelé Faz ou Zan (Fez et probablement Ouezzan). De son côté,
la famille des Férobé Foula dit descendre de Tioret ou Toirirt,
probablement le Taourirt qui se trouve au sud de Touat.
« Tout ceci répond à la tradition des Homr, Hamr ou
Beni
Hamran, ces Foula du Fôr, qui prétendent venir du Maroc et qui
se distinguent des autres habitants par le respect qu’ils témoi-
gnent à leurs femmes (Élisée Reclus). Ce nom Hamr suffirait à
lui seul pour nous renseigner sur leur origine. Il signifie « les
rouges » « (p. 228).
Ainsi, les Peuls, chassés par les Maures, seraient venus du sud
du Maroc dans l’Adrar (Tischitt) puis de là sur le Sénégal et c’est
du Fouta-Toron qu’ils auraient commencé leur grande expansion
historique vers l’est.
Mais quelle est, pour M. Arcin, l’origine lointaine des Peuls?
Il en fait, nous venons de le voir, des rouges ce qui indique une
origine africano-orientale ou éthiopienne. Il cite les observations
anthropologiques de M. Chantre. (Recherches anthropologiques
1. Jadis bien entendu puisque Tischitt est aujourd’hui maure.
2. Il s’agit du Tarikh-es-Soudand’Es Sadi.
en Egypte, 1904) qui concluent à la presque identité des Éthio-
piens, des Berbères et des anciens Égyptiens. Parlant des Nu-
biens, M. Chantre dit que, par une de leurs tribus, les Barabra
ils se rapprochent des Berbères de la Tunisie, de l’Algérie et de la
Tripolitaine. S’appuyant sur cette autorité, André Arcin fait
donc des Peuhls des Éthiopiens venus de l’Est par la lisière nord
du Sahara. Il s’attache à montrer que cette route offre des pâtu-
rages suffisants pour un peuple pasteur et a pu très bien être sui-
vie par les Peuls (p. 230).
André Arcin (qui est très éclectique, il faut le dire) rattache
aussi les Peuls au peuple de Phout. C’est là, pour lui, leur plus
ancienne origine. Page 161 de son ouvrage, il parle de ces popu-
lations rouges : « Ces dernières, dit-il, étaient les enfants de Fouth
dont parle la Bible et dont on retrouve le nom sur les inscrip-
tions de Misraïm. Ils semblent avoir été une des variétés de la
race égyptienne, rejetée de l’Égypte à la suite de la prise de pos-
session du pouvoir par une autre sous-race à une époque qu’il
n’est pas possible de préciser. Toujours est-il que ces frères enne-
mis sont constamment en lutte et que les fils de Phout sont l’objet
de continuelles attaques des Pharaons dont l’un se fait qualifier
de « Taureau blanc qui a mis en fuite les peuples de Fouth ». Ces
rouges dont une partie se mélangea aux nègres des pays où ils
s’établissaient, ne tardèrent pas à créer une nouvelle race, que
l’on pourrait appeler les Proto-Lybiens 1... Les rois Perses qui
vinrent en Égypte suivirent, tant à l’égard des Éthiopiens que
des Lybiens, les habitudes prises par leurs prédécesseurs et firent
chez eux plusieurs expéditions dont quelques-unes sans grand
succès. Ceux des Phout ou Foula qui, peu ou point métissés et
ayant conservé leurs habitudes de pasteurs nomades, ne voulurent
pas se plier aux exigences des vainqueurs, se réfugièrent vers
l’Occident, dans le Maroc, d’où ils descendirent plus tard dans
l’Adrar et dans le Oualata pour former un des importants fac-
teurs de l’Ethnologie soudanaise» (ouvr. cité, p. 161-162).
En définitive, les Peuls seraient le peuple de Phout dont parle
la Bible à plusieurs reprises et qui vivaient, d’après André Arcin,
au nord-ouest de l’Égypte. Chassés par les rois perses, au 6e ou
au 5e siècle avant Jésus-Christ, ils auraient gagné, par la lisière
nord du Sahara, le Maroc sud et de là seraient descendus par
étapes sur le Sénégal sous la pression des Maures 2.
1. Je laisse, bien entendu, à M. André Arcin, la responsabilité de ces hypo-
hèses très aventurées.
2. M. André Arcin dit encore (p. 159 et suiv., 228 et suiv.) que le peuple
Enfin, notons que l’éclectisme excessivement large de M. André
Arcin lui fait admettre une parenté des Peuhls avec les Hycsos( !) ! !
Peuls.
30 les théories sérieuses des anthropologistes et des linguistes
qui aboutissent à l’origine Khamito-inférieure ou Kouschile ou
Kouschitique ou Nubienne des
Nous allons examiner dans ce dernier chapitre des opinions
diverses, plus ou moins sérieuses, s’éloignant plus ou moins de la
vérité.
D’abord, il y a une théorie qui a été soutenue par des gens de
talent et qui fait venir les Peuls des Hamites ou Chamites supé-
rieurs de l’Afrique du Nord ou Berbères. Cette théorie a été sou-
tenue par un journaliste voyageur qui découvrit Tombouctou
la Mystérieuse en 1897 (quatre ans après l’occupation militaire,
fin 1893). Il dit (p. 152 de son ouvrage qui a été très lu à cause
de son agrément littéraire et de son impressionnisme aigu) que,
si les Songhaï sont des Éthiopiens venus du Haut-Nil (théorie
complètement fausse, du reste et réfutée par Delafosse en 1912,
les Songhaï étant simplement des nègres Soudanais du nord et par
conséquent mélangés d’éléments Berbères, Maures ou Touareg
et aussi influencés par l’architecture Berbère), les Peuls, au con-
traire, sont conformément à ce que dit le Tarikh-es-Soudan, des
Arabo-Berbères, très analogues aux Touareg et venus du nord
du Sahara occidental dans l’Afrique nègre occidentale. Cette
opinion n’est pas absurde. Elle a été soutenue par Passarge, adoptée
par P. Constantin Meyer qui attribue aux Peuls un caractère
Berbère atténué (Voir Bulletin du Museum, 1900, p. 95). Elle
n’est pourtant pas exacte, à moins qu’il ne s’agisse d’une simple
contamination berbère et par endroits seulement, d’une popula-
tion essentiellement Hamitique inférieure et Kouschitique par elle-
même et dans son essence. De même qu’il y a contamination nègre
chez les Peuls par le sud, il a pu y avoir contamination berbère
(Touareg, Maures, etc.) par le nord chez certains de leurs éléments.
C’est ce qu’admet, du reste, un anthropologiste aussi sérieux et
aussi averti que Deniker. Il peut donc y avoir une certaine part
de vrai dans la théorie berbère des origines Peuhles, mais, en
gros, et présentée d’une façon carrée et massive, elle doit être
rejetée.
Parmi les érudits qui ont soutenu cette théorie berbère, citons
Cortambert (Géographie universelle de Malte Brun revue par
Corlambert. Asie et Afrique 1874-1875). Il dit :
« Les Peuls sont une race berbère conquérante établie à l’ouest
du lac Tchad. Ils sont rougeâtres ou cuivrés, petits, bien faits.
Ils ont les cheveux lisses, sont adroits, guerriers et intelligents.
Ils s’adonnent à la vie pastorale » (pp. 353-354).
M. de Grozals (1883) fait venir les Peuls du Sud-Marocain, mais
peut-être, antérieurement, de l’est. Voici comment il expose son
opinion :
« La thèse de Barth, dit-il, et celle de M. Knoetel 1 ne se con-
trarient pas d’une façon absolue. Barth établit, en effet qu’avant
qu’ils ne se fussent étendus par la conquête les Peuls se trouvaient
à l’ouest de leurs positions actuelles. C’est de l’ouest, c’est-à-dire
du Sénégal inférieur, qu’ils ont gagné de proche en proche des
régions plus orientales. Dans ce cas, il n’est pas loin d’admettre
avec M. Knoetel l’identité de position des Leuco-Aethiopienset
des Peuhls. »
Le raisonnement de M. Crozals n’est pas démonstratif; ce n’est
pas parce que, depuis le VIIIe siècle après Jésus-Christ époque où
ils s’établirent dans le Fouta-Toron, les Peuls ont pris un mouve-
ment d'ouest en est qui les a menés au XIXe siècle en pays Haoussa
(fait sur lequel tout le monde est d’accord et qui est pleinement
connu historiquement), ce n’est pas pour cela que Barth est forcé
d’abandonner sa thèse des Peuhls, Pyrrhi Aethiopiens ou Éthio-
piens brûlés, pour celle de Knoetel (Éthiopiens blancs).
Quoiqu’il en soit de ce point, Crozals continue ainsi :
« A l’époque de Ptolémée, les Leuco-Aethiopiens s’étendaient
dans toute la région d’El-Hodh. A peine un siècle et demi après,
nous trouvons un témoignage presque certain de la présence des
Peuls dans cette même région. Vers l’an 300 2 trois siècles environ
avant l’Hégire, Wakaya-Mangha fonda le royaume de Ghanat
(ou Ghana) dont le centre occupait la province actuelle du Ba-
I. Barth fait des Peuhls, nous le savons, les Pyrrhi-Aethiopes ou Ethiopiens
brûlés de Ptolémée, tandis que Knoetel fait des Peuls les Leuco-Aethiopes
ou Ethiopiens blancs! de Ptolémée.
2. De notre ère.
ghena. Ce royaume fut fondé au moment où le christianisme fai-
sait de grands progrès sur toutes les côtes de la Méditerranée,
surtout en Mauritanie, et y provoquait de grandes révolutions.
Il avait pour capitale Walata ou Birou 1. Si l’on peut en juger
d’après le nom de son fondateur, ce royaume semble avoir été
fondé par les Peuls; dans la langue Peuhle, en effet, le mot Mangho
veut dire grand. Il compta 22 rois jusqu’à l’hégire. »
Crozals ajoute en note : « Barth, IV, 600, a relevé d’étroits rap-
ports entre la langue Peuhle et le Kadzaga, c’est-à-dire la langue
de l’ancien royaume de Ghanata. Les Peuhls ont pris au Kadzaga
les mots qui signifient riz, coton, vache, éléphant... »
En réalité, le Kadzaga ou Kadiaga est la langue sôninnkée de
l’ouest, celle du Galam ou pays de Kadiaga. Barth note donc que
les Peuhls ont emprunté des mots au sôninnké qui était la langue
de Ghana. Cela prouverait plutôt que ce sont les Sôninnké qui
ont fondé ce royaume que les Peuls. Mais la question de l’origine
de Ghana (qui signifie textuellement Prince, c’est-à-dire la ville
du Prince, la capitale) est très obscure. On peut songer pour la
fondation de Ghana aux Maures, aux Peuls, aux nègres Sôninnké.
En tout cas, ces derniers s’emparèrent de Ghana pendant sa déca-
dence et la possédaient en 1050 quand elle fut décrite par Bekri.
En 1076, elle fut enlevée par les Almoravides.
Mais retournons à ce que dit Crozals :
« En confirmant, ajoute notre auteur, ces indications diverses
il est permis, nous semble-t-il, d'affirmer que, dès le 6e siècle avant
notre ère, les Peuhls étaient disséminés entre le groupe monta-
gneux de l’Afrique du Nord et le Soudan, à côté de l’Océan, dans
les oasis au sud du Maroc et dans le Touat. Au IIIe siècle de notre
ère, ils font un pas dans la direction du Niger, ou bien, en suppo-
sant que leur apparition dans ces contrées remonte plus haut
encore, ils y affermissent leur situation par la fondation d’un
royaume qui fut longtemps florissant » ( Crozals, les Peuhls, pp.267
et 268).
Gomme on le voit, d’après Crozals, les Peuls auraient occupé
le sud marocain dès le 6e siècle avant notre ère et auraient fondé
au IIIe siècle après Jésus-Christ le royaume de Ghana (vers 250 en-
Ceci est une erreur de détail de Crozals. Walata ou Birou, ville distincte
1.
de Koumbi ou Ghana, ne prit d’importance que beaucoup plus tard, proba-
blement au moment du sac de Ghana par Soundiata (XIIIe siècle), peut-être
même quand El-Hadj Mohammed détruisit définitivement Ghana au com-
mencement du XVIe siècle. A une époque ou l’autre, les gens de Ghana se
réfugièrent au Nord, à Oualata, et lui donnèrent de l’importance.
viron). Cependant, il ne faut pas conclure expressément de tout
ceci qu’il donne aux Peuls une origine Berbère, comme les auteurs
précédents, car il admet, avec Barth et Faidherbe, qu’à une épo-
que plus lointaine, mais difficile à fixer, les Peuls étaient dans
l’Est Africain et peut-être même antérieurement en Asie méri-
dionale. Crozals est du reste très réservé sur la question des ori-
gines Peuhles qu’il déclare plus loin insolubles. En revanche, le
Dr Bérenger-Féraud, lui, fait venir primitivement les Peuls du
Nord de l’Afrique :
« M. Bérenger-Féraud (dit Crozals, ouvr. cit. p. 262 à 264) est
d’avis qu’il n’est pas impossible que toute la zone de l’Afrique
qui s’étend de l’est à l’ouest, depuis la Mer Rouge jusqu’à l’Océan
et du 28e degré de latitude nord au 15e, fût habitée jadis par une
race humaine ayant les caractères propres aux Peuhls ou Fellahs »
(Bérenger-Féraud, Bevue d’Anthropologie, 4e année, I). M. Bé-
renger-Féraud ne craint pas d’étendre ses conjectures. II suppose
que les races noires suffisamment à l’aise dans les plantureux pays
qui sont au sud du Sénégal et du Niger, n’avaient pas dépassé en
latitude le Fouta-Djallon... Entre les nègres et les peuplades
blanches de l’Afrique septentrionale sollicitées à rester dans les
régions du Tell et du Sahara Algérien, s’étendaient d’immenses
espaces de terre, incultes et inhabités. Les Peuhls devaient habi-
ter alors les versants méridionaux des montagnes de l’Algérie et
de la Tunisie, l’Aurès et l’Atlas. « Ils étaient pasteurs et idolâtres,
vivant jusque-là en assez bonne harmonie avec leurs voisins, Car-
thaginois, Romains, dont l’esprit de conquête, tout actif qu’il
était, pouvait être combattu efficacement par eux, parce que, ne
reposant pas sur une idée religieuse, il n’était pas poussé à l’excès.
Lorsque l’Islamisme apparut, imposant le Coran avec le sabre,
détruisant tout ce qui lui résistait, les Peuhls, vaincus dès les pre-
mières rencontres, mirent du pays entre leurs agresseurs et eux,
chose d’autant plus facile qu’ils étaient pasteurs nomades, et, par
conséquent, très mobiles. Ils commencèrent leur migration vers
le sud. Sachant par le récit des voyageurs, par la tradition, qu’il
y avait, dans le sud, un pays assez analogue à leur contrée natale
sous le rapport de l’altitude, de la végétation, ils traversèrent
résolument et, peut-être en très peu de temps, la bande de 200 à
300 lieues de pays plat qui sépare le Fouta-Djallon de l’Aurès et
de l’Atlas et ils tombèrent inopinément au milieu des peuplades
noires qui s’étaient établies dans le pays où le Sénégal et le Niger
prennent leur source. D’envahis qu’ils étaient, les Peuhls étaient
devenus envahisseurs, de vaincus ils devenaient conquérants. »
Bien entendu, tout cela est de la haute fantaisie : ce sont des
Peuls du Macina qui ont été au Fouta-Djallon en 1694 (époque
de Louis XIV) et ont ensuite conquis le pays entre 1725 et 1776,
et avant eux, il n’y avait que les Peuls de Koli Tenguéla (1534,
époque de François Ier) qui avaient fait de même au N. O. de la
Guinée Française actuelle. Et ce ne sont pas des Peuls venus de
l’Aurès au VIIe ou au VIIIe siècle de notre ère qui ont conquis le
Fouta-Djallon. Bérenger-Féraud reproduit ici, au fond, la tradi-
tion rapportée successivement par Mollien et Boillat de la des-
cente des Peuls sur le Sénégal, vers 750 après Jésus-Christ quand
ils culbutèrent les Sérères et se mélangèrent en partie avec eux,
mais, par une innovation malheureuse, il fait descendre les Peuls
de beaucoup trop haut (Aurès) à beaucoup trop bas (Djallon).
Toute la théorie de Bérenger-Féraud est donc à rejeter aussi bien
que celle de Crozals lui-même.
Après les noms de Félix Dubois, Passarge, Constantin Meyer,
Cortambert, nous pouvons placer celui de Charles Monteil Notice
sur l’origine des Peuls.(Extrait de la Revue Africaine 1911). Charles
Monteil a recueilli à Dienné en 1901 une légende qui fait descendre
les Peuls de Oukbatou-Benou-Yassi lieutenant du conquérant
arabe Amrou-Benou-l'Aci (lui-même conquérant d’Égypte) et
de la fille du roi du Toro, qui était un nègre comme ses sujets.
Cette princesse noire s’appelait Yadjmaou. Elle donna à son époux
Oukbatou, le chef arabe, quatre enfants : Datou, Wayou, Nasou
et Barabou.
Datou enfanta la tribu des Djal, Wayou celle des Bari, Nasou
celle des Soh et Barabou celle des Bah. Ainsi naquirent les Peuls
qui sont les descendants d’un Arabe et d’une princesse nègre du
Toro.
Cette légende est une de celles que nous avons mentionnées
dans notre chapitre II (Ce que les Peuls pensent eux-mêmes de
leurs origines) et Ch. Monteil pourrait en conclure simplement
que les Peuls sont des descendants d’Arabes envahisseurs et de
nègres du Toro. Mais il n’en fait rien et rapporte ce que dit El-
Bekri (Description de l’Afrique, traduction de Slane, p. 391) des
Honeihim surnommés El-Faman (les rois, les princes, en Mandé)
qui sont pour lui, Bekri (écrivant au XIe siècle) les descendants
des soldats que les Ommiades envoyèrent contre Ghana dans les
premiers siècles de l’Islam. Ces gens, ajoute Bekri, ne s’allient pas
auec les nègres, ont le teint blanc et une belle figure... Monteil y
voit les ancêtres des Peuls qui seraient ainsi des Arabo-Berbères
préservés tout d’abord, on le voit, de toute contamination nègre.
Plus tard, dit Monteil, ils n’agirent plus ainsi et, s’alliant avec
les noirs, constituèrent plusieurs races métisses Négro-Peules que
l’on connaît...
Quelle que soit l’autorité de Gh. Monteil et les services qu’ils a
rendus à la connaissance de l’Afrique occidentale française par
ses nombreux ouvrages puissamment documentés, nous rejette-
rons sa théorie et ne perdrons pas notre temps à la réfuter. Une
grande race comme celle des Peuhls ne sort pas d’une poignée de
soldats arabo-Berbères, même ayant amené leurs femmes au Sou-
dan et du reste, les Honeihin. étaient-ils bien les descendants des
soldats Ommiades qui conquirent Ghana en 736 après Jésus-
Christ? En dehors de cela, l’anthropologiesomatique et la linguis-
tique renversent complètement la théorie de Gh. Monteil, quant à
l’origine des Peuls, en faisant de ceux-ci des Hamito-Kouschites et
non des Berbères ou Berbéro-Arabes. Nous n’insisterons donc pas.
Après les théories Berbères ou approchantes, nous passerons à
la théorie hindoue qui a été soutenue par un certain nombre d’au-
teurs.
Golberry (1787) trouve qu’il y a des différences singulières entre
les nègres de l’Afrique Occidentale. Les uns sont grossiers, laids
et féroces, dit-il,les autres bien faits et bons : «Des différences si
singulières se remarquent parmi ce grand nombre de nations et
les distinguent si bien les unes des autres, leurs langues et leurs
usages ont quelquefois si peu de rapport et de ressemblance 1
qu’on est disposé à croire que l’Afrique doit une partie de sa popu-
lation à l’Éthiopie et l’autre partie à des colonies d’Indiens qui
ayant abordé les rivages orientaux de ce continent, se sont, de
proche en proche, répandu jusqu’au bord de l’Océan Atlanti-
que. »
Plus loin, il dira : « Les traits des Foulahs et des Mandingues
paraissent avoir plus de rapport avec ceux des noirs de l’Inde
qu’avec ceux des nègres de l’Afrique. »
En résumé, pour Golberry, Peuls et Mandés sont d’origine
hindoue tandis que les autres noirs de l’Afrique occidentale
seraient d’origine éthiopienne. Gette théorie nous semble actuel-
lement assez bizarre et peu fondée (il est vrai qu’elle date de la
fin du XVIIIe siècle). Les nègres de l’Afrique occidentale nous
semblent réellement des nègres, et les Peuls (qui, eux, ne sont pas
1. Fouta-Djallon.
un peu plus véritablement noirs) et qui est aussi la teinte des
Peuls du Fouta-Djallon.
Telle est la théorie de Golberry, la première théorie un peu
poussée (elle est de 1787) sur l’origine des Peuhls. Elle a été à la
mode à la fin du xvIIIe siècle. L’Anglais Malthews trouve aux
Peuls quelque ressemblance avec les Lascars de l’Inde. C’est, je
crois, cette opinion qui a aiguillé d’Eichtal sur l’origine Malayo-
Polynésienne des Peuls, opinion qui est, d’une certaine manière,
un raffinement extrême-oriental sur l’origine hindoue. D’autre
part, nous avons vu au chapitre précédent que Knoelel (qui fait
des Peuls des Éthiopiens) identifie Éthiopiens d’Afrique et Kous-
chites d’Asie et fait venir les derniers de l’Inde en Afrique. Il y a
là un pont entre l’origine éthiopienne et l’origine hindoue. Nous
avons placé la théorie Knoetel parmi les théories éthiopiennes,
mais elle pourrait être placée aussi parmi les théories hindoues
des origines peuhles.
Relevons, pour en finir avec Golberry, que celui-ci met beau-
coup trop bas les Peuls du Fouta-Djallon puisqu’il les fait des-
cendre jusqu’au 4e degré de latitude nord, ce qui les place en plein
dans l’Océan Atlantique, au sud de l’Afrique Occidentale conti-
nentale. Le rivage ne commence guère en effet, que vers le 5e de-
gré de latitude Nord et, quant aux Peuls du Fouta-Djallon, bien
plus nordiques, ils ne descendent guère au-dessous du 10e degré
de latitude nord. Évidemment, Golberry, mal renseigné, s’exa-
gère et l'antiquité d’une part, et l’étendue territoriale de l’autre,
des Peuls du Fouta-Djallon.
Après cette opinion vénérable et antique (Golberry a été en
Afrique Occidentale de 1785 à 1787 et a publié ses notes enl800),
nous pouvons mettre une opinion beaucoup plus récente (et bien
moins excusable à cause de cela) celle du célèbre explorateur
Binger (1892) qui ne s’est pas montré ici à la hauteur de ce qu’il
est généralement. Il n’a pas l’air de connaître les travaux les plus
récents à son époque sur les Peuls (Barth, Knoetel, Schweinfurth,
Hoeskel, Topinard, Tautain, etc.) et remonte aux opinions anti-
ques de Golberry (1800) et de d’Eichtal (1842).
Voici comment Madrolle (1895) résume son opinion :
« Binger, qui a rencontré, dans
la boucle du Niger, de nombreu-
ses fractions de Foulbé, assure que les Foulbé sont venus de 1 est
et qu’ils s’arrêtèrent dans leur marche vers l’Ouest vers la région
des Garamantes. Le courant se divisa alors en deux, l’un se dirigea
vers le sud et créa des colonies dans le Zaberma, le Bornou, 1 Ada-
CHAPITRE PREMIER
LE LIEU ET LE TRAVAIL
Je vais réunir ci-dessous les notes prises par moi quand je com-
mandais le Cercle de l'Issa-Ber, capitale Niafonké, en 1913. Ce
cercle est au nord du lac Débo et est Peuhl en majorité. Au sud du
lac Débo est le Macina également peuplé de Peuls surtout. L’his-
toire du cercle de l’Issa-Ber est donc intimement liée à celle du
Macina. De même, par les moeurs et les coutumes, les deux ré-
gions sont étroitement apparentées.
D’après les chiffres de Delafosse (Haut-Sénégal-Niger,tome I,
1909) nous avons dans le cercle de l'Issa-Ber :
Ce sont les Peuls qui dominent ici, depuis le XVe siècle environ
(auparavant c’étaient les Sôninnké et les pêcheurs Sorko), avec
leurs troupeaux de boeufs et de moutons, et il y a même opposition
jusqu’à un certain point entre le lieu et ses habitants actuels les
plus nombreux.
Considérons en effet le cercle de l’Issa-Ber : il est entouré de
lacs : au sud le lac Débo et le lac de Korienza ; à l’est la mare d’Ad-
diou, le lac Korarou, l’Aougoungou, le Niangaye; au nord, le lac
Horo; au nord-ouest les lacs de Cawati, Takadji, Soumpi; à l’ouest
les lacs de Kabara, Tenda, Tiouki. Il est parcouru entre ces
lacs par les trois grands bras du Niger qui sortent du réser-
voir du Débo : l’Issa-Ber (grand fleuve, de issa : fleuve et ber :
grand), la branche principale du Niger qui passe à Niafonké, le
chef-lieu du cercle et qui est parcourue par la navigation à va-
peur; le Bara-Issa (la main du fleuve, de Bara : main et Issa :
fleuve), qui sort également du Débo à l’est de l’Issa Ber, passe à
Sa, puis à Saraféré; enfin le Koli-Koli, qui sort à l’est du lac
Débo (ou plutôt du Niger même, un peu avant le Débo) passe
par le lac de Korienza, arrose Korienza et rejoint le Bara-Issa
un peu avant Saraféré. Joignez à cela les mille bras du fleuve, les
mille marigots, qui rejoignent entre eux ces trois grands bras
du Niger et tous ces lacs! Brochez sur le tout les inondations pé-
riodiques du fleuve qui se produisent aux hautes eaux et trans-
forment le pays en une multitude d’îles plus ou moins grandes
entourées de bras d’eau et vous en conclurez que le cercle de
l’IssaBer doit être habité avant tout par une population de
pêcheurs.
Le Niger, en effet, et ses différents bras, abonde en poissons :
il y a, en dehors du crocodile, de l’hippopotame et du lamantin,
une quantité d’espèces plus ou moins inconnues des Européens
parmi lesquelles certaines sont saisonnières et remontent et des-
cendent le fleuve. Ainsi le n'ténéni ou lénéni. De même la chasse
aquatique et la cueillette aquatique présentent de grandes possibili-
tés ici et elles ont sans doute été exploitées les premières.
Cependant, l’Issa-Ber est aussi et naturellement un pays de pâ-
turages, du moins partout où l’eau pénètre (mais elle pénètre à
peu près partout). N’oublions pas que nous sommes à Niafonké
sur le 16e degré de latitude nord environ, à un degré au nord de
Sokolo, de Goumbou et de Nioro! c’est-à-dire en plein pays Sahé-
lien. C’est le Niger qui transforme ce territoire qui, d’après sa lati-
tude devrait être Sahélien, en un pays très arrosé et en pâturages
copieux, l’eau abondante et surabondante fertilisant le sable.
Aussi les Peuls sont-ils venus s’y établir depuis 1400 environ
(d’après Delafosse) et forment-ils maintenant l’immense popula-
tion du cercle. Les Sôninnké (13.000) sont des commerçants culti-
vateurs.
Sorko, Songhaï et Sôninnké sont évidemment plus anciens dans
le pays que les Peuls. Il a dû y avoir d’abord des Soroko (Sorko ou
Bozo, vue siècle de notre ère approximativement), puis des Sô-
ninnké (IXe au XIIIe siècle), puis des Peuls (XVe siècle). Les Bam-
bara ont dû venir par le sud s’établir dans le cercle à l’époque de
l’expansion Bambara (XVIe au XVIIe siècle). En définitive, le cer-
cle de l’Issa-Ber forme un ensemble ethnique avec les cercles de
Mopti et de Dienné (au sud) qui, eux aussi ont été envahis par les
Peuls au commencement du XVe siècle. Voici du reste l’analyse de
ces cercles (d’après Delafosse : Haut-Sénégal-Niger, Tome I,1912) :
Races Cercle de Mopti Dienné Totals
l' Issa-Ber par race
Peuls 75.000 35.000 39.000 149.000
Bambara 16.000 7.000 17.000 40.000
Sôninnké 13.000 6.000 14.000 33.000
Songhaï 10.000 2.000 100 12.100
Bozo et Sorko 1.000 2.000 12.000 15.000
Bobo » 5.000 1.000 6.000
Dogon ou Habbé » 2.000 » 2.000
. . .
115.000 59.000 83.100 257.100
Comme on le voit, sur une population de 257.000 habitants
environ pour ces trois cercles, il y a 149.000 Peuls (en comptant
leurs serfs cultivateurs ou Rimaïbé) 40.000 Bambara, quelques
Habbé ou Tomba (2.000) descendus de la falaise de Bandiagara
vers le fleuve. De plus, 6.000 Bobo sont venus du sud-est à une
époque ancienne (sans doute du cercle de San où les Bobo forment
la majorité de la population).
Ajoutez les Songhaï qui ont, eux, remonté le fleuve et les Sô-
n:nnké au nombre de 33.000. Songhaï et Sôninnké forment,comme
nous le savons, la catégorie des cultivateurs-commerçants.
Enfin, il faut ajouter les plus anciens habitants sans doute du
lieu, les 15.000 pêcheursBozo ou Sorko qu’on trouve surtout dans
le cercle de Dienné (12.000 à Dienné, 2.000 à Mopti).
Gomme on le voit, il y a bien dans ces cercles de l’Issa-Ber,
Mopti et Dienné, un ensemble ethnique assez homogène, assez
identique où dominent actuellement les Peuls.
Revenons à ceux-ci et d’abord au Lieu.
Nous savons que le lieu est très bien arrosé par le Niger et par
les lacs qu’il remplit et les innombrables bras qu’il forme au mo-
ment des hautes eaux. Le cercle exploitable est même une créa-
tion du Niger car sans celui-ci, le cercle de l’Issa-Berserait, comme
il a déjà été dit, un territoire Sahélien ou Saharien (16e degré de
latitude nord).
Au point de vue climatologique, en effet la pluie n’est pas très
abondante dans le cercle de Niafonké. Elle ne tombe que pendant
quatre mois : juin, juillet, août et septembre.
Voici les quantités d’eau tombées pendant les années 1927 à
1930 (Extrait du Bulletin du Comité des Etudes historiques et scien-
tifiques de l’Afrique occidentale française, 1931, n° de juillet à sep-
tembre, p. 278 à 280).
Années Tombée de pluie
ce qui donne 317 m/m en moyenne par an, soit en gros 32 centi-
mètres d’eau qui tombent chaque année de juin à septembre.
Le mois le plus chaud de l’année ici est mai, ensuite avril et
juin, puis octobre. Les mois froids (relativement) sont décembre et
janvier et après eux les mois de la grande tombée des pluies {juil-
let, août et septembre). La température se relève en octobre puis
retombe à la fin de novembre. Après les mois froids (décembre,
janvier, février) elle se relève brutalement dans la seconde quin-
zaine de mars, et alors viennent les mois chauds (mars, avril, mai
et juin, surtout mai).
Voici quelques notes annexes sur les tornades et pluies de
l'Issa-Ber :
Nuit du 14 au 15 mai 1913 : une tornade de sable a lieu avec
quelques gouttes de pluie à deux reprises différentes (11 heures du
soir, 2 heures du matin).
Le 5 juin de 5 à 7 heures du soir : tempête de sable et de pluie.
Le 8 juin de 5 à 7 heures du soir : tempête de sable et de pluie.
Le 9 juin : tempête de sable.
Le 15 juin : idem.
Le 18 juin : tempête de sable, petite ondée, de 16 h. 1/2 à
17 heures.
Le 19 juin : tornade pluvieuse de 17 à 19 heures.
Le 24 juin ; grande tempête de vent et de sable sans une goutte
d’eau de 17 heures à 20 heures.
On voit combien le régime des pluies a de difficultés à s’établir,
dans ce pays de sable envahi par l’eau du Niger.
Mais continuons :
Le 5 juillet, samedi soir, de 20 à 24 heures, il y a une tornade :
grand vent et de la pluie.
Le 7 juillet, lundi soir, de 20 à 24 heures, beaucoup de vent et
peu de pluie.
Le 8 juillet, à partir de 21 heures, vent et enfin pluie formidable
pendant toute la nuit, laissant des mares le lendemain matin dans
le sable et sous les vérandahs.
Le 10 juillet, jeudi soir : tempête de vent et de sable pendant la
nuit, avec quelques gouttes de pluie.
Le 11 juillet, vendredi : entre 17 et 19 heures, petite tornade et
grande pluie, beaucoup d’eau tombée.
Le 19 juillet, samedi : vers 4 heures du matin, une pluie simple
Du 23 au 24 juillet, pendant la nuit, pluie violente et courte
trombe de vent, puis encore de la pluie.
Du 27 au 28 juillet, pendant la nuit, pluie médiocre.
Du 28 au 29 juillet : à partir de 17 h. 1 /2, tornade confuse avec
un peu de pluie.
29 juillet: de 17 à 19 heures : tornades ratées, un peu de pluie.
Quant à la température, elle se maintient à l’ombre, à l’inté-
rieur des cases, entre 2701 /2 (7 heures du matin) et 34° ( 14 heures)
ce qui fait une moyenne de 31°.
Le 4 août, de 17 à 20 heures : forte tornade de sable avec quel-
ques gouttes de pluie.
Le 10 août, dimanche, de 17 à 20 heures : tornade, pluie vio-
lente et courte.
Le 12 août, de 19 à 22 heures : tornade de sable, sèche et fu-
rieuse.
Le 13 août, de 19 h. 1 /2 à 22 heures : tornade de sable, sèche et
furieuse.
Le 14 août, de 17 à 24 heures : tornade de sable (17 à 18 heures)
puis giboulées violentes, enfin pluie plus calme et assez continue.
Le 17 août, de 15 à 24 heures : 3 tornades de sable successives,
sans pluie (ou à peine quelques gouttes).
Du 18 au 19 août, pendant la nuit : courte tornade avec petite
pluie.
Le 19 août, à 9 h. 1 /2 (donc matin) : pluie très courte, mais assez
forte.
Le jeudi 21 août, de 18 heures à 22 heures : pluie violente et
courte, ensuite pluie fine.
Du 21 au 22 août, vers 2 heures du matin : tornade avec pluie
Du 23 au 24 août, pendant la nuit : vent et grande pluie conti-
nuée jusqu’au matin, laissant des flaques d’eau.
Dimanche 24 août, 7 heures du matin : température de 26° 1-2.
Du 10 juillet au 24 août 1913, température oscillant dans mon
bureau de 27° 1 /2 à 7 heures du matin à 34° à 14 heures. Moyenne :
31°.
Du 24 au 25 août, pendant la nuit : tornade vers le matin, pluie
presque immédiate et assez forte laissant des flaques d’eau. Le
matin à 7 heures = 270.
Lundi 25août: tornade de 17 à 21 heures. Beaucoup d’eau tom-
bée.
Le 26 août à 10 heures du matin : 28° 1 /2 au thermomètre. A
18 heures, commence une tornade de vent et de sable qui dure
toute la nuit du 26 au 27. Pas d’eau.
J’ajouterai à ces renseignementsclimatologiques les renseigne-
ments suivants au sujet de la crue du Niger à Niafonké même :
Décembre : offre le maximum des hautes eaux du fleuve.
Janvier et février : la descente commence.
Mars : elle s’accentue beaucoup.
Avril, mai : elle continue encore. En mai, le fleuve n’a plus que
0 m. 50 d’eau.
Juin : le 31 mai, le mouvement de descente du fleuve a cessé
(1913) mais le mouvement d’augmentation est à peine visible. On
peut toujours traverser le fleuve à pied mouillé.
Juillet : le Niger commence à remonter sérieusement.
Août: idem.
Septembre, octobre, novembre : la montée s’accentue.
Décembre : hautes eaux. Le Mage, petit vapeur du fleuve, trans-
portant fonctionnaires et marchandises, fait le service de Kouli-
koro à Tombouctou en septembre, octobre, novembre, décembre
et jusqu’au 15 janvier.
A partir du 15 janvier, le Mage ne peut plus faire le service et
les vedettes européennes fonctionnent du 15 janvier au 15 avril.
A partir de ce moment-là, le fleuve ne peut plus porter que les cha-
lands indigènes dits de Dienné qui fonctionnent du 15 avril au
15 juillet. A partir de ce moment (15 juillet) recommencent les
vedettes jusqu’au 1er septembre, époque où le Mage peut repren-
dre ses voyages.
Donnons maintenant quelques renseignements sur la flore du
cercle de l’Issa-Ber.
Il possède quelques fromagers (Eriodendron anfractuosum).
Mais il n’y a ici aucun bômou (mot bambara, Bombax buonopo-
zense) qui fournit le bon kapok.
Pas de Karités, ni de Nérés (Parkia biglobosa), le cercle étant
trop septentrional (16° de latitude nord) pour posséder des arbres
de cette espèce.
Les gommiers, il n’y en a pour ainsi dire pas. Le seul bois de
gommiers connu dans le cercle est très loin à l’ouest, sur la route
de Soumpi à Bassikounou.
Le caoutchouc vrai n’existe pas (liane gohine). Il n’existe que
le faux caoutchouc inférieur de la liane n’saba, non utilisé par
l’industrie Européenne.
Les bois précieux ou utiles n’existent pas non plus ici sauf le
palmier doum (Hyphenes Thebaïca) qui est ici en grande quantité
et dont les troncs servent à faire les toitures des cases quadrangu-
laires ou à construire les barques.
Le palmier doum fournit aussi, dans son fruit, le coroso ou faux
ivoire. Ce fruit est plus gros qu’un oeuf mais moins long. Son
écorce, quoique assez dure, est utilisée par les indigènes qui la
mangent ou plutôt s’amusent à la gratter avec leurs dents. Cette
écorce a une odeur de pain d’épice. Elle offre une épaisseur d’un
centimètre ou deux. L’on s’en sert aussi pour faire une boisson
appelée lèlè, bue par les Peuls musulmans avant toute fermenta-
tion. C’est la grande boisson du cercle de l’Issa-Ber, avec le bour-
gougui ou vin de bourgou dont nous allons parler plus loin.
En grattant l’écorce du fruit du palmier doum, l’on arrive donc
à la coque du fruit plus dure et non utilisable au point de vue ali-
mentaire, mais cette coque renferme à son tour un noyau blanc
solide et évidé dans son milieu qui est le faux ivoire ou coroso du
palmier doum. Cet ivoire végétal n’est pas laid. Malheureusement,
le fruit du doum n’est pas assez gros pour avoir un noyau d’ivoire
de forte dimension et, de fait, beaucoup de fruits ou noix de
l’Hyphenes Thebaïca sont inutilisables à cause de leur dimension
trop médiocre.
Un commerçant de Mopti, M. Simon, a obtenu en 1910 la con-
cession des bois d’hyphènes de l’Issa-Ber, pour l’exploitation des
fruits, des noyaux d’ivoire. Il a fait quelques envois en Europe
qui lui ont couvert ses frais de récolte, mais il ne semble pas qu’il
ait gagné beaucoup sur l’opération. Ce qui semblerait le prouver,
c’est qu’il a abandonné depuis longtemps 1 toute récolte de fruits
du doum. Et pourtant ces fruits ne sont pas difficiles à se procu-
rer. Les indigènes, après avoir mangé ou utilisé l’écorce, déposent
les noyaux en grands tas à la porte de leurs habitations et ne s’en
occupent plus. Il n’y aurait donc qu’à faire enlever les tas ainsi
formés. En fait, on les laisse bien tranquilles, ainsi que j’ai pu
le constater lors de ma tournée d’avril 1913.
Arifanda 184 19 10
Diakanmodi 734 39 19
Demba-Demba 494 77 6
. . .
Gavinani 750 117 6
Hamdallaye 139 17 8
Farandallah 164 25
.... 7
Léva-Déléma 514 57 9
Fasséguerla 290 37 8
Maël 459 50 9
Gourel-Bouyaré 190 17 11
. . .
Filofdodé 285 31 9
Longuépourel.... 478 47 10
Bodévi 392 41 10
Ballé-Séno 142 22 6
Ballé-Kadié 127 25 5
Kadiel-Pobbi
Diaï-Salif
Touro
.... 397
65
332
47
11
46
8
6
7
Koumarenga
Diongui .... 350
317
37
41
9
8
Léwa-Dékellé
Léwa-Barkégui
Koriga
.... . . .
541
296
545
70
38
53
8
8
10
1. 8,49 en moyenne.
Voici maintenant la statistique du bétail :
Villages Chevaux Anes Boeufs Moutons
Arifanda
Diékanmodi.
Demba-Demba..
.... .
6
55
9
8
17
42
445
1.622
664
276
438
3.570
Gavinani . 22 1.282 933
46
. . . .
Hamdallaye. 1 1 125 1.347
.
Farandallah. 1 16 275 436
. . 10.349
Léva-Déléma. 11 42 603
. .
Fasséguerla 12 14 298 2.172
. . . 565 541
Maël 24 60
Gourel-Bouyaré 11 17 307 634
Filofilodé . 9 27 569 791
. . . .
Longuépourel 14 37 1.475 150
. .
Bodévi 11 37 819 5.723
Ballé-Séno. 4 14 163 715
Ballé-Kadié . . . 2 14 139 219
. . .
Kadiel-Pobbi.
Diaï-Salif
Touro
.
.... .
9
5
11
34
9
10
588
149
543
1.507
92
393
Koumarenga. . 20 47 1.238 3.293
.
Diongui 18 18 650 749
Léwa-Dékollé 26 57 1.716 3.651
. .
Léwa-Barkégui. 20 25 1.006 1.801
.
Koriga 16 21 472 416
8.185 habitants 307 613 15.713 40.196
Jeunes
filles
Peuhles.
(Fouta-Djallon).
merce. Ils confient souvent leurs autres bestiaux aux Peuls,
n’ayant pas le temps de s’en occuper, car ils font assez de culture :
le millet ou petit mil, le sorgho blanc (ceci dans leurs champs). Ils
font aussi une espèce de petit mil qu’ils appellent ségué (souna en
Mandé) et ils plantent du maïs autour de leurs cases, suivant une
coutume que l’on rencontre universellement au Soudan. Ils font
aussi du fonio, des arachides, des haricots, un peu de pois souter-
rains, du gombaud, de l’oseille, des calebasses, des courges, mais
ni coton ni tabac. Ils mettent quelques pieds de gombaud dans
leurs petits jardins de maïs. De même des courges.
Les Diavando ne font ni pêche ni chasse. Ils font un peu de
cueillette (surtout pour les rôniers). Ils exploitent aussi quelques
karités, baobabs et tamarins.
Quelquefois les Diavando sont tailleurs et leurs femmes fabri-
quent des nattes. Quant au commerce, c’est là leur fort. Ils achè-
tent des bestiaux aux Peuls et vont les vendre jusqu’à Bondoukou
(Haute Côte d’Ivoire). Ils en reviennent avec des kolas surtout et
des cotonnades européennes. Ils vont revendre tout ceci à Fato-
roma, à Korientza, aux marchés de l’est du Macina et en rappor-
tent du sel.
Ils achètent peu de grains, en faisant à peu près assez pour leur
consommation, mais pas plus.
Interrogés sur la question de savoir s’ils sont plus ou moins ri-
ches que les Peuls, ils disent que ceux-ci sont plus riches qu’eux à
cause de la grande quantité de leurs bestiaux.
Ajoutons que les femmes Diavambé filent le coton acheté aux
Bambara. Une fois filé, nos gens le font tisser par ceux-ci en
bandes longues et minces, puis, une fois en possession de ces
bandes, ils les cousent en boubous et en pagnes que leurs femmes
teignent. Ils vont vendre ces bandes dans le Soudan occidental
et jusqu’au Sénégal.
Les Diavambé vivent par groupes familiaux dépassant souvent
le simple ménage. Ainsi à Ouro-Esso, il y a 7 groupes familiaux
faisant 129 personnes. Cela fait 18 personnes ou 3 ménages en
moyenne par groupe. Cependant, si on prend le détail, on a une
autre vue.
On a en effet :
Groupes Personnes
Ouro-Esso (cerclede l’Issa-Ber). 7 129
.
Niafonké (capitale de l’Issa-Ber). 7 300
.
Diavando du cercle de Nioro . . .
27 385
Totaux 71 814
Cela fait 9 personnes en moyenne par groupe. Les uns sont ré-
duits au simple ménage et même à l’homme et à la femme seule-
ment, les autres groupent plusieurs ménages.
En résumé, les forgerons de Mopti et de l’Issa-Ber sont assez
désintégrés maintenant, sous la pression des Peuls et des Toucou-
leurs. Ils ont dû ressemblerjadis, au point de vue des groupements
familiaux, aux Diavambé et fournir des groupes de ménages assez
copieux. Aujourd’hui, sous ce rapport, ils sont, comme les Peuls
eux-mêmes, fort désintégrés et aussi comme les Rimaïbé, serfs
cultivateurs de nos Peuls et ayant subi également la pression de
ceux-ci.
La mosquée de Timbo.
A son retour, il
est at- Mais à son retour, il est Il est vaincu et tué à
taqué, vaincu et tué battu et tué à Mani- son retour à Mani-
au nord de Débo. Mani. Mani.
Investissement de Ham- InvestissementdeHam- Bataille de Ségué : nou-
dallahi. dallahi. veau désastre Toucou-
leur et investissement
de Hamdallahi.
Sortie de El-Hadj et deSortie de Tidiani pour
Tidjani. aller chercher des se- Sortie de Tidjani.
cours.
El-Hadj est rejoint à Sortie d’El-Hadj. Il est Sortie par El-Hadj le
Goro et meurt dans la rejoint à Goro. Il com- 6-7 février 1864. Mort
grotte de Dayambéré bat pendant 2 jours d’El-Hadj-Omar dans
(sept. 1864). mais trahi par les la grotte de Déguem-
siens, il se fait sauter béré (12 février 1864).
sur un baril de poudre.
Nous avons insisté sur ces événements parce que leur teneur
exacte n’est connue que depuis peu longtemps (1935). Revenons
maintenant à Tidjani qui va venger son oncle.
« Tidiani, dit Menvielle, dont nous reprenons le
récit, arriva à
Goro le jour même (de la mort d’El-Hadj Omar), à quatre heures
du soir, trop tard pour sauver son oncle et ses cousins, mais non
pour infliger à ses adversaires un échec sanglant 1.
« Il se rendit rapidement compte de la situation et, sans hésiter,
il tomba sur l’armée de Sidia qu’il mit en déroute et à laquelle il
prit 400 chevaux. Obligé de battre en retraite, Sidia alla camper
dans le Kounari.
« Pendant ce combat, les Toucouleurs, qui, le matin, avaient
abandonné El-Hadj-Omar, pour se rendre dans le camp de Tom-
bouctou, restèrent inactifs, et, après la défaite de Sidia, vinrent
faire leur soumission à Tidiani et implorer son pardon. Tidiani leur
fît grâce à tous, sauf à un seul qui fut exécuté : c’était celui qui
avait prévenu les ennemis qu’El-Hadj-Omar était resté seul avec
ses fils à Goro.
« Le lendemain matin, Tidiani, informé de la présence de Ba-
Lobbo avec son armée à proximité de Goro, marcha à sa rencontre,
le battit complètement et l’obligea à prendre la fuite. Ba-Lobbo se
rendit aussitôt dans le Kounari où il retrouva Sidia avec lequel il
se réconcilia en apparence pendant quelques jours.
«Les sofas d’El-Hadj-Omar qui s’étaient réfugiés dans le camp
de Ba-Lobbo imitèrent les Toucouleurs et se soumirent à Tidiani
qui leur pardonna également.
« Tidiani ne s’arrêta pas à ce premier succès; pour empêcher ses
adversaires de se reformer, il se mit résolument à leur poursuite
CHAPITRE PREMIER
1. Au sud.
2. Au nord.
3. Le mot de Fouta est Peul et désigne tout établissement Peul : Fouta-
Toro, Fouta-Diallo, Fouta-Damga, etc. Ce sont les Peuls qui ont appelé le
pays dont il s’agit Fouta-Diallon.
cus qu’il en convertit un grand nombre au Mahométisme et se les
attacha étroitement par des libéralités.
« L’almamy qui régnait à l’époque du voyage du Major Gray
descendait de ces premiers conquérants.
« Karamoko Alpha fut le premier almamy de Timbo et reçut le
surnom de Moudou « grand » en sa qualité de chef des émirs et
défenseur de la religion.
« Son fils Yoro Paddé surnommé Sourie 1 lui succéda dans ses
différentes charges et fut lui-même remplacé par Almamy Saadou
qui, détrôné par Ali Bilmah et Alpha Salihou, tomba bientôt vic-
time de leurs intrigues sanguinaires. Salihou, proclamé roi, signala
son administration par des pillages et des incursions dans les
Etats voisins. Son successeur Abdoullahi ba Demba fît saisir Ali
Bilmah à la suite d’une dispute qu’il avait eue avec lui et l’envoya
chargé de fers, dans le Bondou, croyant le mettre ainsi hors d’état
de nuire, mais Ali Bilmah parvint à communiquer avec ses parti
sans et renversa son ennemi du trône qui échut alors à Abdoul-
ghader. Une guerre s’engagea entre ce dernier et le monarque dé-
possédé qui s’était retiré dans le village de Tougoumba, à quelque
distance au nord-ouest de Timbo, mais, trop inférieur en force à
son adversaire, Ba Demba fut tué avec un de ses fils et Abdoul-
ghader affermit sa puissance par cette importante victoire. Il
régnait encore quand le major Gray visita le pays.
« Les Foulahs,suivant leurs propres rapports, sont en possession
du Fouta-Djallon depuis soixante ans ». Suivent quelques remar-
ques sur le gouvernement, la religion et le commerce.
La dernière affirmation est évidemment fausse, si elle veut dire
que les Peuls ne mirent le pied au Fouta-Djallon que soixante ans
avant la visite de Gray (soit en 1758) car ils arrivèrent en fait au
Fouta-Djallon vers 1694 et déclarèrent la guerre sainte aux Mandé
Soussou ou Diallonké vers 1725. Si elle veut dire qu’ils n’eurent la
possession définitive du pays qu’en 1758, elle est un peu plus
exacte quoique les guerres contre le Souliman et le Ouassoulou se
soient prolongées jusqu’en 1776 environ. En tout cas, Gray et
Dochard ont le grand mérite de nous avoir donné les premiers
une histoire succincte, mais une histoire du Fouta-Djallon.
Gordon Laing (1821-1822) est le premier auteur qui nous ait
1. Ce Yoro Paddé surnommé Sourie, est évidemment Ibrahima Seuri ou
Sori surnommé Maoudo (le grand). Mais Karamokho-Alfa n’était pas son
père, son cousin seulement. Du reste, Karamokho-Alfa, vaincu et devenu
fou, ne fut jamais surnommé le grand, mais seulement son cousin et succes-
seur, Ibrahima Sori, ou le matinal, qui lui succéda et le vengea. Nous rever-
rons, du reste, en détail, toute cette histoire plus loin.
PL. IX.
1. En réalité Ibrahima Sori le Grand ne créa pas Timbo comme on l'a dit
à tort, mais en fît la capitale du Fouta-Djallon qui, avant cette époque, était
Foukoumba. Cependant, Timbo était déjà une ville importante du Fouta.
C’est vers 1780 (probablement) qu’elle devint capitale.
2. Dans ce Kramaka-Alpha, il nous faut reconnaître le nom défiguré de
Karamokho-Alfa, cousin d’Ibrahima Sori (et non son fils) et qui avait régné
avant lui en réalité. Karamokho-Alpha mourut, nous le savons, en 1751 et la
guerre fit rage contre Ouassoulonké et Dialonké du Soliman de 1751 à 1776,
époque de la victoire définitive d’Ibrahima Sori sur les troupes coalisées.
Comme on le voit, Hecquard ignore complètement Gordon Laing et mul-
tiplie ainsi les erreurs sur la vieille histoire du Fouta-Djallon qu’il ne connaît
que fort imparfaitement.
3. Ou Gabou, vers la Gambie.
4. C’est-à-dire d’Ibrahima Seuris II dit Dara, le rival malheureux d’Omar.
exacts, nous le savons. Il met Karamokho Alfa (en réalité cousin
et prédécesseur d’Ibrahima Sori) après celui-ci. Puis il parle d’un
Yoro Paddé surnommé Seuris qui est probablement un doublet
d’Ibrahima Sori le Grand, puis il parle d’un Ali Alpha qui est
peut-être lui aussi un doublet (mais cette fois de Karamokho Al-
pha). Enfin, il en vient à Sada où nous retrouvons le Saadou de
Gordon Laing, vrai successeur probablement d’Ibrahima Sori le
Grand, puis vient Yaya qui le détrône et reste peu de temps al-
mamy. Ensuite, Ali Bilmah, puis cinq ans après Salihou. Or, nous
savons par Gordon Laing que Alfa Salihou attaqua le Soliman en
1797. Si nous plaçons la mort d’Ibrahima Sori vers 1784, nous
avons donc à peu près, en ne tenant compte que de ce qui est bon
dans ces renseignements et en les ajoutant à ceux tirés de Gordon
Laing :
Ibrahima Sori le Grand 1751-1784
Saada 1784-1792
Yaya 1792
Ali Bilmah 1792-1797
Alfa Salihou 1797-1804
Abdoullahi-Ba-Demba (ou Badimba) 1805-1813
Abd-el-Kader (ou Abdoul Ghader) 1813-1825
Yayaye 1825-1827
Boubakar 1827-1837
Omar à partir de 1837
Village Foulacounda.
PL. XII.
Chef
Peuhl
du
Macina.
Femme
Peuhle
de
la
région
du
lac
Débo.
lars ont dit : C’est lui qui est notre chef! et Kikala a été chef.
Quand il est mort, c’est son fils Sambigou qui l’a remplacé. Mais
Sambigou eut deux fils : Nohou et Malik-Si qui étaient aussi de
grands marabouts.
« Quand Sambigou est mort, ils voulaient être chefs tous les deux,
mais ça n’était pas bon. Alors les Peuls ont dit : Voilà Karamoko-
Alpha qui est le fils de Nohou, Dieu l’aime trop 1 parce qu’il est
grand marabout; il faut qu’il soit le chef du Fouta! Et Karamo-
kho-Alpha a été le premier grand chef. Ce n’était pas Almamy,
mais c’était comme almamy. Karamokho faisait salam toute la
journée et aussi toute la nuit. Avec les autres chefs et avec Modi-
Maka, le grand-père de Modi-Diogo, qui était le grand porte-
parole des Peuls, il a dit : Dieu n’est pas content parce que les
hommes ne font pas salam! Alors les Peuls ont pris des lances et
des flèches 2 et ils ont fait la guerre aux buveurs de sangara.
« C’est Karamokho qui commandait. Il a rencontré Kondé-Bi-
rama qui était commandant des kéfirs 3. On a livré bataille et
Kondé-Birama, qui était le plus fort, a gagné. Il a pris beaucoup
de captifs et a coupé le cou au chef des Poulars 4. Karamokho-
Alfa s’est sauvé, mais il n’avait plus la tête solide.
« Kondé-Birama a bâti un tata (forteresse) près de Fougoumba
et il a dit : Maintenant c’est moi le maître, j’ai la force, et si les
Poulos ne travaillent pas bien les lougans, je leur couperai le cou.
Les Peuls n’étaient pas contents d’être captifs et ils ont dit : Il faut
tuer Kondé-Birama! Modi-Makha, qui avait beaucoup de tête, a
dit : Celui qui sauvera les Peuls, c’est Alpha-Ibrahima, fds de
Malik-Si. C’était le cousin de Karamokho. Ibrahima a appelé tous
les hommes et a dit : Nous allons casser le tata de Kondé-Birama;
mais il faut faire salam et Dieu nous accordera la force. Les hom-
mes d’Alpha-Ibrahima ont rencontré les Kéfirs au Tiangol-Sira-
Kouré près de Timbo. Ils ont fait une grande bataille et Ibrahima
qui avait obtenu la force a tué Kondé-Birama ainsi que sa femme
Awa Birama qui commandait aussi les guerriers et il a coupé le
cou à ceux qui ne voulaient pas faire salam.
1. Expression usitée chez les noirs et qui veut dire simplement : beaucoup.
Elle ne marque pas autre chose que le superlatif.
2. La véritable arme des Peuls était la lance et le javelot, mais ils avaient
emprunté les arcs et les flèches aux nègres autochtones.
3. Konde-Birama était, comme nous le savons, le chef des Ouassoulonké,
Peuls fétichistes.
4. Ce chef des Peuls était le chef des guerriers et non pas Karamokho
Alpha, grand marabout des Peuls, qui parvint à se sauver, mais qui devint
fou.
« C’était bien pour les Peuls cette affaire-là et les Diallonkés qui
n’avaient plus la force ont fait salam. Mais Ibrahima n’était pas
encore content parce qu’il y avait des hommes de Kondé-Birama
qui s’étaient sauvés du côté de Donhol-Fella. Il a couru après et
les a tous tués!
La guerre était finie et les anciens du pays étaient trop con-
tents pour Ibrahima; ils ont fait le palabre et Modi-Maka a dit :
Ibrahima, c’est un grand guerrier, il faut le nommer almamy du
Fouta et puisqu’il livre toujours la bataille quand le soleil se lève,
il s’appellera Sory (le matinal) Ibrahima-Sory a été le premier
almamy du Fouta » (Ernest Noirot, A travers le Fouta-Djallon et
le Bambouck, 1882, Paris, Dreyfous). Ajoutons que la traduction
du récit a été faite par l’interprète de la mission Bayol-Noirot
sous la dictée d’un Peul nommé Mahamadou-Saïdi.
Dans ce récit, il y a des choses intéressantes et nous pouvons
reprendre notre chronologie ancienne des Peuls du Fouta-Djallon
en la modifiant ainsi :
Séri (ou Sidi), avec Raidi vers 1694
Mohammadou Saïdi (fils de Séri ou Sidi) — 1700
Kikala (homme pieux et grand marabout. Est sans
doute le Moussa-Ba de Gordon Laing) — 1710
Sambigou (son fils) — 1715
Nouhou et Malik-Si, fils de Sambigou 1715 à 1726
Ibrahima Moussou dit Karamokho-Alpha ou Alifa-Ba. 1726 à 1751
Enfin Ibrahima-Sori 1751 à 1784
1. Je supprime l’éternel almamy dont Bayol fait précéder les noms d’Ou-
marou et d’Ibrahima Sori II.
2. Ces événements, inconnus de Hecquard (1851), se passèrent après lui.
C’est en 1859, d’après une indication donnée précédemment, que les Houb-
bous prirent Timbo.
et à tous les Houbbous qu’il les considérait comme ses captifs et
que lui, Bademba, était leur maître. Une bataille sanglante eut
lieu à Koumi : 2.400 Houbbous (des Peuhls, des Malinkés, des
Dialonkés 1 s’étaient réunis et avaient formé cette armée) luttè-
rent tout un jour contre les hommes de Bademba et furent obligés
de battre honteusement en retraite. Après cette victoire, le chef
peuhl écrivit aux deux almamys de revenir à Timbo, « que les
Houbbous n’étaient pas 2 à craindre ».
« Ce ne fut que six mois après que Oumarou et Sory revinrent,
l’un de Koïn et l’autre de Labé où ils avaient passé l’hivernage.
Ils firent avec succès une expédition contre les Houbbous qu’ils
battirent à Consogoya; les femmes assistèrent à la bataille et ra-
menèrent des prisonniers. Modi Mamadou Djoué gagna avec ses
partisans les hautes montagnes qui s’étendent entre le Ba-Fing et
le Tinguisso (ou Tinkisso) et mourut quelque temps après. Son
fils Mamadou que le Fouta connaît sous le nom d’Abal (le Sau-
vage) devint le chef des rebelles. Oumarou ne tarda pas à venir
l’attaquer et le battit complètement sur les bords du Kaba, af-
fluent du Tinguisso.
«La défaite des Houbbous semblait irrémédiable, quand les sol-
dats de l’almamy l’abandonnèrent, lui reprochant de vouloir
anéantir des gens de leur race et de n’agir que par ambition per-
sonnelle, sans songer aux intérêts du Fouta-Djallon 3. Resté seul
avec ses captifs, Oumarou eut à supporter une attaque d’Abal et,
ne se trouvant plus en force, il se replia du côté de Socotoro, ac-
compagné par son frère Alfa Ibrahima, l’almamy actuel 4.
«Les Peuhls avaient vu d’un mauvais oeil la guerre contre les
Houbbous et les deux almamys en sortirent amoindris dans leur
influence et leur prestige. Oumarou était trop fin politique pour ne
pas essayer de reconquérir sa popularité et de refaire sa fortune
entamée par les dépenses de ses dernières expéditions. Il déclara
qu’il voulait augmenter le territoire peuhl du côté du Comba (Rio-
Grande) et combattre les populations fétichistes du N’Gabou. II
laissa Alfa Ibrahima comme gardien du pays et le fit reconnaître
1. Comme on le voit, les Houbbous, sorte de puritains de l’Islam au Fouta-
Djallon, avaient la sympathie des autochtones Diallonké, Malinké, asservis
ou refoulés par les Peuls.
2. En réalité, n’étaient plus à craindre.
3. Ces soldats étaient les Peuhls libres et riches, ou tout au moins pro-
priétaires (bref, une aristocratie), qui combattaient avec l’almamy. L’at-
taque par les Houbbous de Timbo (1859) les avait révoltés, mais, quand ils
virent les mêmes Houbbous refoulés, punis et réduits à la défensive, ils se
souvinrent que c’étaient aussi des Peuhls.
4. Actuel en 1881.
comme son successeur. Ses fils, Mamadou Paté et Bou-Bakar-
Biro l’accompagnaient dans son expédition. Oumar détruisit le
village de Kamsala, coupa la tête au chef et parcourut en vain-
queur tout le territoire de Koli. Cette campagne, qui dura deux
ans, cessa par la mort de l'almamy Oumar qui survint en 1872.
Le chef peuhl s’éteignit à Dombi-Hadji, dans le n’Gabou, des
suites d’une maladie chronique pour laquelle ses médecins lui
avaient fait faire usage des eaux thermales du village de Kadé.
« Alfa Ibrahima fut proclamé
almamy sous le nom d’Ibrahima
Sory 1. La nouvelle de la mort d’Oumar s’était répandue dans
tout le Fouta-Djallon avec une étonnante rapidité. Les regrets
sincères des Peuhls prouvèrent en quelle estime ils tenaient le chef
qui venait de disparaître. C’est sous le règne de ce prince que les
deux explorateurs Hecquard et M. Lambert visitèrent le Fouta-
Djallon 2.
« Ils furent accueillis par lui avec la
plus grande bienveillance
tandis qu’ils trouvèrent une sorte d’antipathie auprès du chef
alphaya Ibrahima Sory. Ils en conclurent l’un et l’autre que les
Sourias étaient nos amis et les Alphayas nos ennemis. Les deux
partis sont nos alliés et le resteront tant que nous ne chercherons
pas à occuper le Fouta-Djallon 3. C’est un sentiment de jalousie
contre Oumar qui a fait d’Ibrahima Sory un ennemi pour Hec-
quard et M. Lambert.
« Les deux chefs du Fouta
s’appelant (alors) tous les deux
Ibrahima Sory, on disait Sory-Donhol-Fella pour désigner le chef
des Souria, successeur de Oumar et Sori-Dara quand on parlait du
chef alphaya.
« Pendant la campagne
d’Oumar sur les bords du Rio-Grande,
Sori-Dara était resté à Timbo sans songer à faire la guerre aux
Houbbous.
«A l’annonce de sa mort 4, il crut le moment favorable pour ap-
peler le Fouta-Djallon à entreprendre une nouvelle expédition
contre des gens qu’il considérait comme des rebelles. Ayant réuni
un contingent assez fort, il se rendit à Baïlo, ensuite à Firia, dans
le pays des Dialonkés, cherchant inutilement les Houbbous, qui,
Alpha Kikala
vers 1700
vers 1710
vers 1720
Nouhou et Malick-Si (fils d’Alpha Kikala). vers 1730
.
2. René Caillié qui passa dans le pays en 1827 connaît Abd-el-Kader qui
vient de mourir et Yaya qu’il appelle Yayaye, mais non cet Amidou ou
Ahmadou dont Bayol parle, p. 106. Je mets donc Amidou approximativement
en 1827-1828, parce qu’il a pu régner à la fin de 1827 ou au commencement
de 1828, après le passage de René Caillié.
CHAPITRE III
enfin le traité de protectorat (1881) puis, pour intimider les Peuls, on envoya
sur leurs traces le capitaine Audéoud avec 100 tirailleurs.
1. Cet almamy était encore Ibrahima Sauri III (1872-1889).
longuement expliqué et commenté, tout ne se passe pas sans
encombres. L’almamy croit de son devoir de résister devant le
public et, pendant une grande heure, c’est une lutte émouvante
contre de misérables objections; puis il renvoie la signature au
lendemain matin : les esprits malins volent dans l’air la nuit et
viennent souffler et ternir les lunettes, objecte-t-il.
« A 4 heures du matin, une reprise d’hématurie me replongeait
dans les misères d’une fièvre assez violente pour inspirer de l’in-
quiétude au docteur, mais le traité de protectorat de la France
sur le Fouta-Dialo était signé en séance publique le vendredi
30 mars 1888. » (Plat, Tour du Monde, XIL, I, 537e livraison).
Ce traité, remarquons-le, était le second traité de protectorat
imposé au Fouta-Djallon, le premier étant de 1881 (Mission Bayol-
Noirot), mais les Peuls répugnaient invinciblement à appliquer
les clauses de ces traités et ils étaient pour eux comme nuis et non
avenus. Aussi, le colonel Galliéni, partisan de la manière forte,
envoie une mission,avec 100 tirailleurs cette fois, appuyer le lieu-
tenant Plat. C’est ce que Madrolle nous explique en ces termes
(p. 32) :
Audéoud, de Siguiri au Foula (1888). — L’année 1888 fut
féconde en explorations : tandis que le lieutenant Plat cherchait
à Timbo à placer le Fouta-Dialo sous le protectorat de la France,
le capitaine Audéoud,avec toute sa compagnie de tirailleurs, quit-
tait Siguiri le 25 mars 18881 pour s’assurer que les lieutenants
Plat et Levasseur étaient bien traités dans les pays habités par
les Mandingues et les Foulahs.
« Cette compagnie de tirailleurs sénégalais, forte de 100 indi-
gènes, du lieutenant Radisson et du sous-lieutenant sénégalais
Toumané Aïssa, franchit le Tinkisso, et pénètre dans le Fouta où
elle fut reçue avec une certaine crainte mêlée de respect.
« Un retard de porteurs nous retient encore au campement 2
pour la matinée. Cela nous vaut le coup d’oeil curieux du défilé de
la colonne de l’almamy.
« Auparavant, Demba est venu trouver mystérieusement le
capitaine et, l’obligeant à s’écarter, lui a, plus mystérieusement
encore, donné une espèce de plaque en or. C’est le remerciement
du cadeau d’hier : 300 francs en gourdes (pièces de 5 fr.) renfer-
à elle, etc. Et ce vouloir est très net chez l’administration française dès 1881
(Mission Bayol-Noirot).
Là-dessus, imaginez ce gêneur que voici (Aimé Olivier devenu comte de
Sanderval par la grâce du Portugal) qui veut conquérir le pays lui-même
qui veut construire son chemin de fer lui-même,
— pour l’offrir à la France ! —sent
pour l’offrir à la France! On que l’administration, la sacro-sainte admi-
nistration, est excédée et qu’elle se retient pour ne pas crier à tue-tête au
gêneur : Mais fichez-moi la paix! Je conquerrai bien le pays moi-même!
Je le mettrai bien en valeur moi-même! (Hum!), je construirai bien mon
chemin de fer moi-même ! Si vous voulez coloniser, allez dans une île incon-
nue du Pacifique et colonisez-la à votre aise. Tout vous est ouvert, tout le
vaste monde, sauf justement le Fouta-Djallon (et les autres endroits sur
lesquels l’administration française a jeté son dévolu).
Et, en définitive, toute l’histoire de M. Aimé Olivier est là. Il s’obstine
à faire le bonheur de l’administration malgré elle et celle-ci, excédée, le
récompense en mauvais procédés, et finit par le mettre à la porte.
Qui a tort? Qui a raison dans cette histoire? A la base de la conduite de
M. Aimé Olivier, il y a un manque certain de jugement : lui-même raconte
que tous les officiers de marine, tous les coloniaux qu’il rencontra, lui répé-
taient : Le Fouta-Djallon? chasse gardée! allez chasser ailleurs! Le conseil
était simple et bon, mais Aimé Olivier avait peu de jugement et une vanité
de nègre; il s’obstina contre l’évidence et fut écrasé.
Lui-même ne dit-il pas (p. 52) que le secrétaire d’État en 1888, le reçut
147 fois (je dis cent quarante-sept fois!)? Quels sentiments pouvait bien
nourrir in petto le secrétaire d’État de l’époque pour un aussi sinistre raseur?
Non seulement, il s’obstina pendant des années à faire la mouche du coche
au Fouta-Djallon, autour de ce coche administratif qui lentement et pénible-
ment (de 1881 à 1896) gravissait les étapes (de plus, cette mouche du coche
était en réalité une guêpe batailleuse qui chargeait sans se lasser contre
l’administration) mais encore Aimé Olivier joua dans une circonstance mé-
morable le rôle de l’ours de la fable, précipitant un pavé de taille sur la
figure de son amie, l’administration locale. L’aventure est trop drôle pour
ne pas être rapportée. Nous la verrons plus loin, à son heure, en décrivant
les péripéties de la fin du Fouta-Djallon.
s’agit sans doute de M. de Beckmann). Il fut reçu poliment, dit
Aimé Olivier, emmené à la chasse, son nom fut donné au dernier
fils de l'almamy, mais « il demeura l’étranger auquel on ne confie
pas la clef de la maison. » (p. 53).
En 1894-95, Aimé Olivier revint à Timbo. L’almamy Ibrahima
Sori III étant mort en 1889, son neveu Bokar Biro, fils d’Omar,
avait pris sa place. Il avait fait assassiner, dit Aimé Olivier, son
frère aîné et était ainsi devenu le représentant des Soria (voir plus
loin) : Ce fut en cette qualité qu’il prit le pouvoir après la mort
d’Ibrahima Sori III en 1889 et le conserva de 1889 à 1891, puis il
dut le céder à l’almamy Alphaïa (plus ancien que lui), Ahmadou
ou Hamadou, de 1891 à 1893. Il le reprit à cette époque et devait
le céder de nouveau en 1895 à Ahmadou. Mais en mars 1895
(approximativement) il déclara, ce qui était du reste un vrai coup
d’État contre la constitution du Fouta-Djallon, qu’il garderait
désormais le pouvoir indéfiniment. Ahmadou, plus vieux que lui,
était malade et se mourait de la phtisie. Ce qui, outre cette mala-
die, encourageait Bou Bakar Biro à garder le pouvoir, c’est qu’il
venait de vaincre et de tuer un de ses frères Mahmadou Paté. Le
syndicat des marabouts avait soutenu dans cette lutte Bou Bakar,
jugeant Mahmadou Paté trop intelligent et trop redoutable. Il
avait fait retirer secrètement les balles des fusils des captifs de
Mahmadou Paté, si bien que celui-ci fut plutôt assassiné dans un
guet-apens que vaincu dans une guerre véritable. « Bokar Biro,
dit Aimé Olivier, page 61, vainqueur dès le premier engagement,
était fier de son succès. Il nous fit conduire sur le champ de
l’action, au milieu des cases en ruines de Mahmadou Paté, témoins
éloquents de ce qu’il croyait avoir été une glorieuse bataille. »
C’est cet almamy brutal et batailleur, représentant du parti
guerrier du Fouta, que le lieutenant-gouverneur de la Guinée en
1895 (M. Ballay, un homme énergique) fit inviter enfin à venir à
Conakry. En fait, les lois du Fouta-Djallon ne permettaient pas à
l’almamy de quitter le pays. Aussi Bokar Biro refusa-t-il à l’admi-
nistrateur (envoyé par le gouveneur à Timbo) de venir lui-même à
Conakry ou même d’y envoyer quelque grand personnage du
Fouta pour le représenter ( marsl895). Pendant que cet envoyé
revenait fort mécontent, traitant Bou Bakar Biro de « fourbe
irréductible », Aimé Olivier qui passait non loin de lui et reçut
ses doléances par correspondance, continuait son chemin sur
Timbo, espérant ameuter contre Bakar Biro les Alphaïas, les fils
de Mahmadou Paté, tous ses ennemis enfin et entre autres le
grand marabout de Fougoumba, Ibrahima, qui l’avait soutenu
contre son frère Mahmadou Paté, mais qu’il avait irrité depuis
en ne tenant pas les promesses faites. Enfin, on pouvait dresser
contre l'almamy de Timbo le chef du Labé (province nord du
Fouta-Djallon) toujours impatient de ne plus obéir au pouvoir
central. Aimé Olivier trace un tableau curieux des moeurs poli-
tiques peuhles à ce sujet :
« Alpha Yaya, roi du Labé 1, est un vigoureux garçon, intelli-
gent, sans imagination, attaché aux ambitions utiles. Il avait fait
assassiner son frère Agui-Bou qui régnait avant lui. Agui-Bou étai
un brave homme dont la fin prématurée méritait un regret. Cet
Agui-Bou avait fait assassiner un de ses voisins qui avait conspiré
contre son pouvoir et dont je vis les fils captifs chez lui; de plus,
il avait une femme immensément riche, la belle Tahibou... Yaya,
son frère, lui ôta la vie, s’empara du pouvoir et prit sa femme. Les
mêmes procédés de succession le menaçaient... »
Aimé Olivier travailla le chef du Labé en secret et le poussa à
se révolter (p. 68), puis il partit pour Timbo où il palabra avec
Bokar Biro qu’il excita à son tour contre le chef du Labé. Bokar
Biro, en revanche, essaya de l’empoisonner quand il eut dépassé,
pour rentrer en France, le village de Sokotoro, petit Versailles des
almamy Soria, où pourtant les fds de Bokar reçurent bien notre
voyageur. Cependant, tandis qu’Aimé Olivier gagnait Kouroussa,
Siguiri, Kayes et Dakar, Bokar Biro attaquait tout de suite après
la saison des pluies (donc fm 1895) le chef du Labé. Il fut vaincu
à Bentiguel-Tokocéré. « Mes gens et mes armes, dit Olivier de
Sanderval, entraînant la confiance de la petite armée de Alpha
Yaya, les troupes de l’almamy furent mises en déroute et lui-
même prit la fuite. » (p. 89). Notre auteur ajoute que le principe
de Bokar était « qu’il vaut mieux fuir si l’on était vaincu et se
réfugier en lieu sûr pour préparer de nouveaux combats que de
rester mort sur le champ de bataille » (p. 90).
Bokar Biro, vaincu, jeta donc son turban royal, enfouit dans
une cachette le sac de peau de bouc dans lequel il portait son tré-
sor représenté par les bracelets et les boucles d’or de ses femmes;
il laissa son cheval et, à travers la brousse, tantôt secrètement
dans les régions habitées par des populations ennemies, tantôt
plus à l’aise, mais toujours prudent dans les villages amis, il fit
deux cents kilomètres à pied pour gagner la Guinée Française, se
réfugiant auprès de l’Administrateur envoyé en vain à Timbo
1. Il
vaudrait mieux dire chef, car le Labé dépendait en principe du
royaume peuhl, c’est-à-dire de Timbo sa capitale.
pour l’engager à venir à Conakry et qui le traitait de « fourbe irré-
ductible » dans ses lettres à Aimé Olivier. Ce fonctionnaire sans
rancune reçut l'almamy vaincu le plus galamment du monde
(p. 91). Il lui donna deux miliciens en uniforme pour l’accompa-
gner jusqu’à Timbo. D’autre part, Bokar Biro recruta en pays
soussou où il avait des partisans (sa mère étant de race Soussou)
une petite armée. Il rencontra l’armée des opposants entre Téliko
et Timbo, mais celle-ci se retira à la vue des uniformes français
(p. 93). Cependant, l’administration avait envoyé une colonne à
Timbo et pressait l’almamy de descendre à Conakry. Celui-ci
refusa encore, mais ne put pas ne pas signer un nouveau traité de
protectorat qui le mettait définitivement et étroitement sous la
dépendance de la France. La colonne qui occupait Timbo redes-
cendit alors dans la plaine à quelque distancede la capitale (p. 99).
Il faut ajouter que Bokar Biro n’avait pas signé le traité de son
nom. S’il faut en croire Olivier de Sanderval, il avait mis à la place
Bissimilaï (grâce à Allah! merci à Allah!) De plus, on s’aperçut à
Saint-Louis, le traité traduit, qu’il ne reproduisait pas exactement
ce que nous avions voulu y mettre. Bokar Biro avait, une fois de
plus, rusé, pour éviter notre protectorat. C’est alors (les dés
étaient cette fois jetés et bien jetés) qu’on donna l’ordre au capi-
taine Muller, qui commandait la colonne d’occupation, de réoc-
cuper Timbo par la force et de s’emparer de l’almamy. Celui-ci,
en qui survivaient les qualités guerrières de son père, l’almamy
Omar, fit un appel suprême à ses partisans, aux Sorias, à tout le
Fouta-Djallon, et marcha avec 1500 hommes contre nous. La
rencontre définitive eut lieu à Porédaka. Bokar Biro essaya de
tourner et d’envelopper la petite ligne française (100 tirailleurs et
les officiers blancs). Mais les feux de salve réguliers et meurtriers
des Français mirent la cavalerie peuhle en déroute. Quatre frères
de Bokar Biro sur dix-huit restèrent sur le champ de bataille.
Lui-même s’enfuit, espérant gagner le Sierra-Leone, mais on mit
à ses trousses un chef indigène qui le haïssait. Il fut rejoint assez
loin du champ de bataille. Un paysan montra la case où il s’était
réfugié avec quatre de ses captifs les plus dévoués. Rejoint, il
essaya de se défendre et ordonna à ses captifs de faire feu, mais il
fut tout de suite abattu et tué avec ses défenseurs. Mort, on lui
coupa la tête qui fut portée aux Français avec celle de ses
hommes 1. C’était la fin de l’indépendance du Fouta-Djallon.
1. Ce fut ces têtes que le Dr Miquel rapporta en 1896 de Timbo en France
et que le Dr Verneau étudia ensuite dans un travail devenu célèbre pour
l'anthropologie peuhle en 1899. Remarquons que Bokar Biro était un métis
Bou Bakar Biro, almamy Soria vaincu et tué (1896), il fallait
nommer un nouvel almamy. Or, l’almamy Alphaïa, Ahmadou,
venait lui-même de mourir. Olivier de Sanderval fut consulté par
le Gouverneur Général pour savoir qui l’on devait nommer : il
désigna Oumarou mo Bademba, un Alphaïa qui réunissait le plus
grand nombre de suffrages dans le pays, homme paisible et hon-
nête. Mais le sort en décida autrement. En effet, le commandant
de la compagnie victorieuse campée à Timbo désigna le 9 février
1897 comme almamy le nommé Sauri Elili qui avait eu un almamy
parmi ses ascendants, mais qui était de petite noblesse. On l’avait
choisi pour les services qu’il rendait et la façon exacte dont il ravi-
taillait la colonne. Malheureusement, il se faisait aussi sa part et
pillait le pays. En octobre 1897, il fut assassiné par un nommé
Tierno Ciré.
Cependant Aimé de Sanderval voulait toujours établir son
chemin de fer de la côte au Fouta. Mais il se heurta à nouveau au
ministère des Colonies qui finit par dire franchement aux séna-
teurs et députés qui s’intéressaient à Aimé Olivier : le chemin de
fer, nous voulons le faire nous-mêmes (c’est-à-dire le confier au
génie militaire). Aimé Olivier était définitivement évincé et
quitta le Fouta. En 1899, il publiait sa Conquête du Fouta-Djallon
où il soutenait que c’était l’initiative privée (la sienne) qui avait
fait la conquête du pays. En fait, Aimé Olivier n’a guère été
qu’une mouche du coche et (fut-il ou ne fut-il pas intervenu) les
colonnes françaises auraient toujours lait la conquête du pays 1.
1. P. 276 et suivantes.
venus au Fouta-Djallon. Il cite M. Le Chatelier qui dit au
XVIIe siècle (et qui a raison à condition qu'on entende la fin du
XVIIe siècle), Madrolle qui placerait cet exode des Peuls vers
1650 1, Noirot qui le place en 1694. Il cite aussi la carte du grand
géographe français du xvme siècle, d’Anville, faite pour l’édition
des voyages d’André Brue et qui porte la mention au S. E. des
sources de la Falémé de Foutaguialon « pays naturel des
Peules. »
M. Machat ajoute : « C’est pour la première fois, à ma connais-
sance, que le nom à peine déguisé de Fouta-Diallon pouvait se lire
sur un document cartographique; outre qu’il indique à lui seul que
les Diallonkés n’étaient plus les maîtres incontestés de la contrée,
l’expression accolée de « pays naturel » prouve, à mon avis, deux
choses : que d’après les renseignements d’André Brue, les Foulbé
(et par conséquent leurs métis) étaient depuis assez longtemps au
Fouta et que, ni pour les indigènes, ni pour les Européens de Séné-
gambie, ils n’y étaient venus du Nord. »
Cette conclusion de M. Machat ne nous semble nullement sé-
rieuse. André Brue (et le père Labat que M. Machat ne nomme
pas) avaient fort peu de renseignements sur les Peuls du Fouta et
se sont contentés de les découvrir, ce qui est déjà bien joli. On ne
peut tirer d’un mot (pays naturel) qui exprime une idée d’ailleurs
fausse (puisque, s’il y a un pays naturel des Peuls, c’est en Afrique
occidentale, le Fouta-Toron et en Afrique orientale, l’Ethiopie ou la
Nubie), les conséquences énormes que M. Machat veut en tirer.
Du reste, l’étude de M. Machat sur les Peuls et leurs métis est sé-
rieuse. Il distingue fortement les Peuls purs (ceux de la brousse,
nomades, pasteurs et chasseurs) des Peuls du Fouta-Djallon qui,
dit-il, sont très métissés de Mandés (Dialonké et Malinké) et qu’il
aime mieux appeler Foulahs (quoique ce nom soit un nom Mandé :
Foula au singulier et Foula-ou au pluriel, désignant les Peuls en
général) et il s’appuie surtout ici sur l’autorité du Dr Maclaud 2.
Évidemment, il a raison en partie et Bokar Biro lui-même, nous
l’avons vu, ce dernier défenseur de l’indépendance du Fouta-
1. Pays Mandé.
2. Ces Mandés musulmans sont les Mandingues de la côte c’est-à-dire
des commerçants, d’origine Malinké, assez analogues aux Mandés-Dyoula
du pays de Kong et de la Haute Côte d’Ivoire et musulmanisés comme eux.
3. Il ne faudrait pas croire que les populations de la Casamance sont des
Sonninké. Ici le terme « Sonninquais » péjoratif, désigne les fétichistes (de
races diverses) du pays, les buveurs de dolo ou de vin de palme. Le mot
Sôninnké, pris dans son mauvais sens, remonte loin, à la prise de Ghana
par les Almoravides (1076) sur les Sôninnké fétichistes.
4. On sait que les Tyapis sont les Landoumans de l'Est. En définitive,
dès l’époque de Hecquard, les Peuls du Fouta-Djallon avaient mis la main
sur tout le pays Landouman. (Tyapis de. l’est et Landoumans de l’ouest ou
Landoumans proprement dits) puisque Kadé était devenu tributaire. De
même, les anciens Peuls du pays (ou Foulacoundas) étaient devenus aussi
sujets.
guiraye où beaucoup de Foulahs avaient émigré de la Haute-
Falémé (Firia) fut cédé en partie à l’almamy El-Hadj Omar 1.
« La nomenclature des provinces (ou « diouals ») 2 du royaume
foulah faite par M. Bayol en 1881 et celle donnée par le lieutenant
Plat (1887-1888) présentent des différences assez sensibles : le
second compte treize subdivisions, le premier onze seulement,
(tandis que le Dr Fras en trouve treize aussi). On voit, d’autre
part, qu’il y aurait lieu de distinguer, comme dans l’empire de
Charlemagne, les pays directement gouvernés et ceux qui ne sont
que les vassaux des almamys ou protégés par eux (tributaires).
Mais l’important pour une étude géographique est d’établir quelles
étaient à peu près alors les limites de la race foulahne, c’est-à-dire
les établissements d’émigrés foulahs... partis du Fouta-Diallon
sous la conduite de chefs musulmans » (p. 287). Machat parle en-
suite du Bondou, royaume peuhl et musulmanisé, qui fut toujours
indépendant du Fouta-Djallon et qui mérite une histoire à part
(elle a été faite, du reste, du moins en partie). Puis il parle du Din-
guiraye (Dialonké, Peuls et Toucouleurs de El-Hadj-Omar) enfin
des extrêmes établissements peuls au sud et à l’ouest (p. 287 à
289). Ensuite vient l’histoire des Houbbous qui est du reste erro-
née au point de vue chronologique (la prise de Timbo par les Houb-
bous est de 1859 et non de 1850. Hecquard, en 1851, ne connaît
pas les Houbbous et ils n’existaient pas encore), et même au point
de vue historique, car Machat met à tort, suivant Lambert en cela,
sur le dos d'El-Hadj-Omar (qui avait d’autres chats à fouetter et
d’autres conquêtes à faire) la création de la secte des Houbbous.
Comme Bayol l’a expliqué avec soin (Voyage en Sénégambie,
p. 106 à 107) Lambert s’est trompé sur ce point et c’est Modi Ma-
madou Djoué, marabout peuhl vénéré, qui a créé cette secte des
Houbbous qui, s’étant révoltés, comme nous l’avons vu, contre
l’autorité d’Omar, pilla Timbo en 1859. Machat a donc tort ici de
1. Machat place à tort la venue d’El-Hadj-Omar au Dinguiraye en 1849!
alors qu’elle est antérieure à 1837. D’autre part, il cite un auteur portugais
récent, Vasconcellos qui dit que « depuis 1863, les Foulahs établis dans la
Guinée portugaise s'étaient révoltés contre les Mandés, les Biafades et les
Balantes. Ils formèrent ensuite par croisements les groupes autonomes des
Foula-Pretos, des Fouta-Foulahs, etc... » C’est toujours le même système :
les Peuls essaiment d’abord par petits groupes, reconnaissant la suzeraineté
des chefs autochtones du pays, puis, quand ils se sentent assez nombreux
et assez forts, ils se révoltent et établissent leur domination ou tout au moins
leur indépendance. Mais cette immigration en Guinée portugaise, toute
individuelle et privée, n’a rien à voir avec la colonisation guerrière dee
almamys du Fouta, sauf que ces Peuls ou Foulahs sortaient aussi du Fouta
et faisaient partie par conséquent de la grande poussée foulahine.
2. On dit généralement a diwal ».
suivre Lambert et une étude un peu plus sérieuse des textes que
nous possédons l’eût préservé facilement de cette erreur.
En définitive, la synthèse de M. Machat (1906), au sujet de
l’histoire des Peuls du Fouta Djallon, est très sujette à caution.
Les Peuls du Fouta-Djallon ne sont pas venus de Ghana (ou Gha-
nata) du XIIIe au XVe siècle et à cette époque, le Fouta-Djallon
était Dialonké après avoir été Baga, Landouman ou Tenda. La
première invasion peuhle dans l’ouest du pays est celle de Koli
Tenguéla ou Galadio qui est de 1534 (date que nous savons par les
Portugais). La grande immigration des Peuls musulmanisés est
venue du Macina vers 1694 (les Peuls du Macina venaient eux-
mêmes anciennement du Fouta-Toron vers 1400, mais, dans le
pays riche et gras du Macina, ils se multiplièrent vite, et le Ma-
cina devint rapidement un centre d’expansion et d’émigration
pour les Peuls). Vers 1725, les Peuls du Fouta-Djallon commen-
cèrent la guerre sainte contre les infidèles et, d’abord vainqueurs,
ils subirent ensuite de graves défaites quand ils se heurtèrent aux
Dialonké du Soliman, aux gens du Sankaran et aux Peuls du
Ouassoulou. Karamokho-Alfa, battu, devint fou et mourut en
1751. Ibrahima Sori, après des luttes terribles, où Timbo fut même
pris par les coalisés (1763), triompha enfin définitivement de la
coalition en 1776. Voilà l’histoire réelle des Peuls du Fouta-Djal-
lon pour les origines et non le méli-mélo de M. Machat. Il est vrai
qu’à partir de 1830, Machat connaît extrêmement bien les faits et
les sources. Néanmoins, sa synthèse, dans son ensemble, doit être
rejetée comme fantaisiste.
Nous arrivons maintenant à Guébhard (1910) et à André Arcin
(1911). Ces deux auteurs ont donné chacun une histoire complète
du Fouta-Djallon que nous allons examiner en détail.
CHAPITRE IV
LA SYNTHÈSE DE GUÉBHARD
1. Ces Poulli, si la tradition rapportée ici est exacte, étaient sans doute
des Peuls de Koli Tenguéla dits Foulacounda et restés fétichistes, ou peut-
être, à la rigueur, des Peuls de la brousse venus du Macina comme les autres,
mais restés fétichistes. Les commerçants Malinkés dont il est ensuite ques-
Peuls ; à Tiay, ils eurent affaire à des Dialonkés. Dans la même
région, il existait des groupements importants de commerçants
Malinkés, embryons de ceux qui y existent encore; il ne leur fit
pas la guerre parce qu’ils se soumirent; leur chef se convertit et
épousa une fille de Sory. Pendant qu’Ibrahima guerroyait ainsi
dans la région du Sud-Est, assisté de tous les musulmans de la
contrée, dans toutes les parties du Fouta, des guerres semblables
étaient plus ou moins commencées, mais avec des fortunes
diverses. Ibrahima convoqua à Tiay tous les chefs religieux épars
dans le Fouta qui répondirent à son appel et s’y réunirent.
C’étaient Mamadou Sellou du Labé, Tierno Abdouramani Massi,
Tierno Mahadiou Timbis, Tierno Salifou, Balla Koïn, Tierno
Amadou Kankalabé, Tierno Moussa Kébalé, Tierno Samba
Bouria, Tierno Ousman Foukoumba et Fodé Hadji. Le pays fut
partagé entre tous ces chefs, à qui fut déléguée la guerre sainte.
L’assemblée régla tous les détails de l’assistance que les confédé-
rés devaient se prêter pour assurer le résultat de leurs efforts. Il
fut convenu que, la guerre finie, on se réunirait à nouveau et,
afin de se concilier le secours d’Allah, Mamadou Seyllou sacrifia
un boeuf noir dont la viande fut partagée entre les neuf fractions
guerrières qui venaient d’être constituées en souvenir des neuf
compagnons du Prophète. Une prière solennelle fut ensuite faite
et les conjurés se séparèrent pour aller, chacun dans la région qui
lui avait été assignée, commencer la guerre. La tradition raconte
que lorsque Mamadou Seyllou revint chez lui à Labé, il réunit
neuf disciples pour manger dans une case sans lumière où ils con-
vinrent en même temps, des dispositions à prendre en vue de la
guerre. Ils mangèrent tous jusqu’à ce qu’ils fussent rassasiés;
mais quel ne fut pas leur étonnement, lorsque l’on apporta la
lumière, de voir que la calebasse qui contenait la nourriture était
encore intacte; devant ce miracle qui parut de bon augure, le
zèle des croyants redoubla et la conquête du pays ne tarda pas à
être complète. Il en fut de même dans les autres régions, mais la
conquête n’y fut pas aussi sanglante qu’elle l’avait été dans le
Sud-Est, parce que la région était peuplée de Peuls, du même
rameau ethnique que les vainqueurs qui durent à cette circons-
tance et aussi à leur conversion en masse, de n’être ni massacrés
ni réduits en esclavage, leurs personnes furent respectées, un
1. Cette date est naturellement fausse comme toutes les autres. En fait,
ces événements ont dû se passer en 1762 si la donnée antérieure de dix ans de
victoires d’Ibrahima Sori est exacte, car alors, elle se place de 1751 (mort
de Karamokho-Alfa) à 1761. C’est alors que les Peuls auraient nommé un
almamy Alphaïa, par envie contre Ibrahima Sori.
2. En réalité, les événements, relatés ici par Guébhard sont la défaite de
1763 où les coalisés prirent et pillèrent Timbo. Notons que Aoua Kondé, la
femme de Kondé Birama, est prise ici pour un homme.
Sory, sans récriminer, réunit ses fils, qui étaient au nombre de
33 et leur exposa la situation : « Dieu a puni le Fouta, leur dit-il,
et demande maintenant une victime expiatoire; un ange m’a
appris qu’en échange de ce sacrifice, Dieu nous donnera la vic-
toire car, à lui seul, il sera plus fort que l’armée des infidèles.
Quel est celui d’entre vous dont la force et le courage sont supé-
rieurs à ceux de 100 hommes et qui à lui seul puisse tuer les deux
chefs infidèles ? »
« Tous ses fils se présentèrent alors, se disputant pour être choi-
sis. Sadou le premier, mais son père l’écarta en lui disant : « Non,
car à toi sont réservées d’autres destinées ». Ahmidou se présenta
ensuite, mais son père l’écarta en lui disant que si grand que fût
son courage, il ne pourrait résister à plus de 50 hommes; Alceyni se
présenta à son tour, mais lui ne pouvait résister qu’à 40 hommes;
puis vint Amadou Bemba, mais, comme il avait la lèpre, son père
lui dit que dans cet état il ne saurait lutter contre un homme seul.
Tour à tour les autres fils se présentèrent et furent repoussés;
enfin survint Mamadou Ouleng, le fils aîné de l’almamy, qui arri-
vait en retard à la convocation de son père; dès qu’il se présenta,
celui-ci l’agréa comme le champion qui devait délivrer le pays en
sacrifiant sa vie, car seul il avait le courage de 100 hommes réunis.
« Mamadou Ouleng accepta et jura de délivrer son pays en
sacri-
fiant sa vie. Il pria son père de reporter son droit d’aînesse sur
Sadou, à qui il confia ses femmes et ses enfants, et de le désigner
comme almamay à sa mort. L’almamy lui dit : « Que personne
n’aurait besoin de nommer Sadou almamy, qu’il se nommerait
lui-même, qu’il avait vu, dans un songe, Sadou couronné de son
propre turban ». On régla alors les derniers détails et l’on se mit
en route pour Foukoumba par Ioukounsan. En route, les bâtons
avec lesquels on frappait le Tabala de l’almamy se trouvèrent
perdus et l’almamy Sory lui-même coupa une liane pour les rem-
placer provisoirement. Mamadou Ouleng lui dit : « Mon père, tu
as tué une liane » — « Non, répondit l’almamy, elle ne mourra
pas ». La tradition rapporte qu’en effet, cette liane resta verte
jusqu’à la fin du règne de l’almamy Bokar, c’est-à-dire jusqu’à
notre arrivée dans le pays et notre occupation définitive. Comme
on le voit, tous les récits de cette époque sont empreints de mys-
ticisme, entremêlés de légendes et tous les personnages, surtout les
premiers marabouts, sont doués d’une seconde vue et sont regar-
dés comme une sorte de prophètes par leurs descendants.
« Arrivés à Foukoumba, ils trouvèrent
le campement des chefs
infidèles et là, l’almamy Sory dit à son fils : « C’est à toi seul que
revient l’honneur de cette journée; à toi seul Allah permettra de
tuer les chefs ennemis, mais il exige le sacrifice de ta vie; es-tu prêt
à le faire? car d’autres briguent de délivrer leur pays; songe que
ton nom vivra dans la mémoire de tous les vrais Foulahs et que
dans le paradis, tu jouiras des faveurs d’Allah et des anciens de
notre race qu’il a accueillis auprès de lui et parmi lesquels tu
prendras place. »
« Puis il le bénit, et ses frères ayant sellé son cheval, il partit au
galop à travers l’armée des infidèles « qui le piquaient de leurs
flèches ». Mais les flèches n’entraient pas dans la peau du héros qui
faisait cabrer son cheval et cherchait les chefs ennemis qui se pré-
sentèrent et furent tour à tour tués par lui; puis, pour bien mar-
quer son sacrifice, il retira ses gris-gris et recommença la lutte; il
fit encore un grand carnage d’infidèles, mais tomba à son tour
criblé de coups, tandis que l’armée ennemie, effrayée de la dispa-
rition de ses chefs, se dirigeait à la débandade vers la rivière Sira-
kouré où étaient postés l’almamy et ses guerriers. C’était en
saison sèche et l’armée ennemie campa dans le lit de la rivière à
moitié tarie. Alors Sountou, le génie de l’almamy Sory, lui inspira
de crier et aussitôt, la rivière arriva en mugissant et engloutit tous
les guerriers ennemis. Cette légende que la rivière Sirakouré a
« mangé les ennemis » la
rend chère aux musulmans qui, encore à
l’heure actuelle, chaque fois qu’ils la traversent, font en passant
des actions de grâces et boivent son eau avec respect (1806) 1. Cette
victoire consolida la puissance de l’almamy Sory qui régna sans
conteste sur le Fouta, ne s’absentant que pour aller à la guerre
dans le Kouranko, dans le Boundou, dans le Ouassoulou, sur les
bords de la Falémé et presque jusqu’à côté de Kayes. Dans une
guerre qu’il fit dans le Sérima 2 il était accompagné d’Alfa Salifou
qui avait été un moment almamy; son armée y fut décimée par
une épidémie de petite vérole et, ce qui était grave, c’est que le
pays était dépeuplé; aussi, ne pouvant faire de captifs, l’armée
dut retourner à Timbo (1810). Il s’écoula une période de quatre
années pendant lesquelles il n’y eut pas de guerres; l’almamy en
profita pour organiser le pays. A cette époque, il convoqua à
Timbo Alfa Mamadou Dian, fils d’Alfa Sellou, qui venait de lui
1. Il s’agit sans doute ici de la victoire décisive de 1776 où furent tués
Kondé Birama et Aoua Birama, sa femme, l’amazone Ouassoulonké. Comme
on le voit, Guébhard met encore trop tard tous ces événements, fort enjolivés
par la légende.
2. Il s’agit sans doute ici du Solima ou Soliman et de l’attaque de Falaba
de 1797 par Alpha Salihou (voir Gordon Laing). Ibrahima Sori devait être
mort depuis longtemps (vers 1784).
succéder à la tête du Labé. Pendant qu’Alfa Mamadou Dian était
à Timbo, il tomba malade très gravement; il fit appeler l'almamy
à son chevet et lui demanda quel endroit il avait choisi pour être
enterré, car il est dans les usages que les vieillards et les chefs
désignent à l’avance l’endroit où ils désirent reposer; quelquefois
ces désignations se font au lit de mort, lors des dernières recom-
mandations. L’almamy lui indiqua la place qu’il avait choisie et
Alpha Mamadou Dian lui demanda de la lui céder, parce qu’il
sentait bien qu’il allait mourir; lui-même donna à l’almamy la
place qu’il avait choisie dans sa missidi de Labé pour le cas où
l’almamy viendrait à y mourir. Peu de jours après, Alpha Mama-
dou mourait; l’almamy lui rendait les honneurs funèbres et le fai-
sait enterrer dans l’endroit qu’il s’était jusqu’alors réservé pour
lui-même. Or, il advint que, l’année suivante, l’almamy partait
pour faire la guerre dans le N’Gabou lorsqu’il tomba malade à
Labé et mourut presque subitement non sans avoir témoigné le
désir d’être enterré à la place cédée par Mamadou Dian, en
échange de la sienne (1814) 1.
« Lorsqu’il fut mort, son fils Sadou appela les sofas de son père
dans sa case et, essayant sous leurs yeux le turban du défunt, il
demanda « s’il lui seyait bien » — « Comme à lui-même! » répon-
dirent-ils. Sur ces entrefaites, ils partirent pour les funérailles et
Sadou, par inadvertance ou volontairement, sortit avec le tur-
ban de son père sur la tête et avec son bâton. A l’enterrement,
tous les gens de Sadou s’étonnèrent et, voyant Sadou dont la res-
semblance avec son père était frappante, ils ne voulaient pas
croire que l’almamy fût mort; ignorants des circonstances ils
rendirent à Sadou les honneurs royaux. Lorsqu’ils apprirent la
vérité, ce fut pour le reconnaître à l’unanimité comme l’almamy
et Alpha Abdoulaye, chef du Labé, lui mit le turban sur la tête
selon les rites. Le nouvel Almamy voulait partir, mais les vieux
du Labé lui dirent : « Attends quelques jours, le Fouta ignore ta
nomination; si nous nous passons de lui, il se fâchera; nous allons
le convoquer à Foukoumba sans rien lui dire et, lorsqu’il sera
réuni, nous nous arrangerons pour faire sanctionner ta nomina-
tion. » Ainsi fut fait et, lorsque l’assemblée se réunit, l’almamy
Sadou s’y rendit turban en tête et le bâton de son père à la main.
1. Cette date doit être reculée de trente ans et mise en 1784, à moins cepen-
dant qu’Ibrahima Sori le Grand n’ait encore vécu en 1797 à l’époque de
l’attaque de Falaba par Alpha Salihou ou Salifou. Alors, il faudrait mettre
sa mort vers 1800, mais il est impossible de l’avancer davantage.
A noter que Madrolle place la mort d’Ibrahima Sori en 1813 (p. 305) mais
c’est certainement inexact.
Alpha Abdoulaye le présenta au Fouta comme almamy en lui
demandant de ratifier cette nomination. Toute l’assemblée fut
d’accord; seul Alpha Ousman qui, comme nous l’avons dit, avait
sacré Karamokho Alfa, se leva et déclara qu’il n’acceptait pas de
voir violer son privilège, car seul il pouvait sacrer l’almamy.
Alpha Abdoulaye, s’adressant à l’assemblée, interrogea indivi-
duellement tous les notables et leur demanda s’ils acceptaient?
Tous répondirent : « Nous avons entendu, nous avons accepté »
« N’nani n’diabi ». Mais Alpha Ousman dit encore : « J’ai entendu,
mais je n’ai pas accepté. » On ne tint pas compte de ses protesta-
tions et l’assemblée se dispersa, tandis que le nouvel almamy s’en
allait à Timbo où il entra avec le cérémonial d’usage (1814). Le
soir même, Alpha Salifou, fils de Karamokho Alpha, qui ne s’était
pas rendu à Foukoumba, comptant y être convoqué par le Fouta
réuni, furieux de l’échec de ses espérances, alla trouver son rival
et lui dit : « Tu m’as pris l’héritage de mon père, car c’est lui et
non le tien que le Fouta a nommé almamy à Timbo. Ton père n’a
été nommé que parce que j’étais trop jeune, mais maintenant que
j’ai l’âge, je ne puis admettre que tu me prennes ainsi ma place! »
Accepte ou n’accepte pas, lui répondit l’almamy Sadou, peu
— «
m’importe! Les services que mon père a rendus lui ont créé des
droits que le pays a sanctionnés en le nommant almamy par deux
fois et les droits de ton père ont été déclarés déchus dans ta per-
sonne, parce que le Fouta, après t’avoir nommé, t’a révoqué. Fais
ce que tu veux, je serai toujours le chef que tu le veuilles ou non! »
— Alpha Salifou lui répondit : « J’ai compris. » Et, comme Alpha
Ousman, il ajouta : « Je n’ai pas accepté. « Ce point de l’histoire
du Fouta est intéressant à noter, car de là date la scission de la
famille royale désormais divisée en deux partis : le parti des
Alphaïas,qui reconnaît comme légitimes les seules prétentions des
descendants de Karamokho Alpha, et les Soryas qui appuient les
prétentions des descendants de l’almamy Sory. En plus des dis-
cussions qu’ils élèvent contre la légitimité des droits de la branche
Sorya, les Alphaïs prétendent, en outre, que l’almamy Sory
n’était pas le cousin de Karamokho Alpha, mais simplement un
de ses disciples, c’est-à-dire un étranger. Ce point de l’histoire
n’est pas éclairci et est très discuté de part et d’autre. Il faut dire
que ceux qui admettent l’origine étrangère des Soria sont en petit
nombre; d’ailleurs ce qui contribue à en accréditer l’hypothèse
sont les descendants de ce même Karamokho Ousman de Fou-
koumba dont nous verrons ci-dessous les malheurs. Quoi qu’il en
soit, de la scission de la famille royale naîtront tous les conflits
et toutes les guerres civiles qui ensanglanteront le pays et plus
particulièrement Timbo et ses environs car, si nombreuses devien-
dront ses querelles pour le pouvoir, que le Fouta s’en désintéres-
sera et laissera au monde de la famille royale, aux grands porte-
parole de Timbo, le soin d’y prendre part, et il s’efforcera d’en
éviter pour lui les conséquences.
« Ce fut sans encombre que le Fouta passa des mains de l'al-
mamy Sory dans celles de son fils et nous noterons en passant,
comme le font les Foulahs qui voient des prophètes dans leurs
ancêtres religieux, la réalisation de la prophétie faite par l’almamy
Sory lorsqu’il dit à son fils Mamadou Ouleng : « Que, personne
n’aurait besoin de nommer Sadou, qu’il l’avait vu, en songe, le
front ceint de son propre turban. » Mais le vieux Alpha Ousman
n’oubliait pas l’affront reçu et ses droits méconnus; il commença
à nouer des intrigues de tous côtés et manda même Alpha Salifou
à Foukoumba pour organiser un coup d’Etat. Mais l’almamy
Sadou l’apprit; il partit un beau matin à cheval et, sans s’arrêter,
sauf près du marigot Toukounian, où il fit ses ablutions, il arriva
à Foukoumba suivi seulement de quelques sofas à cheval, tomba
à l’improviste chez Alfa Ousman, l’amarra solidement lui-même
et, rassemblant ses biens, ses femmes et ses serviteurs, il revint
dans la même journée à Timbo avec son prisonnier lié sur un
cheval. En arrivant, il le fît mettre aux fers et en fît publier par-
tout la nouvelle. Aussitôt grand émoi dans le Fouta, les notables
se réunirent et allèrent demander pardon pour lui à l’almamy,
dont le courroux fut long à fléchir; ils obtinrent enfin qu’il fût mis
en liberté. Alfa Ousman fit semblant de se soumettre, mais jura
dans son coeur de ne pas quitter Timbo avant de s’être vengé. Il
mit sept ans à préparer sa vengeance. D’accord avec Alfa Salifou,
il détacha par des présents et des promesses tous les partisans de
l’almamy Sadou, qui étaient nombreux car, ainsi que le disent les
indigènes, « tout le Fouta était derrière lui. » Il profita des mécon-
tentements que provoque au Fouta chaque occasion où le pouvoir
doit s’exercer. Enfin, au bout de sept ans 1, les notables fatigués
d’obéir plus longtemps au même homme, se mirent du parti de
l’opposition, et la mort de l’almamy fut décidée. Alfa Salifou,
1. Vers 1825.