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LE MONDE ILLUSTRÉ 5

s'avancent jusqu'au transept.


La nouvelle Cathédrale de Tunis Le monument forme, on le voit,
-. d'après ces dimensions,une masse
vraiment imposante. Il a fallu
La cérémonie d'inauguration de ce bel édifice a eu pour en soutenir le poids, établir
lieule jour de la fête de Noël. C'est MgrLavigerie de solides et puissantes fonda-
tions. On a dû, à cet effet, cher-
qui en avait posé la première pierre, le 19 mai 1890; cher le tuf en dessous des boues
mais les travaux ne commencèrent d'une façon sé-
rieuse. que le lor septembre 1892, et depuis cette épo- et des couches argileuses qui com-
que, ils n'ont guère subi d'arrêt, et ont été poussés posent le sous-sol à cet endroit.
avec une activité qui ne s'est presque jamais ralentie. Ce fut un travail long, pénible
Cent cinquante ouvriers environ ont été continuelle- et dispendieux. Deux mille deux
ment employés à la construction de la cathédrale cent trente-trois poutres furent
dont les tours restent encore inachevées, jusqu'au enfoncées dans cette argile et
dans ces boues. Généralement,
jour où les ressources financières permettront de les elles atteignirent le tuf à la pro-
terminer. Il reste d'ailleurs beaucoup à faire pour fondeur moyenne de quinze mè-
compléter le monument, car les chapiteaux ne sont tres. Quelquefois cependant on
pas sculptés, les colonnes ne sont pas polies, toutes descendait beaucoup plus bas.
les fenêtres n'ont pas encore leurs verrières; en outre
le maître-autel fait défaut, la sacristie n'est pas ache- C'est ainsi qu'un des pilotis ne
rencontra le sol ferme qu'à une
vée, les murailles attendent leur peinture.
Mais si les accessoires font défaut, le principal est profondeur devingt-trois mètres;
une poche existait dans le tuflau
fait, et le reste se fera à mesure que le permettront à cet endroit.
les aumônes des fidèles qui auront à cœur de mener
à bonne fin l'œuvre de patriotisme et de foi si noble- En creusant le sol pour asseoir
ment entreprise par le cardinal Lavigerie. les fondations de l'édifice sur ces
La cathédrale est de style roman. Sa longueur est pilotis, les terrassiers mirent à
découvert des restes de construc-
de soixante-quinze mètres sur trente-deux mètres, tions antiques.
dans la plus grande largeur, c'est-à-dire au transept,
et seulement vingt-trois mètres, le long des nefs et Cesdébris, la plupart informes,
de l'abside. Ces nefs sont au nombre de trois. La ne pouvaient être, pour le savant,
grande mesure onze mètres de largeur et les deux l'archéologueou l'historien, d'au-
nefs formant bas-côtés ont chacune cinq mètres d'axe cun intérêt.
en axe. Le tout est précédé d'un vaste péristyle, aux Quelques-uns cependant, fai-
deux extrémités duquel se trouvent: à gauche, le saient exception, étaient vraiment
baptistère, et, à droite, l'escalier conduisant à l'orgue curieux. Citons, entre autres, une
et aux tribunes qui, des deux cÚt<s de la grande nef, mosaïque et un fragment de co-
LA FAÇADE.

LA CRYPTE.

lonne remontantà l'époque romaine. familles catholiques de Tunis avaient mêlé leur pous-
Ces souvenirs du passé ont été soi- sière! C'est ainsi sur ces pilotis, sur ces ruines antiques,
gneusement recueillis. sur ces restes vénérables et sur ces souvenirs au-
Il est un autre vestige, d'un passé gustes qu'a grandi la cathédrale actuelle!
tout à la fois glorieux et douloureux. A sa base, une crypte, qui s'étend sous toute l'éten-
que la pioche des démolisseurs a fait due de l'abside, rappelle ces souvenirs, ces gloires et
disparaître à peu près entièrement, ces douleurs d'àntan.
pour faire place aux muraillesde la Elle est émotionnante la vue de cette crypte, à
cathédrale nouvelle. C'est la vieille l'apparence mérovingienne, avec son autel sévère, son
et sainte chapelle qu'avait construite, demi-jourde deuil, ses murailles couvertes de pla-
bénite et inaugurée à Tunis M. Le ques funéraires et ses tombeaux qui se dressent çà et
Vacher. C'était, à coup sûr, le plus là comme autant de témoins d'un passé pour jamais
ancien monument chrétien de laville. disparu.
M. Le Vacher, prêtre de la Mission Au-dessus de la crypte qui sent encore l'esclavage
fondée par saint Vincent de Paul, et l'humiliation, la nef et le chœur se dressent dans
avait une telle réputation de vertu l'apothéose du triomphe et de la liberté et dans une
dans Tunis qu'à la demande même solidité à toute épreuve.
du Bey qui régnait alors, il fut dé- Tout est construit en marbre du Djebel-Oust. C'est
signé pour remplacer, provisoire- une ancienne carrière romaine, exploitée, abandon-
ment d'abord, notre consul Lange de née, puis retrouvée par l'architecte M. Bonnet, qui a
Martin qui était venu à mourir, et fourni les pierres merveilleuses des colonnes, des
qu'il fut ensuite consul titulaire de arceaux, des dallages et jusque des autels déjà posés
France jusqu'en 1667. dans les transepts.
La disparition de la chapelle éle- Là seulement, ces marbres ne sont que finement
vée par M. Le Vachet a été certes une piqués; ici, au contraire ils sont, dès maintenant,
nécessité douloureuse; il reste à peine polis avec soin, ce qui fait mieux ressortir la finesse
maintenant quelques fragments de de leur grain et la délicatesse de leurs nuances.
ses murailles renversées. Toutefois Tout le long de la nef et tout autour de l'abside,
ce qui a pu être sauvé du mobilier les piliers alternent avec des colonnes.
intérieur l'a été, entre autres, la sta- Celles-ci et ceux-là supportent, outre la voûte, une
tue de saint Antoine, en bois doré, longue galerie qui suit toute la nef principale et ne
et mesurant un mètre environ de s'arrête qu'aux transepts. Cette galerie est vraiment
hauteur. inutile. Elle eût même nui à l'effet d'ensemble de
Autour de la chapelle s'étendait le l'édifice, en brisant l'harmonie de ses lignes, si l'on
cimetière chrétien, champ de repos n'avait remédié, en partie, à ce défaut en entourant
véritable pour les pauvres esclaves l'encorbellement d'une balustrade de fer forgé extrê-
de ces temps passés, à la poussière mement légère et n'arrêtant, par conséquent, pas la
duquel presque toutes les vieilles vue.
LVMI-. —Photographie CIIEIICU.TN:. I

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