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Table des matières

MYSTERIEUSE CELTIE 6
LES MÉGALITHES DU MORBIHAN 6
Le tumulus de Saint-Michel. 6
Le Mégalithique tel qu'on le parle. 7
Les alignements. 9
Le Manio. 10
Mané-er-Grah (butte de la fée) et Table des Marchands. 10
Mané - Lud. 13
Mané - Rutual. 14
Le tumulus de Tumiac. 15
Le tumulus de Mané-er-Hroek. 16
Les Pierres- Plates. 18
Gavrinis et Er-Lannik. 21
Crucuno. 23
Le tumulus du Moustoir. 24
Kériaval et Mané-Kérioned. 25
Avec ou sans tumulus ? 26
Une réutilisation tardive. 27
Des tonnes posées en douceur. 28
À LA RECHERCHE D'UN PASSÉ 30
Petite histoire d'une préhistoire. 30
Le prémégalithisme. 31
Mégalithique et néolithique. 32
Le mobilier du néolithique. 34
L'OUTILLAGE ET LES BIJOUX EN PIERRE 35
LES OBJETS DE PARURE 36
LES CÉRAMIQUES 38
LES OBJETS EN MÉTAL 39
Les gravures. 39
L'EMPREINTE PYTHAGORICIENNE 45
L'immense carneillou. 45
Une science mégalithique ? 47
La charnière du Grand-Ménec. 49
Des cromlechs en forme d'ove. 53
Retour par Kermario et Kerlescan. 55
Pythagore : un homme et sa philosophie 60
MANE-ER-GRAH : POINT ZÉRO ? 65
Astronomie : un mémo. 73
Le grand menhir brisé d'Er-Grah. 75
RADIOCARBONE CONTRE DIFFUSIONNISME, ou LA
DÉCEPTION QUI VENAIT DU FROID 77
Au commencement était le diffusionnisme. 77
Les grands principes du diffusionnisme. 79
Première révolution du radiocarbone. 79
Première controverse du radiocarbone. 81
La seconde révolution du radiocarbone. 81
La seconde controverse du radiocarbone. 82
Dernier sursaut des diffusionnistes. 84
Conclusion : la civilisation qui venait du froid ? 85
CONCLUSION : CERNER UNE AUTRE VÉRITÉ 87
BIBLIOGRAPHIE D'ENSEMBLE. 92
• Sur la préhistoire du Morbihan. 92
• Sur les travaux d'Alexander Thom et sur Pythagore. 92
• Sur la dendrochronologie. 93
• Ouvrages généraux et publications. 93
Mégalithes bretons : l'intendance ne suit pas 95
À la mémoire de Zacharie Le Rouzic.

De l'avis unanime des auteurs un tant soit peu éclairés, les


mégalithes, c'est « quelque chose en trop », quelque chose qu'on a
superposé à la société néolithique existante. Cela se ressent à
Carnac plus qu'ailleurs. Trop c'est trop. Les Bretons eux-mêmes se
montrent hostiles à ce déferlement de pierres. Ce n'est pas eux.
Cela ne les concerne pas.
Carnac n'est que partie des 50.000 monuments mégalithiques
répartis sur une douzaine de pays européens (sans parler des
autres continents). Rien que pour les grands alignements, où on
estime que les menhirs se succédaient tous les quatre mètres, le
calcul montre qu'ils devaient être 4000 au Grand-Ménec, 2500 à
Kermario, 800 à Kerlescan et 400 au Petit-Ménec. Ajoutez-y les
autres pierres dressées, sans oublier celles qui gisent au fond du
golfe du Morbihan, et pour une surface « portable » de mille
kilomètres carrés, vous arriverez à un chiffre dépassant largement
les dix mille.
Tout cela va vous être présenté, exemples à l'appui. On vous
montrera que les néolithiques ont fait usage des mégalithes bretons,
sans en être pour autant les protagonistes. On vous expliquera qu'il
y a là un gigantesque quadrillage pour des observations
astronomiques qui ne seront redécouvertes qu'à la Renaissance. On
vous démontrera enfin, que les monuments ne sont pas l'œuvre
d'« élèves-paranoïaques de conquistadores venus du Proche-
Orient » (selon le mot d'Aimé Michel). Et qu'ici, à Carnac, ce ne sont
sans doute pas quarante, mais bien quatre-vingts siècles qui nous
contemplent ... Si les constructeurs, en choisissant la pierre, ont
voulu créer une « éternité palpable », ils peuvent se vanter d'avoir
atteint leur objectif. Mais pourquoi cette gigantesque carte de visite ?
Ce clin d'œil : quelle nécessité vis-à-vis du futur ?

KADATH.
Le tumulus de Saint-Michel à Carnac : au moins 7000 ans d'âge...
MYSTERIEUSE CELTIE

LES MÉGALITHES DU MORBIHAN

Nous aimerions le préciser dès le départ : le présent article n'a pas


la prétention d'être un recensement des mégalithes du Morbihan.
Nous nous sommes bornés, dans la partie descriptive, à parler des
sites les plus célèbres d'une part, les plus représentatifs de nos
théories d'autre part. C'est ainsi que, à côté des fameux alignements
de Carnac et du Tumulus St-Michel, le lecteur trouvera une
description détaillée des dolmens à couloir de Mané-Kérioned,
beaucoup moins connus pourtant. Nous n'avons pas plus rédigé un
« guide touristique », qui ne présenterait d'autre intérêt que celui
d'être le petit dernier d'une collection impressionnante. Nous
donnons bien sûr des renseignements précis quant à l'emplacement
exact du site décrit, mais nous ne nous attardons pas sur les
méandres et détours des sentiers campagnards qu'il vous faudra
emprunter pour aller constater de visu, pas plus que nous ne
renseignons l'adresse du petit bistrot sympathique et local qui est
l'aboutissement classique et inéluctable de toute étude sérieuse sur
le terrain.
« Que celui qui, suffisamment averti, ne fera pas disparaître de
son champ les simulacres (mégalithes) qui y sont dressés, soit traité
comme sacrilège et déclaré anathème ».
(Capitulaire de Charlemagne, Aix-la-Chapelle, An 769).
Le tumulus de Saint-Michel.
Le tumulus de Saint-Michel situé à la sortie de l'agglomération de
Carnac, est une véritable colline ovale tronquée par une plate-forme
de 115 m de long sur 50 m de large. S'élevant à 10 m de hauteur, le
tumulus présente en coupe un revêtement de pierres peu épais
protégeant une importante couche de vase qui recouvre elle-même
un galgal de forme elliptique. L'ensemble fut étayé à l'est et à l'ouest
lors des fouilles. Enfin on creusa également une galerie à l'intérieur.
Le vénérable guide qui réjouit naguère des milliers de visiteurs par
sa faconde a été remplacé aujourd'hui par un enregistreur qui
commente la découverte et la description du tumulus. MM. Galles et
Lefèvre sont les inventeurs du site en 1862. Leurs travaux dirigés au
centre, leur permettent de découvrir deux chambres dolméniques
aux supports de pierres sèches ou de blocs couchés, entourées de
coffres dont quelques-uns contenaient des ossements de bovidés.
De 1900 à 1906, Zacharie Le Rouzic met au jour un dolmen enfoui
sous la vase, dans la partie orientale. Ce dolmen est très intéressant
du fait qu'il est antérieur aux autres. Il daterait de l'époque primaire
du néolithique.
Le Mégalithique tel qu'on le parle.
Le menhir (du breton men = pierre et hir = longue) est une pierre,
taillée ou non, dressée verticalement, affectant généralement un
aspect plus ou moins fusiforme. Plusieurs menhirs disposés en files
parallèles constituent un alignement. Plusieurs menhirs délimitant
une surface constituent une enceinte ; une enceinte affectant une
forme courbe prendra le nom particulier de cromlech (on ne pourra
donc parler, comme on le cite parfois du « cromlech de Crucuno »,
mais du « rectangle ou quadrilatère de Crucuno »). Enfin, le trilithe
est composé de deux pierres dressées verticalement, sur lesquelles
s'appuie un linteau horizontal. Tenons et mortaises peuvent assurer
à l'ensemble la rigidité souhaitée. Le dolmen (du breton dol = table
et men = pierre) est un monument plus complexe, constitué de
montants verticaux ou inclinés, supportant une ou des tables
horizontales. Outre le dolmen simple, caractérisé par le fait que ses
montants délimitent une surface au sol ronde, rectangulaire ou
polygonale, on définit :
— l'allée couverte : il s'agit d'une suite de montants supportant
des tables, formant un couloir coudé ou rectiligne, fermé à une
extrémité. À ce couloir se greffent éventuellement une ou plusieurs
chambres latérales.
— le dolmen à couloir ou à galerie : une chambre dolménique
est associée à un couloir d'accès en forme de V, de longueur
variable, moins haut et moins large que la chambre. Le couloir peut
soit être symétrique par rapport à la chambre, soit être le
prolongement d'une paroi de celle-ci ; dans ce dernier cas,
l'ensemble du monument affecte la forme d'un P.
— les dolmens et allées couvertes à supports unilatéraux : on
connaît de rares exemples de dolmens ou même d'allées couvertes
dont la ou les tables reposent en partie sur le sol, en partie sur des
montants. Il peut s'agir, dans certains cas, de constructions à demi
ruinées ; la plupart du temps cependant, la construction a été voulue
ainsi.
Un certain nombre de préhistoriens estiment que les divers types
de constructions dolméniques reprises ci-dessus constituent les
phases d'une évolution continue, à savoir : dolmen simple → dolmen
à couloir → allée couverte. Signalons pour en terminer avec les
constructions dolméniques, que bon nombre de celles-ci recèlent
des gravures d'un type particulier, disposées généralement sur les
faces intérieures des montants et sur les faces inférieures des
tables.
L'étymologie des termes « menhir » et « dolmen », donnée ci-
dessus, peut être sujette à controverse, puisque certains chercheurs
rejettent cette interprétation classique. Il s'agit pensons-nous, plus
d'une question de forme que de fond. En ce qui concerne l'origine du
mot « cromlech », deux théories s'opposent. Pour la majorité,
cromlech signifie « pierre courbe » (crom = courbe et lech = pierre).
Elle est conforme à la définition restrictive du cromlech que nous
avons donnée, qui ne s'applique qu'aux enceintes courbes. À
l'opposé, une autre théorie englobe sous la dénomination de
cromlech toute enceinte mégalithique, quelle que soit sa forme.
Dans cette optique, le préfixe crom n'a pas la signification de courbe,
mais désigne un dieu préceltique. « Cromlech » doit être alors traduit
par « lieu de Crom » ou « lieu dédié à Crom ». En ce qui nous
concerne, nous pensons que crom doit être pris dans son sens de
« courbe ». En effet, l'assimilation de ce préfixe au dieu
préhistorique est incertaine et peu convaincante, car il nous paraît
curieux que cette divinité ne soit associée qu'à un seul type de
mégalithe. Par contre, nous retiendrons le terme de « lieu » comme
traduction du breton lech, notre traduction de « cromlech » étant
alors « lieu — ou endroit — courbe ».

Le tumulus. Que les dolmens aient été, à l'origine, recouverts ou


non d'un tumulus est affaire d'opinion... ou de formation. Il n'en reste
pas moins que les tumulus sont une réalité, et qu'ils se trouvent
largement représentés en Bretagne. Et bien que le tumulus ne soit
pas un mégalithe stricto sensu, c'est sans hésitation que nous
l'insérons dans cette nomenclature, puisqu'il recouvre le plus
souvent une ou des constructions dolméniques. Le tumulus varie en
formes et en dimensions. On peut ainsi opposer le gigantesque
Mont-St-Michel au simple monticule d'Er-Hroek par exemple. De
base circulaire, elliptique ou ovale, les tumulus sont faits d'un
amoncellement de pierres, appelé galgal, ou cairn en anglais,
recouvrant une ou des constructions dolméniques. Certains tumulus
présentent cependant une architecture plus élaborée : le galgal
interne est englobé dans une couche de vase ou de terre : celle-ci à
son tour est recouverte d'un galgal externe d'épaisseur relativement
faible. Le tumulus abrite, approximativement en son centre, une ou
des chambres dolméniques ; d'autre part, des cercles ou des files de
menhirs peuvent être compris dans la masse tumulaire. Souvent
aussi, un mégalithe antérieur au tumulus est englobé par celui-ci
(comme au Mont-St-Michel par exemple).

N. T.

Il semble que les constructeurs l'aient inclus dans l'ensemble. Des


vases, du silex, deux clochettes de bronze étaient enterrés sous ce
dolmen. La crypte centrale révéla l'existence d'un matériel fabuleux :
39 haches en jadéite et en fibrolite, 136 pendeloques et grains de
colliers en callaïs — dont la couleur bleu-vert ravit le regard — du
silex, des perles d'ivoire, de la poterie. Cet endroit « païen » n'a pas
échappé à la volonté de christianisation et une chapelle dédiée à
saint Michel chapeaute cette éminence. Il faut savoir qu'une des
nombreuses légendes qui courent autour de ce monument, veut que
cet amas de pierres et de terre était une pénitence donnée par les
confesseurs. C'est donc la communauté pécheresse qui contribua —
toujours selon la légende — à l'érection du tumulus. Au solstice
d'été, le premier des feux de la Saint-Jean est allumé sur la butte de
Saint-Michel. Les bâtisseurs ne seraient-ils pas à l'origine de cette
tradition ?
Les alignements.
La civilisation mégalithique sous la forme d'alignements a une
réputation mondiale à Carnac. Ces alignements déroulent
actuellement leurs 2934 menhirs sur 4 km environ, depuis le
hameau du Ménec au nord-ouest de Carnac jusqu'au Ménec Vihan
(Petit-Ménec), au nord-est de Kerlescan. Mais ils devaient s'étendre
sur plus de 8 km, de Sainte-Barbe en Plouharnel jusqu'à la rivière de
Crach. Les trois champs du Ménec, de Kermario et de Kerlescan
rassemblent les alignements les mieux conservés.1
Le Ménec et Kerlescan ont la particularité de nous présenter à
l'ouest un vaste cromlech semi-circulaire d'où s'enfuient plusieurs
files. Le Ménec regroupe ainsi 70 pierres dans sa partie
hémisphérique et 1099 éléments sur 11 ou 12 files — 11 selon tous
les manuels d'archéologie et 12 selon Alexander Thom, qui fit le
premier inventaire complet. La hauteur de ces menhirs varie
progressivement de 4 m à 0,60 m à partir du cromlech. Ce site
mesure 100 m de large sur 1020 m de long (ou 1167 m avec le
cromlech) et la direction générale fait un angle avec le nord
géographique oscillant de 61 à 75°. À Kerlescan, le menhir supposé
indicateur d'un tertre allongé se dresse à côté de l'hémicycle qui
rassemble 39 menhirs, tandis que 555 se répartissent en 13 files.
Cet ensemble s'étend sur 880 m et 139 m. La hauteur varie de 4 m à
0,80 m. L'orientation de ce monument ne présente pas l'unité que
l'on peut observer au Ménec, en effet son axe varie de 95° à 36°,
laissant ainsi supposer que la construction connut plusieurs phases.
Un deuxième cromlech de 43 menhirs se déroule également au nord
de l'ensemble, ainsi d'ailleurs qu'une allée couverte à enceinte
rectangulaire malheureusement en très mauvais état. À Kermario le
cromlech a complètement disparu, seules sont restées 10 files de
1029 menhirs ondulant sur 1120 m de long et 100 m de large, avec
une orientation générale de 61 à 57°. Le plus grand menhir mesure
6 m 40 et est couché, le plus petit toujours vaillant mesure 0,50 m.
Au nord quelques grands menhirs couchés semblent attendre qu'on
veuille bien les ériger. Au sud, un dolmen à galerie dépouillé de son
tumulus — en eut-il jamais un ? — monte la garde tout au bord de la
route qui sinue à travers les alignements. L'homme n'a pas toujours
été bienveillant à l'égard de ces témoins du passé. C'est ainsi que la
route nationale a coupé la tête des alignements de Kerzerho sur la
commune d'Erdeven. Composé de 1129 menhirs répartis sur 10
lignes de 2105 m de long et 64 m de large, cet ensemble présente
en tête et à l'ouest de la route un menhir à cupules. À l'est de ces
alignements et perpendiculairement s'avancent 23 menhirs dont
deux dépassent 6 m. Ces 10 files sont d'abord orientées à 60°, puis
obliquent à 114° à partir de Mané-Bras, où se situent les vestiges
d'une enceinte carrée, et les files s'achèvent en se confondant les
unes les autres.
Le Manio.
Si vous le voulez, nous allons retourner entre les hameaux de
Kerlescan et Kermario. Là se situe un petit bois de pinèdes ; pour y
accéder nous laisserons la voiture à l'entrée du chemin à droite
après l'hémicycle terminal de Kerlescan. Nous rejoindrons à pied le
deuxième petit chemin à gauche et puis nous nous fierons aux
indications qui nous conduisent non loin de là au « Géant du
Manio ». Il s'agit en fait d'un menhir de 5 m 80 qui se dresse sur un
tertre artificiel. En 1922 ce site fut exploré et une enceinte
quadrilatère fut mise au jour. À dire vrai, il faut beaucoup
d'imagination pour voir que les petits menhirs fichés au sol sur la
droite peu avant le Géant font partie d'une enceinte, mais méthode
didactique : il en était ainsi ! Employons toujours la même méthode
pour vous dire qu'à la base de ce grand menhir sont gravés cinq
serpents se dressant sur leur queue. En fait, lors de notre
investigation, nous n'avons pu les déceler, ces gravures
apparaissant sur la partie enterrée du monument. Lors de la
découverte du site, cinq petites haches en pierre polie étaient
piquées en terre, à côté du Géant.
Mané-er-Grah (butte de la fée) et Table des Marchands.
Le menhir est l'expression la plus simple du mégalithisme, et le
plus célèbre d'entre eux est sans nul doute le menhir de Mané-er-
Grah à Locmariaquer. Ce géant mesurait 23 mètres. Il faut employer
l'imparfait pour parler de sa hauteur totale car il est aujourd'hui
couché et brisé en quatre morceaux — il manquerait un cinquième
fragment, dit-on. Les quatre éléments que l'on peut observer
actuellement mesurent 9 m 40, 5 m, 3 m et 2 m 90. Le grand menhir
brisé aurait un poids de 347,5 tonnes. Foudre, séisme, injonction
des conciles, affouillement naturel ou humain, volonté destructrice
non humaine, furent successivement invoqués pour expliquer sa
chute. Si l'origine de cette brisure n'est pas clairement expliquée
c'est sans doute à cause de la position au sol des quatre éléments.
En effet, lorsque raisonnablement on suppose que le colosse était
érigé sur sa base la plus large, on est en droit de s'étonner de
constater que l'élément supposé être la base soit en oblique par
rapport à l'alignement formé par les trois autres. Aussi, lorsqu'en
1882, trois éminents préhistoriens MM. Henri Martin, Lisch et de
Mortillet, décidèrent avec enthousiasme d'aller redresser le géant,
furent-ils décontenancés devant le problème que posait la répartition
au sol des quatre éléments. (Les travaux actuels d'Alexander Thom
ont démontré, par superposition de photo directe d'une base de
fragment sur la photo inversée de la base suivante, que les sections
s'accolent parfaitement). Et si le menhir de Mané-er-Grah avait été
érigé sur la base du plus petit de ses éléments ? Folle supposition,
direz-vous : mais vous qui lisez ces lignes, ne vous êtes-vous jamais
demandé s'ils n'étaient pas fous ces constructeurs de mégalithes ?
Si le grand menhir était érigé sur sa plus petite base, alors la
position actuelle des éléments brisés ne pose plus de problème. En
se fracturant à la suite d'on ne sait quelle force, la partie supérieure
la plus large a pu choir en virant de 60°. D'ailleurs, ainsi posé, ce
menhir n'en est que plus fragile et sa destruction plus plausible. De
toute façon, il semble que celle-ci soit postérieure à l'époque gallo-
romaine selon les vestiges qui furent retrouvés sous sa masse.
Scymnus de Chio, géographe du Ier siècle avant J.-C. écrivait dans
sa Description de la Grèce : « Les Celtes ont des coutumes
grecques... À l'extrémité de leur pays, se trouve une colonne
appelée colonne du Nord... elle se dresse en direction de la mer...
les habitants des régions voisines de cette colonne sont les derniers
Celtes et les Venètes. » On a tout lieu de croire qu'il s'agit là de notre
grand menhir.
Sans doute celui-ci était-il destiné à signaler la présence toute
proche du dolmen appelé la Table des Marchands. Cette appellation
proviendrait du nom Dol March'hand (table de l'allée du cheval), dont
les habitants de Locmariaquer affublaient le dolmen qui comporte la
gravure d'un cheval sur la face inférieure de la table. Ce dolmen à
couloir présente une table horizontale et dix-sept supports, que l'on
a recouverts afin de préserver les signes gravés sur les faces
intérieures de ce monument. En fait, avant cette mesure de
protection prise en 1936, l'ensemble présentait une table horizontale
supportée par trois montants verticaux. Mais à l'origine, un couloir
très allongé aurait conduit par une entrée basse à une chambre
nettement plus haute qu'un homme, et l'on peut actuellement visiter
le monument sous sa forme que l'on considère originelle, c'est-à-dire
sous tumulus. À l’intérieur, sous la table de couverture, sont gravés
une « hache », une « charrue », un « cheval ». Quant à la
magnifique pierre du fond qui supporte cette table, en forme d'écu
renversé, on peut y observer une curieuse représentation en relief
appelée « figure en marmite » ou encore « bouclier ogival ». Elle est
bordée d'une sorte de bandelette, d'où s'irradient en relief des demi-
cercles superposés. À l'intérieur de ce cadre se dressent sur quatre
rangs et de chaque côté d'un axe vertical, des reliefs en forme de
crosse. On en a dénombré une cinquantaine dans lesquels on a cru
voir des épis de blé. Ceux de gauche ont leur crosse dirigée à
gauche, et ceux de droite se penchent vers la droite. La partie
centrale séparant ces deux groupes recèle des signes au tracé
hésitant, l'un de ceux-ci en forme de cercle et occupant la partie
centrale semble figurer le soleil. L'ensemble fut interprété comme
étant une marmite pleine d'épis, une voile de bateau, une figuration
de la déesse-mère... rien ne vous empêche de jouer les Prévert et
de compléter cet inventaire.
La Table des Marchands, avant,
pendant et après « restauration ».
Mané - Lud.
Toujours à Locmariaquer, derrière la Table des Marchands, nous
trouvons Mané-Lud, « la montagne de cendre ». Elle se situe dans
un hameau, bâti à une centaine de mètres du grand menhir brisé. Le
nom « montagne de cendre » s'applique à une éminence de terre
qui recouvre presque entièrement un dolmen. 80 m de long, 5 m 50
de haut, voilà les dimensions de ce tertre d'un ovale allongé qui
comprend dans sa masse et à l'est, deux rangées de menhirs. Ce
tumulus fut fouillé par R. Galles en 1863-64, puis par Zacharie Le
Rouzic en 1911. Ils découvrirent des crânes de chevaux sur cinq des
menhirs que nous venons de voir. On peut supposer qu'il s'agit des
restes d'un sacrifice rituel lors de l'édification de cette butte
« sacrée ». Ce tumulus peut être comparé à celui de Saint-Michel ;
en effet un galgal central, ici de forme conique, est entouré d'une
importante couche de terre qui est elle-même flanquée d'une paroi
de pierres amassées. Au centre du cairn se découpe une crypte
voûtée en encorbellement de 2 m 25 de long. Des fragments de bois
enfouis superficiellement ont pu faire soupçonner l'existence d'un
plancher. Le dolmen quant à lui, est situé à l'ouest et tout à fait à la
périphérie du tumulus. Il s'agit d'un dolmen à couloir de construction
vraisemblablement antérieure à l'ensemble. Constitué par vingt-deux
supports soutenant cinq dalles, ce dolmen comprend donc un couloir
rectiligne qui aboutit à une chambre. Des gravures apparaissent sur
plusieurs montants, notamment des figures en peigne ou en bateau
sur les deux supports qui précèdent la chambre et sur la pierre du
fond.

Mané
- Lud
Mané - Rutual.
Restons à Locmariaquer pour y voir également le dolmen de
Mané-Rutual, monument peu couru et pourtant d'un volume
imposant. Ce beau monument fortement restauré, présente tout de
même trente supports bien conservés parmi la quarantaine qui le
constituent. Ce dolmen aurait connu le sort de la plupart de ces
monuments ; il aurait perdu son tumulus et en contre-partie on l'a
bardé de ciment par-ci par-là, ce qui a au moins le mérite de
contribuer à sa conservation. Tout en longueur, il présente un long
vestibule, une anti-chambre et une vaste chambre terminale de plan
circulaire. L'ensemble mesure 16 m de long, la largeur varie de 1 à
4 m. La hauteur va progressivement de la station courbée à l'entrée
du couloir vers la station debout dans la chambre. Sous la dalle de
couverture de la chambre — dalle de 11 m 30 sur 4 m 40 et pesant
75 tonnes ! — se dessine une figure en marmite, à vrai dire difficile à
déceler.

Mané
- Rutual
Le tumulus de Tumiac.
Tumiac est connu dans la presqu'île de Rhuys sous le nom de
« butte de César », car la légende raconte que celui-ci en fit un point
stratégique durant la bataille livrée contre les Venètes. Le tumulus
de Tumiac est un ouvrage qui s'impose de loin à la vue du
promeneur : 15 mètres de haut, 260 mètres de circonférence à la
base. De forme circulaire, son diamètre est de 55 mètres, et il est
composé d'un revêtement superficiel de pierres sous lequel une
importante couche de vase recouvre un galgal de forme conique où
gît la chambre. Cette dernière est située à l'est de l'ensemble, soit à
la limite du galgal. Ce caveau de 4 m 80 de long révèle une origine
bâtarde avec ses parois mi-dallées, mi-muraillées. On y a retrouvé
des morceaux de bois qui ont fait penser à un plancher, tout comme
à Mané-Lud. Lors des fouilles effectuées par le docteur Fouquet en
1852, on découvrit des haches en jadéite et environ 250 perles ou
pendeloques en callais. Des débris d'os humain ayant subi un début
de calcination furent également mis au jour.

Tumulus de Tumiac
Le tumulus de Mané-er-Hroek.
Dirigeons-nous vers la pointe de Kerpenhir. À un kilomètre après
Locmariaquer, un chemin à droite nous mènera à 20 mètres de là au
tumulus de Mané-er-Hroek. Ici le tertre est elliptique et mesure
10 mètres de haut, il n'est constitué que de cailloux. Un escalier a
été aménagé dans la pierraille afin de permettre au visiteur
d'atteindre le dolmen formé de piliers courts soutenant deux tables.
Ces montants sont gravés de haches emmanchées, de personnages
stylisés et de signes que vous renoncerez à identifier. Certaines de
ces gravures s'insèrent dans un bouclier ogival.

Les différents relevés de la stèle de Mané er Hroek par R. Galles (1863)

Cette chambre-dolmen fut creusée dans le sol et le fond fut dallé.


Le monument fut découvert en 1863 par R. Galles et Lefèvre. Il
recelait 106 haches en pierre polie, 49 perles et pendeloques en
callaïs et un anneau-disque en jadéite. À proximité du tumulus, dans
le mur de clôture à droite, sont encastrés des fragments de menhirs.
Tumulus de Mané-er-Hroek
Les Pierres- Plates.
Locmariaquer, La Mecque des tumulus et dolmens, recèle encore
la présence d'une magnifique allée couverte, celle des Pierres-
Plates.

Photo montant l'état de ce site avant sa restauration par Z. Le Rouzic.

Pour y accéder, il suffit de se rendre à l'extrémité de la route qui


longe le littoral, à deux kilomètres à l'ouest de la pointe de Kerpenhir.
Ce monument daterait de la seconde époque du néolithique. D'un
genre spécial, il fait partie de ces dolmens à couloir coudé, que l'on
trouve généralement au bord de la mer ou au bord d'une rivière à
proximité de la mer. Une pierre levée de 2 m 50 s'élève, tel un
sémaphore, devant et à droite de l'ensemble. Cette allée coudée de
pierres comprend dans sa concavité un cabinet latéral et à son
extrémité une chambre délimitée par une dalle transversale qui
recoupe le long couloir. Cet ensemble incurvé est recouvert de dix
dalles qui, par extraordinaire, sont très bien conservées. Une seule
dalle a suffi pour recouvrir la chambre du fond. L'allée couverte des
Pierres-Plates a la chance de comporter en ses flancs quelques
gravures dignes d'intérêt. Après le cabinet latéral, sur un support à
gauche, sont ciselés deux « yeux » tout ronds dans un réseau de
lignes courbées, enroulées sur elles-mêmes.

Cette figure énigmatique fit l'objet de comparaisons selon notre


vision des choses, c'est ainsi qu'on l'a rapprochée d'un poulpe, d'un
cerf-volant, d'un visage humain, etc... mais soyons honnêtes, cette
géométrie de courbes nous oblige à croire au « phénomène
mégalithique », qui ne peut s'insérer dans notre système de pensée.
En lisant cela, certains parleront d’anti-science... et pourtant il est
indubitable que nous sommes confrontés à une civilisation dont la
technologie et la pensée n'ont rien de commun avec les nôtres. Bref,
ces gravures sont gênantes et nous contraignent à réfléchir, plus
encore peut-être que l'érection des mégalithes. Nous devons
souligner également que Pierre Méreaux-Tanguy voit dans cette
allée coudée avec son cabinet latéral, le plan en coupe d'une hache
ou herminette. Nous terminerons la visite de l'intérieur des Pierres-
Plates, par l'examen d'un autre montant à droite, où sont encore
gravés « une feuille avec ses nervures » ou « une cage thoracique
avec son sternum et ses côtes ». Prosaïsme de bon aloi... et
rassurant.

Les pierres plates à Locmariaquer - Le site en l'état actuel.


Gavrinis et Er-Lannik.
L'île de Gavrinis — ou île de la chèvre — est située dans le golfe
du Morbihan, à hauteur et à l'est de Locmariaquer. On y trouve un
beau tumulus, désigné comme le plus beau monument mégalithique
du monde, et qui est surtout célèbre par ses nombreuses gravures.
Le tumulus lui-même, formé de pierres et de terre, est haut de huit
mètres : son diamètre est de 60 m environ, abritant un dolmen à
galerie. Le couloir, long de 13 m et large de 1 m 40 à 1 m 50, est
pavé de grosses dalles. De nombreuses gravures faisant penser à
des empreintes digitales, d'autres représentant ce que nous
appellerons des serpents, garnissent les parois. La chambre
dolménique elle-même est presque carrée (2 m 50 x 2 m 60) : sa
hauteur est de 1 m 80. Huit montants supportent une seule table aux
dimensions impressionnantes : 4 x 3 m environ. À gauche, des
anneaux de granite sont taillés, tandis que sur la paroi du fond, on
distingue une curieuse et grossière gravure représentant un
personnage assis, à forte tête et à petits pieds. Tous les matériaux
constituant ce dolmen à galerie sont en granite, à l'exception de
deux supports en quartz. D'autre part, certains blocs de granite ont
un grain étranger à ce que l'on trouve sur l'île ; ceci laisse supposer
qu'il y eut transport, à partir du continent, d'une partie des matériaux.

Au sud de Gavrinis, l'îlot d'Er-Lannik possède un cromlech double


: l'ensemble du monument, formé de deux cromlechs tangents,
affecte la forme d'un 8. Certains voient dans cette forme curieuse le
symbole de l'infini (∞).Les travaux de fouille et de restauration — Le
Rouzic lui-même a relevé 49 menhirs du premier cromlech, en 1926
— ont permis la mise au jour d'un mobilier si riche et si varié que
certains qualifient Er-Lannik d'atelier de haches et de poteries. Nous
nous permettons de retenir cette hypothèse et la mettons en relation
avec l'existence probable d'artisans hautement spécialisés dès le
paléolithique supérieur. Nous n'omettrons bien sûr pas de
mentionner l'hypothèse selon laquelle Er-Lannik serait un temple
comparable à Stonehenge, le mobilier découvert constituant des
offrandes. La présence, au pied de certains menhirs du deuxième
cromlech, de « foyers rituels » contenant des cendres, des
ossements et des dents d'animaux, paraît devoir confirmer cette
théorie. Nous pourrions cependant admettre que ces « foyers »
n'avaient rien de rituel, mais étaient les « barbecues » de l'époque.
Et pourquoi pas ? Dernier point important en ce qui concerne Er-
Lannik : les trois-quarts du monument sont submergés par les flots à
marée haute, le cromlech n°1 quant à lui est sous eau en
permanence. Il apparaît dès lors, que l'affaissement du golfe, depuis
la construction du cromlech, a été de 7 mètres au moins.
Crucuno.
Entre Erdeven et Ploemel, le hameau de Crucuno réunit quelques
maisons. L'une d'elles est attenante à une relique de dolmen de
belle allure.

Ce monument du type dolmen à couloir, a perdu sa galerie, seule


subsiste la chambre. On peut certes déplorer que cet édifice ne soit
pas parvenu jusqu'à nous dans son intégralité, mais nous pouvons
encore néanmoins admirer cette chambre magnifiquement bien
conservée, quoique écrasée par la proximité des maisons
d'habitation. De plan carré, elle s'élève à 1 m 75 du sol. Neuf
supports soutiennent une énorme dalle de 6 mètres sur 4 et épaisse
de 1 m 20, constituant ainsi la chambre à son origine, puis deux
supports soutenant le reliquat d'une seconde dalle de couverture
nous permettent d'imaginer la galerie qui accédait à la chambre
décrite ci-avant. Nous nous éloignons des quelques fermes de
Crucuno et nous dirigeons vers le sud-est par un petit chemin qui
descend ; nous croisons quelques volatiles, mères poules et
poussins, puis nous arrivons à Park er Vinglas, à 300 m du dolmen.
Un lieu-dit dont un champ à droite du chemin comporte en son
extrémité un ensemble de 22 pierres disposées en rectangle que
l'on a appelé le quadrilatère de Crucuno. Ce rectangle mégalithique
mesure 35 mètres de long sur 26 mètres de large. Mais sachez déjà
que, lorsque vous irez voir le quadrilatère de Crucuno, vous serez
déçu de ne pouvoir embrasser du regard ces vingt-deux monolithes,
car la bruyère et les ronces les ont envahis et se sont haussées
presque jusqu'à leur sommet qui s'élève entre deux et trois mètres
du sol. La position du site est actuellement contestée, car les quatre
côtés du quadrilatère visent les points cardinaux et les diagonales
voient les levers du soleil aux solstices, à la suite d'une restauration
dont la fidélité est mise en doute par les sceptiques. De plus,
coïncidence ou volonté des constructeurs : une longueur, une
largeur et une diagonale forment un triangle rectangle dans le
rapport 3 - 4 - 5, triangle dit de Pythagore. Pourquoi ce plan bien
précis ? En tous cas, l'architecte avait effectué quelques
pérégrinations dans le bassin oriental de la Méditerranée, ou alors
Pythagore avait ramené en Orient le plan de Crucuno ? Restauration
tendancieuse, disent certains. Peut-être, mais n'était-il pas plus
simple de reconstituer le plan initial à partir des menhirs couchés à
proximité de leurs trous, plutôt que de créer ce magnifique ensemble
géométrique ?

Le quadrilatère de Crucuno
Le tumulus du Moustoir.
Situé dans la région de Carnac, entre la D186 et la D119, à droite
du chemin, le tumulus du Moustoir est de conception identique à
celui de Saint-Michel. Il mesure 85 mètres de long sur 36 mètres de
large et s'élève à 5 mètres. Un revêtement de pierres très érodées
recouvre une importante couche de vase, laquelle dissimule un
galgal de forme elliptique contenant un foyer, plusieurs pierres
levées et quelques coffres. Une chambre de construction antérieure
est noyée dans la couche de vase. Un menhir de deux mètres
surmonte l'ensemble. Galles et Le Rouzic ont fouillé ce tumulus
respectivement en 1864 et en 1927 ; des ossements humains, de la
poterie, du charbon, des ossements d'animaux furent recueillis qui
accréditèrent la thèse du tumulus-tombeau.
Kériaval et Mané-Kérioned.
Sur la N168 en direction d'Auray, cent mètres après le carrefour
avec la D186, vous laissez la voiture à droite sur le bord de la route
et vous prenez un sentier qui vous conduit non loin de là à un
dolmen malheureusement très délabré, mais de construction
intéressante puisqu'il s'agit d'un dolmen à cabinets latéraux.

La galerie ne comporte plus que douze supports et une dalle de


protection. Quant aux cabinets latéraux ou chambres il en reste deux
au nord de l'ensemble. Une de ces chambres est parvenue intacte
jusqu'à nous avec quatre montants et une dalle couvrante : tandis
que l'autre, également recouverte d'une table, se tient sur trois
pierres. Le début d'un troisième cabinet au sud nous aide à imaginer
l'ensemble, perdu actuellement sous une bruyère prolifique. Après
Kériaval, revenez sur la grand-route que vous traversez pour monter
la butte juste avant le carrefour. Vous aurez la surprise, en haut des
quelques marches, de découvrir trois dolmens. Trois dolmens peu
banaux. En effet : devant vous à gauche un dolmen avec ses
montants, ses trois dalles de couverture, une entrée dirigée vers
vous, seule une dalle de couverture manque vous permettant de
faire une photo de l'intérieur de la galerie ainsi formée. Puis toujours
devant vous, mais à droite et perpendiculaire au premier, un second
monument est partiellement enfoui dans le sol, son entrée donne au
nord-est et le sol en est dallé. Le troisième quant à lui, s'inscrit
entièrement dans la butte et se présente à votre extrême droite. Sa
situation est parallèle à celle du premier. Vous descendez les degrés
qui ont été aménagés pour accéder à l'intérieur, où vous pourrez
admirer à l'aide d'une lampe de poche, des haches emmanchées et
autres gravures mal définies sur huit supports. Ces trois monuments,
situés à des niveaux différents, semblent avoir été recouverts
entièrement par cette éminence qui est actuellement coupée en
deux par la route nationale d'Auray à Plouharnel. Vous subirez sans
doute l'envoûtement qui émane de cet endroit isolé, et vous
transportera quelques milliers d'années en arrière : dolmens-
tombeaux, monuments religieux... La question se pose avec une
plus grande acuité encore à Mané-Kérioned, qui se garde bien de
dévoiler son mystère.
Avec ou sans tumulus ?
Les dolmens étaient-ils sous tumulus ? Il est inutile d'avancer des
certitudes qui ne font qu'engendrer des polémiques et retardent
plutôt que de faire avancer la recherche archéologique. N'est-il pas
préférable de poser la question : certains dolmens n'étaient-ils pas
sous tumulus ? Car s'ils avaient tous été protégés par un tumulus
ainsi qu'Adrien de Mortillet au début de ce siècle le prôna, on peut
se demander pourquoi certains sont entièrement découverts et
d'autres point. L'érosion, cause de ce décalottement, aurait agi
sélectivement ? Certes non, les agents atmosphériques n'auraient
exercé leur action que sur les tumulus constitués exclusivement de
terre, répondent les disciples de M. de Mortillet, tandis que les
éminences comprenant des cailloux sont parvenues jusqu'à nous.
Cette réponse est valable, par contre l'affirmation : « Il existe plus de
dolmens à l'air libre qu'enfouis sous tumulus, ce qui confirme la
thèse du dolmen sans tumulus » (Niel), contient le réductionnisme
indispensable à notre sérénité d'esprit ! Et puis l'homme a joint son
action à celle des agents naturels en utilisant pour son compte
personnel les pierres ainsi entassées. Dans ce cas, certains se
demandent alors pourquoi les dolmens érigés en régions
caillouteuses ont été dépouillés de leur tumulus alors que le
matériau convoité gît sur le sol. C'est ainsi que dans les Cévennes
et les Causses, comme partout ailleurs, beaucoup de dolmens sont
à l'air libre et pourtant la pierre fait la « prospérité » de ces deux
régions. De plus, pourquoi l'homme se serait-il amusé à dépouiller
certains tumulus jusqu'au dernier grain de sable ? Il est plausible
que l'homme prélève une partie des matériaux mais pas
systématiquement tout ce qui constitue le tumulus. On a aussi
supposé que des dolmens primitivement dénudés avaient été
recouverts à une époque postérieure, à cause du contenu qui aurait
été déposé en plusieurs temps successifs, ainsi le dolmen du pic de
Ransas en Lozère. Il y a aussi les dolmens scandinaves et bretons,
tels la Table des Marchands, qui comportent sur les faces
extérieures des montants ou des tables, des gravures qui auraient
donc été complètement dissimulées par la chape tumulaire ? Pour
pouvoir défendre sans coup férir la thèse du dolmen sans tumulus, il
faut n'avoir vu que des dolmens à l'air libre, et puis il faut n'être
jamais allé à Mané-Kérioned. En effet, comment s'expliquer, sinon
en le passant sous silence, la présence de ces trois dolmens dont
l'un est entièrement découvert, l'autre à moitié recouvert, le troisième
entièrement enfoui et le tout sur une éminence qui n'a pas fait l'objet
d'une restauration connue ?

Vue d'ensemble de Mané-Kérioned : sous tumulus en partie seulement


(détail sur la page suivante).
Une réutilisation tardive.
Selon l'opinion la plus répandue, les premiers mégalithes seraient
apparus vers 4000 avant notre ère en Armorique.2 On suppose
qu'un peuple, que nous appellerons constructeur de mégalithes car
nous ignorons son nom, vint supplanter les Teviec, bien avant
l'arrivée des Gaulois. Assez bizarrement, tout ce qui concerne ce
peuple nous est parfaitement inconnu, seuls ces édifices
gigantesques nous sont restés sans aucun indice sur leur
destination, ni sur les moyens mis en œuvre pour les édifier. Nous
savons seulement, en ce qui concerne les cromlechs, qu'au premier
siècle avant J.-C., soit trente siècles plus tard « les habitants
honorent Apollon plus que partout ailleurs... Une enceinte sacrée lui
est dédiée dans l'île ainsi qu'un magnifique temple circulaire, orné de
riches offrandes » (Diodore de Sicile rapportant les dires d'Hécatée
au sujet de Stonehenge). Donc 3000 ans après leur établissement,
les cromlechs servaient de temples solaires ; mais les architectes de
tels ensembles les avaient-ils conçus en ce sens ? De nos jours, on
affirme souvent que ces édifices avaient eu un caractère sacré dès
leur érection. Cette argumentation se base sur le fait que la religion
chrétienne, religion intolérante, a investi un grand nombre de
monuments mégalithiques. Cela est vrai, mais n'oublions pas que
peu avant l'avènement du christianisme, c'étaient les Celtes qui
honoraient leurs dieux dans ces « temples ». Il semble d'autant plus
certain que l'idée première des bâtisseurs n'était pas d'honorer une
divinité, que les « lieux divins » sont trop nombreux et ont tous
requis des moyens cyclopéens. Songeons aux lieux saints du
christianisme (Lourdes, Saint-Jacques de Compostelle,
Jérusalem…) : ces monuments importants sont de loin plus
disséminés dans l'espace et ont nécessité des moyens à la mesure
de l'homme. Alors, pourquoi ne pas admettre l'existence d'une
civilisation différente de la nôtre, avec sa technologie et sa pensée,
telles que nous ne pouvons même pas les concevoir ? Mais là,
d'aucuns parleront d'anti-science, de progrès à rebours ! Et ces
monuments millénaires continueront de traverser les époques, en
dépit des destructions naturelles et humaines. Non sans nous
narguer, nous et notre science.

NICOLE TORCHET
Des tonnes posées en douceur.
Un détail jamais souligné jusqu'ici, semble-t-il, oblige à penser que
les constructeurs de mégalithes possédaient une méthode
permettant de manipuler les blocs gigantesques en douceur : il s'agit
des pierres de calage des dolmens. Un dolmen est fait d'une ou
plusieurs tables posées sur des dalles verticales formant support.
Or, très souvent, la table ne repose pas directement sur les
supports : une petite pierre, grosse comme un livre de poche, a été
délicatement glissée entre les deux blocs pour servir de coussin.
Rien n'est fascinant comme l'étude approfondie de ces petites cales.
Leur signification technologique s'impose à l'esprit, et cette
signification est bouleversante. La présence de ces pierres de
calage sous les dalles des dolmens signifie donc que ces dalles ont
été posées en douceur sur leurs supports. L'hypothèse cent fois
exposée qu'elles furent tirées latéralement et à force sur leurs
supports préalablement enterrés explique tout, sauf la présence de
ces irréfutables petites pierres. Elles sont là, et rien ne sert
d'imaginer des théories qui n'en tiennent pas compte. Au dolmen de
Kermané, par exemple, sur deux petites pierres de 15 centimètres
de côté et de 7 centimètres d'épaisseur, repose tout le côté nord-
ouest de la table, qui doit peser environ sept tonnes. Il crève les
yeux qu'elles ont été placées là par une main qui les tenait entre le
pouce et l'index tandis que la dalle (par quels moyens, grands
dieux ?) descendait lentement sur son socle (...). Le moindre
mouvement latéral eût arraché ces pierres de calage. On a même la
preuve que le dispositif de descente verticale a parfois échappé au
contrôle des mystérieux ingénieurs néolithiques : à la Table des
Marchands, la grande pierre sculptée du fond a son sommet éclaté,
comme si la table était tombée trop brusquement. Au Mané-Rutual,
même observation, confirmée par un autre détail : la grande dalle
s'est rompue du côté de l'entrée. Au Mané-Lud, la grande dalle a
tourné de 90 degrés.

Quelques semaines après mon arrivée en Bretagne, je rencontrai


un spécialiste et lui demandai, en prenant garde de ne pas préciser
ma pensée, s'il existait une étude systématique de ces petites
pierres. Non, pas à sa connaissance. Mon interlocuteur parut
d'abord intéressé :
— Une telle étude, dit-il, éclairerait peut-être en effet quelques
points techniques obscurs.
— Il faudrait donner cette idée à un étudiant ayant les moyens de
se déplacer, etc. Tandis qu'il me parlait, son visage se tendait.
Soudain, il me regarda de cet air ironique et soupçonneux que nous
connaissons bien, Bergier, Pauwels, moi et quelques autres.
— Dites-moi, que diable voulez-vous prouver avec vos pierres de
calage ?
— Existent-elles ou non ?
— Sans doute. Mais à y bien penser, leur disposition montre qu'il a
fallu, pour les placer, soulever la dalle et la reposer doucement. Il est
donc exclu que les constructeurs de mégalithes y soient pour
quelque chose. Ils ne s'y prenaient pas ainsi, et pour cause !
Comment auraient-ils pu le faire avec leurs moyens primitifs ?
— Qui donc les a placées là, ces pierres ?
— Quelque restaurateur. Le Rouzic par exemple. Il a dû soulever
avec un cric la dalle mal équilibrée et glisser une pierre en croyant
bien faire.
— Et dans les dolmens couverts, quand des milliers de tonnes de
pierres et de terre pèsent encore sur la table, à Gavrinis, à l'île-
Longue, au Mané-er-Hroek, à Saint-Michel, à Kercado ?
— Prétendriez-vous qu'il y en a là aussi ?
— Voulez-vous venir les voir avec moi ?
— Monsieur, je n'ai pas de temps à perdre. C'est absurde ! Eh
oui ! C'est absurde et impossible. Il faut donc détourner les yeux.
(Aimé Michel « La plus vieille religion d'Europe ». in Planète n° 9
1963)
À LA RECHERCHE D'UN PASSÉ

Il convient, à présent que nous avons fait connaissance avec les


constructions mégalithiques du Morbihan, de les intégrer dans un
contexte historique, d'établir des relations entre les mégalithes et
l'environnement géographique et culturel de cette période. On ne
peut en effet ignorer que les dolmens principalement ont livré un
nombreux mobilier lithique, des céramiques, des ossements, des
objets en métal... Pas plus qu'on ne doit laisser de côté les divers
agents naturels qui ont eu tant d'importance pour les hommes
d'alors. Vous aurez l'occasion de le remarquer en cours de lecture,
cette intégration n'est que très partielle : on a certes de bonnes
notions de ce que pouvaient être ces populations méso- et
néolithiques qui laissèrent de nombreuses traces de leur mode de
vie. On peut estimer cependant que les relations directes qui ont été
établies entre les constructions mégalithiques et les vestiges des
cultures du néolithique qui y ont été découverts sont trop définitives.
Il est sans doute indispensable pour certains chercheurs de caser,
vaille que vaille et en poussant là où çà accroche, le phénomène
mégalithique dans un système d'évolution normal, traditionnel et,
pour tout dire, rassurant. Pour nous, le mégalithisme est un élément
que nous ne parvenons pas encore à placer au bon endroit, ni
même à situer exactement. Qu'importe ! Le mégalithe ne nous
dérange pas : il nous intéresse. C'est dans cet esprit que cet article
a été conçu ; c'est dans cet esprit que je vous convie à cette
recherche d'un passé.
Petite histoire d'une préhistoire.
Si la préhistoire est une science relativement jeune, les érudits des
siècles passés n'ont pas manqué de s'intéresser aux mégalithes.
Leurs théories font parfois sourire aujourd'hui ; leurs écrits n'en
restent pas moins intéressants à plus d'un titre, spécialement en ce
qui concerne les descriptions de sites qui, depuis, ont disparu sous
la pioche des terrassiers, ou les tumulus des restaurateurs. D'autre
part, il serait impensable de ne pas rendre hommage à Zacharie Le
Rouzic, dont le nom est désormais passé à la postérité ; il n'est pas
un seul ouvrage traitant du mégalithisme breton qui ne le cite. Je me
propose donc de décrire dans les grandes lignes ce que furent les
travaux de ces pionniers.
C'est dès le début du XVIIIe siècle que se manifeste un certain
intérêt scientifique pour les constructions mégalithiques : outre de
nombreuses descriptions, le Président de Robien fouilla quelques
dolmens. C'est au XVIIIe siècle également que naquit la fameuse
école des celtomanes, encore désignée sous le nom de leurs deux
personnalités les plus marquantes : Cambry et le citoyen Coret —
autrement dit, la Tour d'Auvergne. Les celtomanes attribuaient la
construction des mégalithes, pris dans leur sens le plus large
d'ailleurs, aux populations celtiques. À l'opposé des disciples de
l'école de Cambry, le comte de Caylus (1692-1765) professait, dans
son recueil d'« Antiquités égyptiennes, étrusques, grecques,
romaines et gauloises », que les mégalithes étaient bien antérieurs
aux Celtes. Cette idée allait d'ailleurs être défendue par le Grand
d'Aussy... Mais sans grand succès immédiat : l'origine celtique des
mégalithes ne fut abandonnée par le plus grand nombre que
quelque cinquante ans plus tard.
Le 29 mai 1826 était fondée, à Vannes, la Société Polymathique
du Morbihan, qui prit, par la suite, une large part dans l'étude des
mégalithes morbihannais. Les fouilles systématiques commencèrent
en 1853, avec l'exploration de Tumiac. Puis, entre 1860 et 1870, les
constructions les plus célèbres (le Mont St-Michel, le Mané-Rutual,
le Moustoir) furent à leur tour étudiées par MM. Galles, Lefèvre, de
Closmadeuc, pour compte de la Société Polymathique du Morbihan.
Le grand départ était donné : en 1873, l’Écossais James Miln
s'installa à Carnac, et y fonda le Musée. En 1908, Déchelette, dans
son Manuel déjà cité, consacrait plusieurs chapitres aux problèmes
mégalithiques, et développait sa fameuse théorie des « leviers
jointifs ». Enfin, Zacharie Le Rouzic (1864-1939) poursuivit le travail
commencé par James Miln, fouillant et découvrant sans relâche,
faisant connaître au monde savant les trésors des mégalithes du
Morbihan. Il s'associa bientôt à Louis Marsille.
Le prémégalithisme.
J'engloberai sous ce vocable toutes les cultures qui ont précédé le
phénomène mégalithique. Ces cultures ne sont certes pas
directement liées au sujet qui nous préoccupe ; cependant, les
lignes qui suivent permettront au lecteur de mieux situer certains
objets exposés dans les musées locaux. Du paléolithique, on ne sait
que très peu. Quelques objets, quelques stations de l'Acheuléen et
du Levalloisien, que je ne décrirai pas, faute de place. Le
mésolithique, par contre, est largement représenté par le
Tardenoisien. On a découvert plusieurs parties de squelettes se
rattachant à un type racial bien particulier dit « de Téviec »,
caractérisé par une nette tendance à la mésocéphalie, un menton
saillant, un squelette peu robuste et une petite taille. Le Professeur
Valois voit en l'homme de Téviec un descendant de l'homme de
Chancelade (type humain du paléolithique supérieur qui est à
rapprocher des Eskimos). Il est intéressant de remarquer que ce
type de Téviec se retrouve nettement, encore de nos jours, dans la
région du Morbihan. Pour résumer les principales caractéristiques de
la culture des Tardenoisiens, je dirai qu'ils vivaient de chasse et de
cueillette, mais surtout de pêche, ainsi qu'en témoignent les
Kjôkkenmôddings (amas de déchets de cuisine constitués
principalement de coquillages). Les tombes tardenoisiennes étaient
recouvertes d'un dallage de pierre, parfois surmonté d'un mausolée.
Les cadavres, saupoudrés d'ocre, étaient assis ou recroquevillés.
L'industrie lithique enfin est basée sur le microlithe, à l'opposé de
celle que l'on trouve dans certaines stations plus continentales,
caractérisant un faciès industriel campignien légèrement antérieur.
Mégalithique et néolithique.
La période que l'on appelle, un peu arbitrairement, néolithique, est
étroitement associée au mégalithisme. Appellation arbitraire, disais-
je, car il serait vain de chercher une frontière nette entre un
mésolithique qui se prolonge et un néolithique naissant et balbutiant.
Ce phénomène n'est d'ailleurs pas une exception : j'ai eu l'occasion
de le mentionner déjà, au cours de précédents articles sur la
préhistoire. Je me refuse à affirmer que ces néolithiques dont je vais
parler sont les constructeurs des monuments mégalithiques. Cette
Idée n'est pas à rejeter, puisque nous n'avons pas de preuve
formelle qu'elle est fausse ; les thèses développées dans les articles
qui suivent (basées sur les travaux d'Alexander Thom et de Colin
Renfrew, notamment) et même une certaine objectivité que je
pourrais appeler « bon sens » font distinguer ces deux concepts très
différents que sont le mégalithisme d'une part, la culture néolithique
d'autre part. Une chose paraît acquise cependant : les néolithiques
ont utilisé les mégalithes comme monuments religieux ; quoi qu'en
disent certains chercheurs, les ossements humains et d'animaux se
retrouvent dans les dolmens en assez grande quantité. D'autre part,
il ne faut pas perdre de vue que la terre bretonne n'est, en général,
guère propice à la conservation des ossements : le fort pourcentage
en phosphate de chaux contenu dans le sol a dû faire disparaître
beaucoup de squelettes, particulièrement à certains endroits où l'on
ne retrouve rien (ce qui n'implique pas nécessairement que, à ces
endroits, il y avait quelque chose). Comment expliquer, si nous
n'admettons pas l'hypothèse du mégalithe-tombeau, la découverte
d'une cinquantaine de squelettes dans deux dolmens situés à Port-
Blanc, à un endroit où, comme par hasard, le sol contient peu de
phosphate de chaux ?
Il semble d'ailleurs qu'une même sépulture ait servi plusieurs fois :
les inhumations successives sont parfaitement mises en évidence
dans plusieurs constructions dolméniques, où un dallage sépare
deux couches de sépultures collectives. Parfois d'ailleurs, on a
l'impression qu'il s'agissait de véritables ossuaires. Pour prendre un
exemple récent et significatif, quittons un instant le Morbihan.
Chacun se souvient de cette gigantesque tombe collective
découverte à la Chaussée-Tirancourt, en Picardie. Ce mégalithe
avait révélé la présence de quelque trois cents squelettes entassés
et enchevêtrés dans un parfait désordre, formant plusieurs couches
successives. On peut donc penser, lorsqu'on examine l'ensemble
des mégalithes-tombeaux, que la fonction funéraire des
constructions mégalithiques au néolithique est double : d'une part
véritables sépultures, collectives certes, mais ordonnées, entourées
d'un cérémonial respectueux des règles, d'autre part ossuaires où
étaient entassés, sans grands ménagements, les cadavres des
représentants d'une classe inférieure (c'est-à-dire, soit des ennemis,
soit des esclaves). Enfin, et toujours dans le même esprit
d'utilisations successives des constructions mégalithiques comme
tombeaux, on retrouve parfois, dans ces monuments, des vestiges
de civilisations bien postérieures : squelettes de l’énéolithique,
poteries hallstattiennes et monnaies romaines. À titre d'hypothèse, je
peux donc mettre en évidence deux phases distinctes dans l'histoire
des mégalithes :
1. ils sont construits par un peuple inconnu (qui ne vient pas
nécessairement du fond du cosmos et qui n'a pas obligatoirement
atteint un niveau technologique comparable au nôtre), pour une
raison que nous ne connaissons pas encore ; les études « extra-
archéologiques » (astronomiques entre autres) entreprises
récemment nous permettent cependant d'appréhender des
solutions.
2. des peuples néolithiques plus primitifs, ignorant l'usage réel des
mégalithes, y attachant peut-être une notion de superstition, ou
trouvant simplement pareille construction pratique (ce que je ne crois
pas) y enterrent — ou y entassent, la plupart du temps — leurs
morts.

Si nous savons relativement bien à quelle époque vivait l'homme


néolithique, nous n'avons par contre aucune indication quant à l'âge
à donner aux monuments eux-mêmes. J'inclinerais cependant à
penser qu'ils sont antérieurs au néolithique car, si néolithiques et
mégalithiques avaient été contemporains, il est peu probable que
ceux-ci auraient autorisé ceux-là à utiliser leurs constructions à des
fins funéraires. Par contre, on conçoit parfaitement bien que, à
l'époque néolithique, l'usage premier du mégalithe n'ait plus été
qu'un souvenir vague et déformé, entaché de superstitions et de
crainte. Cette idée, pour être relativement logique, n'en reste pas
moins sujette à discussions infinies. Cependant, un argument
favorable, mais non décisif — car portant sur deux expériences
seulement, — est la datation du contenu d'une chambre latérale du
tumulus Saint-Michel, toujours effectuée par la méthode du C-14 :
les résultats donnent les dates de 7030 et 6650 avant J.-C. Le
problème est évidemment de savoir s'il faut prendre ces dates en
considération. Les diffu-sionnistes, partisans du « mirage de
l'Orient », ne peuvent évidemment concéder une telle ancienneté à
un mégalithe européen, et ces résultats « aberrants » sont dus,
selon eux, à une erreur de manipulation. N'étant pas diffusionniste,
je ne vois pas de raison d'écarter ces dates a priori et leur accorde
une valeur raisonnablement sceptique.
Abordant pour la première fois le problème du niveau marin, si
fluctuant dans cette région, je précise que l'océan, après un
maximum de régression environ 18.000 avant J.-C. s'élançait à
l'assaut des terres. Cette transgression, que l'on appelle la
« transgression flandrienne », n'était pas arrivée à son maximum en
- 4500, puisque Téviec n'était encore qu'une presqu'île. Cette
montée se continue bien sûr, plus ou moins régulièrement, au cours
des millénaires qui suivent.

On constate en tout cas que les flots n'avaient pas encore atteint
le site d'Er-Lannik (aujourd'hui en grande partie submergé), en —
3000 : le niveau de l'océan, au début du troisième millénaire, était
encore de 5 m plus bas que le niveau actuel (Y. Rollando, « La
géologie vannetaise »),
Au deuxième millénaire, le niveau est à - 2 m, il atteint le niveau 0
approximativement au début de notre ère : enfin, son avance
maximum se situe au Ve siècle de notre ère, à environ + 4 m. À partir
de cette époque, la mer se retire lentement, pour atteindre son
niveau actuel. Il ne faudrait cependant pas croire, à la lecture de ce
très sommaire résumé, que la montée des eaux ait été parfaitement
régulière : les petites régressions, suivies d'une reprise de
transgression, ont été fréquentes. Je n'insisterai cependant pas sur
ce point, secondaire ici. Enfin, et pour en terminer, il faut signaler le
réchauffement notable du climat : l'élévation de température
amorcée à la fin du paléolithique supérieur avait permis
l'instauration, au début du néolithique, d'un climat humide, sans
doute plus chaud qu'actuellement, favorable à la culture des
céréales en général, (et du blé en particulier), et à l'envahissement
progressif des forêts.
Le mobilier du néolithique.
Au point où en sont les choses, il devient évidemment difficile de
décrire la civilisation néolithique de façon précise. Je partirai du
principe énoncé plus haut pour admettre que le mobilier mis au jour
dans les monuments mégalithiques — et principalement dans les
constructions dolméniques, avec ou sans tumulus — se rapporte à
ces cultures néolithiques qui utilisèrent les mégalithes à des fins
diverses, très différentes sans doute du pourquoi de leur érection.
Dans les pages qui suivent, je décrirai ce mobilier, à savoir :
l'outillage lithique, les objets de parure, les céramiques et les objets
en métal.
L'OUTILLAGE ET LES BIJOUX EN PIERRE
À ce point de vue, le néolithique est une continuation des époques
précédentes. On remarquera une évolution lente dans la fabrication
des objets en pierre. Mais aux instruments et armes frustes tels que
grattoirs, pointes de flèche à pédoncule, haches plus ou moins bien
polies, perçoirs, il faut opposer les haches magnifiques découvertes
dans quelques grands tumulus. Je n'en décrirai qu'un exemplaire
exceptionnel, qui est sans doute un des plus beaux objets
préhistoriques qu'il m'ait été donné d'admirer. Cette grande hache,
découverte au Mané-er-Hroek, est en jadéite. Parfaitement polie,
d'une symétrie rigoureuse, à arête latérale, elle possède un talon
triangulaire effilé, un tranchant de forme très pure. Aucune trace
d'usure ne défigure ce chef-d'œuvre, ce qui laisse à penser que,
comme ses consœurs, elle avait une fonction unique d'ornement.
Mais il y a plus : à cette hache était associé un anneau-disque de
jadéite également. Je ne peux m'empêcher de comparer ces
disques (car l'exemplaire n'est pas unique) aux fameux disques pî
chinois, étudiés et décrits par Henri Michel dans le n° 13 de
KADATH. Car les ressemblances sont grandes entre nos anneaux-
disques bretons et les pî les plus anciens, dont l'âge est estimé à
environ 1200 avant J.-C., et qui ne présentaient encore aucune
gravure. La juxtaposition d'un pî archaïque et d'un anneau breton du
Mané-er-Hroek en dit long à ce sujet. Précisons que l'anneau-disque
est généralement présenté comme un objet de parure, comme un
bracelet pour être précis. On peut en conclure dès lors (découverte
capitale) que les néolithiques étaient masochistes : les bords
intérieurs de ces bracelets devaient, avec leurs arêtes vives et
tranchantes, leur entailler les poignets au bout de très peu de temps.
Hache et anneaux-disques en jadéite, provenant de Mané-er-Hroek.

LES OBJETS DE PARURE


Ils sont divers : pendentifs en pierre, galets en quartz formant
collier, anneaux en schiste, mais surtout les bijoux en callaïs.
Compte tenu, d'une part, de l'importance régionale de cette matière,
qui jouit d'une grande faveur à cette époque et, d'autre part, du
climat de mystère (habilement exploité par certains) qui l'entoure, je
crois utile de faire une petite mise au point à ce sujet. Les bijoux en
callaïs — ou callaïte — se présentent, soit sous forme de colliers de
perles discoïdales, cylindriques, ou en « grains de maïs » (les plus
courants), soit sous forme de pendeloques. On peut en admirer
quelques beaux exemplaires aux musées de Carnac et de Vannes.
Collier en callaïs, Musée de Vannes.

Pierre généralement vert-émeraude, elle peut prendre une couleur


blanc-grisâtre due à une altération provoquée par les conditions
d'enfouissement. La callaïs est un phosphate de cuivre-aluminium
hydraté — CuAI6, : [(OH)2 PO4]4. 4H20 — très proche de la
turquoise :turquoise et callaïs peuvent d'ailleurs être associées dans
les mêmes gisements. La callaïs était connue de Pline le naturaliste,
qui la décrit comme suit : « La callaïs est d'un vert pâle. On la trouve
au delà des Indes (...) au mont Caucase (...). Elle est d'une grosseur
remarquable, mais pleine de trous et d'impuretés. On trouve cette
pierre dans des rochers inaccessibles et couverts de glace ; elle y
est élevée en bosse à peu près comme un œil et ne tient que
légèrement aux rochers qui la produisent, en sorte qu'on dirait
qu'elle n'y est pas venue naturellement, mais qu'elle y a été
attachée. »
Il semble en tout cas que cette pierre ait été particulièrement
appréciée des bâtisseurs de mégalithes du Morbihan, puisque 737
perles et 35 pendeloques ont été découvertes à ce jour dans les
sites de la région, spécialement dans les grands tumulus (238 grains
à Tumiac, 126 au Mont St-Michel). N'en concluons cependant pas
que le Morbihan avait l'exclusivité de la pierre verte, que l'on
retrouve un peu partout en France. Le lieu d'extraction de la callaïs
n'a pu être défini. D'après certains auteurs, la pierre verte aurait pu
être localisée dans les gisements d'étain bretons. Effectivement, le
gisement de Montebras, en Creuse, a livré de la turquoise de belle
facture, verte, mais très poreuse. Cette association callaïs-étain
n'est cependant qu'une hypothèse séduisante et, en tout cas,
acceptable. Considérant que les gisements stannifères de
Montebras ont été exploités depuis la plus haute Antiquité, on peut
même supposer que la callaïs du Morbihan a été transportée de
Creuse jusqu'en Bretagne, à l'occasion de contacts commerciaux
entre ces deux régions. Mais, d'autre part, je précise que, en ce qui
concerne la Bretagne, les dépôts de bijoux en callaïs se répartissent
dans une zone géographique extrêmement réduite, près des rivages
du golfe du Morbihan. Au contraire, ce minéral est presque
totalement absent des contrées avoisinantes. Ceci nous amène à
conclure qu'il devait exister un gisement local, peut-être tout
simplement sur les roches alumineuses si nombreuses dans le
Morbihan. Cette idée est d'ailleurs renforcée encore par la facture
particulière de la majorité des perles morbihannaises (en « grain de
maïs »). Quoi qu'il en soit, je ne pense pas que, en dehors d'un
intérêt archéologique « normal », il faille attacher une importance
particulière à l'emploi de callaïs pour la confection de parures : le
simple fait d'en disposer (que ce soit par le commerce ou parce qu'il
existait un gisement local), joint à son aspect attrayant, désignait tout
naturellement la callaïs pour l'usage qui en a été fait.
LES CÉRAMIQUES
C'est toute l'évolution de l'art de la céramique (qui apparaît grosso
modo au début du néolithique), que l'on peut découvrir par l'étude du
mobilier mis au jour dans les mégalithes. Les plus vieilles poteries
du néolithique ancien sont de formes simples. Rapidement,
cependant, la poterie va s'orner de motifs divers : chevrons,
incisions, cannelures,... mais surtout de colliers qui semblent avoir
été des parures très recherchées. Ces colliers pourraient être mis en
relation avec le culte d'une déesse à la fois guerrière et funéraire,
dont j'aurai l'occasion de reparler dans le chapitre consacré aux
gravures. Enfin, parmi les types principaux de poteries du
néolithique proprement dit, je citerai encore les très caractéristiques
céramiques de type Er-Lannik. Citons Yannik Rollando : « Leur
forme est cylindrique, à face supérieure annulaire, le plus souvent
cupulaire (...) Sur les parois et le rebord supérieur, s'inscrit le décor
en triangles ou en chevrons, moins fréquemment les losanges, les
lignes ondulées, les cônes, plus rarement les demi-cercles (...) Les
motifs sont traités en gros pointillés, imprimés dans la pâte. »
Enfin apparaissent, au Chalcolithique, les vases campaniformes.
J'ai déjà eu l'occasion d'aborder le sujet lors de mon étude sur les
constructeurs éventuels de Stonehenge, le peuple aux vases-
calices. Son passage en Bretagne, et plus spécialement dans la
région du Morbihan, est attesté par les nombreux vases
campaniformes découverts dans les constructions dolméniques. Les
poteries sont de couleur rouge ; la décoration est faite de traits
incisés à l'aide d'un peigne, en bandes horizontales de type « en
zone », ou encore de motifs géométriques, parfois incrustés de
peinture blanche. Enfin, quelques impressions de corde font penser
à une influence (par ailleurs nettement plus marquée, et pour cause,
dans la région du bassin moyen du Rhin) des cultures aux vases
cordés, d'origine plus continentale.
LES OBJETS EN MÉTAL
Outre ses vases-calices et certaines armes en silex (par exemple
des pointes de flèche), le peuple aux gobelets apportait avec lui
quelques objets en cuivre. On pense d'ailleurs généralement que
c'est lui qui introduisit la connaissance du métal en Europe. Cette
idée serait à discuter, mais là n'est pas notre propos. Ces objets se
retrouvent dans les monuments mégalithiques, associés aux vases
campaniformes. Ce sont principalement des poignards plats, à la
soie droite (Carnac, Locmariaquer), des alènes, des haches plates
(Mané-Kérioned, Kerlescan). La relative facilité avec laquelle se
travaille l'or peut nous faire croire qu'il fut le tout premier métal utilisé
par l'homme. Il n'est donc pas étonnant de trouver, dans les tombes
individuelles du peuple aux gobelets, des objets en or. Ces mêmes
objets ont été découverts en assez grande abondance dans le
Morbihan. Ils sont martelés — et non fondus — et sont actuellement
disséminés dans de nombreux musées européens : musée de la
ville du Mans, musée National de St-Germain-en-Laye, British
Museum... Certaines très belles pièces sont toutefois visibles aux
musées de Carnac et de Vannes, mises au jour, pour la plupart, par
ces deux infatigables chercheurs et découvreurs des mégalithes
morbihannais que furent James Miln et son célèbre élève, Zacharie
Le Rouzic.
Les gravures.
Nous abordons là un des points les plus délicats de l'étude des
mégalithes. Ce problème est par ailleurs particulièrement aigu
lorsqu'il s'agit des mégalithes morbihannais, qui présentent
certainement la plus grande variété de ces gravures. Je préciserai
immédiatement que l'on ne peut être certain de la contemporanéité
de l'ensemble des gravures et des mégalithes correspondants
Autrement dit, il est fort possible que certaines gravures soient
postérieures à l'érection du support. Cette idée est à rapprocher de
notre démonstration à propos du couteau mycénien gravé sur un
des monolithes de Stonehenge. À la limite, et pour prendre un
exemple absurde mais significatif, il ne viendrait à l'esprit de
personne de croire que le mot « gazelle » gravé sur le montant
ogival de la Table des Marchands date du néolithique, simplement
parce qu'il s'y trouve. Cependant, la disposition de certaines de ces
gravures permet de croire que celles-là du moins sont
contemporaines de la construction du mégalithe. (Par exemple, une
partie d'un animal gravé sur la face inférieure de la dalle de
couverture de la Table des Marchands est cachée par un des
supports, ce qui implique que la gravure a été exécutée avant la
mise en place de la table : les serpents gravés sur la partie enterrée
du Manio en sont un autre exemple.)
L'interprétation des gravures mégalithiques a fait couler, déjà,
beaucoup d'encres de toutes couleurs. Les hypothèses les plus
farfelues s'opposent aux théories officiellement admises. En règle
générale, ces interprétations données par des visionnaires — ou des
humoristes — de l'archéologie donnent un sens pratique aux
gravures sur mégalithe. La dernière d'entre elles (à notre
connaissance du moins, car les choses vont vite dans ce domaine)
est due à Marc Dem, dans son ouvrage « Mégalithes et routes
secrètes de l'uranium » (cet ouvrage présente cependant, je tiens à
le souligner, de bonnes idées dans sa première partie). Marc Dem
donne aux gravures une fonction d'orientation ; elles sont donc
comparables aux « signes indiens » qui permettent de suivre une
piste forestière. Par exemple, les « crosses » ou « épis de blé »
indiquent qu'il faut tourner à gauche ou à droite après le monument,
suivant que la crosse s'incurve dans l'un ou l'autre sens. Imaginons
la perplexité des pistiers du néolithique face au montant ogival de la
Table des Marchands, où les crosses de gauche s'incurvent vers la
gauche, et les crosses de droite, vers la droite. Faut-il aller tout
droit ? Quant aux signes indiens gravés sur la partie enfouie des
monuments, comme les serpents du Manio, ils devaient être
réservés à quelque initié, muni des instruments sacrés : la pelle et la
pioche.
Une étude comparative des différents types de gravures nous
amène très vite à les classer sommairement en deux grandes
familles. La première regroupe tous les signes aisément identifiables
(bien qu'on puisse parfois discuter la nature même du motif), qu'ils
aient ou non un caractère symbolique, à propos duquel je tiens à
avertir le lecteur de la précarité des interprétations que je serai
amené à formuler. J'ai déjà eu l'occasion de signaler à de
nombreuses reprises le danger de ces interprétations, basées
forcément sur un certain nombre d'idées ayant acquis force de loi
(entre autres leur caractère magico-religieux), et surtout sur une
structure de pensée qui nous est propre, mais qui n'était pas
forcément celle des peuples préhistoriques. La deuxième famille
regroupe les signes non identifiables au premier examen. Ils
nécessitent l'emploi de méthodes de comparaison ayant pour but de
regrouper, par ensembles, ces symboles et des gravures-mères
d'interprétation plus facile.
La première famille comprend les serpents, les personnages
stylisés, les soleils et roues solaires, les empreintes de pieds, les
armes.
Les serpents. Bien qu'on ne puisse même pas affirmer qu'il s'agit
bien là de serpents, on doit cependant admettre que c'est très
probablement cet animal qui est représenté en 1 page suivante : le
renflement de la tête, l'ondulation du corps laissent peu de place au
doute. Ce type de gravure est relativement rare ; on lui accorde
généralement un caractère funéraire, mais il est curieux de constater
que, dans cette optique des choses, le serpent soit pratiquement le
seul animal représenté par les mégalithiques, à l'exception de
quelques équidés notamment, et du « poulpe » dont je parlerai plus
loin. Ranger le serpent parmi les dieux de ces populations, ou
simplement lui accorder une fonction religieuse, est en contradiction
avec l'examen des croyances des populations primitives (qu'elles
soient préhistoriques ou actuelles), qui ont en général un panthéon
important, peuplé d'une foule de dieux zoomorphes.
Les personnages stylisés. La gravure n° 2 est un bel exemple de
ce type représentant, à première vue, un personnage stylisé à
l'extrême : les bras sont largement écartés, les membres inférieurs
n'ont pas de pieds. Parfois même, les jambes ne sont pas clairement
indiquées, et la gravure se résume à une croix surmontée d'une
boule figurant la tête.
Les soleils et les roues solaires. L'exemple le plus fameux est,
bien sûr, le soleil gravé sur le montant ogival de la Table des
Marchands, à Locmariaquer. Notons en passant que ce soleil n'est
plus que très difficilement visible avec l'éclairage dont dispose le
touriste moyen : une excellente copie du montant et de ses gravures
est heureusement exposée au musée de Carnac. Ce type de
gravure, que nous continuerons à identifier à l'astre du jour, faute de
mieux, regroupe le soleil proprement dit (cercle ou point, d'où partent
des rayons) et la roue solaire (fig. n° 3), qui est un symbole très
répandu dans toutes les civilisations de toutes les parties du globe.
Les empreintes de pieds. Si elles sont très facilement identifiables
(fig. n° 4), ces gravures sont par contre totalement inexplicables. On
pourrait éventuellement les rapprocher des empreintes de mains du
paléolithique. Il faut avouer cependant que cette démarche — pas
plus que d'autres d'ailleurs — ne nous mène nulle part. On serait
presque tenté de considérer ce type de gravure, par ailleurs limité à
deux exemplaires, comme un bon tour joué aux archéologues.
Les armes. Ce sont surtout des haches, parfois munies d'un
manche (fig. n° 5). Le symbole de la hache n'est pas plus clairement
défini que les autres. On l'associe généralement à une déesse
funéraire à caractère forcément guerrier. Quoi qu'il en soit, il faut
insister sur l'importance de la hache, qui est non seulement
représentée sous forme de gravures, mais qui est également un
objet courant du mobilier mégalithique, ainsi que nous l'avons vu
précédemment. À la hache proprement dite, on associe les
« crosses », ou « épis de blé » (fig. n° 6), tels qu'ils se présentent
dans la chambre de la Table des Marchands : ces crosses ne
seraient alors que des manches de haches. Il parait difficile de
considérer ce manche comme une représentation purement
figurative d'un objet très banal alors que, manifestement, les
gravures mégalithiques s'inscrivent dans un ensemble symbolique
très élaboré. D'autre part, la fonction symbolique d'un manche de
hache n'étant pas pour moi une évidence, je proposerais plutôt
d'interpréter cette figure comme un épi de blé, symbole de
l'agriculture et donc de la femme, traditionnellement chargée des
travaux des champs dans les sociétés primitives. Notons en passant
que la femme n'a, dans mon interprétation, aucune fonction
sexuelle, mais qu'elle est plutôt à considérer comme l'élément
subalterne de la tribu. À l'opposé, la hache symbolisera le chasseur,
c'est-à-dire l'homme, l'individu noble. Le symbolisme de la « hache
emmanchée » devient alors évident : la réunion des deux éléments
(hache + épi de blé) est une représentation du couple, toujours
considéré bien sûr du point de vue de la condition sociale, et non de
la procréation qui, assurant la pérennité de la tribu, donne au
contraire la prédominance à la femme. Enfin, dans un tout autre
ordre d'idée, je ne peux passer sous silence la théorie de Pierre
Méreaux-Tanguy, selon laquelle la hache emmanchée serait une
ascia ou herminette, symbole pythagoricien. Cette hypothèse
originale est à retenir, car elle a le mérite de s'intégrer parfaitement
dans un contexte pythagoricien certain en ce qui concerne les
proportions des constructions mégalithiques. Par contre, elle
explique mal l'existence de haches non emmanchées. La deuxième
famille qui, je le rappelle, regroupe les figures non identifiables au
premier examen, comprend des gravures généralement qualifiées
de scutiformes (en forme de bouclier - fig. 7, 8 et 9), pectiniformes
(en forme de peigne - fig. 10), en forme d'empreintes digitales
(fig. 11), jugiformes (en forme de joug - fig. 12). Les gravures
scutifor-mes sont généralement associées au culte d'une déesse à
la fois guerrière et funéraire. Ses attributs sont la hache, dont il a été
question plus haut, et le collier (la présence des colliers en callaïs
étant du même coup expliquée).
Dans cette interprétation, la figure 7, par exemple, représenterait
la déesse, sous une forme évidemment stylisée, aux épaules
saillantes, à la tète à peine marquée par un demi-cercle ; les cercles,
à l'intérieur de la figure, sont censés symboliser les seins (multipliés,
afin de mettre en évidence le caractère féminin de la figure). N'ayant
aucune autre théorie à soumettre à la sagacité du lecteur, je me
garderai de rejeter définitivement une tentative d'interprétation qui ne
me satisfait cependant absolument pas. La gravure de Luffang est
une des plus célèbres de ce type (fig. 9). Certains ont cru y voir, non
une représentation de la déesse, mais un poulpe (Keller). Pourquoi
pas ? On peut cependant se demander à quoi correspondent les
deux petits cercles qui font penser à des yeux. À tout prendre, je
verrais plutôt là une représentation caricaturale d'un visage, dont les
principaux éléments sont bien visibles : le nez énorme, les yeux, les
cheveux tombant de chaque côté de la tête. La gravure n° 10. en
forme de peigne, peut être interprétée, soit comme un animal
couché sur le dos, sans doute sacrifié aux dieux mégalithiques (mais
pourquoi avoir représenté sept pattes ?), soit comme un bateau
chargé de guerriers, chaque trait vertical représentant un homme. À
vrai dire, aucune explication satisfaisante n'a, à ce jour, été avancée.
Les empreintes digitales (fig. 11) qui se retrouvent essentiellement à
Gavrinis, peuvent, à mon avis, être considérées comme de simples
motifs ornementaux. Ces empreintes digitales sont probablement
dérivées de la spirale simple, présente notamment à New Grange. Il
est d'ailleurs intéressant de constater la haute antiquité de la spirale,
qui se retrouve gravée sur certains objets magdaléniens en bois de
renne, mis au jour dans les grottes de Lourdes et d'Arudy. Enfin, la
gravure jugiforme (fig. 12) représenterait une paire de cornes, et
pourrait être mise en relation avec le culte des divinités cornues qui
semble, au travers de la tradition, avoir eu un lien étroit avec le
mégalithisme. Cette théorie, suggérée par Déchelette, me paraît
plus solidement fondée que l'hypothèse suivant laquelle ce type de
gravure serait une représentation d'une barque ou d'un bateau.
On le voit, l'étude et l'interprétation des gravures mégalithiques est
chose fort complexe. Les préhistoriens les plus éminents s'y sont
attaqués, mais aucun n'a encore réussi à élaborer une théorie
d'ensemble satisfaisante. Quot capita tot sensus. On ne peut, dans
l'état actuel de nos connaissances, que constater le caractère
symbolique de ces signes qui, exception faite pour les spirales et les
empreintes digitales, ont une signification réelle. Sommes-nous en
présence d'une forme primitive d'écriture ? On peut raisonnablement
le penser. Dans cette optique, le travail de déchiffrement reste à
faire. Mais tout, ou presque, ne reste-t-il pas à faire dans le domaine
des mégalithes ?

JACQUES GOSSART
L'EMPREINTE PYTHAGORICIENNE

« Hors les mégalithes, rien d'autre ne caractérise le


mégalithisme ».
Denis Roche
L'immense carneillou.
Ainsi disait le chevalier de Fréminville lors de sa visite en Carnac.
Et pour cause ! Les différents alignements se situent dans un
triangle formé par les villes d'Etel et Auray au nord, et Carnac
comme pointe sud. Déjà avant notre siècle, diverses études furent
publiées, j'en prends comme exemple un des pionniers, l'Anglais
James Fergusson qui publia en 1878 son livre « Les monuments
mégalithiques de tous pays - leur âge, leur destination ». Les sites
de Carnac y sont bien étudiés et de nombreux plans et coupes
témoignent de l'attention de l'auteur. Fergusson ne fut pas le seul à
s'attacher aux sites mégalithiques, tant s'en faut, mais les
conclusions des différents auteurs de cette époque suscitèrent peu
d'intérêt dans les sphères de l'archéologie et firent saliver de plus
belle les tenants de l'occultisme. À partir des restaurations de Le
Rouzic, les choses changèrent un peu, malgré qu'aujourd'hui encore
on ne salue son travail que sur le plan de l'effort physique, oubliant
trop facilement qu'il sauvegarda la présence de ces témoins de
l'Histoire que sont les dolmens et les menhirs. Il faut attendre la
deuxième moitié de ce siècle pour que les recherches prennent un
tournant qui ressemble fort à une chicane : il y a restauration,
préservation, il y a études et conclusions. Sans doute trop rapides.
Dès la publication des recherches concernant Stonehenge, une
réaction va apparaître et les études au sujet de la Bretagne
mégalithique vont reprendre avec des idées nouvelles, et il est à
remarquer que l'astronomie va jouer un grand rôle dans ces
approches neuves. Ne croyez pas que tout est expliqué, car les
instances officielles restent sur des positions qui, et c'est très relatif,
ont fait leurs preuves : ces positions ressemblent plus à des bastions
qu'à des têtes de pont.
En ce sens, l'archéologie prétend que le mégalithisme est cultuel
pour les menhirs, et funéraire pour les dolmens. Ce qui est
défendable quand on prend des cas particuliers, ce qui est
déraisonnable dans son ensemble. Actuellement l'archéologie se
borne à la contingence : cela a pu arriver ou non. Les champs de
menhirs de Carnac sont alors exclus ou tombent dans le cultuel.
Nous sommes en plein binaire, oui - non. Malgré tout, les
archéologues suspectaient quelques complications et tombèrent
rapidement d'accord, à savoir que les constructions mégalithiques
étaient souvent axées sur des données astronomiques simples,
entre autres lever et coucher aux solstices et équinoxes, ou les
observations permettant de déterminer, par exemple, le temps des
semailles, etc., etc. Les occultistes d'acquiescer et de saluer le soleil
levant. Notez bien que je ne veux pas ici mélanger les scientifiques
et la sainte-hilarité, mais tout simplement reprendre une hypothèse
de base qui fut formulée, il y a dix-sept ans déjà, par Pauwels et
Bergier : « Contrairement à ce qu'en peut penser, la technique, dans
bien des cas, ne suit 'pas la science, elle la précède. La technique
fait. La science démontre qu'il est impossible de faire. Puis les
barrières d'impossibilités craquent. Nous ne prétendons pas, bien
entendu, que la science est vaine. On verra quel prix nous attachons
à la science et de quels yeux émerveillés nous la voyons changer de
visage... » (Le Matin des Magiciens). Choc de civilisations : la nôtre
et celle des mégalithiques.
Il fallait donc voir les techniques de plus près. Mais quelles
techniques ? Certains se lancèrent dans les possibilités de transport
des monolithes : les résultats sont maigres, la seule chose valable
est la constatation de faits irréfutables. Pour le reste, la manipulation
de rocs de plusieurs tonnes demeure un problème complet, ourlé
uniquement par des élucubrations, synonymes de carrure pour les
uns et d'extraterrestres pour les autres. En ce qui concerne
l'astronomie, la tournure est franchement différente ; en effet les
implications de cette science se trouvent beaucoup plus étroitement
mêlées aux constructions mégalithiques. De même, nous sommes
en mesure de prolonger les méthodes de plan de construction qui
furent révélées à Stonehenge et dans toute une série de sites
mégalithiques de Grande-Bretagne. Les normes pythagoriciennes
furent scrutées par le Professeur Alexander Thom et son fils
Archibald, dans leur livre « Megalithic Sites in Britain » paru en 1967.
Ils ne purent rester insensibles aux alignements de Carnac, et dès
1971, firent paraître une série d'articles dans le Journal for the
History of Astronomy. Je vais vous convier à suivre Thom le long
des alignements de Carnac ; vous verrez d'abord l'aspect
« physique », ensuite les relevés et les plans de Thom ainsi que les
modes de construction des oves. Selon le Professeur Giot : « De
toute manière, si les théories du Professeur Thom sont fausses,
elles sont bien intéressantes ! » Pour ma part, la porte est grande
ouverte.

Le Professeur Alexander Thom, de


l'Université d'Oxford.
Une science mégalithique ?
« Les directions de nos grands ensembles mégalithiques ne sont
pas en effet quelconques » a écrit Yannick Rollando, le président de
la Société Polymathique du Morbihan. C'est un peu ce qui a
déclenché les recherches du Professeur Alexander Thom. Retraité
de sa chaire de génie civil à l'Université d'Oxford, expert très
compétent et ouvert aux technologies nouvelles, Thom étudia plus
de trois cents sites en Grande-Bretagne, avant d'appliquer ses
recherches aux alignements de Carnac. Il fut le premier à travailler
un plan de Kermario, issu de relevés sur le terrain. J'ajouterai que
tout lecteur peut se faire parvenir un « bleu », il mesure deux mètres
quarante... Thom étant un ancien professeur des arts et métiers, il
écrit en tant que tel, c'est dire que ses communications sont
difficilement assimilables par le profane. C'est pourquoi vous ne
trouverez ici aucun exposé sur les alignements signé de sa main.
Cela étant, les résumer relève tout autant de la gageure. Plus que
pour n'importe quel autre article, nous comptons donc sur
l'indulgence du lecteur, sachant que ces quelques colonnes risquent
d'être ardues. Mais nous savons aussi que si, le moment venu, vous
suivez le raisonnement sur le plan (plus loin), il ne devrait y avoir
aucun problème. Ce plan, je l'ai exécuté à partir de divers relevés de
Thom. Et enfin, pour l'exposé, je lui ai malgré tout laissé la parole
autant que faire se peut, les passages entre guillemets étant donc
chaque fois de lui.
Ceci dit, la partie des travaux de Thom dont je vous entretiens
dans ce premier article, tend à démontrer les préoccupations
géométriques — et, disons-le, pythagoriciennes — des
constructeurs. Avant d'entrer dans le vif du sujet, deux notions sont
capitales pour comprendre la démarche.

1. Alexander Thom propose un étalon permettant de mesurer un


site mégalithique : cet étalon est issu de son expérience sur
plusieurs centaines de sites anglais. Il se résume ainsi : Thom pense
que les oves sont construites sur base d'une mesure type, qu'il
baptise « toise mégalithique » ; cette toise possède une sous-
mesure appelée « yard mégalithique » ou YM. Une toise vaut 2,5
YM, en ce sens qu'à un cercle de 8 équivaut presque exactement un
périmètre de 25. Statistiquement, ceci était valable pour les sites
anglais. Vérification faite sur le terrain, cela concordait très bien en
Bretagne, l'ordre d'erreur étant parfaitement négligeable. La
conversion en mesures métriques donne pour le YM 0,8293 m et
pour la toise (x 2,5) 2,07325 m.
2. Rappelons les caractéristiques des triangles pythagoriciens.
Tout triangle rectangle, même si on peut lui appliquer le théorème du
« pont-aux-ânes », n'en est pas pour autant pythagoricien.
Dans le cas du triangle rectangle sacré, pour les deux côtés
proportionnels à 3 et 4, l'hypoténuse sera dans le rapport de 5.
Construisons un triangle rectangle de côtés 0,5 et 1 : dans ce cas,
l'hypoténuse sera égale à 1,118 et le périmètre 0,5 + 1 + 1,118 =
2,618 = 1 + 1,618 qui est le nombre d'or.
Cela posé, rendons-nous au Ménec.
La charnière du Grand-Ménec.
Le Ménec : 1169 menhirs subsistent, dont il faut en retirer 70 pour
une première ove, et deux douzaines d'autres pour l'ove à l'autre
extrémité. On parle presque toujours de onze files, nous verrons,
avec Thom, que la douzième est masquée par la route qui longe le
Ménec. Ces files ne sont qu'apparemment parallèles : l'extrémité
ouest est large et va en s'amenuisant vers un coude qu'on devine à
peine, puis les files se dirigent vers l'extrémité est, qui est moins
large que la zone du coude. De manière générale, le Ménec est
donc un immense trapèze, au milieu duquel il y a une charnière, et
bloqué aux deux extrémités par des cromlechs, qui sont des oves
constituées de menhirs.
« La première chose à faire, écrit Thom, était de trouver un
nombre significatif déterminé, permettant de calculer l'écartement
des rangées de menhirs. Pour l'extrémité ouest du Ménec, le yard
mégalithique montra si peu de résultats, qu'il fut écarté en faveur de
la toise de 2,5 YM. Ceci fut à ce point significatif pour toutes les
rangées, que l'on conserva cette mesure par la suite sur le Ménec ».
Commençons donc par la partie ouest de l'alignement, et cette fois,
je vous demande de vous reporter au plan de la page suivante. Le
départ de l'alignement correspond à une oblique par rapport à l'axe
général, cette ligne AB est mordue par la courbe du cromlech W
(ouest). Le rang VII présente un monolithe assez énorme (Q), qui est
situé au milieu de la perpendiculaire descendue de A sur le rang XII.
Grâce à ce point remarquable, QA et QB sont égaux, et il en
découle :
1. que les droites QB et CB sont aussi égales, et 2. que la droite
ZQ détermine l'axe de l'ove orienté à 52° Est. Le point C peut être
considéré à ce moment comme le point théorique du premier menhir
du rang XII. Sachez de plus que l'erreur est minime pour le début du
VIIIe rang, puisque la courbure du cromlech positionne ce premier
menhir, courbure qui est elle-même tracée par la ligne ZQ. Première
étrangeté, car elle nous permet de dire que ces quelques axes
composites prévoient un ensemble de lignes qui, par la suite,
engendreront le système complet du Ménec. Or, le triangle ACB est
pythagoricien, on y retrouve les proportions 1, 0,5 et 1,118.
Alexander Thom détermina, par ailleurs, un rang de menhirs qui,
partant du point Z à l'intersection des deux axes du cromlech W,
atteint (pointillés) un emplacement significatif du cromlech est (B).
Enfin, Thom déterminait, par la même occasion, la valeur du yard
mégalithique, tel qu'il le retrouvait sur le continent.
La « zone charnière » de l'alignement est délimitée par les points
FGIH sur le plan. Ma démarche a été de savoir si cette zone était la
suite logique du départ des rangs de menhirs. Partant du triangle
pythagoricien énoncé plus haut (ACB), la même trame peut être
répétée, à savoir que 2AB = AD, et ainsi de suite. Dans ce cas, nous
devrions conserver les rangs I à XII rigoureusement parallèles, ce
qui, on l'a vu, n'est pas le cas. Par repérages multiples, je constate
que chaque perpendiculaire (AB, DE, FG...) est raccourcie par
rapport à la précédente. Dans quelle proportion ? Prenons l'exemple
de la perpendiculaire issue de A vers B (du rang I à XII, en passant
par la pierre Q) : AB mesure 101 m 1746, soit 122 YM ou 48,8
toises. Étudions alors le triangle ABD : AD y vaut 202 m 3492 (97,6
YM), et le triangle correspond bien à la norme pythagoricienne. Mais
comment infléchir le parallélisme des rangs de menhirs ? Une seule
solution : que la perpendiculaire tirée du sommet du premier triangle
ABD (D étant ce sommet) soit moins longue que AB. Et ainsi de
suite, bien entendu. Or, sur plan, on s'aperçoit que la perpendiculaire
DE est plus courte de 6 m 7451 (ou 8,1334 YM ou 3,2534 toises).
Vous avez le triangle DEF, F étant un des points formant un autre
ensemble de triangles traçant la zone charnière. Il va sans dire que
DEF est pythagoricien ! Et que le premier rang de menhirs n'est plus
parallèle au dernier. Je ne vous conterai pas les tâtonnements pour
arriver à définir les deux triangles marquant cette fameuse zone
charnière. Sachez seulement que FGH est pythagoricien et, ô
surprise, que HIG ne l'est plus. C'est que FG, qui est la
perpendiculaire issue de F, sommet du triangle DEF, mesure 87 m
6845 (ou 105,7332 YM ou 42,2932 toises), ce qui revient à dire que
FG = DE — 6 m 7451, les données utilisées en DE ! (Car DE = AB
— le même chiffre).

La même méthode fut employée pour le triangle FGH, en ce sens


que FH = la moitié de FG, nous sommes toujours dans les normes
pythagoriciennes. Ce qui est particulièrement étrange, c'est le
changement d'étalon, car pour la deuxième partie de l'alignement du
Ménec, nous ne devrons pas soustraire la valeur de base de 6 m
7451, mais bien la moitié, soit 3 m 3726. Voyons cela. FH est la
moitié de FG ou 43 m 6845 : triangle toujours pythagoricien. Le
triangle HIG ne l'est pas du tout, car HI est une perpendiculaire issue
de I vers H et non le contraire. Comme auparavant, HI est FG — 6 m
7450. Etc., etc. Malgré tout, nous remarquons que le point H
conserve sa position puisqu'il est l'angle droit qui dessine le prochain
triangle HIJ. Et nous recommençons : perpendiculaire JK soit HI—
3 m 3726 (4,0667 YM ou 1,6267 toises), comme je l'ai dit il s'agit
d'une « demi-différence ». On ne peut que constater que les
triangles JKL et LMN sont construits sur le même principe. Si nous
suivons le rang VIII « de centre à centre » nous comptons 1026 m
ou 495 toises.

Résumons-nous. La première partie de l'alignement est construite


sur une série de triangles pythagoriciens, la largeur de l'alignement
se calcule sur les perpendiculaires issues des sommets des
triangles. Ces perpendiculaires se raccourcissent en fonction de la
soustraction de 3,2534 toises ou 6 m 7450, cela jusqu'à la « zone
charnière » ; ensuite les triangles conservent leur norme
pythagoricienne, mais la diminution s'effectue sur base de 1,6267
toises soit 3 m 3726, la moitié du modèle de base. Si nous voulons
établir les grandes lignes de la méthode de construction — du plan,
plus précisément — de l'alignement du Ménec, il faut partir du
premier triangle ABD, le côté AD étant prolongé jusqu'en H, jusqu'à
la charnière. Un report sur carte établit que le premier rang de
menhirs est orienté sur 72° Est (ligne AH) ; si celle-ci est tirée par-
delà la charnière, on s'aperçoit qu'elle coupe le IXe rang, sur la
dernière perpendiculaire NO. Coïncidence ultime ? Le premier rang,
lorsqu'il change de cap, à partir du point H, vise l'azimut de 66° Est,
c'est-à-dire que HN s'écarte de 6° de la prolongation de AH. Nous
nommerons AH l'axe majeur, et HN l'axe mineur, contribuant à la
construction de l'alignement. Les deux énormes parallélogrammes
ABGF et HION peuvent donc s'expliquer ainsi mais n'élucident pas
le positionnement des deux oves, les cromlechs W et E. Jetons-y un
coup d'œil.
Des cromlechs en forme d'ove.
Dès la parution de son livre « Megalithic Sites in Britain »,
Alexander Thom ne prétendait pas que le triangle dit pythagoricien
était la panacée universelle du monde des pierres levées. J'aime
rappeler ce paragraphe : « Mais l'homme du mégalithique utilisait
beaucoup de proches applications du triangle pythagoricien. Par
exemple, il employait le triangle 8-9-12, mais 82 + 92 est 145 et 122
est 144. L'erreur dans l'hypoténuse est seulement de 1 pour 300,
laquelle était sans doute acceptée, parce que le triangle tel qu'il
l'utilisa, donnait, ainsi que nous le verrons, un périmètre approprié
au cercle sur lequel il se basait. Quand il usait d'une valeur de
précision médiocre, ce n'était pas parce qu'il pensait qu'elle était
parfaite, mais bien parce qu'il y avait d'autres conditions à remplir. »
J'ajouterai que ces conditions pouvaient être d'ordre astronomique,
entre autres !
Thom catalogua trois grandes familles d'oves sur base de
recherches approfondies sur plusieurs dizaines de sites
mégalithiques (voir dessins).
1. Les cercles aplatis. La méthode A consiste à tracer un cercle
interrompu aux points C et G. Le diamètre s'articule sur un double
triangle équilatéral, trois autres arcs de cercle soulignent l'ove. La
méthode B utilise un arc de cercle arrêté au diamètre, la
perpendiculaire à ce diamètre facilite le processus, car l'intersection
au périmètre définit le point A, duquel s'échappent deux droites qui
sectionnent le diamètre en trois segments égaux qui, par la suite,
engendrent trois arcs de cercle permettant de fermer l'ove.
• Cercle aplati, type A.Tracer un
arc circulaire de 240° CMANG ;
l'angle COA est construit par deux
triangles équilatéraux accolés, ainsi
nous avons les 120° requis ;
bissecter OC en E ; E est le centre
de l'arc CD ; l'arc aplati DBH est
dessiné à partir du centre A.

2. Les oves proprement dites. Deux types d'oves soit le type I soit
le Il : un échantillonnage de dix sites permit à Thom de dégager
cette nomenclature, chaque type atteint, à peu de choses près, les
normes pythagoriciennes les plus pures. Dans le type I, un arc de
cercle est délimité par son diamètre qui sert d'assise à la
combinaison de deux triangles 3, 4 et 5 s'épousant par le grand côté
; l'alliance des angles opposés à l'angle droit permet de dessiner la
courbe de l'ove.

• Ove, type I. Deux triangles


pythagoriciens sont accolés par la
base en AB ; un demi cercle est
dessiné avec A comme centre ; un
arc EF est tiré de D, un autre de C ;
les prolongements des côtés CB et
DB déterminent un troisième arc
ayant comme centre B.
Le type Il est plus particulier puisqu'il s’assoit, non plus sur le
diamètre du cercle, mais sur une fonction plus complexe. Cette fois
les deux triangles sont accolés par l'hypoténuse : les axes des côtés
caractérisent des éléments sous forme de droites et d'arcs de cercle.
• Ove, type II. Deux triangles
pythagoriciens sont accolés par
l’hypoténuse soit CB ; les
prolongements des petits côtés de
l'angle droit (CA par ex.) et les
parallèles aux prolongements issus
de B déterminent deux sections
parallèles aux grands côtés des
triangles ; la construction de l'ove
suivra les séquences suivantes : un
arc de cercle est tiré de C, celui-ci
positionne les parallèles aux
grands côtés, un autre arc de
cercle avec B comme centre terme
la boucle.

3. Les ellipses. Cette méthode est extrêmement simple, puisque


Thom envisage la possibilité de les dessiner en utilisant des cordes.
F1 et F2 sont les points focaux disposés sur un diamètre, et
permettent, par le jeu de cordes, d'entraîner la projection de la
courbe.

• Cercle aplati, type B. Diviser le


diamètre MN et trois parties égales
en C et E ; C et E sont les centres
pour les petits arcs tel MF ; l'arc
aplati est tiré a partir d A.

Cercles aplatis A et B, oves I et II, ellipses... Vous jugerez par


vous-mêmes. De même, j'en profite pour moucher le nez à ceux qui
prétendirent qu'Alexander Thom ne faisait que du tourisme en
Bretagne, les résultats en sont probants. À ces détracteurs, je laisse
les crêperies et les bolées de cidre ! L'attitude de l'archéologie
officielle — surtout celle des commissaires-priseurs — est
comparable au dialogue des héros du livre de R. Hawkey et R.
Bingham « La carte sauvage » :
— On peut espérer atténuer certains symptômes, mais je dois te
prévenir que si nous y parvenons, cela ne fera qu'accélérer les
progrès de la maladie.
— Parfait ! s'écria McElroy en riant. Dans ce cas je prends le
risque. Quand commençons-nous le traitement ?
Retour par Kermario et Kerlescan.
Kermario : à 200 mètres du Ménec, 1029 menhirs sur dix files. Ici
encore, Thom a relevé des espèces de diverticules, composés de
une ou deux rangées, cela du côté ouest de l'alignement. La largeur
moyenne est aussi de 100 m, sur 1120 de long. Kerlescan : toujours
sur la même ligne moyenne, l'alignement est éloigné d'environ
500 mètres de celui de Kermario. Les choses sont néanmoins plus
compliquées, car ne subsistent que 594 menhirs, 555 érigés sur
13 files, et 39 formant une espèce d'hémicycle. La longueur est de
880 mètres, sur 139 de large.
Comme on pouvait s'y attendre, les mêmes données de
construction se retrouvent à Kermario, qui n'est pas pour autant une
copie pure et simple du Ménec. Il semble que les ingénieurs
mégalithiques s'évertuèrent à rechercher la difficulté en superposant
deux plans d'érection de pierres, si bien qu'on peut remarquer un
premier modèle principal avec sept rangs, et un deuxième modèle
qui s'illustre par certaines rangées connexes, celles-ci s'imbriquant
dans le modèle principal. De plus, les dernières rangées à l'est
passent au-dessus du ravin de Kerloquet — qui est actuellement
une retenue d'eau — pour aboutir au menhir E trouvé par Thom. Je
lui laisse la parole. « À l'ouest, nous voyons que les rangs sont
incurvés sur un rayon de 1000 toises mégalithiques. Au travers des
sections 1, 2 et 3 les rangs sont parallèles et espacés de 12 yards
mégalithiques (soit de 9 m 95). » Alexander Thom rappelle la
méthode utilisée pour construire la « zone charnière » du Ménec, et
poursuit : « À Kermario, il y a trois charnières, chacune basée à
nouveau sur le couplage de triangles droits (plan ci-dessous). La
première charnière (A) est produite par deux triangles rectangles,
l'un avec des côtés de 12 et 21 et l'autre de 10 et 22.
Maintenant, 122 + 212 = 585 et 102 + 222 = 584, ce qui montre
combien les deux triangles coïncideront exactement par
l'hypoténuse. Les rangs qui émergent ont été pivotés de + 5° 20', et
en même temps l'espace entre les rangs a été réduit de 12 à 10 YM.
La seconde charnière (B) est affectée de la même manière, mais
cette fois la somme des carrés est de 884 pour un triangle et de
884,5 pour l'autre. L'espace entre les rangs est réduit de 10 à 8,5 et
les rangs Il et VII émergent à + 2° 17' de la direction générale. La
charnière suivante (C) est effectuée par deux triangles qui ne sont
pas si exacts, la somme des carrés étant de 128,5 et de 128. Ces
triangles réduisent l'espacement de 8,5 à 8, l'orientation des rangs
ne se fait que de — 1°20' par rapport à la direction générale. Due à
la légère inexactitude de quelques triangles, de légères différences
théoriques sont possibles pour les calculs d'angles, mais l'écart est
petit et la direction finale des rangs au sol ne s'écarte que de
quelques minutes de la valeur théorique. »

Pour les détails des recherches, les théories appliquées, les


calculs statistiques, largement expliqués, je ne puis que souhaiter
que le lecteur se réfère à la bibliographie finale : la place me
manque et la complexité des travaux sortirait du cadre d'une
discussion globale de la région de Carnac, telle que nous nous la
sommes fixée pour cet article.
Par contre, je dois encore vous parler des cromlechs de
Kerlescan, car il y en a deux : celui au nord et celui à l'ouest. Voyons
cela de plus près. Le cromlech nord est constitué d'un seul rang de
menhirs quasiment tangent à une courbe irrégulière, qui est
actuellement ouverte vers l'est. Impossible de prétendre si le
cromlech était fermé : une zone dédiée à l'agriculture et un bosquet
limitent irrémédiablement les idées. Néanmoins, les travaux de
Thom déterminent que le cromlech est érigé sur base d'un triangle
rectangle, central, qui détermine l'emplacement des vestiges : « Le
Rouzic mentionne 7 menhirs debout et 36 tombés, mais notre
compte montre que, dans ou près du cercle, il y a 36 pierres levées
et 6 de tombées. Il est certain que les chiffres de Le Rouzic sont
inversés, parce que si lui ou quiconque avait ré-érigé les pierres,
elles n'auraient pas été aussi exactement sur la construction
géométrique comme nous le constatons La base de la construction
est le triangle de côtés 23, 25 et 34 toises, avec un angle de
seulement 6 minutes d'arc au-delà de 90°. Les arcs centrés sur les
sommets (du triangle) ont des rayons de 40, 30 et 38 toises (soit
82 m 93, 62 m 19 et 78 m 78). Ceux-ci sont joints par des lignes
droites. Le contour fut construit avec le plus grand soin sur papier
millimétré, et reporté à grande échelle jusqu'à trouver le meilleur
ajustage. Cette démonstration est des plus impressionnantes,
montrant que la ligne passe par la majorité des pierres et ne manque
les autres que d'une marge très étroite ».

Le cromlech ouest, lui, est formé par une droite de pierres levées
et par deux arcs de cercle, le tout étant ouvert au nord. Les premiers
relevés n'étaient pas de Thom : « Un relevé précis fut fait par Robert
Freer et son équipe en 1972. Ce relevé est montré dans la figure
suivante, avec le contour quadrangulaire superposé le plus
précisément possible. Il n'y a pas de menhirs sur l'arc nord, mais le
petit plan donné par Hulle, en exhibe quelques-uns, en 1947.
Le contour géométrique montre que le rayon de chacun des trois
arcs était de 60 toises (124 m 39), que ER = 19, RF = 20 et que AR
= RB = 22. Ceci semble être une construction très simple, mais
quand nous nous efforçons de la disposer, nous apprécions que,
comme tant d'autres, les hommes du mégalithique y introduisaient
des propriétés particulières. Pour développer le cromlech, posons
PR = 38, RQ = 41 et alors PQ est 56 toises. Tirons la bissectrice PQ
en T, et ainsi TQ = 28. Puisque tous les rayons font 60, SQ = 60 et
ST fait presque exactement 53. La figure peut maintenant être
complétée, quand nous aurons trouvé par calcul que la ligne ST
passe, à 0,073 toises près, par le coin nord-est. Des calculs
supplémentaires montrent que le périmètre complet de la figure est
de 150,11 toises (311 m 21), lesquelles, sur le terrain, auraient été
indiscernables de 150. Donc les rayons et le périmètre sont tous
multiples de 10 toises. M. Robert Freer, qui travaille régulièrement
sur les alignements de Kerlescan, a trouvé que le centre R joue un
rôle dans la géométrie des alignements qui jouxtent le cromlech sur
le côté est, mais ceux-ci ne sont pas encore complètement
analysés. »
Nous avons donc survolé les sites de la région de Carnac et nous
nous sommes arrêtés à ce que nous savons des plans de
construction de quelques alignements et cromlechs. Ce que nous
pouvons en tirer comme connaissances se précise ainsi :
1°. les ingénieurs-architectes utilisaient un double étalon sous la
forme de la toise qui vaut 2,5 fois le yard mégalithique ; cette donnée
fut découverte par le Professeur Thom, et
2°. l'articulation des alignements, leur rétrécissement de largeur, la
construction des périmètres de cromlechs, sont basés sur le jeu de
triangles droits. Ces derniers correspondent très étroitement aux
normes pythagoriciennes. Encore une fois, les travaux du
Professeur Thom et de son équipe ont défriché, de façon
exemplaire, ces caractéristiques. La construction des ouvrages
mégalithiques de la région de Carnac n'est pas l'effet du hasard :
c'est bien ce qu'on croyait.

ROBERT DEHON
L'allée couverte des Pierres-Plates est-elle une « signature »
pythagoricienne ? Sur le plan que nous en donnons, certains voient
la figuration d'une ascia ou herminette, petit outil de menuiserie, que
les pythagoriciens portaient à la ceinture en signe de
reconnaissance. De nombreuses ascias sont gravées sur les
mégalithes bretons et autres.
Pythagore : un homme et sa philosophie

En tentant d'évoquer le personnage de Pythagore, à la fois


célèbre et méconnu, on s'aperçoit très vite qu'on se trouve devant
une légende, et que les faits historiques sur lesquels on peut se
baser avec certitude sont bien rares. C'est d'ailleurs le cas de la
plupart des maîtres et des héros des civilisations antiques.
Pythagore semble avoir vécu au VIe siècle avant notre ère. Il fonda
une école de philosophie, et il est probable que nombre de
découvertes que l'on attribue au maître reviennent en réalité à ses
disciples. Six siècles plus tard, soit au premier siècle de notre ère,
vécut le néo-pythagoricien Apollonius de Tyane, qui écrivit une « Vie
de Pythagore » aujourd'hui perdue. Plus tard encore, un lointain
disciple d'Apollonius nommé Philostrate, reprit, modifia et magnifia
ce récit, en attribuant à Apollonius des faits, authentiques ou
légendaires, qui avaient appartenu jusque-là au personnage de
Pythagore... Quant aux théories mathématiques attribuées au
maître, on ne les dépiste vraiment que cent cinquante ans après sa
mort. Aristote les considère comme un produit de l'enseignement de
Pythagore. Selon Porphyre, le maître n'était pas un grand
mathématicien, mais le fondateur d'une école de philosophie
davantage préoccupée des choses mystiques que de la science des
nombres. Chez Jamblique enfin, ce cri du cœur : « Que de sciences
chez Pythagore ! Mille disciples ne suffiraient pas à créer tout ce
qu'on lui accorde. Qui nous dira ce qui est du maître et ce qui est
des disciples ? ».
Pour ma part je me rallie à l'avis d'Arthur Koestler, qui considère
Pythagore comme « le fondateur de la culture européenne en
Méditerranée occidentale. Platon, Aristote, Euclide, Archimède
jalonnent la grand-route. Mais Pythagore se tient au point de départ,
au lieu où se décide la direction ». J'ajouterai qu'il n'y a rien de neuf
que ce qui est oublié : Pythagore a très certainement recueilli
l'essentiel de son enseignement au cours de ses voyages, en
puisant à des sources qui lui étaient très largement antérieures. Les
théories qu'on lui attribue étaient en effet matérialisées depuis des
millénaires dans les pyramides d’Égypte, dans les constructions de
Carnac ou de Stonehenge... Ces préliminaires étant posés, nous
allons tenter néanmoins d'y voir plus clair. Pythagore est né dans l'île
de Samos, la plus belle des îles Sporades, aux portes mêmes de
l'Asie, vraisemblablement entre - 570 et - 530. Le mythe de sa
naissance ressemble étrangement à celui de la nativité du Christ :
— sa mère Parthénis fut fécondée par l'apparition du dieu-soleil
Apollon en personne, tout comme Marie le fut par l'archange
Gabriel.
— la chose fut expliquée tant bien que mal à son « père »,
l'orfèvre-joaillier Mnésarchos, qui tint donc en l'occurrence le rôle de
Joseph.
— peu de temps avant sa naissance, trois astronomes perses (les
Rois- Mages) virent une étoile nouvelle se lever à l'Occident, en
déduisirent que la nouvelle incarnation du dieu-soleil allait naître (le
Messie en quelque sorte), et se mirent en route.
On le voit, Pythagore fait partie de l'histoire sainte de la Grèce
antique, et il est malaisé de reconstituer une biographie valable du
maître. On croit savoir qu'à cette époque, l'île de Samos évoluait, sur
le plan religieux, entre deux tendances extrêmes : d'une part, les
incroyables orgies collectives du rite dionysiaque ou bacchique,
représentées au calendrier religieux par les Anthestéries (trois jours
consécutifs de beuveries et de licence publiques dédiées à
Dionysos), et d'autre part, la rigoureuse ascèse purificatrice des rites
orphiques (en souvenir du mythe d'Orphée et d'Eurydice).
Très vite, Pythagore opta pour l'orphisme, et sa philosophie en fut
grandement imprégnée. Il est donc logique que Pythagore
adolescent choisît de partir pour Sparte afin d'y recevoir la très dure
éducation morale et militaire de la cité lacédémonienne. Ce départ
pour Sparte allait l'éloigner de Samos pendant quarante ans, car il y
rencontra son premier maître à penser, un hoplite (fantassin), initié
aux mystères de la prêtrise égyptienne. Sparte est donc le point de
départ de son impressionnant périple à travers le monde antique, de
son incroyable voyage d'études qui allait l'amener à fréquenter les
plus grands personnages de son temps.
Première étape à Milet, auprès de Thalès et d'Anaximandre.
Pythagore est porteur d'une lettre d'introduction du roi de Sparte,
mais les deux penseurs de Milet le déçoivent. Les trois étapes
suivantes (Tyr, Sidon, le mont Carmel) ne sont guère plus
enrichissantes pour lui. La cinquième étape est la plus importante :
l’Égypte, où Pythagore passe près de vingt-cinq ans ! À Saïs, il
rencontre le pharaon Amasis (- 568 à - 526) de la XXVIe dynastie
saïte. Il reçoit ensuite successivement les enseignements secrets
d'Héliopolis, de Memphis, de Thèbes et d'Abydos, chaque fois après
des études longues, épuisantes et variées. Il est même admis dans
la corporation des scribes. Mais les Perses sont aux portes de
l’Égypte, et leur roi Cambyse se fait de plus en plus menaçant.
Amasis est assassiné et le dernier pharaon égyptien,
Psammétique III, arrive au pouvoir pour un an seulement. Cambyse
s'empare de l’Égypte, meurt à son tour, et Darius 1er accède au
trône. C'est le moment que choisit Pythagore pour se rendre à
Babylone afin d'y étudier l'astronomie. Il rencontre ensuite les Mèdes
qui l'initient au culte zoroastrien d'Ahura-Mazda. Une rencontre avec
Zoroastre lui-même est peu probable : il semble bien que ce dernier
était mort depuis près de cinquante ans lors du passage de
Pythagore en Iran. Pythagore se rend aussi à l'embouchure de
l'Indus et au Pendjab : peut-être y fit-il la connaissance du
Bouddha...
Pythagore est-il aussi passé par nos régions ? Oui, si l'on en croit
Pline et Alexandre Polyhistor ; oui si l'on sait que Carnac et
Stonehenge contiennent dans leur agencement géométrique
l'essentiel de la théorie mathématique du maître. Dès lors, le futur
miracle grec résulte-t-il de l'ensemble des connaissances
accumulées par Pythagore lors de ses voyages ?
Environ quarante ans après l'avoir quittée, Pythagore retrouve son
île de Samos. Mais l'accueil que lui réserve le tyran Polycrate est tel
que très vite, le maître décide de s'exiler à nouveau. Il part pour
Crotone, cité hellénistique de l'Italie méridionale. Il y fonde son école
de philosophie, la « Fraternité pythagoricienne », qui exerça un
certain temps une véritable suprématie intellectuelle sur une partie
considérable de la Grande-Grèce. Mais Crotone est bientôt assiégée
par les Sybarites, et brûlée. Et un mystère demeure : Pythagore
réussit-il à s'enfuir à Métaponte pour y finir ses jours, ou périt-il au
contraire à Crotone, dans l'incendie du temple d'Apollon ?
La conception pythagoricienne du monde continue à défier les
siècles. Elle imprègne notre pensée et jusqu'à notre vocabulaire : les
termes « philosophie » « harmonie », « théorie » et bien d'autres
sont directement hérités de Pythagore. Le catalyseur de la pensée
du maître fut l’orphisme, qui visait à la purification de l'homme.
Grâce à la « catharsis » (technique de purification de l'homme par la
contemplation de l'éternel), Pythagore renouvela le sens de
l'orphisme, jusque-là enfermé dans ses rites et tabous. Et c'est cet
orphisme nouveau qui influencera, grâce à Platon et Aristote, l'esprit
même du christianisme. L'orphisme pythagoricien sera un facteur
décisif de l'élaboration du monde occidental. Le mot « théorie » vient
du verbe grec théôriô, qui signifie « pratiquer la contemplation
religieuse », en s'identifiant au dieu Orphée dans sa souffrance, sa
mort et sa résurrection. Et religion est entendu ici dans son sens
premier de religare, relier l'homme au cosmos : la catharsis est donc
véritablement la canalisation de la ferveur religieuse en ferveur
intellectuelle, la transformation de l'extase rituelle en extase de la
découverte. C'est ainsi que la « théôria » des pythagoriciens devint
peu à peu la « théorie » moderne. La « Fraternité pythagoricienne »
avait une règle de vie empreinte d'ascèse : on vivait en
communauté, en partageant tous les biens : la femme y était l'égale
de l'homme ; on y pratiquait l'abstinence, la méditation et l'examen
de conscience. Ces communautés préfigurent les communautés
esséniennes, qui furent elles-mêmes à l'origine des premières
communautés chrétiennes. Les disciples de Pythagore étaient alors,
grâce à la méditation, progressivement initiés aux mystères de la
théôria cosmique, où religion et science, mathématiques et musique,
médecine et cosmologie, corps, esprit et âme étaient réunis en une
synthèse réellement visionnaire. Mais la science est dangereuse
dans les mains de l'homme de la rue. Les savants de la Fraternité
avaient donc un mode de vie à part comme les prêtres d'aujourd'hui.
C'est ainsi que la mathématique pythagoricien ne devient
l'expression même de sa philosophie : par la contemplation, on
apprend que les nombres obéissent aux lois universelles de
l'harmonie, qu'ils se groupent en ensembles équilibrés, comme les
cristaux et les intervalles consonants de la gamme. Le disciple
émerveillé découvre les nombres carrés (ex. 4 = : :), les nombres
rectangulaires (ex. : 6 = * ), les nombres triangulaires (ex. : 6 = 4).
**
Il apprend ensuite qu'une série de nombres carrés s'obtient en
additionnant les nombres impairs successifs : 1 + 3 + 5 + 7 + 9 ..., et
qu'une série de nombres rectangulaires découle de l'addition des
nombres pairs successifs : 2 + 4 + 6 + 8 + 10 ... Il s'extasie sur la
magie du nombre d'or (1,618), et sur les possibilités qu'il offre en
matière d'esthétique de construction. La même philosophie
appliquée à l'astronomie aboutit à une rêverie poétique sur la
« musique des sphères » au bourdonnement harmonieux qui, mille
ans plus tard (Kepler), devint la base la plus solide de l'astronomie
moderne. Les pythagoriciens ne se contentaient pas de pontifier, ils
mettaient leurs connaissances en pratique. C'est ainsi qu'Hérodote
mentionne un tunnel-canalisation d'eau de neuf cents mètres de
long, avec trottoir d'inspection, construit à Samos par le
pythagoricien Eupalinos : ce tunnel fut commencé aux deux bouts en
même temps, et les équipes se sont rencontrées au milieu, à moins
d'un mètre d'écart...
Par la patiente élaboration d'une vision globale de l'univers (« tout
est nombre, tout est harmonie »), Pythagore a incontestablement
apporté à notre monde occidental un message exceptionnellement
riche. Mais l'a-t-il inventé de toutes pièces ? À mon avis, la réponse
est non. Grâce à sa méthode, les voyages et les initiations
successives auprès de tous les grands hommes de son époque, il a
littéralement sauvé de l'oubli et du cloisonnement un immense
héritage culturel et scientifique qui permit à la Grèce de faire un
bond en avant et de mettre une marque indélébile sur notre actuelle
civilisation. Pythagore est donc le trait d'union entre le lointain passé
de l'humanité et nous. Il a sauvé l'héritage de Carnac et des
Pyramides, et nous l'a retransmis. Qu'honneur lui en soit rendu.
JACQUES VICTOOR
MANE-ER-GRAH : POINT ZÉRO ?

Dans l'article précédent je vous ai entretenu des divers modes de


construction des alignements et des cromlechs en évitant d'aborder
les retombées astronomiques car, premièrement, au niveau du site
proprement dit, les directions astronomiques ne peuvent être que
des constatations, même si elles sont complexes ; et deuxièmement,
parlant d'un site, les orientations ne se raccrochent pas directement
à un ensemble de visées significatives, de sorte qu'il est très difficile
de prévoir une coordination précise d'un ensemble de sites tels que
nous les rencontrons à Carnac. L'un n'exclut pas l'autre, tant s'en
faut, et il est primordial d'étudier les possibilités d'orientation d'un site
pour les placer dans un contexte plus large par après. Je vais tâcher
de vous donner « l'ambiance » astronomique qui règne dans les
environs de Carnac et de Locmariaquer ; si je cite encore à de
nombreuses reprises les théories du Professeur Alexander Thom et
de son équipe, c'est qu'ils ont effectué un sacré boulot. Et si les
hypothèses de Thom, vérifiées et contre-vérifiées, n'expliquent pas
toute la civilisation mégalithique, j'affirme qu'un pan du voile d'Isis
est franchement levé. Simon Mitton, dans son article de La
Recherche, concluait : « À partir de ces réalisations des hommes
néolithiques, il est intéressant de spéculer sur leur vision du cosmos.
Il est très probable qu'ils en savaient plus sur le système Terre-Lune
qu'aucun savant antérieur au XIIIe siècle ».
Depuis quelque temps déjà, le Grand Menhir de Locmariaquer
était considéré comme le centre d'une zone permettant des visées
lunaires. Er-Grah, brisé en quatre tronçons, faisait office de guidon
et divers points, plus ou moins éloignés, servaient de hausse ; ce qui
explique au moins la hauteur formidable de Er-Grah, près de
23 mètres. Le plus grand menhir d'Europe, sinon du monde, est
situé au milieu d'une région riche en tumulus, points hauts artificiels,
d'alignements et de dolmens orientés. C'est peut-être une des
faiblesses de la théorie de Thom, statistiquement il est toujours aisé
de trouver des concordances lunaires, toutefois je dois ajouter que,
jusqu'à présent, seules les visées lunaires ont été activement
étudiées. Il entre dans les éventualités que d'autres systèmes
orientables se révéleront par la suite. Avant d'entamer notre
excursion sur le terrain, suivons Thom et ses explications dans le
Journal for the History of Astronomy : « Peut-être que des
observations exactes de la lune étaient faites pour des raisons
scientifiques, mais il semble plus vraisemblable que l'objet était de
prévoir les éclipses. Le nœud de l'orbite de la lune (son intersection
avec le plan de l'écliptique), fait un tour complet en 18,6 années, et
ainsi, à une extrémité, la déclinaison mensuelle maximale peut
atteindre la valeur de (E + i), tombant 9,3 années plus tard à (E - i).
Nous appellerons ces moments « immobilisation » majeure et
mineure de la lune. Ici E est l'obliquité de l'écliptique et i l'inclinaison
de l'orbite de la Lune. Tandis que la valeur moyenne de i reste
constante pour des millénaires, sa valeur actuelle est sujette à de
petites fluctuations, avec un terme prédominant d'amplitude Δ = 8,7
et de période de 173,3 jours, par exemple une demi-année d'éclipse.
Les éclipses peuvent survenir seulement quand cette perturbation
est proche ou à son maximum ».
Il va sans dire que, sur le terrain, la recherche était axée sur des
points correspondant au mieux aux valeurs extrêmes soit (E + i), soit
(E - i). Corollairement, ces points devaient être mégalithiques et,
surtout, permettre une visée accessible au Grand Menhir. Lors des
investigations menées sur les alignements du Ménec, Kermario,
Kerlescan et Petit-Ménec, Alexander Thom nota des positions qui
étaient étroitement liées à Er-Grah. S'écartant même des
alignements, il s'intéressa au tumulus du Moustoir et aux menhirs de
Kervilor. « La position de ces pierres impressionnantes est indiquée
sur le plan de la page suivante. Les trois menhirs notés L, M et K
sont connus du public, L et K sont hauts de 3 m 60. M est celui du
Manio, mais le plus petit menhir oriental S est peu souvent visité. Il
se trouve sur le chemin longeant le bois et est presque caché par les
broussailles. Il a environ 2 m 70 de haut, une section carrée
(90 x 90 cm) avec ses côtés vaguement orientés NO et SO.
Aujourd'hui les arbres, ajoncs et broussailles empêchent de voir
d'une pierre à l'autre, mais les six mètres du menhir M au Manio sont
sur un point haut et, en l'absence de végétation, il peut être vu de
partout. Le menhir L est dans un creux et entouré d'un mur d'ajoncs
de 4 m 50 de haut. Nous avons réussi à faire quelques relevés, qui
démontrent que la ligne vers M atteint la position critique près de
L. »

De fil en aiguille, l'équipe de chercheurs arriva à souligner trois


lignes de visée : coucher du soleil au solstice d'hiver, une ligne de
visée lunaire et une ligne équinoxiale. « La première chose était de
construire un profil du sol le long de chaque ligne de visée (celles-ci
sont montrées sur le plan ci-dessous).
La ligne d'horizon — de hauteur zéro — épouse la courbure de la
Terre moins la courbure des rayons réfractés. Ceci permet, sur plan,
une ligne de visée représentée par une droite. Nous pouvons alors
estimer possible que Er-Grah, en position levée, ait été visible de
n'importe quel point considéré. Cela permet également de voir
lesquelles des positions sont à ce point élevées, qu'au-delà Er-Grah
passerait sous l'horizon ». Les investigateurs utilisèrent, dans les
visées actuelles, un nouveau château d'eau, à proximité immédiate
d'Er-Grah, et à partir de là, ils décidèrent de positionner le menhir,
debout virtuellement au centre de son gros fragment tel qu'il est
couché de nos jours. Revenons au plan, soit la visée - (E + i). (La
négative indique simplement qu'on est sous la ligne équinoxiale). La
coupe nous montre le relief du terrain avec en Kt Kergoet, en K le
dolmen de Kerran, en E Er-Grah, en P le tumulus de Petit Mont. La
visée - (E - i) tombe en M sur le tumulus du Moustoir, en C sur le
champ de menhirs, en S un menhir situé en point haut, en P dans
l'alignement du Petit-Ménec, en K sur les menhirs C et D de Kervilor,
en E sur Er-Grah et en T sur le tumulus de Tumiac qui est
légèrement décentré. Les autres lignes de visées semblent moins
importantes, ou bien les vestiges en ont quasi complètement
disparu. Ce qui est normal après tout, puisque nous nous trouvons
dans la presqu'île de Quiberon, qui fut sans doute ravagée par les
forces naturelles. (Cela se devine pour les lignes + (E - i) et
+ (E + i).
Tout ce que vous avez parcouru ici avait été publié en 1971, en
langue anglaise uniquement. Dès 1973, certaines traductions
apparaissent dans les meilleures revues scientifiques françaises.
Puis c'est le silence. Thom n'était-il qu'une flambée de paille ? C'était
compter sans l'opiniâtreté du chercheur ! La plupart des articles se
terminaient par un point d'interrogation poli. Thom essayait de
donner des preuves « computées », mais il restait un personnage à
part. C'est en 1976 qu'il publia dans le « Journal » un article qui
confirmait ses premières thèses, aidé par son fils Archibald S. Thom
et par J.M. Gorrie. Je ne sais si un jour nous serons en mesure de
donner un coup de main à Thom, mais j'aimerais citer Robert
L. Merrit, la Lloyd Foundation, Cleveland (Ohio - USA) et le Hulme
Fund, Brasenose College, Oxford (GB).
Ceci dit, retournons à Locmariaquer et au plan de la page
précédente. Et plus précisément au menhir M du Manio, où nous
nous apercevons que celui-ci est en étroite relation avec le site de
Keriaval (un petit alignement) et le cromlech de Crucuny. Il en
ressort que toute une série de sites étaient en interconnexion avec
Er-Grah, pas nécessairement directement avec le Grand Menhir
mais dans le sens de visées connexes permettant une auto-
vérification des points liés à Er-Grah et, par la même occasion,
d'exécuter d'autres visées. Si l'on suit les points S, K, P, Q, etc. sur
la carte il sera plus aisé de se rendre compte des visées
interconnectées :
— Kergalad : le menhir G ne fait sans doute pas partie du système
de hausses du Manio, par contre la petite pierre A l'est peut-être, sa
visée correspondant au coucher de la lune, derrière Le Manio, à sa
déclinaison la plus basse, cela lors de son immobilisation majeure.
— Les pierres S et K : vu de S, le limbe supérieur du soleil, au
solstice d'hiver, frôle le pied du menhir M, de plus cela se passe de
la même manière avec la lune (déclinaison — (E + i) quand elle se
couche derrière le menhir K à Kerlescan. De la pierre K, le soleil se
couche sur M à des dates importantes du calendrier, Saint-Martin et
Chandeleur.
— Les pierres P et Q : le lever du soleil au solstice d'été devait
être visible à partir de Q, l'axe étant déterminé par le menhir M. Le
soleil solsticial entrait à nouveau en ligne pour P, l'élément de visée
étant le tumulus sis près de M, malheureusement aucune vérification
n'est apportée puisqu'on ne connaît pas la forme exacte du tumulus :
pour mémoire seulement.
— Les pierres près de D peuvent à la rigueur servir de hausse, car
le lever de la lune, à son immobilisation majeure, risque de
s'effectuer à proximité immédiate du menhir M.
— La pierre F : selon le Professeur Atkinson, elle devait faire
partie d'une allée couverte (plus ancienne que les alignements !) :
notons que M et F sont, « au pied près », sur le même méridien.
— La pierre C : de son emplacement, le soleil solsticial est situé
en un point proche du tumulus qui (c'est une théorie) couvrait le petit
alignement du Manio.
— Les pierres N, L et J (Le Ménec) : impossible de démontrer quoi
que se soit pour N (et pour cause, ajouterai-je, elle se situe dans
l'alignement proprement dit), par contre J se trouve en plein nord du
centre de l'extrémité sud de l'ove du Mé-nec et en plein ouest du
centre principal de l'ove-est : L semble être une hausse valable par
rapport au tumulus du Manio.
Alexander Thom propose aussi les alignements de Keriaval. « Le
site est dans un état déplorable, mais d'après notre relevé, il est
évident que les pierres levées sont les restes d'un alignement. Nous
n'avons pas eu le temps de tirer une transversale au travers du site,
mais d'une position près de l'alignement nous pouvions voir le
château d'eau, et ainsi nous pûmes calculer l'azimut approximatif du
site de la pierre M. Keriaval en évidence est une hausse
intéressante ; mais comment l'interpréter ? Peut-être la seule
certitude est-elle que, à partir des menhirs, la lune est à sa plus
grande déclinaison sud à l'immobilisation mineure et devait alors se
lever sur le menhir M (…). Il semblerait que les menhirs formaient,
non pas un secteur admissible, mais bien deux lignes équidistantes
et qu'une de celles-ci était axée directement sur le menhir M du
Manio. Ce qui veut dire que les deux rangées indiquaient où la lune
devait se lever à son point d'immobilisation mineure. Enfin, le site de
Crucuny, également appelé Le Champ de Croix, sont les restes d'un
cromlech ; en vérité, seule une faible partie de la courbure subsiste,
mais à proximité un menhir, Y, est encore debout, c'est une hausse
dirigée vers le menhir M, ayant la propriété d'observer la déclinaison
— (E + i).
Nous basant toujours sur le même plan, nous devons conclure
que le menhir M du Manio était la pièce maîtresse de tout un jeu de
visées astronomiques. Le menhir du Manio peut être, alors,
considéré comme une répétition générale quant à l'érection de Er-
Grah, et Thom ajoute : « Une fois M érigé, les hausses S, K, A et
peut-être W et Y étaient mises en place là où nous les trouvons.
Ceci est entièrement spéculatif, mais si cela s'avère correct, alors
nous suggérons que le travail de cet observatoire a été abandonné,
et que les activités furent dirigées vers un projet bien plus grand
comprenant l'érection d'un énorme guidon, Er-Grah. Il aurait été
impossible de sélectionner un site pour Er-Grah sans la
connaissance des mouvements de la lune, et cette connaissance
devait provenir d'un observatoire antérieur centré au Manio. »
Comme on peut s'en rendre compte, chaque site est à même de
compléter les données en fournissant sa propre part de visées.
Celles-ci deviennent de plus en plus compliquées, de plus en plus
difficiles à localiser. Malgré tout, cette succession d'éléments
composites renforce les théories émises par Thom.
Le Géant du Manio : Tentant
mesure 1 m 20.
Si je devais prendre position, je serais obligé d'admettre que
l'observation astronomique n'offre pas toutes les réponses que l'on
se pose quant aux alignements, dolmens ou menhirs. Par contre, et
en cela je rejoins Thom, je me demande si les alignements ne sont
pas des tables de références à certains calculs. Prenons seulement
le cas d'un alignement : le travail d'observation pourrait tout aussi
bien se faire par la largeur et non pas par la longueur, ainsi qu'on le
propose toujours. Largeur liée immédiatement à l'espacement des
rangées de menhirs. Lorsqu'on voit une allée couverte « équipée »
d'un menhir indicateur, ne devons-nous pas valoriser l'interaction
des vestiges en concordance directe avec l'environnement, soit le
menhir, soit le relief et ses points remarquables, sans oublier les
autres sites avoisinants ? Il est certain que la méthode d'approche
de Thom est en train de faire ses preuves : l'avis de sommités, tels
que Atkinson (voir Stonehenge) et Glyn Daniel (voir New Grange)
abondent dans ce sens. Tandis que l'archéologue J. Hawkes prétend
que Thom est « encerclé de créneaux, parce qu'il a, à la fois, trop de
points d'observation et trop d'objectifs ». Il est de ces réactions
épidermiques... Peut-être qu'il y a des détails à revoir, mais la
théorie tient. Et un avenir proche va, je crois, nous en dispenser les
preuves. Toutefois, une énorme question restera hermétique :
pourquoi tant de pierres ? L'Homme du Mégalithique ne réussira-t-il
qu'à nous démontrer son savoir-faire astronomique ? Ou bien, y a-t-il
quelque chose de plus formidable encore ?
ROBERT DEHON
Le Géant du Manio.
Astronomie : un mémo.

Ascension droite et déclinaison : ce sont les coordonnées de


calcul analogues à la longitude et la latitude ; l'ascension droite est
l'angle entre le cercle horaire qui passe par le point vernal
(intersection de l'équateur et de l'écliptique), le passage du Soleil en
ce point marque l'équinoxe de printemps. La déclinaison est l'angle,
positif pour l'hémisphère nord et négatif pour le sud, entre la
direction du soleil et le plan de l'équateur.
L'écliptique : c'est le plan de l'orbite terrestre autour du soleil, les
éclipses ne sont possibles que lorsque la lune s'y trouve (soit vers le
soleil, soit à l'opposé), l'intersection de l'écliptique avec l'équateur
mène à l'ascension droite ; en effet, le soleil coupe alors l'équateur
au point vernal.
L'orbite lunaire : elle présente un angle moyen de 5°9' avec
l'écliptique et varie de 9' sur une période de 173,3 jours, la ligne
d'intersection de l'orbite lunaire et du plan de l'écliptique fait une
rotation en 18,61 années, cycle que vous connaissez à Stonehenge,
puisqu'il s'agit du cycle métonique.
Rappel : solstice = époque où le soleil passe par sa plus forte
déclinaison nord ou sud (été = ± 22/23 juin, hiver = ± 22/23
décembre) ; le point où le soleil se « lève » se calcule selon la
latitude du lieu où se trouve l'observateur. Réfraction et parallaxe.
Le premier à faire intervenir ces deux effets dus à notre
atmosphère, est le Professeur Thom, car, en vérité, une visée
théorique peut être remise en question par des influences physiques
extérieures à la visée elle-même. L'intervention de la réfraction et de
la parallaxe est très importante quand il faut reconstituer ou vérifier
un site mégalithique où l'on constate les prémisses des possibilités
d'observation des astres. Tâchons d'y voir plus clair. Nous savons
que la densité de l'air décroît selon l'altitude, et que les rayons
lumineux se courbent vers le sol. L'augmentation apparente de
l'altitude d'un objet distant est produit par la réfraction terrestre
lorsque l'objet est sur le sol. Voici comment il en est lorsque l'objet
est un astre. Un rayon de lumière provient de l'étoile S, passe le
sommet, ou tout autre point remarquable, de la montagne M et
atteint l'observateur O. Ce dernier voit, en fait, Sa. S'il n'y avait pas
d'atmosphère, ce même observateur devrait voir l'étoile S en Sb, soit
sur une visée absolument droite. La ligne OM est tangente en O,
mais la hauteur de la montagne est calculée depuis la terre ON, qui
est courbée selon un rayon Ry. Connaissant Ry, la hauteur MN et la
distance L, nous pouvons calculer l'altitude de M, soit l'angle Q, mais
il faudra corriger, car l'observateur mesure en réalité l'angle H qui est
plus grand que Q. Nous éviterons d'expliquer la correction, seul
l'effet compte ici. En ce qui concerne la parallaxe, Thom nous
l'explique ainsi : « ... la position de l'observateur sur la Terre affecte
la direction par laquelle il voit la Lune. Pour réduire une position
observée de la Lune à ce qu'elle serait si l'observation était faite du
centre de le Terre, l'altitude observée doit être diminuée par la
réfraction et augmentée par la correction de parallaxe. L'azimut n'est
pas affecté. La correction de parallaxe est plus grande quand la
Lune est sur l'horizon, et est alors connue comme parallaxe
horizontale (p). À une altitude h la correction devient p cos h qui est
zéro au zénith ».

Ces simples données confirment la complexité des visées


astronomiques à partir de sites mégalithiques. Nous sommes loin de
la constatation enfantine du néolithique saluant le soleil levant. Vu la
précision des sites, on peut se demander si l'Homme du
Mégalithique ne se jouait pas de ces complications ?
Le grand menhir brisé d'Er-Grah.
À quelle époque est-il tombé et comment s'est-il brisé en
morceaux encore respectivement étendus sans déplacement
depuis ? Un rapport de 1659, dressé par un lieutenant de l'amirauté
à l'occasion de la perte d'un petit navire à la côte, parle de la grande
pierre de Locmariaquer qu'on voyait du point du naufrage : cela
s'appliquait-il à l'un des deux menhirs renversés à la base du Mané-
er-Hroek, mais de beaucoup moindre dimension ? Assurément non.
Était-ce au contraire le haut obélisque qui nous occupe ? C'est la
dernière opinion qu'il faut cependant admettre. La grande pierre de
Locmariaquer, c'est celle-ci dans la tradition locale ; cette appellation
n'appartient à aucune autre. La rédaction de 1659 établit donc
entièrement que le grand menhir était encore debout à cette
époque ; ce document est à Vannes, dans la collection de M. de
Limur, à l'obligeance duquel sont dus ces renseignements.

Les manuscrits du Président de Robien, devenu, au commencement


du siècle dernier, propriétaire de grands biens à Locmariaquer,
fournissent aussi de précieux éléments d'étude ; compris entre 1726
et 1756, le Docteur de Closmadeuc les a compulsés à la
bibliothèque de Rennes où ils sont conservés ; il y a copié un dessin
qui donne le menhir allongé en quatre morceaux déjà sur le sol,
comme aujourd'hui. C'est sans doute ce qui a fait dire que la chute
remontait vers 1722 ; quant aux causes, le Président de Robien n'en
dit pas un mot. Actuellement et depuis longtemps la foudre est
rendue responsable de l'accident. En 1841, dans une tournée
entreprise à la demande d'Héricart de Thury, Tribert de Septmonts a
visité les quatre blocs et les a dessinés après les avoir mesurés
(archives de la Commission des monuments mégalithiques). Il a joint
une restitution montrant l'effet présumé de la foudre sur l'obélisque,
quand il a été frappé. L'identité entre la nature des quatre épaves, le
rapprochement exact dans la configuration des cassures, tout
concourt selon Tribert, à prouver que ces blocs formaient
originairement une seule pierre et que le monolithe avait été debout
au lieu même où il repose brisé ; les lois mathématiques sur
l'application des forces l'ont conduit à cette opinion : l'obélisque n'a
été renversé ni par le vent, ni par un tremblement de terre, ni par la
main des hommes, mais il a été frappé par la foudre obliquement,
d'occident en orient, vers le premier tiers de sa partie inférieure. Le
morceau du haut, le plus long, précipité en avant a chassé en arrière
le morceau du bas, le plus court, en lui imprimant la révolution que
tout le monde peut vérifier sur place. Le morceau du haut en
atteignant le sol s'est rompu en trois. De la position spéciale et
respective, examinée attentivement, il résulte, à n'en pas douter, que
le monolithe a été debout et que c'est par la foudre qu'il a été abattu.
Daniel Beaupré, agent voyer à Auray, a cubé récemment le
monolithe, et il a déterminé la densité spécifique de la matière au
moyen d'un fragment même de la roche ; cette densité exacte est de
2.587,719 kilos par mètre-cube. Voici le détail de son opération :

Si l'on s'en rapporte aux habitants et même à de nombreux


géologues, la matière du grand menhir, comme en général des
monuments mégalithiques importants de Locmariaquer, n'existerait
pas dans le pays, ni même aux environs ; elle différerait
essentiellement du granit local ; depuis les enrochements de la côte
sud jusqu'aux carrières exploitées pour bâtir, ce granit serait le plus
souvent calcaire, quelquefois même argileux, à grains serrés,
facilement entamé par l'acier, tandis que le granit du grand menhir et
du dolmen voisin (la Table des Marchands) est quartzeux, à gros
grains, à cassure vitreuse, produisant des étincelles sous le briquet.
La portion du grand menhir qui devait être enfoncée en terre a une
couleur jaune de rouille et semble renfermer du mica qui lui donne
une apparence schisteuse. Il faudrait, assure-t-on, aller jusqu'à Pont-
Aven (Finistère) pour trouver un gisement de granit analogue (…).
Cependant la mer, qui de temps immémorial dévore les côtes, a pu
enfouir une partie des gisements. Les spécialistes en trouveront
probablement encore assez de traces pour confirmer la pensée que
tous les matériaux employés étaient à portée.
(Philippe Salmon : « Le grand menhir de Locmariaquer », in
« L'homme ». 10-4-1885).
RADIOCARBONE CONTRE DIFFUSIONNISME, ou
LA DÉCEPTION QUI VENAIT DU FROID

« Les archéologues du monde entier réalisent que la préhistoire


dans son ensemble, telle qu'elle est présentée dans les textes, est
inadéquate. Elle est même partiellement fausse. »
(Colin Renfrew, « Before Civilization »)

Une découverte scientifique récente a fait souffler un vent de


panique sur le petit monde de l'archéologie et de la préhistoire. Une
de nos idées reçues les mieux incrustées dans les esprits, celle de
« l'Orient, berceau des civilisations », a été balayée en quelques
mois par les travaux de chercheurs compétents. Comme il est
d'usage en pareil cas, la réaction des milieux concernés fut
immédiate et violente. Mais la levée de boucliers n'a servi à rien,
puisque la vérité est en passe de gagner la partie. Avant même que
ne se manifestent les effets de la seconde révolution du
radiocarbone (car c'est de cela qu'il s'agit), nous avions pressenti
que l'Europe était un candidat sérieux au titre de « haut-lieu de
l'Histoire des civilisations ». La splendeur et la complexité de
Stonehenge, anachroniques dans l'optique du néolithique tel qu'il est
communément décrit, étaient déjà des indices troublants. Les
travaux du Pr. Thom ont montré que Carnac était un site analogue,
et au moins aussi extraordinaire que Stonehenge sur les plans
architectural, astronomique et géométrique. Nous apprenons
maintenant que ces sites sont beaucoup plus anciens que prévu, et
que, de ce fait... la civilisation vient peut-être du froid ! J.-P. Adam,
qui n'est probablement pas au courant, nous taxera sans doute à
nouveau de néo-nazisme idéologique, mais nous rirons derechef, et
plus fort encore, sous l'insulte qui est l'arme des faibles et des
ignorants. Place donc au passionnant roman du radiocarbone !
Au commencement était le diffusionnisme.
Au XVIIIe siècle, l'archevêque Ussher donna le coup d'envoi : ne
disposant bien évidemment d'aucune méthode scientifique de
datation, il se basa sur la chronologie biblique pour fixer la création
du monde en l'an - 4004. Un de ses émules, grâce à de mystérieux
calculs, précisa même avec un aplomb stupéfiant que le monde
avait démarré très exactement le 23 octobre - 4004 à 9 heures du
matin... Mais ceci n'était qu'un faux départ. Beaucoup plus tard, à
l'occasion des campagnes napoléoniennes, allait naître une science
inattendue, l'égyptologie, et avec elle commencerait la grande
controverse. Voici comment.
La préhistoire de l'Europe baigne à l'époque dans le romantisme
et l'obscurantisme absolus, par manque total de moyens
scientifiques de datation. Par contre l'étude attentive de la civilisation
égyptienne permet d'établir, pour la première fois, une chronologie
relativement précise des objets, monuments et événements de cette
partie du monde, grâce à la découverte de longues listes de rois
groupés en dynasties. On constate ensuite que toutes les grandes
civilisations du Proche-Orient, que l'on découvre l'une après l'autre,
présentent de nombreux points communs avec l’Égypte. Une
question toute naturelle vient alors à l'esprit des penseurs du temps :
ces civilisations sont-elles nées isolément ou découlent-elles toutes
de la plus ancienne ? Pour la première fois, évolutionnistes et
diffusionnistes s'affrontent. Selon les évolutionnistes, les
ressemblances s'expliquent par la naissance d'idées semblables
dans des conditions de vie semblables. Pour les diffusionnistes au
contraire, la plus ancienne civilisation a donné le jour à toutes les
autres, par le jeu des contacts entre populations. Ainsi, de proche en
proche, la lumière gagna l'Europe... Pour le diffusionniste Gordon
Childe, la préhistoire de l'Europe résulte de « l'irradiation de la
barbarie européenne par la civilisation orientale »...
Entre évolutionnisme et diffusionnisme, il faut donc choisir. Si l'on
opte pour l'évolutionnisme, deux conséquences sautent aux yeux :
1) Une chronologie historique n'est possible que pour le Proche-
Orient, car les civilisations européennes n'ont laissé ni calendriers, ni
textes, ni listes de rois.
2) Avant l'ère du radiocarbone, l'évolutionnisme ne permet pas de
dater les objets, monuments et événements européens.
Par contre, si l'on choisit le diffusionnisme, tout ce qu'on trouvera
en Europe sera automatiquement comparé avec son semblable au
Proche-Orient et pourra être approximativement daté en fonction de
celui-ci. Exemple : la datation de Stonehenge par Atkinson (époque
mycénienne) est, dans toute sa splendeur, le type même d'un
raisonnement strictement diffusionniste. On constate que le
diffusionnisme est donc un choix arbitraire, une solution de facilité et
un système d'interprétation à rebours qui fausse la préhistoire. C'est
pourtant la solution qui fut adoptée par les archéologues et
historiens de l'époque. Elle a donné naissance à la chronologie
préhistorique qui a cours aujourd'hui encore, et qui s'avère fausse à
la lumière des derniers développements de la science.
4) Cette diffusion fournit une base pour introduire la préhistoire
européenne dans la trame générale de la chronologie historique.
5) Les cultures préhistoriques européennes sont plus pauvres que
leurs homologues orientaux, donc la civilisation européenne est plus
tardive que l'orientale.
Nous rediscuterons ces cinq points dans la conclusion de l'article,
à la lumière de la seconde révolution du radiocarbone. En ce qui
concerne l’Égypte, la date historique la plus ancienne connue (du
moins selon la « chronologie courte ») est approximativement
- 3100. Quant à la Crète, on estime ses débuts aux environs de
- 3000. La première démarche du diffusionnisme sera donc de dater
la Crète et la Grèce par rapport à ce qu'on sait de la civilisation
historique égyptienne. Ensuite, par extension, on appliquera la
théorie à l'Europe entière. Tout ceci bien sûr en ayant décidé une
fois pour toutes que le sens du diffusionnisme est est-ouest, et non
pas le contraire.
Appliqué à la civilisation mégalithique, le diffusionnisme donne des
résultats évidemment identiques :
1) Les dolmens de Syrie-Palestine prennent largement la tête du
peloton.
2) Via l'Afrique du Nord, le mégalithisme se répand en Espagne et
au Portugal.
3) La péninsule ibérique devient alors la clé du mégalithisme
européen beaucoup plus tardif.
On peut ainsi établir un plan général du diffusionnisme :
Les grands principes du diffusionnisme.
Essentiellement énoncés par Oscar Montelius, les grands
principes du diffusionnisme ont été résumés par Gordon Ghilde :
1) La civilisation orientale Nil-Euphrate est extrêmement ancienne.
2) La civilisation peut être diffusée, du plus ancien vers le plus
récent.
3) Des éléments de civilisation furent de fait diffusés de l'Orient
vers l'Europe. C'est ce qu'on appelle « le mirage de l'Orient »,
expression fabriquée par Salomon Reinach.
Ce tableau semble logique, à condition d'admettre sans discussion
et une fois pour toutes le point 5 de la théorie du diffusionnisme, à
savoir que la civilisation européenne est moins ancienne que
l'orientale. Comme à l'époque on attribuait nos mégalithes aux
druides, cela ne posait aucune difficulté... Et c'est ainsi qu'à partir de
la chronologie du bassin méditerranéen, on a écrit une fausse
préhistoire de l'Europe ! Et c'est donc dans cette ambiance
diffusionniste qu'est apparu le premier système physique de
datation : le carbone 14 ou radiocarborne...
Première révolution du radiocarbone.
En 1949, à New York, la découverte des propriétés du carbone 14
ou radiocarbone par Willard F. Libby fut une aubaine inespérée. Les
deux isotopes du carbone, constituant essentiel des matières
organiques ou vivantes, ont le même nombre de protons mais pas le
même nombre de neutrons. Leurs masses sont donc différentes, et
ils émettent des radiations qui n'ont pas la même intensité : le
carbone 12 est stable, le carbone 14 est radioactif. Dans
l'atmosphère terrestre, le carbone 14 est perpétuellement recréé par
le bombardement de rayons cosmiques. Les êtres vivants absorbent
du carbone 12 et du carbone 14 : ils reçoivent donc continuellement
leur ration de substance radioactive. Avec la mort, l'apport cesse et
la quantité de carbone 14 (instable) commence donc lentement à
diminuer : au bout de 5730 ans (demi-vie du C 14), il n'en reste plus
que la moitié dans la matière organique morte. On peut donc dater
cette matière, si on connaît le rapport C 12/C 14 au moment de la
mort, en le comparant au rapport actuel. On se sert pour cela d'une
sorte de compteur Geiger qui mesure le rayonnement émis par la
matière à dater. Ce rayonnement est relativement irrégulier et donne
une certaine marge d'erreur : on détermine dès lors les limites
supérieure et inférieure de la période pendant laquelle la matière
organique en question a cessé d'absorber du C 14.

Ces manipulations nécessitent certaines précautions


— Le matériau à dater doit être gazéifié avant d'effectuer la
mesure, par exemple sous forme de méthane.
— Il faut protéger l'appareil de mesure contre les rayons
cosmiques qui, étant eux-mêmes un rayonnement, fausseraient le
résultat.
— Si la datation se fait sur un échantillon de bois de construction,
il ne faut pas perdre de vue que l'on date en fait la mort de l'arbre et
non le moment où l'édifice a été construit.
— On n'est pas certain que le rapport C 12/C 14, pris comme base
pour le calcul, soit absolument le même pour toutes les matières
organiques que l'on est amené à dater.
— Le rayonnement cosmique, générateur du C 14 de
l'atmosphère, peut varier d'intensité au cours des âges. La quantité
totale de C 14 atmosphérique n'est donc pas nécessairement
constante.
— Il n'est pas possible de dater des échantillons vieux de plus de
60.000 ans, car au-delà de cet âge la quantité de C 14 restant dans
la matière à dater n'est plus mesurable.

Il est intéressant de noter que les archéologues du futur risqueront


de commettre de lourdes erreurs en datant des matières organiques
mortes au XXe siècle. En effet, les expériences nucléaires ont
notablement augmenté la teneur atmosphérique en C 14... D'autre
part, s'il leur arrive un jour de dater des plantes ayant poussé au
bord de nos autoroutes, la confusion sera totale. En effet, ces
plantes absorbent du carbone provenant en grande partie des gaz
d'échappement de nos automobiles, c'est-à-dire du carbone déjà
fossile contenant peu de C 14 et beaucoup de C 12 ; en d'autres
termes, selon l'horloge atomique, ces plantes, bien vivantes,
devraient déjà être mortes depuis longtemps ! Nous allons voir à
présent ce qu'est devenu le diffusionnisme en 1950, à la lumière des
premiers résultats de datation par le radiocarbone.
Première controverse du radiocarbone.
En ce qui concerne l'Amérique, les premiers résultats ne
donnèrent lieu à aucune controverse, puisque la chronologie
historique y était quasi inexistante et qu'on ne pouvait donc pas
comparer les résultats obtenus avec une datation précise
préexistante. Il n'en alla pas de même à propos de l'Europe et du
Proche-Orient. Alors qu'avant l'ère du radiocarbone on attribuait à la
première cité de Jéricho, dans le cadre du diffusionnisme, une
ancienneté maximum d'environ - 4000, le C 14 révéla - 7000 ! La
réaction ne se fit pas attendre, et la bagarre fut chaude dans les
revues Germania et Antiquity, où le diffusionniste Vladimir Milojcic
déclara que la méthode était caduque... Pour Durrington Walls en
Grande-Bretagne, le C 14 donna - 2600, ce qui fit proférer une
ânerie à Stuart Piggott en 1959 : celui-ci, situant le néolithique
anglais à maximum - 2000, déclara que le radiocarbone était
« archéologiquement inacceptable » ! D'autres dates
« inacceptables » furent trouvées : - 4715 ± 60 pour la Hollande,
- 3210 ± 60 pour la Bretagne, - 2720 ± 150 pour la Grande-Bretagne,
- 13.500 ± 900 pour Lascaux (paléolithique supérieur)...

Que s'est-il alors passé, me direz-vous ? A-t-on définitivement


enterré le diffusionnisme ? Ce serait compter sans l'entêtement de
ces messieurs. Bien au contraire, le diffusionnisme demeurait en
place : on reculait toutes les dates d'environ mille ans, sauf pour
l’Égypte, dont la chronologie historique était trop fermement établie.
Tout simplement, l’Égypte faisait les frais de l'affaire : on l'excluait
désormais de la farandole diffusionniste ! Conclusion : on prend les
mêmes, moins l’Égypte, et on recommence ! Mais si la première
révolution du radiocarbone n'a réussi qu'à ébranler légèrement le
diffusionnisme, la seconde révolution, quelques années plus tard, l'a
définitivement écrasé, du moins aux yeux des préhistoriens qui n'ont
pas peur de la réalité.
La seconde révolution du radiocarbone.
Chaque année, au printemps, un arbre fabrique un anneau de bois
supplémentaire, qui ceinture les anneaux précédents. Ce sera cet
anneau-là qui « vivra » cette année-là, et les précédents, ayant
terminé leur croissance, seront « biologiquement morts » : ils
n'emmagasineront plus rien. L'anneau du printemps nouveau
deviendra donc plus ou moins dense et plus ou moins gros, selon le
climat bien particulier de l'année qui s'écoulera jusqu'au printemps
suivant. Pour tous les arbres d'une même région donc, l'anneau
d'une année bien déterminée aura presque le même aspect. Il
devient dès lors possible de comparer entre eux, dans une même
région, les anneaux d'arbres différents. On pourra donc constater
l'analogie entre les anneaux les plus anciens d'un arbre mort
récemment, et les anneaux les plus récents d'un arbre mort depuis
longtemps. De même, on constatera la ressemblance entre les
anneaux les plus anciens d'un arbre mort depuis longtemps et les
anneaux les plus récents d'un arbre mort depuis très longtemps,
etc... etc... Il suffira donc, si j'ose dire, d'aligner bout à bout les suites
d'anneaux d'arbres comparables d'une même région, morts à des
époques différentes pour obtenir un véritable calendrier végétal,
chaque anneau correspondant à une année solaire bien précise et
bien connue. La science qui s'occupe de ces recherches est la
dendrochronologie. Cette science, apparemment si éloignée de nos
préoccupations, vint au secours des partisans de la méthode de
datation par le radiocarbone.

Disposant du calendrier végétal de la dendrochronologie, on s'est


aperçu que c'était là le moyen idéal de vérifier la fiabilité des
datations au carbone 14. En effet, si l'on procède à la datation par le
radiocarbone de chacun des anneaux en question, en connaissant
d'avance le résultat exact (l'âge réel de l'anneau daté), on pourra
vérifier à coup sûr si la méthode est valable, c'est-à-dire si l'âge
obtenu pour chaque anneau correspond bien à l'âge réel de
l'anneau. En cas de divergences, il sera possible de « calibrer » le
C 14, de réajuster l'ensemble de la méthode et de porter les
résultats sur graphique, dans le but de disposer d'une véritable règle
à calculs permettant une fois pour toutes de traduire les « années
C 14 » en années solaires. Plus aucune erreur ne serait alors
possible dans l'interprétation archéologique des résultats, et les
dates obtenues par le « C 14 calibré » deviendraient absolument
indiscutables. Ce qui fut dit fut fait. Les chercheurs se sont donc mis
à ce travail (de bénédictin !). Ils ont commencé à dater au C 14 les
anneaux de Sequoia Gigantea. Mais comme cet arbre vit un
maximum de 2000 ans, il a fallu bien vite se rabattre sur une variété
curieuse de pin californien, le Pinus Longaevia dont le spécimen
vivant le plus âgé compte 4900 printemps ! Il s'agit en fait du plus
vieil habitant vivant de la terre. Ses anneaux constituent un miroir
particulièrement fidèle du climat de la Californie, car il y pleut très
peu et la plus petite différence annuelle est nettement marquée.
Grâce à ce travail capital, un graphique de calibration « années
C 14/années solaires réelles » a pu être établi pour une période
atteignant actuellement 8200 ans. Ce graphique est l'œuvre du
Professeur Suess et ses collaborateurs. Pour les diffusionnistes, il
sonne le glas.
La seconde controverse du radiocarbone.
Les résultats publiés par le Pr. Suess montrent que les dates
obtenues par la méthode du radio-carbone sont correctes (avec une
marge d'erreur négligeable) jusqu'en - 2000. Au-delà, elles sont
toutes systématiquement trop récentes. En d'autres termes et pour
être clair, tous les vestiges antérieurs à - 2000 sont encore
beaucoup plus anciens que prévu ! Ceci a des conséquences
incalculables qui modifient complètement notre vision du passé de
l'humanité. Plutôt que de procéder à une fastidieuse énumération
des résultats, je vais tenter de résumer en peu de mots la situation
actuelle.

• En ce qui concerne le Proche-Orient et la civilisation égéenne, la


chronologie ne varie pas beaucoup. En effet : a) il existe pour ces
régions une chronologie historique fermement établie et difficilement
contestable, sauf peut-être pour l’Égypte ; b) cette chronologie
excède de peu la date fatidique de - 2000 et les corrections de dates
restent dans la « fourchette » prévue pour ces civilisations.
• La préhistoire européenne recule de manière appréciable dans le
passé et tout ce qui semblait résulter du diffusionnisme acquiert de
ce fait les lettres de noblesse d'une civilisation originale. Les allées
couvertes de Bretagne se voient attribuer une ancienneté allant de
- 3350 à - 4800, pour New Grange (Irlande) on trouve - 3300, ainsi
que pour les mégalithes danois. La péninsule ibérique elle-même
plonge dans un passé inattendu : - 2950 à - 3700.

Les conclusions que l'on peut tirer de la seconde révolution du


radiocarbone sont donc bien claires. Le néolithique final espagnol et
celui des Balkans sont largement antérieurs à leurs ancêtres
supposés de l'est méditerranéen. Et puisque la civilisation égéenne
remonte au maximum à environ - 2700, il est aisé de déduire que les
mégalithes espagnols dérivent plutôt de leurs homologues bretons,
plus anciens encore ! Enfin, il faut définitivement jeter aux oubliettes
la théorie d'Atkinson selon laquelle la civilisation mycénienne fut à
l'origine de la construction de Stonehenge par la Wessex Culture,
puisque Stonehenge devient subitement beaucoup plus ancien que
Mycènes... Faut-il pour autant tomber dans le travers d'une sorte de
« néo-diffusionnisme » et prétendre, comme certains l'ont fait, que
c'est au contraire Stonehenge qui influença Mycènes ? Je ne le
pense pas. Il s'agit à mon avis de deux civilisations originales qui
eurent peut-être à certains moments de leur histoire des contacts
commerciaux et culturels. Et il semble bien que ces contacts se
soient maintenus au fil des siècles, puisqu'il paraît maintenant
certain que c'est à Carnac et à Stonehenge que, bien plus tard,
Pythagore alla chercher l'inspiration en vue du futur « miracle
grec » !

Le diffusionnisme ayant ainsi reçu le coup de grâce, comment se


présente dès lors le tableau général de la préhistoire à la lumière de
ce qui précède ? Il n'entre pas dans le cadre de cet article de
« refaire » une chronologie complète dans ses moindres détails.
N'étant pas moi-même qualifié pour ce travail, j'en laisse le soin aux
spécialistes et je renvoie le lecteur que cela intéresse aux
publications ad hoc. Mais je peux néanmoins brosser dès à présent
une esquisse qui aura le mérite d'être simple, claire et relativement
exacte. Elle s'inspire des travaux de Colin Renfrew, et présente les
avantages et les inconvénients de tout résumé. La voici :

Deux points qui nous intéressent particulièrement sont mis en


lumière par ce tableau : Stonehenge est antérieur à Mycènes et à la
Wessex Culture comme nous l'avions toujours prétendu, et Carnac
serait antérieur aux pyramides d’Égypte ! À propos de ces dernières,
même si l'on considère comme préférable la « chronologie longue »
basée sur les listes de Manéthon, les pyramides deviendraient tout
au plus contemporaines des allées couvertes bretonnes... Le
diffusionnisme est-il donc bien mort ? À mon sens oui, de toute
évidence. Mais ces messieurs ne se laissent pas convaincre aussi
facilement, si j'ose dire. Ils ont donc manifesté des réticences, que je
vous livre ci-après.
Dernier sursaut des diffusionnistes.
Les tenants du « mirage de l'Orient » ont commencé par affirmer
que si le radiocarbone avait besoin d'être calibré, c'est qu'il ne valait
rien. En conséquence, aucune date fournie par !e carbone 14 ne
pouvait être prise au sérieux, ni les dates avant calibration, ni les
dates après calibration. Cet argument ne tient pas. En effet, ce n'est
pas la méthode de datation qui est mauvaise, c'est la quantité de
radiocarbone atmosphérique qui varie en fonction des époques
considérées. Il y a à cela deux bonnes raisons. J'ai dit plus haut que
le radiocarbone atmosphérique provient du bombardement continuel
de notre atmosphère par les rayons cosmiques. Or, deux éléments
peuvent modifier la quantité de rayons cosmiques qui frappe notre
planète : les variations du champ magnétique terrestre, qui dévie
partiellement, et plus ou moins, lesdits rayons et les variations de
l'activité solaire, qui est elle-même productrice de rayons cosmiques.
C'est donc en vertu de ces deux variables qu'il a fallu ajuster les
résultats en fonction des données fournies par la dendrochronologie.
Qu'à cela ne tienne, les partisans infatigables du diffusionnisme se
sont alors attaqués au bien-fondé de la dendrochronologie.
Question : la calibration par la dendrochronologie jusqu'en - 6000
est-elle une méthode fiable ? Réponse : oui, car il existe d'autres
études poussées de dendrochronologie qui permettent une
comparaison valable.
Qu. : les arbres de Californie ne présentent-ils pas une
particularité quelconque qui fausse l'ensemble de la méthode et, par
exemple, ne furent-ils pas contaminés par du radiocarbone de
provenance récente ?
Rép. : non, car la comparaison a été faite avec des chênes
européens.
Qu. : les laboratoires qui ont procédé aux analyses présentent-ils
suffisamment de garanties de compétence et de fiabilité ?
Rép. : oui, car les analyses ont été confiées à des laboratoires
différents, connus pour leur sérieux, et les légères divergences
constatées entre les résultats sont négligeables.
Qu. : en considérant une époque donnée, la concentration de
radiocarbone dans l'atmosphère était-elle identique en Californie et
en Europe ?
Rép. : les différences entre régions sont négligeables.
D'autres méthodes de datation ont été utilisées également pour
vérifier la crédibilité des résultats obtenus après calibration du
radiocarbone. Je citerai la thermoluminescence, la datation par les
varves. On a même daté par le carbone 14 calibré des objets
égyptiens d'âge historiquement connu avec certitude : les résultats
sont concordants.
Conclusion : la civilisation qui venait du froid ?
La boutade, qui est de Colin Renfrew, doit être considérée avec
prudence. Comme toutes les boutades, elle contient probablement
une part de vérité, mais une part seulement. L'accepter sans
discussion serait faire preuve de légèreté. On verserait alors dans le
« néo-diffusionnisme » que j'évoquais plus haut, en inversant tout
simplement le sens du diffusionnisme tant décrié. À mon avis, il ne
faut pas accorder plus de crédit à l'Uebermensch nordique qu'au
mirage oriental. Mais il sied plutôt de revoir les cinq principes du
diffusionnisme énoncés en début d'article, afin de les « calibrer » à
leur tour en fonction de la seconde révolution du radiocarbone.

1) La civilisation orientale est extrêmement ancienne ?


Calibration : la civilisation européenne est plus ancienne encore et,
pour ceux qui en doutaient encore, la civilisation mégalithique n'a
rien à voir avec les druides.
2) La civilisation peut être diffusée, du plus ancien vers le plus
récent ? Cal. : il peut y avoir des contacts culturels entre peuples,
sans influence déterminante quant à la naissance d'une civilisation
d'un côté ou de l'autre.
3) Des éléments de civilisation furent diffusés de l'Orient vers
l'Europe ? Cal. : peut-être, mais alors des éléments seulement, et
vraisemblablement dans les deux sens.
4) Cette diffusion fournit une base pour introduire la préhistoire
européenne dans la trame générale de la chronologie historique ?
Cal. : non ! Cette attitude est néfaste et mène à une interprétation à
rebours qui falsifie la préhistoire. Elle ne se défendait qu'à une
époque où on ne disposait pas encore de méthodes scientifiques de
datation, au temps où la chronologie historique égyptienne était la
seule base de départ pour tenter de comprendre l'origine de la
civilisation européenne.
5) Les cultures préhistoriques européennes sont plus pauvres que
leurs homologues orientaux, donc la civilisation européenne est plus
tardive que l'orientale ? Cal. : on sait maintenant que l'Europe fut la
plus précoce, au contraire. Je me demande par ailleurs si des sites
comme New Grange, Stonehenge ou Carnac, pour ne citer que ceux
que nous avons abordés dans le détail, peuvent être taxés de
« pauvreté ». Je pense qu'il est temps pour l'Europe de perdre son
complexe d'infériorité.
On le voit, il ne reste quasi rien du diffusionnisme. L'Europe fut bel
et bien le berceau d'une civilisation originale et très ancienne.
L'Europe n'a rien à envier à l'Orient, et si des contacts eurent lieu, ils
furent mutuellement enrichissants. Ce qui n'enlève évidemment rien
au mérite des grandes civilisations méditerranéennes. Mais n'est-ce
pas mieux ainsi ?
JACQUES VICTOOR
CONCLUSION : CERNER UNE AUTRE VÉRITÉ

« Étant donné le peu d'éléments probants, l'interprétation de la


signification des menhirs est un des cauchemars des
archéologues »
Professeur P.-R. Giot.

On l'aura remarqué, ce document ne ressemble guère à ce qu'on


lit habituellement sur Carnac et la Bretagne. Stonehenge formait un
tout, Carnac n'est que partie d'un tout. C'est pourquoi aucun
rédacteur ne s'est hasardé à une conclusion partielle, se contentant
de circonscrire une partie de cette vérité « autre ». Mais après
lecture du dossier, on peut, sinon conclure, du moins constater des
faits. Et il y en a plus que Giot ne veut en envisager.

1. La société mégalithique pose, en soi, plus d'un problème. Pour


mener à bien pareilles tâches, on doit l'imaginer parfaitement
centralisée, mais selon quel processus d'intellectualisation ? Les
premiers balbutiements de l'intelligence auraient dû voir éclore des
moyens moins pénibles pour les tâches quotidiennes, et non le
contraire. Autre paradoxe : ces moyens considérables, unique
manifestation de leur esprit technicien, les Mégalithiques ne les
mettent en œuvre que dans une seule direction : déplacer des
pierres. Cette unique activité leur ôte toute possibilité de loisir, d'où
l'absence d'un art sculptural par exemple. Mais l'incompréhension ne
s'arrête pas là. À l'époque néolithique, les coupes stratigraphiques
ne diffèrent guère, qu'il y ait ou non des mégalithes. Même stade de
culture et d'outillage, même mode de vie... simplement, certains
dressent des mégalithes, d'autres pas. On les retrouve dans le
monde entier, dans des pays de tradition et de religion très
éloignées, et même où l'Histoire n'a pas débuté au même moment.
D'où la constatation de Denis Roche « que l'idée mégalithique a dû
se surajouter sans rien remplacer chez tous les peuples où elle s'est
implantée ». Et il y a un corollaire, c'est Fernand Niel qui le relève :
« En somme, se trouvaient rassemblés tous les éléments propres à
faire naître une grande civilisation (...) Or, en aucun des divers
centres mégalithiques, malgré des conditions extrêmement
favorables, on ne voit apparaître et se développer cette grande
civilisation ». Qui plus est, elle s'éteint sans bruit, au bout de
quelques millénaires, sans laisser de traces ni dans l'histoire écrite,
ni même dans les mythes. À croire, comme le fait Jacques Bergier,
que les populations furent impressionnées par un événement d'une
telle ampleur qu'en résulta une amnésie collective. Voilà le premier
mystère des mégalithes.
2. On ne peut éluder la question du transport. Nous y avons
répondu dans le numéro 6 de la revue KADATH (février 1974) :
« Mégalithes bretons : l'intendance ne suit pas » dont copie est mise
en annexe à cet ouvrage. Rappelons les données en quelques mots.
Compte tenu de la densité mégalithique en Bretagne, et estimant sa
population néolithique à 100.000 habitants, on calcule que chaque
famille de trois personnes (père, mère et un enfant) aurait érigé au
moins dix monuments par kilomètre carré, soit un tous les deux
mois, durant 2000 ans ! Et par monument mégalithique, on entend
aussi bien les cailloux du Petit-Ménec que le tumulus Saint-Michel.
Mais la plus grande impossibilité demeure l'intendance. Avec le
système des leviers jointifs, on pourrait placer la dalle de 75 tonnes
du Mané-Rutual en faisant travailler 700 hommes durant 60 jours.
Ce qui fait 42.000 rations journalières. À raison de 3000 calories par
jour, il eût fallu, soit 36 tonnes de blé, soit 63 tonnes de viande de
bœuf, soit 105 tonnes de poisson... Point n'est besoin de
polémiquer. Simplement, avoir l'honnêteté de reconnaître que les
moyens primitifs proposés sont insoutenables. Les leviers jointifs
exigeraient des troncs de sept mètres et plus, d'une parfaite
résistance. La présence de mégalithes sur des sommets exclut le
procédé du plan incliné, tout comme la présence des pierres de
calage. Et quand bien même, pourquoi n'y eut-il jamais d'accident ?
Nulle part, on n'a retrouvé d'ossements humains écrasés sous un
bloc. Or, nombreux sont les menhirs qui furent dégrossis et polis sur
toutes leurs faces, ce qui implique qu'ils furent tournés et retournés
sans problème. Et combien pesait alors le bloc brut ? Non, on doit
reconnaître, avec Fernand Niel, « qu'il semble que les constructeurs
de mégalithes, dans le choix de leurs matériaux, n'ont pas été
arrêtés par le poids ou par la grosseur des blocs. Autrement dit,
lorsqu'ils ont utilisé une pierre de dix tonnes, c'est parce qu'ils n'ont
pas eu la possibilité, croirait-on, d'en trouver une plus grosse et plus
lourde ». Et pour ce faire, c'est parfois à 50 kilomètres de distance
qu'ils allaient la chercher ! Et, chose bizarre, tout ce travail semble
avoir été bénévole. Car, pour l’Égypte, on peut imaginer des
esclaves pour qui la fuite signait leur arrêt de mort dans le désert
environnant. Mais ici ? Qu'est-ce qui les retenait ? Impossible de
répondre.
3. Plus on étudie !a question, plus le degré d'ancienneté des
mégalithes s'élève. On sait maintenant qu'ils remontent plus loin que
n'importe quelle civilisation méditerranéenne. La théorie
diffusionniste comportait d'ailleurs plus d'un paradoxe. Ces hommes
des mégalithes, venus soi-disant du Proche-Orient où avait été
découverte la métallurgie, et partis, disait-on, à la recherche du
cuivre, n'ont laissé aucun objet rituel métallique dans leurs soi-disant
tombes. Mais bien des haches de pierre, copies des haches en
cuivre, mais à l'échelle de géants... Qu'en est-il donc des datations
en ce qui nous concerne ? On ne date pas les pierres, mais bien le
mobilier. Les vestiges ont donc au moins l'âge de leur contenu.
C'était -2000 à l'époque héroïque, avant le carbone 14. Depuis,
celui-ci a livré - 3280 et - 3390 pour l'île Carn, - 3760 pour la
chambre centrale du tumulus Saint-Michel, - 3800 pour la pyramide
de Barnnez, - 3850 pour les îles Gaignog et Bougon. Au carbone 14
calibré par la dendrochronologie, Barnenez et le tumulus Saint-
Michel remontent donc au moins à 4750 ans avant notre ère. Dont
acte. Mais il reste les deux lots de débris trouvés dans un coffre du
même tumulus, et analysés en 1961 respectivement à Saclay et à
Gif-sur-Yvette par Messieurs Delibrias, Labeyrie et Perquis, et qui
révélèrent : - 6650 et - 7030 soit, après calibration, plus de 8000 ans
avant notre ère ! Le Professeur Giot dira bien qu'on a fait usage là
de débris déjà fossiles, nous répondrons qu'il s'agit alors de la plus
curieuse religion qu'on puisse concevoir ! Nous ne refusons pas
l'information : nous constatons simplement l'incomplétude, et
attendrons d'autres résultats.
4. L'Homme des Mégalithes connaissait mieux le système Terre-
Lune que nous au XVIIe siècle. À cet égard, le réductionnisme d'un
Giot est affligeant : « Il s'agit, dit-il, de démarches purement
empiriques, qui ne procèdent d'aucune approche théorique
poussée ». À ce train, nombreuses sont les branches de la
recherche actuelle qui répondent à cette définition ! Soyons sérieux.
La mise en place des mégalithes ne peut se faire que si on connaît
déjà la périodicité des solstices et des équinoxes, dont ils sont la
matérialisation. Le système d'Er-Grah est à ce titre exemplaire : c'est
un guidon universel pour huit hausses, ce qui a exigé des centaines
d'années d'observation. Elles tiennent compte de corrections en
fonction du diamètre apparent de la Lune. Les alignements ne sont
alors que des calculateurs auxiliaires, et les oves sont là pour obtenir
des facteurs mégalithiques entiers. Nous utilisons pour cela des
calculatrices de poche à chiffres. Ceux qui menaient le jeu devaient
être affranchis de la peur des phénomènes célestes. Fred Hoyle
imagine une classe sacerdotale, face à une population perdant son
sang-froid devant ces phénomènes. Et il pense que la régression
serait due à des négligences dans la correction des calculs selon
l'évolution de la carte du ciel. Reste le choix du site. On sait que
Stonehenge est un endroit unique, le seul au monde où les azimuts
du Soleil et de la Lune, à leur déclinaison maximale, font 90°, l'angle
droit essentiel pour les pythagoriciens. À Carnac, par 47°15' de
latitude nord, l'écart entre le solstice d'été (54°) et le solstice d'hiver
(126° ) est de 72°. C'est l'orientation générale du Grand-Ménec ; le
petit axe de l'ove est flanquant l'alignement vise le solstice d'hiver ;
de même que l'allée couverte des Pierres-Plates. Or, 72°, c'est
l'angle au centre du pentagone, second pion sur l'échiquier
pythagoricien ! Est-ce la raison du choix de ce parallèle ? Nulle part
ailleurs le long de celui-ci, on ne retrouve pareil quadrillage. Ou
alors, devons-nous croire Robert Wernick qui, dans « Les hommes
des mégalithes », propose comme mobile du choix : « un dieu
apparaissant à un chef de la communauté, une source jaillissant
d'une roche, une vache laitière blanche (sic) se couchant afin de se
reposer » ? La vache se couche le long du parallèle de 47°, tout le
monde descend et hissez haut les mégalithes !
5. On croit toucher du doigt la solution, puis on doit constater
qu'elle heurte le bon sens. Les dolmens seraient des tombeaux, et
les menhirs des repères ? Comment croire à des sépultures qu'on
laisse ouvertes aux prédateurs et aux pillards, ou mieux, qu'on
réutilise durant 4000 ans, comme ce fut le cas pour le tumulus Saint-
Michel ? On imagine mal une religion à ce point pauvre en traditions,
qu'elle présente un tel éventail de variantes : de un seul corps à 350,
certains incinérés, d'autres non, accroupis ou allongés, fracturés ou
non, ligotés ou non... et tout cela souvent dans la même
« sépulture ». Mais l'explication astronomique n'emporte pas plus
l'adhésion, à l'exception du système d'Er-Grah, où un bloc plus petit
n'aurait pas fait l'affaire. Voir le lever de soleil à un endroit déterminé,
un jour déterminé ? Pour prévoir les grandes marées... à l'intérieur
des terres ? Pour prévoir le temps des semailles... alors qu'il existe
tant d'autres moyens bien plus sûrs et n'exigeant pas pareille main
d'œuvre ? Il est incontestable qu'une signalisation astronomique fut
surajoutée à un certain nombre de fonctions : on pourrait imaginer,
par exemple, que les mégalithes seraient les sanctuaires d'une
religion fondée sur les mathématiques. Pourquoi pas ? Mais
encore... on nous reprocherait de ne citer aucune hypothèse. Sous
toute réserve, voici donc celle esquissée par notre ancien
collaborateur Pierre Méreaux-Tanguy, au long des diverses
conférences sur la question. Elle présente l'avantage de se baser
sur certaines données précises et vérifiables que voici :
— la carte mondiale des mégalithes se superpose aux gisements
importants de fer, lequel est une matière magnétique par excellence.
— le golfe du Morbihan est entouré de zones de fractures
(plusieurs tremblements de terre par an) : le procédé de calage sur
pointes pour les tables des dolmens permettrait de détecter les
infrasons sismiques.
— les diverses couches géologiques ainsi en contact contiennent
une proportion plus ou moins forte de quartz, schistes, granits,
lesquels, en milieu basique, forment des couples électrochimiques
en des milliers d'endroits, d'où la création de multiples courants
telluriques.
Les menhirs seraient alors une véritable acupuncture de la Terre,
la région du golfe fonctionnerait comme une gigantesque pile, et
serait une sorte de centrale utilisant le magnétisme terrestre comme
source d'énergie, mais dont on aurait perdu le mode d'emploi.
L'hypothèse vaut ce qu'elle vaut et attend des vérifications plus
amples. En attendant, nous nous devons de citer à l'appui Lyall
Watson : « Nous savons que le champ magnétique de la Terre se
modifie légèrement suivant la position de la Lune et du Soleil. Des
observations effectuées à Greenwich entre 1916 et 1957 montrent
que le champ géomagnétique change d'heure en heure, en accord
direct avec la journée solaire, la journée lunaire et le mois lunaire ».
Périodicités solaire et lunaire : exactement les préoccupations des
constructeurs de mégalithes...
IVAN VERHEYDEN
BIBLIOGRAPHIE D'ENSEMBLE.

• Sur la préhistoire du Morbihan.


G. De Closmadeuc : « Sculptures lapidaires et signes gravés des
dolmens dans le Morbihan », Vannes 1873.
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for the History of Astronomy (des tirés à part peuvent être obtenus
auprès des Science History Publications Ltd, Halfpenny Furze, Mill
Lane - Chalfont St. Giles, Buckinghamshire, GB) : « The
astronomical significance of the large Carnac menhirs » (Vol. 2,
October 1971, Part 3, n° 5) - « The Carnac alignments » (Vol. 3,
1972) - « The uses of the alignments at the Menec, Carnac » (id.) -
« The Kerlescan cromlec'hs » (Vol. 4, 1973) - « The Kermario
alignments » (Vol. 5, February 1974, Part 1 n° 12) - »The two
mogalithic lunar observatories at Carnac » (Vol. 7, 1976).
A. and A.S. Thom, R.L. and A.L. Merritt : « The astronomical
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traduit par P.-R. Giot, in Sciences et Avenir n° 338, avril 1975. Simon
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Mégalithes bretons : l'intendance ne suit pas

Rien n'est plus mystérieux que les commencements.


Teilhard de Chardin

Les problèmes soulevés par l'érection des mégalithes ouvrent la


porte à toutes les spéculations intellectuelles. Si on en croit la
tradition populaire, seuls des géants, des dieux ou d'autres êtres
surnaturels pouvaient être les auteurs de ces constructions aussi
impressionnantes qu'énigmatiques. On y retrouve le Roi Arthur,
Gargantua, la fée Mélusine ou Morgane, l'enchanteur Merlin, les
korrigans et combien d'autres. En 1836, lorsqu'on dressa l'obélisque
de Louqsor, au milieu de la Place de la Concorde à Paris, une foule
immense assista à ce tour de force extraordinaire, réalisé à l'aide de
mâts et de cabestans par quatre cents artilleurs : cette aiguille de
pierre pèse, en effet, 220 tonnes et mesure 24 mètres de long. Le
menhir de Mané-er-Grah, à Locmariaquer (Morbihan), actuellement
couché et brisé près du dolmen de la Table des Marchands, pèse,
lui, 347 tonnes pour une longueur de plus de 23 mètres.
Le menhir de Kerloas, en Plouarzel, d'un poids de 150 tonnes, a
été transporté à 2.500 mètres de son lieu d'extraction, vers un
endroit plus élevé de cent mètres. Les huit tables du dolmen La-
Roche-aux-Fées à Essé, en Ille-et-Vilaine, pesant chacune 40 ou
45 tonnes, ont été érigées à 4.200 mètres de leur carrière d'origine.
On pourrait citer ainsi de nombreux exemples analogues, tant en
Bretagne que dans d'autres régions. Voici d'ailleurs les poids de
quelques tables de dolmens morbihannais :
Ile-Longue, à Larmor-Baden 5 tonnes
Petit-Mont, à Arzon 7 tonnes
Rondossec, à Plouharnel 10 tonnes
Kerlescan, à Carnac 11 tonnes
Petit-Kerambel, à St-Philibert 14 tonnes
Kergonfalz à Brignan 15 tonnes
Pierres-Plates, à Locmariaquer 18 tonnes
Clud-er-Yer, à Carnac 30 tonnes
Table des Marchands, à Locmariaquer 36 tonnes Mané-Rutual, à
Locmariaquer 75 tonnes
Comment, il y a six ou huit mille ans, a-t-on pu transporter et
dresser de pareilles masses ?
À l'aide de quels appareils ? Ou de quelle énergie ? La plus
ancienne pyramide égyptienne, celle du roi Djéser, à Saqqarah, fut
construite par l'architecte Imhotep vers 2.700 avant notre ère. De
nombreux mégalithes bretons sont antérieurs à cette époque et
datent, en effet, selon les toutes dernières découvertes, de 4.000
ans avant notre ère. Les Égyptiens n'ont donc pas joué le rôle de
précurseurs, bien au contraire.
Essayons de raisonner logiquement, en faisant appel à nos
souvenirs de physique et à la solution dite « des leviers jointifs »,
proposée par Joseph Déchelette3 au début de ce siècle, solution à
laquelle se sont ralliés la plupart des préhistoriens.
La plus grande des dalles de couverture du dolmen « Mané-
Rutual », à Locmariaquer, mesure 11,30 mètres de long sur 4,40
mètres de large. Pour une densité de la pierre de 2,5, elle pèse 75
tonnes. Son périmètre est de 31 mètres. La dalle étant posée à
terre, à l'endroit où on veut construire le dolmen, il faut la lever
d'environ trois mètres, la maintenir à cette hauteur et la faire
redescendre ensuite sur les supports plantés entre temps en-
dessous. Ces supports mesurent deux mètres de haut. Voilà les
données du problème.
En effet, lorsqu'on examine attentivement de nombreuses tables
de dolmens, on constate qu'elles ont été descendues sur les
supports verticaux et non glissées sur ceux-ci par un mouvement
latéral sur un plan incliné en terre tassée. La plupart des tables
reposent sur des pointes vives ou des pierres de calage aiguës, qui
excluent pratiquement toute possibilité d'un transport latéral, ne fût-
ce qu'à cause des fortes aspérités existant sur la face inférieure des
tables. Il semble évident que ce « calage sur pointes » a été voulu
par les constructeurs.
La largeur d'épaules d'un homme moyen est d'environ 50
centimètres. Autour de notre dalle, installons des leviers de bois,
tous les 50 centimètres, soit 62 leviers, chacun de sept mètres de
long.4 Chaque levier est engagé sous la dalle et repose sur un point
d'appui de 40 centimètres de haut, situé à 1,20 mètre de ladite dalle.
Il s'agit donc de leviers du premier genre. Comme le poids total
atteint 75 tonnes, nous devrons lever 75.000 : 62 = 1.210 kg par
levier. Au bout de chacun de ceux-ci se suspendent cinq hommes de
70 kg, soit 350 kg qui, en fonction du rapport des bras de levier (3,8),
exerceront une force en sens inverse de 350 kg x 3,8 = 1.330 kg sur
l'autre extrémité de chaque levier. Notre dalle se soulèvera d'environ
50 centimètres, lorsque le bout des leviers, côté hommes, touchera
le sol. À la condition, bien entendu, que les 310 hommes
nécessaires synchronisent parfaitement leurs mouvements et que
rien ne se déplace ni ne se casse. Pendant que ces 310 hommes ne
bougent plus, assis sur leurs leviers pour maintenir la table en l'air,
d'autres calent celle-ci au moyen de bois, de roches et de terre. On
enlève les leviers, on réinstalle de nouveaux points d'appui un peu
plus haut et on recommence.
Jusqu'ici, tout va bien. Trois cent dix hommes aux leviers et quatre
cents autres pour le calage, le transport des matériaux et
l'agencement général du chantier, nombre raisonnable comparé à
nos quatre cents artilleurs de tout à l'heure. Supposons que cette
manœuvre de levage se répète tous les quatre jours. Pour lever le
tout à trois mètres, à raison de cinquante centimètres tous les quatre
jours, il nous faut donc 24 journées de travail, plus le temps
nécessaire à l'installation définitive des supports verticaux, disons 30
jours au total.
Mais le dolmen du Mané-Rutual comporte cinq autres tables plus
petites. Ajoutons 10 jours pour mener cela à bien.
Notre monument serait donc en place en 40 jours, avec une
équipe d'environ 700 hommes. Plus 20 jours pour débiter les roches
et les amener à pied d'œuvre. Soit en tout 60 jours... avec 700
hommes.
Et c'est là que cela ne va plus.
Nous avons calculé au plus juste et négligé tout contretemps
fâcheux, ce qui implique une organisation de travail parfaite, un
« planning » d'avancement très étudié, excluant tout imprévu, ainsi
que l'établissement d'un plan d'exécution à long terme prévoyant la
préparation du chantier, la construction des routes nécessaires,
l'extraction des roches, etc. Tout cela nous mène déjà fort loin d'un
état supposé de sauvagerie. En supposant, par contre, que toute
cette structure ait été inexistante, il faudrait alors vraisemblablement
tripler ou quadrupler le temps nécessaire à la construction et nous
nous heurtons, ici, à une impossibilité absolue.
En effet, la Bretagne occupe une superficie de 35.000 kilomètres
carrés. La densité de la population actuelle est d'environ 90
habitants par km2. Or, les préhistoriens classiques estiment qu'à la
période néolithique, la population bretonne s'élevait à 100.000
habitants, soit moins de trois par kilomètre carré.
En comptant un homme adulte par famille (père, mère et un
entant), cela fait moins d'un travailleur disponible par kilomètre carré
de territoire. Pour constituer notre équipe de 700 hommes, il aurait
donc fallu réunir tous les hommes adultes habitant dans une région
de 800 km2, c'est-à-dire la superficie actuelle de toutes les
communes entourant le golfe du Morbihan. Ce serait plausible pour
expliquer la construction d'un petit nombre de monuments en un
grand laps de temps, mais cela ne l'est plus pour ériger les quelque
cinq mille menhirs, dolmens et tumuli subsistant encore autour du
golfe, nombre qu'il faut doubler ou tripler pour tenir compte des
mégalithes disparus.
Cela semble dont parfaitement impossible. D'autre part, en
supposant qu'en deux mille ans on ait dressé 10.000 ou 12.000
pierres dans la même région (dont 5.000 subsistent encore), cela
revient à en mettre une en chantier tous les deux mois, à raison de
dix ou douze par km2. On peut condenser cela en un raccourci
assez saisissant : « Chaque famille de trois personnes (dont un
adulte mâle) aurait donc érigé au moins dix monuments par
kilomètre carré, soit un tous les deux mois, durant deux mille
ans ! » Et ceci concerne aussi bien de petits menhirs de un mètre de
haut que des tumuli de 50.000 mètres cubes !
La seconde impossibilité majeure est celle du ravitaillement des
travailleurs. Sept cents hommes, pendant soixante jours,
représentent 42.000 rations journalières. À raison de 3.000 calories
par jour, il aurait fallu rassembler pour les nourrir : soit 36 tonnes de
blé (3.500 calories par kilo) soit 63 tonnes de viande de bœuf (2.000
calories par kilo) soit 105 tonnes de poisson (1.200 calories par
kilo).
Et tout cela, uniquement pour la construction d'un seul
monument !
En modifiant les éléments du problème dans un sens ou dans
l'autre et même en tenant compte de certaines concentrations
démographiques dans les villages, on se heurte toujours à une
impossibilité, soit pour la main-d'œuvre, soit pour le ravitaillement.
Comme on dirait à l'armée : « l'intendance ne suit pas ! »
Considérant l'extraction et le transport des matériaux, l'abattage
du bois nécessaire, le déplacement d'un chantier à l'autre en
passant par-dessus collines et rivières, l'aménagement des
chantiers, la préparation des matériaux, la sculpture des montants
verticaux avant érection, la construction proprement dite, l'apport de
ravitaillement par chasse, pêche, élevage et culture — et même
avec une population doublée ou triplée, cela signifierait que, durant
plusieurs millénaires, nos peuples néolithiques armoricains n'ont rien
fait d'autre que de construire des monuments mégalithiques, en
travaillant sans doute jour et nuit.
Cela heurte le bon sens !
D'autant plus que, dans les calculs qui précèdent, je n'ai tenu
compte d'aucune difficulté technique, ni d'aucun imprévu et j'ai
admis comme aisément réalisable l'extraction et le transport de ces
énormes pierres.
Car là aussi, on peut se poser des questions. Il est puéril de croire
qu'on puisse déplacer de pareilles masses sur d'assez longues
distances uniquement en les faisant avancer sur rouleaux de bois, si
dur soit-il. Aucune de ces roches n'est plane ; elles comportent, au
contraire, des aspérités proéminentes. Tous les rouleaux seraient
rapidement broyés et moulus sur quelques dizaines de mètres. De
plus, il aurait fallu construire de véritables routes pour ce transport et
même des ponts, dans certains cas. Tout cela aurait contribué à
doubler ou tripler les durées de travail citées plus haut et à en rendre
l'impossibilité encore plus flagrante. Alors ?
Si ce genre de problème est logiquement insoluble à la lumière de
nos connaissances actuelles, nous sommes donc bien obligés
d'admettre que nos néolithiques ignares disposaient de moyens que
nous ignorons.
Comme la plupart des gens sensés, je ne crois ni aux légendes, ni
aux contes de fées, du moins pas tout à fait. Car, dans de nombreux
cas, on peut vérifier qu'une légende est, en réalité, un fait historique
réel, mais modifié, tronqué ou embelli et transposé dans un plan
irrationnel par l'imagination populaire. Le dictionnaire nous dit
d'ailleurs qu'une légende est « un récit où l'histoire est déformée par
les traditions ». Or, les vieux contes bretons foisonnent de pierres
qui se déplacent, soit la nuit, soit à certaines époques déterminées,
pour l'une ou l'autre raison : aller boire à la rivière, punir les
méchants, participer au sabbat, etc.
Toute la France fourmille de pierres aux noms bizarres : la pierre-
qui-vire, la pierre-qui-tourne, la pierre-qui-saute, la pierre-qui-
tremble, la pierre-de-minuit, la pierre-tournoire, la pierre-qui-remue,
le vire-midi, le chillou-qui-vire, la pierre-qui-grolle, la pierre-remuante,
etc., etc. Je n'ai jamais vu les pierres de Carnac aller se baigner, la
nuit, dans l'océan, comme le veut la tradition locale, mais je me
demande souvent si toutes ces croyances tenaces et ces noms
énigmatiques ne sont pas la survivance inconsciente des travaux
cyclopéens effectués par nos ancêtres.
Il faut envisager toute hypothèse avec un doute raisonnable et ne
rien nier a priori. Mes recherches actuelles me donnent de plus en
plus la conviction que les Druides, héritiers incontestés d'un savoir
ancien, ont leur mot à dire dans tout cela et, lors d'un prochain
article, nous verrons ce qu'on peut retirer d'un examen approfondi de
leur philosophie scientifique. Je crois que cela permettra déjà
d'éclairer d'une faible lueur ces irritantes ténèbres.
PIERRE MEREAUX-TANGUY.

1. 1. On peut s'étonner, sur une vue aérienne surtout, de ce que les


alignements sont loin d'être parallèles. C'est qu'il y a eu restauration...
Vers la fin du siècle dernier, la Commission des Beaux-Arts libéra des
crédits à cette fin, et confia le travail à un archéologue amateur
passionné, Félix Gaillard, restaurateur à Plouharnel. Restaurateur-
hôtelier, s'entend ! Il consacra beaucoup de ses propres deniers à
relever des menhirs, mais le fit là où gisaient les blocs. Or, la plupart
(au moins deux sur trois) étaient plantés dans le sol par la partie la plus
effilée. Ces pierres étant renversées, Félix Gaillard les fit redresser sur
l'autre extrémité, plus solide à ses yeux. Heureusement pour les
archéologues, les pierres ainsi « restaurées » sont marquées d'une
pastille rouge à leur base. Pour prendre la relève de Félix Gaillard, on
confia la mission à ... l'équipe des cantonniers de la ville d'Auray.
2. 1. Adoptons 4000 pour faciliter notre exposé, bien que rien ne soit moins
sûr que cette date.
3. 1. « Manuel d’archéologie préhistorique », tome 1, Picard, Paris 1924.
4. 1. Le levier ne peut être plus long tant à cause de la résistance du
matériau que pour permettre aux hommes de s’y accrocher.

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