Journ l

le
N° 115

DE LA GRANDE LOGE DE FRANCE

OBÉDIENCE CULTURE
Convent 2014 6 questions à Pierre Mollier

PORTRAITS MAB
Être Grand Commandeur LeGrand
Le grandTemple,
temple
au XIXe siècle d’hier à aujourd’hui

DOSSIER

INTOLÉRANCE
NOVEMBRE 2014
 ACTUALITÉ OBÉDIENCE
ABONNEMENT

La Grande
Loge de
Le Salon du Livre
Maçonnique 2014
Convent
France
dans les
Caraïbes-
Amériques
en l’Hôtel de la par Maurice Lévy

2014
PVI n°173

Grande Loge de France de la

innove
Le numéro 173 de Points de Vue Initia-

tiques donne la parole aux frères des
Caraïbes-Amériques. On y trouvera
de nombreuses contributions histo-
riques, car même si la Guadeloupe,
la Martinique et la Guyane sont des
départements français, l’identité
créole est toujours à construire. La
franc-maçonnerie a contribué à cette
tâche et continue de le faire d’après
les témoignages qui sont rassemblés.
Dans les lignes, entre les lignes et
dans le blanc des pages, on sentira
la présence de cette blessure pro-
fonde que fut l’esclavage. La diversité
des cultures et des origines explique
sans doute la difficulté à élaborer une
identité qui ne soit pas uniquement
retenue par ce passé mais porteuse
d’avenir. Quelques grandes figures
apparaissent en ce sens comme des
modèles qui nous touchent particu-
lièrement par leur appartenance à la
franc-maçonnerie. Les invités de ce
numéro apportent une vision un peu
distanciée. L’un, scientifique qui fut
directeur du projet Oyapock, raconte
comment le pont sur la frontière natu-
relle entre la Guyane et le Brésil risque
de créer plus de difficultés que de faci-
liter les relations entre les hommes.
Pascal Légitimus, acteur bien connu,
évoque ses origines martiniquaises et
confie ses déceptions et ses espoirs.
Robert de Rosa
Directeur de la rédaction
par Perry Wiley
Les amateurs de livres
maçonniques, d’arts
et de littérature ont
rendez-vous les
samedi 22 et
dimanche 23
novembre 2014 en
l’hôtel de la Grande
Loge de France pour
un Salon du Livre
Maçonnique revisité
avec de multiples
nouveautés, sur le
thème « L’esprit de la
franc-maçonnerie ».
députés ont voté à 78 % la poursuite
T
reize obédiences se mobilisent pour proposer une nouvelle dynamique et une
formule innovante du Salon du Livre Maçonnique afin d’attirer un public plus
large et plus jeune.
Si les livres et leurs éditeurs maçonniques, et notre revue Points de Vue Initiatiques
restent bien sûr au cœur de ce salon, des maisons d’édition grand public seront
invitées. Pour la première fois, un espace sera dédié aux auteurs « indépendants »
et des séances de dédicaces seront proposées par tous les auteurs présents. Un jury
indépendant décernera les prix « Acacia d’or » aux meilleurs ouvrages.
Grande
Loge de
France
600 loges ont participé au convent concernant l’organisation des ser-
vices afin de permettre à tous les
2014 qui s’est déroulé, comme frères d’être au plus près de l’obé-
dience. Plus de facilités donc, mais
aussi plus de fluidité pour que chaque
chaque année, dans les salons de loge puisse communiquer avec les
services chargés de leurs dossiers.
l’Aveyron à Paris. Contrairement Ceux-ci seront traités avec la plus
grande efficacité avec, en complé-
à l’avis de tempête annoncé, ce ment, la création et la mise en place
d’une nouvelle structure de deux
entités : l’une en charge du service
convent s’est déroulé sous le signe immobilier et logistique, l’autre des
services administratifs et financiers.
de l’harmonie et du dialogue. Les
Les travaux tant attendus concernant
la mise en conformité de l’hôtel de
la rue Puteaux doivent débuter dès
du processus de la Confédération le 16 juin 2014 afin de permettre à
terme aux frères d’avoir accès par
ascenseur du restaurant aux temples
Maçonnique de France (avec la et au grand temple. Nos frères ayant
des difficultés de mobilité pourront
GL-AMF et la GLIF) et ont réélu le enfin se rendre à tous les niveaux de
notre immeuble et, enfin, pour cer-
Grand Maître Marc Henry à 83 %. tains participer aux travaux de table
de leur atelier.

APPEL à de
grandes voix
Face à la déficience visuelle ou aux
handicaps de certains de ses lec-
teurs, la rédaction de Points de Vue
Initiatiques se mobilise pour mettre en
place la sonorisation de ses numéros.
Pour ce faire, elle est à la recherche de
talents, de bonnes volontés parmi les
frères de l’obédience qui pourraient
prêter leur voix pour l’enregistrement
sonore de numéros de Points de Vue
Initiatiques.
Contact : redaction@gldf.org
L’originalité de ce salon est d’y associer la littérature mais aussi les arts. Deux concerts
de musique classique et de jazz seront organisés dans le temple Franklin Roosevelt.
La photographie sera à l’honneur avec le lancement d’un grand concours, ouvert
à tous, sur le thème de « La fraternité au XXIe siècle ». Un jury désignera l’œuvre
L ’événement principal du ven-
dredi 13 juin 2014 est constitué
par la lecture de l’allocution de notre
gagnante parmi les vingt œuvres exposées. Grand Maître Marc Henry. Une parti-
cularité : ce discours ne sera pas im-
Le salon fera la part belle également au théâtre avec la pièce à succès Jaurès assassiné primé et distribué aux frères députés
deux fois qui sera interprétée par la comédienne Pierrette Dupoyet. comme cela se pratique depuis des
En écho à cette pièce, une des sept tables rondes aura pour thème Jaurès le prophète décennies.
et sera animée par les auteurs Éric Vinson et Sophie Viguier-Vinson. Le programme La raison ? Des indiscrétions relayées
complet des tables rondes de cette édition 2014 est à découvrir sur la page Facebook par des blogs de plus en plus nom-
et le site dédié www.salondulivremaçonnique.fr breux dont les intentions ne sont pas
toujours très claires, tant les infor-
En clôture de ce salon, les Grands Maîtres et Grandes Maîtresses des treize obédiences mations données sont déformées
organisatrices se rassembleront pour une conférence commune et répondront aux jusqu’à parfois être contraires à la
questions du public sur le thème « L’esprit de la franc-maçonnerie ». n réalité du discours…
Dans un premier temps, le convent
rend hommage aux nombreux frères
ayant rejoint en cette année 2014
l’Orient éternel. Plus particulière-
ment, à notre passé Grand Chancelier,
Jacques Jubenot qui nous a prématu-
rément quittés et pour qui le Grand
Maître prononce l’éloge.
Plusieurs défis sont à l’ordre du jour.
Défi de gestion
La Grande Loge de France va procé-
der à d’importantes modifications
Défi de la représentation
de notre obédience
Au cours de l’année écoulée, notre
Grand Maître a procédé à l’intégra-
tion de vingt loges ; il a participé à
neuf cérémonies de jubilés, une te-
nue funèbre, dix tenues d’obligation,
trois dédicaces de temple, quinze
anniversaires de loge, quatre tenues
d’été, trente-et-une cérémonies, salons
et journées dédiées, douze sessions de
congrès, trois symposiums, trente-trois
conférences publiques, soit au total 141
occasions de porter haut les valeurs

s2 Le Journal de la Grande Loge de France - N°115 Le Journal de la Grande Loge de France - N°115 3s
 OBÉDIENCE
Convent
2014
de la Grande Loge. Toutes ces mani-
festations ont généré plus de 133
articles dans la presse nationale et
régionale.
Le dîner annuel, en septembre 2013,
a accueilli le président du Conseil
d’État, Monsieur Jean-Marc Sauvé.
Le président d’honneur du prochain
dîner, le 27 septembre 2014, sera Ma-
dame Christiane Taubira, ministre de
la Justice. Nous recevrons également
Monsieur Alexandre Jardin, écrivain
et réalisateur.
Les Journées de Royaumont - Pierre
Simon 2013 ont accueilli, entre
autres, Perrine Simon-Nahum, fille
de notre regretté ancien Grand
Maître Pierre Simon, fondateur de
ces rencontres.
Défi de nos chantiers
intérieurs
Les questions à l’étude des loges seront
transmises dès le 17 juin 2014 et per-
mettront, nous l’espérons, d’enrichir à
la fois notre propre réflexion et notre
communication vers le monde profane.
Le fonds de dotation a vu ses statuts réé-
crits et sera opérationnel dès les pro-
chaines semaines. Son nom ? : « Kalos
Kagathos ». Le beau et le bien…
Un audit a été lancé cette année sur
l’ensemble du parc immobilier. La
réorganisation administrative évoquée
plus haut concernant le service im-
mobilier et logistique sera effective
dès le 17 juin 2014 avec l’arrivée
d’une économiste du bâtiment ainsi
que par l’implantation d’un logiciel
de gestion immobilière performant
et, surtout, complètement interfacé
avec la comptabilité.
Défi de la communication
vers l’extérieur
Le thème de la laïcité choisi cette
année a généré un immense intérêt.
s4
François Dard, président de la com-
mission Laïcité au sein du Conseil fé-
déral, a reçu de nombreuses contri-
butions auxquelles il va réfléchir
quant au bon usage qu’il saurait en
faire, tant en interne qu’en direction
des instances de la République. Dans
le cadre des conférences « Enjeux
et perspectives », nous avons reçu,
entre autres, Jean-Louis Bianco, pré-
sident de l’Observatoire de la Laïcité
auprès du Premier ministre.
Le Président de la République a bien
voulu inviter notre obédience le 21
février 2014 à l’hommage à la Résis-
tance, rendu au Mont-Valérien. À
cette occasion, ont été annoncés les
noms des quatre personnalités qui
rejoindront le Panthéon l’an pro-
chain : Germaine Tillon, Geneviève de
Gaulle-Anthonioz, Pierre Brossolette
et Jean Zay. Le Grand Maître nous
rappelle que le vote obtenu à la der-
nière Tenue de Grande Loge donnera
le nom de Pierre Brossolette à notre
grand temple, le jour anniversaire de
sa naissance, le 25 juin prochain.
Le Grand Maître aborde alors le défi
posé par la déclaration de Bâle. Ras-
sembler ce qui est épars est la volon-
té de chacun d’entre nous. Il nous est
possible de faire un pas vers l’univer-
salité sans perdre pour autant notre
identité et sans rien renier de notre
histoire.
Ne nous laissons pas abuser par
les rumeurs les craintes et la
désinformation d’où qu’elles
viennent. C’est devant notre
conscience que nous détermi-
nons nos choix, n’en déplaise
aux blogueurs de tout poil.
Pas d’oukase, pas d’interdit,
seulement le vote secret
de chacun d’entre nous.
Le pouvoir législatif des
députés s’exerce ici et
non pas dans le fouillis
invraisemblable des infor-
mations diffusées par des
blogs dont les rédacteurs
disent souvent tout mais
surtout n’importe quoi !
Le Journal de la Grande Loge de France - N°115
(suite)
Cette Confédération,
c’est ici et nulle part
ailleurs qu’elle verra
ou ne verra pas le jour !
Nous tendons la main
à nos frères européens,
pas à Londres…
« Renoncer à notre concep-
tion du Grand Architecte de
l’Univers ? Jamais ! Interdire
l’entrée de nos temples aux frères
que nous reconnaissons comme
tels ? Jamais ! Nous interdire de
faire usage de notre conscience et
de notre liberté intérieure ? Jamais !
Ouvrir de nouvelles portes sans de-
voir en fermer derrière nous… Oui,
toujours ! » Le convent se poursuit
par le vote de la délivrance de nou-
velles patentes, toutes au Rite Écossais
Ancien et Accepté.
Vote positif ensuite pour des
conventions administratives et
judiciaires entre la Grande Loge
de France d’une part et, d’autre
part, les deux obédiences sui-
vantes : GL-AMF et GLIF.
Le Musée-Archives-Bibliothèque
(MAB) vient ensuite présen-
ter le bilan de son année
maçonnique, rend acte
de ses acquisitions et
demande au convent
l’approbation de ses
comptes.
Le vote est posi-
tif. Trois nouveaux
membres du Conseil
d’administration sont
élus : les frères Patrick
Morin, Georges Othily et
Jean-Claude Rousset. Le
budget 2014/2015 est favo-
rablement voté.
Le Grand Maître transmet
alors le maillet à son président
élu, Jean-Raphaël Notton.
Celui-ci, devant les interroga-
tions des frères, émet le désir de
vivre un convent sous le signe de
l’unité et de l’harmonie.
Communication du
grand orateur
Différents points sont soumis au
vote des députés. Voici les décisions
adoptées :
• Règles d’installation des Vénérables
Maîtres en loge : vote favorable afin
de réfléchir à l’opportunité d’une
évolution de ces règles.
• Question : est-il nécessaire de
modifier la procédure encadrant les
demandes de projets immobiliers ?
Vote largement favorable.
• Les frères votent ensuite sur la
meilleure définition donnée au
Grand Architecte de l’Univers : celle
du Convent de Lausanne obtient une
presque unanimité.
• Régime des intervisites : rien de
changé. Les frères réaffirment, dans
la continuité des décrets fondateurs
de la Grande Loge de France en 1894
et 1905 leur totale indépendance vis-
à-vis du Suprême Conseil de France.
• Le Convent accorde par vote de
donner mandat au Grand Maître
afin de poursuivre la constitution
en France d’un pôle maçonnique
ainsi que l’établissement des
liens avec les 5 grandes loges
signataires de l’appel de Bâle.
Le rapport du Grand Trésorier
ainsi que le nouveau budget
est adopté et c’est au tour du
Grand Secrétaire de deman-
der l’approbation des députés
quant à son bilan annuel. Elle
lui est largement accordée.
Le Journal de la Grande Loge de France - N°115
La parole est donnée à notre Grand
Chancelier, Jean-Jacques Zambrowski,
qui nous présente le bilan d’une an-
née d’un travail intensif qui recueil-
lera la quasi-unanimité des votes.
Le Grand Hospitalier ainsi que le
Grand Expert obtiendront eux aussi
l’approbation des frères députés
pour l’ensemble de leurs œuvres
avant que le Grand Maître prononce
un hommage ô combien mérité à
notre frère Pierre Ludin, président
du Jury Fraternel qui descend de
charge.
Le convent procède alors à la dési-
gnation des nouveaux Conseillers
fédéraux.
Il s’agit pour la province des frères
Pascal Delannoy (Nord Picardie),
Roland Gauvin (Ouest), Philippe
Prats (Sud-Ouest), Guy Roussel et
Thierry Zaveroni (Méditerranée),
Thierry Pigelet (Est) et pour l’Île-de-
France/Outre-mer/Orients Éloignés des
frères Marc Pélissier, Joseph Sanélé,
Renaud Mormesse, Denis Sellem,
Henri Hauterville, sans oublier bien
sûr Perry Wiley.
Le nouveau collège des Grands Offi-
ciers se présente ainsi après le vote
des députés :
Marc Henry : Grand Maître
Dominique Mantion : Premier Grand
Maître Adjoint
Philippe Misslin : Second Grand
Maître Adjoint
Pierre-Marie Adam : Grand Orateur
Jacques Gagnon : Grand Secrétaire
Jean-Pierre Velleyen : Grand
Chancelier
Thierry Sarrazin : Grand Trésorier
Bernard Bentz : Grand Hospitalier
Michel Gosselin : Grand Expert
Ce sera ensuite la désignation par
le vote des membres du Jury Fra-
ternel dont le nouveau président est
Jean-Claude Millela, des membres
de la Commission Conventuelle de
Contrôle des Finances et des mem-
bres de la Commission Conventuelle
du Patrimoine dont le président est
Maurice Rocchia.
Enfin, l’intervention de la Commis-
sion des Vœux que préside notre
frère Jean-Claude Elalouf (rappor-
teur Luis Garcia-Fernandez) va clô-
turer un convent extrêmement riche
en événements, et dirigé avec une
rigueur et clarté, disons-le, sans
fausse note… n
5s
 DOSSIER INTOLÉRANCE

par Marc Henry,

Grand Maître de la
La tolérance
Grande Loge de France a-t-elle des
limites ?

INTOLÉRANCE Que par Maurice Lévy,

président de la Commission des
Droits de l’Homme et du Citoyen
la paix par Patrick Bloch,

règne sur la terre ! Président de la Commission

Obédientielle d’Éthique de la
Grande Loge de France

Tolérer, c’est accepter

Que l’amour règne parmi les hommes ! de voir, d’écouter, de
Que la joie soit dans les cœurs ! partager avec l’Autre
et, éventuellement, se
remettre en cause.
Ce faisant, la tolérance nous
éloigne du dogme et participe à la
recherche de la vérité universelle.
Mais, pour avoir un sens et une
portée, la tolérance présuppose
Imaginons Alors, laissons un corollaire constant : la
réciprocité. Le bon usage de
tous ceux saisir, par qui la tolérance nécessitera donc
aussi la contrainte nécessaire du
dont le nom est veut bien, le voile contrat social et, parfois, que la
gravé au bas des de l’oubli parce que, force le soutienne sans lâcheté ni
complaisance.
escaliers conduisant nous, francs-maçons, Quand, sous couvert d’une
manifestation de soutien, on crie
au temple Pierre Brossolette n’avons aucun droit mais « mort aux juifs », on vandalise
et qui ont fait don de leur seulement des devoirs ! Le devoir des synagogues et on incendie des
commissariats de police, c’est que
existence… Imaginons, comme de réagir, le devoir d’alarmer, l’intolérance a pris le dessus. Or,
l’intolérance n’est pas tolérable.
dans le film Les Croix de Bois le devoir de combattre Le franc-maçon saura voir au-
de Raymond Bernard, tous ces
hommes sortant de leur
l’indifférence, de réagir à tout
ce qui pourrait mettre en péril
C es sentences ont tout perdu de leur ca-
ractère performatif. Elles ne passent
plus les portes de nos temples et se perdent
autre temps. Antisémitisme, islamopho-
bie, homophobie, slogans et tracts antima-
çonniques, violences jusqu’à l’assassinat
delà de cette contradiction qui
n’est qu’apparente.
La France de 2014 se ment,
dans le bruit et la fureur du monde. envers ceux qui ne partagent pas des idéo- anesthésiée par de trop
sépulture et regardant autour nos institutions et l’édifice logies mortifères ! nombreuses années de paresse
d’eux les « restes » de ce finalement bien fragile sur lequel Cet Idéal qui devrait réchauffer le cœur
de tout humain est encore et toujours Les récents événements sur notre ter-
intellectuelle et de manque de
courage politique. Face à cela,
pourquoi ils ont combattu… reposent toutes nos espérances foulé aux pieds, rejeté dans la pou- ritoire et dans le monde nous imposent les francs-maçons de la Grande
belle des « bonnes intentions » où il de rester vigilants et de nous tenir prêts Loge de France se doivent de
« Plus jamais ça ! », vous vous d’un monde meilleur. reste en souffrance. La Paix cède le à défendre ces valeurs non négociables faire face aux intolérances quelles
souvenez ? Belle formule, La franc-maçonnerie semble pas au sang et aux larmes, l’Amour à la
haine de l’autre, la Joie au désespoir.
que sont pour nous la laïcité, les droits de
l’Homme et la dignité humaine.
qu’elles soient et d’où qu’elles
viennent, de l’extérieur comme
superbe profession de parfois somnoler, sinon Et nombreux sont ceux qui se recroque- de l’intérieur du territoire de la
villent en attendant que l’orage passe… Ayons toujours le courage de faire en- République, sans angélisme,
foi entendue le siècle ronronner. Mais, tendre notre voix afin que nul n’en ignore ! sans laxisme mais avec réalisme
dernier après deux attention, le réveil Nous, francs-maçons de la Grande Loge
de France, avons le devoir de faire face, Gémissons, gémissons, gémissons MAIS
en sachant mettre en œuvre
au-dehors la réflexion initiée dans
immenses boucheries… risque d’être brutal ! voire de combattre ces remugles d’un AGISSONS ! n le temple. Voilà notre Éthique. n
Pierre Brossolette

s6 Le Journal de la Grande Loge de France - N°115 Le Journal de la Grande Loge de France - N°115 7s
 DOSSIER INTOLÉRANCE

La loge Abbé Grégoire

Le racisme,
l’antisémitisme,
la xénophobie,
l’homophobie,
l’intolérance sont à
nouveau très présents
en
ALERTE ! aux camps d’extermination où
par Claude Sinigo,
Vénérable Maître de l’Abbé Grégoire,
n° 676, à l’Orient de Paris

camps de concentration et trois

dans notre pays et ont péri juifs, francs-maçons, ré- d’entre eux ne revinrent jamais :
dans le monde. sistants, tziganes, homosexuels, notre premier Vénérable Maître
communistes… Pierre Créange, ainsi que les
frères Léon Bruner et André Cahen.
Comme l’a écrit Daniel Béresniak, Leurs noms sont gravés au milieu
« ne pas être hanté par cette question, de tant d’autres martyrs de notre
c’est participer passivement à tous obédience sur la plaque commémo-
les holocaustes futurs ». C’est aussi, rative de l’hôtel de la rue Puteaux à
ajouterons-nous, ignorer tous les Paris.
génocides et les grands massacres
de l’histoire du XXe siècle. Lors du cinquantenaire de notre loge,
le Très Respectable Frère Inspecteur
Les principes fondateurs de la de l’époque et futur Grand Maître
loge Abbé Grégoire, créée en 1939, Alain Pozarnik s’exprimait en ces
reposent sur une réalité incon- termes : « Plus que les mots ou les

L es slogans portant atteinte à la

dignité de l’Homme, à la démocra-
tie et au vivre ensemble, proférés lors
de diverses manifestations prouvent
ventre est encore fécond, d’où a
surgi la bête immonde ». Ce qui est
effrayant, ce n’est pas tant que des
extrémistes organisés aient hurlé de
tournable : la lutte contre l’anti-
sémitisme et toutes les formes de
discriminations, dont elle se veut
phrases, ce sont les actes de fraternité
au quotidien qui bâtissent le temple
de l’humanité, et tant que l’Abbé
la sentinelle. Elle ne peut se dissocier Grégoire veillera sur le chantier, il

que, lorsque la haine s’exprime, les
extrêmes se rejoignent :
- « Juif casse-toi, la France n’est pas
à toi »,
- « Faurisson t’as raison, les chambres
à gaz, c’est du bidon »,
- « Loges maçonniques, dissolution »,
- « Francs-maçons en prison »…
Jamais, depuis la dernière Guerre,
telles horreurs, mais surtout que cela
ait provoqué aussi peu de réactions
dans la société française.
Toutefois, de nombreux frères de
notre obédience, sensibles à ces évé-
nements, sont attentifs à la parole de
notre Très Respectable Grand Maître
qui déplore et condamne ces vio-
lences, observant « que notre pays
“ Nosfondateurs
du devoir de mémoire qui s’impose
à l’égard de tous les crimes contre
l’humanité.
Les frères fondateurs de notre loge
ne s’y sont pas trompés. En effet, dès
leur premier programme de travail,
ils rappelaient que « conformément
à la Constitution de la Grande Loge de
France, la franc-maçonnerie n’admet
principes
y aura une espérance pour tous les
francs-maçons de trouver la voie de
l’humanisme universel. »
Pour nous, francs-maçons de la Grande
reposent sur Loge de France, la solidité de notre
édifice n’a rien à redouter des clameurs
la lutte contre furieuses du dehors. Le temps est venu
toutes les de reprendre avec force et vigueur
l’initiative de travaux autour de la lutte
discriminations contre le racisme, l’antisémitisme, la

”
on n’avait entendu de tels slogans. traverse une période de remise en entre ses adeptes aucune distinction xénophobie, l’homophobie, ainsi que
Pour la première fois depuis ces cause de nos valeurs fondamentales de nationalité, de race, de croyance toutes formes de discriminations.
années noires, certains ont crié leur que sont la laïcité, la dignité humaine et engage les frères à aider au développement progressif
haine des juifs et des francs-maçons et les droits de l’homme. » de l’humanité par l’étude théorique de tous les grands Alors mes frères, retrouvons-nous dans ce combat et
dans les rues de Paris et de certaines problèmes sociaux et moraux. » emparons-nous de ces sujets, échangeons, faisons remonter
villes de province. Nous, francs-maçons, nous ne Plusieurs frères de notre atelier furent déportés dans les nos travaux, pour que vive la franc-maçonnerie ! n
sommes pas étrangers à la vie de la
Cette flambée de haine ne surgit cité ni au mouvement du monde
« Quand ils sont venus chercher les communistes, je n’ai pas protesté parce que je ne suis pas communiste.
pas du néant. Elle nous qui nous entoure. Nous savons que
renvoie aux pages les la montée inquiétante de l’antisémi- Quand ils sont venus chercher les juifs, je n’ai pas protesté parce que je ne suis pas juif.
plus obscures de tisme et du racisme a toujours été le Quand ils sont venus chercher les syndicalistes, je n’ai pas protesté car je ne suis pas syndicaliste.
notre histoire, signe de la dégradation morale de Quand ils sont venus chercher les catholiques, je n’ai pas protesté car je ne suis pas catholique.
nous faisant la société. La bonne question est de Et lorsqu’ils sont venus me chercher, il n’y avait plus personne pour protester… »
constater savoir comment des milliers d’an- Martin Niemöller, pasteur protestant, camp de Sachsenhausen
que « L e nées de civilisation ont pu aboutir

s8 Le Journal de la Grande Loge de France - N°115 Le Journal de la Grande Loge de France - N°115 9s
 DOSSIER INTOLÉRANCE
Plus jamais
ça !
par Georges Komar,
ancien Grand Maître de la Grande Loge de France
(1996-1998), cofondateur de la Commission des
Droits de l’Homme et du Citoyen
S oixante-dix ans se sont écoulés depuis
la dernière Guerre mondiale odieuse-
ment endeuillée par l’immonde, l’abjecte
idéologie nazie. Chaque évocation me donne
la nausée ! Les vieux démons de la xénopho-
bie, de l’antisémitisme renaissent de leurs
cendres. On les croyait vaincus, ils n’étaient
qu’assoupis ou faisaient semblant de l’être.
Aujourd’hui, on profane à nouveau des
tombes. Aujourd’hui comme hier, on incen-
die des lieux de culte, synagogues et mos-
quées. On insulte, on bastonne, on lapide,
on tue des juifs parce qu’ils sont juifs, des
musulmans parce qu’ils sont musulmans.
Et, maintenant, des Roms parce qu’ils sont
Roms…
Émile Zola disait en substance à propos du
racisme que c’était « la plus monstrueuse
des folies ». Il avait raison dans la mesure
où le racisme repose sur un vieil atavisme
de nature schizophrénique : le rejet, pour
ne pas dire la haine de l’autre, parce que
différent. Il n’y a plus que les racistes pour
prétendre qu’il y a des races ! Tout démontre
le contraire.
Assez !
Le devoir de mémoire est sacré mais il ne
suffit plus. S’indigner est louable en soi mais
reste de l’ordre de l’incantation. Cessons de
gémir ! Agissons pour mieux espérer ! En la
matière, rien ne vaut tant, qui ne passe, en
effet, par une volonté d’agir. Le châtiment
doit être exemplaire et sans faiblesse. Rien ne
peut atténuer la faute, rien ne peut justifier
le crime. La bonne conscience ne se négocie
Le Journal de la Grande
s 10 Loge de France N°115
ancien Grand Maître
de la Grande Loge de
France (1998-2001)
caractérise les sociétés
occidentales, il apparaît
Soixante-dix ans plus tard,
j’entends encore ce cri à
travers les gémissements
de six millions de victimes,
j’entends celui de
ma mère.
pas. Redisons l’histoire aux jeunes généra-
tions. Mettons-les en garde contre l’obs-
curantisme, la résignation, l’indifférence
ou, qui pis est, contre la tentation du pardon
dans l’oubli. Il y va de leur avenir.
Apprenons-leur à vaincre les préjugés qui,
avec les instincts de peur, gouvernent encore
trop souvent les mentalités. « Il est plus
facile de casser un atome que de changer les
mentalités », ironisait en son temps Albert
Einstein. C’est toujours vrai.
Apprenons-leur l’acceptation de l’autre dans
sa diversité, dans la richesse de sa diversité.
Au sein d’une démocratie moderne, le je ne
peut plus se décliner sans le tu, le moi sans le
nous, le nous sans le vous, sauf à n’être pas.
Question de dignité pour l’homme, de survie
pour l’humanité !
L’autre est bien plus qu’un alter ego de
miroir. Il est frère en humanité, quel que soit
son statut, quelles que soient sa nationalité, sa
couleur de peau, sa culture ou sa croyance.
J’ai besoin de lui pour être moi-même, de
sa liberté pour être libre ! Y a-t-il plus belle
pédagogie ?
Qu’aucun n’ait plus à vivre un jour ce
qu’ont vécu, il y a soixante-dix ans, juifs,
francs-maçons, homosexuels ou tziganes !
Alors et alors seulement, le XXIe siècle aura
peut-être une chance de célébrer ce grand
mouvement d’humanisme éclairé dont on
espère depuis si longtemps qu’il transcende
enfin l’aventure humaine, dans la liberté,
l’égalité, l’amour et la paix.
Plus jamais ça ! n
par
Jean-Claude
Bousquet,
Devant l’exposition
médiatique qui
que la conception
classique du racisme
ne suffit plus.
Les éléments d’ordre ethnique
conservent une importance essen-
tielle mais doivent être complétés
par une approche que l’on pourrait
qualifier de structurelle : le racisme,
dans cette conception élargie, com-
mence dès que le critère d’appar-
tenance l’emporte sur le critère
humain. Dès lors, toute discrimi-
nation, qu’elle soit fondée sur la
culture, la religion, les mœurs, doit
être traitée avec la même rigueur.
“ Notren’est
histoire
pas
notre code
”
Rabaut Saint-Étienne
La Grande Loge de France avait
organisé un colloque sur la dignité
humaine qui avait connu un
grand succès. Là se situe, en effet,
le véritable problème. La dignité
humaine est inséparable de l’unicité
des hommes. Aucun être humain
n’est assimilable à un autre. Chacun
porte en lui l’étincelle fondamentale
et son rattachement à une catégorie,
quelle qu’elle soit, ne peut lui
porter atteinte. Selon la très belle
formule de Rabaut Saint-Étienne :
« Notre histoire n’est pas notre
code ». Chacun de nous connaît des
péripéties qui peuvent influer sur sa
personnalité mais laissent intacts sa
liberté et son discernement.
La meilleure façon de combattre
le racisme, c’est d’affirmer la
grandeur de l’homme. n
ancien Grand Maître de la Grande Loge de France (2006-2009),
président de la Confédération Internationale des Grandes Loges Unies
Nous PAYONS
Le couple tolérance/intolérance
est un produit de consommation
sociale courante mis à toutes
les sauces.
C ertains brandissent encore la tolé-
rance comme la bannière du vivre
ensemble planétaire, apte à régler tous
les problèmes et, dans des postures
extasiées, ils savourent leur bonne
conscience dans le miroir des médias.
C’est une illusion.
D’autres présentent la résistance
des sociétés occidentales à leurs
agressions comme l’expression d’une
intolérance qui les empêcherait de vivre
leurs convictions idéologiques ou
religieuses, en oubliant de souligner
– ce n’est pas par hasard – que
c’est l’expression même de ces
convictions qui est souvent à
l’origine de cette résistance. C’est
une stratégie.
On ne peut plus penser la
tolérance et l’intolérance comme
Voltaire l’a fait.
Les obsédés monomaniaques, de
toutes origines ethniques ou culturelles,
enfermés dans leurs certitudes,
n’auront de cesse de renverser la table
de nos valeurs qu’ils abominent pour
les remplacer par les seules qu’ils
considèrent comme souhaitables : les
leurs. Grâce aux moyens exceptionnels
de l’Internet et des réseaux de toutes
sortes, avec la haine et la barbarie en
prime.
Alors être tolérant ? Oui, sans doute, mais
pas à n’importe quel prix.
Car accepter l’inacceptable au nom de la
tolérance me semble… intolérable !
La tolérance est politiquement très facile
à subvertir.
Les stratèges de la haine le savent et
repoussent sans cesse ses limites, en se
faisant passer pour les victimes d’une
culture – la nôtre – qu’ils présentent
comme illégitime.
Et nous avons laissé s’installer en
France depuis des années, avec un
manque de courage ahurissant, des
Le Journal de la Grande Loge de France - N°115
par Alain Graesel,
la facture
communautarismes qui finissent par
occuper tout l’espace social, que ce soit
dans les médias ou dans la rue.
Il y a deux ans et demi, des Français – y
compris des enfants – ont été assassinés
dans le Sud-Ouest.
“l’inacceptable
Accepter
au nom de
la tolérance
me semble…
INTOLÉRABLE !
”
Aujourd’hui, des lieux de culte de
citoyens français sont attaqués à Paris
et des « djihadistes présumés » partent
pour une « guerre sainte » – ah bon ! ça
existe ? – et reviennent en expliquant qu’il
s’agissait d’une excursion. À Bruxelles,
c’est un massacre dans un musée. Et,
pour finir, des hommes, humanitaires
ou touristes, se font égorger comme des
moutons. Et quoi demain ? Des femmes
et des enfants ?
Nous sommes là devant des valeurs
qui, tout en exigeant à cor et à cri la
tolérance pour elles – au nom des droits
de l’Homme, s’il vous plaît – récusent les
nôtres avec brutalité pour assurer leur
domination.
Nous avons laissé faire. Au nom des
droits de l’Homme. Ne rien voir, ne rien
entendre, ne rien dire.
Résultat : nous payons la facture et la
fracture.
Samuel Huntington, dans Le Choc
des civilisations, avait annoncé,
en 1997, qu’il nous faudrait faire
face, après 1989, à des conflits
de valeurs, protéiformes et dis-
persés en de nombreux points de
la planète. Au nom des droits de
l’Homme encore, nous avons haussé
les épaules. Huntington allait un peu vite
en besogne. Or, c’est lui qui, sur certains
points, avait raison.
Si les civilisations sont « mortelles »
comme le suggérait Paul Valéry en 1919,
alors nous devons défendre les valeurs
de notre culture qui sont aujourd’hui
contestées par des barbares.
Et je pense à cette formule, que nous
répétons parfois jusqu’à l’incantation,
et qu’on emprunte à Citadelle, ce livre
demeuré inachevé de Saint-Exupéry :
« Si tu diffères de moi, mon frère, loin de
me léser, tu m’enrichis. »
Eh bien, quand les différences explosent
à la figure, que fait-on ?
Dans ce domaine, il revient peut-être aux
maçons que nous sommes de passer
leurs certitudes à la paille de fer de la
critique.
Car nous parlons parfois la langue de
bois. Mais, je suis sans doute intolérant. n
11 s
 DOSSIER INTOLÉRANCE
Se taire est
« Lorsque tous les
voyants sont au rouge,
on ne peut se croiser
les bras et attendre
patiemment que le
Grand Architecte daigne
descendre parmi nous
pour mettre un peu
d’ordre.
S ans doute faudrait-il lui donner
un coup de main, si j’ose dire, afin
d’aller au-delà des colonnes de nos
ateliers respectifs et de traduire par
l’action l’œuvre commencée dans le
temple, selon la formule qui clôture nos
travaux. » C’est ainsi que je m’exprimais
lors de notre dernière Tenue de Grande
Loge. J’étais alors bien loin d’imaginer
que la lèpre qui ronge notre société
serait à ce point virulente pour que des
événements, tels ceux qui ont endeuillé
ces derniers mois notre pays et nos
institutions, puissent nous transporter
soixante-dix ans plus tôt, pas très loin de
certaines nuits cristallines…
« Le monde est dangereux à vivre, non
pas tant à cause de ceux qui font du mal,
disait Einstein, mais à cause de ceux qui
regardent et laissent faire. » Notre société
est malade, très malade, et les discours
ne suffisent plus. Ils ne font bien souvent
que servir d’alibi à tous ceux dont le
leitmotiv est le célèbre « Hâtons-nous
lentement »…
Oui, mais vers quelle société ? Face à la
résurgence des extrémismes de tous
bords, face aux communautarismes qui
creusent chaque jour davantage non
pas des fossés, mais des abîmes entre
les hommes, non seulement en France,
mais aussi sur la planète tout entière, il
s’agirait aujourd’hui non seulement de
se « hâter » un peu moins lentement
s 12 Le Journal de la Grande Loge de France - N°115
impossible
mais aussi d‘agir tous ensemble face à la
folie des hommes !
Peut-on tolérer, nous francs-maçons, que
des « hordes » défilent dans Paris et en
province pour clamer : « Juifs dehors »
ou « Francs-maçons en prison ! ». Vaste
programme aurait dit un célèbre « deux
étoiles ». Brillante idée aurait rajouté
un certain Drumont dont les héritiers
aujourd’hui se font de plus en plus
nombreux…
Peut-on tolérer, nous francs-maçons,
que des lieux de culte soient attaqués ou
incendiés ?
Peut-on tolérer, nous francs-maçons,
que des commerces soient détruits,
sous prétexte que leurs propriétaires
appartiennent à telle religion ou à telle
communauté ethnique ?
Peut-on tolérer, nous francs-maçons,
qu’une ancienne ministre de notre
République laïque puisse, voilée, participer
à une émission dans un État religieux et
totalitaire pour en faire l’apologie, cette
même personne brandissant une Bible
lors d’un débat à l’Assemblée nationale,
afin de préconiser la création sur le
territoire national de cellules anti-IVG et,
pour faire bonne mesure, déclarer que
l’homosexualité est une « abomination »,
« un crime contre nature » !
Peut-on tolérer, sous couvert d’une
idéologie raciste et démente, qu’un
Français, quel qu’il soit sur la surface
de notre globe, puisse se sentir menacé
simplement parce qu’il est français ?
Car, aujourd’hui, nous sommes tous
menacés, mes frères, quelle que soit
notre religion ou notre culture !
Il nous est demandé, dès notre entrée
en franc-maçonnerie, de travailler au
bien-être tant matériel que spirituel de
l’ensemble de nos frères en humanité,
francs-maçons ou pas. Si ce serment
était respecté par l’ensemble des initiés,
nous ne serions pas très loin du jardin
d’Éden… Mais, pour utopistes que nous
soyons, ne rêvons pas trop et fixons-nous
des objectifs plus modestes.
Pour cela, utilisons nos outils, nos mots
dont un en particulier : vigilance ! La
haine s’installe autour de nous, il nous
faut la combattre. Soyons convaincants,
dans le respect des valeurs citoyennes
Commission des
Droits de l’Homme
et du Citoyen
qui sont nôtres, pour éliminer tout
argument participant au développement
du racisme, de l’ostracisme, du rejet de
l’autre sans aucun autre motif que ses
croyances religieuses, la couleur de sa
peau, le choix qu’il a à disposer de son
propre corps.
Prolongeons la réflexion par l’action, et
ne laissons pas aux apprentis sorciers et
à la vacuité de leur discours un terrain
actuellement à l’abandon et où l’absence
de spiritualité, le matérialisme dominant
laissent la porte largement ouverte à
toutes les outrances, mais aussi à tous les
abandons. Combattons sans relâche les
démagogues de tous bords, religieux ou
politiques, pour qui le champ de notre
nation semble bien fertile !
Nous ne laisserons sûrement pas
détruire les valeurs pour lesquelles tant
de nos prédécesseurs se sont battus,
parfois jusqu’au sacrifice suprême. Rien
n’est jamais acquis, l’histoire récente
de notre nation n’a de cesse de nous le
démontrer. Alors, répétons-le : vigilance !
Bien sûr, d’autres événements se déroulant
sous d’autres continents sauraient eux
aussi nous consterner. L’Inde de notre
frère Kipling, cette immense puissance
mondiale où une députée en exercice
déclare, après le énième viol perpétré
de Pierre Brossolette
sur son territoire, je cite : « Le viol ? C’est
parfois légitime, parfois injuste… ». Vous
avez bien lu : légitime… Qu’en penses-
tu, mon frère Rudyard ?
Ici, on viole, là on coupe les mains aux
voleurs, ailleurs on pend et on lapide
ou on met en esclavage des enfants… Et
dans notre beau pays ? On s’engourdit…
Réveillons-nous avant qu’il ne soit trop
tard ! Se taire est impossible car notre
silence serait complice des drames à venir.
Et encore merci à « l’alerte » de
la loge l’Abbé Grégoire ainsi
qu’à tous ceux qui ont
bien voulu participer à
ce dossier. n
par Maurice Lévy,
président de la
VIE DE L’OBÉDIENCE
4ÎLE-DE-FRANCE
Dédicace du temple Pierre Brossolette par Jean-Michel Dardour
L e 25 juin 2014, date anniversaire de la naissance de
Pierre Brossolette, s’est tenue la cérémonie de dédicace
du grand temple de l’hôtel de la Grande Loge de France qui
se nomme dorénavant temple Pierre Brossolette.
Depuis longtemps, l’un des vœux les plus chers du Grand
Maître Marc Henry était d’honorer la mémoire de Pierre
Brossolette, héros et martyr de la Résistance, initié à la Grande
Loge de France. Lors de ses multiples conférences, jamais il
ne manque l’occasion de citer ce franc-maçon exemplaire qui
a tout donné, jusqu’à sa vie, au nom d’une certaine idée de
l’Honneur et du Devoir.
Alors, lorsque Philippe Bélaval, président du Centre des
monuments nationaux, l’a consulté, en mai 2013, au sujet des
personnalités susceptibles d’entrer au Panthéon, le Grand sans oublier les témoignages poignants, car très personnels
Maître a tout naturellement donné en premier nom celui de des enfants de Pierre Brossolette, Anne et Claude.
Pierre Brossolette, après avoir obtenu l’accord des députés de
l’obédience. Et de proposer au Conseil fédéral, le 23 décembre Le célèbre discours de Pierre Brossolette du 22 septembre
2013, le nom de Pierre Brossolette pour le grand temple et de 1942 à la BBC de Londres, Les Soutiers de la gloire, lu par
soutenir le projet d’une cérémonie hommage organisée par Pierre Arditi, puis Le Chant des partisans ont donné également
les trois premières loges citées ci-après et l’obédience. un caractère particulièrement émouvant à cette cérémonie,
dirigée avec beaucoup de dignité et de retenue par le Vénérable
Maître de Pierre Brossolette - Compagnon de la Libération,
Philippe Doucet.
Le diplôme de maître de
Pierre Brossolette, retrou-
vé par sa loge Émile Zola, “ Une cérémonie
a été solennellement remis particulièrement
au Grand Maître afin émouvante
d’enrichir les fonds du
Musée de la Grande Loge
de France. Et, à l’issue de la cérémonie, une plaque a été
apposée à l’entrée du temple, avec le texte d’hommage écrit
”
pour les 50 ans de la disparition de Pierre Brossolette par
Hubert Germain, Grand Maître honoris causa, compagnon
de la Libération, fondateur de la loge Pierre Brossolette -
Diplôme de maître Libération, qui était excusé pour raison
Compagnon de la Libération
de santé.
Pour paraphraser André Malraux lors de l’entrée des
cendres de Jean Moulin au Panthéon, nous aurions tous
pu dire, en ce 25 juin 2014, au seuil du grand temple de la
Grande Loge de France : « Entre ici, Pierre Brossolette… » n
Ainsi, le 25 juin 2014, la loge Émile Zola (où fut initié Pierre
Brossolette le 23 juin 1927), sa loge de perfection La Perfection NDLR : les témoignages en l’honneur de Pierre Brossolette
Latine et la loge Pierre Brossolette - Compagnon de la Libé- feront l’objet d’un dossier dans le prochain Journal de la
ration ainsi que la loge du Grand Orient de France L’Aurore Grande Loge de France.
Sociale, à l’Orient de Troyes, étaient réunies aux côtés de la
famille de Pierre Brossolette, du Grand Maître Marc Henry,
d’une délégation de la Grande Loge de France, d’anciens et
passés Grands Maîtres, de représentants d’obédiences amies
et d’un grand nombre de personnalités pour rendre un
vibrant hommage à Pierre Brossolette et dédicacer le grand
temple à son nom.
Nombreuses ont été les prises de parole au cours de cette
soirée. Citons les discours passionnés de l’historien et du
journaliste Alexandre Adler qui a brossé un portrait complet
de notre frère, de l’historienne Mona Ozouf qui a raconté son
implication pour la panthéonisation de Pierre Brossolette,
Le Journal de la Grande Loge de France - N°115 13 s
 VIE DE L’OBÉDIENCE
4ÎLE-DE-FRANCE
Les 45es Journées d’études de Royaumont - Pierre Simon
ont marqué la vigueur de notre tradition les 7 et 8 juin 2014
F ondées en 1971 par l’ancien
Grand Maître Pierre Simon, ces
Journées réunissent, chaque année à
la Pentecôte, dans le cadre exception-
nel de l’abbaye de Royaumont située
au nord de Paris, environ deux cent
vingt frères maîtres appelés à occuper
des responsabilités dans leur loge.
Un espace de réflexion et de partage,
de construction et d’aspiration à la
sagesse…
Dans la dialectique subtile d’un travail
individuel et collectif, avec la partici-
pation du Grand Maître Marc Henry
et sous la présidence du frère Alain
Graesel, on a senti s’exprimer la volonté
d’intelligence et de dépassement initia-
tique des frères, et s’affirmer leur exi-
gence morale.
4alsace
Une première réussie pour les Journées européennes des maîtres
L es 23 et 24 mai 2014 se sont
déroulées les premières Jour-
nées européennes des maîtres, à
l’Écomusée d’Ungersheim, en pré-
sence de Marc Henry, Grand Maître
de la Grande Loge de France, mais
aussi des passés et anciens Grands
Maîtres Alain-Noël Dubart et Alain
Graesel.
s 14
Chacun s’est souvenu,
par-delà les spécificités
qui fondent son identité,
que son initiation l’a invité
un jour à tendre vers la
dimension universelle de
l’Homme.
Le plateau des intervenants
a été très apprécié : les
frères Brice Gruet, Jean-
Raphaël Notton, Jean-Pascal
Meyer, Frédéric Louchart,
Claude Collin (intervenant
en maître maçon de la Grande Loge de
France) et Alain Bernheim, historien
renommé de la maçonnerie et membre
de la Grande Loge Suisse Alpina (inter-
venant en personnalité invitée).
Au cours de son allocution de clôture,
Ces journées ont rassemblé 120
maîtres d’Orients divers et parfois
lointains du grand Est mais aussi
au-delà – Suisse, Allemagne, Au-
triche, Tchéquie – ce qui ne pouvait
que réjouir les organisateurs : le
trio Philippe Misslin, second Grand
Maître adjoint qui reçut mission de
les organiser de la part du Congrès
Le Journal de la Grande Loge de France - N°115
par Alain Graesel
le Grand Maître Marc Henry a réaffir-
mé les principes de la Grande Loge de
France et a invité chacun à repartir vers
son Orient en emportant le message de
sagesse, de force et de beauté du Rite
Écossais Ancien et Accepté. n
des loges de l’Est, Claude Guignard
qui assura le secrétariat général et
Daniel Fischer qui en assura la tré-
sorerie avec le soutien logistique
des officiers et de son Vénérable
Maître Jean Antoine Schmerber
du Triangle Rhénan, à l’Orient de
Saint Louis, qui en était la loge
organisatrice.
Après le mot d’accueil de Philippe
Misslin, les frères ont ainsi pu écouter
des planches d’un très haut niveau
présentées par des intervenants
des différents pays sur les thèmes
suivants : « Histoire et spécificité du
Rite Écossais Ancien et Accepté en
Belgique », « Purification (cathar-
sis) par l’imagination », « Le devoir
du franc-maçon entre W. Eucken
et L. Ehrard », « La Grande Loge
Suisse Alpina : quelques repères
historiques », « Histoire du grade
de Maître au Rite Écossais Ancien
et Accepté ». L’intervention finale
de Marc Henry a été également très
appréciée. Les échanges ont été très
fructueux et bilingues avec la parti-
cipation digne d’éloges et efficace
de Michel Mattoug qui en assura en
permanence l’interprétariat. n
4ÎLE-DE-FRANCE
« Tolérance, vous avez dit tolérance ? »,
thème commun des tenues d’été 2014
L es tenues d’été sont depuis
longtemps un rendez-vous très
attendu. Cette année, les organisa-
teurs (loges Espéranto et L’Étoile)
ont proposé aux différents confé-
renciers, dont le Grand Maître Marc
Henry, de revisiter le concept de
tolérance. Avec succès si l’on en juge
la qualité des différentes allocutions
et l’affluence estivale constante.
Deux de ces réunions étaient publiques
et ont bénéficié d’une telle affluence
que les portes du temple Franklin Roo-
sevelt ont dû être ouvertes pour une
retransmission vidéo en plus du temple
Pierre Brossolette.
La première, le 1er juillet 2014, était
proposée par Jean-Michel Dardour,
ancien premier Grand Maître adjoint
et délégué à la communication de la
Grande Loge de France, sur le thème
« La tolérance nous rend-elle forts ou
vulnérables ? ». Et, la dernière, tra-
ditionnellement réservée au Grand
Maître, portait sur le thème « Vous avez
dit tolérance ? », le 26 août 2014.
Dédier l’ensemble des réunions à un
même thème a permis une synthèse
exhaustive du sujet. C’est ensuite à l’es-
prit libre de définir les mots pertinents
permettant à tout un chacun de struc-
turer sa pensée, de trouver les mots
opportuns pouvant devenir des paroles
fondatrices, faire l’union autour des
convictions et des rituels communs, ce
qui serait l’objet de tout symbole tant
l’uniformisation médiatique des mots
annonce un alignement de la pensée
derrière des concepts qui ne veulent
plus rien dire. Or, être responsable du
langage, c’est porter une véritable res-
ponsabilité symbolique et spirituelle.
Lors de sa conférence, le Grand Maître
a parfaitement commenté notre moder-
nité hyper individualiste, très loin de
l’idéal de tolérance, modernité dominée
par la simple logique du plaisir et de la
déloyauté envers l’autre. Chacun est
le centre du monde, le collectif dispa-
raît. Cet individualisme, faisant de sa
propre singularité la source exclusive
des valeurs, non pas qui unissent, mais
qui séparent, et qui ne sont plus recon-
nues comme des normes générales,
mais comme des croyances subjectives
Le Journal de la Grande Loge de France - N°115
auxquelles chacun est porté non par
volonté, mais par sensibilité.
Or, que devrait être une identité dans
cette civilisation planétarisée par la
communication, sinon de réunir l’indi-
viduel et le collectif, le religieux et le
politique, l’homme et la nature, le réel
et le possible, etc. ?
Il semblerait que la modernité soit
aussi porteuse de promesses que de
menaces quant à cette possible civili-
sation de l’empathie et du partage ne
dépendant que de nous. Tous connec-
tés mais tous seuls, nos yeux rivés à nos
portables 24 heures sur 24 !
La franc-maçonnerie « traditionnelle »
s’inscrit complètement dans un huma-
nisme moderne qui intègre et dépasse
même ce concept de tolérance, pour
une bienveillance et une éthique au
présent qui permettent à toutes les
communautés de bien vivre ensemble.
“
Deux réunions
publiques
bénéficiant d’une
belle affluence
”
Cette éthique de l’altérité, de la recon-
naissance de l’autre, nous la vivons
avec joie en loge. En étant éclairés par
une méthode, pas seulement par la
raison… Une spiritualité qui permet
un dépassement de soi, de s’ordonner
à ce qui nous dépasse, une certaine
transcendance qui rassemble toutes
les dimensions de l’homme. Bref, la
démarche initiatique…
par Jean-Michel Dardour
Le Grand Maître, au travers de toutes
les réponses aux nombreuses ques-
tions, a dressé le portrait d’une franc-
maçonnerie de tradition qui ouvre des
perspectives considérables pour l’hu-
manisme de demain, une pensée et un
langage régénérés pour redire à notre
façon le propre de l’homme, pour fixer
sa place dans le monde, et ses rapports
dans la nature et dans la culture. n
Thématiques abordées
lors des tenues d’été
2014
1er juillet 2014 : La tolérance nous
rend-elle forts ou vulnérables ?
par Jean-Michel Dardour
8 juillet 2014 : Tolérance et
pensée unique par Alain Juillet
15 juillet 2014 : Tolérance,
respect, liberté, altérité par
Jean-Jacques Zambrowski
22 juillet 2014 : La tolérance,
vertu initiatique ? par
Maurice Dailly
29 juillet 2014 : Au-delà de
l’intolérance, le pire par
Daniel Bacry
5 août 2014 : Le concept de
tolérance par Jean-Bernard Lévy
12 août 2014 : Tolérer la tolérance ?
par Michaël Segall
19 août 2014 : La tolérance entre
vérité, clairvoyance et justice par
Philippe Papet
26 août 2014 : Vous avez dit
tolérance ? par Marc Henry
15 s
 PORTRAITS
Être Grand
Commandeur
au XIX siècle e Guillaume Viennet
L’immense majorité des lecteurs
de notre journal travaille selon le
Rite Écossais Ancien et Accepté.
Mais connaissent-ils bien ceux qui
ont présidé à la survivance de ce
merveilleux parcours initiatique,
héritage d’Étienne Morin et rapporté
de Charleston par Grasse-Tilly ?
Alors retournons au XIXe siècle pour
porter un regard plein de curiosités,
mais aussi de reconnaissance à
certains d’entre eux, si pittoresques
soient-ils. Nous ne les remercierons
jamais assez.
par Maurice Lévy
s 16
Jean-Jacques
de Cambacérès
(1753-1824)
En privé, Monseigneur suffira…
I ssu d’une vieille famille de magistrat de
Montpellier, il est reçu avocat en 1771 et
succède à son père comme conseiller à la Cour
des comptes. Élu en 1792 député de l’Hérault à
la Convention, il vote la mort de Louis XVI et, en
1793, entame avec l’aide de Merlin de Douai, la
rédaction du Code civil dont la version définitive
aboutira en 1804.
Présidant la Convention en 1794, puis le Comité
de salut public, il sera ministre de la Justice en
1799, favorisant le coup d’État du 18 brumaire.
Reçu à l’Académie française en 1803, il est nommé
prince-archichancelier à la proclamation de
l’Empire en 1804, et préside le Sénat et le Conseil
d’État en l’absence de l’Empereur.
Il amasse une fortune considérable et entretient
un train de vie fastueux. – « En public, appelez-
moi Votre Altesse Sérénissime. En privé,
Monseigneur suffira… ». Véritable régent de
l’Empire, il destituera Napoléon en 1814, se
ralliera à nouveau à lui en 1815, puis s’exilera
(1777-1868)
« Si Sa Majesté croit devoir
nous dissoudre… »
N é à Béziers d’un père conventionnel et neveu
d’un prêtre constitutionnel, il s’engage dans
l’armée, Révolution oblige… Lieutenant de marine
à l’âge de 19 ans, fait prisonnier par les Anglais, il est
à sa libération rappelé sur les champs de bataille où
il est décoré en 1813 par l’Empereur !
Mis en quarantaine lors de la Seconde restauration,
puis élu député de l’Hérault en 1828, il est un des
artisans de la Révolution de Juillet et fera acclamer,
avec La Fayette, Louis-Philippe au balcon de l’hôtel
de ville. L’Académie française lui ouvre ses portes
le 18 novembre 1830. Se qualifiant lui-même de
« dernier des classiques », ennemi acharné des
romantiques, il votera du bout des doigts pour
Victor Hugo à qui il reconnaîtra « malgré tout un
certain talent ».
Pair de France en 1839, il tourne définitivement le
dos à la politique en 1848 et se consacre à son idéal,
la franc-maçonnerie, où son rôle sera capital dans
la sauvegarde du Rite Écossais Ancien et Accepté.
Membre du Suprême Conseil en 1826, il en
devient en 1860, à l’âge de 83 ans, Souverain Grand
Commandeur. C’est la période durant laquelle
Napoléon III désigne le maréchal Magnan comme
Le Journal de la Grande Loge de France - N°115
à Bruxelles après Waterloo. De
retour en France en 1818, il
n’occupera plus aucune fonction
politique et se réfugiera dans
la piété et la franc-maçonnerie.
Il sera, entre autres, Grand
Commandeur du Suprême Conseil
du Rite Écossais durant tout
l’Empire, et ce jusqu’à sa mort.
Sa vie intime est, par ailleurs, fort
décousue.
Arrivé en retard à un rendez-vous
avec l’Empereur et prétendant
avoir été retenu par des dames,
Napoléon lui aurait répondu :
« Monsieur, quand on est attendu
par l’Empereur, on finit ses
petites affaires avec ces dames et
on leur dit : prends ta canne, ton
chapeau et va t’en… ». n
Grand Maître du Grand Orient (33
degrés dans la même journée…)
avec pour mission de phagocyter le
Suprême Conseil. Viennet s’y refuse,
résiste et, lorsque Magnan décide
le 22 mai 1862 sa « dissolution », il
écrit à l’Empereur : « Si Sa Majesté
croit devoir nous dissoudre, je me
soumettrai sans protestation, mais
comme aucune loi ne nous oblige
d’être maçon malgré nous, je me
permettrai de me soustraire, pour
mon compte, à votre domination ».
Impressionné par autant de
détermination, l’Empereur refuse
de signer le décret, le Suprême
Conseil est sauvé ! Dès lors, les
relations entre les deux juridictions
se feront dans la plus parfaite
sérénité. Enfin presque… n
Élie Decazes
« À Louis XVIII, roi de France,
l’Écossisme reconnaissant »
I ssu d’une famille anoblie par Henri IV,
il embrasse d’abord une carrière de
magistrat et devient conseiller à la cour
impériale. Rallié aux Bourbons, il se
lie d’amitié avec Louis XVIII et devient
dès 1815 préfet de police, puis ministre
de la Police générale après le départ de
Fouché.
Nommé Premier ministre en 1819, il
le restera trois ans jusqu’à l’assassinat
du duc de Berry dont il sera tenu pour
responsable aux yeux des ultras.
Nommé alors ambassadeur à Londres,
il siège à la Chambre des Pairs dès son
retour, mais sa carrière dans l’exécutif
est terminée.
Il vote dans l’opposition libérale
contre Charles X, conserve son siège
à l’avènement de Louis-Philippe et se
retirera définitivement de la vie politique
en 1848.
Adolphe Crémieux
La justice sera rendue
(1796-1880)
au nom du peuple français
C e Nîmois, un des plus grands
« ténors » du barreau du XIXe siècle,
étudie à Louis-le-Grand à Paris en
compagnie de Victor Hugo et Delacroix.
Il part à Aix-en-Provence où il obtient
son doctorat en droit, puis fréquentera à
Nîmes la loge Le Bienfait Anonyme.
Revenu à Paris en 1830, il fréquente la
société secrète « Aide-toi, le ciel t’aidera »
et prononce l’éloge funèbre de l’Abbé
Grégoire en 1831. Il milite alors avec Jean
Macé et Gambetta pour un retour à la
République.
Député à Chinon en 1842, ministre de la
Justice dans le gouvernement provisoire
du 25 février 1848 (où il décrétera que
dorénavant la justice sera rendue au nom
du « peuple français »), il démissionne
en juin de la même année quand Arago
l’empêche d’accorder aux noirs et aux
mulâtres leur émancipation.
À nouveau député en 1869 et devenu
ministre de la Justice le 4 septembre 1870,
Le Journal de la Grande Loge de France - N°115
(1780-1860)
Il n’en reste pas moins très actif dans
le domaine de l’industrie et créera, en
1829, dans l’Aveyron, une entreprise
d’extraction de fer et de charbon. La ville
qui abrite les ouvriers portera son nom :
Decazeville.
Initié en 1805 dans la loge Anacréon, il
gravira rapidement tous les échelons
du Rite Écossais. Lors de l’avènement
de Louis XVIII, il fera graver par son
atelier une médaille en l’honneur du
roi (qui l’appelait mon fils…) avec cette
inscription : « À Louis XVIII, roi de
France, l’Écossisme reconnaissant ».
ll succèdera au duc de Choiseul-
Stainville en 1838 et présidera aux
destinées de l’institution jusqu’à son
décès en 1860 après avoir fait tripler les
effectifs et œuvré à l’indépendance totale
du Suprême Conseil face aux velléités
hégémoniques du Grand Orient. n
il promulgue son
fameux décret
accordant aux
Juifs d’Algérie
la nationalité
française.
Député d’Alger en 1872, il est élu sénateur
inamovible de 1875 jusqu’à son décès en
1880. Quoique venu sur le tard au Rite
Écossais Ancien et Accepté (1866), il est
coopté en 1867 au 33e degré et il est élu
le 8 mars 1869 Très Puissant Souverain
Grand Commandeur.
Il maintient l’invocation du Grand
Architecte de l’Univers et permet la
« démocratisation » de certains ateliers :
c’est ainsi que la loge n°133 Saint-
Vincent-de-Paul devient La Justice. Sa
participation au congrès de Lausanne
de 1875 est d’une importance capitale
puisqu’il réussira à harmoniser et à
imposer les nouvelles fondations du Rite
Écossais Ancien et Accepté. Une des plus
grandes figures de son siècle. n
17 s
 VIE DES LOGES

ANNIVERSAIRES JUBILÉS
60e anniversaire de L’Acacia Écossais par Francis Hélias
L e jubilé est un moment intense dans la vie du maçon ainsi honoré, comme en témoignent les textes que nous avons
reçus à la rédaction.

L a loge L’Acacia Écossais, n° 727 à l’Orient de Toulon, s’est réunie le 31 janvier

2014 en tenue blanche ouverte pour célébrer le 60e anniversaire de son allu-
mage des feux.
Et comme le veut la tradition, le récipiendaire reçoit la médaille récompensant ses trente-trois années d’engagement maçonnique.
Réjouissons-nous en l’honneur de nos frères :
1. Jean Gardon, Le Travail Écossais, n° 451, à l’Orient de Dijon, le 28 avril 2014.
2. Pascal Balland, Michel Vallez et Jean-Louis Redon, Travail et Recherches, n° 859 à l’Orient de Paris, le 19 juin 2014.
En présence du Grand Maître Marc Henry et d’une importante délégation de conseillers 3. Éric Visseaux et Gilles Teyssandier, Perdiguier l’Ami du Peuple, n° 833, à l’Orient d’Avignon, 20 juin 2014.
fédéraux, cette célébration a réuni 215 sœurs, frères et profanes venus revivre un grand 4. Marc Ruhlmann et Patrice Chabanet, La Rose Rhénane, n°1411 à l’Orient de Haguenau, le 21 juin 2014. n
moment, celui qui a vu la naissance de L’Acacia Écossais.
En écoutant la planche du premier frère orateur François Puissans, lue à plusieurs voix,
l’ensemble des participants a pu ressentir toutes les vertus que nous ont transmises nos
grands anciens.
Le Grand Maître Marc Henry nous a parlé du devoir de transmission en s’appuyant sur
l’exemple de nos frères qui se sont sacrifiés jusqu’à la mort dans le respect de leurs
serments, en particulier de Pierre Brossolette. La soirée s’est poursuivie par des agapes
fraternelles dans la salle humide du temple de la Poudrière. n 1. De gauche à droite : Paul Thébault, 2. De gauche à droite : Guy Monget, 3. De gauche à droite : Franck Bouix, 4. De gauche à droite : Marc Ruhlmann,
Philippe Bourlon, Jean Gardon, Alain Michel Vallez, Michel Vicat, Jean-Marie Éric Visseaux, Patrick Dalmas, Gilles Raymond Vanesse, Philippe Misslin,
Daloz, Alain Lequien, Christophe Doumbé, Jean-Louis Redon, Pascal Teyssandier, Dominique Kravezt et Patrice Chabanet
Dacharry Balland Gérard Pons
Les 30 ans de L’Aigle du Delta MANIFESTATION
par J-M. Nancey
Les Z’Arts’ACOF à Versailles CONFÉRENCE
premier Grand Maître adjoint a D’où l’importance de dialoguer avec

L e 21 juin dernier, L’Aigle du Delta, n° 983 à

l’Orient de Salon-de-Provence, a fêté le 30e anni-
versaire de la délivrance de sa lettre de patente, le
par Christian Miègeville
« La communication
traité le sujet : « La communication
est-elle une valeur maçonnique ? ».
soi-même et avec les autres…

Alain Deloffre, le frère organisateur,

23 juin 1984.
Le Vénérable Maître Philippe Léandri et tous les frères
de l’atelier ont été particulièrement honorés de célé-
L es Z’Arts’ACOF ? Quel drôle de nom ! C’est tout
simplement celui choisi par l’ACOF, association en
charge du site de Versailles de la Grande Loge de France,
est-elle une valeur
maçonnique ? »
Les travaux ont été ouverts par Guy
Szackolzai, président du CERN, en pré-
sence du Grand Maître Marc Henry,
a promis d’organiser une quatrième
édition en 2015. n

brer ce 30e anniversaire en présence du Grand Maître
Marc Henry, d’une importante délégation composée de
Joseph Perez, ancien Grand Orateur adjoint, Bernard
Gerke ancien Grand Expert, Michel Raday ancien Grand
pour organiser une manifestation dédiée aux arts. de l’inspecteur des loges Jean-Claude
Cette première s’est déroulée le 21 juin 2014, jour de la Fête
de la Musique, et a accueilli un nombreux public de maçons,
de familles et d’amis.
P our la troisième année consé-
cutive, les loges symboliques
de Nanterre (L’Acacia, Antoine de
Hertz et d’une centaine de frères.

Le conférencier a défendu avec ferveur

Trésorier et des conseillers fédéraux Thierry Zaveroni et
Patrick Magne.
Jacky Jumel, Grand Expert de l’Ordre Initiatique Tradi-
tionnel de l’Art Royal (OITAR), et Bertrand Gajac, Véné-
rable Maître de la loge Le Chemin de l’Étoile (OITAR) à
l’Orient d’Aix-en-Provence, six des dix anciens Vénérables
Maîtres de L’Aigle du Delta (Jean Stanley, Frédéric Verdet,
Jean-Claude Cuny, Jean-Claude Cailleau, Guy Marcel et
Jean-Paul André) ainsi que de très nombreux frères visi-
teurs nous ont fait également l’honneur de participer à
nos travaux.
Au cours de cette cérémonie sous le signe de la trans-
mission, des plus récents initiés aux maîtres les plus
chevronnés, plusieurs frères ont évoqué la tradition, les
questionnements sur le passé, notre place aujourd’hui
et notre voie demain, tout cela rythmé par la découverte
d’une œuvre d’artiste, un superbe vitrail symbolisant
notre titre distinctif appelé à décorer le temple. n
Sœurs et frères « artistes » des loges des différentes obédiences
cohabitant sur le même site de Versailles ont présenté leurs
œuvres lors d’un après-midi dédié aux arts : tableaux, sculp-
tures, tapisseries, costumes historiques, bijoux, trompe-l’œil…
Le tout organisé autour d’un spectacle musical, parsemé de
poèmes, d’anecdotes historiques, de saynètes variées judicieu-
sement choisies.
L’objectif d’une telle journée est d’entretenir l’ambiance
particulièrement chaleureuse qui règne entre les sœurs et
les frères des différentes obédiences implantées sur le même
site, mais aussi de partager en francs-maçons cette part de
création qui nous anime, véritable part de nous-mêmes,
intime, opérative, et qu’il est si important de laisser émerger.
Sans oublier de se livrer ainsi aux autres à travers l’art, dans
la bienveillance et la fraternité. n
Saint-Exupéry, Le Chemin de Vérité,
L’Étoile Polaire, Jérôme Bonaparte,
Omnes Fratres) ont organisé, sous
l’égide du Cercle Écossais Rueil
Nanterre (CERN), le 13 mai 2014,
une tenue commune au cours de la-
quelle Jean-Michel Dardour, ancien
CÉRÉMONIE
L’Énergie Vendéenne a fêté trois frères méritants
De gauche à droite : Guy Fauvet, Patrick Cormier, Serge Guédon,
Marc Henry, Jean-Charles Rémy et François Dard
les thèmes qui lui tiennent à cœur en
tant que délégué à la communication
de la Grande Loge de France : la com-
munication, un véritable vecteur des
valeurs de la franc-maçonnerie. Il a
insisté sur le fait que communiquer,
c’est avant tout transmettre.
M ardi 3 juin 2014, en présence du Grand Maître Marc Henry et
du Conseiller fédéral, Grand Hospitalier, Inspecteur de notre
loge, François Dard, nos frères Jean-Charles Rémy, Patrick Cormier
et Serge Guédon étaient à l’honneur. Les deux premiers fêtaient leur
jubilé maçonnique et Serge Guédon ses cinquante années en Grande
Loge de France.
En présence d’une assistance nombreuse, dont des frères visiteurs venus
d’Orients proches et lointains, nos frères Jean-Charles et Patrick ont reçu
des mains du Grand Maître Marc Henry leurs médailles et diplômes. Quant à
notre frère Serge, il a reçu de ce dernier la médaille d’honneur de la Grande
Loge de France récompensant sa longue fidélité à notre obédience. Au nom
de notre loge, n° 776 à l’Orient des Sables d’Olonne, notre Vénérable Maître
Guy Fauvet lui a remis un magnifique volume traitant de notre ordre. n

s 18 Le Journal de la Grande Loge de France - N°115 Le Journal de la Grande Loge de France - N°115 19 s

LIVRES
L’ANTIMAÇONNISME ACTUEL
★★★★★
Il n’a que 15 ans l’incendiaire de la loge du
Grand Orient de France de Bernay, dans
l’Eure. Cela s’est passé le 31 août 2014 et
le délinquant est persuadé s’être attaqué à
« un lieu utilisé par les adeptes du diable »
(sic). C’est dire si l’ouvrage du journaliste
Jiri Pragman est d’actualité. L’ouvrage
constitue une somme de questions pertinentes à faire lire aux
antimaçons : la maçonnerie est-elle anticatholique ? Antijuive ?
Antimusulmane ? Est-elle sataniste, criminelle ou inutile ?
La fin de l’ouvrage délivre de nombreuses références sur les
associations, les sites Internet, les dessins et le vocabulaire
antimaçonnique. J. C.
L’ANTIMAÇONNISME ACTUEL, JIRI PRAGMAN, ÉDITIONS TÉLÉLIVRE, 212 P., 19,90 €
LA PIERRE DE SANG ★★★
La richesse de ce thriller maçonnique
tient, entre autres, à sa capacité de survol
temporel et spatial sur trois siècles d’histoire
ésotérique. Une organisation secrète et
scélérate peut-elle nuire aux mœurs et à
la démocratie aussi longtemps ? Quel est
le venin de ce « serpent d’émeraude » que
combat la maçonnerie de l’époque et quel est
ce mystère que tentent d’élucider les policiers
actuels chargés de l’enquête sur le vol de
l’épée de La Fayette au musée du Grand Orient ? Retrouvez
l’auteur, interviewé en vidéo, sur le site hiram.be dans la
rubrique « Un livre - Un auteur ». J. C.
LA PIERRE DE SANG, JEAN-MICHEL ROCHE, ÉDITIONS PAVILLON NOIR, 320 P., 14 €
MADAME HIRAMABBI ★★★★★★
La concierge de la rue des trois frères
Sous couvert de nouvelles anodines, voici
un vrai roman initiatique. Tout est dans le
double sens et les initiés vont se délecter à
le découvrir. Peut-on rencontrer la mort en
faisant son marché et l’éviter en cessant de
manger du poisson comme en changeant
ses comportements d’achat ? Que faire si on
découvre un crâne de mort en résine dans
sa cave avec un miroir et des inscriptions sur les murs noirs ?
Comment la concierge de la loge, veuve, finit-elle par modifier
le regard d’un jeune étudiant sur sa vie ? Le premier roman
de Philippe Benhamou – qui suit La Franc-maçonnerie pour les
nuls – est un trésor de subtilités poétiques et ésotériques.
À déguster sur son canapé en croquant du chocolat. J. C.
MADAME HIRAMABBI, LA CONCIERGE DE LA RUE DES TROIS FRÈRES, PHILIPPE
BENHAMOU, ÉDITIONS DERVY, PRIX CADET ROUSSEL 2014, 192 P., 15 €
LES CAHIERS DE LA FRANC-
MAÇONNERIE N° 21-22-23
★★★
Astrologie - Alchimie - Tarot
Ces cahiers, écrits par des francs-
maçons désireux de garder – comme
les compagnons médiévaux – un
anonymat ésotérique, abordent
dans ce dernier triptyque des
disciplines que certains trouvent
parfois étranges, sinon sulfureuses… Mais, comme le dit
le directeur d’une collection concurrente, « Les francs-
maçons ne sont-ils pas, par définition, ceux qui se posent
des questions ? ». Ces cahiers sont dotés d’iconographies et
de pertinentes bibliographies qui peuvent servir de point de
départ, puis de recherches ultérieures aux candidats en voie de
perfectionnement. J. C.
LES CAHIERS DE LA FRANC-MAÇONNERIE, ASTROLOGIE - ALCHIMIE - TAROT,
ÉDITIONS OXUS, 68 P., 6,10 € CHACUN
Les étoiles ★★★ adressées à chaque ouvrage ne sont que des mentions de saveur, donc
indicatives et totalement subjectives. Il appartient au lecteur libre et de bonnes mœurs de faire
son propre décodage.
« Les ouvrages dont les critiques paraissent dans le Journal sont gracieusement accessibles à
la bibliothèque de la rue Puteaux. »
s 20 Le Journal de la Grande Loge de France - N°115
CULTURE
6 QUESTIONS
À PIERRE
MOLLIER
Interview par Jacques Carletto
NDLR : Vous pouvez retrouver les vidéos
des interviews d’auteurs du Journal de la Grande
Loge de France dans la rubrique
UN LIVRE UN AUTEUR du site
http://jissey.eklablog.com
Vous venez de publier un ouvrage de « Curiosités
maçonniques ». La première de couverture de cet
ouvrage concerne une pierre archéologique étonnante.
Pouvez-vous nous dire pourquoi ?
Pierre Mollier : Deux raisons de s’étonner. D’abord, c’est
la première pierre maçonnique trouvée en France. Ensuite,
il y a un principe chez les historiens maçonniques : c’est
de penser que la franc-maçonnerie n’a rien à voir avec le
compagnonnage. Cette pierre – qui est probablement une
exception, un « hapax », quelque chose qu’on ne rencontre
qu’une fois – démontre le contraire.
Dès 1740, des francs-maçons spéculatifs ont bien été en
contact avec des compagnons opératifs. On peut voir, gravé
sur cette pierre, un alphabet maçonnique.
Question taquine : à l’époque, un frère, nommé
Pincemaille, est passé en justice maçonnique pour avoir
divulgué des secrets des hauts grades. Ne pourrait-on pas
faire de même quand Pierre Mollier publie Le Régulateur
Maçonnique ?
P. M. : Jusqu’à présent, j’ai évité le tribunal. Mais, il faut dire
que le premier Régulateur date de 1803. Une réédition en 2005
devrait être une infraction légère…
Très intéressant ce conflit entre la loge des Philalèthes
qui voulait constituer une bibliothèque extraordinaire et
Cagliostro qui leur avait demandé de tout brûler. Qu’en
pensez-vous ?
P. M. : C’est un débat qui a encore un écho de nos jours.
J’ai de la sympathie pour les Philalèthes qui pensaient que le
nec plus ultra de la franc-maçonnerie était de posséder une
bibliothèque initiatique rassemblant documents, archives et
rituels. Cagliostro leur demanda de tout brûler. Les Philalèthes
ont beaucoup hésité car ils étaient tentés par les secrets de
Cagliostro. Heureusement pour l’histoire, ils n’ont pas cédé.
Comment la bibliomanie peut-elle conduire à la
« gradomanie » ?
P. M. : La franc-maçonnerie s’enseigne par degré et donc par
grade. Mais, comme toute bonne chose, quand on verse dans
les excès, cela peut dégénérer en pathologie. En 1780, le frère
Peuvret a collectionné une foule de grades supérieurs dont la
majorité nous est encore inconnue. Mais, nous connaissons
tous des frères qui, de nos jours encore, ont le goût des
grades, et qui sont prêts à faire des dizaines de kilomètres et
de nombreux efforts pour obtenir un grade supplémentaire
qu’ils ne connaissent pas encore. Je me suis amusé à faire
un parallèle entre le bibliomane, décrit par Charles Nodier,
LIVRES
MICROYOGA ★★
Petit manuel de bien-être portatif
Comment faire du voyage quotidien un
voyage enchanté ? Comment emporter avec
nous un yoga homéopathique ? Comment
déjouer les automatismes chagrins, quels
qui est une sorte de personnage archétypal de ceux qui sont les bienfaits du silence ? Un autre
collectionnent les livres et ce bon frère Peuvret qui avait du regard peut-il transformer les tapis roulants
temps et aussi un peu de moyens pour acquérir des grades. en rivières ? Comment reconnaître les alliés
de sa vie et accepter leurs aides? Voici quelques questions
auxquelles l’auteure répond avec humour et pédagogie... J. C.
Y a-t-il eu un commerce de grades et décors ? MICROYOGA, PETIT MANUEL DE BIEN-ÊTRE PORTATIF, CAROLE DRÉANIC,
P. M. : Je ne dirai pas, ici, du mal de ceux qui vendent des ÉDITIONS MÉDICIS, 208 P., 16 €
décors dans une librairie, dont c’est une spécialité. Il faut dire
que les spiritualités – même les plus détachées des choses de
LE NOMBRE D’OR ★★
ce monde – ont besoin de supports, de symboles, d’outils qui
Le nombre d’or se retrouve dans la nature,
sont parfois des produits du travail.
la construction, la sculpture, la peinture,
À l’époque, par exemple, on pensait que les rituels ne la musique, les proportions humaines, etc.
pouvaient pas être imprimés. Ils étaient donc copiés, et il La géométrie du nombre d’or intéresse
fallait bien rémunérer les copistes et payer les copies. On ne particulièrement le compagnonnage et la
peut pas dire qu’il y avait un « trafic » car le mot serait un peu franc-maçonnerie par sa clé explicative du
monde, en particulier du symbole beauté.
excessif mais, dans certains cas, il était un peu justifié. Il y a
L’auteur, ingénieur des Mines, a également
bien eu, ensuite, un commerce des rituels et des grades dès été éditeur. J. C.
le XVIIIe siècle. LE NOMBRE D’OR, DOM NEROMAN, ÉDITIONS DERVY POCHE, 248 P., 9,50 €
Comment Fourier, créateur du concept de « Phalanstère »
a-t-il pu déclarer que la franc-maçonnerie était : « Une LE TRONC DE LA VEUVE ★★
L’auteur est romancier et s’intéresse à la
secte voluptueuse et religieuse ? »
période de l’Occupation allemande. On y
P. M. : Il faut replacer les mots dans leur époque. Autrefois,
rencontre des résistants francs-maçons,
« secte » n’était pas un mot péjoratif mais signifiait une des faussaires et même des marchands de
petite communauté alors détachée du courant principal de tableaux qui font surgir une « veuve » que
pensée. Elle était « voluptueuse » au sens de l’agapè, de la les lecteurs sauront reconnaître. Suspense
fraternité. Fourier voulait réformer la société en libérant les et thriller avec une « nuance de gris » sont
des ingrédients tendance pour les romans
mœurs et en supprimant les interdits ou les censures. Pour
maçonniques qui s’arrachent en librairie. J. C.
lui, la franc-maçonnerie faisait appel à cette inclinaison qu’on LE TRONC DE LA VEUVE, JACK CHABOUD, ÉDITIONS DERVY, 240 P., 16,50 €
a pour l’autre. Cette inclination développe le climat social.
Enfin, « religieuse » renvoie au sens de « relier », de mettre
ensemble. L’expression sonne un peu – aujourd’hui de façon FAIRE LA PAIX ★★★★
curieuse. C’est pour cela que je me suis permis de la mettre Qui est en face de moi ?
en avant. n Parce que c’est toujours le sang des innocents
qui est versé au nom des divinités, il faut
parfois, comme le Kaliayev des Justes dans
CURIOSITÉS MAÇONNIQUES, ÉDITIONS JEAN-CYRILLE GODEFROY, 192 P., 20 €
l’œuvre de Camus, refuser de jeter sa bombe
sur la calèche du grand-duc quand on sait
que des enfants s’y trouvent. L’auteur, prêtre
orthodoxe, rappelle que donner ce qu’on a
L’AUTEUR de meilleur à l’autre, c’est ne rien lui donner
si l’on ne s’assure pas que c’est bien cela que l’autre désire.
Pierre Mollier est historien. Le style du conte et de la parabole se mêle aux conférences et
à la prière. Des paroles qui peuvent sembler légères mais qui
Rédacteur en chef de la revue Renaissance
cachent une belle profondeur. J. C.
Traditionnelle, il est aussi directeur de la
bibliothèque du Grand Orient de France et FAIRE LA PAIX, QUI EST EN FACE DE MOI ?, JEAN-YVES LELOUP, ÉDITIONS DU
RELIÉ, 168 P., 146 €
du Musée maçonnique de la rue Cadet à Paris.
par Jissey
STAR
Le Journal de la Grande Loge de France - N°115 21 s
 MUSÉE - ARCHIVES - BIBLIOTHÈQUE
Le grand temple
d’hier à aujourd’hui
Hasard du calendrier, le grand temple de la Grande Loge
de France a pris la dénomination officielle de Pierre
Brossolette lors d’une cérémonie hommage le 25 juin 2014
alors que s’achevait la rénovation de ses vitraux quelques
jours avant. D’hier à aujourd’hui, ce temple a vécu de grandes
transformations et rénovations. Il a été et demeure le témoin
privilégié de la grande histoire de l’obédience.
J uillet 1911 : la Grande Loge de France quitte l’appar-
tement qu’elle occupait depuis 17 ans au 42 de la rue
Rochechouart pour s’installer au 8 rue Puteaux où elle se
trouve toujours aujourd’hui. Mais les locaux dans lesquels elle
s’installe ont déjà une histoire. Construits en 1884 sur l’empla-
cement d’une ancienne institution protestante, ils abritaient
un couvent de moines Franciscains Récollets, placé sous le
patronage de saint Antoine de Padoue : la chapelle étant l’un
des lieux de communion les plus fréquentés de Paris, elle
doit cependant être agrandie dix ans après la construction du
couvent vers 1894-1895.
Affectés à divers usages après la vente du bâtiment par les
moines en 1905 (d’abord un cinéma, puis une salle de bal tous
s 22 Le Journal de la Grande Loge de France - N°115
par Stéphane Céccaldi
deux installés dans la chapelle), les locaux sont partiellement
dédiés à la Grande Loge de France depuis la Première Guerre
mondiale. À la fin des années 1920, la Grande Loge reprend
la chapelle qu’elle avait louée pour agrandir ses locaux et le
conseil fédéral étudie alors un projet pour couper en deux ce
monumental édifice (30 mètres de long sur 13 mètres de large
et 15 mètres de haut) dans le sens de la hauteur afin d’y créer
deux temples dans la partie supérieure et une salle des fêtes
au rez-de-chaussée.
Le crash boursier et la récession qui succèdent anéantissent
ce projet, et l’imposante chapelle est utilisée dans son état
d’origine pour la cérémonie funèbre du Grand Maître Maurice
Monier en 1931.
Chapelle en cinéma avant 1914
Après la fin de la guerre, il est de
nouveau question de travaux dans la
chapelle qui, cette fois-ci, sont menés
à terme. Le volume est coupé en deux
dans le sens de la hauteur et la partie
supérieure devient le grand temple
alors que la partie basse devient le
temple Franklin Roosevelt prolongé
par la bibliothèque.
L’étage supérieur du volume de l’an-
cienne chapelle est entièrement dédié
à ce qui est encore le grand temple de
la Grande loge de France et, depuis les
travaux de 1948, seuls les trois lumi-
naires et les fauteuils ont été changés,
le reste des décors architecturaux, des
mobiliers de l’orient et des plateaux
d’officiers n’ayant pas été modifiés.
Le volume peut sembler sous-baissé en
raison de la suppression de la moitié
inférieure du volume initial, et de la
proximité des voûtes et arcades, mais le
rythme architectural de l’ancienne cha-
pelle est toujours nettement visible. Les
proportions sont si bien adaptées qu’il
est difficile d’imaginer aujourd’hui la vo-
cation et l’aspect d’origine de la chapelle.
Le mobilier néogothique mis en place
avant-guerre et saisi lors de l’Occupa-
tion pour la célèbre exposition anti-
maçonnique du Petit Palais, en 1940,
a retrouvé sa place et l’un des sièges
Vitrail fêlé
Le Journal de la Grande Loge de France - N°115
Chapelle en salle des fêtes vers 1929
de type cathèdre, construit à la fin du
XIXe siècle, comporte des panneaux de
coffre datant du XIVe ou XVe siècle.
Les vitraux de 1895 - de type grisaille -
ont été conservés et même préservés. Ils
sont de deux sortes : les premiers sont
encadrés par un chapelet franciscain et
les seconds par une cordelière qui n’est
Cathèdre du XIXe siècle avec panneaux médiévaux
pas sans rappeler la corde à 12 nœuds si
chère aux francs-maçons.
Mais, le temps a fait son effet : les parties Il est aujourd’hui utilisé pour des céré-
vitrées et les plombs d’origine ont souf- monies officielles (installation du Grand
fert des aléas de la pollution extérieure Maître, commémorations, tenues de
(une bonne partie des ouvertures donne prestige, etc.) et pour des conférences
encore en extérieur) ou des accidents ou concerts publics, permettant d’ac-
dus aux chocs devenus plus réguliers en cueillir près de 350 personnes.
raison, depuis le rehaussement du sol À la suite d’une décision adoptée en
en 1948, de la proximité plus grande des conseil fédéral le 23 décembre 2013,
parties vitrées et des populations qui fré- la Grande Loge de France a donné le
quentent l’espace du grand temple. Une nom de Pierre Brossolette à son grand
restauration d’urgence a donc été décidée
temple pour honorer la mémoire de ce
pour combler les manques de verre et maître maçon, héros et martyr de la Ré-
stabiliser les fissures. C’est la maison sistance française. Plus qu’un symbole,
Andrieux à Paris qui a été choisie pour un rappel des valeurs fortes de l’obé-
cette opération bien ciblée. Spécialisés dience : « Liberté, Égalité, Fraternité ».
dans la restauration des vitraux anciens n
et intervenant fréquemment dans les mo-
numents historiques, les techniciens de
cette maison réputée ont œuvré durant
plusieurs jours dans le grand temple
pour gommer les accidents du temps et
redonner un aspect lisible sans manque
trop apparent de l’ensemble des fenêtres.
Désormais, le clos et le couvert sont plei-
nement assurés.
Le grand temple de la Grande Loge de
France est sans conteste l’un des meil-
leurs exemples de la transformation
d’une architecture dédiée, en l’occur-
rence religieuse, en une configuration
à usage maçonnique.
Vitrail manquant
Des maîtres verriers à la renommée internationale
Nichée au cœur d’une cour arborée du XVe arrondissement à Paris, La Maison
du Vitrail a été fondée en 1973 par Christiane et Philippe Andrieux. Des édifices
les plus célèbres aux décors privés les plus discrets, ces experts des verres
anciens et contemporains participent avec le concours de leur équipe à la
sauvegarde du patrimoine français, avec comme credo « Se nourrir du passé
pour accomplir l’avenir… ».
Site Internet : www.vitrail.net
23 s
 MUSÉE - ARCHIVES - BIBLIOTHÈQUE

Congrès de
l’AMMLA * 2014 en Pologne Les membres
de l’AMMLA
devant l’affiche
par François Rognon de l’exposition

Le dernier congrès de qu’il a pris sa retraite. Grâce à son assidui-
l’AMMLA s’est tenu du té et à son enthousiasme, il y a deux ans,
à Rome, les membres de l’AMMLA ont
3 au 6 juillet 2014 à décidé d’accueillir la bibliothèque uni-
Poznan et à Ciazen versitaire de Poznan comme membre à
en Pologne. Pour la part entière de l’association bien que ne
première fois, il était dépendant pas d’une institution maçon-
organisé par une nique. Et, l’année dernière, à Vienne,
Juliana Grazinska nous a proposé d’or-
institution profane : ganiser le congrès 2014 en Pologne. Une
la bibliothèque première car nous allions sortir de nos
universitaire Adam structures maçonniques habituelles.
Mickiewicz de Poznan.
Ce congrès a été une réussite totale, tant
Les trois quarts de ce fonds sont conser-
vés au château de Ciazen, à une cen-
taine de kilomètres à l’Est de Poznan, où
se sont tenues les séances de travail du
congrès de l’AMMLA et les conférences
autour des problématiques inhérentes
aux bibliothèques maçonniques. C’est à
Ciazen qu’Andrzej Karpowicz et Juliana
Grazinska nous ont montré la façon dont
ils classaient et indexaient leurs docu-
ments. Un fonds extraordinaire qu’An-
drzej Karpowicz appelle « son bébé »,
dont il a commencé à s’occuper, il y a
trente ans sous le régime communiste.

À gauche
Andrzej
Karpowicz
P endant plus de 15 ans, Andrzej
Karpowicz, responsable du fonds
maçonnique de la bibliothèque universi-
au niveau de l’accueil et de l’organisa-
tion, que du rayonnement de l’AMMLA
qui a permis à une institution culturelle
Le dîner de clôture s’est terminé par une
chaîne d’union, accompagnée de chants
polonais traditionnels, dans laquelle ont
taire de Poznan, a assisté, en tant que visi- polonaise officielle de présenter la franc- été associés Juliana Grazinska et Andrzej
À droite
Juliana teur, aux travaux des congrès de l’AMMLA, maçonnerie dans un pays encore peu Karpowicz.
Grazinska accompagné, ces dernières années, par
et François
habitué à une telle extériorisation. Il a Le congrès de l’AMMLA 2015 aura lieu
Rognon Juliana Grazinska qui lui a succédé depuis débuté à Poznan le 3 juillet au soir par en Allemagne dans les locaux rénovés du
l’inauguration officielle de l’exposition musée allemand de la franc-maçonnerie
« Le fonds des livres maçonniques de la de Bayreuth. n
bibliothèque universitaire de Poznan »,
en présence du recteur de l’université, Adresse web de l’exposition de la bibliothèque
universitaire de Poznan :
du directeur de la bibliothèque uni- http://lib.amu.edu.pl/index.php?option
versitaire et des édiles de la ville. Le flo- =com_content&task=view&id=1018&Item
rilège des livres exposés nous laissait id=203
présager la richesse de ce fonds de 80 000
volumes, provenant de la bibliothèque
maçonnique d’Heinrich Himmler, le
chef de la SS et des services de sécurité
du Reich qui avait commencé la spo-
liation des bibliothèques maçonniques
Tableau
allemandes dès 1933 et qui « élargit » son de loge
aquarellé
AMMLA* action à toutes les obédiences maçon- dans un
L’AMMLA (Association of Masonic Museums niques des pays occupés à partir de 1939. manuscrit
inédit
Libraries and Archives in Europe) a été créée à « Quelle que soit l’Histoire, quelle que
l’initiative du musée de la Grande Loge de France soit votre histoire, quelle que soit l’his-
et du musée allemand de la franc-maçonnerie toire des collections que vous préservez,
de Bayreuth en 1989. Baptisée l’Association des vous êtes, comme nous tous membres
Musées Maçonniques Européens au départ, elle de l’AMMLA, les gardiens d’un trésor qui
est devenue l’AMMLA en 2005. Elle rassemble la fait partie de l’Héritage Maçonnique »
quasi-totalité des musées, archives, bibliothèques a précisé François Rognon, président
des obédiences maçonniques européennes. de l’AMMLA, lors de l’inauguration de Le château
l’exposition. de Ciazen

ERRATUM
Dans le dossier dédié à Henri Tort-Nouguès (numéro 113), une erreur s’est glissée dans le nom de la loge à laquelle il
était affilié en 1985. Il s’agit de la loge Saint-Jean de La Parfaite Amitié, n°875 à l’Orient de Carcassonne.

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s 24 Le Journal de la Grande Loge de France - N°115