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VOYAGE ET BIVOUAC • À PIED, À VÉLO, EN KAYAK, À SKI, À VTT, EN PARAPENTE...
DCAR
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E TE
EXPEMAG.COM CARNETS D’AVENTURES
ALPES INTIMES
QUEYRAS
‘
AV TUR
S N UN MASSIF
4 SAISONS
RS 2021
JANVIER - FÉVRIER - MA
L 11948 - 62 - F: 6,90 € - RD
AUCUNE LIMITE
LES SACS DE COUCHAGE MYTHIC ULTRA
PERMETTENT PLUS QUE JAMAIS DE « VOYAGER
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PROTECTION HAUT DE GAMME MÊME À CEUX POUR
QUI CHAQUE GRAMME COMPTE.
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ÉDITO
C
à plusieurs années.
PARTICIPATIF
Les récits sont écrits par les voyageurs eux-
mêmes – vous, les lecteurs. e numéro est l’occasion d’une rétrospective.
Comment la nature et le bivouac se sont
INDÉPENDANT immiscés dans nos vies pour en modifier
Depuis ses débuts en 2004, Carnets d’Aven-
durablement le cours. Parcours de vie de
tures est un magazine indépendant, édité par
une petite équipe de passionnés de voyage et voyageurs. J’en connais qui, pour l’occasion,
de sports nature. ont exhumé avec une émotion non feinte leurs
vieilles photos…
RESPECTUEUX Quand on se revoit, tout jeune en train de
Nous pratiquons nous-mêmes fréquemment
découvrir le monde, de faire ses premières
l’itinérance sans moteur, et œuvrons à pro-
mouvoir ce type de voyage plus respectueux expériences de bivouac, on mesure le chemin parcouru. Sur ces
de l’environnement. Dans la même optique, clichés oubliés, les « erreurs » et approximations d’alors nous
nous souhaitons également mettre en valeur sautent aux yeux. Et pourtant, le plaisir était bel et bien là !
les destinations plus proches et l’utilisation de L’essentiel en somme. Malgré des sacs énormes coiffés de tout
transports de surface moins polluants (train, un barda débordant maladroitement – les mêmes qui nous font
bus, ferry… ; l’équipe de rédaction n’a par aujourd’hui sourire lorsqu’on les voit sur le dos de randonneurs,
exemple pas pris l’avion depuis plus de 15 ans) souvent des jeunes d’ailleurs –, malgré des kayaks chargés à ras
et permettant tout de même d’atteindre de bords avec un fardage énorme.
nombreuses régions lointaines, de la Scandi- Finalement, ce qui ressort de ces images, c’est bien l’insou-
navie à l’Afrique en passant par l’Eurasie !
ciance, la fin plutôt que les moyens, cette envie d’être dehors,
Toujours dans un souci environnemental,
nous faisons le choix d’imprimer le magazine cette joie de la découverte, l’œil qui pétille du jeune chien fou de
en France, chez un imprimeur ayant le label joie à l’idée de se balader dans la nature. Une envie brute qui,
Imprim’Vert (un regroupement d’acteurs des par sa force, vient le plus souvent à bout des embûches.
industries graphiques réduisant leurs impacts En regardant ces photos anciennes, on peut se replonger dans
environnementaux), sur du papier 100% recyclé notre vision du monde de l’époque ; un peu comme le moustique
et de grammage raisonnable (d’où un résultat préhistorique figé dans l’ambre, un instantané de nos croyances
final un peu moins « élégant » que des revues et de nos connaissances. Nos croyances sur ce qu’il nous était
à l’épais papier brillant et blanchi) pour éco- possible de faire, ce dont on se pensait capables. Et, là aussi,
nomiser du bois, de l’énergie et de l’eau. En on peut mesurer le chemin parcouru. Souvent cette évolution
2014, nous avons rejoint « 1% For The Planet »,
est conséquente. Et la somme de tout ce dont on n’avait pas
réseau mondial d’entreprises qui reversent 1%
de leur chiffre d’affaires à des associations de conscience – des techniques non encore acquises, des compé-
préservation de l’environnement. tences et des savoirs qui élargiront le champ des possibles, des
croyances limitantes qui voleront en éclats, des rencontres qui
ÉTHIQUE
ouvriront des perspectives insoupçonnées – peut être très signifi-
Rester indépendant nous semble très impor-
tant pour garder notre liberté de pensée, cative. Ce qui est drôle, c’est que ces images du passé témoignent
d’action et d’expression. Ainsi, les tests de de cette dynamique de vie, et que nos photos d’aujourd’hui sont
matériels que nous publions sont effectués par le passé de demain. Et avec un peu de chance, on les regardera
la rédaction, et nous n’avons pas de rubrique de la même façon, avec le recul que la vie nous aura fait prendre.
shopping. Le rédactionnel est complètement C’est sacrément encourageant de songer au potentiel qui se
indépendant des fabricants ainsi que des cache encore en nous, à tout ce qu’il reste à découvrir, aux liber-
publicités qui sont publiées dans le magazine. tés à conquérir.
MERCI !
C’est vous, chers lecteurs, qui rendez possible
cette indépendance en achetant le magazine
ou en vous abonnant. Merci !
PAGE 14 - DOSSIER
3 Édito
6 Brèves
14 MILLE & UNE NUITS EN BIVOUAC
74 LES 4 SAISONS DU QUEYRAS
98 Décrypter : le soleil, notre étoile
104 Coin des bouquins
106 Courrier des lecteurs
108 Tests de matériel
110 Carnets Diem
111 L’Extraterrestre
112 Petits messages de la rédac’
114 Bulletin d’abonnement
DIRECTEUR DE LA PUBLICATION
Olivier Nobili
RÉDACTEUR EN CHEF
Johanna Nobili
RÉDACTION & COMMUNICATION
Anthony Komarnicki, Johanna Nobili, Jean Viale
redaction@expemag.com
DIRECTEURS ARTISTIQUES
Anthony Komarnicki et Potiron
74 GUIDE PRATIQUE
78 TREK
84 VTT
Que signifient donc tous ces logos ?!
Distribution : MLP
Quantités modifiables et réassort disponible sur
direct-editeurs.fr
Edité par Alcyon Média, SARL au capital de 20.000€
RCS Gap 451 170 674 - Gérant Olivier Nobili
Dépôt légal : A Parution
Commission Paritaire : 0424 K 84534
N° ISSN : 1774-718X
SEATREKKING EN BRETAGNE
Après un premier seatrek breton dans les Abers en 2019 (cf. CA60), notre
choix s’est porté cette année sur la presqu’île de Crozon dans le Finistère.
« Nous nageons depuis quelques heures lorsque nous débouchons sur un
dédale de cavernes marines. Les maigres rayons du soleil qui parviennent à
atteindre le fond des grottes éclairent la mer par le dessous et lui donnent une
couleur vert émeraude. Le brassage des éléments et la houle qui rentre avec
fracas dans ces cavités injectent
une infinité de bulles sous l’eau, qui
devient laiteuse. Je me surprends à
rêver seul, immobile dans l’océan,
au beau milieu d’une galaxie
hypnotique dans laquelle mes sens
sont décuplés. Il est là le monde
matriciel, la reconnexion avec la
Nature qui fait sens. Nous vivons un
moment de plénitude intense.
Nous nous enfonçons plus loin
encore en poussant nos sacs gon-
flables devant nous. Nous sommes
probablement là où peu d’humains
se sont aventurés : le fin fond des
grottes de Morgat. Le seatrekking
permet de se glisser dans des
endroits où même les kayaks les
plus habiles ne peuvent pas aller.
L’eau est noire, le ciel est noir. Nos
pupilles dilatées ne distinguent pas le bas du haut dans cette pénombre. Il est
temps de sortir les frontales. L’écho des vaguelettes sur les parois se répercute
dans toutes les directions pour venir
résonner à nos tempes. Nous enlevons
nos masques et fermons les paupières.
De lourdes gouttes glacées tombent
du plafond sur notre visage. Le temps
s’est arrêté. »
Le seatrekking est une pratique
récente qui combine nage et marche
le long du littoral, en itinérance
bivouac sur plusieurs jours. Nous
embarquons nos affaires (couchage,
nourriture, etc.) dans un sac à dos
étanche et gonflable que l’on tracte
en mer au moyen d’un filin. L’essence
du seatrekking réside dans l’alter-
nance du mode de déplacement
à la fois terrestre et aquatique, au
rythme des éléments. Cette élégante
manière de voyager séduit de plus
en plus d’enthousiastes (ndlr : nous
aurons l’occasion d’en reparler dans
Carnets d’Av.) ; un seatrek en appelle
d’autres !
Patrick Balch
Carnet complet sur MyTrip :
expemag.com/carnet/ete-2020-seatrekking-en-presqu-ile-de-crozon-
bretagne
par un dernier joli col local ardu ! Notre route était guidée par
le plus petit tracé possible sur la carte, et par les arrêts chez
les amis présents dans chacun de ces massifs. 9 jours pour
prendre le temps de nous déplacer tranquillement, tellement
mieux que quelques heures en voiture !
C’était une petite aventure qu’on a adorée et qu’on vous par-
tage en quelques lignes (ndlr : d’autres précédentes aventures
de Mariette et Lou dans CA54, 46, 15). Mais on en a une autre
que vous pourrez découvrir bientôt à travers le film Dans les
pas de Lou : un documentaire d’Hervé Tiberghien qui suit la
création du carnet de voyage de Lou au cours de deux mois
de marche au cœur du Ladakh. Le film est sorti en avant-
première au festival du Grand Bivouac en octobre dernier, et
on devrait le retrouver en 2021 dans certains festivals comme
Saint-Etienne (Curieux Voyageurs), Lons-le-Saunier (RDV de
l’Aventure), Le Vigan (Là-bas vu d’ici), Clermont Ferrand (Il
faut aller voir), etc. Soyez à l’affût !
La bande annonce : youtu.be/_wlk7I6y0yA
Mariette Nodet
AU FIL DE L’AULNE
Le soir tombe. Autour de nous, une immense zone
marécageuse s’étend, alternance de prés salés,
AssurAnce VOYAGe
lagunes et vasières. Régulièrement, une loutre,
un ragondin nous accompagnent, le temps d’une eT AVenTure
rencontre éphémère. Captivés, nous pagayons
lentement, avec l’illusion d’être présents sans
Voyages sportifs ou d’exploration,
déranger la vie qui partout nous entoure. Si tours du monde, missions de bénévolat
près de chez nous mais pourtant si loin de notre ou volontariat.
quotidien, le dépaysement est flagrant : ici rien ne
rappelle la présence de l’homme.
Et pourtant nous ne sommes qu’à quelques 10%
DE RÉD
kilomètres de notre village. Partis de Pleyben, au sur votr UCTION
e
cœur du Finistère, nous avons décidé de rejoindre voyage assurance
AVI International (Groupe SPB) - S.A.S. de courtage d’assurances au capital de 100 000 euros. Siège social : 48-14 avenue de l'Arche, ZAC Danton - 92400 Courbevoie - France - RCS Paris 323 234 575 - N° ORIAS 07 000 002 (www.orias.fr).
avec le
la presqu’ile de Plougastel près de Brest en par- réductio code
n
CARNE
courant les méandres de l’Aulne, à petites étapes T S
en kayak, sur trois jours.
Déjà, après cette première journée, apparaît la
sensation d’avoir rompu les attaches du quotidien
qui nous lient à une routine confortable mais
anesthésiante. Après quelques heures sur la por-
tion bucolique de l’Aulne, la passe de Port-Launay
nous a fait changer de monde : le canal domesti-
qué, bien sage entre ses écluses, a disparu, lais-
sant place à un fleuve dont les berges soumises
aux marées ont gardé un caractère profondément
sauvage.
Un bivouac minimaliste, quelques coups de
pagaie magiques semblent nous transporter en
Scandinavie. Les berges abruptes sont couvertes
de pins, l’eau gagne des tons bleutés : où sont les
icebergs ? La masse grise d’anciens navires de
la Marine apparaît dans un méandre, murailles
impressionnantes dans leur silence écrasant. Puis
nous arrivons en rade de Brest, et retrouvons le
terrain de prédilection de nos kayaks, l’eau salée !
Petit bivouac, et dernière ligne droite vers Plou-
gastel, quand soudain un souffle rauque nous
fait tourner la tête : un phoque gris nous observe
intensément, à quelques mètres. Une ultime ren-
contre, pour rappeler qu’un voyage n’est jamais
réellement terminé, surtout s’il vous amène chez
vous…
Guillaume et Marie
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www.avi-international.com
N°62 ∙ CARNETS D’AVENTURES ∙ 11
BRÈVES
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THÉORIQUE
Linda
du cadre militaire
à l’appel des grands espaces
N
ous avons découvert Linda avec son bel article dans le dos-
sier « Natur’Elles, les femmes en voyage nature » de CA41.
Puis nous l’avons suivie à travers la lecture de ses différents
ouvrages, et notamment « Là où je continuerai d’être, L’appel
des terres sauvages » où elle raconte son parcours de vie et
sa « transformation », puis « L’audace nous rendra libres »
(éd. Le Passeur pour les deux), et « Le Chemin des anges:
Ma traversée d’Israël à pied » (éd. Payot), trois livre chro-
niqués dans le magazine et que nous vous recommandons.
Son quatrième sort très bientôt, avant de le découvrir, nous
vous proposons une rencontre avec Linda !
La morsure du vent.
Alors que je traverse le
désert du Néguev à pied,
je trouve une ruine pour
passer la nuit à l’abri d’un
vent violent et glacé.
“
Mon meilleur conseil serait : arrêter de réfléchir, écouter ses
désirs et foncer ! On va toujours faire des erreurs au début,
„
Mon meilleur conseil serait :
arrêter de réfléchir, écouter
ses désirs et foncer !
aventurenordique.com
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04 76 39 79 67
N°62 ∙ CARNETS D’AVENTURES ∙ 23
BIVOUAC UNE VIE À COUCHER DEHORS : LINDA
Conscience.
Dans l’Himalaya, les
Bouddhistes m’ont
enseigné ce qu’était la
conscience et qu’il existait
un moyen de la modifier,
de l’élever, c’est-à-dire de
voir les choses autrement.
mais c’est en faisant des erreurs qu’on apprend. Il n’y a pas Trail. Ce récit est non seulement une histoire de marche
de meilleur moyen ! On peut passer des heures voire des dans des paysages extraordinaires, mais aussi l’histoire de
jours ou des mois à regarder ce que font les autres, mais les ma reconstruction au contact des éléments. Ce voyage fait
autres sont les autres. Il faut expérimenter les choses soi- en effet suite à une agression en Turquie, où j’ai risqué de
même pour découvrir ce qui nous convient. perdre la vie.
Ceci étant, il est bon de demander des conseils aux per- Concernant le voyage, comme à mon habitude depuis neuf
sonnes d’expérience pour gagner du temps dans ses ans, je laisse mon intuition me guider ! Pour l’instant,
démarches et dans ses choix. Mais il ne faut pas que cela elle me dit que j’ai pas mal de choses à transmettre ici, en
empêche de décider et d’agir par soi-même. France. Face à un monde qui va mal, sur tous les plans, je
Question matériel, je dirais qu’il faut vraiment se poser la me sens appelée à contribuer à ma façon à la construction
question deux ou trois fois avant d’emporter quelque chose. du monde de demain, que j’espère meilleur. Pour ce faire, je
Et surtout : tester le matériel sur de courtes durées avant de m’appuie sur l’expérience acquise lors de mes neuf années
partir pour plusieurs mois ! de voyage, et les enseignements de sagesse et de combati-
vité que j’en ai retirés.
Quels sont tes prochains projets de voyage, et d’écri- Ceci étant, je ne me fais pas d’illusions : l’heure du départ
ture ? n’est jamais très loin !
Mon prochain livre sort début mars 2021. Il raconte mes
trois mois de traversée à pied des Andes, depuis Santiago
du Chili jusqu’en Patagonie, le long du Greater Patagonian
POUR EN SAVOIR +
SES LIVRES »
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N°62 ∙ CARNETS D’AVENTURES ∙ 25
BIVOUAC UNE VIE À COUCHER DEHORS : JEAN
Jean
la délectable légèreté de l'être
TEXTE ET PHOTOS
Jean Romnicianu • sahibvoyageur.fr
Et hurler de bonheur.
Au détour d'une crête du
CDT, la beauté saisit aux
tripes, elle nous submerge. 1969. J’ai 15 ans et le cœur qui bat : je pars pour la première
fois avec un copain de mon âge camper seuls dans la mon-
tagne de Reims. Énorme sac à claie de 80 litres sur le dos,
pataugas aux pieds, nous abordons la forêt à la nuit tom-
Vers le Mustang. bante. Sur la départementale, ça va, nous sommes encore
Ocres, oxydes, vent, en terrain connu mais viennent les chemins et la forêt qui se
vagues de lumières qui resserre : les lampes s’affolent à n’éclairer que des branches,
déferlent : le bout du jamais ce qui a craqué, là, à gauche, mais si, je te dis, là !
monde, au bout de soi. Minuit et 30 km parcourus : monter la canadienne en coton
aux mats d’acier, allumer le butagaz, faire cuire les nouilles
et déjà la pluie menace, puis tombe. Dans la tente, sur nos
matelas de mousse dure, nous tentons de ne pas mettre en
contact toit et double-toit sous peine de fuites. Demain, la
tente pèsera une tonne, c’est sûr, mais quelle ambiance !
LE GOÛT DE LA MARCHE
La marche a d’abord été un moyen d’échapper au pension-
nat le week-end, mais j’y ai très vite pris goût et entrainé
l’un ou l’autre de mes amis durant les vacances : GR 4, GR 5,
Causses, Cévennes… que des bons souvenirs malgré les sacs
de 20 kg qui étaient la norme, les épaules en compote et les
ampoules dès les premiers jours dans des chaussures trop
lourdes et mal faites.
50 ans plus tard on idéalise son vécu d’adolescent, mais je
crois qu’au-delà de l’aspect sportif alors prééminent, nous
soupçonnions déjà que ces espaces libres ont un message
plus profond que leur simple beauté, que le vent a quelque
chose à nous apprendre, que l’aube est une parabole.
“
blicité, la vie ne nous doit rien, que le monde est indifférent près à ces dates que le matériel disponible chez nous com-
à notre petite personne et que nous sommes seul artisan de mençait sa cure d’amaigrissement. L’apparition de chaus-
notre bonheur. sures de course en montagne performantes, en particulier, a
fait une différence de taille : enfin un chaussant
bien taillé, léger, souple, amorti et séchant vite.
„
Fini les ampoules. Youpi !
Tout le reste évoluait à l’avenant : les fibres syn-
thétiques devenaient souples, agréables sur la
peau, chaudes avec les polaires, protectrices
Il devient difficile d’esquiver la avec le Goretex ; fini le coton toujours humide,
le lourd pull en laine, la parka de deux tonnes.
question : qu’est-ce que je veux, L’habillement passait au multicouche léger et
Yellowstone.
Marmites thermales.
LA MUL DÉCORTIQUÉE
Nombre d’informations et réflexions sur les
aspects plus techniques, les comparaisons et
les listes de matériel se trouvent sur le site de
Jean : sahibvoyageur.fr
LIVRES
Les Livres de Jean Romnicianu aux éditions Jacques Flament
(jacquesflamenteditions.com) :
» Pacific Crest Trail / Carnet de route du Mexique au Canada
» Continental Divide Trail / 4200 km, carnet de route et préparation
» Petit guide du marcheur léger (parution début 2021)
se laisser guider par les réponses socialement convenues. … ET PEUVENT CHANGER VOTRE VIE
Qui se plaint de la nécessité de manger ou de dormir ? Alors, Et la Marche Ultra Légère dans tout cela ? Ah oui, la MUL. Eh
pourquoi se plaindre de situations tout aussi inéluctables ? bien, remettons-la à sa place : un outil, précieux, oui, mais
Bien sûr, la douleur a sa propre façon de s’imposer, mais seulement un outil. Faut-il alors s’y lancer ? Oui encore et
nous sommes seuls maîtres de l’importance que nous allons pour deux raisons :
accorder à ce qui nous arrive. • D’abord par plaisir, parce que porter moins reste la meil-
leure façon d’apprécier toute marche, longue ou courte.
MARCHE ET BIVOUAC LIBÈRENT... Il convient juste de moduler sa pratique en fonction de
La marche au long cours, par sa lenteur, sa durée, la répé- l’usage envisagé et de ne pas tomber dans l’extrémisme.
tition infinie d’un geste simple, nous conduit à une forme • Ensuite et surtout pour le dépouillement qu’elle de-
de méditation si on la laisse faire. Se déploie alors en nous mande, ce décapage, qui donne le besoin et la possibilité
la réalisation que nous sommes libres, libres non au regard de s’engager dans une marche de longue durée, a toutes
des contraintes extérieures, mais, plus important, face aux les chances de changer votre vie.
réponses que ces contraintes éveillent en nous. Oui, je sais, tout le monde ne peut pas se permettre trois
Le bivouac en autonomie libère, lui, de la tyrannie du à cinq mois de marche… facilement. Pas du tout ? Pensez-
temps : nulle part où arriver, la liberté de se poser là, dix y fort : choisir cette priorité et se battre pour la concrétiser
minutes ou des heures, de prendre des variantes. On ap- peut être le pivot d’une existence. Car si la MUL joue le rôle
prend à mépriser le but au profit de l’instant, du chemin, d’un premier décapant et d’une méthode indispensable, ma
et qu’importe si le ravitaillement ne suit pas : un jeûne de propre expérience m’a convaincu qu’une marche longue en
quelques jours fait du bien. Si, si : essayez. bivouac est une excellente façon d’intérioriser la patience,
Le temps de me remettre du PCT avec un GR 10 pyrénéen la résilience, la simplicité pour enfin frôler le bonheur.
tranquille l’année suivante, et je suis reparti aux USA pour Et puis, il y a ces moments de grâce qui nous illuminent sans
aborder le Continental Divide Trail : toujours Mexique - Ca- prévenir au débouché d’un col grandiose ou devant une
nada, mais sur la ligne de partage des eaux (ndlr : voir l’en- simple fleur, un vent dans les herbes. Instants magiques où
cart livres). Entre-temps j’avais un peu progressé en MUL et nous sommes submergés par un sentiment de plénitude,
ne portais plus que 5,5 kg en poids de base : j’avais ainsi une envie de hurler de joie parce que le monde est beau et
abandonné le réchaud et ne mangeais plus que du réhydra- que, sans pouvoir l’expliquer, nous y participons de tout
té à froid : on s’y fait très bien, et c’est un pas de plus vers la notre être. Des secondes qui repoussent vers l’insignifiance
simplification. les petits tracas du quotidien face à l’immensité de la joie
Si le PCT avait été une découverte, le CDT fut une confirma- que nous avons trouvée au détour du chemin, mais qui est
tion éclatante. Le vécu d’une telle expérience est unique à sans cesse à notre portée pourvu qu’on en ait conscience.
chacun mais pour ma part, à 66 ans et après un cancer du
rein début 2019, je reviens empreint d’un sentiment de séré-
nité, d’une joie tranquille peu différenciable du bonheur. Et
ce sont ces marches longues en autonomie qui m’ont permis
GR 5.
d’intérioriser les idées et les valeurs acquises ou pressen-
Et rester bouche
ties au niveau intellectuel, mais qui restaient peu présentes
bée au col...
dans mon vécu quotidien. Bien plus, tout comme mimer le
rire finit par vous mettre en joie, se placer en position de
MUL décape l’être, même s’il n’en demandait pas tant, et lui
révèle l’incroyable potentiel qui sommeille en lui sous les CDT.
couches de matérialisme. Sur de longs parcours,
Partez. Partez loin, partez longtemps, seul ou à deux. Ap- le plus dur est parfois
“
privoisez le silence, écoutez, ressentez. Fuyez un instant la de savoir se poser.
société pour vous (re)connaître, vous.
GR 5.
Le bonheur est aussi tout
près de chez nous.
„
Le bivouac en autonomie libère, lui, de la
tyrannie du temps : nulle part où arriver, la
liberté de se poser là, dix minutes ou des
heures, de prendre des variantes.
Leo Houlding
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N°62 ∙ CARNETS D’AVENTURES ∙ 35
BIVOUAC UNE VIE À COUCHER DEHORS : NELLY
Nelly
du rythme effréné de la ville
à la plénitude des territoires sauvages
Découverte.
Dans les Alpes, c’est
au pied des sommets,
à l’abri du vent et aux
confins d’un glacier
que nous découvrons
la joie du bivouac.
J e viens d’une famille où le voyage reste anecdotique et je
n’ai pas de souvenir d’être partie avec mes parents dormir
à la belle étoile ou même passer quelques jours dans la na-
ture, en retrait, le temps d’une nuit, de la vie citadine. Ce
manque a très certainement joué un rôle dans mon envie de
m’immerger dans un environnement où seule la musicalité
du vent me bercerait.
DÉCOUVERTE DU BIVOUAC
C’est vers 22 ans, alors que je suis en couple depuis quelques
mois à peine avec Jérôme, que je découvre la joie du bivouac.
À cette époque, nous habitons à Lyon et nos seuls moments
d’évasion se résument à une fin de semaine sous la tente
dans les Alpes, au détour d’un sentier ou sous un sommet
que nous gravissions aux premières lueurs du dimanche
matin. Notre temps est compté puisque nous avons, chro-
Premier jour. nomètre en main, 48 heures (du vendredi soir au dimanche
Début de notre périple soir) pour sortir de la métropole, accéder au point de départ
de 8.000 km. Le paysage de la randonnée, bivouaquer deux nuits en altitude, avant
du Yukon, que nous de nous diriger à nouveau vers le rythme effréné de la ville.
connaissons bien, nous Je n’avais alors aucune emprise sur la cadence imposée par
encourage cependant la société dans laquelle j’étais née et où je tentais, tant bien
dans nos efforts avec que mal, de trouver ma place. Au fond de moi, je savais
un vent de face... que j’avançais à contre-courant et que ce tempo n’était pas
Ralentir.
Le vélo est l’allié parfait
de la lenteur que nous
aimons tant en voyage.
Kluane. Migration.
La vallée de la rivière Le nord de la Californie
Alsek dans le Kluane est sauvage ; de ce
demeure secrète et il a promontoire, il est
fallu pédaler plus de 6 possible d’observer les
heures pour trouver le baleines en migration.
bivouac idéal ce soir-là.
“
de moi-même. En voyage, même si j’ai besoin de jours de
repos et j’apprécie les moments de pause, je ressens quand
même un manque lorsque je ne pédale pas.
PORTE D’ENTRÉE VERS LA BEAUTÉ sine. Au final, il faut peu de matériel pour bivouaquer, l’im-
Aujourd’hui je vis à Whitehorse dans le Yukon. Ici, le bi- portant étant la chaleur : avoir des vêtements de rechange
vouac demeure la porte d’entrée vers cette beauté, puisque pour le soir, un bon sac de couchage, un abri pour dormir
la liberté de poser la tente où bon nous semble est aussi la au sec, de l’eau potable et de la nourriture. Le reste n’est
promesse de contempler le paysage et le ciel dont les cou- qu’accessoire.
leurs évoluent à mesure que les heures passent. Il est cer- Nos sacs de couchage nous accompagnent depuis la Pata-
tain qu’à ce moment précis, je ne souhaite être nulle part gonie et 12 ans plus tard, nous les utilisons toujours. Ils sont
ailleurs. garnis de plume et nous permettent de dormir confortable-
Le bivouac n’a pas les mêmes caractéristiques suivant le ment lorsque la température descend quelques degrés en
pays où l’on se trouve, et cet aspect rend sa pratique d’au- dessous de 0. Un bon entretien du sac en plume permet de
tant plus enrichissante. En Alaska, c’est le bruit des sau- le garder longtemps. Lorsque nous ne sommes pas en expé-
mons remontant la rivière qui a rythmé nos soirées, alors dition, nous entreposons nos sacs non compressés dans un
qu’au Mexique, et plus particulièrement dans le désert, c’est large placard et les lavons une fois par an. Laver un sac qui
la flore d’une richesse infinie et insoupçonnée qui a marqué s’est aplati et semble moins chaud qu’auparavant permet
mon expérience de voyageuse. de redonner du volume aux plumes et une seconde vie à
son matériel. Pour les nuits plus chaudes d’été, nous avons
L’ADAPTATION DE NOTRE MATÉRIEL d’autres sacs, en plume également mais plus légers, et nous
Si maintenant nous bivouaquons surtout dans les mon- procédons de même pour l’entreposage et l’entretien.
tagnes du massif de Kluane, nos gestes et notre matériel se
sont adaptés à la faune. Nous ne partons jamais sans notre ALLÈGEMENT
bombe à poivre pour faire fuir les ours, ni nos moustiquaires Nous avons changé plusieurs fois de sac à dos et j’ai, à
de tête pour éviter les piqures des mouches noires et autres chaque fois, opté pour un sac plus petit. De 70 litres au début
moustiques. des années 2000, je porte maintenant un sac de 44 litres qui
Nous avons récemment opté pour un filtre à eau qui fonc- me semble amplement suffisant. Avec une capacité limitée,
tionne avec la gravité, sans supervision, et nous permet de je me concentre sur l’essentiel et réfléchis à deux fois avant
consacrer le temps de filtrage à autre chose comme la cui- de sélectionner mon matériel. Les éléments les plus pesants
EN BALADE
Par Joséphine, 11 ans
Nous sommes allés marcher avec la tente pendant
deux jours et une nuit dans le massif de Kluane l’été
dernier. On a longé une rivière. C’était très amusant
parce que nous avons vu plusieurs animaux comme
des renards et des marmottes. Nous avons grimpé
le mont Decoeli (2318 mètres). Au sommet, on était
au-dessus des nuages ! Nous étions fiers de nous et
avions une vue magnifique sur la pointe du mont Logan
(5959 mètres, point culminant du Canada) au loin.
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David
petit ours sous la grande ourse
itinéraire d’un amateur
de vie sauvage sous les étoiles
P
our mon premier bivouac tout seul, dans la forêt, j’étais tout
petit. Je ne sais pas exactement quel âge. Peut-être 7 ans.
Peut-être 9. Je tendais l’oreille, mon couteau dans la main,
le cœur battant.
J’Y SUIS RETOURNÉ lon qui reliait le manche à la lame, et qui se dévissait sans
Et, oui, j’y suis retourné. Avec des amis, avec ma famille, arrêt… Une bouse infâme, impossible à affûter. Ce couteau
avec mes cousins, mes oncles. Et petit à petit, j’ai appris à a vite été remplacé par ma première machette, que j’ai tou-
mieux connaître les bruits. J’ai appris à faire la paix avec jours. J’avais un paquet d’allumettes « qui s’allument par-
la nuit. J’ai appris que les nuits noires telles que celle que tout » que j’avais trempées dans la paraffine pour les rendre
j’avais vécue sont rarissimes. Ce sont des nuits sans lune, imperméables, que je gardais dans une boîte de film 35 mm.
où le ciel est couvert… et que le reste du temps, la nuit, la Plus tard, j’ai eu plus de matériel. Une lampe de poche…
lumière ne disparaît pas totalement. elle a changé ma vie, celle-là. Et puis une gourde. Puis mon
Puis un jour, j’ai reçu une lampe de poche en cadeau de premier tapis de sol, bien plus tard. Et enfin un sac à dos. Et
Noël. Une petite maglite. Je m’en souviendrai toute ma vie. une tente…
Elle était bariolée de kaki et de marron, en imitation de ca-
mouflage militaire. Mon oncle Réal a rigolé, en me disant CONFIANCE HUMBLE ET SÉRÉNITÉ FRAGILE
« si tu la fais tomber, tu ne la retrouveras jamais ». J’ai été Ce qui me reste de mes premiers bivouacs, mis à part ce tout
vexé. Et puis vexé une deuxième fois le jour où il a eu rai- premier qui a été l’horreur absolue, ça a été ce sentiment
son… mais quel changement ! Quel changement de pouvoir étrange qui reste, une fois que la peur a été dépassée. Cette
créer un petit bout de jour pendant la nuit. espèce de confiance humble, de sérénité fragile, qui se den-
Pour mon premier bivouac, j’ai commencé comme ça, avec sifiait petit à petit au fil des expériences. J’adorais voir que la
presque rien, dans la nuit la plus noire que j’aie vue ou peur cédait petit à petit sa place à une forme plus ou moins
presque. Avec comme matériel une vieille couverture de consciente de symbiose, d’adaptation au milieu. Et très vite,
laine rongée par les mites, et un poncho de l’armée US en je me suis pris au jeu. Demandant sans arrêt des conseils à
camouflage woodland, avec son odeur caractéristique de mes oncles, harcelant mon père pour qu’il me raconte des
colle moisie. J’avais aussi un couteau. Vous savez ces cou- histoires d’Afrique. Emmerdant à chaque fois que je pouvais
teaux « cheap » de survie à manche creux, façon Rambo. mon oncle Réal pour avoir son avis sur mon matériel, mes
Avec dessus une boussole sphérique inutilisable, et un bou- idées, mes techniques.
“
avec l’ours des bois !
Photos : Carnets d’Av
„
remettait souvent les idées en place, les pieds sur terre. Mais
il était patient . J’adorais ça. Vraiment
CONNEXION INTIME AVEC LA NATURE profondément. J’adorais
De la terreur absolue vécue pendant le premier bivouac, j’ai
commencé à ressentir une connexion de plus en plus intime
être dans la forêt. Et ce
avec la forêt, avec la rivière, avec la terre, avec le feu. La peur sentiment n’a jamais
a cédé sa place à une joie profonde, à une communion avec
la nature. Je lisais les histoires des trappeurs, des coureurs changé.
des bois, des explorateurs. Quand, à l’école, je m’ennuyais
trop, je cherchais à visualiser comment j’allais installer
mon camp du weekend. Comment j’allais faire pour trouver
l’argent pour m’acheter une boussole et une carte, pour pou- DÉCONNEXION… ET RECONNEXION
voir apprendre à m’en servir. Je planifiais mes itinéraires, et À la fin de mon adolescence, j’ai ensuite perdu un peu le
m’imaginais en train d’explorer des endroits que je n’avais contact avec la nature. Je suis parti en ville, faire des études,
pas encore découverts jusque-là. être videur dans les boîtes de nuit, faire du karaté et des
J’adorais ça. Vraiment profondément. J’adorais être dans conneries. Mais j’ai toujours senti que quelque chose man-
la forêt. Et ce sentiment n’a jamais changé. Et aujourd’hui quait. Ce manque, de plus en plus cruel, s’est épaissi quand
encore, quand je prononce les mots « chez moi », c’est à un j’ai commencé à travailler, puis quand je suis arrivé en
endroit précis, un point de bivouac un peu caché et magni- France, à bosser à Villeurbanne. C’est un petit rouge-gorge,
fique à une centaine de mètres de la rivière Bonaventure, sur la fenêtre de mon bureau, qui a exhumé le souvenir de
que je pense. ce qui me manquait tant, et qui a fait céder un barrage de
Petit à petit, la contemplation du feu est devenue une de larmes, en plein milieu de l’open-space… J’ai pleuré des
mes activités préférées. Puis j’ai commencé à faire un peu litres. Et 48 h plus tard je me « faisais démissionner ».
sérieusement du canoë sur la Bonaventure et les rivières des Direction la Drôme, où j’ai retrouvé une nature plus pré-
environs, pour retrouver cet état de grâce, cette sérénité, ces sente. Des montagnes, des forêts, des gens plus simples,
moments de communion et de contemplation. des rapports humains plus authentiques. Des animaux sau-
J’allais souvent dans la nature en famille ou avec des amis, vages.
mais j’ai toujours préféré y aller seul. Je me sentais plus vul- En guise d’ours, il y avait des sangliers, qui occupent sen-
nérable, en y étant tout seul. Et cette vulnérabilité me sem- siblement la même niche écologique et font à peu près la
blait affûter mes sens, mon attention à l’environnement. Me même taille. Les chevreuils étaient plus petits et les loups
reconnectait, plus ou moins consciemment, à cette peur plus fliqués, mais j’ai quand même retrouvé le contact avec
primaire, archaïque, et cette même peur donnait une saveur la Pachamama. Elle est magnifique, et bienveillante, ici
toute particulière à l’expérience : l’ouverture totale, la pré- aussi.
sence absolue. Et puis les stages, où, sans mentir, j’ai enfin pu retrouver
le plaisir de la vulnérabilité, de l’exposition aux éléments, Tout le reste était replié. Propre. Il m’a demandé si j’avais
de l’absence de filtres qui permettent cette contemplation, dormi là.
et ce rapport plus direct avec la forêt, la nature, le vent, la - C’est interdit ou pas ? Lui ai-je répondu avec un sourire.
montagne, la pluie et le feu. - Il a ri. Il a dit « ça dépend ».
Et mes premiers bivouacs « en mode dégradé », en France, - Si je vous paye un café ça fait pencher la réponse du bon
ont vraiment eu cette saveur particulière d’un retour aux côté ?
origines. D’un retour à mes premières amours, à mon en- Il a ri un peu. Il s’est installé. Il a bu un café avec moi. On
fance, à moi-même. a parlé du loup. On a parlé des touristes. On a parlé de la
montagne. Il en parlait de la même manière que je parle de
TRANSMETTRE ma rivière. Avec beaucoup de respect, et un amour infini.
J’ai fini par en faire une science, pour pouvoir la trans- Je lui ai raconté ma rivière. Je lui ai dit que je cherchais la
mettre. Mais chaque stage, pour moi, comprend toujours un même chose ici, mais 1800 m plus haut, dans les cailloux. Il
moment où je suis là, baignant dans la nature, entouré de m’a rendu ma tasse. Il a souri. Il n’a rien dit pendant un bon
gens géniaux, à simplement contempler le bien que ça fait, moment. Puis il m’a dit « je comprends ». Et il est parti sans
la beauté qui est là, et à quel point la nature et le fait d’y dire un mot de plus, en souriant.
séjourner font du bien à notre corps, à notre esprit, et à nos
vies.
Et les bivouacs en montagne, ce milieu si particulier, si
changeant, si minéral, m’ont rapidement fait évoluer vers
une approche encore plus minimaliste, plus légère, et plus
proche des éléments.
J’ai dû dormir deux fois en refuge (non gardé) de toute ma
vie. J’ai toujours préféré le froid et la solitude, et me plan-
quer et ne laisser aucune trace de mon passage. Toujours
pour pouvoir être en contact intime avec la montagne, la
roche, la pluie et les éléments pour retrouver cet état si par-
ticulier, cette connexion.
« JE COMPRENDS »
Un matin d’automne, alors que je venais de passer une nuit
à la belle étoile, dans un coin paumé du sud du Vercors, un
garde du parc est venu à ma rencontre. Il m’avait vu de loin,
à la jumelle. J’étais en train de replier mon duvet et mon sur-
sac quand il est arrivé. Un café chauffait sur mon réchaud.
Ma fille au campement.
Page de droite : ma
salle de sport, lors d’une
séance de cardio J
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N°62 ∙ CARNETS D’AVENTURES ∙ 53
BIVOUAC UNE VIE À COUCHER DEHORS : JOHANNA
Johanna
des premières nuits à la belle
à Carnets d’Aventures
Découcher.
M
Le baccalauréat tout juste
en poche, nous découvrons
l’itinérance bivouac en montagne.
Et ce fantastique corollaire : oui,
il est possible d’arpenter les
es paupières tardent à vouloir descendre sur mes yeux grands
ouverts. La silhouette rassurante des chevaux longés à quelques
mètres danse doucement dans la nuit. Le clappement de leurs
puissantes mâchoires cisaillant les brins d’herbe alentour ha-
bille le silence. La chaleur de la journée s’est évaporée avec le
crépuscule, et l’air sur ma peau est doux et sec. Nuit d’été en
Provence. L’immensité du ciel étoilé me prend tout entière.
À nous la liberté !
Sacs trop lourds mais
grands sourires pour
grenues : descendre une rivière (la même, la « Giscle », dans notre randonnée
le massif varois des Maures) sur des embarcations pompeuse-
itinérante sur le GR4.
ment nommées « bateaux » faites de plaques de polystyrène
2002, Alpes du Sud.
assemblées avec de la colle... soluble dans l’eau. Au fil de la
descente, évidemment tout se démembre, pas la peine de vous
raconter la suite. Pour le volet Mac Gyver, on repassera. Quant
au volet écologique...
De l’autre côté.
Sur une plage tunisienne,
nous profitons d’un des
derniers bivouacs de
notre traversée de la
Méditerranée en kayak.
Été 2003.
LES CARNETS
Au retour fin août 2003, une année s’était déjà écoulée depuis
que nous avions quitté le monde du travail et il était temps de
penser à la suite. En couchant sur le papier les moments forts
de notre périple, émergea l’idée d’un magazine rassemblant de
tels récits, l’itinérance en bivouac et sans moteur au cœur de la
ligne éditoriale.
La graine des Carnets était semée. Elle germa assez rapide-
ment. Forts de la candeur de notre complète inexpérience dans
le domaine de l’édition, les avertissements nombreux sur la
mauvaise pente que prenait la presse écrite n’affectèrent aucu-
nement notre motivation. Carnets d’Expé n°1 sortit début 2004.
Heureusement son look fanzine amateur et sa mise en page
approximative ne rebutèrent pas les lecteurs, qui eurent ainsi
le plaisir de le voir évoluer au cours des années !
La suite, nombre d’entre vous la connaît : changement de nom
au bout de 7 opus, Carnets d’Aventures n°1 parait au printemps
2005, et les numéros s’enchainent régulièrement depuis.
Autowash.
Les grimpeurs se plaignent
souvent de la mauvaise
odeur des chaussons.
Quand en plus, ils
faisandent humides et
salés au fond d’un caisson
de kayak, il devient
urgent de lâcher prise.
Septembre 2011. Itinérance
kayak en Croatie.
Ralentir.
« Les paresseux sont des
mammifères arboricoles
[…] de taille moyenne au
mode de vie original : ils
sont presque toujours
suspendus à l’envers
dans les arbres et se
déplacent avec lenteur. »
(source Wikipédia).
Septembre 2011. Itinérance
kayak en Croatie.
Ivre de steppes*.
Pour notre pause casse-
croûte (humaine et
équine), on n’est pas
gênés par les voisins.
Été 2005. Mongolie.
*C’est le titre d’un très
bon livre de Marc Alaux
édité chez Transboréal.
Notes
1) Lire CA56 p.90.
2) Les curieux trouveront le récit de notre traversée de la Médi-
terranée sur MyTrip : expemag.com/carnet/la-grande-traversee
Certains se souviennent peut-être aussi de l’article de Carnets
d’Expé n°1 qui, début 2004, retraçait cette aventure marquante
à plusieurs égards : un tournant dans notre vie et la première
brique du magazine !
3) Outre l’intégralité de l’Europe, rappelons que la Scandinavie
est accessible en train (voir le dossier Laponie de CA57), l’Islande
en ferry depuis le Danemark, l’Asie en train (Transsibérien et
Transmongol), l’Afrique du Nord en ferry, etc. ! Cf. notre hors-série
« Le voyage écologique » : expemag.com/go/hsve, et l’édito de
CA 58 : expemag.com/go/edito58.
Anthony
à contre-courant
vers les montagnes
TEXTE Anthony
Découverte.
Le tout premier soir, du
tout premier bivouac sur le
GR54. Déjà convaincu par
la MUL et son aspect DIY,
j’avais bricolé une paire
L e commencement tient en quatre caractères : GR54. Un sigle
gravé dans ma mémoire. C’est sur ses sentiers que tout a
débuté, où tout a basculé devrais-je dire. Cinquante-quatre,
le chiffre du grand tour des Écrins. Le chiffre de l’expérience
initiatique pour moi. Le matin du 20 août 2007, à peine ai-je
atteint le col de la Muzelle que des larmes coulent sur mes
joues. Me voilà depuis 5 jours sur le GR et l’émotion monte
crescendo avec la dénivellation. J’aimerais exprimer toute
la joie qui s’empare de moi mais seuls quelques sanglots
sortent. Comme une impression d’avoir testé une drogue
de tongs avec une plaque et d’aussitôt en réaliser la potentielle addiction. Était-ce le
de mousse pour m’aérer goût de la liberté ?
les pieds au bivouac. Elles Ce GR54 est quelque peu le fruit du hasard. Début juillet,
n’ont pas tenu plus de 2 j’errais sur internet, à la recherche d’une idée pour occuper
soirs, mais l’esprit y était ! mes 2 semaines de vacances estivales. Une de ces déambu-
lations tardives, sans but précis, où l’on finit par oublier
pourquoi on a allumé l’ordinateur. Cette nuit-là, mes re-
cherches me conduisent sur randonner-léger, alias le site
des MUL. Son fondateur, Olivier, y raconte sa traversée des
Pyrénées en un mois par la HRP avec, évidemment, un sac
ultraléger. Je dévore son récit, aussi emballé par l’itinéraire
montagnard qu’intrigué par sa démarche minimaliste. Moi
aussi je veux faire ça !
Les soirs suivants, je parcourais le forum aux discussions
riches et animées. J’y dénichais les informations néces-
saires pour m’équiper et, cerise sur le gâteau, un partenaire
pour crapahuter en montagne. Fabien postait l’annonce
providentielle : « Très envie d’aller faire le tour des Écrins
mi-août je lance cet appel pour savoir si des MUL (ou moins
MUL) sont intéressés par cette aventure ! ». J’ignorais tout
des Alpes, mais ce nom à lui seul, Écrins, me semblait
déjà féerique. Le programme était alléchant : 9 jours et 8
nuits, en autonomie, au gré d’un sentier parsemé de somp-
tueux points de vue sur des hautes cimes et des glaciers.
Un monde inconnu que j’allais fouler, vivre, ressentir. Je le
contacte aussitôt, nos dates concordent, le courant passe.
Tout colle. À un mois du départ, le compte à rebours est
lancé, et je pars de zéro. En bon inexpérimenté, un mélange
d’excitation et d’anxiété m’accompagne. Obnubilé par le
GR54, j’occupe tout mon temps libre à ses préparatifs, j’ai
tellement hâte !
Telle une promesse tenue, l’expérience a été aussi mar-
quante que sublime. Un seul bémol : Fabien, malade, a été
contraint d’arrêter dès le 4e jour. Alors qu’on se connaît à
peine, il me laisse une partie de l’équipement commun pour
terminer. Je lui en serai éternellement reconnaissant. Dès
mon retour, je rédige un compte-rendu très terre à terre. Ces
quelques extraits suffisent à témoigner de l’intensité avec
laquelle j’ai vécu cette itinérance :
« Nous sommes le mercredi 15 août, il est 6h. L’heure a sonné,
la nuit a été difficile tant l’envie de partir m’emplit jusqu’au
bout des ongles ».
ALLER DROIT AU BUL poser le bivouac aux itinérances à vélo. Toujours la même
Un mois avant de m’engager sur le GR54, je n’avais aucun quête de liberté en tête : ne pas revenir au point de départ
équipement et personne capable de m’en prêter. Il fallait le jour même. Je n’avais pas de sacoches, alors je suis parti
tout acheter, ou presque, avec mon budget limité d’étudiant. avec mon sac à dos de marcheur, minimaliste. Et, une fois
La démarche MUL prolongeait mon sentiment de liberté de n’est pas coutume, j’ai adoré ça, même avec un équipement
la plus belle des manières, à commencer par le détachement peu adéquat. Par exemple, je suis parti rouler quelques jours
matériel. Se contenter de peu, pour gagner en mobilité et en en Corse en plein mois de février, sans tente ni réchaud. Un
légèreté, de sac et d’esprit. L’aspect économique couronnait petit sac à dos de 20L sur le dos et une minuscule sacoche
le tout : si certains équipements « light » sont plus chers, la de guidon : petit équipement pour grand bonheur.
dépense supplémentaire était équilibrée par d’autres items J’en suis revenu si enchanté qu’une nouvelle idée saugrenue
qui ne coutaient rien ou presque : un tarp avec une bâche, a jailli de mon cerveau : rejoindre Bristol, où je devais effec-
un réchaud P3RS… Toute cette démarche impliquait une or- tuer 5 mois de stage de fin d’études à vélo ! Et voilà comment
ganisation rigoureuse qui n’était pas pour me déplaire. Geek je me suis lancé dans mon premier cyclo-déménagement,
comme j’étais, je passais des heures sur Excel, une manière avec bien plus d’inconnues que de certitudes. Enfin, je de-
de patienter en attendant de mettre, enfin, le nez dehors. vrais dire “nous”, car mes parents m’ont bien accompagné
C’est donc grâce à randonner-leger que je me suis pointé au dans ma démarche : des heures de bricolage pour parvenir
départ du GR54 avec un sac à dos de 10 kg, incluant 2L d’eau à emporter tout le nécessaire sur un vélo absolument pas
et 6 jours de nourriture. Honnêtement, j’étais fier. Pourtant, prévu à cet effet. Ordinateur et vêtements, en plus du ma-
la première journée a été magnifique et épuisante à la fois, tériel de bivouac. Mes cuisses le supportaient déjà diffici-
Fabien se souvient encore de ma fatigue le soir au bivouac. lement, mais c’est le vélo qui a cédé en premier : à peine
On ne s’improvise pas montagnard. Quoique, dès la se- 3 jours après le départ, « allô papa, je viens de casser un
conde journée, j’avais trouvé mon rythme, et chaque jour rayon ! ». Et à l’époque, je n’en connaissais pas un en méca-
je me sentais de mieux en mieux, comme une acclimata- nique vélo. Malgré tous les aléas, je pouvais déjà en tirer un
tion accélérée. Si rapide que j’avançais de plus en plus vite, bel enseignement : si rien ne se passe comme prévu, tout
obsédé par l’envie de découvrir ce qui se cachait derrière le peut toujours bien se terminer. Une maxime que je devrais
col suivant. Le dernier soir, il s’est mis à neiger. Sentiment toujours mieux intégrer aujourd’hui !
mitigé, partagé entre l’allégresse de voir quelques flocons Pendant tout le stage, j’ai sillonné les routes de Grande-Bre-
en août et la crainte que la situation empire. J’étais seul, et tagne dès que l’occasion se présentait. Je passais beaucoup
on ne s’improvise pas montagnard.
Des erreurs, il y en a eu dès cette première expérience. Je
me rappelle encore à quel point j’étais écœuré par la quan-
tité d’oléagineux ingurgitée, au ratio énergie-poids incom-
parable. Pour le goût, on repassera. Je ne courais aucun
risque, mais j’avais beaucoup à apprendre. La montagne
ne donnait pas de leçon mais elle était une nouvelle école,
celle de la vie. Dans ce milieu, l’approche minimaliste aigui-
sait mes sens : il fallait apprendre à être humble face aux
éléments.
La démarche d’allègement est ensuite sortie du cadre
unique de la randonnée. Je l’ai déclinée dans tout ce qui
me permettait de bivouaquer, pour devenir le BUL : Bivouac
Ultra Léger. À moindre échelle, elle a aussi déteint dans ma
vie quotidienne, pour tenter d’échapper au poids du maté-
rialisme.
DÉCLINAISONS
Pendant mes études, je me suis intéressé à tout ce que pou- Essai concluant. Déménagement et émotions.
vaient offrir la montagne et son milieu si particulier. Pour- J’ai vite transposé le Encore aujourd’hui, je
tant, mon école était à Poitiers : là-bas, l’horizon s’élance bivouac à d’autres activités. me demande comment
vers l’infini sans qu’aucun relief ne le perturbe. Je prenais Mais je n’avais qu’un vélo ça a marché ! Colliers de
mon mal en patience et retournais parcourir les cimes dès de route pas prévu pour plomberies et pièces taillées
que possible. Grâce au forum des MULs j’ai aussi rencon- recevoir des sacoches. Tant sur mesure avec mon père,
tré Yann avec qui j’ai pu découvrir un bout des Pyrénées, pis : enchanté par le BUL, pour que le vélo (inadapté !)
le temps de quelques weekends furtifs mais riches en émo- je suis parti en Corse en puisse accueillir 4 sacoches.
tions. Débordant d’enthousiasme, il a participé à ma pas- plein hiver avec un petit sac Et ça a tenu, malgré quelques
sion grandissante pour le bivouac. C’est d’ailleurs avec lui à dos (qui dépasse à peine péripéties. Avant de prendre
que j’allais, tout juste un an après le tour des Écrins, fouler ici) et une mini-sacoche de le ferry à Roscoff, je fais un
« le 4000 » au cœur du massif, le jour de mon anniversaire. guidon. Confort spartiate, crochet par la maison qui a vu
Un cadeau en or. Tiens, là aussi je me souviens avoir versé mais j’adorais ça ! mon enfance, à côté de Brest.
une larme.
La fin des études approchait quand j’ai eu envie de trans-
Photo.
Mettre l’œil dans le
viseur a été un excellent
moyen de « calmer le
rythme ». Je prenais le
temps d’immortaliser
l’environnement dont je
raffolais. J’éprouvais un
réel plaisir à chercher les
belles lumières, quitte
à retourner aux mêmes
endroits, pas si loin de chez
moi. C’est donc en partie la
photo qui, paradoxalement,
m’encourage à ne pas
partir loin coûte que coûte.
de temps sur mon vélo, toujours avec de quoi dormir sous pique, quelle que soit l’activité pratiquée. Équipé, de plus,
mon tarp. Le bivouac est devenu principalement utilitaire : de matériel BUL, je m’amusais parfois à parcourir des dis-
bord de parking, alentours d’une gare, parc désaffecté… tances faramineuses, pour le plaisir de me sentir ultra-mo-
L’esthétique du bivouac était délaissée, tant que je pouvais bile. Donc ultra-libre.
voir du pays. Jusqu’à ce tour d’Écosse qui m’a laissé autant La nature était belle, elle n’avait plus la fadeur de mon ado-
de bons souvenirs que de piqûres de midges. Puis, je suis lescence sportive. J’espérais l’embrasser mais avouons-le,
rentré de stage, je vous le donne en mille, à vélo. j’avais davantage la tête dans le guidon que le nez au vent.
Tout mon temps libre gravitait autour du bivouac, j’avais mis Le monde de la compétition n’était pas sans séquelle, les
le doigt dans l’engrenage. Les études terminées, il était hors chiffres me semblaient aussi attrayants que le paysage. Et
de question d’habiter loin des reliefs. La montagne agissait au fond de moi planait le spectre d’une recherche de mes
comme une porte de secours facile vers la nature, à utiliser à limites : j’avais l’impression de pouvoir aller toujours plus
chaque fois que le besoin s’en faisait sentir. C’est-à-dire sou- loin, plus haut. En un temps limité, les fameuses 5 semaines
vent. Ma première recherche d’emploi s’intéressait autant de congés payés et 52 weekends. C’est ainsi que je me suis
aux missions proposées qu’à leur situation géographique. lancé, toujours seul et en bivouac, dans quelques projets
Lyon ? Trop loin. Grenoble ? Parfait ! « chronométrés » : tour de la Vanoise en 24h, tour des Écrins
Qu’est-ce que j’étais heureux d’avoir trouvé un job à Gre- en 3 jours, traversée d’un bon morceau de l’arc alpin à vélo
noble ! À l’époque, je croyais encore (naïvement ?) à un en une semaine… Et pourtant, lorsqu’on me demandait si je
possible équilibre entre une mission d’ingénieur et mes en- faisais beaucoup de sport, je répondais « non, mais je suis
vies d’itinérances en nature. Tous les weekends, toutes les beaucoup dehors ».
vacances y étaient consacrés. L’engrenage roulait sa méca- Il en a fallu des années et des bivouacs avant de calmer le
nique, si bien huilée que je cédais à tout prétexte pour aller rythme. Le doux bruit de la faune remplaçait le souffle hale-
dehors, sans jamais effleurer le moindre sentiment d’excès. tant, la beauté d’un point de vue dissipait toute dénivella-
Dormir sous la tente entre deux journées de taf, bivouaquer tion. Insidieusement, chaque nuit sous la tente tissait peu à
dans la neige, aller voir des amis à vélo… Un burnout d’ou- peu un lien affectif avec la nature. J’y trouvais enfin de l’har-
tdoor ? Impossible. Par contre, les semaines au bureau sem- monie plutôt qu’un simple terrain de jeu grandeur nature.
blaient s’allonger, à surveiller la météo du weekend, tout en
lorgnant les sommets de Belledonne et de Chartreuse par la VOYAGER LOCAL
fenêtre. Je l’acceptais, mais jusqu’à quand ? C’est à Grenoble, en 2010, que j’ai découvert le magazine
que vous tenez entre les mains. Je dévorais chaque numé-
LENTE RECONNEXION ro si enthousiasmé à l’idée d’aller parcourir les 4 coins du
Est-ce que je cherchais vraiment l’immersion dans la na- globe à mon tour, à pied ou à vélo. J’en rêvais tellement que
ture ? Oui et non. 13 ans plus tard, il serait si facile d’affa- je me promettais de prendre le large avant mes 30 ans ! La
buler ce besoin de connexion avec les éléments. Ce serait même année, je découvrais les topos de Pascal Sombardier.
oublier tout ce passé de sport d’endurance qui, certes, Une mine d’or pour découvrir toutes les richesses naturelles
n’était pas dénué d’intérêt : j’étais dans une forme olym- des 2 massifs au pas de ma porte : Vercors et Chartreuse.
AUJOURD’HUI
Je réalise à peine à quel point le bivouac est une pierre angu-
laire de ma vie. Même à deux pas de chez moi, j’éprouve
constamment un plaisir indicible à quitter mon domicile
avec ma maison, celle qui tient sur mon dos ou dans mes
sacoches, encore fasciné par l’incroyable vecteur de liberté
que le bivouac procure. Si puissante qu’elle a, désormais
définitivement, infléchi mon parcours professionnel, pour
de meilleurs horizons.
Aujourd’hui, j’ai 34 ans et si vous avez bien suivi, je ne
suis pas parti aux 4 coins du monde. Qu’est-il advenu de la
promesse de prendre le large avant 30 ans ? Je ne l’ai pas
tenue. Ou plutôt, si, mais autrement. Ceux d’entre vous qui
ont lu ou vu « Home Sweet Home » comprendront mieux3,
mais voici résumée en quelques mots la pensée qui m’anime
aujourd’hui : pourquoi m’éloigner pour chercher une proxi-
mité avec la nature que je trouve dès le pas de ma porte ?
Dans ces espaces naturels, à portée de pas ou de rails, j’ai
encore envie d’y écrire de nombreuses histoires.
Notes
1) Cf. Extraterrestre CA52.
2) « La Légèreté du parapente, Petites circonvolutions sur
le vol libre et les promesses du ciel », cf. p.112.
3) Cf. CA60 et expemag.com/go/bike-fly
Jardin.
Encore aujourd’hui, je
ne me lasse pas d’aller
bivouaquer à deux pas de
chez moi. Par simple loisir,
et par plaisir d’une vie que
j’aimerais la plus simple
possible. Je ne recherche
plus la déconnexion, très
tendance au demeurant
(#digitaldetox), mais
juste un petit moment
d’immersion. Et si des
belles lumières s’invitent,
c’est le bouquet.
QUEYRAS
74 ∙ CARNETS D'AVENTURES ∙ N°62
Soleil inespéré.
Quelques rayons se sont
glissés dans un petit
interstice à l’horizon.
Les crêtes minérales
s’enflamment.
Photo : Carnets d’Av.
QUEYRAS
PETIT GUIDE PRATIQUE
TEXTE Augustin Le Rasle, Guillaume Pouyau, la rédac’ CARTE Philippe Gady
Bria
nçon
Italie
58
GR
Guil
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Gu
nçon
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o r ges/ Serre
Ch ac de
L
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Ub
TEXTE ET PHOTOS
Guillaume Pouyau • summitcairn.com
ENTRE FRÈRES
C’est avec mon frère Alexandre que nous avons décidé de le
Carte postale.
découvrir en parcourant le GR58 en autonomie (bivouac et
Le Queyras regorge de
nourriture pour la durée totale). Cette approche offre le plus
jolis lacs, ici le Foréant.
de liberté et promet toujours de belles expériences. C’est
également le premier trek pour Alex et la première fois que
nous partons ensemble pour une telle aventure ! Habitant
assez loin l’un de l’autre, ce sera l’occasion de partager des
moments forts, c’est aussi cela que permet la randonnée,
encore plus en autonomie. Nous démarrons le GR à Ceil-
lac ; le village offre un accès facilité depuis Briançon et on
y trouve logement et services si besoin. Techniquement, le
trek ne présente pas de difficultés particulières. Les chemins
sont bien entretenus et relativement faciles. Le balisage est
impeccable comme toujours sur les GR, et permet d’avan-
cer sans trop avoir à se soucier de la direction. Nous avions
prévu de faire le tour en 8 jours début juillet et finalement
nous le compléterons en 7. La seule vraie difficulté que nous
rencontrerons sera la chaleur ! J’ai en particulier en tête la
longue montée vers la crête de Gilly sous un cagnard de
plomb...
En route.
GR58, 130 km nous
attendent.
Seuls au monde.
Bivouac aux lacs du Malrif.
Sérénité retrouvée.
Le calme après la tempête.
UN GOÛT D’AILLEURS
Le Queyras et son GR sont évidemment bien plus riches
encore et chacun saura y trouver de quoi étancher sa soif
d’évasion et d’aventure. J’ai été marqué par le caractère sin-
gulier du massif, on a le sentiment d’être dans un ailleurs.
Lorsque nous sommes arrivés à Ceillac après avoir bouclé
la boucle, nous avons retrouvé avec émotion la première
marque de GR laissée derrière nous sept jours plus tôt,
symbole de tous ces kilomètres et des souvenirs engrangés,
160.000 pas plus tard.
Ombre et lumière.
Pause bienvenue dans
l’ambiance agréable
d’une forêt de mélèzes.
Couleurs.
Le Queyras, une richesse
florale incroyable.
La vallée de Soustra nous accueille tapissée de fleurs, nous Escarpé. Se laisser filer.
la dévalons comme si l’élan devait nous aider à remonter au Le GR menant au col de Dans la fameuse descente
col de Longet, vers la France et la source de l’Ubaye. Valante oblige à porter le de 1000 mètres de
En arrivant proche de celui-ci, le ciel enfin apparaît et le vélo, comme bon nombre dénivelé, ici en vue
soleil bas souligne une masse pesante : l’orage menace, il des montées du parcours. du lac Égorgéou.
gronde, tempête et vocifère, nos ardents désirs de bivouac
sont douchés et nous filons nous mettre à l’abri d’un pro-
videntiel refuge italien. La température chute, le paysage Boîte de conserve ? Empreintes.
se couvre de grains glacés, et nous, statiques spectateurs, Petit refuge italien Sur la terre humide
changeons de saison. Enrico Olivero, perché du sentier, un loup est
Au petit matin, à peine bouffis d’une confortable nuit, nous à 2648 m d’altitude. passé avant nous.
repartons dans l’ambiance feutrée des lacs diffus. Nous
plongeons dans la brume, la rosée bleuit les vastes alpages.
Sur le sentier se dessinent parfaitement des empreintes de
loup, confirmées par d’imposantes fumées. Nous observe-t-
il à distance, seul et silencieux, sa fourrure perlée de brume
grise ? À quoi pense alors cet être sauvage, par quelque
rocher soigneusement dérobé à nos regards trop citadins ?
Le soleil se lève sur la crête, disperse la brume qui nous
piquait la moelle et, chauffant doucement notre nuque,
atteint la rosée qui s’allume. Elle nous réveille, cette verte
vallée parée de gouttelettes d’or, elle nous éveille et nous
tire pour de bon de nos songes embrumés. En bas de la des-
cente, passés les épicéas, c’est le hameau de Maljasset que
nous traversons, avant de bifurquer vers le col Girardin. La
montée est brutale, en plein soleil, les vélos sur les épaules,
regards au sol, là où les pieds trouveront appui.
Là-haut, la vue s’ouvre sur le lac Sainte-Anne et plus loin en
contrebas, nous devinons Ceillac : sous l’à-pic de la Font-
Sancte, devant le regard curieux des randonneurs en quête
d’air et d’espace, nous amorçons nos derniers virages en
dévers.
“
Nous sommes partis quatre jours plus tôt, de Maljasset en
Ubaye. Une première courte journée dans le mauvais temps
„
qui nous arrête sous le col de la Noire. Le lendemain, nous
petit-déjeunons sous les flocons ; la tente ploie sous la
neige accumulée. La montée du col de la Noire se fait dans
le blanc intégral, les repères habituels – haut, bas, devant,
C’est d’ailleurs un peu
derrière – n’existent plus. Nous entamons la descente sans pour ça que nous sommes
pouvoir apercevoir le bout de nos skis. Une petite pause au
refuge de la Blanche pendant laquelle les nuées se sont dis- là, en symbiose avec la
sipées comme par enchantement. Le beau temps s’est ins-
tallé. Nous plantons la tente en face du col du Longet pour
montagne enneigée.
une deuxième nuit. Le troisième jour, l’antécime du Grand
Queyras est atteinte légèrement, en laissant la plupart des
affaires sur place. À nouveau chargés, nous traversons le pic
de Fond de Peynin pour finir dans les dernières lueurs du
jour par une descente magnifique dans le mélézin tout en
poudreuse au-dessus d’Abriès. Le camp du troisième jour
fut délicatement posé au bord de la rivière sur une mince
tranche de neige. Après avoir franchi un peu d’asphalte
civilisationnel, nous empruntons un chemin de croix pour
remonter de l’autre côté, l’adret, en portant les skis tout en
pataugeant dans une neige trop rare et sur un chemin trop
ténu avant de pénétrer dans le sanctuaire de la montagne
du Malrif. Un dernier col, un dernier bivouac aux allures po-
laires, un dernier sommet, et nous descendons sur Cervières
par des pistes de ski de fond trop plates, avec un sac trop
lourd pour espérer avoir un pas de patineur efficace. Mais le
voyage était « trop bien » !
⊳ Sur le fil.
Conditions exceptionnelles
d’automne, perchés à
4000 m, nous nous offrons
un beau tour du massif par
les airs. Au centre de la
photo, le Pelvas, l’un des
(autour de) 3000 de la crête
frontalière avec l’Italie.
Flamboyant.
Survoler les forêts de
mélèzes en feu est
un ravissement de
A h le Queyras !
Nous avons la chance d’être entourés de massifs mon-
tagneux aussi beaux que diversifiés, mais le Queyras a
quelque chose de particulier. Son petit côté à la fois reculé
et proche, fermé et ouvert, majestueux et accueillant, ses
crêtes frontalières perchées à 3000 mètres, cette impression
de partir en voyage à deux pas de la maison. Nous aimons
aller dans le Queyras. Tout au long de l’année, chaque sai-
son apporte vraiment son charme.
La découverte par la voie des airs est un de nos plaisirs.
Alors, lorsque le manteau blanc s’évapore suffisamment
pour permettre, aux marcheurs ailés que nous sommes, un
accès aisé à ses hautes cimes, nous ne résistons pas à l’ap-
chaque instant. pel du bivouac dans le Queyras. Quand l’été se fait indien,
magnifiées par la clarté si particulière de cette saison, ses
forêts de mélèzes revêtent un dégradé de jaunes-orangés
des plus esthétiques, l’ambiance devient surréaliste et nous
propulse sur une autre planète. Si les premières neiges s’en
mêlent, c’est alors un majestueux triptyque azur, blanc,
orange qui nous saisit. Puis à l’heure où le soleil s’incline
sur notre bivouac, tout s’embrase, et là, les bras nous en
tombent.
Les longues nuits automnales nous offrent une voûte céleste
limpide et quelques étoiles filantes. Au petit matin, les pre-
miers rayons du soleil nous appellent au dehors. Le givre
de la nuit brille de mille feux ; la beauté a encore changé
de visage ! Pendant que le réchaud prépare le petit café,
nous rangeons notre bivouac. Une courte marche revigo-
rante nous permettra ensuite de trouver le lieu idéal pour
déplier nos ailes, qui, quelques lestes pas plus tard, nous
soustraient à la gravité.
Oasis.
Les superbes lacs du Malrif
apportent une touche
bleutée au paysage. Piéton ailé.
Magie de pouvoir
transporter son aéronef
et sa maison sur le dos.
Nous franchissons ici
l’aérien pas du Curé, sous
Avant de s’envoler. la pointe de la Saume
Bivouac aux abords des dans le secteur de Ceillac,
lacs du Malrif. Le Viso plein au cours d’une itinérance
cadre et les parapentes marche et parapente entre
comme oreillers. Queyras, Ubaye et Italie.
notre étoile
Le Soleil TEXTE, ILLUSTRATIONS ET PHOTOS
Guillaume Blanc • gblanc.fr
(sauf mention contraire)
Feu vert.
Quand le soleil descend se coucher sur
la mer, c’est l’heure de l’apéritif !
Périple en kayak de mer
dans les îles croates.
Photo : Carnets d’Av.
Figure 2
Spectre de corps noir à 5477°C correspondant
au Soleil, sur lequel est apposé le domaine
spectral dit visible entre 380 nm (violet) et
750 nm (rouge). En deçà de 380 nm, nos
yeux ne voient plus le rayonnement, c’est le
domaine ultraviolet. Au-delà de 750 nm, nous
ne voyons pas le rayonnement infrarouge.
43% de l’énergie électromagnétique issue du
Soleil est émise dans cette fenêtre visible.
Figure 1
Illustration de la parallaxe : la projection (rose
pâle) d’une étoile proche (rouge) sur un fond
d’étoiles lointaines (rose vif) se déplace au fur
et à mesure que la Terre parcourt son orbite.
COMMENT LA TERRE S’EST MISE À TOURNER AUTOUR POURQUOI LE SOLEIL EST-IL JAUNE,
DU SOLEIL LE CIEL BLEU EN JOURNÉE ET ROUGEOYANT AU LEVER
Le fait que notre planète n’est pas au centre du monde, ET AU COUCHER ?
mais orbite autour du Soleil, qui lui-même tourne autour du Banale dans l’Univers, mais pas pour nous, Terriens. Sans
centre de la Voie Lactée, qui elle-même n’est qu’une galaxie l’énergie rayonnée par le Soleil, la vie n’aurait pu advenir et
parmi une myriade d’autres, a mis du temps à s’imposer. se développer sur Terre.
L’idée de « détrôner » la Terre s’immisce avec Copernic. Elle La lumière issue des réactions nucléaires au centre de
suivra son chemin, jusqu’à ce que les observations, près l’étoile s’échappe de sa surface, la photosphère. La tempéra-
de deux siècles plus tard, apportent la preuve que la Terre ture de cette surface, environ 5500°C, détermine la longueur
tourne autour du Soleil, et non l’inverse, malgré les appa- d’onde – la couleur – de la lumière. En effet, les étoiles
rences. comme le Soleil, sont, paradoxalement, en première ap-
Le modèle héliocentrique de Copernic prévoit notamment proximation6, des corps noirs, c’est-à-dire des corps qui ab-
que des étoiles proches doivent se déplacer par rapport aux sorbent toute l’énergie électromagnétique qu’ils reçoivent,
étoiles plus lointaines à six mois d’intervalle (de part et et dont l’émission de rayonnement dépend uniquement de
d’autre de l’orbite terrestre) : c’est la parallaxe. C’est ce qui leur température. Un corps noir est un modèle idéal qui ne
fait qu’un objet proche se déplace par rapport au paysage représente pas la réalité. Mais cela permet de comprendre le
au loin, quand on bouge par rapport à cet objet (figure 1). En spectre électromagnétique du Soleil, c’est-à-dire la nature
1838, la première mesure de parallaxe stellaire est effectuée de la lumière qu’il émet. La grande majorité de cette lumière
par Friedrich Wilhelm Bessel, ce qui apporte la dernière a une longueur d’onde autour de 500 nm (figure 2) : nous
preuve expérimentale de la révolution de la Terre autour du devrions donc voir un soleil… vert ! Mais les autres couleurs
Soleil. du spectre visible, c’est-à-dire visible par nos yeux, inter-
La Terre orbite ainsi en une année (365,25 jours) autour viennent, se mélangent et donnent du… blanc ? C’est effec-
du Soleil, à une distance moyenne de 150 millions de kilo- tivement ainsi que l’on voit le Soleil depuis l’espace, blanc.
mètres, sur une orbite elliptique. Comme le Soleil est une À la surface de la Terre, la composante de lumière bleue du
boule d’environ 700.000 km de rayon (environ 110 fois celui Soleil est diffusée par les molécules de l’atmosphère, don-
de la Terre), il apparaît dans le ciel comme un disque d’un nant sa couleur azur au ciel (figure 3), mais enlevant le bleu
demi-degré de diamètre. de la lumière solaire. Il reste une couleur jaune-orangé,
Figure 4
Coucher de Soleil depuis le refuge de Tête
Rousse sous l’aiguille du Goûter dans le
massif du Mont-Blanc, le 2 avril 2011.
LUMIÈRE VISIBLE
La lumière du Soleil est ainsi dite « visible » car nous la
voyons ! L’œil humain s’est adapté à la lumière solaire au
cours de son évolution. Les animaux ne perçoivent pas le
monde tous de la même façon, selon leurs modes de vie et présentes dans la stratosphère (couche d’ozone) absorbent
leurs environnements7. L’humain est adapté à un mode de en grande partie ce rayonnement. Les UV-C sont ainsi tota-
vie diurne8, il perçoit le rayonnement entre 380 nm, le violet, lement filtrés.
et 750 nm, le rouge. Aux longueurs d’onde plus courtes, c’est Le rayonnement ultraviolet interagit avec l’épiderme : à petite
l’ultraviolet (UV). Au-dessus de 750 nm, c’est l’infrarouge, dose il permet le bronzage9 et la synthèse de la vitamine D.
que l’on ne voit pas, mais que l’on peut ressentir sous forme À haute dose, il est responsable de brûlures et de cancers
de chaleur sur notre peau. de la peau. Les photons ultraviolets, plus énergétiques que
les photons visibles, sont absorbés par la molécule d’ADN
QUID DES ULTRAVIOLETS ? et peuvent provoquer sa rupture. D’autant plus que la lon-
Les ultraviolets (entre 100 et 380 nm) représentent 5 % du gueur d’onde est petite (et donc l’énergie des photons plus
rayonnement émis par le Soleil. Ils sont séparés en trois grande). C’est pourquoi on classifie l’intensité du rayonne-
bandes standardisées, les UV-C entre 100 et 280 nm, les ment ultraviolet reçu en indices. Il s’agit d’une pondération
UV-B entre 280 et 315 nm et les UV-A entre 315 et 400 nm. entre le spectre ultraviolet du Soleil (intensité plus impor-
Mais 95 % du rayonnement ultraviolet qui atteint la sur- tante à plus grande longueur d’onde – UV-A) et celui qui est
face de la Terre sont des UV-A, car les molécules d’ozone nocif pour la peau (surtout à petites longueurs d’ondes – UV-
Figure 5 Au feu !
Même sur une plage du sud de la Bretagne Un coucher de soleil complètement irréel,
au mois de juillet, l’indice UV peut inciter à voilà le cadeau que nous fait la nature
se protéger ! Un phénomène optique assez pour le premier bivouac de notre tour
rare se déroule sous les yeux des touristes qui de l’île de Cres en kayak, Croatie.
n’en soupçonnent pas l’existence… Il est ténu. Photo : Carnets d’Av.
On en parlera dans un prochain Décrypter.
B) : peu de rayons ultraviolets de courte longueur d’onde est électromagnétique. Les rayonnements énergétiques de très
aussi nocif que beaucoup de grande longueur d’onde. Pour courte longueur d’onde (rayons X et gamma, en deçà des
les indices 1 et 2 de l’échelle, qui va au-delà de 10, aucune UV), nocifs pour le vivant, sont stoppés par l’atmosphère.
protection n’est nécessaire. L’intensité correspondante de la Les rayonnements infrarouges et au-delà sont en partie
lumière ultraviolette est de 25 mW/m2 (indice 1) et 50 mW/ absorbés par l’atmosphère, mais cela ne prête pas à consé-
m2 (indice 2). En hiver, en France, l’indice ne dépasse pas le quence, si ce n’est parasiter, de temps en temps, les émis-
niveau 1, tandis qu’il peut grimper jusqu’à 7/8 en été (figure sions de radio par ondes courtes12.
5). Il varie beaucoup avec la réverbération, la couverture Et à travers une vitre ? Le verre usuel généralement utilisé
nuageuse, l’altitude, etc. Dans le cas des niveaux 1 ou 2, il pour fabriquer les vitres et fenêtres absorbe complétement
faudrait rester très très longtemps au Soleil pour ne serait-ce le rayonnement de longueur d’onde inférieure à 300 nm
que bronzer légèrement… Mais souvent il fait alors bien trop (donc les UV-B et UV-C notamment). Il laisse néanmoins
froid pour cela ! L’intensité correspondant à un indice fort, passer une partie des UV-A. Il est donc possible de bronzer
disons 10, est environ de 250 mW/m2. derrière une vitre, mais il est improbable d’attraper un coup
Il faut commencer à se protéger à partir des indices 3 ou de soleil.
4. Il est préférable pour cela, de se couvrir la peau avec des
vêtements, plutôt que d’utiliser des crèmes solaires, car PHÉNOMÈNES OPTIQUES
celles-ci ne sont pas neutres pour les environnements aqua- Le Soleil est évidemment un astre central dans nos vies, il
tiques10. est fascinant à bien des égards, comme en témoigne la place
L’exposition aux ultraviolets est également nocive pour les majeure qu’il occupe dans nombre de mythologies et civi-
yeux. Ils sont dotés de mécanismes de protection contre l’in- lisations au cours des âges. Nous avons décrypté l’origine
tensité trop vive du rayonnement visible (contraction de la de sa lumière et de sa formidable énergie, pour comprendre
pupille, fermeture des paupières), mais inopérant avec les comment ne pas en abuser. Une prochaine fois, nous es-
UV11. Il faut donc penser à se protéger les yeux en cas de sayerons d’appréhender différents phénomènes optiques
rayonnement intense, mais aussi en cas de temps nuageux liés, entre autres, au Soleil, dont vous pouvez être témoins
(les UV sont peu absorbés par les nuages), sur un milieu très au cours de vos pérégrinations dans la nature : halos, fata
réfléchissant (plan d’eau, neige) ou encore en altitude où le morgana, rayon vert, etc.
rayonnement UV est plus intense. À suivre donc !
Le Soleil émet du rayonnement sur l’ensemble du spectre
L’ART DE LA TRACE
PETITS DÉTOURS SUR LE SKI DE RANDONNÉE ET LES
NEIGES D’ALTITUDE
Cédric Sapin-Defour
Ceux qui apprécient déjà la plume de Cédric (découverte par exemple à travers ses Espresso) la
retrouveront intacte. Les amateurs de la « Petite philo » seront, eux aussi, comblés. Mais point
besoin de connaitre l’une ou l’autre pour se laisser délicatement emmener. Cette collection
donne la parole à des auteurs qui apportent, sur un sujet qui leur tient particulièrement à cœur,
des éléments de réflexion assortis d’expériences personnelles. À travers la pratique du ski de
randonnée, Cédric évoque son attachement indéfectible à la montagne, ce qu’elle suscite en
nous et le rôle qu’elle joue dans nos vies. Nous permettre d’entamer un dialogue avec la nature
Éd. Transboréal, coll. Petite en est un exemple.
philosophie du voyage « L’idée de dialogue avec la nature est fascinante, voilà l’essence de nos badinages au grand air.
96p. • 11x16cm • 8€ Tracer un itinéraire dans la neige suggère de réapprendre à regarder autour de soi, du ciel au
sol. On dit de nos vies qu’elles sont hyperconnectées mais nous avons perdu la plus flatteuse des
connexions, alors nous reprenons avec la nature un dialogue oublié. »
Collez vos peaux, ouvrez vos chakras, et préparez-vous à tracer !
Johanna
ALPICIMES
Collectif DiVertiCimes
Allier art et montagne, c’est cet esprit que cultive le petit collectif grenoblois DiVertiCimes
depuis quelques années. Glénat publie un florilège de leurs images, chacune accompagnée
d’une anecdote ou réflexion de Jean-Michel Asselin (également traduite dans la langue de Sha-
kespeare, de quoi travailler un peu ses aptitudes linguistiques).
Éd. Glénat. Prises de vue originales, perspectives étonnantes, mouvements surprenants, objets impro-
144p. • 29,5x25cm • 30€ bables, les photos saisissent et arrêtent le regard, invitent à la contemplation. Et pour mieux se
projeter dans les paysages alpins, on aperçoit régulièrement un petit humain ou une tente qui
donnent l’échelle et la profondeur des scènes. Un ouvrage qui encourage à saisir la beauté qui
nous entoure et s’y immerger prestissimo.
Olivier
BÊTES DE COURSE
COMMENT LE RÈGNE ANIMAL M’A APPRIS L’ENDURANCE
Bernd Heinrich
C’est sûr, il sait de quoi il parle. Zoologiste et spécialiste réputé du comportement des animaux,
il est accessoirement détenteur du record mondial du 100 km dans sa catégorie. Une fois cela dit,
pour placer un peu le bonhomme, parlons du livre, car l’intro pourrait rebuter.
C’est juste un livre passionnant, voire indispensable, pour qui s’intéresse un tant soit peu au
fonctionnement de son corps. Bien sûr, le rapprochement humain-animal peut surprendre.
Quoi ! Aurions-nous quoi que ce soit en commun avec un mammifère ! Et je ne vous parle pas des
insectes... Donc cette étude d’animaux utilisant de l’oxygène pour faire fonctionner des muscles
et un cerveau afin d’atteindre un objectif précis – pour eux la nourriture, et pour nous le plaisir
Éd. Guérin Paulsen.
du mouvement – course, raid, trail, vtt, etc. (depuis peu, mais à l’origine c’était bien la chasse
280p. • 15x21cm • 25€
qui faisait courir) – est un pur régal. Avec toujours en point de mire la course mythique des
100 km de Chicago, dont l’auteur avait fait son Graal, il nous révèle, et nous détaille, les éléments
qui permettent d’obtenir le résultat souhaité, ainsi que leur évolution dans le temps, selon les
espèces. Peu à peu, il nous ramène au sujet qui nous passionne le plus : Nous, et par l’évolution
des animaux, il nous conduit vers le bipède que nous sommes devenus. Le tout sans jamais
lasser le lecteur. Il nous fait juste courir à ses côtés.
Bruno Désormeaux
INSTINCT
Fabien Leblond et David Manise
Retrouver un mode de vie plus naturel et des compétences trop longtemps mises en sommeil est
un crédo très actuel. À juste titre à mon avis . Trek en jeûnant, acclimatation au froid, chaus-
sures minimalistes et autres expériences comptent parmi mes pratiques des dernières années
(cf. entre autres le dossier « marcher sans manger » de CA59, le coin des bouquins de CA56 titré
« Gagner en liberté », les chroniques de David).
Les ouvrages sur cette vaste et passionnante thématique se multiplient. Alors, un énième ? Le
fait que David ait contribué à ce livre m’a incitée à l’ouvrir, et je n’ai pas été déçue ! De façon
abordable et pragmatique, il évoque les différents aspects de la vie dans lesquels nous pou-
vons agir, et de quelle manière, en vue de tenter de retrouver le « niveau de force, d’équilibre et
Éd. Amphora. d’endurance de nos ancêtres chasseurs-cueilleurs ». J’insiste sur le côté clair, facile d’accès et
149p. • 17x24cm • 17,50€
concret de cet ouvrage. Nombre des thématiques abordées m’étaient déjà connues, mais parfois,
il suffit d’un petit quelque chose de plus pour vous pousser à l’action !
Johanna
SKI DE RANDONNÉE
GRANDE TRAVERSÉE DES ALPES
Philippe Ertlen
Parmi les premières phrases du livre, on peut lire : « Traverser les Alpes à ski : une grande
aventure à nos portes. Nous avons pris l’habitude de chercher l’aventure toujours plus loin, plus
haut, souvent plus cher et au prix de déplacements en avion dont nous connaissons aujourd’hui
les funestes conséquences ». À la rédac de Carnets d’Av., nous ne pouvons que souscrire. Nous
avons un massif magnifique, vaste, varié, qui se prête à la longue itinérance à ski. Alors allons-y
puisqu’il est là, pas seulement « parce qu’il est là » – qu’il existe – comme le disait Mallory de
l’Everest, mais aussi parce qu’il est là, à nos portes.
Ce sont 1000 km qui sont décrits dans ce topo, le tracé est découpé en une soixantaine d’étapes
Éd. Olizane.
336p. • 15x21cm • 23€ avec des variantes, regroupées en 11 raids d’une semaine environ. Cette présentation rend la
traversée plus modulaire, et réalisable potentiellement sur plusieurs années, ou dans une même
saison selon l’humeur et les opportunités du lecteur voyageur !
Olivier
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SIERRA DESIGN
1
Pour une itinérance VTT BUL (Bivouac Ultra Léger), prévue
cet automne mais qui a dû être reportée, la version 25-40
Abris High Route nous semblait intéressante. Si le portage sur les hanches
Sierra Design est une marque américaine assez peu connue est moins primordial à vélo, on apprécie la ventilation du
dans l’Hexagone, spécialisée dans le matériel léger. Pour dos qu’offre l’espacement des mousses lombaires. D’autre
l’anecdote, j’avais importé un tipi « Origami » du même fa- part, vu que la variation de volume se fait sur le diamètre
bricant, il y a 10 ans de ça (on le voit page 69). Quel plaisir et pas sur la hauteur, le sac ne gêne pas en venant buter
de tester leurs modèles actuels, ils ont bien évolué depuis ! sur l’arrière du casque. Le portage du vélo est pratique, la
Déjà, la tente High Route a une géométrie peu convention- solidité des tissus employés rassure quand on pose le vélo
nelle : ce n’est ni un dôme, ni un tipi à proprement parler. sur le haut du sac. Nous avons pu le tester amplement à VTT
En fait, c’est un hybride entre un tipi et une canadienne, de montagne en le chargeant au même poids que pour du
sans l’inconvénient de cette dernière puisque les mâts ne BUL. Pas de surprise, comme son grand frère, avec qui il
sont pas en plein milieu de l’espace habitable. Nous avons partage toutes les options, c’est un bon sac à dos tout à fait
eu l’occasion de la tester dans 2 versions différentes : recommandable.
• La version 1 place, illustrée en couverture de ce numéro , Flex Capacitor 25-40 : 1110 g, 160 €
commercialisée avec une chambre amovible. Flex Capacitor 40-60 : 1217 g, 200 €
• La version 2 places, déclinée seulement en tarp (sans
chambre intérieure donc).
Les 2 modèles peuvent être montés avec une paire de bâ-
VAUDE
3
tons de rando, un allègement conséquent pour les randon-
neurs, sans compromis sur la solidité ni l’espace intérieur.
Le modèle 1 place se distingue justement sur ce point : il est
Sacs à dos Bike Alpin
particulièrement spacieux, même avec la chambre. Le mon- Depuis longtemps, à la rédac, nous plébiscitons les sacs à
tage est facile, quoiqu’un peu plus compliqué sur la version dos à filet tendu pour la pratique du VTT. Ce système épouse
2 places. Le mieux est de faire un tour sur expemag pour la forme du dos (plus courbé à VTT qu’à pied) tout en créant
voir tous les détails sur cet abri à la géométrie surprenante ! une ventilation très agréable. Toutefois, de tels sacs sont
Modèle 1 place : 940 g (DT = 520 g / chambre = 335 g) - 300 € souvent conçus en priorité pour la randonnée pédestre :
Modèle 2 places (tarp uniquement) : DT = 574 g - 230 € parfois trop hauts, à vélo en descente, ils peuvent venir
heurter le casque.
Son nom met la puce à l’oreille : le Bike Alpin allie le meil-
leur des 2 mondes, avec un filet tendu et une géométrie
SIERRA DESIGN
2
dessinés pour la pratique du VTT BUL. J’ai tellement appré-
cié la différence, le confort est incomparable, à la montée
Sacs à volume variable Flex Capacitor comme à la descente.
Nous avons testé en 2 tailles différentes ce sac original et Ma compagne et moi avons utilisé respectivement la version
efficace qui remporte le pari de la polyvalence ! Selon le « 25+5 » et « 32+5 », pendant 2 semaines en Espagne (cf.
modèle, le volume peut donc varier, de 25 à 40, de 40 à 60, p.112). Nous les avons adorés ! Ils disposent de nombreuses
ou de 60 à 75 litres (modèle non testé), via un système de poches et accessoires qui facilitent la vie (emplacement
sangles frontales qui modifient le diamètre du sac plutôt casque extérieur, rangement d’outils, rain cover, anneau
que sa hauteur. Ainsi, à tous les volumes de chargement, on pour fixer les lunettes de soleil… la liste est trop longue !).
garde un sac homogène. Le système est fonctionnel et effi- Leur modularité vient couronner le tout : le volume inté-
cace ; il permet en outre de charger facilement le sac volume rieur est très variable, et les sangles bien conçues pour créer
ouvert, et de bien le compresser ensuite. un portage agréable, quel que soit le chargement. On fait
On a là un bon sac très confortable, solide et léger, avec un corps avec le sac, et la taille 25L est très adaptée aux petites
portage excellent sur le bassin grâce à sa construction qui morphologies, et j’en connais .
fait reposer la structure du sac (un Y en arceaux de tente Tout ça pour un poids très contenu ! Gros coup de cœur, il
DAC) directement sur la large ventrale. À noter que cette est si polyvalent que je le prends désormais à chaque sortie,
structure se démonte facilement et ne prend quasiment même à pied !
plus de place, le sac peut alors se rouler et se loger dans Modèle 25+5 : 1120 g, 120 €
un petit espace (caisson de kayak, sellette de parapente…). Modèle 32+5 : 1170 g, 130 €
S
ur wikipédia, l’article sur les « Écri- un pays à la fois formidable et mystérieux dans
vains de voyage » nous propose une la peur constante d’être démasquée et de devoir
liste de 52 noms, des noms célèbres rebrousser chemin. Elle relate cette aventure dans
comme Verne, Tesson, Stevenson son récit « Voyage d’une Parisienne à Lhassa, à
ou encore London. Mais à y regar- pied et en mendiant de la Chine à l’Inde à travers
der de plus près, parmi ces 52 patro- le Tibet » (1927). Accompagnons-la sur les premiers
nymes, seuls cinq sont portés par mètres de son périple, animée d’un courage sans
des femmes : Germaine de Staël, faille mais également consciente de la dimension
Ella Maillart, Isabelle Autissier, Corine Sombrun et de l’entreprise dans laquelle elle s’embarque :
Alexandra David-Néel. Ces dernières ont eu des vies « Adieu !… Le sentier fait un coude, la maison de la
et des expériences au moins aussi passionnantes et Mission est hors de vue. L’aventure commence. [...]
riches que leurs homologues masculins. De façon Deux fois, je partis en secret, aux premières lueurs
générale, les femmes sont quasiment absentes du du jour, emmenant ma petite caravane à travers les
grand récit de l’exploration et de l’aventure, inexis- immenses solitudes thibétaines [sic] ; déserts arides
tantes ou reléguées au second plan ; il y a heureu- et déserts d’herbe, tous deux silencieux, farouches,
sement quelques contre-exemples... énigmatiques, hautes terres âpres et
Souvent pionnières, toujours mues fascinantes, pays de rêves et de mys-
par une force incroyable, je vous pro- tères… Maintenant, le chaud soleil de
pose de partir à la rencontre de l’une l’automne chinois brille au beau ciel
d’entre elles. bleu sombre ; les montagnes, les bois
Tout à la fois exploratrice, anthro- toujours feuillus, semblent nous invi-
pologue, écrivaine, cantatrice, anar- ter ; nous avons vraiment l’air de partir
chiste et féministe, Alexandra David- pour une simple excursion. C’est là, du
Néel se distingue par un destin hors reste, ce que nous avons déclaré aux
du commun. Née en 1868 à Saint bonnes gens du village que nous ve-
Mandé, elle développe rapidement nons de quitter ; nous allons herboriser
une attirance pour le monde asiatique sur les montagnes. Cependant l’entre-
bouddhiste. Elle se convertit elle- prise est sérieuse et je n’ignore aucun
même à cette religion à 21 ans, l’année des obstacles qui vont se dresser sur
de sa majorité. mon chemin. »
Après une courte période en tant que Consécutivement à son retour de
cantatrice et quelques années dans le Lhassa et un court intermède en Inde,
rôle de la femme mariée durant les- elle rentre en France après de longues
quelles elle se cultivera sur la culture années. Elle y restera 12 ans avant de
bouddhiste, Alexandra quitte l’Europe pour le Sik- repartir, en 1937, une nouvelle fois pour la Chine et
kim, en Inde, en 1912 à l’âge de 43 ans. Elle entame le Tibet, 9 années durant lesquelles elle étudie le
alors un extraordinaire voyage de 14 ans à travers taoïsme. De retour en France, elle s’installe à Digne
l’Inde et le Tibet mais également la Chine, la Mon- où elle écrira jusqu’à sa mort en 1969.
golie ou le Japon. Durant son séjour elle rencontrera Trop peu connue du grand public, cette femme a
de hauts chefs spirituels bouddhistes tel que le 13e relevé des défis et a vécu des expériences comme
Dalaï-lama, elle s’initie aux arts yogis et aux secrets peu de ses contemporains. Loin d’être simplement
de maîtres comme le Toumo qui permet de réchauf- la « femme de », elle a vécu sa vie comme elle l’en-
fer son corps par l’esprit. L’expérience qu’elle vit est tendait sans chercher à savoir si elle rentrait « dans
déjà extraordinaire en soi pour un Occidental mais le moule » que la société lui avait destiné. Véritable
le fait qu’elle soit une femme dans les années 10- source d’inspiration, son récit à Lhassa et ses autres
20 est encore plus incroyable. Elle fait preuve d’une œuvres sont à découvrir ou à redécouvrir.
liberté de pensée et d’agir hors du commun ce qui
lui permettra de grandes réalisations.
C’est en 1924 qu’elle entreprend sa plus grande
aventure : elle part avec son futur fils adoptif
Yongden, un moine, en direction de Lhassa alors Photo : « Rédacteur Tibet » sous licence
capitale du Tibet interdite aux étrangers. Dégui- Creative Commons Attribution 2.0 Generic.
sée sous les traits d’une mendiante, elle traverse Preus museum, CC BY 2.0.
D’une certaine façon, le voyage nature nous extrait du monde. Ces itinérances lentes poussent à la réflexion et changent
notre regard sur les choses, d’où cette chronique un peu décalée.
L’ÉCUEIL DE LA GROGNOSPHÈRE
ur ma planète il y a des siècles… sujet – sujet souvent bien plus complexe que la partie
S
Au début on a vu arriver les réseaux so- de l’iceberg que chacun peut voir, et pour lequel une
ciaux, ils étaient similaires aux vôtres issue satisfaisante est la plupart du temps affaire de
et on s’est tous congratulés : enfin le compromis –, on voyait surgir des groupes avec des
peuple disposait d’un outil qui allait lui avis tranchés, et des conclusions souvent diamétrale-
permettre de faire remonter ses idées, ment opposées – toutes pourtant argumentées (par-
ses envies, ses besoins. Au lieu d’une fois fortement) par chaque bord –, considérant comme
organisation pyramidale de la pensée, ennemis les autres groupes ayant des points de vue
elle deviendrait multilatérale. Une différents. La modestie qui aurait été de mise face à
bonne idée pouvait surgir de n’importe où, proposée la complexité du monde avait disparu. Renforcé par le
par un inconnu, et si elle était soutenue et appréciée, groupe, chacun défendait l’idée partagée sans remise
elle se développerait et se propagerait, pour le meil- en question aucune. L’expertise fut peu à peu ba-
leur. Un outil qui donnerait de la force à la volonté du layée par la somme des convictions et des croyances.
peuple, qui lui permettrait de s’organiser, de résister. L’atmosphère de notre monde devenait irrespirable.
C’était effectivement l’un des usages possibles. Sur ces À cette époque délicate, nous avons failli perdre notre
réseaux on pouvait en effet partager des ressources, civilisation. Il nous a fallu structurer ces outils sociaux,
des infos, dénoncer de vrais abus afin d’améliorer car un outil très puissant et mal utilisé peut s’avérer
la société. On pouvait se grouper pour avoir plus de fatal. Éduquer, former, faire prendre conscience de la
force, partager, faire circuler de l’information qui, puissance nouvellement acquise par les citoyens. Car
dans certains environnements sociétaux, serait blo- qui dit grands pouvoirs, dit grandes responsabilités.
quée autrement. Des structures tyranniques ont pu Savoir endosser ces responsabilités, savoir se mettre
être déstabilisées et transformées, des peuples se sont à la place des autres, savoir mesurer et équilibrer ses
libérés de l’oppression. Cependant, certains systèmes avis, ne pas leur accorder trop de crédit (un avis tran-
non démocratiques suffisamment puissants, qui exis- ché devrait toujours allumer des voyants d’avertisse-
taient sur notre planète, ont pu prendre le contrôle de ments dans nos têtes), se méfier de nos croyances, de
ces outils par une censure partielle ou complète, les nos convictions, de nos haines, cultiver l’humilité,
rendant inopérants. Dans les systèmes démocratiques savoir écouter, décortiquer l’information, vérifier les
toutefois, ces réseaux ont pu continuer à croitre et sources, savoir sortir de son groupe (confortable) pour
prospérer. Pour le meilleur… regarder ailleurs…
Mais pas que… Car c’était aussi le lieu où chacun Souvent les questions sont bien plus complexes à
pouvait exprimer sa grogne, où l’on se regroupait démêler qu’il n’y parait. Dès que l’on creuse un pro-
facilement, où l’on se rendait compte que les mécon- blème, les solutions possibles sont plurielles, et cha-
tentements étaient souvent partagés, donc forcément cune est histoire de compromis, avec des points posi-
justifiés ? Parfois oui, parfois non, parfois pas totale- tifs et d’autres moins.
ment, toute la subtilité était de démêler le vrai du faux Cependant, adopter un avis tranché, avec une
et de faire la part des choses. Le phénomène prenait connaissance extrêmement limitée du sujet, devenait
de l’ampleur, se renforçait, se muait en quelque chose malheureusement fort commun. Alors, dès le début
de plus élaboré, certains en arrivaient même à se de leur éducation, nous avons entrepris de placer
convaincre que le peuple était contrôlé par des extra- nos jeunes face à des problématiques abordables, et
extraterrestres . leur avons proposé de trouver des solutions par eux-
Tous ceux à qui une idée parlait s’aggloméraient au mêmes. Cela leur a permis d’appréhender la complexi-
groupe de pensée, ajoutaient leur grain de sel ou ma- té d’une situation, de goûter l’art du compromis, de
nifestaient leur approbation. Dans certains groupes, la prise de décision collégiale, d’un accord sur ce que
tout le monde semblait penser la même chose, et si l’on pense être un optimum, en ayant conscience de
quelqu’un avait le malheur d’émettre une critique ou ses points forts et faibles, toucher du doigt la réalité
un désaccord, l’ensemble du cercle pratiquait un lyn- souvent loin d’une position manichéenne. Ces expé-
chage virtuel en règle – et heureusement qu’il n’était rimentations leur ont permis de cultiver l’humilité, et
que virtuel, car la violence extrême qui pouvait se libé- tout simplement de prendre conscience que le monde
rer dans ces hémicycles numériques était glaçante. Et qui nous entoure est bien plus riche et complexe que
vu que le lynchage était facile, ceux qui n’étaient pas ce que certains veulent croire. C’est aussi ce qui en fait
tout à fait d’accord n’osaient souvent rien dire. L’am- sa saveur…
biance sociale de ma planète commençait vraiment à Ainsi sont les grandes lignes du chantier que nous
se tendre. avons dû entreprendre sur ma planète pour que la
Au bilan, chaque groupe portait facilement une pen- démocratie reste un puissant outil de construction et
sée unique, amplifiée, caricaturale. Pour un même pas de démo…lition.
» NO SPAIN NO GAIN
Entre bouclage, déménagement et confinement, Anthony
et Anne ont choisi le bon créneau pour partir à la décou-
verte des sierras du sud-est de l’Espagne. Ils nous racon-
teront bientôt leurs aventures cyclopédiques, qui ont
commencé sur le rail et se sont terminées à l’Alhambra.
» LA LÉGÈRETÉ DU PARAPENTE
Voilà quelques mois que Johanna, entre deux vols en para-
pente, fait chauffer son esprit et son clavier. Le résultat :
« La Légèreté du parapente, Petites circonvolutions sur le
vol libre et les promesses du ciel ». Un livre de la collection
« Petite philosophie du voyage », à paraitre en mars 2021
chez Transboréal, cette incontournable maison d’édition
dédiée au voyage (que nombre d’entre vous connaissent
déjà !). On vous en reparle dans le prochain numéro.
Note : clin d’oeil involontaire avec les dossiers de ce numé-
ro, la photo de couv du livre a été prise dans le Queyras.
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