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E
VOYAGE ET BIVOUAC • À PIED, À VÉLO, EN KAYAK, À SKI, À VTT, EN PARAPENTE...

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EXPEMAG.COM CARNETS D’AVENTURES

ALPES INTIMES
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4 SAISONS

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JANVIER - FÉVRIER - MA

Mille et une nuits en


BIVOUAC des voyages à coucher dehors ⊲

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SANS MOTEUR - BIVOUAC - NATURE
Nous publions des récits et des dossiers tech-
niques sur le thème du voyage non motorisé
dans la nature – à pied, à vélo, en kayak, à
Par Olivier
ski, à cheval, à la voile, en parapente… – et en
bivouac, d’une durée allant de quelques jours

C
à plusieurs années.
PARTICIPATIF
Les récits sont écrits par les voyageurs eux-
mêmes – vous, les lecteurs. e numéro est l’occasion d’une rétrospective.
Comment la nature et le bivouac se sont
INDÉPENDANT immiscés dans nos vies pour en modifier
Depuis ses débuts en 2004, Carnets d’Aven-
durablement le cours. Parcours de vie de
tures est un magazine indépendant, édité par
une petite équipe de passionnés de voyage et voyageurs. J’en connais qui, pour l’occasion,
de sports nature. ont exhumé avec une émotion non feinte leurs
vieilles photos…
RESPECTUEUX Quand on se revoit, tout jeune en train de
Nous pratiquons nous-mêmes fréquemment
découvrir le monde, de faire ses premières
l’itinérance sans moteur, et œuvrons à pro-
mouvoir ce type de voyage plus respectueux expériences de bivouac, on mesure le chemin parcouru. Sur ces
de l’environnement. Dans la même optique, clichés oubliés, les « erreurs » et approximations d’alors nous
nous souhaitons également mettre en valeur sautent aux yeux. Et pourtant, le plaisir était bel et bien là !
les destinations plus proches et l’utilisation de L’essentiel en somme. Malgré des sacs énormes coiffés de tout
transports de surface moins polluants (train, un barda débordant maladroitement – les mêmes qui nous font
bus, ferry… ; l’équipe de rédaction n’a par aujourd’hui sourire lorsqu’on les voit sur le dos de randonneurs,
exemple pas pris l’avion depuis plus de 15 ans) souvent des jeunes d’ailleurs –, malgré des kayaks chargés à ras
et permettant tout de même d’atteindre de bords avec un fardage énorme.
nombreuses régions lointaines, de la Scandi- Finalement, ce qui ressort de ces images, c’est bien l’insou-
navie à l’Afrique en passant par l’Eurasie !
ciance, la fin plutôt que les moyens, cette envie d’être dehors,
Toujours dans un souci environnemental,
nous faisons le choix d’imprimer le magazine cette joie de la découverte, l’œil qui pétille du jeune chien fou de
en France, chez un imprimeur ayant le label joie à l’idée de se balader dans la nature. Une envie brute qui,
Imprim’Vert (un regroupement d’acteurs des par sa force, vient le plus souvent à bout des embûches.
industries graphiques réduisant leurs impacts En regardant ces photos anciennes, on peut se replonger dans
environnementaux), sur du papier 100% recyclé notre vision du monde de l’époque ; un peu comme le moustique
et de grammage raisonnable (d’où un résultat préhistorique figé dans l’ambre, un instantané de nos croyances
final un peu moins « élégant » que des revues et de nos connaissances. Nos croyances sur ce qu’il nous était
à l’épais papier brillant et blanchi) pour éco- possible de faire, ce dont on se pensait capables. Et, là aussi,
nomiser du bois, de l’énergie et de l’eau. En on peut mesurer le chemin parcouru. Souvent cette évolution
2014, nous avons rejoint « 1% For The Planet »,
est conséquente. Et la somme de tout ce dont on n’avait pas
réseau mondial d’entreprises qui reversent 1%
de leur chiffre d’affaires à des associations de conscience – des techniques non encore acquises, des compé-
préservation de l’environnement. tences et des savoirs qui élargiront le champ des possibles, des
croyances limitantes qui voleront en éclats, des rencontres qui
ÉTHIQUE
ouvriront des perspectives insoupçonnées – peut être très signifi-
Rester indépendant nous semble très impor-
tant pour garder notre liberté de pensée, cative. Ce qui est drôle, c’est que ces images du passé témoignent
d’action et d’expression. Ainsi, les tests de de cette dynamique de vie, et que nos photos d’aujourd’hui sont
matériels que nous publions sont effectués par le passé de demain. Et avec un peu de chance, on les regardera
la rédaction, et nous n’avons pas de rubrique de la même façon, avec le recul que la vie nous aura fait prendre.
shopping. Le rédactionnel est complètement C’est sacrément encourageant de songer au potentiel qui se
indépendant des fabricants ainsi que des cache encore en nous, à tout ce qu’il reste à découvrir, aux liber-
publicités qui sont publiées dans le magazine. tés à conquérir. 
MERCI !
C’est vous, chers lecteurs, qui rendez possible
cette indépendance en achetant le magazine
ou en vous abonnant. Merci !

N°62 ∙ CARNETS D’AVENTURES ∙ 3


SOMMAIRE

PAGE 14 - DOSSIER

Mille et une nuits en bivouac


6 parcours de vies à coucher dehors

3 Édito
6 Brèves
14 MILLE & UNE NUITS EN BIVOUAC
74 LES 4 SAISONS DU QUEYRAS
98 Décrypter : le soleil, notre étoile
104 Coin des bouquins
106 Courrier des lecteurs
108 Tests de matériel
110 Carnets Diem
111 L’Extraterrestre
112 Petits messages de la rédac’
114 Bulletin d’abonnement

4 ∙ CARNETS D'AVENTURES ∙ N°62


PROCHAIN NUMÉRO :
FIN MARS
Carnets d’Aventures / Alcyon Média
Les Chaumasses Route des Andrieux
05230 Chorges
» expemag.com

DIRECTEUR DE LA PUBLICATION
Olivier Nobili
RÉDACTEUR EN CHEF
Johanna Nobili
RÉDACTION & COMMUNICATION
Anthony Komarnicki, Johanna Nobili, Jean Viale
redaction@expemag.com
DIRECTEURS ARTISTIQUES
Anthony Komarnicki et Potiron

16 Linda ABONNEMENTS & PUBLICITÉ


Alexandre Guiltat / Tél. : +33 (0)2 99 62 01 82
publicite@expemag.com
26 Jean abonnement@expemag.com

36 Nelly Les contributeurs de ce numéro : Linda


Bortoletto, Jean Romnicianu, Nelly Guidici
et Jérôme Bossert, David Manise, Guillaume
46 David Pouyau, Augustin Le Rasle, Guillaume Blanc,
Philippe Gady, Bruno Désormeaux, Laurent
Pirson. Carte : Philippe Gady.
54 Johanna
Photo de couverture : Nuit étoilée à quelques
64 Anthony pas de la rédaction. Photo : Carnets d’Av.
Note : clin d’œil au livre de Sylvain Tesson
« Une vie à coucher dehors », expression dont
nous utilisons des variantes dans ce numéro.

© Copyright Carnets d’Aventures 2021


Toute reproduction même partielle d’articles ou de photos
publiés est interdite, sauf autorisation écrite de la rédaction.
La rédaction décline toute responsabilité concernant les
documents remis. La rédaction n’est pas responsable des
textes et illustrations publiés, qui engagent leurs seuls auteurs.

74 GUIDE PRATIQUE
78 TREK
84 VTT
Que signifient donc tous ces logos ?!

90 SKI Cf. « Notre ligne éditoriale » en page 3.


Printed in France / Imprimé en France
Imprimerie Mordacq, 62120 Aire-sur-la-Lys
(Cet imprimeur a le label Imprim’Vert)

94 PARAPENTE Cahiers intérieurs imprimés sur papier


LWC 100% recyclé Silk PEFC 100%
Origine papier : Allemagne - Schwedt - 1.014km
Taux de fibres recyclées : 100%
Eutrophisation : PToT de 0,003kg/tonne

Distribution : MLP
Quantités modifiables et réassort disponible sur
direct-editeurs.fr
Edité par Alcyon Média, SARL au capital de 20.000€
RCS Gap 451 170 674 - Gérant Olivier Nobili
Dépôt légal : A Parution
Commission Paritaire : 0424 K 84534
N° ISSN : 1774-718X

N°62 ∙ CARNETS D’AVENTURES ∙ 5


BRÈVES

L’AUSTRALIE D’EST EN OUEST


Être assez naïf pour avoir des rêves, assez fou pour les croire possibles,
assez obstiné pour les réaliser. Voilà les trois qualités (ou défauts) qui m’ont
poussé en mars dernier à me lancer dans une petite randonnée austra-
lienne. Petite ? 5000 km de Byron Bay à l’est jusqu’à Steep Point de l’autre
côté, en passant plein centre par Ayers Rock. Deux ans de préparation et
c’est enfin le départ pour « Un Horizon Rouge » !
Les 3 premières semaines je marche près de 700 km. Je supporte comme je
peux des ampoules très douloureuses quand je me retrouve soudainement
arrêté par le covid : deux mois de confinement aux portes de l’Outback !
Je suis généreusement hébergé par Georges, un Français installé dans le
secteur. Je perds beaucoup de temps par rapport à mon planning prévision-
nel, et, les frontières étant fermées, mes amis ne peuvent me rejoindre pour
me ravitailler dans le désert comme prévu initialement. Afin de poursuivre
mon périple dans les temps, j’opte pour le vélo.
Second départ !
Les vols de cacatoès le matin, les kangourous qui
s’enfuient sur mon passage rythment mes jour-
nées durant lesquelles je pédale une centaine de
kilomètres. Le soir j’installe mon camp dans le
bush. Un serpent s’installe sous ma tente, deux
dingos hurlent à la lune… Ambiance !
Seconde vague de covid, les frontières entre états
ferment à nouveau. Si je veux atteindre mon
but, je n’ai pas d’autre choix que de les passer
en cachette par les pistes à travers le désert. Les
1400 km de lignes droites dans le Nullarbor sont
interminables. Je dois y négocier durant plus de
10 jours avec la police pour obtenir l’autorisa-
tion d’entrer dans le Western Australia. Encore
2000 km et j’y suis. L’arrivée à Steep Point me
submerge d’émotion. J’ai réalisé mon rêve !
David Debrincat
FB : Un Horizon Rouge, 5000Km à pied à
travers l’Australie

6 ∙ CARNETS D'AVENTURES ∙ N°62


EUROTOPIA
Vous vous souvenez peut-être de « La Marche Sans Faim » de Florian Gomet,
ancien prof de math, qui raconte son trek sur la Canol Trail dans le grand nord
canadien, 360 km et 14 jours sans manger ! Il concluait son article dans CA59 en
évoquant Eurotopia, son projet pour 2020, un voyage à pied à travers l’Europe
sans chaussures, sans argent, sans sac à dos et sans papiers...
Après 88 jours de voyage et plus de 3500 km parcourus pieds nus et en ne man-
geant que des fruits et des légumes crus, je suis arrivé à Constanta au bord de la
mer Noire, mon objectif. Eurotopia a été une initiation. Par la vulnérabilité dans
laquelle je me suis volontairement positionné, les conditions idéales étaient
réunies pour que j’expérimente profondément la philosophie de vie hygiéniste à
laquelle je m’essaye depuis 5 ans. En l’absence d’argent et de tout équipement,
je n’avais d’autre possibilité que d’être dans la confiance absolue en la vie et
dans l’acceptation profonde de tout ce qu’il m’arrivait. Pendant les 88 jours de ce
voyage où j’ai couru 45 km par jour, mon bien le plus précieux a été de conserver
ma paix intérieure et mon optimisme.
Eurotopia fera l’objet d’un livre et d’un documentaire, « L’empreinte ». J’envisage
comme prochaine aventure de réaliser une expérience scientifique pour tester
mon système immunitaire et voir comment un corps nourri sainement et avec
une bonne hygiène de vie réagit face aux maladies, un film suivra sur ce thème.
Florian Gomet • floriangomet.com
Ndlr : les ouvrages de Florian Premières expéditions, America Extrema, La
Marche Sans Faim, et Guide de survie au 21e siècle sont à découvrir sur son site,
de même que le blog du voyage Eurotopia.

N°62 ∙ CARNETS D’AVENTURES ∙ 7


BRÈVES

SEATREKKING EN BRETAGNE
Après un premier seatrek breton dans les Abers en 2019 (cf. CA60), notre
choix s’est porté cette année sur la presqu’île de Crozon dans le Finistère.
« Nous nageons depuis quelques heures lorsque nous débouchons sur un
dédale de cavernes marines. Les maigres rayons du soleil qui parviennent à
atteindre le fond des grottes éclairent la mer par le dessous et lui donnent une
couleur vert émeraude. Le brassage des éléments et la houle qui rentre avec
fracas dans ces cavités injectent
une infinité de bulles sous l’eau, qui
devient laiteuse. Je me surprends à
rêver seul, immobile dans l’océan,
au beau milieu d’une galaxie
hypnotique dans laquelle mes sens
sont décuplés. Il est là le monde
matriciel, la reconnexion avec la
Nature qui fait sens. Nous vivons un
moment de plénitude intense.
Nous nous enfonçons plus loin
encore en poussant nos sacs gon-
flables devant nous. Nous sommes
probablement là où peu d’humains
se sont aventurés : le fin fond des
grottes de Morgat. Le seatrekking
permet de se glisser dans des
endroits où même les kayaks les
plus habiles ne peuvent pas aller.
L’eau est noire, le ciel est noir. Nos
pupilles dilatées ne distinguent pas le bas du haut dans cette pénombre. Il est
temps de sortir les frontales. L’écho des vaguelettes sur les parois se répercute
dans toutes les directions pour venir
résonner à nos tempes. Nous enlevons
nos masques et fermons les paupières.
De lourdes gouttes glacées tombent
du plafond sur notre visage. Le temps
s’est arrêté. »
Le seatrekking est une pratique
récente qui combine nage et marche
le long du littoral, en itinérance
bivouac sur plusieurs jours. Nous
embarquons nos affaires (couchage,
nourriture, etc.) dans un sac à dos
étanche et gonflable que l’on tracte
en mer au moyen d’un filin. L’essence
du seatrekking réside dans l’alter-
nance du mode de déplacement
à la fois terrestre et aquatique, au
rythme des éléments. Cette élégante
manière de voyager séduit de plus
en plus d’enthousiastes (ndlr : nous
aurons l’occasion d’en reparler dans
Carnets d’Av.) ; un seatrek en appelle
d’autres !
Patrick Balch
Carnet complet sur MyTrip :
expemag.com/carnet/ete-2020-seatrekking-en-presqu-ile-de-crozon-
bretagne

8 ∙ CARNETS D'AVENTURES ∙ N°62


PUPILLIN LES PRUNELLES
750 km en courant pour visiter des amis
1er mai 2020, après une année de convalescence (des blessures à réparer
suite à une traversée de l’Australie fin 2018*) et 140 jours d’entraînement, je
suis prêt partir pour mon nouveau projet : la traversée de l’Europe en cou-
rant. Mais voilà, 2020 est une année particulière, et je suis contraint, comme
beaucoup, à ne courir que dans mon jardin. Voilà plus de 15 ans que je
découvre la planète en courant ; déjà 55.000 km dans les pattes aux quatre
coins du monde. Mais à chaque périple, mon bilan carbone augmente… Je
saisis donc ce contexte spécial de 2020 comme une opportunité de voya-
ger local. J’avais initialement prévu d’aller en vacances à Pupillin, dans le
Jura, visiter mes amis Marie et François qui viennent d’ouvrir les chambres
d’hôtes « Les Prunelles », eh bien j’irai en courant ! Un porte à porte chargé
de conscience environnementale. L’Art de la trace, Petits détours sur
Le 4 juillet, au petit matin, je salue ma femme et ma fille et m’élance du pas
de ma porte pour les 750 km qui me séparent du Jura. Je me donne 10 jours, le ski de randonnée et les neiges
soit 75 km quotidiens en courant et en tirant une carriole de 24 kg de charge
roulante. Les trois premiers jours sont difficiles, pas uniquement physique-
d’altitude, le dernier livre de Cédric
ment mais logistiquement. Cette fois-ci, je suis en autonomie et dois ainsi Sapin-Defour, paraît aux éditions
tout gérer de A à Z, notamment trouver de l’eau et bien sûr mes bivouacs. À
partir du 4e jour, je commence à être rodé et à vraiment profiter ! La France
Transboréal.
est un pays magnifique, il suffit de faire une centaine de kilomètres pour
changer de région, d’accent, de paysages, de culture… Je vais également La collection « Petite philosophie
rencontrer des gens formidables et retrouver quelques amis qui me font la
surprise de leur visite sur le parcours. En arrivant heureux le 14 Juillet à du voyage » s’enrichit ainsi d’un
Pupillin, je retiens 3 choses : l’eau est le bien le plus précieux qui existe au nouveau titre sur la montagne.
monde ; l’autre est le lien indispensable à une vie joyeuse ; nous sommes
chargés d’inutile et il est temps de faire notre tri !
Philippe Moreau • passerelles.pro www.TrAnSboreAL.fr
* Le livre « Trans-Australia, Au bout de son horizon » raconte ce
périple (disponible sur passerelles.pro espace boutique)
Carnet complet sur MyTrip :
expemag.com/carnet/pupillin-solo-zero-carbone
BRÈVES

NO PROJECT = PLEIN DE PROJETS !


Un été « no projet », la chance ! C’est celle qu’on ressentait
l’été dernier, parce que si l’on sait juste écouter l’élan du
moment, alors on vit vraiment bien… C’est comme cela qu’on
a improvisé, avec ma grande de 15 ans, un vélo-tour qui nous
mène de la Chartreuse au fin fond du Queyras. Là, camp de
base au camping rustique de la Monta : les sacoches des
vélos sont blindées de matériel de grimpe et de dessin, d’une
slackline, de bouquins, et bien sûr de quoi bivouaquer léger.
Acte 1 : mise en route avec un grand tour du Viso à pied de 5
jours, parfois improbable, c’est à dire au feeling de l’instant.
Acte 2 : de retour à la Monta, on troque les vélos contre le ma-
tos de grimpe et d’alpi, et on rejoint notre ami Paulo pour une
semaine de grandes voies sur la frontière franco italienne, au
départ des refuges du Viso et Giacoletti. Des longueurs pur
bonheur avec le Viso en ligne de mire.
Acte 3 : retour maison à vélo ! Du Queyras, nous roulons
9 jours, surplombant Serre-Ponçon, touchant la mythique
Céüse, retrouvant la douceur du Diois, puis montant dans le
Vercors, avant d’arriver dans notre Chartreuse et à la maison

par un dernier joli col local ardu ! Notre route était guidée par
le plus petit tracé possible sur la carte, et par les arrêts chez
les amis présents dans chacun de ces massifs. 9 jours pour
prendre le temps de nous déplacer tranquillement, tellement
mieux que quelques heures en voiture !
C’était une petite aventure qu’on a adorée et qu’on vous par-
tage en quelques lignes (ndlr : d’autres précédentes aventures
de Mariette et Lou dans CA54, 46, 15). Mais on en a une autre
que vous pourrez découvrir bientôt à travers le film Dans les
pas de Lou : un documentaire d’Hervé Tiberghien qui suit la
création du carnet de voyage de Lou au cours de deux mois
de marche au cœur du Ladakh. Le film est sorti en avant-
première au festival du Grand Bivouac en octobre dernier, et
on devrait le retrouver en 2021 dans certains festivals comme
Saint-Etienne (Curieux Voyageurs), Lons-le-Saunier (RDV de
l’Aventure), Le Vigan (Là-bas vu d’ici), Clermont Ferrand (Il
faut aller voir), etc. Soyez à l’affût !
La bande annonce : youtu.be/_wlk7I6y0yA
Mariette Nodet

10 ∙ CARNETS D'AVENTURES ∙ N°62


L’AssurAnce VOYAGe
ÉVOLuTIVe, cOnnecTÉe,
sOLIDAIre

AU FIL DE L’AULNE
Le soir tombe. Autour de nous, une immense zone
marécageuse s’étend, alternance de prés salés,
AssurAnce VOYAGe
lagunes et vasières. Régulièrement, une loutre,
un ragondin nous accompagnent, le temps d’une eT AVenTure
rencontre éphémère. Captivés, nous pagayons
lentement, avec l’illusion d’être présents sans
Voyages sportifs ou d’exploration,
déranger la vie qui partout nous entoure. Si tours du monde, missions de bénévolat
près de chez nous mais pourtant si loin de notre ou volontariat.
quotidien, le dépaysement est flagrant : ici rien ne
rappelle la présence de l’homme.
Et pourtant nous ne sommes qu’à quelques 10%
DE RÉD
kilomètres de notre village. Partis de Pleyben, au sur votr UCTION
e
cœur du Finistère, nous avons décidé de rejoindre voyage assurance

AVI International (Groupe SPB) - S.A.S. de courtage d’assurances au capital de 100 000 euros. Siège social : 48-14 avenue de l'Arche, ZAC Danton - 92400 Courbevoie - France - RCS Paris 323 234 575 - N° ORIAS 07 000 002 (www.orias.fr).
avec le
la presqu’ile de Plougastel près de Brest en par- réductio code
n
CARNE
courant les méandres de l’Aulne, à petites étapes T S
en kayak, sur trois jours.
Déjà, après cette première journée, apparaît la
sensation d’avoir rompu les attaches du quotidien
qui nous lient à une routine confortable mais
anesthésiante. Après quelques heures sur la por-
tion bucolique de l’Aulne, la passe de Port-Launay
nous a fait changer de monde : le canal domesti-
qué, bien sage entre ses écluses, a disparu, lais-
sant place à un fleuve dont les berges soumises
aux marées ont gardé un caractère profondément
sauvage.
Un bivouac minimaliste, quelques coups de
pagaie magiques semblent nous transporter en
Scandinavie. Les berges abruptes sont couvertes
de pins, l’eau gagne des tons bleutés : où sont les
icebergs ? La masse grise d’anciens navires de
la Marine apparaît dans un méandre, murailles
impressionnantes dans leur silence écrasant. Puis
nous arrivons en rade de Brest, et retrouvons le
terrain de prédilection de nos kayaks, l’eau salée !
Petit bivouac, et dernière ligne droite vers Plou-
gastel, quand soudain un souffle rauque nous
fait tourner la tête : un phoque gris nous observe
intensément, à quelques mètres. Une ultime ren-
contre, pour rappeler qu’un voyage n’est jamais
réellement terminé, surtout s’il vous amène chez
vous…
Guillaume et Marie

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N°62 ∙ CARNETS D’AVENTURES ∙ 11
BRÈVES

THRU HIKING MADE IN FRANCE


- Ich bin Französisch.
Je sors les seuls mots d’allemand que je connais et je vexe le randonneur
croisé dans les Vosges
- Mais moi aussi, je suis français !
Comment deviner qu’il s’adressait à moi en Alsacien ? Je suis au début de
ma Grande Traversée de la France à pied et déjà le premier choc culturel !
J’aime les longues marches, être dépaysé, découvrir des cultures. Ces der-
nières années, j’ai traversé les Carpates, les Balkans. J’avais préparé pour
2020 une longue marche de l’Arménie jusqu’à Istanbul via la Géorgie et la
Turquie. Il a fallu gérer la déception et s’adapter. Il y a finalement un beau
terrain de jeu en France : Grande traversée des Vosges puis celle du Jura,
GR5 dans les Alpes, les Cévennes et la HRP en dessert. Deux mois de confi-
nement m’ont permis de fignoler mon projet mais j’avais oublié quelque
chose : je n’ai pas appris l’alsacien.
Après 78 jours de marche au rythme soutenu de 32 km et 1500 mètres de
dénivelé quotidiens, j’étais au bord de l’Atlantique. Les gorges sauvages du
Doubs, le mont Blanc rouge au coucher de soleil ou un somptueux lever
de soleil sur le plateau du Larzac, des soirées dans des petits villages de la
France profonde, des bivouacs solitaires au bord des lacs pyrénéens... Diffi-
cile de résumer tous ces moments et ces émotions en quelques mots !
Jean-Marc Souchon
Photos, trace GPS et détail des étapes sur caminaire.com

12 ∙ CARNETS D'AVENTURES ∙ N°62


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BIVOUAC
14 ∙ CARNETS D'AVENTURES ∙ N°62
Ressources.
Vecteur de liberté,
d’apaisement, de
réflexion... Le bivouac
nous ressource.
Photo : Carnets d’Av.

des vies à coucher dehors

Comment la nature et le bivouac se sont


immiscés dans nos vies pour en modifier
durablement le cours, c’est le thème de ce
dossier. Pourquoi aimons-nous tant jouer
debout et coucher dehors ?
Des éléments de réponse à travers six
histoires de vie au gré des vents.

N°62 ∙ CARNETS D’AVENTURES ∙ 15


BIVOUAC UNE VIE À COUCHER DEHORS : LINDA

UNE vie à coucher dehors

Linda
du cadre militaire
à l’appel des grands espaces

16 ∙ CARNETS D'AVENTURES ∙ N°62


Vivre.
Dans le désert du Néguev,
le soleil se lève, libre.
L’aube me rappelle ce
pour quoi je marche :
m’éveiller à la vie.

Linda a toujours eu en elle cette graine de


liberté et d’aventure. Voyageuse, écrivaine,
exploratrice – du monde du dedans comme de
celui du dehors, comme elle se plait à le dire –,
elle nous parle de son cheminement dans cet
article qui vous donnera sûrement envie d’en
découvrir davantage !

TEXTE ET PHOTOS INTERVIEW


Linda Bortoletto Johanna
lindabortoletto.com
FB et Insta : @lindabortoletto

N°62 ∙ CARNETS D’AVENTURES ∙ 17


BIVOUAC UNE VIE À COUCHER DEHORS : LINDA

N
ous avons découvert Linda avec son bel article dans le dos-
sier « Natur’Elles, les femmes en voyage nature » de CA41.
Puis nous l’avons suivie à travers la lecture de ses différents
ouvrages, et notamment « Là où je continuerai d’être, L’appel
des terres sauvages » où elle raconte son parcours de vie et
sa « transformation », puis « L’audace nous rendra libres »
(éd. Le Passeur pour les deux), et « Le Chemin des anges:
Ma traversée d’Israël à pied » (éd. Payot), trois livre chro-
niqués dans le magazine et que nous vous recommandons.
Son quatrième sort très bientôt, avant de le découvrir, nous
vous proposons une rencontre avec Linda !

Carnets d’Av. : Te souviens-tu de tes premiers bivouacs ?


Linda : Mon tout premier bivouac, c’était dans le jardin
de la maison où j’ai grandi ! J’avais cinq ou six ans, mon
frère en avait sept de plus, et on vivait à la campagne, en
Picardie. Nous avions la chance d’avoir un grand jardin qui
Introspection.
donnait sur des pâturages où se trouvaient des vaches et
Face au crépuscule
des chevaux. Mon frère était plutôt du genre casse-cou, il
en Turquie, je me
aimait grimper aux arbres, et comme je le suivais partout, il
demande quel est le
me montrait comment m’agripper aux branches, il m’aidait
sens de mon chemin.
évidemment – j’étais plus petite, moins musclée et moins
agile que lui.
Un jour, nos parents nous ont acheté une grande tente en
toile bleue. Lorsque l’été est arrivé, nous l’avons montée tout
au fond de notre jardin, nous avons pris les coussins des
fauteuils du salon de jardin en guise de matelas, nos oreil-
lers, un tas de couvertures et nous avons passé la semaine

18 ∙ CARNETS D'AVENTURES ∙ N°62


Contemplation. Retour de la méditation.
Alors que je traverse Pendant plusieurs mois, j’ai
l’Alaska à vélo, je tombe sur été incapable de méditer
un lac embrumé au lever à cause d’un traumatisme.
du jour. Un grand mystère Face au volcan Puntiagudo,
se dégage du paysage. dans les Andes chiliennes,
j’ai enfin pu renouer avec
cette pratique spirituelle.

La morsure du vent.
Alors que je traverse le
désert du Néguev à pied,
je trouve une ruine pour
passer la nuit à l’abri d’un
vent violent et glacé.

à dormir dehors. Ce n’était pas un voyage en soi, mais à cet


âge-là, c’était déjà une aventure ! Le soir, on faisait un feu
de bois, ma mère nous donnait des pommes de terre qu’on
faisait bouillir dans une casserole, et puis mon père nous
expliquait les étoiles avant de nous laisser dormir dans la
tente. Maintenant que j’y repense, je me dis que cette pre-
mière expérience reflétait déjà mon goût pour la nature et
le bivouac.
Bien des années plus tard, à vingt ans, j’ai connu une autre
forme de bivouac : le bivouac militaire…

Le contexte militaire devait être bien différent de ce que


tu avais connu auparavant, raconte-nous !
J’étais en formation à l’École des officiers de l’armée de l’air.
On avait du matériel lourd et assez rustique ; le confort
passe en dernier dans l’armée française. Quand on par-
tait pour des stages d’entraînement commando, on portait
dans nos sacs ce qu’on appelle des « demi-tentes ». C’est la
logique du binôme : chacun porte sa moitié de matériel de
bivouac pendant la journée, et le soir, on se réunit. Comme
matériel de bivouac, on avait des rations de combat pour la
nourriture avec un mini réchaud type pastille inflammable,
une grosse miche de pain qui durait plusieurs jours, une
gamelle, une gourde accrochée au ceinturon, un couteau
multifonction et un sac de couchage pas chaud du tout avec
un sac à viande en coton épais et bien lourd. Après avoir
connu ce type de bivouac, tout ce que j’ai connu ensuite me
semblait du grand luxe !

N°62 ∙ CARNETS D’AVENTURES ∙ 19


BIVOUAC UNE VIE À COUCHER DEHORS : LINDA

Une nature précieuse. Sérénité.


Dans la cordillère des Un soir dans les Andes,
Andes, au Chili, je je décide de camper
m’arrêtais parfois des sur les hauteurs d’un
heures pour contempler volcan, face à une plaine
les couleurs éblouissantes immense et déserte. Je
des rivières et des forêts. touche à la sérénité.

Bivouac extrême. Reflets.


En Sibérie, avec les Une étendue d’eau
Tchouktches, nous en Alaska reflète les
dormions tous ensemble montagnes enneigées.
sous une tente en peau N’est-ce pas ce que le
de renne. La nuit, la voyage m’offre, un reflet
température frôlait de ce que je suis ?
les -50 degrés.

20 ∙ CARNETS D'AVENTURES ∙ N°62


“ J’avais 28 ans. La disparition de
mon père m’a plongée dans une
grande remise en question, sur les
plans personnel et professionnel.

C’est à partir de là que tu as commencé à voyager ?



ou à vélo, toujours au plus proche de la nature. Cela fait
J’ai d’abord participé à des voyages de plusieurs semaines neuf ans aujourd’hui. J’ai bivouaqué seule dans différents
organisés par des agences de trekking au Népal et en Afrique coins du monde : en Alaska, en Himalaya, au Moyen-Orient,
– c’est l’époque où j’étais mariée, et je partais donc avec en Patagonie …
mon époux. Puis, lorsque mon père est mort, j’ai décidé de
me séparer. C’était en 2009. J’avais 28 ans. La disparition de Quel type de matériel avais-tu au début ?
mon père m’a plongée dans une grande remise en question, Mes premiers bivouacs seule – où j’ai donc eu le choix du
sur les plans personnel et professionnel. J’ai commencé à matériel –, c’était lors de mon voyage au Monténégro. Je
voyager seule. Sur le temps de mes congés, je suis partie au suis partie « à l’arrache », car ça m’est venu sur un coup de
Monténégro où j’ai bivouaqué dans les montagnes désertes tête. Un ami m’a prêté sa tente ultra légère, un sac de cou-
et enneigées, ou encore dans les Vosges, que j’ai parcourues chage, j’avais ensuite acheté un réchaud, un sac à viande,
à raquettes en hiver. une gamelle, le tout dans la catégorie ultra léger. Pour le
reste, c’est ce que j’avais déjà : sac à dos, habits, accessoires,
Ces voyages en solo t’ont aidé dans ton cheminement ? etc. Je dois dire que je ne m’en suis pas trop mal sortie pour
Oui, petit à petit, j’évoluais. Enfin, à la veille de mes 30 ans, une première expérience seule. J’ai juste appris à prendre
ce fut le « vrai » départ, l’aboutissement de ma remise en moins de choses, notamment au niveau des vêtements, et
question. J’ai démissionné. Je suis partie vivre avec des ensuite, j’ai acheté du matériel plus technique et plus per-
nomades au Kamchatka, à l’Extrême-Orient sibérien. Ce fut formant.
le type de bivouac le plus traditionnel que j’ai connu. J’ai
beaucoup appris avec ce peuple de tradition chamanique. Te souviens-tu d’enjeux particuliers que tu avais dû
Ce voyage m’a transformée à jamais. gérer ?
Question matériel, j’avoue que grâce à ma formation mili-
Il t’a transformée en grande voyageuse ! taire, je n’ai jamais rien oublié d’essentiel, et ce dès mes pre-
En effet . Ensuite, je n’ai jamais arrêté de voyager, à pied miers bivouacs. Avant chaque voyage, j’utilise une méthode

N°62 ∙ CARNETS D’AVENTURES ∙ 21


BIVOUAC UNE VIE À COUCHER DEHORS : LINDA

de raisonnement militaire qui se résume en gros à m’inter-


roger mentalement : où ? quand ? avec quoi ? contre quoi ?
comment ? Assez redoutable pour bien s’organiser !
Le seul problème que j’ai eu, c’était pour ces premiers bi-
vouacs seule au Monténégro : je n’avais pas pris de mate-
las de sol. Je crois que j’avais jugé ça non-essentiel … Une
erreur liée au manque d’expérience ! Quand je suis arrivée
en février, passé une certaine altitude, il y avait beaucoup
de neige dans les montagnes, et en l’absence de matelas, le
froid traversait mon sac de couchage par le sol. Impossible Instant présent. Solitude.
de dormir. Je me suis alors créé une sorte de doublure en Au Tibet, j’ai été déçue par J’ai passé des jours à
posant ma couverture de survie et ma doudoune entre le sol l’acculturation du peuple marcher seule dans
et moi. tibétain. Alors je me suis l’Himalaya, au nord de
recentrée sur l’instant l’Inde. J’y ai appris à
Y a-t-il des choix ou des éléments de matériel qui t’ont présent, oubliant le passé aimer ma solitude.
« changé la vie » ? et ne pensant pas à l’avenir.
Ce qui a changé « ma vie » en bivouac, c’est un nouveau
sac à dos de randonnée ! J’avais un vieux modèle Osprey,
très bien puisqu’il a duré 7 ans, mais je ne m’étais pas rendu
compte qu’ils avaient vraiment amélioré le confort des sacs
pour le portage ! Quand j’ai changé de sac il y a deux ans
(toujours chez Osprey), ce fut un vrai bonheur d’avoir une
ceinture ventrale rembourrée et des bretelles bien étudiées
pour mieux répartir le poids sur le corps. Sur ce point-là, je
choisis de privilégier un certain confort et une qualité du
produit quitte à porter un peu plus lourd. Je sais qu’il existe
des modèles de sacs ultralégers mais je crains toujours,
en partant plusieurs mois, qu’ils ne résistent pas dans le
temps. Et je ne souhaite pas non plus tomber dans la sur-
consommation en achetant un nouveau modèle chaque
année. J’applique cette même philosophie pour le choix de
la tente et des vêtements.
Côté poids, il y a eu le choix de ne plus prendre un appareil
photo type réflex (ce que j’ai fait pendant plusieurs années).
Ce choix s’est fait malgré moi : en décembre 2017, le premier
jour de ma traversée d’Israël à pied, mon réflex est tombé
dans la rivière, et il s’est cassé. Je m’en suis donc débarras-
sée, ainsi que les batteries. Il ne me restait plus que mon
smartphone (et un power bank) pour prendre les photos.
Je me suis rendu compte que non seulement je gagnais
presque 2 kilos en portage (et de la place) mais aussi que le
smartphone me suffisait largement pour les photos.

Qu’aurais-tu envie de dire à des personnes qui com-


mencent tout juste le voyage bivouac ?


Mon meilleur conseil serait : arrêter de réfléchir, écouter ses
désirs et foncer ! On va toujours faire des erreurs au début,


Mon meilleur conseil serait :
arrêter de réfléchir, écouter
ses désirs et foncer !

22 ∙ CARNETS D'AVENTURES ∙ N°62


Se relier.
En vivant pendant plusieurs
mois auprès d’un troupeau
de rennes en Sibérie, j’ai
compris en les observant
que quelque chose
d’invisible mais de réel
reliait l’homme à l’animal.

aventurenordique.com
info@aventurenordique.com
04 76 39 79 67
N°62 ∙ CARNETS D’AVENTURES ∙ 23
BIVOUAC UNE VIE À COUCHER DEHORS : LINDA

Conscience.
Dans l’Himalaya, les
Bouddhistes m’ont
enseigné ce qu’était la
conscience et qu’il existait
un moyen de la modifier,
de l’élever, c’est-à-dire de
voir les choses autrement.

mais c’est en faisant des erreurs qu’on apprend. Il n’y a pas Trail. Ce récit est non seulement une histoire de marche
de meilleur moyen ! On peut passer des heures voire des dans des paysages extraordinaires, mais aussi l’histoire de
jours ou des mois à regarder ce que font les autres, mais les ma reconstruction au contact des éléments. Ce voyage fait
autres sont les autres. Il faut expérimenter les choses soi- en effet suite à une agression en Turquie, où j’ai risqué de
même pour découvrir ce qui nous convient. perdre la vie.
Ceci étant, il est bon de demander des conseils aux per- Concernant le voyage, comme à mon habitude depuis neuf
sonnes d’expérience pour gagner du temps dans ses ans, je laisse mon intuition me guider ! Pour l’instant,
démarches et dans ses choix. Mais il ne faut pas que cela elle me dit que j’ai pas mal de choses à transmettre ici, en
empêche de décider et d’agir par soi-même. France. Face à un monde qui va mal, sur tous les plans, je
Question matériel, je dirais qu’il faut vraiment se poser la me sens appelée à contribuer à ma façon à la construction
question deux ou trois fois avant d’emporter quelque chose. du monde de demain, que j’espère meilleur. Pour ce faire, je
Et surtout : tester le matériel sur de courtes durées avant de m’appuie sur l’expérience acquise lors de mes neuf années
partir pour plusieurs mois ! de voyage, et les enseignements de sagesse et de combati-
vité que j’en ai retirés.
Quels sont tes prochains projets de voyage, et d’écri- Ceci étant, je ne me fais pas d’illusions : l’heure du départ
ture ? n’est jamais très loin ! 
Mon prochain livre sort début mars 2021. Il raconte mes
trois mois de traversée à pied des Andes, depuis Santiago
du Chili jusqu’en Patagonie, le long du Greater Patagonian

POUR EN SAVOIR +
SES LIVRES »

24 ∙ CARNETS D'AVENTURES ∙ N°62


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N°62 ∙ CARNETS D’AVENTURES ∙ 25
BIVOUAC UNE VIE À COUCHER DEHORS : JEAN

UNE vie à coucher dehors

Jean
la délectable légèreté de l'être

Des premiers bivouacs dans la forêt toute


proche aux grandes itinérances, la marche
au long cours et le bivouac ont changé
la vie de Jean. Il évoque pour nous son
cheminement vers le bonheur !

TEXTE ET PHOTOS
Jean Romnicianu • sahibvoyageur.fr

26 ∙ CARNETS D'AVENTURES ∙ N°62


Apprendre la patience.
L'infini comme horizon
et accepter de laisser le
temps couler librement.

N°62 ∙ CARNETS D’AVENTURES ∙ 27


BIVOUAC UNE VIE À COUCHER DEHORS : JEAN

Et hurler de bonheur.
Au détour d'une crête du
CDT, la beauté saisit aux
tripes, elle nous submerge. 1969. J’ai 15 ans et le cœur qui bat : je pars pour la première
fois avec un copain de mon âge camper seuls dans la mon-
tagne de Reims. Énorme sac à claie de 80 litres sur le dos,
pataugas aux pieds, nous abordons la forêt à la nuit tom-
Vers le Mustang. bante. Sur la départementale, ça va, nous sommes encore
Ocres, oxydes, vent, en terrain connu mais viennent les chemins et la forêt qui se
vagues de lumières qui resserre : les lampes s’affolent à n’éclairer que des branches,
déferlent : le bout du jamais ce qui a craqué, là, à gauche, mais si, je te dis, là !
monde, au bout de soi. Minuit et 30 km parcourus : monter la canadienne en coton
aux mats d’acier, allumer le butagaz, faire cuire les nouilles
et déjà la pluie menace, puis tombe. Dans la tente, sur nos
matelas de mousse dure, nous tentons de ne pas mettre en
contact toit et double-toit sous peine de fuites. Demain, la
tente pèsera une tonne, c’est sûr, mais quelle ambiance !

LE GOÛT DE LA MARCHE
La marche a d’abord été un moyen d’échapper au pension-
nat le week-end, mais j’y ai très vite pris goût et entrainé
l’un ou l’autre de mes amis durant les vacances : GR 4, GR 5,
Causses, Cévennes… que des bons souvenirs malgré les sacs
de 20 kg qui étaient la norme, les épaules en compote et les
ampoules dès les premiers jours dans des chaussures trop
lourdes et mal faites.
50 ans plus tard on idéalise son vécu d’adolescent, mais je
crois qu’au-delà de l’aspect sportif alors prééminent, nous
soupçonnions déjà que ces espaces libres ont un message
plus profond que leur simple beauté, que le vent a quelque
chose à nous apprendre, que l’aube est une parabole.

28 ∙ CARNETS D'AVENTURES ∙ N°62


Quelque part au Népal. Népal, Naar Phu.
MULET AU NÉPAL Est-ce l'hypoxie des 4000 Sales, essoufflés,
Études finies, je suis parti en routard, pouce levé Porte
mètres ? S'intérioriser mais heureux.
d’Orléans ; mes pas m’ont conduit au Népal en 1980. Je me
devient une évidence.
suis lancé dans le tour des Annapurna avant même que les
auberges n’y existent, puis j’ai enchainé avec le Sanctuaire
avant de rejoindre Katmandou à pied : 40 jours en pleine
nature au contact de gens simples et sereins. Katmandou
m’a bouleversé avec ses rues éclairées aux bougies ce jour-
là et pavées de briques, ses maisons newars aux bois noirs
sculptés, ses senteurs d’épices et la quasi-absence de véhi-
cules : j’ai voulu y rester. D’abord étudiant pour obtenir un
visa, puis engagé localement au Centre Culturel Français, MUL OPTION LUXE
j’y ai travaillé 16 ans, et ai donc eu l'occasion de faire de Et puis j’ai un peu mieux gagné ma vie et découvert le plai-
multiples treks. sir de partir, seul ou avec ma femme, accompagnés d’une
Pas assez argenté les premières années pour m’offrir les ser- équipe népalaise : là, c’est le luxe : un sac plus léger, une
vices de porteurs, j’ai appris le sens de l’effort et l’impor- tente et des matelas confortables, le riz-lentilles quotidien
tance de la respiration : un col à 5400 m et 18 kg sur le dos cuisiné pour nous et la possibilité de s’aventurer sur des
vous enseignent les deux ! Un pas, inspiration, un pas, expi- itinéraires inconnus, hauts, déserts, en autonomie sur plu-
ration : on croit se traîner, mais on arrive le premier en haut. sieurs semaines avec des compagnons increvables et en-
Bonne école aussi pour l’orientation, avec ces cartes « Man- chantés d’être là, car être porteur touristique est considéré
dala » bleues hautement fantaisistes qui oubliaient parfois peu exigeant et bien payé selon les normes du pays. Somme
une vallée entière. toute, je devenais sans le savoir un Marcheur Ultra Léger, un
Faute de revenir en France, mon matériel provenait du MUL option luxe.
surplus des expéditions himalayennes, adapté à la haute
montagne plus qu’à la marche. Du chaud, du solide, mais LA MARCHE EST UNE ÉCOLE
du lourd : je crois que mon sac de base (tout, sauf l’eau et Et là, j’ai commencé à comprendre que la marche est avant
la nourriture) n’a jamais pesé moins de 15 kg. Un vrai Mar- tout une école.
cheur Ultra Lourd Et Têtu : un MULET, quoi. Débarrassé de la gestion du trek et de la fatigue induite par

N°62 ∙ CARNETS D’AVENTURES ∙ 29


BIVOUAC UNE VIE À COUCHER DEHORS : JEAN

un sac lourd, le côté contemplatif de la marche se dévoile


car la relative absence d’effort et le rythme tranquille des
porteurs libèrent à la fois de l’obsession de la performance
et d’une fatigue qui verrouille le regard à deux mètres de-
vant nos pieds. L’œil peut enfin errer sur le paysage, les
arrêts fréquents incitent au calme. Le trek cesse d’être une
rude marche de haute altitude pour devenir une parenthèse
dans la vie professionnelle, un moment hors du temps et
du monde où d’autres normes s’imposent : lenteur du vécu,
simplicité, calme, silence, coupure avec l’extérieur – nous
sommes avant l’ère des smartphones dans les collines népa-
laises – un moment de remise en question implicite de notre
mode d’existence et de nos buts.
Non, je n’ai pas eu de révélation fulgurante, mais la répé-
tition de ces intermèdes, même limités aux deux à trois
semaines imposées par le travail, m’a permis de réaliser que
notre milieu familial et social se charge bien souvent à notre
place de nous fixer des buts dans la vie, et nous place sur
des rails sans trop tenir compte de nos besoins profonds :
s’orienter vers la branche où nous avons le plus de facilité,
y progresser autant que faire se peut, remplir les critères so-
ciaux de la réussite, voilà ce qu’un bon fils doit faire. Assis le
soir face à l’immensité d’une face rocheuse se perdant dans
les nuages, à cinq jours de la plus proche route, l’esprit au
repos, il devient difficile d’esquiver la question : qu’est-ce
que je veux, vraiment ?

QU’EST-CE QUE JE VEUX, VRAIMENT ?


La marche MUL m’avait dès lors engagé dans une spirale de
questions : ce que je veux ? mais qui est « je » ? L’intuition
qui m’avait poussé hors d’Europe s’affirmait : nous sommes
avant tout le reflet des attentes des autres, de leur regard sur
nous. Attentes de nos proches d’abord, puis de la société.
Par désir de nous intégrer au groupe, de plaire, d’être aimé, Assister à l’embrasement d’une montagne inconnue le soir,
nous faisons preuve de mimétisme, nous adaptons nos s’émerveiller au débouché d’un col encore improbable la
envies aux normes de notre environnement. Pourquoi pas veille, écouter le murmure de la forêt la nuit, vivre la renais-
d’ailleurs, si cela fonctionne, mais dans le cas contraire il sance du monde à l’aube, tous ces instants de vie intense
faut creuser. C’était mon cas. Bon, j’avais sans doute simple- n’émergent que dans la quiétude d’un moi apaisé qui a
ment réinventé la roue mais c’était ma roue. Restait à savoir cessé de se projeter au-devant de la scène pour accepter de
ce que cela impliquait. s’ouvrir au réel.
Au fil des quelques 18 mois cumulés de treks au Népal s’est
installée la certitude que – pour moi – le bonheur, ou au MARCHER LÉGER… ET LONGTEMPS
moins la sérénité, passait par la simplicité, par un cer- C’est donc très naturellement que, rentré en France en 2012,
tain détachement envers les possessions, par la prise de j’ai voulu recréer les conditions de ces heures privilégiées
conscience que, contrairement à ce que nous serine la pu- en continuant à marcher léger. Heureux hasard, c’est à peu


blicité, la vie ne nous doit rien, que le monde est indifférent près à ces dates que le matériel disponible chez nous com-
à notre petite personne et que nous sommes seul artisan de mençait sa cure d’amaigrissement. L’apparition de chaus-
notre bonheur. sures de course en montagne performantes, en particulier, a
fait une différence de taille : enfin un chaussant
bien taillé, léger, souple, amorti et séchant vite.


Fini les ampoules. Youpi !
Tout le reste évoluait à l’avenant : les fibres syn-
thétiques devenaient souples, agréables sur la
peau, chaudes avec les polaires, protectrices
Il devient difficile d’esquiver la avec le Goretex ; fini le coton toujours humide,
le lourd pull en laine, la parka de deux tonnes.
question : qu’est-ce que je veux, L’habillement passait au multicouche léger et

vraiment ? le séchage rapide autorisait le remplacement


d’habits de rechange par un bout de savon.
Plus de tente canadienne en coton : du silny-
lon enduit et des arceaux devenus la norme

30 ∙ CARNETS D'AVENTURES ∙ N°62


CDT avant Chama. Mustang.
Le désert impose Cinq jours de marche
les plaisirs simples : jusqu'à la route.
trouver l'eau, voir le soir
monter des creux.

PCT. CDT, parc des Glaciers.


On n'a pas toujours le 8 kg dans le sac, des
choix des bivouacs. ailes aux talons.

Yellowstone.
Marmites thermales.

Ours sur le CDT.


Pourvu qu'il ne vienne
pas jouer avec moi !

N°62 ∙ CARNETS D’AVENTURES ∙ 31


BIVOUAC UNE VIE À COUCHER DEHORS : JEAN

neema, ou Cuben, a modifié la donne en proposant des


CDT, le Cercle des Tours. tentes monoplaces de 500 g ou des sacs à dos avec arma-
Cela a un prix : ce tures de 700 g. Les matelas gonflables sont devenus fiables,
jour-là, 11 heures confortables et légers, la qualité des smartphones nous a
totalement épuisantes. permis de les substituer au GPS et, pour certains, à l’appa-
reil photo. Je suis donc parti sur le PCT avec un sac de base
de 7 kg : pas encore ultraléger, mais un bon début.

LA MUL : PEU DANS LE SAC, BIEN DANS LA TÊTE


– d’abord en fibres de verre cassantes puis en alu – et les Deux aphorismes résument bien la MUL :
intempéries nocturnes cessaient d’être un problème. Seuls • « Le plus léger, c’est ce que l’on ne prend pas »
les sacs à dos, bien plus confortables certes, offraient en- • « Un sac lourd est un sac rempli d’inquiétudes »
core d’innombrables accessoires peu utiles et une solidité Eh oui : tous ces petits riens « au cas où », tous ces articles
souvent bien au-delà des besoins. trop gros pour l’usage qu’on en fait, tous ces trucs que l’on
Les habitudes des marcheurs français, elles, ne changeaient porte 10 heures pour les utiliser 10 minutes, tout cela c’est
pas beaucoup et je continuais de ne voir que des MULETs du poids en trop, mais surtout une peur de manquer, un
bien chargés sur les sentiers. refus de la simplicité, la crainte du dépouillement. Dépouil-
GR 4, Lubéron, Cantal, GTJ, les balades s’enchainaient, lement qui est au cœur de la démarche MUL, dépouillement
mais trop courtes à mon goût pour cause d’obligations matériel d’abord, mais qui mène à l’allégement de l’esprit.
professionnelles. Ces intermèdes entretenaient la flamme, Être MUL, c’est un peu de technique mais surtout une dé-
mais ne faisaient que souligner la richesse de ces instants couverte : accepter que nous avons besoin de très très peu
dépouillés face à la pression du travail, qui tente de com- de choses pour vivre bien, car ce « bien » réside dans notre
bler notre vie en se faisant croire au centre de tout alors tête, pas dans notre sac.
qu’il n’est qu’un moyen. L’approche de la retraite a ainsi fait Le PCT a changé ma vie : il était temps. Au-delà d’une na-
naître le désir de plus en plus pressant d’une très longue ture immense et magnifique qui vous prend à la gorge, j’y
marche qui accorde le temps au temps, qui me pousse dans ai compris que les obstacles de toute nature auxquels nous
mes retranchements, non pas physiques (quoique…) mais nous heurtons sont des données impersonnelles que nous
intérieurs. ne maîtrisons pas : elles ne nous visent pas, elles ne sont
Je me suis fixé sur le Pacific Crest Trail et ses 4000 km comme ni bonnes ni mauvaises, elles sont là, et nous impactent.
initiation à la vie de retraité en 2016 (ndlr : cf. « PCT, 5 mois Personne n’y peut rien. Il nous appartient par contre de
de marche pour changer de vie » dans CA50). La recherche gérer leur impact, de ne pas les laisser nous affecter, en par-
d’informations m’a conduit sur le site de l’association qui ticulier en les chargeant d’un contenu émotionnel négatif
gère le PCT, puis sur des blogs de marcheurs et sur le forum qu’elles ne possèdent pas en elles-mêmes.
de randonner-leger.org. J’y ai découvert que j’avais des pro- Face à ces accidents de la vie, nous devons maîtriser une
grès à faire, que la France était en retard en matière de MUL première réaction négative assez naturelle mais destruc-
et que seule cette approche permettait d’espérer inscrire trice, et choisir d’y voir une occasion de grandir. Maladie,
une marche dans la durée. âge, conditions extérieures sont un cadre neutre dans lequel
L’arrivée dans la panoplie du marcheur du Composite Dy- notre joie s’épanouit pour peu que l’on choisisse de ne pas

32 ∙ CARNETS D'AVENTURES ∙ N°62


CDT. CDT vers Lordsburg.
3700m en haut, dur Un petit goût de
mais exaltant. Lawrence d'Arabie.

CDT, Wind River.


Cinq durs jours de pur
émerveillement.

1983 2008 2020


Les trois âges du
marcheur.
Le sac s'allège, la durée
s'allonge, l'esprit se libère.

LA MUL DÉCORTIQUÉE
Nombre d’informations et réflexions sur les
aspects plus techniques, les comparaisons et
les listes de matériel se trouvent sur le site de
Jean : sahibvoyageur.fr

LIVRES
Les Livres de Jean Romnicianu aux éditions Jacques Flament
(jacquesflamenteditions.com) :
» Pacific Crest Trail / Carnet de route du Mexique au Canada
» Continental Divide Trail / 4200 km, carnet de route et préparation
» Petit guide du marcheur léger (parution début 2021)

N°62 ∙ CARNETS D’AVENTURES ∙ 33


BIVOUAC UNE VIE À COUCHER DEHORS : JEAN

se laisser guider par les réponses socialement convenues. … ET PEUVENT CHANGER VOTRE VIE
Qui se plaint de la nécessité de manger ou de dormir ? Alors, Et la Marche Ultra Légère dans tout cela ? Ah oui, la MUL. Eh
pourquoi se plaindre de situations tout aussi inéluctables ? bien, remettons-la à sa place : un outil, précieux, oui, mais
Bien sûr, la douleur a sa propre façon de s’imposer, mais seulement un outil. Faut-il alors s’y lancer ? Oui encore et
nous sommes seuls maîtres de l’importance que nous allons pour deux raisons :
accorder à ce qui nous arrive. • D’abord par plaisir, parce que porter moins reste la meil-
leure façon d’apprécier toute marche, longue ou courte.
MARCHE ET BIVOUAC LIBÈRENT... Il convient juste de moduler sa pratique en fonction de
La marche au long cours, par sa lenteur, sa durée, la répé- l’usage envisagé et de ne pas tomber dans l’extrémisme.
tition infinie d’un geste simple, nous conduit à une forme • Ensuite et surtout pour le dépouillement qu’elle de-
de méditation si on la laisse faire. Se déploie alors en nous mande, ce décapage, qui donne le besoin et la possibilité
la réalisation que nous sommes libres, libres non au regard de s’engager dans une marche de longue durée, a toutes
des contraintes extérieures, mais, plus important, face aux les chances de changer votre vie.
réponses que ces contraintes éveillent en nous. Oui, je sais, tout le monde ne peut pas se permettre trois
Le bivouac en autonomie libère, lui, de la tyrannie du à cinq mois de marche… facilement. Pas du tout ? Pensez-
temps : nulle part où arriver, la liberté de se poser là, dix y fort : choisir cette priorité et se battre pour la concrétiser
minutes ou des heures, de prendre des variantes. On ap- peut être le pivot d’une existence. Car si la MUL joue le rôle
prend à mépriser le but au profit de l’instant, du chemin, d’un premier décapant et d’une méthode indispensable, ma
et qu’importe si le ravitaillement ne suit pas : un jeûne de propre expérience m’a convaincu qu’une marche longue en
quelques jours fait du bien. Si, si : essayez. bivouac est une excellente façon d’intérioriser la patience,
Le temps de me remettre du PCT avec un GR 10 pyrénéen la résilience, la simplicité pour enfin frôler le bonheur.
tranquille l’année suivante, et je suis reparti aux USA pour Et puis, il y a ces moments de grâce qui nous illuminent sans
aborder le Continental Divide Trail : toujours Mexique - Ca- prévenir au débouché d’un col grandiose ou devant une
nada, mais sur la ligne de partage des eaux (ndlr : voir l’en- simple fleur, un vent dans les herbes. Instants magiques où
cart livres). Entre-temps j’avais un peu progressé en MUL et nous sommes submergés par un sentiment de plénitude,
ne portais plus que 5,5 kg en poids de base : j’avais ainsi une envie de hurler de joie parce que le monde est beau et
abandonné le réchaud et ne mangeais plus que du réhydra- que, sans pouvoir l’expliquer, nous y participons de tout
té à froid : on s’y fait très bien, et c’est un pas de plus vers la notre être. Des secondes qui repoussent vers l’insignifiance
simplification. les petits tracas du quotidien face à l’immensité de la joie
Si le PCT avait été une découverte, le CDT fut une confirma- que nous avons trouvée au détour du chemin, mais qui est
tion éclatante. Le vécu d’une telle expérience est unique à sans cesse à notre portée pourvu qu’on en ait conscience.
chacun mais pour ma part, à 66 ans et après un cancer du
rein début 2019, je reviens empreint d’un sentiment de séré-
nité, d’une joie tranquille peu différenciable du bonheur. Et
ce sont ces marches longues en autonomie qui m’ont permis
GR 5.
d’intérioriser les idées et les valeurs acquises ou pressen-
Et rester bouche
ties au niveau intellectuel, mais qui restaient peu présentes
bée au col...
dans mon vécu quotidien. Bien plus, tout comme mimer le
rire finit par vous mettre en joie, se placer en position de
MUL décape l’être, même s’il n’en demandait pas tant, et lui
révèle l’incroyable potentiel qui sommeille en lui sous les CDT.
couches de matérialisme. Sur de longs parcours,
Partez. Partez loin, partez longtemps, seul ou à deux. Ap- le plus dur est parfois


privoisez le silence, écoutez, ressentez. Fuyez un instant la de savoir se poser.
société pour vous (re)connaître, vous.

GR 5.
Le bonheur est aussi tout
près de chez nous.


Le bivouac en autonomie libère, lui, de la
tyrannie du temps : nulle part où arriver, la
liberté de se poser là, dix minutes ou des
heures, de prendre des variantes.

34 ∙ CARNETS D'AVENTURES ∙ N°62


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N°62 ∙ CARNETS D’AVENTURES ∙ 35
BIVOUAC UNE VIE À COUCHER DEHORS : NELLY

UNE vie à coucher dehors

Nelly
du rythme effréné de la ville
à la plénitude des territoires sauvages

36 ∙ CARNETS D'AVENTURES ∙ N°62


Sérénité.
Le ciel limpide de la Baja
California nous offre une
palette de couleurs qui
embellit le crépuscule.

D’une enfance citadine à une vie de famille


voyageuse, désormais établie dans les vastes
territoires du Yukon au Canada, Nelly évoque avec
ferveur et authenticité l’importance que le bivouac
revêt dans sa vie, et comment il lui permet de se
reconnecter à la nature et à elle-même.

TEXTE Nelly Guidici

PHOTOS Pédale moins vite, Nelly Guidici et Jérôme Bossert


pedalemoinsvite.org • FB : Pedale moins vite

N°62 ∙ CARNETS D’AVENTURES ∙ 37


BIVOUAC UNE VIE À COUCHER DEHORS : NELLY

Découverte.
Dans les Alpes, c’est
au pied des sommets,
à l’abri du vent et aux
confins d’un glacier
que nous découvrons
la joie du bivouac.
J e viens d’une famille où le voyage reste anecdotique et je
n’ai pas de souvenir d’être partie avec mes parents dormir
à la belle étoile ou même passer quelques jours dans la na-
ture, en retrait, le temps d’une nuit, de la vie citadine. Ce
manque a très certainement joué un rôle dans mon envie de
m’immerger dans un environnement où seule la musicalité
du vent me bercerait.

DÉCOUVERTE DU BIVOUAC
C’est vers 22 ans, alors que je suis en couple depuis quelques
mois à peine avec Jérôme, que je découvre la joie du bivouac.
À cette époque, nous habitons à Lyon et nos seuls moments
d’évasion se résument à une fin de semaine sous la tente
dans les Alpes, au détour d’un sentier ou sous un sommet
que nous gravissions aux premières lueurs du dimanche
matin. Notre temps est compté puisque nous avons, chro-
Premier jour. nomètre en main, 48 heures (du vendredi soir au dimanche
Début de notre périple soir) pour sortir de la métropole, accéder au point de départ
de 8.000 km. Le paysage de la randonnée, bivouaquer deux nuits en altitude, avant
du Yukon, que nous de nous diriger à nouveau vers le rythme effréné de la ville.
connaissons bien, nous Je n’avais alors aucune emprise sur la cadence imposée par
encourage cependant la société dans laquelle j’étais née et où je tentais, tant bien
dans nos efforts avec que mal, de trouver ma place. Au fond de moi, je savais
un vent de face... que j’avançais à contre-courant et que ce tempo n’était pas

38 ∙ CARNETS D'AVENTURES ∙ N°62


celui dans lequel je pourrais m’épanouir. Cependant, les bi- Le feu de camp est aussi devenu notre meilleur allié car bien
vouacs étaient des bulles d’oxygène qui me permettaient de souvent, sa fumée nous a permis de souffler un peu entre
maintenir la tête hors de l’eau et de me ressourcer. Chaque deux attaques.
vendredi soir rimait avec excitation de la préparation d’une Puis les aurores boréales ont illuminé nos nuits. Je me sou-
nouvelle immersion en montagne, où j’aurais peut-être la viens précisément de ce soir d’octobre 2006 où je fêtais mon
chance d’apercevoir un chamois ou une marmotte. Ce qui anniversaire sous la tente, une aurore d’un vert délicat est
était sûr, c’est que là-haut, à l’abri de la rumeur citadine, venue me saluer. Elle me semblait tellement proche que je
le silence et la Voie lactée me rappelaient que la connexion me rappelle avoir levé le bras pour tenter de la caresser.
avec les éléments naturels était bien présente et me nourris- Jamais autant de poésie ne s’était mêlée à nos bivouacs, et
sait entièrement. celui-ci en particulier demeure un souvenir marquant.
Bivouac ne rimait plus avec montagne ou ascension puisque
BIVOUAQUER AU CANADA le relief du Nunavik est plutôt plat. Cependant, ce fut pour
En 2005, toujours à l’écoute de notre for intérieur, Jérôme nous une occasion privilégiée d’apprendre à nous trouver
et moi avons immigré au Canada où une promesse de une place, le temps d’une nuit, dans la toundra. Les ours
confrontation à d’autres cultures nous attirait. Il fallait voir noirs, plus nombreux que la population totale des 14 vil-
de nos propres yeux ce qui se passait ailleurs. Nos premiers lages inuits du Nunavik, étaient nos voisins directs et nous
bivouacs au Nunavik ont été l’occasion de découvrir, petit à avons rapidement appris les gestes pour éviter toute ren-
petit, notre nouvel environnement peuplé d’une faune cu- contre fortuite, comme disposer nos sacs de nourriture en
rieuse de faire notre connaissance. Eh oui, les moustiques haut des arbres à l’aide d’une corde.
et mouches noires ont teinté d’une nouvelle couleur nos
bivouacs. Les soirs d’été, nous ne pouvions plus admirer la CONNEXION À LA NATURE
voûte céleste comme nous le faisions en France. Il a fallu C’est au Nunavik que j’ai pris conscience de l’importance
apprivoiser cette présence dont on se serait bien passé et que la nature revêtait dans ma vie. Le village dans lequel
nous équiper en matériel adéquat comme des filets de tête. nous avons habité abrite deux communautés autochtones

N°62 ∙ CARNETS D’AVENTURES ∙ 39


BIVOUAC UNE VIE À COUCHER DEHORS : NELLY

Ralentir.
Le vélo est l’allié parfait
de la lenteur que nous
aimons tant en voyage.

Kluane. Migration.
La vallée de la rivière Le nord de la Californie
Alsek dans le Kluane est sauvage ; de ce
demeure secrète et il a promontoire, il est
fallu pédaler plus de 6 possible d’observer les
heures pour trouver le baleines en migration.
bivouac idéal ce soir-là.

40 ∙ CARNETS D'AVENTURES ∙ N°62


qui cohabitent : les Cris et les Inuits. Leur rapport à leur
territoire traditionnel est profondément ancré dans leur
culture et dans leur langue. J’ai réalisé qu’ils connaissaient
parfaitement chaque rivière, chaque lac, rocher ou île. Bref
ils sont de véritables gardiens de leur terre et sont intime-
ment connectés à la flore et à la faune de la toundra. J’ai
trouvé cette relation très belle et je crois que le bivouac, à sa
façon, était un moyen de me reconnecter à moi-même, mais
surtout de me questionner sur mon propre chemin.

Refuge. À VÉLO D’UN BIVOUAC À L’AUTRE


La Patagonie est En 2008 nous sommes partis en voyage à vélo dans la cor-
redoutable, un rocher qui dillère des Andes (ndlr : cf. CA16) afin de nous confronter à
semble surgi de nulle part nous-mêmes et de voir, une fois de plus, comment les gens
sera notre refuge pour vivaient dans cette partie du monde. Les bivouacs ont été
la nuit, nous protégeant nombreux, au bord des rivières ou à l’abri du terrible vent
comme il le peut des de Patagonie. Nous avons parcouru 6000 kilomètres et nos
violentes bourrasques. nombreux campements nous ont permis de nous laver, de
nous reposer et de cuisiner. Chaque bivouac était différent,
mais le point de commun de tous était l’espace de repos et
de tranquillité dans lequel nous nous sommes enfouis, pour
Qui s’y frotte. quelques heures, bercés par le courant de la rivière.
Le désert de Baja California Sur deux roues, nous pouvons sortir des sentiers battus, à
est étonnant et la richesse notre rythme et à l’écoute de notre corps. Je suis toujours
de sa flore en fait un endroit fascinée de réaliser qu’après seulement quelques jours, je
tout à fait inoubliable. fais corps avec mon vélo qui devient presque une extension


de moi-même. En voyage, même si j’ai besoin de jours de
repos et j’apprécie les moments de pause, je ressens quand
même un manque lorsque je ne pédale pas.

Le bivouac, à sa façon, était un moyen de me


reconnecter à moi-même, mais surtout de
me questionner sur mon propre chemin.

LA TENTE, NOTRE MAISON NOMADE



Puis en 2015 et 2016 avec notre fille Joséphine alors âgée de 6
ans, nous sommes partis pour un nouveau voyage, toujours
à vélo (ndlr : cf. CA46). Du Yukon, où nous habitions alors,
nous nous sommes embarqués dans un périple de 14 mois à
travers l’Alaska, la côte ouest des États-Unis et le Mexique.
Joséphine était très à l’aise dans la tente et la considérait
comme sa nouvelle maison. L’important, à ses yeux, était
d’être avec nous et de sentir que nous étions heureux sur
la route. Nous nous sommes ainsi transformés en nomades
et notre horizon, élargi par la perspective d’une rencontre
déterminante ou de l’endroit rêvé pour bivouaquer, rem-
plissait nos journées. Je me souviens en particulier du pre-
mier soir où nous avons dormi dans le désert mexicain de
la Basse-Californie, au milieu des cactus. Le désert est loin
d’être stérile et la richesse de la flore m’a émerveillée dès les
premières secondes. Il y avait tant de beauté devant mon re-
gard, j’avais l’impression de retrouver mon esprit d’enfant !

N°62 ∙ CARNETS D’AVENTURES ∙ 41


BIVOUAC UNE VIE À COUCHER DEHORS : NELLY

“ Ici, le bivouac demeure la porte


d’entrée vers cette beauté

Oregon.
La route de la côte
permet d’accéder à
des plages sauvages
où l’imposant relief
nous permet d’observer
les oiseaux marins.

PORTE D’ENTRÉE VERS LA BEAUTÉ sine. Au final, il faut peu de matériel pour bivouaquer, l’im-
Aujourd’hui je vis à Whitehorse dans le Yukon. Ici, le bi- portant étant la chaleur : avoir des vêtements de rechange
vouac demeure la porte d’entrée vers cette beauté, puisque pour le soir, un bon sac de couchage, un abri pour dormir
la liberté de poser la tente où bon nous semble est aussi la au sec, de l’eau potable et de la nourriture. Le reste n’est
promesse de contempler le paysage et le ciel dont les cou- qu’accessoire.
leurs évoluent à mesure que les heures passent. Il est cer- Nos sacs de couchage nous accompagnent depuis la Pata-
tain qu’à ce moment précis, je ne souhaite être nulle part gonie et 12 ans plus tard, nous les utilisons toujours. Ils sont
ailleurs. garnis de plume et nous permettent de dormir confortable-
Le bivouac n’a pas les mêmes caractéristiques suivant le ment lorsque la température descend quelques degrés en
pays où l’on se trouve, et cet aspect rend sa pratique d’au- dessous de 0. Un bon entretien du sac en plume permet de
tant plus enrichissante. En Alaska, c’est le bruit des sau- le garder longtemps. Lorsque nous ne sommes pas en expé-
mons remontant la rivière qui a rythmé nos soirées, alors dition, nous entreposons nos sacs non compressés dans un
qu’au Mexique, et plus particulièrement dans le désert, c’est large placard et les lavons une fois par an. Laver un sac qui
la flore d’une richesse infinie et insoupçonnée qui a marqué s’est aplati et semble moins chaud qu’auparavant permet
mon expérience de voyageuse. de redonner du volume aux plumes et une seconde vie à
son matériel. Pour les nuits plus chaudes d’été, nous avons
L’ADAPTATION DE NOTRE MATÉRIEL d’autres sacs, en plume également mais plus légers, et nous
Si maintenant nous bivouaquons surtout dans les mon- procédons de même pour l’entreposage et l’entretien.
tagnes du massif de Kluane, nos gestes et notre matériel se
sont adaptés à la faune. Nous ne partons jamais sans notre ALLÈGEMENT
bombe à poivre pour faire fuir les ours, ni nos moustiquaires Nous avons changé plusieurs fois de sac à dos et j’ai, à
de tête pour éviter les piqures des mouches noires et autres chaque fois, opté pour un sac plus petit. De 70 litres au début
moustiques. des années 2000, je porte maintenant un sac de 44 litres qui
Nous avons récemment opté pour un filtre à eau qui fonc- me semble amplement suffisant. Avec une capacité limitée,
tionne avec la gravité, sans supervision, et nous permet de je me concentre sur l’essentiel et réfléchis à deux fois avant
consacrer le temps de filtrage à autre chose comme la cui- de sélectionner mon matériel. Les éléments les plus pesants

42 ∙ CARNETS D'AVENTURES ∙ N°62


Bretagne. Lost Coast.
Les pistes cyclables sont Dans le nord de la
une vraie richesse en Californie, les routes
France, et après avoir isolées et le panorama
pédalé du nord au sud sur l’océan Pacifique ne
de l’Amérique, nous sont pas une exception.
réalisons à quel point il est
agréable de voyager sur
notre réseau cyclable.

Bon appétit. Connexion.


Le repas du soir, plutôt Déguster un café, écouter
simple, est tout de même le flot de la rivière
un moment réjouissant et prendre le temps
de la journée. d’observer le paysage
nous ont permis de nous
reconnecter à nous-mêmes.

EN BALADE
Par Joséphine, 11 ans
Nous sommes allés marcher avec la tente pendant
deux jours et une nuit dans le massif de Kluane l’été
dernier. On a longé une rivière. C’était très amusant
parce que nous avons vu plusieurs animaux comme
des renards et des marmottes. Nous avons grimpé
le mont Decoeli (2318 mètres). Au sommet, on était
au-dessus des nuages ! Nous étions fiers de nous et
avions une vue magnifique sur la pointe du mont Logan
(5959 mètres, point culminant du Canada) au loin.

N°62 ∙ CARNETS D’AVENTURES ∙ 43


BIVOUAC UNE VIE À COUCHER DEHORS : NELLY

Embrasser l’horizon. dans des communautés éloignées facilitent la rencontre. Un


Au pied du mont Decoeli salut, un sourire, quelques paroles échangées ou même le
dans le Kluane, l’ouverture début d’une amitié, tout ceci je l’ai vécu à vélo. Au Mexique
sur l’horizon est une en particulier, le vélo a été un vecteur formidable de ren-
véritable bouffée d’oxygène contres et nous a ouvert de nombreuses portes. Toutes les
avant une ascension un personnes que nous avons rencontrées là-bas nous ont
peu difficile le lendemain. fait une place dans leur vie. La sincérité profonde de nos
échanges m’a profondément marquée et je pense en particu-
lier à la communauté de cyclistes de Guadalajara dans l’état
étant l’appareil photo et une petite paire de jumelles. du Jalisco. Cinq ans après notre passage dans cette ville, je
Lorsque nous partons à vélo, le volume plus important des suis restée en contact avec plusieurs activistes cyclistes de
sacoches nous permet d’apporter un peu plus de nourriture la Casa del Ciclista (la maison du cycliste) qui œuvrent pour
ainsi qu’un kit d’aquarelles de voyage. Notre matériel de rendre la ville plus cyclable, mais surtout plus sûre.
bivouac reste sensiblement le même. Notre tente trois sai-
sons légère et résistante nous accompagne depuis plusieurs 2020, AU DÉTOUR DU CHEMIN
années, mais sur l’ensemble de notre matériel, c’est bien la La pandémie de Covid-19 a eu des conséquences sur nos
fermeture-éclair de la tente qui résiste le moins aux utilisa- plans de voyages. Avec la fermeture des frontières cana-
tions répétées. La garantie du fabricant nous a permis de diennes, l’été 2020 a eu une saveur différente, inattendue,
changer la toile extérieure qui montrait quelques signes de mais réjouissante. La saison estivale yukonnaise nous a per-
faiblesse après plusieurs semaines de bivouac dans le dé- mis d’explorer de nouvelles vallées, de nouveaux sentiers,
sert de la Basse-Californie. de gravir des sommets en famille. Notre façon de voyager,
quant à elle, n’a pas changé.
VOYAGER ET RENCONTRER La volonté de découvrir ce que la nature nous offre, de ren-
Notre philosophie de voyage s’est esquissée petit à petit. contrer une personne au détour d’un chemin, c’est la ma-
Notre grand voyage le long de la cordillère des Andes, de- gie que le bivouac nous apporte, à pied ou à vélo. Dans un
puis Ushuaia jusqu’à Cusco en 2007-2008, était une première rayon de 100 kilomètres ou aux antipodes, je peux avoir le
expérience. Nous avions l’envie de repousser nos limites et sentiment d’être au bout du monde, lovée au creux d’une
de découvrir par nous-mêmes de nouvelles cultures, à notre vallée ou bercée par le chant de la rivière, les yeux plongés
rythme. Le vélo était, et est encore aujourd’hui, le choix de dans la Voie lactée. C’est ma définition du bivouac, à chacun
la lenteur mais aussi de l’autonomie. Le vélo et l’immersion de trouver la sienne. 

44 ∙ CARNETS D'AVENTURES ∙ N°62


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N°62 ∙ CARNETS D’AVENTURES ∙ 45


BIVOUAC UNE VIE À COUCHER DEHORS : DAVID

UNE vie à coucher dehors

David
petit ours sous la grande ourse
itinéraire d’un amateur
de vie sauvage sous les étoiles

46 ∙ CARNETS D'AVENTURES ∙ N°62


La nature, David a commencé à l’explorer dès tout
petit. Il a appris à s’y fondre, et à cultiver les sens
et compétences hérités de nos ancêtres chasseurs-
cueilleurs. En perpétuel questionnement sur la
place de l’homme dans le « grand tout », il a à
cœur de transmettre ce qui lui semble utile et juste.
Rencontre avec l’ours des bois !

TEXTE ET PHOTOS David Manise


davidmanise.com • FB et Insta : @davidmanise

N°62 ∙ CARNETS D’AVENTURES ∙ 47


BIVOUAC UNE VIE À COUCHER DEHORS : DAVID

P
our mon premier bivouac tout seul, dans la forêt, j’étais tout
petit. Je ne sais pas exactement quel âge. Peut-être 7 ans.
Peut-être 9. Je tendais l’oreille, mon couteau dans la main,
le cœur battant.

MON PREMIER BIVOUAC TOUT SEUL


Une brindille venait de craquer dans la nuit. J’imaginais le
pire. J’avais l’impression que les battements de mon cœur
allaient me trahir. Et ils m’empêchaient en tout cas d’écou-
ter assez bien, couvrant les sons ambiants : boum boum
boum boum… Je retenais ma respiration, je ne bougeais pas,
j’essayais d’entendre, de sentir, de savoir.
Les minutes, des heures interminables. Je me demandais ce
Hamac et poncho, une que je faisais là. Pourquoi j’étais venu là. Pourquoi j’avais
combinaison passe-partout eu cette idée. Mon feu s’était éteint, et je n’osais pas sortir
et minimaliste, qui permet pour le rallumer. Tous les scénarios, dans ma tête, se bous-
de dormir discrètement culaient. La nuit était noire. Si noire. Chaque bruit, chaque
n’importe où ou presque... bruissement, chaque feuille qui tombait me semblait être
annonciatrice de l’ours qui allait venir me dévorer. De ma
fin dans d’atroces souffrances. Dans la solitude totale. Per-
sonne ne m’entendrait crier. Et mes cousins se moqueraient
de moi à mon enterrement.
J’avais trop peur pour me lever, et rallumer le feu qui aurait
pu me rassurer. Trop peur pour rentrer à la maison dans la
nuit... et aussi trop peur pour rester là. C’était horrible.
Je me souviens du moment où la nuit est devenue un petit
peu moins noire. Ce moment où j’ai vu le ciel, derrière mon
poncho tendu en appentis, devenir un peu plus clair. À ce
moment je me suis rendu compte que la nuit allait se termi-
ner. Et j’ai attendu. Tendant l’oreille comme un petit animal
terrorisé.
Objectivement, j’étais totalement en sécurité. Les ours ne
mangent pas les gens, au Québec. En tout cas moins sou-
vent que les gens ne se tuent par d’autres moyens. Mais mon
imagination d’enfant me jouait des tours, forcément. Et j’ai
appris ce jour-là qu’on pouvait se faire très très très très peur
tout seul, avec des choses qui n’existent pas. Cette nuit-là,
j’ai appris le sens profond du proverbe inuit qui dit « l’ours
qui te mange, c’est celui que tu ne vois pas ».
Une fois que l’aube a commencé à arriver, que j’ai pu com-
mencer de nouveau à voir ce qui bougeait dans les fourrés,
et j’ai pu voir la cause extérieure, réelle, de mes cauchemars
de la nuit. Ce truc qui faisait du bruit. Ce monstre noir que
j’imaginais me déchiqueter. Ça n’était pas un ours. Ça n’était
pas un loup, ni un puma, ni quoi que ce soit. J’ai vu passer,
descendant d’une petite souche à quelques mètres de moi,
une souris. C’était elle qui faisait tout ce vacarme.
Je me souviens de ce mélange de honte et de soulagement.
Ensuite je ne me souviens plus de rien. Je suis tombé endor-
mi dans la minute suivante. Épuisé par ma première nuit
de bivouac tout seul. Une courte nuit d’été, heureusement.
Mais une nuit de terreur absolue.

48 ∙ CARNETS D'AVENTURES ∙ N°62


Un de nos terrains de jeu
pour les stages « grand
froid » au-dessus d’Embrun,
dans les Hautes-Alpes.

Lever de soleil sur le sud


du Vercors, photo prise
lors d’un stage de survie.

Dans les îles Canaries, lors


d’un repérage pour les
stages « milieu aride ».

J’Y SUIS RETOURNÉ lon qui reliait le manche à la lame, et qui se dévissait sans
Et, oui, j’y suis retourné. Avec des amis, avec ma famille, arrêt… Une bouse infâme, impossible à affûter. Ce couteau
avec mes cousins, mes oncles. Et petit à petit, j’ai appris à a vite été remplacé par ma première machette, que j’ai tou-
mieux connaître les bruits. J’ai appris à faire la paix avec jours. J’avais un paquet d’allumettes « qui s’allument par-
la nuit. J’ai appris que les nuits noires telles que celle que tout » que j’avais trempées dans la paraffine pour les rendre
j’avais vécue sont rarissimes. Ce sont des nuits sans lune, imperméables, que je gardais dans une boîte de film 35 mm.
où le ciel est couvert… et que le reste du temps, la nuit, la Plus tard, j’ai eu plus de matériel. Une lampe de poche…
lumière ne disparaît pas totalement. elle a changé ma vie, celle-là. Et puis une gourde. Puis mon
Puis un jour, j’ai reçu une lampe de poche en cadeau de premier tapis de sol, bien plus tard. Et enfin un sac à dos. Et
Noël. Une petite maglite. Je m’en souviendrai toute ma vie. une tente…
Elle était bariolée de kaki et de marron, en imitation de ca-
mouflage militaire. Mon oncle Réal a rigolé, en me disant CONFIANCE HUMBLE ET SÉRÉNITÉ FRAGILE
« si tu la fais tomber, tu ne la retrouveras jamais ». J’ai été Ce qui me reste de mes premiers bivouacs, mis à part ce tout
vexé. Et puis vexé une deuxième fois le jour où il a eu rai- premier qui a été l’horreur absolue, ça a été ce sentiment
son… mais quel changement ! Quel changement de pouvoir étrange qui reste, une fois que la peur a été dépassée. Cette
créer un petit bout de jour pendant la nuit. espèce de confiance humble, de sérénité fragile, qui se den-
Pour mon premier bivouac, j’ai commencé comme ça, avec sifiait petit à petit au fil des expériences. J’adorais voir que la
presque rien, dans la nuit la plus noire que j’aie vue ou peur cédait petit à petit sa place à une forme plus ou moins
presque. Avec comme matériel une vieille couverture de consciente de symbiose, d’adaptation au milieu. Et très vite,
laine rongée par les mites, et un poncho de l’armée US en je me suis pris au jeu. Demandant sans arrêt des conseils à
camouflage woodland, avec son odeur caractéristique de mes oncles, harcelant mon père pour qu’il me raconte des
colle moisie. J’avais aussi un couteau. Vous savez ces cou- histoires d’Afrique. Emmerdant à chaque fois que je pouvais
teaux « cheap » de survie à manche creux, façon Rambo. mon oncle Réal pour avoir son avis sur mon matériel, mes
Avec dessus une boussole sphérique inutilisable, et un bou- idées, mes techniques.

N°62 ∙ CARNETS D’AVENTURES ∙ 49


BIVOUAC UNE VIE À COUCHER DEHORS : DAVID

Les montagnes autour de


Saoû (Drôme), où je passe
le plus clair de mon temps.

Page de droite : souvenirs


d’une belle rencontre


avec l’ours des bois !
Photos : Carnets d’Av

Il était patient. Il se moquait toujours un peu de moi, il me


remettait souvent les idées en place, les pieds sur terre. Mais
il était patient . J’adorais ça. Vraiment
CONNEXION INTIME AVEC LA NATURE profondément. J’adorais
De la terreur absolue vécue pendant le premier bivouac, j’ai
commencé à ressentir une connexion de plus en plus intime
être dans la forêt. Et ce
avec la forêt, avec la rivière, avec la terre, avec le feu. La peur sentiment n’a jamais
a cédé sa place à une joie profonde, à une communion avec
la nature. Je lisais les histoires des trappeurs, des coureurs changé.
des bois, des explorateurs. Quand, à l’école, je m’ennuyais
trop, je cherchais à visualiser comment j’allais installer
mon camp du weekend. Comment j’allais faire pour trouver
l’argent pour m’acheter une boussole et une carte, pour pou- DÉCONNEXION… ET RECONNEXION
voir apprendre à m’en servir. Je planifiais mes itinéraires, et À la fin de mon adolescence, j’ai ensuite perdu un peu le
m’imaginais en train d’explorer des endroits que je n’avais contact avec la nature. Je suis parti en ville, faire des études,
pas encore découverts jusque-là. être videur dans les boîtes de nuit, faire du karaté et des
J’adorais ça. Vraiment profondément. J’adorais être dans conneries. Mais j’ai toujours senti que quelque chose man-
la forêt. Et ce sentiment n’a jamais changé. Et aujourd’hui quait. Ce manque, de plus en plus cruel, s’est épaissi quand
encore, quand je prononce les mots « chez moi », c’est à un j’ai commencé à travailler, puis quand je suis arrivé en
endroit précis, un point de bivouac un peu caché et magni- France, à bosser à Villeurbanne. C’est un petit rouge-gorge,
fique à une centaine de mètres de la rivière Bonaventure, sur la fenêtre de mon bureau, qui a exhumé le souvenir de
que je pense. ce qui me manquait tant, et qui a fait céder un barrage de
Petit à petit, la contemplation du feu est devenue une de larmes, en plein milieu de l’open-space… J’ai pleuré des
mes activités préférées. Puis j’ai commencé à faire un peu litres. Et 48 h plus tard je me « faisais démissionner ».
sérieusement du canoë sur la Bonaventure et les rivières des Direction la Drôme, où j’ai retrouvé une nature plus pré-
environs, pour retrouver cet état de grâce, cette sérénité, ces sente. Des montagnes, des forêts, des gens plus simples,
moments de communion et de contemplation. des rapports humains plus authentiques. Des animaux sau-
J’allais souvent dans la nature en famille ou avec des amis, vages.
mais j’ai toujours préféré y aller seul. Je me sentais plus vul- En guise d’ours, il y avait des sangliers, qui occupent sen-
nérable, en y étant tout seul. Et cette vulnérabilité me sem- siblement la même niche écologique et font à peu près la
blait affûter mes sens, mon attention à l’environnement. Me même taille. Les chevreuils étaient plus petits et les loups
reconnectait, plus ou moins consciemment, à cette peur plus fliqués, mais j’ai quand même retrouvé le contact avec
primaire, archaïque, et cette même peur donnait une saveur la Pachamama. Elle est magnifique, et bienveillante, ici
toute particulière à l’expérience : l’ouverture totale, la pré- aussi.
sence absolue. Et puis les stages, où, sans mentir, j’ai enfin pu retrouver

50 ∙ CARNETS D'AVENTURES ∙ N°62


CLIN D’ŒIL : RENCONTRE AVEC CARNETS D’AV.
Par Johanna
Février 2006, nous rando-bivouaquons à la Sainte-Victoire c’est pas un monstre, c’est un balai à chiottes ! Rassure-
avec Peyo, membre de randonner-leger.org, afin qu’il toi, ça n’a jamais bouffé personne. »
nous parle justement de la MUL et de tout ce que peut Cette réponse, autoritaire en même temps que rassu-
apporter ce concept de « l’ultraléger ». Ce sera d’ailleurs rante, et teintée d’un léger accent québécois, m’avait fait
le point de départ d’une chronique « voyager léger » dans éclater de rire.
Carnets d’Aventures, mais revenons à nos moutons, ou Des années après, je reconnais pourtant bien là David, à
plutôt à notre ours… la fois sérieux et drôle, efficace et doux, pragmatique et
- Vous connaissez David Manise ? nous demande Peyo. pédagogue, autant de qualités dont il continue de faire
- Non, répondons-nous (honte à nous ). preuve, et qu’il cultive et enseigne au travers des nom-
- Vous devriez le rencontrer. breux outils de formation qu’il a développés.
Moins de 3 mois plus tard, nous avons rendez-vous avec Cette belle rencontre et cette virée près des gorges des
David dans la Drôme où il réside, pour une rencontre sous Gats nous avaient éveillés à pas mal de choses, et avaient
forme, bien entendu, de bivouac dans la nature ! Carte en été le point de départ de la chronique de David dans
main, nous arrivons au village de Barnave, 200 habitants. Carnets d’Aventures. 15 ans plus tard, nous sommes ravis
Tout en faisant son sac, David nous présente sa petite de continuer à lui donner la plume et à le suivre, à travers
famille. ses publications et ses formations. En 2018, je suis allée à
L’une des premières choses dont je me souviens de lui est un des premiers stages Antifragile : gros kiff !
cette réponse faite à son fils (4 ans à l’époque) qui l’appe- Merci David .
lait apeuré du fin fond des toilettes : « Mais non Mathéo,

N°62 ∙ CARNETS D’AVENTURES ∙ 51


BIVOUAC UNE VIE À COUCHER DEHORS : DAVID

le plaisir de la vulnérabilité, de l’exposition aux éléments, Tout le reste était replié. Propre. Il m’a demandé si j’avais
de l’absence de filtres qui permettent cette contemplation, dormi là.
et ce rapport plus direct avec la forêt, la nature, le vent, la - C’est interdit ou pas ? Lui ai-je répondu avec un sourire.
montagne, la pluie et le feu. - Il a ri. Il a dit « ça dépend ».
Et mes premiers bivouacs « en mode dégradé », en France, - Si je vous paye un café ça fait pencher la réponse du bon
ont vraiment eu cette saveur particulière d’un retour aux côté ?
origines. D’un retour à mes premières amours, à mon en- Il a ri un peu. Il s’est installé. Il a bu un café avec moi. On
fance, à moi-même. a parlé du loup. On a parlé des touristes. On a parlé de la
montagne. Il en parlait de la même manière que je parle de
TRANSMETTRE ma rivière. Avec beaucoup de respect, et un amour infini.
J’ai fini par en faire une science, pour pouvoir la trans- Je lui ai raconté ma rivière. Je lui ai dit que je cherchais la
mettre. Mais chaque stage, pour moi, comprend toujours un même chose ici, mais 1800 m plus haut, dans les cailloux. Il
moment où je suis là, baignant dans la nature, entouré de m’a rendu ma tasse. Il a souri. Il n’a rien dit pendant un bon
gens géniaux, à simplement contempler le bien que ça fait, moment. Puis il m’a dit « je comprends ». Et il est parti sans
la beauté qui est là, et à quel point la nature et le fait d’y dire un mot de plus, en souriant. 
séjourner font du bien à notre corps, à notre esprit, et à nos
vies.
Et les bivouacs en montagne, ce milieu si particulier, si
changeant, si minéral, m’ont rapidement fait évoluer vers
une approche encore plus minimaliste, plus légère, et plus
proche des éléments.
J’ai dû dormir deux fois en refuge (non gardé) de toute ma
vie. J’ai toujours préféré le froid et la solitude, et me plan-
quer et ne laisser aucune trace de mon passage. Toujours
pour pouvoir être en contact intime avec la montagne, la
roche, la pluie et les éléments pour retrouver cet état si par-
ticulier, cette connexion.

« JE COMPRENDS »
Un matin d’automne, alors que je venais de passer une nuit
à la belle étoile, dans un coin paumé du sud du Vercors, un
garde du parc est venu à ma rencontre. Il m’avait vu de loin,
à la jumelle. J’étais en train de replier mon duvet et mon sur-
sac quand il est arrivé. Un café chauffait sur mon réchaud.

Ma fille au campement.

En montagne avec Yannis


Turlais, accompagnateur
en montagne et moniteur
en formation au CEETS.

Page de droite : ma
salle de sport, lors d’une
séance de cardio J

52 ∙ CARNETS D'AVENTURES ∙ N°62


DAVID’S LIFE, QUELQUES DATES
Né à Bruxelles en 1975.
Arrivé au Québec en 1978.
1994-1998 Anthropologie (et autres) à l’université Laval à
Québec.
Arrivé en France en décembre 2000, boulot alimentaire en
startup de 2001 à 2003.
Déménagement dans la Drôme en 2003 et création du forum
« vie sauvage et survie ». Premiers stages tests fin 2003.
2004 première asso (crapahute).
2006 début des chroniques pour Carnets d’Aventures.
2008 création du CEETS, Centre d’études et d’enseignement
des techniques de survie, en asso.
2011 création du CEETS en société pour pouvoir être mon
propre boss.
2016 sortie du « Manuel de [sur]vie en milieu naturel ».
2018 traduction de « Tout ce qui ne nous tue pas », lancement
de 3volution et création des stages Antifragile et Tribu.
2019 traduction d’ouvrages (notamment de « Les secrets de
vos super pouvoirs ») et sortie des trois manuels de survie :
forêt, montagne et grand froid.
2020 parution de « Instinct » avec Fabien Leblond et traduc-
tion de « Technologie primitive » (John Plant, de la chaîne
YouTube bien connue Primitive Technologies).
2021 sortie prévue en mars de « Quick and Dirty, antimanuel
de préparation physique pour la vie et la survie », et d’un
ouvrage sur la longévité humaine.

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N°62 ∙ CARNETS D’AVENTURES ∙ 53
BIVOUAC UNE VIE À COUCHER DEHORS : JOHANNA

UNE vie à coucher dehors

Johanna
des premières nuits à la belle
à Carnets d’Aventures

De l’expérimentation du grand dehors à la


création de Carnets d’Aventures en passant par
la start-up nation. Des années que Johanna et
Olivier goûtent à l’énergie de cette (re)connexion,
ce contact intime avec la nature et nos racines
profondes, et ils ne s’en lassent pas.

TEXTE Johanna PHOTOS Carnets d'Av

54 ∙ CARNETS D'AVENTURES ∙ N°62


Quintessence.
Marier plusieurs de nos loisirs
au cœur d’un même périple ;
kayak, bivouac, montagne,
marche, parapente. Découvrir
à la pagaie un vaste et sauvage
lac d’altitude, laisser nos
embarcations sur la grève pour
grimper sur les cimes alentour,
et nous y élancer pour des
vols à l’intensité esthétique et
émotionnelle mémorable.
Été 2019. Lac Bygdin, Norvège.

N°62 ∙ CARNETS D’AVENTURES ∙ 55


BIVOUAC UNE VIE À COUCHER DEHORS : JOHANNA

Découcher.
M
Le baccalauréat tout juste
en poche, nous découvrons
l’itinérance bivouac en montagne.
Et ce fantastique corollaire : oui,
il est possible d’arpenter les
es paupières tardent à vouloir descendre sur mes yeux grands
ouverts. La silhouette rassurante des chevaux longés à quelques
mètres danse doucement dans la nuit. Le clappement de leurs
puissantes mâchoires cisaillant les brins d’herbe alentour ha-
bille le silence. La chaleur de la journée s’est évaporée avec le
crépuscule, et l’air sur ma peau est doux et sec. Nuit d’été en
Provence. L’immensité du ciel étoilé me prend tout entière.

AU RAS DES MARGUERITES


J’ai une dizaine d’années, j’habite le Var et je pratique assi-
dûment l’équitation. Les occasions de partir en randonnée de
deux jours ne sont pas fréquentes mais je les saisis toutes. C’est
là que se forgent mes premiers souvenirs de bivouac, et sans
doute aussi le début d’un lien avec la nature qu’aujourd’hui
encore je continue de tisser.
cimes, sa tente sur le dos, sans
rentrer le soir entre quatre murs ! Au petit matin, Marguerite, la tenancière du subtilement nom-
Été 1993, vallée des mé haras des Marguerites – jeu de mots que je mettrai des an-
nées à comprendre –, nous réveillait en nous tendant des bols
Merveilles, Mercantour.
garnis de cacao en poudre. Les jeunes poulains étant restés au
haras, il nous fallait traire les juments. D’un geste maladroit,
nous recueillions dans nos bols le nectar tiède qui faisait mous-
ser notre chocolat. Ma madeleine !

ON PEUT DORMIR DEHORS !


Cela semblera banal à ceux que leurs parents emmènent en
randonnée itinérante depuis leur plus jeune âge, de mon
côté, toute jeune adulte, c’est en montagne que je fais mien ce
concept : oui, on peut assez aisément arpenter les cimes, sa
tente sur le dos, sans rentrer le soir entre quatre murs. Munis
d’un abri mono paroi premier prix, de sacs de couchage aussi
lourds que peu isolants, d’un campingaz antédiluvien et de sacs
à dos remplis de nos incertitudes, nous voilà partis quelques
jours dans le Mercantour. Pour moi tout est nouveau ; la vallée
des Merveilles l’est à plusieurs titres.
Pique-niquer à un col n’est plus le point d’aboutissement de la
randonnée, mais la porte d’entrée vers un ailleurs à découvrir.
Trouver un lac aux abords duquel planter la tente occupe la
moitié de l’après-midi. Regarder le ciel vespéral s’embraser en
sirotant une soupe en sachet, qui n’aura plus jamais la même
saveur, devient un rituel. Se demander qui de la fraîcheur ou
des sons mystérieux de la nuit est responsable de ses frissons.
Se tortiller comme un ver pour s’extraire du duvet et aller vider
sa vessie, la truffe à l’affût d’une étoile filante. Se laisser sur-
prendre par l’ombre imposante de la montagne endormie. Finir
par se laisser glisser dans les bras de Morphée, et, pendant
que le sommeil se peuple de rêves, laisser la mémoire consi-
gner avec soin les nouvelles expériences acquises au cours de
la journée. Le lendemain, être libre de poursuivre où bon nous
semble.
Parfois, une graine semée met des années avant de germer, et
cette petite aventure, bien que marquante, n’en déclenche pas
d’autres pour autant, en tout cas pas tout de suite…
Les années qui suivent sont ponctuées d’incursions dans la na-
ture, souvent de courte durée, typiquement un weekend com-
prenant une nuit dehors. Ces virées permettent de découvrir
des choses simples : déguster des pommes de terre cuites dans
la braise d’un feu victorieusement allumé après 36 essais… Tout
comme de plus exotiques : descendre une rivière à pied – pré-
mices du canyoning, activité à laquelle nous nous adonnerons
activement quelques années plus tard – ; voire carrément sau-

56 ∙ CARNETS D'AVENTURES ∙ N°62


Épopée.
Au départ de notre
aventure des « bateaux »
en polystyrène.
Heureusement, Johanna
est bien protégée par
son casque de vélo et sa
chambre à air de moto !
1996, massif des
Maures dans le Var.

À nous la liberté !
Sacs trop lourds mais
grands sourires pour
grenues : descendre une rivière (la même, la « Giscle », dans notre randonnée
le massif varois des Maures) sur des embarcations pompeuse-
itinérante sur le GR4.
ment nommées « bateaux » faites de plaques de polystyrène
2002, Alpes du Sud.
assemblées avec de la colle... soluble dans l’eau. Au fil de la
descente, évidemment tout se démembre, pas la peine de vous
raconter la suite. Pour le volet Mac Gyver, on repassera. Quant
au volet écologique...

ENCORDÉ MAIS LIBRE


Des années plus tard, des amis – ceux-là mêmes qui nous ont
initiés à l’escalade (merci @benelu !) – nous offrent cet ouvrage
dans lequel Patrick Berhault raconte sa traversée de l’arc alpin
de 5 mois, en gravissant les voies remarquables des principaux
sommets. Décidé à voyager sans moyen motorisé et emballé
par cette pureté du cheminement, c’est à pied et à vélo qu’il
réalise les jonctions entre les massifs. Au-delà de l’aventure
d’alpinisme racontée dans ce livre, je suis enthousiasmée par
cette approche du voyage. Sa temporalité longue, sa dimension
immersive, son éthique sans moteur, et son accessibilité : nous
pouvons (presque) tous prendre quelques affaires et partir à
pied du pas de notre porte.
Des connexions se font dans mon cerveau et les tiroirs de ma
mémoire s’ouvrent : n’avais-je pas déjà ressenti en montagne
ce vent de liberté ? Quelques semaines plus tard, au printemps
2002, sac à dos chargé d’un équipement à peine moins antique
que dix ans auparavant, nous voilà partis sur le GR4. À nous le
chemin ! Notre émancipation pèse toutefois son poids – trop
de vêtements de rechange, d’éléments inutiles, du matériel ina-
dapté –, si bien qu’un problème de genou vient stopper notre
envolée au bout de quelques jours à peine. Un peu déçus mais
tout de même réjouis du potentiel effleuré lors de cette petite
aventure, nous rentrons par le train des Pignes, découvrant à
cette occasion le plaisir de la mobilité douce.

DEUX C35 SUR LA LIGNE DE DÉPART


QUATRE COUILLONS DANS LEURS CAMIONS
L’année 2002 continue de défiler et avec elle un tournant dans
notre existence. Nous quittons le monde de l’ingénierie et des
start-up (eh oui, la start-up nation existait dès la fin des années
90) pour une année de transition vers nous ne savons pas en-
core très bien quoi.
Quelques semaines de voyage « sac à dos » en Amérique latine
nous emmènent du lac Titicaca au salar d’Uyuni en passant par
le Machu Picchu. Enthousiasmés par ce que nous avons vu,
nous rentrons toutefois avec un questionnement : nous n’allons

N°62 ∙ CARNETS D’AVENTURES ∙ 57


BIVOUAC UNE VIE À COUCHER DEHORS : JOHANNA

visiter que les lieux estampillés par les guides touristiques et


devons composer avec les conditions et aléas des transports en
commun avec lesquels nous nous déplaçons. Bref, nous restons
dans les « couloirs Lonely Planet ». Fussent-ils très beaux pour
la plupart, nous aspirons à davantage d’indépendance.
Nous pensons en trouver lors du périple suivant : moins d’un
mois après notre retour de Bolivie, avec un couple d’amis, à
bord de deux vieux fourgons C35 que nous venons d’acheter
et d’aménager sommairement, nous prenons la route direction
l’Afrique. Nous irons, dormirons et nous arrêterons où bon nous
semble. La voilà donc la véritable liberté !
Dès la traversée des Pyrénées, le chauffage et les essuie-glaces
tombent définitivement en panne. Fin novembre c’est fâcheux,
mais peu importe : nous filons plein sud. Là-bas, au-delà de la
Méditerranée, c’est, pour sûr, chaleur et sécheresse que nous
allons trouver. Quelques jours plus tard, sur une autoroute ma-
drilène, la batterie nous explose à la figure, nous obligeant à un
arrêt d’urgence sur la bande éponyme. Jamais deux sans trois...
ou peut-être devrais-je dire quatre : une fuite d’huile significa-
tive nous empêche depuis quelques jours de nous garer inco- A caballo ! Vers l’infini et au-delà.
gnito plus de cinq minutes d’affilée. Johanna renoue avec Randonnée dans le
Au fil du périple, les ennuis avec les fourgons s’enchainent, si
ses amours de jeunesse : sud Lipez bolivien,
bien que nous finissons par passer un temps non négligeable à
l’itinérance à cheval ! laguna Colorada et
boire du thé à la menthe chez les petits garagistes du coin. Ma-
roc, Sahara Occidental, Mauritanie, une belle découverte cultu-
Ces quatre jours de chevauchée Licancabur à l’horizon.
relle. Dans un village sénégalais, capot grand ouvert, notre dans les montagnes rouges de la Vent de liberté au sein d’un
C35 exsangue offre les entrailles de son moteur à la moitié des cordillère des Chichas, où furent « couloir Lonely Planet ».
hommes du quartier venus prêter main-forte à celui qui se pré- pourchassés les célèbres hors la 2002. Voyage sac à
tend « mécanicien auto ». Chacun y va de son coup de marteau, loi américains Butch Cassidy et dos en Amérique.
de masse ou de tournevis, nous tremblons. Miraculeusement, Sundance Kid, enthousiasment
après de longues heures de ce traitement de choc(s), l’engin également Olivier, qui a
finit par redémarrer. Dix jours plus tard, notre périple s’achève revêtu pour l’occasion
au Mali avec la vente du camion qui commence là sa deuxième son chapeau de shérif.
vie en tant que taxi-brousse. 2002. Région de Tupiza, Bolivie.
De retour en France, nous en avons notre claque de la méca- (en haut à gauche et en bas)
nique automobile : nous décidons d’opter pour le voyage sans
moyen motorisé ! Nous en avons déjà goûté les joies et en appré-
cions l’élégance. Notre prochain projet sera « by fair means ».

58 ∙ CARNETS D'AVENTURES ∙ N°62


Le moteur de la transition.
Notre bringuebalant
fourgon C35 au pied
d’un baobab. En manque
d’escalade, Olivier monte
voir là-haut si j’y suis.
2003. Sénégal.

Fenêtre sur l’horizon.


Le golfe d’Orosei en
Sardaigne nous a ravis
par son littoral minéral
impressionnant.
Été 2003.

De l’autre côté.
Sur une plage tunisienne,
nous profitons d’un des
derniers bivouacs de
notre traversée de la
Méditerranée en kayak.
Été 2003.

CAP SUR L’AFRIQUE


Quelques années plus tôt, tentés par le voyage au fil de l’eau et
forts de notre expérience des « bateaux » en polystyrène, nous
avions acheté des kayaks sit-on-top et réalisé le tour de l’île de
Formentera aux Baléares. Emballés par l’alternance de navi-
gation, de nage « snorkelling » et de bivouacs sur les plages,
nous commencions là une histoire d’amour avec l’itinérance en
kayak de mer qui se poursuit encore aujourd’hui.
Alors au printemps 2003, de retour du Mali, notre prochaine
aventure se dessinait donc ainsi : Cap sur l’Afrique ! Encore ?
Oui, mais en kayak cette fois-ci ! Traverser la Méditerranée à la
pagaie, voilà ce qui nous animait. Nous sommes trois à partir
pour l’intégralité du projet, Stéphane, un ami, Olivier et moi.
Nous serons ponctuellement rejoints par quelques compa-
gnons.
Après quelques préparatifs – consistant principalement à ac-
quérir, si ce n’est l’expérience, au moins le matériel nécessaire,
et notamment les kayaks1 – nous nous élançons fin juin 2003
des côtes italiennes pour deux mois de robinsonnade. Les îles
d’Elbe et de Capraia nous permettent d’arriver en Corse via des
traversées hauturières ne dépassant pas la quarantaine de kilo-
mètres. Nous voyageons ensuite le long de la côte ouest de l’île
de Beauté, traversons les bouches de Bonifacio par une météo
exceptionnellement clémente, et longeons le littoral sarde par
l’est. Parvenus à l’extrême sud de la Sardaigne, il nous reste
un gros morceau : une traversée hauturière de 165 km pour
atteindre l’île tunisienne de la Galite. Nous pagayons 42 heures
non-stop, dont 2 nuits complètes, dans des conditions météo
en partie défavorables. Des hallucinations animent notre deu-
xième nuit de navigation, certaines sont même collectives !
Enfin, après 53 heures sans dormir, nous touchons terre. Vides
d’énergie mais remplis d’allégresse, nous nous écroulons sur
la grève. Trois jours de repos plus tard, nous effectuons la der-
nière traversée hauturière du périple, encore 40 kilomètres
pour poser nos pieds sur le continent africain proprement dit.
L’aventure n’est pas tout à fait terminée, il nous faut encore
quelques jours pour atteindre la ville tunisienne de Tabarka

N°62 ∙ CARNETS D’AVENTURES ∙ 59


BIVOUAC UNE VIE À COUCHER DEHORS : JOHANNA

d’où nous pourrons organiser notre retour (par voie maritime


à nouveau, mais motorisée cette fois puisqu’à bord d’un ferry)2.
Je ne sais si cela vient de mes sens éveillés, enfant, sur le lit-
toral varois, mais j’ai aimé ce contact prolongé avec la grande
bleue. Le parfum salé de la mer, le contact enveloppant de l’eau
sur mon corps, la douceur du sable chaud entre mes orteils.
J’aime sa couleur azur quand je nage, son bleu profond quand
je plonge, le reflet de la lune et les mille feux du plancton phos-
phorescent dans ses ténèbres limpides.
Ce voyage m’a aussi montré que j’aimais le kayak, sa simplicité,
sa glisse, la cadence hypnotique des pagaies. Et que par-dessus
tout, j’aimais vivre et dormir dehors, cette existence simple en
connexion directe avec la nature et nos besoins fondamentaux.
Peut-être aussi que j’y ai trouvé la liberté, celle à laquelle j’aspi-
rais. À l’issue de ces deux mois passés en Méditerranée, je me
sentais comme un poisson dans l’eau. Je ressentais au plus pro-
fond de moi que j’aurais pu continuer ainsi des années. Je me
sentais chez moi.

LES CARNETS
Au retour fin août 2003, une année s’était déjà écoulée depuis
que nous avions quitté le monde du travail et il était temps de
penser à la suite. En couchant sur le papier les moments forts
de notre périple, émergea l’idée d’un magazine rassemblant de
tels récits, l’itinérance en bivouac et sans moteur au cœur de la
ligne éditoriale.
La graine des Carnets était semée. Elle germa assez rapide-
ment. Forts de la candeur de notre complète inexpérience dans
le domaine de l’édition, les avertissements nombreux sur la
mauvaise pente que prenait la presse écrite n’affectèrent aucu-
nement notre motivation. Carnets d’Expé n°1 sortit début 2004.
Heureusement son look fanzine amateur et sa mise en page
approximative ne rebutèrent pas les lecteurs, qui eurent ainsi
le plaisir de le voir évoluer au cours des années !
La suite, nombre d’entre vous la connaît : changement de nom
au bout de 7 opus, Carnets d’Aventures n°1 parait au printemps
2005, et les numéros s’enchainent régulièrement depuis.

LA TRIBU DES VOYAGEURS NATURE


Le fait que « les Carnets » rencontrent un lectorat de plus en
plus nombreux et enthousiaste témoigne de l’essor des activités déplacé plusieurs fois par an à la force des muscles (ceux des
de pleine nature, du bivouac, et du voyage « by fair means ». Le hommes comme ceux des bêtes), m’a fait réaliser que l’itiné-
plaisir, à la fois élémentaire et puissant, de vivre et dormir dans rance sans moteur existait depuis la nuit des temps. Nous, avec
la nature ne laisse personne indifférent. nos connaissances, cartes et équipements modernes, n’avions
Un autre aspect motivant de ce type de voyage, c’est qu’il peut bien sûr rien inventé.
prendre de multiples formes. Les moyens d’arpenter le monde Quelques semaines après notre retour, une banale conversation
sans moteur sont nombreux, leur combinaison encore plus. dans les vestiaires d’une salle d’escalade m’a laissée pensive.
Chacun peut imaginer le trip de ses rêves, et, assez simplement, « La Mongolie ? Ce doit être joli, mais ce pays ne m’intéresse
en faire une réalité. Et plus on essaye, plus on a d’idées ! La faci- pas ; il n’y a personne là-bas et moi, je voyage pour aller à la
lité de les partager (Carnets d’Av., sites web, réseaux sociaux…) rencontre des autochtones. C’est l’échange culturel qui m’inté-
participe à ce bel élan. Les projets réalisés, les siens ou ceux des resse », me dit une jeune trentenaire apprêtée. S’il est vrai que
autres, en font naitre de nouveaux. la Mongolie est le troisième pays le moins densément peuplé au
De notre côté, si l’itinérance en kayak de mer continue de nous monde, il compte tout de même plus de 3 millions d’habitants.
enchanter, nous aimons varier les plaisirs, trek, vélo grimpe, Souhaitait-elle en rencontrer davantage ? En outre, s’initie-t-
VTT BUL, kayak slack, marche et vol, paddle, kayak et para- elle à la langue des pays qu’elle « fait » afin d’enrichir l’échange
pente… La tribu des voyageurs nature est de plus en plus vaste, culturel ?
motivée et inventive. Et cela me réjouit. Après deux mois à s’efforcer d’apprendre et comprendre un peu
de mongol, et à exercer nos maigres talents de dessinateur de
ONE STEPPE BEYOND hiéroglyphes, j’avais pris un peu plus conscience de la délica-
En écrivant l’édito du précédent numéro (CA61) au sujet des tesse de la communication, d’autant plus lorsqu’elle met en jeu
grands espaces, je me suis replongée dans l’ambiance de notre des individus aux existences et cultures si différentes. Se ques-
voyage de 2005 à travers les steppes de Mongolie. Voyager tionner sur nos modes de vie, nos possessions, notre rapport à
deux mois au sein de cet environnement ne m’a pas seulement l’autre et au voyage, bousculer notre égo et notre pseudo-supré-
permis de réaliser un rêve. La rencontre avec un peuple fon- matie, font partie des choses que ce voyage a suscitées en moi.
damentalement nomade et vivant dans un habitat léger, et Vaste programme.

60 ∙ CARNETS D'AVENTURES ∙ N°62


COLLECTOR !

Autowash.
Les grimpeurs se plaignent
souvent de la mauvaise
odeur des chaussons.
Quand en plus, ils
faisandent humides et
salés au fond d’un caisson
de kayak, il devient
urgent de lâcher prise.
Septembre 2011. Itinérance
kayak en Croatie.

Ralentir.
« Les paresseux sont des
mammifères arboricoles
[…] de taille moyenne au
mode de vie original : ils
sont presque toujours
suspendus à l’envers
dans les arbres et se
déplacent avec lenteur. »
(source Wikipédia).
Septembre 2011. Itinérance
kayak en Croatie.

Ivre de steppes*.
Pour notre pause casse-
croûte (humaine et
équine), on n’est pas
gênés par les voisins.
Été 2005. Mongolie.
*C’est le titre d’un très
bon livre de Marc Alaux
édité chez Transboréal.

N°62 ∙ CARNETS D’AVENTURES ∙ 61


BIVOUAC UNE VIE À COUCHER DEHORS : JOHANNA

Terre de glace et de feu. Tapis de mousse.


Beaucoup de ce qui nous Souvent, quand la quasi-
fait vibrer en Islande totalité de l’espace est LE GRAND NORD À PORTÉE DE MAIN
est réuni sur ce cliché. propice à poser sa tente, on Fin juin 2008, c’est à bord du train de nuit Briançon-Paris, dans
Vaste calotte glaciaire, est confrontés au problème lequel nous embarquons au pied de chez nous à Chorges, que
volcans épars, lacs de de ceux qui n’en ont pas : nous prenons la direction du (grand) nord. Nous avons en effet
cratère, camaïeu d’ocres l’embarras du choix. décidé d’explorer les destinations accessibles en transports de
et fumerolles soufrées. Et 2008. Traversée de surface, et elles sont nombreuses3 ! (Non pas que nous ayons
puis surtout, l’immensité. l’Islande à pied. scellé dans le marbre un engagement à ne plus jamais nous
2008. Traversée de envoler – nous le faisons si souvent en parapente  –, mais
tout trajet non consommé n’est... pas consommé !)
l’Islande à pied.
Chemin de fer, bus, stop et 72 heures de ferry (via les îles Fé-
roé) nous permettent, quelques jours après notre départ de la
maison, de poser nos pieds sur le sol islandais. Nous sommes
d’autant plus émus que nous avons pris le temps d’arriver là,
de ressentir les dimensions de la Terre (et de la mer), de voir les
biotopes évoluer, et la nuit céder la place au jour à mesure que
la latitude augmente.
Plusieurs semaines durant nous marchons et campons dans
une nature à l’état brut, éprouvons la puissance des volcans
– souvent juchés sur des glaciers immenses, parfois nichés
dessous –, touchons du doigt les entrailles de la planète, et
assistons à ses sautes d’humeur que nous apprenons à la fois à
craindre et à apprécier. Bivouaquer non loin des fumerolles et
des marmites bouillonnantes crachant leurs vapeurs soufrées
marquera ma mémoire. Une belle claque.
En remontant dans le ferry au mois d’août, je sais que je re-
viendrais. En Islande, ce sera d’ailleurs le cas en 2013, pour
un second voyage qui, je l’espère, en appellera un troisième.
En Scandinavie aussi. Ce que recèlent ces grands espaces n’a
de cesse de me fasciner, et de m’inviter au(x) voyage(s). En
2010, c’est en kayak de mer que nous découvrons les îles nor-
végiennes. En 2019, nous plantons de nouveau nos pagaies
sous ces latitudes. D’abord en Suède dans l’archipel de Fjäll-
backa, en compagnie de deux amis et d’un berger blanc suisse
à la truffe marine. Puis en Norvège sur des lacs de montagne,
avec des petits parapentes légers dans nos compartiments
étanches… Cette aventure mêlant l’eau, l’air et la terre est pour
nous une nouvelle expérimentation qui donne à la fois envie de
la renouveler, et d’en inventer de nouvelles. Ce ne sont pas les
idées qui manquent ! 

62 ∙ CARNETS D'AVENTURES ∙ N°62


Condensé de bonheur.
Nos kayaks et notre bivouac nous
attendent sagement, minuscules,
sur les berges du lac. Ce matin à
l’aube (ou ce qui y ressemble l’été
sous ces latitudes), nous nous
sommes sentis pousser des ailes
alors nous sommes partis à pied
pour gravir un sommet voisin.
Au milieu d’un amas rocheux
d’altitude, un névé providentiel
nous offre un lieu idéal de
décollage. Après avoir survolé
un glacier, nous contournons une
crête et débouchons plein gaz sur
le lac. La gorge serrée d’émotion
et les yeux humides de joie, je sais
à ce moment-là que je reviendrai.
Été 2019. Lac Bygdin, Norvège.

Miroir, mon beau miroir.


Sur la dernière des îles
de notre périple en kayak
de mer dans l’archipel de
Tromsø, un portage de 3 km
nous permet d’atteindre
ce magnifique lac. Après
deux semaines de mer,
de vents et de courants,
il est bon de faire les
marins d’eau douce !
2010. Nord de la Norvège.

Notes
1) Lire CA56 p.90.
2) Les curieux trouveront le récit de notre traversée de la Médi-
terranée sur MyTrip : expemag.com/carnet/la-grande-traversee
Certains se souviennent peut-être aussi de l’article de Carnets
d’Expé n°1 qui, début 2004, retraçait cette aventure marquante
à plusieurs égards : un tournant dans notre vie et la première
brique du magazine !
3) Outre l’intégralité de l’Europe, rappelons que la Scandinavie
est accessible en train (voir le dossier Laponie de CA57), l’Islande
en ferry depuis le Danemark, l’Asie en train (Transsibérien et
Transmongol), l’Afrique du Nord en ferry, etc. ! Cf. notre hors-série
« Le voyage écologique » : expemag.com/go/hsve, et l’édito de
CA 58 : expemag.com/go/edito58.

N°62 ∙ CARNETS D’AVENTURES ∙ 63


BIVOUAC UNE VIE À COUCHER DEHORS : ANTHONY

64 ∙ CARNETS D'AVENTURES ∙ N°62


Juste ça.
Un bivouac, un ami, un
cadre idyllique. En faut-il
davantage pour vivre
un moment précieux ?

UNE vie à coucher dehors

Anthony
à contre-courant
vers les montagnes

En 2007, Anthony découvre le bivouac. 13 ans plus


tard, cette pratique est au cœur de sa vie, et il fait
partie de l’équipe de Carnets d’Aventures.
Que s’est-il passé entre-temps ? C’est un exercice
délicat que d’en fouiller les profondes motivations.
Voici une tentative de réponse, la liberté en filigrane.

TEXTE Anthony

PHOTOS Anthony et a(l)colytes (anonymes mais qui se reconnaitront)

N°62 ∙ CARNETS D’AVENTURES ∙ 65


BIVOUAC UNE VIE À COUCHER DEHORS : ANTHONY

Découverte.
Le tout premier soir, du
tout premier bivouac sur le
GR54. Déjà convaincu par
la MUL et son aspect DIY,
j’avais bricolé une paire
L e commencement tient en quatre caractères : GR54. Un sigle
gravé dans ma mémoire. C’est sur ses sentiers que tout a
débuté, où tout a basculé devrais-je dire. Cinquante-quatre,
le chiffre du grand tour des Écrins. Le chiffre de l’expérience
initiatique pour moi. Le matin du 20 août 2007, à peine ai-je
atteint le col de la Muzelle que des larmes coulent sur mes
joues. Me voilà depuis 5 jours sur le GR et l’émotion monte
crescendo avec la dénivellation. J’aimerais exprimer toute
la joie qui s’empare de moi mais seuls quelques sanglots
sortent. Comme une impression d’avoir testé une drogue
de tongs avec une plaque et d’aussitôt en réaliser la potentielle addiction. Était-ce le
de mousse pour m’aérer goût de la liberté ?
les pieds au bivouac. Elles Ce GR54 est quelque peu le fruit du hasard. Début juillet,
n’ont pas tenu plus de 2 j’errais sur internet, à la recherche d’une idée pour occuper
soirs, mais l’esprit y était ! mes 2 semaines de vacances estivales. Une de ces déambu-
lations tardives, sans but précis, où l’on finit par oublier
pourquoi on a allumé l’ordinateur. Cette nuit-là, mes re-
cherches me conduisent sur randonner-léger, alias le site
des MUL. Son fondateur, Olivier, y raconte sa traversée des
Pyrénées en un mois par la HRP avec, évidemment, un sac
ultraléger. Je dévore son récit, aussi emballé par l’itinéraire
montagnard qu’intrigué par sa démarche minimaliste. Moi
aussi je veux faire ça !
Les soirs suivants, je parcourais le forum aux discussions
riches et animées. J’y dénichais les informations néces-
saires pour m’équiper et, cerise sur le gâteau, un partenaire
pour crapahuter en montagne. Fabien postait l’annonce
providentielle : « Très envie d’aller faire le tour des Écrins
mi-août je lance cet appel pour savoir si des MUL (ou moins
MUL) sont intéressés par cette aventure ! ». J’ignorais tout
des Alpes, mais ce nom à lui seul, Écrins, me semblait
déjà féerique. Le programme était alléchant : 9 jours et 8
nuits, en autonomie, au gré d’un sentier parsemé de somp-
tueux points de vue sur des hautes cimes et des glaciers.
Un monde inconnu que j’allais fouler, vivre, ressentir. Je le
contacte aussitôt, nos dates concordent, le courant passe.
Tout colle. À un mois du départ, le compte à rebours est
lancé, et je pars de zéro. En bon inexpérimenté, un mélange
d’excitation et d’anxiété m’accompagne. Obnubilé par le
GR54, j’occupe tout mon temps libre à ses préparatifs, j’ai
tellement hâte !
Telle une promesse tenue, l’expérience a été aussi mar-
quante que sublime. Un seul bémol : Fabien, malade, a été
contraint d’arrêter dès le 4e jour. Alors qu’on se connaît à
peine, il me laisse une partie de l’équipement commun pour
terminer. Je lui en serai éternellement reconnaissant. Dès
mon retour, je rédige un compte-rendu très terre à terre. Ces
quelques extraits suffisent à témoigner de l’intensité avec
laquelle j’ai vécu cette itinérance :
« Nous sommes le mercredi 15 août, il est 6h. L’heure a sonné,
la nuit a été difficile tant l’envie de partir m’emplit jusqu’au
bout des ongles ».

66 ∙ CARNETS D'AVENTURES ∙ N°62


GR54.
Une expérience initiatique
qui a certainement
beaucoup joué, ensuite,
sur mes choix de vie. Je
m’y suis senti si bien, plus
proche de la nature et
libéré de toute contrainte !

« sans lui [Fabien] je n’aurais jamais pu découvrir la mon- MONDE PARALLÈLE


tagne, et j’en suis, je crois, déjà devenu accro … » Grâce au bivouac, la randonnée s’affranchissait d’une
Alors étudiant en école d’ingénieur, j’avais 20 ans et les pre- contrainte majeure : revenir chaque soir au point de départ.
mières désillusions sur une carrière dans le domaine émer- Ultime frontière des activités à la journée, la nuit devenait
geaient timidement. Un terrain fragile sur lequel le GR54 a une complice plutôt qu’un frein, il n’était plus question de
posé une bombe. Mes dernières certitudes ont volé en éclat. retour mais d’étape, le bivouac comme jalon de ma progres-
La déflagration a soufflé un vent de liberté sur ma vie. sion. Un nouveau monde aux possibilités infinies s’ouvrait
et je m’y engouffrais volontiers.
DE LA DÉSILLUSION À LA RÉVÉLATION C’est d’abord cette sensation de liberté qui m’a profondé-
J’aimerais pouvoir dire que les récits d’explorateurs ont ber- ment marqué : je pouvais arpenter la nature, avec ma mai-
cé ma jeunesse. Qu’adolescent j’allais me perdre plusieurs son sur mon dos. J’allais où je voulais et quand je voulais,
jours en forêt. Que j’ai hérité d’une fibre aventurière fami- ou presque. À vrai dire, le bivouac imposait évidemment de
liale. Que nenni. Si entre 12 et 18 ans, j’ai pratiqué plusieurs nouvelles contraintes et une organisation plus rigoureuse.
sports d’endurance, – principalement de la course à pied, Des broutilles, vite balayées par la prégnante liberté fraîche-
de l’aviron et du vélo – tous se limitaient à la journée. Et ment acquise. L’autonomie sous-jacente, bien que relative1,
chaque soir c’était retour à la case départ. décuplait ce sentiment, et m’émancipait peu à peu d’un
Ces activités, de bon défouloir sont devenues entraînement. cadre de vie qui semblait m’étreindre dans une direction
Puis, comme sport implique trop souvent compétition, on indésirable.
nous apprenait davantage à surveiller nos performances Dès le retour du GR54, la montagne est devenue ma priorité
qu’à reconnaître la faune et la flore. Un contexte dans le- numéro 1 et un excellent prétexte pour échapper au tumulte
quel je ne m’épanouissais pas, et qui m’a conduit à préférer de la vie. J’abandonnais les tracas du quotidien dans la val-
musarder devant un ordinateur plutôt que de faire fumer le lée pour retrouver ce monde parallèle idyllique dans lequel
chronomètre. Heureusement, mes parents ont su entrete- tout me séduisait : la relation avec la nature évidemment,
nir un lien plus doux avec la nature : promenades pendant mais aussi le contact humain, à mon grand étonnement.
lesquelles la découverte remplaçait agréablement la perfor- Quelle belle surprise d’y rencontrer la bienveillance : on
mance. Mais je ne soupçonnais pas un seul instant la pra- se croise, on se salue, on échange. D’égal à égal, sans juge-
tique du bivouac… ment. Je n’en revenais pas, tant et si bien que ma timidité
Puis je suis entré en classe prépa. Maths et physique rem- naturelle s’effaçait peu à peu. Le bivouac brisait les chaînes,
plaçaient le sport. Manque de temps ? Excuse facile. Trois et son pouvoir magique s’immisçait dans mon quotidien.
ans plus tard, vous comprenez comment le GR54 a eu l’effet Dans ce monde parallèle, tout semblait possible, l’imagina-
d’une grande bouffée d’oxygène après une longue apnée. tion pour seule limite.

N°62 ∙ CARNETS D’AVENTURES ∙ 67


BIVOUAC UNE VIE À COUCHER DEHORS : ANTHONY

ALLER DROIT AU BUL poser le bivouac aux itinérances à vélo. Toujours la même
Un mois avant de m’engager sur le GR54, je n’avais aucun quête de liberté en tête : ne pas revenir au point de départ
équipement et personne capable de m’en prêter. Il fallait le jour même. Je n’avais pas de sacoches, alors je suis parti
tout acheter, ou presque, avec mon budget limité d’étudiant. avec mon sac à dos de marcheur, minimaliste. Et, une fois
La démarche MUL prolongeait mon sentiment de liberté de n’est pas coutume, j’ai adoré ça, même avec un équipement
la plus belle des manières, à commencer par le détachement peu adéquat. Par exemple, je suis parti rouler quelques jours
matériel. Se contenter de peu, pour gagner en mobilité et en en Corse en plein mois de février, sans tente ni réchaud. Un
légèreté, de sac et d’esprit. L’aspect économique couronnait petit sac à dos de 20L sur le dos et une minuscule sacoche
le tout : si certains équipements « light » sont plus chers, la de guidon : petit équipement pour grand bonheur.
dépense supplémentaire était équilibrée par d’autres items J’en suis revenu si enchanté qu’une nouvelle idée saugrenue
qui ne coutaient rien ou presque : un tarp avec une bâche, a jailli de mon cerveau : rejoindre Bristol, où je devais effec-
un réchaud P3RS… Toute cette démarche impliquait une or- tuer 5 mois de stage de fin d’études à vélo ! Et voilà comment
ganisation rigoureuse qui n’était pas pour me déplaire. Geek je me suis lancé dans mon premier cyclo-déménagement,
comme j’étais, je passais des heures sur Excel, une manière avec bien plus d’inconnues que de certitudes. Enfin, je de-
de patienter en attendant de mettre, enfin, le nez dehors. vrais dire “nous”, car mes parents m’ont bien accompagné
C’est donc grâce à randonner-leger que je me suis pointé au dans ma démarche : des heures de bricolage pour parvenir
départ du GR54 avec un sac à dos de 10 kg, incluant 2L d’eau à emporter tout le nécessaire sur un vélo absolument pas
et 6 jours de nourriture. Honnêtement, j’étais fier. Pourtant, prévu à cet effet. Ordinateur et vêtements, en plus du ma-
la première journée a été magnifique et épuisante à la fois, tériel de bivouac. Mes cuisses le supportaient déjà diffici-
Fabien se souvient encore de ma fatigue le soir au bivouac. lement, mais c’est le vélo qui a cédé en premier : à peine
On ne s’improvise pas montagnard. Quoique, dès la se- 3 jours après le départ, « allô papa, je viens de casser un
conde journée, j’avais trouvé mon rythme, et chaque jour rayon ! ». Et à l’époque, je n’en connaissais pas un en méca-
je me sentais de mieux en mieux, comme une acclimata- nique vélo. Malgré tous les aléas, je pouvais déjà en tirer un
tion accélérée. Si rapide que j’avançais de plus en plus vite, bel enseignement : si rien ne se passe comme prévu, tout
obsédé par l’envie de découvrir ce qui se cachait derrière le peut toujours bien se terminer. Une maxime que je devrais
col suivant. Le dernier soir, il s’est mis à neiger. Sentiment toujours mieux intégrer aujourd’hui !
mitigé, partagé entre l’allégresse de voir quelques flocons Pendant tout le stage, j’ai sillonné les routes de Grande-Bre-
en août et la crainte que la situation empire. J’étais seul, et tagne dès que l’occasion se présentait. Je passais beaucoup
on ne s’improvise pas montagnard.
Des erreurs, il y en a eu dès cette première expérience. Je
me rappelle encore à quel point j’étais écœuré par la quan-
tité d’oléagineux ingurgitée, au ratio énergie-poids incom-
parable. Pour le goût, on repassera. Je ne courais aucun
risque, mais j’avais beaucoup à apprendre. La montagne
ne donnait pas de leçon mais elle était une nouvelle école,
celle de la vie. Dans ce milieu, l’approche minimaliste aigui-
sait mes sens : il fallait apprendre à être humble face aux
éléments.
La démarche d’allègement est ensuite sortie du cadre
unique de la randonnée. Je l’ai déclinée dans tout ce qui
me permettait de bivouaquer, pour devenir le BUL : Bivouac
Ultra Léger. À moindre échelle, elle a aussi déteint dans ma
vie quotidienne, pour tenter d’échapper au poids du maté-
rialisme.

DÉCLINAISONS
Pendant mes études, je me suis intéressé à tout ce que pou- Essai concluant. Déménagement et émotions.
vaient offrir la montagne et son milieu si particulier. Pour- J’ai vite transposé le Encore aujourd’hui, je
tant, mon école était à Poitiers : là-bas, l’horizon s’élance bivouac à d’autres activités. me demande comment
vers l’infini sans qu’aucun relief ne le perturbe. Je prenais Mais je n’avais qu’un vélo ça a marché ! Colliers de
mon mal en patience et retournais parcourir les cimes dès de route pas prévu pour plomberies et pièces taillées
que possible. Grâce au forum des MULs j’ai aussi rencon- recevoir des sacoches. Tant sur mesure avec mon père,
tré Yann avec qui j’ai pu découvrir un bout des Pyrénées, pis : enchanté par le BUL, pour que le vélo (inadapté !)
le temps de quelques weekends furtifs mais riches en émo- je suis parti en Corse en puisse accueillir 4 sacoches.
tions. Débordant d’enthousiasme, il a participé à ma pas- plein hiver avec un petit sac Et ça a tenu, malgré quelques
sion grandissante pour le bivouac. C’est d’ailleurs avec lui à dos (qui dépasse à peine péripéties. Avant de prendre
que j’allais, tout juste un an après le tour des Écrins, fouler ici) et une mini-sacoche de le ferry à Roscoff, je fais un
« le 4000 » au cœur du massif, le jour de mon anniversaire. guidon. Confort spartiate, crochet par la maison qui a vu
Un cadeau en or. Tiens, là aussi je me souviens avoir versé mais j’adorais ça ! mon enfance, à côté de Brest.
une larme.
La fin des études approchait quand j’ai eu envie de trans-

68 ∙ CARNETS D'AVENTURES ∙ N°62


Montagne fascinante.
Inexorablement, j’étais
subjugué par le spectacle
qu’elle offrait. Alors j’y
retournais autant que
possible, jamais rassasié.
Que ce soit pour installer le
tipi vers 3600m d’altitude
dans les Écrins, dormir à
la belle au point culminant
des Pyrénées, traverser
des glaciers à ski, admirer
des mers de nuages dans
le Vercors... D’excellents
prétextes pour partir,
même une seule nuit,
avec ma maison sur mon
dos. Merci à tous ceux qui
m’ont permis d’y aller !

N°62 ∙ CARNETS D’AVENTURES ∙ 69


BIVOUAC UNE VIE À COUCHER DEHORS : ANTHONY

Photo.
Mettre l’œil dans le
viseur a été un excellent
moyen de « calmer le
rythme ». Je prenais le
temps d’immortaliser
l’environnement dont je
raffolais. J’éprouvais un
réel plaisir à chercher les
belles lumières, quitte
à retourner aux mêmes
endroits, pas si loin de chez
moi. C’est donc en partie la
photo qui, paradoxalement,
m’encourage à ne pas
partir loin coûte que coûte.

de temps sur mon vélo, toujours avec de quoi dormir sous pique, quelle que soit l’activité pratiquée. Équipé, de plus,
mon tarp. Le bivouac est devenu principalement utilitaire : de matériel BUL, je m’amusais parfois à parcourir des dis-
bord de parking, alentours d’une gare, parc désaffecté… tances faramineuses, pour le plaisir de me sentir ultra-mo-
L’esthétique du bivouac était délaissée, tant que je pouvais bile. Donc ultra-libre.
voir du pays. Jusqu’à ce tour d’Écosse qui m’a laissé autant La nature était belle, elle n’avait plus la fadeur de mon ado-
de bons souvenirs que de piqûres de midges. Puis, je suis lescence sportive. J’espérais l’embrasser mais avouons-le,
rentré de stage, je vous le donne en mille, à vélo. j’avais davantage la tête dans le guidon que le nez au vent.
Tout mon temps libre gravitait autour du bivouac, j’avais mis Le monde de la compétition n’était pas sans séquelle, les
le doigt dans l’engrenage. Les études terminées, il était hors chiffres me semblaient aussi attrayants que le paysage. Et
de question d’habiter loin des reliefs. La montagne agissait au fond de moi planait le spectre d’une recherche de mes
comme une porte de secours facile vers la nature, à utiliser à limites : j’avais l’impression de pouvoir aller toujours plus
chaque fois que le besoin s’en faisait sentir. C’est-à-dire sou- loin, plus haut. En un temps limité, les fameuses 5 semaines
vent. Ma première recherche d’emploi s’intéressait autant de congés payés et 52 weekends. C’est ainsi que je me suis
aux missions proposées qu’à leur situation géographique. lancé, toujours seul et en bivouac, dans quelques projets
Lyon ? Trop loin. Grenoble ? Parfait ! « chronométrés » : tour de la Vanoise en 24h, tour des Écrins
Qu’est-ce que j’étais heureux d’avoir trouvé un job à Gre- en 3 jours, traversée d’un bon morceau de l’arc alpin à vélo
noble ! À l’époque, je croyais encore (naïvement ?) à un en une semaine… Et pourtant, lorsqu’on me demandait si je
possible équilibre entre une mission d’ingénieur et mes en- faisais beaucoup de sport, je répondais « non, mais je suis
vies d’itinérances en nature. Tous les weekends, toutes les beaucoup dehors ».
vacances y étaient consacrés. L’engrenage roulait sa méca- Il en a fallu des années et des bivouacs avant de calmer le
nique, si bien huilée que je cédais à tout prétexte pour aller rythme. Le doux bruit de la faune remplaçait le souffle hale-
dehors, sans jamais effleurer le moindre sentiment d’excès. tant, la beauté d’un point de vue dissipait toute dénivella-
Dormir sous la tente entre deux journées de taf, bivouaquer tion. Insidieusement, chaque nuit sous la tente tissait peu à
dans la neige, aller voir des amis à vélo… Un burnout d’ou- peu un lien affectif avec la nature. J’y trouvais enfin de l’har-
tdoor ? Impossible. Par contre, les semaines au bureau sem- monie plutôt qu’un simple terrain de jeu grandeur nature.
blaient s’allonger, à surveiller la météo du weekend, tout en
lorgnant les sommets de Belledonne et de Chartreuse par la VOYAGER LOCAL
fenêtre. Je l’acceptais, mais jusqu’à quand ? C’est à Grenoble, en 2010, que j’ai découvert le magazine
que vous tenez entre les mains. Je dévorais chaque numé-
LENTE RECONNEXION ro si enthousiasmé à l’idée d’aller parcourir les 4 coins du
Est-ce que je cherchais vraiment l’immersion dans la na- globe à mon tour, à pied ou à vélo. J’en rêvais tellement que
ture ? Oui et non. 13 ans plus tard, il serait si facile d’affa- je me promettais de prendre le large avant mes 30 ans ! La
buler ce besoin de connexion avec les éléments. Ce serait même année, je découvrais les topos de Pascal Sombardier.
oublier tout ce passé de sport d’endurance qui, certes, Une mine d’or pour découvrir toutes les richesses naturelles
n’était pas dénué d’intérêt : j’étais dans une forme olym- des 2 massifs au pas de ma porte : Vercors et Chartreuse.

70 ∙ CARNETS D'AVENTURES ∙ N°62


Envies paradoxales, je rêvais de lointain tout en appréciant Retour aux sources.
de plus en plus voyager dans les parages. À cet effet, Gre- Éte 2011, je suis retourné, à vélo depuis
noble proposait un agréable camp de base : espaces natu- Grenoble, aux origines de mon nom
de famille, en Pologne (vous l’aviez
rels à portée de vélo, de bus ou de train. Je ne faisais pas
sûrement deviné, avec mon nom
explicitement le choix de ne pas prendre l’avion, mais je
à coucher dehors, lui aussi J). Ma
n’en voyais pas l’intérêt : j’étais si ravi d’explorer le jardin !
famille m’a suivi à distance et là-bas
Dans le même esprit, ma voiture servait de moins en moins.
j’ai été accueilli en héros : j’ai fait
Pour rejoindre le départ de mes randonnées pédestres, je
la une du journal local. Quel périple
prenais le vélo, ou le train + vélo. Puis, en hiver, j’ai essayé
marquant ! Comme d’habitude, je
le vélo + ski de rando. Voilà comment j’ai goûté au plaisir
suis parti ultraléger : en sandales, sur
du combo : stimulant l’imagination, j’avais encore de nou-
un vélo mono-plateau acheté 30€
velles raisons de ne pas partir loin.
(retapé par mes soins), sacoches et
sac à dos minimalistes. Le gravel
LE TOURNANT et le bikepacking étaient encore
2015, j’habite dans les Hautes-Alpes depuis 3 ans et bosse inconnus. Je suis rentré en train
toujours dans l’informatique. Entretemps, j’ai découvert depuis Varsovie, à jamais convaincu
le VTT et le parapente. Ces activités ont un dénominateur que l’Europe est à portée de rails.
commun : pouvoir être couplées au bivouac. C’est pour-
quoi, à chaque fois, je m’y investis avec beaucoup de volon-
té afin d’atteindre l’autonomie nécessaire à une pratique en
montagne et en itinérance. Combo.
Voler ! J’en rêvais depuis que j’avais posé mes valises à Avec le ski de rando, j’ai commencé
Grenoble. Mes premiers vols sont gravés dans ma mémoire à goûter au plaisir des combos.
telle une révélation. Quitter le plancher des vaches est vite Ici, un trio train+vélo+ski.
devenu addictif. Je me passerai d’explication, le livre de
Johanna2 vous permettra d’en comprendre toute l’essence !
Depuis mon lieu de travail, j’apercevais parfois les amis
parapentistes survoler les cimes alentour. Et rebelotte,
j’ai craqué : démission posée, sans projets précis pour la
suite. La nature avait-elle raison de toute volonté profes-
sionnelle ? Ou étais-je simplement en train d’écouter mon
inconscient qui chuchotait « va dehors, va ! ».
Concours de circonstances, Olivier et Johanna comptent
parmi ces amis parapentistes. Il semblerait que l’on pra-
tique de nombreuses activités en commun avec un état
d’esprit proche. Le dernier élément du concours de circons-
tances est moins heureux : Alexis venait de tomber grave-
ment malade… Je suis donc d’abord venu en renfort dans ce
moment de fragilité. Quels sentiments ambivalents, déchi-
rés entre l’immense plaisir d’être de l’autre côté de Carnets

N°62 ∙ CARNETS D’AVENTURES ∙ 71


BIVOUAC UNE VIE À COUCHER DEHORS : ANTHONY

d’Av, ce magazine que j’avais tant vénéré, et la douleur de


ce contexte, au destin funeste malheureusement. J’ai peu
connu Alexis, mais jusque dans ses derniers instants, sa Multi-activité.
plume m’a poussé à toujours donner le meilleur de moi- Grâce au bivouac, j’ai
même pour le magazine. goûté à de nombreuses
activités, dès que celles-ci
BOUCLER LA BOUCLE pouvaient se conjuguer à une
En dehors de ces tragiques événements, ma vie semblait itinérance. VTT, parapente,
prendre une direction parallèle à mes besoins profonds : kayak, et plus récemment,
être souvent dans la nature. Fini la torture du choix mani- packraft. L’embarras
chéen entre une vie de bureau et une vie dehors. Noir ou du choix, l’imagination
blanc. Avec Johanna et Olivier, je trouvais d’incomparables pour seule limite.
collègues de confiance, et surtout des partenaires rêvés pour
aller bivouaquer dès que l’occasion se présentait. Donc sou-
vent. Animés par la même passion, tout était fluide et lim-
pide. Être dehors demeurait un loisir, mais devenait com-
plémentaire du travail, lui-même libéré des contraintes de
bureau « classiques » (le fameux 9h-18h derrière un écran).
Autrement dit, l’osmose entre travail et nature devenait pos-
sible. J’étais aux anges.
Dispensé de contraintes horaires, cet équilibre a favorisé le
développement d’une nouvelle relation avec la nature. Je
n’allais plus dehors pour être dehors, me défouler coûte que
coûte avant que le lundi ne m’enferme de nouveau pour 5
jours. Au contraire, j’y allais pour ressentir quelque chose,
donner du sens à mon anecdotique existence. Le partage
prenait le pas sur la consommation de nature. C’est dans
cet esprit que sont nés de nombreux projets : avec mes col-
lègues, mon frère, mes parents, mes amis, ma compagne. La
boucle se bouclait.

AUJOURD’HUI
Je réalise à peine à quel point le bivouac est une pierre angu-
laire de ma vie. Même à deux pas de chez moi, j’éprouve
constamment un plaisir indicible à quitter mon domicile
avec ma maison, celle qui tient sur mon dos ou dans mes
sacoches, encore fasciné par l’incroyable vecteur de liberté
que le bivouac procure. Si puissante qu’elle a, désormais
définitivement, infléchi mon parcours professionnel, pour
de meilleurs horizons.
Aujourd’hui, j’ai 34 ans et si vous avez bien suivi, je ne
suis pas parti aux 4 coins du monde. Qu’est-il advenu de la
promesse de prendre le large avant 30 ans ? Je ne l’ai pas
tenue. Ou plutôt, si, mais autrement. Ceux d’entre vous qui
ont lu ou vu « Home Sweet Home » comprendront mieux3,
mais voici résumée en quelques mots la pensée qui m’anime
aujourd’hui : pourquoi m’éloigner pour chercher une proxi-
mité avec la nature que je trouve dès le pas de ma porte ?
Dans ces espaces naturels, à portée de pas ou de rails, j’ai
encore envie d’y écrire de nombreuses histoires. 

Notes
1) Cf. Extraterrestre CA52.
2) « La Légèreté du parapente, Petites circonvolutions sur
le vol libre et les promesses du ciel », cf. p.112.
3) Cf. CA60 et expemag.com/go/bike-fly

72 ∙ CARNETS D'AVENTURES ∙ N°62


La boucle est bouclée.
Quel plaisir désormais de
partager ces moments avec
ceux qui me sont chers. Ma
compagne, mes parents,
mon frère. Ce périple kayak
à Minorque, pour fêter les
60 ans de mes parents,
restera à jamais gravé dans
nos mémoires. Comme
le GR54 initiatique ?

Jardin.
Encore aujourd’hui, je
ne me lasse pas d’aller
bivouaquer à deux pas de
chez moi. Par simple loisir,
et par plaisir d’une vie que
j’aimerais la plus simple
possible. Je ne recherche
plus la déconnexion, très
tendance au demeurant
(#digitaldetox), mais
juste un petit moment
d’immersion. Et si des
belles lumières s’invitent,
c’est le bouquet.

N°62 ∙ CARNETS D’AVENTURES ∙ 73


LES 4 SAISONS DU

QUEYRAS
74 ∙ CARNETS D'AVENTURES ∙ N°62
Soleil inespéré.
Quelques rayons se sont
glissés dans un petit
interstice à l’horizon.
Les crêtes minérales
s’enflamment.
Photo : Carnets d’Av.

N°62 ∙ CARNETS D’AVENTURES ∙ 75


QUEYRAS GUIDE PRATIQUE

QUEYRAS
PETIT GUIDE PRATIQUE
TEXTE Augustin Le Rasle, Guillaume Pouyau, la rédac’ CARTE Philippe Gady

LE PARC NATUREL RÉGIONAL DU QUEYRAS DORMIR DANS LE QUEYRAS


Un espace sauvage et isolé, frontalier du Piémont et peuplé Bivouac
de mélèzes et de pins à crochet. Il n’est pas réglementé, sauf dans deux zones. Le vallon de
Le Queyras est logé dans un véritable écrin de montagnes, Bouchouse sur la commune de Ristolas, où le bivouac est
aux nombreux sommets dépassant les 3000 mètres d’alti- interdit à l’intérieur du périmètre de protection de biotope
tude. À proprement parler, il ne s’agit pas vraiment d’un comprenant les trois lacs. La réserve naturelle nationale de
massif : le Queyras correspond plutôt au bassin-versant du Ristolas-Mont-Viso, dans laquelle il est interdit de s’éloigner
Guil, dont les gorges constituent sa seule ouverture géolo- des sentiers, autorise le bivouac à 20 mètres seulement des
gique et son principal accès au reste des Alpes, côté ouest. itinéraires balisés.
À l’ouest, donc, le Guil se jette au sortir des gorges dans la Feu : le PNR préconise clairement de s’abstenir d’en allu-
Durance, au niveau de Guillestre et du fort de Mont-Dau- mer, bien que ça ne soit pas illégal. Hors d’une place à feu,
phin, face au massif des Écrins. Au nord, d’où provient la il est soumis à déclaration entre le 15 mars et le 15 septembre
Durance, se trouve Briançon, quand le sud est délimité par si l’on est à moins de 200 mètres d’une zone boisée. Il est
la longue et jolie vallée de l’Ubaye. L’est est bordé par la sujet à de fréquentes interdictions préfectorales en période
frontière italienne, où se toisent sans mot dire mont Viso et estivale et toujours interdit dans la réserve naturelle du Ris-
Grand Glaiza. tolas.
En plein cœur de ce territoire, à 2000 mètres d’altitude sur Papier toilette : ce sont là aussi les préconisations du PNR :
l’adret d’une pente uniforme, Saint-Véran est sans doute le il est à redescendre dans l’idéal, et dans les zones naturelles
village le plus connu. On y retrouve les traditionnelles mai- protégées comme Ristolas-Mont-Viso, on ne le brûle pas, on
sons en fustes, faites d’un rez-de-chaussée de pierre sur- ne l’enterre pas non plus !
monté de caractéristiques étages à balcons en mélèze. Dans tous les cas, on veillera à être prudent et respectueux
Le Parc Naturel régional du Queyras s’étend sur l’ensemble des lieux, nous vous renvoyons vers l’article « Leave no
du bassin-versant, c’est un parfait terrain de jeu pour les trace » de CA60.
amateurs d’activités de montagne : les règles y sont moins Refuges
strictes que dans un Parc National. D’autre part, le massif Malgré nos recherches, nous n’avons pas trouvé trace de
est à la fois moins étendu et moins haut que celui des Écrins cabane viable et ouverte, mais des refuges gardés sont ac-
(cf. CA 61), permettant des courses relativement courtes. À cessibles : Viso, Agnel, la Blanche, Furfande, Basse Rua…
peu près tout est possible : randonnée, ski de randonnée,
VTT de montagne sur les sentiers fluides et roulants, vélo LE GR58 : TOUR DU QUEYRAS
de route sur les esthétiques cols d’altitude, escalade et alpi- 130 km, 7000 m de D+, le GR58 est un très bon moyen d’ex-
nisme, kayak en eaux vives sur le Guil (de renommée inter- plorer le Queyras. Relativement sauvage, c’est un GR qui
nationale), ski-kite, parapente, etc. vous fait évoluer au cœur de la montagne de col en col et
Attention toutefois, au pied du Viso se trouve la Réserve qui permet de découvrir la beauté du massif.
Naturelle du Ristolas-Mont-Viso, aux règles plus strictes. Comptez environ 8 jours pour réaliser le tour complet à un
rythme modéré. Sachez qu’il existe un bon nombre de va-
SE RENDRE DANS LE QUEYRAS riantes pour explorer un peu plus les vallées ! Il n’y a pas
L’accès naturel se fait par les gorges du Guil, mais l’été le de réelle difficulté le long du tracé, certains cols pourront
Queyras est aussi accessible depuis Briançon par le col néanmoins rester enneigés en début d’été, étant hauts en
d’Izoard, et depuis l’Italie par le col Agnel. altitude.
S’y rendre en transports en commun :
Train : la gare la plus proche est celle de Guillestre-Mont LIENS UTILES ET BIBLIOGRAPHIE
Dauphin, desservie entre autres par le train de nuit Paris- » pnr-queyras.fr
Briançon. À peine plus loin, vous trouverez d’autres gares » Topoguide « Tour du Queyras - Parc naturel régional du
(Gap, Embrun, Briançon…). Queyras » (GR58 + GRP)
Navettes : en saison (hiver ou été), des navettes quoti-
diennes font la liaison entre la gare de Guillestre-Mont Dau-
phin et les villages du Queyras (réseau Zou ! lignes S24 à
» EXPEMAG.COM/GO/QUEYRAS-PRATIQUE
S28). Ce sont les navettes des Escartons du Queyras qui per-
mettent ensuite de se déplacer entre les différentes vallées.

76 ∙ CARNETS D'AVENTURES ∙ N°62


TREK : GR58
» page 78
VTT BUL
» page 84

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ski de randonnée parapente


» page 90
» page 94

N°62 ∙ CARNETS D’AVENTURES ∙ 77


QUEYRAS TREK SUR LE GR58

QUEYRAS TREK : le tour du massif

TEXTE ET PHOTOS
Guillaume Pouyau • summitcairn.com

78 ∙ CARNETS D'AVENTURES ∙ N°62


I
Lac Égorgéou. solé au cœur des Alpes, le Queyras n’est accessible qu’en
Un bel endroit pour notre trois points par la route, dont deux sont des cols de plus de
deuxième bivouac ! 2000 m… On n’y vient donc pas par hasard et c’est d’ailleurs
ce qui contribue à la singularité et l’attrait de ce massif. Ran-
donner sur le GR58 est une belle manière d’explorer ce coin
de France préservé. Ses 130 km et 7000 m de dénivelé positif
Petit. offrent un large point de vue sur le Parc Naturel Régional
Se sentir petit fait du Queyras et ses principales richesses naturelles et cultu-
parfois du bien. relles.

ENTRE FRÈRES
C’est avec mon frère Alexandre que nous avons décidé de le
Carte postale.
découvrir en parcourant le GR58 en autonomie (bivouac et
Le Queyras regorge de
nourriture pour la durée totale). Cette approche offre le plus
jolis lacs, ici le Foréant.
de liberté et promet toujours de belles expériences. C’est
également le premier trek pour Alex et la première fois que
nous partons ensemble pour une telle aventure ! Habitant
assez loin l’un de l’autre, ce sera l’occasion de partager des
moments forts, c’est aussi cela que permet la randonnée,
encore plus en autonomie. Nous démarrons le GR à Ceil-
lac ; le village offre un accès facilité depuis Briançon et on
y trouve logement et services si besoin. Techniquement, le
trek ne présente pas de difficultés particulières. Les chemins
sont bien entretenus et relativement faciles. Le balisage est
impeccable comme toujours sur les GR, et permet d’avan-
cer sans trop avoir à se soucier de la direction. Nous avions
prévu de faire le tour en 8 jours début juillet et finalement
nous le compléterons en 7. La seule vraie difficulté que nous
rencontrerons sera la chaleur ! J’ai en particulier en tête la
longue montée vers la crête de Gilly sous un cagnard de
plomb...

N°62 ∙ CARNETS D’AVENTURES ∙ 79


QUEYRAS TREK SUR LE GR58

En route.
GR58, 130 km nous
attendent.

Col des Estronques.


Le premier d’une
longue série.

Seuls au monde.
Bivouac aux lacs du Malrif.

80 ∙ CARNETS D'AVENTURES ∙ N°62


LES CHARMES DU GR58 Vue imprenable
On peut se demander pourquoi partir sur le GR58, qu’est-ce sur le Viso.
qui le rend attirant ? Pour moi, la réponse est simple : il pos- Dans la montée
sède tout ce qu’on « attend » d’un GR de montagne. vers le Malrif.
Premièrement l’itinéraire : il permet une belle découverte
du milieu montagnard dans une nature sauvage et préser-
vée. Le sentier passe alternativement entre forêts, alpages
et quelques passages rocailleux. L’étage alpin est le plus Mon plus beau lac.
présent et on le trouve de façon surprenante à de hautes Le Grand Laus est mon
altitudes en comparaison avec les Écrins par exemple. La lac préféré du GR58.
nature est superbe à tous les étages mais le Queyras est
particulièrement réputé pour ses fleurs et nous avons juste-
ment eu la chance de partir au moment de la floraison début
juillet. C’est donc entourés de jolies fleurs comme la gen-
tiane printanière ou la fritillaire que l’on découvre les 2500
espèces que compte le parc au total !
Le GR58 permet également de découvrir de très jolis lacs,
comme le Foréant ou l’Égorgéou près duquel nous avons bi-
vouaqué le deuxième jour sous une tempête aussi soudaine
et courte que violente. Le plus beau à mon sens sur ce par-
cours est le lac du Grand Laus qui fait partie de l’ensemble
des lacs du Malrif. Nous y avons fait un bivouac magnifique
avec une vue à couper le souffle sur le mont Viso et les Alpes.
Le lac en lui-même est un joyau avec ses eaux cristallines
et le reflet des falaises environnantes. Les plus courageux
pourront même tenter une baignade bien fraîche.
Par ailleurs, un trek de montagne ne serait pas complet sans
quelques cols à franchir ! On en compte neuf en tout le long
de la boucle. Le plus haut, Chamoussière 2884 m tout en
rondeur et couvert de beaux alpages ; le plus beau ? difficile

N°62 ∙ CARNETS D’AVENTURES ∙ 81


QUEYRAS TREK SUR LE GR58

“ J’ai été marqué par le caractère


singulier du massif, on a le sentiment
d’être dans un ailleurs.

de choisir, disons peut-être le col du Malrif qui dévoile des


paysages merveilleux de chaque côté.

Patou(che) à mes brebis.
Le Queyras, une
terre pastorale.

Sérénité retrouvée.
Le calme après la tempête.

Un GR permet également la découverte d’une culture et d’un


patrimoine. Sur ces deux points le Queyras se distingue par-
ticulièrement. Nombre de villages ont gardé un caractère
typique et on remarque bien les changements d’architecture
d’une vallée à une autre. Ceillac et Saint-Véran abritent de
belles fustes, les maisons-fermes typiques de la région com-
posées d’un soubassement en pierre surmonté de bois. En
termes de culture, l’on pourra également remarquer églises
et chapelles, fours à pain et beaucoup de cadrans solaires
du fait de la proximité avec le Piémont italien où résidaient
des spécialistes en la matière.
Le massif est toujours une terre d’élevage et l’on croise
nombre de troupeaux sur les hauteurs. Nous avons d’ail-
leurs fait une charmante rencontre de bon matin avec
quelques chiens patous veillant sur leur troupeau et qui
nous ont longuement accompagnés en adoptant une atti-
tude plus que dissuasive. C’était la première fois que j’avais
un contact aussi rapproché et je dois avouer qu’on n’en
mène pas large à ce moment ! Cette troisième journée a d’ail-
leurs été sous le signe du patou, en effet plus loin nous en
avons croisé un autre, tout à fait amical et qui a marché avec
nous trois bonnes heures jusqu’à Abriès. (ndlr : voir l’article
« Comment se comporter avec les patous et les chiens de
protection des troupeaux » sur expemag.com/go/patous).

UN GOÛT D’AILLEURS
Le Queyras et son GR sont évidemment bien plus riches
encore et chacun saura y trouver de quoi étancher sa soif
d’évasion et d’aventure. J’ai été marqué par le caractère sin-
gulier du massif, on a le sentiment d’être dans un ailleurs.
Lorsque nous sommes arrivés à Ceillac après avoir bouclé
la boucle, nous avons retrouvé avec émotion la première
marque de GR laissée derrière nous sept jours plus tôt,
symbole de tous ces kilomètres et des souvenirs engrangés,
160.000 pas plus tard. 

82 ∙ CARNETS D'AVENTURES ∙ N°62


Patrimoine.
Le hameau de Malrif
est un bel exemple
de réhabilitation
du patrimoine.

Ombre et lumière.
Pause bienvenue dans
l’ambiance agréable
d’une forêt de mélèzes.

Couleurs.
Le Queyras, une richesse
florale incroyable.

N°62 ∙ CARNETS D’AVENTURES ∙ 83


QUEYRAS VTT

QUEYRAS Boucle à VTT BUL


TEXTE PHOTOS ET PARTICIPANTS
Augustin Le Rasle Marion Mazeran et Augustin Le Rasle

84 ∙ CARNETS D'AVENTURES ∙ N°62


E
Ciselés.
Une dernière descente
sous les esthétiques
pics de la Font Sancte.

n début d’été, les hautes vallées ont cela d’attirant qu’elles


ne sont pas sèches comme certains plateaux de plus basse
altitude. Et le Queyras est un petit coin de paradis pour qui
aime la glisse et les courbes. Disant cela, non, je ne pense
pas au ski, mais bien au VTT qui, oui, y est aussi admis.
Sur le fil du sentier. Ainsi avons-nous pris la direction de ces vallées perdues
Devant le lac Égorgéou pour un test grandeur nature de 4 jours, pour cette itiné-
et la bien nommée rance typée haute montagne. Allions-nous réussir à boucler
crête de la Taillante. la boucle, côté cannes et dénivelé, comme pilotage et tech-
nicité ?

PREMIERS TOURS DE ROUE


Il est 23h, le ciel gronde et illumine de brefs éclairs une forêt
de mélèzes luisante de pluie. La terre est meuble, elle sent
l’humus et la résine. Cette ambiance me détend, la pluie a
Bivouac minimaliste. sur moi toujours cet effet : elle me lave. Nous plantons la
Mais très confortable, voire tente en amont de Ceillac.
presque trop chaud ! Au matin, un grand soleil nous invite à mettre le nez dehors.
Nous réglons la pression des suspensions, et, tout sourire,
nous commençons par une vive descente sur un délicat ta-
pis d’aiguille. L’itinéraire du premier jour reste en moyenne
montagne, ce qui nous permet de nous acclimater.
Pour atteindre Saint-Véran, nous passons un premier col.
Dans la côte, s’il s’agit avant tout de pousser le vélo, c’est
aussi une affaire d’hectomètres sur le vélo, à se brûler les
poumons et s’exploser le palpitant pour un peu de gloriole
sans public. La descente est un excellent single au bon grip,
le paysage défile, les courbes se suivent et s’enchaînent
pour atteindre une série d’épingles à négocier.
En revanche, la remontée sur piste vers le col de Saint-Véran
s’avère interminable, notamment à cause du poids des sacs
qui, pourtant contenu, semble nous écraser sur la selle. La

N°62 ∙ CARNETS D’AVENTURES ∙ 85


QUEYRAS VTT

récompense arrive avec le crépuscule quand, enfin, nous


Vallée de Soustra. Montée vers le
décidons de monter la tente.
Et son charmant col de Longet.
Nous repartons dès potron-minet (ndlr : à la rédac’, nous
drapé fleuri... Suffisamment plate sur
envisageons de proposer à l’académie française de renom-
quelques mètres pour
mer cette expression « potiron-minet » ), passons les cols
justifier d’être sur le vélo !
de Saint-Véran et Chamoussière, pour redescendre dans un
pierrier qui, vu du bas, nous aurait paru infranchissable à
vélo.
Traversées de névés. Ambiance fantomatique.
PERCHÉS ENTRE FRANCE ET ITALIE En arrivant au col de Tôt le matin, lacs et brumes
Ensuite vient le col Vieux, début d’une sente élégante de Valante, sous le mont Viso. se mêlent, Ubaye.
1000 mètres de dénivelé négatif. Des schistes aux alpages,
de lacs en torrents sinueux, nous plongeons toujours plus
vite, toujours plus bas, suivant ce sentier tortueux et sans
fin qui s’engouffre sous la forêt de mélèzes. Au fond de la
vallée nous trouvons les galets du Guil, alors enfin nous
bifurquons vers sa source et bivouaquons un peu avant le
refuge du mont Viso.
Après une nuit dans une cuvette (le seul espace plat trouvé)
à craindre de se faire inonder par la pluie, nous nous remet-
tons en selle avec pour premier objectif le col de Valante.
Patiemment, nous venons à bout de ce mur érigé de blocs de
roche noire et de névés glissants, et à 2800 mètres d’altitude,
dans les nuages, nous basculons sur les versants italiens.
L’ambiance est plutôt verticale, bien que nous n’en mesu-
rions pas l’étendue, perdus dans le blanc. Des bouquetins
font rouler quelques pierres, nous ôtant le voile apparent de
solitude qui nous vêt.

86 ∙ CARNETS D'AVENTURES ∙ N°62


ET LE VÉLO EN MONTAGNE DANS TOUT ÇA ?
La pratique du VTT en montagne étant exposée en termes de risque, à nous
de veiller à nous ménager de la marge. L’idée était donc de ne pas se forcer
pour passer un obstacle sur le vélo, de ne pas prendre autant de vitesse
que d’habitude et de garder à l’esprit que nos réflexes étaient susceptibles
de subir l’impact de la fatigue.
Enfin, je craignais les conflits d’usage, la morgue du randonneur face à
l’iconoclaste cycliste, mais c’est en fait une flopée de sourires et d’encoura-
gements que nous avons glanés tout au long du chemin !

“ Le Queyras est un petit coin


de paradis pour qui aime la
glisse et les courbes.

N°62 ∙ CARNETS D’AVENTURES ∙ 87


QUEYRAS VTT

La vallée de Soustra nous accueille tapissée de fleurs, nous Escarpé. Se laisser filer.
la dévalons comme si l’élan devait nous aider à remonter au Le GR menant au col de Dans la fameuse descente
col de Longet, vers la France et la source de l’Ubaye. Valante oblige à porter le de 1000 mètres de
En arrivant proche de celui-ci, le ciel enfin apparaît et le vélo, comme bon nombre dénivelé, ici en vue
soleil bas souligne une masse pesante : l’orage menace, il des montées du parcours. du lac Égorgéou.
gronde, tempête et vocifère, nos ardents désirs de bivouac
sont douchés et nous filons nous mettre à l’abri d’un pro-
videntiel refuge italien. La température chute, le paysage Boîte de conserve ? Empreintes.
se couvre de grains glacés, et nous, statiques spectateurs, Petit refuge italien Sur la terre humide
changeons de saison. Enrico Olivero, perché du sentier, un loup est
Au petit matin, à peine bouffis d’une confortable nuit, nous à 2648 m d’altitude. passé avant nous.
repartons dans l’ambiance feutrée des lacs diffus. Nous
plongeons dans la brume, la rosée bleuit les vastes alpages.
Sur le sentier se dessinent parfaitement des empreintes de
loup, confirmées par d’imposantes fumées. Nous observe-t-
il à distance, seul et silencieux, sa fourrure perlée de brume
grise ? À quoi pense alors cet être sauvage, par quelque
rocher soigneusement dérobé à nos regards trop citadins ?
Le soleil se lève sur la crête, disperse la brume qui nous
piquait la moelle et, chauffant doucement notre nuque,
atteint la rosée qui s’allume. Elle nous réveille, cette verte
vallée parée de gouttelettes d’or, elle nous éveille et nous
tire pour de bon de nos songes embrumés. En bas de la des-
cente, passés les épicéas, c’est le hameau de Maljasset que
nous traversons, avant de bifurquer vers le col Girardin. La
montée est brutale, en plein soleil, les vélos sur les épaules,
regards au sol, là où les pieds trouveront appui.
Là-haut, la vue s’ouvre sur le lac Sainte-Anne et plus loin en
contrebas, nous devinons Ceillac : sous l’à-pic de la Font-
Sancte, devant le regard curieux des randonneurs en quête
d’air et d’espace, nous amorçons nos derniers virages en
dévers. 

88 ∙ CARNETS D'AVENTURES ∙ N°62


PRÉPARATION
Itinéraire
De bons topos nous ont aidés sur internet, avec une description de
la qualité et de la technicité de chaque section envisagée. Ce sont
ensuite les résultats chiffrés de distance (110 km) et dénivelé (5500 m)
de la trace réalisée par Marion sur notre outil de carto, BaseCamp, qui
nous ont permis de valider l’itinéraire.
Ndlr : vous trouverez nombre d’idées d’itinéraires (dont les trips de
la rédac’ « VTT BUL sur les crêtes à 3000 m entre France et Italie »
CA54, et « Tour du Queyras à VTT » CA11) sur MyTrip et expemag.com/
go/queyras-pratique
Nourriture
Nous avons estimé nos besoins à 2 500 kcal et 600 g par personne
et par jour. À coups de tableur Excel et de semoule au parmesan, nos
baluchons ont affiché la bagatelle de 8 kg de matériel et nourriture
plus 2 kg d’eau, soit un timide total de 10 kg par personne. Ici, non,
compter n’est pas pinailler, c’est la clef d’une itinérance souple et
légère, de montées efficaces et raisonnables.

CARNET MYTRIP COMPLET


» expemag.com/carnet/tour-queyras-piemont-ubaye
N°62 ∙ CARNETS D’AVENTURES ∙ 89
QUEYRAS SKI DE RANDONNÉE

QUEYRAS SKI DE RANDONNÉE :


La diagonale du massif

TEXTE PHOTOS ET PARTICIPANTS


Guillaume Blanc gblanc.fr Guillaume et Anne-Soisig Blanc

90 ∙ CARNETS D'AVENTURES ∙ N°62


J
Pow-pow.
Quelques virages dans
une belle poudreuse, le
cœur léger, le sac aussi...

’ouvre un œil, engoncé dans mon sac de couchage. Il est


gonflé tel un véritable plumage. J’ai bien chaud. La nuit
Petite touche colorée ! bat son plein, silencieuse. Je ne sais pas quelle heure il est,
En découpant les sastrugi ma montre est quelque part dans le bric-à-brac à côté de
sous le Grand Queyras. ma tête. C’est une envie pressante qui m’a réveillé. Comme
chaque nuit depuis le départ. Une pâle lueur semble bai-
gner l’exiguïté de l’espace. Je tergiverse un instant, puis je
finis par me décider à m’extirper de mon cocon douillet. Je
Dernier bivouac. passe la tête par l’ouverture de la tente, j’enfile les chaus-
Sous le Grand Glaiza. sons des chaussures de ski, et je me déplie dans la nuit.
Le soleil chapeaute Elle est tout illuminée par un magnifique dernier quartier
le Petit Rochebrune, lunaire ; la face nord du Petit Rochebrune brille, toute la
avant de disparaître. montagne, d’une blancheur immaculée, resplendit sous la
clarté sélène. La neige crisse sous mes pas. Je me replie rapi-
dement vers la chaleur du duvet : la contemplation béate du
silence nocturne de la montagne hivernale sera pour une
autre fois, car dehors, c’est beau, mais le froid est cristallin.
Un coup d’œil au thermomètre dans un coin de la tente :
-10°C. Anne-Soisig dort au creux de son nid de plumes, rien
ne dépasse. Je retourne dans les bras de Morphée.
Le lendemain, nous allons faire un tour sur le sommet juste
au-dessus, le Grand Glaiza, en laissant le camp en plan. Les
sacs sont quasiment vides. Nous sommes seuls, c’est d’ail-
leurs un peu pour ça que nous sommes là, en symbiose avec
la montagne enneigée, le temps de quelques bivouacs. Du
faîte, le regard porte au loin sur le Queyras que nous venons
de traverser, en diagonale, modestement, avec notre maison
sur le dos. Il fait bon, même si quelques volutes dessinaient
des arabesques devant nos spatules, tout à l’heure.

N°62 ∙ CARNETS D’AVENTURES ∙ 91


QUEYRAS SKI DE RANDONNÉE


Nous sommes partis quatre jours plus tôt, de Maljasset en
Ubaye. Une première courte journée dans le mauvais temps


qui nous arrête sous le col de la Noire. Le lendemain, nous
petit-déjeunons sous les flocons ; la tente ploie sous la
neige accumulée. La montée du col de la Noire se fait dans
le blanc intégral, les repères habituels – haut, bas, devant,
C’est d’ailleurs un peu
derrière – n’existent plus. Nous entamons la descente sans pour ça que nous sommes
pouvoir apercevoir le bout de nos skis. Une petite pause au
refuge de la Blanche pendant laquelle les nuées se sont dis- là, en symbiose avec la
sipées comme par enchantement. Le beau temps s’est ins-
tallé. Nous plantons la tente en face du col du Longet pour
montagne enneigée.
une deuxième nuit. Le troisième jour, l’antécime du Grand
Queyras est atteinte légèrement, en laissant la plupart des
affaires sur place. À nouveau chargés, nous traversons le pic
de Fond de Peynin pour finir dans les dernières lueurs du
jour par une descente magnifique dans le mélézin tout en
poudreuse au-dessus d’Abriès. Le camp du troisième jour
fut délicatement posé au bord de la rivière sur une mince
tranche de neige. Après avoir franchi un peu d’asphalte
civilisationnel, nous empruntons un chemin de croix pour
remonter de l’autre côté, l’adret, en portant les skis tout en
pataugeant dans une neige trop rare et sur un chemin trop
ténu avant de pénétrer dans le sanctuaire de la montagne
du Malrif. Un dernier col, un dernier bivouac aux allures po-
laires, un dernier sommet, et nous descendons sur Cervières
par des pistes de ski de fond trop plates, avec un sac trop
lourd pour espérer avoir un pas de patineur efficace. Mais le
voyage était « trop bien » ! 

92 ∙ CARNETS D'AVENTURES ∙ N°62


Sauvage. Immensités.
L’austérité des pentes Les vastes pentes
sous le col du Malrif au-dessus d’Abriès.
ajoute au caractère
sauvage de l’endroit.

Jour blanc. Déneigement.


Premier jour : un Au matin du deuxième jour.
départ motivant...

N°62 ∙ CARNETS D’AVENTURES ∙ 93


QUEYRAS PARAPENTE

QUEYRAS ENTRE CIEL & TERRE


TEXTE Johanna PHOTOS La rédac'

94 ∙ CARNETS D'AVENTURES ∙ N°62


⊲ Renversant.
Le lac de Roue, petit
écrin perché au-dessus
de Château-Queyras,
se fait l’écho des
merveilles colorées du
Queyras automnal.

⊳ Sur le fil.
Conditions exceptionnelles
d’automne, perchés à
4000 m, nous nous offrons
un beau tour du massif par
les airs. Au centre de la
photo, le Pelvas, l’un des
(autour de) 3000 de la crête
frontalière avec l’Italie.

Flamboyant.
Survoler les forêts de
mélèzes en feu est
un ravissement de
A h le Queyras !
Nous avons la chance d’être entourés de massifs mon-
tagneux aussi beaux que diversifiés, mais le Queyras a
quelque chose de particulier. Son petit côté à la fois reculé
et proche, fermé et ouvert, majestueux et accueillant, ses
crêtes frontalières perchées à 3000 mètres, cette impression
de partir en voyage à deux pas de la maison. Nous aimons
aller dans le Queyras. Tout au long de l’année, chaque sai-
son apporte vraiment son charme.
La découverte par la voie des airs est un de nos plaisirs.
Alors, lorsque le manteau blanc s’évapore suffisamment
pour permettre, aux marcheurs ailés que nous sommes, un
accès aisé à ses hautes cimes, nous ne résistons pas à l’ap-
chaque instant. pel du bivouac dans le Queyras. Quand l’été se fait indien,
magnifiées par la clarté si particulière de cette saison, ses
forêts de mélèzes revêtent un dégradé de jaunes-orangés
des plus esthétiques, l’ambiance devient surréaliste et nous
propulse sur une autre planète. Si les premières neiges s’en
mêlent, c’est alors un majestueux triptyque azur, blanc,
orange qui nous saisit. Puis à l’heure où le soleil s’incline
sur notre bivouac, tout s’embrase, et là, les bras nous en
tombent.
Les longues nuits automnales nous offrent une voûte céleste
limpide et quelques étoiles filantes. Au petit matin, les pre-
miers rayons du soleil nous appellent au dehors. Le givre
de la nuit brille de mille feux ; la beauté a encore changé
de visage ! Pendant que le réchaud prépare le petit café,
nous rangeons notre bivouac. Une courte marche revigo-
rante nous permettra ensuite de trouver le lieu idéal pour
déplier nos ailes, qui, quelques lestes pas plus tard, nous
soustraient à la gravité.

N°62 ∙ CARNETS D’AVENTURES ∙ 95


QUEYRAS PARAPENTE

Oasis.
Les superbes lacs du Malrif
apportent une touche
bleutée au paysage. Piéton ailé.
Magie de pouvoir
transporter son aéronef
et sa maison sur le dos.
Nous franchissons ici
l’aérien pas du Curé, sous
Avant de s’envoler. la pointe de la Saume
Bivouac aux abords des dans le secteur de Ceillac,
lacs du Malrif. Le Viso plein au cours d’une itinérance
cadre et les parapentes marche et parapente entre
comme oreillers. Queyras, Ubaye et Italie.

Alors une autre forme d’émerveillement commence. Des


montagnes foulées hier aux plus lointaines que nous décou-
vrirons demain, les paysages prennent une autre dimension.
Lorsqu’un peu plus tard, les yeux remplis de merveilles, nos
pieds touchent de nouveau le plancher des vaches, nous
n’avons qu’une envie, continuer l’aventure.

Voler dans le Queyras


Le Queyras se prête particulièrement bien à la pratique
du parapente sous diverses formes, vol rando, bivouac,
Vous trouverez sur MyTrip récits, vol de distance, travail près du sol, etc. Des noms de sites
photos et topos de ces escapades sur connus vous diront peut-être quelque chose, Ceillac, le col
terre et dans les airs sur ce lien : de l’Izoard ou le col Agnel (devenu depuis quelques années
» expemag.com/go/queyras-pratique un lieu prisé de départ en gros cross), mais ils sont loin
d’être les seuls ; les zones propices au décollage et à l’atter-
rissage sont nombreuses dans le massif. Attention toutefois
à la force des brises en été, aux flux d’est (et aux fameux
« retours d’est »), et à la zone frontalière avec l’Italie : la
confrontation avec la masse d’air parfois très différente de
la plaine du Pô peut donner de drôles de conditions aérolo-
giques. Et pour le reste, prenez-en plein les yeux ! 

96 ∙ CARNETS D'AVENTURES ∙ N°62


N°62 ∙ CARNETS D’AVENTURES ∙ 97
DÉCRYPTER LE SOLEIL

notre étoile
Le Soleil TEXTE, ILLUSTRATIONS ET PHOTOS
Guillaume Blanc • gblanc.fr
(sauf mention contraire)

Feu vert.
Quand le soleil descend se coucher sur
la mer, c’est l’heure de l’apéritif !
Périple en kayak de mer
dans les îles croates.
Photo : Carnets d’Av.

98 ∙ CARNETS D'AVENTURES ∙ N°62


L e Soleil est une étoile, au même titre que les milliers
d’étoiles qui peuplent le ciel nocturne que nous pouvons
encore admirer à l’œil nu dans certains lieux privilégiés.

UN RÉACTEUR THERMONUCLÉAIRE un peu plus lourd : le deutérium. Puis, en incorporant deux


Une étoile est une boule de gaz qui produit sa propre lu- protons de plus, et moyennant un petit changement de
mière. Elle est suffisamment chaude en son centre pour que deux protons en deux neutrons, c’est le deuxième élément
des noyaux d’hydrogène puissent s’approcher l’un de l’autre qui est fabriqué : l’hélium3. Cette réaction nucléaire4 fournit
jusqu’à se « toucher » et fusionner. C’est cette réaction nu- de l’énergie, car un noyau d’hélium est plus léger que quatre
cléaire (car impliquant des noyaux atomiques) qui dégage noyaux d’hydrogène : un kilogramme d’hydrogène donne
beaucoup d’énergie. Mais reprenons plus calmement. un kilogramme d’hélium moins 7 grammes qui se sont
La boule de gaz possède une masse, assez conséquente évaporés en énergie. Car souvenez-vous, la masse, c’est de
(pour le Soleil, c’est 300.000 fois celle de la Terre), c’est l’énergie : E = mc2. Ces 7 grammes correspondent à 600.000
donc la force de gravitation1 qui va empêcher ses consti- milliards de joules, soit 3h de consommation moyenne
tuants de se diluer dans l’espace. Une autre force, celle d’électricité par l’ensemble des Français. Sachant que
due à la pression exercée par le gaz, va venir contrecarrer chaque seconde, au cœur du Soleil, 4 millions de tonnes
et équilibrer la gravitation, le résultat étant de forme sphé- sont ainsi transformées en énergie, il y aurait de quoi en
rique. À l’intérieur, plus on s’enfonce dans les entrailles de alimenter des ordinateurs et des aspirateurs ! Cette énergie,
l’étoile, plus la température et la pression sont élevées. Au sous forme de grains de lumière, les photons, se faufile dif-
cœur de l’étoile, on trouve l’origine de sa fantastique éner- ficilement depuis le centre de l’étoile jusqu’à sa périphérie
gie : la fusion thermonucléaire. où elle s’échappe librement dans l’espace : le Soleil brille !
Le Soleil est principalement constitué d’hydrogène, le plus Une énergie colossale est donc rayonnée dans l’espace
simple et le plus léger des éléments présents dans la na- chaque seconde5. Une toute petite partie est interceptée par
ture. C’est aussi le plus abondant dans l’univers. Le noyau la Terre : environ un demi-milliardième… Par unité de sur-
d’hydrogène est constitué d’un unique proton portant une face, cette énergie représente la constante solaire, à savoir
charge positive. Un unique électron, chargé négativement, la quantité d’énergie reçue du Soleil au-dessus de l’atmos-
orbite2 autour, formant l’atome d’hydrogène. Dans une phère, soit environ 1365 W/m2. En moyenne sur l’ensemble
étoile, l’hydrogène se trouve sous forme de plasma, c’est-à- de la surface terrestre, compte tenu du fait que 30% sont
dire que protons et électrons ne sont plus liés, chacun vogue réfléchis vers l’espace et que 30% de ce qui reste sont ab-
de son côté. Les protons se repoussent, comme le font deux sorbés par l’atmosphère, ce sont 170 W/m2 qui parviennent
charges identiques, sauf si leurs vitesses respectives sont si au niveau du sol (voir CA57 Décrypter sur le réchauffement
grandes qu’elles parviennent à outrepasser cette barrière climatique). Cette énergie est répartie de façon très inégale,
(on parle de barrière coulombienne). C’est le cas au centre les tropiques en récupèrent la quasi-totalité, tandis que les
du Soleil : une température effrayante de 15 millions de de- régions polaires doivent se contenter de la portion congrue.
grés y règne. L’agitation thermique (cf. CA59 Décrypter sur Elle varie donc fortement selon la latitude et les saisons.
la pression) y est telle que les protons qui se rentrent dedans Nous aurons l’occasion d’en reparler dans un prochain Dé-
ne se lâchent plus : ils fusionnent pour donner un noyau crypter !

N°62 ∙ CARNETS D’AVENTURES ∙ 99


DÉCRYPTER LE SOLEIL

Figure 2
Spectre de corps noir à 5477°C correspondant
au Soleil, sur lequel est apposé le domaine
spectral dit visible entre 380 nm (violet) et
750 nm (rouge). En deçà de 380 nm, nos
yeux ne voient plus le rayonnement, c’est le
domaine ultraviolet. Au-delà de 750 nm, nous
ne voyons pas le rayonnement infrarouge.
43% de l’énergie électromagnétique issue du
Soleil est émise dans cette fenêtre visible.

Figure 1
Illustration de la parallaxe : la projection (rose
pâle) d’une étoile proche (rouge) sur un fond
d’étoiles lointaines (rose vif) se déplace au fur
et à mesure que la Terre parcourt son orbite.

COMMENT LA TERRE S’EST MISE À TOURNER AUTOUR POURQUOI LE SOLEIL EST-IL JAUNE,
DU SOLEIL LE CIEL BLEU EN JOURNÉE ET ROUGEOYANT AU LEVER
Le fait que notre planète n’est pas au centre du monde, ET AU COUCHER ?
mais orbite autour du Soleil, qui lui-même tourne autour du Banale dans l’Univers, mais pas pour nous, Terriens. Sans
centre de la Voie Lactée, qui elle-même n’est qu’une galaxie l’énergie rayonnée par le Soleil, la vie n’aurait pu advenir et
parmi une myriade d’autres, a mis du temps à s’imposer. se développer sur Terre.
L’idée de « détrôner » la Terre s’immisce avec Copernic. Elle La lumière issue des réactions nucléaires au centre de
suivra son chemin, jusqu’à ce que les observations, près l’étoile s’échappe de sa surface, la photosphère. La tempéra-
de deux siècles plus tard, apportent la preuve que la Terre ture de cette surface, environ 5500°C, détermine la longueur
tourne autour du Soleil, et non l’inverse, malgré les appa- d’onde – la couleur – de la lumière. En effet, les étoiles
rences. comme le Soleil, sont, paradoxalement, en première ap-
Le modèle héliocentrique de Copernic prévoit notamment proximation6, des corps noirs, c’est-à-dire des corps qui ab-
que des étoiles proches doivent se déplacer par rapport aux sorbent toute l’énergie électromagnétique qu’ils reçoivent,
étoiles plus lointaines à six mois d’intervalle (de part et et dont l’émission de rayonnement dépend uniquement de
d’autre de l’orbite terrestre) : c’est la parallaxe. C’est ce qui leur température. Un corps noir est un modèle idéal qui ne
fait qu’un objet proche se déplace par rapport au paysage représente pas la réalité. Mais cela permet de comprendre le
au loin, quand on bouge par rapport à cet objet (figure 1). En spectre électromagnétique du Soleil, c’est-à-dire la nature
1838, la première mesure de parallaxe stellaire est effectuée de la lumière qu’il émet. La grande majorité de cette lumière
par Friedrich Wilhelm Bessel, ce qui apporte la dernière a une longueur d’onde autour de 500 nm (figure 2) : nous
preuve expérimentale de la révolution de la Terre autour du devrions donc voir un soleil… vert ! Mais les autres couleurs
Soleil. du spectre visible, c’est-à-dire visible par nos yeux, inter-
La Terre orbite ainsi en une année (365,25 jours) autour viennent, se mélangent et donnent du… blanc ? C’est effec-
du Soleil, à une distance moyenne de 150 millions de kilo- tivement ainsi que l’on voit le Soleil depuis l’espace, blanc.
mètres, sur une orbite elliptique. Comme le Soleil est une À la surface de la Terre, la composante de lumière bleue du
boule d’environ 700.000 km de rayon (environ 110 fois celui Soleil est diffusée par les molécules de l’atmosphère, don-
de la Terre), il apparaît dans le ciel comme un disque d’un nant sa couleur azur au ciel (figure 3), mais enlevant le bleu
demi-degré de diamètre. de la lumière solaire. Il reste une couleur jaune-orangé,

100 ∙ CARNETS D'AVENTURES ∙ N°62


Figure 3
Virgule ou ponctuation complexe
contraste sur l’azur uniforme.

Figure 4
Coucher de Soleil depuis le refuge de Tête
Rousse sous l’aiguille du Goûter dans le
massif du Mont-Blanc, le 2 avril 2011.

mais le jaune domine dans le spectre du Soleil, donc plu-


tôt… jaune !
Quand la lumière doit traverser une épaisseur d’atmosphère
plus importante, lorsqu’il s’approche de l’horizon à son le-
ver ou son coucher, la diffusion du bleu se fait plus intense,
il en rougit, d’ailleurs. Ce qui produit de magnifiques levers
ou couchers de Soleil rougeoyants (figure 4).

LUMIÈRE VISIBLE
La lumière du Soleil est ainsi dite « visible » car nous la
voyons ! L’œil humain s’est adapté à la lumière solaire au
cours de son évolution. Les animaux ne perçoivent pas le
monde tous de la même façon, selon leurs modes de vie et présentes dans la stratosphère (couche d’ozone) absorbent
leurs environnements7. L’humain est adapté à un mode de en grande partie ce rayonnement. Les UV-C sont ainsi tota-
vie diurne8, il perçoit le rayonnement entre 380 nm, le violet, lement filtrés.
et 750 nm, le rouge. Aux longueurs d’onde plus courtes, c’est Le rayonnement ultraviolet interagit avec l’épiderme : à petite
l’ultraviolet (UV). Au-dessus de 750 nm, c’est l’infrarouge, dose il permet le bronzage9 et la synthèse de la vitamine D.
que l’on ne voit pas, mais que l’on peut ressentir sous forme À haute dose, il est responsable de brûlures et de cancers
de chaleur sur notre peau. de la peau. Les photons ultraviolets, plus énergétiques que
les photons visibles, sont absorbés par la molécule d’ADN
QUID DES ULTRAVIOLETS ? et peuvent provoquer sa rupture. D’autant plus que la lon-
Les ultraviolets (entre 100 et 380 nm) représentent 5 % du gueur d’onde est petite (et donc l’énergie des photons plus
rayonnement émis par le Soleil. Ils sont séparés en trois grande). C’est pourquoi on classifie l’intensité du rayonne-
bandes standardisées, les UV-C entre 100 et 280 nm, les ment ultraviolet reçu en indices. Il s’agit d’une pondération
UV-B entre 280 et 315 nm et les UV-A entre 315 et 400 nm. entre le spectre ultraviolet du Soleil (intensité plus impor-
Mais 95 % du rayonnement ultraviolet qui atteint la sur- tante à plus grande longueur d’onde – UV-A) et celui qui est
face de la Terre sont des UV-A, car les molécules d’ozone nocif pour la peau (surtout à petites longueurs d’ondes – UV-

N°62 ∙ CARNETS D’AVENTURES ∙ 101


DÉCRYPTER LE SOLEIL

Figure 5 Au feu !
Même sur une plage du sud de la Bretagne Un coucher de soleil complètement irréel,
au mois de juillet, l’indice UV peut inciter à voilà le cadeau que nous fait la nature
se protéger ! Un phénomène optique assez pour le premier bivouac de notre tour
rare se déroule sous les yeux des touristes qui de l’île de Cres en kayak, Croatie.
n’en soupçonnent pas l’existence… Il est ténu. Photo : Carnets d’Av.
On en parlera dans un prochain Décrypter.

B) : peu de rayons ultraviolets de courte longueur d’onde est électromagnétique. Les rayonnements énergétiques de très
aussi nocif que beaucoup de grande longueur d’onde. Pour courte longueur d’onde (rayons X et gamma, en deçà des
les indices 1 et 2 de l’échelle, qui va au-delà de 10, aucune UV), nocifs pour le vivant, sont stoppés par l’atmosphère.
protection n’est nécessaire. L’intensité correspondante de la Les rayonnements infrarouges et au-delà sont en partie
lumière ultraviolette est de 25 mW/m2 (indice 1) et 50 mW/ absorbés par l’atmosphère, mais cela ne prête pas à consé-
m2 (indice 2). En hiver, en France, l’indice ne dépasse pas le quence, si ce n’est parasiter, de temps en temps, les émis-
niveau 1, tandis qu’il peut grimper jusqu’à 7/8 en été (figure sions de radio par ondes courtes12.
5). Il varie beaucoup avec la réverbération, la couverture Et à travers une vitre ? Le verre usuel généralement utilisé
nuageuse, l’altitude, etc. Dans le cas des niveaux 1 ou 2, il pour fabriquer les vitres et fenêtres absorbe complétement
faudrait rester très très longtemps au Soleil pour ne serait-ce le rayonnement de longueur d’onde inférieure à 300 nm
que bronzer légèrement… Mais souvent il fait alors bien trop (donc les UV-B et UV-C notamment). Il laisse néanmoins
froid pour cela ! L’intensité correspondant à un indice fort, passer une partie des UV-A. Il est donc possible de bronzer
disons 10, est environ de 250 mW/m2. derrière une vitre, mais il est improbable d’attraper un coup
Il faut commencer à se protéger à partir des indices 3 ou de soleil.
4. Il est préférable pour cela, de se couvrir la peau avec des
vêtements, plutôt que d’utiliser des crèmes solaires, car PHÉNOMÈNES OPTIQUES
celles-ci ne sont pas neutres pour les environnements aqua- Le Soleil est évidemment un astre central dans nos vies, il
tiques10. est fascinant à bien des égards, comme en témoigne la place
L’exposition aux ultraviolets est également nocive pour les majeure qu’il occupe dans nombre de mythologies et civi-
yeux. Ils sont dotés de mécanismes de protection contre l’in- lisations au cours des âges. Nous avons décrypté l’origine
tensité trop vive du rayonnement visible (contraction de la de sa lumière et de sa formidable énergie, pour comprendre
pupille, fermeture des paupières), mais inopérant avec les comment ne pas en abuser. Une prochaine fois, nous es-
UV11. Il faut donc penser à se protéger les yeux en cas de sayerons d’appréhender différents phénomènes optiques
rayonnement intense, mais aussi en cas de temps nuageux liés, entre autres, au Soleil, dont vous pouvez être témoins
(les UV sont peu absorbés par les nuages), sur un milieu très au cours de vos pérégrinations dans la nature : halos, fata
réfléchissant (plan d’eau, neige) ou encore en altitude où le morgana, rayon vert, etc.
rayonnement UV est plus intense. À suivre donc ! 
Le Soleil émet du rayonnement sur l’ensemble du spectre

102 ∙ CARNETS D'AVENTURES ∙ N°62


NOTES
1) En l’absence de toute pression interne, un astre s’ef- 6) En réalité les spectres des étoiles ne sont pas lisses
fondre sur lui-même sous l’effet de sa masse pour devenir comme celui d’un corps noir, mais ponctués d’échan-
un trou noir. crures dues à l’absorption (ou à l’émission) spécifique de
2) On parle d’orbitale et de probabilité de présence de lumière par certains éléments.
l’électron sur cette orbitale. 7) Voir par exemple : Histoire évolutive de l’œil, Wikipédia
3) Tout n’est évidemment pas aussi simple : la fabrication 8) Voir par exemple : Vision humaine, Wikipédia
de l’hélium à partir de l’hydrogène nécessite plusieurs 9) Le pigment brun de la peau permet d’absorber les UV
étapes complexes, la transformation de deux protons en et d’empêcher leur pénétration et donc de causer des
neutrons, un autre constituant des noyaux atomiques. dommages. Un bronzage foncé sur une peau claire offre
4) Il s’agit de la réaction de fusion thermonucléaire que une certaine protection immédiate, mais ne protège pas
les physiciens tentent de reproduire sur Terre, dans des des lésions possibles à long terme (source : who.int/fr/
réacteurs appelés tokamaks, dont ITER, à proximité d’Aix- news-room/q-a-detail/the-known-health-effects-of-uv).
en-Provence, est un démonstrateur international. Mais les 10) Voir : Crème solaire : enjeu écologique et de santé
difficultés à surmonter avant de produire ainsi de l’électri- publique, Wikipédia
cité industriellement sont immenses : ce n’est malheureu- 11) Voir who.int/fr/news-room/q-a-detail/the-known-health-
sement pas pour tout de suite, et ça ne « sauvera » pas le effects-of-uv.
climat ! 12) Voir astrosurf.com/luxorion/sysol-soleilradio.htm
5) Environ 3,8×1026 J…

N°62 ∙ CARNETS D’AVENTURES ∙ 103


COIN DES BOUQUINS

L’ART DE LA TRACE
PETITS DÉTOURS SUR LE SKI DE RANDONNÉE ET LES
NEIGES D’ALTITUDE
Cédric Sapin-Defour
Ceux qui apprécient déjà la plume de Cédric (découverte par exemple à travers ses Espresso) la
retrouveront intacte. Les amateurs de la « Petite philo » seront, eux aussi, comblés. Mais point
besoin de connaitre l’une ou l’autre pour se laisser délicatement emmener. Cette collection
donne la parole à des auteurs qui apportent, sur un sujet qui leur tient particulièrement à cœur,
des éléments de réflexion assortis d’expériences personnelles. À travers la pratique du ski de
randonnée, Cédric évoque son attachement indéfectible à la montagne, ce qu’elle suscite en
nous et le rôle qu’elle joue dans nos vies. Nous permettre d’entamer un dialogue avec la nature
Éd. Transboréal, coll. Petite en est un exemple.
philosophie du voyage « L’idée de dialogue avec la nature est fascinante, voilà l’essence de nos badinages au grand air.
96p. • 11x16cm • 8€ Tracer un itinéraire dans la neige suggère de réapprendre à regarder autour de soi, du ciel au
sol. On dit de nos vies qu’elles sont hyperconnectées mais nous avons perdu la plus flatteuse des
connexions, alors nous reprenons avec la nature un dialogue oublié. »
Collez vos peaux, ouvrez vos chakras, et préparez-vous à tracer !
Johanna

ALPICIMES
Collectif DiVertiCimes
Allier art et montagne, c’est cet esprit que cultive le petit collectif grenoblois DiVertiCimes
depuis quelques années. Glénat publie un florilège de leurs images, chacune accompagnée
d’une anecdote ou réflexion de Jean-Michel Asselin (également traduite dans la langue de Sha-
kespeare, de quoi travailler un peu ses aptitudes linguistiques).
Éd. Glénat. Prises de vue originales, perspectives étonnantes, mouvements surprenants, objets impro-
144p. • 29,5x25cm • 30€ bables, les photos saisissent et arrêtent le regard, invitent à la contemplation. Et pour mieux se
projeter dans les paysages alpins, on aperçoit régulièrement un petit humain ou une tente qui
donnent l’échelle et la profondeur des scènes. Un ouvrage qui encourage à saisir la beauté qui
nous entoure et s’y immerger prestissimo.
Olivier

BÊTES DE COURSE
COMMENT LE RÈGNE ANIMAL M’A APPRIS L’ENDURANCE
Bernd Heinrich
C’est sûr, il sait de quoi il parle. Zoologiste et spécialiste réputé du comportement des animaux,
il est accessoirement détenteur du record mondial du 100 km dans sa catégorie. Une fois cela dit,
pour placer un peu le bonhomme, parlons du livre, car l’intro pourrait rebuter.
C’est juste un livre passionnant, voire indispensable, pour qui s’intéresse un tant soit peu au
fonctionnement de son corps. Bien sûr, le rapprochement humain-animal peut surprendre.
Quoi ! Aurions-nous quoi que ce soit en commun avec un mammifère ! Et je ne vous parle pas des
insectes... Donc cette étude d’animaux utilisant de l’oxygène pour faire fonctionner des muscles
et un cerveau afin d’atteindre un objectif précis – pour eux la nourriture, et pour nous le plaisir
Éd. Guérin Paulsen.
du mouvement – course, raid, trail, vtt, etc. (depuis peu, mais à l’origine c’était bien la chasse
280p. • 15x21cm • 25€
qui faisait courir) – est un pur régal. Avec toujours en point de mire la course mythique des
100 km de Chicago, dont l’auteur avait fait son Graal, il nous révèle, et nous détaille, les éléments
qui permettent d’obtenir le résultat souhaité, ainsi que leur évolution dans le temps, selon les
espèces. Peu à peu, il nous ramène au sujet qui nous passionne le plus : Nous, et par l’évolution
des animaux, il nous conduit vers le bipède que nous sommes devenus. Le tout sans jamais
lasser le lecteur. Il nous fait juste courir à ses côtés.
Bruno Désormeaux

104 ∙ CARNETS D'AVENTURES ∙ N°62


L’IMPOSSIBLE ASCENSION
ALEX HONNOLD, UNE VIE DE GRIMPEUR
Mark Synnott
C’est l’Histoire avec un grand H de la première ascension en solo intégral d’El Capitan, célébris-
sime paroi rocheuse du Yosemite, par Alex Honnold. Avec un grand H, parce que l’auteur, Mark
Synnott, lui-même grimpeur, guide de haute montagne et ami d’Alex, loin de nous faire le récit
détaillé mouvement par mouvement de cet exploit, nous raconte plutôt comment l’histoire de
l’escalade au Yosemite nous a menés jusque-là. Cela donne un récit certes un peu décousu par
moments mais toujours passionnant : on oscille ainsi au fil des pages entre le récit autobiogra-
phique, l’évocation de ceux qui ont « lancé » la grimpe au Yosemite, et le long cheminement
d’Honnold pour mener à bien son projet. Un beau voyage dans le monde vertical qui transfor-
merait presque notre siège de lecture en portaledge !
Éd. Amphora. En complément de lecture : le documentaire Free Solo dont on suit les péripéties
464p. • 14x22cm • 23,50€
de tournage dans le livre. Il est beaucoup plus centré sur le personnage d’Alex,
ainsi que sa relation avec l’escalade d’une part, et avec son amie Sanni d’autre
part. Un portait attachant qui permet aussi de mettre des belles images sur les
parois gravies par Alex et, bien sûr, sur l’ascension de la voie Freerider en solo.
Free Solo d’Elizabeth Chai Vasarhelyi et Jimmy Chin, 1h40.
Laurent Pirson

INSTINCT
Fabien Leblond et David Manise
Retrouver un mode de vie plus naturel et des compétences trop longtemps mises en sommeil est
un crédo très actuel. À juste titre à mon avis . Trek en jeûnant, acclimatation au froid, chaus-
sures minimalistes et autres expériences comptent parmi mes pratiques des dernières années
(cf. entre autres le dossier « marcher sans manger » de CA59, le coin des bouquins de CA56 titré
« Gagner en liberté », les chroniques de David).
Les ouvrages sur cette vaste et passionnante thématique se multiplient. Alors, un énième ? Le
fait que David ait contribué à ce livre m’a incitée à l’ouvrir, et je n’ai pas été déçue ! De façon
abordable et pragmatique, il évoque les différents aspects de la vie dans lesquels nous pou-
vons agir, et de quelle manière, en vue de tenter de retrouver le « niveau de force, d’équilibre et
Éd. Amphora. d’endurance de nos ancêtres chasseurs-cueilleurs ». J’insiste sur le côté clair, facile d’accès et
149p. • 17x24cm • 17,50€
concret de cet ouvrage. Nombre des thématiques abordées m’étaient déjà connues, mais parfois,
il suffit d’un petit quelque chose de plus pour vous pousser à l’action !
Johanna

SKI DE RANDONNÉE
GRANDE TRAVERSÉE DES ALPES
Philippe Ertlen
Parmi les premières phrases du livre, on peut lire : « Traverser les Alpes à ski : une grande
aventure à nos portes. Nous avons pris l’habitude de chercher l’aventure toujours plus loin, plus
haut, souvent plus cher et au prix de déplacements en avion dont nous connaissons aujourd’hui
les funestes conséquences ». À la rédac de Carnets d’Av., nous ne pouvons que souscrire. Nous
avons un massif magnifique, vaste, varié, qui se prête à la longue itinérance à ski. Alors allons-y
puisqu’il est là, pas seulement « parce qu’il est là » – qu’il existe – comme le disait Mallory de
l’Everest, mais aussi parce qu’il est là, à nos portes.
Ce sont 1000 km qui sont décrits dans ce topo, le tracé est découpé en une soixantaine d’étapes
Éd. Olizane.
336p. • 15x21cm • 23€ avec des variantes, regroupées en 11 raids d’une semaine environ. Cette présentation rend la
traversée plus modulaire, et réalisable potentiellement sur plusieurs années, ou dans une même
saison selon l’humeur et les opportunités du lecteur voyageur !
Olivier

N°62 ∙ CARNETS D’AVENTURES ∙ 105


COURRIER DES LECTEURS

Vous aimez Carnets d’Aventures et vous voulez nous le dire d’une manière originale, vous désirez commenter
ou émettre une critique sur un article en particulier ou sur le magazine en général, vous avez une photo où vous
êtes en train de lire Carnets d’Aventures dans une situation amusante, alors participez à cette rubrique !
▸ Envoyez-nous vos textes et vos photos à redaction@expemag.com

LU ET APPROUVÉ ! au cours de ma vie profession- rience d’instruire nos enfants à la


nelle, avec des personnes fidèles maison depuis quelques mois. Je
Salut la rédac’ ! autour de moi, et c’est pour cela pourrais vous faire un argumen-
J’espère que vous allez bien. En que je préfère m’abonner encore taire très dense sur pourquoi je
juillet je suis allé faire une des- afin de vous aider ne serait-ce suis totalement contre cet aspect
cente de l’Allier avec les enfants que modestement pour la bonne du projet de loi liberticide mais je
(la partie classe II un peu en des- suite de votre entreprise. Et vais me contenter de vous signa-
sous de Monistrol d’Allier, lieu- encore davantage par les temps ler que si la loi passe, les familles
dit le Pradel) jusqu’après le Bec qui courent et qui sont très diffi- qui veulent voyager au long cours
d’Allier pour rejoindre la Loire. Et ciles pour des structures d’indé- ne pourront plus le faire aussi
j’avais pris de la lecture... pendants (covid, etc.). facilement. Aujourd’hui, le projet
À bientôt ! Merci encore pour tout le de loi est écrit et sera voté en
Alexandre bonheur que vous apportez et première lecture à l’assemblée
le soleil, même si nous vivons nationale le 9 décembre mais
pour notre part dans une région les modalités restent floues. Le
extraordinaire – Nice ! – bien ministre de l’Éducation Nationale
que notre arrière-pays et ses J.M. Blanquer aurait évoqué des
belles vallées viennent de subir dérogations possibles mais là
une immense catastrophe, merci encore aucune règle claire dans
donc pour l’attention que vous le projet de loi. La certitude c’est
avez pour nous tous. Je vous qu’il faudra une autorisation de
souhaite des dizaines et des l’Éducation Nationale pour pou-
dizaines d’années de prospérité, voir voyager avec ses enfants !
ne changez pas surtout ! L’interdiction de l’instruction
Restons simples. en famille est peu médiatisée.
Christian Bon nombre de parents dont
RESTONS SIMPLES les enfants sont scolarisés ne se
Chère équipe de Carnets d’Av, sentent pas concernés. Cepen-
Je me permets de vous joindre à dant, je pense qu’il est très im-
mon abonnement sur deux ans
POUVOIR CHOISIR portant que le plus de personnes
cette petite lettre, juste pour vous « L’ÉCOLE BUISSONNIÈRE » possibles soient informées des
remercier pour tout le bien-être, Bonjour à toute l’équipe, conséquences sur les choix de vie
la part de rêves que vous nous J’espère que vous allez tous bien. des familles.
offrez à travers toutes ces expédi- Nous sommes toujours de fidèles Actuellement les associations se
tions que ce soit en France, notre lecteurs de CA, contributeurs mobilisent autour d’une pétition
si beau pays, ou à l’étranger, et ponctuels (CA n°36) et cyclovoya- (qui résume bien ma position
à nous faire partager les émo- geurs en famille tous les étés . et l’écart entre cette mesure et
tions de tous ceux qui ont eu ou Je me permets aujourd’hui de l’esprit de la loi sur les sépa-
ont le courage de faire tous ces vous écrire pour un sujet qui me ratismes), des manifestations
voyages, en toute liberté et sans tient à cœur et qui va toucher (autorisées par les préfectures) et
contraintes, que ce soit écono- sans doute un certain nombre de la rencontre des députés et des
miques ou matérielles, dans vos lecteurs. En effet, le pré- sénateurs (www.mesopinions.
lesquelles nous sommes baignés sident Macron a annoncé début com/petition/enfants/maintien-
dans notre quotidien. octobre lors de la proposition de droits-instruction-famille/107871)
J’ai continué à acheter Carnets loi contre « les séparatismes » Merci d’avance et n’hésitez pas si
d’Aventures bien que mon abon- que l’instruction en famille serait vous voulez plus d’informations
nement se soit terminé, mais interdite sauf raison médicale. Ce sur le sujet.
vous êtes une jolie équipe, et projet de loi nous touche direc- Domitille (et Franck)
indépendants, comme je l’ai été tement car nous tentons l’expé-

106 ∙ CARNETS D'AVENTURES ∙ N°62


ENCORE PLUS D’HEXAGONE permettre de tester le format PDF À toute la rédaction, bien le
pour voir si cela me convient ou bonjour !
(ndlr : comme lors du premier si le papier apporte sa touche Ici un autre anonyme qui vient
confinement, nous avons mis essentielle... vous remercier, une fois de plus,
à disposition gratuitement des Il ne me reste plus qu’à vous sou- pour tout le travail que vous
numéros en PDF ; vous avez été haiter une belle continuation ! faites et les valeurs que vous
nombreux à nous écrire un petit Célia défendez. Chaque numéro est un
mot à cette occasion, merci !) réel plaisir, même si, forcément,
tout ne me satisfait pas toujours
Merci pour ces lectures offertes et complètement ; mais bon, ainsi
pour votre magnifique magazine va la vie et la richesse vient jus-
que j’achète régulièrement. Je tement, il me semble, de ne pas
l’ai découvert sur le rassemble- correspondre parfaitement à qui
ment « itinéraires partagés » que ce soit.
dans les Landes où des numéros Quoi qu’il en soit, Carnets
étaient offerts. Petite remarque : d’Aventures est le magazine qui
j’aimerais plus de reportages me plait et me correspond le
concernant la France. Pour moi, plus (haut la main) et depuis le
je dis bien pour moi, ça me paraît plus longtemps (très très haut
plus abordable. Pourquoi pas des la main). L’esprit qui y transpa-
sortes de topo à partir de témoi- raît, le vôtre donc, m’apporte, et
gnages... Et à titre personnel je apporte généralement à ceux et
suis plus canoë, canoë-camping, celles qui, de passage ou après
ça me plairait d’en voir plus sou- une discussion en lisent un ou
vent . En tous cas encore bravo. plusieurs numéros, une belle joie
Stéphane et une admiration fournie.
J’espère que votre aventure se
VOS GENTILS PETITS MOTS poursuivra le plus longtemps
ÉVASION AU SUITE AU JEU POTIRON possible et surtout vous appor-
tera toujours la satisfaction qui
POISSON BLANC Bonjour, semble être la vôtre trimestre
Bonjour l’équipe, J’ai lu avec attention et enthou- après trimestre. Au plaisir de
Pour tout vous dire je vous lis de- siasme le CA 60, et j’ai trouvé 6 vous croiser au hasard d’un sen-
puis environ 6 ans, et J’ADORE ce fois le joli nom Potiron et 4 fois sa tier, d’un festival ou d’un refuge.
magazine, vous êtes tout simple- photo. J’ai découvert votre maga- Longue vie à vous et à votre
ment mon préféré . Je suis une zine pendant le confinement, et « bébé ».
grande voyageuse amoureuse de depuis je n’ai pas arrêté de le lire, Hugo
la randonnée et vos récits sont il est vraiment super ! Les sujets, PS : ah oui, et il me semble avoir
très inspirants et captivants, un votre manière « familiale » de repéré 4 Potirons mais bon, rien
pur bonheur d’aventure et d’éva- rédiger, les superbes photos, la n’est moins sûr, il y a d’autres
sion à lire chez soi ou lors de sa façon de penser pour diminuer choses qui attirent les yeux dans
propre mini-aventure. Je vous ai notre empreinte carbone… Même ce numéro 60 (un de mes préférés
joint 3 photos de cet été passé au les sports qui, a priori, m’inté- je dois dire !)
parc du Poisson Blanc au Québec ressent moins, je les lis avec Encore bravo !
(où je vis actuellement), c’est intérêt et je découvre plein de
un bel endroit pour s’adonner choses !
au canot-camping. C’était aussi Tous ces articles me donnant
l’endroit parfait pour lire Carnet envie d’aventures, nous partons
d’Av’. ! prochainement avec mon mari,
Comme j’ai passé ces dernières pour notre 1e « aventure » :
années à vivre dans différents 900 km en tandem, de Lyon à
pays et que je suis écolo / Saumur. C’est une petite aventure
minimaliste je ne me suis jamais par rapport à ce qu’on peut lire
laissée tenter par l’abonnement, dans Carnets d’Aventures, mais
mais c’est certain que c’est l’une c’est le début . Continuez ainsi,
des premières choses que je que du bonheur !
ferai en rentrant en France . Bonne journée à toute l’équipe !
En attendant votre offre va me Carine

N°62 ∙ CARNETS D’AVENTURES ∙ 107


TESTS MATÉRIEL

EXPEMAG.COM C’est aussi notre plateforme en ligne de tests de matériel !


Vous y trouverez de nombreux tests, réalisés sur le terrain et en « labo », avec la démarche à la fois
pragmatique et scientifique que nous adoptons depuis des années.
Dans le magazine, plutôt que de consacrer de nombreuses pages au matériel dans chaque numéro, nous
préférons donner la part belle aux récits de voyage, et privilégier, pour les tests, notre site internet qui
nous permet de vous présenter des comptes-rendus détaillés et en images, et où vous pouvez échanger
avec nous via les commentaires. Cette rubrique n’est qu’un bref aperçu des tests récents !

SIERRA DESIGN
1
Pour une itinérance VTT BUL (Bivouac Ultra Léger), prévue
cet automne mais qui a dû être reportée, la version 25-40
Abris High Route nous semblait intéressante. Si le portage sur les hanches
Sierra Design est une marque américaine assez peu connue est moins primordial à vélo, on apprécie la ventilation du
dans l’Hexagone, spécialisée dans le matériel léger. Pour dos qu’offre l’espacement des mousses lombaires. D’autre
l’anecdote, j’avais importé un tipi « Origami » du même fa- part, vu que la variation de volume se fait sur le diamètre
bricant, il y a 10 ans de ça (on le voit page 69). Quel plaisir et pas sur la hauteur, le sac ne gêne pas en venant buter
de tester leurs modèles actuels, ils ont bien évolué depuis ! sur l’arrière du casque. Le portage du vélo est pratique, la
Déjà, la tente High Route a une géométrie peu convention- solidité des tissus employés rassure quand on pose le vélo
nelle : ce n’est ni un dôme, ni un tipi à proprement parler. sur le haut du sac. Nous avons pu le tester amplement à VTT
En fait, c’est un hybride entre un tipi et une canadienne, de montagne en le chargeant au même poids que pour du
sans l’inconvénient de cette dernière puisque les mâts ne BUL. Pas de surprise, comme son grand frère, avec qui il
sont pas en plein milieu de l’espace habitable. Nous avons partage toutes les options, c’est un bon sac à dos tout à fait
eu l’occasion de la tester dans 2 versions différentes : recommandable.
• La version 1 place, illustrée en couverture de ce numéro , Flex Capacitor 25-40 : 1110 g, 160 €
commercialisée avec une chambre amovible. Flex Capacitor 40-60 : 1217 g, 200 €
• La version 2 places, déclinée seulement en tarp (sans
chambre intérieure donc).
Les 2 modèles peuvent être montés avec une paire de bâ-
VAUDE
3
tons de rando, un allègement conséquent pour les randon-
neurs, sans compromis sur la solidité ni l’espace intérieur.
Le modèle 1 place se distingue justement sur ce point : il est
Sacs à dos Bike Alpin
particulièrement spacieux, même avec la chambre. Le mon- Depuis longtemps, à la rédac, nous plébiscitons les sacs à
tage est facile, quoiqu’un peu plus compliqué sur la version dos à filet tendu pour la pratique du VTT. Ce système épouse
2 places. Le mieux est de faire un tour sur expemag pour la forme du dos (plus courbé à VTT qu’à pied) tout en créant
voir tous les détails sur cet abri à la géométrie surprenante ! une ventilation très agréable. Toutefois, de tels sacs sont
Modèle 1 place : 940 g (DT = 520 g / chambre = 335 g) - 300 € souvent conçus en priorité pour la randonnée pédestre :
Modèle 2 places (tarp uniquement) : DT = 574 g - 230 € parfois trop hauts, à vélo en descente, ils peuvent venir
heurter le casque.
Son nom met la puce à l’oreille : le Bike Alpin allie le meil-
leur des 2 mondes, avec un filet tendu et une géométrie
SIERRA DESIGN
2
dessinés pour la pratique du VTT BUL. J’ai tellement appré-
cié la différence, le confort est incomparable, à la montée
Sacs à volume variable Flex Capacitor comme à la descente.
Nous avons testé en 2 tailles différentes ce sac original et Ma compagne et moi avons utilisé respectivement la version
efficace qui remporte le pari de la polyvalence ! Selon le « 25+5 » et « 32+5 », pendant 2 semaines en Espagne (cf.
modèle, le volume peut donc varier, de 25 à 40, de 40 à 60, p.112). Nous les avons adorés ! Ils disposent de nombreuses
ou de 60 à 75 litres (modèle non testé), via un système de poches et accessoires qui facilitent la vie (emplacement
sangles frontales qui modifient le diamètre du sac plutôt casque extérieur, rangement d’outils, rain cover, anneau
que sa hauteur. Ainsi, à tous les volumes de chargement, on pour fixer les lunettes de soleil… la liste est trop longue !).
garde un sac homogène. Le système est fonctionnel et effi- Leur modularité vient couronner le tout : le volume inté-
cace ; il permet en outre de charger facilement le sac volume rieur est très variable, et les sangles bien conçues pour créer
ouvert, et de bien le compresser ensuite. un portage agréable, quel que soit le chargement. On fait
On a là un bon sac très confortable, solide et léger, avec un corps avec le sac, et la taille 25L est très adaptée aux petites
portage excellent sur le bassin grâce à sa construction qui morphologies, et j’en connais .
fait reposer la structure du sac (un Y en arceaux de tente Tout ça pour un poids très contenu ! Gros coup de cœur, il
DAC) directement sur la large ventrale. À noter que cette est si polyvalent que je le prends désormais à chaque sortie,
structure se démonte facilement et ne prend quasiment même à pied !
plus de place, le sac peut alors se rouler et se loger dans Modèle 25+5 : 1120 g, 120 €
un petit espace (caisson de kayak, sellette de parapente…). Modèle 32+5 : 1170 g, 130 €

108 ∙ CARNETS D'AVENTURES ∙ N°62


1

 TESTS COMPLETS SUR EXPEMAG.COM/TESTS


N°62 ∙ CARNETS D’AVENTURES ∙ 109
CARNETS DIEM

VOYAGE D’UNE PARISIENNE À LHASSA

Par Guillaume Pouyau

S
ur wikipédia, l’article sur les « Écri- un pays à la fois formidable et mystérieux dans
vains de voyage » nous propose une la peur constante d’être démasquée et de devoir
liste de 52 noms, des noms célèbres rebrousser chemin. Elle relate cette aventure dans
comme Verne, Tesson, Stevenson son récit « Voyage d’une Parisienne à Lhassa, à
ou encore London. Mais à y regar- pied et en mendiant de la Chine à l’Inde à travers
der de plus près, parmi ces 52 patro- le Tibet » (1927). Accompagnons-la sur les premiers
nymes, seuls cinq sont portés par mètres de son périple, animée d’un courage sans
des femmes : Germaine de Staël, faille mais également consciente de la dimension
Ella Maillart, Isabelle Autissier, Corine Sombrun et de l’entreprise dans laquelle elle s’embarque :
Alexandra David-Néel. Ces dernières ont eu des vies « Adieu !… Le sentier fait un coude, la maison de la
et des expériences au moins aussi passionnantes et Mission est hors de vue. L’aventure commence. [...]
riches que leurs homologues masculins. De façon Deux fois, je partis en secret, aux premières lueurs
générale, les femmes sont quasiment absentes du du jour, emmenant ma petite caravane à travers les
grand récit de l’exploration et de l’aventure, inexis- immenses solitudes thibétaines [sic] ; déserts arides
tantes ou reléguées au second plan ; il y a heureu- et déserts d’herbe, tous deux silencieux, farouches,
sement quelques contre-exemples... énigmatiques, hautes terres âpres et
Souvent pionnières, toujours mues fascinantes, pays de rêves et de mys-
par une force incroyable, je vous pro- tères… Maintenant, le chaud soleil de
pose de partir à la rencontre de l’une l’automne chinois brille au beau ciel
d’entre elles. bleu sombre ; les montagnes, les bois
Tout à la fois exploratrice, anthro- toujours feuillus, semblent nous invi-
pologue, écrivaine, cantatrice, anar- ter ; nous avons vraiment l’air de partir
chiste et féministe, Alexandra David- pour une simple excursion. C’est là, du
Néel se distingue par un destin hors reste, ce que nous avons déclaré aux
du commun. Née en 1868 à Saint bonnes gens du village que nous ve-
Mandé, elle développe rapidement nons de quitter ; nous allons herboriser
une attirance pour le monde asiatique sur les montagnes. Cependant l’entre-
bouddhiste. Elle se convertit elle- prise est sérieuse et je n’ignore aucun
même à cette religion à 21 ans, l’année des obstacles qui vont se dresser sur
de sa majorité. mon chemin. »
Après une courte période en tant que Consécutivement à son retour de
cantatrice et quelques années dans le Lhassa et un court intermède en Inde,
rôle de la femme mariée durant les- elle rentre en France après de longues
quelles elle se cultivera sur la culture années. Elle y restera 12 ans avant de
bouddhiste, Alexandra quitte l’Europe pour le Sik- repartir, en 1937, une nouvelle fois pour la Chine et
kim, en Inde, en 1912 à l’âge de 43 ans. Elle entame le Tibet, 9 années durant lesquelles elle étudie le
alors un extraordinaire voyage de 14 ans à travers taoïsme. De retour en France, elle s’installe à Digne
l’Inde et le Tibet mais également la Chine, la Mon- où elle écrira jusqu’à sa mort en 1969.
golie ou le Japon. Durant son séjour elle rencontrera Trop peu connue du grand public, cette femme a
de hauts chefs spirituels bouddhistes tel que le 13e relevé des défis et a vécu des expériences comme
Dalaï-lama, elle s’initie aux arts yogis et aux secrets peu de ses contemporains. Loin d’être simplement
de maîtres comme le Toumo qui permet de réchauf- la « femme de », elle a vécu sa vie comme elle l’en-
fer son corps par l’esprit. L’expérience qu’elle vit est tendait sans chercher à savoir si elle rentrait « dans
déjà extraordinaire en soi pour un Occidental mais le moule » que la société lui avait destiné. Véritable
le fait qu’elle soit une femme dans les années 10- source d’inspiration, son récit à Lhassa et ses autres
20 est encore plus incroyable. Elle fait preuve d’une œuvres sont à découvrir ou à redécouvrir. 
liberté de pensée et d’agir hors du commun ce qui
lui permettra de grandes réalisations.
C’est en 1924 qu’elle entreprend sa plus grande
aventure : elle part avec son futur fils adoptif
Yongden, un moine, en direction de Lhassa alors Photo : « Rédacteur Tibet » sous licence
capitale du Tibet interdite aux étrangers. Dégui- Creative Commons Attribution 2.0 Generic.
sée sous les traits d’une mendiante, elle traverse Preus museum, CC BY 2.0.

110 ∙ CARNETS D'AVENTURES ∙ N°62


LE POINT DE VUE DE L’EXTRATERRESTRE

D’une certaine façon, le voyage nature nous extrait du monde. Ces itinérances lentes poussent à la réflexion et changent
notre regard sur les choses, d’où cette chronique un peu décalée.

L’ÉCUEIL DE LA GROGNOSPHÈRE

ur ma planète il y a des siècles… sujet – sujet souvent bien plus complexe que la partie

S
Au début on a vu arriver les réseaux so- de l’iceberg que chacun peut voir, et pour lequel une
ciaux, ils étaient similaires aux vôtres issue satisfaisante est la plupart du temps affaire de
et on s’est tous congratulés : enfin le compromis –, on voyait surgir des groupes avec des
peuple disposait d’un outil qui allait lui avis tranchés, et des conclusions souvent diamétrale-
permettre de faire remonter ses idées, ment opposées – toutes pourtant argumentées (par-
ses envies, ses besoins. Au lieu d’une fois fortement) par chaque bord –, considérant comme
organisation pyramidale de la pensée, ennemis les autres groupes ayant des points de vue
elle deviendrait multilatérale. Une différents. La modestie qui aurait été de mise face à
bonne idée pouvait surgir de n’importe où, proposée la complexité du monde avait disparu. Renforcé par le
par un inconnu, et si elle était soutenue et appréciée, groupe, chacun défendait l’idée partagée sans remise
elle se développerait et se propagerait, pour le meil- en question aucune. L’expertise fut peu à peu ba-
leur. Un outil qui donnerait de la force à la volonté du layée par la somme des convictions et des croyances.
peuple, qui lui permettrait de s’organiser, de résister. L’atmosphère de notre monde devenait irrespirable.
C’était effectivement l’un des usages possibles. Sur ces À cette époque délicate, nous avons failli perdre notre
réseaux on pouvait en effet partager des ressources, civilisation. Il nous a fallu structurer ces outils sociaux,
des infos, dénoncer de vrais abus afin d’améliorer car un outil très puissant et mal utilisé peut s’avérer
la société. On pouvait se grouper pour avoir plus de fatal. Éduquer, former, faire prendre conscience de la
force, partager, faire circuler de l’information qui, puissance nouvellement acquise par les citoyens. Car
dans certains environnements sociétaux, serait blo- qui dit grands pouvoirs, dit grandes responsabilités.
quée autrement. Des structures tyranniques ont pu Savoir endosser ces responsabilités, savoir se mettre
être déstabilisées et transformées, des peuples se sont à la place des autres, savoir mesurer et équilibrer ses
libérés de l’oppression. Cependant, certains systèmes avis, ne pas leur accorder trop de crédit (un avis tran-
non démocratiques suffisamment puissants, qui exis- ché devrait toujours allumer des voyants d’avertisse-
taient sur notre planète, ont pu prendre le contrôle de ments dans nos têtes), se méfier de nos croyances, de
ces outils par une censure partielle ou complète, les nos convictions, de nos haines, cultiver l’humilité,
rendant inopérants. Dans les systèmes démocratiques savoir écouter, décortiquer l’information, vérifier les
toutefois, ces réseaux ont pu continuer à croitre et sources, savoir sortir de son groupe (confortable) pour
prospérer. Pour le meilleur… regarder ailleurs…
Mais pas que… Car c’était aussi le lieu où chacun Souvent les questions sont bien plus complexes à
pouvait exprimer sa grogne, où l’on se regroupait démêler qu’il n’y parait. Dès que l’on creuse un pro-
facilement, où l’on se rendait compte que les mécon- blème, les solutions possibles sont plurielles, et cha-
tentements étaient souvent partagés, donc forcément cune est histoire de compromis, avec des points posi-
justifiés ? Parfois oui, parfois non, parfois pas totale- tifs et d’autres moins.
ment, toute la subtilité était de démêler le vrai du faux Cependant, adopter un avis tranché, avec une
et de faire la part des choses. Le phénomène prenait connaissance extrêmement limitée du sujet, devenait
de l’ampleur, se renforçait, se muait en quelque chose malheureusement fort commun. Alors, dès le début
de plus élaboré, certains en arrivaient même à se de leur éducation, nous avons entrepris de placer
convaincre que le peuple était contrôlé par des extra- nos jeunes face à des problématiques abordables, et
extraterrestres . leur avons proposé de trouver des solutions par eux-
Tous ceux à qui une idée parlait s’aggloméraient au mêmes. Cela leur a permis d’appréhender la complexi-
groupe de pensée, ajoutaient leur grain de sel ou ma- té d’une situation, de goûter l’art du compromis, de
nifestaient leur approbation. Dans certains groupes, la prise de décision collégiale, d’un accord sur ce que
tout le monde semblait penser la même chose, et si l’on pense être un optimum, en ayant conscience de
quelqu’un avait le malheur d’émettre une critique ou ses points forts et faibles, toucher du doigt la réalité
un désaccord, l’ensemble du cercle pratiquait un lyn- souvent loin d’une position manichéenne. Ces expé-
chage virtuel en règle – et heureusement qu’il n’était rimentations leur ont permis de cultiver l’humilité, et
que virtuel, car la violence extrême qui pouvait se libé- tout simplement de prendre conscience que le monde
rer dans ces hémicycles numériques était glaçante. Et qui nous entoure est bien plus riche et complexe que
vu que le lynchage était facile, ceux qui n’étaient pas ce que certains veulent croire. C’est aussi ce qui en fait
tout à fait d’accord n’osaient souvent rien dire. L’am- sa saveur…
biance sociale de ma planète commençait vraiment à Ainsi sont les grandes lignes du chantier que nous
se tendre. avons dû entreprendre sur ma planète pour que la
Au bilan, chaque groupe portait facilement une pen- démocratie reste un puissant outil de construction et
sée unique, amplifiée, caricaturale. Pour un même pas de démo…lition. 

N°62 ∙ CARNETS D’AVENTURES ∙ 111


PETITS MESSAGES DE LA RÉDAC’

LES DERNIÈRES NOUVELLES !


» DÉMÉNAGEMENTS
Entre les bouclages de CA61 et CA62 que vous tenez entre
les mains, les membres hauts-alpins de l’équipe ont tous
déménagé de Chorges à… Chorges ! C’est donc de quelques
kilomètres à peine (notez combien nous promouvons les
destinations proches ) que nous avons déplacé nos chez-
nous en même temps que nos bureaux, puisque, vous le
savez sans doute déjà, nous travaillons tous depuis nos
domiciles. Carnets d’Aventures est et restera un magazine
indépendant et concocté avec passion.
Les fans de Potiron seront contents d’apprendre qu’il s’est
rapidement adapté à son nouvel environnement. Il pour-
suit son repérage des nombreux endroits où il peut glisser
une sieste entre deux sessions de travail, car évidemment,
c’est lui qui fait tout à la rédac ! Potiron au taf pendant la réalisation de ce numéro.

» NO SPAIN NO GAIN
Entre bouclage, déménagement et confinement, Anthony
et Anne ont choisi le bon créneau pour partir à la décou-
verte des sierras du sud-est de l’Espagne. Ils nous racon-
teront bientôt leurs aventures cyclopédiques, qui ont
commencé sur le rail et se sont terminées à l’Alhambra.

» LA LÉGÈRETÉ DU PARAPENTE
Voilà quelques mois que Johanna, entre deux vols en para-
pente, fait chauffer son esprit et son clavier. Le résultat :
« La Légèreté du parapente, Petites circonvolutions sur le
vol libre et les promesses du ciel ». Un livre de la collection
« Petite philosophie du voyage », à paraitre en mars 2021
chez Transboréal, cette incontournable maison d’édition
dédiée au voyage (que nombre d’entre vous connaissent
déjà !). On vous en reparle dans le prochain numéro.
Note : clin d’oeil involontaire avec les dossiers de ce numé-
ro, la photo de couv du livre a été prise dans le Queyras.

Traversée de la sierra de Segura.

À VOTRE TOUR ?
Depuis ses débuts, Carnets d’Aventures est un magazine
participatif. Alors si vous pratiquez le voyage itinérant sans
moteur et en bivouac, contactez-nous !
▸ redaction@expemag.com
Pour savoir comment faire, comment nous rassemblons
les propositions d’articles, en connaitre plus sur la ligne
éditoriale… Rdv sur :
▸ expemag.com/go/faq-mag

112 ∙ CARNETS D'AVENTURES ∙ N°62


NOTRE APPROCHE L’ÉQUIPE
Carnets d’Aventures est un magazine indépendant, édité
par une petite équipe de passionnés.
Rester indépendant nous semble très important pour
garder notre liberté de pensée, d’action et d’expression.
Se permettre de donner vraiment son avis (sur un test de
matériel par exemple), faire certains choix (comme celui
d’imprimer sur du papier recyclé ce qui reste malheu-
reusement trop marginal dans la presse), ne pas avoir de
rubrique « shopping », sélectionner nos publicités (pas
de pub de voitures, de compagnies aériennes, d’alcool…),
exprimer certaines idées, adopter un fonctionnement par-
ticipatif, rester proche de ses lecteurs, tout cela est facilité
par la liberté que nous confère cette indépendance. C’est
vous qui la rendez possible en achetant le magazine ou
en vous abonnant. Merci !
(Lire aussi « Notre ligne éditoriale » p.3).

ON N’EST PAS QUE SUR PAPIER !


» EXPEMAG.COM De gauche à droite : Alexandre, Johanna, Olivier, Anthony
Notre site, dédié à la communauté des voyageurs nature.

» MYTRIP » ANTHONY KOMARNICKI


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actif défenseur de la mobilité douce.
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Notre plateforme de tests de matériel. » OLIVIER ET JOHANNA NOBILI
▸ expemag.com/tests Ils ont créé Carnets d’Aventures en 2004 à la suite
d’une itinérance méditerranéenne de 2 mois en
» BOUTIQUE / MON COMPTE kayak de mer. Avant ils étaient ingénieurs dans
Pour commander, s’abonner, gérer son abonnement… l’informatique et les télécoms. Aujourd’hui, ils pra-
▸ expemag.com/boutique tiquent presque quotidiennement parapente, VTT,
ski de randonnée et sorties en montagne suivant la
» RÉSEAUX SOCIAUX saison. Ils essaient aussi de diminuer leur bilan car-
On préfère tous être dehors loin des écrans, mais quand il bone et d’expérimenter d’autres façons de voyager.
pleut, n’hésitez pas à faire un tour sur nos réseaux !
» ALEXANDRE GUILTAT
@carnetsdav fb.com/carnetsdav Grimpeur et amateur de rando, il se passionne pour
le voyage nature, il a notamment parcouru l’Irlande
à pied pendant deux mois. Après un diplôme et
une expérience de commercial, il a travaillé dans le
VOUS AIMEZ CARNETS D’AV milieu de la distribution d’équipements de sport.

ET SA DÉMARCHE ? » JEAN VIALE


Le père de Johanna, ingénieur retraité, amateur
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N°62 ∙ CARNETS D’AVENTURES ∙ 113


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#3 L’ivresse de la marche
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12 JANVIER 2021
L'ÉPISODE 27

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