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Illuminer
nos mémoires
Sébastien Lilli
Directeur de la publication
et rédacteur en chef
l existe mille et une histoires de France. Certaines nous sont
ouvertement racontées dans les livres ; d’autres nous sont
contées discrètement au coin du feu ; quelques-unes encore
ne parviennent jamais à nos yeux ou à nos oreilles. Pourtant,
plus le temps passe, plus l’évidence me frappe : chaque pièce du grand puzzle Reliés à un
qu’est notre pays possède bien une face cachée, ou plutôt une face extraordi- personnage
naire... Reliés à un personnage clé ou à un lieu sacré, bon nombre de récits
vivent encore dans nos mémoires ou dans la pierre. Ils ouvrent une fenêtre
clé ou à un
vers des questions éternelles, car partout et de tout temps, le mystère est à lieu sacré, bon
notre portée... nombre de
Au cœur de l’Hexagone, je me suis souvent surpris à découvrir l’extraordi- récits vivent
naire, sans doute comme certains d’entre vous. Ouvrir les yeux devant le encore dans
caractère initiatique et les messages codés d’une chapelle. S’arrêter à la lisière
d’une forêt et palper des mondes invisibles en émoi. Oser dépasser les sentiers
nos mémoires
battus et découvrir une fontaine miraculeuse oubliée. Poser la main sur une ou dans
pierre levée et ressentir le courant d’énergie qui s’en dégage. S’émerveiller la pierre.
devant les travaux de chercheurs passionnés, dont les traces nous emportent
auprès d’eux. Quelques exemples vécus, s’il en fallait, qui nous montrent que
les surprises sont partout où l’on sait les voir ! Mais à quelques conditions :
s’affranchir de l’espace et du temps, s’intéresser aux événements insoupçonnés
qui ont impacté notre histoire et qui dressent autour de nous des personnages
mythiques, ouvrir également notre âme aux énergies de la terre, à la force des
symboles et des légendes qui nous offrent des lieux véritablement enchantés
- ou à réenchanter.
notre passé mystérieux, engagez-vous sur les intrigantes routes de nos régions,
et vous verrez qu’ici et là et depuis toujours, l’occasion nous est donnée de
remplir de lumière nos esprits !
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Sébastien Lilli
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Correctrice
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Relectrice
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Carine Anselme, Melanie Chereau,
Réjane Éreau, Miriam Gablier,
Julie Klotz, Catherine Maillard,
Jocelin Morisson
Responsable communication
et partenariats
Justine Boyer
Photographes
Yvon Boëlle, Stéphane Compoint, David Galley, Dan Courtice
Couverture
Conception graphique Jérôme Saïdani
Conception éditoriale
INREES, 67 rue Saint-Jacques 75005 Paris
Présidence : Sébastien Lilli
RCS Paris : 529 179 582
ISSN : 2119-4971
N° Commission paritaire :
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STÉPHANE ALLIX CONTINUE…
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www.inrees.com/abonnements Rencontre avec les six médiums interviewés
lors de l’enquête de Stéphane Allix,
pour lever encore un peu plus le voile
sur la vie après la mort.
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01.
02.
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04.
05.
06.
Une autre histoire de menhirs
Fascinant pays cathare
Le Berry : terre de sorciers
Dordogne : premiers pas du sacré ?
L’Anjou : vie souterraine et cachée
Mont Saint-Michel : l’archange veille
Chartres : un miroir alchimique
Provins : des souterrains initiatiques
Fontainebleau : la légende du chasseur noir
Saint-Honorat : dans le doux silence de l’île des moines
Grotte de la Sainte-Baume : au plus près du Christ
HISTOIRES & LIEUX EXTRAORDINAIRES DE FRANCE
Normandie / Hauts-de-France
PAGE 40 11. Le château des Noyers
PAGE 41 12. Notre-Dame d’Amiens
PAGE 41 13. Les légendes de l’abbaye de Mortemer
Paris
PAGE 50 14. Notre-Dame : trois portails alchimiques
PAGE 51 14. Père-Lachaise
PAGE 51 14. Les catacombes
Corse / Îles
PAGE 88 23. Les menhirs de Filitosa
PAGE 88 24. Les îles Lavezzi
PAGE 89 25. La mosquée de Tsigoni
PAGE 89 26. Temples tamouls de la Réunion
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HISTOIRES & LIEUX EXTRAORDINAIRES DE FRANCE
A . PAGE 116
XIe siècle Singulières Vierges noires
B . PAGE 20
1119 - 1312 Les Templiers, un ordre révolutionnaire
C . PAGE 32
1412 - 1431 Jeanne d’Arc l’extralucide
D . PAGE 56
1503 - 1566 Nostradamus, le prophète de salon
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1519 - 1589 Catherine de Médicis, la légende noire 1830 La médaille mystérieuse
H . PAGE 96 N . PAGE 48
1623 - 1662 Blaise Pascal, un génie à corps perdu 1896 Rue de Paradis, une voyante d’enfer
O . PAGE 42
I . PAGE 102
1901 Les fantômes du Petit Trianon
1678 Sorcellerie, alchimie et morts mystérieuses
Brocéliande est
avant tout une forêt
imaginaire.
BRETAGNE
surnaturelle
LA
Est-ce le mystère insondable de ses forêts de légende ?
La brume fantomatique courant sur les landes, qui brouille la frontière entre le visible
et l’invisible ? Ou l’énergie puissante de ses mégalithes ?... Quoi qu’il en soit,
la Bretagne est une terre « surnaturelle ». De Brocéliande aux monts d’Arrée,
voyage au seuil de l’Autre monde. Par Carine Anselme. Photos Yvon Boëlle.
SURNATURELLE
qui décorent généreusement l’édifice. fleurent de toutes parts. Le Ménage de
Le chemin de croix a fait jaser : à la la Vierge, le Champignon, la Roche
9e station, Jésus tombe pour la troisième cintrée, le Fauteuil du diable : autant
fois... aux pieds de la fée Morgane, très de noms évocateurs de légendes pour
légèrement (dé)vêtue d’une robe rouge. ces pierres animées. Mais c’est surtout
À la 13e station, Joseph d’Arimathie re- la Roche tremblante (Roch’a kren) qui
cueille le sang du Christ dans le Graal. attise l’imaginaire. « La pierre branlante
Ce même Graal que l’on retrouve sur dont les cent tonnes oscillent avec des
BRETAGNE
trois vitraux du chœur et sur la mo- grâces éléphantines sous quelques poussées
saïque dévoilée en 2014, après avoir dé- rythmées », nous dit Victor Segalen, est
placé l’autel qui la masquait depuis pro- érodée de telle façon qu’elle repose en
bablement cinquante ans. Autre œuvre équilibre sur son arête et oscille si l’on
clé, la mosaïque du cerf blanc témoigne accompagne son mouvement depuis un
là encore de la fusion entre la spiritua- point précis. Il n’en fallait pas plus pour
LA
lité chrétienne et l’esprit celtique. Le lui conférer une aura magique. Elle fait
cerf blanc et les quatre lions rouges il- partie d’un type de pierres autrement
lustrent un épisode de la quête du Graal appelées « roulées », dans lesquelles les
où Galaad aperçoit ces animaux sur- druides voyaient le symbole de la puis-
naturels qui se révèlent être Jésus et les sance de Dieu. Il y a bien sûr, dans ce
évangélistes. Dans les textes arthuriens, phénomène chaotique, des explications
le cerf guide parfois les héros vers leur géologiques... mais moins poétiques
destin, comme il conduisait les âmes que la version légendaire. On raconte
des défunts dans les anciennes religions. notamment que Gargantua, de passage
Le décor, lui, nous ramène à Barenton, à Huelgoat, se serait arrêté à l’orée de la
autre lieu sacré de Brocéliande, avec les forêt. Tenaillé par la faim, il demanda
arbres, le ruisseau et le perron de Mer- aux habitants une pitance. Ceux-ci ne
lin. Plus largement, l’église du Graal, à purent lui offrir qu’une bouillie de blé
l’image de cette quête éternelle, nous in- noir, plat fruste que le géant n’apprécia
vite à une aventure intérieure. Une ins- que modérément. Furieux, il s’en alla
cription mystérieuse nous le rappelle : vers le pays de Léon (Nord-Finistère),
« La porte est en dedans. » terroir alors plus prospère, et jura de
se venger. Il désempierra donc tout le
Huelgoat : gare à Gargantua Léon pour jeter les roches sur Huelgoat.
« Actuellement, on parle de Gargantua,
L’autre fabuleuse forêt bretonne, mais quand j’étais jeune, on parlait d’un
Huelgoat... Moins courue que la fo- géant venu d’Irlande », avait coutume
rêt de Paimpont, celle-ci conserve d’expliquer le conteur Jean-Marie Le
une part de mystère, enfouie dans Scraigne, aujourd’hui décédé. L’occa-
SURNATURELLE
largement celtique. L’animisme propre
aux pierres fait d’elles des êtres dotés
de vie, supports rêvés pour les légendes
et rituels : les dolmens servent de logis
aux fées ou aux korrigans, tandis que
d’autres menhirs s’en vont boire à la mer
les nuits de Noël...
© Shutterstock
BRETAGNE
Monts d’Arrée, aux portes de l’enfer
LA
et mégalithes. L’énergie y est puissante,
l’atmosphère étrange. Il paraît qu’on Gravure du XIXe siècle représentant le cercle de pierre connu sous le nom de
tombe de Merlin dans la forêt de Paimpont.
peut y croiser le funeste cortège de l’An-
kou, prophète de la mort évoqué plus
haut... Quand ce dernier emprunte le
chemin de l’Arrée, c’est qu’il est, dit- tion sera achevée, on verra soudain s’enfuir fuite. Le démon Golo-Robin (feu follet)
on, en « mission », en route pour les et disparaître dans la tourbe un chien noir indiqua la retraite aux deux malfrats. Ils
tourbières du Yeun Elez, qui occupent aux yeux de braise. C’est le maudit qui cernèrent leur père à l’extrémité nord de
une gigantesque dépression au cœur dès lors ne se manifestera plus », partage l’île et l’y assassinèrent froidement.
des monts d’Arrée, l’Ellez ayant la triste Gwenc’hlan Le Scouëzec, dans Bretagne Chargeant le cadavre sur leurs épaules,
réputation d’être la rivière des damnés. mystérieuse(2). Par un curieux clin d’œil ils gravirent la falaise pour l’en précipi-
La légende bretonne situe ici même de l’histoire, ce fut aussi le site de la cen- ter. Mais, brutalement, leurs pieds se
les portes de l’Enfer... « On dirait, en trale nucléaire des monts d’Arrée, fer- retrouvèrent englués dans le sol et leurs
été, une steppe sans limites, aux nuances mée depuis 1985 et toujours en cours bras se pétrifièrent... Transformés en ro-
aussi changeantes que celles de la mer... de démantèlement délicat... chers, les affreux rejetons demeurent à
À mesure qu’on avance, le terrain se fait présent au-dessus du gouffre, éternelle-
de moins en moins solide sous les pieds : Les pétrifiés du gouffre du Paon ment liés au cadavre de leur père, chan-
bientôt on enfonce dans l’eau jusqu’à mi- gé lui aussi en pierre et gisant aux pieds
jambe et, lorsqu’on arrive au cœur du L’imaginaire îlien est bouillonnant des parricides. La légende raconte que le
Yeun, on se trouve devant une plaque ver- comme l’écume. L’isolement et la vie au sang paternel a coulé sur eux et les
dâtre, d’un abord dangereux et de mine rythme des humeurs de la mer donnent pierres alentour, donnant cette couleur
traîtresse, dont les gens du pays prétendent lieu à d’innombrables récits légendaires. rouge, stigmate du drame. En dépit ou
qu’on n’a jamais pu sonder la profondeur. Ainsi en est-il à Bréhat. L’énorme pierre, en raison de cette sinistre légende, le
C’est la porte des ténèbres, le vestibule si- posée à cheval au-dessus du gouffre du gouffre du Paon a vu défiler des généra-
nistre de l’inconnu, le trou béant par le- Paon, traîne dans son sillage une sacrée tions de jeunes filles de Bréhat. Une so-
quel on précipite les conjurés. Cette flaque histoire. On est ici à la pointe nord de lide tradition attribue au gouffre une
est appelée le Youdig (la petite bouillie) : l’île, sauvage et battue par les vents. vertu d’oracle. En y jetant un galet, la
parfois son eau se met à bouillir. Malheur Cette pierre colossale mène une lutte jeune fille connaîtra, dit-on, sa destinée
à qui s’y pencherait à cet instant : il serait éternelle avec l’océan qui, dans ses as- romantique. Si la pierre chute directe-
saisi, entraîné, englouti par les puissances sauts, essaie de la déboulonner, la sou- ment dans le gouffre, elle se mariera
invisibles », relatait Anatole Le Braz, lève et, impuissant, la laisse retomber, dans l’année. Par contre, si le galet
dans La légende de la mort. Si les Celtes dans un bruit sourd de marteau dont le heurte malencontreusement une paroi,
y situaient les portes de l’au-delà, les en- choc infernal résonne dans l’île. De quoi la malheureuse doit attendre un époux
fants du cru y voyaient leur pire cauche- frapper l’imagination bretonne, tou- autant d’années qu’il y a de rebonds.
mar, bien vivant celui-là (« Si tu n’es pas jours à l’affût des signes secrets envoyés
sage, tu iras au Youdig »). Vu la nature par les forces de la nature. On raconte
de cet endroit, pont jeté entre les rives, ainsi que Gwill et Isselbert, deux jeunes
on ne s’étonnera pas qu’il soit un haut gens fort peu recommandables, malgré
lieu d’exorcisme. Si l’on est poursuivi leur noble origine, fomentèrent le projet
par l’âme d’un damné, le seul remède de tuer leur père, Mériadec, comte de
consisterait à se rendre près du Youdig Goëlo, pour s’emparer de ses biens. Ce- www.tourismebretagne.com
avec un exorciste. « Lorsque la conjura- lui-ci eut vent du complot et prit la www.centre-arthurien-broceliande.com
C
’est une cité perchée sur un aplomb ro- Un idéal spirituel
cheux, sur les hauteurs de Vintimille. Au
Moyen Âge, Seborga était propriété des Fin du XIe siècle : l’Occident part à la libération de
moines de Lérins. Ici, on parle italien. Jérusalem et du tombeau du Christ – ainsi peut-être
Ici, les symboles templiers sont partout. La croix que d’un renouveau politique et économique. « Les
pattée, sur le sol des placettes. Les blasons rouge et croisades étaient un moyen de mettre la main sur les
blanc, sur les murs des maisons… Ici, on murmure richesses du Moyen-Orient », estime Jacques Rolland,
qu’en 1118, ceux qui allaient devenir les premiers auteur de livres sur les Templiers. Jérusalem est re-
templiers y furent consacrés ; et que l’abbé Bernard conquise en 1099, mais c’est un bain de sang, qui
de Clairvaux, quelques années plus tard, y ordonna fait des dizaines de milliers de victimes. « On prend
le premier maître de l’Ordre. conscience de la nécessité de revenir à une approche plus
sobre et plus pure », explique Jacques Rolland. L’idée
Tous les 20 août, des passionnés s’y rejoignent pour circule auprès des grands du royaume que s’ils ne
la Saint-Bernard. Les rumeurs circulent : les Tem- réagissent pas contre la barbarie, l’opprobre pèsera
pliers auraient possédé les archives du roi Salomon, sur leurs têtes.
ainsi que des reliques, comme le pectoral d’Aaron – Les forces restées sur place sont dérisoires. Com-
frère de Moïse et premier grand prêtre d’Israël. ment mieux protéger la Terre sainte et ses pèlerins ?
On dit aussi qu’ils auraient détenu les sandales du Neuf chevaliers se mobilisent, menés par Hugues
Christ ; et que le linceul de Turin ne porterait pas de Payns. L’homme connaît l’Orient : il a participé
l’empreinte de Jésus, mais celle du dernier maître à la première croisade avec son suzerain, le comte
du Temple. À Rennes-le-Château, dans l’Aude, les Hugues de Champagne. À leur arrivée en 1119, ils
habitants sont également très investis et certains sont accueillis par le roi de Jérusalem et hébergés
forent leur sol à la recherche d’un trésor templier. dans son palais – édifié sur les ruines du temple de
Comment expliquer un tel culte ? Qu’est-ce qui Salomon. Devant le patriarche de Jérusalem, ils font
plane dans l’air ? vœu de se consacrer au service des chrétiens « dans
UN
LES TEMPLIERS,
la pauvreté, la chasteté et l’obéissance », précise l’his-
torienne Régine Pernoud.
Hugues de Payns fonde en 1120 une première Mi-
licia Christi en soutien aux chanoines du Saint-Sé-
pulcre, mais son entreprise a besoin d’appuis.
À son retour en Europe, huit ans plus tard, un
concile se tient à Troyes sur ordonnance du pape,
pour asseoir la création d’un ordre de moines sol-
dats nommé les Pauvres Chevaliers du Christ et du
Temple de Salomon.
Leur mission est d’assurer la sécurité des pèlerins et
de la Terre sainte. Leur nom interroge : pourquoi
cette référence à Salomon ? Simple repère géogra-
phique pour les uns, il s’agit pour d’autres d’un
hommage : dans les trois monothéismes, Salomon
est un personnage clé, à la fois roi, prophète et sage.
Dans la Bible, son règne est présenté comme un
âge d’or, de paix et de prospérité. Pour Jacques Rol-
land, le nom des Templiers allie ainsi « l’Ancien et le
Nouveau Testament ».
Signe d’une volonté de revenir à une foi plus origi-
nelle ? En Terre sainte, peut-être ont-ils découvert
Devant le patriarche de un judaïsme primitif, tel celui pratiqué par les essé-
niens. Peut-être ont-ils été marqués par les chrétiens
Jérusalem, ils font vœu d’Orient, qui réfutaient le supplice du Christ, ou par
de se consacrer au une mystique orientale axée sur l’élévation de l’âme
par l’intériorisation ? « Les Templiers ont été les pre-
service des chrétiens.
miers à introduire des penseurs comme Averroès et Avi-
cenne, qui travaillaient beaucoup sur l’esprit », souligne
Elles apparaissent toutes Jacques Rolland. Peut-être encore ont-ils été influen-
entre la fin du XIe siècle et cés par une « chevalerie spirituelle iranienne qui mêlait
© Shutterstock
explique Régine Pernoud – à chercher un « vrai dé- lon, Londres, Paris ou La Rochelle, il possède des
passement ». pans de villes entiers.
Exit le soudard pillant et tuant allègrement ; les Dans cet « État dans l’État », le maître est élu,
templiers se mettent au service de ceux qui ont be- de même que les commandeurs. Fait nouveau
soin d’être défendus, dans le respect d’une ascèse au Moyen Âge, il y est donc possible d’obtenir
et de l’adversaire. Seuls 40 des 486 articles de leur des responsabilités sans être noble. « Les struc-
règle sont consacrés à la vie militaire ; les autres tures sont très hiérarchisées, mais les pouvoirs exer-
concernent la vie monastique. Leur spiritualité n’est cés ne sont pas totalitaires », confirme Régine Per-
pas décorrélée de l’action. L’esprit doit pouvoir diri- noud. Même leurs ennemis rendent hommage
ger la matière. à leur esprit de tolérance. « Ils ont reçu dans leur
cloître des sultans et leurs hommes, rapporte l’his-
torienne. À Jérusalem, ils réservaient une mosquée
Une ambition sociale pour que les musulmans puissent prier librement. »
Pointe alors le projet d’une société, où les valeurs
Leur essor est fulgurant. Premier ordre monastique spirituelles sous-tendraient l’organisation matérielle.
dont la règle est édictée en langue franque – com- À la manière des califes, les Templiers prônent un
prise par beaucoup, contrairement au latin –, il pouvoir constitutionnel où le roi ne gouvernerait
rassemble, dès 1130, deux à trois mille personnes. pas et où l’administration civile, militaire et écono-
Convaincus par leurs confesseurs qu’il en va de leur mique serait guidée par des forces humanistes. Des
salut, des seigneurs leur donnent des terres, des do- fiefs templiers émergent, mais leur puissance et leur
maines ou une part de leurs revenus. L’Ordre attire impunité agacent les rois de France.
nobles, savants et lettrés. Les dons et les legs affluent.
Quiconque le rejoint doit amener ses biens.
Favorables à une chevalerie qui œuvre de ses mains, Passés à la postérité
les templiers se lancent dans l’agriculture et le com-
merce. Ils affrètent des flottes, qui convoient non D’autant qu’en Orient, la situation se crispe. Les ma-
seulement des soldats et des pèlerins, mais aussi des melouks de Saladin gagnent du terrain. En 1187, Jé-
vivres, des chevaux, des prisonniers rusalem est perdue. La présence en Terre sainte coûte
et des esclaves. Le tout s’avère ex- cher et ne rapporte plus rien. Plus personne ne croit à
trêmement rentable. « Ils sont aussi sa défense… à part Louis IX. Obligeant les Templiers
les inventeurs de la lettre de change », à rompre les alliances qu’ils ont conclues, le roi lance
indique Jacques Rolland. Les voya- de nouvelles croisades. En 1250, il est fait prisonnier
geurs en partance pour la Terre en Égypte. « Il en tiendra rigueur aux templiers », ex-
sainte opèrent auprès d’eux des pose Jacques Rolland, estimant qu’ils ont tardé « à lui
versements, en échange d’un cou- porter secours et à payer sa rançon ».
pon sur présentation duquel, à leur En 1291, les croisés sont acculés à Saint-Jean-d’Acre,
arrivée, ils récupèrent des espèces. au nord de l’actuel État d’Israël, par des dizaines
L’Ordre fait office de caisse de dépôt de milliers de combattants musulmans. Les forces
Les Templiers : et d’emprunt. Considéré comme chrétiennes résistent jusqu’au bout, mais la ville
les archives secrètes du Vatican sûr, il devient un intermédiaire fi- tombe. L’élite templière est décimée. Cette défaite
Jacques Rolland, Éd. J’ai Lu, 2013, 6,70 € nancier incontournable. marque la fin des États chrétiens d’Orient. L’Ordre
?
RÉVOLUTIONNAIRE
six cents templiers. Petit-fils de Louis IX, le roi Phi- de devenir un mythe ? En Espagne, à l’issue d’un
lippe IV le Bel veut leur peau. « Ses finances sont procès équitable où ils furent acquittés, ils se réfor-
un gouffre », expose Régine Pernoud ; souhaitait-il mèrent en un ordre dit « de Montesa ». Le Portu-
« s’accaparer des biens qu’il estimait peut-être lui-même gal refusa leur abolition ; ils devinrent l’Ordre du
au-dessus de ce qu’ils étaient réellement ? » En détrui- Christ. En France, certains templiers, dont trois im-
sant le Temple, « il affirmait aussi une tendance à portants commandeurs, s’enfuirent en bateau peu
l’absolutisme » qui ne pouvait s’accommoder « d’un avant l’arrestation générale. Ont-ils emporté avec
pouvoir spirituel par lequel lui résistait une partie de eux leurs archives, voire leur fortune ?
l’homme », souligne l’historienne. « Nul ne sait s’ils ont fouillé les souterrains du roi Salo-
Le chancelier Guillaume de Nogaret est chargé de mon », conclut Jacques Rolland, mais s’ils y ont trou-
ORDRE
nourrir contre eux des soupçons d’hérésie. « Leurs vé un trésor, celui-ci est peut-être « avant tout spiri-
infamies se manifestent notamment lors de la réception tuel ». Nombre de confréries initiatiques se récla-
des frères, vitupère-t-il. On leur fait renier par trois fois ment de leur héritage – la franc-maçonnerie, par
le Christ et cracher sur le crucifix. » Il les accuse de rites exemple, même si trois ou quatre siècles les séparent.
UN
obscènes et d’idolâtrie. « Ils adorent une statuette nom- Le « grand secret » des Templiers serait-il à chercher
mée Baphomet et portent sur eux une cordelette qui a été « du côté du cœur » ?
LES TEMPLIERS,
précédemment déposée sur une statue », argue-t-il.
Le vendredi 13 octobre 1307 à l’aube, tous les tem-
pliers de France sont arrêtés. Des aveux leur sont
arrachés sous la torture. Un mois plus tard, le pape
ordonne à son tour leur arrestation dans tous les États
de la chrétienté. L’Ordre est dissous en 1312. En
1314, le dernier maître du Temple, Jacques de Molay,
est envoyé au bûcher. « Ils demandèrent à tourner le L’assassinat programmé des Templiers
visage vers Notre-Dame, crièrent une fois de plus leur in- Jacques Rolland
nocence et, devant la foule saisie de stupeur, moururent Éd. Dervy, 2011, 12,07 €
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Les menhirs
&
sont des
HISTOIRES
antennes
de pierre qui
rayonnent
d’énergie.
(avec le feldspath et le mica), se met d’un observatoire astronomique », observe (et d’autres, en France et ailleurs) dans
« en vibration » lorsqu’il est soumis à Thierry Gautier. La captation-relais des l’espoir d’une grossesse. « Symbole phal-
un rayonnement, ce qui provoque des rayonnements pourrait donner, ici, une lique, en raison de sa forme, on peut penser
charges électriques à la surface des cris forme de justification à ces différences de que l’apport énergétique du mégalithe per-
DE
taux. « Ce phénomène porte le nom de hauteur... « Il n’est pas utile, dans une file met aux femmes de bénéficier d’une har-
piézoélectricité. Notez que les menhirs en monisation de leur circulation énergétique
EXTRAORDINAIRES
grès sont aussi vibrants. » Si le site d’im de nature à dénouer le blocage à l’origine
plantation est déterminé en fonction de de leur trouble. Des effets vraisemblable-
sa qualité énergétique, il est nécessaire ment renforcés par les milliers de pratiques
de construire en cohérence avec celle-ci. Véritables dont ces menhirs ont fait l’objet. » Cepen
Ceux qui dressèrent les menhirs, en bâ dant, l’énergie puissante des menhirs est
tisseurs d’énergie, ne le firent donc pas portails, les à manipuler avec précaution. « De par la
au hasard, comme persistent à le croire nature de leur flux énergétique, les men-
de nombreuses thèses archéologiques.
menhirs nous hirs ne font pas de cadeaux ! Ils créent un
« Très sophistiqués, les sites mégalithiques emmènent vortex, un champ de conscience modifié. À
ont été créés pour faire monter en vibra- leur proximité, on se met en communion
LIEUX
tion. Leur architecture est complexe, alors vers d’autres avec des énergies qui nous révèlent notre
qu’elle apparaît fruste et archaïque. Elle vraie nature, provoquant bien-être ou mal-
témoigne d’une compréhension spatiotem-
dimensions de être, c’est selon. L’éveil peut être violent. À
&
porelle, en lien structurel avec l’astronomie nous-mêmes. l’image d’un voyage chamanique, il est
HISTOIRES
et les cycles de l’année (solstices, équinoxes). important d’avoir fait un nettoyage pour
Les Anciens ont compris les énergies en pré- accueillir ces énergies supérieures », alerte
sence et réussi à les domestiquer. Véritables Jacky Le Faucheur, qui dit avoir été « ap
portails, les menhirs nous emmènent vers pelé » par les menhirs.
d’autres dimensions de nous-mêmes », de mégalithes, de placer un grand menhir si
souligne le designer et consultant Jacky les rayonnements sont suffisamment captés. Donner sa langue aux oiseaux
Le Faucheur, qui propose un chemin Le rapprochement de plusieurs petits men-
d’éveil spirituel « inscrit dans la matière », hirs pourrait remplacer un grand. » Les légendes associées aux sites sacrés
passant par la découverte de mégalithes. sont si extraordinaires qu’elles prêtent à
À la différence du menhir isolé, un ali D’étranges pouvoirs de guérison sourire et finissent dans le folklore local.
gnement de menhirs ou un cromlech Les mégalithes n’échappent pas à la
(cercle de menhirs dont le plus connu On comprend l’engouement des vi règle ! « Pourtant, ces histoires expliquent le
est Stonehenge, bien qu’il en existe en siteurs pour les menhirs, à même de secret du lieu... Pour le connaître, il faut
France, comme le cromlech de Crucu les recharger en énergie sans qu’ils ne traduire les mots du récit, racontés dans la
no à Plouharnel... qui est un quadrila le sachent ! Cette pratique ne date pas langue des oiseaux – un langage hermé-
tère) s’avère être un « chœur de pierre », d’hier. La tradition rapporte qu’à Car tique, codé, dont le sens n’est accessible
constitué d’une multitude d’antennes nac, les paysans avaient l’habitude de qu’aux initiés (oiseaux renvoyant plutôt
connectées entre elles pour obtenir un ré conduire leurs animaux malades entre aux ailes des anges, dans leur dimension
seau d’une intensité d’émission suffisante les files de menhirs pour les guérir. « Tous spirituelle, qu’à celles des volatiles). Les mots
pour couvrir un vaste territoire. « C’est la les menhirs, même hors alignements, au- prononcés ne doivent donc pas être compris
raison pour laquelle on peut observer, dans raient également un pouvoir de guérison », dans leur sens initial, intellectuel, mais
AUTRE
faire l’objet d’une lecture plus symbolique », d’une science très ancienne et oubliée.
explique Thierry Gautier. Il en est ainsi « La tradition orale n’a pas réussi à perpé-
des mégalithes à Carnac. « Selon la lé- tuer cette connaissance, mais elle a été ins-
gende, après s’être caché dans l’oreille d’un crite de façon évidente dans la pierre. L’em-
UNE
bœuf, le pape Cornély, poursuivi par les placement ou encore l’orientation des mé-
Romains, aurait changé les soldats en men- galithes, en lien avec l’astronomie,
hirs. » Saint Cornély a d’ailleurs donné montrent clairement une intention. C’est
son nom à l’église de Carnac. Or, cette comme un livre ouvert ! Aujourd’hui, avec Mégalithes
légende serait un message crypté pour les GPS et les outils de pointe qui per- Principes de la première
cacher l’origine des menhirs... Le pape mettent de tracer les angles, nous commen- architecture monumentale
Corneille, lui, a réellement existé, mais çons à pouvoir comprendre. Jusque-là, nous du monde
n’a jamais mis les pieds en Bretagne. Et n’étions pas capables de le faire », s’enthou Howard Crowhurst
les mégalithes de Carnac ont été érigés siasme Howard Crowhurst. Dès lors, les Éd. Epistemea,
plusieurs milliers d’années avant son menhirs ne sont plus des blocs de pierre 2016, 26 €
pontificat. « La corneille est... un oiseau. posés au hasard – comme l’ont cru des
Choisir un pape avec un nom d’oiseau (le générations d’archéologues –, mais des
seul parmi 266 papes !) est une façon d’an- vestiges à même de nous éveiller à la
noncer que l’histoire est formulée dans la science des Anciens.
langue des oiseaux », décrypte Thierry
Gautier. Ce nom aurait une deuxième
fonction, car les premières syllabes an Pythagore avant Pythagore
noncent que la corne (Corné-ly) a, ici,
une importance capitale – ce saint est Quand les hommes du Néolithique érigèrent les menhirs du cromlech
devenu le protecteur des bêtes à cornes de Crucuno à Plouharnel, ils ne connaissaient pas Pythagore, né 3000
dans la région de Carnac. « Par extension,
les bovidés annoncent symboliquement à 4 000 ans plus tard. Le spécialiste des mégalithes Howard Crowhurst
l’emplacement des hauts lieux d’énergie de expose qu’en ce lieu, ainsi qu’en d’autres sites mégalithiques, ils
la Terre-Mère, car leurs cornes seraient des ont créé un quadrilatère composé de deux triangles rectangles. Ces
antennes cosmiques »... comme les men derniers, comme dans le célèbre théorème, jouent la règle des « 3-4-5 »,
hirs ! Les éléments du décryptage avec deux lignes qui filent vers le nord. Un résultat vérifié à l’aide d’un
amènent à penser que cette légende a été
théodolite, instrument utilisé pour mesurer les angles. En outre, les
conçue par des druides – les derniers à
connaître les capacités énergétiques de quatre rangées de pierres de Crucuno indiquent les levers et couchers
ces mégalithes, présents bien avant le dé du soleil aux solstices. Pour Howard Crowhurst, ce quadrilatère ainsi
but du druidisme. « Il semble vraisem- animé par la mécanique céleste serait « une clé » pour comprendre les
blable qu’ils aient élaboré la légende de mégalithes : « On a installé ces monuments ici pour la particularité
saint Cornély pour perpétuer la connais-
du lieu – ce que j’appelle la géométrie naturelle. » Sans technologie,
sance originelle, de façon à ce que la raison
d’être des alignements de Carnac ne tombe nos savants aïeux ont dressé les menhirs avec une précision...
pas dans l’oubli. Les druides ont fait sym- astronomique !
boliquement référence à un pape de l’Église
romaine pour s’adapter à la christianisa- Le site d’Howard Crowhurst, www.epistemea.fr, compile infos, livres, vidéos
tion », conclut Thierry Gautier. Une et autres conférences autour des mégalithes. Voir notamment le coffret
chose est sûre : les mégalithes témoignent Mégalithes et anciennes connaissances disponible en VOD.
MONT
l’humanité.
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HISTOIRES & LIEUX EXTRAORDINAIRES DE FRANCE
dessus du rivage, et transperce le ciel. capter les forces cosmiques, apportant ain-
L’abbaye et ses dépendances sont clas- si à la terre sa complémentarité solaire. Le
sées au titre des monuments historiques récit d’un taureau caché dans une grotte est
en 1862. La commune et la baie fi- symbolique, applicable aux lieux d’énergie,
gurent sur la liste du patrimoine mon- notamment les dolmens et les chapelles, où
dial de l’Unesco depuis 1979. Il est l’un l’orientation est calculée pour que les rayons
des sites touristiques les plus fréquentés solaires soient en correspondance avec l’eau
de France, avec deux millions et demi souterraine. On retrouve cette association
de visiteurs par an ! Autant dire que le eau-feu, terre-ciel, ténèbre-lumière par-
mont, sans cesse menacé d’ensablement, tout dans l’histoire symbolique du mont
dans une baie où s’affrontent fleuves et Saint-Michel. » D’ailleurs, non loin de
marées, fascine et impressionne. Ce qui là, à une vingtaine de kilomètres, sur
fait tout son attrait, outre son implanta- le mont Dol, a été édifié un temple en
tion et sa géologie, loin d’être anodines, l’honneur de Mithra, un dieu védique
c’est aussi la puissance véhiculée par ses honoré par les soldats romains. Cette di-
légendes. Selon La Revelatio, texte écrit vinité solaire est réputée avoir tué, dans
au IXe siècle qui nous révèle les origines une grotte, un taureau dont le sang ré-
du mont Saint-Michel, l’archange au- générait la terre sur laquelle il coulait. Et
rait indiqué à l’évêque d’Avranches comme saint Michel, Mithra a un rôle
qu’il trouverait sur le rocher un taureau d’intercesseur conduisant les âmes des
caché par un voleur et qu’il faudrait défunts !
construire le sanctuaire sur l’espace Entre l’image du taureau, du dragon
circulaire ainsi foulé par la bête, entre et de la vouivre tellurique, tout semble
d’énormes pierres. entrer en résonance d’après Thierry
Gautier qui, dans son livre L’énergie des
Entre ciel et terre lieux sacrés, propose une lecture à la fois
symbolique et énergétique du mont
Pourquoi le taureau ? D’après Saint-Michel. « Ces éminences rocheuses
le géobiologue Thierry Gau- ne sont autres que le corps de la vouivre
tier, il faut y voir tout un sortant de terre. L’énergie tellurique est
symbole : « Le taureau est un rayonnée directement par la roche vibrante
animal dont la symbolique qui émerge de terre, tel un immense men-
païenne est antérieure à l’ère hir », précise-t-il. Le mont Saint-Michel
chrétienne. Le choix de cet ani- et l’îlot de Tombelaine sont des buttes
Le mont Saint-Michel mal est justifié par sa force, mais granulitiques et le mont Dol, une butte
Henry Decaëns, Didier Goupy aussi par ses cornes, véritables de dolérite. Tous sont riches en quartz ou
Éd. Chêne, 2007, 14 € antennes solaires capables de en feldspath aux exceptionnelles proprié-
MONT
tés piézoélectriques, ce qui a sans doute sœur d’Apollon, à Delphes où se situe Orientations choisies
justifié l’implantation de nombreux le grand temple d’Apollon, à Delos, aux
mégalithes en ces lieux. Par ailleurs, il Cyclades où le monde ionien se rassem- Dernière constatation stupéfiante : l’axe
est aussi intéressant de constater que le blait pour les fêtes d’Apollon… Or, ce d’orientation des églises du mont
mont Saint-Michel est aligné sur plu- dernier, également appelé Phœbus, était Saint-Michel. L’abbatiale est orientée vers
sieurs menhirs de la région – La Roche le dieu grec de la lumière, le « brillant ». le lever du soleil, le jour de la Saint-Michel,
Longue à Saint-Marcan, Champ-Dolent Mais les résonances ne s’arrêtent pas là. le 8 mai, au printemps. L’église paroissiale
à Dol-de-Bretagne et La Pierre du Do- N’oublions pas qu’à trois kilomètres du Saint-Pierre est orientée vers le lever du
maine à Plerguer – ainsi que sur une mont Saint-Michel se trouve l’îlot de soleil le 29 septembre, jour de la Saint-Mi-
allée couverte, La Maison-des-Feins à Tombelaine, classé monument histo- chel d’automne. Drôle de hasard, s’il en
Tressé. Un alignement rigoureux sur une rique en 1936, qui abrite le prieuré de est… De plus, l’église abbatiale se situe sur
distance de trente kilomètres qui semble, Tombelaine. Or, il est possible que ce une ligne qui rejoint le mont Dol et la cité
en effet, laisser peu de place au hasard. nom vienne de Tum Bélénos en celte, d’Avranches, la cité de l’évêque Aubert.
Bélénos étant un dieu gaulois équivalent D’ailleurs, Thierry Gautier conseille, avant
En résonance avec d’autres lieux de à Apollon chez les Grecs. Il est le dieu de visiter le mont Saint-Michel – ses deux
culte ? de la guerre, de la lumière et guide des églises et la chapelle Notre-Dame-sous-
morts, comme saint Michel. Il se peut Terre, cœur énergétique du lieu – de com-
Thierry Gautier relève aussi que le que le nom provienne aussi d’Hélène, mencer par le mont Dol : « La meilleure
mont Saint-Michel est situé sur une héroïne d’une légende qui circule en façon d’approcher la vibration originelle du
ligne qui part de l’Irlande jusqu’en Ita- ces lieux. La belle aurait été laissée par mont Saint-Michel, outre le choix des dates
lie, réunissant de hauts lieux sacrés dé- son amant parti en expédition lointaine. des événements religieux et du lever du soleil
diés à l’archange saint Michel. Cette Abandonnée, inconsolable, elle hante- à la Saint-Michel de printemps ou d’au-
ley line, découverte par le photographe rait l’îlot depuis le XIIe siècle. Il faut dire tomne, est de vous rendre au mont Dol, d’y
anglo-saxon Alfred Watkins (décédé en que la région est propice aux légendes et ressentir l’énergie des pierres et de se rendre à
1935), serait comparable à un méridien aux mystères, si bien contés par Patrick la chapelle Saint-Michel en haut d’une col-
d’acupuncture, réellement énergétique. Sbalchiero. Au mont Saint-Michel, cer- line. » S’il est plus difficile de ressentir
Aux énergies telluriques se mêleraient tains murmurent même que l’archange l’énergie du mont Saint-Michel, saturée en
ainsi celles de milliers de pèlerins venus viendrait parfois dans son sanctuaire, raison de l’afflux de touristes, elle est pour-
prier en ces lieux et créant par là même surtout la nuit, quand personne ne rôde. tant bien présente, toujours d’après
une sorte d’égrégore. Ainsi, le mont Des lueurs trahiraient sa présence… Thierry Gautier : « Sa puissance reste in-
Saint-Michel est sur une ligne joignant « En 1102, saint Michel aurait traversé tacte. Comme tous les hauts lieux, il a des
Skellig Michael en Irlande, St Michael’s l’église sous forme d’une colonne de feu de- qualités telluriques importantes. La rencontre
Mount en Grande-Bretagne, Sacra di vant des religieux médusés. En 1270, des entre les rayonnements de la terre et l’énergie
San Michele dans le Piémont en Italie moines voient plusieurs silhouettes extraor- du ciel crée une énergie vitale tellement élevée
et Monte Gargano en Italie. Elle pour- dinaires tournoyer autour du grand autel qu’elle peut guérir, tant le corps physique
rait se poursuivre en Grèce, à Corfou, de l’église. » Légende ou réalité ? Nul ne qu’énergétique, et nous permettre de vivre
où se trouve le temple d’Artémis, la saurait vraiment l’affirmer. une évolution spirituelle. »
Elle était simple et jeune,
mais sur la pratique militaire,
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Inexploré - HORS-SÉRIE N°7 - Novembre 2018
L’ E X T R A L U C I D E
D’ARC,
JEANNE
L’EXTRALUCIDE
Si l’on vous dit « Jeanne d’Arc »,
vous répondez « voix, Anglais, bûcher ».
Morte il y a 600 ans à l’âge de 19 ans,
la jeune femme fit preuve d’étonnantes
facultés. Quand la clairaudience
changea le destin de la France…
Rouen, mars 1431, Jeanne d’Arc est jugée en héré- de l’été, dans le jardin de mon père. J’ai entendu la
sie. Ses inquisiteurs l’interrogent : a-t-elle fréquenté voix du côté droit, vers l’église, et rarement je l’en-
« l’arbre aux fées », à l’orée de son village natal ? tends sans lumière. »
Jeanne connaît cet orme.
Deux ans plus tôt, elle n’était qu’une enfant de Des messages insistants
Domrémy, en Lorraine. Fille de paysans aisés, elle
est née le 6 janvier 1412, jour de l’Épiphanie. « Si Au Moyen Âge, Dieu n’est pas une hypothèse. La
l’on en croit la légende, ce jour-là, une lumière étrange société féodale est profondément croyante. Si en-
baignait le ciel et le coq chanta pendant une heure », tendre des voix n’a rien de banal, ce n’est pas non
rapporte l’historien Alain-Gilles Minella. Depuis plus considéré comme anormal. Selon Jeanne, le
l’enfance, Jeanne aime prier devant la statue de la premier à lui avoir parlé fut l’archange saint Mi-
Vierge, assister aux offices et se confesser le plus chel. Rapidement, il lui annonça que sainte Ca-
souvent possible. « Quand nous, les filles, on chan- therine et sainte Marguerite, deux vierges martyres
tait et on dansait, elle, elle allait à l’église », se sou- du IVe siècle, interviendraient également, et qu’elle
vient une amie d’enfance. Elle aime s’occuper des devrait agir « par leurs conseils ».
malades et faire l’aumône. « Dans le village, on mur- Consciente que sa clairaudience peut lui attirer
murait qu’il valait mieux qu’elle n’ait pas d’argent, l’incrédulité, Jeanne ne dit d’abord mot de ces voix.
sinon elle donnerait tout au curé ! », poursuit Alain- D’autant que deux ou trois fois par semaine, celles-
Gilles Minella. ci lui répètent qu’elle doit lever « le siège mis devant
Son destin est a priori tracé : épouser un fils de la cité d’Orléans », faire sacrer le roi, être « bonne
paysan, tenir une maison, élever ses enfants. Mais chrétienne » et « leur faire confiance », car tout ce
elle a un secret : « Quand j’eus l’âge de 13 ans, j’ai qu’elles lui disent est « ordre de Dieu ». Jeanne ré-
eu une voix de Dieu pour m’aider à me gouverner, pond qu’elle n’est qu’une « pauvre fille » qui ne sait
raconte-t-elle. Et la première fois j’eus grand-peur. pas « chevaucher ni conduire la guerre », mais le mes-
Et vint cette voix environ à l’heure de midi, au temps sage est insistant !
D’étranges pouvoirs
Elle expliquera à son
procès que ses voix l’avaient Lors de leur entretien, elle révèle au roi un se-
cret que nul ne pouvait connaître : un matin,
prévenue de sa capture.
Charles VII avait prié silencieusement le Seigneur,
lui demandant de l’aider à garder le royaume de
France s’il en était le juste héritier ou, dans le cas
contraire, de lui donner la grâce d’échapper à la
prison et à la mort, et de s’enfuir en Espagne ou en
Écosse. Jeanne lui rapporta cette prière. Comment
pouvait-elle être au courant ?
Depuis toute petite, Jeanne entend parler d’une Convaincu de ses dons, le roi accepte de l’envoyer à
prophétie séculaire, annonçant que la France serait Orléans avec une armée. En quatre jours, le 8 mai
« restaurée par une vierge de Lorraine ». S’est-elle 1429, la ville est libérée. Action divine ou faculté de
HISTOIRES & LIEUX EXTRAORDINAIRES DE FRANCE
identifiée à la jeune fille ? Avant elle, des prophé- remobilisation ? « Sa présence galvanise les Français et
tesses comme Hildegarde de Bingen ou Brigitte de effraie les Anglais », écrit Alain-Gilles Minella. Après
Suède ont joué un rôle politique. Depuis Philippe des mois de conflit, la situation s’est enlisée, les
le Bel, il est même de tradition que le roi de France troupes sont usées ; la conviction absolue de Jeanne,
reçoive toute personne disant avoir des révélations sa fraîcheur et sa combativité remotivent les soldats.
divines à lui transmettre – sans être obligé d’en te- « J’étais littéralement enflammé par ce qu’elle disait et
nir compte. par son amour de Dieu », dira l’un de ses chevaliers.
La victoire est exceptionnelle, mais Jeanne ne cesse
La France est alors régie par une double mo- de se vivre « comme une fille de Dieu », humble,
narchie : le roi d’Angleterre est aussi roi de France, pieuse, attentive à ses hommes et compatissante
mais les deux États restent indépendants. Les An- envers les blessés anglais. Une seule chose la préoc-
glais possèdent la Normandie et la Guyenne – un cupe : remplir sa deuxième mission, c’est-à-dire faire
territoire entre Bordeaux et les Pyrénées. Avec les sacrer Charles VII à Reims. Là encore, la Pucelle
Bourguignons, ils contrôlent le nord et l’est du semble bénie des dieux : les villes se rendent les unes
pays, et ont mis la main sur Paris. Charles VII, lui, après les autres. Le 17 juillet 1429, Charles VII re-
est maître au sud de la Loire. Au centre, Orléans est çoit l’onction divine qui fait de lui un être sacré et
un point stratégique. Depuis des mois, la ville est confère à son autorité « une dimension inégalable ».
assiégée par les Anglais. Durant toute la cérémonie, Jeanne se tient à ses cô-
Jeanne a 17 ans quand elle suit l’injonction de tés. Six mois auparavant, elle n’était qu’une paysanne
ses voix. Refusant de se marier, décidée à rester de Domrémy.
« pucelle » en gage de sa dévotion à Dieu, elle an- Des rumeurs de pouvoirs surnaturels commencent
nonce qu’elle a deux tâches à accomplir : libérer à circuler. « Partout ailleurs qu’à la guerre, elle était
Orléans et faire sacrer Charles VII. simple et jeune, mais sur la pratique militaire, elle en
Convaincue de sa mission, Jeanne fait des pieds et savait long, tant pour porter la lance que pour rassem-
des mains pour obtenir une audience avec le roi. bler l’armée et mettre en place un dispositif, rapporte
« Son seul secours c’est moi, clame-t-elle. Pourtant l’un de ses compagnons d’armes. Surtout en ce qui
j’aurais bien préféré rester à filer auprès de ma mère concerne l’artillerie où chacun s’étonnait de la voir ré-
car je ne suis pas faite pour cela. Mais il faut que je gler tout avec la même sûreté et la même sagesse que
le fasse car Mon Seigneur veut que j’agisse si elle avait fait la guerre depuis vingt ou trente ans. »
ainsi. » Sa force de persuasion ébranle. D’où tient-elle son inspiration ?
Elle finit par convaincre un proche de On raconte aussi que pendant certaines batailles,
Charles VII de la conduire à lui. D’abord des événements soudains renversèrent la situation
circonspect, le monarque accepte de la en sa faveur, comme par miracle. Que des soldats
recevoir, mais lui tend un piège : sera-t- qui avaient décidé de la détrousser s’étaient retrouvés
elle capable de le reconnaître parmi des pétrifiés sur place, incapables de l’attaquer.
hommes plus richement vêtus que lui ? En La Pucelle surprend aussi par sa prescience. Avant
entrant dans la salle, ce 25 février 1429, une bataille, elle aurait dit : « Tenez-vous toujours
elle va directement le saluer, alors qu’elle auprès de moi, car demain j’aurai beaucoup à faire,
Jeanne d’Arc pour les nuls ne l’a jamais vu. « Je ne suis pas le roi », plus que je n’eus jamais, et demain le sang me sortira
Alain-Gilles Minella feint-il. « Voilà le roi », ajoute-t-il en dési- du corps au-dessus de mon sein. » Le lendemain, au
Éd. First, 2012, 22,95 € gnant un seigneur. Jeanne rétorque : « En cours d’un assaut, elle reçut une flèche, légèrement
L’ E X T R A L U C I D E
chercher dans l’église de Saint-Catherine-de-Fier-
bois une épée cachée, dont ses voix lui avaient in-
diqué l’emplacement. On l’y trouva, toute rouillée.
« Dès qu’on l’eut découverte, le clergé du lieu la frotta
et la rouille tomba tout de suite sans effort », précise
Alain-Gilles Minella. Comment cette épée était-
elle arrivée là ? Certains disent qu’elle fut celle de
Du Guesclin ou de Boucicaut, d’autres de Charles
D’ARC,
Martel. Jeanne aurait-elle combattu les Anglais avec
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l’épée qui sauva la France de l’invasion sarrasine ?
La dernière année
JEANNE
Petit à petit, cependant, son influence auprès du Un cœur intact
roi décline. Une multitude de villes se rallient à
Charles VII après son sacre, mais celui-ci préfère
négocier des trêves que poursuivre l’offensive. Chose étrange : des témoignages
Jeanne et son aura l’encombrent. Il lui accorde
indiquent que le cœur de Jeanne
une opération contre Paris, puis une autre contre
la Charité-sur-Loire. Deux échecs. « Devant ses était toujours intact au milieu
juges, Jeanne ne dira jamais que ses voix lui ont cer-
des cendres. « [Le bourreau]
tifié qu’elle libérerait la France, observe Alain-Gilles
Minella. Elles lui ont annoncé, comme un fait éta- était très désespéré, craignant
bli, qu’elle délivrerait Orléans et ferait sacrer le roi »,
de ne pouvoir jamais obtenir
puis qu’elle devrait continuer le combat, mais sans
être assurée du résultat. A-t-elle prolongé son ac- le pardon et l’indulgence de
tion au-delà de ce que ses voix attendaient d’elle ?
Dieu pour ce qu’il avait fait à
S’est-elle trop prise au jeu ? Fuyant l’inactivité de la
cour, Jeanne part aider les villes en péril. Le 23 mai cette sainte femme, écrira frère
1430, elle est capturée par hasard à Compiègne par
Ysambard de La Pierre, adjoint
un capitaine bourguignon, qui finit par la vendre
aux Anglais. Elle expliquera à son procès que ses au vice-inquisiteur durant le
voix l’avaient prévenue de sa capture, sans l’infor-
procès. Ce bourreau affirmait
mer des circonstances. « En la semaine de Pâques,
l’an dernier, étant sur les fossés de Melun, il me fut que malgré l’huile, le soufre et
dit par les voix de sainte Catherine et sainte Margue-
le charbon qu’il avait amoncelés
rite que je serais prise avant la Saint-Jean et qu’ainsi
il fallait que ce soit et que Dieu m’aiderait », expli- sur les entrailles et le cœur de
quera-t-elle. En la jugeant, l’objectif des Anglais est
Jeanne, il n’avait pu consumer ni
clair : démontrer qu’elle est menée par le Diable, et
discréditer ainsi Charles VII. Seule face à ses juges, réduire en cendres ce cœur. »
elle se défendra bec et ongles, affirmant que les
voix « qu’elle entend chaque jour » la conseillent et
lui donnent le courage de faire face jusqu’au bout.
Elle sera brûlée vive le 30 mai 1431 sur la place du
marché de Rouen. Sur le bûcher, elle demandera
une croix et ne cessera de clamer le nom de Jésus,
en implorant l’aide des saints et saintes du paradis.
L’intervention de Jeanne d’Arc changera le cours de
la guerre de Cent Ans. Quelques années après sa
mort, Charles VII reprendra Paris puis Rouen aux
Anglais. En juillet 1456, le procès de la Pucelle sera
déclaré nul. Elle sera canonisée en 1920, puis décla- Centre Jeanne d’Arc, Orléans :
rée par le pape Pie XII en 1922 « patronne secondaire grande collection de livres,
de la France » après la Vierge. On estime aujourd’hui de documents et de films.
qu’au moins 4 % de la population entend régulière- Sur rendez-vous.
ment des voix. www.jeannedarc.com.fr
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D E
C AT H É D R A L E
la cathédrale, il découvre le zodiaque de Des tours asymétriques Un labyrinthe symbolique
lumière après être passé par le zodiaque
de pierre. C’est ainsi qu’il passe naturel- Faisant face à la plaine de la Beauce, Situé au fond de la nef, face à l’autel, le
L A
lement de la matière à l’esprit. deux tours, complètement différentes, labyrinthe de Chartres a généré de nom-
La lumière intérieure de la cathédrale tant en termes esthétiques que symbo- breuses interprétations depuis son tracé
de Chartes se déploie à travers ses nom- liques, surgissent de la cathédrale, créant à la fin du XIIe siècle. Quand certains se
breux vitraux datant du XIIe siècle. Elle ainsi le lien avec le ciel. Surmontée réfèrent à un pèlerinage symbolique vers
détient le record de 2 500 mètres carrés d’une girouette représentant une lune, la Jérusalem céleste ou à un rituel pascal,
de verrières ! Leurs couleurs sont fasci- la première témoigne d’une architec- d’autres évoquent encore un symbole
nantes. Pour le fameux bleu de Chartres, ture romane datant du XIIe siècle et se alchimique. « Il est comme un escalier qui
unique en son genre, quasiment inimi- réfère à la polarité féminine. La seconde, nous fait monter dans l’esprit. Il nous in-
table, les artisans verriers utilisaient des au style gothique flamboyant, achevée vite à un cheminement dans notre propre
poudres métalliques noyées à l’intérieur au XVIe siècle et dominée par un soleil, conscience », explique Patrick Burenstei-
du verre. Ce qui renvoie au procédé al- renvoie à l’énergie masculine. « Logique- nas. Dans cette quête, le labyrinthe re-
chimique, explique Patrick Burenstei- ment, la tour du soleil devrait être exposée présente les multiples difficultés que l’on
nas : « Grâce au mécanisme de réfraction, au sud et celle de la lune au nord. Or, rencontre sur le chemin. Certains ra-
la poudre d’or à l’intérieur du verre change c’est l’inverse. Cette position ne relève pas content même que celui de Chartres
de fréquence et produit du rouge, couleur d’un hasard. Elle a été déterminée volon- serait capable d’agir sur la matière et, qui
associée symboliquement au soleil, et la tairement en fonction du passage dans le sait, peut-être de modifier notre percep-
poudre d’argent renvoie du bleu, couleur sol des énergies telluriques, ceci par souci tion du réel... Pour Louis Charpentier,
de la lune. Quand les deux sont associées d’équilibre », explique l’historien Mi- celui-ci n’est pas à proprement parler un
à travers un vitrail, on a l’illusion de voir chel Deseille, qui propose lui aussi une labyrinthe, en ce sens qu’il est impos-
du violet, qui est la dernière couleur visible lecture alchimique de la cathédrale de sible de s’y égarer, car il n’existe qu’un
du spectre terrestre, mais aussi la première Chartres. Tout semble se compléter, se chemin qui mène au centre. Toujours
couleur du monde d’au-dessus, celle de combiner et circuler comme pour aider est-il que depuis des millénaires, des
la spiritualité. » Encore une invitation à se transformer intérieurement, entre milliers de pèlerins s’y aventurent, tantôt
à s’élever… La cathédrale de Chartres différents éléments et polarités. « Le so- pour trouver la pierre philosophale, tan-
recèle d’ailleurs l’un des vitraux les plus leil en est le père, la lune est sa mère, le tôt pour s’ouvrir progressivement au
connus au monde, « Notre-Dame-de- vent l’a porté[e] dans son ventre ; la Terre Christ, ou tout simplement pour trou-
la- Belle-Verrière », au centre duquel est sa nourrice », lit-on encore en écho ver harmonie et équilibre, dans une
apparaît Marie sur son trône céleste. dans La Table d’émeraude. quête de transformation intérieure.
© David Galley
des Noyers
HISTOIRES & LIEUX EXTRAORDINAIRES DE FRANCE
NORMANDIE
&
HAUTS-DE-FRANCE
HAUTS-DE-FRANCE
Notre-Dame d’Amiens
Inspirante de beauté, la cathédrale, merveille gothique, aurait reçu la visite de
Jésus lui-même...
HAUTS-DE-FRANCE
Les légendes de
l’abbaye de Mortemer Visitez le site :
www.abbaye-de-mortemer.fr
forêt domaniale de Lyons. Il ne reste des blées, entendues par plusieurs témoins…
bâtiments des XIIe et XIIIe siècles que deux Une « garache », femme loup-garou tuée
pans de murs, aujourd’hui en ruine, mais par un paysan effrayé ‒ il s’avéra que
classés au titre des monuments histo- c’était sa femme ‒ aurait également han-
riques depuis 1966. Plusieurs légendes té la plaine alentour. Heureusement,
sont rattachées au lieu, qui s’est vu attri- l’abbaye comporte aussi un objet béni :
buer le titre « d’abbaye la plus hantée de les anciens lavabos des moines, devenus
France ». Le plus connu est surtout le fontaine Sainte-Catherine qui promet
fantôme de Mathilde, dite l’Emperesse, un mari aux femmes célibataires qui y
qui mourut en 1167 et qui, depuis, ap- jettent une épingle ou un sou. M.C
L
es deux protagonistes ont un profil singulier.
Charlotte Anne (Annie) Moberly a été vingt
ans la secrétaire de son père, ancien professeur
à Oxford puis évêque de Salisbury, avant de
devenir directrice du St Hugh’s Hall, troisième collège
féminin de l’université d’Oxford. Son amie est Eleanor
Frances Jourdain, elle-même diplômée d’un collège fé-
minin d’Oxford. À l’époque des faits, elle vit à Paris et
Annie Moberly vient lui rendre visite pour lui proposer
de devenir sa directrice adjointe au St Hugh. Rappe-
lons qu’un college est un établissement d’enseignement
supérieur et que ces deux femmes sont donc plutôt
des intellectuelles instruites et cultivées.
© Shutterstock
étrangement mécanique et froide. Reformulant sa dans une lettre à sa sœur. À nouveau saisie par
question, elle finit par comprendre la direction à cette sensation d’irréalité, elle s’en ouvrira de fa-
suivre. Un peu plus loin, une femme et une jeune çon frontale à Mlle Jourdain en lui demandant tout
fille sont assises sur le seuil d’une petite chaumière
de go : « Pensez-vous que le Petit Trianon soit han-
et portent un costume qui semble à Melle Jourdain té ? » « Oui, je le pense », lui répondra celle-ci sans
plutôt suranné. hésitation. Elles se confient alors l’une à l’autre et
partagent leurs impressions de cette étrange visite. (1) Dossiers inexpliqués
Une femme en train de dessiner Pourquoi l’homme aux cheveux bouclés portait-il Joslan F. Keller
une cape en plein été ? Pourquoi ces personnages Éd. Scrineo, 2014, 18,90 €
Alors que l’atmosphère leur semble de plus en semblaient-ils si distants… ? En échangeant da-
plus pesante, elles arrivent ensuite devant un pa- vantage, elles constatent en outre qu’elles n’ont pas
villon chinois qu’elles prennent pour le Temple de toutes les deux vu la même chose. Par exemple,
l’Amour, une rotonde à l’antique située à l’est du la femme en train de dessiner n’a été vue que par
jardin anglais du Petit Trianon. Mais elles se sont Mlle Moberly, mais son amie est la seule à avoir vu
bel et bien égarées, et s’effraient davantage encore la femme et la jeune fille sur le seuil de la chau-
DU
FANTÔMES
temps condamnée. Enfin, l’homme au visage véro-
Dans ses Histoires magiques de l’histoire de France,
lé ressemble beaucoup au comte de Vaudreuil, qui
fut un proche de la reine. le journaliste Guy Breton narre la rencontre improbable
survenue en 1925 au jardin du Luxembourg entre un
Ont-elles raté une marche du temps ?
LES
Il faut replacer les faits dans le contexte historique étudiant en médecine, Jean Romier, et un vieil homme
de ce début du XXe siècle, une époque férue d’oc-
en redingote. Ils se mettent à parler musique et en
cultisme et de surnaturel. De fait, Annie et Eleanor
vont se rapprocher de la prestigieuse Society for particulier de Mozart, une passion commune, puis le
Psychical Research qui loue leurs efforts d’enquête,
vieil homme propose à l’étudiant de venir le vendredi
mais pointe un biais de subjectivité. Elles publient
finalement en 1911 leur récit, qui connaît un suivant à 21 heures écouter un concert privé de
franc succès, sous le titre An Adventure. L’édition
musique de chambre du célèbre compositeur dans son
française de 1959, titrée Les fantômes du Trianon,
s’accompagne d’une préface de Jean Cocteau et appartement dont il lui donne l’adresse, ainsi que son
d’une introduction du chercheur Robert Amadou.
nom, Alphonse Berruyer. Le soir dit, le jeune homme
Dans sa préface, Cocteau écrit : « Si dans l’avenir
les avions atteignent la vitesse de la lumière, il leur se rend sur place et passe une merveilleuse soirée en
faudra traverser son “mur” et peut-être passeront-ils
compagnie de gens qu’il trouve cependant étranges : ils
dans un règne dont une porte s’est ouverte par erreur le
10 août 1901 pour Miss C.A.E. Moberly et Miss E.F. sont habillés à la mode du siècle précédent, s’éclairent
Jourdain. » Les explications les plus rationnelles
au gaz et ont tous le teint pâle et les traits figés,
ont suggéré qu’elles auraient croisé une troupe de
théâtre en costumes d’époque et fantasmé sous l’ef- comme s’ils étaient en cire… Il prend congé à minuit
fet du climat orageux de cette journée. Le journa-
mais réalise dans la rue qu’il a oublié son briquet
liste spécialisé en histoire Franck Ferrand rappelle
pour sa part qu’on a trouvé dans les archives de en or. Il remonte et sonne, puis frappe, mais pas de
Versailles les plans d’un pavillon chinois conforme
réponse. Le voisin furieux lui demande ce qui se passe,
à la description des deux Anglaises, et qui n’aurait
en fait jamais été construit. et explique au jeune homme qu’Alphonse Berruyer est
Dans son livre Dossier Inexpliqués(1), l’enquêteur
mort en 1905 et que l’appartement est vide depuis vingt
Joslan F. Keller retient comme plausible l’hypo-
thèse du « songe », c’est-à-dire une sorte d’état mo- ans ! On le prend pour un cambrioleur, mais quand il est
difié de conscience par lequel les deux femmes ont
ramené sur place en présence de l’actuel propriétaire,
eu accès à la mémoire du lieu ou de la reine elle-
même. Dans un autre ouvrage, il rapproche d’ail- descendant de Berruyer, il reconnaît l’appartement
leurs ce cas de celui de deux autres Anglaises, Do-
complètement empoussiéré et est surtout capable de
rothy et Agnès Norton, qui semblent avoir revécu
en août 1951 les sons fantômes d’un raid aérien nommer plusieurs personnes sur les photos en donnant
survenu à Dieppe quelque neuf ans plus tôt !
des détails à propos de chacun, qui se révèlent exacts.
Compte tenu de ce que l’on sait aujourd’hui du
caractère insaisissable du temps en physique, faut-il Le plus incroyable est qu’il retrouve son briquet là où il
en conclure avec Einstein que « ces personnes tré-
l’avait laissé quelques heures plus tôt, mais recouvert
buchent dans le temps, comme d’autres ratent une
marche d’escalier » ? de poussière comme le reste du mobilier !
LA
rue de Babylone – « Babylone » – et forme autour de l’apparition et une
arriver rue du Bac. Chercher le n° 140. En janvier 1830, malgré l’hostilité voix ordonne : « Faites frapper une mé-
À l’ombre de l’opulence tentatrice du de son père, elle devient novice sous daille sur ce modèle. Les personnes qui
Bon Marché, un grand porche vert. le nom de sœur Catherine. Un jour la porteront avec confiance recevront de
« Maison mère des Filles de la Chari- qu’elle est en train de se recueillir dans grandes grâces. » L’image semble en-
té », indique un panneau à l’entrée. la chapelle de la rue du Bac sur la re- suite pivoter, et sœur Catherine per-
Soudain, le calme. Des sœurs en lique de saint Vincent de Paul, elle çoit le revers de la médaille : une croix
coiffe et jupe bleu marine. Un long perçoit le cœur de celui-ci en blanc, surmontant l’initiale de Marie et deux
mur d’ex-voto : « Reconnaissance », « symbole de paix », puis en rouge, cœurs, l’un couronné d’épines, l’autre
« Merci à Marie », « Merci à ma « signe de charité », et enfin en noir, transpercé d’un glaive.
Mère ». Combien y en a-t-il ? Plu- « présage de malheurs imminents ».
sieurs centaines, sans doute. Cer- Quand éclatent quelque temps plus En décembre 1830, la novice verra
tains sont datés : 1945, 1956, 1961, tard les violentes émeutes qui met- une dernière fois la Vierge dans la
2005… tront fin au règne de Charles X, sa chapelle. Un mois plus tard, elle est
Les ex-voto se prolongent un peu plus vision prend une étrange résonance… nommée à l’hospice d’Enghien, dans
loin, à l’intérieur de la chapelle. Nous un faubourg déshérité de Paris. En
sommes un vendredi ordinaire, il est En juillet 1830, l’histoire prend février 1832, éclate une terrible épi-
10 h 30 et l’office est bondé. Près de une nouvelle tournure. Un soir vers démie de choléra dans la capitale. Les
trois cents personnes se recueillent 23 h 30, la novice s’entend appeler premières médailles conformes aux
devant l’autel fleuri de lys immaculés. par son nom. Un mystérieux enfant instructions reçues par sœur Cathe-
Qu’est-ce qui, ici, attire donc des pè- se tient au pied de son lit. « La Sainte rine sont frappées et distribuées par
lerins du monde entier ? Vierge vous attend », lui dit-il. La les Filles de la Charité en juin. Les
jeune femme s’habille et le suit dans la guérisons se multiplient. C’est un raz-
Flash-back. Le 2 mai 1806, naît chapelle. Marie se tient là, assise dans de-marée : le peuple de Paris qualifie
dans un village de Bourgogne une un fauteuil. Sœur Catherine s’élance à la médaille de « miraculeuse » !
petite fille nommée Zoé. Zoé Labou- ses pieds et pose ses mains sur ses ge- États-Unis, Pologne, Chine, Russie…
ré. Elle est la huitième enfant d’une noux. « Il s’est passé un moment, le plus La médaille s’exporte. Dix ans après
famille de propriétaires fermiers. Sa doux de ma vie, racontera-t-elle. Il me les apparitions, elle est diffusée à plus
mère meurt quand elle n’a que neuf serait impossible de dire ce que j’éprou- de dix millions d’exemplaires. À la
ans. Très vite, l’enfant acquiert le sens vais. » La Vierge aurait alors désigné mort de sœur Catherine, en 1876, on
des responsabilités. l’autel et dit : « Venez au pied de cet en compte plus d’un milliard. « Porter
Une nuit, elle fait un drôle de rêve : autel. Là, les grâces seront répandues sur la médaille n’est pas une superstition »,
un vieux prêtre s’avance dans l’église toutes les personnes qui les demanderont précisent les autorités catholiques.
pour célébrer la messe. Quand il la avec confiance et ferveur. » La phrase Elle ne doit pas être considérée
retrouve au-dehors, il lui dit : « Ma est aujourd’hui inscrite en lettres d’or « comme une amulette au pouvoir ma-
fille, c’est bien de soigner les malades. sur la voûte de la chapelle. gique », mais comme « un appel à la
Un jour, vous viendrez à moi. Dieu a conscience de chacun ». Symbole « de
des desseins sur vous. Ne l’oubliez pas ! » Au mois de novembre 1830, en fin l’amour de la Vierge », elle nous aide
À 18 ans, Zoé part au pensionnat de d’après-midi, sœur Catherine voit à « à le garder vivant dans notre cœur et
Châtillon-sur-Seine pour apprendre nouveau apparaître la Sainte Vierge dans notre esprit ». Sœur Catherine
à lire et à écrire. Mais alors qu’elle dans la chapelle. Celle-ci se tient de- sera canonisée en 1947. Chaque an-
se trouve à la maison des Filles de la bout sur un demi-globe terrestre, ses née, la chapelle de Notre-Dame de la
Charité toute proche, que repère-t- pieds écrasant un serpent. La novice Médaille miraculeuse attire deux mil-
elle sur un mur ? Le portrait du prêtre perçoit deux images superposées : dans lions de visiteurs.
Rue de Paradis,
une voyante d’enfer
Sur les plans de Paris, elle se nomme la rue de Paradis.
Jalonnée de boutiques et de cafés, environnée d’artères surfréquentées,
on peine à croire qu’elle ait pu avoir un lien avec l’au-delà.
Et pourtant… Par Réjane Éreau
© Shutterstock
D’ENFER
Les journaux en parlaient, le Tout-Paris
s’interrogeait : faut-il ou non y aller ?
UNE VOYANTE
P
ersonne aujourd’hui n’aurait
l’idée de s’arrêter au N° 40 de
la rue de Paradis. Une porte en
bois ; une agence immobilière
d’un côté, un magasin de vêtements de
« Près des Champs-Élysées.
du Figaro. Selon l’association du Mé-
morial du Bazar de la Charité, l’incendie
fit cent vingt-quatre victimes, dont cent
dix-huit femmes. Parmi elles : une cou-
sine éloignée du comte de Maillé. Trois
PARADIS,
l’autre. Il y a 122 ans, pourtant, la foule Je vois un endroit pas élevé. jours plus tard, Henri d’Orléans mourut
se pressait au bas de cet immeuble. Les Qui n’est pas pour la piété. d’une crise cardiaque après avoir appris
journaux en parlaient, le Tout-Paris s’in- Mais qui en est rapproché. la catastrophe et le décès de sa nièce, la
terrogeait : faut-il ou non y aller ? Dans un bruit de charité. duchesse d’Alençon…
DE
Là, au quatrième étage, vivait avec ses Qui n’est pas la vérité. Ainsi donc, Henriette Couédon avait
parents Mlle Henriette Couédon. À Je vois le feu s’élever. tout « vu ». Comment expliquer ces ca-
RUE
vingt-quatre ans, la brunette coulait une Et les gens hurler. pacités ? Dans Histoires magiques de l’his-
existence paisible de jeune fille rangée Des chairs grillées. toire de France, Louis Pauwels et Guy
quand elle se mit à recevoir des dizaines Des corps calcinés. Breton citent le biologiste Alexis Carrel,
de personnes par jour. Business équi- J’en vois comme par pelletées. » prix Nobel de médecine en 1912 et au-
voque ? « Mission divine », affirmait-elle. teur de L’homme, cet inconnu : « Certains
Jusque-là peu mystique, elle s’était dé- Les mots furent notés par le journaliste individus paraissent susceptibles de voyager
couvert quelque temps plus tôt la capa- Gaston Mery, puis confirmés au journal dans le temps. Les clairvoyants perçoivent
cité de tomber en extase, de prophétiser Le Temps par le comte de Maillé. Au sor- non seulement des événements qui se pro-
et de transmettre à qui le souhaitait la tir de sa transe, la jeune femme précisa duisent au loin, mais aussi des événements
parole de l’archange Gabriel. que l’assistance serait épargnée, mais que passés et futurs. On dirait que leur
« Cinquante, quatre-vingts, puis cent per- le comte de Maillé serait touché de loin. conscience projette ses tentacules aussi faci-
sonnes se présentent quotidiennement à la Elle ajouta qu’un grand seigneur mour- lement dans le temps que dans l’espace. Ou
porte des Couédon », rapportent Louis rait peu après. bien, s’échappant du continuum physique,
Pauwels et Guy Breton dans Histoires « C’est peut-être impressionnant, mais elle contemple le passé et le futur, comme
magiques de l’histoire de France. Assise c’est de la bien mauvaise poésie », déclara une mouche contemplerait un tableau si,
dans un fauteuil, les mains crispées sur le poète José-Maria de Heredia. Reste au lieu de marcher à sa surface, elle volait
les accoudoirs, les yeux révulsés et mi- qu’un an plus tard, le 4 mai 1897, un à quelque distance de lui. Les faits de pré-
clos, Henriette psalmodiait d’un ton incendie ravage les locaux du Bazar de la diction de l’avenir nous mènent jusqu’au
monocorde puis répondait (gratuite- Charité, une association caritative créée seuil d’un monde inconnu. Ils semblent
ment) aux questions des visiteurs. Dans quelques années plus tôt pour assurer la indiquer l’existence d’un principe capable
ces instants, disait-elle, sa personnalité vente d’objets au profit des plus dému- d’évoluer en dehors des limites de notre
disparaissait ; elle devenait un « instru- nis. Initialement installée sur le faubourg corps. » La tragédie du Bazar de la Chari-
ment » au service du divin. Saint-Honoré, elle déménagea en 1897 té émut la France. Une cérémonie en
Événements politiques, cyclones, acci- rue Jean Goujon, à huit cents mètres des mémoire des victimes fut donnée à
dents de train, décès de personnalités, Champs-Élysées. Fréquenté par la haute Notre-Dame de Paris. En 1900, fut éri-
naissance de jumeaux ou cas de varicelle : société parisienne, le lieu accueillait ce gée à son emplacement la chapelle de
ses prédictions faisaient jaser. Au cœur de jour-là une vente de bienfaisance prési- Notre-Dame-de-Consolation, désor-
la Belle Époque et de sa vie mondaine, dée par la duchesse d’Alençon, sœur de mais classée monument historique. Por-
la France s’enflammait, le trottoir des l’impératrice d’Autriche. tée aux nues puis oubliée, Henriette
Couédon débordait. « Qu’on nous laisse Fait de boiseries, de toiles et de tentures, Couédon tomba dans la solitude et l’agi-
tranquilles avec ces bêtises », écrivit Émile le Bazar prit rapidement feu. « Tout brûle tation. Présentant à 48 ans des idées de
Zola. D’autant que la jeune femme se à la fois, boutiques, cloisons, planchers et persécution et de mégalomanie, elle fut
trompait, parfois. Un événement ques- façades, des hommes, des femmes, des en- internée. Aujourd’hui encore, des scien-
tionne néanmoins. Un soir de 1896, fants se tordent, poussant des hurlements tifiques explorent – et valident – les
alors qu’elle était invitée à une récep- de damnés, essayant en vain de trouver étranges facultés de la conscience.
tion de la comtesse de Maillé, Henriette une issue, puis flambent à leur tour et re-
Couédon livra devant une centaine de tombent au monceau toujours grossissant
personnes la prédiction suivante : de cadavres calcinés », écrit un reporter www.bazardelacharite.fr
La construction de Notre-Dame la des gargouilles. Les vitraux de la rosace droite permet de passer au concret et
monumentale s’étend sur plus de deux occidentale surplombant le porche sont s’avère être un véritable mode d’emploi
siècles, de 1163 jusqu’au milieu du eux aussi restaurés par l’architecte et re- pour qui saura le déchiffrer. On y voit
XIVe siècle. Bien des interprétations al- prennent, dans des couleurs spécifiques les figures récurrentes qui jalonnent le
chimiques des symboles qu’on peut y à l’alchimie, les motifs du portail. Ce chemin de la pierre philosophale : le
voir ont été proposées, mais il faut at- détail confirme les connaissances her- « lion vert » permettant de décompo-
tendre le début du XXe siècle pour que le métiques de l’homme. ser la matière, les principes du soufre,
mystérieux Fulcanelli dévoile ses secrets Il faut savoir que le Grand Œuvre qui du mercure, du sel, ainsi que le dragon,
dans Le mystère des cathédrales. Il y dé- permet de réaliser la pierre philosophale animal emblématique du bestiaire des
montre qu’une trentaine de médaillons, se décompose en trois phases, que l’on alchimistes… Enfin on y trouve des in-
disposés de chaque côté du portail cen- retrouve sur la cathédrale : l’Œuvre au dications précises, notamment de tem-
tral de Notre-Dame de Paris, racontent noir, placé sous le signe de Saturne, il y poralité, avec des animaux tel le taureau,
de façon précise comment obtenir la a mort, dissolution du mercure et coa- associé au mois mai, ou le bélier au mois
pierre philosophale. gulation du soufre. L’Œuvre au blanc d’avril.
Au milieu du XIXe siècle, après les ra- sous le signe de la Lune : il y a purifi- Au bout des médaillons, une femme
vages de la Révolution, la cathédrale bé- cation. L’Œuvre au rouge, sous le signe tient la pierre philosophale dans la main
néficiera d’une restauration importante, du Soleil : il y a union du mercure et droite, ce qui serait une allégorie de la
sous la direction de l’architecte Viollet- du soufre. L’alchimiste obtiendrait ain- « persévérance »… récompense de la fin
le-Duc. Il y incorpore des éléments et si l’or alchimique… D’après Patrick du voyage. De l’autre main, elle tient
des motifs inédits qu’il est intéressant Burenteinas, la partie gauche du porche l’athanor ‒ le four de l’alchimiste : l’uni-
d’observer de plus près… Comme pour de Notre-Dame est un résumé de la té est atteinte au cœur du four. Notre-
spécifier qu’il avait saisi le sens caché démarche et des principes de l’Œuvre : Dame de Paris, comme bien d’autres
du monument, Viollet-le-Duc a placé la décomposition et l’ouverture de la monuments emblématiques en France,
un alchimiste avec son bonnet phry- matière, la quête de la « lumière », la a donc beaucoup à révéler pour qui dé-
gien d’initié au milieu des chimères et traversée des apparences… La partie tient quelques clés.
Le Père-Lachaise compte plus de trois millions de visiteurs par an. Si beaucoup se déplacent pour ses il-
lustres sépultures, il est moins connu que la colline où il se trouve était un haut lieu énergétique, consi-
déré autrefois comme « sacré ». Au temps des premières civilisations, les hommes, pour rendre hommage
aux dieux, y ont érigé des pierres levées, traits d’union entre ciel et terre. « Cette colline fonctionne comme
une fontaine d’énergie : quelque chose qui vient de l’intérieur et qui rayonne et ruisselle sur les bords. Les
premiers hommes l’ont senti », indique l’alchimiste Patrick Burensteinas. En 1804, pour pallier les pro-
blèmes de salubrité, Napoléon procède à un grand « nettoyage » et déplace les cimetières à l’extérieur :
c’est ainsi que la colline sacrée devient cimetière. Mais la tradition va perdurer. Le lieu sera, au fil des
siècles, balisé de symboles, comme autant d’indices de sa nature originelle. Sur l’une des portes
d’entrée, on découvre un sablier avec des ailes : la fuite du temps. Au début du parcours, un masque
d’Égyptien « muet » porte un doigt sur ses lèvres. Sur la tombe d’un certain « Parmentier » est
sculpté un distillateur : le « four » des alchimistes… Le chemin se termine avec une femme muette,
une vierge : « C’est comme si on nous avait dit au début : “pour faire le chemin, tais-toi”, puis “Main-
tenant que tu as fait le chemin, sois silencieux”. » A.A.
lions d’individus y sont déposés après quillité, ils distillaient des histoires d’en-
leur évacuation des cimetières parisiens, lèvements, accréditant la présence du
pour des raisons de salubrité. C’est alors diable ou de monstres... De nombreux
que le nom de « catacombes » est adop- écrivains s’inspireront aussi de l’aura des
té, par analogie avec les nécropoles sou- lieux : Gaston Leroux, Victor Hugo ou
terraines de la Rome antique. Dès 1810, Anne Rice, pour leurs héros humains
une partie des ossements sera aménagée ou surnaturels. De quoi nourrir une sul-
en des murs composés de tibias et de fureuse réputation. A.A.
PROVINS,
la cité médiévale de Provins bruisse des mystères de son passé.
Quels secrets se sont tramés à l’ombre de ses souterrains ?
Quelles mémoires ses pierres peuvent-elles livrer ? Par Réjane Éreau
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Le saviez-vous ?
HISTOIRES & LIEUX EXTRAORDINAIRES DE FRANCE
souterrains, des personnes a priori pas l’Ordre en Terre sainte, explique Pascaline
claustrophobes se sentent oppressées ; Petitberghien. Il finit même par aban-
des gens arrivés très calmes se mettent donner ses biens pour devenir chevalier de
à parler beaucoup, à rire nerveuse- l’Ordre. » D’autres comtes de Cham-
ment… « On peut vite perdre ses repères pagne suivirent ses traces. À la fin du XIIe
spatiotemporels, voir remonter des peurs, siècle, la Chevalerie initiatique comptait
se sentir guidés ou parasités par des pré- deux « maisons de frères » à Provins.
sences », observe-t-elle. Quant à la collégiale Saint-Quiriace, elle
La science a prouvé qu’une stimula- doit son nom à Cyriaque de Jérusalem,
tion environnementale réduite – pas un ancien évêque qui aurait contribué à
de lumière, pas de son, une tempéra- retrouver la croix du Christ, et dont les
ture constante et des ressentis tactiles reliques auraient été ramenées à Provins
Prévoir un vêtement
limités – modifiait l’état de conscience. par un croisé champenois. Alors, qui sait chaud, y compris en été.
Les sens en sommeil, autre chose sur- si les souterrains n’ont pas aussi hébergé Réservation conseillée.
git : des images, des émotions, des certains des rites templiers ? www.provins.net
ma m ae d it i o n s.co m
HISTOIRES ET LIEUX EXTRAORDINAIRES DE FRANCE
Une personnalité qui
mélangeait finalement
l’altruisme, le cynisme et
l’opportunisme.
56 Inexploré - HORS-SÉRIE N°7 - Novembre 2018
Nostradamus
SALON
DE
PROPHÈTE
LE PROPHÈTE DE SALON
LE
NOSTRADAMUS,
Nostradamus, le mage, le mythe, ne cesse de fasciner près de cinq siècles après
la parution des fameuses Prophéties en 1557. Les exégètes continuent d’osciller
entre des positions ultra-polarisées, les uns le considérant comme un voyant-
astrologue et un prophète exceptionnel, alors que les autres dénoncent une habile
escroquerie intellectuelle. Rares sont les positions plus mesurées qui tentent de
faire la part des choses et séparer le bon grain de l’ivraie.
Nostradamus fut une célébrité de son vivant, au tion des événements qui occupent l’actualité, le
point d’entretenir d’étroites relations avec Cathe- « prophète » refait surface, parce qu’on aura trouvé
rine de Médicis, épouse et mère de rois de France, dans une de ses centuries une ligne ou davantage
elle-même régente de 1560 à 1563. Son ouvrage, démontrant que « Nostradamus l’avait prédit ! »
Les Prophéties, a connu un immense succès dès sa
parution, à la fois grâce à l’habilité de l’auteur et Apothicaire, médecin et « astrophile »
au contexte de la Renaissance, période troublée et
traversée de nombreuses peurs. Pour beaucoup, ce Michel de Nostredame naît en 1503 dans une fa-
succès serait essentiellement dû au style obscur des mille instruite et prospère de Saint-Rémy-de-Pro-
quatrains et à l’emploi d’un vocabulaire nébuleux vence. Son arrière-grand-père est un juif converti au
empruntant au vieux français, au latin, au grec et christianisme, et le fils de celui-ci a pris ce nom sans
au provençal. De sorte qu’on peut associer, a pos- ambiguïté, comme il était d’usage à cette époque. Sa
teriori, certains vers ou quatrains entiers avec des profession est apothicaire, les précurseurs des phar-
événements réels et commettre une erreur de juge- maciens modernes, et on le dit aussi médecin, mais
ment autrement appelée « biais rétrospectif ». Ce fut il fut radié de la faculté de médecine de Montpel-
notoirement le cas quand on estima qu’il avait pré- lier, car les deux métiers étaient incompatibles. C’est
dit l’élection de François Mitterrand et la tentative surtout l’astrologue qui a laissé une trace indélébile
d’assassinat du pape Jean-Paul II, survenues à trois dans l’Histoire, mais lui se disait plus volontiers
jours d’intervalle en mai 1981. Il avait en effet écrit « astrophile ». Il est également connu pour avoir
dans le même quatrain qu’un danger menacerait beaucoup voyagé, à la fois en France et à l’étranger,
le « Romain pontife » au moment où « fleurira la mais restera attaché toute sa vie à sa région natale de
rose ». À chacun d’en juger. Des milliers de livres Provence, s’installant en 1547 à Salon-de-Provence
ont été consacrés à ces interprétations, avec toutes (à l’époque Salon-de-Craux), d’où est originaire sa
sortes d’arguments. À savoir que de faux quatrains seconde épouse. C’est également là qu’il finira sa vie
ont aussi été produits volontairement, après des en 1566. Avant Les Prophéties, c’est par la publica-
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événements majeurs comme le 11 septembre 2001 tion d’almanachs qu’il se fait connaître dès 1550.
par exemple, afin de démontrer la crédulité des « te- Ces ouvrages sont appréciés à l’époque parce qu’ils
nants » s’empressant de les diffuser sans exercer le mêlent toutes sortes d’informations allant des pré-
moindre esprit critique. Périodiquement, en fonc- visions météorologiques aux recettes de beauté par
sonnalité de Nostradamus. On le décrit comme pas- chemins de France, qui fait référence à un Varennes
sionné par la connaissance, l’aventure intellectuelle, du Maine-et-Loire près duquel on trouve les lieux
mais aussi bon vivant, amateur de conquêtes et de Vaultorte, Herne, la pierre blanche. D’autres y
bonne chère, tout autant aimé et respecté pour sa gé- voient même la description à peine codée d’un évé-
nérosité que craint pour son savoir mystérieux. Une nement réel, mais contemporain de la rédaction des
personnalité qui mélangeait finalement l’altruisme, centuries, c’est-à-dire un épisode de l’affrontement
le cynisme et l’opportunisme, selon certains auteurs. des catholiques et des protestants, dans un Varennes
de l’Indre-et-Loire cette fois.
Deux fameux quatrains
Quelques vers troublants
Si l’on entre dans le détail des Prophéties, elles se di-
visent en dix centuries, soit des ensembles de cent Pour déceler quelques pépites dans les quatrains, il
quatrains, mais la centurie VII est incomplète, de faut parfois se concentrer sur un seul vers, comme
sorte qu’il existe au bout du compte 942 quatrains, dans la première centurie où le quatrain 60 indique
dont certains sont particulièrement célèbres. Ainsi, qu’un « empereur naîtra près d’Italie », puis un autre
le 35e quatrain de la première centurie : quatrain de la centurie VII, qui stipule :
On y voit l’annonce de la mort du roi de France, On sait que les vétérans de l’armée de Napoléon
Henri II, survenue en 1559 lors d’un duel, soit l’appelaient « le petit tondu » et que celui-ci gouver-
quelques années après la publication. Le roi a en ef- nera sur un mode autoritaire pendant 14 ans. La Sa-
fet été tué accidentellement par un jeune chevalier, trapie était une province d’empire de l’antique Perse
le comte de Montgomery, lors d’un célèbre tournoi, et désigne sur un mode péjoratif un gouvernement
alors qu’ils portaient tous les deux un lion comme in- despotique.
signe. Montgomery terrasse Henri II, âgé de 40 ans, Le quatrain plutôt abusivement associé à la tentative
dans une joute seul à seul (par singulier duel) en lui d’assassinat du pape Jean-Paul II pourrait quant à
crevant l’œil d’un coup de lance porté au travers de lui correspondre davantage à l’épisode de l’arresta-
la visière d’or de son casque (dans cage d’or). Si les tion du pape Pie VI :
correspondances apparaissent fortes aujourd’hui, le
rapprochement n’a pas été effectué à l’époque, pas « Romain pontife garde de t’approcher
même par Nostradamus lui-même ! Autre fameux De la cité que deux fleuves arrosent
quatrain, le 20e de la neuvième centurie : Ton sang viendra auprès de là cracher
Toi et les tiens quand fleurira la rose. »
« De nuit viendra par la forêt de Reines,
Deux pars vaultorte Herne la pierre blanche, En effet, arrêté à Rome en 1798 par les troupes
Le moine noir en gris dedans Varennes, françaises, le vieux pape fut finalement transféré à
Eleu cap. Cause tempête feu, sang tranche. » Valence (que deux fleuves, le Rhône et l’Isère, ar-
DE
d’almanachs qu’il se fait
PROPHÈTE
connaître dès 1550.
LE
rosent) et mourut l’année suivante en crachant le C’est ce qui rend aisée la mise au jour de coïnci-
NOSTRADAMUS,
sang tout en demandant qu’on le laisse admirer les dences frappantes, et impossible la démonstration
roses sous ses fenêtres. des erreurs du prophète. Nostradamus, conclut-il,
La neuvième centurie contient également un qua- « propose un ingénieux système de divination où les
train (49) troublant quand on lit : erreurs ne peuvent jamais être répertoriées et où seules
les réussites retiennent notre attention ».
« Gand et Bruxelles marcheront contre Anvers
Sénat de Londres mettront à mort leur roi Nostradamus et l’Antéchrist
Le sel et le vin lui seront à l’envers
Pour eux avoir le règne en désarroi. » On gagne donc à resituer « l’œuvre » de Nos-
tradamus dans son contexte historique, celui
Or, la première révolution anglaise de 1642 à 1651 d’une Renaissance en proie aux épidémies, guerres
comporte l’épisode du procès et de l’exécution de de religion et tensions intercommunautaires, mais
Charles Ier en 1649 pour haute trahison par un tri- aussi période florissante d’échanges entre nations
bunal spécial créé par le Parlement. et de redécouverte de la philosophie et des sciences
de l’Antiquité, grâce en particulier à l’essor de
Transes divinatoires ? l’imprimerie. Selon Stéphane Gerson, « Nos-
tradamus nous entraîne effectivement dans un uni-
On peut juger que la récolte est faible quand on vers étrange, peuplé de fantômes, de prophètes inquié-
exerce un discernement poussé, mais l’exercice est tants et de prévisions de mauvais augure. Toutefois, le
surtout rendu difficile par le style abscons des qua- plus étrange, c’est que Nostradamus et ses prédictions
trains. Nostradamus, dans une lettre à son fils, a aient pu s’inscrire dans la durée, d’abord en Occident
explicitement revendiqué et justifié l’emploi d’un et ensuite sur d’autres continents ». Mais cette étran-
langage secret, codé, réservant la compréhension geté ne tiendrait-elle pas finalement au fait qu’il
de ses prophéties à d’authentiques initiés. Il expli- fut un authentique prophète ? Car il faut pour fi-
quait en outre qu’il recourait à plusieurs procédés nir, mentionner l’intérêt que porta Carl Gustav
divinatoires, dont certains issus de l’Antiquité, Jung à l’astrologue Nostradamus. Dans une lettre
comme la « fureur poëtique » (théorie néo-platoni- à Henri II datant de 1558, ce dernier annonce une
cienne d’inspiration par les muses), le « subtil esprit période de persécutions contre l’Église catholique,
du feu » de l’oracle de Delphes, ou encore l’« eau qui durera jusqu’à la « rénovation du siècle » en
de l’oracle de Didymes », en plus de l’astrologie, 1792 (proclamation de la Première République).
de la lecture des « lettres sacrées », de « l’incubation On est alors en pleines tensions entre catholiques
rituelle » ou du « songe prophétique ». Il n’est ainsi et protestants, qui culmineront avec le massacre de
pas exclu qu’il ait par exemple vécu de véritables la Saint-Barthélemy en août 1572. Jung estime
transes, en utilisant certaines plantes aux vertus di- que Nostradamus a fait une fine analyse des don-
vinatoires connues dans de nombreuses cultures. nées astrologiques de l’ère des Poissons et vu l’An-
Dans une étude, l’universitaire Stéphane Gerson téchrist dans l’instigateur de la Réforme protes-
cite Herbert Thurston, prêtre anglais qui, dans La tante, Luther, et le « second Antéchrist » dans les
guerre et les prophètes, publié pendant la Première proclamateurs de la République. On lit également
Guerre mondiale, a jugé que Nostradamus est dans Les livres de Seth – un monument de la litté-
« un chef-d’œuvre d’ambiguïtés delphiques » dont le rature inspirée du New Age – que « Nostradamus
succès tient uniquement au nombre incalculable voyait dans la dissolution de l’Église catholique ro-
de quatrains sibyllins, à leurs affirmations catégo- maine la fin du monde. Il ne pouvait pas imaginer
riques et à l’absence de toute référence spécifique une civilisation sans elle, et ses prédictions ultérieures
à quelque période ou quelque lieu que ce soit. doivent être comprises dans ce contexte ».
Catherine est sacrée reine
de France le 10 juin 1549, avec
pour rôle de procréer…
60 Inexploré - HORS-SÉRIE N°7 - Novembre 2018
NOIRE
LÉGENDE
LA
MÉDICIS,
DE
LA LÉGENDE NOIRE
CATHERINE
Figure aujourd’hui louée pour son sens du
compromis et son leadership politique, Catherine
de Médicis n’en reste pas moins associée à moult
épisodes étranges, qui ont émaillé sa présence
au sommet du régime. Son goût pour la magie et
l’occultisme est en tout cas largement avéré.
Les historiens ont longtemps dépeint Catherine de cadet de François Ier, Henri, duc d’Orléans, qui a
Médicis comme une intrigante despotique, voire le même âge qu’elle et n’est pas destiné à régner.
machiavélique. Ce n’est que dans la seconde moitié Même une fois le mariage consommé, Henri lui
du XXe siècle qu’elle fut réhabilitée comme ayant préfère sa maîtresse de vingt ans plus âgée, Diane
apporté beaucoup à la France, son pays d’adop- de Poitiers. Mais Henri devient l’héritier du trône
tion, sur le plan politique mais aussi artistique et quand son frère le dauphin François meurt pré-
culturel. Sa responsabilité dans le massacre de la maturément, en 1536. Catherine craint d’être
Saint-Barthélemy continue à ternir son image, et répudiée, car les époux ne parviennent pas à avoir
on sait aussi qu’elle s’entoura de nombreux devins de descendance. Son premier enfant François naît
et astrologues, dont les fameux Nostradamus et cependant après dix ans d’union. Il sera suivi par
Côme Ruggieri. neuf autres enfants, dont trois mourront en bas
âge ou à la naissance. Henri d’Orléans monte sur
Reine de France destinée à procréer le trône sous le nom d’Henri II le 31 mars 1547,
à la mort de son père, et Catherine est sacrée reine
Née à Florence en 1519, elle se retrouve orphe- de France le 10 juin 1549, avec pour rôle de pro-
line quelques jours après sa naissance. Prise en créer… Dix ans plus tard, à l’occasion de festivi-
charge par sa grand-mère, elle devient l’héritière tés organisées pour les noces de sa fille Élisabeth
de la fortune des Médicis et bénéficie de la pro- (avec Philippe II d’Espagne), Henri II est victime
tection de deux papes, Léon X, son oncle, puis d’un accident lors d’un tournoi de joute et meurt
Clément VII, son cousin. Elle est pourtant prise après dix jours d’agonie. On dit que cet accident
en otage à l’âge de dix ans par les républicains flo- fut prédit par Nostradamus, mais à l’époque, le
rentins, qui se révoltent contre les Médicis et me- quatrain abscons de l’astrologue n’est pas rappro-
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nacent de la violer et de la tuer. Elle sera éduquée ché de l’événement. En revanche, l’astrologue ita-
au Vatican près de Clément VII et quittera l’Italie lien Luca Gaurico (Gauric) aurait prédit ce destin
à l’âge de quatorze ans pour être mariée au fils funeste au couple royal dès 1552.
deux autres astrologues, Jérôme Cardan et Gabriel fectue quinze rotations (il hérita du trône en 1574 et
Simeoni. Gauric aurait fait une autre prédiction cé- mourut assassiné en août 1589 ; le trône reviendra
lèbre à propos de la mort de la reine. Une quinzaine à Henri de Bourbon). Belle légende ou prédiction
d’années avant ce décès en 1589, il lui fut prédit extraordinairement précise ? Les historiens penchent
qu’elle mourrait « près de Saint-Germain ». Elle bien sûr pour la première version. Toujours est-il
se tenait donc systématiquement éloignée de tout que l’astrologue disposait bien d’une chambre à son
lieu portant ce nom et fit également interrompre la nom à Chaumont. On trouve un compte rendu de
construction du Palais des Tuileries qui dépendait cette session dans un document historique de 1928
de la paroisse de Saint-Germain-l’Auxerrois pour qui fait une synthèse de « l’occultisme de Catherine
s’installer en 1572 dans l’hôtel de la Reine, qui de Médicis ». Il est dû à un auteur de la Société
deviendra l’hôtel de Soissons (situé dans le quar- d’émulation de l’Ain, fondée en 1755 et première
tier des Halles à Paris, puis détruit au XVIIIe siècle). ancêtre des « sociétés savantes ». Le récit s’appuie sur
Mais lorsque sur son lit de mort elle demanda le les travaux antérieurs d’historiens qui ont largement
nom de son confesseur, celui-ci lui répondit s’ap- été relativisés depuis, car suspectés d’avoir tendance
peler Julien de Saint-Germain ! D’autres anecdotes à « noircir le tableau ». On peut cependant supposer
entourent sa mort puisqu’on raconte qu’elle légua un penchant inverse chez les historiens contempo-
à Henri Ier de Mesmes un coffret avec l’étrange rains qui ont souhaité redorer le blason de la reine,
consigne de ne jamais l’ouvrir. Ses héritiers n’ont car la légende noire contient certainement une part
rompu la promesse que 107 ans plus tard, pour y de vérité.
découvrir un médaillon ovale gravé de signes ésoté-
riques. Selon des recherches effectuées par Jacques Devins, magiciens et astrologues
Mandorla, il s’agissait en fait d’un talisman qui re-
présentait notamment la reine faisant offrande au En effet, le goût de Catherine pour les sciences oc-
démon. Dans un ouvrage ancien d’un dénommé cultes ne pouvait pas relever d’une demi-mesure.
Henri Estienne, on lit : « Cette Princesse portait tou- Elle était bel et bien férue d’occultisme et de ma-
jours sur elle ce talisman. Il était de la façon et de la gie et l’époque était propice à ces croyances « ir-
fabrique du sieur Régnier, fameux mathématicien qui rationnelles ». Comme on le lit dans ce fameux
passait pour magicien et en qui elle avait beaucoup de document, en référence à la jeunesse florentine de
confiance. On prétend que la vertu de cet objet était la future reine mère, « toutes les Cours entretenaient
pour gouverner souverainement et connaître l’avenir, vers cette époque quelques cabalistes, alchimistes ou
et qu’il était composé de sang humain, de sang de bouc géomanciens que l’on consultait avant que de prendre
et de plusieurs sortes de métaux fondus ensemble sous les décisions graves, tout comme les Romains prenaient
quelques constellations particulières, qui avaient rap- l’avis des augures ». Ainsi, mariée à 14 ans mais in-
port à la nativité de cette Princesse. » fertile jusqu’à l’âge de 24 ans, on lit qu’après avoir
consulté les médecins de la Cour, elle « recourt alors
Quand parle le miroir magique aux philtres magiques et fait grande consommation :
Sur ce talisman, on voit la reine consulter un miroir urine de mouton, sang de lièvre, patte gauche d’arrière
magique, une pratique connue depuis l’Antiquité de la belette infusée dans du vinaigre fort, lait de ju-
pour lire l’avenir ou communiquer avec les morts. ment absorbé avant le commerce, poudre de génitoires
Dans une scène se déroulant au château de Chau- de sangliers prélevés pendant la lune de mars… »
mont-sur-Loire, Catherine de Médicis aurait consul- Après la mort d’Henri II, qui fut prédite et dont on
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LA
dérable à la Cour. Lorsque les tensions montent
MÉDICIS,
entre catholiques et protestants, Catherine se laisse
convaincre de calmer les ardeurs calvinistes. En dé-
cembre 1563, elle aurait fait envoyer une pomme
empoisonnée au prince de Condé (Louis Ier de
La légende de
Bourbon-Condé) ! « Condé, méfiant, l’expérimente Jean l’Écorcheur
DE
sur une personne de sa suite, laquelle en rend l’âme sur
la place », précise le document. Il mourra pourtant
CATHERINE
bel et bien assassiné, mais d’un coup de pistolet en Une dernière « légende » entoure la
mars 1569, lors de la troisième guerre de religion.
personne de Catherine de Médicis,
Une séance occulte terrifiante celle du « fantôme des Tuileries »
ou « l’homme rouge ». En 1564,
Après cette première tentative « infructueuse », on
dit que la reine aurait fait appel à des connais- Catherine ordonne la transformation
sances italiennes pour confectionner des figurines
en demeure royale de la fabrique de
en bronze de Condé, représentant l’amiral de Co-
ligny et son frère François d’Andelot : « Des vis tuiles du bord de la Seine. Mais une
traversaient la carapace de bronze en direction des
fois le bâtiment occidental achevé,
parties vulnérables du corps et, par le principe de la
transposition, devaient produire sur les trois sei- elle y est assaillie de visions d’un
gneurs visés, semblables mortelles blessures. » Ces
fantôme portant un costume couleur
pratiques d’envoûtement ne portent pas davan-
tage leurs fruits, en tout cas dans l’immédiat, rouge sang. Certaines chroniques
puisque Coligny sera finalement tué lors de la
disent que c’est même ce fantôme
Saint-Barthélemy et d’Andelot empoisonné, pro-
bablement sur ordre de Catherine, en mai 1569. qui lui prédit qu’elle mourra « près
Le chancelier de Birague, conseiller influent de la
de Saint-Germain ». Le spectre serait
reine, n’avait-il pas dit que cette guerre finirait
« non par les armes, mais par les cuisiniers… » ? celui d’un ancien homme de main de
Après la Saint-Barthélemy, le roi Charles IX
la reine, Jean dit l’Écorcheur, boucher
souffre de troubles physiques et mentaux grandis-
sants, qui font dire aux chroniqueurs de l’époque désosseur de son état, que Catherine
qu’il est « étouffé par le sang de Coligny ». Plus tard,
a voulu faire éliminer, car il en savait
l’alchimiste Côme Ruggieri sera arrêté et accusé
d’envoûtement sur le roi, car il aurait offert ses trop sur elle. Égorgé par Neuville
cabalistiques services aux ennemis protestants.
sur sa demande, il annonce aussitôt
Dans le document de la Société d’émulation de
l’Ain, on lit un dernier compte rendu d’une qu’il reviendra d’entre les morts. En
séance occulte terrifiante destinée à sauver le roi,
effet, l’homme rouge hanta la reine
qui aurait consisté à sacrifier un enfant et faire
parler sa tête coupée. Vim patior, aurait prononcé jusqu’à sa mort, mais on dit aussi qu’il
celle-ci en latin (« j’y suis forcé »), ce qui fut inter-
fut aperçu aux Tuileries par Marie-
prété comme un refus de protection à la reine-
mère et aux siens, émis par le prince des enfers… Antoinette en 1792, juste avant la
De fait, Charles IX meurt deux jours plus tard
chute de la monarchie, ou encore par
après une agonie agitée, au cours de laquelle il
n’aurait cessé de répéter : « Éloignez cette tête ! » Napoléon Ier juste avant Waterloo !
DU
Veneur (chasseur) date de 1598, mais « M’attendez-vous ? » Le chroniqueur dans le château, fit venir les plus vieux
il serait également apparu à Napoléon Pierre de l’Étoile (1546-1611) attri- des habitants du Bourg, pour savoir
LÉGENDE
à la veille de son abdication en 1814 bue cependant l’anecdote à Henri IV, d’eux ce que ce pourrait être. Ils lui ré-
ou encore à Louis XVI, peu avant mais change quelques éléments. Le pondirent qu’on voyait paraître quelque-
son exécution. Si ces légendes ont le roi chassait le sanglier et un mélange fois, au milieu de la nuit, un Chasseur
moindre fondement, il faut s’attacher, de cris de meute et de cris humains se à cheval, avec sept ou huit chiens, qui
LA
estiment les chercheurs, aux sources fit entendre. Le chasseur noir apparut courent la forêt, comme en chassant sans
contemporaines des premiers témoi- et frappa la bête en déclarant : « Qu’en blesser personne. Quelques-uns ajoutent
FONTAINEBLEAU,
gnages, car la tendance est forte d’en pensez-vous ? », ce que d’autres interpré- que sous le Roi François premier, un
rajouter ensuite constamment, sur tèrent comme : « En mangez-vous ? » chasseur fut tué en ce même lieu, et que
le mode de la légende urbaine ou, en c’est lui qui apparaît maintenant, et qui
l’occurrence, sylvestre. Des sources historiques concordantes fait tout ce bruit dans la forêt. »
Qui va à la chasse… voit un spectre Quoi qu’il en soit, un consensus Légende ou pas, le Grand Veneur dis-
semble bel et bien exister sur le fait pose d’une croix à son nom sur la
Plusieurs versions de l’épisode initial que le chasseur noir soit un spectre, route de Fontainebleau qui traverse la
existent. Selon la première, le 8 sep- un fantôme sur sa monture, ainsi que forêt. Des contes pour enfants et
tembre 1598, lors d’une chasse royale l’ont rapporté plusieurs chroniqueurs même des spectacles s’en sont égale-
en forêt de Fontainebleau, près du de l’époque. L’érudit Dom (Augustin) ment inspirés. Mais une anecdote des
château dont il fit sa résidence privi- Calmet (1672-1757) écrit ainsi : « Je années 1970 fait tout de même froid
légiée, le roi Henri IV entend tout à tire des Mémoires de Sully, qu’on vient dans le dos. Un groupe de trois adoles-
coup les jappements d’une meute de de réimprimer, un fait singulier. On cents de la région compulse un soir un
chiens et le son d’un cor de chasse. Il cherche encore, dit l’auteur, de quelle guide qui évoque la légende du Grand
ordonne au comte de Soissons d’aller nature pouvoit être ce prestige, vu si Veneur. Ils décident de se rendre à la
en éclaireur à la rencontre des impor- souvent par tant d’yeux dans la forêt de croix par une nuit de pleine lune et,
tuns qui osent chasser sur son terri- Fontainebleau ; c’était un Phantôme arrivés sur place, entendent des pas qui
toire. Celui-ci s’en va avec crainte, car environné d’une meute de chiens dont s’approchent bruyamment, sans que
il pressent quelque caractère surnatu- on entendait les cris, et qu’on voyoit de rien ne soit pourtant visible !
rel, puis il revient et déclare : « Sire, je loin, mais qui disparoissoit lorsqu'on
n’ai rien pu voir, mais j’entends comme approchoit. La note de M. de l’Écluse,
vous la voix des chiens et le son du cor. » éditeur de ces Mémoires, entre dans un
« Ce n’est donc qu’une illusion », conclut plus grand détail. Il marque que M. de
le roi. À cet instant, le chasseur noir Perefixe fait mention de ce Phantôme et
apparaît sur son cheval au milieu des il lui fait dire d’une voix rauque, l’une
arbres et lance : « Vous vouliez me voir, de ces trois paroles : “M'attendez-vous ou
me voici ! » Une autre version attribue m’entendez-vous ou amendez-vous.” Et
l’événement à François Ier, qui régna de l’on croit, dit-il, que c’étoient des jeux de
1515 à 1547 et qui fit également réali- sorciers ou du Malin Esprit. » Dans une
ser de grands travaux à Fontainebleau lettre du 25 octobre 1598 adressée par
– une reconstruction quasi complète – l’historien et diplomate Jacques Bon-
pour y installer son lieu de résidence gars (1554-1612) à M. Camerarius,
favori. Chassant lui aussi dans la forêt et qui serait finalement à l’origine de
proche, il poursuivait un cerf qui lui la légende, on lit : « Voilà l’histoire du
échappait depuis un moment. Il s’écria monstre, et voici celle du spectre. On dit
alors « Diable ! », en éperonnant vi- que le Roi retournant de la chasse en sa
goureusement sa monture. Aussitôt, maison de Fontainebleau à dix heures
sa suite et lui se trouvèrent entourés du soir a entendu un chasseur qui faisait
LE
sons […] Comme, dans la campagne, on nouveau de ce patrimoine, « fiers peut-
n’est jamais savant sans être quelque peu être de redonner à une région de plus en
sorcier, beaucoup pensaient que la mère plus déshéritée l’originalité, les pouvoirs
Fadet en savait encore plus long qu’elle aussi, qu’elle était en train de perdre », es-
ne voulait le dire, et on lui attribuait le time Bénédict Deloeuvre.
pouvoir de retrouver les choses perdues,
mêmement les personnes. » Des savoirs diabolisés
Ces lignes sont issues de La Petite Fa-
dette. Dans ce roman publié en 1849, En Berry comme ailleurs, se perpétuent
George Sand met en scène la petite-fille depuis la nuit des temps d’étranges sa-
d’une sorcière berrichonne. Elle y parle voirs. De l’Asie à l’Amérique en passant
de feux follets, de charmes, de divina- par la Bretagne et la Corse, on parle
tion. L’écrivaine connaissait bien la ré- d’hommes et de femmes entretenant
gion : elle y avait grandi. Toute sa vie, un lien privilégié à d’autres mondes :
elle resta attachée à cette terre et à sa médiumnité, communication animale
culture populaire peuplée de spectres de et végétale, voyage de l’esprit par-delà
lavandières, de pierres capables d’appa- l’espace et le temps, connaissance des
raître et de disparaître, de fées, d’esprits plantes et des rituels de guérison...
malveillants rôdant autour des mares, Dans nos régions, cet héritage s’est re-
de paysans meneurs de loups, de lueurs trouvé mis à mal par deux siècles de
harcelant les voyageurs et d’animaux chasse aux sorcières. Si les premiers pro-
fantastiques, gardiens de trésors. cès eurent lieu à la fin du Moyen Âge,
S’étirant du Loiret à la Creuse, au cœur c’est surtout entre 1560 et 1660 que
de la France, le « royaume de l’Ours », la vague fit rage. « Un peu plus de cent
selon les origines celtes du mot Berry, mille individus en Europe ont été poursui-
serait-il porteur d’une énergie particu- vis au titre de la sorcellerie, et près de la
lière ? On dit qu’autrefois, les druides moitié ont été brûlés », indique l’historien
élurent résidence du côté de Bourges. Jacques Roehrig, auteur de Procès en sor-
« La densité vibratoire du sol y serait plus cellerie aux XVIe et XVIIe siècles. En France,
puissante qu’ailleurs, et plus sensibles les 9 500 furent assignés en justice, 5 070
courants telluriques qui le traversent », périrent dans les flammes. Beaucoup
avance Bénédict Deloeuvre en 2009 étaient des gens de la terre ou des gar-
dans un article de Télérama. Pour Ma- diens de troupeaux.
rie du Berry, auteure du roman Marie « Parce qu’ils vivaient le plus souvent en
Sorcelle, qui conte les voyages « dans le dehors du village, on croyait que ces fa-
temps de ses aïeux » d’une jeune Berri- miliers de la nature en connaissaient les
chonne « panseuse de secrets », l’aura de secrets, en particulier ceux des plantes
mystère qui nimbe la région ne date que sauvages, avec lesquelles ils étaient censés
du XIXe siècle et aurait été portée par les fabriquer des mixtures maléfiques et leurs Marie Sorcelle
écrits de George Sand. antidotes », explique l’historien. On pen- Marie du Berry
« Il y eut aussi ceux de son ami et voi- sait également qu’ils pouvaient « mener Éd. L’Harmattan, 2015,
sin Germain Laisnel de la Salle, auteur les loups », afin de défendre leur troupeau 32 €
et naturellement mauvaise –, ils y édi- et de ses mystères ? L’enjeu de la chasse suspectes ou d’animaux malades sans
fient le mythe de la vieille isolée, indé- aux sorcières fut-il celui de la confisca- raison. Pressés de questions, affaiblis
pendante (donc dangereuse) et dotée de tion d’une forme de connaissance ? Pour par la détention, ils passèrent aux aveux.
pouvoirs maléfiques. À ces sorcières, ils être jeté en prison, une rumeur ou une Menés à genoux de leur prison jusqu’au
reprochent de se livrer à des messes dia- dénonciation suffisait. Telle sage-femme lieu du sabbat, ils périrent sur le bûcher.
boliques la nuit, de jeter des sorts dans n’aurait-elle invoqué le diable pour tuer « Au lieu d’être remerciée honnêtement
le plus grand secret et de guérir les gens un nouveau-né puis déterrer son ca- par tous les enfants de mon âge dont je
par des méthodes peu catholiques. On davre afin de le faire bouillir, de filtrer guérissais les blessures et les maladies, et à
est au temps de Descartes. Entretenir un son jus et de fabriquer l’onguent dont qui j’enseignais mes remèdes sans jamais
rapport direct et intuitif à l’invisible ne elle allait s’enduire le corps pour voler demander de récompense, j’ai été traitée de
correspond pas au modèle rationnel en sorcière, et ceux qui venaient bien douce-
train de se mettre en place et contrarie ment me prier quand ils avaient besoin de
l’hégémonie du clergé. Exit les croyances moi, me disaient plus tard des sottises », se
animistes. Il est de bon ton de condam- désole la Petite Fadette dans le roman de
ner le magique au profit du progrès et Un peu plus de George Sand.
d’une vision de plus en plus mécaniste Dans les années 1970, en Europe et
du monde. Le pouvoir se veut central, cent mille individus aux États-Unis, des féministes s’empa-
dominé par l’État et l’Église. « La chasse en Europe ont été rèrent de la figure de la sorcière pour
aux sorcières fut un moyen bien commode en faire l’icône de la femme révoltée,
de se débarrasser en toute légalité des in- poursuivis au titre créative et politique, en lutte contre le
dividus gênants, et de divertir la popu- patriarcat. Récemment, des pays
lation des soucis sociaux et politiques du de la sorcellerie, et comme la Suisse ou la Norvège ont
Royaume », affirme Jacques Roehrig. érigé des stèles gravées au nom des
« En faisant croire au petit peuple que près de la moitié hommes et des femmes morts sur le
le responsable de ses malheurs était le ont été brûlés. bûcher. Et si le Berry n’est pas plus
diable », et qu’il était donc d’utilité pu- que d’autres terre « de panseurs de se-
blique de se débarrasser de ses suppôts. crets, de magnétiseurs,
Les ecclésiastiques et les gouvernants ont de devins, de désenvoû-
trouvé dans les supposés sorciers de par- teurs et de rebouteux,
faits boucs émissaires. dans les airs ? La torture n’était pas rare. que l’on arrête de trai-
« Chaque province avait ses préférées », ter ceux qui y croient
Le musellement du féminin précise Jacques Roehrig. En principe, d’arriérés mentaux, de
au-delà de trois séances sans aveux, le crédules ou de déli-
Les sages-femmes, notamment, furent supplicié était libéré sous condition. Ce- rants ! Le pouvoir de
la proie de bien des acharnements. lui qui avait avoué devait confirmer ses l’imaginaire, du rêve et
Leur rôle dans la mise au monde leur crimes hors de la salle de torture ; s’il se de la magie est ancré Les sorciers du
donnait un fort pouvoir symbolique. rétractait, il était bon pour une nouvelle dans l’âme humaine carroi de Marlou
Dans les campagnes, elles et les guéris- séance ! Et « afin d’attirer du monde et ser- depuis la nuit des Nicole Jacques-Chaquin et
seuses étaient souvent le seul accès pos- vir d’exemple », l’exécution était fixée les temps, et on ne peut l’en Maxime Préaud
sible aux soins. Et loin de se contenter jours de marché. extirper », conclut Ma- Éd. Jérôme Millon,
de s’occuper des nouveau-nés, les sages- Le Berry ne fut pas épargné. Son pro- rie du Berry. 1998, 32,45 €
UN
SCIENTIFIQUE
L’AFFIRME.
16 x 24 cm
400 pages
22,90 €
Les faux
de Verzy
HISTOIRES & LIEUX EXTRAORDINAIRES DE FRANCE
Les arbres tortueux, ou tortillards, qui poussent dans la forêt de Verzy sont pourtant des hêtres ordinaires.
Les Fagus sylvatica, ou tortuosa, sont des faux (ou hêtres) pouvant atteindre l’âge de 800 ans qui ont, habituel-
lement, des difficultés à composer un ensemble. Ce lieu, dans les environs de Reims, est le seul où ils sont
regroupés en forêt, car ailleurs dans le monde, ils n’existent qu’en individus isolés. Verzy a d’ailleurs reçu le
label « forêt d’exception ». Protégés depuis 1932, ils peuvent d’autant plus prospérer et offrir, surtout en
hiver, leur morphologie torturée qui invite au rêve et à l’imagerie. L’origine de ces arbres tourmentés reste
un mystère et nombreuses sont les légendes qui accompagnent cet endroit singulier. On baptise volontiers
certains d’entre eux de noms particuliers, en déchiffrant leur forme associée, par exemple, à des person-
nages. Phénomène étrange, quelques chênes semblent également atteints du même syndrome et voient
leur tronc se tordre en poussant… jusqu’à faire branches communes avec les hêtres ! On raconte enfin
que Jeanne d’Arc se serait reposée dans l’un de ces faux et que des processions sacrées furent célébrées
entre leurs troncs sinueux. Melanie Chereau
ALSACE
parable sur la plaine d’Alsace et la chaîne voyants. Dans la basilique où reposent les
des Vosges. Elle est parcourue par une reliques d’Odile, les pèlerins se relient
mystérieuse muraille de 10 kilomètres, dans l’adoration perpétuelle et les traces
appelée « le mur païen », dont on ignore laissées par les genoux de la sainte en
l’origine et la raison de la construction. prière sont encore visibles sur le sol.
M.C.
Saint-Fargeau
BOURGOGNE
Le château de Saint-Fargeau, en Bourgogne, garderait encore caché dans ses
murs un tableau prestigieux de David.
&
En 1793, le peintre David offre à la convention nationale un tableau représentant
GRAND -EST
Michel Lepeletier, marquis de Saint-Fargeau, agonisant sur son lit. Pour avoir voté la
mort du roi, le marquis a été assassiné lors d’un dîner par l’un des anciens gardes
royaux. Sa fille, Suzanne, n’eut de cesse d’essayer de récupérer le tableau auprès de la
commune, afin de le faire disparaître, ainsi que tous les autres éléments prouvant « la
trahison » de son père envers la royauté. À la mort de David, elle achète le tableau pour
une somme colossale. Cependant, les héritiers du peintre, craignant qu’elle ne le dé-
truise, signent une clause selon laquelle ils pourront à loisir vérifier que le tableau existe
toujours. Par la suite, le tableau a été soigneusement caché, sans qu’aucun des descen-
© David Galley
dants Saint-Fargeau ne sache jamais à quel endroit. L’historien David Galley, qui a
enquêté sur l’affaire, explique : « Il est dit que l’endroit où se trouvait le tableau “maudit”
s’est passé de femme en femme au château. Mais un jour, le secret s’est perdu, probablement
suite à la mort soudaine d’une des gardiennes de la cache… » Jean d’Ormesson, l’un des
descendants de la famille Lepeletier, était persuadé que le tableau se trouve encore au
château. Aujourd’hui, les nouveaux propriétaires du château bourguignon de
Saint-Fargeau n’ont toujours pas mis la main sur le tableau du marquis. Cependant,
une clause précise que s’ils le trouvaient, ils devraient le remettre à un musée natio-
nal… Que les chercheurs de trésors n’espèrent pas quelque fortune. M.C.
Grand VOSGES
Ancien sanctuaire, le village aujourd’hui appelé Grand abrite une source vénérée
depuis les Celtes. L’eau, renouvelée à chaque pluie, reste néanmoins capricieuse et
intermittente, ce qui lui confère des qualités de rareté et de mystère dont s’empa-
rèrent les druides. Aménagé ensuite par les Romains et renommé Andesina, le
lieu fut enrichi de nombreux puits et galeries. De cette époque, on retrouve des
remparts, une basilique et ce qui devait être un amphithéâtre. La source prodi-
guait des guérisons, mais aussi des oracles. Des restes de mosaïques de zodiaques
ont également été retrouvés. Enfin, la jeune Libaire, bergère sacrifiée parce
qu’elle refusait les avances de l’empereur, est vénérée comme sainte dans une
chapelle dédiée. Elle aurait offert sa tête décapitée à la source, qui en serait
devenue sacrée. Aujourd’hui encore, l’eau aurait des vertus de guérison, no-
tamment en ce qui concerne les jambes abîmées. M.C.
© Shutterstock
DES
elles deux les îles de Lérins, sites clas- temps s’était figé. « Le silence permet de
sés jouissant du label Natura 2000, au se laisser rejoindre par Dieu, puisque, dit-
L’ Î L E
large de Cannes. Depuis 1869, elle ap- on, Dieu aime bien se faire entendre dans
partient à des moines cisterciens qui y le silence, surtout dans la vacuité du cœur
vivent toute l’année. Bordée de magni- et de l’esprit. Le silence désencombre.
DE
fiques criques épousant l’eau turquoise Un maître-mot accompagne ce silence,
SILENCE
de la Méditerranée, elle accueille aussi “l’écoute”. Nous proposons aux hôtes ce
parfois, en hiver, une houle violente, que nous expérimentons dans notre vie de
qui peut l’isoler du reste du monde. moine », explique frère Marie, membre
Longue de 1 500 mètres et large de de la communauté du monastère de la
400 mètres, elle offre 40 hectares de Congrégation cistercienne de l’Imma-
DOUX
nature sauvage, au milieu des oliviers, culée Conception. Avec vingt autres
des eucalyptus et des pins parasols. moines, ils se réunissent sept fois par
Les vignes se déploient en son cœur. jour pour prier et chanter, en compa-
LE
Quand ils ne sont pas à la prière ou gnie de fidèles. Cela commence avec
à l’étude, les moines cultivent leur vi- les vigiles, à 4 heures du matin, et finit
DANS
gnoble, huit hectares de terroir unique, avec les complies, vers 20 heures.
pour produire une petite quantité
de vins mondialement connus. Ils Malgré les différentes attaques et inva-
S A I N T - H O N O R AT,
s’y adonnent avec ferveur depuis le sions d’origine génoise, sarrasine ou es-
Moyen Âge. Sur l’île, aucun signe de pagnole, l’île a conservé sa vocation mo-
modernité, à part une vieille cabine té- nastique depuis 405. De quoi imprégner
léphonique. Pas de route, uniquement les lieux des énergies les plus pures et les
des chemins de terre à parcourir à plus lumineuses. En investissant celle
pied. Les principaux vestiges humains qui s’appelait à l’époque Lerina,
© Shutterstock
que l’on y découvre sont les sept cha- Saint-Honorat en a fait l’un des centres
pelles, dont deux sont classées monu- les plus rayonnants du monachisme oc-
ments historiques (Saint-Sauveur et la cidental. Par définition, un moine est un
Trinité), la tour-monastère élevée au homme qui se sépare de la société pour
XIe siècle, également classée, construite se retirer dans des lieux déserts, le désert
sur une pointe faisant face à la mer, et étant, dans la Bible, le lieu de l’épreuve
bien sûr le monastère Notre-Dame de purificatrice et de la rencontre avec
Lérins et son hôtellerie. Dieu. Doux écho à l’île, selon le frère
Marie : « En vivant sur cette terre détachée
L’empreinte des prières où aucune échappatoire n’est possible, nous
pouvons, au fil du temps, rentrer dans les
Les moines, dans leur longue robe profondeurs de nous-mêmes. Cette situa-
crème recouverte du scapulaire noir, y tion que l’on retrouve dans des monastères
accueillent entre 2 000 et 2 500 retrai- clôturés semble encore plus forte sur une île.
tants par an, les invitant à expérimen- Une circonférence restreinte, offrant de
ter le silence pendant quelques jours. facto peu de possibilités de mouvements,
Délaissant téléphone et wi-fi, leur permet paradoxalement d’acquérir une li-
quotidien est rythmé par les prières, berté intérieure et de nous simplifier. Cir-
les promenades, les lectures, les repas conférence restreinte, mais aussi espace in-
et la vaisselle en groupe. Comme une fini de contemplation s’offrent à nous tous
invitation à se retrouver intérieure- les jours... Au final, cette liberté intérieure,
ment, on échange des regards, mais on que l’on peut aussi qualifier d’unité de
ne se parle pas. L’expérience est singu- l’âme, porte plus à la stabilité qu’à l’envie
© Shutterstock
Le fantôme
du marquis
de Pisani
PISANI
Louis veut étreindre son camarade,
mais celui-ci recule : « Je suis mort ».
DE
N
MARQUIS
ous sommes en 1645. que Condé et ses troupes ont été char-
Louis XIII a succombé gés de porter secours au régiment
deux ans auparavant à un d’Henri de Turenne en Bavière et que le
mal aujourd’hui identi- France. Quel choc ! Quelques mois plus marquis de Pisani y a péri d’un coup de
fié comme la maladie de Crohn. À tôt, les deux hommes avaient eu une mousquet dans les reins, le 3 août 1645
DU
cinq ans à peine, son fils lui a succédé conversation sur la survivance de l’âme à six heures du soir, soit quelques heures
sur le trône. Sa mère Anne d’Autriche après la mort : restait-elle ici-bas, là où le seulement avant que Précy le voit à son
FANTÔME
assure la régence, secondée par son prin- corps avait succombé ou là où il avait chevet… Séjournant alors chez le mar-
cipal ministre, le cardinal Mazarin. été enterré ? S’émancipait-elle vers quis de Précy, le comte César de Roche-
L’Europe est écartelée par de nombreux d’autres dimensions ? Son chemin était- fort fait partie de ceux qui ont été alertés
conflits armés. En France, les troupes il conditionné par la vie terrestre ? Exis- par les cris du jeune homme et qui ont
de Louis II de Bourbon-Condé, l’un tait-il un enfer, un purgatoire, un para- entendu son récit à chaud. Il nota l’inci-
LE
des princes du royaume, se trouvent dis ? Les amis s’étaient fait la promesse dent dans son journal, puis en fit cas
dans les Flandres, aux prises avec celles que le premier à mourir contacterait autour de lui. Il finit même par le racon-
du Saint-Empire romain germanique. l’autre « par n’importe quel moyen » pour ter dans ses Mémoires, parues en 1688.
Âgé de trente ans, le marquis de Pisani, lui apporter des réponses... Bouleversé, Alors qu’en penser : rêve prémonitoire ?
Charles-Pompée d’Angennes, les rejoint Précy réveille sa maisonnée : le fantôme Contact véritable avec le défunt ? Pour
en avril 1645. Il est le fils de Catherine de Pisani lui a rendu visite ! Il lui a mon- Précy, sa vision ne fait aucun doute.
de Vivonne – la célèbre marquise de tré une déchirure ensanglantée sur son Une fois rétabli, il décide de ne pas re-
Rambouillet. Quatre mois plus tard, habit, trace de la blessure qui lui a été joindre l’armée et s’attache pendant des
dans la nuit du 4 août, son ami Louis de fatale, au niveau des reins ! Et il lui a années à la fuir, afin de ne pas courir le
Prat, marquis de Précy, se réveille en sur- confirmé que l’au-delà était peuplé risque de mourir sur le champ de ba-
saut. Lui n’est pas parti au front, cloué d’âmes ! « Certaines sont près de nous, lui taille. Mais en 1648, éclate la Fronde :
au lit par une fièvre maligne. Quelqu’un a-t-il indiqué. Mais il y a des choses que je Anne d’Autriche et Mazarin se heurtent
vient de tirer les rideaux de son lit. Le ne peux pas t’expliquer. Sache toutefois que à l’opposition du Parlement sur divers
marquis de Pisani se tient à son che- tu dois songer à vivre de manière moins sujets. Des princes du royaume finissent
vet, en bottes et uniforme. Louis veut frivole. Dépêche-toi, Louis, car tu n’as pas par s’opposer eux aussi à la régente et à
étreindre son camarade, mais celui-ci de temps à perdre ; tu seras tué dans la son conseiller. Parmi eux : Louis II de
recule. « Je suis mort », lui dit-il, ajoutant première bataille à laquelle tu participe- Bourbon-Condé. Jugeant l’affaire poli-
qu’il a été tué la veille en Bavière, lors de ras », a-t-il ajouté avant de disparaître. tique plutôt que militaire, le marquis de
la bataille de Nördlingen. Un proche rassure le jeune marquis : Précy accepte de commander les gen-
Pensant à une blague, Précy essaie à Pisani a été envoyé dans les Flandres, darmes de Mazarin. En 1952, alors qu’il
nouveau de donner l’accolade à Pisani, pas en Bavière ; il s’agit sûrement d’un est en train de s’opposer à Paris aux
mais ses bras « se referment sur le vide », cauchemar, dû à la forte fièvre. Mais troupes de Condé, il succombe à un as-
écrivent Louis Pauwels et Guy Breton quelques semaines plus tard, des nou- saut. C’était la première bataille à la-
dans Histoires magiques de l’histoire de velles arrivent de l’armée : on apprend quelle il participait.
Certains voient en
Marie-Madeleine
un archétype de la
femme dans toutes
ses dimensions.
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dix lépreux soignés par Jésus. Il dit au seul frère dominicain ayant séjourné plus néreuse dont la vie est donnée, consacrée
qui est venu le remercier : “Va, ta foi t’a de dix ans à la Sainte-Baume avant de avec finesse à la vérité, épanouie dans la
sauvé !” Celle-ci est le signe qu’un Dieu devenir prêtre orthodoxe, « elle est une pureté, remplie de courage, nourrie du si-
nous sauve et nous pardonne. Elle est le femme innombrable(2)... Tous ces person- lence et de l’intériorité, pleine de bienveil-
signe de quelque chose de plus grand… » nages rencontrés dans les Évangiles sont lance et de confiance. […] Femme libérée
Le sous-prieur estime qu’entre 300 000 des étapes de son chemin personnel. Son par l’amour vrai et pur, elle nous apprend
et 400 000 personnes défilent chaque itinéraire est celui du féminin en chacun le bonheur d’être aimé, d’aimer, de tout
année à la Sainte-Baume, du simple de nous. Il s’agit bien d’un chemin vers donner, de tout abandonner », précise le
randonneur au pèlerin ou retraitant, un accomplissement. Marie-Madeleine frère David Macaire. C’est ainsi qu’elle
seul ou en famille, souvent engagé est l’archétype de la synthèse du féminin. est érigée en modèle et qu’elle est deve-
dans une quête spirituelle, mais pas Elle est la femme dans sa complétude, re- nue un symbole du féminin sacré. Ma-
forcément chrétien. « Ici, nous sommes groupant en elle le plus charnel et le plus rie-Madeleine n’en a pas fini de résonner
les témoins des dernières modes spiri- spirituel ». Celui qui lui a consacré plé- dans le cœur des femmes…
tuelles. Alors, on accueille, on parle, on thore d’ouvrages et décrypté L’Évangile
discute… », note-t-il. de Marie(3), un texte apocryphe datant
probablement du IIe siècle, la fait appa-
Symbole du féminin sacré raître comme une initiée qui aurait bé-
néficié d’un enseignement particulier,
Certains voient en Marie-Madeleine non communiqué aux autres disciples.
un archétype de la femme dans toutes En mars 2018, un premier film épo-
ses dimensions. Sous son nom, elle re- nyme lui est dédié (Marie-Madeleine, de
grouperait en fait plusieurs personnages Garth Davis, avec Rooney Mara et
de l’Évangile : la femme pécheresse, qui Joaquin Phoenix), où sa présence est re-
est pardonnée par Jésus « parce qu’elle a connue auprès de Jésus. Elle apparaît
beaucoup aimé » ; Marie de Magdala, la comme une femme libérée de ses pas-
femme possédée dont Jésus chasse les sions, des conventions sociales de
démons et qui est témoin de sa résur- l’époque et des richesses. « La vénérer
rection ; Marie de Béthanie, l’amie de aujourd’hui comme sainte, comme femme, (3) L’Évangile de Marie
Jésus qui lui verse du parfum de grand comme sainte-femme, redonne sens et force Myriam de Magdala
prix sur les pieds. Pour Jean-Yves Le- à ce que j’appellerais la véritable âme fémi- Jean-Yves Leloup
loup, philosophe, théologien et ancien nine. Celle de la femme médiatrice et gé- Éd. Albin Michel, 2000, 7,70 €
© Shutterstock
RHÔNE-ALPES
La vallée PACA
Lyon Les arêtes de poisson
de la Croix-Rousse.
AUVERGNE
Le col de Vence
AUVERGNE
Après Bugarach, il est l’autre hot spot calement depuis le ciel, sans vous blesser. quoi ces phénomènes se fixent-ils à
&
de France, désigné par les ufologues et Nul ne sait d’où elles arrivent. On dirait certains endroits plus qu’à d’autres ?
D’AZUR
tous les observateurs d’ovnis. qu’elles se matérialisent à quelques mètres Pour l’heure, difficile de répondre à
au-dessus de nous. Elles ne font jamais cette question. Eric Zurcher précise
Vers la fin des années 1990, une partie de rebond, comme si le sol les aimantait. qu’il n’a jamais trouvé de corrélation
des ufologues se réunirent sous le nom Une fois, je me suis fait attaquer par entre les manifestations d’ovnis et les
CÔTE
des Invisibles du col de Vence (ICDV). des pierres qui m’ont suivi pendant un particularités environnementales (géo-
Cette montagne haute de 962 mètres, moment… Ce qui était très impression- logie, topographie…), il ajoute : « Par
située dans les Alpes-Maritimes, bénéfi- nant ! » Un peu plus haut, sur la route moments, le phénomène se polarise sur un
RHÔNE-ALPES,
cie d’une vue panoramique exception- menant à Coursegoules, vous entendrez lieu précis et dure un certain nombre
nelle jusqu’à la mer Méditerranée. Sa vé- sûrement « le bruit du col de Vence ». d’années. Puis il baisse d’intensité, revient
gétation est composée de plantes rares et Il faudrait être sûr qu’il ne provient pas ou disparaît parfois… surtout quand il
ses roches granitiques en font une zone d’une cavité naturelle à l’intérieur des fait l’objet de trop d’attention. » Le mys-
d’anomalies permanentes. Serge Tin- lignes à très haute tension qui ont été tère reste donc intact. Julie Klotz
land, membre d’ICDV et fondateur du doublées, avant d’envisager une autre
Phenix Project(1) (dont le but est d’ex- piste, comme le précise Serge Tinland.
© Shutte
pliquer comment un objet dépassant Non loin de là, ne manquez surtout pas rstoc
k+
PH
la vitesse du son peut se déplacer dans de vous arrêter au village Nègre, sur le OT
OM
notre atmosphère sans émettre de bang plateau de Saint-Barnabé. Sur cet autre ON
T
supersonique), témoigne de sa plus belle site mythique d’observation, on peut
AG
observation, qui eut lieu le 10 septembre admirer les « idoles », pierres géantes
E
2016 : « Le ciel était clair. À 21 h 40, avec naturelles ressemblant à des per-
un autre membre d’ICDV, j’aperçus ce sonnages.
qui ressemblait à un petit nuage blanc.
Celui-ci se séparait en une quinzaine de La montagne du col de Vence,
sphères translucides, créant ainsi des formes également surnommée « le
géométriques (rond, carré, trapèze…), puis plateau du diable », fait couler
se réunissait en s’opacifiant, avant de dis- beaucoup d’encre depuis les
paraître. Le ballet a duré 41 minutes ! » Et années 1960. Outre l’engoue-
de préciser qu’après une expérience de la ment qu’elle suscite auprès des
sorte, on est transformé à jamais. groupes d’ufologues, elle attire
aussi des groupes new-age par-
Si vous n’avez pas la chance de voir un fois très farfelus, voire des sectes
ovni au col de Vence – le plus connu sataniques. Bugarach, également
est le triangle noir éclairé à chaque objet de nombreux livres, voit venir
arête par des feux blancs –, peut-être à lui les curieux qui espèrent trouver un
serez-vous témoin du phénomène des trésor, ou bien être témoins d’un fait
chutes de pierres. Eric Zurcher raconte : extraordinaire, allant de la rencontre du
« Des pierres de 5 centimètres en général, troisième type aux phénomènes pa-
à température ambiante, tombent verti- ranormaux, jusqu’à l’apocalypse. Pour-
La Peyro Clabado.
fonctions religieuses. On raconte que, des profondeurs de la terre et de l’eau. tend la légende. Sans oublier les Trois
lors des guerres de religion aux XVIIe Un endroit idéal pour prier, face à une fromages, le Chapeau du curé, le
et XVIIIe siècles, les protestants avaient grande pierre qui pourrait ressembler Champignon, le Sourire, l’Éléphant…
pour point de ralliement le Roc de à un autel. Deuxième étape : la pierre en passant par les rochers du lac du
l’Oie. Il est vrai qu’on n’est pas loin du plate de l’escargot. Si l’on s’allonge Merle, lieu magique par excellence,
village de Ferrières, important lieu de dessus, elle nous met en relation avec surtout quand ses nénuphars sont en
mémoire du protestantisme, qui abrite l’air, donc avec le domaine de l’esprit. fleurs. Les cascades fascinent tout au-
en témoignage un intéressant musée. Troisième étape : le fauteuil du diable. tant, à l’image du Saut de la Truite,
Sur place, Philippe Andréoli propose Bénéficiant d’une vue imprenable sur haute de 25 mètres. La légende veut
de visiter les lieux à la manière d’un les monts de Lacaune, c’est assis dans que jadis, un sorcier vécût là en ermite.
parcours initiatique, afin de ranimer en ce fauteuil que la transformation alchi- Il tomba amoureux d’une truite. Mais
nous les quatre éléments : la terre, l’eau, mique peut avoir lieu, en se mettant en quand vint la saison des amours, la
l’air et le feu(1). « L’énergie offerte par relation avec le feu. truite, fidèle à l’instinct de son espèce,
chacun de ces rochers serait à même d’agir Tous ces rochers ont été inventoriés et quitta le sorcier. Furieux, il lui jeta un
sur notre psyché dans le cadre de notre nommés au XXe siècle par Raymond sort et la transforma en bloc de granit
transformation alchimique », explique- Nauzières, écrivain de langue d’oc. alors qu’elle bondissait par-dessus la
t-il. Première étape de ce parcours : la Leurs silhouettes invitent au voyage in- cascade. Autre curiosité : les Rochers
grotte Saint-Dominique, traversée par térieur, mais inspirent aussi les plus tremblants, soit une centaine de ro-
le cours d’eau du Lézert. La légende belles légendes. Certains ont pris des chers éparpillés, en équilibre les uns sur
rapporte qu’elle aurait servi de refuge formes fantastiques, comme la Peyro les autres. Le plus volumineux d’entre
à saint Dominique pendant la croisade Clabado, une roche de 780 tonnes po- eux, d’environ 900 tonnes, est celui des
contre les Albigeois, à l’époque de l’In- sée sur un socle d’un mètre cube ! Jetez Sept Faux, que certains s’amusent à
quisition. Ici, dans la pénombre de ses une pierre, si elle reste dessus, un vœu faire bouger avec un levier en bois, et
trois grandes salles, on y ressent l’action sera exaucé. C’est du moins ce que pré- ce, depuis le XIXe siècle !
Bugarach fait
partie des hauts
lieux énergétiques
qui réunissent tous
les ingrédients
permettant de
s’ouvrir à d’autres
plans de conscience.
© Shutterstock
d’Alliance renfermant les Tables de la d’altitude. Partout, des rochers dé- sont destinées. »
Loi ? On le soupçonne aussi d’avoir chiquetés et nus affleurent. Au cours D’aucuns pré-
fait partie d’une société secrète, celle d’une même journée, les conditions tendent que les
du prieuré de Sion, idée reprise par météorologiques peuvent changer scientifiques ob-
Dan Brown dans son livre Da Vinci brusquement et plonger les impru- servent les lieux
Code. Une autre légende a traversé dents dans un brouillard épais et froid. depuis longtemps
HISTOIRES & LIEUX EXTRAORDINAIRES DE FRANCE
le temps, celle selon laquelle Jésus et Nombreux sont ceux qui témoignent et qu’il existe une
Marie-Madeleine, tous deux mariés, d’une expérience singulière, qu’ils « base cachée » à (1) Ovnis et conscience
seraient enterrés dans le secteur. soient montés au pic de Bugarach par l’intérieur de Bu- Collectif dirigé
la voie courte depuis le col du Linas garach… D’autres par Stéphane Allix
Un haut lieu énergétique… ou par la voie longue en empruntant racontent que le Éd. Le Temps présent,
le sentier cathare. Comme Matthieu, CNRS serait sur 2015, 23 €
Au-delà de ces histoires rocambo- qui se souvient d’une photo prise de- place pour se livrer
lesques ayant suscité de nombreuses puis le pic. Les deux personnes qui à une étude anthropologique et ar-
fouilles, Bugarach reste un lieu aty- posent sont entourées d’un halo de lu- chéologique, que la NASA surveille-
pique. Tout d’abord, l’ordre d’empi- mière, comme sur une représentation rait les lieux, ou encore qu’il y aurait
lement des couches géologiques du religieuse. Il s’agit d’un phénomène un garage à ovnis dans les parages…
pic est inversé : la base de la mon- optique bien connu des photographes Fantasme ou réalité ? Aucune de ces
tagne est constituée de sédiments sous le nom de « gloire ». pistes n’est confirmée. Il est égale-
vieux de 70 millions d’années, alors ment notable que le pech de Bugarach
que le sommet est âgé de 135 mil- … et plein de mystères soit jalonné de cavités souterraines,
lions d’années. Un phénomène lié à de points d’eau et de grottes, dont
la tectonique des plaques, qui n’est Aux faits explicables par la physique le Bufo Fret, un réseau de cinq kilo-
pas unique au monde, mais plutôt se mêlent quantité de phénomènes mètres bien connu des spéléologues.
rare. « Cela engendre un magnétisme inexpliqués. « J’ai fait plusieurs photos Il existe des témoignages de personnes
particulier…, explique le géobiologue et films de formes lumineuses diverses : ou d’animaux qui disparurent dans
Philippe Andréoli. Bugarach fait par- des boules, des sphères, des ovoïdes, des ces cavités, que parfois l’on retrouva
tie des hauts lieux énergétiques qui réu- cigares… qui changent de couleur, de plus tard, la mémoire défaillante ou
nissent tous les ingrédients permettant de dimension et de forme. Un jour, j’ai les cheveux blanchis. Certains parlent
s’ouvrir à d’autres plans de conscience. » vu un tube qui sortait de la montagne, de lacs, d’étranges créatures rencon-
Ensuite, certains témoins rapportent mais sans produire d’impact sur la trées, ou encore des trésors cachés…
avoir observé des distorsions du temps roche, avec à ses côtés, deux boules restées mais personne ne sait jamais retrouver
ou des trous spatiotemporels. Un ha- stationnaires », raconte un témoin qui la bonne entrée pour y retourner.
bitant du village raconte : « J’appelle ça tient à rester anonyme. D’après plu-
l’effet Bugarach. En plus des rencontres sieurs témoignages, tous ne voient pas Un chercheur suisse, Daniel Bettex,
improbables et des synchronicités que je l’objet, mais ils le découvrent ensuite s’est aventuré dans le Bufo Fret et a
vis souvent ici, certains me rapportent sur leurs photos ; ou bien, à l’inverse, exploré les gorges de Galamus, qui re-
avoir vu des soldats en armure, des éco- certains essaient de saisir un objet non lient le Bugarach aux Pyrénées-Orien-
liers sortis d’une autre époque… » identifié en photo, mais rien n’appa- tales. Ce passionné de l’histoire ca-
Il est vrai que Bugarach dégage une raît ensuite sur le cliché ! Eric Zur- thare se serait intéressé au mythique
énergie particulière. Lorsqu’on pé- cher qui a participé à l’ouvrage Ovnis monde souterrain dit « de la Terre
nètre ses environs, on est saisi par et conscience(1) insiste sur le caractère creuse », autrement nommé l’Agartha,
la beauté des lieux. La douceur des élusif du phénomène : « Les appari- qu’il pensait avoir trouvé dans ces
plaines vertes et du ciel bleu offre un tions proches du sol ne s’activent pas au grottes, accompagné d’un immense
contraste saisissant avec la rudesse de hasard, malgré les apparences, mais en trésor. Il mourut soudainement en
la minéralité calcaire du massif des fonction des circonstances au centre des- 1988, sans que sa famille ne dévoile
Corbières, dominant à 1 230 mètres quelles se trouvent les témoins à qui elles dans quelles circonstances…
et retrouvez
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Les menhirs
de Filitosa
Le site de Filitosa, en Corse, a sans doute été, du Néolithique jusqu’à l’Antiquité, un lieu
HISTOIRES & LIEUX EXTRAORDINAIRES DE FRANCE
Implanté dans la vallée du Taravo à l’ouest de Sollacaro et au nord de Propriano, Filitosa est
un lieu incomparable de par l’ensemble des mégalithes qu’il réunit. Les menhirs de granit,
la plupart du temps sculptés, aux formes anthropomorphiques, sont les vestiges d’une ci-
vilisation établie avant notre ère, dont les rites religieux restent encore un mystère. Les plus
anciens blocs, datant du IVe millénaire, ont été retravaillés en statues, aux environs de
-1200 avant J.-C. Pour des raisons inexpliquées, les blocs ont ainsi été « habillés » de
casques, épées, poignards, cuirasses… Une armée de pierres protégeant les habitants ? www.filitosa.fr
Des supports de vénération de dieux guerriers ? Les spéculations sont multiples.
D’autres monuments, comme les « torres », des constructions circulaires, turriformes,
ayant donné leur nom de « Turrichju » au lieu, témoigneraient aussi d’une pratique
religieuse et auraient été montés grâce aux restes de granit des statues brisées. L’agen-
cement intérieur des pièces est fort complexe et la présence d’un four à argile, au
centre, indique qu’ici devaient être pratiqués des rituels sacrés. Melanie Chereau
CORSE
times. Très peu des cadavres retrouvés
les plages sont magnifiques, c’est l’un teau ne fut jamais retrouvé et certains
des endroits les plus dangereux de la curieux le recherchent toujours. Les
Méditerranée en matière de naviga- fantômes des marins seraient-ils en-
tion. Ainsi, le 15 février 1855, un core dans les parages ? Toujours est-il
grand trois-mâts appelé la Sémillante qu’un autre bateau a failli couler en
fait naufrage suite à une tempête par- 1996, achevant la sinistre réputation
ticulièrement intense qui fait 560 vic- du lieu. M.C.
La mosquée
LES
de Tsigoni
À Mayotte, la plus ancienne mosquée de France est toujours en activité.
LA RÉUNION
Temples tamouls
de la Réunion
Huit temples tamouls aux mille couleurs, disséminés dans l’île depuis le
XIXe siècle, sont le théâtre de processions majestueuses et fleuries en honneur
aux dieux hindous.
© Shutterstock
DESCARTES
clare le magicien Prospero dans La tempête de William Il se rendort quelque deux heures plus tard et fait un
Shakespeare. À la même époque, René Descartes réalise deuxième rêve dans lequel il entend « un bruit aigu et
trois rêves qui fondent ce dont nous sommes faits : le éclatant » qu’il prend pour un coup de tonnerre. Il se
rationalisme moderne ! Curieux croisement et étrange réveille à nouveau et aperçoit « beaucoup d’étincelles de
inspiration pour le père du Discours de la méthode et feu répandues par la chambre ». Sa frayeur se dissipe et il
du dualisme corps-esprit, dont on oublie volontiers se rendort. Dans le troisième songe, « qui n’eut rien de
DE
aujourd’hui qu’il était un fervent croyant. Il donnera terrible comme les deux premiers », il trouve un livre sur sa
RÊVES
d’ailleurs quatre « preuves » de l’existence de Dieu. Le table, un dictionnaire dont il se dit qu’il pourra lui être
sous-titre du Discours, « Pour bien conduire sa raison utile. Puis il trouve un second livre, un recueil de poésies
et chercher la vérité dans les sciences », est-il paradoxal, intitulé Corpus poetarum, etc. Il l’ouvre et tombe sur le
quand on sait que le rêve est une manifestation de la vers : « Quod vitae sectabor iter ? » (« Quelle voie suivrai-je
DES
psyché qui échappe à la raison ? Jung s’opposera plus dans la vie ? »). Ce livre et ce vers existent réellement et
tard à cette dictature de la raison sur l’intuition, à partir sont attribués au poète Ausone, du IVe siècle. Apparaît
L’ É T O F F E
notamment de l’analyse des rêves. Sa collaboratrice Ma- alors un homme qui lui présente un autre vers, com-
rie-Louise von Franz proposera quant à elle une analyse mençant par « Est et non », lui vantant « comme une pièce
approfondie des trois rêves de Descartes. excellente ». C’est encore un poème d’Ausone, intitulé
Le oui et le non des pythagoriciens. Descartes le reconnaît
« Quelques fantômes » et veut le retrouver dans son recueil de poésies, mais
n’y parvient pas. L’homme lui demande comment il a
C’est par son biographe Adrien Baillet, qui en livre obtenu ce livre et Descartes ne sait que répondre. Il en
les détails dans La vie de Monsieur Descartes, que l’on est de même à propos du premier, le dictionnaire, qui
connaît les fameux rêves fondateurs de la pensée carté- a disparu puis réapparu à l’autre bout de la table et qui
sienne, survenus au cours d’une nuit de novembre 1619, n’est pas entier. Descartes recherche le premier poème
alors que le jeune René âgé de 23 ans est soldat dans les dans le recueil, mais l’édition n’est plus la même… Puis
troupes du duc de Bavière, stationnées à Ulm, sur les les livres et l’homme s’évanouissent, mais il ne se réveille
bords du Danube. Il se trouve dans une solitude propice pas. En effet, tout en dormant, « il décida que c’était un
à la réflexion et « tombe dans une espèce d’enthousiasme songe, mais il en fit encore l’interprétation avant que le
(agitation) qui disposa de telle manière son esprit déjà abat- sommeil le quittât », précise le récit de Baillet. Le diction-
tu, qu’il le mit en état de recevoir les impressions des songes
et des visions ». Les trois songes consécutifs qu’il fait dans
naire symbolise « toutes
les sciences ramassées
la nuit ne pouvaient être « venus que d’en haut », estime- ensemble » et le recueil On oublie volontiers
ra-t-il. D’abord, il se trouve face à « quelques fantômes »
(fantasmes) et « croyant marcher par les rues, il était obligé
de poésies marque « la
philosophie et la sagesse
aujourd’hui qu’il était
un fervent croyant.
de se renverser sur le côté gauche pour pouvoir avancer ».
Il tente de se redresser, mais sent « un vent impétueux
qui, l’emportant dans une espèce de tourbillon », l’oblige à
faire trois ou quatre tours sur le pied gauche. Il « croyait
jointes ensemble ». Il at-
tribue cette merveille
« à la divinité de l’enthousiasme et à la force de l’imagi-
nation, qui fait sortir les semences de la sagesse (…) avec
tomber à chaque pas », jusqu’à ce que, « ayant aperçu un beaucoup plus de facilité et beaucoup plus de brillant même
collège ouvert sur son chemin », il y pénètre « pour trou- que ne peut faire la raison dans les philosophes ».
ver une retraite et un remède à son mal ». Il tâche alors
de gagner l’église du collège pour « aller faire sa prière », Après avoir continué « d’interpréter son songe dans le som-
mais s’aperçoit qu’il a « passé un homme de sa connaissance meil », il se persuade une fois réveillé que « c’était l’esprit
sans le saluer » et veut « retourner sur ses pas pour lui faire de vérité qui avait voulu lui ouvrir les trésors de toutes les
civilité ». Il est alors « repoussé avec violence par le vent » sciences par ce songe ». Il prend les deux premiers rêves
qui souffle contre l’église. Il voit une autre personne, qui pour « des avertissements menaçants touchant sa vie pas-
lui dit que « s’il voulait aller trouver Monsieur N. il avait sée », le vent symbolisant notamment « le mauvais gé-
quelque chose à lui donner ». Descartes pense à un melon nie » (mauvais « esprit », dans le texte original en latin),
(!), qui représente dans l’analyse qu’il en fera ensuite « les la foudre du second rêve étant « l’esprit de vérité qui des-
charmes de la solitude ». Personne autour de lui ne semble cendait sur lui ». Le troisième rêve, « fort doux et fort
soumis au vent, tandis que lui est « toujours courbé et agréable, marquait l’avenir selon lui et il n’était que pour
chancelant sur le même terrain ». ce qui devait lui arriver dans le reste de sa vie ». Dans les
jours qui suivent, il devient « décisif sur les résolutions
Quelle voie suivrai-je dans la vie ? qu’il avait à prendre », note Baillet. Il fait vœu d’un pèle-
rinage à Notre-Dame-de-Lorette (accompli en 1623),
Suite à ce premier rêve, il se réveille et se retourne sur renonce à la vie militaire et entame ce qui sera une
l’autre côté, tout en faisant une prière pour « être garanti œuvre majeure de la philosophie et des sciences.
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hasard. On vient contacter ici une énergie, tologique et métaphysique qu’éthique :
une mémoire… » Évidemment, une fois « Plutôt que le bien et le mal, le catharisme
sur les lieux, on ne peut s’empêcher de opposait l’éternel au transitoire, le véritable
s’interroger : comment était-il possible à l’illusoire, l’être au néant. » C’est en re-
de vivre ici, sans source ni terres culti- cevant le consolamentum que les croyants
vables ? Comment les religieux cathares étaient élevés au rang de « parfaits » ou
ont-ils pu négocier une trêve de quinze de « parfaites ». Unique sacrement re-
jours pour, murmure-t-on, évacuer leur connu par les cathares, celui-ci pouvait
trésor, avant d’accepter de se livrer et s’assimiler à une sorte de « baptême spi-
mourir sur le bûcher ? Et si trésor il y rituel ».
avait, que recelait-il ? Les cathares menaient une vie évangé-
lique, respectant à la lettre les préceptes
Des chrétiens dualistes de ne pas tuer, mentir, voler, blasphé-
mer… Au contraire des catholiques, ils
Tout d’abord, il est important de préci- prônaient pour tous une reproduction
ser qu’entre les Xe et XIIIe siècles, le mot limitée. « Aujourd’hui, ils passeraient
« cathare » n’existait pas. À l’époque, on pour une secte extrêmement suspecte… car,
les nommait « bonshommes » ou « bons pour eux, à chaque fois que l’on faisait un
chrétiens ». Ils étaient prédicateurs iti- enfant, on prolongeait le règne du “mal”,
nérants de l’Évangile et ne cherchèrent puisque l’on prolongeait le règne de la ma-
jamais à composer avec l’Église romaine. tière », précise Gérard Berrier, historien
Leur religion rejetait l’Ancien Testa- du pays cathare anciennement au Centre
ment, prenait racine dans le d’études cathares-René Nelli, président
Nouveau, se fondant sur une du Cercle d’études médiévales du Lan-
interprétation dualiste des guedoc. De facto, mourir était donc
écritures. Pour eux, il y avait une libération. Considérant les animaux
deux créations : la vraie, celle comme doués de raison, ils les avaient
de Dieu, et l’illusoire, celle exclus de leur alimentation. Ils croyaient
des choses qui n’ont pas de par ailleurs à la réincarnation, y compris
véritable existence. Le monde dans le règne animal. Vivant en commu-
visible ne serait pas une créa- nauté, ils n’en étaient pas moins intégrés
tion divine ; il émanerait aux villages, travaillaient et participaient
(3) Histoire des Albigeois : les Albigeois et l’Inquisition d’un autre principe. Comme à l’économie locale. On trouvait parmi
Napoléon Peyrat l’explique Anne Brenon, leur eux des tisserands, des charpentiers, des
Éd. Forgotten Books, 2018, 14,83 € dualisme est davantage on- notaires, des médecins… Ils possédaient
PERDU
Il conçoit l’état morbide
comme un « mal salutaire ».
CORPS
Quand il naît en 1623 à Clermont, Blaise est le deux- nouveau en voyant ses parents penchés tous deux sur
ième enfant de la famille d’un grand notable, Étienne lui. Il n’est guéri de rien ! Pourtant, quelques semaines
À
Pascal, conseiller du roi, passionné de mathématiques plus tard, il se porte mieux, mais il souffrira toute sa vie
GÉNIE
et de science. C’est d’ailleurs lui qui se chargera de de « la sensation d’un gouffre sur le côté ». Le journaliste
l’instruction de ses trois enfants, Blaise étant encadré féru d’occultisme Pierre Mariel émettra l’hypothèse sui-
par deux sœurs, Gilberte et Jacqueline. Sa mère, An- vante : « Et s’il s’agissait d’un envoûté mal guéri ? »
toinette, est elle-même fille de parlementaire. La santé
UN
du petit Blaise est si fragile qu’on pense qu’il ne survivra De l’expérience du désert à la nuit de feu
pas. Il est d’ailleurs touché dès sa première année par
PASCAL,
une entéropathie (maladie intestinale), probablement Pascal apprend à vivre avec un corps qui lui fait sou-
d’origine infectieuse. C’est le début d’un long calvaire, vent défaut, occasionnant de fréquentes pertes de
un terme approprié dans sa connotation chrétienne, conscience, d’autant que sa mère meurt alors qu’il n’a
puisqu’il souffrira toute sa vie de troubles intestinaux, que trois ans, laissant un grand vide. Il se retranche
BL AISE
de convulsions, de paralysies, de migraines, ou encore dans son esprit et fait déjà « l’expérience du désert »,
de troubles de la vision et de l’humeur. Ce calvaire pren- écrivent les biographes, puis devient peu à peu « le ty-
dra fin prématurément – quoique, pour l’époque, c’est ran de lui-même », selon Alain Vircondelet. Comme
un âge commun de décès –, puisqu’il meurt avant ses si sa puissance intellectuelle en était décuplée et qu’il
40 ans. Son autopsie révélera de graves problèmes au ni- avait une revanche à prendre sur la vie, il écrit à onze
veau de l’estomac et de l’abdomen, ainsi que des lésions ans un premier Traité des sons et travaille au même âge
cérébrales. Blaise fait des convulsions dès qu’il voit de sur les Éléments de mathématiques d’Euclide. À seize
l’eau, ou quand ses parents sont côte à côte. Certains de ans, il écrit un Essai pour les coniques dans lequel figure
ses biographes y verront une expiation inconsciente du le « théorème de Pascal », un résultat de mécanique
péché de chair commis par ses géniteurs ! Son père, ra- des fluides. Il conçoit quelques années plus tard sa
tionnel et sceptique, cède aux superstitions devant l’im- « machine d’arithmétique », la « pascaline », première
puissance des médecins et finit par croire la rumeur : le calculatrice mécanique qui permet d’effectuer des ad-
petit est sûrement victime d’un envoûtement par une ditions et des soustractions avec report automatique
sorcière à qui sa mère aurait refusé l’aumône. des dizaines, ainsi que des multiplications et divisions.
Séduit par le jansénisme et son rigorisme spirituel, il vit
« Un chat suffira ! » une expérience d’illumination mystique en 1654, une
« nuit de feu » dont il tirera son célèbre Mémorial, un
Le petit Blaise est « tombé en langueur » et dépérit. Le texte bref et intense qu’il coud dans la doublure de son
père finit par convoquer la sorcière et menace de la faire habit et qui ne sera découvert qu’après sa mort.
pendre. Elle avoue : oui, elle a bien envoûté l’enfant ! Un autre épisode est déterminant pour sa vocation à se
Elle se serait vengée du père, qui ne l’avait pas aidée consacrer à Dieu. Sa filleule et nièce est miraculeuse-
lorsqu’on lui avait fait un procès. « Je peux reporter le sort ment guérie d’une fistule oculaire purulente suite au
sur un autre », dit la magicienne, mais le père répond : contact d’une Sainte Épine, relique de la couronne du
« J’aime mieux que mon fils meure, que faire mourir une Christ. Une guérison aujourd’hui reconnue comme un
autre personne. » « Je peux mettre le sort sur une bête », pro- miracle par le Vatican. Comme si sa fragile condition
pose-t-elle alors. Il lui propose un de ses chevaux. « Un n’était pas suffisante, il nie les désirs du corps et porte
chat suffira ! », répond-elle, et il lui donne un infortuné un cilice pour se mortifier davantage. Il conçoit l’état
félin. La sorcière prépare dans la nuit un cataplasme morbide comme un « mal salutaire », un « remède » ou
qu’elle apporte le matin suivant et qu’il faut placer sur un « don » et rédige une Prière pour demander à Dieu le
le ventre de l’enfant. Mais quand le père revient chez lui bon usage des maladies. « Je vous loue, mon Dieu, et je vous
à midi, la maison est en larmes : l’enfant est mort dans bénirai tous les jours de ma vie, de ce qu’il vous a plu de me
son berceau. Il voit la sorcière et la frappe, éperdu de réduire dans l’incapacité de jouir des douceurs de la santé et
chagrin. Mais elle lui dit : « Ne vous fâchez pas. J’ai oublié des plaisirs du monde, et de ce que vous avez anéanti en
de vous dire ce matin. Votre enfant semblera mort jusqu’à quelque sorte, pour mon avantage, les idoles trompeuses. » Il
minuit. Mais à minuit il ressuscitera. » L’enfant n’a plus demandera même à mourir dans la salle des pauvres à
de souffle en apparence, ni de pouls, et il devient froid. l’abbaye de Port-Royal et à être enterré dans la fosse com-
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On le veille cependant jusqu’au soir et, entre minuit et mune. Incroyable humilité et ascèse permanente de la
une heure, il se met à bâiller. On le frotte et le réchauffe, part de celui qui est aujourd’hui considéré comme l’un
mais il n’ouvre les yeux qu’à six heures. Il convulse à des génies français.
La Vierge à Bernadette
LE
LOURDES
Ce haut lieu de pèlerinage mondial continue de résonner dans les cœurs
depuis les apparitions mariales auprès de la jeune et pauvre Bernadette Soubirous
en 1858 et les nombreuses guérisons qui ont suivi. Par Julie Klotz
Paris, 1678. Messes noires, expériences alchimiques et décès mystérieux ébranlent la Cour.
Au premier rang des suspects : Madame de Montespan, la favorite de Louis XIV !
Éclate alors le plus grand scandale du règne du Roi-Soleil.
Genèse de l’affaire des poisons. Par Carine Anselme
T
out démarre par la mise en accusation de tout lorsque la quête est de fabriquer de l’or ou de
la marquise de Brinvilliers. Le 17 juillet l’argent à partir de métaux vils ! « Sait-on jamais ?
1676, cette dernière a la tête tranchée en Voilà qui renflouerait miraculeusement les caisses tou-
place de Grève (actuelle place de l’Hô- jours vides de l’État », fait malicieusement remarquer
tel-de-Ville). Maîtresse sous emprise de Jean-Bap- Claude Quétel. Et si l’alchimie piétine, la technique
tiste Gaudin dit « Sainte-Croix », et pressée par des de fabrication de fausse monnaie fait de grands pro-
soucis financiers, elle empoisonne son père et ses grès ! Or, installation et matériel sont identiques.
deux frères, obstacles à son amour illicite... et son « Derrière un vrai faux-monnayeur peut toujours se
héritage. Quand le lieutenant général de police La cacher un faux alchimiste ! » Sainte-Croix a tâté de
Reynie met son nez dans le dossier, il est stupéfait. l’alchimie et aussi de la chimie et de la médecine,
Des sorcières aux empoisonneuses, des alchimistes car c’est alors un tout. Il embringue la marquise de
aux grands seigneurs, les ramifications de ce scan- Brinvilliers et tous deux suivent l’enseignement du
dale sont immenses ! La machine judiciaire se met célèbre apothicaire Christophe Glaser, spécialiste en
en marche : torture, aveux, dénonciations, exécutions produits toxiques. Il faudra néanmoins trois ans à la
se succèdent. Bientôt, c’est l’entourage de Louis XIV marquise de Brinvilliers pour se décider à éliminer
lui-même qui est compromis. Ce dernier dirigera son paternel (l’empoisonnement durera huit mois,
personnellement les enquêtes autour de cette énigme avant qu’il ne succombe en septembre 1666), puis
criminelle, l’une des plus troubles de l’Histoire. suivront quatre ans plus tard ses frères. La marquise
sera finalement confondue après la mort de Sainte-
Pierre philosophale, fausse monnaie et poison Croix. On retrouvera chez lui une cassette renfer-
mant des éléments compromettants, notamment
Sorcellerie et pratiques occultes sont au cœur du des fioles de poison. Or, la marquise, en fuyant, fait
scandale. « Plus que des sorciers, ce sont des alchimistes aveu de culpabilité. Elle sera rattrapée à Liège. Avant
qui sont sur la sellette. Ce n’est pas la magie, c’est la d’être exécutée, elle aura droit à la tristement célèbre
transmutation qui les occupe », souligne l’historien question préalable (qui n’est autre qu’une savante
Claude Quétel, qui a consacré un livre passion- torture, soit à l’eau ou aux brodequins), destinée à
nant à L’affaire des poisons(1). Pourtant, l’alchimie ne laver l’âme des condamnés en leur extorquant d’ul-
connaît plus, à l’aube du règne de Louis XIV, la fer- times aveux. Rien de significatif n’en sort. Mme de
veur des siècles précédents. « La critique rationaliste Sévigné, qui tient la chronique de ce procès passion-
est en marche », poursuit l’historien. Certes, mais en nant les foules, dira d’elle que « Médée n’en avait pas
attendant on y croit encore plus ou moins... Sur- tant fait ».
« Cette affaire des poisons est aussi
celle des devineresses. »
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« Les choses auraient pu continuer à cheminer à Une épidémie d’arrestations contamine toutes les
moindre bruit sans la découverte, le 28 septembre couches de la population et le crime de poison fait
1677, d’un mystérieux billet menaçant la sécurité tache d’huile – on recourt à des recettes variées pour
du roi », relève Claude Quétel. « Cette affaire des éliminer ses rivaux, conjoints encombrants ou amants
poisons est aussi celle des devineresses », dit-il, énigma- infidèles... Colbert, supérieur direct de La Reynie, et
tique... Le fameux billet a été glissé dans un confes- Louvois sont au taquet pour informer le roi sur ces af-
sionnal à un prêtre, qui le fait suivre en haut lieu. faires qui menacent sinon la sécurité royale, du moins
Louis XIV a déjà été menacé ; le billet est donc pris la dignité de la Couronne. Impossible, ici, de recen-
au sérieux. La Reynie, qui enquête depuis l’affaire ser tous les noms et faits, innombrables – le livre de
Brinvilliers, pense à une exaltée, Madeleine de la Claude Quétel s’y emploie admirablement, à l’image
Grange. Veuve à trente ans, elle s’est attiré les fa- d’un thriller implacable ! On va de plus en plus loin
veurs de maître Faurie, avocat au Grand Conseil, dans l’horreur des pratiques dénoncées et le « com-
chez qui elle s’installe sans parvenir à se faire épou- merce des impiétés ». D’arrestations en dénonciations,
ser. Il y tient d’autant moins qu’elle fait fructifier on tombe sur une certaine Catherine Deshayes, dite
ses dons de devineresse. Ce qu’il ignore, c’est que la Voisin, qui pratique la chiromancie, la divination
sa maîtresse est aussi une artiste en poisons. Par un et l’astrologie, empoisonneuse à ses heures, mais aussi
subterfuge grossier, elle parvient à avorteuse, organisatrice de messes
se marier (l’abbé Nail, l’un de ses noires et autres « diableries », assis-
amants, se fait passer pour maître tée par des prêtres dévoyés (elle sera
Faurie devant notaire), avant d’em- « Derrière un vrai brûlée vive). « Ce n’est plus une, mais
poisonner son bienfaiteur. Ce qui cent Brinvilliers qui forment désor-
attire l’attention de ses neveux, faux-monnayeur mais l’hydre que La Reynie a entrepris
déshérités. « Pour La Reynie, il est peut toujours se de combattre », s’exclame Claude
clair que la de la Grange a empoi- Quétel. Que l’on soit en quête d’un
sonné maître Faurie, mais ce qui cacher un faux trésor, d’un philtre d’amour ou
l’intéresse, ce sont les ramifications alchimiste ! » d’un secret pour le jeu, il faut de la
de ce commerce criminel », relève magie... et de la magie blanche à la
Claude Quétel. Arrêtée, la devine-
resse écrit à Louvois, mandaté par
magie noire, le pas est vite franchi.
Ainsi, pour réussir un mariage, des
Louis XIV pour diriger les opérations dans l’affaire prêtres impies pratiquent des messes à l’envers. Des
des poisons et met en avant ses talents divinatoires, messes noires sont dites sur le ventre nu de femmes
capables, dit-elle, de prédire les événements mi- en quête de la réalisation d’un vœu. La Reynie relève
litaires. Transférée à la Bastille, interrogée par La même d’innommables informations faisant état de
Reynie, elle parle beaucoup de poisons et y associe sacrifices d’enfants – enlevés pour certains, mais sou-
le roi – ce qui est grave. Malgré ses propos fumeux, vent fournis par le réseau des avorteuses. « On com- L’Affaire des poisons.
La Reynie l’associe de près ou de loin au mystérieux bine un accouchement, ritualisé, avec une messe noire au Crime, sorcellerie
billet. Elle sera exécutée avec son amant, l’abbé cours de laquelle le sacrifice d’un nouveau-né va donner et scandale sous le
Nail, confondu comme étant l’auteur du fameux infiniment plus de poids aux invocations diaboliques », règne de Louis XIV
message. L’instruction se poursuit et les lettres de souligne Claude Quétel. Même si La Reynie peine à Claude Quétel
cachet – arrestations sur ordre du roi, plus rapides croire en de telles horreurs, il lui faut poursuivre les Éd. Tallandier, 2015,
et efficaces que la justice ordinaire – pleuvent. arrestations et confronter les témoignages. Une ju- 10 €
ET
ALCHIMIE
ridiction d’exception est créée, dont l’instruction est Mme de Montespan. La Reynie est épouvanté, mais
secrète et les sentences sont sans appel, pour traiter ces pas question d’aller interroger la maîtresse du roi,
affaires tentaculaires : la Chambre ardente... comme même respectueusement...
les flammes de l’enfer ?!
De la sorcellerie au délit d’escroquerie
SORCELLERIE,
Ombres au pays du Roi-Soleil
Le secret de ces « faits particuliers » (comme les sur-
Le scandale éclabousse la Cour. De fil en aiguille, nomment prudemment La Reynie et le roi) a été
plusieurs personnages arrêtés incriminent Mme de bien gardé et les accusations ne transparaissent pas
Montespan, la maîtresse alors en titre, « la presque à la Cour. « Ce sont les historiens de la fin du XIXe siècle
reine ». Interrogée par La Reynie, la fille de la Voi- qui les premiers ont peint Athénaïs de Montespan en
sin avoue que sa mère s’est rendue plusieurs fois à (belle) sorcière, se livrant au stupre d’une messe noire »,
Saint-Germain porter des paquets qui contien- observe Claude Quétel. L’histoire ne dit pas quels
draient des philtres d’amour pour le roi, comman- furent les sentiments du roi. Informa-t-il sa maî-
dés par Mme de Montespan ! Une autre accusée, la tresse ? « Il eût été le seul à pouvoir le faire ; personne
Filastre, sous les brodequins s’écrie (même si elle se d’autre ne se serait permis d’aller interroger celle qui
rétracte au pied du bûcher) : « C’est Mme de Montes- demeurait malgré tout la maîtresse officielle du Roi, en
pan qui faisait agir Chappelain [empoisonneuse, dépit de la faveur croissante de Mme de Maintenon et
NDLR] afin de donner du poison à Mlle de Fontanges de Mlle de Fontanges », précise Claude Quétel. Mais
et des poudres pour l’amour et faire rentrer la dame de la disgrâce de Mme de Montespan est en marche...
Montespan aux bonnes grâces du roi. » Le 1er octobre Elle finira par se retirer dans un couvent en 1690.
1680, jour même de l’exécution de la Filastre, le Roi, Au-delà de ces « faits particuliers », il y a une affaire
qui a pris connaissance du procès-verbal, ordonne des poisons qui ne peut être éludée (les prisonniers
au président de la Chambre ardente de suspendre s’entassent !). Sur ordre du roi, l’instruction reprend
les procédures. Une première dans les annales de la et de nouvelles arrestations auront encore lieu. Il
justice ! « Le roi n’a pas trouvé d’autres moyens pour faut attendre le 21 juillet 1682 pour que le roi pro-
empêcher que la marquise de Montespan soit, pour le nonce la dissolution de la Chambre ardente. Cette
moins, citée à comparaître », précise Claude Quétel. même année, Colbert promulgue une ordonnance
Car ce qu’a avoué la Filastre n’est que la goutte d’eau qui transforme la sorcellerie en escroquerie. Solu-
qui fait déborder le vase. « À réunir enfin les diffé- tion radicale pour enrayer les foyers d’infection sa-
rents témoignages qui mentionnent Mme de Montespan, tanique qui désolent le royaume. En bon historien,
jusqu’alors soigneusement tenus secrets par La Reynie et Claude Quétel s’interroge sur la réalité des accusa-
Louvois (par incrédulité et crainte pour leur carrière), tions, pour la plupart formulées par d’autres accusés
le roi ne peut être qu’atterré. » Guibourg, un prêtre cherchant à gagner du temps, ou obtenues sous la
impie mis aux arrêts, fait de stupéfiants aveux. Lors torture. Même le degré d’implication de Mme de
d’une messe noire dite pour Mme de Montespan, Montespan (lui) pose question : « Elle fut à coup sûr
il aurait récité la conjuration : « Astaroth, Asmodée, la cliente de la Voisin, mais alla-t-elle jusqu’à se prêter
princes de l’amitié, je vous conjure d’accepter le sacrifice à des messes noires au cours desquelles des nouveau-nés
que je vous présente de cet enfant pour les choses que je étaient sacrifiés ?... » Il prend le parti de laisser à l’af-
vous demande, qui sont l’amitié du roi... » Une fois faire des poisons ses zones d’ombre. Et de conclure :
l’enfant égorgé, la Voisin (la revoilà !) aurait fait dis- « Tant pis si, ici (et souvent ailleurs), l’Histoire ne dit
tiller le sang et l’hostie dans une fiole emportée par pas tout. Place au mystère ! »
Il n’en demeure pas moins que l’art « primitif » de ces lieux singuliers
reste énigmatique pour les chercheurs.
Par Melanie Chereau. Photos Dan Courtice.
L’art pariétal
montre une capacité
d’abstraction qui dénote
une prédisposition
à la spiritualité.
DU
Celle qui fut nommée la « vallée de ne figure jamais sur les parois, alors que
PAS
l’Homme » est un véritable berceau ar- les cerfs ou encore les bisons, eux aus-
chéologique de grottes peintes et gravées : si consommés, sont légion. À Lascaux,
Font-de-Gaume, Courbarelles, Abri du la présence d’une sorte de licorne reste
PREMIERS
Poisson, Rouffignac, Cussac et bien sûr inexpliquée. Par ailleurs, rares sont les
le site de Lascaux… : la liste est longue, peintures d’humains, qui sont repré-
entre les Eyzies et la vallée de la Vézère, sentés incomplets ou thérianthropes –
qui regroupe par ailleurs, est-ce un ha- l’homme-oiseau de Lascaux ou le sor-
sard, de nombreux sites bouddhistes cier du Gabillou –, le visage bestialisé,
DORDOGNE,
aujourd’hui très actifs. Terres spirituelles ou encore présents par des empreintes
Lascaux. Quand
s’il en est, il semblerait que depuis le Pa- de mains sur les parois. On observe,
émergent les dieux
léolithique, on cherche ici à exprimer un enfin, une grande quantité de signes
Marc Bruet
lien entre l’homme et le divin. abstraits : des points, des chevrons, des
Éd. L’Harmattan, 2015,
carrés, etc. Cette organisation pourrait
32 €
Un art pariétal très élaboré évoquer une syntaxe dont on ignore
encore aujourd’hui le sens. À propos de
Les grottes dites « ornées » de Dor- l’art rupestre, Jean-Pierre Bayard com- La licorne de Lascaux.
dogne, âgées d’environ 20 000 ans, ont mente, dans La symbolique du souterrain
été réalisées avec un certain nombre de et de la caverne, que « cette extraordinaire
techniques précises et complexes, fai- maîtrise laisse supposer une société avancée
sant de l’homme de Cro-Magnon un et éduquée, la représentation graphique re-
être sans doute sensible et organisé. La posant sur la conception du sacré ».
contrainte de la morphologie des parois,
par exemple, était utilisée dans la réali- Chamanisme ou totémisme ?
sation des œuvres. Ici, un relief de roche
remplit le corps d’un animal, le rendant « Avec la découverte des grottes ornées en
plus vivant encore ; là, la matière de la Europe, les préhistoriens voient la possi-
pierre imite le pelage d’une bête, re- bilité de déterminer les éléments d’une
haussant la représentation et amplifiant pensée religieuse profondément ancrée
l’émotion suscitée chez le spectateur. dans le temps », explique le spécialiste
Les couleurs, issues de savants mélanges Marc Bruet, auteur de Lascaux. La
de minéraux, étaient appliquées selon finesse des réalisations, les choix des re-
différentes méthodes comme le pochoir, présentations et le fait que les lieux ne
l’utilisation du pinceau ou des doigts, soient pas habités, ont orienté certains
ou encore en pulvérisation grâce à des chercheurs du Paléolithique vers les
objets en forme de flûte. Des lampes en pistes du religieux et du sacré, comme
grès, brûlant un charbon mêlé à de la le totémisme ou le chamanisme, afin
graisse animale, permettaient de voir le d’expliquer ces cavernes dédiées. Ces
travail à l’ombre de la caverne. Enfin, théories ne sont pas partagées par tous,
des empilements de stalactites auraient mais restent des éléments « possibles »
aidé à atteindre les voûtes pouvant se si- d’interprétation. Les peintures d’hu-
tuer à plus de trois mètres de haut. Les mains partiels ou animalisés font pen-
restes d’objets retrouvés dans ces grottes ser à des projections d’ordre sociétal,
ont amené à la conclusion que ces lieux qui associent les hommes à un ancêtre
ne servaient pas d’habitat et étaient mythique d’origine animale ou végétale,
complètement dédiés à la création. représenté ensuite dans une version sa-
Les sujets représentés sont essentiel- crée et augmentée d’eux-mêmes au sein
lement des animaux. À Lascaux, par d’un bestiaire magique. « Rapportée à
exemple, on en dénombre près de l’art des grottes, la théorie suggère que les
neuf cents. La diversité des bestiaires animaux sont des totems ou images sacrées
est relativement importante, mais elle qui symbolisent les divisions sociales au
L'homme-oiseau à Lascaux.
d’échanger avec les esprits, par le biais plongés dans l’obscurité toute l’année, une capacité d’abstraction qui dénote une
de rituels, souvent de transes, afin et leurs œuvres s’éclairent aux moments prédisposition à la spiritualité (…) C’est le
d’obtenir des réponses à des questions, constat minimum qui peut être objective-
des protections, ou le rééquilibrage de ment établi (…), mais c’est aussi une ma-
situations. Les visées sont très prag- nière d’évacuer du champ explicatif le re-
matiques : agir sur le réel – favoriser cours à une théorie religieuse. » L’appari-
une chasse fructueuse, un hiver clé- tion du divin serait-elle réservée au
ment… – et rétablir une harmonie L’homme de Néolithique, la période suivant le Paléo-
parfois rompue – guérison, abon- Cro-Magnon : lithique ? Pour Marc Bruet, qui a analy-
dance… Le chamane, parfois trans- sé les fresques de Lascaux image par
formé lui-même en animal au cours un être sans image, en prenant en considération les
d’états modifiés de conscience, com- hiérarchies de dimension, l’absence de
munique avec le « monde double » doute sensible végétation, les mouvements apparents,
et tente d’en capturer les pouvoirs. la sexuation des groupes ou encore les
Les recherches en neuropsychologie et organisé. âges des bêtes suggérés par les dessins
ont démontré que le système nerveux aux « tracés sciemment négligés », il sem-
humain passe par trois phases caracté- blerait que les hommes de Cro-Magnon
ristiques lors de la transe : apparition aient ainsi révélé leurs croyances. La ca-
de formes géométriques, visions des verne, support matériel de représenta-
croyances et tourbillon avant de se sen- symboliques des changements de sai- tion, serait utilisée par les artistes pour
tir éventuellement « autre » ou animal. sons, dont dépendaient beaucoup les « réactualiser des images préexistantes dans
Ces trois points se retrouvent dans chasseurs-cueilleurs. Cette découverte la pierre, témoins de créations aux ori-
les peintures rupestres. Jean Clottes a mis la chercheuse sur une autre piste. gines. (…) Les hommes venaient graver et
ajoute : « La caverne favorise les états Puisqu’au Paléolithique, le ciel entre peindre pour se replonger au temps de la
de conscience altérée grâce à l’obscurité, dans la caverne, que dire de la fresque création ». Celle des premiers dieux ? Et
le froid, l’isolement. » De nombreux de Lascaux ? Et si c’était là la première c’est sans doute pour attirer leur protec-
spéléologues ont d’ailleurs confirmé carte astrologique ? Chantal Jègues-Wol tion, qu’ils leur rendaient hommage en
ce type d’aventure. Pour Jean Clottes, kiewiez se lance alors dans une aventure les représentant dans
enfin, « les contours des parois sont suivis singulière : elle reporte sur un schéma les cavernes. Quelles
sur les dessins, l’idée est que la roche serait les points importants des dessins de la que soient les explica-
vivante et qu’il y a une interaction entre rotonde (le museau, la queue, le contour tions que l’on donne à
le monde des esprits et le monde des vi- d’animaux…) et les superpose avec les la magie ressentie en
vants ». Les traces de mains peintes sur constellations du zodiaque telles qu’elles présence de ces œuvres,
les cavités pourraient être des tentatives étaient à l’époque des peintures. Éton- il est certain que les
pour pénétrer la roche, atteindre les es- namment, un grand nombre de points émotions qu’elles sus-
prits qui seraient derrière cette sorte de correspondent : apparaissent ainsi la li- citent chez nous ré-
membrane, voire tenter de les en faire corne sur le capricorne, un cheval sur le sonnent d’humain à Les chamanes de
sortir. Enfin, l’accès même au lieu par sagittaire… Même si l’on pense que des humain à travers les la préhistoire
un tunnel, un passage souterrain, est milliers d’étoiles formeront toujours un millénaires, et c’est déjà Jean Clottes et David
le symbole par essence de l’accès à un dessin, Chantal Jègues-Wolkiewiez ex- en soi le plus grand Lewis Williams
autre monde caché. plique : « Les constellations sont fixes dans mystère. 2015, Éd. Point, 8,30 €
AU
merveilleux
RETOUR
ROCAMADOUR,
Au cœur du Lot, dans le Haut Quercy, une cité médiévale accrochée à flanc de rocs
semble dresser un pont entre les vibrations préhistoriques des grottes de Causses,
le mysticisme du Moyen Âge et l’enchantement de la nature. C’est aujourd’hui l’un des
sites les plus visités en France. Par Melanie Chereau
en vieil occitan). Mais la légende de- nédictins rédige en 1172 Le livre des
meure… qui était ce saint Amadour, miracles, qui recense 126 miracles ayant
dont on aurait retrouvé le corps intact, eu lieu sur place. D’illustres personnes
enterré sous la chapelle miraculeuse ? s’y pressent, d’Henri Plantagenet en
MERVEILLEUX
jours de grand pardon sont organisés,
où jusqu’à 30 000 personnes sont ab-
soutes en même temps, remplissant la
vallée de l’Alzou de croyants. Les tribu-
naux ecclésiastiques, mais aussi parfois
civils, ordonnaient aux condamnés un
pèlerinage à Rocamadour. Arrivé aux
pieds de l’escalier, le pénitent devait re-
AU
tirer ses vêtements et monter à genoux
RETOUR
les 216 marches, attaché de chaînes aux
bras et au cou. Puis il était conduit de-
vant l’autel de la Vierge et devait pro-
noncer « amende honorable ». Il rece-
vait une sportelle, médaille de plomb
ROCAMADOUR,
qui attestait de sa rédemption. On en
retrouve partout en Europe dans de
nombreuses fouilles. Au XIIIe siècle, c’est
© Shutterstock
Saint Michel et les alchimistes Notre-Dame de Rocamadour est devenue la patronne des
marins, notamment après qu’Henri II Plantagenet reçut
L’une des plus belles légendes de Ro-
camadour est celle de l’épée appelée la grâce de Marie et fit deux fois le pèlerinage à Rocamadour,
Durandal (époque où l’on baptisait les
aux pieds de la Vierge noire. Marie signifie « étoile des
épées) appartenant au chevalier Roland
(736-778). Celui-ci, acculé et perdant mers » en hébreu (stella maris), et des ex-voto en forme
face aux Sarrasins, aurait jeté son épée
de navires, offerts par des marins miraculés, tapissent les
et supplié saint Michel de la sauver.
L’archange aurait alors attrapé Duran- murs de la chapelle des miracles. La cloche suspendue à la
dal au vol et l’aurait lancée dans les airs,
voûte de la chapelle, qui fut mystérieusement épargnée de
la plantant dans la falaise de Rocama-
dour où elle est toujours aujourd’hui ! la destruction partielle de la ville, avec la statue de Marie,
De fait, le saint confirma par ce geste
est censée retentir à chaque marin sauvé. Le plus connu est
sa présence dans les lieux, en harmonie
avec la Vierge. Ces deux figures étant les « Jacques Cartier, découvreur du Québec, et son équipage,
représentants symboliques des énergies
guéris du scorbut après avoir célébré une messe devant
de la terre, comme Rocamadour – vil-
lage dans la roche – leur association fait l’effigie de Notre-Dame de Rocamadour en 1536 », raconte
sens. D’ailleurs, devant la statue de la
Catherine Damien, historienne des lieux sacrés. Cette cloche,
Vierge noire, une mosaïque octogonale
(le symbole de saint Michel) représente qui date du IXe siècle, retentissait toute seule, sans être
un point d’équilibre qui relie la lumière
reliée à une corde ou un sommier. La cloche aurait sonné
du ciel et celle de la terre. Autrefois, Ro-
camadour s’appelait le Val ténébreux et pour la dernière fois le 31 décembre 1612, sauvant de la
serait retourné à la lumière (à l’amour)
tempête un marin breton, Jacques Jas, et son équipage qui
grâce à toutes ces interventions merveil-
leuses, angéliques et saintes. l’avait implorée.
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Singulières
Vierges noires
Petites statues retrouvées par chance en divers endroits, les Vierges dites
noires par la couleur de leur bois ont nombre de points communs,
quel que soit le lieu de leur découverte. Que pourraient cacher
ces similitudes et les symboles qui y sont associés ? Quel sacralisme
universel, derrière leur couleur et leurs particularités ?
HISTOIRES & LIEUX EXTRAORDINAIRES DE FRANCE
C
hartres, Rocamadour, Montserrat… géobiologue et conférencière spécialisée dans les
Des lieux étroitement liés aux Vierges lieux sacrés(1). Nous sommes à l’apogée de la civi-
noires et aux mystères qui les nimbent. lisation du haut Moyen Âge, sous l’influence des
Que représentent ces statues aux mains grands ordres monastiques. La Vierge Marie prend
et visages « noircis », apparues au Moyen Âge ? La une place centrale, un rôle orchestré en premier lieu
fascination qu’elles exercent est toujours aussi in- par saint Bernard de Clairvaux (1090-1153), qui
tense ; ces Vierges suscitent de nombreuses inter- lui voue un culte particulier. Monastères cisterciens
rogations, tant sur les secrets de leur origine que et cathédrales gothiques sont consacrés à Notre-
sur leur couleur, leur filiation… Autour d’elles Dame. « Et si le culte marial était la renaissance du
convergent un faisceau de synchronicités et de culte primordial à la Grande déesse ? », s’interroge
symboles universels qui pourraient évoquer la Nathalie Lair. Pour bien comprendre le rôle spé-
Déesse primordiale, la Déesse Mère… ou encore cifique des Vierges noires dans la statuaire sacrée,
la « Mère Obscure » des anciens cultes et Notre- rappelons qu’au Moyen Âge, la notion même d’art
Dame, la très pure. Suivre la piste de ces sens ca- n’existait pas, du moins selon notre vision contem-
chés mènerait peut-être à un chemin initiatique à poraine. « Il fallait donc une motivation sérieuse et
redécouvrir, une tradition primordiale, une voie de utilitaire pour que cette statuaire se développe », af-
sagesse pour notre monde d’aujourd’hui. firme Jacques Bonvin(2). D’après le spécialiste, « la
civilisation du Moyen Âge est initiatique, c’est-à-dire
Repères historiques et faisceau de similitudes que la tradition se transmet par le compagnonnage ; le
grand maître d’œuvre recevait du sacerdoce la symbo-
L’Histoire nous donne des points de repère pour lique religieuse, pour la transmettre aux constructeurs
situer les Vierges noires dans la course du temps. manuels… » Il faut donc faire appel à la symbo-
« Elles apparaissent toutes entre la fin du XIe siècle et lique pour approcher le sens, occulte et universel,
le tout début du XIIIe siècle », précise Nathalie Lair, des Vierges noires.
NOIRES
sortes de statues : les premières ont le teint sombre,
Dans les représentations parfois mordoré comme la peau d’une personne qui
se serait laissée bronzer, les secondes sont noires et
antiques, Isis était assise les dernières sont peintes. Plus mystérieux encore,
SINGULIÈRES VIERGES
sur ce type de siège.
rappelle Nathalie Dulac, « contrairement à une idée
répandue, son visage n’est pas forcément noir ! » Pour
sa part Thierry Gautier observe : « La question ne se
pose pas ainsi. Au “Comment Notre-Dame, la très pure,
le Lys, est-elle devenue noire ?” qui reste sans réponse, il
faut s’ouvrir au “Pourquoi des Vierges noires ?” »
Ce qui amène à chercher ailleurs, du côté d’une
hypothèse symbolique. « Vers la représentation d’une
Vierge plus ancienne, la Déesse Mère », propose Na-
thalie Lair, ou « ces déesses de dessous terre », comme
les nomme Jean-Pierre Bayard(2). Une hypothèse
qui renvoie au fait que les statues sont trouvées dans
la terre, dans les champs. Pour l’écrivain Jacques
Bonvin, « l’addition des faits précités laisse apparaître
une tradition commune, quasi universelle dans le fond et
très rapprochée dans la forme, quant à la représentation
de la Déesse Mère et de son symbolisme de déesse de la
fécondité ». À l’apogée du christianisme, la Vierge Ma-
rie serait devenue sa dernière représentation iconogra-
phique. Ainsi la déesse initiatrice prend-elle la forme
de cette Vierge noire, apparaissant des entrailles de la
Terre et célébrée dans les endroits les plus sombres du
sanctuaire… « Cela pourrait être Isis, Cybèle... Bien sûr,
nous n’en avons pas la certitude. » Quant à la couleur
noire ? « C’est la couleur du féminin, caché, sinueux »,
traduit Thierry Gautier. Nous y voilà, noire est ma
couleur ! Le noir renvoie à l’initiation.
Du miracle à l’initiation
place dans l’inconscient. Leur mémoire fut conservée par le biais des
symboles et des archétypes, mis en évidence depuis par Jung. Apparurent,
Statue de Cybèle la Phrygienne,
Mère des dieux, ou Déesse Mère. plus tard, les déesses noires de l’Antiquité, reliées aux ténèbres, à la nuit,
à la lune, à l’eau, à la fécondité, aux initiations. À l’aube du christianisme,
en Occident, carrefour des religions antiques, un syncrétisme s’opéra.
Aux divinités celtes se superposèrent les romaines, issues des grecques,
HISTOIRES & LIEUX EXTRAORDINAIRES DE FRANCE
et les pieds nus, c’est l’impétrant qui vient demander l’in- lumières », explique Robert-Jacques Thibaud, auteur
tercession de la Vierge… Il a dans sa main un livre fermé spécialiste des mythes.
et il lève l’autre en signe de bénédiction… » Ainsi la divi- Aujourd’hui encore, la Vierge noire permet une
nité montrerait-elle le chemin intérieur au pèlerin… transformation profonde, qui s’opère selon notre ni-
Dans les cultes aux déesses noires Isis et Cybèle, c’était veau d’évolution, de conscience. « Elle va permettre à
par elles que l’initié renaissait. certains de se retrouver, à d’autres de s’élever. Elle répond
Comment auraient-elles procédé ? Les Vierges à des questionnements ou à des demandes physiques »,
noires sont faites pour capter l’énergie de la Terre… énonce Nathalie Lair. À Rocamadour, la spécialiste a
et elles ont de grandes mains… « C’est par la gran- eu le sentiment de se prendre une décharge : « Cette
deur des mains que les imagiers du Moyen Âge ont Vierge noire travaille avec le feu. On se voit tel qu’on est
symbolisé la force tellurique de la Vierge noire, c’est- et parfois ce n’est pas confortable. Comme toute initia-
à-dire de l’endroit où elle se trouve », nous informe tion. » À l’inverse, à Vassivière, les témoignages
Jacques Bonvin. Plus grandes sont ses mains, plus convergent : c’est une Vierge tranquille, d’une grande
grand est son pouvoir. Dans la ferveur du miracle douceur, qui apaise et travaille avec l’eau. C’est une
que la Vierge noire accomplit, le sanctuaire prend énergie plus sereine. Chaque statue agit spécifique-
tout son sens. Rappelons que les initiations aux se- ment, selon l’endroit où elle se trouve. Aussi assiste-
crets anciens se déroulaient au sein des grottes, des t-on à un nouveau phénomène autour des Vierges
souterrains, durant la nuit. Or, les statues sont pla- noires. Nombre de statues ont migré loin de leur lieu
cées dans une crypte, dans les ténèbres. Le rôle de la d’origine. Le plus souvent, elles sont déplacées dans
crypte, grotte artificielle, est d’amplifier la résonance la grande église la plus proche… Certaines ont
magnétique du lieu. C’est là que l’énergie tellurique même disparu littéralement, emportant leur mystère,
va s’accumuler. Ainsi canalisées, les énergies du ciel attendant peut-être le moment propice pour réappa-
et de la terre servent pour la guérison de l’âme, de raître à nouveau. Gageons que notre désir ardent de
l’esprit et du corps. Par ailleurs, symboliquement, nous initier à la « voie de la Grande déesse » nous
la crypte est comme l’ancienne caverne : « C’est pousse encore et encore à soulever les voiles des
notre propre nature qu’il nous faut découvrir. Dans Vierges noires. Ainsi restera bien vivante une dé-
cette caverne, sont détenus notre vérité et nos monstres, marche traditionnelle, ancestrale et peut-être por-
car c’est le lieu où naissent nos dragons et nos nouvelles teuse de sagesse pour notre monde d’aujourd’hui.
• QUI SUIS-JE ?
« Tu sauras qui tu es quand
tu te rendras compte de ce que
tu n’es pas. »
• QU’EST-CE QUI
EST RÉEL ?
« Tu le sauras quand tu accepteras
ce qui n’est pas réel. »
• QU’EST-CE QUE
L’AMOUR ?
« Tu connaîtras l’amour quand
tu prendras conscience de ce
qu’il n’est pas. »
Chemin de
Compostelle
HISTOIRES & LIEUX EXTRAORDINAIRES DE FRANCE
Ils étaient plus de 300 000, en 2017, Bien avant de devenir le premier pè- arrivons à Aire-sur-l’Adour, avec l’église
à s’être lancés. Jusqu’à deux mois de lerinage chrétien du Moyen Âge, le Sainte-Quitterie d’Aire, qui abrite le
marche pour certains, un peu plus de chemin de Saint-Jacques tirerait ses tombeau de la martyre wisigothe Quit-
1 600 kilomètres qui leur feront traver- origines de mythologies gréco-latines terie. Le lieu, bâti sur le site d’un ancien
ser la France sauvage, découvrir notre et celtes. C’est un moine poitevin, Ay- temple romain dédié au dieu Mars, était
patrimoine historique et spirituel. Au meric Picaud, qui décrira en 1140 dans vénéré en raison de la présence d’une
départ du Puy-en-Velay, d’Arles, de Vé- un guide les quatre itinéraires emprun- source, et fut investi d’une dignité nou-
zelay ou de Tours, les quatre itinéraires tés aujourd’hui. Celui du Puy-en-Velay velle grâce à la dévotion pour la prin-
sont classés depuis 1998 au patrimoine est le plus connu, peut-être aussi le plus cesse martyre. Depuis le Moyen Âge,
mondial de l’humanité de l’Unesco. riche à bien des égards. Plusieurs sites des pèlerins affluent de toute part pour
Le mot « Compostelle » offre plusieurs d’exception méritent le détour sur sa vénérer les reliques de la sainte. Enfin,
voies d’interprétation, toutes nous invi- seconde moitié, à l’ouest… Saint-Jean-Pied-de-Port est une halte
tant à la quête. La plus courante dit que Première étape : La Romieu, qui tire pour les pèlerins arpentant le Camino
Compostelle provient de campus stellae son nom du gascon roumiou, pour avant de converger vers Saint-Jacques-
(champ de l’étoile), en référence aux « pèlerin ». Le village a été fondé à la de-Compostelle. Elle est aussi le point
étoiles apparues sur la tombe de saint fin du XIe siècle par un moine allemand de départ de nombreux pèlerins qui
Jacques. Tout le chemin est d’ailleurs de retour d’un pèlerinage à Rome. Il souhaitent parcourir l’étape prestigieuse
jalonné de villes, localités et cols por- est volontiers surnommé « le village de la traversée des ports de Cize vers
tant la dénomination d’« étoile ». Une des chats », animal que l’on trouve l’abbaye de Roncevaux. Saint-Jean est
autre interprétation veut que le nom sous forme de sculptures partout dans riche d’un vaste patrimoine historique
dérive d’un terme alchimique : « com- le village. Une légende raconte en effet et architectural : nous pouvons y décou-
post ». En réalisant le Grand Œuvre qu’au Moyen Âge, des chats auraient vrir la chapelle Notre-Dame-du-bout-
dans le chaudron, une « étoile » appa- sauvé les récoltes d’une invasion de du-Pont, dédiée à l’assomption de la
raît au-dessus du mélange, si l’Œuvre rats. La collégiale Saint-Pierre de La Vierge, l’édifice gothique le plus impor-
est bien réalisé. Quoi qu’il en soit, le Romieu, classée à l’Unesco, est l’un des tant du Pays basque français après la
chemin de Saint-Jacques nourrit l’ima- fleurons du patrimoine gersois, avec cathédrale de Bayonne. La cité médié-
ginaire humain et ravive notre sens de ses deux tours qui s’élèvent au-dessus vale conserve d’autres trésors architectu-
l’aventure spirituelle et nos rêves de de la ville… raux, à l’image de sa muraille, envelop-
transformation. En continuant vers le sud-ouest, nous pant le cœur historique.
DE
PAYS
PAYS DE L A LOIRE
Le château
/
SUD - OUEST
de Tiffauges
À Tiffauges, le majestueux château médiéval de « Barbe-Bleue » est porteur d’une terrible histoire.
Située en Vendée, cette forteresse du XIIe siècle est connue comme étant le plus grand site médiéval de la
région. Entourée de remparts et d’un donjon en pierre, elle a connu plusieurs locataires, dont le funeste
Gilles de Rais, assimilé à Barbe-Bleue sous la plume de Charles Perrault (1667), tant ses crimes ont
marqué les esprits de l’époque. Le baron n’a pourtant pas toujours été un criminel. Héros de la guerre
de Cent Ans, compagnon d’armes de Jeanne d’Arc, il participe à la libération d’Orléans, puis au sacre
du roi Charles VII à Reims. Ruiné et humilié, il revient sur ses terres, où il pratique la magie noire et
les sacrifices humains pour fabriquer de l’or. C’est alors la panique dans toutes les campagnes de Bre-
tagne, tandis que des enfants et des femmes disparaissent mystérieusement. Le baron maléfique sera
jugé en 1440. Son procès révèle l’horreur du personnage : il aurait perpétré deux cent cinquante
crimes et viols. Une histoire glaçante, qui entremêle réalité et légende et nourrit aujourd’hui encore
l’inconscient collectif français. A.A.
La commanderie
d’Arville
CENTRE-VAL DE LOIRE
Après la suppression de l’Ordre du
Temple (1312), la commanderie de-
vient propriété des Hospitaliers de
Saint-Jean de Jérusalem, qui devien-
L’un des témoignages les plus specta- dront Chevaliers de Malte au
culaires de l’histoire des Templiers en XVIe siècle. Selon l’auteur Jean Markale
France… Et plus encore ? dans Gisors et l’énigme des Templiers (éd.
Pygmalion), le lieu abonderait en sym-
Dans le Loir-et-Cher, la commanderie boles alchimiques : « On y trouverait
© Alamy Stock Photos
d’Arville, fondée par les Templiers au même une “voie” conduisant au “Grand-
début du XIIe siècle, est considérée Œuvre”. [...] Il va sans dire que tout cela
comme la mieux conservée de France. est bien postérieur aux Templiers, mais
Installés dès 1130 sur le domaine mis à ainsi persiste l’idée que les Maçons sont les
leur disposition par un seigneur, ils s’en continuateurs du Temple. Et il faut bien
serviront comme domaine agricole, tenter d’expliquer la richesse des Tem-
lieu de vie religieuse et base de forma- pliers par leurs connaissances en matière
tion militaire pour les chevaliers en at- d’alchimie, ce qui est loin d’être prouvé,
tente de leur départ en Terre sainte. mais ne nuit pas à l’imaginaire. » A.A.
CACHÉE
Vie souterraine
ET
SOUTERRAINE
et cachée
L’ A N J O U , V I E
Terre troglodytique, le Saumurois est jalonné de nombreux habitats creusés dans le tuf-
feau, pierre calcaire. Deux sites sont particulièrement exceptionnels : le château de Brézé
– avec son village souterrain – et la cave de Dénézé-sous-Doué, où trois cents sculptures
datant du XVIe siècle restent inexpliquées. Par Melanie Chereau
d’une confrérie locale, vraisemblablement donc des statues à découvrir, si le temps core les douves à 18 mètres. Au
celle des tailleurs de pierre », explique n’achève pas de ronger la pierre qui déjà XIIIe siècle, le village est très organisé, on
Pierre Carnac. En 1539, l’ordonnance se dégrade… y voit même apparaître une boulangerie.
© www.chateaudebreze.com
Les souterrains, village sous le château de Brézé.
de Villers-Cotterêts interdit aux tailleurs Un village enterré Les galeries continuent à se construire,
de pierre le droit de réunion. Est-ce là le ainsi que d’autres alcôves et cavités.
travail de cet ordre soumis à un interdit Au Xe siècle, les guerres de religion, les L’avantage du tuffeau est qu’il maintient
insupportable ? C’est aussi l’époque de invasions normandes et les oppositions une température basse. Ainsi le vin, ri-
Rabelais, Bosch, Postel, celle de la déme- intestines des comtes d’Anjou, ont-elles chesse du domaine, a-t-il pu se conserver
sure et des manifestes artistiques défou- poussé un petit village à s’enterrer pour et être d’une grande qualité. Une magna-
latoires. Alors, la cave serait-elle une véri- se protéger ? La pierre tendre de tuf a nerie voit aussi le jour et le château
table bande dessinée de la Renaissance ? permis un véritable aménagement sou- amasse une fortune en toute discrétion.
À une époque où beaucoup ne savent terrain sur les terres du seigneur de Brézé C’est ce qui expliquerait pourquoi,
pas lire, ces créations pourraient-elles et l’on découvre, organisée autour d’un même les risques de guerre passés, le vil-
constituer une satire de l’époque ? puits de lumière, toute une communau- lage a continué à se maintenir sous la
té avec des chambres, des cuisines, des terre. « On peut comprendre que l’endroit
Une cave aux rituels ? écuries, des silos à grain… Seigneurs était bien défendu. Ce château n’a jamais
et paysans vivaient là ensemble, les uns été pris, il y a ici un système défensif très
Le XVIe siècle est également celui des protégeant les autres, et l’on ne sortait sophistiqué », raconte Damien Pavillon,
guerres de religion. Une scène étrange que pour s’occuper des champs. Pour- guide au château. Aujourd’hui, les accès
de la cave représente plusieurs servi- tant, à cette époque, tout ce qui évoquait éloignés permettant de rejoindre le châ-
teurs de Dieu d’obédiences différentes : la vie sous terre était source d’inquiétude. teau ont été remblayés et les quatre kilo-
un prêtre, un rabbin, un imam… Un Le monde des ténèbres n’était pas sans mètres de galeries et de salles n’ont pas
rassemblement fraternel sous terre qui évoquer quelque diablerie et l’inconnu été entièrement explorés. Il reste donc
dénote avec l’ambiance « sur terre » si de l’obscurité pouvait provoquer des sans doute encore à découvrir…
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HISTOIRES & LIEUX EXTRAORDINAIRES DE FRANCE
De nombreux magnétiseurs
repoussent toute explication spirite,
préférant valoriser le potentiel humain.
ENTRE
entre en scène
LUCIDITÉ
LA
La lucidité, phénomène étrange redécouvert en France au XVIIIe siècle,
QUAND
a fait l’objet de conflits majeurs entre les magnétiseurs, les académies des
sciences et de médecine, et les écoles spirituelles. Cette faculté paranormale
n’en est pas moins à l’origine d’interrogations fondamentales, à partir
desquelles se sont développées les sciences psychiques : psychologie,
psychanalyse, psychothérapies. Par Miriam Gablier
L
e 4 mai 1784, Armand Marie Jacques de et médiumnité. Quel est cet état et quels en sont les
Chastenet, marquis de Puységur (1751- rouages ? Comment comprendre cette « soi-disant »
1825) est conduit au chevet de Victor lucidité – qui regrouperait notamment la télépathie,
Race, un jeune paysan malade. Il ne le la voyance et la précognition ? Le marquis a-t-il af-
sait pas encore, mais ce colonel d’artillerie, membre faire à des entités qui communiquent à travers les
d’une vieille famille de la haute aristocratie, va deve- somnambules ou voit-il se révéler un potentiel in-
nir le « père fondateur de la psychologie contemporaine connu de la conscience ? Tant d’énigmes qui vont
de l’inconscient », indique le sociologue Bertrand traverser les XIXe et XXe siècles et être à l’origine d’une
Méheust. En effet, le marquis « magnétise » Vic- compartimentation des sciences psychiques, alors
tor, selon la technique qu’il a apprise directement naissantes. Chaque branche apportera ses réponses.
du magnétiseur autrichien Mesmer, mais rien ne se
passe comme prévu : point de crise, point de convul- Mesmer, une première révolution
sion. En revanche, le jeune homme tombe dans un
étrange sommeil et se met à parler, avec une aisance Après avoir écrit une thèse de médecine dans la-
surprenante, de sujets qui excèdent ses connaissances. quelle il abordait des théories antérieures sur le ma-
Dans les jours qui suivent, Puységur poursuit l’ex- gnétisme – notamment celle de Paracelse –, Franz
ploration de cet état qu’il baptise « somnambulisme Anton Mesmer (1734-1815) arrive à Paris en 1778.
magnétique ». « Une chose le frappe : Victor, pendant Il publie Mémoire sur la découverte du magnétisme
ses accès, semble capter ses pensées, sans qu’il ait besoin animal dans lequel il expose sa doctrine. Le médecin
de les formuler. […] Son regard intérieur semble percer autrichien affirme qu’un fluide subtil emplit l’uni-
l’opacité des corps et le secret des êtres […] Il prédit ses vers, qu’il relie tous les corps qui s’y trouvent et que
crises futures, en donne avec exactitude le calendrier et la maladie est le résultat d’une mauvaise répartition
les résultats. Mais il fait plus : il guide le marquis dans de cette énergie dans l’organisme. Il propose des
l’exploration de la nouvelle dimension qui vient de se dé- « passes magnétiques », qui permettraient d’équili-
voiler », poursuit Méheust, auteur de Somnambulisme brer ce fluide et qui provoqueraient des « crises de
SCÈNE
Une posture « anti-
magique » traverse notre
EN
culture depuis des siècles.
ENTRE
LUCIDITÉ
Une épuration académique
Toutefois, la manœuvre opérée par le monde aca- du spectre, les tenants de l’existence d’un au-delà,
démique face cette montée en puissance du ma- notamment les spirites, n’ont cessé également de
gnétisme consistera, au final, à évacuer l’intolé- questionner leurs conclusions. En effet, et si parmi
LA
rable lucidité. « La lucidité semble impliquer que la les phénomènes lucides, certains résultaient d’une
QUAND
conscience humaine peut s’affranchir, dans certaines communication avec des consciences désincarnées ?
circonstances, des bornes du sujet, et des contraintes spa- « La doctrine spirite, ou le spiritisme, a pour principes les
tiotemporelles », indique Bertrand Méheust. Or, ceci relations du monde matériel avec les esprits ou êtres du
n’est pas réellement acceptable par l’esprit rationnel monde invisible », énonce le français Allan Kardec, un
des Lumières, qui pense une clôture du sujet et une des fondateurs de ce courant et auteur du Livre des
temporalité à sens unique (passé-présent-futur). Si esprits. C’est l’arrivée en 1853, depuis les États-Unis,
la commission Husson de l’Académie de médecine de la pratique des « tables tournantes » qui contribue
reconnaît tout de même, en 1826, la réalité des phé- à populariser cette doctrine, à laquelle s’intéressent,
nomènes somnambuliques, le rapport est immé- au passage, des personnalités comme Victor Hugo
diatement enterré et suivi d’une nouvelle commis- ou Jean Jaurès. Se développent ensuite le oui-ja,
sion qui conclut, en 1837, que ces phénomènes ne l’écriture automatique et des formes de médiumnité
peuvent exister. Et les efforts d’un certain Dr Pigeaire plus directes. Cependant, de nombreux magnétiseurs
pour faire examiner les capacités extrasensorielles de repoussent toute explication spirite. Ils préfèrent va-
sa fille Léonide par ladite Académie en 1838 n’y loriser le potentiel humain et parier sur la découverte
feront rien. Malgré onze séances organisées à Paris de lois naturelles permettant d’expliquer la lucidité. Il
en présence de sommités scientifiques et littéraires, n’en reste pas moins que la frontière entre le magné-
durant lesquelles la jeune fille semble avoir lu et tisme et le spiritisme n’a pas toujours été étanche. À
joué aux cartes, en état de transe et avec un ban- l’heure d’aujourd’hui, le mystère de la lucidité – sujet
deau étanche sur les yeux, le somnambulisme est ô combien fertile pour le développement des sciences
évacué. La lucidité est idéologiquement irrecevable. psychiques – demeure. « Le réel sera toujours en excès
« Il y a, pour chaque univers mental, une part maudite. sur nos connaissances », signale Bertrand Méheust.
Chaque culture explore certains secteurs du réel, privi-
légie et développe certaines dimensions de l’expérience,
et, de ce fait, sacrifie d’autres dimensions, d’autres pos-
sibles », synthétise le sociologue. L’historien Ernesto
de Martino a notamment montré combien une
posture « anti-magique » traverse notre culture de-
puis des siècles. Il va même jusqu’à dire que cette
polémique est le ressort secret de notre culture.
L’hypnose, mise en avant quelque 40 ans plus
tard par Jean-Martin Charcot, professeur à
l’école de la Salpêtrière et académicien, est alors
une version épurée du magnétisme. « L’opéra-
tion centrale de l’hypnologie est bien d’éliminer
l’hypothèse magnétique d’une interaction occulte
entre les êtres humains », souligne Méheust.
L
a « danse des tables » va devenir une vé- des procès-verbaux de séance. « Chaque participant
ritable mode et sera étudiée par de nom- pose ses doigts sur le plateau d’une table en frêne de
breux scientifiques et intellectuels dans la 80 centimètres de diamètre, montée sur une lourde co-
deuxième moitié du XIXe siècle et tout au lonne qui se termine par trois pieds distants entre eux
long du XXe, retenant l’attention de personnalités de 55 centimètres. Au bout d’un moment, la table se
comme Victor Hugo, Gérard de Nerval ou Edgard met à tourner sur elle-même, emportant les convives.
Allan Poe, qui s’y adonneront avec passion. Elle se soulève, semble même danser ! », rapporte le
psychologue Renaud Évrard dans son Enquête sur
Fraude, action inconsciente ou esprits ? 150 ans de parapsychologie (La légende de l’esprit,
éd. Trajectoire, 2016). Qu’est-ce qui provoque ce
En cette fin de XIXe siècle, le surnaturel passionne mouvement ? Au cours des décennies suivantes, les
les foules et les savants, notamment depuis que explications possibles du phénomène vont se répar-
l’Académie de médecine a été saisie à partir de tir en quatre grandes catégories : la simple fraude
1827 sur la question du « sommeil magnétique » (un ou plusieurs participants font volontairement
ou « somnambulisme artificiel », ces transes ou états bouger la table) ; l’action musculaire inconsciente
modifiés de conscience au cours desquels les sujets et cependant coordonnée des participants ; l’action
se montrent capables de phénomènes de voyance d’un « fluide » de nature inconnue (explication de
spectaculaires. Une première séance expérimentale type psychokinétique) ; ou encore l’intervention
de « table tournante » est réalisée en septembre d’esprits désincarnés (hypothèse spirite). Les deux
1853 au domicile suisse d’Agénor de Gasparin, premières hypothèses vont être écartées par Gaspa-
homme politique, écrivain et théologien qui a quit- rin, car il affirme avoir obtenu des soulèvements
té la France après l’avènement de la IIe République sans contact par dizaines. En effet, une fois initiés,
en 1848. Il rassemble autour de lui quelques amis les mouvements se poursuivent, quand bien même
et membres de sa famille et entreprend de rédiger le toucher entre les mains et la table est interrompu.
souvent être privilégiée, pour expliquer le phéno- l’attention de quelques autres : celle d’un « fluide
mène des « tables tournantes ». Il apparaît, en effet, magnétique » qui préfigure ce que l’on appellera
qu’un « dialogue » peut s’ins- plus tard la psychokinèse (ac-
taurer avec l’objet, via un code tion de l’esprit sur la matière).
comme « un coup pour oui,
deux coups pour non », ou en-
De Gasparin se fâche devant les
conclusions des scientifiques
core « un coup pour A, deux qui n’ont même pas, à l’instar
coups pour B… », mais cela des physiciens Faraday ou Fou-
devient rapidement fastidieux. cault, mis la main à… la table.
De leur côté, « les savants of- Il apparaît, Léon Foucault, rendu célèbre
ficiels, qui venaient de subir en effet, qu’un par son expérience du pen-
l’assaut du magnétisme animal, dule suspendu au sommet du
accueillirent avec non moins de
« dialogue » Panthéon pour démontrer la
mépris cette nouvelle vague de peut s’instaurer rotation de la Terre, avait ainsi
merveilleux que l’océan Atlan- avec l’objet. déclaré : « Si l’influence de l’es-
tique avait poussée sur les rivages prit sur la matière ne s’arrête pas
du vieux continent », écrit le à la surface de l’épiderme, il n’y a
journaliste et parapsycho-
logue René Sudre, lui-même
farouchement antispirite. De-
plus en ce monde de sûreté pour
personne. » Un autre fameux
« métapsychiste », Robert Toc-
vant l’afflux de témoignages, quet, va étudier le phénomène
l’Académie des sciences est saisie le 21 mars 1853. et livrer les conclusions suivantes, après une ving-
Trois rapports lui parviennent notamment, dont taine de séances dont deux seulement furent néga-
un émanant d’un prestigieux correspondant : tives : « Nous n’avons jamais découvert de fil ou de
Marc Seguin, pionnier de la technologie des rails “truc” quelconque, ni surpris de mouvements suspects
sur traverses en bois et des ponts suspendus. Il y de la part du médium qui, d’ailleurs, plus ou moins
consigne que la petite table qu’il a utilisée pour somnolent, demeurait complètement immobile au
son expérience s’agitait en rythme avec la musique cours des séances. […] Celles-ci avaient lieu en pleine
présente dans la pièce, ou donnait des coups indi- lumière, de sorte que le contrôle était très facile. Cette
quant l’âge, le nombre et d’autres informations sur expérience, […] m’a formellement et définitivement
les personnes présentes. Il évoque l’inversion des apporté la preuve absolue de la réalité de la télékinésie
lois de la gravité sous l’effet d’une cause « lui étant (ou psychokinèse). Aucune argumentation de théori-
temporairement supérieure », qu’il associe à « une ciens de “cabinet” n’ayant jamais expérimenté, et, de
électricité d’une nature particulière ». ce fait, vu ni le faux ni le vrai, ne pourrait faire varier
mon opinion à ce sujet. »
« Preuve absolue de la télékinésie »
Des tables tournantes aux tables parlantes
Interpellée, l’Académie crée donc une commission
sous l’égide du chimiste Michel-Eugène Chevreul, Dans Les pouvoirs mystérieux de l’homme (éd. Psi
qui avait expliqué, quelque vingt ans plus tôt, les International, 1978), Robert Tocquet fait égale-
mouvements du pendule de radiesthésie par une ment la synthèse des expériences menées par ses
PSYCHOKINÈSE
ladino au début du XXe siècle. Dans ces séances,
de grandes précautions étaient prises pour élimi-
ner la possibilité de fraude, avec par exemple des
gaines entourant les pieds de la table, solidaires du
plancher, des contacts électriques qui se déclen-
© Shutterstock
chaient quand les pieds quittaient le sol, et des
liens maintenant à sa chaise les bras et les jambes
ET
de la médium qui guidait l’expérience. Grâce à
ce dispositif, l’hypothèse d’une pression s’exerçant
SPIRITISME
sous les pieds de la table pendant les soulèvements
fut éliminée. Les expériences de Victor Hugo
Or, malgré ces conditions sévères, le soulèvement
eut lieu plusieurs fois, alors que les mains et les
pieds d’Eusapia étaient solidement tenus : « Au Le grand écrivain découvre le phénomène en
cours d’une expérience, [la table] sortit même de ses
septembre 1853, par le biais d’une amie. Il est
ENTRE
fourreaux, et la hauteur atteinte fut de 60 cm », écrit
Tocquet. Certains témoins rapportent aussi un cas convaincu quand il pense entrer en contact avec
d’élévation alors que la médium tenait ses mains
sa défunte fille Léopoldine. Il se passionne pour
à plus de vingt-cinq centimètres, ou encore qu’un
L’INVENTION DU SPIRITISME
DU
l’invisible lui apprennent qu’il
existerait une hiérarchie des esprits.
L’ I N V E N T I O N
Quand Hippolyte Rivail se penche sur le phénomène intellectuelle de l’époque lui donneront ses lettres
des « tables tournantes » en 1854, il a déjà 50 ans et de noblesse : Victor Hugo, Camille Flammarion, le
une activité bien établie d’enseignant et d’auteur de physicien William Crookes, Arthur Conan Doyle ou
KARDEC,
livres scolaires. Il se passionne cependant depuis sa encore le philosophe Henri Bergson.
jeunesse pour les faits inexpliqués concernant notam-
ment le « somnambulisme magnétique ». Des amis, Un mouvement humaniste
dont un éditeur, vont lui demander de faire le tri
dans cette somme d’informations, pour en produire La doctrine spirite distingue trois parties en
ALLAN
un livre grand public. L’ironie est que ses publications l’homme : le corps physique, l’esprit ou âme (à la fois
précédentes sont des livres destinés à « débarrasser la personnalité, intelligence, conscience, volonté…) et
jeunesse des multiples superstitions qui polluent les esprits le périsprit. Ce dernier principe est l’énergie qui, ani-
juvéniles et malléables ». mant le corps, pourrait être utilisée par l’esprit (im-
mortel) après la mort pour se manifester aux vivants
« Ta mission est là » dans le cadre de la médiumnité. Les esprits, en effet,
ne poursuivent qu’un seul but : que l’homme prenne
Après avoir accepté, presque à contrecœur, il se laisse conscience de sa véritable nature pour se réaliser et
entraîner par un ami à sa première séance d’écriture participe à la transformation progressive de l’huma-
médiumnique et d’invocation ou évocation d’« es- nité. Le spiritisme est également, dès l’origine, un
prits ». Il en sort troublé et va rapidement se laisser mouvement humaniste qui prend position en faveur
convaincre : « Ce fut là que, pour la première fois, je fus du progrès social, du vote des femmes, de l’abolition
témoin du phénomène des tables tournantes et cela dans de l’esclavage, du désarmement, et qui se prononce
des conditions telles que le doute ne m’était plus permis. » contre la peine de mort. Se défendant d’être un pro-
Il s’adonne alors régulièrement et avec passion à ces phète, Kardec a tout de même inscrit la révélation
séances quand, au cours de l’une d’elles, un esprit lui spirite dans le prolongement de celles de Moïse et de
révèle : « Nous vivions tous deux ensemble il y a bien Jésus Christ. En 1917, le Vatican interdit cependant
longtemps dans les Gaules. Nous étions amis, tu étais aux catholiques de participer à des séances spirites. Le
druide et t’appelais alors Allan Kardec. » C’est son ange mouvement atteint pourtant son apogée en Europe
gardien Zéphir qui lui fait cette révélation et qui lui en 1925 lors d’un congrès présidé par Arthur Conan
enjoindra plus tard, en avril 1856, de réaliser sa mis- Doyle, avant de connaître un déclin rapide sous la
sion de vie : « Il n’y aura plus de religion et il en faudra pression rationaliste et l’essor de la psychiatrie et de
une, mais vraie, grande, belle et digne du Créateur… la psychanalyse.
Les premiers fondements en sont déjà posés. Toi, Rivail, Aujourd’hui, quelques milliers d’adeptes, en France,
ta mission est là. » Ses échanges soutenus avec l’invi- continuent à se dire spirites et certains poursuivent
sible lui apprennent qu’il existerait une hiérarchie des des expérimentations surprenantes, comme au sein
esprits. Les « grands » esprits vont lui fournir la ma- de l’IFRES(1), qui produit des images pour le moins
tière de son premier opus spirite : Le livre des esprits, troublantes grâce à une technologie qui serait soufflée
qui paraît le 18 avril 1857. C’est un succès immédiat par l’au-delà…
et colossal, le premier d’une série de cinq livres, véri-
table Pentateuque du spiritisme : Le livre des médiums
(1861) ; L’Évangile selon le spiritisme (1864) ; Le ciel
et l’enfer (1865) ; La Genèse selon le spiritisme (1868).
Le spiritisme, nom adapté du « spiritualisme » amé-
ricain, s’attire bien vite les foudres à la fois des au-
torités religieuses et des milieux scientifiques ratio- (1) Institut français de recherche et
nalistes. Pourtant, quelques grandes figures de la vie d’expérimentation spirite : www.ifres.org
La devise de l’IMI :
le paranormal, nous n’y
croyons pas. Nous l’étudions.
© Shutterstock
PARANORMAL
le paranormal
depuis 100 ans
LE
ÉTUDIENT
Créé à Paris en 1919, l’Institut métapsychique international (l’IMI)
ILS
se prépare à fêter ses 100 ans. Retour sur cette société pionnière
dans la recherche sur le paranormal.
Par Miriam Gablier
L
e monde académique européen à la char- tapsychiques ou paranormaux. « Bien qu’étant
nière des XIXe et XXe siècles, est le théâtre lui-même spirite, Jean Meyer avait un grand respect
d’« un phénomène culturel stupéfiant », pour la méthode scientifique. Il a pensé qu’il fallait
souligne Bertrand Méheust, sociologue un institut indépendant pour étudier objectivement
et membre du comité de direction de l’Institut les phénomènes métapsychiques », souligne Mario
métapsychique international (IMI). En France Varvoglis, psychologue et président actuel de
notamment, de nombreux scientifiques et cher- l’IMI. Ses premiers membres comptent le prix
cheurs – comme des prix Nobel, des membres de Nobel de médecine Charles Richet et le célèbre
l’Académie des sciences, de médecine, de l’Aca- astronome Camille Flammarion. Tous deux sont
démie française, des professeurs du Collège de de fermes partisans d’une recherche expérimen-
France, de la Sorbonne, de la faculté de médecine tale libre des préoccupations spirites. Le mot
ou encore de l’École polytechnique – se mettent à d’ordre : élaborer une méthodologie scientifique
étudier la lucidité, la vision à travers les corps opa- et des protocoles sophistiqués. La future devise :
ques, les prévisions confirmées, les déplacements « Le paranormal, nous n’y croyons pas. Nous l’étu-
d’objets à distance, les ectoplasmes, etc. C’est au dions. » L’IMI, doté de fonds importants et d’un
cœur de ce foisonnement intellectuel que l’Insti- laboratoire des mieux équipés, met alors en place
tut métapsychique international est créé à Paris des programmes de recherche, des conférences et
en 1919, par le mécène Jean Meyer, le Dr Gustave publie sa Revue métapsychique. « Des chercheurs du
Geley et le Pr Rocco Santoliquido. Dès le départ, monde entier apprennent le français pour suivre ses
l’IMI est reconnu comme une fondation d’utilité travaux, qui sont d’une grande rigueur scientifique.
publique par le ministère de l’Intérieur. Ses experts réfléchissent à des modèles théoriques et
En réalité, Jean Meyer a l’ingénieuse idée de créer leurs réflexions, extrêmement pointues, sont encore
deux sociétés savantes. Il fonde la Société d’études pertinentes aujourd’hui », détaille Renaud Évrard,
spirites, chargée de développer le spiritisme et son maître de conférence à l’Université de Lorraine.
hypothèse de la survie de l’âme, et l’IMI, chargé Ainsi, la France est, pendant un temps, leader
d’étudier scientifiquement les phénomènes mé- dans la recherche sur le paranormal.
© Shutterstock
ou entrecroisés, est incompatible avec un moulage que
l’on aurait pu obtenir avec un sujet réel – qui doit
ensuite retirer ses mains des gants de paraffine sans les
casser. De plus, les mains sont parfois de taille réduite,
alors qu’elles ont les caractéristiques de mains adultes.
LA MÉTAPSYCHIQUE Comment expliquer cela ? Ces moulages restent au-
Il est intéressant de savoir que c’est un prix Nobel jourd’hui une grande énigme de l’histoire de l’Insti-
de médecine, Charles Richet, qui proposa, en 1905, le tut », indique Djohar Si Ahmed, psychologue et
HISTOIRES & LIEUX EXTRAORDINAIRES DE FRANCE
100
Le terme « psi » fait son apparition en parapsychologie
en 1942. Venant de la lettre grecque psi, il est mobilisé Le décès du mécène Jean Meyer en 1931 et la Se-
DEPUIS
pour désigner le « facteur inconnu » à l’œuvre dans les conde Guerre mondiale engendrent une diminu-
phénomènes paranormaux. On parle alors de « psi ré- tion des activités de l’IMI. Cependant, le facteur
ceptif » (perceptions extrasensorielles) ou de « psi pro- principal de cet affaissement semble être le refus
jectif » (psychokinèse) mais de nombreux chercheurs culturel de valider les phénomènes psi. De fait, la
PARANORMAL
signalent que le phénomène psi tend à être changeant métapsychique sort progressivement de l’horizon
et plastique. Cette nature élusive du psi expliquerait intellectuel. Non pas parce que les questions
pourquoi les manifestations paranormales évoluent en qu’elle pose sont résolues, mais parce qu’elles sont
prenant tour à tour différentes formes, et pourquoi il simplement laissées en suspens. Seraient-elles trop
est difficile faire rentrer ses manifestations dans les subversives ? Pour Bertrand Méheust, la mise à
cases délimitées d’une objectivité scientifique. Le psi l’écart de la métapsychique relève d’une « intério-
nous échapperait par sa nature même. risation d’un interdit ». En effet, comment la
LE
science pourrait-elle explorer ces phénomènes
ÉTUDIENT
sans « entraîner, en quelque sorte, la société » ? « Le
Une télépathie intercontinentale cadre culturel dans lequel nous évoluons ne possède
pas les outils permettant un véritable examen du
Progressivement, les recherches de l’IMI se phénomène psi. Cela impliquerait un changement
penchent davantage sur les phénomènes mentaux de paradigme encore difficile à promouvoir », in-
du psi, plutôt que physiques. Une figure de proue dique Si Ahmed, auteure de Pour une psychanalyse
ILS
de cette tendance est René Warcollier, chercheur des expériences exceptionnelles. L’institut mythique
distingué en chimie et président de l’IMI. Des an- réussit cependant à maintenir son activité.
nées d’expérimentation lui permettent, au final, En 2019, l’IMI fêtera ses 100 ans. Son existence
de mettre en lumière les principaux mécanismes est-elle encore pertinente ? « Absolument ! Les ob-
qui seraient à l’œuvre dans la télépathie et de per- jets d’étude de l’IMI sont difficilement intégrables
fectionner des méthodes favorisant son appari- par le monde académique. L’institut garde donc vi-
tion. Travaillant en groupe et en binômes parfois vants un questionnement et une réflexion de haut
éloignés par de longues distances, il finit par re- niveau concernant ces phénomènes. Les ramifications
jeter le modèle d’un signal radio voyageant d’une théoriques de ces recherches interrogent les para-
personne à l’autre. « Pour Warcollier, la télépathie digmes actuels de la psychologie et des neurosciences
se base sur un accord intime entre deux personnes cognitives concernant la nature de la conscience.
(une communion) et non sur une transmission (une Cette réflexion demeure également profondément fé-
communication) », note Renaud Évrard, auteur de conde pour la démarche scientifique de manière glo-
Enquête sur 150 ans de parapsychologie. À partir bale », conclut le Pr Thomas Rabeyron.
de 1922, Warcollier met en place des protocoles
transatlantiques avec les États-Unis et acquiert
une renommée internationale. Il est considéré
comme l’un des principaux précurseurs du remote
viewing, méthode de vision à distance élaborée par
les « espions psychiques » au sein du programme
Stargate de la CIA. À la même époque, certains
chercheurs abandonnent les modèles mécanistes
pour s’intéresser à l’intrication quantique ou
à la relativité de l’espace-temps. « Les pionniers
de l’IMI étaient probablement trop en avance
sur leur temps. Ils étaient confrontés à l’époque,
tout comme aujourd’hui, à une phénoménologie
qui semble par certains aspects défier nos outils et
nos modèles scientifiques ainsi que nos représen-
tations de ce qui caractérise la vie psychique à ses
niveaux les plus primaires », souligne Thomas
Rabeyron, professeur de psychologie clinique à Le sixième sens : science et paranormal
l’Université de Lorraine et membre honoraire Mario Varvoglis et Marie-Monique Robin
de recherche à l’université d’Édimbourg. Éd. Le Chêne, 2002, 15 €
Croyances
et légendes
de la mer
Claude Arz
Éd. Le Télégramme, 2010, 15 €
France mystérieuse
Claude Arz, Franck Fouquet
Éd. Sélection Reader’s Digest, 2013, 29,95 €
Chartres
Mgr Michel Pansard, Mgr Joseph Doré, Éd. Place Victoire, 2013, 85 €
Voyages dans la
France mystérieuse
Claude Arz
Éd. Le Pré aux Clercs,
2011, 18 €
L’auteur, spécialiste du patrimoine, nous présente ici une véritable plongée dans
le monde souterrain de France. Grottes, villages troglodytes, gouffres ou gale-
ries creusées... : tout un monde parallèle sous nos pieds, décrypté et agrémenté
de très belles photos.
France interdite
et secrète
Arnaud Goumand
Éd. Dakota, 2015, 49,40 €
Enfin, le troisième volet d’une série initiée par ce passionné d’histoire. Les lieux
magiques et féériques de notre pays sont présentés ici, toujours accompagnés
de textes précis et savoureux et de photos inédites.
Commanderies et
villages templiers
en France
Bernard Crochet, Thierry
Perrin, Éd. Ouest-
France, 2012, 16,50 €
La France mystérieuse
David Galley
Éd. L’Opportun, 2017, 21,90 €
reprenant ces mots : « … Et les maisons, les routes, les ave-
nues, sont fugitives, hélas ! comme les années. » Je crois avoir
compris aujourd’hui. Mon père géographe avait renoncé
à certains voyages après qu’il ait fait le constat amer que le
LE