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Corpus Deae

Anton Parks

Corpus Deae

Éditions Nouvelle Terre


- Le monde en d'autres perspectives -
Conception des couvertures : Anton et Hanael Parks
4• de couverture : modèle Hanael Parks
Dessins, photographies d'Égypte et musées : Anton Parks

Site officiel : www.antonparks.net

© 2017 /Version corrigée 2020, Anton Parks, tous droits réservés


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œ
Ce livre, protégé par des droits d'auteurs,
n'existe qu'en format papier.
Toute version numérique n'est que contre-
façon dont le téléchargement, illégal,
est passible de poursuites judiciaires.
Je dédie cet ouvrage à Serge Killherr
qui m'a soutenu à une époque charnière de ma vie.

Baal (Bel-Marduk) sous la forme d'Horus


Gravure provenant de Galilée
(8' siècle av. J.-C.)
«On devrait honorer davantage la pudeur que met la nature à se cacher
derrière des énigmes et des incertitudes bariolées. Peut-être la vérité est-
elle une femme qui a des raisons de ne pas vouloir montrer ses raisons.»
Friedrich Nietzsche
Le gai savoir, 1886

«Ils ont toujours une mauvaise conduite, et certains d'entre eux tombent
dans l'idol[âtrie, tandis que d'autres] ont [des D]é[mons] qui demeurent
avec eux, [comme] le roi D[av]id, qui établi[t] le(s) fondations de
Jérusalem, et son [fi]ls Salomon, [q]u'il engendra d[a]ns l'ad[ultère] (et)
qui construisit Jérusalem [grâ]ce aux Démons,
du fait qu'il avait reçu [un pouv]oir.
Toutefois, quand il eut fini de [construire, il enfer]ma les Démons [dans
le] Temple (et) il [les mit da]ns sept [jarr]es. [Ils rest]èrent longte[mps da]
ns les ja[rres], délaissés là-[bas]. Quand les Romains fure[nt] m[on]tés à
Jérusalem, ils enlevèrent le couvercle [dés] jarres e[t à ce mo]ment-là les
D[émons] sortirent des jar[res] en courant, comme des évadés de prison,
et les jarres en restèrent purifiées.
[Cepen]dant, depuis ces jours-là, (les Démons) [demeurent] avec les
hommes qui sont dans l'ignoranc[e] e[t ils sont restés su]r la Terre.
Qui donc est [Davi]d, et qui est Salomon?
[Et] qu'est-ce que la fondation?
Et qu'est-ce que le rempart qui entoure Jérusalem?
Et qui donc sont les Démons?
Et qu'est-ce que [les] jarres?[ ... ] ce [sont] là bien des my[stères]. »
Texte gnostique de Nag Hammadi (Égypte)
NH IX,3- Le Témoignage Véritable 70:1-30
TABLE DES MATIÈRES

- Préface de Tau Eléazar ................................................................................ 15


- Introduction de l'auteur ............................................................................. 17

1rePARTIE:
SUR LES TRACES DES ANCIENS ET DU MONT DU TEMPLE
I. Regard sur les patriarches
1. La bataille religieuse et politique d'Ebla..................................... 28
2. Abraham contre la magie des dieux et leur souffle .................. 35
3. L'origine probable de Moïse et des Hébreux :
l'enquête se poursuit... .. .............................................................. 41
II. La route sanglante vers Jérusalem
1. La conquête de Canaan : meurtres, sacrifices à YHWH,
inversions historiques et détournement des rites égyptiens .. 49
2. La Jérusalem de David et Salomon ............................................. 56
3. Le Mont du Temple ....................................................................... 61
4. Le culte de la Pierre Noire et de la Déesse-Mère
au Proche-Orient ........................................................................... 64

2ePARTIE:
LES TEMPLIERS À LA RECHERCHE DE LA PRÉSENCE DIVINE
I. Les origines secrètes de l'Ordre du Temple
1. Présentation et point de vue de Tau Eléazar, haut gradé
de la franc-maçonnerie ................................................................. 74
2. L'Ordre d' Amus et la Fraternité du Serpent ............................. 77
3. L'Ordre d' Amus et la gnose égyptienne d'Alexandrie ............ 81
4. Sylvestre Il, le pape de l' An 1000 ................................................ 88
5. Un étrange voyage en Palestine entre 1104 et 1107... .. ............ 89
6. Michel Psellos et la Société des Frères d'Orient ........................ 90
7. Les Druzes et Assasis .................................................................... 94
8. Bernard de Clairvaux .................................................................... 95
II. Jérusalem dans un monde et désordre
1. L'appel de Jérusalem ..................................................................... 99
2. L'irréalisable mission des Templiers ......................................... 102
3. Des tunnels sous le Mont du Temple ....................................... 106
4. Un fragment de tablette akkadienne de l'époque
d' Akhenaton trouvé à Jérusalem ............................................... 111
III. Les Templiers en Égypte
1. Les voies commerciales entre l'Europe et l'Égypte avant
les Croisades ................................................................................. 117
2. Deuxième Croisade : première présence officielle
des Templiers en Égypte ............................................................. 118
3. L'adoubement de Saladin à l'Ordre des Templiers
à Alexandrie (1167) ...................................................................... 121
4. Quatre années fructueuses en contact avec l'hermétisme
égyptien (1164-1168) ................................................................... 123
5. La perte de l'Égypte (fin 1168) ................................................... 124
6. Retour en Égypte (1218-1221) .................................................... 126
7. Sous le signe de la déesse Bat, forme protectrice d'Hathor ....... 131

3ePARTIE:
L'IMPOSSIBLE MYSTÈRE : DERRIÈRE LE VOILE D'ISIS
I. La faute du Fils de Dieu
1. Rappel historique: la fondation de Babylone .......................... 140
2. Présentation de la fête de l' Akitu .............................................. 142
3. Le début des cérémonies (les trois premiers jours) ................ 144
4. La mort de la déesse Nawirtum
tablette sumérienne G.l.2.b.1725 ............................................... 148
5. Le meurtre de la Mère du Trône en Égypte ............................. 161
II. La Passion et la Résurrection d'Horus, Fils de Dieu
1. La Chute de Lucifer .................................................................... 171
2. L'aveuglement du Porteur de Lumière .................................... 176
3. Le fonctionnement du 3e Œil d'Horus ..................................... 180
4. Le remplacement dissimulé de la Bien-Aimée du Trône
par la Bien-Aimée de la Tour ..................................................... 185
5. Anti Kirist : l'Antéchrist égyptien ............................................. 191
6. Le Démembrement d'Horus et sa Résurrection
grâce à la Porteuse du Graal ...................................................... 194
III. La Passion et la Résurrection de Bel-Marduk, Fils de Dieu
1. Sarpanitu, Porteuse du GAR-A-AL et les deux mar,
piliers du Temple ......................................................................... 203
2. La Porteuse du GAR-A-AL à la recherche du roi déchu;
le procès humiliant du Fils de Dieu et des deux criminels
devant les autorités religieuses (VAT 9555) .............................. 215
3. L'humiliation du roi et l'épreuve de l'eau amère (VAT 9555) ....... 221
4. Le nénuphar bleu ou la drogue de l'au-delà ........................... 226
5. La Passion et la rencontre avec l'invisible ............................... 231
6. L'incubation royale: l'expérience du seuil de la mort
(AO 3023) ...................................................................................... 237
7. Les derniers jours de la fête del' Akitu:
de la Résurrection. au Mariage Sacré ........................................ 249
4•PARTIE:
LES SECRETS DU BAPHOMET ET DU GRAAL
1. Le Baphomet décrypté
1. La chute de l'Ordre du Temple ................................................. 265
2. La tête coupée et son rôle divinatoire ...................................... 271
3. La «tête diabolique» du procès des Templiers ....................... 277
4. Quelques tentatives historiques pour décoder
le Baphomet (Mété, Métis, Mater, Materia) ............................. 283
S. Lumière sur le Baphomet : la véritable identité
de la tête des Templiers .............................................................. 287
II. Le Graal primitif
1. En quête du Graal égyptien et de la flamme intérieure ........ 304
2. Le Feu Sacré venu du Ciel ......................................................... 308
3. Les gardiennes du Feu Sacré, symbole de l'Œil d'Horus
dans les temples égyptiens ........................................................ 309
4. Le Graal sur la tête et l'intervention divine ............................. 318

- Épilogue .......................................................................................... 325


- Annexe .............................................................................................. 329
- Bibliographie................................................................................... 335
PRÉFACE
DE
TAUELÉAZAR

Ma rencontre avec Anton Parks tient-elle du farfelu hasard, de la


mystérieuse destinée ou de la divine providence? La réponse dépend
de l'état d'esprit dans lequel nous l'abordons. Pour ma part, après milre
réflexion, cette rencontre est due à ce besoin universel de la transmission
du savoir.
Dans cette dernière phrase deux mots se télescopent, «transmission»
et «savoir». Nul ne peut prétendre détenir toute forme de savoir, mais
toute une vie utilisée à la recherche d'une certaine forme de connaissance,
par simple curiosité, démontre que tout chercheur de vérité est avant tout
un insatiable curieux.
D'où vient cette curiosité? Pouvons-nous humblement penser que
quelqu'un qui s'intéresse très jeune au côté occulte des choses, s'y intéresse
par simple passion? Pouvons-nous humblement penser que quelqu'un
qui a vécu une éducation judéo-chrétienne traditionnelle se sente investi
par la connaissance des mystérieux Sumériens, alors qu'à aucun moment
il n'en a entendu parler, ni à l'école ni dans sa famille?
Qu'il se sente investi par la vie des Templiers, alors que tant de
choses ont été écrites sur ces derniers?
Pouvons-nous dire que cette personne est passionnée? Ou plutôt
habitée? Qu'est-ce qui pousse un profane à se poser certaines questions?
Anton Parks a toujours cherché à déchiffrer, fouiller, explorer, tel un
inépuisable archéologue, car il est persuadé que tout est écrit quelque part,
et il a raison. Mais chercher dans les musées et bibliothèques ne suffisait
pas, certains «savoirs» sont depuis longtemps détournés, car certaines
personnes ayant déchiffré le sens de certains textes les cachèrent pour les
sauvegarder.
Il y a la lecture scientifique des textes, et ce qu'on appelle la lecture
ésotérique. Anton a su chercher l'information, il lui fallait à présent acquérir
cette double lecture. Pour cela, il lui fallait rencontrer les mystiques,
ésotériques, et ceux-ci se terrent, ne cherchent ni gloire ni marketing.
Chercher la double lecture pour mieux comprendre, avancer encore.
Chaque chose en ce monde a deux faces: le visible et l'invisible, le conscient
et l'inconscient.
Il y a le chimiste et l'alchimiste, le scientifique et le mystique, le
rationnel et l'irrationnel, l'objectif et le subjectif.
Anton a su rallier les deux, atténuer la croyance pour sublimer la
16 CORPUSDEAE

connaissance, et là il nous démontre qu'il a encore gravi une marche, vous


savez, ces fameuses marches du Temple, les marches de l'élévation?

Puis le chimiste et l'alchimiste se rencontrent ...

Une partie de la connaissance n'a jamais été écrite, mais transmise


oralement. Pour l'obtenir il faut rencontrer les détenteurs, et que ces
derniers acceptent de vous les transmettre.
Une partie de la connaissance ne s'écrit pas, car elle n'est plus du
domaine physique, mais du domaine du quantique.
Non, quantique n'est pas un de ces termes New-Age à la mode,
mais bien ce côté encore méconnu que nous appréhendons du bout des
doigts, et qui existe pourtant depuis la nuit des temps. Cette information
invisible, impalpable, cette vision de ce qui se passe derrière le voile,
n'est transmise qu'au travers d'initiations. Les Égyptiens le savaient bien,
mais ils n'étaient pas les seuls. Depuis la nuit des temps, les initiations se
transmettent, d'ordre en ordre, de loge en loge, de chapitre en chapitre, de
collège en collège.

Tout ce que l'on croit perdu, égaré, est pourtant devant nos yeux.
Tout est dans la manière de regarder et d'ouvrir son esprit.

Les rituels égyptiens se pratiquent encore, ils ont traversé le temps à


la gloire d'Isis. Des Chevaliers croisent le fer, des pierres brutes se polissent,
des formules se réalisent dans l' Athanor, se transmutent ...
Tous les jours que Dieu fait ...
Solve et Coagula ...
Tout ce qui est en haut est comme ce qui est en bas ...

Merci à toi Anton de t'intéresser à ce qu'il y a derrière le voile ...

Tau Eléazar
INTRODUCTION
DE L'AUTEUR

Graal et Templiers; la seule évocation de ces mots invite le lecteur


à un voyage au-delà de la conscience humaine, vers un éveil de la
pensée et le souvenir de codes moraux indiscutables. Ce voyage, grâce
aux traductions de textes encore présents à l'époque de Moïse, nous fera
dépasser les frontières du mythe pour nous mener vers la source historique
des événements. Jusqu'ici, notre vision classique du Graal se limitait au
seul trou de la serrure de l'infranchissable porte du domaine de la déesse
de la mémoire grecque, Mnémosyne, dont le nom provient justement
du mot Mnémé, «mémoire». Nous n'allons pas nous rapprocher de cette
serrure pour tenter d'obtenir une meilleure vision d'ensemble qui resterait
forcément limitée, mais plutôt ouvrir cette porte à l'aide d'une clé. Je me
dois pourtant de vous mettre en garde; la vérité historique est rarement
plaisante à découvrir ...

Tout parcours initiatique, car il s'agit bien de cela, offre à l'initié la


vision pénétrante de l'envers du décor. Afin d'acquérir l'étincelle divine,
nous dépasserons les stades idylliques et tellement prévisibles de la quête
transcendantale du héros, pour plutôt nous enfoncer au cœur même de
la matière qui écrase l'esprit. Deux mille ans de culpabilité et de religion
hybride à restaurer! Notre quête sera difficile, elle nous transportera à
la source même du Mystère de la Chute et de l'écroulement de l'horloge
céleste, au moment où Lucifer en personne défia le grand Satan lors d'un
combat singulier. À la lecture de ces quelques lignes, plusieurs exégètes
se gausseront sans doute en assurant d'un ton suffisant que de tels textes
n'existent pas. Le contraire sera pourtant démontré : le Porteur de Lumière
lutta maintes fois contre le grand Accusateur des Nations, c'est inscrit à
l'encre sur de nombreux papyrus et même gravé sur la pierre.
À l'issue d'une de ces batailles divines, le Graal primitif fit son
apparition dans notre monde avec le thème universel de la voie menant
au dépassement de soi-même et à la connaissance du divin. Il ne s'agit
pas du Sang Real («sang réel» en anglais ou «sang royal» en espagnol),
transformé en «Saint Graal» par quelques précédents auteurs égarés dans
le sillage légendaire de Joseph d'Arimathie, personnage charismatique
tiré de l'Évangile apocryphe de Nicodème. Ni même de Marie-Madeleine,
proclamée «porteuse de la lignée christique». Nous parlerons plutôt du
Garâal égyptien maintenu vivant au cœur du temple. Ou encore du GAR-
A-AL, dont les définitions sumériennes nous apportent déjà quelques
18 CORPUSDEAE

indices importants : «distribuer l'entendement de l'image» ou «restaurer


l'entendement de l'image», ou «l'image qui restaure l'entendement», ou
encore GAR-A-AL : «la puissante statue qui restaure», etc.
De quelle statue ou image s'agit-il? Ne serait-ce pas, par hasard, la
fameuse image baphométique des Templiers qui leur porta tant préjudice?
Cette« tête magique», vénérée lors de leurs rituels, se retrouve mentionnée
dans deux articles de l'acte d'accusation du procès templier, nous verrons
cela le moment venu.
D'incalculables stupidités sont encore répandues au sujet de cette
tête. Quant à son étymologie, elle s'interprète toujours de différentes
façons selon les historiens et chercheurs : certains y voient un diable,
d'autres un chat, ou encore une image d'une déesse païenne. La plus
incroyable version, à mon sens, serait que le Baphomet proviendrait d'une
déformation du même mot en langue d'oc pour simplement nommer
Mahomet. Malgré le respect porté par les Templiers au monde musulman,
est-il bien sérieux de penser que ces saints hommes auraient vénéré le
fondateur de l'Islam alors qu'ils priaient quotidiennement la Vierge? C'est
un sacrilège que de diffuser une telle idée! Le verset 51 de la Sourate 5 du
Coran, ne mâche pas ses mots à propos d'une éventuelle alliance entre
Juifs et chrétiens : « Ô vous qui croyez! Ne prenez pas les Juifs et les chrétiens
pour alliés. Ils sont alliés les uns des autres. Quiconque parmi vous les prend pour
alliés sera des leurs. Allah ne guide pas les traîtres.» Pensez-vous sérieusement
que les premiers Templiers, lettrés comme ils l'étaient, n'avaient pas lu le
Coran?
Nous verrons que les historiens et chercheurs de tous bords étaient
loin, vraiment très loin de comprendre ce que renferme le concept de
cette tête énigmatique. En effet, je ne soutiendrai pas une énième théorie
qui ne procurerait rien au dossier, mais j'apporterai plutôt des éléments
inédits dont la radiance nous donnera accès à cette porte, dose depuis de
nombreuses générations. Nous découvrirons également que ce Baphomet
possède un lien assez logique avec le Graal de nos légendes. En quelques
lignes, nous voilà déjà au cœur du Mystère, au centre d'un secret jusque-là
interdit aux néophytes ...

Entreprendre un nouvel ouvrage sur des sujets aussi importants que


le Graal et les Templiers pourrait paraître bien aventureux tant les essais
sur ces sujets envahissent les rayonnages des librairies, bibliothèques et
antiquaires. Pourtant, les lecteurs habitués à mes travaux de recherches se
doutent bien que le voyage proposé ici offrira, une fois encore, de nouvelles
perspectives inédites tirées de recherches personnelles très concrètes,
parfaitement vérifiables, et non d'élucubrations puisées dans le cerveau
foisonnant d'un «apprenti sorcier du Nouvel Âge» ou d'un «prolifique
auteur de science-fiction», comme souhaitent pourtant me cataloguer
certains linguistes et historiens des religions ou pseudo-chercheurs.
Laissons-les à leur place, avec leurs certitudes et leurs esprits fossilisés par
INTRODUCTION DEL' AUTEUR 19

des parcours du combattant où seul «le meilleur» peut recueillir tous les
honneurs.

Il sera signalé plusieurs fois dans cette étude que de multiples


écoles mystiques et intellectuelles, comme la franc-maçonnerie, tirent
leurs origines principalement des Mystères de l'Orient, notamment de
l'Égypte ancienne, mais aussi de Mésopotamie. Ne possédant aucune
notion relative à ce groupe initiatique, à part celles que l'on peut trouver
dans certains ouvrages spécialisés, et comme l'a indiqué le franc-maçon
Tau Eléazar dans la préface, j'ai décidé de rencontrer plusieurs initiés de
cet ordre qui reste pour moi encore bien mystérieux malgré la présence de
quelques amis parmi ses membres actifs.
Avant 2015 et mes apparitions publiques à l'occasion de mes
premières conférences, tout et n'importe quoi se colportaient à mon sujet. À
en croire certains, j'aurais été un membre ou sinon sous l'influence néfaste
de ce groupe, totalement manipulé et sans retour possible ... Certes, on
m'a plusieurs fois proposé d'entrer dans l'Ordre FM, mais je n'en ai jamais
ressenti le besoin, préférant de loin préserver mon indépendance et rester
vierge de tout type d'influence. Il n'en reste pas moins que des groupes
initiatiques comme la franc-maçonnerie, restent assez captivants grâce
aux anciens Mystères qu'ils préservent et perpétuent. Il faut savoir que si
des groupes comme celui-ci furent formés, c'était avant tout en réaction à
l'Église de Rome, trop longtemps aux commandes du pouvoir du monde
occidental. Afin de préserver certains secrets païens, il fallait fuir à tout
prix l'inquisition des catholiques pour faire perdurer les anciens rites dans
de sombres pièces. Loin des regards profanes, tout s'imagine, surtout le
pire! Rituels sataniques, magie noire, meurtres d'enfants ... L'inconnu
fait peur! Ces horreurs existent peut-être en haut lieu, au sein de certains
groupuscules puissants, éventuellement chez des FM, comme ailleurs, je
ne prétends pas le contraire, mais il faut raison garder et rester objectif!

Certains membres de la franc-maçonnerie revendiquent une


connexion templière et prétendent détenir un savoir égyptien depuis
longtemps oublié. Ne se nomment-ils pas «fils de la veuve», comme
Horus, le fils d'Isis? D'autres diront qu'Hiram, le bâtisseur du Temple
de Salomon, portait aussi cette épithète (cf. la Bible, lRrois 7:13-14) ... De
ce fait, par manque de connaissance sur le sujet FM et afin de pouvoir
confronter plusieurs sources différentes, j'ai posé quelques questions
au FM Tau Éléazar sur certains sujets traités. Nous aurons ainsi les avis
éclairés et complémentaires, voire sans compromis, d'un homme intègre
et surtout quelques précisions importantes sur des sujets trop souvent
mal interprétés par des gens prétendant tout connaître sur les FM en les
assignant au banc des accusés ...
20 CORPUSDEAE

Par ailleurs, je tiens à remercier chaleureusement mon ami James


Rooms, de m'avoir donné accès à sa «Bibliothèque du Lion d'Émeraude»,
composée de plusieurs milliers de volumes sur l'histoire, l'égyptologie, la
Mésopotamie, les Templiers, les mystères anciens, etc. Sans cette mise à
disposition, il m'aurait fatalement manqué des éléments essentiels pour
cette étude. Je le remercie également pour le temps passé à me sélectionner
des ouvrages en fonction des sujets dont je lui avais parlés, ainsi que
d'avoir effectué un long voyage de plusieurs centaines de kilomètres
pour m'apporter des derniers documents trois mois avant la remise du
manuscrit à la relecture.

*
* *

Les mondes de la recherche, particulièrement ceux de l'histoire, de


l'archéologie, de l'ethnologie, de l'interprétation de textes antiques, de la
cosmologie, etc., se composent de milliers de piliers désordonnés dont
l'objectif apparent serait de soutenir le temple universel de la connaissance.
Or, ce temple branlant n'est autre que celui d'un chaos dont les fondations
reposent sur du sable mouvant. Les autorités pensantes de ce royaume ont
pris en otage les anciennes connaissances pour créer une fable impossible
à démêler sans une bonne dose de recherche comparative des traditions
orientales et occidentales. Quelques coups dans ce château de cartes et
les connaissances de l'humanité encore disponibles seront balayées dans
l'oubli le plus total. La destruction des cultures et la grande amnésie
semblent programmées de façon périodique à l'image du balancier céleste
qui renverse le siège du monde toutes les vingt-quatre heures. Nul besoin
de s'abandonner à la prophétie pour prédire un clivage des cultures et des
religions déjà amorcé par les migrations de masse ainsi que la destruction
systématique de toute valeur humaine et du patrimoine de l'humanité via
le groupe terroriste « Islamic State of Iraq and Sham », dont l'acronyme
nous donne le nom l.S.l.S. 1, déesse égyptienne à l'origine des Mystères
de l'Égypte ancienne et source de nombreux rites associés aux Templiers
et francs-maçons. Même si les raisons ne sont pas toutes identiques, des
épisodes similaires se déroulèrent il y a près de mille ans avec l'invasion
musulmane de l'Europe et ensuite l'invasion chrétienne de l'Orient ...

*
* *

Avant d'entamer ce nouveau voyage millénaire, au cœur même des


1 En tapant le nom grec de la grande déesse égyptienne sur le Net, le curieux tombera
systématiquement sur des sites et surtout des images de terreur, mélangeant le noir et
!'orange, où des prisonniers agenouillés font face à leurs bourreaux, prêts à les sacrifier en
leur tranchant la tête. Les terroristes souhaitent transformer notre monde en lui ôtant toute
culture et tout type de religion en dehors de leur propre vision déformée de l'Islam.
INTRODUCTION DEL' AUTEUR 21

Mystères d'Isis, je tiens à rappeler aux lecteurs que j'ai grandi dans un
milieu catholique : ayant fréquenté l'Église pendant de nombreuses années,
j'ai tout naturellement connu le parcours habituel de tout bon chrétien
comme le baptême, le catéchisme, la communion solennelle (réception de
l'eucharistie) et la confirmation (sacrement de l'Église).
J'ai d'excellents souvenirs de moments passés auprès des prêtres à
prier et à étudier la Bible ainsi que les paroles du Christ. C'était bien avant
que je ne me lance dans l'écriture et la recherche. Nous étions également
loin, très loin des polémiques actuelles, sans doute justifiées, avec les
problèmes de viols sur mineurs et d'indulgence de la part de quelques
évêques et cardinaux sans scrupule. Bien que certaines accusations soient
souvent fondées et prouvées, nous ne pouvons qu'observer une volonté
évidente de détruire l'Église chrétienne2 et la culture occidentale en
général. Pourquoi? Parce que toute nation sans tradition est condamnée à
l'anéantissement ...
Certains verront peut-être comme une antinomie le fait d'étudier
des textes antérieurs à la religion judéo-chrétienne, et de me voir relever
leurs incohérences dans mes ouvrages, tout en me sachant «un peu
chrétien dans l'âme.» En 2009, ce sujet se retrouva au centre de plusieurs
discussions animées entre le scientifique Gerry Zeitlin, sa femme Malou et
moi-même. Quelques semaines après, le contact s'interrompit pour près de
cinq longues années3, jusqu'au moment où je pris connaissance du décès
de la femme de Gerry. J'appris bien après, par Gerry en personne, qu'il
pensait à tort que je prônais l'idée que la «religion sauverait l'humanité.»
Je n'ai jamais sud' où il tirait cette information erronée, mais je pense plutôt
qu'il aurait été difficile pour un scientifique de sa trempe de concevoir
qu'un chercheur comme moi puisse posséder une âme de Templier, raison
pour laquelle cet ouvrage existe aujourd'hui.
Par ailleurs, je me sens plus proche de l'Église gnostique apostolique4

2 Le viol sur mineurs reste un sujet très grave, mais il n'est pas l'apanage de la seule religion
chrétienne. Les médias ne parlent que des prêtres catholiques alors que ce problème concerne
les doyens de toutes les religions! Posez-vous la question ...
3 Pour rappel, Gerry Zeitlin travailla longuement sur les informations contenues dans Le

Secret des Étoiles Sombres et Âdam Genisi§ des Chroniques du CCrkù via son site Internet. Après
le décès de sa femme, je repris contact début 2014 et nous poursuivîmes nos échanges avec
beaucoup d'enthousiasme. Atteint d'un cancer, Gerry s'éteignit en décembre 2014. Dans la
réédition intégrale d'Adam Genisi§, dédiée à Gerry (parue en 2020 aux Éditions Nouvelle
Terre), les lecteurs intéressés par les Chroniques trouveront tous les éléments explicatifs sur
les raisons de la rupture de nos échanges et travaux en commun. Il ne s'agissait pas de
problèmes relationnels ou intellectuels entre nous deux, ni même d'ordre religieux, mais de
l'intervention d'un tiers affilié aux services secrets américains. Je sais parfaitement que cela
peut paraître incroyable, mais c'est pourtant véridique : j'en ai pour preuve tous les messages
privés de Gerry Zeitlin. Avoir repris contact un an avant le décès de Gerry, et avoir compris
ce qui s'était véritablement passé à notre insu, nous permit de faire la paix sur cinq longues
années d'incompréhension. Il y eut une volonté de stopper nos travaux en commun et de
freiner la sortie de mes ouvrages en langue anglaise, c'est certain.
• L'Église gnostique apostolique est considérée comme un cercle ésotérique par certains et
comme une secte chrétienne par d'autres.
22 CORPUSDEAE

que de l'Église chrétienne. A défaut de croire en Dieu, je crois plutôt en une


Source de toute chose. Je ne relève pas la présence de Dieu ou du Saint-
Esprit dans un lieu, mais plutôt l'énergie que les gens y mettent, celle du
cœur. Plusieurs de mes amis proches font partie de l'Église gnostique, la
seule avec l'Église anglicane d'Angleterre, à ordonner des femmes prêtres
et évêques. L'Église gnostique apostolique est par contre la seule à faire
référence aux textes gnostiques et à les considérer très sérieusement. Mes
lecteurs savent depuis le début à quel point je considère positivement ces
textes sacrés généralement issus d'Égypte.
D'un autre côté, je ne peux pas renier mon grand intérêt pour les
religions et divinités «païennes», particulièrement celles de l'Égypte
ancienne : il m'arrive régulièrement d'avoir des pensées pour Isis et Osiris;
le contraire serait étonnant alors qu'une part importante de mon travail
consiste à réhabiliter l'histoire du clan osirien.

*
* *

Ce nouveau livre de recherche s'inscrit dans ma série d'essais et


fait suite à La Dernière Marche des Dieux (2013) et Le Chaos des Origines
(2016, réédité en 2020 chez les Éditions Nouvelle Terre). Mon enquête
reprend précisément là où elle s'achevait avec mes recherches sur le Moïse
historique.
Que découvrirent les Templiers à Jérusalem qui leur procura
puissance et respect? Le Graal? L'Arche de Moïse? Ou bien avaient-ils
réellement la mission initiale de protéger les pèlerins chrétiens en quête
d'exaltations et de libération du Saint-Sépulcre? Vaste sujet maintes fois
abordé dans d'autres études, mais limité par l'ivresse d'un mystère sans
cesse renouvelé et surtout réduit à un symbolisme souvent mal interprété.

Très concrètement, je ne propose pas un énième ouvrage sur les


Templiers, ni même une recherche sur leurs mœurs et coutumes. Beaucoup
d'études très sérieuses répondent admirablement à ces questions. Corpus
Deae ne va pas non plus se perdre dans des recherches infinies sur le
«contenant» et «contenu» d'un Graal énigmatique et inaccessible au
commun des mortels, ni même s'égarer dans les sillages légendaires de
personnages bibliques proches du Christ, à qui l'on attribue bien souvent
l'origine du Graal...
Non, j'invite plutôt le lecteur à me suivre sur des sentiers jusque-
là inexplorés, mais très concrets, grâce à la mise en lumière de textes
sacrés tirés du Proche-Orient ancien. Ces documents contemporains
d' Akhenaton faisaient très certainement partie de sa grande bibliothèque
d'El-Amama. Râmosé, le grand vizir d' Akhenaton, responsable des prêtres
et des documents royaux, les connaissait parfaitement. A la fois égyptiens
et akkadiens, donc rédigés dans la langue diplomatique de cette époque,
INTRODUCTION DEL' AUTEUR 23

ces papyrus et tablettes d'argile racontent une même histoire connue des
scribes d'Égypte et de Babylonie : celle du fils de Dieu, responsable du
Graal primitif et du Mystère de la déesse des Origines, source de puissance
et de pouvoir.

Le voile d'Isis va-t-il enfin se lever et divulguer aux yeux du


profane le Secret le plus inavouable au monde? Dissimulé à tout prix par
les Templiers, au sacrifice même de leur vie, ce fameux Secret aurait pu
ébranler les trois grandes religions monothéistes ...

Anton Parks
tre PARTIE

SUR LES TRACES DES ANCIENS


ET DU MONT DU TEMPLE
1
Regard sur les patriarches

Il aurait été impossible de démarrer ce voyage millénaire sans


évoquer le patriarche Abraham (approx. entre 2038 et 1863 av. J.-C.},
première figure emblématique dont le regard se porta sur le Mont du
Temple, lieu mythique où, selon les traditions, les Hébreux déposèrent
l'Arche d' Alliance de Moïse, l'ancien Vizir du Pharaon fou.

En Gn 11:3, la Bible indique qu'Abraham et une partie de sa


famille quittèrent Ur, leur ville d'origine de Chaldée (nom biblique de
la Mésopotamie5}, pour se diriger vers Canaan. Plusieurs spécialistes se
déchirent encore aujourd'hui pour déterminer où se trouvait la ville d'Ur
d'Abraham. Certains pensent logiquement qu'il s'agirait de l'ancienne cité
sumérienne d'Urim, située au sud de la Mésopotamie et d'autres d'Urfa,
localisée bien plus au nord, dans la Turquie actuelle, près de la frontière
syrienne. Cette dernière se trouvant beaucoup plus proche d'Harran, ville
où Abraham et les siens vécurent quelques années, le temps pour Abraham
de faire fortune et d'être contacté par Dieu (cf. Gn 12:1-5). L'emplacement
de l'Harran biblique ne fait aucun doute; elle se situait au croisement de
pistes caravanières et de voies d'accès commerciales reliant la Syrie à la
vallée du Tigre et menant vers !'Euphrate ainsi que le golfe Persique.
Où donc, entre Akkad et Sumer, se trouvait réellement la patrie
d'origine d'Abraham, la fameuse Ur biblique? Des pistes s'offrent au
chercheur persévérant. Notons la présence de l'annotation« Ur à Harran »
dans une tablette de Tel Mardikh (Ebla) découverte en 1976, ce qui
5Nom donné à l'origine à l'ancienne région du sud de la Mésopotamie située entre l'Euphrate
et le Tigre. A partir du 7• siècle av. J.-C., les sources grecques et romaines désignent sous
le nom de Chaldéens les tribus nomades occupant la basse Mésopotamie, lesquelles se
mélangèrent aux Babyloniens. Les traditions reprises par les scribes hébreux dans les textes
bibliques confondront ensuite Babylonie et Chaldée et donc Babyloniens et Chaldéens. Par la
suite, la Chaldée devint, par anachronisme, synonyme de Mésopotamie ...
28 CORPUSDEAE

indiquerait qu'une ville d'Ur se trouvait bien dans la région d'Harran6,


donc au nord de la Mésopotamie.
En démarrant cette enquête, je portais de grands espoirs sur Tel
Mardikh (Ebla), cité fabuleuse située entre la Mésopotamie et la Judée. Son
sol devait obligatoirement nous révéler quelques mystères en relation avec
la Bible primitive et ses patriarches comme Abraham ou encore Moïse ...
Pointilleux comme je le suis, je me mis en tête de vérifier ces informations.

1. La bataille religieuse et politique d'Ebla

Le commencement des fouilles sur le site de Tel Mardikh démarra en


1964 grâce aux efforts de la Mission archéologique italienne de l'Université
de Rome. Les observations préliminaires et les sondages limités des
premières années n'offrirent que de la céramique de surface. En 1968,
la découverte d'un fragment de statue permit d'identifier le site de Tel
Mardikh avec l'antique Ebla des textes mésopotamiens. On connaissait la
renommée du royaume d'Ebla grâce aux archives d' Akkad dans lesquelles
cette cité apparaît comme le cœur d'un puissant royaume économique.
Cette puissance économique et politique d'Ebla résultait de sa position
géographique qui lui accordait le contrôle des routes principales entre la
Mésopotamie et la Méditerranée. Située à environ 55 km d' Alep, entre la
Mésopotamie et la Judée, Ebla approvisionnait en bois, en métaux et en
tissus les plus grands axes et centres de haute Mésopotamie.
Parmi les nombreuses découvertes réalisées par les archéologues
italiens en charge de cette mission, les fouilles effectuées sur le site permirent
de dégager en 1975, une incomparable salle des archives. Plusieurs des
17000 tablettes en argile arrachées des sables seraient contemporaines de
l'époque d'Abraham étant donné que les plus anciennes dateraient de 2500
à 2250 av. J.-C. 7 Les deux spécialistes de l'époque, appartenant à l'équipe
italienne, ne sont pas d'accord sur les dates des plus anciennes tablettes.
Pour Paolo Matthiae, chef de la mission archéologique, ces tablettes
dateraient de 2400 et 2250 av. J.-C. alors que pour Giovanni Pettinato,
l'épigraphiste de la mission, elles dateraient plutôt de 2580 à 2450 av. J.-C.
Environ 80 % de ces tablettes sont rédigées en sumérien, les autres étant
dans une langue sémitique inconnue à l'époque et, de ce fait, baptisée
éblaïte par les chercheurs. Le système verbal de la langue éblaïte présente
de grandes affinités avec le système verbal de l'hébreu et du phénicien,
tandis que le lexique éblaïte trouve des correspondances en ougaritique et
6Cyrus H. Gordon, «Abraham and the Merchants of Ura>>, JNES 17 (1958), p. 28-31.
7 2250 av. J.-C. correspond au premier arrêt de production de tablettes en raison de la
destruction de la ville par les rois d' Akkad. D'autres vagues de compositions survinrent
après cette destruction, mais il est difficile de les déterminer en raison de l'état des tablettes.
42 tablettes furent découvertes en 1974, près de 15000 lors des fouilles de 1975 et 1630 lors
de la campagne de 1976. Parmi elles se trouvaient 1727 tablettes complètes, 4770 en gros
fragments et près de 10000 petits fragments et éclats.
REGARD SUR LES PATRIARCHES 29

enhébreu8 •••
Les linguistes et scribes éblaïtes utilisèrent la phonétique et les
syllabes sumériennes, ainsi que l'écriture cunéiforme sumérienne
prédominante à l'époque pour élaborer leur propre langage et écriture.
Tout porte à croire que les Eblaïtes ne parlaient pas véritablement
sumérien et qu'ils durent apprendre la langue et les signes sumériens pour
les adapter à leur idiome. Pour effectuer cet exploit, ils disposaient d'un
matériel didactique très perfectionné retrouvé sur place. Les archéologues
déterrèrent des syllabaires et des manuels pour apprendre le sumérien, de
la grammaire éblaïte et 114 vocabulaires bilingues (sumériens-éblaïtes)9,
avec, dans certains cas, la prononciation des mots étrangers. Plusieurs
indices laissent à penser que les scribes d'Ebla écrivaient en sumérien
et lisaient en éblaïte. Comme l'indique Jean-Louis Ska (exégète belge et
professeur de l'Ancien Testament) : «Un peu comme aujourd'hui, un
Japonais emploie un grand nombre d'idéogrammes chinois, mais les lit et
les prononce d'une manière différente de celle des Chinois10• »
Giovanni Pettinato, assyriologue reconnu comme le grand
descripteur de la langue éblaïte et en charge des traductions des tablettes
d'Ebla, repéra parmi les documents en argile plusieurs noms bibliques
comme le roi EB-RI-UM qui évoquerait Eber, fils de Sem et ancêtre
d'Abraham. Apparaîtraient également les noms AB-RA-MU (Abraham?),
DA-U-DUM (David?), IS-MA-IL (Ismaël?) ou encore MI-KÀ-IL11 (l'ange
Mikael?), le dieu YA (Yahvé?), des noms comme IS-RA-IL1 2 et IS-RA-YA
(Israël?), ou encore, gravés dans la tablette TM.75.186013, les noms 51-DA-
MU et È-MA-RA que l'on trouve en ancien hébreu sous Sêdom et Amôrâ
(Sodome et Gomorrhe) 14 ••• de quoi laisser perplexes les spécialistes de
L'Orient ancien.

Entre 1974et1978, le professeur Matthiae, responsable des fouilles, et


son épigraphiste en chef, Giovanni Pettinato, enchaînèrent les conférences
ainsi que les articles dans des revues spécialisées et pour le grand public.
Ils annoncèrent avoir trouvé des éléments visant à établir une possible
connexion entre Ebla et certaines données del' Ancien Testament. Giovanni
Pettinato repéra également plusieurs passages en référence directe avec le

8 René Lebrun, «Les fouilles de Tell Mardikh (Syrie) : des découvertes capitales'" in Revue
théologique de Louvain, 8• année, fasc. 3, 1977, p. 389.
•La première fut trouvée le 4 octobre 1975 et porte le n° TM.75.G.2000.
10 Jean-Louis Ska, «Les découvertes de Tell Mardikh - Ebla et la Bible», in Nouvelle Revue

Théologique, tome 100, 1978, p. 393.


11 Archi Bib. 60 (1979) 2399, rev. VII 9.

12 Archi Bib. 60 (1979) 2374, obv. m 4.

13 Boyce Rensberger, «Syria Accused of Trying to Suppress Clay Tablets Cache», in Sarasota

Herald Tribune, 19 avr. 1979, p. 15 & «Lost .Kingdom Meets Modem Politics», in Chicago
Tribune, 21 avr. 1979, p. 10.
14 Hans H. Wellisch, «Ebla: The World' s Oldest Library >>, in The Journal of Librairy His tory

(1974-1987), vol. 16, n° 3 (Été 1981).


30 CORPUSDEAE

début de la création biblique, non pas sur une tablette, comme le signifièrent
certains détracteurs plus tard, mais sur trois tablettes référencées comme
suit : TM.75.G.1682, TM.75.G.2196 et TM.75.M.250015 •

1. Découverte des tablettes d'Ebla. Site de Tell Mardikh en Syrie.

La presse s'enflamma. La découverte prit très vite une tournure


politique et certains milieux sionistes américains s'emparèrent de l'affaire.
Malheureusement, la mission italienne en charge des fouilles se trouvait en
Syrie, dans une zone géographique, politique et religieuse où l'évaluation
impartiale de tels résultats semble impossible à diffuser publiquement.
Le gouvernement syrien voulut enrayer toute polémique en mettant
l'accent sur l'ancienneté de la civilisation syrienne tout en «réfutant les
allégations visant à défigurer l'histoire syrienne.» Le Dr Afif Bahnassi,
Directeur général du Département des Antiquités syriennes réclama à
l'équipe italienne de concéder un accent protosyrien à leur travail plutôt
qu'une valeur biblique dont personne ne souhaitait entendre parler en
Syrie. Comment des éléments bibliques pouvaient-ils se trouver en pays
islamique? Dans une interview donnée au Biblical Archeology Review
(BAR 05-05 de septembre/ octobre 1979), Sabah Kabbani, l'ambassadeur de
Syrie aux États-Unis, fit objection aux premières publications de Giovanni
Pettinato, lesquelles démontrent l'importance des tablettes d'Ebla et leurs
15 Giovanni Pettinato, «Ebla and the Bible», Biblical Archeology Review, 6:06, nov-déc 1980.
REGARD SUR LES PATRIARCHES 31

rapports avec les études bibliques : «Le professeur Pettinato a essayé


de fournir des interprétations des tablettes d'Ebla avec une dimension
politique. C'est ce que nous n'apprécions pas16 • »
Giovanni Pettinato, relevé de sa seule autorité sur les tablettes,
fut «invité» à rejoindre un comité de 10 personnes spécialement conçu
pour éplucher son travail, un groupe surtout mandaté pour minimiser
les premières interprétations. La polémique monta d'un cran. Sous la
pression de la Syrie, le directeur de la mission italienne, Paolo Matthiae,
recula subitement en annonçant dans une publication syrienne que «Ces
allégations [reliant les tablettes d'Ebla et la Bible] furent propagées par
les centres sionistes américains pour être exploitées à des fins atroces
visant à prouver l'expansionnisme colonialiste des dirigeants sionistes.»
Paolo Matthiae prit ensuite l'initiative inhabituelle d'écrire à un certain
nombre de revues savantes en leur recommandant de ne pas publier les
tablettes sans son autorisation; nul universitaire ou archéologue n'avait
fait cela avant lui1 7• Giovanni Pettinato recula légèrement à son tour via
des articles scientifiques afin de calmer les esprits et éviter un désastre
politique. Sous l'influence de la Syrie, il tenta de minimiser certaines de
ses traductions, ce qui irrita la presse internationale. Au fil des semaines,
Pettinato se retrouva face à un dilemme insurmontable : celui de devoir
gérer l'implication évidente de signer une décharge quant au lien biblique
ou bien d'être rejeté de la communauté scientifique.
Toute recherche archéologique au Moyen-Orient est politique. Les
archéologues travaillent dans une ambiance survoltée et toute découverte
se retrouve impliquée dans des histoires politiques ou religieuses. Chaque
archéologue doit faire preuve de diplomatie sous peine d'être rejeté ou
de risquer sa vie. Accusé par la Syrie de participer au complot sioniste,
Giovanni Pettinato «finit par démissionner» de son poste de traducteur
officiel pour le compte de l'équipe italienne en charge des fouilles sur le
site ... Pettinato classa 6500 tablettes, mais en étudia seulement près d'un
millier avant son départ.
Étrangement, trois ans après l'annonce des découvertes, fin
1979, le débat cessa net via des communiqués comme celui relayé par
le Washington Post18 • Robert Biggs, professeur d'assyriologie à l'Institut
Oriental de l'Université de Chicago, se fit l'avocat du Diable durant les
années suivantes en tentant de remettre en cause le travail de Giovanni
Pettinato, pourtant mondialement reconnu pour ses multiples traductions
sumériennes et akkadiennes conservées dans des musées comme ceux de
Londres, Bagdad et Istanbul.
Alfonso Archi, remplaçant épigraphiste de Pettinato, prit la relève
en rectifiant certaines traductions de son prédécesseur afin de supprimer
tout lien biblique. Les trois tablettes dites de la création (TM.75.G.1682,
16 Biblical Archeology Review, 6:03, Ebla Update, mai-juin 1980.
17 Biblical Archeology Review, 6:03, Ebla Update, mai-juin 1980.
18 Thomas O'Toole. «Ebla Tablets: No Biblical Claims », The Washington Post, 9 décembre 1979.
32 CORPUSDEAE

TM.75.G.2196 et TM.75.M.2500) restèrent incompréhensibles pour


Archi : « ... les textes d'Ebla étant difficiles à traduire en général», selon
ses propres propos19• Ceci le contraignit à conclure qu'il ne se trouvait
aucun document de la création dans les tablettes d'Ebla (sic). Il semblerait
qu'Alfonso Archi accumula les erreurs grossières de traductions, comme le
démontre très clairement son prédécesseur dans son article détaillé de la
Biblical Archeology Review 6:06 de nov.-déc. 1980.
Malgré des débuts laborieux, en pleine polémique, Alfonso Archi
pot.1rSuivit son travail d'épigraphiste au sein de l'équipe italienne. Depuis
sa nomination subsiste l'idée d'un beau gâchis et le goftt amer de la
discorde; ceci malgré un encensement disproportionné de sa personne
dans le milieu de l'Orient ancien, sans doute pour faire oublier son
étrange nomination et le lynchage de son prédécesseur! On notera le peu
d'ouvrages publiés en son nom sur le sujet d'Ebla, l'intéressé s'étant plutôt
consacré aux articles spécialisés. La diffusion des fameuses tablettes se
déroule au compte-goutte; seules quelques-unes sont disponibles dans des
livres universitaires et certains articles savants. Un site leur est consacré :
Ebla Digital Archives -A Project of Ca' Foscari, University of Venice2°. Plusieurs
centaines de tablettes s'y trouvent à la vue des chercheurs et universitaires,
mais nous sommes très loin du compte. Sans chercher à trouver du mystère
là où il n'y en a aucun, c'est assez étrange. Parmi les ouvrages savants
édités sur le sujet d'Ebla, nous pouvons également noter la présence de
plusieurs articles de Gary Rendsburg (chercheur et historien spécialisé
dans l'histoire antique d'Israël), dans les quatre volumes Eblatica21, où
l'érudit multiplie les rapprochements linguistiques entre la langue eblaïte
et l'hébreu ... Mais chut, ne faisons pas trop de bruit ...
De son côté, Giovanni Pettinato, en possession de nombreuses
photographies des tablettes d'Ebla, poursuivit leur traduction et
publication de façon indépendante. En 1980, il possédait 987 photographies
de tablettes. Il publia nombre d'ouvrages en langue italienne, dont deux
traduits en anglais. Ces derniers forment une bonne synthèse de son travail
parfaitement universitaire, sans aucune émotion ni même en rapport avec
son lynchage et son rejet de la communauté scientifique.
*
* *

Le site d'Ebla fit l'objet de fouilles intensives à partir de 1968 jusqu'à


la dernière campagne de 2009-2010. Début 2011, la guerre civile syrienne
stoppa net les fouilles officielles et le site fut abandonné au profit de
groupes armés grâce auxquels s'infiltrèrent des excavations clandestines,
19 Alfonso Archi, «The Epigraphie Evidence from Ebla and the Old Testament», Biblica, 60,
1979.
20 www.virgo.unive.it/ eblaonline/ cgi-bin/home.cgi

21 Cyrus H. Gordon, Gary A. Rendsburg &: Nathan H. Wmter, "Eblatica - Essays on the Ebla

Archives and Eblaîte language », Center for Ebla Research, New York University, Eisenbrauns,
4 vol., 1987, 1990, 1992 et 2002.
REGARD SUR LES PATRIARCHES 33

hors du contrôle des autorités du pays. Des images satellites du site, datant
de 2014, dévoilent des zones entièrement détruites et retournées par des
engins mécanisés22 • L'humanité perd ainsi des milliers d'années de son
histoire et de son patrimoine.

Un fait essentiel ne pourra cependant jamais être remis en cause


par des conflits idéologiques ou religieux : des traces d'un camp militaire
de l'époque des premières Croisades furent détectées sur le site de Tel
Mardikh / Ebla par l'équipe de Paolo Matthiae.
En 1114, soit près de quatre ans avant la fondation de l'Ordre du
Temple, un certain Robert de Saône, dit fils de Foulque, fit donation du
Casal Merdic à l'abbaye Notre-Dame de Josaphat de Jérusalem23 • Paul
Deschamps, historien médiéviste, membre de l'Académie des inscriptions
et belles-lettres, assimile le domaine Merdic des Croisés à Mardikh (Ebla)
situé à 26 km au sud de Zerdana (Sardone}24 •
Le destin prend parfois une tournure bien étrange; en effet, il est
incroyable de constater que l'on rattacha le domaine d'Ebla à Jérusalem au
temps des Croisades. L'abbaye Notre-Dame de Josaphat de Jérusalem se
situait entre les murs de Jérusalem et le mont des Oliviers, dans la vallée
du Cédron (litt. «tristesse» en hébreu) où la tradition nous rapporte que le
Christ connut l'agonie juste avant sa crucifixion. À l'endroit où se trouvait
l'abbaye Notre-Dame de Josaphat de Jérusalem se dresse aujourd'hui
l'Église du sépulcre de la Sainte Vierge Marie25 • L'abbaye Notre-Dame de
Josaphat de Jérusalem, comme tous les monastères de Jérusalem, possédait
des biens très importants en Orient latin. On retrouve même dans les
archives, des accords conclus entre cette abbaye et les Templiers en 1183 et
1198.

Robert de Saône, à qui appartenait le domaine d'Ebla, incarne un


personnage considérable dans l'histoire de la principauté d'Antioche,
un des États latins d'Orient constitué par les Francs lors de la première
Croisade. Il fut le principal vassal du prince d'Antioche, Bohémond Il,
lequel épousa la fille de Baudouin Il, roi de Jérusalem.
Le 14 août 1119, à la tête d'un corps de cavalerie à la solde du roi
Baudoin Il, il mit l'armée musulmane en déroute à Tell Danit. Croyant à
une victoire définitive des troupes franques, il se porta au secours de sa

22 Satellite-based Damage Assessment to Cultural Heritage Sites in Syria, Unosat / Unitar -

The United Nations Institute for Training and Research, Palais des Nations CH-1211 Geneva
10, Switzerland, 2014.
23 Lodovico Muratori, Antiquitates ltalicae, Il, Arretii -Typis Michaelis Bellotti, 1773, p. 905.

24 Paul Deschamps, Les chdteaux des Croisés en Terre Sainte, volume ill, Paul Geuthner, 1973,

p. 221. En 1114, Robert le Lépreux (seigneur de Saône) apparaît dans un acte de donation
du Casai de Merdic (Ebla) à Notre-Dame de Josaphat de Jérusalem qui deviendra en 1130
l'abbaye Sainte-Marie de la vallée de Josaphat.
25 L' Abbaye Sainte-Marie de la vallée de Josaphat, où se trouve aujourd'hui l'Église du

sépulcre de la Sainte Vierge Marie, fut ravagée en 1187 par Saladin.


34 CORPUSDEAE

ville de Zerdana (Sardone), mais ayant appris en chemin sa capitulation, il


revint sur ses pas. Sur la route, il rencontra alors un contingent musulman
qui dispersa ses hommes et le blessa. Cinq jours plus tard, Robert de Saône,
diminué, fut retrouvé par l'ennemi et fait prisonnier. Pour échapper à une
mort certaine, il se fixa lui-même une rançon conséquente de 10 000 pièces
d'or. Son ami, l'émir de Damas, Togtekin26, le somma de se faire musulman,
mais Robert de Saône refusa fièrement. L'émir furieux, et sans doute vexé
par ce refus, tira son épée et trancha la tête de son ancien ami. Ayant fait
dépouiller le crâne de sa peau, il chargea un habile orfèvre de faire de ce
crâne une coupe à boire ornée de diamants27 •

*
* *

La piste d'Ebla m'aura finalement mené vers un cul-de-sac. Plusieurs


mois d'enquête pour aboutir à une situation paradoxale! Des dizaines de
milliers de tablettes d'argile récupérées lors des différentes campagnes
de fouille pour n'offrir que des traductions problématiques ainsi que des
contradictions et des interrogations. Je n'allais pas m'engager davantage
dans ce monde où archéologie et politique vont de pair. Ni même dans un
combat qui n'était pas le mien en me lançant dans de pénibles vérifications
et des traductions de textes cunéiformes à partir des quelques archives
disponibles sur le site Ebla Digital Archives - A Project of Ca' Foscari,
University of Venice. Tout cela aurait pris au moins deux à trois années de
travail supplémentaire pour juste vérifier la présence effective des anciens
patriarches et de noms hébreux dans ces documents bien antérieurs à la
Bible.

L'enquête démarrait donc sur un échec cuisant, mais je gardais bon


espoir, connaissant toutes les découvertes déjà accumulées durant près de
23 ans28• Il me manquait encore quelques indices pour effectuer les liaisons
entre les thèmes abordés et il me restait surtout quelques traces historiques
incontestables à découvrir avant la finalisation de cette étude.
Cette première incursion historique aura toutefois permis d'associer
l'ancienne Ebla avec des thèmes liés directement à notre enquête sur le
26 En juillet 1115, Togtekin de Damas et Ghazy Il, prince de Mardin, demandèrent une alliance
avec Robert de Saône pour combattre l'émir Boursouk de Mossoul. Alliance acceptée et
conclue au camp musulman, au bord du lac de Homs. Robert de Saône se lia d'amitié avec
l'émir Togtekin dans ces circonstances.
27 http: / /www.templiers.net/ orient-latin/ index. php ?page=chateau-de-saone

28 Mes recherches sur le Graal primitif démarrèrent en 1993, lors de la composition musicale

et la rédaction des livrets qui accompagnent mes trois albums sur le Cycle du Graal. Les titres
des albums sont les suivants : « Mag Tured » (1994-1995), «The Wound » (1995) et « Dark Ages»
(1996 ). À cette époque, je portais le nom d'emprunt Wolf Lintz. Plusieurs magazines musicaux
importants comme Keyboards (n° 100 - juin 1996, et n° 141 - mars 2000) ainsi que Rock & Folk
(n° 346 - juin 1996) publièrent des critiques positives sur plusieurs de mes disques. Pour
plus de détails, voir la biographie de l'auteur, Du Plérôme à la Matière (Nouvelle Terre, 2019)
REGARD SUR LES PATRIARCHES 35

Graal primitif et les Templiers : une tête coupée transformée en coupe ou


objet sacré ... D'anciennes archives compromettantes que nul ne souhaite
traduire de façon impartiale. La mort de la Sainte Vierge matérialisée par
son tombeau et la Passion du fils de Dieu, événements tous deux reliés de
façon improbable à l'ancienne Ebla mentionnant le patriarche Abraham,
premier personnage biblique à avoir mis les pieds sur le Mont du Temple ...

2. Abraham contre la magie des dieux et leur souffle

Reprenons notre parcours historique en compagnie du premier


patriarche des trois grandes religions, lequel nous mènera à l'endroit
même où s'établirent les premiers Templiers. Nous avons évoqué plus
haut l'interrogation du milieu archéologique quant à la réelle provenance
d'Abraham. Venait-il de la ville d'Ur en Mésopotamie du sud ou bien
d'Urfa située en Mésopotamie du Nord, dans la Turquie actuelle, près de
la frontière syrienne?
La Genèse semble peut-être accréditer la géographie du nord de
la Mésopotamie dans l'épisode où Abraham demande à son serviteur
d'aller chercher une femme pour son fils Isaac, «dans son pays, dans sa
parenté» (Gn 24:4) en précisant plus loin, en Gn 24:10: que «le serviteur
se mit en route pour l' Aram Naharayim », c'est-à-dire l' Aram des deux
Fleuves, la Haute-Mésopotamie où se trouvait la région d'Harran29 • Autre
témoignage plus loin, en Gn 28:2, où Isaac dit à Jacob de ne pas prendre
une femme parmi celles de Canaan, mais d'en choisir une chez le père de
sa mère, à Padam-Aram, à savoir la plaine d' Aram, la plaine du nord de la
Mésopotamie où se situe la ville d'Harran.
Dilemme géographique ... Rien n'est certain, le débat reste ouvert.
D'éminents savants et archéologues situent bien la patrie d'Abraham à Ur,
dans le sud de la Mésopotamie comme, par exemple, le célèbre archéologue
Israël Finkelstein, à qui l'on doit des chantiers de fouilles importants30 •
Gardons simplement en mémoire que la ville natale du futur grand
patriarche se trouve quelque part en Mésopotamie, près de l'Euphrate,
dans un pays riche et prospère. Abraham devait obligatoirement connaître
Babylone, sous ses véritables noms KÂ-DIGIR et BÀ'AB-ILI2, respectivement
traduits en sumérien par «la porte de(s) dieu(x) » et «l'ouverture qui
transporte les vivants». Depuis l'installation de la dynastie amorrite (2004
av. J.-C.), Babylone incarnait un royaume à l'essor rapide et spectaculaire31 •
29 Aram veut dire «la nation», «élevé» ou encore «la Syrie» en hébreu. Aram Naharayim se
traduit généralement par «la nation des (deux) fleuves», à savoir la Mésopotamie, mais peut
également se traduire par «la Syrie des (deux) fleuves.» Dans ce contexte, l'utilisation du
terme Aram implique une indication géographique qui pointe le nord de la Mésopotamie où
se trouve justement la Syrie.
30 Cf. Israël Finkelstein & Neil Asher Silberman, La Bible dévoilée, Éditions Bayard, 2002.

31 Babylone est même antérieure puisqu'elle s'est développée à l'époque d'Ur III, au 21•

siècle avant notre ère. On y a même trouvé une occupation préhistorique avec la découverte
36 CORPUSDEAE

Abraham a dû assister aux cultes des dieux et des idoles, instaurés


entre les deux fleuves depuis le commencement du royaume de Su-
mer.

Les tablettes d'Ebla nomment Abraham AB-RA-MU, dont la


décomposition sumérienne nous donne littéralement «le père qui frappe
les présages». De quels présages s'agit-il? La Bible et surtout l'exégèse
juive vont nous apporter une réponse.
À l'image de tout bon Sumérien, le père d'Abraham, Terach (nommé
Terah dans la Bible), honore les dieux comme en témoigne le verset 24:2
de Josué. L'exégèse biblique, Midrach Rabba (Genèse Rabba), tirée des
traditions orales juives, apporte quelques précisions sur ce personnage
énigmatique qui fut sans doute, malgré lui, l'instrument de la vocation
religieuse de son fils. Dans le chapitre 38 de la Genèse Rabba, le Rabbi
Hiya précise que le père d'Abraham était un fabricant d'idoles. Un jour,
alors qu'il doit se déplacer hors de sa ville d'Ur, Terach envoie son fils
vendre ses idoles sur le marché. Mais Abraham, n'étant pas en accord
avec la religion sumérienne, se moque des acquéreurs potentiels en vue
de les dissuader d'acheter les statuettes divines. L'histoire se poursuit
avec une scène cocasse où une femme apporte un plat de farine pour les
idoles et demande à Abraham de leur offrir ce présent. Pris de colère,
Abraham se lève avec un bâton dans les mains et fracasse les idoles en
laissant l'instrument destructeur dans les bras de la plus grande statuette.
Rappelons en aparté que cette scène semble accréditer le nom éblaïte
d'Abraham, AB-RA-MU («le père qui frappe les présages»), ce qui
accorderait un attrait supplémentaire à ces tablettes délibérément mises de
côté par la communauté scientifique.
De retour en ville, le père d'Abraham constate les dégâts et demande
à son fils ce qui s'est passé. Ce dernier lui répond avec insolence et
beaucoup d'ironie que les idoles se sont battues avec le bâton pour manger
la farine ... Abraham souhaitait simplement anéantir le culte des idoles. Il
faut savoir également, et nous le verrons un peu plus loin, qu'à l'époque
où se déroule l'Ancien Testament, les Hébreux ne vénéraient pas un dieu
unique, mais aussi Asherah et son pieu à la forme phallique ...

*
* *

Provenant du fond des âges, le culte des idoles, de la Déesse-


Mère, des astres, des ancêtres et dieux protecteurs, était très présent en
Mésopotamie comme en Égypte. À l'époque d'Abraham (2oe et le 1~siècle
av. J.-C.), les présences d'Isis, Horus, Baal et Astarté se mêlaient à la vie
domestique et des champs grâce au soutien de figurines et de théraphim au
cœur du foyer. Jéhovah paraissait abstrait et demeurait invisible face aux
d'outils en silex et en pierre taillée. Son apogée se situe au 6• siècle av. J.-C., à l'époque de
Nabuchodonosor II et la déportation du peuple hébreu.
REGARD SUR LES PATRIARCHES 37

nombreux dieux égyptiens et babyloniens, gardiens d'une connaissance


cachée.
L'Égypte et la Babylonie formaient de puissants pays où la divination
et la magie étaient pratiquées au cœur des temples. La magie des anciens
permettait d'entrer en communication avec les forces de la nature et offrait
la possibilité de se défendre contre les attaques de forces occultes ou des
démons. Dès lors, des hymnes récités ou chantés à l'attention des divinités
se transformaient bien souvent en incantations où les prêtres et prêtresses
endossaient un rôle de sorcier ou de sorcière. Vu del' extérieur, l' œil profane
n'y comprenait pas grand-chose et voyait bien souvent des procédés
idolâtres et occultes. La plupart du temps, il s'agissait simplement de se
protéger de sortilèges.
Ce type de magie ne relevait pas seulement de l'oracle ou de la
divination, mais il impliquait bien souvent un art médical pour la santé et
le corps. Les formules magiques égyptiennes et mésopotamiennes récitées
continuellement à l'aide d'invocations rythmées par le souffle se retrouvent
sur bon nombre de textes hiéroglyphiques et cunéiformes. De même, la
représentation de gravures et de statues avec des positions de mains assez
inhabituelles et de bouches parfois entrouvertes, évoque la Science du
Souffle (ou Respir) en relation avec Isis-Hathor, déesse del' Amour et du
son. La circulation du souffle par la prière ou la méditation renouvèle le
principe vital et repousse les maladies. Les initiés de l'Orient le savaient
parfaitement grâce à l'instruction de leurs dieux. Le Souffle des Origines
n'a-t-il pas créé le Monde? Les anciens rabbins et kabbalistes expliqueront
plus tard, grâce aux informations tirées d'Égypte par Moïse, l'harmonie de
l'Univers et les influences des Cieux sur la Terre par la prononciation des
vingt-deux lettres hébraïques qui composent leur alphabet mystique.

La série de voyelles i e o ou a (Jéhovah) serait une clé simplifiée pour


accéder au divin. D'après l'historien grec, Denys d'Halicarnasse (entre
60 av. J.-C. et l'année 8 de notre ère), les prêtres égyptiens chantaient ces
antiques voyelles réactualisées comme un hymne en l'honneur de Sérapis;
divinité syncrétique de l'époque hellénistique égyptienne qui rassemble le
taureau Apis et Osiris. Cette découverte se confirme : nous retrouvons ce
type de prononciation dans un manuscrit gnostique d'Égypte de Medinet
Habu, intitulé, le Livre de Ieou (MS Bruce 96), où Jésus-Christ enseigne à ses
disciples des sceaux, des chiffres secrets et formules de défense à réciter
pour accéder à l'initiation aux Mystères et ainsi franchir les sphères célestes.
Grâce à ces révélations, les âmes seraient capables de surmonter les pièges
posés par les Archontes, sortes de démons des sphères inférieures ... Dans
une des formules, le Christ prononce le nom sacré :

«Voici ceux que Ieooouzaa fit émaner lorsque la puissance de mon


Père brilla en lui. Il fit émaner douze émanations, douze têtes dans
38 CORPUSDEAE

chaque émanation, et ce même nom appartient au douze ... 32 »


Le Livre du Grand Discours Mystérique,
Le Livre de Ieou - C19 (23) 17-26

IHCDOOYZA.A.
2. Le nom Jéhovah inscrit en grec dans le manuscrit gnostique du Livre de Ieou (Égypte). Des
copies de ce genre de manuscrit se trouvaient sans doute
dans la Bibliothèque d'Alexandrie.

La science vivante des gnostiques et des premiers chrétiens était la


Science du Respir ou« Connaissance du Respir du Salut». Science également
connue et pratiquée par les néo-platoniciens et néo-pythagoriciens. Elle
impliquait que des individus initiés à cette science atteignent un degré
supérieur de pureté et d'évolution physique, mentale, orale et spirituelle33 •
Certains passages bibliques en relation avec cette science subsistent encore.
Un passage où Jésus se présente ressuscité devant ses apôtres en témoigne :

«'Paix à vous! Comme le Père m'a envoyé, moi aussi, je vous envoie.'
Ayant dit cela, il souffla sur eux et leur dit 'Recevez l'Esprit Saint'.»
L'Evangile selon Saint Jean, 20:21-22

L'Église officielle, comme diverses communautés étroitement


affiliées ou indépendantes, détint à sa façon la Science du Respir des
anciens. Ainsi en était-il également de certains ordres monastiques,
templiers, chevaliers de Saint-Jean, francs-maçons, rosicruciens, etc. Sont
aussi à remarquer dans les églises du Moyen Âge les représentations du
Saint-Esprit sous forme d'une colombe sortant de la bouche des Saints34 •
Isis effectuait strictement la même chose en Égypte sur les gravures des
temples. Ses prêtresses d'Hathor chantaient et jouaient une musique
céleste tout en veillant au Feu Sacré dans le naos du temple de Dendérah.

Les Templiers, nous le verrons, avaient compris toute l'importance


des talismans pour se protéger et la nécessité de l'invocation du Saint-Esprit
ou Mère divine par le souffle sacré. Cette science se retrouve également en
Iran, via la doctrine mazdéenne, antérieure à Zoroastre, mais largement
réinstaurée par ses soins. Isolés dans un monde où la magie était présente
depuis des millénaires et encore pratiquée à leur époque, les Templiers

32 Éric Crégheur, Édition critique, traduction et introduction des deux Livres de Ieou (MS Bruce 96),
Université de Laval, 2013, p. 335.
33 Carlos Bungé, La science du respir, Paris, Imprimerie Mahieux, 1926, p. 54.

34 Ibid., p. 55-56.
REGARD SUR LES PATRIARCHES 39

durent nécessairement employer les mêmes armes que leurs adversaires


pour se défendre!

*
* *

Abraham, étant loin de ces considérations et arcanes des anciens, ne


souhaite pas s'embarrasser d'un vaste panthéon comme en Mésopotamie
et en Égypte. Selon lui, le mysticisme se trouve dans Jéhovah, sans même
se douter de l'origine égyptienne de ce mot. Son dieu est transcendant,
omnipotent et omniscient, comme le sera un peu plus tard celui
d' Akhenaton. Décidément, tout part d'Égypte et revient vers elle ...
Sans doute contraints de quitter leur ville natale en raison des
différentes invasions que subissent certaines villes de Mésopotamie,
Abraham et les siens empruntent une vieille piste connue des anciens
marchands assyriens et babyloniens qui suit un chemin commercial
stratégique pour l'époque.

Abraham et son clan vivent ensuite plusieurs années à Harran et ce


dernier y fait fortune. À l'âge de 75 ans, selon la Bible, soit vers 1963 av.
J.-C., il descend vers le sud, pour atteindre le pays de Canaan. Au cours
de sa très longue existence, Abraham nomadise au milieu des différentes
contrées et populations qu'il rencontre avec sa famille. Tout au long de ses
voyages, il bâtit des autels à la gloire de Jéhovah et ce dernier lui promet,
à lui et sa descendance - on se demande bien par quel pouvoir! - une
heureuse destinée et surtout toute la terre «du fleuve d'Égypte jusqu'au
grand fleuve, le fleuve Euphrate» (Gn 15:18).
Si les «dieux» existaient, nous pourrions nous interroger sur cette
façon de jouer avec le genre humain et de livrer bataille comme on le ferait
sur un vulgaire échiquier en utilisant les humains comme des pions ...
Dans la littérature mésopotamienne, les «dieux» semblent s'affronter
sous la forme de deux clans différents, celui de «la voix unilatérale» (An,
Enlil et leurs Anunna) et celui des «Anges Déchus» (le Serpent Enki-Éa,
des génitrices responsables des codes génétiques divins et humains, et les
Veilleurs Nungal). J'ai longuement discuté de ces sujets dans plusieurs de
mes essais, particulièrement dans Eden et Le Chaos des Origines.
À cette époque, Abraham se déplace essentiellement entre Sichem,
au nord, Béthel (près de Jérusalem) jusqu'à Hébron, au sud. Son épouse
Sara lui donne ensuite son fils Isaac qui héritera des conceptions divines
de son père. Jacob, le fils d'Isaac sera le père des douze fils et douze tribus
d'Israël. C'est en luttant avec un Ange qu'il reçut le nom d'Israël. Comme
l'indique l'auteur Jean Markale: «Si l'on suit le texte biblique, la notion
d'Israël résulte d'un choix délibéré de YHWH en faveur de ceux qu'il juge
les plus dignes de transmettre un message à toute l'humanité, et cela au
40 CORPUSDEAE

mépris de toutes les lois et coutumes humaines» 35 •

3. Abraham se déplace vers la terre de Canaan. Gustave Doré

Intervient ensuite un épisode assez énigmatique (Gn 22:1-19): Dieu


demande à Abraham de sacrifier son fils Isaac dans le pays de Moriah,
sur le mont du même nom que la tradition voit comme l'actuel Mont du
Rocher où sera construit le Temple de Salomon. L'Arche d' Alliance sera
aussi déposée à cet endroit. L'ordre de YHWH relève de la coutume qui
oblige les pères ou chefs de clan à sacrifier leur premier-né. Il s'agissait
d'une tradition depuis longtemps instaurée en terre de Canaan, à l'époque
de l'âge de bronze. Cette coutume impliquait particulièrement Jérusalem
et son Mont Moriah où se trouvait un Tophèt («brûloir») à enfants ...
Abraham, s'apprête à sacrifier son fils au nom de la violence
fondatrice de YHWH, mais un Ange l'interpelle in extremis et le conjure de
ne pas lever la main sur son fils. On remarquera l'absurdité de cette scène
où l'on déplore la soumission d'Abraham, prêt à sacrifier Isaac au nom de
Dieu, l'intéressé étant pourtant le premier à critiquer «les autres dieux» à
qui il reproche le même type de sacrifice! Fort heureusement, un Ange du
clan adverse l'empêche de commettre l'irréparable et Abraham sacrifiera
plutôt un bélier. Cet épisode assez cocasse montre qu'Abraham, patriarche
des trois grandes religions, voulut faire honneur à la tradition du sacrifice
35 Jean Markale, Les révoltés de Dieu, Paris, Presses du Châtelet, 2003, p.227-228.
REGARD SUR LES PATRIARCHES 41

du premier-né. Épisode fièrement transformé, par la religion juive, en non-


sacrifice d'Isaac! Pourtant, Abraham n'y est pour rien.
Cet événement se célèbre chaque année chez les Juifs lors du Rosh
ha-Shana (le Nouvel An hébraïque), ainsi que chez les musulmans lors de
l' Aïd-el-Adha (fête du sacrifice). Du côté chrétien, ce sacrifice évoque plutôt
celui de Jésus pour sauver l'humanité.

«car depuis longtemps est préparé Tophèt (brûloir), - il sera aussi


pour le roi - profond et large, son bûcher, feu et bois y abondent; le
souffle de YHWH, comme un torrent de soufre va y mettre le feu.»
Isaïe 30:33

Ensuite, Abraham se dirigea vers l'Égypte en empruntant les chemins


d'Horus au nord du Sinaï. Arrivé sur place, il usa d'un stratagème pour
voler le Pharaon. Il fit passer sa femme Sarah pour sa sœur, laissant ainsi le
Pharaon s'approcher d'elle à loisir en échange de biens inestimables. Grâce
à son forfait, Abraham s'enrichit avant de repartir vers Canaan avec ses
troupeaux, ses serviteurs et servantes, ainsi que son argent et son or ...

L'histoire d'Abraham avec son trajet de Mésopotamie en Égypte


nous démontre une nécessité d'inventer une nouvelle religion fondée
sur le monothéisme afin de démanteler le pouvoir des dieux multiples
implantés partout dans le Proche-Orient. Cependant, on le voit, les
ancêtres cananéens et ensuite hébreux n'attendirent pas !'Exil à BabylÔne
pour pratiquer ce qu'ils reprochèrent eux-mêmes aux habitants de la
Mésopotamie. Le sacrifice humain, et plus précisément celui des enfants
à YHWH, semblait bien implanté dans le futur pays judéen, mais la Bible
semble régulièrement le réfuter. Il fut sans doute impossible de l'effacer
totalement des textes bibliques, raison pour laquelle il subsiste encore
différents passages, comme dans les Nombres (chapitre 31), c'est ce que
nous allons bientôt découvrir.

3. L'origine probable de Moïse et des Hébreux: l'enquête se


poursuit ...

Mes lecteurs savent que je travaille depuis plusieurs années sur


une thèse importante concernant le Moïse historique et le déplacement
d'archives égyptiennes et akkadiennes vers Canaan. L'enquête se poursuit
et s'étoffe en fonction des dernières découvertes réalisées sur le site
d' Amarna, l'ancienne cité d' Akhenaton dont le règne se situe entre 1348 et
1331 avant J.-C.
En quelques mots, j'ai démontré dans La Dernière Marche des Dieux
(2013) et Le Chaos des Origines (2016) la relation évidente entre le Moïse
biblique et Râmosé, l'ancien vizir d' Akhenaton.
42 CORPUSDEAE

0 4. Hiéroglyphes Râ-Mosé.
Nom du grand vizir de Thèbes
sous Amenhotep III et son fils
Akhenaton. Son nom veut dire «fils

1
de Râ» ou «grand fils», donc l'aîné
comme pour Moïse.

Râ Mosé
Vers le début de son règne, Akhenaton décide de construire, en
plein désert, sa nouvelle capitale consacrée à Aton, à près de 450 km au
nord de Thèbes et à 330 km au sud du Caire. En à peine plus de deux
années seulement, le gros œuvre d' Amama, cette gigantesque métropole
de plus de 9 km de long s'élève à l'écart de tout, sous une chaleur de plus
de 40°C. Dès lors, cet ouvrage titanesque plonge l'Égypte et son clergé
dans la confusion. Akhenaton s'y installe avec sa famille et tous les nobles
en l'an VI de son règne, soit un an après le commencement des travaux.
Exécuté en un temps record, le chantier requiert une main-d' œuvre
colossale! Mais rien ne semble s'être passé comme on aurait pu le croire ...
Il faut savoir qu'il n'y a jamais eu d'esclaves en Égypte: seuls des
prisonniers de guerre étaient affectés à des travaux domestiques chez les
particuliers ou aux temples! Les ouvriers responsables de l'édification des
bâtiments, des temples et des villes se trouvaient parmi le peuple où l'idée
de travailler pour le roi relevait de l'honneur, d'autant que les artisans
étaient rémunérés, parfois même en nourriture. L'image d'une Égypte
esclavagiste provient des auteurs grecs comme Hérodote ou Diodore qui
ne pouvaient imaginer la société égyptienne avec de tels bâtiments sans
aucun esclave. Le seul moment dans l'histoire égyptienne où l'on trouve
une forme d'esclavagisme se situe à l'époque d' Akhenaton!
Un article du National Geographic, daté du mois de mars 2013, résume
la situation. Il ressort d'analyses effectuées sur les squelettes des ouvriers
et celles réalisées directement sur le terrain, que sur les plus de 200 tombes
d'ouvriers examinées par les archéologues et anthropologues, seulement
20 possédaient des cercueils. Les squelettes déterrés, âgés entre 3 et 25
ans montrent des signes de scorbut et de rachitisme. Dans la majorité
des cas, les enfants arboraient des dents rainurées, marque révélatrice de
malnutrition, et plusieurs squelettes révélaient des retards de croissance très
graves. Les enfants, malnutris, subirent des niveaux anormalement élevés
d'activités physiques avec des signes d'utilisation constante des muscles.
REGARD SUR LES PATRIARCHES 43

Pire encore, nous venons tout juste de découvrir que la vie des
ouvriers à Amama était une vie de souffrance et parfois même de brutalité,
l'archéologie le confirme pour la toute première fois. En plus des problèmes
de malnutrition et de travail forcé, cinq squelettes se distinguent du reste
des ouvriers trouvés dans le cimetière sud de l'ancienne cité d' Akhenaton.
En décembre 2015, un article de l'international Journal of Paleopathology
indique que des archéologues identifièrent des «lésions de fracture
de type ouverte» dans les os ou omoplates des cinq hommes; lésions
profondes manifestement infligées par des armes blanches en guise de
châtiment corporel. Les auteurs de l'étude remarquent que les blessures
sur les squelettes furent produites par une personne debout, placée loin
derrière les victimes, ce qui exclut toute possibilité de blessures de combat.
Compte tenu de l'emplacement des blessures, ces lésions indiqueraient des
traumas spécifiques aux victimes poignardées à l'aide de longues lances.
Cependant, malgré la brutalité du châtiment, les chercheurs pensent que
certains des ouvriers purent retourner travailler36. Fait troublant, la Bible
raconte la même histoire : Moïse commença à prendre la défense des
ouvriers le jour où il découvrit justement ce type de châtiments ...

36 Gretchen R. Dabbs and Melissa Zabecki, « Slot-type Fractures of the Scapula at New Kingdom

Tell El-Amama », in Egypt International Journal of Paleopathology, décembre 2015 (volume 11),
p. 12-22 + MailOnline : http:/ /www.dailymail.eo.uk/sciencetech/article-3272664/The-
grim-reality-life-ancient-Egypt-Scarred-skeletons-reveal-workers-brutally-lashed-SPEARS-
stealing-slacking-work.html
44 CORPUSDEAE

remplir certains pylônes du temple d' Amon à Karnak. On y voit des ouvriers amamiens
soulevant de lourdes charges pour construire les édifices de la cité d' Akhenaton.

En même temps, l'Égypte vit le plus grand bouleversement religieux


de toute son histoire! Très rapidement, Akhenaton entreprend l'abandon
total du culte d' Amon. Les temples ferment un à un et le nom d' Amon est
systématiquement effacé des inscriptions. Le changement brutal de religion
imposé par Akhenaton irrite le clergé traditionnel habitué à intervenir
dans la vie politique thébaine. Certains prêtres fraîchement reconvertis à
la religion atonienne n'acceptent pas leurs nouvelles fonctions. Les prêtres
du vizir Râmosé perdent leurs privilèges tandis que les ouvriers d' Amarna
travaillent comme des esclaves pour édifier la cité solaire. De plus, ils ne
mangent pas à leur faim et tombent malades!

À l'époque d' Akhenaton et de son vizir, l'influence et la suprématie


de l'Égypte s'étendaient à travers la Syrie jusqu'aux rives de !'Euphrate.
Tous les documents officiels et commerciaux se rédigeaient en akkadien
sur des tablettes d'argile. Akhenaton et Râmosé eux-mêmes employaient
fréquemment cette langue pour communiquer avec l'extérieur. Étant à
la fois maître des archives royales et des prêtres Yahouds, Râmosé put
discrètement subtiliser tous les textes d'El-Amama qu'il souhaitait,
aussi bien égyptiens que mésopotamiens. Nous savons que la grande
bibliothèque d' Akhenaton possédait deux mythes akkadiens inscrits
sur des tablettes d'argile, donc de même facture que les Tables de la
Loi de Moïse ... Sans doute se trouvait-il d'autres documents tout aussi
incroyables, par exemple une copie akkadienne des tablettes sumériennes
du mythe du jardin d'Eden que j'ai eu l'honneur de traduire en 2011 dans
l'ouvrage Eden 37•
Une suite est prévue à Eden d' Anton Parks aux éditions Nouvelle Terre, qui portera le titre
37

de La Chute d'Eden.
REGARD SUR LES PATRIARCHES 45

Râmosé ne portait pas seulement les titres de chef du clergé égyptien,


scribe royal, responsable de toute l'administration du royaume ou encore
garant des chantiers, mais il commandait aussi toute l'armée! Il possédait
ainsi les libertés adéquates pour déstabiliser le pouvoir en place. Il y eut
sans doute de graves bouleversements; malheureusement, seules les
preuves sur le terrain peuvent nous en apporter des indices, les archives
historiques de la ville étant toutes détruites. Les prêtres de Râmosé se
retrouvant au chômage forcé et Akhenaton ne reconnaissant pas le culte
d'Osiris, le clergé perçut cette situation comme une exclusion. Cette
exclusion devint progressivement un exil. Dans cette alternative conforme
à la Bible, le vizir proposa sans doute au Pharaon de mener lui-même les
réfractaires vers une nouvelle région : une terre sous juridiction égyptienne,
mais suffisamment éloignée d' Akhenaton. Il offrit même de prendre avec
lui les ouvriers invalides et malades. Ces malades d' Akhenaton, ces reclus,
portent un nom en égyptien, il s'agit des Ubru. Ce terme tire ses racines
d'Ubri («désastre, maladie»). Ubru (au pluriel) ressemble étrangement au
terme «hébreu».

< >
7. UBR, Ubri ou Ubru au pluriel. Nom vraisemblablement
donné aux ouvriers malades d'El-Amama. UBR
se transforma probablement en «hébreu».

Nous connaissons partiellement la vie de Râmosé grâce à quelques


archives et surtout à sa tombe située dans la vallée des Nobles. Son tombeau
(n° ITSS) se trouve au cœur du village de Cheikh Abd el-Gournah, fixé sur
la rive ouest du Nil, en face de Luxor. C'est l'une des plus belles tombes de
la vallée. La sépulture ne contenait aucune momie lors de sa découverte.
Restée inachevée pour des raisons totalement inconnues, on imagine
que le vizir dut probablement quitter Thèbes pour suivre Aménophis N
(Akhenaton) dans sa nouvelle capitale El-Amarna. Le chantier de la tombe
s'arrête net au moment d'exécuter la procession funéraire. La paroi latérale
de droite restera aussi inachevée. Les colonnes, la deuxième salle ainsi que
la chapelle funéraire n'affichent aucune décoration. Les statues funéraires
sont absentes des niches de la chapelle ... Pourquoi?
Certains historiens et chercheurs pensent que Râmosé ne connut pas
la cité d' Akhenaton. Pourtant la présence d'une petite tombe, elle aussi
inachevée, contredit cette opinion. Répertoriée aujourd'hui sous le numéro
TAll, elle est attribuée à Râmosé en personne. Le vizir la prépara peut-
46 CORPUSDEAE

être dans le cimetière de la cité d' Akhenaton, à l'époque où il y séjourna


auprès de la famille royale. Cette sépulture très petite possède une salle
principale nullement décorée. Comme TI55, cette tombe restera inachevée
sans aucune raison apparente. De plus, sa modeste taille crée le trouble
comparativement à TI55 de la vallée des Nobles. Sa petitesse paraît
inappropriée pour les fonctions de grand vizir du roi, commandant des
armées et des archives royales.
Je pense qu'il faut voir ici l'indice d'un trouble évident entre Râmosé
et Akhenaton. Sa!ls doute faut-il comprendre que cette dernière tombe
fut construite à «titre honorifique» en son absence, sachant que Râmosé
avait déserté l'Égypte depuis longtemps et que son corps n'y reposerait
jamais ... C'est, à mon sens, la seule explication possible à ces deux tombes
inachevées et sans aucune momie.
On notera par ailleurs, la destruction massive de la tombe thébaine
TI55. L'acharnement humain et les destructions multiples créent en cet
endroit un malaise difficile à décrire. L'âme du vizir d' Akhenaton ne connut
ni les honneurs ni la joie de l'admission dans l'au-delà. Une rage évidente
marque les lieux et l'humiliation y est manifeste. Râmosé était un traître
qui déposséda l'Égypte d'une partie de ses biens et de ses archives royales.
C'est donc grâce à ces documents, à la fois égyptiens et mésopotamiens,
que des données importantes furent déplacées vers Canaan. C'est ici, dans
ce contexte, qu'il faut trouver l'essentiel des archives responsables de la
lente compilation des textes bibliques et rabbiniques.

La première mention officielle de Jérusalem en dehors de la Bible


se trouve dans les archives égyptiennes d' Amarna, rédigées en akkadien,
et trouvées sur le site même de la ville d' Akhenaton. Six des 400 lettres
adressées au pharaon Akhenaton émanent du vassal régnant Arad-
Hipa «le serviteur d'Hipa », Hipa étant une déesse hourrite du nord de
la Mésopotamie. Dans ses demandes à Akhenaton, Arad-Hipa implore
l'aide du Pharaon pour faire face à la menace grandissante des Abiru dans
lesquels certains chercheurs pensent reconnaître une branche des ancêtres
des Hébreux. Soixante-dix tablettes d' Amarna assimilent le terme Abiru
(ou Apiru) à des bandes armées vivant de razzias. Constituaient-elles les
ancêtres des Hébreux? Je pense qu'il s'agirait plutôt d'une famille ou d'un
clan nomade, plus précisément d'une des tribus d'Israël, et non des anciens
travailleurs maltraités de l'ancienne cité d' Akhenaton, les «malades»
dénommés Ubru. Ces derniers quittèrent, avec Râmosé (Moïse), le travail
de force imposé par Akhenaton pour bâtir sa ville en un temps record.
Au moment de leur départ, de nombreux lettrés et prêtres d'Osiris et du
culte des Mystères d' Amon les accompagnaient. Les textes égyptiens les
distinguent du peuple commun en les nommant Yahouds (Yahuds), mot tiré
du terme égyptien YAW («prier» et «adorer»).
REGARD SUR LES PATRIARCHES 47

8. Les Hébreux traversent la mer Rouge avec l'Arche d' Alliance. James lïssot, 1896
II
La route sanglante
vers Jérusalem

1. La conquête de Canaan : meurtres, sacrifices à YHWH,


inversions historiques et détournement des rites égyptiens

Une attention particulière aux Livres bibliques des Nombres et de


Josué nous suggère une lecture lapidaire concernant l'invasion du pays de
Canaan par Moïse et les siens. Cette occupation de terres sous juridiction
égyptienne s' agrémente de vagues de destructions, de villes rasées et
de territoires désolés où les conquêtes s'effectuent dans un véritable
bain de sang digne du plus cruel des génocides. Plusieurs passages
bibliques apportent une réponse à cette barbarie : «c'est en raison de leur
perversité que YHWH dépossède ces nations.» (Dt 9:4). Pour simplifier,
si les Cananéens n'avaient pas été massacrés, les Hébreux auraient été
corrompus par leur religion idolâtre de dépravés, empêchant ainsi le plan
divin ... Tout un programme.
Tout au long de leur conquête, les Hébreux firent face à un problème
récurrent : la présence de Baal et d' Asherah, «deux divinités idolâtres»,
doubles cananéens de Bel-Marduk et d'IStar de la culture babylonienne. Le
problème devient sérieux lorsque les «enfants d'Israël» délaissent YHWH
au profit de Baal et sa déesse, créant une concurrence impardonnable aux
yeux du dieu unique. Les textes font de Baal (ou des Baals) une identité
centrale d'une extrême importance, en compétition avec YHWH pour un
enjeu sociopolitique et religieux hors norme. Quelques extraits bibliques
donnent le ton :

«Les enfants d'Israël firent alors ce qui déplaît à YHWH, et ils


50 CORPUSDEAE

servirent les Baals38 • Ils délaissèrent YHWH, le dieu de leurs pères,


qui les avait fait sortir du pays d'Égypte, et ils suivirent d'autres
dieux parmi ceux des peuples d'alentour. Ils se prosternèrent devant
eux, ils irritèrent YHWH39 • Ils abandonnèrent YHWH, et ils servirent
Baal et les Astartés40 • [YHWH se vengea et abandonna son peuple
aux pillards, lui procurant volontairement une détresse extrême].
YHWH dit à Gédéon : 'Prends le jeune taureau de ton père, et un
second taureau de sept ans. Renverse l'autel de Baal qui est à ton
père, et abats le pieu sacré (d' Asherah) qui est dessus.' 41 Lorsque les
gens de la ville se furent levés de bon matin, voici, l'autel de Baal
était renversé, le pieu sacré placé dessus était abattu, et le second
taureau était offert en holocauste sur l'autel qui avait été bâti42 •
Lorsque Gédéon fut mort, les enfants d'Israël recommencèrent à
se prostituer aux Baals, et ils prirent Baal-Berith pour leur dieu43 •
[Ils] firent encore ce qui déplaît à YHWH; ils servirent les Baals
et les Astartés, les dieux de Syrie, les dieux de Sidon, les dieux
de Moab, les dieux des fils d' Ammon, et les dieux des Philistins,
et ils abandonnèrent YHWH et ne le servirent plus44 • [Mais,] ils
crièrent encore à YHWH, et dirent : 'Nous avons péché, car nous
avons abandonné YHWH, et nous avons servi les Baals (Ba' al) et
les Astartés; délivre-nous maintenant de la main de nos ennemis, et
nous te servirons45 .' »
Extraits de la Bible, Livre des Juges
et Premier Livre de Samuel

Dans les chroniques bibliques, le nom de Baal désigne régulièrement


un collectif pour nommer toute forme d'idolâtrie. En 2R 23:5, Baal apparaît
aux côtés d'une liste de divinités astrales : Soleil, Lune et constellations
de toute l'armée des Cieux. Le terme Astarté au pluriel fonctionne à la
manière d'un nom commun désignant un groupe de déesses.
Une étude remarquable de Dany Nocquet sur Baal contre YHWH,
explique que certains passages bibliques font de Jérusalem un lieu de culte
dédié à Baal. Le dogme était suivi au sein même du Temple Or 7:9) ou
encore dans les ruelles de Jérusalem Or 11:13). Les chroniques évoquent
aussi la« maison de Baal» à Jérusalem (2Ch 23:17). Toutefois, Jérémie 35:35
présente un passage, sur lequel beaucoup se sont acharnés, où se manifeste
une association entre Baal et les sacrifices à Molek (Moloch). Dany

38 Juges, 2:11.
39 Juges, 2:12.
40 Juges, 2:13.

41 Juges, 6:25.

42 Juges, 6:28.

43 Juges, 8:33.

44 Juges, 10:6.

45 lSamue!, 12:10.
LA ROUTE SANGLANTE VERS JÉRUSALEM 51

Nocquet de poursuivre qu'il s'agit vraisemblablement là d'une confusion


populaire des deux cultes qui sont par ailleurs tout à fait distingués. Il est
évident que la mise en relation du lieu de culte de Baal avec cet endroit de
sacrifice des enfants par le feu est une dénonciation globale de toutes les
pratiques idolâtres. En effet, ajoute-t-il, les liens du culte de Baal avec les
rites de sacrifices humains sont peu nombreux dans la littérature biblique.
Dans les sources extrabibliques, ces liens ne sont pas évidents non
plus46 •
Jacqueline Genot-Bismuth, professeur à la Sorbonne, relève le
problème: «Il y a sans doute là vestige d'une rivalité du culte entre le haut
lieu (de Jérusalem) investi déjà par la religion de El (ou Baal) et la vallée,
refuge du culte archaïque du passage par le feu. Les lieux sacrés, on le
sait, ont une durée qui traverse les âges, les civilisations, les religions, les
mondes. Haut-lieu, au propre comme au figuré, l'éminence que couronne
aujourd'hui le dôme d'or Haram as-Sarif, vit sans doute se dérouler sur son
tertre pierreux de très vieux cultes, frustres autant que sortis des mémoires,
centrés sur le très archaïque, «barbare», sacrifice humain. L'abominable
culte de Molek (Moloch), friand d'enfants( ... ) laisse son indélébile trace
dans Jérémie, mais aussi dans la topographie de Jérusalem47 • »

9. Scène biblique d'un sacrifice d'enfant par des prêtres juifs face à Molek (Moloch).
Charles Foster, 1897

46 Dany Nocquet, Le livret noir de Baal - La polémique contre le dieu Baal dans la Bible hébraïque et
l'ancien Israël, Genève, Éditions Labor et Fides, 2004, p. 34.
47 Jacqueline Genot-Bismuth, Jérusalem ressuscitée, Paris, Éditions Albin Michel, 1992, p. 38-

39.
52 CORPUSDEAE

Certains chercheurs, comme Klaas A. D. Smelik (théologien,


linguiste et professeur d'études hébraïques dans différentes universités)
établissent un lien entre Moloch et YHWH. Selon Smelik, Moloch serait
une invention de la période perse afin de dissimuler les sacrifices d'enfants
pour le compte de YHWH dans le royaume de Juda! Ces propos vont
d'ailleurs dans le même sens que les précédentes études de George Heider
(1985) et John Day (1989)48.
Pour l'exégète Thomas Rômer, derrière Moloch se dissimule
clairement le vocable Melek, «le roi» en hébreu, lequel désigne YHWH
dans de nombreux passages bibliques comme Is 6:5; Jg 8:23; lS 8:7; Ps
24:10; Ps 29:10, etc. Le mot Moloch proviendrait d'une interprétation
tendancieuse réalisée lorsque l'on a vocalisé les textes bibliques49 •
Petite parenthèse linguistique : on ne cesse de relever la provenance
hébraïque du mot Melek (roi) sans pour autant préciser son origine
akkadienne sous la forme Maliku («roi, prince»), provenant lui-même du
sumérien MÈL-ÉK [«celui (qui possède) la parole»].

Nous ne referons jamais l'histoire, et allons plutôt nous concentrer


quelques instants sur un épisode assez troublant relatif à l'invasion de
Canaan à l'époque de Moïse. Dans le Livre des Nombres (31:25-29), lors de
leur conquête sanglante, les Hébreux couchent avec des femmes madianites
et suppriment tous les mâles. En conséquence, Moïse, sous l'influence de
YHWH, ordonne le massacre des femmes impies et demande de garder
uniquement les vierges que ses hommes se partageront (sic). Ensuite,
YHWH et Moïse font les comptes des captifs humains et des bêtes. Il est
question d'offrande à YHWH. Comme les Hébreux massacrèrent tous les
survivants et laissèrent uniquement des vierges, après un savant calcul,
nous comprenons en fin de passage (31:40) que le prêtre Eléazar devra
offrir trente-deux vierges en sacrifice à YHWH !! Plusieurs traductions
existent à ce sujet, voici les deux plus courantes. La version de la Bible
Segond semble plus précise :

«Tu prélèveras sur la portion des soldats qui sont allés à l'armée un
tribut pour l'Éternel, à savoir : un sur cinq-cents, tant des personnes
que des bœufs, des ânes et des brebis. Vous le prendrez sur la moitié,
et tu le donneras au sacrificateur Eléazar comme une offrande à
l'Éternel[ ... ] trente-deux pour le tribut à l'Éternel.»
Nombres 31:28-29 + 40 - Bible Louis Segond

«Comme redevance pour YHWH, tu prélèveras, sur la part des


combattants qui ont fait la campagne, un sur cinq-cents des gens,
48 Klaas A.D. Smelik, «Moloch, Molekh or molk-sacrifice ?: A Reassessment of the Evidence
Concerning the Hebrew Tenn Molekh », Scandinavian Journal of the Old Testament, vol. 9, 1995,
p.133-142.
49 «La filature d'un théologien suisse pour connaître l'origine de Dieu», entretien avec

Thomas Romer, letemps.ch, 27 mars 2014.


LA ROUTE SANGLANTE VERS JÉRUSALEM 53

du gros bétail, des ânes et du petit bétail. On prendra cela sur la


moitié qui leur revient, et tu le donneras à Eléazar le prêtre, comme
prélèvement pour YHWH [ ... ] trente-deux en redevance à YHWH. »
Nombres 31:28-29 + 40 - Bible de Jérusalem

10. Captivité des femmes madianites chez les Hébreux. Trente-deux d'entre elles seront
sacrifiées à YHWH selon les Nombres 31:28-29 + 40. James Tissot, 1900

Cet épisode serait à rapprocher des propos concernant la pratique


des sacrifices à l'époque d'Abraham. Mais d'où provenaient de tels
procédés? Pour la conquête de Canaan, c'est très clair, Râmosé, ancien
chef des armées de Pharaon savait parfaitement mener campagne contre
l'ennemi. Sans doute l'avait-il maintes fois réalisé lorsqu'il était au service
d' Aménophis III, le père d' Akhenaton. Ses stratégies militaires furent
ensuite transmises à Josué et ses soldats.
En ce qui concerne le sacrifice volontaire sur la personne humaine,
c'est plus compliqué.L'examen vaut pourtant le détour; grâce aux éléments
relevés ci-dessous, vous comprendrez progressivement, et jusqu'à la fin de
cette étude, son rapport avec nos fameux Templiers. L'enquête est fouillée,
aucun détail ne doit nous échapper.
L'égyptologie n'a trouvé aucune trace avérée de sacrifice humain
chez les Égyptiens. Il semblerait qu'à l'époque d'Horus et des tout
premiers Pharaons, des sacrifices humains se pratiquaient sur les ennemis
des Suivants d'Osiris et d'Horus, mais les preuves écrites manquent
cruellement. Les guerriers ennemis (les complices de Seth) étaient tout
simplement exécutés ou on leur coupait la tête. Alors d'où provient ce
54 CORPUSDEAE

besoin de sacrifier des humains au sein du clan de Moïse, fraîchement sorti


d'Égypte? Mieux encore, pourquoi les Hébreux, fils de Moïse, sacrifiaient-
ils une vache rousse dans leur camp du désert (Nb 19:1-10), rituel repris
plus tard à Jérusalem, précisément sur la pierre d'assise du «Rocher de la
Fondation»? Le Rocher de la Fondation se trouve aujourd'hui au cœur
du Dôme du Rocher. Salomon y aurait fait déposer l'Arche d' Alliance à
l'époque du premier Temple. Abraham voulut sacrifier Isaac plusieurs
siècles avant au même endroit. Les Templiers réalisèrent ici des fouilles,
nous en reparlerons ...

Une très bonne étude de l'égyptologue Jean Yoyotte sur le thème du


sacrifice en Égypte nous renseigne sur certains rituels énigmatiques. Le
prêtre égyptien et historien Manéthon (3e siècle av. J.-C. ), rapporte qu'un rite
quotidien se déroulait encore à son époque à Héliopolis, lequel consistait
à sacrifier trois figurines de cire jetées au feu. Ce type de «sacrifice» était
bien connu. Dans les «Maisons de Vie», véritables laboratoires annexés
aux temples, écoles des sciences et techniques sacrées, ou dans les temples
eux-mêmes, des figurines représentant un ennemi humain ou surnaturel
étaient malmenées et brûlées, sous des conjurations sacramentelles.
L'image de cire rouge à sacrifier était généralement liée au moyen d'un fil,
frappée d'un coup d'épieu, découpée en morceaux et enfin jetée au feu. Par
ces rites, les prêtres ou prêtresses devaient empêcher les forces hostiles de
nuire aux divinités assurant l'équilibre du monde et la sécurité du pays. Le
«Livre del' abattage d' Apophis » fixe l'utilisation de figurines de cire rouge
représentant le Chaos sous forme de serpent. Le Rituel pour «renverser
Seth et ses complices» et le «Livre pour protéger la Barque divine» étaient
récités en brutalisant «une image de Seth figurée en prisonnier et faite
de cire rouge.» D'autres formules utilisant une figurine d'homme ligoté,
«faite de cire rouge et ointe du sang d'un bœuf rouge», servaient contre les
ennemis du Pharaon50 •
Plusieurs actes rentraient en compte lors d'opérations dirigées
contre les forces du mal, comme l'immolation d'animaux roux. Diodore
(I, 88:4) note que «les bœufs roux» peuvent être sacrifiés en raison de leur
couleur en relation avec Seth-Typhon, le meurtrier d'Osiris. De ce fait, le
rouge caractérisait les êtres et les choses néfastes. Une formule magique
du Moyen Empire assimile les serpents venimeux aux «rebelles de la nuit
et du jour, qui portent des coiffes rouges et sont vêtus de tissu pourpre. »
À la Basse Époque, les complices de ce serpent seront surnommés «les
gens rouges». Les scribes du Nouvel Empire écrivaient à l'encre rouge le
nom maudit d' Apophis; ceux de la Basse Époque en firent autant pour
le nom de Seth, transformant ainsi le dieu en hippopotame rouge, en âne
rouge, en chien rouge, et même en individu «rouge de cheveux, écarlate
de peau. » La recherche d'animaux rouges à sacrifier pour conjurer le mal

50Jean Yoyotte, «Héra d'Héliopolis et le sacrifice humain», in École pratique des hautes études,
Section des sciences religieuses, Annuaire, tome 89, 1980-1981, p. 31-102; p. 41.
LA ROUTE SANGLANTE VERS JÉRUSALEM 55

procède d'une démarche parallèle51 •


La rousseur a très vraisemblablement compté parmi les
caractéristiques qui permirent d'assimiler des hommes comme des
animaux au nombre des «associés de Seth». D'autre part, chaque jour,
trois figurines de cire étaient maudites, malmenées et détruites dans les
temples, ce chiffre correspondant aux trois moments principaux du culte
divin journalier. Ces moments distincts marquaient les cérémonies où le
soleil se tient dans ses trois positions principales, marquant le matin, la
journée et la nuit.
Dans l'hypothèse de réels sacrifices humains à une époque reculée
où l'on châtiait les complices de Seth, il est difficile de croire quel' on ait pu
exécuter dans ce rite trois personnes par jour, soit mille quatre-vingt-quinze
individus chaque année! Non seulement un tel bilan cadre mal avec le
respect égyptien de la vie, mais un aussi cruel gaspillage impliquerait une
débauche sacrificielle dépassant démesurément le nombre des immolations
de gros bétail qu'il était d'usage de pratiquer dans les temples, précise Jean
Yoyotte52 •

Je demande aux lecteurs de garder en mémoire cette découverte dont


nous reparlerons plus loin : l'Égypte connut ses feux quotidiens, comme
ceux des Vestales romaines et grecques. Dans le temple d'Isis-Hathor, à
Dendérah, des prêtresses portaient le flambeau sacré d'Horus et officiaient
aux trois moments principaux du culte divin journalier. Les moments où
l'on renouvelait les feux sacrés étaient par excellence des instants dédiés à
l'exorcisme. L'utilisation de statuettes rouges ou de figurines rituellement
sacrifiées repoussait le mal et particulièrement Seth, l'assassin du bon dieu
Osiris. Le feu représentait également le Porteur de Lumière, «Horus le
vengeur de son père», garant de la Lumière et de la protection du temple,
sa flamme, son œil ardent assimilé à Vénus, mettait en fuite le dieu rouge
venu du désert.
Grâce à ces différents éléments, nous comprenons que Moïse, et plus
tard ses descendants de l'ancienne Palestine, transformèrent les simples
rituels égyptiens de l'immolation de statuettes et du Feu Sacré purificateur
en holocaustes humains à l'intention de YHWH. Comme nous l'avons
indiqué plus haut, le plus grand brûloir à enfant du Proche-Orient se
trouvait sur le Mont du Temple à Jérusalem. Les rois judéens Achaz et
Manassé (8• et 7• siècles av. J.-C.) y sacrifièrent leurs enfants à Moloch.
Ce n'est finalement qu'un peu plus tard que Josias, petit-fils de
Manassé, entreprend d'importantes modifications cultuelles à Jérusalem
et en Juda. Il révoque alors tous les prêtres des divinités Baal et Asherah
et supprime leurs objets de culte (2R 23:4-5). Josias détruit également
la demeure des prostituées sacrées dans le Temple de YHWH, où les
femmes tissaient des voiles pour Asherah (2R 23:7). Il élimine les symboles
51 Ibid., p. 44-45.
52 Ibid., p. 56-57.
56 CORPUSDEAE

cultuels juifs et détruit Tophèt, le grand brûloir à sacrifices humains, où


les souverains sacrifiaient leurs enfants par le feu en l'honneur de Moloch
(2R 23:10). Au sud du Mont des Oliviers, il fait également détruire les
sanctuaires locaux d' Astarté autrefois bâtis par Salomon et coupe les stèles
et les pieux d' Asherah (2R 23:13-14).
Avant de nous concentrer sur les Templiers et leurs découvertes,
nous allons maintenant évoquer les rois David et Salomon ainsi que la
situation du Temple de Jérusalem par le passé jusqu'à aujourd'hui.

2. La Jérusalem de David et Salomon

Moïse finira l'Exode sur le mont Nébo où il contempla la Terre


Promise (le pays de Canaan) et où il mourra à l'âge de 120 ans, selon
Deutéronome 34 et 35. Les traditions prétendent que l'ancien bras droit du
Pharaon aurait commencé la rédaction du Pentateuque dès l'entrée dans
le désert (par exemple, Ex. 17:14; 24:4), sur le mont Sinaï (Ex. 34:27-28) et
également tout au long de son voyage.

Vers l'an 1000 av. J.-C., David, jeune roi de Juda et d'Israël,
s'empare avec ses troupes de la ville d'Urushalim et en fait sa capitale.
Elle n'appartient ni à Juda, ni à Israël, et semble cosmopolite. David ne
chasse pas les Cananéens et Hittites d'origine et crée ainsi une capitale
indépendante d'où il peut centraliser tous les pouvoirs. Il y entasse les
butins et tributs récoltés lors de ses nombreuses campagnes militaires
dans les royaumes voisins. Il transforme son royaume en une puissance
économique et militaire importante. La Bible prétend que David unifia
également les douze tribus d'Israël en un seul royaume à partir de
Jérusalem.
Certains assurent que le nom divin de la sainte ville tirerait son
origine du sumérien URU-SILIM, «la ville de la bonne santé (de la paix)»,
mais il n'est pas question de Sumer dans cette localité sans cesse conquise
par l'Égypte et l'Assyrie, à une époque où le sumérien ne se pratiquait que
par écrit parmi quelques lettrés.
D'après le nom assyrien Urû-Salîmu, la première Jérusalem devait
former à l'origine un tout petit village, le mot Urû voulant dire «étable».
Urû-Salîmu se traduit par «l'étable de la paix» ou «l'étable de la faveur
divine». Par un jeu de mots astucieux avec l'homophone Ûru, Ûru-Salîmu
se traduirait par «le toit de la paix» ou «le toit de la faveur divine». Sans
ironie, beaucoup préféreront de loin la seconde traduction ...

Selon la légende, cette ville fut fondée par le dieu assyrien Salîmu
(Shalem) associé au Soleil couchant et à Vénus. Repris ensuite par les
Cananéens et l'ouest sémitique, il incarnait le dieu de la Création. On le
retrouve par exemple dans les inscriptions ougaritiques de Ras Shamra en
LA ROUTE SANGLANTE VERS JÉRUSALEM 57

Syrie. Fils d'El (le Seigneur) et d' Anat, il était le pendant de sa propre mère
la déesse akkadienne l§tar (Vénus), double d' Astarté.
Dans une grande partie du Proche-Orient ancien, la Vénus orientale,
fille d' Atargatis et d' Astarté, était honorée par un feu perpétuel dans les
temples. On remarque souvent sur d'anciennes monnaies un autel allumé
abrité par un temple ou par une toiture. À Afek, non loin de Byblos au
Liban, à un certain jour de l'année, lorsqu'on se rendait au temple de la
déesse Ashtar pour l'invoquer, on voyait apparaître dans les airs un feu
qui s'enfonçait dans la rivière. On assimilait cette météorite tombée dans
le fleuve Adonis à Astarté ou Ashtar en personne, autrement dit Vénus,
l'Étoile du matin. Elle était issue de Ba'alat, une météorite qui transperça
le Ciel d'une flamme intense. Cette météorite engloutie dans le lac d' Afek
fut ensuite placée dans le temple de la déesse. Il n'est pas douteux que la
déesse s'identifiât non seulement avec la planète et le météore, mais aussi
avec le Feu Sacré qui brûlait sur son autel. On ne peut douter que, dans
les temples des divinités orientales, le miracle du renouvellement du Feu
Sacré se perpétuât avec le culte de Vénus53 •

*
* *

David souhaite créer un temple sacré pour recevoir l'Arche


d' Alliance. Cependant, étant un guerrier avec du sang sur les mains, il ne
peut bâtir le Temple de Jérusalem. Les sages l'autorisent tout de même à
choisir l'emplacement de la future bâtisse, à dessiner les premiers plans et
à rassembler les matériaux.

11. Le roi David danse devant l'Arche d' Alliance. James Tissot, 1898

53P. Saintyves, Essais de folklore biblique - Magie, mythes et miracles dans l'Ancien et le Nouveau
Testament, Paris, Librairie ~mile Nourry, 1922, p. 28-29.
58 CORPUSDEAE

À l'époque du roi David, il existait la colline de l'Ophel où il créa sa


propre cité. Située à près de 700 mètres d'altitude, l'Ophel forme une saillie
de terrain qui s'étend vers l'est à partir de l'angle sud-est de la colline du
Temple de Jérusalem. Grâce à sa position élevée au-dessus de la vallée, cette
localité constituait une position défensive naturelle. L'Ophel correspond à
la Sion primitive sur laquelle David déposa l'Arche d' Alliance (2Samuel
6:10-12). Le roi Ézéchias (716 à 687 av. J.-C.) renforcera le site à l'aide de
fortifications (2Chro 31:10; 33:14 et Ne 3:26) qui permirent de résister au
siège de l'armée assyrienne en 701 av. J.-C. Finalement, Nabuchodonosor Il
le démantela en -587 lors de la prise de Jérusalem.
On a longtemps pensé que cette histoire d'Ophel ne reposait sur rien
de bien concret jusqu'au début des années 2010, grâce aux découvertes
de l'Institut d'archéologie de l'Université hébraïque de Jérusalem, sous
la direction, depuis 2005, du Dr Eilat Mazar, petite fille de l'archéologue
Benjamin Mazar et nièce du professeur d'archéologie Amihai Mazar.
Depuis cette période, les archéologues font des découvertes spectaculaires,
non seulement à Ophel, mais aussi dans la vieille ville ...
Un grand complexe archéologique datant de l'époque du Premier
Temple fut inauguré le 22 juin 2011, juste au sud de la vieille ville de
Jérusalem. Selon l'archéologue Eilat Mazar, ces ruines des murs de la
ville d'Ophel correspondraient à la «porte des eaux» mentionnée dans
le Livre biblique de Néhémie (3:26; 8:1; 8:3; 8:16; 12:37). Il fut également
découvert des Mikvaot (bains rituels), des salles de magasins, une tour de
guet, des bâtiments royaux, jusqu'aux systèmes souterrains sophistiqués
d'alimentation en eau, et des restes de bâtiments publics situés le long des
murs de soutènement du mont du Temple. Eilat Mazar relève également
la bonne conservation des ruines et particulièrement celle des murs
intérieurs d'une hauteur de cinq mètres. Avi Mashiah, qui a supervisé les
travaux de conservation, signale que certaines poteries découvertes dans
les bâtiments royaux furent noircies par les incendies lors de la mise à bas
du premier Temple de Salomon, détruit par les Babyloniens en 587 av.
J.-C. 54, lors de la déportation des Juifs à Babylone.

En 2012, c'est au tour d'archéologues travaillant dans la vieille


ville de trouver une vaste citerne. La chaux ocre trouvée sur les murs
est caractéristique de celle utilisée à l'époque du Premier Temple. Ses
dimensions conséquentes - 12 mètres de long, 6 mètres de large et 5 mètres
de profondeur - laissent entrevoir qu'elle pouvait contenir entre 250 et
300 mètres cubes d'eau. La citerne était sans doute destinée à un usage
public. D'après Tvika Tsuk, l'archéologue en chef de l' Autorité israélienne
des parcs naturels, cet immense réservoir situé non loin du Mont du
Temple «devait sûrement servir pour les activités journalières du Temple,
et plus tard, pour les pèlerins qui affluaient.» Ces fouilles font partie d'un
projet qui permit de mettre à jour un canal de drainage du Second Temple
54 http: / /www.la-croix.com/ article/ imprimer/ 666841 #
LA ROUTE SANGLANTE VERS JÉRUSALEM 59

partant de la piscine de Shiloah vers le nord de l'arche de Robinson. Ce


canal traverse la ville ancienne du nord au sud, parallèlement au Mont
du Temple. Ce canal avait également servi de refuge aux habitants de
Jérusalem durant la destruction du second Temple55 •
L'année 2012 aura rapporté ses surprises avec la divulgation d'une
structure massive déjà décelée en 2010. En effet, parmi les découvertes
d'Ophel, il fut déterré un impressionnant mur de 70 mètres de long et
6 mètres de haut. Le mur a été daté du 10e siècle avant notre ère, et tout
indique qu'il aurait été construit par le roi Salomon comme mentionné
dans lRois 3:01. Ce passage des Écritures indique : « . . . et la maison
de l'Éternel, et le mur d'enceinte de Jérusalem.» S'exprimant lors de la
cérémonie officielle de l'inauguration, le Dr Eilat Mazar signale à nouveau
«qu'une fortification à la fois hautement qualifiée et très sophistiquée fut
construite par le roi Salomon. » Ce mur contient les plus grosses pierres
taillées de la période du Premier Temple jamais trouvées en Israël56 •
Autre découverte effectuée sur la zone d'Ophel: durant l'été 2013,
Eilat Mazar dévoila le «Trésor du Ophel », constitué en une collection
de 36 pièces d'or et argent comportant un grand médaillon de plus de
10 centimètres sur lequel sont gravés une Ménora, un chofar et un rouleau
de papyrus. Nous comptons également, parmi les découvertes, une
empreinte du sceau du roi Ézéchias avec l'inscription «Appartenant à
Ézéchias, fils de Achaz, roi de Juda». Il s'y trouve aussi un soleil avec ses
rayons (comme celui d' Akhenaton) entouré de deux ailes à la manière des
Égyptiens, et de deux Ankhs égyptiens, symbolisant la vie éternelle.

12. Empreinte
du sceau du
roi Ézéchias
égyptianisé
avec deux Ankhs,
symboles de vie.

55 http: / /www.hamodia.fr/ article.php?id=3657


56 http: / / pleinsfeux.org / decouverte-du-mur-du-roi-salomon/ # .VroualLdtNs
60 CORPUSDEAE

Étant âgé, David désire que son fils Salomon devienne le prochain
roi. Le souverain demande alors à Tsadok et à Nathan, le prophète, d'oindre
Salomon avec l'huile sainte. Le mot hébreu pour «oindre» et «onction»
est Mashiyah. Étrangement, ce terme évoque les deux mots égyptiens
employés pour désigner un crocodile : Mesah et Meseh. L'association entre
l'onction et le crocodile rappelle justement l'ancien rite égyptien de la
cérémonie du couronnement des Pharaons qui s'effectuait dans le temple
du dieu crocodile à Korn Ombo, où les prêtres employaient de la graisse
de crocodile en guise d'onction royale. Ce mot n'est pas sans rapport avec
le Messie. Lors de mon enquête auprès de francs-maçons, l'un d'eux m'a
signalé que les sacres des rois de France s'effectuaient à Reims de façon
ésotérique. L'huile consacrée dans la sainte ampoule, et ensuite mélangée
au saint chrême, aurait été de la graisse de crocodile comme chez les
anciens Égyptiens! Dans les derniers comptes rendus historiques, l'huile
en question se présentait sous la forme d'un baume desséché. Il serait à
envisager que ce genre de procédé, sans doute inspiré par Râmosé (Moïse),
s'opérait aussi à Jérusalem de la même façon.

Les textes saints présentent Salomon, roi de 968 à 928 av. J.-C., comme
poursuivant l' œuvre de son père David en construisant un sanctuaire pour
le Dieu unique et pour l'Arche d' Alliance. Considéré comme le plus grand
sage parmi les sages, Salomon est instruit à la langue des oiseaux (Coran
27:16), celle des initiés. Cultivé et sage, même magicien, on lui concède
aussi l'Amour mystique des femmes, celui détaillé dans le Cantique des
Cantiques de l'Ancien Testament.
Selon le Premier Livre des Rois, Salomon multiplie la taille de
Jérusalem en lançant un vaste programme de constructions. Initialement,
le village de David englobait 3 hectares tout au plus; celui de Salomon
allait atteindre 14 hectares tout autour de la colline du Temple et plus tard
240 000 mètres carrés. Les archéologues lui attribuent dans le meilleur
des cas près de 1500 mètres de long sur 70 à 100 mètres de large. Les
recherches sur le terrain révèlent de petits établissements à l'expansion
limitée. Pourtant, malgré les découvertes réalisées sur le site d'Ophel et
dans l'ancienne ville, à en croire les comptes rendus archéologiques, la
population de l'époque de David et Salomon était peu nombreuse et vivait
dans une zone qui ne correspond en rien à la version biblique où le peuple
de Juda est décrit comme vivant dans un vaste centre urbain organisé
selon un grand état.

Pourtant, pour se préserver du désert et des nations voisines, les


rois d'Israël ceinturèrent Jérusalem de remparts percés de huit portes.
À l'époque de Salomon, de nombreuses caravanes circulaient entre
!'Euphrate et l'Égypte, la Phénicie et la mer Rouge. Empruntant ainsi les
routes les plus courtes, les convois comme les groupes isolés passaient
LA ROUTE SANGLANTE VERS JÉRUSALEM 61

nécessairement par Jérusalem57 • Nous verrons cela un peu plus loin, mais
les Templiers allaient, à leur tour, emprunter certaines de ces routes pour
réaliser quelques excursions ...

3. Le Mont du Temple

Les seuls renseignements disponibles sur la conception du Temple


de Salomon se trouvent dans l'Ancien Testament, en particulier dans le
Second Livre de Samuel, le Premier Livre des Rois et le Premier Livre des
Chroniques. On en trouve aussi quelques-uns dans le Coran.

13. Reconstitution en 30 du premier Temple de Salomon selon les indications bibliques.

Salomon se lance dans la construction du Temple. Il enrôle 30 000 Is-


raélites répartis en trois groupes de 10000 travailleurs. Les montagnes du
royaume de Judée ne comportant pas beaucoup d'arbres, Salomon de-
mande alors de l'aide à Hiram de Tyr qui lui fournit le bois de cèdre ainsi
que des artisans. Les travaux démarrent par l'abattage du bois au Liban
alors que 80000 hommes sont envoyés dans les montagnes afin d'extraire
les pierres pour les fondations et les murs du Temple. Salomon fait venir
du Liban un certain Hiram58, artisan expert en airain, sans doute envoyé
par le roi de Tyr lui-même. Fils d'une veuve, il exécute tous les travaux
commandés par Salomon, dont les fameux moulages en bronze des deux
colonnes du Temple, /akin («il établit») et Boaz («avec force»), ainsi que le
57 André Chouraqui, Jérusalem - Une ville sanctuaire, Éditions du Rocher, 1996, p. 30-31.
58 À ne pas confondre avec le roi de Tyr qui porte le même nom!
62 CORPUSDEAE

bassin (la mer d'airain), soutenu par douze bœufs et destiné aux ablutions
es prêtres.
Le Temple de Salomon fera 30 mètres de long sur 10 mètres de large
pour une hauteur de 15 mètres. Magnifique par sa forme et ses matériaux,
il disposait de beaucoup de salles. Les murs et les sols étaient couverts
d'or. Les prêtres apportèrent l'Arche d' Alliance qui y resta pendant plus
de trois cents ans sans être touchée par la main de l'homme.

Les temples successifs de Jérusalem se situaient sur le Mont du


Temple, Moriah en hébreu («ordonné/ considéré»), nom donné au massif
montagneux sur lequel se trouve le «Rocher de la Fondation», l'Even
Hashtiya (la «pierre d'assise») du Saint des Saints des différents temples
de Jérusalem. Le Rocher de la Fondation se trouve aujourd'hui au cœur
du Dôme du Rocher. Nous l'avons vu plus haut, l'Arche fut déposée à
cet emplacement, mais c'est également ici que la tradition situe la ligature
d'Isaac, moment où Abraham voulut sacrifier son fils. Pour rappel, c'est
encore là que l'on sacrifiait des enfants pour YHWH. Chez les musulmans,
ce rocher serait aussi l'endroit d'où Mahomet monta au Paradis. Lors du
second Temple, alors quel' Arche n'était plus présente, les grands prêtres
utilisèrent le Rocher de la Fondation à travers l'emploi de fumigations et
d'aspersions de sang lors des sacrifices sanglants du Yom Kippour.

14. Le Rocher de la
Fondation ou Even
Hashtiya («pierre
d'assise») du Saint des
Saints des différents
temples de Jérusalem.
Ce rocher se trouve
aujourd'hui au cœur
du Dôme du Rocher,
également dénommé
la mosquée d'Omar.
Photographie du
début des années 1900
LA ROUTE SANGLANTE VERS JÉRUSALEM 63

Malheureusement, aucune trace du fameux Temple ne subsiste


aujourd'hui. Située à l'est, sur le point culminant du mont, l'ancienne
zone du Temple regroupe deux des plus glorieux monuments de l'islam,
la mosquée al-Aqsa et le Dôme du Rocher. Pour des raisons religieuses,
des fouilles approfondies y sont impossibles. L'ancien édifice semble
recouvert par les fondations de constructions plus récentes. Selon les
indications de l'historien juif Flavius Josèphe (La guerre juive, V, 184-226;
Antiquités judaïques, XV, 380-402), Hérode le Grand fit construire son
temple gigantesque sur la vaste plateforme artificielle édifiée sur le rocher
naturel, à l'emplacement même du fameux temple original de Salomon,
plus vieux d'un petit millier d'années. Entre 19 et 12 av. J.-C., Hérode fit
également construire l'immense esplanade «à la romaine» encore présente
aujourd'hui. Comme le précise l'archéologue Israël Finkelstein, le mont
d'origine fut ceinturé par un énorme mur de soutènement, comprenant
le mur occidental ou mur des Lamentations. La surface intérieure fut
entièrement nivelée, comblée avec du remblai, et supportée par des arches
et des voûtes. Le coin sud-est de l'ouvrage repose sur treize rangées de
piliers hauts de 9 mètres. La tradition populaire y place «les écuries de
Salomon». Tous les niveaux archéologiques antérieurs sont détruits;
il semble impossible que des vestiges de l'époque de Salomon aient pu
survivre à des travaux d'une telle ampleur59 •
Selon l'historien post-sioniste Shlomo Sand, si un temple existait
à cet emplacement, il devait être païen! Les fidèles juifs ne pouvaient
d'ailleurs accéder au Mont du Temple sans apporter avec eux les cendres
d'une vache rousse ajoute-t-il60 • Cet étrange rituel se retrouve dans la Bible,
au chapitre 19 des Nombres. En effet, il fait partie des ordonnances de
YHWH à Moïse sur les sacrifices à l'attention des prêtres et lévites. Le
sacrifice de la vache rousse par le feu apportait des cendres destinées à
l'usage rituel de la communauté pour l'eau lustrale et pour nettoyer les
vêtements. Il s'agissait d'un sacrifice pour repousser le péché.
Nous en avons déjà discuté plus haut, ce type de rituel provenait
d'Égypte où l'on sacrifiait une vache rousse (symbole du désert et de Seth)
pour repousser le mal. Mais dans l'esprit des anciens Juifs de l'époque
des deux Temples de Jérusalem, le rituel du sacrifice de la vache rousse ne
repoussait plus le dieu Seth, il rejetait plus simplement la terre d'Égypte
incarnée par la vache céleste, la Déesse-Mère Hathor, image d'Isis et
Nephtys. Nous reparlerons abondamment de la vache égyptienne Hathor
dans cette enquête; son aura et sa puissance auront simultanément touché
l'Ordre du Temple à un point que nul ne peut encore envisager ... Quelques
semaines avant de clôturer ce dossier, une ancienne tablette sumérienne
se plaça sur mon chemin. Elle raconte la mort d'une jeune vierge, d'une
déesse assimilée à une vache rousse. Sa disparition suscita l'émoi et le

59 Israël Finkelstein et Neil Asher Silbennan, Les rois sacrés de la Bible, Paris, Éditions Bayard,
2006, p. 164.
60 Shlomo Sand, Comment la terre d'Israël fut inventée, Éditions Flammarion, 2012, p. 12.
64 CORPUSDEAE

désastre en Orient. Qui aurait pu imaginer un rapport quelconque avec les


Templiers et le Graal? Vous serez les premiers à en comprendre le sens.

4. Le culte de la Pierre Noire et de la Déesse-Mère au Proche-


Orient

Selon les informations du chapitre 11 du Premier Livre des Rois,


Salomon appréciait les femmes et possédait un harem royal dans lequel se
trouvaient 700 épouses et 300 concubines. Nombreuses parmi ses femmes
étaient celles qui ne croyaient pas en YHWH et priaient Astarté, la Reine
du Ciel ou encore son double Asherah; certains diront simplement qu'elles
adoraient les idoles. «Salomon alla auprès d' Astarté», ajoute la Bible (11:5),
faut-il s'en étonner?

Les anciens textes musulmans (Sunna ou «Règles de Dieu») sont


clairs : le prophète Mahomet recommanda d'orienter initialement les
prières vers Jérusalem et le Mont du Temple. C'est seulement en 624
de notre ère, après une révélation, que Mahomet décida de se tourner
dorénavant vers la Kaaba de la Mecque, à savoir le sanctuaire cubique où
l'on vénérait les bétyles ou météorites. Avant l'avènement de l'Islam, il y
existait 24 Kaabas dans la péninsule arabique, mais celle de La Mecque
semblait vénérée par toutes les tribus. Si l'on regarde de près l'écrin de la
Pierre Noire de la Mecque, placé à l'angle de la Kaaba, on remarque très
clairement une forme de vulve ...

15. Ancien écrin de


la Pierre Noire de
la Mecque conservé
au Musée du
Palais de Topkapi à
Istanbul.
Photographie de
Mwanasimba
LA ROUTE SANGLANTE VERS JÉRUSALEM 65

La vénération des pierres célestes béthyles (de l'hébreu béthel, «pierre


sacrée») relève d'une très ancienne coutume dont les traces se perdent
dans la plus lointaine Antiquité. La Pierre Noire de la Kaaba provient d'un
culte préislamique très répandu dans tout le Proche-Orient. Nombre de
pierres passées pour être tombées du Ciel avaient gardé de leur traversée
à travers l'abîme céleste, une vertu spéciale et les anciens les tenaient pour
responsables de prodiges. De Rome à la Grèce en passant par l'Égypte, ce
genre de pierres noires était systématiquement associé à la Déesse-Mère.
La superstition attribuait même à ces pierres la faculté de se
mouvoir encore à certains moments dans l'air, au milieu d'une boule de
feu, comme au moment de leur chute. C'est sans doute à cause de cela
qu'on les associait à des divinités vivantes, et qu'on les nommait bétyles,
«pierres animées». La couleur en était presque toujours noire, marque de
leur origine ignée et sidérale. C'est ainsi que les inscriptions cunéiformes
mentionnent les sept pierres noires adorées dans le principal temple de
la ville d'Orchoéen en Chaldée, bétyles personnifiant les sept planètes
principales de notre Système Solaire61 •

À la Mecque, avant l'Islam, la tribu des Quraïch révérait une triade


de divinités féminines : Allat, Al-Uzza et Manat. Les membres invoquaient
leurs noms au cours de leurs circuits autour du Kaaba. Selon l'historien
arabe Ibn al-Kalbi (739-819), les Quraysh avaient coutume de faire le tour
de la Kaaba en déclarant : «Au nom d' Allat, d' Al-Uzza, et de Manat, la
troisième idole. Elles sont réellement les 'Al-gharanrq' (femmes de condition
supérieure) dont il faut demander l'intercession.» Pour les Nabatéens, Allat
figurait la mère de tous les dieux, alors que pour les autres Arabes, Allat,
Al-Uzza et Manat figuraient les filles d'Allah et servaient d'intermédiaires
entre Dieu et les hommes62 •
Autrefois, la pierre sacrée était célébrée par sept prêtresses nues
qui «gravitaient» sept fois autour de cette pierre, une fois pour chacun
des sept astres principaux de notre Système Solaire. Aujourd'hui encore,
les individus responsables de la Kaaba sont appelés «fils de l' Ancienne
Femme» ou «fils de Saba» en arabe. La déesse Allat possédait un surnom :
Saba, prononcé Shaybah, signifiant «Sage-Femme» ou «Celle de l'ancienne
Sagesse». Avant l'Islam, les gardiennes du sanctuaire étaient des prêtresses
appelées Bathi-Sheba, «filles del' Ancienne Sage-Femme». Les musulmans
ont gardé le sanctuaire cubique, et tournent encore autour, comme à
l'époque où l'on vénérait la Déesse-Mère63 •

P. Saintyves, Essais de folklore biblique, op. cit., p. 141.


61

Jawâd Ali, Al-Mufassal fi tdrîkh al-'arab qabl al-isldm, Dar al Malayin, Beirut / Makatanah al-
62

Nahdah Baghdad, 1968, vol. 5, p. 223.


63 Ibid.
66 CORPUSDEAE

*
* *

Comme nous le savons, l'histoire de Jérusalem à l'époque légendaire


de David et Salomon se résume à la lutte contre les attaques extérieures des
empires voisins, au moment même où les prêtres et prophètes entamaient
une bataille contre l'idolâtrie. C'est en tout cas ce que souhaite nous faire
croire la religion hébraïque. Une fois encore, les fouilles et même la Bible
nous apportent une tout autre réponse.

La déesse Asherah semble présente, non seulement auprès de Baal,


mais particulièrement aux côtés de YHWH, dès le 9e siècle av. J.-C., comme
en témoigne le site de Kuntillet Ajrud, situé au nord-est de la péninsule du
Sinaï. Une inscription fait mention de YHWH de Teman et son Asherah, ce
qui indique que les anciens habitants de Juda n'étaient pas monothéistes
comme le souhaitait Moïse; ils associaient une Déesse-Mère à leur dieu
national YHWH et lui donnaient même le rôle de parèdre. Asherah
désigne l'arbre sacré, la stèle ou encore le pieu dressé en l'honneur de la
Déesse-Mère. Dans la Bible, les termes Asherahs et Astartés désignent les
manifestations féminines et divines que les textes saints condamnent.

16. Plusieurs formes


de la reine du Ciel,
Ashera, héritière
d' Astarté ou d'IStar
de Babylone,
toutes patronnes
de l'amour et
de la guerre. On
remarquera les
figures entourées
en blanc fortement
inspirées de la
déesse égyptienne
Hathor dont
nous parlerons
amplement dans
cette étude.
LA ROUTE SANGLANTE VERS JÉRUSALEM 67

Lors del' invasion del' ancienne région de Canaan et de leur conquête


de «la Terre Promise» sous le commandement de Josué, les Hébreux
passèrent chaque être vivant au fil de l'épée. Ils ne laissèrent aucun
survivant (cf. Jos. 10:28-40). Dans plusieurs grandes villes cananéennes, la
population adorait les déesses Ashtoreth et Asherah, ainsi que leur époux
Baal ou Bel, dérivé du ÎL ou EL sumérien (litt. «celui qui est élevé» ou
«celui qui brille»). Dans l'ancienne conception hébraïque, El possédait un
fils divin appelé YHWH, tout comme le grand dieu An, figure imposante
du panthéon sumérien, provenait d'illustres ancêtres Usumgal («grands
dragons»). Cependant, la conception monothéiste de YHWH absorba
assez rapidement les fonctions d'El à l'époque des rois David et Salomon.
En dépit de la mise en garde des lévites et de leur violente campagne
contre la Reine du Ciel, beaucoup d'Hébreux trouvèrent un attrait
particulier à la Déesse. Pour un grand nombre d'entre eux, cette dernière
leur remémorait sans doute la religion de leurs ancêtres issus d'Égypte où
l'on vénérait Isis et Nephtys, respectivement la vierge et la prostituée, sous
les traits de la déesse-vache Hathor ou Bat. Toutes deux étaient à la fois
mères et maîtresses du fils solaire Horus. Ce détail n'aura sans doute pas
échappé aux Templiers, mais nous y reviendrons.

Asherah était la déesse principale des Cananéens, à la fois épouse


d'El et mère des dieux. Comme l'Isis-Hathor égyptienne, on liait Asherah à
la naissance des souverains cananéens et elle incarnait leur mère et nourrice.
Nous avons trouvé plusieurs tombes du royaume de Juda où les femmes
portaient la perruque d' Asherah. Perruque qui rappelle celle de la déesse
égyptienne Isis-Hathor! De toute évidence, Ashera forme un mélange des
déesses égyptiennes Hathor et Bat, d'Inanna chez les Sumériens, d'IStar
chez les Babyloniens, d' Ashratum des textes paléo-babyloniens ou encore
d' Astarté que l'on retrouve dans tout le Proche-Orient.
Cette exaltation d' Asherah entre l'époque de la conquête de Canaan
jusqu'à la chute de Jérusalem en 587 av. J.-C., se retrouve jusque chez le
roi Salomon qui l'introduisit à Jérusalem. Un centre imposant du culte
d' Asherah se mit en place dans la région de T' anachim, au sud de la vallée
de Jezreel, sous l'impulsion de la cour de Salomon.
De plus, nous avons trouvé sur les sites israélites des milliers de
figurines de déesses produites en grandes quantités en bronze et en
céramique. L'archéologue américain William G. Dever fait l'état des lieux
dans une étude poussée et ajoute que la plupart des figurines présentent
une silhouette féminine nue avec des seins exagérés, parfois même
représentée enceinte ou donnant le sein à un enfant. Mais il subsiste une
différence importante entre les figurines provenant des sites israélites et
celles découvertes sur les sites cananéens païens : on ne trouve pas, dans
la partie située sous la taille des figurines israélites, les détails explicites
caractérisant les objets cananéens; en effet, la partie située sous la taille
des figures israélites forme une simple colonne, une stèle ou un piquet. Ce
68 CORPUSDEAE

n'est pas le cas des objets cananéens païens où la Déesse-Mère (Asherah,


Anat ou Astarté) se retrouve fortement sexualisée par l'amour érotique ou
l'enfantement. Dans les figures israélites, c'est uniquement l'aspect Dea
Nutrix («déesse nourrice») que l'on met en évidence64•
Ce «sacrilège» allait durer plus de 500 ans. Dans le livre de
Jérémie se trouve un passage particulièrement révélateur, signale Merlin
Stone, professeur d'histoire de l'art. L'incident se situe dans une colonie
hébraïque d'Égypte vers 600 av. J.-C. La religion de la Grande Déesse et
le culte qui lui est rendu, même par les Hébreux de cette époque, ne sont
pas présentés comme une nouvelle religion, mais comme une coutume
adoptée autrefois par les Hébreux à Jérusalem. L'extrait laisse entendre
qu'il s'agit d'une religion de femmes, bien que le lévite responsable de la
rédaction du texte biblique insiste soigneusement sur le fait que ce sont
les maris qui détiennent l'autorité tout en mettant l'accent sur le système
de parenté patrilinéaire dans la réponse présentée par les adorateurs de la
Reine du Ciel eux-mêmes65 :

«Alors tous les hommes qui savaient que leurs femmes encensaient
des dieux étrangers et toutes les femmes présentes - une grande
assemblée - avec tout le peuple établi au pays d'Égypte et à Patros,
firent cette réponse à Jérémie : «En ce qui concerne la parole que tu
nous as adressée au nom de YHWH, nous ne voulons pas t'écouter;
mais nous continuerons à faire tout ce que nous avons promis : offrir
de l'encens à la Reine du Ciel et lui verser des libations, comme
nous le faisions, nous et nos pères, nos rois et nos chefs, dans la
ville de Juda et les rues de Jérusalem. Alors nous avions du pain à
satiété, nous étions heureux et nous ne voyions point de malheur.
Mais depuis que nous avons cessé d'offrir de l'encens à la Reine
du Ciel et de lui verser des libations, nous avons manqué de tout et
avons péri par l'épée et la famine. D'ailleurs, quand nous offrons de
l'encens à la Reine du Ciel et lui versons des libations, pensez-vous
que c'est à l'insu de nos maris que nous lui faisons des gâteaux qui
la représentent et lui versons des libations?»
Jérémie 44:15-19

64 William G. Dever, Recent Archeological Discoveries and Biblical Research, University of


Washington Press, 1990, p. 157 à 159.
65 Merlin Stone, Quand Dieu était femme, Montréal, Éditions !'Étincelle, 1979, p. 258-259.
LA ROUTE SANGLANTE VERS JÉRUSALEM 69

17. Plusieurs idoles d' Ashera en terre cuite, généralement associées au culte de la fécondité.
Âge de Fer: 1000-700 av. J.-C., royaume de Juda. Musée d'Israël, Jérusalem

Les renversements réguliers des cultes des déesses ou des idoles


illustrent leur importance auprès des fils d'Israël. Dans tout l'Orient, ces
divinités, sous leurs différentes appellations, incarnaient systématiquement
des déesses de la fécondité, garantes de la continuité de la vie humaine et
végétale. Du fin fond de l'Afrique, en passant par l'Égypte jusqu'aux rives
des deux fleuves bibliques de Mésopotamie, l'archétype de la Déesse-
Mère restait strictement le même. Endossant à la fois les rôles de mère,
d'épouse ou de maîtresse, elle pleurait périodiquement la disparition de
son amant, dont la chute provoquait le déclin des forces de la nature. Ce
dernier lui était toujours subordonné en raison de son jeune âge. Alors la
déesse aimante se lamentait, implorait les dieux et descendait même au
plus profond d'un cachot souterrain à la recherche de son bien-aimé pour
le relever et restaurer la royauté perdue ... Elle seule détenait le pouvoir
de la flamme vivifiante et pouvait apporter le Feu Sacré purificateur.
Ensuite, elle célébrait ses noces avec son fils et amant. Le mariage sacré
était annuellement consacré afin d'assurer le renouvellement des forces
de vie constamment remises en cause par les forces du mal qu'il fallait à
tout prix repousser. Finalement, dans le grand lit bleu, les deux amants se
retrouvaient pour s'unir et restaurer l'équilibre au pays.
La déesse se trouvait au cœur d'un drame qu'elle seule pouvait
résoudre. Tous les livres d'histoire, et particulièrement ceux tournant
autour du thème de Babylone, évoquent ce rituel païen préservé en
ancienne Mésopotamie. Mais qui l'a véritablement compris? D'une façon
70 CORPUSDEAE

ou d'une autre, les Templiers découvrirent cette tradition dont on retrouve


des échos importants en Égypte pharaonique. Sumer et Babylone nous
expliquent le dénouement de cette histoire, mais le pays du Nil nous
apporte le motif, la raison pour laquelle le drame se mit en place. Comme
nous allons le découvrir, l'obstination des Templiers à sillonner l'Égypte
pour y prélever une tradition cachée (la Gnose égyptienne) ainsi que des
objets de culte, nous démontre qu'ils prirent cette histoire très au sérieux.
C'est d'ailleurs pour cette unique raison que la Sainte Milice du Christ
imposa le crachat sur un crucifix et le reniement de la mise en croix de
Jésus lors de leur réception dans l'Ordre. Nous aborderons ce sujet plus
loin.
Alors, qu'apprirent donc les Templiers ou que découvrirent-ils
exactement? Lors de leur arrivée en Terre Sainte, l'ombre d'une ancienne
déesse dérivée d'Isis-Hathor planait encore au-dessus de tout le Proche-
Orient et même de Jérusalem. C'est ce que nous allons découvrir progres-
sivement à travers l'histoire cachée de la fondation de l'Ordre des Tem-
pliers, tout en passant par le point de vue éclairé d'un haut gradé de la
franc-maçonnerie ...
2ePARTIE

LES TEMPLIERS
...
A LA RECHERCHE
,,
DE LA PRESENCE DIVINE
1
Les origines secrètes
de l'Ordre du Temple

Ce titre fascinant aura fait couler beaucoup d'encre. Ne perdons


pas de vue notre progression sur un chemin miné et pourtant chargé de
secrets bien gardés. Qui dit secrets, dit nécessairement manque de preuves
directes et vérifiables. Pour autant, il était de mon côté impensable de
tomber dans le piège qui consiste à se lancer dans de pures spéculations
sans consistance.
Traiter de sujets comme les origines secrètes et les connaissances
cachées des Templiers allait obligatoirement attirer une foule de curieux,
mais aussi d'envieux prêts à annoncer ma chute irrévocable. Je possédais
pourtant un avantage de taille, celui de connaître la finalité de cette
enquête.
Lorsqu'on se lance dans la recherche, on fouille dans tous les sens
afin d'obtenir «le Graal suprême», c'est-à-dire la découverte de taille qui
justifie tous les efforts. Ce n'était pas mon cas, à la faveur de mes différentes
recherches sur le Graal entamées depuis le début des années 1990. Cette
gigantesque aventure de la pensée humaine avait orienté mes pas vers une
interprétation bien différente de celle communément propagée dans les
livres. Ce chemin du Graal antique délimita les sentiers des illusions pour
m'orienter vers une version plus rude et indissociable du sacrifice où le
sang versé se transforme en agent de guérison.
Cette voie transforma sans doute ma vie et me projeta dans un
univers où la Lumière reste aveuglante à jamais. Tel un enquêteur revenu
des abîmes célestes, il ne me restait plus qu'à ramasser les fossiles jonchant
le chemin; eux seuls pouvaient expliquer la présence de la fameuse tête
templière, le Baphomet, en partie responsable de la chute de l'Ordre du
Temple. Patience ...
74 CORPUSDEAE

1. Présentation et point de vue de Tau Eléazar, haut gradé de la


franc-maçonnerie

Comme indiqué dans l'introduction, en vue d'obtenir le plus


d'éléments possibles pour cette enquête sur les origines obscures des
Templiers, j'ai demandé l'avis éclairé du franc-maçon Tau Eléazar.

A.P.: Tau Eléazar, merci de participer à cette enquête sur les Templiers
et le Graal. Pourriez-vous vous présenter en quelques mots ? Quelle
loge vous a initié et quels degrés possédez-vous ?
T. E. : «C'est avec plaisir que je répondrai à vos questions, dans le
but d'éclairer le public sur ce milieu hermétique qu'est la FM. Je
répondrai donc de manière à éclairer tout en gardant une discrétion
due à mes engagements, je veux bien éclaircir, mais en aucun cas
dévoiler. En utilisant le terme «dévoiler», nous entrons de front
dans le symbolisme maçonnique. En effet, dévoiler veut dire lever le
voile, donc je vous donnerai des informations de ce qu'il y a derrière
le voile, mais je ne vous emmènerai pas derrière le voile.
J'ai de longues années de Maçonnerie derrière moi, j'ai été initié à de
nombreux rites, maçonniques et autres ... tous ayant une symbolique
spécifique. Les grades que je possède, ma «hauteur» dans l'échelle
maçonnique n'a aucune importance, car nous ne sommes pas là
pour parler de moi, mais, je le rappelle, pour éclairer le profane.
Disons que je suis suffisamment élevé dans l'échelle pour savoir
de quoi je parle. Mais attention, être haut placé ne permet pas de
regarder les gens de haut ... Quelle que soit la «hauteur» d'un frère,
il apprend une chose, qu'il restera un éternel «apprenti» (premier
grade de la FM).
Quand vous êtes profane et que vous découvrez un certain savoir,
vous n'avez de regard que pour l'étendue de votre propre savoir qui
augmente, et vous apporte une certaine fierté. Puis, un jour, vous
prenez conscience, non plus de l'étendue de votre savoir, mais de
l'étendue de ce qu'il vous reste à apprendre, à découvrir, et vous
découvrez alors le sens du mot humilité, car la connaissance doit
vous mener non à la fierté, mais à l'humilité.
La franc-maçonnerie croit en un principe créateur etc' est là que nous
entrons dans le vif du sujet. Mais qui est donc ce créateur? S'agit-il
de Dieu? Les avis sont partagés et cette question divise. Il peut vous
être demandé si vous êtes en accord avec ce principe, mais il peut
également vous être demandé si vous êtes un bon chrétien.
La Chrétienté n'a qu'un seul Dieu, et pourtant il y a de nombreuses
Églises, catholiques, protestantes, orthodoxes, évangéliques,
coptes, maronites et j'en passe. Au sein même de l'orthodoxie, il y
a des branches telle l'Église orthodoxe de France, qui n'est pas la
même que l'Église orthodoxe russe ou l'Église orthodoxe grecque,
LES ORIGINES SECRÈTES DE L'ORDRE DU TEMPLE 75

roumaine etc. Pourtant tout le monde prie le même Dieu, et tous


sont des chrétiens.
En franc-maçonnerie c'est exactement la même chose. Tout le monde
est d'accord sur le principe divin créateur, mais tout le monde veut
l'honorer à sa manière, malheureusement en croyant que c'est lui
qui a raison et que c'est l'autre qui a tort. La chrétienté est divisée,
la FM aussi.
Je sais d'avance que ce que je vais dire dans ces lignes ne sera pas
reconnu de tous, et je pense que c'est très bien ainsi, car tout un
chacun doit avoir son avis. Là où cela se complique, c'est dans la
compréhension, ne pas être d'accord avec quelqu'un est sain et
ouvre les horizons, être contre les paroles de quelqu'un est malsain
et ferme l'horizon.
C'est un peu comme dans les divorces, lequel des deux a raison?
Eh bien les deux ont raison, seule leur manière de voir les choses est
forcément différente.»

A.P. : Pouvez-vous nous dire ce qui vous autorise à discuter


librement de ces sujets, étant donné que lorsque l'on rentre en
franc-maçonnerie, chaque individu doit prêter le serment de ne rien
divulguer. Ou bien est-ce une légende ?
T.E. : «Non ce n'est pas une légende, mais le serment existe
surtout pour impressionner le profane. Quand vous entrez en
Maçonnerie, vous passez par trois grades 'bleus', qui sont des
grades d'apprentissage. Les trois grades bleus sont 'apprenti',
'compagnon', 'maître'. Pendant cet apprentissage, nul ne peut être
sil.r des sentiments de l'élève, de ses vraies valeurs, donc vous lui
faites prêter serment. Ces serments vous promettent les pires sévices
si vous dévoilez les secrets de loge, telle 'la gorge tranchée', mais
c'est surtout pour impressionner l'étudiant. Ce serment tombe de
lui-même en désuétude au fur et à mesure quel' étudiant «avance»,
car une fois que l'on s'imprègne bien de l'esprit maçonnique, il
coule de source de ne rien dévoiler.
On pense souvent qu'un franc-maçon n'a pas le droit de divulguer
son appartenance à la maçonnerie. C'est plus nuancé que cela, si
vous avez envie de dire que vous êtes FM, dites-le, tant que ce n'est
pas par vanité, par contre, il est interdit de dévoiler le nom d'un
autre frère ou d'une sœur, là encore ce n'est pas une histoire de
serment, mais de bon sens. »

A.P. : Au regard des informations courantes disponibles au


sujet de la franc-maçonnerie, aussi bien dans des ouvrages dits
« conspirationnistes »que sur le Net, on trouve souvent des allusions
assez satanistes, laissant entendre que les francs-maçons seraient
implantés dans les plus grandes instances gouvernementales et
76 CORPUSDEAE

qu'ils pratiqueraient la magie noire et les sciences occultes pour


atteindre leur objectif de contrôle. Le sujet est important et on
aurait tendance à penser que l'on raconte un peu n'importe quoi.
Serait-il possible d'avoir votre avis sincère en rapport avec ce que
vous avez vu et connaissez sur ces sujets ?
T.E. : «Malheureusement le bilan est assez sombre et il y a du vrai
dans ce que vous dites. Encore une fois, la faute n'en revient pas à
la maçonnerie, mais aux hommes qui la gouvernent. La Fraternité
maçonnique est, et je ne le répèterai jamais assez, une chose belle et
utile aux hommes de bonne Foi. Malheureusement il y a une énergie
qui brise la belle nature humaine, j'ai nommé le pouvoir 1
Le pouvoir est un parasite addictif, tel l'alcoolisme : plus vous en
aurez, plus il vous en faudra. Lorsque vous cherchez à rejoindre
une loge, car elle est réputée pour être composée d'éminents
hommes de pouvoir ou d'influence, le mal est fait. Cherchez à
entrer dans une loge, car le Vénérable est le maire du village et que
c'est la meilleure manière d'obtenir votre permis de construire, et
vous devenez le ver dans la pomme. Le pouvoir est intimement
lié à la vanité, qui est le deuxième cancer de la fraternité après le
pouvoir. L'histoire nous prouve (mais je ne veux pas m'étendre
sur le sujet car le lecteur s'y perdrait) que le sérieux de la loge
dépend du sérieux de son Vénérable (le dirigeant). De nombreuses
loges, représentant parfaitement l'Esprit de leur créateur, ont fini
par muter complètement pour finir par véhiculer une énergie
strictement différente, voire inverse, de l'idéologie de départ. Une
loge célèbre occultiste créée en 1888 par W ... a fini par se disloquer,
créant des sous-loges, chacune prétendant avoir le' savoir' d'origine.
Un de ses élèves au nom malheureusement connu dans le milieu
occultiste, en devenant à son tour Vénérable, a donné à cette lignée
une réputation pour ses déviances et ses rites sexuels, preuve que
chaque loge finit par ressembler à son Vénérable. Si ce dernier
transmet l'Esprit maçonnique, tout se passera bien, s'il profite de
la loge pour y transmettre ses propres travers, ou pour assouvir ses
propres déviances, la loge devient déviante.
Les désaccords et scissions dans les loges sont plus fréquents
que l'on ne le pense, c'est arrivé dans une grande loge, et ce, tout
récemment ... Mais que celui qui n'a jamais péché ...
Après ces lignes, il faudra éviter de généraliser, la FM a toujours
éveillé une certaine méfiance, la méfiance de l'inconnu. Le peuple a
toujours eu peur de ce qu'il ne connaît pas, et a la fâcheuse tendance
à croire que si les Maçons se cachent, c'est parce qu'ils font des
choses inavouables, alors que c'est tout simplement parce que le
peuple n'est pas prêt à entendre ce qui se dit en loge. À une époque
pas très lointaine, celui qui a prôné l'héliocentrisme en public a été
condamné à mort pour hérésie. Je vous laisse méditer sur la chose. »
LES ORIGINES SECRÈTES DE L'ORDRE DU TEMPLE 77

2. L'Ordre d' Amus et la Fraternité du Serpent

En fouillant au plus profond des sources écrites et des traditions


orales relatives à l'histoire cachée de la fondation de l'Ordre des Templiers,
nous trouvons une organisation secrète dénommée Amus. Le sujet semble
assez récurrent chez les initiés FM, malgré le peu d'éléments disponibles
au grand public. Afin de démarrer cette nouvelle recherche du bon pied,
j'ai demandé une nouvelle fois l'avis de Tau Eléazar :

A.P.: Lorsqu'il est question de la fondation de l'Ordre des Templiers,


il apparaît le nom d'une organisation secrète, celle d'Amus. Ce fait
semble acquis, mais on ne trouve que très peu d'informations sur ce
sujet. En avez-vous entendu parler? Dans l'affirmative, que pouvez-
vous nous dire sur ce sujet?
T.E. : «C'est à Toulouse, au sein d'un monastère, qu'en 804 un certain
sieur Arnaud, fonda l'Ordre d' Amus. La loge se développa très vite
et ses ramifications s'étendirent rapidement, allant jusqu'à Bruges.
Parmi ses dirigeants on trouva des personnes telles que le moine
Gerbert d'Aurillac qui devint pape en l'an mil sous le nomen de
Sylvestre Il. Le Comte de Toulouse, Raymond de Saint-Gilles, ainsi
que Godefroy de Bouillon en firent également partie, ainsi que ...
les neuf chevaliers à l'origine de la fondation de l'Ordre du Temple.
Cela n'est absolument pas anodin.
On ne crée pas un ordre sans raison. Si le Sieur Arnaud, fondateur
de l'Ordre en éprouva le besoin, c'est parce qu'il était parti à la
recherche des Solitaires, ou Ordre des Kadosh, autre ordre célèbre,
qu'il les avait rencontrés et avait eu l'honneur d'être initié par eux.
L'Ordre des Kadosh eut des contacts en Terre Sainte avec l'Ordre
des Chanoines Hospitaliers du Saint Sépulcre, dont nous devons
l'origine à Godefroy de Bouillon lui-même. Vous voyez, les ordres
initiatiques étaient déjà très répandus en ces temps reculés, ce qui
prouve que les principes initiatiques ont toujours existé, car nous
pouvons aller plus loin encore, tous les ordres dont nous parlons
sont eux-mêmes issus d'autres ordres qui nous font remonter
jusqu'à la Fraternité du Serpent, dont faisait partie Enki, mais cela
est une autre histoire ... »

La Fraternité du Serpent Enki... De quoi parle-t-on exactement?


Surtout dans des propos tirés d'un membre de la franc-maçonnerie. Il nous
faut faire un bond rapide en arrière dans l' Antiquité pour entrevoir un
bout de réponse.
Dans le cadre de la mythologie de l'antique Irak, les scribes des
tablettes d'argile considéraient l'arrière-plan narratif comme un fait
historique tant le mythe reposait à leurs yeux sur un fait réellement
advenu à l'époque lointaine des dieux. En ancienne Mésopotamie,
78 CORPUSDEAE

l'entendement de l'antique Serpent (MUS) se retransmettait dans les


Maisons de Sagesse ou É-ABZU en sumérien, littéralement «maison de
l'abysse de la connaissance» ou «maison de la cavité de la connaissance».
La plupart de ces Maisons de Sagesse étaient composées de citernes d'eau
sacrée, exhumées par les archéologues dans les temples des grandes cités
de Sumer, de Babylone et d'Assyrie. Chacune servait lors des initiations à
la connaissance tirées des enseignements millénaires du Serpent Enki-Éa
- dieu de terre et d' eau66 - , prototype divin des deux chemins ou piliers
du temple. Nous avons retrouvé ce genre de structures aquatiques, par
exemple, à Eridu, à A~~ur, à Bahreïn ou encore dans le parc de l' Apsu à
Babylone, à proximité du temple d'Enki-Éa. Annexées aux Maisons de la
Sagesse, se trouvaient bien souvent des demeures universitaires comme
la Bit Mummu, maison de la science d'Enki-Éa ou encore les maisons des
tablettes où l'on gravait la connaissance dans l'argile.

18. Bassin de
purification à
Bahreïn, dans le
Golfe persique.
Il était destiné
aux cérémonies
de purification,
aux baptêmes
et autres rites.

Les citernes et bassins purificateurs de l' Antiquité se retrouvent


plus modestement aujourd'hui dans les mosquées et synagogues (ou
annexes synagogales), lieux sacrés où les pratiquants doivent se purifier en
pratiquant des ablutions ou encore des bains rituels avant de communiquer
avec le divin. Nous retrouvons également ce même concept pour ce qui est
des fonts baptismaux et des bénitiers des églises chrétiennes.
Dans un précédent essai, La Dernière Marche des Dieux (2013), j'ai
mis à disposition du grand public mes traductions des textes contenus

Rappel de mes précédents ouvrages : EN-KI se traduit par« Seigneur de la terre» et É-A par
66

«Maison d'eau».
LES ORIGINES SECRÈTES DE L'ORDRE DU TEMPLE 79

dans le Livre du Commencement de l'Âge Primordial des Dieux, gravés sur


les murs du temple d'Edfu. Je rappelle aux lecteurs que, depuis plusieurs
siècles, beaucoup d'historiens et même d'égyptologues minimisent les
connaissances des anciens Égyptiens en reléguant aux fables et légendes la
version égyptienne de l'Atlantide. Ces textes sont désormais disponibles
dans leur quasi-intégralité dans cet ouvrage. Ce travail monumental de
plusieurs années ne suscita aucun intérêt de la part de la presse spécialisée
en égyptologie, histoire, religion ou autres. C'est dire tout l'intérêt qu'y
porte le pays où je vis et réalise mes recherches, à savoir la France.
Dans ces compositions sacrées, rédigées par 1hot lui-même, appa-
raît à plusieurs reprises (E.VI, 183,10; E.VI, 184,2 et E.Vl,177,11) un temple
aquatique dénommé Bu-Henem, litt. «la Place de la Citerne». Il s'agit de la
plus ancienne mention historique d'un temple de ce type dédié à la puis-
sance et à la gloire du grand dieu terrestre. Ce temple ne se trouve pas en
Égypte, ni même en Mésopotamie, mais au milieu de l'Atlantique, à Mertit
(«les morceaux de terre»), à savoir les îles de l'Ouest où les anciens dieux
égyptiens s'établirent il y a fort longtemps. Il s'agit de l'Atlantide reprise
plus tard par Platon à partir d'informations justement tirées d'Égypte.
Comme en Mésopotamie, la citerne sacrée Bu-Henem («la Place de la
Citerne») se trouve annexée au temple du dieu de la Terre dénommé Tanen,
plus communément baptisé Osiris ou Ptah en Égypte. De ce Ptah, découle
le nom égyptien A'amenptah («le lieu grand et stable du façonneur»), lieu
fantastique qui deviendra l'autre monde des dieux, l'au-delà recyclé en
«Atlantide» chez Platon.

Nous avons vu dans La Dernière Marche des Dieux qu'il ne subsiste à


ce jour qu'un seul temple connu del' Abzu, à savoir l'Osireion d' Abydos.
Cet édifice aquatique serait une copie du Bu-Henem («Place de la Citerne»)
des textes atlantes gravés sur les murs du temple d'Edfu. La ville d' Abydos
se nomme Abdju en ancien égyptien, terme généralement traduit par «la
colline du reliquaire». Un glissement sémantique d' Abzu en Abdju semble
manifeste. L'Osireion se trouvait autrefois sous une colline -véritable image
du principal monticule atlante. Le saint bâtiment renfermait le reliquaire
le plus sacré d'Égypte : la tête de Ptah-Osiris coupée par son ennemi Seth.
Nous avons également confirmé dans plusieurs essais l'identité commune
du dieu égyptien Osiris et de son double mésopotamien Enki-Éa67• La
démonstration est implacable.
Il est probable que certains lecteurs se demanderont alors quel rap-
port il y a entre les temples aquatiques d'Enki-Osiris et l'Ordre d' Amus
en lien avec la fondation de l'Ordre des Templiers. En Mésopotamie
ancienne, les temples citernes É-AB-ZU («maisons de l'abysse de la
connaissance») offraient deux chemins différents que l'initié pouvait

67 Thèse originale détaillée depuis 2007 et largement reprise ensuite par d'autres auteurs sans

qu'ils en précisent la source. Voir également à ce sujet: Anton Parks, La Dernière Marche des
Dieux, 2013.
80 CORPUSDEAE

emprunter afin d'accéder au divin. Le jeu de l'homophonie sumérienne


nous permet de comprendre ce mystère occulté jusqu'à ce jour. Le chemin
d'eau portait le nom d' A-MUS («canal du Serpent») : il accordait à l'initié
l' A-MUS («Source ou Eau du Serpent »68 ). De son côté, le chemin de terre
se dénommait A-MUS («bras du Serpent») et ouvrait le chemin vers l'Â-
MUS («Puissance ou Force du Serpent »69 ). Chacun de ces chemins menait
à la Lumière Divine incarnée par le dieu de la Sagesse Enki-Éa présent sur
l'île centrale de la maison d'eau entourée de canaux et de pierres sacrées.
En empruntant tour à tour ces deux chemins, l'initié aux Mystères arrivait
au lieu de sa renaissance et rencontrait Enki-Éa dont la connaissance
hermétique la plus secrète au monde procure l' A-MUS (« Entendement7°
du Serpent»). Cette connaissance secrète issue du Serpent biblique, révélée
dans mes essais Eden et Le Chaos des Origines, accoucha d'une organisation
secrète intitulée la Fraternité du Serpent.
Plusieurs questions se posent. D'où provenait ce genre de savoir,
ainsi que les bases ésotériques des Templiers, garantes de la fondation
même de l'Ordre? Quel était ce mystérieux Ordre d' Amus dont je venais
de trouver quelques réminiscences dans les rites mésopotamiens? Les
Templiers se soucièrent-ils de l'Atlantide égyptienne, concept pourtant
éloigné des préoccupations du Moyen Âge? Nous ne saurions répondre
à cette dernière question. Par contre, la mise en relation des fondateurs de
l'Ordre avec des organisations reliées à l'Égypte ancienne et à l'antique
Mésopotamie les mirent en contact avec le fonctionnement des temples et
l'initiation aux secrets. Nous venons de l'évoquer, les demeures divines,
quelquefois même reconstruites à l'identique comme à Dendérah (Haute-
Égypte), servaient de lieu d'initiation où les µûaT17ç (grec must€s, «initiés
ayant promis de se taire») pouvaient accéder à l'énergie divine plus com-
munément appelée l'illumination. C'est encore à Dendérah, en Égypte,
que se trouvaient les gardiennes du feu, modèles des futures Vestales gré-
co-romaines ...

Ainsi sommes-nous loin, bien loin des propos entretenus par


quelques complotistes du Web, lesquels se délectent d'apporter la
confusion dans les esprits en assurant que le Serpent serait à la tête de
sociétés secrètes avides de sang et de pouvoir. Ces individus mélangent à la
fois Satan, le Serpent de l'Eden et Lucifer... Ils amalgament respectivement
Enlfl-Seth, Enki-Osiris et son fils, le Porteur de Lumière, Marduk-Horus.
Ces complotistes ne comprennent pas l'enjeu qui prévaut en coulisse et
oppose deux clans divins, sans doute encore en conflit aujourd'hui. Satan
n'est pas le Serpent, ni même Lucifer; lisez mes ouvrages Eden et Le Chaos
des Origines et vous ferez la différence entre ces énergies.

68La particule sumérienne A désigne à la fois : «un canal; l'eau; la source» ...
69La particule sumérienne A désigne à la fois : «un bras, la force, la puissance et le pouvoir» ...
'°La particule sumérienne A se confond avec le Wa akkadien (cf. M.E.A., 383) et désigne bien
!'«entendement».
LES ORIGINES SECRÈTES DE L'ORDRE DU TEMPLE 81

À la décharge de ceux qui ne font que répéter des propos déformés


depuis longtemps, et comme l'a fait remarquer Tau Eléazar un peu plus
haut, la confusion a sans doute infiltré plusieurs sociétés secrètes et
particulièrement les hautes sphères en quête de domination mondiale. Ces
réseaux soutiennent un plan «supérieur» qui n'a rien de divin, mais qui
sert plutôt l'Église de Satan. Rien n'est plus puissant que de détourner
les énergies! Ce mode de fonctionnement est celui de Satan et non de
Lucifer dont le but est, normalement, d'éveiller les consciences et non de
les asservir.

3. L'Ordre d' Amus et la gnose égyptienne d'Alexandrie

L'histoire de l'Ordre d' Amus ne s'arrête pas là. Nous pouvons y


ajouter la présence d'un ancien mystique égyptien, «à l'âme supérieure»,
dénommé Amus. Nous devons cette référence à Synésios de Cyrène (vers
370-414 de notre ère), néoplatonicien d'Alexandrie, philosophe et futur
évêque de Ptolémaïs, qui en parle dans son œuvre intitulée Dio (Dion),
datée de 404.

«Le but auquel il s'agit d'arriver est toujours le même : tous ceux
qui l'atteignent se trouvent à cet égard au même rang. Mais pour
y parvenir, le philosophe, tel que je le conçois, suit une voie bien
meilleure : il s'est tracé sa route, il avance par degré, il doit à lui-
même une partie de ses progrès; sa marche continue le mènera, il
doit l'espérer, au terme de ses désirs; s'il ne va pas jusqu'au but, du
moins il s'en est rapproché, et ce n'est pas un médiocre avantage : il
est au-dessus du vulgaire, autant que le vulgaire est au-dessus des
bêtes.
C'est ainsi que beaucoup de nos philosophes peuvent s'élever bien
haut, tout naturellement et par leurs propres efforts; mais pour
atteindre tout de suite à ces sublimes connaissances, il faut une âme
de noble race, inspirée du Ciel; il faut une intelligence éminente qui
trouve en elle toutes les ressources dont elle a besoin. Tel est Amus,
}'Égyptien : sans avoir inventé les lettres, il jugeait excellemment
cette invention; c'est qu'il avait un génie supérieur. Des esprits
aussi bien doués n'ont pas besoin de méthode philosophique pour
découvrir promptement la vérité : leur pénétration naturelle leur
suffit, surtout quand on les excite, quand on les provoque à déployer
leur force; le germe qui est en eux se développe merveilleusement;
la parole qu'ils reçoivent est comme l'étincelle qui allume un grand
incendie71 • »
Synésios de Cyrène, Dion, extraits 10 et 11

71 H. Druon, Œuvres de Synésius, Paris, Librairie Hachette et Cie, 1878, p. 330.


82 CORPUSDEAE

Synésios suivit les enseignements d'Hypatie, une très remarquable


philosophe grecque d'Alexandrie, qu'il révérait au plus haut point. Il
indiquait, dans l'une de ses nombreuses lettres, qu'elle était« celle qui détient
le privilège d'initier aux Mystères de la philosophie.» Grâce à sa beauté, sa
science et le charme de sa parole, Hypatie faisait figure de Muse auprès
de ses contemporains. Elle incarnait la Sagesse même, celle tant vénérée
par l'école gnostique alexandrine de Philon. Cette Sagesse égyptienne se
basait sur la Connaissance Première révélée par Thot-Hermès et transmise
par les Disciples ou Suivants d'Horus. Dès le second siècle avant J.-C., ce
mouvement théologique appelé Hermétisme s'implanta à Alexandrie grâce
à une élite d'initiés ... La fameuse bibliothèque d'Alexandrie, véritable foyer
intellectuel créé sous le règne de Ptolémée, comptait 400 000 volumes. Il s'y
trouvait également des instruments de physique, des minéraux, végétaux
et animaux. Les étudiants de tout le bassin méditerranéen suivaient les
cours des grands maîtres de cette époque.
Hypatie, cette grande philosophe d'Égypte, avait renoncé aux pas-
sions chamelles pour se consacrer entièrement aux choses de l'esprit. Ainsi
ne se donna-t-elle à aucun homme et resta vierge, préférant l'union des
intelligences72 • On le sait, Hypatie fut lapidée à Alexandrie par une foule
de chrétiens fanatisés en 415, lors d'affrontements entre Juifs et chrétiens.

19. Hypatia (Hypatie).


Alfred Seifert, 1901

72 Une version peu fiable en fait la femme du philosophe Isidore. Cette version pose un
problème à propos du moment où Isidore aurait épousé Hypatie, soit avant la naissance
d'Isidore, soit après la mort d'Hypatie ...
LES ORIGINES SECRÈTES DE L'ORDRE DU TEMPLE 83

Dans une de ses lettres (n° 157), Synésios nomme Hypatie « ô ma


mère, ma sœur, ma maîtresse», titre qu'il lui attribua plusieurs fois jusqu'à
sa mort. Dans une autre correspondance avec Hypatie, il précise : « ... je
négligerai ma patrie; et si jamais je puis la quitter, ce ne sera que pour
aller auprès de vous. » Comme les gnostiques, Synésios élevait la femme
ou plus simplement l'Esprit féminin au plus haut degré. Selon sa propre
conception, pour l'âme tendre et aimante d'un homme, l'influence de la
femme se devait à la longue de demeurer irrésistible, comme un apôtre
attaché au foyer domestique, un peu à l'image de la déesse égyptienne du
Feu Sacré, Bat, au temps des toutes premières dynasties égyptiennes.
Petite parenthèse, retenez bien ce nom que nous évoquons régulière-
ment: Bat, déesse du 7• nome de Haute-Égypte (division administrative),
situé entre Abydos et Dendérah. Cette déesse vache est attestée depuis la
Préhistoire, on la trouve par exemple sur la palette de Narmer, fondateur
de la première dynastie égyptienne, après celle des Suivants d'Horus. Son
nom veut littéralement dire : «Esprit féminin». Nous reviendrons sur ce
sujet de la plus haute importance pour notre enquête.
Synésios, le néoplatonicien d'Alexandrie et ami d'Hypatie, indique
à propos des femmes :

«Ces disciples obéissants s'abstiennent de tout commerce avec


les femmes : cette abstention leur semble par elle-même des plus
méritoires; car ils attachent une grande importance à ce qui n'en a
guère, et ils confondent la fin avec les moyens. Mais pour nous, nous
considérons les vertus comme les prémisses de la vraie philosophie;
car nous dirons avec Platon qu'il n'est pas permis à l'homme impur
de toucher aux choses pures. Les vertus purifient; elles chassent de
l'âme tous les éléments qui lui sont étrangers. Si l'âme en elle-même
était le bien, il lui suffirait d'être purifiée; le bien ne serait que la
conséquence de cet état de l'âme, exempte de tout alliage. Mais l'âme
n'est pas le bien, car comment serait-elle accessible au mal? Elle a
seulement quelque ressemblance avec le bien, elle s'en rapprocha
par sa nature. Quand elle tombe vers les basses régions, la vertu
la relève, et, après l'avoir lavée de ses souillures, la ramène à son
point de départ. L'âme doit tendre constamment vers le bien; elle ne
l'atteindra qu'à l'aide de la raison: car l'intelligence et l'intelligible
s'appellent mutuellement73 • »
Synésios de Cyrène, Dion, extrait 11

Le dictionnaire de la Bibliothèque Universelle des Historiens de


1708 indique que l' Amus égyptien était un solitaire, comparé à un grand
homme chez Plutarque (cf. son ouvrage Isis et Osiris) ainsi que dans le
livre de Jamblique touchant aux Mystères de l'Égypte. C'est peut-être à cet
Amus, signale le dictionnaire, que l'on attribue les écrits des Ammonéens
73 H. Druon, Œuvres de Synésius, op. cit., p. 332.
84 CORPUSDEAE

(les Amorrites)74, futurs Babyloniens, cités par Philon de Byblos et Eusèbe.


Selon Plutarque, précise encore la même source, Amus voudrait dire« ce qui
est caché», alors que Jamblique y voit plutôt le nom de Dieu75, confondant
sans doute Am us et Amon. J'ai bien entendu fouillé les hiéroglyphes
égyptiens pour vérifier la traduction proposée. Je ne vois nullement Amus
comme pouvant se traduire par «ce qui est caché». Amus se traduit plutôt
par «s'emparer de l'entendement» ou «le feu de l'entendement76 ». Au
fil de notre recherche, nous découvrirons l'importance du feu; thème en
rapport avec l'illumination et le Graal primitif.

Amus : «s'emparer de l'entendement»

Am us : «le feu de l'entendement»

Malheureusement, nous ne trouvons aucune trace historique de cet


Amus égyptien, à part dans les sources signalées ci-dessus, mais il est fort
probable que ce saint homme, en contact avec des écrits babyloniens, ait
fortement influencé certaines écoles initiatiques en Orient.

« Ô les plus audacieux des hommes, si vous pouviez nous faire voir
que vous êtes de ces âmes d'élite, comme Amus, comme Zoroastre,
comme Hermès (Thot), comme Antoine, penser que vous avez
besoin de vous améliorer, de vous instruire, ce serait faire injure à
des esprits assez bien doués pour saisir immédiatement la vérité.
S'il nous arrive de rencontrer un de ces hommes supérieurs, nous
aurons pour lui un religieux respect77 • »
Synésios de Cyrène, Dion, extrait 12
74 Ammonéens: peuple de tribus nomades sémites qui d'après la Bible, vivait dispersé en
Syrie et en Mésopotamie. Il s'agit des Amorrites (MAR-TU), fondateurs de plusieurs cités-
États comme Babylone.
75 Bibliothèque universelle des historiens par Elie du Pin, Amsterdam, Imprimeur François

!'Honoré, 1708, p. 19.


76 Us en égyptien: «être large,, ou« largesse"· Dans la plus lointaine Antiquité, on disait d'un

sage qu'il était large pour exprimer son entendement ou son intelligence.
77 Bibliothèque universelle des historiens, op. cit., p. 333.
LES ORIGINES SECRÈTES DE L'ORDRE DU TEMPLE 85

«On demandait un jour à Am.us, si les lettres étaient nécessaires.


Il répondit : 'Si l'esprit par lui-même est vigoureux, qu'est-il besoin des
lettres?' Amus n'inventa pas les lettres, mais il en était un excellent juge;
sans en user lui-même, il démontrait l'utilité pour les esprits ordinaires,
qui suppléent ainsi à ce qui leur manque78 », précise encore la Bibliothèque
Universelle des Historiens.
Il est assez troublant de constater que le terme Amus se traduit
également en akkadien, langue nécessairement employée par le sage
égyptien puisque certains anciens lui attribuaient des écrits babyloniens.
L'assemblage des termes akkadiens Amû79 et Ûsu 80 donne Amûsu
(contraction de Amû'ûsu) : «l'ordre de l'entendement» ou «la voie de
la compréhension»; soit deux définitions assez similaires à l'égyptien
(«le feu de l'entendement») et à l'À-MUS sumérien («l'entendement du
Serpent») signalés plus haut.

En ch~rchant dans les archives disponibles et les traditions


maçonniques, je suis tombé sur quelques allusions concernant un
certain mystique égyptien dénommé Ormus (avec un r), en lien avec les
Rosicruciens. Toutes mes tentatives pour comprendre l'origine de cet
individu et le relier éventuellement au sage Am.us se soldèrent par un
échec. Face à ce problème, je me suis tourné vers Tau Eléazar pour connaître
son opinion.

A.P. : On peut lire ici et là, dans certains ouvrages sur la franc-
maçonnerie qu'un tgyptien dénommé Ormus serait le fondateur
d'une société initiatique dénommée Société des Ormus ou des Sages
de la Lumière. Cet homme aurait été converti au christianisme par
Saint Marc et serait à l'origine des Rose-Croix et de l'initiation
templière. Selon vous, s'agit-il d'un personnage réel ou fictif?
T.E. : «D'abord, ne pas faire de confusion avec l'ordre d' Amus, mais
je crois que ce livre en relate une partie. Ceci étant dit, l'histoire
d'Ormus m'a laissé assez souvent sur ma faim, et mes propres
recherches m'ont conduit en finalité dans des impasses. Pour espérer
pouvoir répondre tout de même à cette question, je me suis donc
tourné vers un chercheur, et pas n'importe lequel, il fallait pour
cela une personne de confiance, dont l'érudition et la notoriété ne
pouvaient laisser place au doute. J'ai nommé Serge Caillet, dont je
respecte énormément les travaux et qui pour moi est une référence,
je vais donc lui passer la plume, afin qu'il puisse nous éclairer.»

Serge Caillet: «L'histoire est une chose et les mythes en sont une autre,

78 Ibid., p. 330.

"'Amû: «parler, discuter», se confond avec 'Wû/Wû («entendement, compréhension»), d.


M.E.A., 383.
80 Ûsu: «ordre, voie».
86 CORPUSDEAE

même si les seconds sont souvent aussi instructifs que la première!


Mais, les faits sont les faits et les légendes sont les légendes ... Or,
cette histoire d'Ormus, propagée par l'Ordre de la Rose-Croix d'or,
au 18esiècle, et reprise par Jacques-Étienne Marconis, fondateur du
rite de Memphis, dans son ouvrage L'Hiérophante, en 1839, est une
légende. Juste une légende!»

*
* *

Comme l'a indiqué Tau Eléazar un peu plus haut, la franc-maçon-


nerie reconnaît un lien incontestable entre les premiers membres des Tem-
pliers et l'Ordre d' Amus fondé en 804. Effectivement, tout semble démar-
rer au se siècle, au cœur de la Palestine byzantine, par la présence d'un
mouvement mystique dénommé l'Ordre des Solitaires ou Kadosh («sacré»,
«pur», «parfait», «saint» ou «sanctuaire »81 en hébreu). Cependant, Plu-
tarque (vers 46 à 125 de notre ère) semblait connaître l' Amus égyptien à
l'époque du début du christianisme; ceci nous obligerait à supposer la
création de cet ordre à l'époque même où le gnosticisme égyptien prenait
son essor. Ces Solitaires, peut-être même dirigés par l' Amus égyptien, for-
maient une étrange communauté d'ermites et d'ascètes, présente entre les
déserts égyptiens de Thèbes (Luxor) à Abydos, en passant par Dendérah.
Ces Solitaires vivaient également plus loin vers le nord-est, en direction du
Sinaï, de la Judée, jusqu'aux frontières syriennes et de l'Irak d'aujourd'hui.
Le noyau primaire de l'Ordre des Solitaires se situait donc dans la
région thébaïde, entre Thèbes, capitale de l'Égypte dès la XIe dynastie, et
l'ancienne cité d'Osiris avec son cimetière royal des premiers Pharaons:
Abydos. Non loin, entre Abydos et le temple d'Isis-Hathor de Dendérah
se situe Nag Hammadi où l'on a découvert la plus grosse collection de
livres gnostiques au monde. La déesse vache Bat, image d'Isis-Hathor,
régissait cet endroit. Nous nous trouvons au cœur même du territoire
de la gnose égyptienne et personne ne semble l'avoir relevé! On préfère
parler d'Alexandrie où la gnose, ou tout du moins l'hermétisme, semble
avoir trouvé une place de choix au cœur des bibliothèques des plus grands
intellectuels et philosophes du second siècle avant notre ère. Mais ce savoir
caché, purement égyptien, provenait de la Connaissance Primordiale des
temps éloignés d'Isis et Osiris, de secrets transmis par Isis à son fils Horus et
ensuite reproduits par Thot-Hermès, à qui l'on attribue toute la littérature
hermétique d'où découlera la gnose (le savoir caché). C'est au cœur des
temples de l'Égypte ancienne et ensuite dans le désert que la gnose fut
initialement propagée pour finalement se retrouver à Alexandrie.

81Cf. La Bible, par ex. Psaumes 46:4, où le terme Kadosch est employé pour désigner un
sanctuaire.
LES ORIGINES SECRÈTES DE L'ORDRE DU TEMPLE 87

20. Évocation de la bibliothèque d'Alexandrie vers le 3• siècle avant notre ère, selon Otto
Von Corvin (19' siècle). On notera l'idée de pylônes avec la tête de la déesse Isis-Hathor.

L'Ordre des Solitaires s'était, semble-t-il, centralisé à Thèbes. Un provençal


dénommé Arnaud y fut envoyé en 800 de notre ère pour recevoir
l'initiation de l'Ordre secret. De retour en France, avec l'initiation aux trois
degrés de l'Ordre du Kadosh en poche, Arnaud fonda l'Ordre d' Amus à
partir des connaissances des Solitaires égyptiens. Assez rapidement, des
ramifications se développèrent un peu partout en Europe.
L'égyptologue René Lachaud précise qu'en 804, l'Ordre d' Amus
s'implanta à Toulouse et à Jérusalem pour prodiguer à ses adeptes une
pensée fortement imprégnée de la gnose dite alexandrine. En Terre Sainte,
la plupart de ses membres vivaient dans la solitude alors que d'autres
consacraient une grande partie de leur temps à accueillir les pèlerins
venus d'Europe pour prier sur le tombeau du Christ. Cet ordre n'était
pas guerrier et privilégiait l'étude et la quête spirituelle. Il servit de relais
entre l'Occident et l'Orient au niveau des sciences transmises secrètement,
comme l'alchimie et la médecine des esprits82 •
Somme toute, l'Ordre d' Amus regroupait les neuf membres
fondateurs de l'Ordre du Temple et d'éminents personnages mentionnés
par Tau Eléazar, comme Godefroy de Bouillon, le roi d'Angleterre Henri 1••
82 René Lachaud, Templiers, chevaliers d'Orient et d'Occident, Éditions Dangles, 1997, p. 156.
88 CORPUSDEAE

Beauclerc, ainsi que le pape Sylvestre II! Tout ce beau monde formait ce
que nous appelons le Cercle Secret de l'Ordre du Temple ...

4. Sylvestre II, le pape de l' An 1000

Qui était donc Sylvestre Il, membre de l'Ordre d' Amus, et donc
cocréateur secret de l'Ordre des Templiers? Né entre 945 et 950 à Aurillac
en Auvergne, il deviendra Sylvestre Il, le premier Saint-Père français, le
fameux pape de l' An 1000.
Tout jeune, Gerbert est confié à l'abbaye Saint-Géraud d'Aurillac.
Il y étudie la liturgie, la grammaire, la culture latine et la poésie. Au
regard de ses prédispositions supérieures, l'abbé Adralde l'envoie, en
967, en Catalogne, auprès de l'évêque de Vich qui le fait bénéficier de sa
bibliothèque. Aussi, après deux ans de séjour à l'école de Vich, Gerbert se
retrouve à Cordoue, le plus grand centre intellectuel d'Europe.
Sur place, il fréquente les maîtres arabes aux sciences interdites dont
l'évocation inspirait la terreur en Occident chrétien. La bibliothèque du
calife Al-Hakam II lui procure des traductions d'ouvrages de géométrie,
d'arithmétique, de mathématique, d'astronomie et d'astrologie. Gerbert
côtoie ainsi des maîtres illustres aux connaissances infinies, lesquels tirent
leurs connaissances de la disparition des civilisations de l'Orient ancien,
démantelées par les conquêtes d'Alexandre le Grand.
La légende raconte qu'il acquit une bonne partie de ses connaissances
grâce à l' Abacum, le livre d'un alchimiste arabe, dans lequel il trouva toute
la science pour confectionner plus tard son abaque (machine à calcul avec
des chiffres arabes). On dit que cet ouvrage lui procura aussi du pouvoir
sur tous les démons et des accès à des trésors ...
Légende ou pas, Gerbert revient d'Espagne «plus savant que les
maîtres qu'il avait fréquentés.» De retour dans l'ordre bénédictin, il y
introduit une somme de connaissances mathématiques impressionnantes
touchant à la géométrie, à l'arithmétique, aux poids et mesures ainsi
qu'au système numérique arabe utilisé par les nombreux marchands de
Barcelone. Se découvrant des talents d'inventeur, Gerbert met au point
un instrument astronomique, un astrolabe permettant de lire l'heure en
fonction de la position des étoiles et du soleil. On lui doit aussi une horloge
à balancier, des orgues hydrauliques où les différentes pressions de vapeur
produisent toutes sortes de gammes ou encore le fameux «abaque de
Gerbert» - machine à calculer en utilisant les chiffres - mais aussi une
mystérieuse tête de cuivre qui, grâce à un dispositif inconnu, répondait à
ses questions par oui ou par non et lui prédisait même l'avenir.
Selon des propos diffusés après sa mort, et particulièrement dans le
Speculum Historiae de Vincent de Beauvais, on prétendit qu'il obtint toute
sa science et son élévation grâce à un pacte conclu avec le Diable alors qu'il
se trouvait encore en Espagne. Comme le Malin lui avait promis qu'il ne
LES ORIGINES SECRÈTES DE L'ORDRE DU TEMPLE 89

mourrait qu'après avoir lu la messe à Jérusalem, Gerbert fut rassuré en


sachant qu'il ne mettrait jamais les pieds en Terre Sainte. Malheureusement,
sa messe du 12 mai 1003 se déroula à Rome, dans l'église Sainte-Croix-de-
Jérusalem, où il fut frappé d'une crise cardiaque. Le pasteur et théologien
Pierre Jurieu dira plus tard dans ses Préjugés légitimes contre le papisme :
«[Après sa mort], plusieurs historiens assurèrent qu'il était nécromancien,
qu'il se fabriqua une tête de cuivre avec laquelle il conversait et que cette
tête lui affirma qu'il deviendrait pape et qu'il ne trépasserait qu'à Jérusalem.
Mais le Démon le trompa, car dans une chapelle de Rome qui se nommait
Jérusalem - là même où Gerbert prit le nom de Sylvestre II - étant allé
dire la Messe, il y mourut. Il y a d'habiles gens qui prétendirent que la
source de cette calomnie proviendrait du fait que Gerbert connaissait les
mathématiques et surtout qu'il était en avance en astrologie. Ceci donna
lieu, dans ce siècle barbare et ignorant, de croire qu'il était magicien parce
que la moindre teinture de savoir paraît alors pour de la magie noire 83• »
Le journaliste et auteur Gérard de Sède pense que cette tête se
retrouva deux siècles plus tard aux mains du célèbre franciscain anglais
Robert Bacon, astrologue et alchimiste, inventeur de la poudre à canon
pour ensuite passer dans celles de l'occultiste allemand Albert le Grand. A
sa mort, en 1280, en pleine gloire templière, la tête parlante disparaîfl' ...

5. Un étrange voyage en Palestine entre 1104 et 1107...

Après le pape maudit de l'an 1000 aux étranges connaissances,


deux autres personnages importants marquent l'élaboration de l'Ordre
du Temple avant que l'organisation n'apparaisse au grand jour au début
du 12e siècle, il s'agit de l'abbé Étienne Harding et de Hugues de Troyes,
comte de Champagne.
Certains historiens prêtent à Étienne Harding un voyage en Palestine,
entre 1104 et 1107, pèlerinage décisif qu'il aurait effectué avec Hugues
de Champagne et le vassal de ce dernier, un certain Hugues de Payns.
Que Étienne Harding ait véritablement réalisé ce voyage auprès des deux
Hugues ne change rien, c'est le changement radical de comportement de
l'abbé qu'il nous faut relever.
En effet, dès 1109, soit deux ans à peine après son périple en Orient,
le Comte de Champagne désigne Étienne Harding comme responsable de
vastes recherches sur des textes sacrés. Dès cet instant, Étienne Harding
prend en charge l'abbaye de Cîteaux et met rapidement tout son monastère
à l'étude de textes quelque peu énigmatiques alors que son ordre se
reconnaît davantage dans la contemplation que dans les travaux savants ...
Certains moines de Cîteaux connaissent même les écritures araméennes,

83 Pierre Jurieu, Préjugés légitimes contre le papisme, Amsterdam, Henry Desbordes, 1685,
p. 234-235.
"Gérard de Sède, Les Templiers sont parmi nous (1962), réédition J'ai Lu, 1973, p. 159-160.
90 CORPUSDEAE

précise l'historien Alain Desgris85 • Que se passa-t-il exactement? Nous


pouvons prévoir une rencontre ou des découvertes décisives effectuées par
Hugues de Champagne et son vassal Hugues de Payns, futur fondateur de
!'Ordre du Temple et premier Grand Maître des Templiers. Mais quelles
découvertes? Personne ne le sait ...
D'un point de vue historique, voici ce que les chercheurs et
chroniqueurs relèvent généralement. Par souci d'authenticité, Étienne
Harding rechercha rapidement les plus anciennes sources connues des
textes bibliques, de livres et de musiques liturgiques. Dans sa quête de
vérité, l'abbé de Cîteaux prévoyait de rétablir le texte original de l'Ancien
Testament. Pour ce faire, il envoya des copistes à Metz et à Milan afin de
recopier les plus anciens documents connus et fit appel à des savants juifs,
experts des textes saints et très renommés en haute Bourgogne.
À cette époque, vivait encore à Troyes l'énigmatique rabbin Chlomo
Rachi, considéré par les Juifs du monde entier comme le plus grand exégète
des textes hébraïques. Beaucoup de chercheurs et historiens pensent que
Étienne Harding et Rachi eurent peut-être des contacts lors des recherches
pour l'abbaye de Cîteaux. Or, Rachi mourut en 1105, ce qui nous obligerait
à penser que Étienne Harding démarra ses recherches avant de succéder à
l'abbé Albéric en 1109. On imagine plutôt que l'abbé de Cîteaux eut recours
aux gendres et petits-fils de Rachi, lesquels poursuivirent les recherches de
ce dernier après sa mort en créant l'école des Tossafistes, terme provenant
du mot hébreu Tossfot signifiant «rajouts».

Est-ce la bonne piste? Pourquoi cette effervescence peu après


ce fameux voyage mené par Hugues de Champagne et pas avant? Un
indice important s'offre pourtant au chercheur persévérant. Lors de leur
voyage en Orient, Hugues de Champagne et Hugues de Payns séjournent
à Constantinople (Istanbul) et entrent en contact avec la Société des Frères
d'Orient fondée par un certain Michel Psellos, ancien vestarque (grand
chambellan) des empereurs byzantins de la seconde moitié du 11 • siècle.
Avant de se lancer dans la politique et de fonder son ordre initiatique,
Michel Psellos voyagea et réalisa de longs séjours en Égypte et en Orient
d'où il tira d'innombrables connaissances ...

6. Michel Psellos et la Société des Frères d'Orient

Nous venons del' évoquer: entre 1104et1107, Hugues de Champagne


et son vassal Hugues de Payns (futur premier Grand Maître de l'Ordre des
Templiers!) effectuèrent un premier voyage en Orient. Certains historiens
prétendent même qu'Étienne Harding, abbé de Cîteaux, les accompagna.
Les trois hommes séjournèrent à Constantinople (Istanbul) où ils établirent
également des relations personnelles avec Anne Comnène, fille aînée de
85 Alain Desgris, Jésus et la gnose templière, Paris, Éditions Guy Trédaniel, 1996, p. 60.
LES ORIGINES SECRÈTES DE L'ORDRE DU TEMPLE 91

l'empereur Alexis Ier. Sur place, au cœur de cette civilisation brillante où se


mêlaient philosophie, arts et littérature, ils établirent des contacts fructueux
avec l'Académie de Byzance et la Société des Frères d'Orient fondée par
Michel Psellos, cet ancien grand chambellan des empereurs byzantins de
la seconde moitié du ne siècle.
Né en 1018, Michel Psellos fut professeur et secrétaire d'État de
Constantin IX Monomaque (entre 1042 et 1054), ensuite moine, puis
conseiller d'Isaac Comnène, ministre de Constantin X Doucas, précepteur
et ensuite récepteur de Michel VII. Lors de ses voyages effectués avant de se
lancer dans la politique, Michel Psellos séjourna longuement en Égypte et en
Orient, voyages grâce auxquels il accumula de multiples connaissances en
théologie,enhistoire, philosophie, géométrieetmédecine. Une de ses grandes
réflexions touchait à la nature sans tache de la Vierge et du Saint-Esprit.
Psellos passa beaucoup de temps à Constantinople où l'impératrice
Théodora lui demandait souvent conseil. Lui et ses amis de Constantinople
suggérèrent à l'empereur Constantin Monomaque l'idée d'unifier les
études en restaurant l'Académie et en créant une École des Lettres. Psellos
considérait de son devoir de faire comprendre à ses élèves combien la
paresse les rendait inférieurs aux disciples de Pythagore, de Socrate, de
Platon et d'Aristote. Il prépara une génération de savants remarquables.
Devant son auditoire, il expliquait les théories de Pythagore sur la musique,
sa doctrine de l'immortalité de l'âme, son initiation à la science égyptienne
et les nombreux emprunts que Platon avait faits à l'Égypte86•
De la philosophie grecque, Psellos exposa les revendications
réciproques des Mésopotamiens (Chaldéens) et des Égyptiens à se
prétendre inventeurs de la science astronomique et trancha la question en
s'étayant de l'autorité de Chérémon le stoïcien, d'après lequel les deux
peuples inventèrent l'astronomie chacun de son côté, ce qui n'est pas faux.
Puis il parla à ses élèves des rois d'Égypte, de Ninos le sage, d'Oannès à la
peau de poisson qui accomplit en Babylonie une mission civilisatrice, des
divinités égyptiennes, de la symbolique en usage chez les prêtres d'Égypte
et de leur théorie sur la transmigration des âmes. À l'histoire de la
civilisation égyptienne, Psellos joignit celle de Mésopotamie. II fit ressortir
les progrès marquants des Mésopotamiens et détailla leurs oracles tout en
enseignant leurs idées sur la philosophie, la magie et la théurgie87 •
En même temps que les sciences naturelles, Psellos enseigna la
divination, l'astrologie, les récits merveilleux et s'attacha à expliquer les
phénomènes en apparence extraordinaires par des lois scientifiques, afin
d'empêcher ses élèves d'accepter les erreurs répandues par les supersti-
tieux. En plus des oracles de Mésopotamie, il enseigna à propos des livres
de Porphyre et de Plotin tout en discutant d'ouvrages apocryphes88 •

86 Ch. Zervos, Un philosophe néoplatonicien du XI' siècle - Michel Psellos - Sa vie, son œuvre, ses
luttes philosophiques, son influence, Paris, Éditions Ernest Leroux, 1919, p. 93-94.
tr1 Ibid., p. 94-95.

88 Ibid., p. 96 et 99.
92 CORPUSDEAE

Les moines-soldats ou les fondateurs de l'Ordre du Temple ne


purent manquer ce genre de discours : «Seul le Sage, seul le philosophe,
seul l'initié sait comment prier; seul, il est cher à Dieu; seul, il mérite le
titre de prêtre» releva Porphyre dans De Abstinentia, 54 (lettre à Marcella
16). Alors que Plotin expliquait de son côté la vie des âmes enchaînées:
«Elles vivent donc fatalement une vie amphibie, dit-il; partagées entre les
choses d'En-Haut et les choses d'ici-bas; les plus adonnées à l'intelligence
vivant davantage dans le Monde spirituel alors que les plus absorbées par
les préoccupations terrestres sont précisément celles que leur nature ou
les accidents de la vie détournent des pensées intellectuelles89 • »Toutes les
âmes ne possèdent donc pas une même connaissance de leur état. Ainsi
tombée et obscurcie, l'âme alourdie s'est remplie d'oubli et de noirceur;
elle végète dans une atmosphère pénible et initialement inconnue90 • Une
seule chose peut la sauver : sa connexion initiale avec le divin, car l'Amour
est plus fort que la mort! Quel Amour portaient les Templiers au divin?
Ce n'était pas celui destiné au Christ, mais plutôt l'Amour déclaré
ouvertement à sa mère, la Sainte Vierge ... la Divine Présence ou Saint-
Esprit.

On ne pourra reprocher à Psellos d'avoir composé ses œuvres


scientifiques à l'aide de matériaux trouvés dans des livres anciens ou
collectés lors de ses voyages en Orient. De ces enseignements lointains,
ressortait par exemple que l'âme et le corps doivent vivre en parfaite
intelligence. Psellos se disait préférer connaître Dieu par la raison plutôt
que par une foi aveugle, puisque raisonner n'est pas un dogme opposé par
l'Église.
Les néoplatoniciens comme Michel Psellos regroupèrent nombre
de recueils, d'oracles, de préceptes et d'éléments mythologiques tirés
de Mésopotamie. Psellos laissa un recueil assez vaste de ces oracles
babyloniens, dont certains étaient attribués à Zoroastre. Plusieurs traités
de Psellos sont d'ailleurs consacrés à la sagesse babylonienne dont
l'influence apparut dans le monde grec assez tôt, particulièrement dans
le domaine de la philosophie. Psellos affirmait que toutes les conceptions
helléniques sur le divin provenaient d'antécédents orientaux. Il justifiait
la supériorité de la sagesse égyptienne et babylonienne sur la philosophie
grecque. Il donnait pour exemple le fait que le néoplatonicien Porphyre
(Tyrien hellénisé, de 234 à 305 de notre ère) acquit tout son savoir d'un
prêtre égyptien dénommé Anébon.

Sa renommée dépassa les frontières, comme en témoigne une lettre


qu'il adressa au patriarche Cérulaire : «Les Celtes et les Arabes sont
devenus nos captifs. On accourt de partout au bruit de ma renommée. Le

Plotin, 4• Ennéade, 8:4.


89

Jean Mallinger, Notes sur les secrets ésotériques des pythagoriciens, Bruxelles, J.,es Cahiers du
90

Voile d'Hermès, (tiré de l'édition originale de 1946 aux &litions Niclaus, Paris), p. 36 et 45.
LES ORIGINES SECRÈTES DE L'ORDRE DU TEMPLE 93

Nil arrose la terre des Égyptiens, mais ce sont mes discours qui vivifient
leur âme. Informez-vous auprès des Perses et des Éthiopiens, ils vous diront
qu'ils me connaissent, m'admirent et me recherchent. Récemment encore,
il est arrivé quelqu'un de Babylone, poussé par un insurmontable désir de
s'abreuver aux sources de ma parole. Les païens me saluent des noms de
flambeau de la Sagesse, de luminaire et d'autres surnoms plus élogieux les
uns que les autres.» Pourtant, sa gloire comme enseignant et philosophe
ne fut pas unanime. En 1054, un groupe de lettrés propagea l'idée que
l'enseignement de Psellos était impie et que le professeur s'adonnait à la
science des païens au grand dommage du christianisme. L'empereur le
somma de faire une déclaration de foi qui lui permit de poursuivre son
enseignement91 •

Près d'une cinquantaine d'années avant le voyage des deux futurs


Templiers (Hugues de Champagne et Hugues de Payns), Michel Psellos se
trouvait, disgracié, au couvent de la Belle-Source au mont Olympe, pour
avoir pris parti contre le patriarche de Constantinople, Michel Cérulaire92,
lequel provoqua une première séparation des Églises d'Orient et d'Occident
en 1054. Dans sa retraite solitaire, en haut de la montagne, entre 1054et1057,
Michel Psellos s'entoura d'initiés avec lesquels il s'exerça à l'hermétisme
spéculatif et à l'alchimie à partir de ses connaissances obtenues en Égypte
et en Mésopotamie.
L'Ordre de Michel Psellos était constitué d'une fraternité de bâtisseurs
spécialisée dans l'architecture, d'une organisation initiatique d'architectes
et de fondateurs. Les activités de ces frères maçons s'étendaient des rives
du Bosphore à celles du Nil. Nous savons que les Templiers enrôlèrent
certains d'entre eux lorsqu'ils édifièrent leurs châteaux, leurs villes
fortifiées ou leurs églises en Terre Sainte. Comme le précise l'égyptologue
René Lachaud, l'influence de l'architecture byzantine est si manifeste dans
les constructions templières de Syrie et Palestine qu'on ne saurait douter
de l'intervention soutenue des Frères d'Orient93• Par ailleurs, ces derniers
étaient organisés comme les francs-maçons en trois grades principaux :
disciples, adeptes et maîtres.

Avant de nous engager sur la voie des réelles découvertes effectuées


par les Templiers, nous devons faire mention de trois autres sources
souvent évoquées lorsqu'il est question de la création de l'Ordre du Temple
ou d'une influence sur ses membres.

91 lbid., p. 99-100.
92 Michel Psellos rédigea un réquisitoire sur Cérulaire, mettant en relief l'ignorance de la
théologie de ce dernier, en précisant qu'il ne savait pas dissocier l'essence et les personnes et
la nature et l'hypostase (le principe premier).
93 René Lachaud, Templiers, chevaliers d'Orient et d'Occident, op. cit., p. 155-156.
94 CORPUSDEAE

7. Les Druzes et les Assasis

Beaucoup d'auteurs insistent sur les rapports qu'auraient entretenus


les Templiers avec les Druzes et les Assasis. Pour ma part, ces sources
mystiques forment des informations de seconde main placées dans des
contextes tardifs; nous allons tout de même les évoquer sommairement
par respect pour l'histoire templière.
Une fois l'Ordre créé, les Templiers furent en contact étroit avec
plusieurs organisations comme celle des Druzes des hautes montagnes du
Liban. En deux mots, les premiers Druzes étaient des adeptes des doctrines
de l'ancien calife fatimide du Caire dénommé Al Akim (985-1021). À la
mort de ce dernier, son vizir Mohamed ad-Darazî94 fonda la secte des
Druzes grâce à l'enseignement du calife.
Al Akim se passionnait pour l'astrologie, l'alchimie, mais également
pour d'anciens manuscrits sur lesquels il passait des heures. Cette passion
le poussa naturellement à créer de prestigieuses bibliothèques au Caire.
On peut tout à fait anticiper un contact entre Druzes et Templiers, mais
l'enseignement templier ne se limite aucunement à cet exemple.

On parle également des Assasis ou Assassiyoun, souvent transfor-


més en Assassins fumeurs de hachisch, auxquels certains historiens prêtent
un rôle de meurtriers, tueurs de voyageurs, prêts à trucider au nom d' Al-
lah afin d'accéder au jardin des délices. Les Assassiyoun étaient plutôt des
fondamentalistes religieux, des «croyants extrémistes», capables de tuer
les intrus, et même de mourir, pour défendre leur foi en dominant le mal.
Plusieurs linguistes remettent en cause l'étymologie de leur nom que beau-
coup trop encore associent au terme «assassin». Le Dictionnaire historique
de la langue française (Le Robert, 1992) exprime des doutes et signale que
l'origine de ce nom pourrait céder la place au substantif 'Asas, «patrouille»
et 'Asaas, «gardien» (pluriel 'Asaasin). Il existe en arabe un verbe 'As qui
signifie «faire le guet», dont est dérivé le nom 'Asass, «gardien», « surveil-
lant», «veilleur de nuit».
Autre exemple, Maurice Tournier (ancien chercheur au CNRS
en sciences du langage) note que la racine de leur nom proviendrait
plutôt du terme-racine Assas, c'est-à-dire «base, source, principes,
fondements» de la foi islamique. Tournier ajoute : «Ce mot d'assassin,
écho d' Assassiyoun, a pris ainsi en charge connotative et sémantique
l'effroi et la détestation propres aux pèlerins et Croisés, mais sans d'abord
en tordre la prononciation pour la rapprocher du hachisch. Cette seconde
étymologie ne devient explicite que chez Marco Polo. C'est son récit, fait
sur des on-dit, qui a rajouté la drogue au fanatisme.» En effet, on doit
cette histoire de fous drogués fondamentalistes aux récits de Marco Polo,
94 D'autres versions supposent un autre fondateur des Druzes, un Persan dénommé Hamza.

Certains prétendent que l'ancien vizir aurait proclamé la divinité du calife Al Akim à sa mort;
ceci n'est pas tout à fait exact étant donné que le calife s'était lui-même proclamé prophète en
1017, soit quatre ans avant sa disparition.
LES ORIGINES SECRÈTES DE L'ORDRE DU TEMPLE 95

histoire largement reprise par l'orientaliste Sylvestre de Sacy (1758-1838).


Le mot hachisch n'arrive pourtant pas sous la plume de Marco Polo. Ce
dernier parle plutôt d'un breuvage qui «troublait l'esprit» et qui faisait
entrevoir le Paradis à l'assassin, une fois son contrat rempli. Ce fanatisme
a dû émouvoir et effrayer à tel point les intrus occidentaux que nos
dictionnaires étymologiques reproduisent encore, à propos des Assasis,
l'étymon populaire d'Hachischiyoun, buveurs ou fumeurs de hachisch, ces
fous d'Allah ne pouvant être, pour l'Occident chrétien, que des drogués
inconscients95 !
Usant de méthodes terroristes comme des attentats-suicides
pour lutter contre les Turcs, on prêtait à ces Assasis des ressemblances
vestimentaires avec ce que portaient les Templiers. Les Assasis se vêtaient
d'habits blancs avec un bonnet et une ceinture rouges, alors que les
Templiers s'habillaient d'un manteau blanc orné d'une croix rouge. Si les
Templiers, dans leurs doctrines secrètes reniaient la sainteté de la croix,
les Assassins rejetaient les préceptes de l'islamisme. Les deux ordres se
composaient de soldats très entraînés, exaltés par un puissant mysticisme
religieux. L'Ordre des Assasis possédait une hiérarchie spécifique dont
plusieurs auteurs suggérèrent l'influence sur celles des Ordres des
Templiers et de Saint-Jean.
Nous savons que Templiers et Assasis collaborèrent ponctuellement
pour repousser leurs ennemis communs, les Turcs. Mais la loi du Secret
observée dans les deux ordres ne nous permet pas d'en savoir plus sur
d'éventuelles tractations communes ...
Dans la plupart des ordres religieux comme celui des Templiers, on
imposait le vœu de silence. De la même façon, en franc-maçonnerie, l'idée
du silence est symbolisée par la déesse égyptienne Isis, voilée de noir96 •

8. Bernard de Clairvaux

Parmi les inspirateurs de l'Ordre du Temple, se trouve sans conteste


l'abbé Bernard de Clairvaux, neveu d'André de Montbard, l'un des neuf
fondateurs de L'Ordre, lequel deviendra d'ailleurs le cinquième Grand
Maître du Temple en 1153.
En 1112, Bernard et trente membres de sa famille ou de ses proches
entrent à l'abbaye de Cîteaux, toujours dirigée par Étienne Harding.
Bernard connaissait parfaitement les mythologies latine et celtique et
tout particulièrement le Coran qu'il consulta de nombreuses fois afin
de comprendre la doctrine et la vie du prophète Muhammad. On prête
également des rapports entre Bernard et les descendants de Rachi vivant

95 Maurice Tournier,« Une étymologie émotionnelle: assassins», in Langue(s) et nationalisme(s),


Mots. Les langages du politique, Éditions ENS, mars 2004, p. 147-149.
96 Gérard Serbanesco, L'histoire de !'Ordre des Templiers et les Croisades, tome 1, Éditions Byblos,

1969, p. 254.
96 CORPUSDEAE

à Troyes, la ville elle-même dépendant du comte Thibaut II le Grand, dont


Bernard était le conseiller ordinaire. À Troyes circulaient des influences
arabes, purement hermétiques, où se dessinait là encore l'héritage du
maudit pape Gerbert (Sylvestre II), issu de l'Espagne maure97 • L'évêque
irlandais Saint Malachie mourut dans les bras de Bernard de Clairvaux; ce
moment historique témoigne du grand intérêt qu'il portait aux traditions
celtiques propagées par les chrétiens d'Irlande.
En 1115, soit trois ans après son arrivée à Cîteaux, Étienne Harding
envoie Bernard fonder et diriger une nouvelle maison cistercienne sur
une terre donnée par le compte Hugues de Champagne, futur membre de
l'Ordre du Temple! Bernard vouait un culte à la Dame du Ciel, la Sainte
Vierge, Notre-Dame. Il voyait en elle le médium privilégié, la Présence
Divine par laquelle transite le message divin ...
La tradition raconte qu'une statue de la Sainte Mère s'anima un
court instant devant lui pour lui offrir quelques gouttes de lait qu'il absorba
volontiers. Dès lors, il se sentit investi de la Sagesse divine. En la Vierge,
pensait Bernard, habite la Présence, le cœur royal de toute noblesse, ce
qui fait de la Sainte Vierge la médiatrice par excellence de la Terre et du
Ciel. Beaucoup pensent que le vocable «Notre Dame» fut inventé par
Bernard pour la nommer. Ce serait donc par elle que l'on pourrait recevoir
la véritable connaissance du Bien et du Mal, grâce à une intime «liaison
pneumatique». D'elle jaillit la Lumière Originelle pour celui qui sait se
rendre réceptif à son appel.
L'auteur, Gérard de Sorval, précise à ce sujet que la Vierge est la
seule figure parfaite en qui le Verbe prit chair et par laquelle passent toutes
les bénédictions célestes. Saint Bernard la qualifie d'ailleurs «d'aqueduc
des grâces» capable de transmettre l'eau de la grâce comme le feu de
l'illumination. De Sorval ajoute que les Cisterciens et les Templiers se
disaient appartenir à la «Religion de Notre Dame», ce qui expliquerait
pourquoi ces derniers étaient liés à elle comme des soldats à leur chef8 et
qu'ils la priaient chaque jour.

Parallèlement, les archives historiques nous informent que Hugues


de Champagne et Hugues de Payns retournèrent une seconde fois en Terre
Sainte entre 1114 et 1116 en passant par Constantinople. Que firent-ils
exactement sur place? Personne ne le sait. Au regard des éléments relevés
plus haut au sujet de Michel Psellos et de sa Société des Frères d'Orient, il
serait étonnant qu'ils n'aient pas repris contact avec eux, sachant que les
Templiers employèrent par la suite cet Ordre mystique pour la construction
de leurs bâtiments en Terre Sainte.
De retour en France, Hugues de Champagne reprit contact avec
l'abbé de Cîteaux et son protégé, Bernard de Clairvaux. Ce dernier, devenu

Daniel Réju, La qu€te des Templiers et l'Orient, Éditions du Rocher, 1979, p. 45.
'17

Gérard de Sorval, Scala Dei (La Vierge Marie, arche de la sapience divine et canal des bénédictions),
98

Éditions Arma Artis, 2013, p. 79 et 77.


LES ORIGINES SECRÈTES DE L'ORDRE DU TEMPLE 97

«Saint Bernard», sera ensuite le fameux rédacteur de la règle de l'Ordre des


Templiers. C'est à lui que reviendra d'ailleurs la charge de faire connaître
et, sans doute même, de négocier les statuts très occultes des Templiers
lors du Concile de Troyes en 1129. Il deviendra naturellement l'instrument
décisif du développement de l'Ordre.

Les connaissances de la filière templière se limitaient-elles aux


informations tirées de l'Ordre d' Amus ou de Michel Psellos et ses Frères
d'Orient? C'était fort possible dans les premières années, mais les créateurs
de l'Ordre ne voulurent sans doute pas en rester là. Il existait certainement
une source plus ancienne qui allait obligatoirement les mener vers le Graal
primitif et, de ce fait, nous éclairer sur le thème du fameux Baphomet; cette
idole «païenne» vénérée par les Templiers et tant calomniée à l'époque de
leur funeste procès.
Le moment venu, nous déterminerons d'où les Templiers tiraient
leur intérêt pour le mysticisme oriental, au point de cracher sur la croix
et d'adorer la tête énigmatique du Baphomet. Nous découvrirons que la
diabolisation de cette tête résulte d'une sidérante stupidité des inquisiteurs.
Pire encore, nous serons en droit, à l'issue de cette enquête, de demander la
réhabilitation des Templiers!
II
Jérusalem dans
un monde en désordre

«La véritable tâche des neuf chevaliers était de retrouver dans cette
région certaines reliques et manuscrits qui contenaient l'essence des
traditions secrètes du judaïsme et de l'ancienne Égypte, certaines
remontant à l'époque de Moïse. Il ne fait aucun doute qu'ils
remplirent cette mission et que le résultat de leur découverte fut
transmis par tradition orale dans certains cercles de l'Ordre99 • »
Gaëtan Delaforge

1. L'appel de Jérusalem

Un court rappel historique s'impose pour expliquer les raisons de


la première Croisade et l'arrivée des Templiers juste après la conquête de
Jérusalem par les chrétiens.

Dès la fin des persécutions contre les chrétiens dans l'Empire


romain (313), les voyages vers Jérusalem et la Terre Sainte se développent
et marquent le début de nombreuses constructions comme des basiliques
sur les lieux saints de la ville. Dès lors, des milliers de pèlerins tournent
leurs regards vers l'Orient et rêvent à l'ancien Temple initial de Salomon
qui, paraît-il, fut bâti selon les proportions de la Jérusalem Céleste. À cette
époque, le dogme lié à la relation entre Dieu «le Père» et «son Fils» Jésus
n'a pas encore été adopté et ne le sera qu'en 325 lors du concile de Nicée.
Vers 610, ayant choisi une vie religieuse contemplative dans une
grotte où il avait coutume de se recueillir, Mahomet reçoit par l'intermédiaire
de l' Ange Gabriel, des révélations sur Allah qui s'est présenté à lui comme
99 Gaëtan Delaforge, The Templar Tradition in the Age of Aquarius, Threshold books, 1987, p. 68.
100 CORPUSDEAE

le Dieu unique. Selon lui, le christianisme peut se passer de la divinité de


Jésus acceptée à peine 300 ans auparavant par l'Église de Rome! Mahomet
tente alors de discuter avec la communauté juive et souhaite être reconnu
comme prophète au même titre qu'Abraham, Moïse et Jésus. «Mais les
Juifs lui diront que ses révélations sont une déformation et une méprise de
leurs traditions et attirent son attention sur les nombreuses contradictions
qu'elles contiennent à propos des thèmes de l'Ancien Testament. Mahomet
réagit à ces critiques en se retournant contre les Juifs, affirmant qu'ils ont
délibérément falsifié leurs traditions. Lui se présente comme le restaurateur
de la religion d'Abraham ... », précise l'historien Michael Haag100 •
Très vite Mahomet rassemble des adeptes à sa cause et impose, dès
623, la prière vers la Mecque et non plus vers Jérusalem. Il multiplie les
actes de guerre et transforme le sanctuaire mecquois en centre spirituel
de sa nouvelle religion alors que le Coran s'impose comme la seule
révélation authentique. En 628, Mahomet marche sur la Mecque à la tête
d'un convoi de 1400 pèlerins. Les autorités mecquoises lui refusent l'accès
au sanctuaire, mais elles signent un traité lui permettant d'accéder au site
l'année suivante, pendant trois jours. Malheureusement, les Mecquois
brisent le traité l'année suivante, et en janvier 630, le prophète s'empare
de la Mecque qui se rend sans opposition. La plupart des habitants se
convertissent alors à l'Islam. Quelques mois plus tard, étendant sa guerre
contre les tribus de Bédouins, Mahomet domine rapidement une grande
partie de l'Arabie.
Mais nombre de tribus alliées à Mahomet le considèrent comme un
chef de guerre et non comme un prophète religieux. À sa mort en 632, Abu
Bakr lui succède et comprend que l'Islam ne survivra que si la dynamique
guerrière est maintenue. De cette façon éclate une bataille contre l'apostasie
au cœur des tribus, qui très vite se transformera en une guerre de pillages
et de conquêtes au-delà de la péninsule arabique, chaque triomphe
s'accompagnant de l'arrivée de nouveaux adeptes s'en venant renforcer la
nouvelle religion101 •

Le souffle des conquêtes traverse les régions et embrase le Proche-


Orient; les pèlerinages vers Jérusalem deviennent de plus en plus
dangereux. La tolérance musulmane envers les dévots chrétiens apparaît
comme un droit latin despotique où «la victoire du Christ sur Mahomet»
s'impose comme une certitude! Jérusalem est conquise par les Arabes en
637 après un siège de plusieurs mois. Une cinquantaine d'années après, les
musulmans érigent le Dôme du Rocher sur l'ancien site du Rocher de la
fondation où, comme nous l'avons vu, on sacrifiait enfants et animaux au
nomdeYHWH.
À partir de 807, Haron Ar-Rachid garantit la protection des lieux
saints de Jérusalem à Charlemagne ce qui permet le retour des pèlerins
100 Michael Haag, La tragédie des Templiers, Éditions Ixelles, 2014 (version numérique), p. 19.
101 Ibid., p, 20.
JÉRUSALEM DANS UN MONDE EN DÉSORDRE 101

chrétiens. Pendant près de 200 ans, les pèlerinages vers Jérusalem s' effec-
tuent sans véritable problème; juifs, musulmans et chrétiens pouvant se
partager les lieux saints et effectuer leurs cultes en bonne entente ...
Malheureusement, dès 1009, Al-Hâkim, calife fatimide du Caire
depuis 996, s'engage dans un zèle religieux et détruit l'église du Saint-
Sépulcre de Jérusalem le 18 octobre de cette même année, afin dit-il, «de
détruire, saper et faire disparaître toutes traces de la sainte église de la
Résurrection. » La tombe attribuée à Jésus, pourtant taillée profondément
dans la roche, est défoncée à coups de pioche et pratiquement détruite.
La destruction de ce haut-lieu d~ la chrétienté met un terme aux relations
pacifiques entre l'Empire byzantin et l'empire fatimide. Le pape Serge IV
ne réagit pas alors qu'on crève les yeux du patriarche de Jérusalem,
transporté au Caire sur-le-champ où il finira par mourir.
En 1014, à la suite de plusieurs massacres, le calife du Caire remplace
peu à peu les fonctionnaires chrétiens par des musulmans et impose à un
grand nombre de chrétiens de se convertir à l'islam moyennant la peur
et la violence. L'année d'après, l'empereur Basile II interdit les relations
commerciales entre l'Égypte et la Syrie.
Simultanément à ces complications, les pèlerinages ne cessent jamais
réellement, même si le périple vers Jérusalem reste désormais bien plus
difficile qu'auparavant. Des combats font rage entre Turcs et Égyptiens de
la Palestine à la Syrie, mais l'Asie Mineure, autrefois plus sûre lorsqu'elle
faisait partie de l'Empire byzantin, ne permet plus sa traversée sans escorte
armée à cause de brigands turcs. De l' Anatolie au Moyen-Orient rôdent
des bandits sur les routes. Les pèlerins parvenant à surmonter tous ces
dangers et harcèlements rentrent en Occident sans ressources et épuisés,
avec des récits sur les conditions effrayantes régnant en Orient102 •
En 1078, les Turcs Seldjoukides attaquent Jérusalem et en prennent le
contrôle. Dès lors, ils interdisent le passage des pèlerins chrétiens pendant
deux décennies, jusqu'au lancement de la première Croisade. Après un
parcours de près de trois ans sur 4800 km, les pèlerins et Croisés arrivent à
Jérusalem le 7 juin 1099 et finissent par prendre la ville Sainte le 15 juillet.
Les chroniques arabes de Ibn al-Athîr (10:193-195) nous rapportent que
Jérusalem tomba par le côté nord. La population fut passée au fil de l'épée
et les Croisés massacrèrent les musulmans de la ville pendant une semaine.
Ils décimèrent plusieurs milliers de personnes près de la mosquée al-Aqsa
et dérobèrent plusieurs dizaines de candélabres en argent et en or ainsi
qu'un énorme butin103 •

Michael Haag, Les Templiers - De la légende à l'histoire, Bruxelles, 'f:ditions Ixelles, 2013, p. 74.
102

103Francesco Gabrieli, Chroniques arabes des Croisades, Paris, 'f:ditions La Bibliothèque arabe
Sindbad, 1977, p. 33.
102 CORPUSDEAE

·21. L'esplanade des mosquées sur le Mont Moriah: à gauche, le Dôme du Rocher
(mosquée d'Omar) et en haut, à droite, la mosquée al-Aqsa. Photographie d' Andrew Shiva

Les peuples européens, écrasés d'impôts, asservis et dominés, se


lancèrent donc dans une série de Croisades où «une vie meilleure» les
attendait au service de Dieu. L'espérance de découvrir des terres lointaines
ou de faire fortune n'était pas étrangère à cette frénésie galvanisée par
l'Église de Rome. La bonne et sainte cause présentée par le pape et ses
missionnaires reflétait l'appât d'un alléchant butin à portée de mains.
C'est dans ce contexte difficile que vont intervenir les fameux Templiers,
nouveaux soutiens militaires pour les prochaines Croisades, dont la
première aura fait près de 350 000 morts.

2. L'irréalisable mission des Templiers

Entre 1118 et 1119, soit à peine plus de vingt ans après la prise de
Jérusalem par les Croisés de Godefroy de Bouillon, l'Ordre du Temple
apparaît pour la première fois sous l'ombre de neuf chevaliers français
vivement soutenus par le puissant Hugues, comte de Champagne. Au
début, l'Ordre se nomme simplement «Milice des Pauvres Chevaliers du
Christ du Temple de Salomon». Les historiens ne semblent pas d'accord
concernant la date de création de cette milice; les références étant peu
nombreuses et le changement de calendrier faisant débuter l'année en
janvier et non plus en mars, complique bien les choses.
Certaines références font remonter la fondation de l'Ordre du
JÉRUSALEM DANS UN MONDE EN DÉSORDRE 103

Temple au 25 janvier 1119, au moment où Hughes de Payns et Godefroy de


Saint-Omer prononcent les trois vœux (chasteté, pauvreté et obéissance)
face au patriarche de Jérusalem, Gormond de Piquigny. La scène se
déroule le jour même du couronnement de Baudouin II de Jérusalem. À
ce moment, les membres de l'Ordre s'engagent à veiller sur les routes
dangereuses du pèlerinage qui mènent à la ville sainte. Avant et jusqu'à
la première Croisade, les pèlerinages en Terre Sainte, entamés sous
Charlemagne, rassemblaient de plus en plus de monde, au nez et à la
barbe des musulmans. Dès le départ, la mission des neuf Templiers paraît
bien présomptueuse et surtout impossible à réaliser ...
Les neuf hommes semblent, pour la majorité, provenir de hautes
lignées, voici leurs noms : Hugues de Payns, Geoffroy de Saint-Omer,
André de Montbard, Payen de Montdidier, Geoffroy Bisol, Archambault
de Saint-Amand, Gondemar et un certain Rolland. Nous ne pouvons
prétendre connaître de façon catégorique l'orthographe précise de tous les
noms des premiers compagnons de l'Ordre. Au début du 12• siècle, les
scribes déformaient souvent l'orthographe.
Notons qu'ils étaient neuf comme la Grande Assemblée divine
d'Héliopolis constituée de : Atum, Chu, Tefnut, Geb, Nut, Osiris, Isis,
Seth et Nephtys; images des neuf composants du corps selon la doctrine
égyptienne. Les neuf de cette Assemblée, ou Ennéade, combattaient les
ennemis de l'Égypte ancienne dénommés les Neuf Arcs. On trouve un
rituel du piétinement des Neuf Arcs par le Pharaon lors de la cérémonie
d'intronisation royale.

*
* *

Le roi de Jérusalem ne semblait pas avoir sollicité ces neuf hommes


et pourtant l'histoire nous raconte qu'il dut leur réserver un accueil digne
de leur rang. On imagine qu'ils furent hébergés, les premiers jours, par les
Hospitaliers de l'Ordre de Saint-Jean nouvellement créé.
Très rapidement, les neuf moines-chevaliers se présentent au
patriarche Théoclètes, regardé comme le soixante-septième successeur de
Saint Jean. Après cet entretien, la haute autorité de Jérusalem installe les
quartiers des Pauvres Chevaliers du Christ sur le Mont Moriah où le Temple
de Salomon se dressait jusqu'à sa première destruction par les Babyloniens
en 587 av. J.-C. et l'anéantissement du second Temple d'Hérode en l'an
70 par les Romains. Il persiste une confusion aujourd'hui encore : les
Templiers ne s'installèrent pas dans la mosquée d'Omar (Dôme du Rocher),
transformée en église et baptisée Templum Domini, juste après la première
Croisade104• Théoclètes leur attribua plutôt une aile de la mosquée al-
Aqsa, transformée en «palais royal» par les chanoines de Saint Augustin.

La mosquée perdit son statut de Templum Domini à partir de 1187, lorsque les musulmans
104

reprirent Jérusalem.
104 CORPUSDEAE

Pourquoi un tel choix? Personne ne le sait. Était-ce une volonté des


Templiers? C'est bien possible. Pourtant, à l'époque de la Milice du Christ,
il ne restait absolument rien des fameux Temples de Salomon et d'Hérode
dont les Templiers souhaitaient sans doute examiner les fondations. Les
Templiers connaissaient-ils déjà la présence de tunnels dans les sous-sols
du site?

MOSQUÉE EL·AKSA .

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Selon les récits de Guillaume de Tyr, de Jacques de Vitry et de Michel


le Syrien, durant neuf ans, les premiers Templiers restent en marge de
toute manœuvre militaire, sans recruter aucun nouveau membre jusqu'à
l'arrivée de Hugues de Champagne vers 1125. Hughes de Champagne,
dont la fortune est estimée être 4 à 5 fois supérieure à celle du Roi, lègue
tous ses biens à son neveu, renie femme et descendance, et quitte la France
pour se mettre au service de l'Ordre du Temple et de son propre vassal, à
savoir Hugues de Payns, le premier Maître de l'Ordre avec qui il se rendit
par deux fois en Orient avant la fondation de l'Ordre ...
Guillaume de Tyr et Jacques de Vitry racontent qu'entre 1118et1127,
les neuf Templiers auraient assuré la fonction de police sur la route de
pèlerinage entre Jaffa et Jérusalem. Contrairement à eux, le chrétien jacobite
Michel le Syrien (fin du 12e siècle) annonce un nombre de trente hommes
pour la formation des premiers membres de l'Ordre. De nombreuses
sources semblent opter pour le neuf, il serait difficile de le remettre en
question, mais l'honnêteté historique veut que chaque chevalier soit
accompagné de deux ou trois écuyers, ce qui expliquerait sans doute cet
écart.
Une autre questions' impose d'elle-même : pourquoi attribuer à cette
poignée de moines-soldats une telle mission déjà assurée officiellement
par l'Ordre de Saint-Jean de Jérusalem (les Hospitaliers) dont les effectifs
étaient bien plus conséquents? Marie Delclos et Jean-Luc Caradeau, à qui
JÉRUSALEM DANS UN MONDE EN DÉSORDRE 105

l'on doit un travail fouillé et érudit sur l'histoire de I'Ordre du Temple,


relèvent que les Templiers ne purent certainement pas assumer seuls des
fonctions de police sur la route des pèlerins. Qu'ils aient été neuf ou trente,
les membres ne formaient assurément pas un groupe assez nombreux, et
même bien armés, ils se seraient fait massacrer par les nombreuses tribus
de pillards qui rôdaient dans les environs. Il existe près de 80 kilomètres de
routes à sécuriser, dont une grande partie dans la montagne. De plus, selon
plusieurs sources très crédibles, les Templiers concentrèrent leurs efforts
sur l'endroit le plus dangereux, à savoir le défilé d' Athlit (dénommé plus
tard Château Pèlerin) qui longe la côte entre Acre et Haïfa. Cette zone se
trouve au minimum à 200 km de Jérusalem, alors que l'on compte déjà
81 km de Jérusalem à Jaffa105 ••• C'est bien trop loin!
Il est aisé de concevoir que nos quelques Templiers ne purent
garder le Saint-Sépulcre et protéger les pèlerins vers Jérusalem, à travers
les nombreux défilés et les embûches des brigands et criminels. Il paraît
donc impossible qu'ils aient pu sécuriser ces zones vingt-quatre heures sur
vingt-quatre sans rencontrer de problème, d'autant qu'aucune archive ne
signale un éventuel blessé ou mort au combat lors de leurs déplacements
loin de Jérusalem. Pire encore, aucun document n'évoque leurs faits et
gestes durant ces années mystérieuses.
Que firent les Templiers durant ces neuf années de service?
Dépourvus de moyens et d'effectifs, ils ne purent faire grand-chose
si ce n'est se concentrer sur des fouilles que l'on pourrait qualifier
d'archéologiques. Dans ces conditions, cette mystérieuse protection relève
plutôt d'une couverture venant à expliquer leur présence sur la plate-
forme des deux mosquées que le roi leur mit à disposition.
L'historien Alain Desgris, ancien professeur de la Sorbonne,
considéré comme un des plus grands spécialistes des Templiers, donne
son avis sur cette question épineuse : «Les premiers chevaliers de la Milice
du Christ reçurent mission de négocier un certain nombre de manuscrits
ayant notamment trait aux premiers textes de l'Église primitive et de
trouver différents témoignages sur les lieux où vécurent les diverses
sectes, les parents réputés de Jésus, les apôtres et sur les lieux mêmes de
l'emplacement du Temple de Salomon ainsi que sur le mont Carmel...
Or, ce qu'ils trouvèrent à l'évidence dépassa les espérances de l'abbé
Bernard de Clairvaux et des chevaliers «érudits et initiés» de l'Ordre du
Temple qui perpétuèrent sous une forme qui demeure aujourd'hui secrète
un enseignement gnostique basé sur des certitudes qui n'ont rien de
comparable avec les mouvements exotériques de ce siècle106 • »

*
* *

105 Marie Deklos et Jean-Luc Caradeau, L'Ordre du Temple, ~ditions Trajectoire, 2005, p. 81.
106 Alain Desgris, Jésus et la gnose templière, op. cit., p. 81-82.
106 CORPUSDEAE

Tout aurait été tellement plus simple, et peut-être même moins


mystérieux, si les archives des Templiers nous étaient parvenues. Celles-
ci furent transportées à Chypre après la chute de l'Outremer, à la fin
du 13• siècle, puis vraisemblablement détruites lorsque les Ottomans
envahirent l'île en 1571. Nous ne pouvons que nous rabattre sur des
documents de seconde main, provenant des chanoines du Saint-Sépulcre,
des marchands italiens, des archives du Vatican, des Hospitaliers et des
dires de chroniqueurs et pèlerins venus en Terre Sainte, ainsi que des
documents accumulés lors du procès templier ... Le seul chroniqueur
considéré comme fiable reste Guillaume de Tyr. Il n'a pourtant entamé la
rédaction de son histoire des Croisades que vers 1170, soit à peine plus de
50 ans après la fondation de l'Ordre des Templiers, alors qu'aucune source
antérieure n'existait encore.

3. Des tunnels sous le Mont du Temple

Les Templiers cherchaient-ils l'Arche de Moïse comme beaucoup


d'auteurs le pensent? Selon la Bible, l'Arche serait restée dans le Saint des
Saints du Temple de Jérusalem pendant près de quatre siècles sans être
touchée, sous peine de foudroiement. Seul le grand prêtre pouvait accéder
à la partie la plus sacrée du sanctuaire. Sa dernière apparition daterait de
l'époque du règne de Josias (640 à 609 av. J.-C.), au moment où ce dernier
lança la réforme du culte de YHWH en faisant supprimer tous les objets
rituels de Baal et d' Asherah dans le Temple. Ensuite, l'histoire ne fait plus
jamais mention del' Arche, ni même lors du premier pillage babylonien en
598 av. J.-C., et encore moins en juillet 587 av. J.-C., lorsque Nabuchodonosor
assiégea Jérusalem, pilla le premier Temple et finit par le détruire. Pour
les historiens, l'Arche d' Alliance fut détruite à ce moment. Pourtant, le
Deuxième Livre des Maccabées (2:4-7), regardé comme apocryphe par la
Bible hébraïque, mais inclus dans la Bible catholique, raconte comment
l'Arche fut dissimulée dans un repaire, près du Mont Nébo, puis l'entrée
bouchée par le prophète Jérémie ... La zone a été fouillée pendant plusieurs
décennies par les franciscains de Terre Sainte, responsables du site du
décès présumé de Moïse, et même d'une façon «sauvage» par «l'Institut
pour la restauration de l'histoire internationale» (sic), en 1981... en vain107 !

Les traditions hébraïques du Midrash racontent une autre histoire :


Salomon aurait fait construire une chambre souterraine sous le Temple
afin de préserver l'Arche de toute destruction. Pour exemple, nous
trouvons cette mention dans le Talmud de Babylone qui indique «l'Arche
est enterrée à son propre endroit» (Tractate Yoma, 53b). L'idée semble
107 Tom Crotser, responsable des fouilles de 1981, assura avoir trouvé !'Arche en présentant

quelques clichés à des amis ou à des archéologues triés sur Je volet, mais Siegfried H. Hom,
spécialiste du Mont Nébo, releva la supercherie en indiquant que l'objet photographié était
de facture moderne avec des clous typiques de notre époque ...
JÉRUSALEM DANS UN MONDE EN DÉSORDRE 107

tellement ancrée qu'elle incita le grand rabbin Nissim de la communauté


sépharade et le grand rabbin Unterman, de la communauté ashkénaze
d'Israël, à s'opposer à des excavations sur le Mont du Temple en 1967,
craignant que des archéologues ne découvrent l'Arche! Depuis, il faut le
rappeler, aucune fouille n'est possible sur le Mont si ce n'est à l'extérieur
comme dans le quartier d'Ophel. Cette notion de caches, cavernes et
souterrains, véritablement enracinée dans les esprits, trouve pourtant écho
dans des rapports ou chroniques de voyageurs, de pèlerins, de géographes,
etc.
La première mention d'une ouverture dans le Rocher provient
d'un certain «Pèlerin de Bordeaux», rendu à Jérusalem en l'an 333, lequel
mentionne en langue latine une Lapis pertusus (roche trouée) où les Juifs
venaient se lamenter une fois par an. Intervient ensuite une mention du
géographe Ibn al-Faqîh, dans son Livre des Pays de l'année 903: «Sous le
Rocher se trouve une caverne dans laquelle viennent prier les gens et qui
peut contenir 62 personnes.» Propos relayés près d'un bon siècle plus tard
par le philosophe et théologien Nasir-i Khusraw dans son Sefer Nameh :
«La partie couverte de la Mosquée al-Aqsa est bâtie sur (un) souterrain
dont la construction est si solide qu'un édifice aussi considérable n'a pas
le moindre effet sur lui. On a fait entrer dans la construction des murs des
pierres si énormes que l'on ne peut s'imaginer que des forces humaines
aient réussi à transporter et à mettre en place de pareilles masses. Ce
souterrain a été construit, dit-on, par Sulaymân (Salomon), fils de Dâwftd
(David)108• »
Au 12• siècle, donc à l'époque des Templiers, le pèlerin dénommé
Theoderich fait allusion à des souterrains dans son récit sur le Mont du
Temple : «Une fois dans la cour inférieure du Templum Domini (Dôme du
Rocher), se trouve un escalier de 25 marches qui descend vers un grand
bassin d'où partirait un souterrain menant à l'église du Saint-Sépulcre, par
l'intermédiaire duquel le Feu Sacré qui illumine miraculeusement l'église la
veille de Pâques est acheminé jusqu'au Temple du Seigneur.» Le voyageur
persan, Ali Ibn Abi Bakr al-Harawi, dit «Ali de Herat» (entre les 12• et
13• siècles), nous offre une autre description : «Sous le Rocher se trouve la
Grotte des âmes. Ils disent qu'Allah va rassembler à cet endroit les âmes de
tous les vrais croyants. Quatorze marches permettent de descendre dans
cette grotte. La Grotte des âmes est haute comme un homme et fait 11 pas
d'est en ouest et 13 pas du nord au sud.» Selon la tradition musulmane
et le Talmud des Juifs, le Rocher figure le centre du Monde où se trouve
l' Abysse et les eaux du Paradis ou encore celles du Déluge109 •

1118 Pallas - Revue d'études antiques, dossier d'Antoine Borrut, in Musulmans et tradition classique,

Toulouse, Presses Universitaires du Mirail, 2003, p. 110.


109 Michael Haag, Les Templiers - De la légende à l'histoire, op. cit., p. 170-171.
108 CORPUSDEAE

22. La grotte des âmes sous le Dôme du Rocher. D'après Harry Fenn (1881)

En 1854, l'italien Emete Pierotti, archéologue et architecte, est


embauché comme ingénieur de la ville de Jérusalem. Le Surraya Pacha
le recrute comme consultant pour divers travaux de rénovation sur le
Mont du Temple ainsi que pour effectuer des recherches sur le réseau
hydraulique de la ville. Sa troisième mission se résume aussi à explorer
à sa guise le réseau de galeries et de citernes au niveau de l'Esplanade
des Mosquées. Le Pacha souhaite de lui un travail détaillé à tout point de
vue afin de procéder aussi à des réparations sur certains murs de la ville.
Pour effectuer à bien sa mission, Pierotti engage M.J. Diness, le premier
photographe professionnel de la ville, afin de l'aider à cartographier les
différents projets à réaliser.
Son rôle remarquable auprès du gouverneur de la Jérusalem
ottomane, et l'appui inestimable de son photographe permettent à Pierotti
d'obtenir des accès officiels et d'arpenter en long et en large le Mont du
Temple; chose parfaitement impossible à l'époque, les espaces du Mont
étant fermés aux visiteurs et même aux savants occidentaux. En effet,
l'esplanade du Haram al-Sharif restait interdite en raison de fouilles
souterraines pour remettre en eau les anciennes conduites. C'était, en tout
cas, la raison officielle.
On doit à Pierotti de nombreux documents très détaillés et dessins
architecturaux de Jérusalem qui font encore autorité aujourd'hui. Parmi
eux, il existe différents plans du Rocher et des mosquées d'Omar et al-
JÉRUSALEM DANS UN MONDE EN DÉSORDRE 109

Aqsa. Chose parfaitement étonnante, nous possédons également une


coupe transversale du Mont où l'on peut distinguer un tunnel reliant la
grotte située sous le Dôme du Rocher à la mosquée al-Aqsa (voir image
n° 23). Les chercheurs et archéologues trouvent ce plan «parfaitement
fantaisiste». Mais une question subsiste pourtant et à laquelle personne
ne semble pouvoir répondre : pourquoi Emete Pierotti a-t-il dessiné un
tel plan alors qu'il fut embauché pour sa finesse d'exécution et sa grande
précision?

23. Coupe transversale du Mont du Temple par Emete Pierotti. Un tunnel relie la grotte
située sous le Dôme du Rocher à la mosquée al-Aqsa ...

Entre 1860 et 1870, Charles Wilson, un géographe et archéologue de


l'armée britannique, dirigea une expédition archéologique à Jérusalem avec
Charles Warren de la British Royal Engineers. Les fouilles effectuées sur le
Mont du Temple leur permirent de délimiter tout un réseau souterrain sous
le lieu présumé du Temple de Salomon. Dans leur ouvrage The Recovery of
/erusalem (1871), il est dit qu'en fouillant l'un des nombreux tunnels sous
le Rocher (Mont Moriah), sous l'emplacement supposé du Temple, ils
exhumèrent plusieurs objets anciens de l'époque des Croisades, identifiés
plus précisément comme étant d'origine templière110• Un peu plus tard, en
1894, d'autres fouilles réalisées par Charles Warren et l'officier britannique
Parker, permirent de trouver dans d'autres tunnels du Rocher une épée
templière, un éperon, les restes d'une lance et une petite croix templière.
Tous ces artefacts se retrouvèrent ensuite entre les mains de Robert Brydon
(1930-2014), un archiviste écossais spécialisé dans les Templiers et membre
fondateur de la Commanderie de Saint Clair. Son grand-père étant ami
avec le capitaine Parker, ce dernier lui expliqua dans une lettre datée de
1912 qu'ils trouvèrent une chambre secrète sous le Mont du Temple avec
un passage émergeant vers la mosquée d'Omar (Dôme du Rocher) qui
se trouve en face de l'entrée du Saint-Sépulcre (le tombeau du Christ).
À la sortie du passage, Parker se retrouva nez à nez avec des prêtres de
la mosquée, totalement furieux; l'officier britannique dut courir à toutes
jambes pour sauver sa vie111 •••

Nous passerons les différents tunnels retrouvés aux abords du


11°Capt. Wilson &: Capt. Warren, The Rediscovery of /erusalem - Exploration and Discovery in the

City and the Holy Land, New York, Walter Morrison M. P., 1871, p. 228-254.
111 Robert Knight &: Robert Lomas, The Second Messiah, Arrow Books, 1997, p. 29-30.
110 CORPUSDEAE

Mont du Temple lors des recherches hydrauliques, et la découverte de


gigantesques citernes depuis plus d'un siècle112 dont parlaient déjà Charles
Wilson et Charles Warren dans leur ouvrage commun de 1871.
Bien entendu, lorsque nous évoquons les tunnels sous le Mont
du Rocher, nous ne faisons pas allusion aux parties de galeries ouvertes
au public et que toute personne peut visiter, comme le tunnel sous le
Kotel (mur des Lamentations). Le souterrain fait plus de 300 mètres de
long et comporte une pierre gigantesque de 13,6 mètres de long, sur 3,3
mètres de haut avec une épaisseur de 4,5 mètres pour un total avoisinant
les 550 tonnes. Comment a-t-on déplacé ce genre de bloc monstrueux?
Personne ne peut répondre.
On le voit, trop d'indices permettent d'affirmer sans grand risque,
que de nombreux tunnels, toujours fermés au public, existent bien sous le
Mont du Temple! D'autres travaux de Charles Warren viennent confirmer
la découverte d'un réseau complet de tunnels. On notera parmi eux :
Underground ]erusalem (Londres, Richer Bentley and Son, 1876); The Temple
or the Tomb (Londres, Richer Bentley and Son, 1880); Plan, Elevations,
Sections, Showing the Results of the Excavations at Jerusalem 1867-70 (Palestine
Exploration Fund, 1884) ou encore le livre de George Adam Smith :
]erusalem - The Topography, Economies and History from the Earliest Times to
A.D. 70 (Londres, Hodder and Stoughton, 1907). D'autres ouvrages de
référence existent encore ...
Les Templiers eurent le loisir de fouiller ces endroits dérobés
pendant 9 ans sans redouter les remontrances des autorités ou des prêtres
de Jérusalem. Je doute même qu'ils se soient limités à la ville sainte. À titre
personnel, je les vois parfaitement se diriger vers l'Égypte, Mère Patrie de
la Vierge Isis et du gnosticisme. Nous tenterons de confirmer ce fait dont
l'écho indiscutable se répercutera en fin d'ouvrage.
Que trouvèrent-ils dans les tunnels du Rocher sacré : l'Arche
d' Alliance? Mais de quelle Arche parle-t-on? Des deux Arches mentionnées
dans le Zohar Hadach, probablement transportées hors d'Égypte avec les
ouvriers malades (Ubru) d' Akhenaton et les prêtres égyptiens Yahouds,
l'ensemble mené par un certain Râmosé (Moïse), ancien Vizir du Pharaon?
La première se nomme «le coffre de Joseph» et la seconde «le coffre de la
Shekhina» (l'Esprit de Dieu). Dans La Dernière Marche des Dieux (p. 331-
341), nous avons détaillé le voyage des deux coffres et leur traversée du
grand fleuve jusqu'au désert. L'une renfermait les archives d' Amama, et
la seconde le corps de Joseph [le Yuef («corps» en égyptien) du patriarche
Osiris].
Ou bien parle-t-on de l'Arche prétendument construite au pied
du Sinaï (cf. Exode, chapitre 25)? Que de confusions, même au cœur des
textes hébreux! Comme l'auteur et chercheur, Graham Hancock113, je suis

112 Voir par exemple : Vincent Lemire, La soif de Jérusalem (Essai d'hydrohistoire, 1840-1948),

Paris, Publications de la Sorbonne, 2011.


113 Voir sa magnifique étude sur Le mystère de l'Arche perdue, aux Éditions Pygmalion, 1993.
JÉRUSALEM DANS UN MONDE EN DÉSORDRE 111

d'avis que l'Arche d' Alliance fut depuis longtemps déplacée dans un lieu
sûr dès le premier pillage babylonien de 598 av. J.-C. Peut-être se trouve-
t-elle quelque part en Éthiopie comme le pense Hancock. Une chose est
certaine : les Templiers ne trouvèrent sans doute pas l'Arche d' Alliance,
leurs découvertes concernaient un tout autre trésor, de loin bien plus
mystérieux ...

4. Un fragment de tablette akkadienne de l'époque d'Akhenaton


trouvé à Jérusalem

La connaissance templière découlait également de trouvailles


croisées grâce à la mise au jour de traditions et de documents
mésopotamiens... En effet, l'un des plus grands mystères auquel les
Templiers durent faire face en fouillant dans les cavités situées aux
abords du Mont du Temple, ou plus simplement lors de leur «quête du
Graal» dans tout le Proche-Orient, est sans conteste la découverte de
documents babyloniens relatant la Passion et la Résurrection du fils de
Dieu célébrées lors de la fête annuelle de l' Akitu. Ces documents ramenés
en Terre Sainte par l'ancien vizir Râmosé (Moïse) provenaient-ils de la
bibliothèque d' Akhenaton où se trouvaient justement de nombreuses
tablettes cunéiformes sumériennes et akkadiennes? C'est fort probable,
d'autant que Râmosé avait à sa charge les archives royales d' Akhenaton ...
De la même manière, on peut facilement envisager le déplacement de
ce genre de littérature à partir de 539 avant J.-C., lors du retour des Juifs
de Babylone. Nous savons que durant les presque soixante années de
déportation, ces derniers pouvaient vaquer à leur guise et purent s'intégrer
au système social des Babyloniens. Certains parlaient même akkadien
avant la déportation, nous allons le découvrir dès à présent.
J'insiste en rappelant qu'à l'époque d' Amenhotep III et de son
fils Akhenaton, l'ancienne Palestine et donc Urushalim (Jérusalem),
se trouvaient sous juridiction égyptienne avec comme seule langue
diplomatique l'akkadien. Ce fait historique rarement évoqué par les
historiens change absolument tout! En 2010 justement, un fragment de
tablette d'argile akkadienne fut découvert dans le quartier d'Ophel à
Jérusalem. L'Ophel se trouve le long du mur sud du Mont du Temple, près
de la mosquée al-Aqsa. Le fragment de six centimètres carrés d'argile, hâlé
par le temps, se compose de terre tirée du sol de la région et s'identifie
au genre de correspondance qu'entretenait l'Égypte avec ses régions
soumises.
Le professeur Yuval Goren de l'Université de Tel Aviv pense qu'il
s'agit d'un fragment de message appartenant aux archives de Jérusalem
datant de l'époque des communications en cunéiforme akkadien entre le
chef judéen Abdi-Heba et Akhenaton. L'assyriologue Wayne Horowitz
(Université hébraïque de Jérusalem), confirme ce fait : la graphie et la
112 CORPUSDEAE

langue employées datent bien de l'époque d' Akhenaton, soit vers 1340 av.
J.-C. Cette missive royale appartenait vraisemblablement à un document
adressé à Akhenaton de la part du chef d'Urushalim soumis à l'Égypte114 •
Cette découverte indique clairement qu'à une époque où les résidents de
l'ancienne Palestine ne portaient pas encore le nom d'Hébreux, les chefs
locaux disposaient de scribes compétents capables de lire et d'écrire de
l'akkadien pour communiquer avec l'Égypte.

24. Ancien plan de l'esplanade des mosquées datant de la fin des années 1800.
L'Ophel se trouve en haut, à gauche.

Aussi distincte et séduisante que soit cette voie, elle n'explique pas la
transmission d'anciens secrets aux Templiers. Si ces derniers découvrirent
des archives entre la Palestine et l'Égypte, ils ne lisaient pas l'akkadien,
langue morte depuis au moins 1500 ans avant leur arrivée en Terre Sainte.
Alors que s'est-il passé? À moins que la Passion et la Résurrection du Fils
de Dieu ne soient nullement limitées aux seuls royaumes de Sumer et
d' Akkad? On imagine aisément l'effet suscité par une telle découverte
au sein du groupe des premiers Templiers, mais aussi au cœur de l'Église
chrétienne!

*
* *

À la suite de leurs neuf années mystérieuses entre le Mont du Temple


et le vaste territoire du Proche-Orient, les Templiers changent brusquement
leur politique et commencent à occuper le devant de la scène.
En 1127, le roi de Jérusalem, Baudouin II, dépêche par bateau
114 https: / / ferrelljenkins. wordpress.com / 2010/07/19 /better-photos-of-jerusalem-1 /
JÉRUSALEM DANS UN MONDE EN DÉSORDRE 113

Hugues de Payns et cinq autres Templiers en Occident pour le compte du


royaume de Jérusalem, mais également dans le but que l'Église et les États
d'Europe apportent leur appui financier et la légitimité au nouvel ordre.
Bernard de Clairvaux va soutenir la cause des Templiers auprès du pape.
Certes le pape s'intéresse de près aux difficultés des États latins d'Orient,
mais pourquoi tant d'attentions pour ce jeune groupe de moines-soldats
dont les actions officielles se calquent bien souvent sur celles de l'Ordre
des Hospitaliers? Que pouvaient apporter les Templiers de plus que les
Hospitaliers dont la fondation remontait à 1070? Officiellement, le roi
de Jérusalem souhaitait une confirmation apostolique et une règle de vie
précise pour les Templiers. Mais ces derniers, lors de leurs recherches et
fructueux contacts avec l'Orient, ne venaient-ils pas plutôt de découvrir un
«argument de taille» pour négocier leur existence officielle avec l'Église?
C'est effectivement le sujet de ce livre.
Dès leur arrivée à l'automne 1127, les Templiers bénéficient de
concessions, d'argent, de chevaux et d'armures : les dons et donations
pleuvent grâce à l'influence de l'Église de Rome! L'été suivant, le Maître se
rend en Angleterre, où il est reçu avec tous les honneurs par le roi Henri 1er_
Ce dernier offre de l'or et de l'argent à l'Ordre et invite les six Templiers à
poursuivre leur tournée outre-Manche. De Payns ouvre la première Maison
du Temple à Londres, et on lui concède plusieurs autres sites dans tout 1e
pays. Il bénéficie de dons supplémentaires lorsqu'il rencontre David 1er, le
roi d'Écosse. En septembre, Hugues de Payns retraverse la Manche pour
être reçu par Geoffroy de Saint-Omer. Ensemble, ils récoltent d'autres
concessions et trésors, tous concédés pour la défense de la Terre Sainte,
ajoute l'historien Michael Haag. La tournée d'Hugues de Payns atteint son
apogée en janvier 1129 à Troyes, capitale des comtes de Champagne, quand
Théobold, successeur d'Hugues de Champagne, accueille un groupe de
responsables religieux, parmi lesquels figurent sept abbés, dix évêques et
deux archevêques dont la présence de Bernard de Clairvaux. C'est une
première et un fait unique dans l'histoire : le Concile de Troyes accepte
les Templiers en tant qu' ordre religieux. Hugues de Payns s'adresse à
l'assemblée et décrit la fondation de l'ordre du Temple, présentant leur
règle, adaptée aux préceptes des chanoines de l'église du Saint-Sépulcre.
Cette règle stipule, par exemple, la présence aux offices en compagnie
des chanoines, la prise de repas en commun, le port de vêtements d'une
même couleur, une apparence simple et aucun contact avec les femmes 115 •
Le nouvel ordre ne répondra désormais qu'au seul pape; étrange mesure
parfaitement inédite dans toute l'histoire mondiale, sauf si l'on souscrit
à l'idée d'une découverte qui aurait pu ébranler l'Église tout entière!
Cette découverte concernait-elle uniquement la mise au jour de traditions
concernant la Mort et la Résurrection du Fils de Dieu bien avant Jésus-
Christ? Retenons pour l'instant que les Templiers avaient de quoi légitimer

115Michael Haag, La tragédie des Templiers, Bruxelles, ~ditions Ixelles, 2014 (version numérique),
p. 116-117.
114 CORPUSDEAE

leurs requêtes les plus audacieuses. Nous verrons cela dans la troisième
partie de cet ouvrage.
Ici démarre l'histoire que nous connaissons tous, celle d'une
expansion fulgurante de l'Ordre du Temple dans toute l'Europe avec une
puissance financière à faire frémir les plus grands rois. L'Ordre prête de
l'argent aux souverains et même au pape! Riche en domaines, en biens
immobiliers, en réserve de nourriture et en bétail, il gèrera aussi des
comptes spéciaux comme ceux de Blanche de Castille et de Saint Louis.
Les Templiers reprennent le domaine d'activité des banquiers florentins,
mais l'appliquent à toute l'Europe en inventant même la lettre de change,
le premier «chèque» de banque qui sert de caution pour le stockage des
fonds. Ils prêtent de l'argent aux particuliers et récupèrent sur les dettes
non payées. Le Temple fait fructifier sa fortune par une série de mesures
lucratives; ici démarre l'histoire du fameux trésor des Templiers envié par
Philippe le Bel et pourtant jamais retrouvé. Mais ceci est une autre histoire ...

*
* *

Ainsi, en 1129, le concile de Troyes valida l'existence de cette


organisation de moines-soldats; le premier et le seul ordre de «chevaliers
de métier» dans lequel le combat relève d'une ascèse spirituelle. Saint
Bernard, secrétaire du Concile, fit reconnaître les statuts de la Milice du
Temple. Malgré son apport de premier ordre lors de la fondation officielle
des Templiers, Saint Bernard s'emporta régulièrement contre ces derniers
et sembla vouloir faire marche arrière à plusieurs reprises. Le pape en
personne l'obligea à respecter ses engagements. Bernard de Clairvaux, en
contact intime avec l'énergie solaire de la Vierge Marie, aurait-il eu peur
des découvertes des Templiers? Ces «découvertes orientales» remettaient-
elles en cause l'amour que ses moines-soldats devaient porter à Marie, la
Mère du Christ, ou encore au Christ lui-même.
Sous le protectorat exclusif du pape, les chevaliers revêtaient un
double pouvoir : celui de la contemplation et de l'action au service de la
Justice divine et de la protection du peuple et de l'Église de Rome. Ces
hoi:nmes, investis de la guerre sacrée, devaient combattre les légions
infernales afin de rétablir l'ordre originel de la Création.
Nous allons bientôt découvrir que chez les Templiers, la Vierge
des gnostiques d'Égypte - Isis en personne - incarnait cet état particulier
de pureté originelle. Les Templiers, grâce à leurs découvertes, surent
transmuter cette énergie en force de perfectionnement spirituel et
employer cette inspiration divine pour transformer le guerrier en héros
solaire, comme l'étaient les Suivants d'Horus. Pour comprendre l'intérêt
des Templiers pour la gnose égyptienne, et concevoir ce qu'ils auraient
véritablement découvert, il nous faut faire un peu d'histoire et de
géopolitique des Croisades ...
JÉRUSALEM DANS UN MONDE EN DÉSORDRE 115

25. Horus cavalier terrasse le crocodile Seth, symbole du mal. Cette image évoque Saint
Georges combattant le Dragon. Les Templiers prirent Saint Georges comme protecteur
de leur Ordre. Saint Georges et Horus possèdent également le point commun des rites de
célébration du Soleil, de la Lumière et du Renouvellement.
Sculpture en grès du 4• siècle de notre ère, lors de la présence
gréco-romaine en Égypte, Musée du Louvre, réf. E 4850
III
. ,
Les Templiers en Egypte

En embauchant les Templiers dès la seconde Croisade, non plus


pour «protéger les routes des pèlerins» mais comme stratèges et guerriers,
l'Église voulut sans doute éveiller la conscience «des ignorants», tout en
refoulant l'agressivité des «serviteurs du mal» par des négociations ou
bien, le cas échéant, en repoussant ces derniers par les armes. Devant
l'échec des accords, les Templiers bénéficiaient naturellement des pleins
pouvoirs de l'Église et devenaient les champions de Dieu au nom d'une
civilisation autoproclamée «supérieure».
Pour autant, l'Église de Rome, la Sainte Église de cette époque
composée d'esprits cultivés, aux pouvoirs aussi illimités que Dieu lui-
même, ne pouvait imaginer que le gnosticisme égyptien allait éloigner sa
Sainte Milice au point de ne plus la satisfaire avec sa version de l'expiation
du Fils sur la croix, sacrifié pour corriger les imperfections de Dieu. Derrière
cette histoire dramatique se cachait autre chose de bien plus profond, issu
d'une culture orientale millénaire que nulle religion, même récente, ne
pouvait effacer ...

1. Les voies commerciales entre l'Europe et l'Égypte avant les


Croisades

On a longtemps pensé que le commerce du Levant était né avec


les Croisades. L'Égypte, située entre la Méditerranée et la mer Rouge
formait une excellente plateforme commerciale pour la récupération de
ses propres produits, comme ceux tirés de Chine et d'Inde. Parmi les
200000 documents retrouvés dans le dépôt (Guenizah) de l'ancienne
synagogue Ben Ezra du Caire, près de 10 000 d'entre eux forment une
source essentielle pour comprendre l'histoire sociale et économique entre
118 CORPUSDEAE

la Méditerranée, l'Égypte et la mer Rouge. Ces documents consignés par


des commerçants juifs nous démontrent au contraire que, plus d'un siècle
avant la première Croisade, les marchands italiens sillonnaient les grandes
voies maritimes du commerce vers l'Égypte 116 •
Parmi eux, nous trouvons les marchands d' Amalfi provenant du
golfe de Salerne, au sud-ouest de l'Italie. Ils proposaient aux musulmans du
bois de charpente, une denrée rare et très recherchée dans toute l'Afrique
du Nord médiévale et musulmane. Un document de 978 mentionne la pré-
sence d'un noble amalfitain dénommé Lupino de Rini, à Bab el Luk (Baby-
lone), ancien quartier marchand du Caire. Un autre document commercial
daté de 996, note la présence régulière de 160 membres de la colonie ita-
lienne d' Amalfi dans le souk de Bab el Luk, démontrant un considérable
développement commercial entre les Italiens et les marchands du Caire.
Quatre documents de la synagogue du Caire attestent encore la poursuite
du trafic entre les Italiens et Alexandrie au début du 12• siècle. Via l'Égypte,
les Amalfitains apportent de la soie sicilienne, du miel et du bois vers le
Proche-Orient et récupèrent en contrepartie du poivre, des épices, du lin
et de l'alun à destination de l'Italie du Sud. Le chroniqueur italien Caf-
faro mentionne également le voyage de Godefroy de Bouillon à Jérusalem
avant 1099, à bord de la Pomella, un navire provenant de Gênes, au nord
de l'Italie. Un autre document, tiré du Pseudo-Ingulf (14• siècle), signale
encore que les pèlerins allemands de 1064-65 à destination de Jérusalem
furent embarqués à Jaffa sur des navires génois. Comme l'indique l'his-
torien français Michel Balard, spécialiste du commerce entre Européens
et musulmans dans l'Orient du Moyen Âge : «Il faut conclure que le
commerce génois avec l'Égypte a commencé au moins trente ans avant
les Croisades et s'est maintenu, alors même que les Génois aidaient les
Croisés à s'emparer des villes littorales de la Syrie-Palestine et obtenaient
d'importants privilèges commerciaux dans les villes conquises 117• »

2. Deuxième Croisade : première présence officielle des


Templiers en Égypte

Le projet d'envahir et contrôler l'Égypte, «clé de la Terre Sainte»,


intervient chez les Croisés dès 1163, avec le règne d' Amaury J•r, nouveau
roi de Jérusalem. Alors que le pays se trouve aux prises de l'anarchie,
Amaury conduit une première expédition contre les Fatimides du Caire 118
en septembre 1163. Il ne s'agit pour lui que d'une simple expédition de
reconnaissance poussée jusqu'à l'ancienne cité fortifiée de Bilbéis, située

116 Voir S.D. Goitein, A Mediterranean Society - The fewish Communities of the Arab World as

Portrayed in the Documents of the Cairo Geniza, Volume 1, University of California Press, 1983.
117 Michel Balard, Les Latins en Orient, Xl'-XV' siècle, Presses Universitaires de France, 2006,

p. 14-16.
118 À cette époque, Le Caire était la capitale du monde musulman ...
LES TEMPLIERS EN ÉGYPTE 119

au sud du Delta du Nil. La progression des Francs cesse devant la crue


du Nil produite par la rupture des digues ordonnées par Nûr ad-Dîn,
« l'Émir des Croyants» et grand souverain de la Syrie. Par cette première
expédition en Égypte, le roi de Jérusalem aura pu évaluer les faiblesses de
l'ennemi...
Shawar, vizir et chef des armées d'Égypte, verse alors un tribut
et des indemnités à Nûr ad-Dîn afin que ce dernier puisse maintenir sa
protection sur l'Égypte et surtout repousser les Francs. La venue en mai
1164 d'une armée commandée par Sirkuh, l'un des lieutenants de Nûr ad-
Dîn et oncle de Saladin, fait basculer l'histoire. Shawar et Sirkuh refoulent
bien les Croisés d'Égypte, mais les revendications du lieutenant pour
contribution de guerre deviennent exorbitantes. Ce dernier ne parle plus
de quitter le pays et réclame plutôt des provinces entières comme tribut.
Désespéré, le grand vizir se tourne alors vers le roi de Jérusalem pour se
débarrasser de son rival.
Amaury saisit alors l'occasion et reprend la route vers l'Égypte avec
l'aide de Templiers et autres forces de Terre Sainte comme les Hospitaliers.
Les armées franques traversent le Sinaï. Arrivés dans la vallée du Nil, les
soldats francs et ceux du grand vizir d'Égypte encerclent les 30 000 hommes
de Sirkuh, lesquels évacuent Le Caire en catastrophe pour se réfugier plus
au nord dans la forteresse de Bilbéis, où ils sont finalement assiégés par
les forces des deux alliés réunis. Mais l'armée chrétienne avait en grande
partie déserté la Terre Sainte pour porter soutien à Amaury. Le roi de Syrie,
Nûr ad-Dîn, profita de cette faiblesse stratégique pour tenter une invasion
du Royaume de Jérusalem. S'il poursuivait le siège de Bilbéis, le roi de
Jérusalem risquait de perdre la Terre Sainte. Ce dernier proposa alors à
Sirkuh de stopper le combat et d'évacuer l'Égypte en même temps. Le
lieutenant de Nûr ad-Dîn, à bout de ressources, accepta ces conditions.
En novembre 1164, les armées ennemies quittèrent l'Égypte pour entrer
en Syrie, les forces de Sirkuh prirent la direction du désert, et le roi de
Jérusalem longea les côtes pour porter secours à Antioche et repousser
Nûrad-Dîn.
Seuls maîtres de l'Égypte, Shawar et le Calife du Caire s'accom-
modent d'une alliance formelle avec les Français afin de se prémunir de
tout danger au cas où la Syrie viendrait encore à envahir le pays.

À partir de fin 1164, date très importante pour notre enquête, les
Templiers, en bon terme avec la Cour d'Égypte, peuvent librement circuler
le long du Nil sous protectorat du grand vizir, ceux-ci étant regardés comme
de puissants intermédiaires avec le monde de l'Islam. Leurs contacts avec
les musulmans transparaissent dans leur histoire; John Charpentier ajoute
à ce propos : «Les Templiers, instruits probablement par les Fatimides du
Caire, conçurent la possibilité d'un universalisme pacifiste, renouvelé de
celui du Pharaon Aménophis IV (Akhenaton) 119 • » C'est peu dire!
119 John Charpentier, L'Ordre des Templiers, Paris, Éditions Tallandier, 1977, p. 154-155.
120 CORPUSDEAE

On note par ailleurs qu'en 1166, le Grand Maître du Temple, Bertrand


de Blanquefort, fait livrer aux musulmans une forteresse de Transjordanie
afin de resserrer ses liens avec le monde arabe, mais aussi pour contrer
la politique hasardeuse du roi de Jérusalem avec laquelle l'Ordre du
Temple n'est pas toujours d'accord 120 • Aucun document ne mentionne
les faits et gestes des q_uelques Templiers restés en Égypte pendant plus
de deux ans de paix avérée. Cependant, l'histoire nous porte témoignage
de l'importance des bons rapports entre l'Égypte et l'Ordre du Temple à
plusieurs dates bien distinctes.
La première intervient lorsqu'en janvier 1167, Nûr ad-Dîn charge
son fameux lieutenant Sirkuh d'entreprendre une nouvelle campagne
pour la conquête de la vallée du Nil. Le roi de Jérusalem souhaite alors
concrétiser son accord et protectorat avec la cour du Caire. Pour cela, il
se déplace rapidement avec son armée, épaulée par les Templiers et les
Hospitaliers, et se rend au Caire où le vizir le reçoit en héros. Amaury fait
alors mandater deux ambassadeurs pour recevoir le serment de fidélité du
Calife : le jeune comte Hugues de Césarée et le Templier Geoffroy Foucher
du Temple, commandeur du Royaume de Jérusalem. Diplomate de renom
et administrateur des affaires de l'Ordre, ce dernier incarne aussi le grand
commandeur de l'Ordre du Temple en l'absence du Maître. Le traité se
solde par le versement annuel de cent mille pièces d'or et l'installation
d'une garnison et d'un gouverneur au Caire.
Les accords conclus, l'armée franco-égyptienne se met en marche
pour atteindre le Nil et Giza où l'ennemi s'est réfugié. En mars 1167, Sirkuh
mène le front dans les alentours de Giza, alors que son neveu Saladin
assure la défense d'Alexandrie. Saladin souhaite en découdre avec ces
chrétiens arrogants qui ont envahi la Syrie et pris Jérusalem. Les forces de
l'armée franco-égyptienne avancent peu à peu et remontent le Delta du Nil
pour atteindre Alexandrie en juin. Une violente bataille s'engage; Amaury
se lance dans un siège compliqué. Sirkuh mène une contre-offensive et se
voit obligé de replier ses forces sur Alexandrie pour soutenir son neveu.
L'armée franco-égyptienne établit un blocus maritime autour
d'Alexandrie et ruine l'approvisionnement en vivres ainsi que tout
commerce. Sirkuh et Saladin sont acculés, et - bien que les forces franco-
égyptiennes s'épuisent peu à peu - face à la disette et les défauts de vivres,
ils ouvrent les portes de la ville à leur ennemi. .. Il est alors décidé que les
deux forces rivales quitteront simultanément l'Égypte, laissant le vizirat
à Shawar, comme en 1164. Le roi de Jérusalem négocie avec Saladin et lui
obtient même des vaisseaux pour rapatrier en Syrie les blessés de l'armée
de Sirkuh. En automne 1167, Amaury rentre à Jérusalem en pleine gloire
alors que l'Égypte est sous la protection des Francs.

120 Alain Desgris, L'Ordre des Templiers et la chevalerie maçonnique templière, Paris, :éditions Guy

Trédaniel, 1995, p. 165.


LES TEMPLIERS EN ÉGYPTE 121

26. Croisés et Templiers en ~gypte. Gustave Doré

3. L'adoubement de Saladin à l'Ordre des Templiers à Alexandrie


(1167)

À l'issue du siège d'Alexandrie, Saladin se fit adouber «à la


française» par Onfroy de Toron, chevalier templier ... Il s'agit d'un fait
historique peu connu, mais bien réel, au regard des multiples documents
qui s'en font écho par simple anecdote ou d'une façon plus détaillée. On
notera la présence de cet événement dans plusieurs documents dûment
122 CORPUSDEAE

répertoriés121 :

- Bibliothèque Nationale, Ms. fr. 25.462 (Notre Dame 272).


- Ms. fr. 721.
- Ms. 424 de Caïus et Gonville College (Cambridge).
- L'Itinerarium Perigrinorum et La Gesta Regis Ricardi de
Richard, chanoine de la Sainte-Trinité de Londres.
- Les Chroniques d'Emoul.
- La Chronique del' Abbaye de Saint-Pierre-le-Vif-de-Sens de
Geoffroy de Courlon.
- La Chronique Universelle de Guillaume de Nangis.
- L'Histoire des Chevaliers Hospitaliers de Saint Jean de
Jérusalem de l'abbé Vertot.

Maintenant que nous avons garanti le sérieux de cet épisode, voici


les faits rapportés par l'abbé Vertot, de l'Académie des Belles Lettres :

«(En 1167), Saladin, faute de secours et de munitions, se vit réduit


à la triste nécessité d'ouvrir ses portes à son ennemi. On rapporte
que ce jeune mahométan, en sortant d'Alexandrie, à la tête de sa
garnison, ayant aperçu Onfroy de Thoron, connétable du Royaume
de Jérusalem, et charmé de la valeur qu'il avait fait paraître pendant
tout le siège, s'avança vers ce seigneur chrétien et le pria comme le
plus brave chevalier qu'il connût, de vouloir bien le faire chevalier
de sa main; ce que le connétable, avec la permission du Roi, lui
accorda avec toutes les marques d'estime et de considération qui
étaient dues à la valeur et la généreuse défense qu'il avait faite
pendant le siège122 • »
Histoire des Chevaliers Hospitaliers de Saint Jean de Jérusalem

Toutefois, le doute plane quant à l'identité exacte du chevalier Onfroy


qui adouba Saladin. Le chroniqueur Guillaume de Tyr, contemporain des
faits, indique qu'il s'agissait vraisemblablement de Onfroy III de Toron
(1141-1173) et non de son père Onfroy II (1117-1179), connétable du roi de
Jérusalem, donc premier officier de la Couronne. Selon lui, Onfroy II était
trop âgé pour s'intéresser au jeune Saladin et lui accorder l'adoubement.
En revanche, son fils Onfroy Ill, âgé d'une trentaine d'années et de la
même génération que Saladin pût entretenir des relations amicales avec ce
dernier123 •
Cette remarque paraît étonnante de la part de Guillaume de Tyr,

121 Voir références in : Paul de Breuil, La chevalerie et l'Orient, Paris, Guy Trédaniel éditeur,

1990, p. 176et132-133.
122 L'abbé René-Aubert de Vertot, Histoire des chevaliers hospitaliers de Saint Jean de Jérusalem,

Tome 1, Paris, Rollin, Quillau, Desaint, 1726 p. 148.


123 Paul de Breuil, La chevalerie et l'Orient, op. cit., p. 134-135.
LES TEMPLIERS EN ÉGYPTE 123

car nous savons qu'Onfroy Il, bras droit d' Amaury et premier officier
de la Couronne, se trouvait aux côtés de son roi lors de cette fameuse
bataille d'Alexandrie, ce qui n'est pas le cas de son fils. De plus, M. Guizot,
professeur d'histoire à l'Académie française, indique bien la filiation
templière d'Onfroy 11124 •

4. Quatre années fructueuses en contact direct avec l'hermétisme


égyptien (1164-1168)

Le roi de Jérusalem sauva l'indépendance égyptienne, obtint un


tribut annuel, une garnison au Caire, mais surtout un véritable protectorat
franc sur l'Égypte. Bornons-nous maintenant à mettre en évidence ce qui
ne le fut jamais dans le contexte des études sur les Templiers .. Ces derniers
fréquentèrent l'Égypte de fin 1164 à fin 1168, soit pendant quatre années.
Quatre années de paix et de libre circulation sur le territoire égyptien, où
Bertrand de Blanquefort, Maître du Temple, put envoyer les hommes au
blanc manteau sur les rives du Nil.
L'existence templière sur le sol égyptien se poursuivit entre Le
Caire et Alexandrie. Les Templiers entretenaient de bons rapports avec
les cités italiennes de Pise et de Venise en commerce avec Alexandrie. Les
documents trouvés dans la Geniza du Caire témoignent qu'Alexandrie
se transforma entre les 12• et 13• siècles en plateforme commerciale à
destination de la Méditerranée et des marchands étrangers. C'était un
point de passage obligé, sorte de banlieue du Caire, où les marchands ne
faisaient que passer pour traiter des affaires, leur séjour y restant donc
éphémère 125 •
La présence des Templiers à Alexandrie, d'où la gnose se répandit
jusqu'en Europe, marque aussi une ère cruciale dans l'histoire de l'Ordre.
L'égyptologue René Lachaud ajoute à propos des relations entretenues
par les Templiers et les musulmans : «Le plus digne d'intérêt demeure
les relations qu'établirent les Templiers et les musulmans au niveau des
connaissances, des techniques, de la religion et de l'hermétisme. Dès les
premières années de leur présence en Orient, les Templiers firent traduire
en latin les textes arabes qu'ils trouvèrent dans les cités conquises. Quand
les musulmans s'étaient, à partir du 8• siècle, répandus dans tout l'Orient
méditerranéen, ils avaient recueilli les manuscrits, rouleaux ou parchemins
qui dormaient encore dans les vestiges des grandes bibliothèques de
l' Antiquité, telle celle d'Alexandrie. Les érudits de l'Islam exploitèrent au
mieux cet étonnant fonds de connaissances qui provoqua le démarrage de
la civilisation arabo-musulmane. Au moment où les Croisés arrivent en
12• M. Guizot, Collection des mémoires relatifs à l'histoire de France, Dépôt Central de la Librairie,
1835, p. 474.
125 Avraham Udovitch, «L'Énigme d'Alexandrie: sa position au Moyen Âge d'après les

documents de la Geniza du Caire», in Revue de l'Occident musulman et de la Méditerranée, n° 46,


1987.
124 CORPUSDEAE

Syrie, cette civilisation a atteint son apogée et possède sur l'Occident une
avance appréciable126 • »

En temps de trêve, comme entre 1164 1168, les Templiers, Égyptiens,


Juifs et Sarrasins se rendaient visite librement, se transmettaient
mutuellement certaines de leurs conceptions et échangeaient des points
de vue religieux. Les Templiers visitèrent donc les loges de l'époque,
particulièrement celles d'Alexandrie et du Caire, écoles du savoir,
renommées au Moyen Âge pour leurs ésotérisme et sciences occultes.
En Égypte siégeaient de véritables collèges initiatiques issus de
la pensée du dieu Thot. Le nom Djehuti grécisé en Thot et en Hermès
(Trismégiste) nous dévoile le grand inventeur de l'hermétisme. Sorti du
Chaos des Origines avec les ancêtres mythiques, le dieu Thot apporta avec
lui l'hermétisme originel qu'il codifia aussi bien dans la pensée égyptienne
que dans les hiéroglyphes.
Ces échanges d'idées ésotériques influencèrent l'Ordre du Temple
comme les Templiers influencèrent les Sarrasins. Gérard Serbanesco,
spécialiste de la franc-maçonnerie et des Templiers, précise que l'Orient
influença les Templiers et même la chrétienté : «Les musulmans dévots
écoutaient dans les mosquées ceux qui récitaient les prières en comptant
sur des grains sacrés. Les Templiers empruntèrent ce système et placèrent
le fil contenant ces grains autour de leur chapeau. On appela ces fils
retenant les grains sacrés : un chapelet, dérivant du mot chapeau. Les
Croisés imitèrent les Templiers et l'introduisirent ensuite en Europe, dans
la chrétienté. Voilà l'origine du chapelet catholique !1 27 »

Ainsi, dès la seconde Croisade, les Templiers purent vérifier leurs


sources sur place et échanger avec des érudits orientaux. L'Église qui
voulut à tout prix écarter la Gnose et ses «hérésies» venait pourtant
d'ouvrir le chemin au« ver dans le fruit». Les Templiers, jetés dans le sillage
de la guerre latine, se mirent davantage en contact avec la foi gnostique,
celle qui rompt avec la raison du fanatisme religieux et qui, au contraire,
apporte une connaissance lumineuse, spirituelle et philosophique - une
perception octroyant un libre arbitre, une vision supérieure du bien et du
mal permettant au chevalier de faire la différence entre le divin et l'ego ...

5. La perte de l'Égypte (fin 1168)

Le libre accès des Templiers le long des rives du Nil put se prolonger
encore sur une année de paix, jusqu'au 1er novembre 1168, moment où le roi
de Jérusalem débarque à Bilbéis dans le Delta du Nil. Un mois avant, sous

René Lachaud, Templiers, chevaliers d'Orient et d'Occident, op. cit., p. 148.


126

Gérard Serbanesco, L'histoire de /'Ordre des Templiers et les Croisades, tome 1, ~ditions Byblos,
127

1969, p. 280-281.
LES TEMPLIERS EN ÉGYPTE 125

les conseils appuyés de l'empereur de Byzance et de Gerbert d' Assailly,


Grand-Maître des Hospitaliers, Amaury décida de briser le pacte d'alliance
avec la couronne d'Égypte et prit la tête de ses troupes à la conquête du
Nil. Cette trahison des Hospitaliers envers l'Égypte s'explique par une
tractation avec Amaury qui leur garantissait le territoire complet de Bilbéis
et des biens provenant d'une dizaine de villes égyptiennes ...
Ici intervient une nouvelle date importante venant marquer les
rapports étroits entretenus entre l'Ordre du Temple et les musulmans. Le
Maître du Temple, Bertrand de Blanquefort, garant du traité passé avec
le Calife et le vizir Shawar, condamna la rupture des accords négociés et
refusa de participer à la conquête de l'Égypte! Amaury dut faire sans les
Templiers et leurs atouts fabuleux. Le roi de Jérusalem ne tint pas compte
de l'avertissement et partit vers un cul-de-sac légendaire. Une fois le
chemin du Delta assuré, l'armée franque descendit le long du Nil pour
faire face, douze jours après, à la vieille ville du Caire, Postât. Le. Grand
vizir Shawar avait sacrifié la ville en y mettant le feu! Le roi de Jérusalem
comprit alors son erreur et ne put combattre l'ennemi. Il paya sa retraite
au prix d'une forte indemnité de guerre. Lui et ses troupes purent quitter
l'Égypte pour la Palestine, totalement humiliés et contraints au versement
de la première partie de la somme.
Appelé à l'aide par l'Égypte, Sirkuh se dépêcha sur place et s'établit
en maître alors que son neveu Saladin entra au Caire le 8 janvier 1169 ... Le
vizir Shawar sera tué le 18 janvier et le vizirat attribué à Sirkuh. Le 23 mars
1169, le grand guerrier Sirkuh meurt et son neveu Saladin lui succède dans
le vizirat. Il supprimera deux ans plus tard le califat fatimide, faisant de lui
le maître absolu de l'Égypte.
L'erreur d' Amaury apporta un désastre stratégique aux
conséquences incalculables sur le Royaume latin et ses frontières
orientales. Cette erreur unit deux royaumes très puissants, Le Caire et
Damas, et enferma pour un long moment la Syrie franque.
126 CORPUSDEAE

27. Saladin
victorieux.
Gustave Doré

6. Retour en Égypte (1218-1221)

Jérusalem était tombée aux mains des musulmans depuis 1187 grâce
à l'éclatante victoire de Saladin, moment historique où ce dernier, à la tête
de 30000 hommes, reprit la majeure partie du Royaume de Jérusalem et
une cinquantaine de châteaux croisés. La perte de Jérusalem suscita en
Europe la préparation d'une troisième Croisade.
Le 8 juin 1191, Richard ter d'Angleterre (Richard Cœur de Lion)
arrive sur les rives de la Palestine pour soutenir les Croisés engagés
dans le siège d' Acre depuis plus de deux ans. Le bras de fer contre
Saladin durera encore plusieurs mois; la ville se rend finalement après
trois années de blocus interminable et sanglant. Richard Cœur de Lion,
épuisé, n'a plus qu'une idée en tête : reprendre Jérusalem! Mais très vite,
il se ravise, estimant qu'il pourra peut-être la récupérer, mais sûrement
pas la conserver. Le 4 septembre 1192, les représentants du roi Richard
LES TEMPLIERS EN ÉGYPTE 127

et de Saladin signent un traité de cinq ans où il est stipulé que les Francs
conserveront la zone côtière entre Tyr et Jaffa. De leur côté, les chrétiens
reconnaissent l'autorité de Saladin sur le reste des régions. Jérusalem reste
sous le contrôle des musulmans, bien que la cité offre la liberté de culte
à tout le monde ainsi que le libre accès des lieux saints aux chrétiens. A
cet instant, les États latins d'Orient n'existent quasiment plus, la présence
chrétienne étant restreinte à la bande de terre octroyée lors du traité.
Fortement controversée, la quatrième Croisade renoncera à
atteindre l'Égypte - centre du pouvoir musulman au Proche-Orient - et
concentrera ses efforts sur la destruction de l'Empire chrétien de Byzance.
Cette Croisade permet la création de nouveaux États croisés, mais les
intrigues politiques et les querelles de succession affaiblissent grandement
les intérêts des royaumes francs.

Nous savons que les Templiers entretinrent une bonne entente avec
les Orientaux. La Règle des Frères Élus 128 annonce dans son article 24 :
«Pendant la période de paix, vous devez songer souvent que votre Dieu
est aussi celui des Juifs et des Sarrasins.» Cela n'enchanta guère l'Église de
Rome, en 1198, comme en témoigne le pape Innocent III dans sa lettre écrite
au Maître du Temple, Gilbert Erail, lequel participa activement à la trêve
de cinq ans signée entre le roi d'Angleterre et Saladin : «A présent, les gens
se refroidissent, en apprenant que vous faites des trêves avec les Sarrasins.
Nous-mêmes, ne nous refroidissons guère, mais tendons toujours vers
notre but.» Le pape s'excusait en même temps de ne pas envoyer de fonds
plus conséquents à l'usage des chrétiens d'Orient, façon élégante de faire
comprendre aux Templiers que s'ils souhaitaient l'aide de l'Occident, ils
devraient entretenir la guerre sainte129 !

*
* *

Le retour des Templiers en Égypte s'effectue officiellement, à partir


de la cinquième Croisade, soit cinquante ans après leur départ précipité
de 1168. Les préparatifs pour cette nouvelle Croisade auront duré plus de
cinq ans. Embarquant de la Rochelle, les moines-soldats au manteau blanc
rejoignent la flotte des Croisés anglais et français et arrivent au printemps
1218 dans le Delta du Nil.
128 Manuscrit en langue latine tiré des archives de la grande loge maçonnique de Hambourg et

traduit en 1877 par le Dr Théodore Merzdorf, conservateur de la bibliothèque d'Oldenburg.


Le contenu restitue la Règle officielle de l'Ordre du Temple, suivie de trois statuts secrets de
l'Ordre des Templiers rédigés en 1205, 1240 et 1252. Tous ces éléments seraient des copies de
documents provenant des archives du Vatican, copies réalisées par le savant danois Friedrich
Münter en 1780. L'authenticité des documents fut plusieurs fois remise en cause, mais les
dernières recherches relancent le débat et permettent de penser que ces statuts secrets des
Templiers ne seraient pas des faux. Voir à ce sujet Je très bon article intitulé« Les statuts secrets
de l'Ordre des Templiers» de Jean-Pierre Schrnit disponible sur le site lesfilsdelavallee.fr.
129 Marion Melville, La vie des Templiers, Paris, Éditions Gallimard, 1951, p. 151.
128 CORPUSDEAE

En août de la même année, les Templiers et Hospitaliers se lancent


à la conquête des premières défenses de Damiette. Ils se saisissent de sa
grande tour extérieure (tour de Cosbaine), laquelle protège l'entrée du
port, et brisent ses chaînes qui empêchent toute navigation. Cette première
victoire permet ainsi aux navires Croisés et Templiers de patrouiller sur le
bras oriental du grand fleuve égyptien, véritable porte de toute l'Égypte.
Mais le souffle du large se montre parfois capricieux, les Croisés et leurs
gros navires se heurtent souvent au cruel manque de vent.
Afin de ravitailler l'armée et de naviguer rapidement sur le Nil et
ses affluents, les Templiers utilisent des navires égyptiens à plus faible
tirant d'eau, propres à la navigation dans cette région marécageuse où le
vent se veut capricieux. Les marchands génois et pisans suivent de près les
déplacements de quelques Templiers partis en éclaireurs. Les expéditions
templières ouvrent ainsi la voie aux longs trajets de reconnaissance. Un
détachement de mille hommes, embarqués sur des bateaux légers, part
en exploration le long du Nil tanique, à la recherche de ravitaillement et
de biens. Ils sillonnent des régions lacustres et marécageuses remplies
d'oiseaux. Ils surprennent alors le site de Tanis où une garnison turque
s'emploie à veiller sur la région, mais elle s'enfuit à l'approche des
envahisseurs chrétiens130• L'exploration et le pillage des biens du nord du
Delta se prolongent pendant plus d'un an et demi...
En novembre 1219, après 17 mois de combats et de batailles
maritimes131, la sainte armée financée par l'Église de Rome, atteinte
en partie de scorbut132, s'amasse péniblement sur les triples murailles
de la ville et ses trente-deux tours et tourelles. Damiette est prise pour
la première fois par des Croisés italiens, activement soutenus par les
Templiers et Hospitaliers, initialement équipés de quatre koggen 133 et deux
nefs. L'histoire retient le sacrifice d'une kogge templière, précipitée contre
les murailles de Damiette pour ouvrir une brèche. Cette victoire frappe
tellement les esprits qu'une chronique italienne assimile les Templiers à
une milice céleste, en soulignant le témoignage des défenseurs musulmans
éberlués134 •
Fait peu connu des chroniques historiques, les Templiers possé-
daient une perrière, à savoir une machine de guerre qui lance des pierres,
130 Marion Melville, La vie des Templiers, Éditions Gallimard, 1951, p. 156.
131 Sur les 17 mois de combats pour conquérir Damiette, les Croisés connurent 10 mois de
batailles maritimes pour traverser la rive opposée du Nil et atteindre les murs de Damiette et
commencer le siège de la ville.
132 Le scorbut est un type de gangrène des gencives! Le Maître du Temple, Guillaume de

Chartres, fait partie des victimes et meurt le 26 ao1l.t 1219. Il sera remplacé par Pierre de
Montaigu, «Maître en Espagne et Provence».
133 Ou «cogue», type de voilier dérivé du lcnOrr viking (drakkar) souvent utilisé en mer du

Nord au cours du Moyen Age. Lorsqu'il ne servait pas pour le commerce, on pouvait l'armer
de canons pour la guerre.
134 Paris, Bibliothèque Nationale, Manuscrits, NAL 2226, n° 1 in Pierre-Vincent Gaverie,

«La marine du Temple dans l'Orient des Croisades», dans Les ordres militaires et la mer, La
Rochelle, Éditions du Cths, 2005, p. 49-50.
LES TEMPLIERS EN ÉGYPTE 129

capable aussi de se transformer en lance incendiaire135 • Provenant origi-


nellement des Assyriens (9" siècle av. J.-C.), cette arme fut réactualisée par
les Byzantins à la fin des années 400 de notre ère. L'utilisation d'une telle
machine de guerre montre une fois encore l'intérêt que portaient les Tem-
pliers aux connaissances de l'Orient. L'utilisation de cette arme offrit un
précieux avantage lors de la prise de Damiette, tout autant que les man-
gonneaux (grosses catapultes) des Hospitaliers. De même, l'inestimable
concours naval de marchands génois et pisans engendra à ce moment de
l'histoire des soucis commerciaux jusqu'alors inconnus. Les Italiens dési-
raient créer une colonie qui leur ouvrirait de nouvelles routes du com-
merce alors que les Français souhaitaient échanger Damiette pour récu-
pérer Jérusalem, perdue en 1187. La libération de Jérusalem n'intéressait
pas les commerçants et trafiquants italiens, plutôt à la recherche des clés
de l'Égypte en vue d'établir des comptoirs le long du Nil pour recevoir les
marchandises venues de tout l'Orient136 •

28. Croisés et Templiers


se partagent les trésors de
la ville assiégée, Gustave
Doré.

135 Recueil des historiens des Croisades, publié par les soins de l'Académie des Inscriptions et

Belles-Lettres, tome second, Paris, Imprimerie Impériale, 1844-1895, p. 338.


136 Marion Melville, La vie des Templiers, op. cit., p. 152.
130 CORPUSDEAE

Dès leur arrivée dans la ville assiégée, les Croisés, Templiers,


Hospitaliers, comtes, marchands et pèlerins se partagent les trésors de
la ville : or et argent en grande quantité, des étoffes de soie, des effets
précieux et d'immenses richesses de toutes sortes. L'aménagement des
soldats français et italiens apporte la discorde. Le 21 décembre 1219, les
Italiens tentent de chasser les Templiers et Hospitaliers de la ville. Le
6 janvier 1220, ces derniers reprennent le dessus et chassent les Italiens de
leurs quartiers. Une trêve fragile semble acceptée par les rivaux le 2 février
1220, mais ils n'arrivent pas à s'entendre sur le sort de la ville. D'autant
qu'à Damiette, les Francs se trouvent divisés en deux clans : les partisans
du roi de Jérusalem et des barons et celui de Pélage, légat de Damiette,
soutenu par le pape, les évêques et les ordres militaires.
La conquête de Damiette s'égare dans la confusion et des négocia-
tions sans issue. Le sultan égyptien propose alors d'abandonner aux Croi-
sés tout le territoire de Jérusalem s'ils quittent l'Égypte. Mais des conflits
de pouvoir entre Jean de Brienne, roi de Jérusalem, et Pelage d' Albano,
légat du pape, font perdre un temps précieux. Le premier souhaite accep-
ter les conditions, mais pas le second qui attend désespérément les renforts
de Frédéric II qui n'arriveront pas ... Ainsi, à l'été 1221, le plan initial prévu
par Pélage échoue lamentablement. Les troupes chrétiennes tentent mal-
gré tout une marche vers le Sud, toutefois les Égyptiens bloquent les ap-
provisionnements et ouvrent les digues pour inonder les terres. La défaite
des Croisés est totale; ils quittent l'Égypte le 30 aofi.t 122l137•
Excommunié par le pape pour ne pas avoir participé à la Croisade,
Frédéric II part tout de même en 1228 pour débarquer, non plus dans le
Delta du Nil, mais en Palestine ... Sa brève Croisade se terminera par un
simulacre de bataille avec le Sultan Malik al-Kamel avec qui il crée des
liens amicaux. Il récupère ainsi la ville de Jérusalem sans combattre, se
couronne roi de Jérusalem en mars 1229 et repart en Italie début mai,
laissant la ville Sainte sans roi résidant et l'abandonnant ainsi à la guerre
civile.

*
* *

Grâce aux données historiques, nous pouvons refaire le point au


sujet de la présence templière en Égypte. Nous avons vu plus haut que
les neuf Templiers ne purent protéger les routes des pèlerins situées à une
distance de plus de 200 kilomètres sans la moindre égratignure et sans
avoir participé à une quelconque action militaire. Ils firent à coup sûr
des recherches sur plusieurs terrains afin de vérifier leurs connaissances.
Durant ces énigmatiques neuf premières années (1118-1127) où ils
fouillèrent le Rocher de Jérusalem, certains d'entre eux foulèrent sans
doute le sol égyptien pendant au moins deux à trois années. L'évaluation
137 Jonathan Riley-Smith, Atlas des Croisades, Éditions Autrement, 1996, p. 94.
LES TEMPLIERS EN ÉGYPTE 131

reste très raisonnable. La découverte que nous effectuerons plus loin,


lorsqu'il sera question du Baphomet (sujet traité en fin d'ouvrage), nous
incite à anticiper plus précisément un voyage en Haute-Égypte.
Nous venons de le relever, les Templiers sillonnèrent la Basse-
Égypte de la fin 1164 à la fin 1168, soit pendant quatre années de paix
relative. Ils traversèrent aussi le Delta du Nil de 1218 à 1221, donc pendant
trois ans. Un rapide calcul nous permet d'affirmer sans trop de difficulté
qu'ils fréquentèrent l'Égypte pendant une dizaine d'années au minimum.
A titre personnel, je pense qu'ils y restèrent beaucoup plus longtemps. Je
ne compte pas dans cette addition les huit mois passés dans les marais du
Delta, lors de la dramatique Croisade de Saint Louis.

Avant de démarrer la partie traitant des découvertes templières


qui aboutiront au reniement de la croix, l'adoration du Baphomet et le
Graal primitif, nous allons retracer l'histoire d'une statue égyptienne
assez énigmatique, retrouvée à Rome bien avant la Campagne d'Égypte
de Napoléon et le début de l'égyptologie. Une statue où apparaît un
signe distinctif que Râmosé (Moïse), grand vizir d' Amenhotep III et
d' Akhenaton, a dû porter sur lui. Une amulette que les Templiers hauts
gradés arborèrent à leur tour ...

7. Sous le signe de la déesse Bat, forme protectrice d'Hathor

Lors des fouilles égyptiennes réalisées en mars 1904 dans la cour de


Karnak, l'équipe de Georges Legrain mit au jour une statue naophore138 de
Paser, le grand vizir de Ramsès Il. Cette statuette en granit gris représente
le vizir, paré du collier de protection de la déesse Bat, montrant une table
d'offrande sur un support. Elle se trouve aujourd'hui au Musée du Caire
sous la référence CG 42164.

138 Statue qui porte une figure de temple entre ses mains.
132 CORPUSDEAE

29. À gauche, statue naophore du vizir Paser (réf. CG 42164, Le Caire 1904) avec le collier de
la déesse Bat sur la poitrine.
30. À droite, une image classique de Bat avec, toutefois, le cercle solaire sur la tête à la place
des cornes de vache. Les pendentifs ou amulettes de Bat s' agrémentent souvent du nœud
d'Isis intitulé nœud Tit qui ressemble à l' Ankh égyptien, mais avec les deux boucles latérales
(bras) ramenées le long du corps.

Cette association entre le vizir et le collier Bat nous informe sur la


lourde responsabilité de Paser en qualité de grand juge de l'époque de
Ramsès Il Effectivement, l'insigne Bat porté au cou figurait la marque
des vizirs, juges et ministres de l'ancienne époque. Nous verrons en fin
d'enquête que cet insigne impliquait aussi les premiers Pharaons de la
première dynastie égyptienne.
Le même type de talisman se retrouve au cou de Pabasa, sur le
relief de sa tombe, énorme sépulture se situant à Der el Bahary, dans
la nécropole de l' Assâssif. Quatrième prophète d' Amon à Karnak,
sous la :XXVIe dynastie, Pabasa était aussi le Grand Chambellan de «la
Divine Adoratrice, Nitocris, douée de vie et juste de voix. » Fille du roi,
Psammétique Il, Nitocris, comme toutes les Divines Adoratrices d'Égypte,
jouissait d'une grande autorité politique et de plusieurs attributs sacrés
du roi, comme ce fut le cas des Vestales romaines bien plus tard. Épouse
du seul dieu Amon, la Divine Adoratrice était vouée à la stérilité chamelle
pour assurer le lien cosmique avec le divin et ne devenait jamais «Épouse
LES TEMPLIERS EN ÉGYPTE 133

royale».
Le fait troublant intervient dans le guide officiel du British Museum
de 1909: A Guide to the Egyptian Galleries, dirigé par Wallis Budge, exemplaire
que j'ai eu en mains dans les années 1990, lors de mon premier voyage à
Londres. Ce dernier nous décrit deux statues en basalte noir. La première
(EA 83) représente Pef-a-Net, un proche du roi Uah-ab-râ139 (souverain de
588 à 570 av. J.-C.}, donc encore de la XXVI• dynastie. Bien que l'objet soit
brisé sur le haut et qu'il nous soit impossible de voir au-delà de sa taille,
le socle nous offre quelques surnoms divins attribués à ce bras droit du
Pharaon de l'époque de la prise de Jérusalem: «Médecin en chef du roi»,
« Superintendant des trésors», «Conseiller en chef», « Superintendant du
palais royal», «Prêtre d'Horus et de Pe 140 », etc.
La seconde statue (EA 111) figure le roi Uah-ab-râ, lui-même, tenant
dans ses mains un naos contenant la figure d'Osiris141, un peu comme la
statue du Caire (CG 42164). Le Pharaon Uah-ab-râ est connu pour avoir
combattu Nabuchodonosor II lors de la prise de Jérusalem, à l'époque
de la nouvelle déportation des Hébreux à Babylone. Tout le monde se
souvient que la Bible mentionne Nabuchodonosor II comme le destructeur
du Temple de Salomon. L'ancienne Palestine se trouvait sous juridiction
égyptienne; malheureusement, ce Pharaon ne put s'opposer à l'avancée
babylonienne et à l'écroulement du royaume de Juda. Uah-ab-râ fut un
grand constructeur : on lui doit par exemple, un palais dans la grande
enceinte nord de Memphis. Cette statue fut trouvée par des marchands
entre le lac Mareotis et Alexandrie vers 1785. Le British Museum acquit
l'objet en 1844.

Quel rapport avec nos Templiers? Contre toute attente, la sculpture


EA 111 correspond très exactement à la statue numérotée 1068 - R. 325,
présente dans l'inventaire du 27 mars 1568, dressé au palais Farnèse à Rome
sous le nom d'Idolo de Parangone142 • Il s'agit assurément d'un exemplaire
similaire aux deux du British Museum, sans doute même réalisé à la même
époque dans le Delta du Nil. Une reproduction de cette statue se trouve à
la fin de cet ouvrage.
Le noble tient dans ses mains un naos contenant la figure d'Osiris.
Comme le vizir Paser et le chambellan Pabasa, cités plus haut, il porte le
collier de la déesse Bat sur sa poitrine, signe de protection et d'engagement
envers Isis-Hathor. Ses qualificatifs sont quasi identiques à ceux d'EA 83 !
139 Souverain signalé dans les archives ou livres d'histoire sous les noms de Ouaphrès ou

Uahabra ou Wahibra ou encore Apriès en grec.


140 A Guide to the Egyptian Galleries (Sculpture), Londres, British Museum, Harrison ans Sons,

StMatin's Lane, 1909, p. 223.


141 Ibid., p. 227.

142 Inv. 1068 - R. 325, cf. Documenti inediti per servire alla storia dei musei d'Italia, Ministro della

Pubblica Istruzione, Volume Primo, Tropgrafia Bencini, 1878, p. 72 + Philippe Sénéchal, «Le
premier inventaire des antiques du Palais Farnèse, in Mélanges de !'École française de Rome,
«Italie et Méditerranée», tome 108, n° 1, 1996, p. 250.
134 CORPUSDEAE

- tout à fait le genre de titres portés par Râmosé (Moïse), le fameux vizir
d' Akhenaton qui fit sortir d'Égypte les ouvriers Ubru («malades») et
maltraités lors de la construction d' Amarna ...
Aujourd'hui, cette statue se trouve au Musée archéologique national
de Naples. Bien que le musée italien l'associe à la XIXe dynastie, son
inscription gravée dans la pierre relève du pur style saïte, généralement
présent sur les figures pharaoniques de l'époque du souverain Uah-ab-râ
(XXVIe dynastie) et du roi de Babylonie, Nabuchodonosor Il.
Pourquoi avons-nous trouvé un tel objet à Rome plusieurs siècles
avant l'intérêt que pouvait porter l'Europe à l'Égypte, donc bien avant
Napoléon et le début del' égyptologie lancée lors de sa campagne d'Égypte
(de 1798 à 1801)?

*
* *

La domination romaine en Égypte démarre en -30 et dure jusqu'à 330


de notre ère143 • Durant cette période charnière, le christianisme prend son
essor sur les bords du Nil, contraignant les temples «païens» à fermer un à
un. Le commerce oriental d'Égypte vers l'Europe se réalise via Alexandrie
où les Grecs s'étaient établis en masse. Nombre de marchandises ou
d'objets de l'Égypte antique transitent à ce moment d'Alexandrie vers
l'Italie en empruntant les routes maritimes de Méditerranée utilisées pour
amener à Rome le blé égyptien, tribut que les Romains tirèrent de l'Égypte
décadente. On pense par exemple aux nombreuses statues d'Isis ou de
prêtresses égyptiennes vouées au culte isiaque, trouvées un peu partout
dans l'empire romain ...
Les différents objets antiques égyptiens sont ramenés en Europe
bien souvent pour leurs caractéristiques religieuses et la curiosité qu'ils
inspirent. La demande en objets venus d'Égypte augmente auprès de
l'aristocratie romaine. Chaque riche propriétaire souhaite placer dans
son décor un objet exotique extrait du pays mystérieux sous domination
de l'Empire! Mais la demande est grande et le transport de tels objets en
pierre difficile en raison de leur poids et de la trop grande distance. Pour
répondre à cette sollicitation, et satisfaire la noblesse italienne, les Romains
doivent créer des contrefaçons sur place, en Italie, avec l'aide d'ouvriers
égyptiens expatriés au premier siècle de notre ère 144 •
Nombre de ces objets, originaux ou copies, s'évaporèrent dans l'oubli
au Moyen Âge pour réapparaître à la Renaissance où ils furent révélés avec
des antiquités romaines et exhibés au grand public dans des galeries et des
musées ou encore dans des collections privées. Les quelques pièces des

m En réalité, la domination romaine se prolonge jusqu'en 393 de notre ère.


144Anne Roullet, «The Egyptian and Egyptianizing monuments of Imperial Rome», in Études
préliminaires aux religions orientales dans l'empire Romain, n° 20, Éditions Leiden - Brill, 1972,
p. 18-19.
LES TEMPLIERS EN ÉGYPTE 135

XIXe, XXV' et XXVIe dynasties égyptiennes présentes dans le catalogue de


1568, dressé au palais Farnèse, proviennent généralement de Basse-Égypte
ou du Delta du Nil. Pour la XXVIe dynastie (phase saïte), cette période
correspond à l'époque de l'installation des comptoirs grecs en Égypte. La
statue du bras droit du Pharaon Uah-ab-râ, désormais présente au Musée
archéologique national de Naples, aurait-elle été rapatriée en Italie à cette
époque? C'est possible, mais nous avons vu plus haut qu'il était plus
simple de créer des copies avec des experts égyptiens que d' exeorter de
tels objets, particulièrement entre l'époque romaine et le Moyen Age.

Bien qu'aucun élément ne puisse trancher définitivement la


question, une autre possibilité s'offre à nous. Les Templiers s'installèrent
en Italie et y placèrent des commanderies à partir de 1140. Parmi elles se
trouvent la grosse commanderie de Santa Maria del Aventino (Sainte-
Marie de l' Aventin145 ) près de Rome, et la San Bevignate, située entre
Rome et Florence, toutes deux sous l'administration de l'Église de Rome,
même à l'époque du pape Innocent IV (1243-1254). Ce pape confia le soin
d'administrer les biens de l'Église à sa place en Toscane et à Ancône au
frère templier Bonvicinio, lequel accompagna le Saint-Père au concile de
Lyon à l'été 1245.
Le transport de ce genre d'objet spécifique, associé à la déesse Bat,
aura très bien pu s'effectuer d'Alexandrie vers l'une des commanderies
templières voisines de Rome, de 1164 à 1168 ou de 1218 à 1221. Durant ces
dix années d'occupation du sol égyptien, et particulièrement les quatre
premières, les Templiers purent descendre vers le sud jusqu'à Nag Ham-
madi (7e nome), centre gnostique de l'Égypte administré par la déesse Bat.
Non pas pour étudier les textes qui ne seront découverts qu'en 1945, mais
plutôt pour s'initier à la Déesse des Origines de l'Égypte prédynastique,
protectrice du 7e nome ... Seuls les hauts dignitaires, en relation avec la
royauté égyptienne, portaient le talisman Bat. Nous démontrerons plus
loin que les initiés Templiers l'arboraient également.
Parmi les hauts dignitaires connus chez les Templiers se trouve le
Sénéchal. Ce très haut dignitaire assistait à tous les chapitres, particulière-
ment aux chapitres les plus secrets où le Grand Maître de l'Ordre n'avait
pas systématiquement accès à moins qu'il ne fût invité par le Sénéchal lui-
même. Le Grand Maître demeurait le chef militaire de l'Ordre, même si le
Sénéchal restait supérieur à lui grâce à ses connaissances ésotériques146 en
lien avec les règles secrètes templières.
Certains historiens prétendent que les règles secrètes des Templiers
n'existent que dans l'esprit d'auteurs fantaisistes parce qu'elles n' appa-
raissent pas dans les interrogatoires des Templiers lors de leur procès. Or,
145 Initialement monastère de bénédictins en 939, ce couvent devint templier à la fin du
12• siècle. Lors de la dissolution de !'Ordre du Temple, le couvent passa aux Chevaliers de
Rhodes et par la suite aux Chevaliers de Malte (aujourd'hui Villa du prieuré de Malte).
146 Gérard Serbanesco, L'histoire de l'ordre des Templiers et les Croisades, tome 1, Éditions Byblos,

1969, p. 238.
136 CORPUSDEAE

bon nombre d'indices nous permettent de postuler l'existence de chapitres


secrets liés à de grands initiés comme le Sénéchal. Il s'avère que parmi les
Templiers, il existait également des hommes très cultivés et d'une grande
instruction, au fait de l'architecture orientale et les traditions compagnon-
niques. Certains d'entre eux connaissaient l'ésotérisme et le symbolisme.
D'autres encore, initiés à la magie égyptienne et à l'hermétisme gnostique,
portaient le collier de la déesse Bat, forme protectrice d'Isis-Hathor que
les plus nobles ou prêtres ritualistes affichaient sur la poitrine ou sur leurs
vêtements à l'époque pharaonique. Ces nobles, comme Akhethetep de
l'Ancien Empire, portaient le titre de «prêtre de Héka (la magie)». Les
Templiers n'étaient-ils pas, eux aussi, des prêtres ritualistes?

Les papes et l'Église redoutaient les Templiers étant donné que, par-
mi ses dirigeants spirituels, certains d'entre eux étudiaient attentivement
la Bible ainsi que les textes parallèles, dits gnostiques ou intertestamen-
taires, non retenus par le clergé lors du «montage» des Ancien et Nouveau
Testament. Les Templiers étaient donc gnostiques, mais aussi pauliniens,
à savoir qu'ils admettaient l'existence des principes du bien et du mal.
Comme les gnostiques, ils regardaient le monde matériel et de la chair
comme l' œuvre du mal.
Un seul objet permettait de rester en lien avec le divin et formait
une divine protection contre les forces du mal, il s'agissait de la tête de
Bat, véritable talisman protecteur de la Sainte Vierge Isis-Hathor, mère du
Christ égyptien Heru (Horus).
Nous allons maintenant étudier l'origine lointaine de ce concept de
tête magique et ce qu'il représentait aux yeux des plus grands Égyptiens et
des Templiers initiés ... Les Sumériens en connaissaient aussi le sens. Je le
rappelle, cette quête nous mènera là où aucun chercheur n'a encore jamais
posé le pied.
3ePARTIE

L'IMPOSSIBLE MYSTÈRE :
DERRIÈRE LE VOILE D'ISIS
1
La faute du Fils de Dieu

Nous voici maintenant parvenus aux frontières des Grands Secrets.


À ce stade de notre étude, il me semblait désormais certain que les Templiers
s'inspirèrent grandement de connaissances tirées des rives du Nil, raison
pour laquelle ils s'obstinèrent à sillonner les terres d'Égypte à chaque fois
que la géopolitique dominée par les Croisades le leur permettait. Leurs
multiples voyages et recherches au Proche-Orient, et particulièrement
sur les terres des anciens Pharaons, me poussèrent à leur attribuer une
découverte majeure - que ce soit par la transmission ou la découverte de
secrets initiatiques - de textes ou encore d'objets. Mais quand et à quelle
occasion?
Nous avons relevé plus haut les connaissances incroyables
qu'avaient des personnages comme l'ancien mystique égyptien Amus et
Michel Psellos. Tous deux regroupèrent nombre de recueils, d'oracles, de
préceptes et d'éléments mythologiques certes tirés d'Égypte, mais aussi
de Mésopotamie. L'intérêt des fondateurs de l'Ordre du Temple à l'égard
de ces deux personnages clés se confirma sans doute vers 1109, alors que
l'Ordre n'existait pas encore officiellement. Hugues de Champagne et
son vassal Hugues de Payns, futur premier Grand Maître des Templiers,
semblent avoir ramené de Palestine des documents qu'ils confièrent à
l'abbé de Cîteaux.
À cette époque, nous l'avons vu, Étienne Harding consacra
rapidement tout son monastère à l'étude de textes sacrés. S'il s'agissait
juste de retraduire la Bible, pourquoi embaucher autant de monde? Nous
savons que l'abbé fit appel à des savants juifs, dont des experts en Kabbale.
Ces précieux documents étaient-ils tous rédigés en hébreu? La Bible ne
soutient-elle pas que les anciens Hébreux se retrouvèrent captifs des
Égyptiens et Babyloniens? Les ancêtres des Juifs pratiquèrent la langue
égyptienne pendant près de 400 ans alors que l'akkadien constitua le
langage littéraire et diplomatique de tout le Proche-Orient pendant près
d'un millénaire (second millénaire av. J.-C.). Le fragment «Jérusalem 1 »
140 CORPUSDEAE

trouvé lors des excavations de l'Ophel démontre que les Juifs pratiquaient
l'akkadien bien avant sa redécouverte et son déchiffrement savant réalisé
en 1857. Le déchiffrement de l'égyptien par Jean-François Champollion
date des années 1820. Serait-il impensable de prévoir qu'une poignée de
lettrés juifs du Moyen Âge pouvaient encore lire ce genre de document?
Nous ne possédons malheureusement pas la réponse, mais nous disposons
de copies de textes orientaux traitant des sujets de la Passion, la Mort et
la Résurrection du fils de Dieu! Des textes qui furent de toute façon aux
mains des anciens Hébreux entre leur fuite de l'Égypte et leur retour d'une
captivité de 58 ans à Babylone ...
On imagine aisément l'effet dévastateur suscité par cette découverte
au sein du groupe des premiers Templiers, mais aussi au cœur de l'Église
chrétienne! Ne peut-on déceler ici la raison de la subite ascension des
Templiers? Ces derniers n'auraient-ils pas fait chanter l'Église, raison
pour laquelle la Milice du Christ fut sous la protection des papes jusqu'au
fameux procès templier? Une fois encore, nous ne pouvons apporter de
preuv.es formelles, mais les textes subsistent, c'est ce que nous allons
découvrir dès à présent.

1. Rappel historique : la fondation de Babylone

Au Proche-Orient, les Templiers furent en contact avec les mystères


des trois grandes religions se partageant le pouvoir sur une minuscule
bande de terre, à savoir le judaïsme, le christianisme et l'islamisme,
respectivement inspirés de Moïse, de Jésus-Christ et de Mohammed.
Ces trois religions subirent les influences évidentes des antiquités
égyptiennes et assyro-babyloniennes, elles-mêmes connectées à l'Orient
ancien et à leurs mères patries originelles : Sumer et Akkad. Ces mystères
se trouvent dans la culture sumérienne grâce aux enseignements du dieu
Enki-Éa; en Égypte grâce au sage Thot; en Grèce par l'intermédiaire des
mystères de Dionysos et d'Éleusis et en Inde via Rama, Krishna ou encore
Vishnou.
Chez les Juifs, les mystères originels de la Kabbale furent transmis
«magiquement» par Yahvé à Moïse sur le Mont Sinaï en même temps que
la Loi écrite (la Torah). Du côté de l'Arabie ancienne, dernier bastion du
paganisme sémitique, nous savons, grâce à l'archéologie, que la culture
arabe tire ses origines de la disparition des civilisations de l'Orient ancien,
démantelées par les conquêtes d'Alexandre le Grand et progressivement
supplantées par la civilisation gréco-romaine 147•

À une très lointaine époque, bien avant la chute de Sumer, les tribus
arabo-cananéennes amorrites de l'ouest et autres nomades (Hanéens, Ben-

Toufic Fahd, La divination arabe <ttudes religieuses, sociologiques et .folkloriques sur le milieu
1• 1

natif de l'islam), ~ditions Leiden, 1966, p. 1.


LA FAUTE DU FILS DE DIEU 141

jaminites, Sutéens, Hyksos manéthoniens, ou Habiru ... ) envahirent la Mé-


sopotamie par vagues successives. Grâce à leur progression, ils pénétrèrent
petit à petit jusqu'au cœur des terres, puis des cités mésopotamiennes. Les
Sumériens les dénommaient MAR-TU et les Akkadiens Ammurû, à savoir
les« nomades». De leur côté, les Égyptiens leur donnèrent le nom d' Âamu,
appellation que l'on traduit habituellement par «Asiatiques», désignant
à la fois les sédentaires vivant dans le couloir syro-palestinien et les no-
mades provenant de l'Orient.
Les textes littéraires sur tablettes d'argile de Mésopotamie, comme
les listes royales, les décrivent comme des «barbares qui habitent sous des
tentes [... ] qui ne connaissent pas le grain [... ] et qui mangent de la viande
crue.» Vers le début du 4e millénaire av. J.-C., ils s'installèrent sur les rives
du Golfe persique et à l'embouchure du Tigre et de !'Euphrate. Du Golfe
au Haut Tigre, des plateaux iraniens au Moyen-Euphrate, les nouveaux
venus étaient moins brillants, moins artistes que leurs prédécesseurs,
mais bien déterminés à s'implanter au cœur de civilisations prospères et
millénaires148•
Le royaume d' Akkad se trouvait depuis plus d'un siècle aux mains
des barbares des régions du Zagros lorsque vers 2004 av. J.-C., l'arrivée
des Sémites dans le croissant fertile provoqua la chute de la 3e dynastie
d'Ur. Les rois sumériens d'Ur tentèrent de stopper l'avancée des Amorrites
en édifiant un mur entre le Tigre et !'Euphrate, près de l'actuelle Bagdad.
Bien qu'aucune trace de ce mur n'ait encore été retrouvée, nous savons
que les Sumériens le nommèrent MAR-TU MU-Rl-IK TI-ID-NI-IM («qui
repousse les nomades»). Cette mesure ne put enrayer l'invasion. Dans un
premier temps, les Amorrites ne recherchèrent nullement la confrontation
directe avec le dernier souverain sumérien d'Ur, mais ils coupèrent les
communications entre les villes et, de ce fait, désorganisèrent le royaume149 •
La Mésopotamie étant divisée en cités-États farouchement attachées à leur
indépendance, les envahisseurs du désert profitèrent du manque d'unité
entre les cités et s'emparèrent progressivement des territoires les uns après
les autres. Imitant leurs frères nomades du pays d' Akkad, les Amorrites
sédentarisés se répandirent en basse Mésopotamie et créèrent les dynasties
mésopotamiennes d'lsin et Larsa. L'occupation progressive des terrains
leur permit de régner sur différentes villes importantes comme Uruk, Ki~,
Babylone, Sippar, Mari, Alep, etc.
Les Amorrites s'infiltrèrent partout, encadrés par les Sémites
d' Akkad et soutenus par les nomades du désert. Du nord au sud, les
noms des cheiks fondateurs de futures dynasties relèvent d'une parenté
ethnique évidente. Grâce à l'impulsion du roi Sumu Abum (-1895 à -1881),
Babylone, ville de faible importance, deviendra la cité millénaire que l'on
sait grâce à son expansion et à ses fortifications. Le destin réservera à
Babylone de conserver sa suprématie près de 1500 ans; après tant de villes
148 André Parrot, Archéologie mésopotamienne, vol. 2, Éditions Albin Michel, 1953, p. 210-211.
149 Dominique Charpin, «Les Amorrites, fondateurs de Babylone», 2002, in Clio, 2017.
142 CORPUSDEAE

et de royautés temporaires, il n'exista plus en basse Mésopotamie qu'une


unique ville dynastique : Babylone, la cité du fils solaire Bel-Marduk150, fils
du dieu civilisateur Enki-Éa ...

31. Babylone. Austen Henry Layard vers 1800

2. Présentation de la fête de l' Akitu

La fête de l' Akitu, du terme sumérien Â-Kl-TlL («force faisant vivre


- ou revivre - la terre»), est la grande cérémonie religieuse du Nouvel
An de l'antique Mésopotamie. Elle marquait le début du printemps et
le retour de la nature. Cette fête codifiée se déroulait le Premier de l' An
mésopotamien (premier jour du mois de Nisan à Babylone), donc entre
mars et avril, période qui marquera plus tard la Pâque juive et plus
précisément l'Exode des Hébreux hors d'Égypte. Rappelons que cette
date marque ainsi la fuite de la connaissance sacrée hors d'Égypte ... Plus
proche de nous dans le temps, cette période commémore plus simplement
la résurrection de Jésus-Christ, moment clé de l'histoire chrétienne que
l'Église considère comme un fait historique.
À Sumer, donc avant le royaume de Babylone et bien antérieurement
au début du christianisme, la Passion et la Résurrection du fils de Dieu
se jouaient autour du jeune Dumuzi151 • Dumuzi (litt. «fils de la vie» ou
«fils légitime») semble représenter un titre divin, car nous trouvons

150 Alexandre Moret, Histoire de l'Orient - tome 1, Préhistoire 4' et 3' millénaires, Éditions Presses

Universitaires de France, 1941, p. 385.


151 Tammuz chez les Assyro-Babyloniens.
LA FAUfE DU FILS DE DIEU 143

plusieurs Dumuzi dans la littérature sumérienne, laissant supposer une


forme de syncrétisme perceptible à travers plusieurs personnages à la fois
légendaires et historiques présents en ancienne Mésopotamie. Ce nom se
retrouve d'ailleurs à deux reprises dans la Liste Royale sumérienne, l'un
d'entre eux étant désigné comme fils Enki-Éa (Osiris en Égypte). D'une
certaine façon, Dumuzi formait une sorte de Christ avant l'heure comme le
sera ensuite son double Marduk, lui aussi fils d'Enki-Éa. Dumuzi figure à
mon sens l'enfant, le jeune dieu, alors que Bel-Marduk représente le dieu-
roi, le «maître des lois du Dukù» 152 • Un Christ dont le nom sumérien se
décompose en KIR-IS-TP 53, à savoir «le fils de la montagne et de la vie» ou
«le fils des étoiles et de la vie».

Dans plusieurs textes sur argile comme !'Épopée ninivite de


Gilgameii et la Descente d'Btar aux Enfers, Dumuzi se présente en qualité
«d'époux des jeunes années» de la déesse Inanna-Btar. Leur union inscrite
sous ces surnoms ou titres marque une ancienne relation clairement
associée à leurs jeunes années.
Comme son nom l'indique, le titre Dumuzi («fils de la vie» ou «fils
légitime») est lié à un cycle de mort et de résurrection. Cette résurrection
se parachevait invariablement par le Mariage Sacré ou hiérogamie entre
le jeune héros divinisé et la Déesse-Mère. À l'époque des rois sumériens
d'Ur III, chaque souverain s'identifiait au «fils de la vie» en qualité
d'époux de la déesse Inanna. Cette union se concrétisait lors du point
culminant de la fête de l' Akitu, moment clé où le souverain s'unissait à
une sainte prêtresse à l'éducation raffinée, image d'Inanna et détentrice de
la Souveraineté. Cette prostituée sacrée pratiquait l'extase érotique tout en
transmettant affection, richesse, gloire et royauté ...
La divine union connaissait son couronnement lors d'une hiéroga-
mie sacrée au cœur de la spacieuse chapelle située au sommet de la haute
ziggourat (pyramide) des plus grandes villes. Ces ziggourats à étages repré-
sentaient la montagne sacrée et originelle des dieux sumériens Anunna, le
monticule céleste dénommé Dukù. Selon les cités, l'union se déroulait par-
fois à l'écart, en pleine campagne, dans un temple dénommé «le temple du
Nouvel An». Quoi qu'il en soit, dans le plus grand secret, la déesse-prêtresse
communiquait sexuellement la royauté au héros pour un cycle d'une année
152 Rappel de mes précédents ouvrages : le nom sumérien Marduk est un titre divin et ne

désigne aucunement une seule personne. MAR-DUK(Ù) exprime «ce qui est dispersé et
appliqué dans le Dukù». On donne le nom Mardukù au texte de loi élaboré par les divinités
Mamftu-Nammu et Nudfmmud-Enki en vue d'administrer les dieux Anunna lors de leur
création sur le Dukù. Le Dukù, «la sainte colline», désigne la planète principale du système
Ub!!u'ukkinna (étoile Maïa) dans la constellation Mulmul (les Pléiades). Il s'agit de la maison
originelle des Anunna, comme en témoignent de nombreuses tablettes sur argile. Du terme
Mardukù découle sans doute le nom Marduk, titre divin visant à désigner le souverain
exécutif des lois sacrées des dieux, donc du Mardukù.
153 Le Kir akkadien se confond avec le PES sumérien («fils»), cf. M.E.A., 346. Le IS (ou

ISI) exprime une «montagne» ou une «élévation» (possible assimilation à une étoile: les
montagnes du ciel étant des étoiles) et le Tl veut dire« vie».
144 CORPUSDEAE

et le rendait ainsi «légitime» aux yeux de tous. Ici se trouve révélé pour la
première fois le secret occulte du jeune Dumuzi transformé en Marduk, le
maître des lois!
Pourquoi un tel simulacre? Les historiens affirmeront que cette
cérémonie, suivie de l'accouplement sacré se rattache étroitement au
renouveau de la nature. Sans en connaître la raison, ils évoqueront
également l'humiliation forcée du souverain en place prenant ainsi le
rôle d'un dieu Marduk repentant et affligé. En effet, le cinquième jour des
festivités, le rituel de la Passion de Bel-Marduk se déroulait en présence
du grand prêtre Urigallil, lequel frappait le roi et l'obligeait à se repentir
de ses mauvaises actions. Quelle faute avait commise l'ancien dieu? Les
historiens, encore, diront qu'il s'agissait d'erreurs commises au cours de
l'année. Pourtant, une minutieuse observation des textes sur argile nous
apporte une tout autre raison ...

3. Le début des cérémonies (les trois premiers jours)

Présente dans des villes prestigieuses comme Ur, Erech, Harran,


la fête de l' Akitu prend toute son ampleur à Babylone, ville sainte pour
laquelle il subsiste le plus de documents; ce sont ces archives que nous
allons analyser dès à présent. Le rituel retrouvé et étudié en 1921 par l'as-
syriologue Thureau Dangin s'arrête au 5e jour. Il se limite principalement
à la tablette DT 15. D'autres documents permirent d'enrichir et compléter
le déroulement historique de cette cérémonie comme AO 6459, AO 6465,
VAT 9418, VAT 9555, K 9876, DT 114, DT 109, KAR 143, BM 134503, MNB
1848 ...
Les Mystères de la Passion et de la Résurrection du dieu se
prolongeaient sur douze jours. Voici la reconstitution sommaire de ces
événements :

Premier jour : La population de Babylone dans son ensemble


quitte ses occupations quotidiennes pour participer aux préparatifs
des cérémonies. Les chants s'élèvent progressivement dans la ville, les
instruments à cordes, flûtes et tambourins résonnent dans les rues. En
soirée, semble-t-il, des prêtres procèdent à l'ouverture des portes du temple
du dieu Bel-Marduk. Un prêtre Mubannu ouvre l'accès à la grande citerne
et se purifie dans l'eau sacrée154• La nuit tombante, le sanctuaire de Bel-
Marduk, l'Ésagil155, se dresse tel un monticule divin suspendu entre le Ciel
et la Terre. Comprenant deux sanctuaires, un temple bas et un temple haut,
le temple haut se compose d'une cour à six chapelles qui reposent sur la
tour à étage (la ziggourat de Babylone, dite Tour de Babel). L'Ésagil se situe

154 Julye Bidmead, The Akitu Festival - Religious Continuity and Royal LegiHmation in Mesopotamia,
Gorgias Press, 2002, p. 46.
155 É-SAC-fL, litt. «le temple au sommet élevé».
LA FAUTE DU FILS DE DIEU 145

dans le quartier sacré de Babylone; ses fumigations s'élèvent doucement


dans l'obscurité. Le peuple passe toute la nuit à veiller dans la joie.

Deuxième jour: Le lendemain, la population poursuit les préparatifs


et s'adonne aux purifications avant les grandes cérémonies. Le ton devient
plus solennel jusqu'à l'apparition, deux heures avant l'aube, du grand
prêtre Urigallû, dépositaire des textes sacrés et de la récitation des écrits
destinés aux liturgies. Il se purifie avec les eaux du fleuve, se couvre de
lin et se prosterne devant la statue du dieu Bel-Marduk. Le prêtre récite
ses textes en akkadien, mais lorsqu'il s'adresse à Bel-Marduk, il utilise le
langage saint venu du Ciel : le sumérien. Le texte DT 15, et ses prières
associées aux liturgies du second jour, sont justement rédigés en bilingue.
L'Urigallû prie «Bel, sans égal dans sa colère » 156 • Nulle tablette ne précise
pourquoi Bel est en colère, mais le peuple de Babylone, au fait du contenu
des cérémonies, sait parfaitement de quoi il retourne ... Qu'a fait Bel-
Marduk? Un bout de tablette du British Museum nous met sur la voie. Un
drame se serait déroulé lors d'un affrontement :

«Il livra une bataille. Quel est son crime?»


BM 134503, ligne 13

Pourtant, Bel-Marduk, prototype même de Lucifer, est un dieu


de Lumière. Les textes récités lors de la deuxième journée ne cessent
d'acclamer la lumière qu'il dégage et qu'il transmet à l'humanité:

«Seigneur des rois, Lumière de l'humanité, qui détermine les


Destinées ... Bel, avec tes yeux, tu vois tout. Avec tes oracles, tu
contrôles les oracles. Avec ton regard, tu donnes les Lois. Tu brûles
le puissant avec tes [yeux]. Tu as uni [les hommes] de tes mains.
Lorsque tu (les regardes, tu prends pitié! Tu leur as montré la
Lumière et ils discutent de ton héroïsme. Seigneur des contrées,
Lumière des Veilleurs157, toi qui accordes les bonnes choses; qui est
là et qui ne rappellera pas ton héroïsme? Qui ne parlera de ta Gloire
et n'exaltera ta souveraineté?»
Extraits de la tablette DT 15, colonne 1, lignes 14 et 19 à 28

Deux scènes se jouent conjointement: celle interprétée par le peuple


dans les rues et celle des prêtres calfeutrés dans leur temple. Le grand Uri-
gallû récite une prière ancestrale à l'attention du dieu repentant, image de
l'étoile la plus brillante du Ciel. Les prêtres et le peuple se répondent avec
des prières éplorées et pleines d'emphases. Le monde est en danger et au
bord de la rupture. Des prières à l'attention de Marduk sollicitent son par-
don en vue de protéger l'humanité et Babylone. Marduk et les dieux doivent
156 Tablette DT 15, colonne 1, lignes 6 et 7.
157 Les Igigi dans le texte, «ceux au regard ferme».
146 CORPUSDEAE

absolument renouveler leur alliance sous peine d'un grand désastre.


Les paroles et gestes des prêtres officiants procèdent d'une tradition
séculaire. Derrière le grand prêtre interviennent les Masmassu assignés
à la purification du sanctuaire avec l'eau de !'Euphrate alors que les
Erib'bitti exécutent les libations sur la table. Bel-Marduk souffre d'un mal
terrible. Les dieux lui reprochent quelque chose, un acte impardonnable,
mais l'Urigallû semble prendre sa défense en prononçant ces mots :

«Le Grand Seigneur Marduk, [a été accablé par] une malédiction


inexpiable, (il) a été maudit [par] un sort sans retour et a été as[signé
par les dieux].»
DT 15, colonne 2, lignes 59 à 61

Les prières et les chants se poursuivent dans l'enceinte du temple


alors que les passions se soulèvent chez le peuple au sujet du sort de leur
dieu. La tablette VAT 9555 du Vorderasiatisches Museum de Berlin et une
autre du British Museum nous procurent quelques détails sur la situation.
Nabu, le fils de Marduk recherche son père retenu prisonnier alors que le
peuple demande à !Star, Dame de Babylone et maîtresse de Marduk, qui
est le criminel? La déesse implore ensuite les dieux de ne faire aucun mal
à son bien-aimé. Bel-Marduk, en détresse, est à la fois, le fils, le frère et
l'amant de la déesse. Ces différents composants font de lui l'instrument de
la Maîtresse de Babylone, seule capable de restaurer la royauté divine :

«La Dame de Babylone qui n'est pas allée au temple de l' Akitu.
[Elle] est la gouvernante du temple ... Ils lui demandent 'qui est le
criminel' ? »
VAT 9538, lignes 40 et 45

« Nabu, provenant de Borsippa, vient saluer son père qui a été


capturé. [Nabu], parcourant les rues, recherche Marduk: 'où est le
prisonnier?' La Dame de Babylone aux mains qui s'étendent (vers
le Ciel), implore Sin et ~ama~: 'Laissez Bel en vie!' ... 'Laissez-(le) en
vie! Ne (le) tuez pas!'»
VAT 9555, lignes 8à10+BM134503, ligne 14

Troisième jour : Les bruits de la foule s'apaisent. Trois heures après


le lever du soleil, le grand Urigallû convoque trois artisans : un travailleur
sur bois, un métallurgiste, ainsi qu'un tisserand. Les trois ouvriers entrent
dans le temple pour confectionner rituellement deux statuettes en bois,
hautes de sept doigts, prévues pour la cérémonie du sixième jour. Des
pierres précieuses et de l'or sont extraits du trésor de Bel-Marduk pour la
confection des figurines rehaussées de pierreries, habillées toutes deux de
rouge avec une corde en fibre de palmier autour des hanches. L'une, en bois
de cèdre, tient un serpent dans la main gauche; l'autre, en bois de tamaris,
LA FAUTE DU FILS DE DIEU 147

un scorpion. Dans ce contexte, le scorpion et le serpent, entre leurs mains,


symbolisent l'agressivité, la colère : des armes redoutables aussi violentes
que du poison! Quel rapport avec les festivités? Une fois achevées, les
deux figurines sont ensuite déplacées vers le temple de Madânu, le patron
des juges. Là, elles attendront docilement jusqu'au sixième jour des
festivités devant du pain placé sur la table du grand juge ... Ces deux objets
de culte figurent Marduk et son fils Nabu. Nombre de tablettes retracent
leurs massacres et guerres contre les fils d'Enlfl et d' An. À la fin de l'extrait
suivant, nous apprenons que Marduk utilisait les déplacements de Vénus
dans le Ciel pour attaquer ses ennemis 158 :

«Ainsi, Bel marcha sur les coups de ses ennemis rebelles. Les chariots
(célestes) qu'il envoya depuis la steppe entrèrent à Assur (alors que)
Nabu piégea Anzu 159 • (Les flèches célestes) pleuvaient en bas, sur la
Terre. Les dieux, ses pères et frères, ainsi que les dieux maléfiques
Anzu et Asakku furent vaincus au milieu d'eux 160• Marduk portait
(comme) du bois de feu sur sa tête, et brûla les fils d'Enlfl et d' Anu
dans le feu 161 • (Tels) furent Marduk et Nabu! Marduk vainquit et
écrasaAnu 162 • [Marduk] bloqua Vénus en face de lui1 63 .»
Extraits des tablettes VAT 10099 et K 3476 (voir références)

Comme Lucifer, Bel-Marduk porte un feu incandescent sur sa tête.


Comme Lucifer, il se bat contre l'autorité suprême et on l'associe à la
planète Vénus. Nous le savons, ces différents aspects se retrouvent chez
Horus. Attaché depuis longtemps à la littérature égyptienne et au cycle
d'Isis, Osiris et Horus, ce passage m'évoqua tout de suite un événement
dramatique de l'épopée de la triade céleste, un épisode que peu de gens
connaissent. Quel acte similaire reproche-t-on à Bel-Marduk et à Horus?
Une malheureuse ligne, à moitié brisée et perdue dans la littérature
associée aux rites del' Akitu; un fragment de tablette néo-assyrienne du
British Museum (bibliothèque d' Asurbanipal) nous apporte un début de
réponse:

« [... ] Ils tuèrent la fille d' Anu [... ] »


BM 134503, ligne, 31

Dans mes souvenirs, la découverte inattendue de ces quelques


mots en akkadien marqua sans aucun doute le commencement de mes
158 L'éjection de Vénus dans notre Système Solaire est expliquée dans La Dernière Marche des
Dieux (p. 112-117). Vous trouverez également dans ces pages de nombreuses associations
entre Vénus et Horus (Neb-Heru), le Lucifer égyptien.
159 VAT 10099, face a, lignes 3 et 4.

160 K 3476, face a, extrait de la ligne 7.

161 K 3476, face a, extrait de la ligne 8.

162 K 3476, face a, extrait de la ligne 10.

163 K 3476, face a, extrait de la ligne 11.


148 CORPUSDEAE

recherches pour cette étude. Au milieu de plusieurs centaines de fac-


similés de tablettes sumériennes et akkadiennes, quelles étaient mes
chances de les repérer? Très honnêtement, sans la présence de la ligne 31
de ce document sur argile, ce livre n'existerait tout simplement pas!
Nous comprenons vaguement la scène: lors d'une de ses nombreuses
batailles menées contre les fils des ténèbres, Marduk commit un crime
impardonnable. Un meurtre difficile à exprimer tant la nature de l'acte
bouleversa l'histoire divine des dieux, de la Mésopotamie jusqu'aux rives
du Nil...

4. La mort de la déesse Nawirtum - tablette sumérienne


G.1.2.b.1725

Pendant de longues années, tous mes efforts furent mobilisés pour


tenter de trouver d'autres textes sur argile où il serait question du meurtre
d'une déesse importante. Pourtant, je ne me faisais guère d'illusion, la scène
vaguement évoquée en ligne 31 de BM 134503 se déroulait obligatoirement
en Égypte, au pays d'Horus selon mes propres recherches. J'en apporterai
la preuve plus loin. Comment un tel événement aurait-il pu se retrouver
gravé sur argile, d'autant que la déesse en question faisait obligatoirement
partie du grand panthéon égyptien?

Débutavril2017,soitplusdetroismoisavantderemettrelemanuscrit
au montage, d'ultimes recherches me dirigèrent vers un document
peu connu en provenance du Pushkin Museum de Moscou. Il s'agit
d'une tablette sumérienne initialement en possession de l'assyriologue
russe Voldemar Kazimirovich Shileiko (1891-1930) et transmise par sa
veuve au Pushkin Museum. Invité en 1957 par l'Académie des Sciences
de l'ancienne U.R.S.S., le célèbre sumérologue Samuel Noah Kramer
examina cette archive lors de son séjour de deux mois entre Leningrad et
Moscou. Kramer reconnut, dans cette tablette à double face, numérotée
G.l.2.b.1725, deux élégies (poésies sous forme d'éloges funèbres), un genre
littéraire jusque-là totalement inconnu dans les chroniques sumériennes.
Le document proviendrait de Nippur et remonterait au minimum à 1700
avant notre ère. Ces deux chants funèbres furent composés par un certain
LU-DICIR-RA (homme des dieux), qui se lamente une première fois sur
la mort de son père assassiné, Nannaya, et une seconde fois à propos de
la mort de Nawirtum (la brillante). L'auteur de la tablette semble être un
professeur d'une école de scribes de Nippur, car Kramer détecta un extrait
déjà connu dans l'élégie de Nannaya164 •
Cette découverte se confirma par la suite grâce aux nouvelles
traductions de plusieurs tablettes et fragments en rapport avec l'élégie
164 André Parrot : Samuel Noah Kramer, « Two Elegies on a Pushkin Museum Tablet. A New

Sumerian Literary Genre», in Syria, tome 39, fascicules 3-4, 1962. p. 325.
LA FAUTE DU FILS DE DIEU 149

de Nannaya, mais rien de plus concernant la seconde élégie, celle de


Nawirtum. Un œil attentif sur la mort de Nawirtum laisse entendre que
l'auteur de l'éloge, Ludigirra (homme des dieux), serait un prêtre-scribe au
service de cette déesse à Nippur. Pour cette raison, Samuel Noah Kramer
pensait que la fameuse Nawirtum était sa femme, mais il faut voir ici plutôt
une union spirituelle, un peu comme les prêtresses égyptiennes d'Hathor
étaient les épouses d'Osiris. Aujourd'hui, les religieuses chrétiennes se
disent toutes épouses de Jésus-Christ et se donnent ainsi à lui pour aimer
Dieu par-dessus tout. Le système de pensée n'a guère changé. Comme
nous le verrons, Nawirtum a tout d'une déesse et non d'une humaine.
Si mon hypothèse se confirme, nous pouvons prévoir un culte de la
compagne d'Osiris en pleine Mésopotamie. Dans de précédents ouvrages,
nous avions relevé l'association entre Isis et Ereskigal, sœur d'Enki-Osiris,
déesse du Grand Bas, donc du monde souterrain, figurant pour moi les
souterrains sous le plateau de Giza en Égypte. Isis-Hathor est d'ailleurs
associée à la brillante Sothis (Sirius) et fait s'écouler la crue du Nil à partir
de sa caverne (par ex. : temple de Dendérah v1; 3:6 et 22:7). Les dieux
et déesses, nous le savons, possèdent différentes épithètes selon les
régions, mais aussi dans un même pays. Nawirtum représenterait le côté
brillant d'une étoile comme c'est le cas pour Isis. Par ailleurs, son nom
est justement traduit par «la brillante165 » par les assyriologues. Pourtant,
une simple décomposition en NA-WI-IR 10-TUM donne plutôt: «Celle qui
apporte le chemin de l'entendement à l'humanité.»

Dans la mythologie mondiale, plusieurs déesses apportent une


forme de connaissance à l'humanité, mais une seule se démarque des
autres, il s'agit d'Isis. Alors que son mari Osiris (Enki chez les Sumériens)
apprenait au genre humain l'agriculture, la métallurgie et des rudiments
en termes d'outils, nous savons qu'Isis transmit le tissage ainsi que les arts
domestiques, l'art de moudre le grain, le mariage et la médecine. D'autres
éléments viennent s'ajouter à cette liste; des faits inscrits sur la seule
version complète del' Arétalogie d'Isis (ou «Miracle d'Isis»), trouvée dans
le temple isiaque de la cité grecque de Kymê, sur la côte ouest del' Asie
Mineure. En voici quelques extraits :

«Moi, Isis, la Souveraine de toute contrée,


J'ai été instruite par Hermès (Thot) et j'ai inventé l'écriture avec
Hermès, la sacrée et le démotique, afin qu'on ne dût pas tout écrire
avec la même écriture.
Moi, j'ai donné aux hommes les Lois, et j'ai décrété ce que personne
ne peut changer. (. .. )
Moi, j'ai inventé la science nautique.
Moi, j'ai rendu le Droit puissant.

165Cf. NA-WI-IR : « to shine »,in Old Akkadian Writing and Grammar by 1. J. Gelb, The University
of Chicago Press, 1952-1961, p. 187.
150 CORPUSDEAE

Moi, j'ai accouplé la femme avec l'homme.( ... )


Moi, avec mon frère Osiris, j'ai fait cesser l'anthropophagie.
Moi, j'ai révélé aux hommes les initiations.
J'ai enseigné aux hommes d'honorer les statues des dieux166•
J'ai fondé les sanctuaires des dieux. Moi, j'ai renversé le
gouvernement des tyrans.
J'ai arrêté les massacres.
J'ai obligé les époux à chérir leurs épouses.
J'ai rendu le Droit plus puissant que l'or et l'argent.( ... )
Moi, j'ai fait en sorte que rien ne fut plus terrible que le Serment. ( ... )
Je suis la Souveraine de la guerre.
Je suis la Souveraine de l'éclair.
J'apaise la mer et y déchaîne la tempête.
Je suis dans la Splendeur du Soleil.
Je fais route avec le Soleil.( ... )
Je délie les liens. Je suis Souveraine de la navigation.( ... )
Je vaincs le destin et c'est à moi qu'il obéit.
Salut, Égypte qui m'a élevée.»
Extraits de l'Arétalogie d'Isis

Dans ces quelques phrases, nous retrouvons parfaitement le caractère


d'Isis/NA-WI-IR 10-TUM, «Celle qui apporte le chemin de l'entendement
à l'humanité». Nombreux seront les lecteurs à se poser la question de
savoir si des documents égyptiens relatent le meurtre d'Isis. La réponse
est affirmative: nous étudierons ces textes juste après cette tablette. Nous
constaterons par ailleurs que les faits semblent identiques.
Possédant la photographie de la tablette baptisée aujourd'hui «La
Mort de Nawirtum» (G.l.2.b.1725), prise par Samuel Noah Kramer en
1957, j'ai pu vérifier quelques signes à la source, mais il m'a été plus facile
d'examiner les précédentes traductions et de réaliser ma propre interpré-
tation à partir de la translittération disponible pour les universitaires sur le
site de la Faculté des études orientales de l'Université d'Oxford167• Soyons
bien d'accord : tout le monde pourra constater que ma traduction ne reflète
pas celle proposée par Kramer en 1960168, et reproduite en 1963 dans son
ouvrage The Sumerians, ni celle de Joachim Krecher (1996), disponible sur
le site de l'Université d'Oxford.
Contrairement à ces éminents chercheurs, je n'ai pas traduit
l'ensemble du texte, ayant plutôt concentré mes efforts sur les passages
importants, en faisant ainsi volontairement l'impasse sur les lignes
répétitives, ou uniquement en rapport avec l'éloge funèbre. À cet effet, et

166 Comme nous l'avons vu dans la première partie : les fameuses idoles contre lesquelles
se bat YHWH! Cela confirme une fois encore le statut d'Isis et d'Osiris en qualité d'Elohim.
167 etcsl.orinst.ox.ac.uk

168 Samuel Noah Kramer, Two Elegies on a Pushkin Museum Tablet. A New Sumerian Literary

Genre, Moscou, Oriental Literature Publishing House, 1960.


LA FAUfE DU FILS DE DIEU 151

afin qu'aucun doute ne subsiste quant à mon interprétation, j'ai utilisé la


même technique disponible dans mon essai Eden, en offrant au public les
décompositions et traductions des mots ou phrases importantes dans les
notes de bas de page.
Maintenant que les choses sont précisées, nous allons pouvoir nous
concentrer sur ce texte très important dont voici ma traduction :

«Un mauvais jour [s'abattit] sur la jeune femme dans son [do-
maine?]. Sur la belle femme, la jeune femme aux belles cornes169, le
mauvais œil1 70 [s'abattit?]. L'oiseau de la jeune vache171, outrepas-
sant son nid 172, par-delà173 son faisceau de tempête174 [tomba].»
G.1.2.b.1725, lignes 1 à 3

Dans ces quelques lignes, le drame est planté. Une jeune et belle
femme avec des cornes (épithète souvent attribuée à Isis-Hathor), vient
de subir une attaque en provenance de son jeune fils regardé comme
un oiseau. Le jeune oiseau, le faucon, représente Horus en Égypte. Ce
dernier «outrepasse son nid», c'est-à-dire qu'il franchit une certaine
limite territoriale, comme une frontière qui n'est pas sous son autorité, en
faisant intervenir une arme ou un faisceau lumineux. S'agit-il du mauvais
œil indiqué en ligne 2? Il est intéressant de noter qu'une des armes très
connues d'Horus est son œil qu'il utilise lors de ses combats. S'agit-il du
fameux œil de Lucifer, responsable de sa chute? C'est fort probable. Nous
y reviendrons plus loin lorsqu'il sera question de restaurer cet œil, début
de la quête initiatique ...

«La mère qui met au monde 175, la mère des enfants fut tenue
rapidement par le filet (ou chausse-trappe) 176 [ ••• ].La vache fauve 177,
la vache fertile, la vache sauvage était étendue tel un pot en terre
cuite178, Nawirtum (celle qui apporte le chemin de l'entendement à
l'humanité179), la vache brillante, la vache fertile, la vache sauvage
169 Hé-du 7 : litt. «bien comé(e)>> : aux belles cornes.
170 Igi-Hul : «mauvais œil ».
171 Mu§en («oiseau»)+ Amar («jeune vache» ou «jeune veau»).

172 Gùd: «nid».

173 Dirig-§è : «par-delà».

174 Sa-lm: «faisceau ou filet de la tempête».

173 Ama-gan : «mère qui met au monde».

176 Ôi§-Bur : «filet» ou «chausse-trappe».


2
177 Ab-Sig : «vache jaune» ou« vache fauve» ou encore« vache brillante.» Kramer traduit Sig
7 7
par «fauve» et Krecher par «jaune». Cette particule pose problème selon les situations, elle
peut à la fois évoquer du jaune ou de l'ocre jaune tirant sur du rouge, donc une couleur fauve.
En raison des découvertes effectuées plus haut (chapitre sur le Mont du Temple), concernant
le sacrifice de la Vache rousse, j'ai opté pour la même traduction que Kramer.
178 Gakkul: «pot en terre cuite».

179 Rappel, Na-Wi-Ir -Tum, traduction mot à mot: «Celle qui apporte Je chemin de l'entende-
10
ment à l'humanité'" Les assyriologues traduisent généralement Na-Wi-Ir 10 par «la brillante>>.
152 CORPUSDEAE

était étendue tel un pot en terre cuite; elle qui n'a (jamais) dit 'je suis
malade !' et qui ne fut pas prise en charge. »
G.1.2.b.1725, lignes 4 à 7

(jjs-Bur2, «le filet» fait partie du vocabulaire suméro-akkadien pour


désigner une arme divine ou un piège exercé par les dieux. Ce même terme
exprime aussi une chausse-trappe, une sorte de piège métallique formé de
quatre pointes disposées de façon circulaire, selon un tétraèdre régulier.
Les Ninjas utilisaient ce type d'arme en plus petit modèle.

32. Chausse-trappe recto-verso

On remarquera l'insistance sur l'aspect de la déesse regardée


comme une vache, attribut spécifique à Isis-Hathor ou Isis-Bat, la déesse
vache des origines dans les traditions égyptiennes. La «vache fauve»
rappelle l'immolation de la vache rousse évoquée plus haut (chapitre
sur le Mont du Temple), et l'ancienne tradition du sacrifice de la vache
rousse reproduite à Jérusalem (cf. Le Livre des Nombres). Cette tablette
sumérienne évoque-t-elle 1' origine de cette pratique propagée ensuite
dans tout le Proche-Orient? C'est fort possible.
La fertilité de la déesse se retrouve inscrite à plusieurs reprises :
Isis-Hathor incarne la matrice des dieux et celle du Soleil. Elle est «Ma-
trice de Vie», ce détail sera d'ailleurs présent, juste en dessous, en ligne
14 ! Rappelons que le véritable nom égyptien d'Hathor est Hut-Heru, litt.
«temple ou demeure d'Horus». Ce nom évoque étrangement le mot « uté-
rus»:

Hut-Heru: «Hathor»
LA FAUTE DU FILS DE DIEU 153

Nous comprenons que la déesse est morte, étendue sur le sol


comme un pot brisé. Généralement, Isis protège et soigne les souffrants. En
qualité de déesse de la vie et de la médecine, elle ne peut tomber malade,
mais ici son mal dépasse tous les autres, il s'agit bien de mort.
Les lignes 8 à 11 restent assez lacunaires. On comprend que la cité
de Nippur se trouve dans le brouillard. Ludigirra, l'homme saint de la cité,
et prêtre de la déesse morte, explique que des foules considérables sont
venues se lamenter sur le sort de Nawirtum pour lui rendre hommage.

«Partout, une lamentation, comme le chant funèbre du combat,


s'étendait considérablement180 • Le grand créditeur181 (de la cou-
ronne), attaché à la parole prospère, avait ôté la tête 182 (de la jeune
femme), et s'en était emparé avec fermeté et arrogan[ ce]. La Matrice
de Vie avait péri et était tombée dans sa Sainteté, sur le côté183 • »
G.1.2.b.1725, lignes 12 à 14

À partir d'ici, les traductions de mes prédécesseurs diffèrent


progressivement. Pour une raison inconnue, Kramer et Krecher ne
traduisent pas les lignes 12 et 13 pourtant parfaitement lisibles sur la
tablette, à part le dernier signe de la ligne 13. Kramer place des points de
suspension sans rien préciser, et Krecher note simplement <dine unclear»,
sans indiquer que la coupe concerne deux lignes. Je transmets ici la
translittération de la ligne 13 avec sa traduction :

Ligne 13 : Tuku-tuku («grand créditeur») Ka («parole») Lum-lum


(«prospère, abondant») Ma («attacher») : «Le grand créditeur attaché à la
parole prospère.» Dans son combat qui l'oppose à Seth, Horus endosse le
rôle de créancier de la couronne d'Égypte en qualité de fils d'Isis et Osiris.
La récupération de la royauté de son père étant aussi revendiquée par Seth,
Horus doit faire preuve de discours appuyés devant le Grand Conseil des
dieux, comme nous le verrons dans la version égyptienne.
Ligne 13 (suite) : Ugu («crâne, tête») Bi («ôter, diminuer») Dab5-
dab5 («s'emparer avec force») 5u-du 7-{ra] («arrogance»): «(11) ôta la tête,
s'en empara avec fermeté et arrogance». Le problème du dernier signe
brisé de cette ligne semble résolu, car 5u-du 7 et 5u-du 7-ra expriment de
!'«arrogance». Nous comprenons qu'Horus coupa la tête de sa mère Isis
et l'emporta dans sa colère ou arrogance. Cet acte, nous le verrons, est
clairement reproduit sur plusieurs documents égyptiens! On comprend
mieux pourquoi Kramer et Krecher furent dans l'incapacité de traduire cette
180 Ba-an-Ku: mesure de capacité+ «étendre».
181 Tuku-tuku: 2 x «créancier» (ou «créditeur»). Un terme doublé exprime une force ou une
grandeur.
182 Ugu-bi: «Ôter la tête» ou «emporter le crâne».

111.1 Arhu§ («matrice, pitié»)+ Zi («vie»)+ Til («périr»)+ Zag (ga) («côté»)+ l («huile sainte»:

sainteté) + Sub («tomber»). Kramer et Krecher ne traduisent pas Arhu§-Zi Til par «La Matrice
de Vie avait péri», mais par «La pitié pour elle dont la vie arriva à sa fin».
154 CORPUSDEAE

ligne, ne pouvant imaginer la décapitation de la déesse, ni même le lien de


cette histoire avec l'Égypte. Nous ne sommes pas au bout de nos surprises ...

«La race pure (sa famille) 184 la déposa dans un sarcophage en or (de
grande valeur)185 en témoignage pour la foule humaine qui se tenait
debout186 • Lui, la regarda. L'âme (de la jeune fille) était présente dans
les nuages187, il voulait l'atteindre, faire vivre la ressemblance et la
restaurer188• Les mères frappaient sur des tambours et formulaient
des lamentations pour elle afin de faire revivre la poitrine de la
ressemblance par le pouvoir du Ciel189 • »
G.1.2.b.1725, lignes 15 à 17

Le sens du texte se précise et l'interprétation de mes prédécesseurs


s'éloigne de la mienne. Vous trouverez les décompositions détaillées dans
les notes afin qu'aucun doute ne subsiste quant au sérieux de ma traduc-
tion. Il est question ici de déposer une image/ statue, ou bien la déesse
elle-même, dans une image/ statue en or (Alam-Kù-sig). La ligne 21 nous
apportera le sens général où le terme «jeunesse» sera associé à cette
«image». Il s'agit selon moi d'un sarcophage dont l'utilisation en Égypte
n'est plus à prouver. Le mot «sarcophage» n'existe pas en sumérien et
akkadien, raison pour laquelle ce mot est utilisé ici à la place du terme
sumérien Nu (lui aussi : «ressemblance, image, statue») employé par deux
fois dans les deux lignes suivantes. Nous le verrons plus bas, les lignes 22
et 23 préciseront elles aussi l'utilisation de ce sarcophage en or en qualité
de matrice régénératrice de vie.
Somme toute, les lignes 15 à 17 montrent que le fils (Horus), meur-
trier de sa propre mère (Isis), souhaite faire revivre cette dernière en récu-
pérant son âme dans le Ciel, en plaçant le corps (ou un nouveau corps?)
dans un sarcophage en or ... La présence de mères musiciennes en ligne
17 rappelle en tout point le rôle des prêtresses d'Hathor; les Sefekh Shep-
situ «les sept déesses vénérables», dénommées également les Hut-Heru'z,
«les sept Hathor». Ces sept Hathor formaient une communauté de déesses
dont la fonction était de repousser le mal et favoriser tout phénomène de
naissance. Ces déesses jouaient un rôle, tant auprès des nouveau-nés que
des défunts. Sous leur forme humaine, elles sont représentées comme sept
jeunes femmes coiffées du disque solaire, portant des cornes de vache et
jouant du sistre et du tambourin. Elles sont les doubles des déesses méso-
184 Libi§ : «race pure» ou famille.
185 Alam («statue, image ou sarcophage»)+ Kù-sig 17 («or»)+ Nfg («de valeur»).
186 Mu («témoignage»)+ Un-Na («foule humaine»)+ An-Zig («se tenir debout»)

187 Lu («lui»)+ lgi («regarder»)+ Ni («elle»)+ lm («nuages»)+ Si («être là»)+ Bar («âme»).

188 Ra («atteindre, faire bouger»)+ Se («ici»)+ Sig («faire vivre»)+ Nu («ressemblance,


7
image») + Car (restaurer»).
189 Ama («mère») + Ér-ra («lamentations») + Ka («formuler») + Sig 2x («frapper sur un

tambour» au pluriel)+ Ni («elle»)+ Nu («ressemblance, figure»)+ Gaba («poitrine»)+ Sig7


(«faire vivre»)+ An («Ciel»)+ Su («pouvoir»).
LA FAUTE DU FILS DE DIEU 155

potamiennes de l'enfantement sous le contrôle de la «Dame des dieux»


Mammi (cf. tablette assyrienne K. 8562) ou encore les sept accoucheuses,
assistantes de Nammu, Enki et Ninmah. Elles sont dénommées: Ninim'ma,
Suzian'na, Ninmada, Ninbara, Ninmug, Musargaba et Ninguna190 •

«Les lamentations [pour] la tête devinrent un bon commandement


et s'échappèrent ainsi du monticule191 • Le chant funèbre et les
supplications s'enflammèrent et atteignirent l'Univers (pour)
rompre le sceau et (la) ramener de la Source192 • La sommation
favorable [comme] le souffle d'un brouillard enflammé, revint de la
Source pour que les lamentations des nombreux témoignages de la
mer humaine s'apaisent193 • »
G.1.2.b.1725, lignes 18 à 20

Ces trois nouvelles lignes apportent quelques détails sur le rituel


pratiqué par la communauté divine en vue de restaurer le corps de la
déesse et de faire revenir son âme du fin fond de l'Univers. On comprend
qu'il s'agit d'une sorte de magie incantatoire réalisée dans ou sur un
monticule. S'agit-il de la Grande Pyramide d'Égypte? Les textes égyptiens
traitant de la mort d'Isis le confirmeront.

«Le sarcophage de la jeunesse, source pour elle d'une première


nature, imposa son pouvoir194• (Mais) la marque du cou tranché
(était) puissante et sans précédent connu195 ; la population l'invoqua
en prononçant son nom, (toute) la foule rassemblée196 • Le nettoyage
de l'épouse de l'humanité, exposée à la Lumière, ne procura pas
l'entièreté du charme197 ; I-si-i~ 198 ne compléta pas sa santé199 • »
G.1.2.b.1725, lignes 21 à 23

190 Cf. Anton Parks, Le Testament de la Vierge, voir chapitre « Osiris-Enki et les sept Hathor».
191Sir-Sag( «lamentations de la tête»)+ [«pour»?]+ Di («échapper»)+ Inim («commandement»)
+ Du 10 («devenir bon»)+ Ga («ainsi»)+ Ke4 («du, de»)+ E («monticule»)+ Ne («celui-ci»).
192 I-lu («chant funèbre»)+ Sà-ne-§a («supplications») + Ki-§ar («Univers»)+ Ra(« atteindre»)
4
+lb («s'enflammer»)+ Si (préfixe)+ Kur(« romprelesœau») +Ru («ramener»)+ A («source»).
193 In («sommation, insulte»)+ Sag («favorable»)+ lm («souffle»)+ [«comme»?]+ Bf
9
(«brouillard»)+ lb («s'enflammer»)+ Gi4 («revenir»)+ A («source»)+ Re («pour que»)+ Sir
(«lamentations») + E§ («nombreux») +Mu («témoignage») + Un-Na («foule humaine») + Ab
(«mer») + Bé («diminuer, apaiser»).
194 Alam («statue, image ou sarcophag_e ») + Bàn-da («jeunesse») + A («source») + Ni («elle»)

+Ta («nature»)+ Sag («premier»)+ Su («pouvoir»)+ Ak («imposer»)+ Re («cela»).


195 Na, («marque») + Gu («cou») + Kud («trancher») + Da («puissant») + Stf-Nu («sans

équivalent») + Mu («connaître, témoignage»).


196 Un («population»)+ Pàd («invoquer»)+ U-gu (préfixe nominal)+ E («prononcer»)+ Mu

(«nom»)+ Un («foule»)+ De5 («rassembler, enlever»), cf. M.E.A., n° 86).


197 Ur(«nettoyage») +Dam («épouse»)+ Ma(« lier»)+ Na («humanité»)+ Ka («exposer»)+ Ud

(«lumière»)+ Nu («négation»)+ Sud («procurer»)+ Sù («plein de charme»)+ Rtf («apport»).


198 I-si-i§ : «lamentation».

199 Nu («négation»)+ Til («compléter»)+ La («santé»).


156 CORPUSDEAE

33. Tablette sumérienne G.l.2.b.1725 sur le meurtre d'Isis.


Photographie de Samuel Noah Kramer (1957)
LA FAUTE DU FILS DE DIEU 157

Le rôle de l' Alam se confirme en qualité de sarcophage. En effet,


on voit mal une «image de la jeunesse» restaurer un corps, par contre,
un «sarcophage de la jeunesse» pourrait parfaitement endosser une telle
fonction. Cette idée de sarcophage régénérateur ne provient pas d'un
esprit imaginatif, ni même d'un film de science-fiction de type « Stargate »;
il trouve plutôt écho dans les plus lointaines légendes du Monde, comme
par exemple, la littérature nahuatl du Mexique. Le folio 7 du Codex de
Cuauhtitlan narre un épisode où Quetzalc6atl, le Lucifer des Aztèques -
donc Horus en personne200 - donne ordre aux siens de tailler un lit en pierre
(sarcophage en pierre comme celui de la Grande Pyramide d'Égypte) pour
que ce dernier puisse s'y allonger. Passé quatre jours, il se releva avec une
santé régénérée ... Y avait-il deux sarcophages dans le récit de la mort de
Nawirtum: un en or (ou doré) et un en pierre? Le premier se trouvait-il
dans le second? Le texte ne le précise pas.
Ma traduction de la tête coupée se confirme en ligne 22 par
l'utilisation de l'expression Gu-Kud («cou tranché»). Nous comprenons
qu'après une ultime tentative de résurrection, face à la Lumière stellaire
(celle des conduits de la Grande Pyramide?), le procédé échoue en raison
de la gravité de la lésion mortelle : le «nettoyage» du corps n'aboutit
pas. Étrangement, la ligne 23 ne restitue pas le terme Sir («lamentation»)
habituellement employé tout au long du récit, mais plutôt le mot sumérien
1-si-is dont le sens reste identique. Il est incroyable de noter la présence
de ce mot dont la prononciation évoque la déesse Isis, tout en sachant
qu'Isis elle-même figure la première déesse à avoir inventé le rituel de la
lamentation et de la résurrection! Normalement, le nom d'Isis aurait été
grécisé à partir du mot originel égyptien Aset (litt. «le Trône»). Pourtant,
l'origine présumée grecque du nom d'Isis laisse comme un doute à la
faveur de cette découverte quelque peu inattendue ...
Une mauvaise utilisation de la puissance (de l'œil) du fils de la
déesse aura engendré l'irréparable. Le mauvais œil de l'Oiseau (Igi-Hul
dans le texte sumérien, cf. ligne 2 de G.l.2.b.1725) est rendu pleinement
responsable de la mort de la déesse vache, garante de la civilisation
humaine. Ce genre de concept se retrouve dans des formules funéraires
égyptiennes où le défunt roi prend la place d'Horus dans le Ciel et doit
restaurer un état originel perdu :

«Le roi est cet Œil qui est tien, qui est au-dessus des cornes d'Hathor
et qui attend celle qui retourne les années201 ••• Reviens donc, reviens
donc, Maîtresse du Ciel, (car) la terre a ordonné que tu reviennes en
ton nom de 'Cité'! Le roi, c'est en vérité Horus qui a restauré son Œil
avec ses deux mains202 • »
Textes de la Pyramide de Pepy 1er, extraits des chapitres 405 et 587
200 Thème du prochain tome 4 des Chroniques du Crrkù. Dans d'autres études, j'ai déjà exprimé
plusieurs fois la thèse originale selon laquelle Quetzakoatl serait Hotus.
201 Textes des Pyramides. Pyramide de Pepy ter, 405:705a-705b.

202 Textes des Pyramides. Pyramide de Pepy ter, 587:1596a-1596c.


158 CORPUSDEAE

Les lignes 24 à 28 du texte sumérien n'apportent pas grand-chose au


récit de la mort de Nawirtum. On comprend qu'à Nippur, le dieu Ninurta
se lamente avec l'ensemble des ressortissants de la cité. Les citoyens
prévoient le sacrifice d'une ânesse, cependant, l'offrande ne semble pas
acceptée. La 28e ligne évoque encore de longues lamentations ... La suite
est bien plus intéressante :

«La mère l'avait engendré dans la Lumière du jour203, lui avait fait
don de la puissance et de l'utilisation des ténèbres204 en témoignage
pour la foule humaine au complet. (Son) Grand Secret fut emporté,
ses cornes brisées et placées à la source; déplacées au sanctuaire de
la santé205 en témoignage pour la foule humaine imposante. (Son)
âme fut emportée face à lui vers la mer206 (céleste); sortie du corps
détruit, diminué et tranché avec force2° 7• »
G.1.2.b.1725, lignes 29 à 31

Comme dans les lignes 3; 13 et 16, ce passage évoque le meurtrier de


la déesse, à la fois fils et amant. La ligne 29 offre un nouveau rapport avec
l'histoire d'Isis et Horus. Isis'-Hathor avait engendré Horus à la Lumière
du Jour, dans la Grande Pyramide. J'explique en détail ce procédé dans Le
Testament de la Vierge, ainsi que le nom probable de la Grande Pyramide :
Bet-Lê-Hem 208 (Bethléem), litt. «Hathor, Lumière du roi Horus».

Bit-Râ-Hem ou Bet-Rê-Hem ou encore Bet-Lê-Hem (Bethléem)


«Hathor, Lumière du roi Horus»

Isis transmit à Horus un don de puissance pour libérer l'humanité


de l'emprise de Seth. Cette puissance et ce pouvoir, rassemblés dans son
œil divin (dont nous reparlerons), se retournèrent contre lui-même et sa
mère. Le grand Secret d'Isis fut emporté avec elle, ses cornes de Vache
Céleste brisées et déplacées au sanctuaire de santé, près d'une source. La

203 Ama («mère»)+ Ugu, («engendrer»)+ Ni-ir («lui»)+ Ud («jour»)+ Zalag2 («lumière»).
204 Ba («don») + Da («puissance») + He2-si («devenir sombre ou ténèbres») + Â-Kar
(«utilisation»).
205 Hal-ha! («Grand Secret»)+ Bi («emporter»)+ Si («corne»)+ Pad («briser»)+ Ak («placerv)

+ A («source») + Bi («emporter, déplacer») + Zag-la («sanctuaire de la santé»).


206 Zi («âme»)+ Bi («emporter»)+ Igi («face»)+ Ni («lui»)+ Ab («mer»)+ Ta («vers»).

2CJ7 È («sortir»)+ Su («corps»)+ Hui («détruire»)+ Bi («diminuer»)+ Zil-le («trancher») x 2

(insistance sur l'action).


208 Rappel : en égyptien, le L n'existe pas et se prononce comme un R.
LA FAUTE DU FILS DE DIEU 159

conception du site de Giza, détaillée dans Le Testament de la Vierge, fait


intervenir tout un réseau fluvial tout autour de la Grande Pyramide. Serait-
ce la source indiquée en ligne 30? Une fois le rituel terminé, le corps de la
déesse semble avoir été déplacé dans une chapelle annexée au monticule
présent en ligne 18 (la Grande Pyramide?); cette chapelle ou ce sanctuaire
se nomme ici Zag-la («sanctuaire de la santé» ou «sanctuaire de la
jeunesse»). Cet endroit rappelle le Lieu de Purification, dit aussi Place Pure,
où les Égyptiens embaumaient leurs morts pour le voyage vers l'au-delà.

34. Le site originel de Giza avec son réseau hydraulique tel qu'il est détaillé dans
Le Testament de la Vierge. Frantz Lasvignes et Anton Parks

La dernière phrase nous renvoie, une fois encore, vers une


conception égyptienne du Ciel en qualité de mer céleste ou voûte céleste,
celle-ci étant incarnée par Nut, la mère d'Isis, Osiris, Seth et Nephtys. Il
est amusant de constater que l'acronyme «NASA» (National Aeronautics
and Space Administration) renvoie aux initiales des quatre enfants de Nut:
Nebet-Hut (Nephtys); Asar (Osiris); ~te~ (Seth) et Aset (Isis).
Nut est étroitement apparentée à la croyance de la résurrection,
les âmes des défunts circulant en son sein pour se mêler aux étoiles. Le
sarcophage égyptien symbolisait également le corps de Nut qui accueillait
le défunt afin de pouvoir l'enfanter à nouveau.

«[Ses] soldats et sa famille, accablés 209, [connurent] une puissante


division210 [ ••• ]. [Ils choisirent? le moment?] favorable pour eux211 •
[Son corps?] avait été emporté au sanctuaire de la santé. (Elles212 )
2ll9Erim («soldat(s)») +lm-ri-a («famille»)+ Bi («diminuer, accabler»).
210 Ba («division»)+ Da («puissant»).
211 Du («favorable)+ Ta («pour)+ Ni («elle, lui).
10
212 Sans doute les Sages-Femmes, voir ligne suivante.
160 CORPUSDEAE

étaient debout et portaient les flambeaux 213 [ ••• ]. Les nombreuses


Sages-Femmes aux décrets divins214 avaient transporté au sanctuaire
[de la santé)215 les cendres pour la libation216 • »
G.1.2.b.1725, lignes 32 à 35

Les lignes 32 à 35 apparaissent comme lacunaires par endroits


en raison de cassures ou d'effacement des cunéiformes. J'ai reconstitué
du mieux possible les brisures [xxx] en fonction du contexte. Nous
comprenons sans mal que la mort subite d'Isis et l'impossibilité de la
faire revenir par quelque procédé que ce soit apportèrent la confusion
dans le clan osirien. Dans «le sanctuaire de la santé», les prêtresses de la
renaissance, n'ayant pu faire revivre la déesse, s'apprêtent à faire brûler un
feu par l'utilisation de cendres et à y effectuer une libation en son honneur.
Le rituel de l'offrande d'huile sainte consumée par le feu, se retrouve par
exemple dans le Lévitique 23:13. En Égypte, le Jour de l' An marquait le
moment du renouveau où l'on allumait le Feu Sacré, le nouveau feu ... Que
représentait le feu dans les temples égyptiens? Avait-il un rapport avec le
feu initialement consacré lors de la mort d'Isis?

La ligne 36 est incompréhensible; les lignes 37 à 63 expriment la


peine de Ludigirra, le saint homme des dieux de la cité de Nippur. Ce
dernier pleure sa déesse morte et se lamente sur sa disparition. Nawirtum
ne reviendra plus, rien ne sera plus comme avant ... Les trois dernières
lignes du récit sont intéressantes et semblent reprendre le cours de l'histoire
laissé en ligne 35 :

«La mauvaise foudre la frappa et l' assassina217 • Qu'elle retourne dans


un recoin de la source de l'Horizon, enfermée dans ses lombes218 • Le
démon avait contrôlé sa main, avait frappé des hauteurs et suscité219,
hélas, la malédiction, la malveillance et déchaîné grandement le
seigneur22°. La douce jeune femme sans vigueur avait été tuée
comme un taureau221 • Hélas, que notre chant funèbre est pénible. »
G.1.2.b.1725, lignes 64 à 68

213 Gub («être debout»)+ Bu 4 («flambeaux, lumière»)+ U§ («porter»).


214 Um («sage-femme»)+ Me («décret divin») x 2 (nombreux).
215 Cassure dans le texte, restitution possible de Zag-la grâce aux lignes 30 et 33.

216 Dè («cendres»)+ B («libation, oindre»).

217 Ud («foudre»)+ Gig («mauvais»)+ Za («à elle»)+ Ra-(Ma) («frapper»)+ Ra («assassiner»).

218 Ni («velle») +lb (<<recoin)+ Gi («retourner») +A («source»)+ Re («que») + An-ur,


4
(«horizon»)+ He, («préfix»)+ lb («lombes»)+ Gi4 («enfermer, retourner»).
219 Gal -lti («démon»)+ Su «•main»)+ Ni («celui-ci»)+ Ma («contrôler»)+ Ra («frapper»)+
5
An («hauteurs»)+ De6 «•susciter»).
220 A («hélas») + Af («malédiction») + Hui («malveillance») + Bi («déchaîner>>) + He
2
(«grandement, abondant»)+ En («seigneur»)+ Du 11 (auxiliaire verbal).
221 Ki-sikil («jeune femme»)+ Dug («douce, bonne»)+ La-la (<<vigueur, joie»)+ Na (négation)

+ Gud («taureau»)+ Gim («comme»)+ Nu («tuer, être couché»).


1. L'Arche d' Alliance par James Tissot, 1898. 2. Saqqarah où se trouvent
les Textes des Pyramides.

3. Anton Parks au temple de Karnak (Égypte). 4. Nag Hammadi.

5. Les ruines
d'El-Amama,
l'ancienne cité
d' Akhenaton.
6. Maquette du second Temple de Jérusalem, à l'époque d'Hérode.

7. Souterrain du Kotel avec ses 8. Les écuries de Salomon sous l'esplanade du Mont
pierres gigantesques (Jérusalem). du Temple à Jérusalem (photographie de 1878).

9. Tunnel des Templiers à Saint-Jean d' Acre. Photographie de Tau Eléazar.


10. Le Dôme du Rocher à Jérusalem 11. La Porte d'IStar, Pergamon Museum,
(Tau Eléazar). Berlin.

12. La déesse Inanna-!Star, accompagnée de colombes (symbole de la Déesse-Mère et du Saint-


Esprit), visite son jardinier Sargon. Possédant la royauté divine, elle fera de lui le roi d' Akkad.
Edwin J. Prittie, 1913.

13. La déesse égyptienne Bat-Hathor 14. La déesse égyptienne Isis-Hathor


(Dendérah). (Dendérah).
15. Le Pharaon Menkaurâ (IV dynastie) entouré d'Hathor et de la personnification de la déesse
Bat, maîtresse de Hut Sekhen, centre du gnosticisme égyptien où se trouve Nag Hammadi.

16 et 17. Deux essais pour la couverture de cet ouvrage.


LA FAUTE DU FILS DE DIEU 161

Voici encore un concept purement égyptien : que l'âme de la déesse


retourne vers l'Horizon du Ciel... Un mauvais démon avait contrôlé
la main de son assassin et suscité la malveillance et la malédiction du
seigneur. Ce dernier se nomme Neb-Heru («le seigneur Horus») en Égypte
et Bel désigne le « seigneur» ou « maître» chez les Akkadiens.

Neb-Heru («seigneur Horus»)

Nous allons maintenant quitter le récit sumérien de la mort d'Isis


pour examiner la version égyptienne du même épisode.

S. Le meurtre de la Mère du Trône en Égypte

La trame fatale découverte par les Templiers se déploie peu à


peu sous nos yeux. Leur dévotion pour la Vierge se renforça sans doute
davantage; nous en aurons la preuve indiscutable plus loin dans cette
enquête. D'autant que la Vierge Isis-Hathor donna naissance à un certain
Mesi rflr4), litt. «fait à la ressemblance de [dieu]». Chaque Égyptien devait
ressembler au dieu Osiris assassiné; son fils Horus étant le premier
prototype d'entre tous :

35. La déesse Isis-Hathor


allaite son fils Horus,
dit le Mesi, «fait à la
ressemblance du [dieu
Osiris]».
La vierge Marie et
Hathor-Isis possèdent
un point commun : elles
sont toutes les deux
nommées «Reine du
Ciel.»
Bernard Picart (1723)
162 CORPUSDEAE

Possédant la ferme conviction que le dieu égyptien Horus (Heru)


incarne Bel-Marduk en ancienne Babylonie, la recherche se concentra
ensuite sur les traditions du Nil. Deux cultures différentes et éloignées
géographiquement pour un même scénario : la mort d'une déesse
importante, épisode catastrophique suivi par la Passion du fils de Dieu!

Les événements dramatiques découverts grâce aux documents


retraçant les festivités del' Akitu, avec l'appui de la tablette G.l.2.b.1725,
nous offrent une histoire à peine croyable : lors d'un combat contre leurs
ennemis jurés, Bel-Marduk et quelques complices tuèrent volontairement,
ou par mégarde, une fille divine associée au Ciel ou au dieu An, dont
le nom évoque lui-même les cieux=. Ce même événement se répercute
principalement, tel un écho, dans trois documents découverts à ce jour.
Le crime propre à la version égyptienne se retrouve sur quelques
lignes hiéroglyphiques et grecques figurant dans une vieille légende peu
connue. Elle est consignée essentiellement :

- sur le papyrus égyptien Sallier IV (XIX• dynastie, vers 1225 av. J.-C.)
- dans un texte datant du règne de Ramsès V (XX• dynastie, vers 1160 av.
J.-C.223)
- sur le papyrus grec Chester Beatty I (copie de l'époque chrétienne, 3• et
4• siècles de notre ère).

Nous le verrons, Plutarque fait également allusion à cet épisode


dramatique dans son Isis et Osiris. Les trames narratives égyptienne
et mésopotamienne semblent assez similaires, c'est ce que nous allons
vérifier.
L'épisode égyptien s'articule autour d'une Assemblée divine et
d'une série de batailles entre Horus, fils d'Osiris, et Seth, frère supposé
d'Osiris. Un combat sans merci eut lieu entre le Porteur de Lumière Horus
et son oncle, le Satan égyptien Seth, à savoir Enlfl chez les Mésopotamiens.
Les deux protagonistes et ennemis briguent le poste suprême. Lors de ces
aventures, Seth n'est jamais évoqué comme le meurtrier d'Osiris; il ne
s'agit ici nullement de venger la mort d'Osiris, mais d'obtenir son trône!
Chacun revendique ses droits : Horus en qualité de fils d'Isis et d'Osiris et
Seth en qualité de frère du même couple ...

Les premiers chapitres du papyrus Chester Beatty I narrent l' obliga-


tion d'Horus de se justifier devant l'Assemblée divine pour prouver qu'il
est bien le fils d'Osiris. Étant né de la Vierge Isis après la mort d'Osiris, il
doit prouver sa filiation divine pour obtenir le trône de son père, alors que

222 Rappel: An (ou Anu) exprime à la fois le dieu suprême du panthéon suméro-akkadien et
le Ciel.
223 Réf. de l'ancienneté du papyrus in : Claire Lalouette, Textes sacrés et textes profanes de

l'ancienne Égypte II, Paris, Éditions Gallimard, 1987, p. 282.


LA FAUTE DU FILS DE DIEU 163

dans le Nouveau Testament, Jésus doit prouver sa filiation davidique et


légitimer sa fonction de Roi des Juifs :

Papyrus Chester Beatty 1, La Bible de Jérusalem


(Égypte)

Chapitres 1 à 3 : Face à Mar!;; 14:61-62 et Mathieu 26:62-


l'Assemblée divine, Heru fil : Face à l'Assemblée divine
(Horus) doit prouver qu'il est le des grands prêtres, Jésus doit
fils du dieu Osiris. prouver qu'il est le fils de Dieu.

Il est intéressant de noter que les papyrus de la collection Chester


Beatty sont rédigés en grec et dateraient des 3• et 4• siècles de notre ère.
La partie concernant la mort d'Isis reprend une vieille légende égyptienne
datant au minimum du 12• siècle avant J.-C. à travers l'histoire du combat
entre Horus et Seth. Les autres codex du Chester Beatty reprennent
plusieurs extraits de l'Ancien Testament (extraits de la Genèse, du Livre
des Nombres, du Deutéronome, des Livres d'Isaïe, de Jérémie, d'Ézéchiel,
de Daniel et d'Esther) et trois morceaux concernent le Nouveau Testament
(les Évangiles de Mathieu, de Luc, de Marc, de Jean, et les Actes des
Apôtres) ainsi qu'un extrait du Livre d'Hénoch. Il est donc très curieux
de trouver dans une même collection un vieux mythe égyptien mélangé à
des extraits de livres bibliques ... D'autant que nous ne cesserons de noter
les étranges concordances entre l'histoire d'Heru (Horus) et celle de Jésus.
Des concordances que les lettrés templiers auront sans doute relevées bien
avant nous ... Comme ils auront également pu connaître l'épithète souvent
utilisée pour nommer Isis dans les traditions égyptiennes224 :

Meri (« bien-aimé(e) »)

Reprenons notre légende égyptienne sur la mort d'Isis. Après de


multiples aventures et rebondissements au cœur de l'Assemblée divine,
alors que la légitimité d'Horus semble acquise, voici la suite du papyrus
Chester Beatty 1 (de 8:6 à 10:1) :

«Alors on installa la couronne blanche sur la tête d'Horus, fils d'Isis.


Mais Seth, jeta un grand cri à la face de cette Ennéade (Assemblée)

22•Titre maintes fois repris ensuite pour nommer des Pharaons comme, par ex., Meridjefarâ
(XIV" dynastie); Merikarâ 1 et II (IX• et X• dynastie); Merikhepera (XIII• dynastie) ...
164 CORPUSDEAE

et protesta en ces termes :


'C'est à mon frère cadet que l'on donne cette fonction, alors que je
suis présent comme frère aîné!'
Alors il prononça un serment : 'On ôtera la couronne blanche de la
tête d'Horus et on lelli jettera à l'eau, que je lui disputerai la fonction
de souverain!' Et Râ-Horakhty acquiesça.
Et Seth dit alors à Horus : 'Viens, changeons-nous en deux
hippopotames et plongeons dans les flots au milieu du marais,
et quant à celui qui émergera avant trois mois pleins, on ne lui
transmettra pas la fonction'.»
Chester Beatty 1, 8:6 à 8:11

La transformation des deux dieux en hippopotames peut sur-


prendre. L'hippopotame représente une image négative et incarne le mal,
donc Seth en personne. En proposant à Horus d'entamer une lutte et de se
transformer en hippopotame, Seth oblige son rival à atteindre un niveau
d'animalité dont lui seul connait les limites et règles du jeu! De son côté,
l'élément liquide dans lequel vont se confronter les deux ennemis peut ex-
primer une volonté de contraindre Horus à se battre dans des eaux appar-
tenant à Seth ou lui étant associées. D'après le document, l'affrontement se
déroule près du Nil (un de ses affluents?) le vingt-sixième jour du premier
mois de la saison d' Akhet, soit le premier mois de l'année égyptienne (juil-
let-août), au moment où débute la crue du Nil. Nous le verrons plus bas, le
papyrus Sallier N, plus ancien, donne une toute autre date et fournit une
autre traduction au mot «hippopotame».

Il faut rappeler un épisode important de la littérature égyptienne


qui peut expliquer la violence d'Horus : Isis fit revenir son amant Osiris
dans le corps d'Horus. Aux yeux d'Isis, Horus ne figurait pas seulement
son fils, mais était avant tout la réincarnation d'Osiris, raison pour laquelle
la déesse épousa Horus à qui elle donna quatre enfants. Revenu du fond
des abysses temporels, Osiris s'incarna en Horus chargé d'une colère sans
limites. Mais on le sait, la colère détruit la raison ...
Je détaille la mort d'Osiris dans La Dernière Marche des Dieux et Le
Réveil du Phénix : Osiris fut assassiné dans son fief d' Abydos, près de son
temple aquatique (l'Osireion), et sa garde rapprochée massacrée. Des
traîtres se trouvaient parmi ses Suivants. Attaché à un arbre - littéralement
crucifié - il subit la torture de Seth qui finit par lui arracher le cœur pour le
dévorer. Ensuite, son corps connut l'humiliation du démembrement ... En
conséquence, si les traditions égyptiennes sont exactes, on peut facilement
imaginer la charge émotionnelle présente en Horus. Ainsi s'explique
aisément la violence manifestée par Horus lors de ses attaques contre ses
adversaires. Qu'il soit Horus ou Bel-Marduk, les textes lui attribuent des
massacres sans nom et des destructions survenant dans un bain de sang!
m Pa, article masculin, Seth souhaite jeter Horus dans l'eau et non sa couronne.
LA FAUTE DU FILS DE DIEU 165

Dans l'épisode de la bataille entre Horus et Seth, la déesse Isis


escorte les déplacements de son fils pour le surveiller et ainsi le protéger.
Fine stratège, elle ne pouvait rester inactive alors que son fils se battait
pour son honneur et celui du clan osirien. Restée sur le rivage du Nil, elle
prend peur pour la vie d'Horus et confectionne une arme ressemblant à un
harpon. Voici la suite du passage tiré du papyrus Chester Beatty :

«Ils plongèrent donc tous les deux. Et Isis se mit à se lamenter :


'Seth veut tuer Horus, mon fils!'
Elle apporta une pelote de fil. Elle réalisa une corde, puis elle apporta
un Oeben de cuivre et elle le fondit en une arme aquatique. Elle y
noua la corde et la lança dans l'eau, à l'endroit où Horus et Seth
avaient plongé.
Mais le harpon mordit dans le corps de son fils Horus. Si bien
qu'Horus poussa un grand cri :
'A moi, mère Isis, ma mère, ordonne à ton harpon de se détacher de
moi! Je suis Horus fils d'Isis!'
À ces mots, Isis cria et ordonna au harpon de se détacher de lui.
'Constate que c'est mon fils Horus, mon fils, celui-là.' Et son harpon
se détacha de lui.
Elle le lança de nouveau dans l'eau et il mordit dans le corps de Seth.
Mais Seth poussa un grand cri: 'Que t'ai-je fait, sœur Isis? Appelle
ton harpon, détache-le de moi! Je suis ton frère utérin, Isis!'
Et elle éprouva pour lui une grande compassion.
Seth alors l'interpella : 'Préfères-tu l'homme étranger à ton frère
utérin Seth?'
Alors, Isis appela son harpon : 'Détache-toi de lui! Vois que c'est le
frère utérin d'Isis, celui dans lequel tu as mordu!'
Ainsi le harpon se détacha de lui. (Mais) Horus, fils d'Isis, se fâcha
contre sa mère Isis et sortit (de l'eau), la face terrifiante, comme celle
d'un léopard de Haute-Égypte, son couteau de seize Oeben à la
main. Il ôta la tête226 de sa mère Isis, puis il la prit dans ses bras et
escalada la montagne où Isis se transforma en une statue de pierre
sans tête.
Aussi Râ-Horakhty demanda à Thot : 'Qui est celle qui est venue et
qui n'a pas de tête?'
Thot lui répondit : 'Mon bon seigneur, c'est Isis la Grande - mère du
dieu - à qui Horus, son fils, a ôté la tête.'
Alors Râ-Horakhty poussa un grand cri et dit à l'Ennéade : 'Vite,
infligeons-lui un châtiment sévère227 !' »
Chester Beatty 1, 8:11 à 10:1

226 Chester Beatty I, 9:9 : Ru jet Djadja, litt. «ôter la tête».

m Traduction rendue possible à partir du fac-similé édité dans : Michèle Broze, Les aventures
d'Horus et Seth dans le papyrus Chester Beatty 1 (Orientalia Lovaniensia Analecta 76), Éditions
Peeters, 1996.
166 CORPUSDEAE

Nous pouvons dès à présent relever quelques détails importants,


communs aux versions sumérienne et égyptienne :

Papyrus Chester Beatty 1, Tablette sumérienne


(Égypte) G.1.2.b.1725_ (Mésopotamie)

Çha:pitre 9, lignes 8-9: «Le Lignes ~. l~, 18, 12 ~t 23 :


faucon Horus, fils de la vache «L'oiseau de la jeune vache,
Isis-Hathor, se fâcha contre sa outrepassant ses limites, fit
mère Isis et sortit de sa zone de intervenir une arme meurtrière.
combat, son arme à la main. Il ôta Il ôta la tête (de la déesse), et
la tête de sa mère Isis, puis il la s'en empara avec fermeté et
prit dans ses bras et escalada la arrogance. Le corps de la déesse
montagne.» fut emmené sur un monticule
pour connaître les rites de
résurrection dénommés 1-si-is. »

La mort d'Isis par décapitation reste un sujet délicat et très peu


détaillé dans les textes hiéroglyphiques. Les anciens Égyptiens n'aimaient
pas évoquer la mort ou les souffrances de leurs dieux, la discrétion sur
ces points étant généralement observée. Quelques allusions font leur
apparition pour celui qui sait chercher. Plutarque, le philosophe et
biographe gréco-romain, rappelle cet événement d'une façon détournée
dans son Isis et Osiris :

«Isis fit des images de tout ce qu'elle trouvait, et elle les donna
successivement à chaque ville, comme si elle eût donné le corps
entier. Elle voulait ainsi qu'Osiris reçût le plus d'honneurs possibles,
et que Typhon (Seth), s'il venait à l'emporter sur Horus fût, dans sa
recherche du vrai tombeau d'Osiris, égaré et trompé par la diversité
de tout ce qu'on pourrait lui dire ou montrer. [... ] On ajoute qu'alors
une foule d'Égyptiens commencèrent successivement à passer
comme transfuges dans les rangs d'Horus, et que Thouéris228, la
concubine de Typhon, les suivit. Comme un serpent poursuivait
cette dernière, les partisans d'Horus le coupèrent en morceaux,
et c'est en souvenir de ce fait qu'ils jettent encore aujourd'hui au
milieu de leurs rangs un bout de corde qu'ils coupent en morceaux.
Un grand combat se livra; il dura plusieurs jours et se termina par
la victoire d'Horus. Typhon garrotté fut remis entre les mains d'Isis.
Mais la déesse ne le fit point périr; elle le délia et lui rendit la liberté.
Horus en conçut une indignation excessive; et portant la main sur
sa mère, il arracha le bandeau royal qu'elle avait sur sa tête. Hermès
228Ta Uret en égyptien, litt. «la Grande». Ta Uret est une déesse hippopotame généralement
associée à Hathor, donc à Isis ou Nephtys. Il s'agit ici de Nephtys qui appartenait aux rangs
de Seth.
LA FAUTE DU FILS DE DIEU 167

(Thot) alors, pour remplacer ce bandeau, la coiffa d'un casque


à tête de vache. [... ] Voilà quels sont à peu près les faits capitaux
du récit. J'en ai supprimé les incidents les plus odieux, tels que le
démembrement d'Horus et la décapitation d'Isis 229 • »
Plutarque, Sur Isis et Osiris, extraits des chapitres 19 et 20

Dans cette version, sans doute rapportée par quelques prêtres


égyptiens, l'élément sur la bataille aquatique n'apparaît pas et les combats
semblent plutôt se dérouler sur la terre ferme, peut-être dans le désert,
royaume de Seth. Isis libère une nouvelle fois le meurtrier d'Osiris, mais
l'auteur transforme la décapitation d'Isis en «suppression du bandeau
royal et remplacement de ce bandeau par un casque de tête de vache. »
Plutarque admet sa censure en fin d'extrait, sans pour autant avouer qu'il
a lui-même transformé le texte original! Les prêtres égyptiens qui l'avaient
renseigné, lui avaient-ils recommandé de voiler l'ancienne vérité? Dans
l'affirmative, il faut admettre que Plutarque ne respecta que partiellement
cette recommandation ...

36. Horus, sous la forme


d' Anti (litt. «le griffu»),
tient dans sa main droite
la tête d'Isis-Hathor et
dans sa main gauche
l'arme du crime. Nous
parlerons d'Horus, sous
la forme d' Anti, un peu
plus loin.
Vignette tirée d'un
bas-relief du temple
d'Hibis dans l'Oasis de
Khargeh

Le seul passage des textes funéraires égyptiens faisant une allusion


explicite à la décapitation d'Isis se trouve dans le chapitre 80 des Textes des
Sarcophages :

«Le roi est 'Vie' qui a reconstitué les têtes, qui a rétabli les nuques.
C'est le roi qui fait vivre les gosiers! J'ai reconstitué Atum. J'ai
rétabli la tête d'Isis sur son cou après que j'eus reconstitué la colonne

229 Plutarque, Isis et Osiris, extraits des chapitres 19 et 20, traduction de Mario Meunier, Guy

Trédaniel éditeur, 2001, p. 70-71et73 à 74.


168 CORPUSDEAE

vertébrale de Khépri à son bénéfice.»


Textes des Sarcophages, chapitre 80:37 (a-d)

Dans l'intention de compléter ce chapitre, je place ici la version la


plus ancienne connue à ce jour de la décapitation d'Isis, via le papyrus
Sallier IY, datant de la XIX• dynastie égyptienne :

« [Le 26• jour du mois de Thot23<'], ne fais absolument rien en ce jour.


Ce fut le jour du combat fait par Horus contre Seth; ils se frappèrent
l'un l'autre étant sur la plante de leurs pieds, sous la forme de deux
homtnes; ils se changèrent en deux «rustres», à la retraite des
seigneurs de Kheraha231 • Puis ils passèrent trois jours et trois nuits en
cet état; alors il arriva qu'Isis fasse tomber leurs fers sur eux. Horus
tomba sur la face; il cria à voix haute : 'Je suis ton fils Horus.' Isis cria
aux fers : 'Abattez-vous, abattez-vous sur mon fils Horus.' Elle en
fit tomber d'autres; son frère Seth tomba sur la face. Il se mit à crier
faiblement (puis) fortement à l'aide! Elle cria aux fers en disant:
'Abattez-vous.' Il lui dit plusieurs fois : 'Ne veux-je pas respeçter
le frère de ma mère?' Son cœur (d'Isis) souffrit beaucoup. Elle cria
aux fers : 'Tombez, relâchez mon frère aîné.' Les fers se détachèrent
de lui. Ils se levèrent comme deux hommes (chacun) méprisant la
parole de l'autre. Sa majesté Horus devint furieuse contre sa mère
Isis, comme une panthère du Midi. Alors elle s'enfuit devant lui. Ce
jour-là survint une lutte cruelle; alors il trancha la tête d'Isis; Thot
la transforma (cette tête) par ses incantations, et la rétablit en tête de
vache232 .»
Papyrus Sallier IV, 26e jour de Thot

Cette version offre moins d'éléments que la version en langue


grecque, mais elle apporte un détail considérable à propos de l'aspect
ou transformation d'Horus et Seth. Alors que le papyrus Chester Beatty
rapporte l'intervention de deux Debw («hippopotames»), cette version
plus ancienne fait apparaître un homophone assez proche, restituant
plutôt le mot «paysans233 ». J'ai moi-même changé ce mot en «rustres»,
terme populaire longtemps utilisé, même dans l' Antiquité, pour désigner
230 26• jour de Thot: le 16 novembre dans l'ancien calendrier égyptien et le 6 octobre dans le
calendrier grégorien.
231 La traduction originelle de François Joseph Chabas indique Kher, qu'il traduit par

«combat» ou «lutte». Une vérification approfondie offre plutôt la lecture Kheraha qui est le
lieu de bataille entre Horus et Seth indiqué dans le chapitre 17 du Livre des Morts. Le lieu
Kheraha exprime «la place de la guerre du mai» ou «la place de la guerre maléfique».
232 François Joseph Chabas, Le calendrier des jours fastes et néfastes de l'année égyptienne

(Traduction complète du papyrus Sallier IV), Paris, ~ditions Maisonneuve et Cie, 1870, p. 28
à31.
233 François Joseph Chabas, traducteur du papyrus Sallier rv; tente de traduire ce mot par

«ours» ou «animaux féroces», en évoquant des hippopotames, mais le dictionnaire Wallis


Budge, An Egyptian Hierogyphic Dictionnary, vol. II, page 873, mentionne le mot «paysans».
LA FAUTE DU FILS DE DIEU 169

les personnes en charge des travaux de la terre. Les anciennes traditions


égyptiennes voulurent sans doute exprimer la dureté des deux guerriers
lors de leurs affrontements, le jeu de l'homophonie et des transmissions
orales auront sans doute changé cet aspect en animal sauvage des berges
du Nil: l'hippopotame, image de l'animalité même et de la puissance de
Seth. De plus, on remarquera ici l'absence d'eau, ce qui confirmerait cette
hypothèse.
Comme chez Plutarque, les luttes entre Horus et Seth semblent bien
se dérouler sur la terre ferme. Serait-ce le désert égyptien autour du Caire?
En effet, beaucoup d'égyptologues pensent que le Kheraha mythique, lieu
même des affrontements meurtriers entre Horus et Seth, serait l'ancien
Caire234, donc près de la Grande Pyramide (la montagne) où Horus est
supposé apporter le corps d'Isis après sa mort violente.

Les combats entre Horus et Seth rappellent étrangement la


confrontation entre Jésus et Satan dans le désert. Le début du papyrus
Chester Beatty 1 met au défi Horus de prouver sa filiation divine et le
chapitre 11 dévoile que, par décision de l'Assemblée divine (son esprit),
Seth invite Horus à passer du temps chez lui, donc dans le désert :

Papyrus Chester Beatty 1, La Bible de Jérusalem


(Égypte)

Çha12itre 1, débyt dy r~!;;it: L'Assemblée Évangile Qf Mar!;;, 4:3 :


divine et Seth mettent au défi Horus « Satan met au défi Jésus
de prouver qu'il est le Fils du dieu de lui prouver qu'il est le
Osiris, donc le Mesi if! ~ ~' «Fait à la Fils de Dieu. »
ressemblance [de dieu]». Évangile Qf Mar!;;, 1:12-13:
Çha12itre 11, ligne:;i 1-12: « L'Esprit de « L'Esprit pousse (Jésus)
l' Assemblé divine pousse Horus et Seth au désert. Et il était dans
à passer du temps ensemble chez Seth le désert durant quarante
(dans le désert). Seth entraîne Horus à jours, tenté par Satan.
s'accoupler avec lui et le transforme en Et il était avec les bêtes
bête abjecte.» sauvages ... »

Le lecteur attentif aura noté plus haut l'annonce de Plutarque à


propos d'un «démembrement d'Horus» ... Horus aurait-il connu une
forme de supplice pour s'acquitter de son crime? Le papyrus Chester
Beatty parle également de la perte des yeux d'Horus. De quoi s'agit-il?
Nous allons dès à présent étudier ces questions, elles aussi délicates.

Peter Sheehan, Babylon of Egypt (The Archeology of Old Cairo and Origins of the City) - ARCE
234

Conservation n° 4 - The American University in Cairo Press, 2010, p. 30.


II
La Passion et la Résurrection
d'Horus, Fils de Dieu

Une légende tenace, tirée de la période médiévale, raconte que lors


de la crucifixion du fils de Dieu, on aurait recueilli le sang de Jésus-Christ
dans la coupe employée par ce dernier pour célébrer l'eucharistie au cours
de son dernier repas. Cette coupe, forgée avec la couronne de Lucifer, ou
encore son émeraude tombée lors de sa chute se nomme Saint Graal. ..

1. La Chute de Lucifer

Lucifer! Ce nom fait frémir certains et exalte l'esprit d'autres. Sil' on


s'en tient aux propos des exégètes et historiens des religions, il s'agirait
d'un mythe, d'élucubrations tirées d'occultistes du 19• siècle ou encore
de déformations provenant de la très controversée théosophe Helena Bla-
vatsky. En effet, Lucifer ne serait présent dans aucun texte ancien, contrai-
rement à son alter ego Satan, bien visible dans les premières versions des
Bibles grecques (Septante) et hébraïques (version samaritaine et texte mas-
sorétique). Lucifer ne se serait trouvé dans de rares passages de la Bible
qu'à partir de la traduction de la Vulgate, la fameuse version latine de la
Bible produite entre 382 et 384 par Jérôme de Stridon, plus connu sous le
nom de Saint Jérôme. Pour couronner le tout, ce même Jérôme aurait trans-
formé Lucifer en Satan dans son commentaire sur Isaïe, laissant ainsi la
voie grande ouverte aux éternels amalgames entre ces deux personnages
forts différents. De là, découle des excès en tous genres où Lucifer est em-
ployé dans des rituels satanistes et invoqué sans connaissance de cause.
Vous avez mal au crâne? Moi aussi!
De nombreux experts de la Bible postulent seulement une
apparition de Lucifer dans les traditions chrétiennes au Moyen Âge. Dans
mon précédent essai, Le Chaos des Origines, j'ai commenté les évocations
172 CORPUSDEAE

concernant Lucifer présentes sous les formes du roi de Babylone (Isaïe


14:7-21) et du roi de Tyr (Ézéchiel 28:11-19) et démontré que ces éléments
ne datent pas du Moyen Âge, mais bien de l'époque des manuscrits de la
mer Morte à travers la présence du Livre d'Isaïe retrouvé en intégralité à
Qumran.

Le mot «Lucifer» vient du latin. Composé de Lux («lumière») et


Ferre («porter»), il se traduit généralement par «Porteur de Lumière».
En grec, il est question de Phosphoras - tiré de Phos («lumière») et Phero
(«porter»)-, lui-même souvent traduit par« Vénus».
À l'origine, les Romains employaient le mot «Lucifer» pour désigner
«l'Étoile du Matin», à savoir la planète Vénus. Tout le monde s'accorde à
dire que Saint Jérôme aurait introduit le mot «Lucifer» dans sa version
latine en traduisant le mot hébreu Heylel généralement interprété comme
«le brillant» et« !'Étoile du Matin». Dans les traditions juives, Heylel figure
une sorte de démon aux commandes d!:!s Nephilim, les fameux Géants
évoqués en Genèse 6:1-4 et particulièrement dans les Livres d'Énoch.
Or ce mot ne relève pas du tout d'une racine hébraïque, m~is de
termes purement akkadiens que l'on retrouve également en babylonien.
Se trouve ici sans doute une énième influence survenue lors de la captivité
des Juifs à Babylone :

Helû : «briller, être joyeux»


Ellilu : «dieu suprême»
Elêlu : « être pur, libre, propre »
Ellu : «saint, pur, clair, libre, noble»
Elû: «être haut, monter, émerger, s'élever contre» ...
Elênû : «au-dessus, en haut»
Hilibû : «une pierre précieuse»

Toutes ces caractéristiques répondent au portrait-robot de Bel-


Marduk /Horus à qui l'on reproche une fulgurante ascension et l'ambition
d'accéder au trône par la force en utilisant la colère et un pouvoir surnaturel
issu de sa force vitale concentrée sur son front.
Horus possède un objet vert comme Lucifer : il porte une pierre ou
un œil vert en guise d'arme, son nom est Uatch. Le terme égyptien Uatch
englobe les définitions suivantes : «Sceptre d'Isis» et «arme que Horus
utilisera contre les ennemis d'Osiris». Son homophone Uatch exprime
également une «pierre verte» ou une émeraude, conformément à l 'Egyptian
Hieroglyphic Dictionary de Wallis Budge235.

235Wallis Budge, An Egyptian Hieroglyphic Dictionary, New York, Dover Publications, 1978
(première édition: 1920), p. 150.
LA PASSION ET LA RÉSURRECTION D'HORUS, FILS DE DIEU 173

37. et 38. L'orbite de la planète Vénus forme un pentagramme inversé attribué à Samaël
et Lilith (Osiris et Isis), parents de Bel-Marduk (Horus). Beaucoup voient en ce symbole
le Baphomet ou le bouc du Sabbat. Nous verrons plus loin la véritable signification du
Baphomet. L'énergie de cette étoile à l'envers est souvent détournée lors de rituels magiques,
car dans l'inconscient collectif, le genre humain se souvient des déplacements de Vénus dans
le Ciel et des ravages qu'elle a occasionnés jusqu'à 3000 av. J.-C.

Nous l'avons évoqué plus haut, dans les versions suméro-


akkadiennes sur argile, le héros guerrier utilise la planète Vénus comme
arme d'attaque pour mener à bien son combat contre les forces du Mal
(cf. K 3476, face a, extrait de la ligne 11). La variante égyptienne de cet
épisode, présente dans les Textes des Pyramides, répond favorablement à
ce phénomène.
Dans les tombes des anciens rois d'Égypte, des formules relatent les
anciens faits et gestes du fils solaire, des exploits que doivent reproduire
les souverains morts afin de monter au Ciel. Les formules, sans doute
174 CORPUSDEAE

récitées à certaines occasions, ont aussi pour objectif de «rectifier le passé»


et de libérer l'émotion associée, technique que l'on retrouve un peu dans
la dianétique des scientologues pour se libérer du passé. Ron Hubbard,
son créateur, s'inspirait d'anciennes cultures comme celle de l'Égypte qui
utilisaient ce genre de procédé à l'action curative sur l'esprit et donc le
corps.
Une compilation de formules contenues dans les textes des
pyramides de Saqqarah nous permet de reconstituer l'histoire du Lucifer
égyptien. Le Chaos des Origines propose une version écourtée de l'épisode;
en voici une variante plus détaillée :

«C'est Horus que le roi... L'apparition du roi a lieu au point du


jour236. Que le roi apparaisse en qualité de réplique d'Horus237 • (Si)
le roi a été mis au monde, c'est tel Horus et tel l'Horizon Lointain.
(Si) le roi a été justifié, l'esprit du roi a été justifié! Si la sœur du roi
est Sirius, la descendance du roi est l'Étoile du Matin238 • Prends donc
ton vêtement brillant, accepte donc ton manteau sur toi239 ! Tes yeux
sont ouverts par la Terre, ton aile est rattachée par le Maître de la
rébellion240 • Monte donc vers le Ciel, roi, escalade-le241 • Puisses-tu
monter comme l'Étoile du Matin ... Assieds-toi donc sur ce trône en
bronze qui est tien (afin) que tu puisses donner des ordres à Ceux
aux assises secrètes242 • Prends donc possession de la Couronne Uret,
telle l'Étoile Unique qui détruit les adversaires243 • À toi appartient
la divinité et le pouvoir des dieux (après que) l'Œil fut monté sur ta
tête244 • Le refuge du roi est son Œil ! La protection du roi est son Œil !
La force du roi est son Œil 1! La puissance du roi est son Œil 245 !
Flamboyante (flamme), bien-aimée d'Horus, au front noir, préposée
au cou de Râ. Puisses-tu dire au Ciel que le roi est destiné au Ciel246 !
(Après) que ce dieu fut donc monté vers le Ciel, sa puissance était sur
lui, le massacre qui l'accompagne se trouvait à ses côtés247 • L'horizon
est encensé pour Horus de Nekhen248 • La fonction du roi est devenue
236 Textes des Pyramides. Pyramide d'Unas, 294:436a+437b.
237 Textes des Pyramides. Pyramide d'Unas, 303:467a.
238 Textes des Pyramides. Pyramide de Pepy Il, 473:928b-929b.

239 Textes des Pyramides. Pyramide de Teti, 414:737b.

240 Textes des Pyramides. Pyramide de Pepy II, 610:1722c.

241 Textes des Pyramides. Pyramide d'Unas, 305:479a.

242 Textes des Pyramides. Pyramide de Pepy 1"', 461:871b+873a-873b.

243 Textes des Pyramides. Pyramide de Pepy 1"', 666:1920c.

244 Textes des Pyramides. Pyramide d' Aba, 589:1609a.

245 Textes des Pyramides. Pyramide d'Unas, 260:320a-320b.

246 Textes des Pyramides. Pyramide de Teti, 326/327:534a-535b.

247 Textes des Pyramides. Pyramide d'Unas, 305:476b-477a.

248 Très ancienne capitale prédynastique de Haute-Égypte, dédiée au faucon Horus. On y

déterra la fameuse palette de Narrner où se trouvent deux têtes de la déesse Bat (forme
protectrice d'Isis et Nephtys : Hathor) en haut des deux faces du document en pierre.
LA PASSION ET LA RÉSURRECTION D'HORUS, FILS DE DIEU 175

plus importante sur Terre (ainsi) fut projetée !'Étoile du roi avec le
Soleil249 • Le roi allume pour le Soleil une torche afin de le protéger250.
La flamme de son souffle brûlant [est contre vous] qui êtes derrière
le temple. Le déluge de feu de son souffle brûlant est contre vous251 •
[Roi1 détruis donc le Ciel et fais trembler la Terre (afin) que les
Impérissables te craignent252 ! Alors [il] disposera la flamme de son
Œil afin qu'il (son Œil) tourne autour de vous et qu'il place la rage
parmi les auteurs des actions (mauvaises) au point qu'il submerge
ces dieux primordiaux253 • Son Œil est sa force. Il est protégé de ce
qui a été fait contre lui. La flamme de son souffle brûlant de son
Uraeus est Renenutet qui est sur lui. Le roi a placé la crainte qu'il
engendre dans leur esprit en faisant un massacre parmi eux254 • 'Il y a
du tapage dans le Ciel! Nous avons vu quelque chose de nouveau'
ont dit les dieux primordiaux ... Horus (est) dans la Lumière du
Soleil! (Comme) il a fait trembler les Maîtres des Formes, la double
Ennéade l'entoure! Saisis la main (de !'Étoile du Matin) permets
qu'elle s'asseye sur le Grand Trône afin qu'elle puisse rejoindre
les deux chemins supérieurs du Firmament255 ! Étant donc assis à
la place du Maître de Tout, le roi s'emparera du Ciel et il fendra
son firmament256 ! Horus le Porteur257, roi qui s'est dressé en vérité
comme cette étoile dans la partie inférieure du Ciel et qui va (être)
jugé comme un dieu (après) qu'il eut entendu les propos comme
un magistrat258 • [Roi] prends donc l'Œil vert d'Horus, empêche qu'il
ne le porte259 ! Horus tombe à cause de son Œil260 • Le regard du roi
est tombé261 • L'Œil d'Horus a chuté dans les airs quand [Horus] est
tombé262 • [Il a été] commandé que tu puisses chuter comme une
étoile, comme !'Étoile du Matin263 ! Le roi ne peut parler sur Terre
auprès des hommes, il ne peut être accusé au Ciel auprès des dieux,
(car) le roi a écarté le(s) propos le concernant et qu'il a détruit pour
monter au Ciel264 • Il n'est pas question que le roi soit puni ... Il n'est
249 Textes des Pyramides. Pyramide d'Aba, 402:698a-698b.
250 Textes des Pyramides. Pyramide de Teti, 362:606a.
251 Textes des Pyramides. Pyramide d'Unas, 255:295a-295c.

252 Textes des Pyramides. Pyramide de Pepy 1•, 667:1935c.

253 Textes des Pyramides. Pyramide d'Unas, 255:298a-298c.

254 Textes des Pyramides. Pyramide d'Unas, 256:301c-302d.

255 Textes des Pyramides. Pyr;unide de Neit, 676:2015a-2015b.

256 Textes des Pyramides. Pyramide d'Unas, 257:304a-305a.

257 Textes des Pyramides. Pyramide de Teti, 327:535a.

258 Textes des Pyramides. Pyramide de Teti, 264:347a-347b.

259 Textes des Pyramides. Pyramide de Pepy Il, 162:96c.

260 Textes des Pyramides. Pyramide de Teti, 277:418a.

261 Textes des Pyramides. Pyramide d' Aba, 401:697c.

262 Textes des Pyramides. Pyramide de Pepy Il, 359:594b.

263 Textes des Pyràmides. Pyramide de Pepy 1"', 536:1295a.

264 Textes des Pyramides. Pyramide d'Unas, 302:462a-462c.


176 CORPUSDEAE

pas question que le roi soit refoulé par les magistrats265 ! Redresse-
toi, roi, il n'est pas question que tu meures, réveille-toi pour Horus!
Celui qui s'est dressé, il ne peut se fatiguer, celui qui se trouve au
cœur de l' Abysse266 • N'ignore pas le roi, Taureau du Ciel, toi dont
on dit 'Cette étoile' ! Vois, le roi est venu! Vois, le roi est monté267 ! »
Le roi Horus, le Porteur de Lumière
Extraits de différentes formules tirées des textes des Pyramides

Nous retrouvons ici tous les éléments communément associés à


Lucifer en Isaïe 14:7-21 et Ézéchiel 28:11-19, à savoir:

- l'orgueilleuse grandeur du roi


- sa fulgurante élévation (associée à Vénus)
- son combat contre les nations impies
- sa chute (associée à Vénus)
- son procès

Rappelons cette information déjà développée dans d'autres de mes


livres et particulièrement dans le présent ouvrage : Horus, le Porteur de
Lumière (Lucifer) se lança dans un combat sans merci avec l'assassin de
son père Osiris, le dénommé Seth (Satan). En s'engageant dans cette lutte
vengeresse et de conquête du Trône d'Osiris, Horus fait face à lui-même
et doit se confronter au pire de lui-même. Une mauvaise utilisation de son
pouvoir aboutira à la mort de sa mère Isis.
Voyons maintenant comment une certaine déesse réussit à soigner
l'Œil d'Horus afin d'apaiser la colère du jeune dieu.

2. L'aveuglement du Porteur de Lumière

«Si quelqu'un ne demeure pas debout dans les ténèbres, il ne pourra


voir la Lumière. Si quelqu'un ne comprend pas de quelle manière
advint le feu, il brûlera en lui, car il ne connaît pas sa racine.»
NH 111,5 - Le Dialogue du Sauveur, 133:22-23 -134:1-4

Selon le Papyrus Jumilhac, dont nous reparlerons plus loin, le


meurtre d'Isis eut lieu à Atfieh (Aphroditopolis en grec), dans le 22e nome
d'Égypte, au sud de Memphis et du Caire. Le nom égyptien du domaine
est Per-nebet-tep-ihu, «Domaine de la Maîtresse des Vaches», à savoir
Isis-Hathor en personne. À cet emplacement se trouvait un sanctuaire
d'Hathor. Plusieurs temples d'Hathor se trouvent en Égypte, on compte
parmi eux celui du 3e nome où le prêtre d'Hathor se nommait Sak Hat,
265 Textes des Pyramides. Pyramide de Pepy II, 486:1042a + 1042c.
206 Textes des Pyramides. Pyramide de Pepy 1"', 437:792c-793a.
.,,,, Textes des Pyramides. Pyramide d'Unas, 262:332b-333a.
LA PASSION ET LA RÉSURRECTION D'HORUS,. FILS DE DIEU 177

«celui qui réunit la partie antérieure (du reste du corps)» alors que dans
le 22e nome où se serait situé le délit, le prêtre était Semen Hat, «celui qui
fixe la partie antérieure (sur le reste du corps)268 », que des épithètes en
relation avec la décapitation d'Isis-Hathor! De vagues allusions semblent
présentes dans les textes funéraires égyptiens, mais, rappelons-le, la mort
d'Isis par son fils devait rester dissimulée au peuple :

« ô, celui qui a expulsé celle qui était enceinte, tu as aveuglé la


nuit. (Tu fus) équipé tel Seth qui disposait de la brutalité et qu'avait
favorisé Isis. »
Textes des Pyramides - Pyramide de Pepy Il, 222:205a-205b

La déesse enceinte figure Isis, que certains textes présentent même


comme n'ayant pas de sexe, sans doute pour insister sur son aspect de
Vierge qui enfanta Horus sans rapport sexuel. Isis donna pourtant
naissance à Horus par son sexe, infâme sacrilège pour l'Assemblée des
dieux.
Continuons de dérouler le cours de l'histoire : pour comprendre
le sens de la Chute du Porteur de Lumière provoquée par son pouvoir
divin mal contrôlé, il nous faut reprendre le papyrus Chester Beatty là où
nous l'avions laissé plus haut, au moment où l'Assemblée divine décide de
chercher Horus pour lui faire subir un châtiment exemplaire :

«'Vite! Infligeons-lui un châtiment sévère!' L'Ennéade gravit les


montagnes pour chercher Horus, fils d'Isis. Mais comme Horus
dormait à l'ombre d'un arbre Senyuchâ, au Pays de l'Oasis, Seth
le trouva, s'empara de lui, il le jeta dos au sol sur la montagne, lui
arracha les deux yeux Udjat de leurs orbites et les enterra sur la
montagne pour éclairer la Terre; et les deux prunelles de ses yeux
devinrent deux bourgeons qui s'épanouirent en lotus.
Puis Seth s'en revint et il dit à Râ-Horakhty en mentant : 'Je n'ai pas
trouvé Horus', alors qu'il l'avait trouvé.
Alors, Hathor, maîtresse du Sycomore du Sud, se mit en route et
trouva Horus couché, pleurant dans le désert. Elle saisit une gazelle,
lui tira du lait et dit à Horus: 'Ouvre tes yeux (que) je te donne là
ce lait.'
Il ouvrit les yeux et elle y mit le lait. Elle (en) mit dans l'œil droit, elle
en mit dans l'œil gauche, puis elle lui dit: 'Ouvre tes yeux.'
Il ouvrit les yeux, elle l'examina et le trouva rétabli.
Elle alla dire à Râ-Horakhty : 'j'ai retrouvé Horus dont Seth avait
affaibli la vue, mais je l'ai remis sur pied, vois il arrive.'»
Chester Beatty 1, 10:1-11

268 Jacques Vandier, Le papyrus Jumilhac, CNRS, 1961, p. 64.


178 CORPUSDEAE

Sans jeu de mots, un élément essentiel nous saute aux yeux :


Nephtys retrouve le roi déficient, le soigne et le relève. Le lecteur gardera
ce détail en mémoire. En effet, dans la version suméro-akkadietm.e du rite
del' Akitu (dont nous verrons la suite plus loin), c'est Inanna-Btar (double
de Nephtys) à qui incombe le même rôle de libératrice et de transmission
de la puissance au roi Marduk. D'autres allusions encore sont disponibles
à ce sujet dans les plus anciens textes funéraires d'Égypte :

«Si Nephtys t'a récompensé, c'est qu'elle permet les acclamations


qui te sont destinées. C'est qu'elle place la crainte que tu inspires
chez les Bienheureux.»
Textes des Sarcophages, 44:185c-185e

L'aveuglement d'Horus se trouve dans plusieurs textes égyptiens.


L'ancien papyrus de Turin, dit «de Neferubenef» (papyrus du Louvre
n° 3092) présente Horus assis seul dans l'obscurité, comme aveuglé. Une
autre scène sur papyrus bilingue, en hiératique et hiéroglyphes (Louvre,
n° 3248), nous montre des pêcheurs sur le point de frapper Horus pour lui
ôter ses impuretés avec un objet dénommé «glaive d'Osiris269 ». Les yeux
d'Horus semblent faire l'objet d'une attention toute particulière; nombre
de documents ou pièces funéraires, comme le sarcophage du Louvre 011,
font allusion à la vue déficiente d'Horus. Ici «des bourreaux des yeux»
l'accompagnent pour le châtier270 •
Au chapitre 113 du Livre des Morts, les perturbations du Soleil et
de la Lune sont figurées par la présence des yeux d'Horus dans l'eau.
La submersion des yeux d'Horus éveille l'idée de scènes violentes ou
brusques en rapport avec des phénomènes de coucher et d'éclipses des
planètes. Plutarque nous dit que les phases lunaires avaient pour symboles
l' œil frappé, et les éclipses de Lune, l' œil arraché271 • Plus concrètement, la
Lune et le Soleil semblent avoir été arrachés de la face d'Horus!
La face sombre d'Horus apparaît également sur nombre de
documents. Certaines vignettes du chapitre 109 du Livre des Morts nous
présentent Horus comme un épervier divin s'élevant au Ciel avec l' œil
gauche noir. Plutarque nous dit que les textes avaient pour coutume
d'appeler Horus Kaimin, surnom à rapprocher de l'obscurcissement de
la vue272 • Ce même chapitre raconte comment Hathor (ou Isis selon les
versions) «coupa» les mains de son fils souillées par Seth pour lui en créer
de nouvelles.
Dans les textes funéraires d'Égypte, Horus perd la vue, il cherche
régulièrement ses yeux... «On lui donnait son œil le matin»; «On
l'unissait à son œil»; «On ramenait son œil à son corps», etc. Un passage

269 Eugène Lefébure, Le mythe osirien, Paris, Librairie A. Franck, 1874, p. 76.
270 Ibid., p. 77.
271 D'Isis et Osiris, 55.
272 Eugène Lefébure, Le mythe osirien, op. cit., 1874, p. 63-64.
LA PASSION ET LA RÉSURRECTION D'HORUS, FILS DE DIEU 179

del' Amduat, 1oe Heure, nous montre de puissantes déesses léontocéphales


restaurant journellement la vue d'Horus, Râ leur dit : «Soyez en possession
de vos avantages comme possessions, examinez l'Œil d'Horus. Pour lui,
réunissez Horus à son pouvoir fécondant ... »
Le sarcophage de Sethy 1°' fait mention d'un porc qui aurait avalé
l'œil sacré, porc dénommé «le dévoreur du bras». Dans les litanies des
tombes royales, nous trouvons plusieurs phrases comme : «Celui qui fait
venir le bras, l'évocateur de son œil » ou encore «celui qui demande son œil,
celui qui appelle sa tête». Il est aussi évoqué sur le sarcophage de Nitocris,
fille du pharaon Psammetik I"' (XXVI• dynastie) : « ô défunte, Horus est
avec ta tête, et te pleure, car tu es dans une barque d'or au fond d'un navire
en bois [... ]L'ennemi s'élève hors de l'eau; que son nom périsse! Voilà
que l'ennemi de son bras s'en est emparé.» Comme le mentionne Eugène
Lefébure, le texte semble ensuite expliquer que ce bras est celui du cœur ou
celui du côté gauche273 •

Très concrètement, ces exemples rendent l'Œil horien responsable


des actions meurtrières du bras gauche d'Horus. Nous avons évoqué
plusieurs fois le sens du «côté gauche» dans Le Chaos des Origines.
Rappelons que ce côté, assimilé au principe féminin et au cœur, évoque
pour beaucoup de cultures «le Mal», la désolation, la stérilité et la mort.
Chaque Pharaon est un Horus en puissance. Plusieurs formules
des Textes des Pyramides expriment la souffrance d'Horus que le roi
défunt doit supprimer afin de restaurer la paix dans le cœur du dieu. Les
prêtres récitaient ce genre d'invocation en vue de participer activement à
l'opération magique. Voici quelques exemples :

«Roi, prends donc l'Œil d'Horus à cause duquel [Horus] se livrait


à la dévastation274 • Prends l'Œil d'Horus qu'il a affronté. Prends
l'Œil vert qu'il a porté275 • Roi, va donc chercher l'Œil d'Horus qu'il
a apporté à ton front276 ! (S)i je suis venu, c'est (afin) que je puisse
t'apporter l'Œil d'Horus (pour) que ton esprit s'apaise277 • Roi,
prends donc l'Œil d'Horus que Seth voulait écraser! Roi, prends
donc l'Œil d'Horus que [Seth] a arraché278• Roi, prends donc l'Œil
vert d'Horus! Empêche qu'il le porte! Roi, recherche l'Œil d'Horus
devenu dangereux 279 • Roi, va donc chercher ce qui est haut sur toi!
Roi, j'ai placé ton Œil! Roi, prends donc l'Œil d'Horus! Empêche

273 Ibid., p. 69.


274 Textes des Pyramides. Pyramide Pepy 1", 74:51a.
275 Textes des Pyramides. Pyramide de Pepy II, 188:108a + 190:108c (extraits).

276 Textes des Pyramides. Pyramide d'Unas, 78:54a.

277 Textes des Pyramides. Pyramide d'Unas, 32:22b.

278 Textes des Pyramides. Pyramide d'Unas, 111:73a-73c.

279 Textes des Pyramides. Pyramide de Teti, 162:96c + 359:600c


180 CORPUSDEAE

que [Horus] souffre à cause de lui280 ! C'est (sur) le visage d'Horus


que tu cracheras à son bénéfice afin que tu puisses supprimer la
blessure qui est en lui281 • Roi, prends donc l'Œil d'Horus grâce
auquel [Horus] s'est apaisé! Roi, prends donc l'Œil d'Horus!
Apaise-toi grâce à lui282 ! »
Textes des Pyramides sur la souffrance d'Horus à cause de son Œil

Les différentes formules égyptiennes en rapport avec l'apaisement


de l' Œil d'Horus évoquent pour ma part les recherches effectuées sur le
fonctionnement de la glande pinéale du cerveau. C'est ce que nous allons
voir dès à présent.

3. Le fonctionnement du 3• Œil d'Horus

Située au centre géométrique du cerveau, en position médiane en


arrière du troisième ventricule, la glande pinéale appartient aux glandes
endocrines. Elle synthétise et distribue des hormones à l'intérieur de la
circulation sangume. De petite taille (entre 8 et lOmm), la glande pinéale
tire son nom du latin Pinea («pomme de pin») dont elle possède la forme.
Il s'agit d'un organe sans double dans le cerveau, contrairement à certains
autres comme les deux lobes frontaux, les deux lobes temporaux, etc.
Elle a pour principale fonction de sécréter la mélatonine qui régule les
rythmes biologiques (veille/ sommeil), mais aussi de produire la DMT
(diméthyltryptamine), considérée comme une puissante substance
psychotrope naturelle qui ouvrirait la conscience. Du point de vue de
la médecine traditionnelle, elle modifie le fonctionnement électrique
normal du cerveau et altère momentanément les sens. On la synthétise
aujourd'hui à partir de molécules du même type présentes dans certaines
plantes comme l' Ayahuasca que l'on retrouve dans les forêts tropicales
humides. Les chamanes s'en servent pour ouvrir les portes de l'inconscient
à travers «un état altéré de conscience» et ainsi entrer en contact avec
« l'invisible283».

2B0 Textes des Pyramides. Pyramide d'Unas, 114-116:74a-74e.


281 Textes des Pyramides. Pyramide de Pepy II, 215:142a.
282 Textes des Pyramides. Pyramide d'Unas, 84:59a-59c.

283 Voir par exemple l'ouvrage de l'anthropologue Jérémy Narby, Le serpent cosmique.
LA PASSION ET LA RÉSURRECTION D'HORUS, FILS DE DIEU 181

39. La glande pinéale: une étincelle dans le cerveau.

Chez certains reptiles, amphibiens et oiseaux, la glande pinéale se


situe juste sous la surface du crâne, offrant la capacité de capter l'intensité
lumineuse extérieure et permettant ainsi d'ajuster le rythme biologique
de l'animal. Pour cette raison, on la désigne régulièrement comme le
«troisième œil » des vertébrés primitifs284 ou plus simplement comme l' œil
avorté de notre espèce. On l'a longtemps considéré comme un organe
résiduel de l'époque reptilienne ...
Dans les textes védiques du Yoga, la glande pinéale est associée,
tantôt au Chakra Ajna ou 3• œil, tantôt au Sahasrara ou Chakra de la
couronne, situé au sommet du crâne. Ce dernier représente le siège de
la conscience pure d'où émergerait l'illumination. C'est aussi le centre
énergétique qui nous connecterait au divin.
Les Hopis de l'Arizona disent à propos des premiers hommes et de
ce 3• œil situé au sommet du crâne :

«Le corps vivant de l'homme et le corps vivant de la Terre ont la


même structure. Un axe les traverse. Pour l'homme, c'est la colonne
vertébrale par laquelle sont contrôlés l'équilibre des mouvements
ainsi que les fonctions principales. Le long de cet axe sont situés
plusieurs centres vibratoires dans lesquels résonne le son primordial
de la vie de tout l'Univers, et qui, si nécessaire, donnent l'alarme.

284Hiroaki Mano et Yoshitaka Fukada, «A Median Third Eye (Pinea! Gland retraces Evolution
of Vertebrate Photorect!ptive Organs) », Photochemistry and Photobiology, 2007, 83(1) :11-8.
182 CORPUSDEAE

Le premier d'entre eux est placé au sommet de la tête, là où à la


naissance existe une partie molle, le Kôpavi, «porte ouverte» par
laquelle l'homme reçoit la vie et communique avec son Créateur.
À chaque souffle de respiration, cette partie molle se soulève et
s'abaisse, provoquant ainsi une douce vibration transmise au
Créateur. Au moment de la Lumière rouge, Talawva, la dernière
phase de la Création, la partie molle se durcit et la «porte» se referme
jusqu'à la mort. Elle s'ouvre alors pour libérer la vie par l'endroit où
elle est entrée. [ ... ] [Lors du deuxième monde] les hommes étaient
si proches spirituellement qu'ils avaient la possibilité de se voir et
de s'entendre grâce à l'usage du centre vibratoire du sommet de la
tête285 • »
Le livre du Hopi, Frank Waters

Lors de leurs différentes migrations, les ancêtres des Hopis perdirent


peu à peu leur faculté liée à cette «porte ouverte» au-dessus du crâne.
Chez les mammifères comme l'homme, la glande pinéale a perdu cette
fonction photoréceptrice et seules les cellules de la rétine contribuent
à la perception de la luminosité ambiante. Par contre, elle se situe à
proximité des principaux centres cérébraux sensoriels et émotionnels. Un
docteur en psychiatrie, Rick Strassman, ajoute que le cerveau limbique ou
«émotionnel» entoure la glande pinéale. Le système limbique se compose
d'une multiplicité de structures cérébrales prenant intimement part à
l'expérience de sentiments comme la joie, la rage, la peur, l'anxiété et le
plaisir. Ainsi, la glande pinéale est l'accès direct aux centres émotionnels
du cerveau286 •

L'interaction des propriétés de la glande pinéale nous permet de


faire consciemment l'expérience du mouvement de notre force vitale dans
ses manifestations les plus extrêmes. Chez certains individus, la DMT
de la glande pinéale sert de médiateur pour ce qui est des expériences
de méditation profonde, de psychose et des vécus au seuil de la mort.
Lorsque nous mourons, la force vitale quitte le corps par la glande pinéale,
émettant un autre flux de cette molécule psychédélique de l'esprit287 •
Les pratiques de visualisation dynamiques dans l'œil du mental
peuvent aussi conduire à d'extatiques et sublimes états d'esprit, ajoute le
docteur Rick Strassman. Dans ces conditions, l'expérience se fige comme un
flux immobile au sein d'un canal ou d'une rivière. L'impression recueillie
lors des expériences de Strassman donne le sentiment que ce flux ne bouge
pas du tout alors que les ondes se précipitent de tous côtés.

«Le roi souhaite traverser[ ... le] Canal Sinueux, vers le côté oriental
285 Frank Waters, Le livre du Hopi, Paris, Éditions Payot, 1978, p. 21-22 + 27.
286 Rick Strassman, DMT, La molécule de l'esprit, Paris, Éditions Exergue, 2005, p. 84.
287 Ibid., p. 92-93.
LA PASSION ET LA RÉSURRECTION D'HORUS, FILS DE DIEU 183

du Ciel! Le roi parlera contre Seth au sujet de l'Œil d'Horus ...


Passeur du Canal Sinueux, dis le nom du roi au Soleil (Râ) et
annonce le roi au Soleil, car le roi va vers ce palais éloigné des
Maîtres des Esprits ou le Soleil est adoré ... Le roi recherche l'Œil
d'Horus devenu dangereux.»
Textes de la Pyramide de Teti, 359:596a-596c / 597b-598b / 600c

En fait, ce sont les flux impétueux qui produisent la vague. Et ces


vagues créent une ondulation, un son unique. Ces phénomènes de vagues,
par leur production d'une note ou d'un son particulier associé à leur
fréquence, établissent des champs d'influence diffus et à longue portée.
Les objets se trouvant dans ces champs vibrent en sympathie sur la même
fréquence. Ce phénomène se nomme résonance288 • Une fois encore, ce
concept n'est pas étranger aux textes funéraires égyptiens :

«Roi, prends donc l'Œil d'Horus qu'il a brûlé, Roi, prends donc
l'Œil d'Horus, ne le fais pas onduler!»
Textes de la Pyramide d'Unas, 119:76a-120:76c

40. et 41. La structure du cerveau, proche de la glande pinéale, rappelle l'Œil d'Horus, Udjat,
présent dans l'imagerie de l'Égypte ancienne.

Pour activer le 3• œil, il faut élever la fréquence et se hisser dans


une conscience plus élevée. La glande pinéale est l' œil relié à l'esprit, celui
qui voit tout, sait tout et qui, une fois activé, illumine le corps tout entier.
La glande pinéale est un puissant récepteur. Pour sa thèse de doctorat de
l'université de Sâo Paulo, le Dr Sergio Felipe de Oliveira a passé la glande
pinéale aux rayons X. Cette étude démontre que cette glande est formée de
cristaux d'apatite. Ces cristaux lui donnent une structure semblable à celle
d'une caisse de résonance. Les cristaux vibreraient en fonction des ondes
,.. Ibid., p. 99.
184 CORPUSDEAE

électromagnétiques captées. Or, les scientifiques savent que lorsque deux


cristaux de même nature sont mis côte à côte et que l'on dirige des ondes
vers l'un d'entre eux, ils entrent automatiquement en résonance289.
Cet effet de résonnance me fait penser à l'interaction pouvant
s'opérer entre le cerveau d'Horus et son arme Uatch, «le Sceptre d'Isis»
qui exprime également une «pierre verte» (celle de Lucifer!), comme
signalé plus haut. Dans ma version intégrale revue et complétée du Secret
des Étoiles Sombres, j'explique que cet objet, également dénommé Ugur en
sumérien, se traduit par U-GUR, «la mesure de capacité de la foudre».
Horus et certains «dieux» de nos mythologies pouvaient donc utiliser des
fonctions propres aux amphibiens et reptiles, comme celle aussi de voir la
nuit (vision thermique avec détection des infrarouges).
Dans Le Testament de la Vierge, je commente le fractionnement de
l'Œil horien Udjat tel qu'il est développé dans les textes égyptiens. On
remarquera que le tronc cérébral représente Deshret, la Couronne Rouge
d'Égypte à l'envers; Deshret symbolise également le siège de la royauté à
reconquérir. Le siège en question se retrouve dans le hiéroglyphe d' Aset
(Isis) et celui d' Asar (Osiris), lesquels figurent tous deux un siège royal.
Par ailleurs, le nom Asar se traduit par «Siège de l'Œil ». C'est bien le siège
royal de ses parents et les pouvoirs de son père qu'Horus doit recouvrer ...
Sil' on observe de plus près la coupe d'un cerveau humain et l'Œil d'Horus,
on notera qu'à la base même de ce trône royal (tronc cérébral) se trouve la
glande pinéale.

«Ah, ledit roi, équipe-toi de l'Œil d'Horus, la Couronne Rouge


grande de puissance et riche d'existences! Qu'il te protège, ledit
roi, comme il protège Horus! Qu'il place ta puissance, ledit roi, à
la Double Ennéade, comme le double serpent femelle Utet qui se
trouve à ton front! »
Textes de la Pyramide de Merenrâ, 468:901a-902b

Des recherches ont pu établir que la glande pinéale pouvait


recevoir comme une antenne capable d'intercepter les radiations
électromagnétiques de la Lune et celles en provenance du Soleil, et même
d'éveiller la production de certaines substances neuro-transmettrices qui
stimulent l'activité physique et mentale290 • Notre tête est hermétiquement
imperméable à la lumière, seule l'éclairage capté au travers de la rétine
des yeux peut atteindre la glande pinéale. Étrangement, les concepts de
captation des énergies solaire et lunaire, et celui de la puissance d'Horus,
sont liés aux deux yeux horiens arrachés par Seth! En effet, nombre
d'allusions sont faites dans les textes funéraires entre les Yeux d'Horus et
les deux principaux luminaires de notre Ciel. Encore un hasard? L'idée de

289 Cf. Lourenço Eduardo Augusto, Pinea/, a glândula da vida espiritual, Sâo Paulo, Pelo Espfrito

Benedito, Editora Conhecimento, 2010.


290 Ibid.
LA PASSION ET LA RÉSURRECTION D'HORUS, FILS DE DIEU 185

leurs radiations électromagnétiques se retrouve dans l'Œil gauche d'Horus


représentant la Lune et l'Œil droit, le Soleil:

«Prends les deux Yeux d'Horus : le noir (la Lune) et le blanc (le
soleil)! Porte-les donc à ta face afin qu'ils illuminent ton visage!»
Textes de la Pyramide d'Unas, 43:33a

Nous venons de l'illustrer avec plusieurs exemples en provenance


des plus anciens textes funéraires, ceux des pyramides de Saqqarah :
les Egyptiens et leurs dieux semblaient parfaitement connaître les
fonctionnements du cerveau humain et de la glande pinéale.Il est
incontestable que des éléments relatifs à l'activité pinéale et des découvertes
modernes sur le fonctionnement du cerveau se retrouvent dans des
formules funéraires égyptiennes. Les Anciens savaient parfaitement de
quoi ils parlaient. Comment expliquer autrement cette singularité?
Avant d'étudier la Passion d'Horus, nous allons commenter le
personnage de Nephtys, véritable Porteuse du Graal archaïque.

4. Le remplacement dissimulé de la Bien-Aimée Reine du Trône


par la Bien-Aimée de la Tour

Nous nous trouvons dans un jeu d'échecs à l'échelle divine où la


Tour représente la pièce la plus forte après la Dame. L'épisode de la tête de
vache placée sur les épaules d'Isis est une astucieuse mise en scène pour
dissimuler la mort d'Isis. Comme nous l'avons constaté dans la version
sumérienne, Isis n'aurait pas ressuscité.
Le papyrus Sallier N va plus loin dans la symbolique, il prétend
que la tête d'Isis aurait été remplacée par celle de la vache Hathor. La
supercherie semble évidente; deux déesses incarnent Hathor en Égypte :
Isis et Nephtys (la Dame de la Tour}, sa présumée jumelle! Par un habile
tour de passe-passe, la déesse abattue se retrouva supplantée par sa
sœur, laquelle récupéra son trône, son identité et son autorité! Désormais
l'histoire égyptienne prend un tout autre sens; la Reine du Trône, à la fois
mère et épouse d'Horus, se voit remplacée par la maîtresse et nourrice
d'Horus, la fameuse déesse avec une tour sur la tête surmontée d'une
coupe:
186 CORPUSDEAE

42. Nephtys, à la fois


maîtresse d'Osiris-Horus
et sœur jumelle d'Isis,
récupéra les fonctions
royales de la Reine du
Trône à la mort de cette
dernière.
Nephtys porte sur sa
tête les hiéroglyphes du
temple et du maître, Je
tout formant une sorte
de tour. Nous verrons
plus Join d'autres
aspects de son couvre-
chef.

Une formule des Textes des Pyramides évoque de façon détournée


la mort d'Isis et le fait que Nephtys se substitue à elle :

«Si vient vraiment Thot avec cette venue mauvaise qui est sienne,
veuille ne pas lui ouvrir tes deux bras! Que ne lui soit pas dit son nom
de 'Sans mère.' ... Si vient vraiment Isis avec cette venue mauvaise
qui est sienne, veuille ne pas lui ouvrir tes deux bras! Que ne lui soit
pas dit son nom de 'Celle qui est en décomposition avancée.' ... Si
vient vraiment Nephtys avec cette venue mauvaise qui est sienne,
que ne lui soit pas dit ce nom qui est sien de 'Celle qui remplace celle
qui n'a pas de vagin'. «
Textes de la Pyramide de Pepy 1°', extrait du chapitre 534:1271a-1273b

Isis représentait la Mère Divine des dieux, et particulièrement la


reproductrice du clan osirien. Le passage évoquant Thot comme orphelin
exprime de façon sibylline le décès de ladite mère. La «décomposition
avancée d'Isis» témoigne également du décès de la déesse. Quant à
LA PASSION ET LA RÉSURRECTION D'HORUS, FILS DE DIEU 187

Nephtys, son surnom de «Celle qui remplace celle qui n'a pas de vagin»
ne laisse aucun doute possible : Nephtys se substitua bien à la «vierge»
Isis.
Un autre passage des Textes des Pyramides exprime le remplacement
d'Isis par la concubine royale sous la figure de la déesse vache Bat, forme
protectrice d'Hathor. Bat possède deux visages, nous disent les textes, c'est
simplement pour indiquer les visages d'Isis et Nephtys. À l'image de sa
sœur jumelle Isis, Nephtys offre pouvoir, récompense et respect au roi,
représentation royale de l'Étoile du Matin :

«C'est le roi que la récompense ! C'est le roi que le respect! C'est le


roi que Bat, dont les deux visages sont devenus semblables( ... le)
descendant dudit roi est l'Étoile du Matin.»
Textes de la Pyramide de Pepy ter, 506:1096a-1096b + 507:1104b

43. La déesse vache


Bat, forme royale et
protectrice d'Hathor
(Isis et Nephtys) se
retrouve en haut de
la palette de N armer
trouvée à Nekhen,
l'ancienne capitale
prédynastique de
Haute-Égypte, dédiée
au faucon Horus.
Verso de la palette de
Narmer
188 CORPUSDEAE

La Palette de Narmer (vers 3100 av. J.-C.) commémore la victoire de


la Haute-Égypte sur le Delta du Nil, au commencement même de l'histoire
officielle de l'Égypte antique. La déesse Bat, forme protectrice d'Hathor
(Isis-Hathor), siège en haut de la scène avec son double visage; elle préside
à l'unification des deux Terres égyptiennes et à la naissance de la Nation.
Dès lors, la déesse Bat représentera un symbole royal de protection divine
que les rois, grands prêtres et proches de la royauté porteront.
Une formule des Textes des Sarcophages semble garantir la mise
à l'écart d'Isis au profit de Bat. Isis paraît enfermée dans un lieu confiné,
allégorie pour exprimer sa propre tombe :

« ô Bat, mon nom est 'Isis dans le lieu clos'; je suis en mon nom et
mon nom est divin; je ne vais pas l'oublier, c'est le mien.»
Textes des Sarcophages, M23C, 411:a-d

La situation parfois tendue entre Isis et Nephtys ainsi que la


profonde colère enfouie en Horus peuvent encore s'expliquer d'une autre
façon. Isis considérait Horus comme la réincarnation d'Osiris. L'ayant
«réveillé» comme son époux revenu des morts, il était hors de question
qu'elle passe trop de temps avec lui durant ses seize premières années. Elle
souhaitait être en présence d'un adulte et non d'un enfant. Elle concéda
ainsi à Nephtys le rôle de seconde mère. Naturellement, Nephtys accorda
son sein à Horus comme pour son propre enfant; elle s'occupa ainsi de son
éducation et lui fournit sans doute des cours de magie.
Malheureusement pour Isis, avant de se rallier aux troupes
osiriennes, Nephtys appartenait au clan séthien; certaines versions en
font même l'ancienne compagne de Seth. Nephtys appartenait plutôt à la
famille de Seth, et portait ainsi l'énergie séthienne, c'est ce qu'exprime cette
filiation. Une autre formule funéraire exprime parfaitement la situation :

«Isis [a mis Horus] au mortde. Nephtys l'a élevé. La nourrice


d'Horus l'a bercé, et lui a transmis la puissance de Seth en plus de
sa propre puissance.»
Textes des Sarcophages, B3Bo, 16:a-e

En qualité de divine concubine d'Osiris, Nephtys portait aussi


l'énergie royale, ceci faisait d'elle un être «complet» capable d'octroyer le
bien comme le mal. Des formules la placent parfois du «côté gauche» où
se trouve Seth, mais aussi au côté gauche d'Horus lorsqu'il chuta:

« Nephtys et Khenti-Enirty («celui qui n'a pas d' œil sur son front»
=Horus après sa faute), sont aux côtés du roi, (le côté) gauche où
se trouve Seth. Si le roi a reconnu son trône et si son aviron s'est
souvenu de lui, c'est que le roi a trouvé son trône inoccupé».
Textes de la Pyramide de Teti, 359:601e-602b
LA PASSION ET LA RÉSURRECTION D'HORUS, FILS DE DIEU 189

Le véritable nom égyptien de Nephtys se prononce Nebet-Hut,


littéralement la« Maîtresse du Temple». Le Temple, nous dit l'égyptologue
René Lachaud, «n'est pas destiné à la prière, encore moins aux profanes,
mais à la captation de l'essence divine en pérégrination dans l'Univers. Il
définit dans l'espace l'invisible mystère divin et les rites lui confèrent une
identité dans le temps. Les prêtres qui œuvrent dans le temple ne sont pas
de simples officiants, mais de savants théologiens, des chasseurs mystiques,
des piégeurs de quintessence, les héritiers de l'expérience spirituelle de
l'humanité. Ils travaillent sur les plans de conscience habituellement
assoupis et en direction des univers parallèles291 • »
Faire de Nephtys la Maîtresse du Temple, revient à lui attribuer
le rôle fondateur du creuset où se mélangent les énergies du Haut et du
Bas, où l'alchimie s'opère dans sa matrice, à l'ombre des colonnes pour
atteindre la Lumière divine.
Le réceptacle sur la tête de Nephtys, Neb = en égyptien, exprime
à la fois les mots «coupe» et «panier». Beaucoup préfèrent voir un panier
ou une corbeille sur la tête de Nephtys, mais la justesse étymologique
voudrait qu'on y voie égal~ment une coupe292 • Ce contenant employé aussi
pour nommer les dieux, seigneurs, déesses, maîtres, maîtresses, etc., permet
de recevoir naturellement la Lumière. La fameuse coupe ou corbeille se
retrouve dans le terme Nebu («or» ou «collier»), laissant ainsi entendre
que le réceptacle Neb incarnerait de même l'idée d'un objet employé pour
filtrer ou fabriquer de l'or. Le concept de contenant s'applique encore à la
notion du «tout», à une source de richesses inépuisables telle une coupe
d'abondance transformée en corne d'abondance dans la mythologie
grecque qui, on le sait, emprunta considérablement à l'Égypte ...

*
* *

Ce fait a été mentionné plus haut, Nephtys et Horus devinrent


fatalement amants. Sans doute l'étaient-ils avant la mort d'Isis. Dans
la littérature biblique, et particulièrement extrabiblique, la maîtresse
du Messie Jésus se prénomme Miriam de Migdal en hébreu, traduit par
«Marie-Madeleine». Le mot hébreu Migdal veut dire «tour», «étage» ou
«lit surélevé». Ceci nous renvoie au lit surélevé d'Ultar, la couche royale
qu'elle partagera avec Bel-Marduk à l'issue de sa Passion et Résurrection.
Nous verrons cela plus loin.
Miriam de Migdal (Marie-Madeleine) est donc très clairement
«Marie de la Tour». D'autant que le terme «tour» se dit Miktal en égyptien;
son hiéroglyphe est le suivant :

291 René Lachaud, L'Égypte ésotérique des pharaons, Tome 1, Paris, Éditions Trajectoire, 2008,
p.252.
292 Neb: «coupe» et corbeille», cf. Wallis Budge, An Egyptian Hieroglyphic Dictionary, op. cit.,

p. 366 +P. 181, M. 282, A.Z. 1906, 118.


190 CORPUSDEAE

Miktal, «tour»

Cette découverte nous laisse à penser que, dans un lointain..g_assé,


la déesse Nephtys a très bien pu porter l'épithète Meri-Miktal =QQ~
~;;:.'.:ôQ7D «Marie de la Tour» (Marie-Madeleine) dont la traduction
hiéroglyphique stricte est« la Bien-Aimée de la Tour». L'attribut de la tour
présent sur sa tête en tant que signe distinctif n'est donc pas fortuit.
En symbolisme, la tour figure un élément ascensionnel permettant
de conquérir les cieux. En hermétisme, elle traduit également une énergie
solaire régénératrice et un canal par lequel les ondes célestes descendent
sur Terre. La tour symbolise aussi l'orgueil ainsi qu'un symbole phallique
de puissance. D'autres y voient une forme de protection, de résistance et
de vigilance.
Dans le Tarot, la tour se nomme «La Maison-Dieu». Est-ce la
demeure de Dieu ou celle du dieu? Intéressant de rappeler le nom égyptien
d'Hathor, Hut-Heru, dont le hiéroglyphe ~ évoque le signe de la demeure
protégeant le dieu Horus. De plus, sa phonétique nous rappelle le mot
utérus.

«C'est la nourrice (royale) vraiment qui a mis au monde le roi. »


Textes de la Pyramide d' Aba, 211:13ld-131e

Toujours dans le Tarot, la tour exprime une perturbation importante


ou encore un conflit, le tout provoqué par des événements imprévus et
bouleversants. L'ancien doit être détruit pour laisser le renouveau prendre
sa place! Ce renouveau découle souvent de quelque chose de catastrophique
qu'il faut transcender pour se transformer dans la Lumière :

«Je suis ce premier fils du Soleil. Je suis l'enfant aimé de sa mère. Je


suis le fils de Nephtys, car je me suis rendu important et je me suis
rendu splendide.»
Textes des Sarcophages, CT4, GlT, 334:a-c

La tour représente la lame la plus terrible du jeu où tout peut arriver:


la chute, des souffrances, la destruction, la mort ou bien la transformation
avantageuse, le renouvellement et la prise de conscience salutaire. Comme
les Porteuses du Graal des contes initiatiques du Moyen Âge, Nephtys,
LA PASSION ET LA RÉSURRECTION D'HORUS, FILS DE DIEU 191

en qualité d'Hathor et remplaçante d'Isis, possède la fonction royale de


faire (re)naître le roi et de le relever ... C'est maintenant ce que nous allons
découvrir.

5. Anti Kirist : l'Antéchrist égyptien

Le département des Antiquités égyptiennes du Musée du Louvre


acquit, au début des années 1940, le papyrus Jumilhac datant de la fin de
l'époque ptolémaïque. Ce document de neuf mètres de long comprend 23
feuilles couvertes d'un long texte hiéroglyphique et ornées de nombreuses
vignettes dessinées au trait. Le texte apporte des renseignements originaux
d'un très grand intérêt. Ce papyrus dont on ignore malheureusement
l'histoire exacte fut rédigé dans le 18• nome de Haute-Égypte, région
symbolisée par un faucon avec les ailes déployées293 •
Ce papyrus avait déjà été proposé aux Musées nationaux qui
l'avaient refusé en raison de son imagerie ressemblant à un Livre des
Morts, un genre de document funéraire assez banal, caractérisé par
son abondante imagerie ésotérique. Sauf que le papyrus tombera cette
fois entre les mains de Jacques Vandier, conservateur expérimenté en
déchiffrement d'hiéroglyphes. Jacques Vandier se plonge dans sa lecture
et découvre avec fascination un recueil de mythes et de légendes tendant
à expliquer l'origine de noms de lieux et de centres religieux... Nous
savons assez peu de choses sur la mythologie égyptienne. Les textes se
limitent souvent à des allusions plus ou moins compréhensibles bien
souvent disponibles dans les textes funéraires. Ainsi, faute d'exposé plus
précis, Plutarque resta longtemps notre meilleure source pour les légendes
osiriennes et horiennes. Or le nouveau manuscrit contient de nombreux
récits détaillés se rapportant à toute l'Égypte. On découvre ainsi qu'il
existait une littérature sacerdotale en rapport avec les plus grands mythes.
Unique spécimen d'un genre dont tous les autres témoins ont disparu, le
papyrus Jumilhac constitue un document remarquable 294 •

Fait étrange, à chaque fois qu'une courte allusion est faite au sujet
de la décollation d'Isis, et plus précisément de la Passion de son meurtrier,
le papyrus Jumilhac change volontairement le nom d'Horus en Anti et
celui d'Isis-Hathor en Hesat. Je le rappelle, il était hors de question pour
les lettrés égyptiens d'évoquer clairement les souffrances des dieux, car un
dieu n'est pas assujetti à la douleur et encore moins au trépas!

293 Jacques Vandier, Le papyrus Jumilhac, in Comptes rendus des séances de l'Académie des
Inscriptions et Belles-Lettres, 89< année, n° 2, 1945. Jacques Vandier ne publiera la traduction et
ses commentaires du papyrus qu'en fin 1961.
294 Georges Posener, «Notice sur la Vie et les Travaux de Jacques Vandier, Membre de

l'Académie», in Comptes rendus des séances de l'Académie des Inscriptions et Belles-Lettres, 119<
année, N° 1, 1975. p. 34.
192 CORPUSDEAE

Hesat figure une vache nourricière, à la fois mère de la nébride295


et double d'Hathor. Il s'agit d'une nouvelle forme de substitution afin de
ne pas mentionner la tragique disparition d'Isis. Jean Hani, philosophe
spécialisé dans la culture grecque et créateur du Centre de Recherches sur
l' Antiquité classique, se pencha sur cette question de substitution dans
plusieurs études en rapport avec la pensée de Plutarque. Il note dans le
n° 76 de la Revue des Études Grecques qu' «à la fin de l'épisode, après le
démembrement du dieu faucon, le héros change d'identité: il n'est plus
question d' Anti, mais bien d'Horus, qui d'ailleurs recouvre ses chairs et
réapparaît comme un jeune enfant. Ce syncrétisme, comme le note lui-
même Jacques Vandier (traducteur du papyrus Jumilhac), n'a rien qui doive
surprendre à l'époque ptolémaïque et, en tous cas, il est très révélateur de
l'attitude du clergé égyptien en face du mythe, en quelque sorte 'tabou',
du Démembrement d'Horus. Anti a visiblement été substitué à Horus afin
de 'décharger' ce dernier296. »

Dans les textes funéraires égyptiens, Anti représente un faucon


investi dans la surveillance de la barque funéraire. On le retrouve par
exemple sous la forme d'un faucon perché ou simplement dans une
barque funéraire en forme de croissant. Il est à la fois le passeur des âmes,
le batelier et un agent mortuaire souvent représenté au-dessus d'un objet
ou d'une scène funéraire. Son nom rappelle le sumérien AN-TI, «support
élevé», ou AN-TA, «au-dessus».

Anti

Le terme égyptien Anti évoque aussi la myrrhe servant à la


momification, mais là n'est pas son véritable nom. Etymologiquement,
Anti exprime plutôt «une griffe», raison pour laquelle le nom de ce dieu
se traduit généralement par «le griffu». Ses griffes dangereuses et acérées
faisaient de lui un adversaire redoutable dont il ne fallait pas s'approcher.
Anti, le faucon souvent confondu avec Horus, formait ainsi le parfait bouc
émissaire ou souffre-douleur ombrageux sur qui l'on pouvait reporter le
crime!
Son nom rappelle le terme latin Ante («auparavant», «devant»)
qui marque l'antériorité d'une personne ou d'une action, mot provenant

295 Pour la nébride, voir explication un peu plus loin, dans le chapitre sur le démembrement

et la résurrection d'Horus.
296 Jean Hani, «Plutarque et le mythe du 'démembrement d'Horus'», in Revue des Études

Grecques, tome 76, fascicule 359-360, janvier-juin 1963. p. 116.


LA PASSION ET LA RÉSURRECTION D'HORUS, FILS DE DIEU 193

du grec Anti («au lieu de», «contre»). Ce dernier terme forme plutôt un
«contraire» ou un «opposé», on le retrouve d'ailleurs dans le sanskrit
avec un sens similaire. Intéressant de constater que le dieu Anti («au lieu
de») peut également se substituer à quelqu'un; c'est très exactement son
rôle dans l'histoire qui nous occupe!
Si l'on adjoint Anti au terme égyptien Krst («enterrement», «mise
en terre»), déjà mentionné dans plusieurs de mes précédents ouvrages,
nous obtenons le nom du dieu et sa fonction, celle de protéger le mort pour
le mener vers sa destination finale : la tombe.

Anti Kirist («le griffu de l'enterrement»), substitué


au Fils de Dieu lors de la Passion et la Résurrection d'Horus

Ainsi les prêtres égyptiens connaissaient-ils parfaitement cette


histoire de Passion du fils du dieu Osiris, auquel on a substitué un certain
Anti Kirist, passeur del' au-delà, responsable de la mise en terre du défunt,
et de ses potentielles métamorphose et résurrection.
Si les Templiers ont entendu.cette histoire incroyable - et ce fut le cas,
nous le démontrerons en fin d'ouvrage -, ils durent saisir toute la valeur
de cet Antéchrist, de ce Fils de Dieu, mort et ressuscité bien avant Jésus!
On conçoit le bouleversement mental induit par une telle découverte.
Nous pourrions voir ici la raison pour laquelle les Templiers crachaient
sur l'image du Christ en croix, fait maintes fois reproché et rapporté lors de
leur procès. Nous verrons en fin d'ouvrage (partie sur le Baphomet) que ce
procédé provient de l'Égypte pharaonique et découle d'un rituel magique
conçu pour soigner Horus.

*
* *

Nous retrouvons cette même idée de substitution concernant le Fils


de Dieu par rapport au supplice vers le tout début du christianisme lorsque
certains chrétiens et gnostiques prétendirent que Jésus n'était pas mort sur
la croix. À cette époque, il n'existait pas quatre évangiles, mais plusieurs
dizaines, sans doute entre 50 et 80, dont certains ne nous sont parvenus
qu'en fragments. À défaut de se mettre d'accord sur l'un d'entre eux, la
tradition en choisit quatre malgré leurs différences, et même contradictions,
bien souvent minimisées par l'Église. Les quelques documents rescapés se
transformèrent en évangiles apocryphes et intertestamentaires.
Dans l'Évangile apocryphe de Barnabé, c'est Juda que l'on crucifie
194 CORPUSDEAE

à la place de Jésus ... Très rapidement, plusieurs courants gnostiques


commencèrent à diffuser cette information dont on trouvera des traces
chez le gnostique paléochrétien Basilide (Alexandrie) et que l'on repère
aussi dans le Coran. En effet, les musulmans prétendent strictement la
même chose dans la sourate 4 :

«[Les gens des Écritures dirent :] 'Nous avons tué le Messie, Jésus,
fils de Marie, prophète de Dieu', alors qu'ils ne l'ont point tué et
qu'ils ne l'ont point crucifié, mais ont été seulement victimes d'une
illusion, car même ceux qui se sont livrés ensuite à des controverses
à son sujet sont encore réduits, faute de preuve, à de simples
conjectures. En réalité, ils ne l'ont pas tué297• »
Le Coran, sourate 4, verset 157

Concernant la crucifixion, nous dit Guillaume Dye (Université Libre


de Bruxelles), toute la distinction« se situe entre ce que croient les Juifs à
ce sujet et ce qui s'est réellement passé. Toute la question est de faire la
différence entre la perception visuelle que les témoins de la crucifixion ont
eue et ce qui s'est réellement déroulé. Ou entre l'interprétation de ce que
les Juifs font de cet épisode et ce quis' est réellement passé. Sil' on suppose
que la différence se fait entre la perception visuelle que les gens ont de
la scène et ce qui est réellement survenu, alors forcément, on a le choix
entre la théorie du sosie ou la théorie du simulacre! 'Cela leur est apparu
ainsi' ... D'après une tradition musulmane, rapportée par le chrétien Jean
de Damas (676-749), secrétaire du pouvoir omeyyade en Syrie, ce serait
l'ombre de Jésus qui aurait été crucifiée298 • »

6. Le Démembrement d'Horus et sa Résurrection grâce à la


Porteuse du Graal

L'histoire de la Passion et de la Résurrection d'Horus ne se limite


pas à un hermétique récit mentionné dans quelques rares papyrus : elle
se trouvait déjà au tout début de l'épopée royale égyptienne gravée sur
les murs des pyramides de Saqqarah. Seuls les prêtres initiés savaient
interpréter ces obscures formules destinées aux rois défunts, véritables
images d'Horus ressuscité d'entre les morts :

«Monte donc vers l'Œil de Râ, jusqu'à ce nom qui est tien qu'ont
créé les dieux pour Horus de la Duat, pour Horus qu'ils ont détruit,
pour Horus qu'ils ont abattu, pour Horus qu'ils ont redressé!»
Textes de la Pyramide de Pepy ter, 612:1734a-1734c

297Le Noble Coran, Lyon, Éditions Tawhid, 2004, p. 103.


298Guillaume Dye (Université Libre de Bruxelles) in« Jésus et l'islam», de Gérard Mordillat et
Jérôme Prieur, reportage diffusé sur Arte Éditions, 2015.
LA PASSION ET LA RÉSURRECTION D'HORUS, FILS DE DIEU 195

À la suite du meurtre de sa mère, Horus se voit condamné par


les dieux. Le papyrus Chester Beatty indique la sentence à la ligne 1 de
son chapitre 10 : «Vite, infligeons-lui un châtiment sévère!» L'histoire se
poursuit avec la recherche d'Horus et sa découverte par Nephtys. Celle-ci
retrouve le héros totalement aveuglé par la puissance de Seth - par cette
force séthienne de destruction dont l'effet néfaste fit basculer (chuter!)
Horus dans une animalité sans précédent. Nous l'avons détaillé, Nephtys
soigna Horus, mais étrangement, l'épisode s'arrête net dans le papyrus
Chester Beatty, sans aucune autre explication ...
Plutarque, initié par des prêtres égyptiens, nous rapporte quelques
allusions à la Passion d'Horus dans deux de ses œuvres :

«Quand, pour venger son père, Horus eut tué sa mère, un des plus
anciens dieux jugea qu'il fallait lui laisser son sang et sa moelle,
mais lui enlever la graisse et les chairs, parce que celles-ci s'étaient
formées dans le sein de sa mère, tandis que ceux-là venaient de son
père par la génération. »
Plutarque, De libidine et aegritudine, 6

«C'est ce que dans leur mythologie les Égyptiens nous font entendre
sous forme d'énigme, lorsqu'ils disent qu'après la condamnation
d'Horus, son esprit et son sang furent donnés à son père, sa chair et
sa graisse à sa mère. »
Plutarque, De animae procreatione in Timaeo, 27

Tout cela restait assez énigmatique ... Heureusement, l'épisode des


Passion et Résurrection d' Anti /Horus se trouve très clairement relaté dans
les chapitres 12 et 13 du papyrus Jumilhac dont le contenu semble faire
suite au papyrus Chester Beatty. Le document traduit par Jacques Vandier
reste le plus complet connu à ce jour, bien qu'il soit volontairement
hermétique. Le début de cet extrait démarre en désignant «quelqu'un»
dont nous savons qu'il s'agit d' Anti J> comme signalé dans le même texte
quelques lignes auparavant. Voici le passage en question :

«Quelqu'un (Anti) en vint à commettre, dans le nome


d' Aphroditopolis299, ce crime, qui eut lieu dans le temple d'Hathor,
dame de Mefkat (turquoise). Râ et }'Ennéade, après l'avoir appris,
en éprouvèrent au plus haut point de la colère et de l'indignation.
Et Râ dit à l'Ennéade : 'Quant à ses chairs et à sa peau, sa mère les
a créées avec son lait ; quant à ses os, ils existent grâce à la semence
de son père. Aussi, qu'on éloigne de lui sa peau et ses chairs, ses os
restant en sa possession.' Et on fit la même chose dans le nome de

299 Rappel : Atfieh (Aphroditapolis en grec), dans le 22' nome d'Égypte, au sud de Memphis et

du Caire. Le nom égyptien du domaine est Per-nebet-tep-ihu, «Domaine de la Maîtresse des


Vaches», à savoir Isis-Hathor en personne.
196 CORPUSDEAE

Djuf300. Aussi l'or est-il en horreur dans le nome de Djuf, car l'or ce
sont ses chairs et l'argent ce sont ses os. (... )Alors [Râ] se dirigea
vers le nome de Dunâuy301, avec les dieux de sa suite, Thot étant
à leur tête, sa peau étant avec lui. Le cœur de Hezat fut heureux à
cause d'elle. Elle fit, de nouveau jaillir son lait pour lui (cf. Anti), afin
de renouveler sa naissance, et elle fit monter le lait au bout de ses
seins, et elle les dirigea vers sa peau en cet endroit en y faisant couler
le lait. Elle fit, en cet endroit, un onguent dans son godet et, grâce à
lui, sa peau et ses chairs furent guéries.( ... ) Quant à cette colonne302
grâce à laquelle elle est élevée, c'est un godet avec son bâtonnet et ils
servent à faire des remèdes pour guérir son corps. Elle fut érigée en
présence d'Osiris, en ce lieu; elle fut établie là, et elle ne s'éloignera
plus de lui, en remplacement de son fils Horus. [Horus] fut là, en
bonne santé, ses chairs s'étant, de nouveau, affermies pour lui, et
sa forme ayant été de nouveau mise au monde. Sa mère, Isis, le
regarda comme un jeune enfant, après avoir renouvelé sa naissance
dans ce nome. Et on célébra, en son honneur, toutes les cérémonies
prescrites dans le Mammisi. Et Uadjet exista sous le nom d'Isis dans
le nome de Dunâuy où elle resta avec son fils Horus; on célébra en
son honneur toutes les cérémonies prescrites dans le Mammisi, le
premier jour du deuxième mois d'hiver, jusqu'à ce jour.»
Papyrus Jumilhac, 12:23-26/13:1-10

Nous ne reviendrons pas sur l'interchangeabilité des personnages


Anti/Horus et Hezat/Hathor. À première vue, le genre de châtiment
adopté pour punir Horus ne semble pas très compréhensible. Les
Égyptiens pensaient que les os formaient des sortes de réservoirs où se
créait la semence, idée exprimée sur les murs du temple d'Hibis (Oasis
de Khargeh), à Edfu, Philae, Dendérah et Esna. Ce concept est semblable
chez les philosophes ou médecins grecs de l' Antiquité comme Hippon
de Samos, Hippocrate ou encore Alcméon de Crotone303. Concrètement,
l'idée serait que les chairs découleraient de la mère et les os de la semence
paternelle. Cette notion proviendrait d'Afrique au travers de peuples
comme les Vendas, les Héréros, les Congolais et les Achantis - pensée
tirant son origine des pasteurs africains de la Préhistoire. Elle s'appuie
donc sur la notion physiologique que l'enfant reçoit sa chair et son sang de
sa mère et ses os et organes de son père304•

L'identité même d' Anti/Horus est placée dans une nébride. En


300 Nome principal d' Anti.
301 Faucon «qui étend les deux bras», cette désignation évoque Horus/ Anti. Voir explications
plus haut.
302 Jacques Vandier traduit par «support», mais Jean Yoyotte propose plutôt «colonne»,

terme que valide Vandier en page 182 (note 381) de son étude sur le papyrus Jumilhac.
303 Serge Sauneron, ((Le germe dans les OS», BIFAO, n° 60, 1960, p. 20 et 25.

304 Jean Yoyotte, «Les os et la semence masculine», BIFAO, n° 61, 1961, p. 146.
LA PASSION ET LA RÉSURRECTION D'HORUS, FILS DE DIEU 197

Égypte ancienne, les nébrides sont des outres faites d'une dépouille
animale servant à envelopper les membres dispersés d'un mort avant son
embaumement; Osiris fut le premier à avoir connu cette pratique. Les
nébrides des représentations picturales se trouvent près du mort lors des
cérémonies des Mystères où survient la restauration du corps du défunt
dans son parfait parachèvement. Horus est mis en stase dans un contenant
destiné à créer un effet d'incubation, où l'individu va connaître une
reconstruction de son être tout en se débarrassant de sa vieille peau.

Hiéroglyphes pour nommer lmy-Ut (la nébride),


litt. «ce qui se trouve dans le lieu d'embaumement»

En Égypte, l'animal le plus courant utilisé pour confectionner une


nébride est une panthère. On se souviendra plus haut que le papyrus
Sallier assimile Horus à une panthère lorsqu'il bondit sur sa mère pour
la tUer. La peau de panthère évoquait une seconde naissance. Elle servait
aussi de vêtement au frère d'Horus, Anubis, le dieu des morts.
En termes plus clairs, et c'est suggéré dans le texte (13:7), l'objectif
de la mort rituelle est d'aider Horus à recouvrer sa véritable nature, celle
d'Osiris! La seule personne à même de réaliser le prodige est, une fois
encore, Nephtys qui endosse l'identité d'Isis-Hathor (ou la déesse Hezat
au début du passage). Ce rôle clé imputé à Nephtys, déesse d' Amour et de
Sagesse, se retrouve encore dans les Textes des Pyramides :

«Si Nephtys a regroupé pour toi tes membres en ce nom qui est sien
de Seshat (déesse de la Sagesse), 'Maîtresse des constructeurs', c'est
qu'elle leur a rendu la santé pour toi305 ! C'est qu'elle les a transportés
au Ciel et qu'elle t'a rassemblé en son nom de Cercueil! Si tu es tiré
vers le haut par elle, c'est en son nom de Tombe. »
Textes des Pyramides de Pepy ter et de Teti, 364:616a-616f

Par le passé, Isis reconstitua le corps d'Osiris pour donner naissance


à Horus. Ici, semble s'effectuer l'opération inverse: Nephtys part du corps
démembré d' Anti pour reformer le véritable Horus à la nature osirienne. Il
s'agit d'un rituel d'inversion du temps et de l'espace où mourir équivaut
à une renaissance. C'est une véritable opération alchimique, une remontée
des abîmes au cœur de la Création, foyer actif de la Lumière des Origines.
La formule «c'est qu'elle leur a rendu la santé pour toi» ne se trouve que dans la Pyramide
:iœ
de Teti.
198 CORPUSDEAE

En alchimie, le démembrement correspond à la dissolution,


dite étape du Solve avant l'étape de retour, le Coagula. L'étape de stase
correspondant au moment où la matière du Grand Œuvre se trouve à
l'état noir (putréfaction). En alchimie égyptienne, il s'agit de la phase où le
Soleil est descendu au plus bas avant de remonter à la Lumière; cette étape
se nomme Ra'af (Soleil Noir) qui correspond à une des épithètes d'Horus
avant sa renaissance en Phénix.
La présence d'or et d'argent dans le texte, sous forme de «chairs en
argent et d'os en or» (Jumilhac, ligne 1 du chapitre 13), relève également
d'allusions en rapport avec l'alchimie opérative. D'ailleurs, les principes
de chairs (féminin) et d'os (masculin) se confirment en alchimie où l'argent
représente le symbole de la Lune (mercure philosophique) dont le principe
est féminin et volatile. En alchimie, les principes de l'or et de l'argent
sont employés comme ferment dans l'athanor pour obtenir la pierre
philosophale. C'est exactement ce que nous dit le papyrus Jumilhac!
Nous l'avons vu, Nephtys possède la coupe alchimique, la coupe
du Graal, au sommet de sa tête. Le papyrus Jumilhac explique d'autre part
admirablement à quoi servent les signes du Temple (la colonne) et de la
coupe (le godet), les deux formant une tour symbolique ou encore un autel
où brûle le Feu Sacré. Le texte dit :

«Elle fit, en cet endroit, un onguent dans son godet et, grâce à lui, sa
peau et ses chairs furent guéries.( ... ) Quant à cette colonne grâce à
laquelle elle est élevée, c'est un godet avec son bâtonnet et ils servent
à faire des remèdes pour guérir (le) corps. »
Papyrus Jumilhac, 13:5-7

Signe sur la tête de


Nephtys composé
du Temple et de la
coupe. L'ensemble
forme une tour
schématisée ou
encore un autel où
brO.le le Feu Sacré.

Ici s'éclaire ce symbole si l'on observe les événements précités face


à l'hermétisme et l'alchimie opérative. Le processus en question relève de
«l'obtention de l'élixir d'immortalité, dans lequel la tour figure l'athanor
où se réalise la consommation du 'noir corbeau' alchimique et le retour à
la 'terre blanche' ou terre pure306 ••• »Lors d'une discussion, Tau Eléazar me
révéla que dans la franc-maçonnerie opérative et secrète, le symbole de la
306 Gérard de Sorval, Scala Dei, op. cit., p. 63.
LA PASSION ET LA RÉSURRECTION D'HORUS, FILS DE DIEU 199

Tour figure également le lieu où l'initié peut se dissimuler, se protéger de


toute attaque extérieure. C'est là qu'il reprend des forces avant de sortir à
la Lumière.

À ma connaissance, le papyrus Jumilhac est le seul texte égyptien


qui explique très clairement l'utilité de cet objet mystérieux placé sur la tête
de Nephtys. Cette dernière possède le don de soigner les maux! Nephtys
est pleinement responsable de la résurrection d'Horus comme elle fut
précédemment garante de la guérison de sa cécité. Dans les deux épisodes,
elle utilise du lait. Au sujet des yeux, le papyrus Jumilhac dit qu'il s'agit
d'un lait de gazelle, animal christique par excellence, de la famille du cerf
et de la biche.
De nombreuses pièces d'arts du premier millénaire chrétien nous
montrent le cerf et la biche placés de chaque côté de la Fontaine de Vie.
On trouve même ce genre de représentation dans l'Église primitive de
Bir-Ftuha, près de Carthage, sous la forme d'une mosaïque montrant les
deux animaux buvant aux quatre fleuves d'un monticule, dont la source
commune est surmontée d'un grand calice eucharistique rempli de sang307•
Le lait figure l'emblème de }'Eucharistie. Les prêtres de l'époque
de l'Église primitive l'adoptèrent comme matière sacramentelle, célébrant
ainsi les Saints Mystères avec du pain et du lait plus ou moins coagulé. Au
Moyen Âge, le lait ne représentait pas seulement la doctrine chrétienne,
mais aussi le Savoir, dans le sens général du terme.C'est pourquoi certaines
figures féminines de cette époque personnifient les sciences des sept Arts
libéraux du Trivium (la grammaire, la rhétorique et la dialectique) et du
Quadrium (l'arithmétique, la musique, la géométrie et l'astronomie); ces
femmes, donc, portent toutes des mamelles gonflées prêtes à verser leur
Savoir-308 et Sagesse. De nombreuses figures d'lnanna-gtar la présentent
en déesse offrant ses seins nus. Cette découverte nous permet aujourd'hui
d!appréhender cette symbolique qui n'est pas nécessairement sexuelle.

'!IY7 Louis Charbonneau-Lassay, Le bestiaire du Christ, Éditions Albin Michel, 2006, p. 259.
308 Ibid., p. 200-201.
200 CORPUSDEAE

44. Figure d'Inanna-


I!!tar découverte à Suse
et datant d'entre 1300
et 1100 av. J.-C.
Inanna-I!!tar incarne
la fertilité et le
renouveau. Ses seins
gonflés versent son
savoir aux initiés ...

Ce n'est pas tout. La présence du lait dans cette histoire relève une
fois encore du symbolisme de l'alchimie où la matière première arrivée au
stade de rebis (mélange des deux œuvres : état double dit« hermaphrodite»)
au cœur même de l'œuf philosophique (la nébride), se retrouve combinée
à une solution dénommée «lait de vierge» (le mercure philosophique
obtenu avec «la rosée de mai»). Cet ensemble amalgamé se nomme le
«bain du roi» et restera au repos pour obtenir la pierre philosophale. On le
voit, rien n'a été placé au hasard dans le récit du démembrement d'Horus
et de sa résurrection.
L'auteur, Gérard de Sorval, dit à propos de la transmutation du
Feu de !'Esprit que l'épouse ou la fiancée du Cantique des Cantiques tant
appréciée de Saint Bernard, le fameux rédacteur de la règle de l'Ordre
des Templiers, «est la Shekhina d'en bas avec laquelle l'homme doit
s'unir spirituellement pour retrouver l'androgynat primordial du 'couple
LA PASSION ET LA RÉSURRECTION D'HORUS, FILS DE DIEU 201

adamique' : totalité recomposée des deux polarités cosmiques qui seule


permet la réintégration en Binah, le retour à la Mère, la Sophia Divine, qui
réalise la délivrance des formes créées, le passage au-delà des formes dans
le principe générateur éternel de celle-ci309 • »

*
* *

Dans le chapitre 20 de l'Évangile de Saint Jean, c'est Marie-Madeleine


en personne qui découvre la résurrection de Jésus-Christ. La Bible n'a
pas voulu en faire l'instrument de sa renaissance, mais elle demeure la
première à constater les faits et à devoir prévenir les apôtres.
Marie-Madeleine est également la porteuse de l'onction. Beaucoup
voient en elle Marie de Béthanie qui déversa «l'onction précieuse» sur
la tête et les pieds de Jésus (Mt 26:7; Mc 14:3; Jean 12:3) et fit de lui un
«oint», terme égyptien se prononçant Yshu Q=~2 (Jésus!). Une fois
encore, l'histoire biblique se joue de nous avec ses éternels jeux de mots et
glissements sémantiques. Bit-Ani veut dire deux choses bien distinctes en
égyptien:

Bit-Ani, «celle qui crée le prodige et qui apporte.» Bit est


une épithète d'Hathor en qualité de créatrice de prodige

Bit-Ani, «apporter ou porter le vase»

Effectivement, Hathor-Nephtys est la Bien-Aimée qui apporte et


transmet le contenu de sa coupe (ou vase), créant ainsi le prodige de la
fusion mystique avec le divin. Mais cette connaissance du divin et de soi-
même n'est possible qu'après le démembrement rituel ou la dissolution
de l'adepte. Comme le précisent les grands initiés, il s'agit là de «polir
309 Gérard de Sorval, Scala Dei, op. cit., p. 60.
202 CORPUSDEAE

la pierre», de se perfectionner pour «gommer» ses impuretés, ses vices


ou ses préjugés afin d'être «lavé» de tout défaut. Une fois n'est pas
coutume, le langage égyptien nous offre un terme précis pour évoquer le
perfectionnement de sa pierre, digne d'un procédé alchimique:

lAi = D A
= D 111111111111 0 <::> c=__J
Garâal, «la pierre de Lumière qui fait ascensionner3 10 »

Nous pouvons concrètement rappeler les faits suivants. Horus,


détenteur des pouvoirs absolus (définition même du mot Marduk en
sumérien) incarne normalement l'équilibre des forces divines, mais sa
liaison avec sa propre mère rompt l'harmonie du Monde. Pour se faire
pardonner son crime - volontaire ou non -, le héros déchu entamera une
quête mystique de renoncement où il devra affronter le dilemme vie-mort
pour appréhender la notion temporelle du commencement et de la fin.
Le concept égyptien du Graal impose donc au héros de reconquérir l'État
Primordial du Commencement par la destruction de sa personnalité.
La seule personne capable de relever ce roi déchu est la Porteuse
du Graal, la sainte inspiratrice apte à l'illuminer par son Amour. Nephtys
détient la coupe du Baptême de l'Esprit et du Feu, elle seule peut transformer
l'élu et l'élever vers le divin pour lui rapporter la royauté perdue. Elle
est l'Étoile Flamboyante (la planète Vénus qu'elle partage d'ailleurs avec
Horus, comme son double Inanna-Istar), la seule initiatrice apte à éclairer
la voie dans les ténèbres et à transformer le guerrier violent en héros
solaire. Tous les épisodes du Graal racontent cette histoire! Le merveilleux
Jean Markale dit à ce propos : «La Quête du Graal, c'est une lutte sanglante
entre les membres d'une communauté pour s'approprier la Souveraineté,
cette Souveraineté étant la Femme, la reine ou la déesse, image symbolique
de la Mère toute-puissante de qui nous sommes tous les fils 311 • »

Afin de compléter la notion du Graal oriental, que les Templiers


découvrirent à coup sûr, nous allons maintenant reprendre la suite des
cérémonies babyloniennes del' Akitu, au moment où Bel-Marduk doit subir
l'épreuve ultime de la Passion et de la Résurrection ... Nous le verrons, la
fascination des Templiers pour la déesse «païenne» Isis-Hathor créa une
puissante attraction fédératrice d'harmonie et de lien à recouvrer entre le
genre humain et le divin, permettant ainsi au couple éternel de s'unir dans
la flamme de l'Esprit Saint.

310 Ga : » pierre précieuse» + Râ : «Lumière, Soleil» +Al (ou Ar, le 1n'existe pas en égyptien) :
«ascensionner, monter, s'élever».
311 Jean Markale, La femme celte, Paris, Éditions Payot, 1972 (réédition 1992), p. 269-270.
III
La Passion et la Résurrection
de Bel-Marduk, Fils de Dieu

Plusieurs chapitres plus haut, nous avions quitté les festivités de


l' Akitu à la fin du troisième jour, au moment où nous venions d'apprendre
le crime commis par Bel-Marduk accompagné de sa troupe de guerriers:

« [ ... ] Ils tuèrent la fille d' Anu [ ... ] »


BM 134503, ligne, 31

Cette ligne énigmatique orienta notre enquête vers des sentiers


inhabituels grâce à la découverte de la tablette sumérienne G.l.2.b.1725,
laquelle semble restituer la mort d'une fille céleste identifiée comme étant
Isis-Hathor en personne. La version babylonienne de la Passion et la
Résurrection du Fils de Dieu est d'une extrême importance dans le sens où
elle apporte des détails sur la mort initiatique du Christ mésopotamien.
Alors que l'interprétation égyptienne nous explique qu'il s'agit
d'un rituel alchimique, l'épreuve de Bel-Marduk nous confirme bien cette
idée, mais elle va bien plus loin dans les détails au point d'y retrouver
des éléments présents dans le passage du troisième grade de la franc-
maçonnerie ...

1. ~arpanitu, Porteuse du GAR-A-AL et les deux IStar, piliers du


Temple

Quatrième jour : Des cérémonies secrètes débutent vers quatre


heures avant l'aurore dans l'Ésagil de Marduk. Le lever héliaque de la
constellation Ikû (le carré de Pégase) marque le véritable commencement
du cycle de Mort et de Résurrection de Bel-Marduk. Le lever héliaque de
l'étoile Bêta de Pégase coïncidait avec le solstice d'hiver vers 4000 ans
204 CORPUSDEAE

av. J.-C., date à laquelle correspondrait, selon moi, la mort d'Isis. Des
spécialistes comme Van der Toom312 pensent que la constellation devait
s'aligner sur l'Ésagil et que ce temple formait une réplique terrestre de la
constellation.
Effectivement, si l'on observe attentivement le plan du complexe de
la ziggourat de Babylone (Tour de Babel), on obtient une représentation
assez approchante du carré de Pégase et de ses alentours.

45. et 46. Les anciens


Babyloniens voyaient
le quartier sud de
Babylone comme une
représentation de
la constellation IkO.
(Pégase) qui serait née
de la décapitation de
la Déesse-Mère ...

Van der Toom, «The Babylonian New Year Festival: New Insights from Cuneiform Texts
312

and their Bearing on Old Testament Study», in Congress Volume Leuven 1989, edited by J.A.
Emerton, E.J. Brill, 1991.
LA PASSION ET LA RÉSURRECTION DE BEL-MARDUK, FILS DE DIEU 205

Pégase serait né de la rencontre du sang de la tête tranchée de


Méduse et de l'eau de mer. Méduse, dont le nom grec Médô exprime le
fait de «Commander et régner», figurait une ancienne déesse souveraine,
plus simplement la Déesse-Mère par excellence. Méduse et sa décollation
font leur première apparition chez le poète grec Hésiode dans sa théogonie
(8• siècle av. J.-C.). Mais, nous l'avons vu, l'histoire de la décapitation de la
Déesse-Mère date au minimum des textes des Pyramides d>Égypte. Pégase
représente le Soleil mort, le Soleil Noir, en stase avant sa remontée des
abîmes vers la Lumière. En symbolisme et astrologie, le Soleil Noir est le
supplicié, prêt à se sacrifier pour obtenir l'illumination. Tout ce que nous
venons de découvrir dans la version égyptienne se confirme ici.

*
* *

En ce quatrième jour de la fête de l' Akitu, le peuple guette le va-


et-vient des officiants, prélude au commencement de plusieurs prières
importantes. Le grand prêtre UrigallO. lève la main et sollicite les hautes
statues de culte de Bel-Marduk et de sa compagne Sarpanitu. Le grand
prêtre implore Bel-Marduk - le Lucifer babylonien - le dieu d~ la Lumière,
de tenir bon et de ne pas faire tomber Babylone. Voici un extrait réparti sur
deux documents :

«Seigneur, le plus puissant des Veilleurs313, le plus élevé des dieux,


seigneur des régions, roi des dieux, Marduk ... qui tient la royauté,
(qui) possède la souveraineté, Lumière brillante résidant dans
l'ÉuduP14• »
DT 114, 1, lignes 4 à 13

[Toi] qui assembles le Ciel, qui amoncelles la Terre, qui mesures les
eaux de la mer, qui mets (les champs) en culture, (toi) qui habites
l'Éudul, Marduk sublime, qui fixes les Destins de tous les dieux,
qui donnes le sceptre saint du roi qui (te) craint; je suis l'Urigallû de
l'Ékura, qui te bénit. Pour ta ville, Babel, sois indulgent. Prends pitié
de l'Ésagll, ton temple! Seigneur des Grands Dieux, que la Lumière
luise à ta parole, devant tes enfants de Babel.»
DT 109, 1, lignes 2 à 10

En DT 15 et DT 114, les textes qualifient Marduk d'Igigi, terme que


je traduis par« Veilleur». L'origine akkadienne de ce mot est incertaine,
mais sa décomposition en sumérien donne IGI-Gl, «observer et fixer» ou
«regarder fermement» ou encore «regard ferme». L'équivalent d'Igigi

Encore les lgigi dans le texte.


313

t-UD-UL, la demeure de Marduk et sa compagne Sarpanitu, litt. «le temple qui brille
314

comme la lumière du jour».


206 CORPUSDEAE

en sumérien est NUN-GAL que l'on traduit par «Grands Princes». Il


s'agit des Grands Princes Veilleurs descendus sur la Terre que le père de
Marduk, Enki-Éa, avait à sa charge. Ils forment les fameux Veilleurs de la
Bible et textes apocryphes315 • En Égypte, ces types de Veilleurs sont divisés
en plusieurs clans (ou Suivants); principalement celui d'Osiris (Enki-Éa) et
le clan d'Horus (Marduk). Notons simplement ici que Bel-Marduk dirige
les Veilleurs, comme il le fait dans la littérature égyptienne sous le nom
d'Horus. Les Veilleurs égyptiens sont d'ailleurs subdivisés en plusieurs
clans, par exemple en Adinu (éclairés) ou en Urshu (guetteurs).

La cérémonie de l' Akitu se poursuit. Le grand prêtre fait face à la


statue de Sarpanitu, Maîtresse de Babylone. Une fois encore, et c'est une
habitude chez les dieux de nos traditions, cette appellation constitue
un titre et aucunement un nom propre comme beaucoup de chercheurs
l'envisagent. Sarpanitu est la déesse principale de Babylone et elle partage
cette fonction avec Inanna-IStar. Certains assyriologues traduisent ce nom
par «celle de Sarpan », une ville ou un village non localisé. D'autres le
traduisent par «brillante comme de l' argent316 » pour marquer son rapport
régulier avec un astre brillant, titre qu'elle possède encore de façon
commune avec Inanna-IStar. J'y vois plutôt une nette influence sumérienne
avec SAR-PAN-ITU, «qui dirige le croissant de Lune», ou SAR-PAN-ITU,
«qui déploie avec abondance le croissant de Lune», ou encore 5AR 8-PAN-
ITU, «qui révèle le croissant de Lune». La Lune évoque la puissance de
la femme et son cycle mensuel lui permettant de procréer. Pour exemple,
nous pouvons nous référer aux différentes représentations d'Inanna-IStar
où on la voit avec un croissant de Lune gris sur la tête en forme de cornes,
signe distinctif d'Hathor.

315 Voir à ce propos, Le Chaos des Origines, d' Anton Parks (2016, édition complétée en 2020 aux
Éditions Nouvelle Terre).
316 Cf. Sarpu («argent»)+ ittu («marque, caractéristique»): «qui ressemble à l'argent» en

akkadien.
LA PASSION ET LA RÉSURRECTION DE BEL-MARDUK, FILS DE DIEU 207

47. Ultar, symbolise la Lune et


l'argent. Son titre Sarpanitu
évoque l'argent alchimique
qui se manifeste par ses cornes
métalliques. Inanna-Ultar devra
fusionner avec le roi, symbole
de l'or; sa nudité la présente
comme prostituée royale.
En alchimie, les principes
de l'or et de l'argent sont
employés comme ferment dans
l'athanor pour obtenir la pierre
philosophale.
Musée du Louvre, AO 20127

Nous comprenons ainsi toute l'importance du titre divin« Sarpanitu »


attribué à la concubine du roi, véritable hiérodule sacrée, seule capable
d'apporter l'équilibre du Monde en communiquant sa royauté au héros.
Le titre Sarpanitu semblait se partager initialement entre la vierge lnanna-
IStar (Nephtys) - regardée dans de nombreux textes comme Tappattu,
femme rivale et maîtresse317 de Marduk (Horus) - et la femme officielle
de ce dernier, dénommée Belit (la Dame), alias Isis. Les deux entités
féminines font l'objet de jalousies dans les textes du premier millénaire
avant notre ère. !Star porte souvent le nom de Qinîtu («concubine») que
l'on peut rapprocher de Qenû («être jaloux»). On le voit, la rivalité entre
Isis et Nephtys se retrouve aussi dans les textes sur argile où toutes deux
fréquentent simultanément Marduk. En raison de la mort brutale d'Isis,
Voir à ce propos: W.G. Lambert, «The Problem of the Love Lyrics», in H. Goedicke, J.J.M.
317

Roberts, « Unity and Diversity : Essays in the History, literature and Religion of the Ancient
Near East», Baltimore 1975, 98-135; 0.0. Edzard, « Zur Ritualtafel der Sogenannten ». «Love
Lyrics» in F. Rochberg-Halton (ed.), «Language, litterature and History: Pylological and
Historical Studies Present to Erica Reiner» (AOS 67), New Haven CT 1987, 57-69; Leick, « Sex
and Eroticism in Mesopotamian Literature», 239-246.
208 CORPUSDEAE

elles finirent par s'unir pour ne former qu'une seule déesse.


Un hymne à Sarpanitu, à l'usage du roi dans le rituel Bit Rimkî
(«maison de bain»), confirme cet amalgame entre !Star et Sarpanitu. Il
est dit: «Très gra[nde], éminente, la plus haute des déesses, [Reine] des
!Stars, la plus grande des Veilleurs, Sarpanitu, souveraine des dieux, la
plus honorée de [l' Akitu], [Épou]se de Mardukù, le fils violent de Nin5ikû
(Enki-Éa) ... 318 • »

*
* *

La tablette akkadienne VAT 8917 (Ier millénaire av. J.-C.), tirée des
chroniques divines, nous apporte quelques informations importantes sur
les deux déesses complémentaires et parfois rivales. Le ton est donné dès
sa première ligne, Piri§ti ilâni rabûti : «Le Secret des Grands Dieux». Dans
les lignes 19 à 22, nous pouvons lire:

«!Star de Ninive est 'Parole de Vie' 319 ; elle est la nourrice de Bel.
Elle possède [quatre yeux] et quatre oreilles. Ses parties supérieures
forment Bel, et ses parties inférieures forment Ninlfl (la Dame du
Souffle). La Dame d' Arbêla est la mère de Bel.»
VAT 8917, lignes 19 à 22

Dans une autre tablette (K 1290), dédiée au roi Assurbanipal, il est


expliqué comment !Star de Ninive et !Star d' Arbêla vinrent à collaborer
conjointement pour aider le roi lors de son règne. Le texte s'ouvre en
exhortant les auditeurs à glorifier la Dame de Ninive et à magnifier la Dame
d' Arbêla «inégalées parmi les dieux». Les louanges employées dans le
texte utilisent des suffixes pronominaux féminins pluriels. La grammaire,
sous sa forme féminine plurielle, indique clairement qu'il s'agit de deux
déesses distinctes, chacune nommée 1Star320 •
Le nom !Star évoque une étoile dans le Ciel, plus particulièrement
la planète Vénus. Son idéogramme IS se confond avec An (ciel, élevé)
et TAR avec MÙS ou MÛS (apparence, splendeur, diadème), ce dernier
reproduisant le cunéiforme Inanna. «Splendeur du Ciel» ou «diadème
élevé» figurent bien Vénus, !'Étoile du Matin. Par la suite, l'akkadien
incorpora le terme l§taru dans son vocabulaire pour nommer tout type de
déesse. Quant au mot Inanna, nous le retrouvons dans le sumérien INNIN-É
qui se traduit par «déesse du Temple». Faut-il rappeler que Nebet-Hut
318 Marie-Joseph Seux, Hymnes et prières aux dieux de Babylone et d'Assyrie, Éditions du Cerf,
1976, p. 329-330.
319 Ti-amat dans le texte, équivalent à TI-INIM en sumérien:« Parole de Vie», «Commandement
de Vie» et« Serment de Vie». Il s'agit d'un jeu de mots avec le nom de la Déesse Primordiale
liamat, «la Déesse de la Vie».
320 Barbara Nevling Porter, Ishtar of Nineveh and her collaborator, Ishtar of Ar~la, in the Reign of

Assurbanipal, British Institute for the Study of Iraq, 2004, Volume 66, p. 41-44.
LA PASSION ET LA RÉSURRECTION DE BEL-MARDUK, FILS DE DIEU 209

(Nephtys) se traduit par« Maîtresse du Temple»? Que de confirmations ...


Le mot akkadien Arbêla semblerait désigner une ancienne ville
assyrienne, aujourd'hui Erbi dans le Kurdistan irakien. Cependant, ce mot
reste intraduisible dans cette langue. Une fois encore, il faut y voir une
origine sumérienne sous la forme ÂR («glorifier, renom») ou AR («brillant,
éclairer») + BEL/ BIL («feu») + A («pouvoir, puissance»). Nous obtenons
ÂR-BEL-Â, «glorifier la puissance du feu», ou AR-BEL-A,« la puissance du
feu brillant». En Égypte, la déesse Bat, forme protectrice d'Hathor, figure
le Feu Sacré de la demeure et du temple.
La correspondance de l'akkadien Arbêla donne LIMMU-DIGIR,
« Quadrilogie des dieux» en sumérien. Pourquoi quatre? L'association des
deux !Star fournit quatre yeux, quatre oreilles (cf. voir d-dessus: tablette
VAT 8917, lignes 19 et 20), quatre bras et jambes, quatre mains et pieds.
En Égypte, seule la déesse Hathor se distingue des autres divinités en se
divisant en deux déesses : Isis et Nephtys. Toutes deux forment à la fois la
mère et la nourrice d'Horus, donc du roi, comme le sont précisément !Star
de Ninive et liltar d' Arbela en Babylonie.
Les piliers dits « hahoriques », soutenant certains temples égyptiens,
présentent les quatre aspects de la déesse Hathor. Ces quatre visages
pointent les quatre directions (points cardinaux) du domaine d'Hathor -
souveraine des quatre coins du Ciel - c'est-à-dire de l'Univers. Les quatre
coins du Ciel se retrouvent sur les quatre faces du pilier d'Hathor. Ces
quatre faces représentent également les quatre aspects successifs de la
déesse sous forme animale :
1- la lionne, tueuse des ennemis du Soleil
2- la vache, déesse de la renaissance et de l'Amour
3- la chatte protectrice des foyers et nourrice royale
4- le cobra royal, incarnation de la jeunesse et de la beauté, situé sur le
front de la couronne royale des rois égyptiens (le 3e Œil)

48. Pilier d'Hathor.


La déesse Hathor
mélange les différents
aspects que se
partagent Isis et
Nephtys, véritables
piliers de la royauté
égyptienne.
A noter qu'Hathor
émerge d'un nénuphar
bleu (ou lotus), sujet
dont il sera question
un peu plus bas.
210 CORPUSDEAE

Les deux sœurs divines, Isis et Nephtys, n:présentent très


clairement les deux colonnes du Temple Sacré. Dans les textes funéraires,
elles incarnent aussi les deux piliers ou perches célestes, les deux piquets
d'amarrage du Ciel sur lesquels le roi défunt peut se retenir pour ne pas
se perdre dans le néant et ainsi accéder à la Lumière. Isis symbolise Sothis
(Sirius) et Nephtys, Vénus. Toutes deux représentent également les deux
colonnes soulevant le Soleil naissant, ainsi que les deux montagnes qui
accouchent du nouveau Soleil Horus. À ce titre, elles forment deux Arbres
de Vie.
On peut également les voir dans les deux Colonnes d'Hercule
qui ouvrent le passage vers l'Atlantide égyptienne, sujet traité dans une
précédente étude (cf. La Dernière Marche des Dieux). La notion des piliers
du Temple semble importante en franc-maçonnerie, particulièrement avec
les deux colonnes Jakin et Boaz du Temple de Salomon. On les trouve même
dans le jeu du Tarot encadrant la lame n° 2, dénommée« la Papesse». Dans
le jeu réadapté par l'occultiste Arthur Edward Waite (1857-1942), cette
lame, figurant le Savoir, la Spiritualité et la Connaissance, est représentée
par «The High Priestress» (la Grande Prêtresse) avec les cornes d'Hathor
sur la tête. J'ai donc demandé à Tau Eléazar ce qu'il pouvait nous dire du
rôle des deux piliers en franc-maçonnerie.

49. La Papesse, seconde lame


du Tarot de Waite, figure le
Savoir, la Spiritualité et la
Connaissance, sous la forme
d'une Grande Prêtresse
surmontée des cornes
d'Hathor et du Soleil. Les
deux colonnes du Temple
de Salomon encadrent le
personnage.
LA PASSION ET LA RÉSURRECTION DE BEL-MARDUK, FILS DE DIEU 211

A.P.: Dans une précédente enquête sur l'Atlantide et, ici, sur le Temple
de Salomon (ou simplement les sanctuaires égyptiens en général),
deux colonnes encadrent les portes d'entrée du domaine aquatique
et du fameux Temple à Jérusalem. Le symbolisme des deux colonnes
semble très important en franc-maçonnerie, pouvez-vous nous dire
d'où il proviendrait et ce qu'il représente exactement?
T. E. : «Vous parlez certainement des colonnes du Temple : f akin et
Boaz. Encore un point qui divise. La Grande Loge Unie d'Angleterre
et le Rite écossais placent Jakin à droite et Boaz à gauche de l'entrée
du Temple ; tandis que le Rite français inverse leur place, peut-être
dans son souci permanent de se différencier des Anglais !
Un couple de colonnes a toujours marqué l'accès vers un autre
espace. Par exemple les Colonnes d'Hercule définissaient l'espace du
monde réel, physique, des vivants, par rapport à la réalité inconnue
du monde post-mortem, l'au-delà, le Mystère. Les colonnes ont
toujours marqué cette ligne fictive que nous appelons «limite» et
au-delà de laquelle nous devons être capables de faire face à un état
différent de celui d'où nous provenons. Les colonnes contiennent le
sens de l'épreuve.
Les colonnes d'Hercule gardent le passage vers l'inconnu.
Selon la version de Platon, au-delà des colonnes se situait le royaume
perdu d' Atlantide, le situant dans le royaume de l'inconnu, de
'l'autre côté'. Symboliquement, dépasser les colonnes d'Hercule
peut signifier quitter l'impureté du monde matériel pour accéder au
royaume supérieur de l'illumination.
Pour les colonnes maçonniques, il en est de même, mais cela dépend
de quelle obédience vous dépendez. Vous avez peut-être entendu
parler de loges « opératives » et de loges «spéculatives». Les
premières tenues (réunions) se déroulaient au pied des cathédrales,
dans de petits appentis. C'était l'endroit où les tailleurs de pierres,
les ébénistes et autres métiers se réunissaient pour parler des secrets
de construction. Il était en effet malaisé de parler en public de la
pièce de bois qui avait été coupée un soir de pleine lune pendant
la période de sève montante, pour la bonne tenue dans le temps,
condition indispensable pour la réalisation de l'édifice. Il était
difficile également d'affirmer en public que la pierre «taillée»
devait être placée dans l'agencement du mur dans le même sens que
celui du cours d'eau ou de la veine dans laquelle la pierre avait été
'prélevée', afin de conserver 'l'énergie' physique de cette dernière.
En effet, tout géobiologue sérieux vous dira que les pierres d'un
mur s'empilent dans le sens pôle positif et pôle négatif de chaque
pierre, comme des aimants, et tout géomètre vous affirmera qu'il y
a un nombre d'or, une règle Divine, en additionnant ou divisant des
proportions.
À l'époque où l'on brûlait les sorcières pour moins que cela, parler de
212 CORPUSDEAE

l'énergie des pierres pouvait vous amener au bûcher, c'est pour cela
que les loges ont été créées, pour pouvoir parler en toute discrétion.
Les spéculatifs étaient les hommes de savoir, les hommes de métier.
Le maçon opératif est un maçon de métier, c'est au cours du 17e siècle
que les loges de Maçons opératifs commencèrent à accepter des
personnes qui n'étaient pas du métier, que l'on appelait spéculatifs.
Spéculatif, définition : Celui qui se livre à des recherches abstraites,
théoriques. Nous pouvons donc dire que la maçonnerie opérative,
des hommes de savoir, est devenue· une maçonnerie d'hommes
théoriques. Je vous laisse méditer sur la différence ...
Citation : 'La théorie, c'est quand on sait tout et que rien ne
fonctionne. La pratique, c'est quand tout fonctionne et que personne
ne sait pourquoi.'
Revenons-en aux colonnes du temple, mais il faut savoir d'abord ce
que représente le Temple. Le Temple est érigé pour recevoir Dieu.
Pour y accéder, il faut gravir les marches, qui vous amènent sur
l'esplanade, ou parvis. Il y a deux colonnes à la gauche et à la droite
de la porte du temple. Lorsque vous trouvez la clé de la porte, vous
accédez à l'intérieur du temple.
La symbolique est la suivante (raccourcie). Le Temple est le symbole
de l'Homme. L'Homme erre dans la vie à la recherche de son idéal
de vie, il cherche son propre temple, son temple intérieur. Pour
cela il doit gravir les marches, appelées marches de l'élévation. En
gravissant ces marches donc, l'homme s'élève. Il s'élève jusqu'à
arriver sur le parvis. Le parvis est souvent symbolisé en damier,
composé de carrés égaux noirs et blancs, en nombre égal. Ce damier
représente l'équilibre de l'ombre et de la Lumière, du blanc et du
noir, comprenez du bien et du mal. Lorsque l'Homme aura réussi à
créer l'équilibre en lui, il n'est plus un profane, il ne lui restera plus
qu'à passer entre les deux colonnes fakin (qui signifie 'il établit', et
Boaz, qui signifie 'la force en lui'. L'Homme, une fois qu'il a établi
la force en lui, en passant entre Jakin et Boaz, qui représentent le
passage, n'a plus qu'à pénétrer dans le temple pour y accueillir Dieu.
Il me reste juste à vous préciser que toutes les obédiences ne seront
pas en accord avec ce que je viens de dire.
En effet, chaque obédience a sa vision des choses. Il y a des
obédiences mystiques et des obédiences plus 'intellectuelles', plus
terre à terre, et c'est très bien ainsi, chacun étant libre de penser
comme il l'entend. Ce n'est pas ce quel' on pense qui divise, car si on
laisse chacun penser librement, il n'y a jamais de problèmes. Ce qui
divise, c'est lorsque l'un pense qu'il a raison, et que l'autre a tort. Ce
qui divise, c'est lorsque l'un pense savoir mieux que l'autre. Ce qui
divise, c'est lorsque l'on regarde l'autre en voulant lui apprendre
quelque chose, au lieu de regarder l'autre en voulant apprendre de
lui.»
LA PASSION ET LA RÉSURRECTION DE BEL-MARDUK, FILS DE DIEU 213

*
* *

Revenons aux cérémonies du quatrième jour de l' Akitu. Les prêtres


invoquent Sarpanitu, image du croissant de Lune et de la plus brillante des
étoiles du Ciel, à savoir Vénus qu'elle personnifie avec le roi. Bel-Marduk
est à terre, tombé comme Lucifer. Impuissant et captif des autres dieux, il
se retrouve à la merci du jugement final, mais aussi de l'autorité de Dame
de Babylone, seule en mesure de lui redonner vie : de lui prendre la main,
de le relever et de le sortir de cet enfer dans lequel il est plongé. Les textes
associés aux rites de l' Akitu restent très clairs à ce sujet :

«Elle est puissante, elle est déesse, elle est la plus élevée des déesses,
Sarpanitu, la plus brillante des étoiles, qui habite l'Éudul, la[ ... ] des
déesses, vêtue de Lumière, qui assemble le Ciel, qui amoncelle la
terre, Sarpanitu dont la station est haute; elle brille Beltia, elle est
sublime et très haute, parmi les déesses il n'y en a pas comme elle;
(elle est celle) qui accuse et intercède, qui abat le riche et redresse
l'humble, qui renverse l'ennemi, celui qui ne craint pas sa divinité,
(elle) qui sauve le captif, prend la main de celui qui est tombé. [+]
Du serviteur qui te bénit, prends pitié. Dans le besoin et la peine,
saisis sa main. Dans la maladie et la souffrance, donne-lui la vie ... »
DT 109, 1, lignes 12 à 23 + DT 114, Il, lignes 4 à 6

Sarpanitu-l§tar est la Vierge porteuse du Graal. Pas la femme


chaste qui ne connaît rien aux mystères de la chair, plutôt la «femme
libre», sans attache, en qui se trouve la vie qu'elle peut à tout moment
révéler et transmettre; elle incarne l'état de pureté originel. Elle porte
l'image divine de la Déesse-Mère qui dispense ses bienfaits à l'élu. Chez
les Sumériens, cette image est le GAR-A-AL, littéralement «l'image qui
restaure la puissance». Grâce à cette porteuse de Graal, le héros réveillera
sa conscience et deviendra l'agent céleste engagé auprès de la Source de
toutes choses.
Comme Nephtys, Sarpanitu-mar possède le don de guérison.
Elle seule pourra tendre la main au roi déchu. Une formule des Textes
des Pyramides exprime la même idée où la notion de royauté transmise
par Nephtys ne fait aucun doute. L'extrait·en question manifeste le droit
absolu à Nephtys d'offrir sa main au seul élu de son choix. Gare à celui qui
refuse cette offre, les prétendants au titre royal sont nombreux. Les enfants
d'Horus incarnent de futurs rois potentiels :

«Roi, prends donc le bras de Nephtys. Empêche qu'elle ne le


présente aux [enfants d'Horus].»
Textes de la Pyramide de Pepy ter, 71E:49f
214 CORPUSDEAE

Après un court repas du soir, les rues se remplissent à nouveau.


Le peuple, enivré d'une foi mystique, s'entasse dans les temples pour
obtenir la meilleure vue possible. Chaque nouvelle année partageait un
élément essentiel avec la première ère divine au moment où le Monde
fut créé. La grande cour se remplit rapidement, chacun souhaite pouvoir
observer le grand prêtre réciter le fameux Poème de la Création. Le but
étant de rappeler les exploits d'un certain Marduk - le maître des Lois
divines - titre concédé à un ancien démiurge321 lors de la révolte des dieux
contre leur Mère originelle Tiamat. Mais ici, le drame concerne un autre
Marduk, beaucoup plus jeune322 • Ce dernier doit prendre exemple sur son
prédécesseur afin de rétablir l'équilibre perdu. L'Assemblée divine lui
reproche le péché impardonnable d'avoir tué une fille divine.
Le grand prêtre prononce devant la statue de Marduk le célèbre
Poème de la Création, l'Enûma Elis. Pendant ce récit, la tiare du dieu
Anu et le trône du dieu Enlil sont recouverts. Les Juifs exilés de force à
Babylone à partir de -597 ont observé 58 fois cette scène annuelle avant
leur libération et retour en Judée vers 539 av. J.-C. Ils ont écouté et assimilé
la version mésopotamienne de la Création, mais aussi la Passion du Fils de
Dieu dont on trouve un étrange écho dans le Nouveau Testament!
Nous rappelons aux lecteurs que l'archéologie et les archives
babyloniennes nous démontrent que les exilés juifs travaillant au sein de
la société babylonienne possédaient des structures sociales et religieuses
parallèles. Vaquant librement, les prêtres judéens purent avoir accès à la
grande bibliothèque de Babylone. Ils découvrirent également d'autres
archives comme celles de Nippur ·où se trouvaient des trésoriers juifs,
restés après l'exil, lesquels créèrent les premières banques du monde. De
nombreux Juifs babyloniens prospérèrent en Babylonie et ne voulurent
en aucun cas revivre la pauvreté judéenne et reprendre contact avec sa
population qu'ils présumaient comme arriérée323 •
Nippur, la ville dédiée au dieu Enlil, possédait une vaste collection
de tablettes. Parmi elles se trouvaient celles dont j'ai effectué la traduction
pour l'ouvrage Eden. Mon précédent essai, Le Chaos des Origines, confirme
l'antériorité de ces documents et leur attribue la valeur d'originaux de
l'histoire du Jardin d'Eden, du Serpent, de la transmission du Secret des
dieux et de la chute de l'homme! Les scribes responsables de l'Ancien
Testament se formèrent au sein des exilés revenus de Babylonie. Comme
j'ai pu l'expliquer de nombreuses fois dans mes différentes études, seules
les informations héritées d'Égypte grâce à Râmosé (le Moïse historique)
- ancien vizir d' Akhenaton - et les documents récoltés à Babylone,
321 Nous avons vu dans mes précédents ouvrages qu'il s'agit d'Enlfl. La même scène se
retrouve en Égypte avec la bataille de Seth contre le Serpent Primordial Apophis.
322 Beaucoup d'assyriologues confondent les deux Marduk, n'étant pas conscients qu'il s'agit

d'un titre divin et aucunement d'un nom propre.


323 Nous rappelons ici qu'une infime partie des Juifs regagna la Judée à partir de 539 av. J.-C.

Comme le démontrent de nombreuses archives babyloniennes, beaucoup restèrent sur place


pour les raisons mentionnées ci-dessus.
LA PASSION ET LA RÉSURRECTION DE BEL-MARDUK, FILS DE DIEU 215

peuvent expliquer de façon avérée la présence d'éléments égyptiens et


mésopotamiens dans la Bible.

2. La Porteuse du GAR-A-AL à la recherche du roi déchu; le


procès humiliant du Fils de Dieu et de deux criminels devant
les autorités religieuses (VAT 9555)

Dans l'une des plus anciennes versions du Graal, celle de Peredur


Ab Evrawc (version galloise de Perceval, tirée d'une version archaïque non
christianisée), la procession du Graal met en scène une foule gémissante,
en pleines lamentations. Alors que les versions de l' Allemand Wolfram
von Eschenbach et du champenois Chrétien de Troyes ne détaillent pas
le Graal, la version galloise met en scène deux Porteuses du Graal, dites
«Pucelles», soutenant entre elles un grand plat sur lequel se trouve une
tête ensanglantée ...
Jean Markale, spécialiste incontesté du Graal et de la mythologie
celtique, défend l'idée que la version de Perceval de Chrétien de Troyes et
la version galloise de Peredur, rédigée par un auteur anonyme, sont toutes
deux contemporaines. L'étude attentive des deux récits, dit-il, débouche
sur une conclusion déjà citée par Joseph Loth, à savoir que les deux auteurs
utilisèrent une source écrite française traduisant ou adaptant un original
en gallois ou en breton armoricain. Chrétien de Troyes rendit «courtois»
son récit en sacrifiant certains aspects archaïques comme la tête coupée,
sans doute par souci de bienséance à la cour de Marie de Champagne,
contrairement à la version galloise où est préservée toute la rudesse de la
mentalité celtique324 •
Nous savons désormais grâce à l'étude détaillée des textes
égyptiens sur la mort d'Isis et la Passion d'Horus que Nephtys représente
le prototype archaïque de la Porteuse du Graal. Les découvertes relevées
dans le chapitre précédent nous ont démontré la diffusion de cette même
histoire jusqu'en Babylonie où Inanna-IStar endosse la même fonction.
Symboliquement, suggèrent les textes égyptiens, Nephtys porta la tête
d'Hathor sur ses épaules au moment où elle prit le rôle d'Hathor pour
remplacer Isis dans ses fonctions royales. Les textes babyloniens reprennent
une fois encore le même scénario où la tête abattue se retrouve au cou de
la Maîtresse de Babylone et le sang versé sur ses propres vêtements de
deuil:

«[La tête] accrochée sur le montant de la porte de la Maîtresse de


Babylone : c'est la tête abattue qui se tenait avec le criminel. Ils
accrochèrent sa tête sur le cou de la Maîtresse de Babylone [ ... ] Les
exorcistes qui vont devant lui récitent une incantation. Ils forment
son peuple et vont crier devant lui. [... ]La Maîtresse de Babylone
324 Cf. Jean Markale, Le Graal, Éditions du Retz, 1982, p. 44.
216 CORPUSDEAE

qui a du lin noir sur son dos et du lin rouge s4r le devant[ ... ] [le
lin rouge] du [devant] représente le sang du cœur qui a été versé.»
VAT 9555, lignes 20 et 21+27

Faut-il le rappeler? Le thème de la tête tranchée d'Isis - prétexte à


tout ce désordre et à la Passion de Marduk - évoque le Golgotha biblique,
le fameux «Mont du Crâne» où Jésus sera crucifié. Le crâne est justement
l'un des grands symboles de Marie-Madeleine (Nephtys-mar) présents
sur bon nombre de représentations; il lui permettait, dit-on, de méditer
sur les vanités et tentations ...

Cinquième jour (partie 1) : Le repos a été court et le rituel de


l' Akitu redémarre très tôt le matin du cinquième jour. Quatre heures
avant la fin de la nuit, l'Urigallû se lève et se lave avec l'eau du Tigre et de
!'Euphrate contenue dans de grosses citernes. Prosterné devant les statues
de Marduk et de sa compagne, il prie pour la destinée du Monde. Ses
prières s'élèvent avec les fumées des encensoirs vers les visages des deux
statues divines. L'Urigallû implore d'abord Marduk et lui demande de
s'apaiser en l'associant à des planètes et étoiles du Ciel. Il s'adresse ensuite
à Sarpanitu, «la Dame miséricordieuse, la Dame qui s'apaise, la Dame qui
n'est pas irritée325 .» La Maîtresse de Babylone doit garder son calme; en
compagne bienveillante, elle devra soutenir son amant et le relever de sa
chute. Le rite babylonien reproduit partiellement ces anciens événements,
mais la version primitive montre un sentiment bien différent, comme de la
panique chez Inanna-l§tar:

« 'Laissez Bel en vie ! [... ] Laissez-(le) en vie ! Ne (le) tuez pas' ! Ils le
transportent. Elle les poursuit: «Mon frère, [mon] frère! [... ] [Elle]
qui a parcouru la cité, elle est une femme plaintive qui tourne autour
de la cité.»
BM 134503, lignes 14et15 +VAT 9538, ligne 67

Cette collection de textes sur la Passion de Marduk ne fait pas


mention des essais effectués par la communauté divine pour tenter de faire
revivre la déesse assassinée, comme indiqué dans la tablette sumérienne
G.l.2.b.1725 étudiée plus haut. La ligne 32 de cette tablette sumérienne
laissait entendre de graves répercussions au sein des clans divins : «[Ses]
soldats et sa famille, accablés, [connurent] une puissante division.»
Division palpable ici également. Mais les propos des tablettes sur argile se
concentrent plutôt sur la sanction des dieux. La tablette VAT 9555 va plus
loin encore : la situation est grave, Inanna envisage même le pire :

«[elle] qui part (à sa recherche) et va au cimetière pour le retrouver.»


VAT 9555, ligne 11

325 Tablette MNB 1848, III, lignes 18 et 19.


LA PASSION ET LA RÉSURRECTION DE BEL-MARDUK, FILS DE DIEU 217

On a éloigné Marduk du Soleil et de la vie. Lors de la récitation du


rituel de Babylone, le grand prêtre compare encore la déesse ~arpanitu à
de nombreuses planètes et étoiles aux vertus incomparables. La première
sur la liste est encore Vénus (Dilbat), «la plus brillante des étoiles». Dans
la version mythique, Marduk est ensuite saisi fermement et emmené vers
le lieu où on doit l'interroger:

«La demeure del' Akitu où il se dirige est la demeure (qui se trouve)


à la lisière de (l'endroit de) !'Ordalie. Ils l'interrogent ici [ ... ] [Elle]
qui arpente les rues, à la recherche de Marduk (et s'interroge): 'Où
est-il gardé prisonnier'?»
VAT 9555, lignes 7 et 9

L'ordalie est une épreuve dont l'issue détermine la culpabilité d'une


personne aux yeux d'un tribunal, nous y reviendrons un peu plus loin.
Contrairement à la variante babylonienne, la version primitive du procès
met en scène plusieurs personnages autour de Bel-Marduk. Deux autres
prisonniers se retrouvent à ses côtés, prêts à subir le jugement divin. C'est
conforme au Nouveau Testament qui place deux criminels auprès de
Jésus:

«L'ensemble del' exposé est énoncé par les prêtres des lamentations;
cela concerne le crime de blasphème qu'ils commirent à l'encontre,
de lui-même et ses pères, les dieux qui s'agitèrent. »
VAT 9555, lignes 61-62

Tablette akkadienne La Bible de Jémsalem


(Mésopotamie)

VAI 2.2.2.2. li~e:2 Z-2 !i:t 61-62 : Éymgil!i:~ d!i: Mathieu (26};
«Marduk est arrêté et interrogé Man; (H}; L:us:: (22}; l!i:m (lB) :
par des prêtres, on l'accuse de «Jésus est arrêté et interrogé
blasphème. » par des prêtres, on l'accuse de
blasphème.»

Nabu, considéré comme un des fils de Bel-Marduk, semble présent


devant les juges sur deux passages brisés des tablettes K 6330 et BM 134503 :

[Nabu est] le criminel qui était présent avec Bel. [... ]


K 6330, ligne 15 et BM 134503, ligne 26

Un passage de VAT 9555 confirme ce fait en indiquant qu'un« cochon


sauvage» aurait reconnu Nabu parmi les criminels et associés de Bel lors
de leur bataille fatidique (dans le nord de l'Égypte). À première vue,
218 CORPUSDEAE

nous ne saurions expliquer l'identité de ce cochon. Seule la mythologie


égyptienne semble pouvoir délier ce problème. En effet, lorsque Seth
poursuivit Osiris pour le tuer et qu'il arracha l'Œil d'Horus, les traditions
prétendent qu'il prit la forme d'un cochon sauvage! Seth, identifié au
principe du mal, se retrouvait en effet souvent décrit ou dessiné sous la
forme d'un cochon des marais. Par exemple, la formule 157 des Textes des
Sarcophages dit à ce propos : «Alors Seth se transforma en porc contre
[Horus] et il causa une blessure dans son œil. Alors Râ dit: 'Que le porc
soit détesté par Horus' ! » Les scribes mésopotamiens ne souhaitaient pas
révéler l'identité du dénonciateur, mais on sait que Seth se confondait avec
Enlil, dieu particulièrement encensé à Sumer et Akkad. Voici le passage en
question:

«Le cochon des roseaux s'est jeté sur le chemin de Nabu lorsqu'il
venait de Borsippa. Dans sa lancée, il voit (et dit): 'C'est le criminel
qui était avec Bel' ! Il le reconnaît comme complice de Bel. »
VAT 9555, lignes 24 à 26

Le troisième prisonnier se défend et ne souhaite pas être jugé avec


les deux guerriers. Le texte sur argile stipule:

« [ ... ]qui ne va pas avec lui, en disant: Je ne suis pas un criminel! Je


n'ai rien à faire [avec lui]. [Sur] ce point, Assur le déféra en jugement;
il passa aux jugements. [ ... celui] qui ne va pas avec lui est le fils
d' Asfar. Il est un gardien nommé par lui et surveille la citadelle
pour son compte.»
VAT 9555, lignes 17 à 19

L'homme en question est libéré! Étrangement, cet épisode rappelle


l'Évangile de Marc (15:7-15) où un certain Barabbas se retrouve dans une
situation d'affranchissement lors du procès de Jésus. Mieux encore, la
scène nous dévoile une autre similitude avec le nom même de Bar-Abbas
(«fils du père»). VAT 9555 présente le larron libéré comme étant le fils
d' Assur, le «père» de tous les hommes, à savoir Enlil en personne, à qui
Assur est très souvent identifié parmi les principales divinités du panthéon
mésopotamien ...
LA PASSION ET LA RÉSURRECTION DE BEL-MARDUK, FILS DE DIEU 219

50. VAT 9555 (face a)


220 CORPUSDEAE

Tablette akkadienne La Bible de Jérusalem


(Mésopotamie)

YAI 2SSS. ligne::! 17 et 18 : «Le ÉYa.ngile de lei.\ll, lS;Z- lS :


fils du père des dieux (A~~ur) «Barabbas (litt. le fils du père)
est arrêté avec Marduk. Il passe est arrêté avec Jésus comme
en jugement et ne va pas avec émeutier. Il passe en jugement
Marduk (litt. il n'est pas livré : il devant Pilate et est relâché.»
est donc relâché).»

Malheureusement, l'état des tablettes ne nous permet pas de


comprendre ce qu'il advint de Nabu. Une allusion en ligne 39 de VAT
9555 nous laisse supposer une séparation entre Bel et Nabu, ce dernier se
trouvant entre les mains d'un garde, lui-même doté d'une entrave :

«[Le garde? qui] ne sort pas avec Bel vers la maison de l' Akitu, tient
l'entrave du prisonnier et s'assoie avec lui.[ ... ] [dans les ténèbres].»
VAT 9555, ligne 39 + K6330, ligne 26

*
* *

Retour au rituel babylonien beaucoup plus édulcoré que la version


primitive contenue en VAT 9555. Le grand prêtre ouvre les vantaux du
temple pour laisser entrer les prêtres qui exécuteront les rites habituels.
Une timbale d'airain résonne dans le sanctuaire. Un prêtre incantateur,
porteur d'un brille-parfum, purifie le sanctuaire. Une fois le temple de
Bel-Marduk purifié, les prêtres s'occupent de l'assainissement du temple
de Nabu, fils de Marduk. L'Urigallû place un brille-parfum au milieu de
la cour du sanctuaire et y mélange des aromates de cyprès. Il livre alors
le temple aux incantateurs, porteurs d'eau lustrale, et aux purificateurs,
responsables du feu et de l'encens : tous opèrent ensemble à une nouvelle
purification du temple de Marduk. Le grand Urigallû quitte les lieux et ne
doit en aucun cas participer aux prochains rituels sous peine d'impureté.
L'un des prêtres fait résonner un tambour sacré afin de repousser
les mauvais esprits. Un sacrificateur «porte-glaive» tranche la tête d'un
agneau (ou d'un bélier). Avec le corps del' animal, on frotte symboliquement
plusieurs parties du temple, dont les impuretés chargeront la victime. Grâce
aux incantations récitées, la victime s'imprègne de toutes les souillures du
temple et le corps est ensuite jeté dans le fleuve3 26• Il semble que nous ayons
là un ancien prototype du «bouc émissaire». Par ce châtiment infligé à
l'animal, on transfère le péché dont on souhaite décharger le coupable

326Georges Contenau, La civilisation d'Assur et de Babylone, Genève, Éditions Famot, 1975


(réédition de la version de 1951 des Éditions Payot), p. 119.
LA PASSION ET LA RÉSURRECTION DE BEL-MARDUK, FILS DE DIEU 221

pour ainsi lui épargner le châtiment. Les incantateurs et purificateurs


doivent ensuite quitter le temple.
Sur le grand quai, des serviteurs du temple préparent un banquet
en l'honneur de Nabu que l'on attend en barque (du moins sa statue),
accompagné du roi de Babylone, substitut de Marduk. Sur la porte de
l'Est, sept serpents en airain observent la scène, comme le feraient les sept
grands Usumgal, dieux créateurs des Origines évoqués dans le Poème de
la Création, l'Enûma Elis. Les prêtres conduisent Nabu dans sa chapelle de
l'Ésa~ll, accompagné du roi repentant. Ici, peut-être, se séparaient Nabu
et Bel dans la version d'origine. Le roi entre ensuite dans le sanctuaire de
Marduk, escorté par des prêtres qui le laissent seul.

3. L'humiliation du roi et l'épreuve de l'eau amère (VAT 9555)

Cinquième jour (partie 2) : De retour dans le temple, le grand prêtre


sort ensuite du Saint des Saints où se dresse la statue de Marduk. Il prend
des mains du souverain les insignes de son pouvoir: le sceptre, l'anneau,
sa lame, la couronne royale et les place sur un siège devant la statue divine.
Les insignes du pouvoir sont ainsi remis au Ciel. Revenant vers le roi resté
debout, l'Urigallû le frappe au visage, lui tire les oreilles, et l'oblige à
s'agenouiller327 comme l'avait fait Bel-Marduk. Le roi doit ensuite réciter
une déclaration d'innocence face au clergé et à la statue de Marduk; en
voici un petit extrait :

«Je n'ai pas pêché, Seigneur des Pays. Je n'ai pas été négligent
envers ta divinité. Je n'ai pas détruit Babylone, je n'ai pas ordonné
sa dispersion ... »
MNB 1848, V, lignes 39 et 40

327 Tablette MNB 1848, V, lignes 35 à 37.


222 CORPUSDEAE

51. MNB 1848. Cette tablette


survole sans trop de détail les
12 jours de célébration de la
fête de Marduk au Nouvel An.
Musée du Louvre

Après sa repentance, le roi est frappé une seconde fois au visage,


le grand prêtre observe alors sa contenance et caresse l'espoir de lui tirer
quelques larmes, présage réputé favorable et preuve d'abnégation vis-à-vis
de Marduk. Si les larmes ne coulaient pas, «l'ennemi surgirait et causerait
la chute de Babylone»; on imagine aisément que les larmes devaient finir
par se répandre :

« (L'Urigallû) fera sortir (du sanctuaire) le sceptre, le cercle, la harpe


et la tiare, puis au roi [les remettra]. Il frappera la joue du roi :
lorsqu'il [aura frappé] sa joue, si ses larmes viennent, Bel est bien
disposé, si ses larmes ne viennent pas, Bel est en colère; l'ennemi
surgira et causera sa chute. »
DT 109 VI, lignes 8 à 12

Des gardes de Marduk se tiennent à l'entrée du sanctuaire pour


LA PASSION ET LA RÉSURRECTION DE BEL-MARDUK, FILS DE DIEU 223

contenir tout problème. On oublie souvent qu'il s'agit là d'un pâle


simulacre. Les acteurs rejouent ici une scène mythique où Marduk se
trouvait à la place du roi humilié, mais cette fois-ci, avec une véritable
sentence de mort au-dessus de la tête! Le style littéraire est surfait, comme
c'est souvent le cas pour les tablettes de Mésopotamie. Je le rappelle, il
s'agit de traductions littérales:

«Il est retenu ... Cela concerne celui qui est retenu fermement. [... ]
Irrémédiablement, Sakkukutu est sa femme qui pleure. Elle circule
dans la cité.»
K 6330, lignes 4 et 8 +VAT 9555, ligne 67

IStar ne sait toujours pas où se trouve son amant et le recherche


inlassablement. En ligne 67 de VAT 9555, les rédacteurs lui attribuent un
nom akkadien bien étrange et parfaitement intraduisible. J'ai donc vérifié
le terme Sakkukutu et trouvé sa correspondance babylonienne sous la forme
de Sakuttu qui désigne «un sac» ou «les restes de quelque chose». Ce
terme est tiré du sumérien SAG-KU5 dont la traduction littérale correspond
à «tête tranchée»! Ce passage rappelle donc, d'une façon symbolique, les
éléments relevés plus haut (VAT 9555, lignes 20 et 21 + 27) où IStar porte
sur elle la tête de la victime (Isis), dont le sang coule même sur sa poitrine.
L'assimilation de cet objet à un sac évoque peut-être la responsabilité
indirecte de la Maîtresse de Babylone dans le drame. Inanna-IStar aurait
gardé ce sac contenant la tête de sa sœur dont le sang se serait même
répandu sur elle; façon d'indiquer symboliquement sa possible culpabilité
partagée avec Bel-Marduk.
Il faut pourtant rappeler ici un détail historique pouvant expliquer
cette implication indirecte d'Inanna-IStar. Celle-ci n'est autre que la petite
fille d'Enlil ! En Égypte, la tradition en fait même l'épouse de ce dernier
(sous la forme de Seth), sans doute pour exprimer son appartenance au
clan familial sethien et pour marquer sa consanguinité. Mieux encore,
IStar-Nephtys, ancienne nourrice de Marduk-Horus, rallia la cause du clan
osirien - véritable adversaire de sa propre famille -, prit le jeune fils pour
amant et remplaça Isis sur le trône! On voulut sans doute la faire payer
d'une façon ou d'une autre.

Ayant récupéré les territoires de sa défunte sœur (l'autre IStar),


Inanna-IStar ne l'entend pas de cette oreille! Son poids politique et social
en fait la souveraine d'Égypte et la gardienne de nombreux domaines;
elle possède tous les moyens pour faire souffler le vent de la révolte en
tentant ainsi de délivrer son amant :

«Bel est allé à (l'endroit de) la rivière de !'Ordalie. La ville s'est


révoltée contre [eux] et ils se battent là-bas.»
VAT 9555, ligne 23
224 CORPUSDEAE

La riposte du clan adverse ne se fait pas attendre, les prêtres


«inquisiteurs» envoient à Htar de quoi lui prouver l'incarcération de son
compagnon. Le moindre faux pas et c'est la mort assurée qui l'attend :

«Ses vêtements envoyés à la Dame d'Uruk, ce sont ses vêtements, ils


les (lui) ont enlevés. [... ] «La chaussure qu'ils adressent à la Dame
de Babylone est un gage. Ils la lui transmettent parce qu'ils ne le
laisseront pas sortir. »
VAT 9555, lignes 30 et 64

La mise à nu du supplicié se retrouve dans la Bible, par exemple en


Jean, 19:23, où il est dit que les soldats romains prirent les vêtements de
Jésus-Christ:

Tablette akkadienne La Bible de Jérusalem


(Mésopotamie)

VAI 2555, liille JQ: «ils É~angil~ d~ Jean. 12;2J: « ... ils
enlevèrent les vêtements de prirent les vêtements de Jésus.»
Marduk.»

Le clergé souhaite gagner du temps. En attendant, l'épreuve de l'eau


amère (ou del' eau de l'Ordalie) attend Marduk. Le prisonnier est emmené
dans la cour centrale du temple où l'on a rassemblé de grosses cruches
d'eau. Tout va être mis en œuvre pour faire payer le coupable et sans doute
même le tuer, car il n'est pas question qu'il se relève.

*
* *

Le rituel de l'Ordalie (Lu-ru-gu-da en sumérien, Hu§ânu ou Hur-sa-an


en akkadien) ordonné sur la personne de Marduk ne trouve aucun écho
dans les textes égyptiens étudiés plus haut où seules les expériences de
l'incubation et du seuil de la mort semblent présentes.
Ce rituel assez barbare, d'institution biblique, proviendrait de
Moïse. En effet, l'épreuve rappelle celle décrite en Nombres, 5:11-31 où,
au temps du déplacement des anciens Hébreux dans le désert, une femme
soupçonnée d'adultère devait boire de l'eau dans laquelle un prêtre avait
dissous l'encre d'une formule d'imprécation, prononcée à haute voix et
mise ensuite par écrit. Si la personne était coupable, l'eau qu'elle recrachait
devenait amère et l'empoisonnait dans d'horribles souffrances ... Ce
procédé se retrouve sous le nom de «Traité de Sota » dans la Mishna
(compilation écrite des Lois orales juives) et le Talmud de Babylone.
Vu l'état désolant de certaines parties des tablettes sur argile et le
LA PASSION ET LA RÉSURRECTION DE BEL-MARDUK, FILS DE DIEU 225

manque cruel de documents concernant cette histoire, nous ne saurions


préciser quel type d'Ordalie par l'eau subit Marduk. Je dirai même qu'un
doute subsiste quant à la nature de cette boisson. Nous faisons face, en
tout cas, à une épreuve judiciaire dont l'objectif est d'établir la culpabilité
ou l'innocence de l'accusé en recourant au jugement divin. Il existe, en
effet, un autre type d'Ordalie par l'eau, comme celui de Mésopotamie où
l'on menait en barque un accusé sur un plan d'eau et d'où il était jeté dans
le fleuve avec une grosse pierre, cette épreuve se nommait «Jugement
du fleuve». Une version plus récente fut employée au Moyen Âge et
appliquée aux «sorcières» où les inquisiteurs les plongeaient dans l'eau
glacée et bénite d'une rivière. Si elles coulaient au fond, cela impliquait
leur innocence et leur réception par l'eau sainte, si elles flottaient, cela
prouvait leur culpabilité. Dans les deux cas, la sorcière était de toute façon
condamnée.
À première vue, la version impliquant Marduk semble mélanger le
rituel destiné aux femmes adultères du «Traité de Sota », où il faut boire
de l'eau «empoisonnée», et la version mésopotamienne où l'accusé est
immergé dans de l'eau. Voici les passages en question que j'ai regroupés
en un seul tenant afin d'en faciliter la lecture:

« L' extasié qui va au-devant de la Dame de Babylone est un porteur


de nouvelles. Il se dirige vers elle en pleurant : 'Ils l'ont emmené à la
rivière de }'Ordalie!' Elle le renvoie et s'écrie: 'Mon frère, mon frère
[... ]'328• [Bel qui] est dans la maison del' Akitu, des cuves de libation
sont vidées; dès qu'elles sont remplies, dans sa terreur, il absorbe
l'eau. L'eau [qu'il] mélange avec [sa bouche?] se répand, c'est de
l'eau amère329 • L'eau pour les mains qu'ils apportent à proximité, (là
où) il a répandu ses larmes. Le vêtement sur lui, comme ils disent :
'c'est de l'eau - c'est un men5onge330' ! Le vêtement de son crime
est rassemblé dans la maison. Il n'est pas habillé dans l'eau. La
chambre331 [ ••• ] • »
VAT 9555, «!'Ordalie de Marduk», extrait des lignes 28 à 53

Ces extraits énigmatiques manifestent une forme de calvaire subi


par Marduk lors de l'épreuve de l'eau amère. Étrangement, le même
schéma se retrouve une fois encore dans le Nouveau Testament, sous la
forme du vin mêlé de fiel donné à Jésus-Christ, juste avant sa crucifixion
(cf. Mathieu, 27:34).

328 VAT 9555, lignes 28 et 29.


329 VAT 9555, lignes 47 à 49.
330 VAT 9555, lignes 52 et 53.

331 VAT 9555, ligne 56.


226 CORPUSDEAE

Tablette akkadienne La Bible de Jérusalem


(Mésopotamie)

VAT 2555. lignes 48 et 49 : Évangil!i: d!i: Mathky, 27:34: « ...


«Marduk absorbe l'eau. ils lui donnèrent à boire du vin
L'eau [qu'il] mélange avec [sa mêlé de fiel. (Jésus) en goûta ... »
bouche?] se répand, c'est de
l'eau amère.»

Dans l' Antiquité, ce type de vin était donné au condamné à mort


en guise de stupéfiant afin de soulager les douleurs et surtout pour faire
passer le supplicié dans un autre état de conscience. Cette boisson était
constituée de vin, de grains d'encens et d'aromates. Pour certains, elle
contenait aussi de la myrrhe. La Bible dit à ce propos :

«Procure des boissons fortes à qui va mourir, du vin qui est rempli
d'amertume: qu'il boive, qu'il oublie sa misère, qu'il ne se souvienne
plus de son malheur!»
Les Proverbes, 31:6-7

Cette découverte, accompagnée depuis longtemps d'une vision


très personnelle sur le sujet de la Passion de cet antéchrist (litt. «avant le
Christ»), m'orientèrent vers une tout autre piste, bien plus pénétrante ...

4. Le nénuphar bleu ou la drogue de l'au-delà

Quelque chose ne collait pas. Cette histoire de boisson ingurgitée


sous la forme d'une épreuve avant même l'incubation et le réveil transfor-
mateur ne fonctionnait pas comme l'Ordalie classique le permet. Le terme
sumérien Lu-ru-gu-da, traduit par «Ordalie», exprime textuellement
«l'homme qui fait face à la puissance». Le mot akkadien employé dans
VAT 9555 pour cette Ordalie de Marduk se prononce Hur-sa-an, qui corres-
pond en sumérien à «prendre en main la corde céleste». Cette histoire de
«corde céleste» et «d'opposition à une puissance» me fit penser aux états
de conscience modifiée tels qu'ils sont décrits dans plusieurs ouvrages
ethnologiques sur le sujet des psychodrogues des chamanes comme dans
Le Serpent cosmique de Jeremy Narby ou Le Chamanisme Nahua et Maya
(grâce aux plantes-pouvoirs) de Mercedes de la Garza, ou encore l'excellent
travail de Graham Hancock dans son ouvrage Surnaturel (Supernatural
en anglais). D'autres ouvrages tout aussi sérieux existent sur ce sujet.
Un ancien dossier de 1978 me mit sur la voie. Ils' agissait del' article
du professeur en biologie William Emboden, intitulé « Sacred Narcotic
Lily of the Nile » (in Economie Botany, Volume 32). Graham Hancock fait
LA PASSION ET LA RÉSURRECTION DE BEL-MARDUK, FILS DE DIEU '227

d'ailleurs allusion aux travaux d'Emboden dans Surnature/332• Emboden


démontre que le nénuphar bleu (Nymphaea Caerulea) était largement
employé en Égypte antique pour ses effets narcotiques et hallucinogènes
prononcés.
Le nénuphar bleu (ou Lotus bleu) contient de l'apomorphine, des
dérivés de morphines et des alcaloïdes hallucinogènes. Originaire des
rives du Nil et de l'Afrique, il s'ouvre le matin durant trois jours. On le
trouvait aussi dans les bassins des temples sacrés. Il s'agit du grand lotus
ou nénuphar sacré égyptien dénommé Sushin que l'on retrouve stylisé sur
de nombreuses fresques et chapiteaux des temples égyptiens et assyriens.
Les Égyptiens anciens l'appréciaient pour ses qualités médicinales, ses
effets narcotiques et son odeur agréable. La formule 81 du Livre des Morts,
«formule pour faire une transformation en lotus», met en association la
plante initiatique et Horus :

«Je suis ce pur lotus qui sort en portant le Lumineux, celui qui est
préposé au nez de Râ. Je suis descendu le chercher pour Horus. Je
suis le pur qui sort de la prairie marécageuse.»
Chapitre 81 du Livre des Morts, papyrus Nunu, BM 10477

52. Vignette
accompagnant le chapitre
81 du Livre des Morts.
Horus émerge de la fleur
bleue des marécages. Sur
l'original en couleur, les
pétales de la fleur sont
bleus.

332N .d.É. : Avis aux chercheurs francophones : on notera la déplorable publication française
du livre Surnaturel d'Hancock, aux ~ditions Alphée - Jean-Paul Bertrand, où aucune des notes
et bibliographie du volumineux ouvrage ne sont reproduites! Anton Parks dut se résigner
à acquérir la version originale anglophone pour accéder aux nombreuses références de
l'auteur ...
228 CORPUSDEAE

Cet extrait nous permet de comprendre qu'il est question de la quête


de l'Œil d'Horus; objectif même du rituel alchimique d'Horus-Marduk où
l'on doit restaurer «la vue d'Horus» brisée par sa colère et sa souffrance ...
En naissant, le lotus tire des abîmes l'œil lumineux (ou Horus lui-
même ), il le remonte et le porte à la surface. Ce concept n'est pas spécifique
au Livre des Morts et se retrouve dans toute la littérature égyptienne où
l'on voit régulièrement Horus émergeant d'un lotus bleu.
En 1977, José Luis Diaz (département de neurologie à Mexico),
commentait déjà l'utilisation des nénuphars sacrés au Chiapas et au Mexique
comme stupéfiants rituéliques. Les effets provoquent des hallucinations
prolongées et puissantes. Comme en Égypte, les représentations picturales
et poésies des Amérindiens présentent des scènes où l'utilisation de
ces plantes comme psychodrogues est manifeste. À la suite d'analyses
chimiques, Diaz isola les alcaloïdes des plantes et remarqua que ces types
de nénuphars, à faibles doses, ont tendance à tranquilliser tandis que
des doses plus élevées peuvent provoquer des psychoses chez certaines
personnes333•
Les effets des nénuphars/lotus bleus égyptiens semblent encore
plus spectaculaires. L'iconographie de l'Égypte pharaonique montre la
présence de cette plante à partir de la V" dynastie au minimum. Beaucoup
traitent cette présence comme de simples offrandes emblématiques ou
symboliques. La fleur bleue se retrouve régulièrement avec des produits
comestibles dans des piles d'offrandes aux morts, sur des pots à onguents,
sur les bandeaux des reines, et souvent en association avec la mandragore
narcotique (Mandragora officinarum). Si la fleur est considérée comme
comestible, il faut rappeler son goût âcre et amer334.

Un groupe de représentations d'Horus, provenant du nord de la


Galilée (Hazor), présente le jeune dieu égyptien sous la forme de Balal-
~amin ou Baal-Samem (Bel-Marduk), émergeant du nénuphar ou du
lotus bleu. Les images suivantes sont tirées de l'ouvrage d'Othmar Keel
& Christoph Uehlinger, Gottinnen, Gotter und Gottessymbole, 1993 (voir
bibliographie):

333José Luis Diaz, « Ethnophannacology of Sacred Psychoactive Plants used by the lndians of
Mexico», Annual Review of Pharmacology and Toxicology, vol. 17, april 1977, p. 647-675.
334 William Emboden, «Sacred Narcotic Lily of the Nile», Economie Botany, Volume 32,

Number 4, 1978.
LA PASSION ET LA RÉSURRECTION DE BEL-MARDUK, FILS DE DIEU 229

53. Baal (Bel-Marduk) émerge, 54. Baal (Bel-Marduk) émerge, sous


sous la forme d'Horus, d'une la forme d'Horus, sur la feuille d'un
fleur de lotus bleue avec les nénuphar bleu stylisé avec les deux
cornes hathoriques et son Œil serpents royaux et l'Œil Solaire sur la
Solaire sur Je haut du crâne. tête. À ses côtés, deux formes royales
Gravure sur os provenant d'Horus naissent de fleurs de lotus.
d'Hazor (8• siècle av. J.-C.). Gravure sur os provenant d'Hazor
(8• siècle av. J.-C.).

L'utilisation de psychodrogues issues de plantes comme le nénuphar


bleu d'Égypte se retrouve toujours dans des contextes de guérisons
rituéliques. William Emboden dit à ce propos : «Lorsque la tombe de
Toutankhamon fut pillée [durant l' Antiquité], on estime que 400 litres de
fluide se trouvant dans les récipients scellés ont été emportés, plutôt que
l'or, les œuvres d'art décoratif et les récipients eux-mêmes. Les pilleurs
croyaient que ces récipients contenaient le Didi, l'élixir de vie. Il est certain
que les propriétés narcotiques combinées des nénuphars, des mandragores
et du pavot à opium fournissaient le véhicule le plus puissant (Didi)
permettant d'atteindre un état hypnotique profond se terminant par une
longue période de somnolence. La mort symbolique, tellement nécessaire
dans la tradition chamanique, était fournie par n'importe laquelle de ces
plantes. Le sommeil est la mort symbolique qui permet la résurrection
miraculeuse. 335 »

335William Emboden, The Sacred /ourney in Dynastie Egypt: Shamanistic Trance in the Context of
the Narcotic Water Lily and the Mandra/œ, Journal of Psychoactive Drugs, vol. 21 (1), Jan.-Mar.,
1989, p. 63.
230 CORPUSDEAE

55. Baal (Bel-


Marduk) tient
dans ses mains
des racines de
mandragore,
composant actif
du Didi égyptien.
Ses ailes déployées
montrent qu'il est
apte à s'envoler
et à connaître
l'élévation et
l'illumination.
Gravure sur os
provenant d'Hazor
(8" siècle av. J.-C.)

La puissance du Didi égyptien, :::!Q, 7' composé de nénuphar bleu,


de mandragore et de pavot, est exprimée dans Le livre de la vache du Ciel,
un ancien conte égyptien se trouvant sur plusieurs parois de tombes
comme celles de Toutankhamon, de Sethy t •', de Ramsès Il, etc. Ce texte
sacré raconte qu'à l'époque où Râ régnait encore sur la Terre, l'humanité
ne cessait de comploter contre lui. Irrité, il envoya son Œil Solaire sous la
forme de la déesse lionne Sekhmet pour punir le genre humain. Face au
carnage de la déesse, il se ravisa et demanda qu'on lui apporte du Didi
(de l'alcool rouge) que Sekhmet prit pour du sang et qu'elle but aussitôt.
Somnolente, elle cessa net la tuerie et se transforma en Hathor, déesse de
l'amour. La race humaine fut ainsi épargnée et Hathor remplaça Sekhmet,
comme Nephtys remplaça Isis ...
La commémoration de cet événement est représentée plusieurs fois
à Dendérah, le temple d'Hathor, ainsi qu'à Luxor. Lors de cette cérémonie
annuelle (20 du mois de Thot) baptisée «la Fête de l'ivresse», le roi devait
danser face à Hathor et offrir du vin à la déesse qui appréciait« l'ivresse
envahissante de l'âme des bienheureux au banquet de la connaissance.»
Durant cette festivité populaire, le vin coulait à flots et se mélangeait avec
plusieurs plantes narcotiques et particulièrement notre fameux nénuphar
bleu (Nymphaea Caerulea). Plante sacrée et symbole de naissance, elle
possède aussi des propriétés aphrodisiaques336 •
L'ancien Didi :::!Q, 7' se fabriquait en réduisant les plantes précitées
grâce à des procédés secrets pour en faire une sorte de poudre que l'on

336 Richard Chaby & Karen Gulden, Mots et noms de l'Égypte ancienne, volume 2, Paris, Books

on Demand, 2014, p. 260.


LA PASSION ET LA RÉSURRECTION DE BEL-MARDUK, FILS DE DIEU 231

mélangeait dans un liquide ou du vin. Le mélange donne une poudre de


couleur rouge sang et colore tout type de liquide ou aliment. Le texte du
Livre de la vache du Ciel prétend que ce Didi se confectionnait spécialement
sur l'île d'Éléphantine.

56. Couple royal


tiré d'une scène
généralement
attribuée à
Meritaten (fille
d' Akhenaton)
et son époux
Smenkhare.
La princesse
offre à son mari
deux fruits de
mandragore et
plusieurs fleurs
du nénuphar bleu,
composants actifs
duDidi.
18• dynastie,
Musée de Berlin

5. La Passion et la rencontre avec l'invisible

L'épreuve se poursuit concernant la transe de Marduk. Les prêtres


tentent sans doute de lui soutirer d'autres aveux grâce aux propriétés
narcotiques de la boisson initiatique. Bel-Marduk, en pleine extase, lève
les yeux et implore le Ciel :

«Bel qui fixe le Ciel et prie Sin (la Lune) et $amaii (le Soleil)
«Laissez-moi vivre! »
VAT 9555, ligne 37

Cette scène rappelle encore un épisode en rapport avec la crucifixion


de Jésus-Christ, au moment où ce dernier lève les yeux au Ciel pour
implorer Dieu (cf. Luc, 23:46).
2'32 CORPUSDEAE

Tablette akkadienne La Bible de Jérusalem


(Mésopotamie)

YAT 2.2.2.2. lign!;! 37 : «Lors de ÉYangil!;! d,!;! Lyç:, 2J:42 : «Lors


sa Passion, Bel-Marduk fixe le de sa crucifixion, Jésus prie et
Ciel, prie et interpelle la Lune interpelle Dieu. »
et le Soleil. »

Bel-Marduk, dans un dernier effort, laisse son regard vagabonder


sur le sol. Ses tortionnaires le déposent à terre. Inanimé, le Fils d'Enki-
Osiris a passé l'épreuve de l'eau :

«Bel qui fixe le sol sur lequel son [corps?] a été déposé, parce qu'il
[re]vint de l'épreuve de l'eau. [ ... ] [Bel] est mis à terre. 'Laissez-moi
enseveli et endurer' [dit-il?].»
VAT 9555, ligne 37 et BM 134503, ligne 16

Bien que fragmentaires, les textes mythologiques reproduisent des


événements de l'histoire ancienne et non le rite babylonien nettement
plus épuré. Un bref rappel des faits nous permettra de comprendre ce qui
attend maintenant Bel-Marduk. Les lignes 13 à 15 de VAT 9555, suivies de
leurs commentaires, vont réellement nous mettre sur la voie :

« [ ... ] Lorsque les dieux l'avaient cerné, il monta là-bas en pensant


peut-être qu'il serait sauvé. (Finalement), ils le firent redescendre
de là-bas en raison (de) 'la mort pour transformer et comprendre'
en bas. Le lin rouge avec lequel il est vêtu représente les coups avec
lesquels il fut frappé (et qui) est teint de la couleur du sang.»
VAT 9555, lignes 13 à 15

Les lignes 13 et 14 évoquent l'épisode égyptien du Chester Beatty


(fin et début des chapitres 9 et 10) où Horus monte sur la montagne après
la mort d'Isis. On se souvient qu'il gravit une montagne avec la tête de sa
mère dans les bras. Les dieux ne le trouvèrent pas, mais Seth le repéra et lui
creva les yeux; allégorie de l'aveuglement d'Horus largement développée
plus haut.
La ligne 15 parle ensuite de la descente du dieu pour subir un rituel.
On notera ici les notions de montée et de chute de Marduk, comme dans
la mythologie égyptienne ou plus simplement l'histoire de Lucifer. Les
dieux envisagèrent initialement de récupérer Marduk pour lui faire subir
une mort rituelle en bas, dans un lieu reclus et fermé, afin de transformer
l'être pour une meilleure compréhension de lui-même. Ce genre de
procédé est connu dans les Mystères de l' Antiquité où les initiés devaient
parfois subir l'humiliation et la souffrance, peut-être même des blessures,
LA PASSION ET LA RÉSURRECTION DE BEL-MARDUK, FILS DE DIEU 233

en vue d'ébranler les fondements de leur personnalité pour recevoir une


«nouvelle identité».
En ligne 14 de VAT 9555, le texte babylonien utilise le mot akkadien
TahabSu («selle de cheval») pour exprimer l'objectif du rituel. On ne voit pas
très bien ce que ferait une selle auprès de l'accusé face au tribunal. Il était
hors de question pour les lettrés initiés d'expliquer que le dieu supplicié
allait connaître une mort initiatique, certes violente, mais bien symbolique
où le roi doit faire face aux ténèbres. Selon moi, il s'agit d'un jeu de mots
tiré du sumérien TA-HÂB-ZU, «pour transformer et comprendre» ou
encore «pour se décomposer et savoir», raison pour laquelle je l'ai traduit
de cette façon à la ligne 14 de VAT 9555. Pour rappel, ce rituel est une
opération alchimique en vue de se transformer en pierre philosophale!
Cette même ligne évoque ensuite des blessures profondes, prélude à un
rituel violent où, comme nous l'avons vu, le sang s'est déjà répandu.
La violence n'était peut-être pas initialement prévue. On peut
imaginer une volonté de profiter de l'inconscience de Marduk pour le
frapper. Marduk est interrogé de façon musclée, et même giflé (cf. DT 109
VI, lignes 9). Dans la version originelle, des coups lui sont portés et son
sang coule (cf. VAT 9555, ligne 15). Tous ces éléments sont présents dans
l'Évangile de Mathieu, au moment où Jésus fait face au Sanhédrin et au
grand prêtre. Dans cet épisode, la situation est strictement identique : Les
«Sages» giflent Jésus et lui donnent des coups!

Tablettes akkadiennes La Bible de Jérusalem


(Mésopotamie)

QI 1Q2 VI, ligne:;z 2 : «Le grand ÉYmgil~ g~ Mathi~y. 26:67 : «Les


prêtre frappe la joue du roi.» prêtres du Sanhédrin crachent au
YAI 2,2,2,2, ligne 1.2 : «Marduk visage de Jésus, ils le giflent et lui
est frappé et reçoit des coups.» donnent des coups. »

Pour résumer cet épisode, l'interrogatoire initial n'ayant pas abouti


au résultat escompté, il fut sans doute décidé de faire parler Marduk
moyennant la force lors du «rituel de l'eau amère», prélude à l'incubation.
Cette seconde forme d'interrogatoire (celle de l'initié face à sa propre
conscience) se retrouve dans la Bible, au moment où Jésus-Christ fait face
à Ponce Pilate. Jésus ne répondant rien est alors flagellé sur l'ordre de
Pilate (voir aussi Marc, 15:15). Dans le Nouveau Testament, comme dans
les tablettes sur argile, ce second interrogatoire va déclencher la Passion
sous forme de crucifixion ou d'expérience au seuil de la mort.
À l'issue de l'épreuve de l'eau, Bel-Marduk semble mal en point.
Il est transporté dans une pièce sombre et «laissé pour mort». Il subira
l'expérience de l'incubation si son destin le lui permet. La suite du rituel
234 CORPUSDEAE

nous livre la sentence finale destinée à Marduk. Ce dernier est - par la


volonté de l'Assemblée divine - mort et confié à l'au-delà de la tombe :

«Le roi qui se dirige vers la fosse, qui se tient au-dessus de la fosse
et sur la fosse accomplit les rites, c'est[ ... ] qui pour Bel l'a jeté dans
l'abîme et l'a confié aux Anunnaki. Le feu que l'on allume, c'est
Marduk.»
K 3476, lignes 2 à 4

On notera ici la présence de la Lumière ou du feu, thèmes en rapport


avec le Graal primitif dont nous parlerons en fin d'ouvrage. On retrouve
Bel-Marduk sous la forme du guerrier Baal dans la littérature ougaritique
de l'actuelle Syrie, à l'extrême nord de la sphère d'influence égyptienne
du second millénaire av. J.-C. Dans cette région, Baal fait partie d'un cycle
mythologique important mettant en scène sa propre mort et sa résurrection
grâce à l'énergie déployée de sa sœur et maîtresse, la vierge Anat, double
de Nephtys-mar :

«[Un jour, des jours] passent. La vierge Anat le recherche. Comme


le cœur de la vache (bat) pour son jeune veau, comme le cœur de la
brebis (bat) pour son agneau, ainsi le cœur d' Anat (bat) pour Baal.
Elle saisit la Mort par le bas de son sac, elle l'agrippe par le bord de
son habit. Elle élève la voix et s'écrie : 'Toi, Mort, donne-moi mon
frère337 !' »
Tablette d'Ugarit, 1 AB, colonne 2, lignes 5 à 13

Telle une furie soutenue par la «Torche des dieux», Anat se bat
avec la Mort. Les descriptions de son combat pour faire revivre Baal et le
soutirer du trépas, ressemblent fort à une opération alchimique comme
relevé plus haut. Les termes employés font partie, pour la plupart, du
vocabulaire alchimique, alors que quelques notions se retrouvent aussi en
franc-maçonnerie lors du passage des trois premiers grades :

«Elle saisit la divine Mort, avec le fer elle le fend, avec le van elle
le vanne, au feu elle le brûle, à la meule elle le broie, dans le champ
elle le disperse pour que les oiseaux dévorent sa chair, pour que les
moineaux en consomment les parties. La chair jaillit de la chair. »
Tablette d'Ugarit, 1 AB, colonne 2, lignes 31 à 37

Le fer représente la Lune alchimique et le feu : le Soleil. «La chair


quitte la chair» rappelle en tout point le rituel égyptien du démembrement
d'Horus où la chair du jeune dieu doit quitter ses os.
Anat, telle une Vestale de l' Antiquité, ouvre le chemin vers la

337 André Caquot, Maurice Sznycer et Andrée Herdner, Textes ougaritiques, tome 1, Mythe et
légendes, Éditions du Cerf, 1974, p. 258-259.
LA PASSION ET LA RÉSURRECTION DE BEL-MARDUK, FILS DE DIEU 235

Lumière. Nous parlerons des Vestales en fin d'ouvrage; la notion primitive


du Graal étant aussi en connexion avec ces antiques porteuses du flambeau
luciférien. Sapa~, la déesse du Soleil, dite «la torche des dieux», soutient
Anat. Fille du grand dieu El et d' Asherah, elle est la déesse de l'ouest
sémitique, présente aussi chez les anciens Judéens, de Canaan jusqu'à
Ugarit. Afin de libérer Baal du monde des morts, la déesse lumineuse
demande alors à Anat :

«Verse un vin rougeoyant de la coupe. Apporte une guirlande pour


ta parenté et je chercherai le puissant Baal. »
Tablette d'Ugarit, 1 AB, colonne 4, lignes 42 à 44

C'est une fois encore Anat (Nephtys-Btar), Porteuse de la coupe


divine qui apportera de quoi soigner et relever le dieu. La Lumière fera
le reste ... On notera une fois encore la présence d'une boisson alcoolisée
rouge comme le Didi, boisson associée à du vin dont l'usage rappelle celui
de la Fête de l'ivresse dédiée à Hathor où l'alcool se mélangeait avec le
nénuphar bleu (Nymphaea Caerulea). Au début de la ligne 42, la traduction
classique de Sdyn 'n donne« verse un vin rougeoyant», mais le spécialiste
en langue ougaritique J. Aisleitner, propose plutôt «apporte du vin
d'œil». Personne ne comprend cette traduction, qui fut naturellement
rejetée. Grâce à nos découvertes, nous pouvons déchiffrer le jeu de mots
employé ici pour nommer un liquide rouge capable de nettoyer l'œil du
dieu.
Malheureusement, la suite du récit est brisée sur 40 lignes, ce qui
nous prive de la description du retour de Baal à la vie. Un autre texte
ougaritique peut toutefois nous expliquer certains détails : il s'agit de
trois fragments de tablettes 1 à 3 R sur les Rephaïm, à savoir les dieux des
ombres et guérisseurs de l' Antiquité sémitique. Le texte étant très mutilé,
nous ne pouvons en reproduire des extraits cohérents. Par contre, nous
noterons la présence, à la ligne 8 de 1 R, d'une plante guérisseuse, 'rgz,
dont l'action fait vomir ou déféquer (sic). Il s'agit là d'un attribut que l'on
retrouve dans certaines psychodrogues issues de plantes de l'au-delà. Le
texte annonce aussi l'accession de quelqu'un à la royauté ... À la ligne 8 de
3 R, il est question de «guérison de Baal» ce qui nous laisse à penser que le
texte le concerne bien.
Ces trois documents invoquent constamment les Rephaïm (ou
Refaïm), peuple généralement associé aux Géants mythiques. Les Moabites
les nommaient Émim («choses effrayantes»). Dans la Genèse, Dieu décréta
que les descendants d'Abraham vivraient en Terre Promise, territoire
dont une partie appartenait aux Rephaïm (Gn 15:18-20). Mais la Bible et
les textes ougaritiques emploient aussi le nom de Rephaïm pour désigner
des entités interdimensionnelles capables de transiter dans le monde des
morts et visiter les vivants pour les guider et les soigner. Eux seuls sont
capables de révéler des secrets inaccessibles aux vivants. D'ailleurs le mot
236 CORPUSDEAE

Rephaïm provient de la racine sémitique Rapha qui exprime la «guérison»


et le «fait de guérir» ...

Une tablette sumérienne, intitulée «Le messager et la jeune fille»,


semble expliquer la venue d'une sorte d'esprit lors de la cérémonie de
la mort rituelle. Dans ce document, une jeune femme endosse le rôle
d'Inanna-Btar, lorsqu'elle descendit dans le «monde d'en bas» pour
Dumuzi/Marduk. Plusieurs assyriologues associent d'ailleurs ce texte au
cycle de la mort de Dumuzi.
La jeune fille décrit les offrandes et gestes réalisés pour faire venir
cet esprit, qu'elle nomme «mon Messager» afin qu'il puisse libérer le
«mort» et lui redonner la vie :

«[Mon messager] possède des yeux, mais il ne peut pas voir. Mon
messager possède une bouche, mais il ne peut parler. Mon messager
qui approche est venu, lui qui approche est ainsi venu. J'ai placé
du pain et l'ai essuyé, (dans) un bol dont le contour n'avait pas
été souillé, j'ai versé de l'eau, j'en ai versé (aussi) sur le sol et il l'a
bu. Avec ma bonne huile, j'ai consacré le mur. Avec mon nouveau
vêtement, j'ai habillé le siège. L'esprit est entré, l'esprit est parti.
Mon Messager de la Montagne, au milieu de la Montagne, il était
tourbillonnant, il est maintenant en position de repos. »
Tablette TIM 9, lignes 39 à 49

*
* *

Aucun indice ne nous permet de déterminer de façon satisfaisante


l'endroit où se situe cette Passion christique. Nous avons pu déterminer
plus haut le lieu de la mort d'Isis (à Atfieh, au sud de Memphis et du
Caire). Mais pour la suite, rien ne semble très clair. Il est question d'une
pyramide, toutefois des pyramides se trouvent à la fois en Égypte et en
Mésopotamie ... Dans son ouvrage Les guerres des dieux et des hommes,
l'auteur à sensation Zecharia Sitchin prétend que l'enfermement de
Marduk se situerait dans la Grande Pyramide de Giza, pourtant, aucun
élément ne permet de le confirmer338• Ce même auteur place également des
extraits de soi-disant tablettes en rapport avec cet épisode, sans en donner
les références et en fournissant même des traductions pour le moins
exotiques et parfaitement inconnues. Je possède des copies des fac-similés
dans mes archives, lesquelles me permettent d'éclairer cette antique affaire
policière sous un nouveau jour et je confirme que les documents présentés
par Sitchin n'existent pas! Mieux encore, Sitchin prétend avec force et
conviction que l'équipe de Marduk serait responsable, non pas de la mort

Ce point sera développé dans l'épisode des Chroniques du Cfrkù qui fera suite au Réveil du
338

Phénix.
LA PASSION ET LA RÉSURRECTION DE BEL-MARDUK, FILS DE DIEU 237

d'Isis, mais de la mort accidentelle de Dumuzi339 • C'est dire combien cette


histoire fut déviée de ses véritables sources et partait du mauvais pied.
Les dernières lignes de la tablette VAT 9555 signalent une malédiction
sur la tête de Marduk. Les dieux lui vouent un éternel tourment ainsi qu'à
sa descendance :

«Tous les dieux de la Terre et du Ciel et tous les dieux d'Assyrie le


vouent à l'anathème avec une indissoluble malédiction, avec aucune
pitié pour lui pour tous les jours de sa vie. Puissent-ils effacer son
nom et sa semence dans tout le Pays et placer sa chair dans la bouche
d'un chien ! »
VAT 9555, lignes 74 à 76

6. L'incubation royale: l'expérience du seuil de la mort (AO 3023)

Cinquième jour (partie 3) : Dans la version primitive, Bel-Marduk


restait enfermé et invisible aux vivants; il demeurait dans l'obscurité de sa
cache, totalement vulnérable du fait d'avoir été dépouillé de ses insignes
divins et de son arme. Là, il allait «voir la mort en face» et subir le rituel
TA-HÂB-ZU («pour transformer et comprendre») alors que sa compagne
devait le retrouver à la porte de la tombe.
Revenons quelques instants au rituel babylonien. À l'inverse,
l'interprétation récente du même épisode sem~le plus optimiste en faisant
intervenir le roi face à la grande esplanade, en le plaçant sur le devant de
la scène grâce à l'observation attentive de son peuple. Il peut se mouvoir
à l'extérieur, son rôle demeurant toutefois limité, car il n'a pas droit à la
parole.
En fin de journée, près de quarante minutes après le coucher du
soleil, les ritualistes de Babylone creusent une fosse dans la cour du temple.
Le prêtre Urigallû y lance une brassée de quarante roseaux et les prêtres y
effectuent une libation d'huile, de miel et de graisse pour qu'un bœuf blanc
y soit immolé par le feu de la main même du roi. Grâce à ce geste, le roi,
véritable incarnation de Bel-Marduk, doit conjurer le sort en reproduisant
l'erreur passée, mais cette fois-ci sur un animal. Le terme akkadien utilisé
en lignes 458 et 461 de la version reconstituée par l'assyriologue François
Thureau-Dangin340 est Alpu, dont la traduction est« bœuf ». Nous pouvons
toutefois indiquer que son équivalent sumérien est GUD, lequel se traduit
aussi par «bovin», donc en animal appartenant à l'espèce bovine. Cette
remarque faite, nous pouvons donc tout autant imaginer l'emploi d'un
bœuf que d'une génisse, image d'Isis-Hathor.

339 Nous avons vu plus haut, dans la présentation de la fête de !'Akitu, que Durnuzi (litt. «fils
de la vie» ou « fils légitime») semble représenter un titre divin. Durnuzi figurerait l'enfant, le
jeune dieu, avant de se transformer en Bel-Marduk, le dieu-roi et« maître des lois du Dukù ».
340 François Thureau-Dangin, Rituels akkadiens, Paris, Éditions Ernest Leroux, 1921, p. 146.
238 CORPUSDEAE

Ici s'achève la version compilée par Thureau-Dangin, mais


plusieurs fragments nous permettent de reconstituer la suite de cette fête
del' Akitu de façon assez certaine. Georges Contenau, ancien conservateur
de la section orientale du Musée du Louvre, fait remarquer qu'après ces
événements, un chevreau était jeté dans le feu afin de conjurer le sort341• Cet
animal représente Kingti, à la fois ennemi des dieux et ancien partisan de la
Grande Mère Tiamat. Deux événements semblent se mélanger ici au cycle
de l'Enûma Elis, lui-même associé aux rites du Nouvel An babylonien.
Souhaite-t-on détruire l'ennemi Kingti en raison de son ancienne alliance
avec la Grande Déesse-Mère ou bien le rendre en partie responsable de
l'enfermement du dieu? L'ancien et le nouveau Marduk, tous dépositaires
des pouvoirs sacrés et maîtres des Lois, s'amalgament de façon délibérée ...

*
* *

La mort rituelle de Bel-Marduk n'apparaît pas dans les cérémonies


del' Akitu. François Thureau-Dangin tenta de régler ce problème en 1922,
grâce à une étude intitulée «La Passion du Dieu Lillu342 ». Une tablette
sumérienne conservée au Louvre, AO 3023, semble combler ce vide et
apporter la variante inédite au cycle du dieu babylonien mort et ressuscité.
À en juger par son type d'écriture, ce document proviendrait de la dynastie
d'Isin (entre 2000 et 1500 av. J.-C.).
Le texte restitue un dialogue entre une déesse dénommée ÉGI-ME
(«princesse aux décrets divins») et son frère aimé, au nom akkadien, Lillu,
littéralement «l'insensé». On le qualifie d'insensé à cause d'une faute
que l'homme-dieu aurait commise et qu'il doit purger. Le texte ne précise
aucunement l'objet du délit que nous connaissons parfaitement pour
l'avoir détaillé plus haut sur de nombreuses pages. Aucun doute n'est
encore possible, il s'agit bien de Marduk-Horus.
Dans l'épisode de la crucifixion du Christ, l'Évangile de Mathieu
(27:55-56) fait intervenir trois femmes au pied de la croix: Marie-Madeleine,
Marie, mère de Jacques et de Joseph et, pour finir, la mère des fils de
Zébédée.
De la même manière, la tablette AO 3023 évoque trois noms, trois
déesses auprès de «l'insensé», à savoir:

L'interlocutrice principale et «sœur»: ÉGI-ME («Princesse aux


Décrets Divins»)
La mère et génitrice des dieux sumériens : GASAN-HUR-SAci
(«la Dame de la Montagne»), Ninmah de son véritable nom.
Nommée une fois A-TU-TUR, litt. «Source qui donne naissance

341Georges Contenau, La civilisation d'Assur et de Babylone, op. cit., p. 120.


342François Thureau-Dangin, «La passion du dieu Lillu », Revue d'assyriologie et d'archéologie
orientale, vol. 19, n° 4, 1922, p. 175-185.
LA PASSION ET LA RÉSURRECTION DE BEL-MARDUK, FILS DE DIEU 239

aux.petits».
GASAN-MAH («Grande Dame»), il s'agit d'une épithète
d'Inanna-IStar

Tablette sumérienne La Bible de Jérusalem


(Mésopotamie)

AO 3023 : «Trois noms Évangilf df Ma,thify, 27:55-56 :


de femmes sont indiqués «Trois femmes sont présentes
auprès de Bel-Marduk lors auprès de Jésus lors de sa Passion :
de sa Passion : Égime, Gasan- Marie-Madeleine, Marie (mère de
Hursag et Gasan-Mah. » Jacques et de Joseph) et la mère des
fils de Zébédée. »

Le texte emploie deux épithètes pour nommer Inanna-IStar: GASAN-


MAH et ÉGI-ME, ce qui réduit le nombre de personnes présentes à deux
et non à trois. Cette notion n'est pas à la portée de tous; en effet, seule
une connaissance approfondie de la mythologie sumérienne permettra
de déjouer le piège. Le document souhaite simplement insister sur les
fonctions d'IStar en montrant qu'elle mélange les aspects de la Déesse-
Mère toute puissante. Ce détail aura sans doute échappé aux compilateurs
du Nouveau Testament.
Je suggère un assemblage délibéré en raison des notions sur
la crucifixion du Fils de Dieu déjà relevées et des prochaines que nous
découvrirons encore; toutes étant consignées à la fois dans le Nouveau
Testament et sur de multiples tablettes d'argile. Ces découvertes connues
des Frères d'Orient à travers les connaissances mésopotamiennes de
Michel Psellos et du Sage Amus auront sans aucun doute fait écho chez
les Templiers qui connaissaient parfaitement le symbolisme magique de la
tête coupée.
Le lecteur aura-t-il compris le sens de tous ces mystères què les
Templiers découvrirent de leur côté? Patience, nous arrivons bientôt au
terme de cette étude, et l'assemblage du grand puzzle nous permettra
de comprendre en intégralité les notions du Graal primitif et de la tête
magique des Templiers.

Avant de nous lancer dans l'exploration de la tablette AO 3023,


plusieurs passages ou fragments nous permettent de faire la liaison pour
expliquer la présence de ces femmes auprès de Bel-Marduk.
Dans la version récente, pas un habitant ne prévoit de se coucher;
c'est le jour d'expiation pour le roi. Le peuple souhaite rejoindre le dieu
souffrant tandis qu'une agitation croissante se manifeste dans la cité
pendant la recherche de Marduk. Les cérémonies font de Nabu, pourtant
disparu dans le néant (cf. version antique), un véritable héros en quête
240 CORPUSDEAE

de son père. Les collèges de prêtres s'engagent dans la procession et


accompagnent les statues des dieux le long de la voie royale. La foule leur
emboîte le pas; scribes, fonctionnaires, soldats et marchands forment une
masse humaine ivre d'une foi mystique 343 •
Dans la version antique, la ligne 57 de VAT 9555 rapporte une course
effrénée dans toute la ville, une poursuite contre la montre où le peuple
vérifie tous les lieux de culte pour retrouver Bel. gtar finit par savoir
où se trouve désormais son compagnon. Enfermé dans «la montagne»
et intoxiqué, ce dernier est atteint d'une forte fièvre. La première chose
qu'gtar semble faire, avant même son arrivée, est de lui faire parvenir du
lait. Nous retrouvons le même schéma égyptien découvert plus haut où le
lait de Nephtys permet de soigner Horus :

«[Ce qu']elle lui fait porter, au temple de son emprisonnement[ ... ]


(C'est) le lait qu'ils tirent face à gtar de Ninive parce qu'elle l'a élevé
et a témoigné de la compassion pour lui.»
BM 134503, ligne 23 et VAT 9555, ligne 33

Nous avons vu plus haut que le lait relève de différents niveaux


d'interprétation comme l'Eucharistie, le Savoir, la Sagesse, ainsi que le
«lait de vierge» en alchimie. L'égyptologue René Lachaud ajoute que le
lait de la Déesse-Mère ou de la vache hathorique marque clairement un
rite d'adoption. La transmission du lait à «l'héritier atteste sa légitimité.
La déesse nourrissant le roi défunt à son sein lui fait absorber le breuvage
d'immortalité, car le lait est la nourriture des âmes, il contient une parcelle
de la divinité. Cet acte consacre la communion effective à l'essence divine,
à l'absorption de la Lumière solaire344 • »

Des luttes surviennent un peu partout, tous souhaitent


accompagner le jeune dieu dans sa lutte pour la survie. Le lieu du calvaire
est retrouvé et la porte percée. Une bataille s'engage:

«La porte en treillis est appelée ainsi (car quand) les dieux
l'entouraient, (Marduk) entra dans le bâtiment avec la porte
verrouillée derrière lui. Ils percèrent la porte et firent la guerre. »
VAT 9555, ligne 68

Selon les informations de la tablette sumérienne AO 3023, plusieurs


prêtresses entrent dans le temple pour assister Bel-Marduk, dit Lillu
(«l'insensé»), et le soutenir dans sa Passion. Voici les passages les plus
importants de ce document dépouillé des habituelles répétitions dont fait
souvent preuve la littérature sur argile:

343 G.R. Tabouis, Nabuchodonosor et le triomphe de Babylone, Paris, Éditions Payot, 1931, p. 258-
259.
344 René Lachaud, Les déesses de l'Égypte pharaonique, Éditions du Rocher, 1993, p. 59.
LA PASSION ET LA RÉSURRECTION DE BEL-MARDUK, FILS DE DIEU 241

«Jusqu'à quand, ô mon frère, ô enfant de la Grande Dame345 ! Vers


mon frère, je fais entendre des plaintes, des plaintes, des plaintes
de toute sorte346 • [ ••• ] ô homme, ta mère répète 'jusqu'à quand!' Ta
mère, la Grande Dame, répète 'jusqu'à quand!' La Princesse aux
Décrets Divins, qui dans le Grand Temple, répète 'jusqu'à quand!'
(La déesse) Atutur347, qui régit les Décrets, répète 'jusqu'à quand !348'
[... ] (Ta mère) s'écrie : 'Ô mon enfant, ô insensé, à qui puis-je te
confier?' Elle s'écrie : 'Ô mon chéri, à qui puis-je te confier?' La
sœur, à son frère parla en ces termes : 'Ô mon frère, du lieu où tu
reposes, lève-toi : ta mère est tournée vers toi. Ta mère, la Dame
de la Montagne349, est tournée vers toi' 350 • [ ••• ]Ta mère, la Dame de
la Montagne, dans les lamentations, ne la laisse pas demeurer! La
Princesse aux Décrets Divins, (en peine) à cause de toi, ne la laisse
pas demeurer! ô insensé, ne lui fais pas générer des hélas! Du lieu
où tu reposes, lève-toi351 ! Le frère répondit à sa sœur : 'Délivre-moi,
ô ma sœur, délivre-moi! Ô Princesse des Décrets Divins, délivre-
moi, ô ma sœur, délivre-moi! Ô sœur, ne me fais pas de reproches :
un homme qui jouit de la vue, je ne le suis plus352 • Le lieu où je repose
est la poussière de la Montagne, parmi les méchants je repose. Mon
sommeil est angoisse, parmi des ennemis je demeure. Ô ma sœur,
de ma couche je ne puis me lever. Que ma mère, qui est tournée vers
moi, délie le Silah ! Que la Grande Dame, qui est tournée vers moi,
délie le Simlah353• [ ••• ] ô ma sœur, inlassablement, donne-moi ma
part dans la demeure de mon père. Que l'eau de mon père présentée
soit mon partage! Que ma mère me présente le lin (pour) que mes
côtes reposent. Que la fiancée, par mon père, me présente le grain :
qu'elle m'écoute! Approche-moi un lit et (que) l'on fasse (réciter)
'Son Souffle s'est libéré' 354 • 'Installe un siège : fais asseoir le Silah!
Place sur le siège une étoffe : couvres-en le Simlah' ! [... ] 'Verse de
l'eau dans la fosse : arrose la poussière de la terre' [ ... ]355 »
Extraits de la tablette sumérienne AO 3023,
face a : 5 à 22; face b : 5 à 28

345 GA5AN-MAH dans le texte, litt. «Grande Dame» en sumérien.


346 AO 3023, face a, lignes 5 à 7.
347 A-TU-TUR, litt. «Source qui donne naissance aux petits» en sumérien, sans doute la déesse

Ninmah, l'ancienne reine de Kharsa~ cité sumérienne de l'Eden biblique, cf. Eden d' Anton
Parks.
348 AO 3023, face a, lignes 8 à 11.

349 GASAN-HUR-SAC, litt. «la Dame de la Montagne».

350 AO 3023, face a, lignes 18 à 22.

351 AO 3023, face b, lignes 5 à 8.

352 AO 3023, face b, lignes 9 à 12.

353 AO 3023, face b, lignes 15 à 19.

354 AO 3023, face b, lignes 20 à 24.

355 AO 3023, face b, lignes 25-26 + 28.


242 CORPUSDEAE

57. Tabl ette AO 3023 (face b ).


LA PASSION ET LA RÉSURRECTION DE BEL-MARDUK, FILS DE DIEU 243

Lillu («l'insensé» : Bel-Marduk) se trouve au tombeau. Sa sœur


Égime («la Princesse aux Décrets Divins» : gtar) se lamente sur son état et
le supplie, au nom de la mère des dieux (Atutur/Dame de la Montagne:
Ninmah) de «Se lever du lieu où il repose», c'est-à-dire de ressusciter.
Marduk est temporairement anéanti et en stase. Dans sa supplique, il
implore sa sœur de le délivrer et dépeint son état comme celui d'un mort
qui repose sous terre dans la poussière et l'obscurité, sous l'emprise de
démons qui troublent son sommeil et l'empêchent de se lever. Bien
entendu, ces démons forment ces génies invisibles, ces Rephaïm capables
de révéler des secrets inaccessibles aux vivants pour les soigner.
Le dieu implore l'aide de sa sœur : il s'agit d'une nouvelle
confirmation des données relevées plus haut, en rapport avec la capacité
de Nephtys, Porteuse du Graal, à faire renaître et relever le héros. D'autres
passages des textes funéraires font encore référence à Nephtys comme
seule à posséder la capacité régénératrice destinée aux rois défunts :

«Que Nephtys me fasse renaître afin que je puisse m'asseoir sur le


Grand Trône construit par les dieux.»
Textes de la Pyramide de Neit, extrait du chapitre 511:1154a-1154b

Marduk supplie ensuite Ninmah et !Star de délier le Silah. Après une


intervention magique en rapport avec le Souffle, cet étrange objet devient
un Simlah. François Thureau-Dangin s'étonne du mot Silah employé dans
ce contexte et dit à ce propos:« Nous sommes réduits, pour l'interprétation
de ce terme, aux indications du cqntexte. Il semble bien qu'il s'agisse d'une
sorte de double du mort, qui, une fois 'délié' pourra revenir parmi les
siens356 • »
Il me paraît normal que d'éminents assyriologues n'aient pu
comprendre le sens de ce passage, l'histoire de la «mort» de Marduk
(Horus) n'étant pas comprise comme un véritable rituel d'expiation
alchimique. Les traductions strictes de SI-LA-AH et Sl-IM-LA-AH357
donnent respectivement : «la chrysalide de la jeunesse qui redresse» et «le
Souffle de la chrysalide de la jeunesse qui redresse».
Ces deux mots confirment le repos alchimique de Marduk. La
nymphe (du grec Numphê) représente la période de développement
intermédiaire entre la larve et le stade final. Cet état génère les mues de
métamorphoses. La nymphe ne peut se mouvoir ni se nourrir. L'utilisation
de lin dans le rituel suggère une mise au repos total de l'initié (état de
Silah), sans doute enveloppé comme une momie et placé sur un lit.
On retrouve cette même idée de nymphe sur l'un des murs près
de l'Osireion d'Osiris à Abydos qui, comme expliqué dans La Dernière

356 François Thureau-Dangin, La passion du dieu Lillu, op. cit., p. 177.


SI («lumière, se tenir debout, être droit, se redresser») + IM («souffle, vent, tempête») + LA
357

(«santé, jeunesse, force de jeunesse, joie») + AH ( UH) («parasite, vermine, insecte, papillon,
chrysalide, nymphe»).
244 CORPUSDEAE

Marche des Dieux, devint un centre initiatique très important où les initiés
aux Grands Mystères d'Osiris étaient placés dans les dix-sept niches de
l'Osireion employées comme alcôves à incubation.

58. Scène de clôture


de la 12• heure du
Livre des Portes
dans le complexe de
l'Osireion à Abydos.
Isis et Nephtys se
trouvent autour
du scarabée solaire
alors qu'Osiris, en
stase, se balance à
l'envers comme une
chrysalide au-dessus
de la scène. Le Soleil
entre le scarabée et
Osiris est un Soleil
Noir, à savoir la
Lumière des initiés et
(_~"""'~i..LJ~~_.,,,,~A~ll>))~~)1:t:.:.·::· des transformations.
Le texte entouré par
Osiris dit : «C'est
Osiris, il encercle
la Duat. » La Duat
représente le séjour
de l'au-delà des
âmes conditionné
par un espace-temps

il i&rn1:~'.Jif i':<,<:'.S'C'.!N'; ; \qt0t,:;Pt\i\',?,l{#~1~


spécifique.

Le mot Simlah («le Souffle de la chrysalide de la jeunesse qui


redresse») semble connecté à la ligne 24 (face b) où il est question de réciter
un rituel en rapport avec la libération du Souffle de Marduk. De la même
manière, le texte fait intervenir la sœur (I§tar) comme seule capable d'offrir
l'eau de vie du père (Osiris). Lorsque l'état de Simlah intervient grâce au
Souffle, on doit redresser le corps et l'asseoir sur un siège. Nous sommes
en présence d'un rite de passage typiquement égyptien, gravé sur une
tablette sumérienne.
LA PASSION ET LA RÉSURRECTION DE BEL-MARDUK, FILS DE DIEU 245

D'après mes recherches, ce rituel se retrouve partiellement dans


le passage du 3e grade en franc-maçonnerie. Ce rituel hermétique, lié
au meurtre d'Hiram, est un dérivé des Mystères antiques égyptiens,
où le candidat était mis en catalepsie dans une pyramide pendant trois
jours au cours desquels il était purifié et éprouvé. Les principes de la
mort symbolique que l'on retrouve aujourd'hui dans le troisième degré
maçonnique étaient employés à l'époque mythique des dieux. En Égypte,
ce rituel se nommait Porte de la Mort. Son souvenir se retrouve jusqu'à
présent dans toutes les loges sous le nom de «Mort et Résurrection d'Hiram
Habiff, le fils de la Veuve358 ».
Ce rite de mort initiatique permet à l'adepte de plonger en lui-
même, et de connaître son corps grâce à une maîtrise de son souffle. C'est
pourquoi, dans les Mystères antiques, ce passage était appelé la Porte de
la Mort. gtar en personne avait connu ce rituel que lui avait fait subir Isis
(cf. Anton Parks : chapitre « Erelligal et le Rituel de la Porte de la Mort»
dans le dossier « Enki au Pays des Morts»). Cette expérience tire de l'âme
présente en chacun de nous la parcelle de Lumière éclatée provenant de
la Source de toutes choses. Cette fausse mort prépare une nouvelle vie.
Dans le texte étudié ci-dessus (AO 3023), ressort pleinement la symbolique
de l'initié placé en catalepsie dans la Terre-Mère (la montagne-pyramide),
cette dernière recevant la graine (le grain dans le texte) prête à être arrosée
par l'eau qui donnera dans la fosse de la pyramide une nouvelle plante.
Cette eau de vie sera transmise par une femme pleine d'amour, la sœur-
maîtresse:

«Ce que tu offres, Maîtresse, c'est l'amour qu'inspire le roi et l'aide


que reçoit le roi. Ce que tu offres, Maîtresse, c'est l'aide que reçoit
le roi et la bienveillance à l'égard du roi dans le corps de tous les
dieux.»
Textes de la Pyramide de Teti, 346:562a-562c

358 http:/ /www.ledifice.net/7122-8.html


246 CORPUSDEAE

59. Inanna-gtar porte la


coupe vivifiante dans ses
mains à Tell Hariri, en Syrie,
à une dizaine de kilomètres
de la frontière irakienne.
Fouilles de la ville de Mari

Dans le rituel babylonien, une prêtresse prend le rôle de ~arpanitu-


1Star359, l'épouse aimante du dieu. Elle s'assoit, pleurant à ses côtés : «Par
amour, pour qu'il aille mieux, elle descendit, là, attendant sa résurrection360 • »
Le dieu est ensuite enveloppé dans un linceul ou simplement déposé dans
un cercueil où il devait attendre trois jours durant sa propre résurrection ...
J'ai une fois encore sollicité Tau-Eléazar afin qu'il nous donne sa
propre version des choses, tirée des enseignements de la franc-maçonnerie :

359 Voir plus haut l'association effectuées entre les deux déesses, cf. chapitre «Sarpanitu,
porteuse du GAR-A-AL et les deux gtar, piliers du Temple».
360 Svend Aage Pallis, The Babylonian Akitu Festival, Copenhague, A. F. Host, 1926, p. 223.
LA PASSION ET LA RÉSURRECTION DE BEL-MARDUK, FILS DE DIEU 247

A.P. : D'après mes recherches, on trouve un rituel important en


Maçonnerie, celui de la régénération, où l'initié doit s'allonger lors
du passage du 3• grade. Ce rituel simule la mort du Maître.J'ai trouvé
en Mésopotamie et en Égypte des rituels de ce genre, pourriez-vous
nous en dire plus afin de vérifier si ma découverte se confirme?
T.E. : «Lors de notre élévation au grade de Maître, nous vivons
tous une nouvelle initiation: l'initiation à la mort. Sur quel chemin
veut-on nous emmener? La mort a toujours été au centre de toute
réflexion ou méditation sur la vie.
La symbolique de la mort et de la résurrection remonte à la plus
Haute Antiquité avant d'aboutir pour nous, francs-maçons, à
la légende d'Hiram. Trois mille ans avant J.-C. déjà, une légende
rapportait l'existence d'un roi fabuleux, Tammuz, amant ou époux
de la déesse-mère, qui mourait en même temps que la nature et
ressuscitait trois jours plus tard.
Vient aussi la légende d'Osiris. Râ, devenu vieux, avait choisi Osiris
son fils aîné pour lui succéder. Celui-ci, aidé de sa sœur-épouse Isis
se révèle excellent souverain. Mais Seth, frère jaloux, lui tend un
piège, le tue, dépèce son corps et en jette les morceaux dan!!, le Nil
afin d'empêcher sa reconstitution et sa résurrection. Cependant, Isis,
à force de patience et d'obstination 'rassemble les morceaux épars',
reconstruit le corps de son mari jusqu'à l'appendice manquant, grâce
à quoi elle peut devenir mère des œuvres du dieu qu'elle a ressuscité.
D'où l'adage, 'réunir ce qui est épars', cher aux francs-maçons, qui
revient à dire que tout le savoir a été éparpillé, à nous de le réunir.
Etje ne puis passer sous silence la Passion du Christ et sa résurrection,
puisque réelle ou légendaire, elle s'inscrit dans la même tradition.
Comme le roi Tammuz, trois mille ans avant lui, le Christ ressuscite
trois jours après sa mort et après être descendu trois jours aux enfers.
Mais la symbolique de la mort et de la résurrection se retrouve
dans de nombreuses cultures. Dans toutes les parties du monde,
les populations 'païennes' célèbrent des mystères auxquels on n'est
admis que par voie d'initiation. Ils renferment presque toujours
des scènes mimées où l'élément dramatique le plus fréquent est la
simulation d'une mort suivie d'une résurrection. On retrouve de
tels rites en Australie, dans l'archipel des îles Fidji, au Congo, en
Nouvelle-Guinée.
Dans l'initiation d'Hermès Trismégiste, le trois fois grand, on retrouve
un rituel initiatique pendant lequel l'élève doit plonger dans un
bassin qui se trouve au pied d'un mur. Ce dernier comprend que la
sortie du bassin se trouve de l'autre côté du mur. Il devra emprunter
un chemin inconnu, sous l'eau, dans le noir. Il y a plusieurs chemins,
des impasses, il devra trouver la voie ...
Comment ne pas comprendre que le bassin représente la matrice
féminine par laquelle il renaîtra.
248 CORPUSDEAE

Mourir pour renaître. C'est l' Anastasis, se relever, un symbole


multiple, l'homme vil doit mourir pour renaître meilleur, plus
grand. Ceci symbolise également que dans toute situation, l'initié
doit se relever.
Mais sachez que dans l'initiation maçonnique, il y a un autre
mystère, quand vous renaissez, vous revenez de la mort, mais vous
ne vous relevez pas tout seul, quelqu'un vous tend la main ...
Mais je crois que j'en ai trop dit ... »

60. La lionne Sekhmet, à la fois forme guerrière d'Hathor et déesse de la guérison, prend le
bras d'un homme allongé tout en tenant un Ankh (signe de vie et de Vénus) dans son autre
main. La scène se joue devant une figure d'Isis et un temple à deux colonnes; l'ensemble
étant surmonté de deux arbres de vie présentés sous les formes de deux colonnes de feu, un
peu à l'image des deux colonnes ]akin et Boaz du Temple de Salomon. Sekhmet semble prête
à relever l'individu. Nous pourrions également reconnaître id une version de la poignée de
main maçonnique, véritable signe de reconnaissance dans la franc-maçonnerie.
Image tirée de Hieroglyphica du philosophe alexandrin Horapollon (S• siècle de notre ère) qui
s'inspira des écrits de l'alexandrin Chérémon, conservateur de la Bibliothèque d'Alexandrie
au premier siècle de notre ère. Édition de Venise, 1505

Dans la trame égyptienne, la montée sur le trône du souverain


légitime se mêle à une volonté de rééquilibrer l'Univers. Les chroniques
égyptiennes racontent comment Horus obtient sa place parmi les dieux.
Comme pour la version babylonienne, l'exploit sera rendu possible grâce
à de nombreux sacrifices et par l'intermédiaire d'une déesse. En Babylonie,
il s'agit d'Inanna-IStar, alors qu'en Égypte, le rôle incombe à son double
Nephtys-Hathor. Véritable Porteuse du Graal primitif, Nephtys-mar
figure la prêtresse des temps anciens occultés par la nouvelle religion du
christianisme. Elle incarne la révélatrice des Mystères, la Vierge souveraine
dont la pureté se reflète dans la coupe flamboyante qu'elle porte avec elle.
LA PASSION ET LA RÉSURRECTION DE BEL-MARDUK, FILS DE DIEU 249

Horus-Marduk bénéficia du Soleil Noir, le Soleil Spirituel. Jean


Markale nous dit à ce sujet que le Soleil Noir ne brille que pour les initiés,
ceux qui savent voir dans l'obscurité. Mais une telle conception paraissait
dangereuse aux adaptateurs chrétiens de la légende du Graal. Le noir
est suspect, car incontrôlable : il faut donc l'interdire. C'est pourquoi la
femme initiatrice est une créature de «!'Ennemi» qu'il ne faut en aucun cas
désigner par son nom, car il ne faut jamais exprimer le nom véritable des
choses ou des êtres qui représentent un danger361• Nous avons vu plus haut
qu'Isis connaissait tous les véritables noms des dieux et que ce concept
relève de l'Égypte ancienne.
La pièce centrale du Graal telle que l'on la retrouve dans plusieurs
interprétations du Moyen Âge comme celles des différentes versions de
Perceval, ressemble à une partie d'échecs où la possibilité de battre l'ancien
roi (1' ancien moi) et de prendre sa place ne voit le jour qu'avec le concours
de la reine, seule pièce du jeu à pouvoir se déplacer dans tous les sens et à
accorder une victoire décisive.

7. Les derniers jours de la fête de l' Akitu : de la Résurrection au


Mariage Sacré

Les cérémonies de l' Akitu se poursuivent entre la fin du cinquième


jour et le début du sixième. Le manque de clarté quant à l'enchaînement
des événements ne nous permet pas d'apporter des réponses définitives.
La logique veut qu'après l'incarcération de Marduk et sa mise en stase
interviennent les lamentations et l'enterrement du dieu. La foule s'amasse
autour du monticule caverneux où Marduk gît en silence.

Le sixième jour. les dieux arrivent à Babylone de toutes les


directions en barque ou par la terre. Tous les temples sont ouverts et les
statues des dieux, telles des étoiles scintillantes descendues sur Terre,
avancent lentement à cause de leur poids énorme et emportent dans leur
sillage l'encens sacré qui fume dans de gros vases. Parmi les divinités,
Nabu, fils de Marduk, établit sa résidence à Ezida, la chapelle située dans
le temple de son père. Une fois encore, le rituel babylonien s'écarte de
l'histoire originelle. Dans la version ancienne, Nabu semble prisonnier
avec Marduk et disparaît subitement de la scène. Les cérémonies
babyloniennes ne suivent pas du tout ce schéma et font de Nabu un héros
prêt à libérer Bel-Marduk. Nous savons que ce rôle incombe plutôt à gtar
(Hathor) ...
Le rituel fait ensuite intervenir les deux figures en bois de cèdre
confectionnées le troisième jour des festivités de Babylone (voir le
troisième jour). Ces deux figurines représentent Marduk et Nabu avec un
serpent et un scorpion entre leurs mains, symboles d'armes redoutables et
361 Jean Markale, La femme celte, ap. cit., p. 87.
250 CORPUSDEAE

agressives comme du poison. Pour déjouer la fatalité, les deux objets de


culte sont récupérés dans le temple de Madânu (le patron des juges), puis
décapités devant la foule. Nous savons désormais pourquoi ces statuettes
aux effigies de Marduk et de Nabu subissent ce sort. Il s'agit là de changer
les destins et de faire payer les statues à la place des deux criminels, tueurs
de la Grande Déesse! On allume un grand feu purificateur et les têtes y
sont jetées. Le feu représente le seul élément capable de détruire le mal et
de le repousser.
Les prêtresses et la foule se lamentent en implorant la Lumière
divine devant la porte de l'Ésagll. Tous souhaitent réveiller le dieu allongé!
Le procédé rappelle celui effectué en Égypte ancienne où les lamentations
servent à écarter le mal grâce à des prières répétées comme des mantras
et ponctuées de cris plaintifs aux intonations singulières. La foule
interroge les prêtres à l'entrée. Sotirios Mayassis (1894-1965), architecte et
archéologue, nous dit que la cérémonie funéraire de l'enterrement devait
avoir lieu dans l'énorme soubassement, le « Gigunnù d'en bas», considéré
comme la «Porte de la Tombe» de la grande tour de Babylone. Là, dans
un caveau rectangulaire, le corps ou la statue du dieu était déposé dans
un cercueil en or. Les vêtements et les insignes du dieu étant confiés à son
épouse, celle-ci devait l'investir tout de suite après la résurrection rituelle
dans le temple362 •

61.Babylone, Oriental
Institute Museum, Chicago.
Maurice Bardin, 1936.

Sotirios Mayassis, Mystères et initiations dans la préhistoire et protohistoire, Athènes, B.A.O.A.,


362

1961, p. 34 à 36.
LA PASSION ET LA RÉSURRECTION DE BEL-MARDUK, FILS DE DIEU 251

Le septième jour. Nabu, assisté par d'autres dieux, doit libérer par la
force Marduk de la montagne du monde inférieur. Les fidèles de Marduk
miment une bataille dans les rues pour délivrer le dieu et le sortir hors
de sa prison. Leurs forces se brisent sur l'immense porte du sanctuaire,
mais tous finissent par entrer dans le monticule : la porte du caveau saute
et les assaillants pénètrent dans la salle du tombeau. Les événements se
déroulèrent-ils de cette façon dans l'histoire réelle transformée en mythe
par nos historiens? Ou bien la fête babylonienne a-t-elle inventé cette
libération afin d'accroître la dramaturgie de l'épisode?
L'archéologue Henri Frankfort dit à propos de ce septième jour
consacré à la bataille pour libérer Marduk : «Le commentaire sur la fête
babylonienne mentionne quelques incidents ayant lieu pendant que la
procession allait du débarcadère au temple. Il ne paraît pas vraisemblable
que la véritable libération de Marduk ait pu s'opérer le jour même de
l'arrivée des dieux. En outre, la journée du sept était destinée à cette
cérémonie. Malheureusement, nous ne savons pas du tout comment on
représentait la libération363 • »

Le huitième jour concerne la résurrection de Marduk. Après la


bataille, Hltar et les membres du clan de Marduk préparent la sortie à la
Lumière du dieu gisant. La tablette K 9962 de la bibliothèque d' Assurbanipal
est dédiée à !Star. Elle provient sans doute d'anciens prototypes d'époque
babylonienne en rapport avec «l'imploration à Marduk». Ce texte très
intéressant met Hltar en scène comme « résurrectrice » de Marduk, lui-
même parfaitement immobile dans son aspect vulnérable. Le texte évoque
l'état de Bel-Marduk tel qu'on le trouve dans la tablette AO 3023364 où il
implore sa sœur et sa famille. La tablette poursuit ensuite sa narration sur
l'état d'expérience au seuil de la mort où seule Hltar peut prendre la main
du roi souffrant et le relever, scène typique du Graal christianisé. Voici ce
que l'on peut en tirer malgré les régulières cassures dans le texte :

«Il est noyé de larmes, il pleure [amèrement]; ses lamentations


convoquent sa famille. À ses plaintes douloureuses s'est rassemblée
sa parenté. Le jour, il ondule, la nuit il soupire. De luis' en sont allées
pitié [et prières à?] l'imploration. Il est brulant, il est renversé, il est
recouvert tout entier365 ... Ses pieds sont broyés, ses mains tremblent,
sa poitrine a été meurtrie ... il est à l'étroit, (le souffle) court, ses
bras sont impuissants. Son humeur est sombre, sa virilité lui a été
enlevée. Ses oreilles sont affaiblies ... Il ne sait pas ce qu'il veut, il ne
se souvient pas de [lui]-même366 ... (I~tar ), prends-le par la main pour
qu'on ne lui réclame pas[ ... ?]. Renforce ses pas, as[sure] ses bases ...

36.1Henri Frankfort, La royauté des dieux, Paris, Éditions Payot, 1951, p. 415.
364 Cf. Voir plus haut le chapitre sur l'incubation royale et l'expérience du seuil de la mort.
365 K 9962, lignes 145 à 150.

366 K 9962, lignes 152 à 157.


252 CORPUSDEAE

Délivre-le de l'emprise de la catastrophe ... Celui qui explique les


songes n'a pas finalisé [son] offrande ... Que le devin ne[ ... ] pas ...
C'est pourquoi, recherche-le[ ... ] Qu'il ne traîne pas son souffle de
vie [derrière lui?] Qu'il ne passe pas sans toi [son] chemin367 [ ••• ]Il
est doux de chanter les louanges de la fille de la Lune[ ... ] Elle libère
celui qui est lié. Au prisonnier, elle fait voir la Lumière368 [... ]. »
Hymne à Htar: «Htar libère Marduk»,
tablette K 9962, colonnes 3 et 4, extraits des lignes 145 à 213

62. «l!!tar libère Marduk», tablette K 9962, colonnes 3 et 4.

367 K 9962, lignes 160 à 168 (extraits en raison des cassures).


368 K 9962, lignes 211 à 213.
LA PASSION ET LA RÉSURRECTION DE BEL-MARDUK, FILS DE DIEU 253

Plusieurs éléments soutiennent ici l'idée de l'utilisation de


psychodrogues comme la fièvre; les pieds, les bras et les mains «broyés»;
le corps renversé, ainsi que l'ouïe changeante et la sensation de ne plus
savoir qui l'on est. Le rôle du devin expliquant les songes renforce
davantage la notion de voyage chamanique au cœur des songes ...
Comme pour Jésus dans le Nouveau Testament, la résurrection
s'effectue le troisième jour après la «mise en terre». Un rapide calcul nous
permet de le confirmer : l'incubation de Marduk (sa mise au tombeau)
s'effectue le 5e jour de l' Akitu et sa résurrection intervient le se jour. La
prêtresse endossant le rôle d'IStar-~arpanitu ouvre le cercueil et découvre
le nouveau dieu. Dans le Nouveau Testament, ce rôle incombe à Marie-
Madeleine, double d'IStar-Nephtys.

Tablettes akkadienn~s La Bible de Jérusalem


(Mésopotamie)

Ç~ded!i: l' Akitu + K 2222 : Évangil!i: de J!i:m, 20:1-2: «Marie-


« IStar (double de Nephtys, Madeleine (Marie de la Tour)
Meri-Miktal ~ QQ~ découvre la résurrection de Jésus
~~M7 ll «la Bien-Aimée trois jours après sa mort. »
de la Tour») ressuscite,
libère et fait voir la Lumière
à Marduk le troisième jour
él:Près son ensevelissement.

Dans le rituel babylonien, de l'eau sacrée dont nous ne connaissons


pas la nature était utilisée pour réanimer Marduk. Pallis nous dit que
cette eau, Mê111d .Kâtâ («vivifiante, miraculeuse et sainte»), intervenait
dans une longue cérémonie dont l'objectif était de faire revenir Marduk
d'entre les morts369 • La fête del' Akitu était une cérémonie de l'élévation
agrémentée d'un cérémonial de réveil afin de faire se redresser Marduk.
Tout porte à penser qu'à son réveil, le rituel babylonien faisait intervenir le
redressement de sa statue grâce à son aspersion avec de l'eau miraculeuse.
Les textes relatant l'histoire d'origine manquent de détails. Dans la
version primitive, et non celle de l' Akitu où Marduk semble remplacé par
une statue, quel type de liquide IStar-Nephtys apporte-t-elle à Bel-Marduk?
Aucun détail n'est fourni à ce propos. Je dirai simplement que seul le
sang d'un immortel peut soigner un autre immortel... D'anciens rituels
impliquaient le partage du sang dans un couple, concept totalement oublié
aujourd'hui et diabolisé avec le mythe du vampire. Ce sujet ne concerne
pas cet ouvrage, mais le lecteur doit simplement savoir que ces anciennes
pratiques magiques, réalisées uniquement en couple, n'ont rien à voir avec
de la magie noire ou des messes noires.
369 Svend Aage Pallis, The Babylonian Akitu Festival, op. cit., p. 253.
254 CORPUSDEAE

*
* *

Les cérémonies de l' Akitu se poursuivent grâce à des scènes jouées


par des hommes et femmes du clergé. La prêtresse qui se lamente depuis
trois jours est bousculée par des prêtres officiants. Ces derniers l'écartent
alors qu'elle recule dans l'ombre. Ce manque de respect peut étonner alors
qu'elle seule est responsable de la magie de la résurrection. Le groupe
appelle Marduk: «Sors Bel, le roi t'attend! » Tous déplacent la statue divine
qu'ils font rouler sur des cylindres en bois jusqu'à l'Ubsu'ukk.inna370, le
lieu del' Assemblée divine, image d'une partie céleste où les dieux Anunna
furent engendrés. La décomposition de ce mot en UB-SU-UNKIN-NA
donne «la puissante partie de l'Univers - station del' Assemblée». Chaque
grande ville de Mésopotamie possédait un Ubsu' ukk.inna à l'image de celui
des dieux lorsqu'ils présidaient les affaires humaines. L'UB-SU-UNKIN-
NA céleste des Sumériens et Akkadiens englobe le Dukù qui représente le
«Saint Monticule», le lieu des origines des dieux.
La pièce est sombre et voûtée, logée dans les entrailles terrestres.
Toutes les statues divines s'y trouvent pour délibérer du destin de Marduk.
Le roi de Babylone implore tous les dieux pour soutenir et honorer Marduk.
On procède alors à l'investiture du dieu ressuscité. À midi, la statue sort de
la pénombre souterraine et se présente à la foule. Cette sortie triomphale
de la statue correspond à l'apogée de la fête del' Ak.itu, au moment sacré
de l'apparition du dieu, elle-même présentée comme la résurrection du
dieu mort et réanimé. La statue de Marduk restera dans l'encadrement de
la porte toute la nuit et chacun pourra l'admirer à la vive lueur des torches
divines.

Le neuvième jour, la Grande Procession reprend son cours avec la


statue de Marduk et se dirige vers la Porte Sacrée et l'avenue Aibursabu
(«Que l'ennemi ne le foule pas! »). Sarpanitu avance lentement dans l'air
étouffant du matin et les senteurs des herbes aromatiques. Ses eunuques
l'accompagnent ainsi que ses prêtresses et «filles de joie» aux tenues
légères dont les chants, danses et mélodies à la flûte émerveillent la foule.
Elles rappellent en tous points les vierges d'Hathor de l'Égypte ancienne.
Le cortège grandiose traverse ce décor féérique de briques émaillées
comme dans un rêve. Les statues divines laissent traîner derrière elles des
parfums aux senteurs mélangées.
La longue procession traverse Babylone par le nord en passant par
la Porte d'IStar et en rejoignant !'Euphrate. On transborde alors les statues
divines de leurs chars sur des barques royales. Sous la conduite du roi, les
barques voguent tranquillement et figurent l'armée victorieuse des dieux
mâles qui, à l'origine des temps, partit à la rencontre de la Mère Divine
Tiamat pour détruire ses armées dans la marée céleste. Ce neuvième
370 G. R. Tabouis, Nabuchodonosor et le triomphe de Babylone, op. cit., p. 260.
LA PASSION ET LA RÉSURRECTION DE BEL-MARDUK, FILS DE DIEU 255

jour marque la victoire de Marduk sur le Chaos des Origines. À peu de


distance, les dieux mettent pied à terre et reprennent leurs chars vers la
demeure de l' Akitu, «la Maison de Prière», le lieu même où, comme nous
l'indique la ligne 7 de la tablette VAT 9555, Marduk fut interrogé avant
de subir le rituel de l'épreuve (l'Ordalie). À en croire le plan de Babylone
d'Eckhard Unger, ce temple se trouvait à près de 200 mètres de l'enclos
nord de la ville. Marduk et les dieux vont demeurer à l' Akitu du huitième
au onzième jour. Là, loin de la foule, vont s'opérer des rites étranges en
commémoration de la victoire sur le Chaos.

63. Procession aux abords de la Porte d'Btar lors de la fête de l' Akitu. Herbert Anger, 1927
256 CORPUSDEAE

Le dixième jour. le roi, sous la forme de Marduk, célèbre sa victoire


avec les dieux des mondes supérieur et inférieur. Les statues divines sont
cérémonieusement disposées autour d'une large table pour un grand
banquet. Les statues ne mangent pas. Plusieurs textes économiques font
référence à des listes d'offrandes pour la fête de l' Akitu. On imagine
que ce banquet était destiné au roi, à la royauté et aux prêtres qui
l' accompagnaient371 afin de célébrer la royauté recouvrée de Marduk et
celle du roi renouvelée pour un an.
La nuit tombée, le roi, sous les traits de Marduk, retourne en ville
pour célébrer son mariage avec la déesse !Star incarnée par la plus haute
prêtresse de Babylone. Plusieurs tablettes nous informent, par allusion ou
extraits, que Marduk et ~arpanitu, sous les formes du roi et d'une prêtresse
d'Inanna-IStar, entraient dans la chambre sacrée pour consommer le
Mariage Sacré. Le roi devait confirmer les destins glorieux promis au pays
entier en s'unissant à l'énergie d'Inanna-IStar. Dans tous les cas, le rituel
se déroulait lors des festivités du Nouvel An. Parfois, la date de l'union
divine ne correspond pas à celle du dixième jour de la fête de l' Akitu, mais
au premier ou au troisième ou encore au quatrième jour. Nous pouvons
donc imaginer plusieurs aménagements du rituel au cours des siècles et
millénaires :

«Le Roi fit ériger une estrade pour la Souveraine du Palais, et le divin
souverain y coucha avec elle pour assurer la vie du pays tout entier;
pour célébrer exactement le Premier jour (del' An), pour accomplir
avec zèle les saints rites du 'Jour de dormir ensemble.' Au Nouvel
An, date <lesdits rites, un lit fut donc dressé pour ma Reine. On le
purifia avec des joncs et du cèdre parfumé; et cette couche pour ma
Reine une fois prête, on y jeta un couvre-lit. Un couvre-lit plaisant
qui agrémentait la couche. Ma Reine, alors, fut baignée [côte à côte]
. avec le Roi Iddin-Dagan ! Une fois la sainte Inanna lavée au savon,
l'on aspergea le sol d'huile odorante de cèdre. Puis le Roi, fièrement,
s'approcha du giron sacré : il rejoignit le glorieux giron d'Inanna et
[le Roi] coucha avec elle, palpant avec tendresse ses beaux seins!
Lorsque la Reine eut longuement reposé sur le giron du Roi. .. Elle
murmura : 'Iddin-Dagan, oui, je prolongerai ta vie' 372 ! »
Hymne à Inanna de la dynastie d'lsin
(entre 2017et1817 av. J.-C.), extrait des lignes 169 à 192

L'union du roi, image du dieu avec la déesse, marquait le retour de


la fécondité de la nature, des campagnes, des troupeaux et de l'humanité
après la stagnation de l'hiver.Nous ne savons pas avec précision où se situait
la chambre Gigunû, terme akkadien généralement traduit par «chapelle

371 Julye Bidmead, The Akitu Festival- Religious Continuity and Royal Legitimation in Mesopotamia,
op. cit., p. 100.
m Samuel Noah Kramer, Le mariage sacré, Paris, Berg International, 1983, p. 71-72.
LA PASSION ET LA RÉSURRECTION DE BEL-MARDUK, FILS DE DIEU 257

sacrée sur la terrasse d'un temple». Ce mot provient du sumérien GI-GÙ-


NA, interprété comme «construction sacrée», mais dont la traduction
stricte donne «la mesure du tribut». Au regard de cette traduction, il faut
voir dans ce rituel, déjà pratiqué à l'époque sumérienne, un procédé royal
considéré comme une obligation et une charge du souverain envers la
Déesse-Mère.
Certains pensent que cette union se déroulait dans le quartier sacré
de Babylone, plus précisément dans le complexe de l'Ésa~il (Temple au
sommet élevé). S'agissait-il du temple bas ou bien du temple haut où
se situait la pyramide à degré, la fameuse ziggourat ou Tour de Babel
dénommée Étemenanki373 ? Hérodote, historien et géographe grec du
s• siècle avant notre ère, semble apporter une réponse à cette énigme en
décrivant la tour de Babel où se déroulait le rite en question :

«[Une] enceinte entoure la ville (de Babylone) comme une véritable


cuirasse. Il en existe une autre à l'intérieur, aussi solide, mais moins
large que la première. Chaque moitié de la ville, de part et d'autre
du fleuve, possède une sorte de place centrale fortifiée. Dans
l'une, cette place est occupée par le palais royal, dans l'autre par
le temple de Jupiter-Baal, grand quadrilatère de deux stades de
côté, qui existe encore actuellement. Au milieu du temple est bâtie
une tour massive, d'un stade de long et de large, surmontée d'une
autre tour, puis d'une autre, et ainsi de suite jusqu'à huit tours. Une
rampe extérieure, en spirale, permet d'accéder au sommet. À mi-
chemin de la montée, il y a une sorte de halte, avec des sièges où l'on
peut se reposer. Au sommet de la dernière tour se dresse un grand
temple, à l'intérieur duquel on peut voir un lit garni de couvertures
magnifiques et une table en or. Il n'y a aucune statue. Personne
n'a le droit de passer la nuit dans ce lieu, sauf la femme du Pays
désignée à chaque fois par le dieu, aux dires des prêtres chaldéens
qui sont les prêtres du dieu. Ces mêmes Chaldéens affirment (ce que
j'ai peine à croire) que le dieu en personne descend dans ce temple
et vient s'étendre sur ce lit. La même chose se produirait à Thèbes,
en Égypte, aux dires des prêtres égyptiens. Dans les deux cas, ces
femmes, épouses du dieu, ne peuvent avoir aucun rapport sexuel
avec les hommes (mortels). Pratique qu'on retrouve à Patare, en
Lycie, où Apollon se rend à certaines époques à l'intérieur de son
temple, et passe la nuit avec la grande prêtresse. »
Hérodote, Histoire, Livre 1, 181

373 É-TEMEN-AN-KI, litt. «la demeure du fondement du Ciel et de la Terre» en sumérien.


258 CORPUSDEAE

64. Maquette du complexe de l'Ésagil avec la ziggourat Etemenanki


ou «Tour de Babel» (Babylone).

Chaque étage de la ziggourat de Babylone possédait une chambre


secrète où le roi devait s'arrêter pour exécuter quelques formules rituelles
lors de son ascension jusqu'à la chambre nuptiale. Le souverain accédait à
la pièce en montant la tour par les escaliers de droite. La prêtresse figurant
la déesse - «fille du Ciel pur, pareille au Soleil levant» - abordait le sommet
par l'escalier de gauche. Le grand prêtre allumait une torche avec le Feu
Sacré et prononçait ses oraisons. La torche enflammait un autel au sommet
de la ziggourat et la cérémonie se finissait par le bris d'une jarre devant la
torche sacrée374, symbole de la Lumière qui écarte le Mal. Tous descendaient
ensuite de la tour pour laisser le couple royal dans la chambre nuptiale.
La prêtresse était généralement une Nindigir (dame des dieux) ou
une Qadistu, «Une sainte femme consacrée». Ce nom akkadien n'a rien à
voir directement avec la prostitution sacrée et est, à tort, souvent traduit
par «hiérodule» (prostituée). Il désigne plutôt une prêtresse de haut rang.
QadiStu était d'ailleurs une épithète d'lnanna-IStar en qualité de grande
prêtresse. Dans de nombreux textes, ce nom akkadien désigne de saintes
accoucheuses et des nourrices, comme l'était justement Nephtys-IStar. Ce
mot fait partie de la même famille que Qadâ5u («être libre, être pur») et
Qâdu («allumer, brûler, mettre le feu»). Son équivalent sumérien est NU-
37• Sotirios Mayassis, Mystères et initiations dans la préhistoire et protohistoire, op. cit., p. 68 à 70.
LA PASSION ET LA RÉSURRECTION DE BEL-MARDUK, FILS DE DIEU 259

GIG («la non-malade»). Sa décomposition en sumérien donne KAD 4-151-TU


(«ancien assembleur de vie») ou encore KAD [IS-TU («assembler la vie des
étoiles»). C'est dire la connotation sacrée que renferme ce titre incroyable.

Quoi qu'il en soit, la prêtresse de haut rang représentait rntar, la'Dame


du Ciel et de la Terre, et octroyait la prospérité ainsi que la royauté pour
l'année nouvelle. Les papyrus égyptiens et tablettes mésopotamiennes
attestent que les différentes déesses de l'Égypte ancienne et de Mésopotamie
- assimilées à des Vaches Célestes - transmettaient aux rois leur divinité
et pouvoirs divins en ayant des rapports sexuels avec eux. Le roi était
invité à partager l'énergie vitale de la prêtresse-déesse dans le lit nuptial
sacré où il obtenait l'immortalité et devenait ainsi «le Taureau du Ciel».
De même, les grandes prêtresses de l' Antiquité, véritables incarnations
de la Déesse-Mère sur Terre, pratiquaient le hieros gamos, «le Mariage
Sacré». Elles choisissaient un amant, regardé comme le fils de la Déesse-
Mère, et pratiquaient avec lui «une union sexuelle sacrée». À l'issue du
rituel, l'homme se transformait en époux de la déesse et portait la fonction
royale. Ces rites se pratiquaient aussi bien à Sumer et en Égypte qu'en
Grèce classique.
Les rapports nuptiaux formaient donc le moteur et le point culminant
de cette fête royale associée à la résurrection du souverain et de la nature.
Le prince ou le roi, sauvé par la déesse, lui devait respect et demeurait
soumis à cette royauté céleste clairement matriarcale. Nous ne savons
pas grand-chose du rite sexuel pratiqué lors de cette intronisation, mais
quelques éléments demeurent encore. Depuis la plus ancienne Antiquité,
il subsisterait une connaissance millénaire liée à l'éternité et aux cycles
menstruels des femmes associés à un éveil profond. Nombre de traditions
comme celle du tantrisme renferment des techniques de sexualité sacrée
dont l'alchimie quelque peu ésotérique accorde l'illumination spirituelle
et une forme de longévité. Le moment optimal pour cette illumination
transformatrice se produirait lors des menstrues de la femme, alors que
son énergie sexuelle se trouve au plus haut. Cette énergie, canalisée
lors de rituels sacrés comme l'union royale, permet au couple d'obtenir
l'illumination et de se rapprocher du Créateur Universel, mais aussi
d'accéder à sa propre divinité intérieure. L'exaltation prolongée ainsi
produite, en faisant monter l'énergie le long des sept chakras principaux,
éveille l'état d'identité absolue qui préfigure l'illumination divine375 •
Comme évoqué plus haut, on peut imaginer ici le partage magique du
sang du couple divin ...

375 Cf. Anton Parks, Le Secret des Étoiles Sombres, édition intégrale, dossier «Le sens de l'arbre

dans les mythologie».


260 CORPUSDEAE

65. Htar tient


dans sa main un
caducée, symbole
d'élévation et
de maîtrise des
énergies.
Musée du Louvre,
A012456.
Photographie de
Marie-Lan Nguyen

Les onzième et douzième jours marquent une seconde détermination des


destinées et les dieux récupèrent pour une année leurs fonctions divines. La
joie éclate dans la ville. La musique enfle de partout sous les senteurs des
parfums et de l'encens. Les gens affluent des quartiers, la marée humaine
se déplace en cœur; tous vont oublier pour quelques heures les difficultés
de la vie. La statue du grand Marduk retourne dans son palais pour une
année tandis que les festivités se prolongent jusqu'à tard dans la nuit. Dès
le lendemain, les statues des dieux venues en visite pour l'événement
regagnent leurs cités pour retourner dans leurs temples respectifs ...

*
* *
LA PASSION ET LA RÉSURRECTION DE BEL-MARDUK, FILS DE DIEU 261

Que devint Jésus-Christ dans la tête des Templiers après la


découverte de ces traditions égyptiennes et mésopotamiennes? Faut-il
encore s'étonner du fameux crachat sur la croix révélé lors du procès des
Templiers? En effet, dès la réception dans l'Ordre, tout moine-chevalier
devait cracher sur une croix; beaucoup évoquent plutôt un crucifix, donc
une représentation de Jésus crucifié.
Notre enquête va maintenant se borner à rassembler les pièces à
conviction relevées tout au long de cette étude à rebondissements. Des
éléments complémentaires vont étoffer le scénario et éclairer la scène
sous un jour nouveau. Le fameux Baphomet, cet être étrange voué au
satanisme, va prendre une tout autre forme et retrouver ses véritables
valeurs et fonctions. À cet effet, nous ne manquerons pas de découvrir à
quel point la vénération des Templiers pour le fameux Baphomet contribua
à leur rejet de la crucifixion du Christ, mais aussi au refus de l'image de la
Vierge Marie telle que Saint Bernard de Clairvaux et toute l'Église de Rome
souhaitaient la propager.

Quant au Graal, nous ne ferons aucun compromis à son sujet. Nous


avons déjà découvert plusieurs notions en rapport avec ce Graal primitif,
mais l'essentiel reste encore à identifier. Faut-il s'en étonner, les récits
chrétiens du Graal naissent peu après les premiers pas des Templiers dans
le tumulte moyenâgeux du Proche-Orient ... La légende ne dit-elle pas que
le chevalier allemand Wolfram von Eschenbach, responsable d'un des plus
fameux récits du Graal, était lui-même Templier? N'était-il pas un initié à
la gnose (la connaissance cachée)?

«Retenons seulement que le royaume du Graal (ou celui de la


Présence Divine) devenait ainsi le symbole de cette Contrée Suprême
édénique où la gnose est reine et l'ignorance bannie; Terre Sainte
située au centre de toute véritable « Queste » spirituelle : le pôle
mystique de toutes les Traditions converge, parce que, à l'origine
sans doute, elles en émanent directement376 • »
Wolfram von Eschenbach - Parzifal

Que représentait le Graal primitif? S'agissait-il d'un élément


émanant de la divine Lumière et recueilli dans une coupe lunaire? La
coupe de Nephtys-Hitar se mélange étrangement avec le vase de parfum
de Marie la pécheresse (dite Marie de Béthanie), et l'énigmatique Marie-
Madeleine. Cette Marie-Madeleine, véritable Porteuse du Graal primitif,
n'était-elle pas plutôt un personnage mythique et composite, assemblé
à partir de récits orientaux bien plus anciens? Ou s'agissait-il d'une
projection archétypale soumise aux cycles du temps?
Tous les aspects les plus profonds du gnosticisme relèvent du
principe féminin incarné par les deux faces d'une même énergie présente
376 Wolfram von Eschenbach, Parzifal, Paris, Éditions Aubier-Montaigne, 1977, p. 17.
262 CORPUSDEAE

depuis la nuit des temps: Marie (Isis) et Marie-Madeleine (Nephtys-IStar).


Marie et Marie-Madeleine forment un duo de saintes particulièrement
vénérées par les Templiers. Au début de mes Chroniques du Gfrkù (Le Livre
de Nuréa), cette énergie féminine rassemble respectivement Pmé~ (Pistis en
grec : «Foi») et ~uhia (Sophia en grec : «Sagesse») que l'on retrouve sous
la forme de Pistis-Sophia dans les textes gnostiques d'Égypte, à savoir la
Divine Sagesse, la Mère des Origines; seule apte à opérer le Salut. Or la
gnose, elle-même, se prédestine au Salut ...
LES SECRETS DU BAPHOMET
ET DU GRAAL
« Parsifal » de Jean Delville (1890)
1
Le Baphomet décrypté

Selon la doctrine virginale de Saint Bernard de Clairvaux (neveu


d'André de Montbard, l'un des neuf fondateurs de L'Ordre et se Grand
Maître du Temple), la Dame Céleste n'était-elle pas le double du héros,
celle qui le protège et qui l'inspire en tout temps et en tout lieu? Saint
Bernard, on le rappelle, rédigea la Règle et les Statuts de l'Ordre du
Temple. Les Templiers suivirent normalement ses enseignements, mais
leurs découvertes les dévièrent très rapidement de la conception initiale
de la Sainte Vierge propagée par Saint Bernard qu'il nommait lui-même
Notre Dame ...
Nous l'avons vu plus haut, Saint Bernard s'emporta régulièrement
contre les Templiers et sembla vouloir faire marche arrière à plusieurs
reprises. Seul le pape en personne put l'obliger à respecter ses engagements.
Bernard de Clairvaux, en contact intime avec l'énergie solaire de la Vierge
Marie, aurait-il eu peur des découvertes des Templiers? En effet, ces
«découvertes orientales» remettaient en cause l'amour que ses moines-
soldats devaient porter à Marie, la mère de Jésus et au Christ lui-même.
Or, nous l'avons découvert sans l'ombre d'un doute : les Templiers ne
pouvaient plus se fondre dans l'amour de ces pâles reflets alors que leurs
regards se portaient plus loin encore, vers des temps plus anciens, vers
l'origine de toute chose ...

1. La chute de l'Ordre du Temple

En 1291, à la suite de la perte de Saint-Jean d' Acre (ville sti:atégique


située au nord de la baie de Haïfa), les chrétiens quittent définitivement
la Terre Sainte et le pouvoir de l'Ordre du Temple se déplace
provisoirement à Chypre. Cette date marque la fin du Royaume latin
de Jérusalem; les ordres religieux comme les Templiers et Hospitaliers
n'échappent pas à l'exode forcé. Très rapidement se pose la question de
266 CORPUSDEAE

l'utilité de l'Ordre du Temple, employé depuis près de 180 ans à protéger


la Terre Sainte.
Peu à peu, les Templiers regagnent l'Europe et leurs nombreuses
commanderies. Ces dernières possèdent des richesses à faire pâlir les plus
grands royaumes et royautés. L'argent s'est entassé au fil des décennies
grâce à leurs nombreuses redevances et aux bénéfices tirés de leurs
commanderies parfaitement autonomes. Leur puissance militaire pose
un énorme problème : les Templiers possèdent au minimum près de
15 000 hommes entraînés au combat, dont 1500 chevaliers377 • Tous jouissent
d'une totale indépendance et ne relèvent que du pape.
Cinq ans après la chute du Royaume de Jérusalem, Philippe le Bel,
le roi de France, se prépare à spolier les biens de l'Église pour financer les
trous béants des caisses du royaume engendrés par les guerres à répétition,
les conquêtes ruineuses, l'occupation de la Flandre révoltée ... Le pape
Boniface VIII rédige alors la bulle « Clericis Laicos » (1296) menaçant ainsi
d'excommunication tout homme <l'Église qui revendiquerait des taxes
auprès du clergé. Philippe le Bel s'oppose radicalement à cette contre-
attaque avec l'appui de la noblesse et du clergé français totalement soumis.
Le pape répond alors avec une nouvelle bulle de conciliation intitulée
«Ausculta Fili » que le roi français fait brûler à Paris!
Pour Philippe le Bel, tous les moyens sont bons pour financer son
trésor en perdition. L'impôt sera évidemment le premier moteur pour
lequel le roi fera preuve d'une imagination extrême. Nul n'y échappe!
En parallèle avec ses conflits contre l'Église qui refuse de se soumettre à
l'imposition, Philippe le Bel taxe des marchandises diverses et imagine des
droits de douane ainsi que des impôts sur le patrimoine. Cela ne suffit pas!
Il doit alors emprunter auprès des Italiens, qui, à travers leurs rapports et
commerces avec les plus grandes plateformes de l'Orient, sont devenus les
banquiers du monde occidentaP78 •
En parallèle, Boniface VIII tient bon et convoque, en novembre
1302, un concile extraordinaire pour décréter une troisième bulle, « Unam
Sancttim », en vue de rappeler la domination de l'Église et l'autorité de son
pouvoir. En septembre 1303, le nouveau chancelier du roi, Guillaume de
Nogaret, recrute 600 cavaliers et 1500 fantassins pour envahir la petite ville
d' Anagni. Les troupes assiègent le palais pontifical d' Anagni et agressent
le pape qui mourra un mois après, certains diront à la suite de toutes
les humiliations subies par sa personne, alors que d'autres invoqueront
plutôt les blessures de l'attentat. Le 7 juin 1304, le nouveau pape, Benoît XI,
s'empresse alors d'excommunier Guillaume de Nogaret et ses complices
proches, ce qui lui vaut d'être empoisonné un mois plus tard en mangeant
des figues ...
Pour en finir une fois pour toutes avec tous ces papes insoumis,
le chroniqueur Jean Villani prétend que Philippe le Bel s'arrangea avec
377 Patrick Huchet, Les Templiers, de la gloire à la tragédie, Éditions Ouest-France, 2010, p. 99.
378 Romaric Godin, Philippe le Bel, ou l'argent à tout prix, latribune.fr, 18/07 /2010.
LE BAPHOMET DÉCRYPTÉ 267

l'archevêque de Bordeaux en échange de son élection. Ce dernier accepta


et fut élu pape sous le nom de Clément V en juillet 1305. La complaisance
de Clément V impliqua l'acquittement de Philippe le Bel grâce à une bulle
qui annulait toutes celles encore en vigueur contre le roi et ses complices.
La voie était toute tracée pour entamer la ponction des biens de l'Église
tant convoitée par le roi.
Malheureusement, le prélèvement des revenus du clergé ne suffit
pas. Le Trésor étant toujours à l'agonie, Philippe le Bel s'attaque alors aux
usuriers étrangers. Le 22 juin 1306, les 100000 Juifs de France (exclus de
la société médiévale chrétienne) sont réveillés par des officiers qui leur
notifient leur expulsion du royaume et la saisie de tous leurs biens et
créances. On leur laisse juste le temps de racheter leurs livres de prières qui
seront vendus à l'enchère comme le reste, précise le journaliste Romaric
Godin. Les historiens ne s'accordent pas sur les gains obtenus lors de cette
injustice: les estimations vont de 140000 à deux millions de livres379 • Mais
les caisses du royaume ne sont pas pour autant renflouées.
À cette époque, Clément V caresse l'idée de fondre les deux ordres
militaires de moines-soldats, Hospitalier et Templier, en un seul pour créer
une armée monastique sans rivalité et sous commandement unique. Le
pape et le roi de France se mettent alors à rêver d'une nouvelle Croisade ...
Mais les deux ordres ne veulent surtout pas de cette union : rien d'étonnant
au regard de la grande rivalité qui les oppose.
Après les impôts, les taxes, les multiples emprunts à l'étranger,
la dévaluation de la monnaie, les ponctions dans les caisses de l'Église
et la ruine programmée de la communauté juive, il ne restait plus qu'à
s'attaquer aux plus riches et plus puissants d'entre tous : les Templiers.

Pourtant, s'en prendre à cet ordre puissant et assez populaire à


l'époque relève de l'impossible. Il aura fallu imaginer des stratagèmes et
fouiller patiemment. Des rumeurs déplaisantes circulent depuis 1305. Il
est déjà question d'idolâtrie, d'hérésie et d'actes sacrilèges. Tout démarre
à partir d'un personnage douteux, un certain Esquieu de Floryan, lequel
colporte auprès de la cour de France une histoire impensable pour laquelle
toutes les oreilles vont pourtant se dresser. L'homme, emprisonné pour
un léger méfait, aurait partagé la cellule d'un Templier coupable d'une
broutille. Or, ce dernier lui aurait avoué toutes sortes de pratiques secrètes
et honteuses. Était-ce un cas isolé? Absolument pas, tout l'Ordre du Temple
était ainsi gangréné selon ses propos!
Le pape connaît ces rumeurs, mais il n'y prête pas attention.
Entre la fin 1305 et le début 1306, Philippe le Bel lance une enquête plus
approfondie et ouvre «le dossier Templier» grâce au zèle de plusieurs de
ses conseillers comme Guillaume de Nogaret et Guillaume de Plaisians.
Ces derniers font entrer dans l'Ordre une douzaine d'espions ... En avril
1307, les espions rendent les conclusions de leur enquête sur le terrain. Les
379 Ibid.
268 CORPUSDEAE

résultats sont graves dira-t-on plus tard. Mais les charges reposent sur des
«bruits de couloir» et non sur des faits avec preuves à charge, documents
écrits et aveux. Il fallait discréditer l'Ordre, quitte à créer des faux. Alors
une campagne d'accusation et de diffamation est lancée. Comme les motifs
sérieux d'inculpation faisaient défaut, Nogaret et sa bande se lancent dans
la compilation de témoignages, souvent dénaturés, avec interprétations
ciblées des informations métamorphosées en faits outranciers à l'apparence
véridique ... On s'étonnera qu'une telle chose fût rendue possible, même à
cette époque.
En raison du manque de réaction du pape, Nogaret accentue la
pression en laissant entrevoir un marchandage, nous dit l'historien Alain
Demurger: Anagni contre Templiers! Les moines-soldats del' entourage du
pape préviennent le Grand Maître de l'Ordre du Temple, Jacques de Molay,
présent en France depuis quelques mois. Ce dernier prend les devants et
demande au pape l'ouverture d'une enquête pour laver de tout soupçon
l'Ordre accusé de mille manières. En août 1307, le pape annonce à Philippe
le Bel sa volonté d'ouvrir une enquête. Cette initiative va précipiter les
événements au profit du roi. A ses yeux, l'enquête pontificale risque de
traîner et d'aboutir à un non-lieu, tant la mauvaise volonté du pape semble
grande. On l'aura compris, Philippe le Bel ne souhaite aucun acquittement!
Alors, ajoute Alain Demurger, «passant outre aux prérogatives de la
juridiction de l'Église, la police royale et le pouvoir laïc prennent les choses
en mains et créent le fait accompli 380! »

Intervient alors cette histoire connue de tous et sur laquelle nous


n'allons pas nous étendre : le vendredi 13 octobre 1307, à l'aube, l'agent
du roi, Jean de Verretot, donne connaissance à quelques personnes réunies
d'une lettre de Philippe le Bel, datée du 14 septembre de la même année et
dont voici quelques extraits :

«(. .. )Une chose tout à fait inhumaine, a, grâce aux rapports de


plusieurs personnes dignes de foi, retenti à nos oreilles, non sans
nous frapper d'une stupeur et nous faire frémir d'une violente
horreur.(. .. ) Naguère, sur le rapport de personnes dignes de foi qui
nous fut fait, il nous est revenu que les Frères de l'Ordre de la Milice
du Temple, cachant le loup sous l'apparence de l'agneau et, sous
l'habit de l'Ordre, insultant misérablement la religion de notre foi,
crucifient de nos jours à nouveau notre Seigneur Jésus-Christ, déjà
crucifié pour la rédemption du genre humain, et l'accablent d'injures
plus graves qu'il souffrit sur la Croix, quand, à leur entrée dans
l'Ordre et lorsqu'ils font leur profession, on leur présente son image
et que, par un malheureux, que dis-je? Un misérable aveuglement,
ils le renient trois fois et, par une cruauté horrible, lui crachent
trois fois à la face; ensuite de quoi, dépouillés des vêtements qu'ils
380 Alain Demurger, Vie et mort de !'Ordre du Temple, Paris, Éditions du Seuil, 1989, p. 298.
LE BAPHOMET DÉCRYPTÉ 269

portaient dans la vie séculière, nus, mis en présence de celui qui les
reçoit ou de son remplaçant, ils sont baisés par lui, conformément au
rite odieux de leur Ordre, premièrement au bas de l'épine dorsale,
secondement au nombril et enfin sur la bouche, à la honte de la
dignité humaine. Et après qu'ils ont offensé la loi divine par des
entreprises aussi abominables et des actes aussi détestables, ils
l'obligent, par le vœu de leur profession et sans crainte d'offenser la
loi humaine, à se livrer l'un à l'autre, sans refuser, dès qu'ils en seront
requis, par l'effet du vice d'un horrible et effroyable concubinat. Et
c'est pourquoi la colère de Dieu s'abat sur ces fils d'infidélité. Cette
gent immonde a délaissé la source d'eau vive, remplacé sa gloire par
la stahie du Veau d'or et elle immole aux idoles381 (. •• ). »
Extraits de la lettre de Philippe le Bel
dévoilée le jour de l'arrestation des Templiers

Nous ne saurons jamais comment il fut possible d'arrêter autant


de Templiers. D'après les archives, près de 2 000 individus sont arrêtés
en France à partir de cette date; des chevaliers aux serviteurs, jusqu'aux
travailleurs agricoles. On notera tout de même une forte majorité de cette
dernière catégorie «non initiée aux Mystères» qui passera entre les mains
de l'inquisition.
L'effet de surprise semble total, bien qu'il soit pratiquement
impossible que le Temple ne fût pas au courant d'une telle machination. Les
Templiers possédaient leurs espions. Le projet devait sûrement se savoir,
mais peut-être pas la date exacte. Les soldats du Temple disposaient des
armes et des forces nécessaires pour se défendre, pourtant, rien ne semble
démontrer de véritables résistances. Pourquoi?
Le lendemain de leur arrestation, la plupart des Templiers sont
regroupés dans les jardins de la cathédrale Notre Dame de Paris, et
présentés au peuple comme de vulgaires hérétiques. Cette méthode de
propagande, voulue par Philippe le Bel, manifeste une volonté très claire
de manipuler l'opinion publique pour justifier la mise en place éclair
des interrogatoires. Dans un très intéressant reportage sur les Templiers,
Guislain Brunel (conservateur en chef des Archives nationales) montre
un document exceptionnel daté du dimanche 15 octobre 1307. Alors que
l'on pensait que les interrogatoires n'avaient démarré que le 19 octobre, le
document montre qu'il s'agit du premier interrogatoire conservé ... et daté
du surlendemain de l'arrestation des Templiers! On y trouve la mise en
place de l'interrogatoire sur l'Isle-sur-Aumont (Aube), avec l'inquisition et
les premières expérimentations de la torture sur les personnes de Raoul de
Gizy, Jean de Sainte-Geneviève et Nicolas de Serre, ce dernier étant présent
dans !'Ordre depuis l' Assomption de la même année, soit seulement deux
mois avant son arrestation382•
381 Alain Desgris, Jésus et la gnose templière, op. cit., p. 261-262.
382 Mathieu Pradinaud, "La vérité sur les Templiers», documentaire, © Gédéon Programmes
270 CORPUSDEAE

Le procès devait durer trois mois, selon les volontés du roi, il se


prolongera sur près de sept années. Sept ans de malheur où, comme
l'indiquent avec pertinence Geneviève Béduneau et Bernard Fontaine,
l'attitude du Grand Maître et des Templiers interrogés et torturés défie
tout bon sens! Très rapidement, Jacques de Molay et les siens passent aux
aveux complets pour se rétracter quelques jours après ... Aux premiers
aveux, arrachés pour certains par la torture, succède le jeu des rétractations,
surtout après que le pape Clément V, effrayé par la violence de la procédure,
a suspendu pour un temps les pouvoirs des inquisiteurs. Plus le procès
avance, plus les Templiers semblent raconter n'importe quoi. Malgré un
procès à charge, et une volonté de plus en plus évidente d'en finir avec les
Templiers, la stratégie de Jacques de Molay semble parfaitement suicidaire!
On distingue en effet une volonté de saborder l'action en justice, de créer
une confusion qui n'aboutira finalement à rien du tout. Le jeu des aveux
et des rétractations ne cessera jamais tout au long de ce rocambolesque
procès. Aucun des docteurs en théologien' avait prévu cela. Or, se rétracter,
c'est se reconnaître parjure, c'est d'ailleurs ce qui mènera Jacques de Molay
directement au bûcher après une dernière rétractation le jour même de
son exécution, celle de trop alors que le Maître du Temple connaissait
parfaitement le sort réservé aux relaps. Jusqu'à la mort du Grand Maître
qui mit fin au procès, les Templiers échappèrent à l'état de relaps, et on les
regardait plutôt comme des «hérétiques impénitents». En ce qui concerne
l'auto-sabordage du Temple, nous pouvons envisager la préférence de
Jacques de Molay de ne pas voir les Templiers partir dans une nouvelle
Croisade et servir ainsi la cause de Philippe le Bel et du nouveau pape dans
lesquels le Temple ne se reconnaissait pas383 •••
Maintenant, le facteur «inquisition» doit être pris en compte. On l'a
vu, il intervient le surlendemain del' arrestation. Personne ne peut imaginer
ce que l'on peut dire ou faire sous la torture. Les inquisiteurs interrogèrent
les Templiers de nombreuses fois jusqu'à leur confession forcée! On les
questionnait dans des «lieux secrets». Par la torture, les inquisiteurs
cherchèrent aussi à écarter les Templiers de leur foi, comme ils le firent
lors de la «chasse aux sorcières» un peu plus tard, entre 1560 et 1680.
Selon les propos de l'évêque Guillaume de Paris, en charge des
interrogatoires musclés dans les basses fosses de l'enclos de la forteresse
du Temple de Paris, ils affamaient les Templiers et, en cas d'échec, ils les
menaçaient de la torture en présentant les instruments. En cas de rejet,
les inquisiteurs passaient à la torture proprement dite par un tortionnaire
clerc approprié. Tortures morales et physiques sont au rendez-vous, les
Templiers sont poussés jusqu'à l'épuisement et l'hystérie, voici une liste
non exhaustive : os écrasés, membres écartelés, dents arrachées, membres
disloqués à la tenaille, ou par le chevalet (avec système de poulies et de

- Histoire, 2013.
383 Geneviève Béduneau & Bernard Fontaine, Mystères et meroeilles de l'histoire de France,

Éditions J'ai Lu, 2015, p. 349 à 357.


LE BAPHOMET DÉCRYPTÉ 271

cordes), mains et pieds brûlés jusqu'à l'os par le fer rouge, crucifixion
sur un poteau entraînant l'asphyxie, etc. Un Templier fut tellement brûlé
qu'il en perdit des os de ses pieds. Un autre témoignage de supplicié du
Temple révèle que ce dernier aurait été «prêt à tuer Dieu» pour mettre fin
à son supplice. Les prêtres inquisiteurs de cette époque étaient de grands
malades capables des pires sévices. Inutile de prier pour ces détraqués
voués à l'Enfer !
Dans la capitale uniquement, 340 Templiers se retrouvèrent détenus
dans 19 maisons d'arrêt. Sur 138 Templiers suppliciés à Paris, 36 mourront
sous la torture. «Les chevaliers sont frappés d'une telle terreur, qu'il faut
bien moins s'étonner s'ils font de faux aveux qu'admirer le courage de
ceux qui soutiennent la vérité, malgré leur péril et leurs justes craintes»,
nous dit François Raynouard à qui l'on doit plusieurs détails contenus
dans les comptes rendus de procès384•

2. La tête coupée et son rôle divinatoire

Lors du fameux procès des Templiers, tout au long des interrogatoires


classiques, ou sous le joug de l'inquisition, la tête du Baphomet apparaît
sous différentes formes, mais avec de nombreux points communs. C'est
précisément cet objet troublant, vénéré par les Templiers lors de leurs
réunions, qui va permettre aux juges de s'engouffrer dans la voie du
satanisme et permettre ainsi de salir la réputation de l'Ordre, plus que tout
autre chef d'inculpation ...

66. Figure classique du


Baphomet par Eliphas
Lévi (1810-1875).
On remarquera les deux
principes alchimiques,
Solve et Coagula, notés sur
les deux bras ...

""' François Raynouard, Les Templiers, Tragédie en cinq actes, Paris, Éditions Giguet et Michaud,
1805, p. 48.
272 CORPUSDEAE

Avant de nous engager dans l'étude historique du fameux


Baphomet, j'invite le lecteur à se pencher quelques instants sur le thème
de la tête coupée. Je n'avais initialement pas prévu de traiter d'un sujet
aussi macabre, mais l'étude approfondie de textes relatifs à la tête magique
en forme d'idole ou de talisman me plongea inévitablement dans une
littérature extérieure au cont.exte de la tête « graalienne » coupée, telle que
l'on peut la trouver dans la vieille histoire galloise de Peredur en connexion
avec la version de Chrétien de Troyes, première du genre où le Graal est
mentionné tel que nous le connaissons (vers 1180).
Cette recherche me mit en présence d'une littérature abondante
sur le sujet scabreux de têtes coupées où le genre humain se retrouve à
la fois scénariste d'un film d'horreur et acteur principal de meurtres
agrémentés d'infanticides atroces! Loin de moi l'idée de me lancer dans
du macabre ou du voyeurisme dégradant comme on peut le découvrir
dans certains ouvrages relatifs aux sociétés secrètes et aux rites sataniques.
Je me suis donc résigné à aller à l'essentiel dans le seul but de démontrer
l'existence historiQYe de telles pratiques et surtout pour les replacer dans
la mentalité du Moyen Âge et dans le contexte du procès des Templiers ...
La découverte finale fera date et se situe bien loin de ces horreurs. Comme
je l'ai déjà annoncé plusieurs fois, nous serions même en droit de réclamer
la réhabilitation historique des Templiers!

*
* *

En 1925, l'archéologue et historien, Waldemar Deonna (1880-1959),


réalisa un dossier remarquable sur le sujet des têtes coupées et nous
allons devoir nous y référer. Le rôle oraculaire de l'antique tête coupée
semblait encore en vigueur entre les 18• et 20- siècles. Les « céphalomancie,
céphalaiomancie, képhalonomancie »,utilisent à cet effet une tête d'animal,
le plus souvent celle d'un âne; rôtie sur des charbons, la chaleur faisant
craquer et mouvoir les mâchoires qui semblent parler et dont on interprète
les prédictions. On prétend que cette pratique était en usage chez les
anciens Germains. Les Lombards employaient plutôt une tête de chèvre,
à laquelle ils rendaient des honneurs divins. La divination par la tête d'un
âne remonterait à l' Antiquité ptolémaïque et romaine, en relation avec le
culte de Seth-Typhon vénéré sous la forme d'un dieu à tête d'âne385 •
Mais la céphalomancie emploie aussi la tête humaine, et nous
faisons face dans ce cas à des rites abominables appartenant à la magie
noire. On attribue l'origine de cette pratique aux Juifs et aux Syriens, nous
dit Waldemar Deonna, lesquels constituent ainsi leurs puissants talismans,
les « Théraphim »,mentionnés par de nombreux auteurs. «En quoi on peut
voir une impiété exécrable de prendre une personne innocente et mâle et

Waldemar Deonna, «Orphée et l'oracle de la tête coupée», in Revue des Études Grecques,
385

tome 38, fascicule 174, janvier-mars 1925, p. 51-52.


LE BAPHOMET DÉCRYPTÉ 273

premier-né (que Dieu veut en sa loi lui être sanctifiée), et la sacrifier au


Diable, pour savoir les choses futures?» (sic). Les Syriens, ajoute Pierre
le Loyer386, se servaient aussi de cette divination et voici comment ils
s'y prenaient : 'ils tuaient de jeunes enfants en leur tordant le cou, leur
coupaient la tête, qu'ils salaient et embaumaient, puis gravaient sur une
lame ou sur une plaque d'or le nom de l'esprit malin pour lequel ils
avaient fait le sacrifice; ils plaçaient la tête sur cette plaque, l'entouraient
de cierges, adoraient cette sorte d'idole et en tiraient des réponses387'. »

Le mot est lancé : Théraphim. Ce terme est traduit par les rabbins
par «choses honteuses». La nature des Théraphim reste très discutée
aujourd'hui encore. Le Targoun de Jérusalem 31:19 (Targoun Pseudo-
Jonathan), où l'on trouve du matériel del' Aggada et du Talmud, explique
que les Théraphim étaient des têtes d'homme ou de premier-né décapitées,
rasées puis salées et épicées (sic). Le Targoun de Jérusalem poursuit en
annonçant que la tête momifiée était placée sur un mur pour qu'elle puisse
s'adresser au peuple388 •
Rabbi Eliezer (45 à 117 de notre ère) compila d'anciens midrash
dont on conserve 54 chapitres qui forment une importante somme de
renseignements en rapport avec les Livres de la Genèse et de l'Exode.
Rassemblés au début de 9e siècle, ces textes étaient utilisés par les
commentateurs juifs médiévaux, comme Rachi et Nahmanide. Ces
chapitres créèrent une impulsion capitale quant à la compilation de la
Kabbale et du Zohar. Rabbi Eliezer enfonce le clou dans le chapitre 36
de son très sérieux Pirké en apportant des détails supplémentaires
qui ne manqueront pas de nous faire froid dans le dos : «Que sont les
Théraphim? Ils assassinent un homme, un premier-né (qui devient) rouge
en couleur. Tout ce qu'une personne a besoin de savoir n'est pas écrit ici.
C'est impossible depuis que les hommes qui discutent de la connaissance
de la fabrication (de l'idole) ont augmenté. Tous ceux qui suivent cette
connaissance tombent en fin de compte en Enfer389 ! Ils rasent la tête, la
salent avec du sel et ils écrivent sur une plaquette en or le nom de l'esprit
mauvais et l'installent sous sa langue. Ensuite, ils placent (la tête) sur un
mur et allument des bougies autour d'elle, puis se prosternent et (la tête)
leur parle390 • »
Les versions anciennes citées ci-dessus évoquent de véritables têtes
décapitées jouant le rôle d'oracle. Les versions plus récentes parlent plutôt
de «figures», «d'images incultes» synonymes d'idolâtrie, «d'images
taillées» ou «d'images en fonte». Nous ne savons rien des véritables

386 Pierre Le Loyer, Histoire des spectres et apparitions des esprits, V, 1605, Paris, p. 544; cf. Collin

de Plancy, op. l., s. v. Nécromancie, p. 490.


387 Waldemar Deonna, «Orphée et l'oracle de la tête coupée», op. cit., p. 52-53.

388 h~: / / jewishencyclopedia.com /articles/ 14331-teraphim

389 Gehinnom dans le texte, à savoir «Géhenne» en français, le séjour des réprouvés: l'Enfer!

390 Pirke Rabbi Eliezer, Londres, Kegan Paul, Trench, Trubner & Co. LTD, 1916, p. 273-274.
274 CORPUSDEAE

méthodes de consultation de ces idoles ou têtes parlantes. Seulement huit


passages de la Bible hébraïque mentionnent les Théraphim et démontrent
qu'il s'agirait d'idoles à forme humanoïde quel' on consultait lors de rituels
de divination et dont les réponses avaient valeur d'oracle.
Selon certains, les Théraphim dériveraient de la racine syrienne
Taraph qui signifie« s'enquérir»,« s'informer». Je pense qu'il faut se diriger
plus loin dans l'étymologie pour trouver sa véritable correspondance dans
l'expression sumérienne TAR-AH3 91 , «s'enquérir du fluide», ou TAR-AH,
« s'enquérir de la force » ...
Le très sérieux et volumineux ouvrage sur les divinations dans
l' Antiquité préfère ne pas évoquer ce genre de procédé et dit à ce propos :
«Les thaumaturges [litt. 'ceux qui réalisent le prodige'] de la décadence,
profitant des leçons de la divination inductive [des statues égyptiennes ou
phéniciennes grâce auxquelles on faisait de la divination], transformèrent
cette méthode à l'aide des rites magiques et inventèrent les statues ou têtes
parlantes, engins de honteuses supercheries392 • »

Il semble bien que ce macabre procédé de divination se soit aussi


pratiqué en Occident, où l'on admet que la tête fraîchement coupée, en
particulier celle d'un enfant, posée sur une hostie, possède le don de la pro-
phétie. Charles IX expérimenta cet oracle pour connaître son avenir, scène
horrible qui a été rapportée avec quelques variantes par plusieurs auteurs,
et tout d'abord via Bodin, contemporain du fait3 93 • L'opération magique eut
lieu en 1574, à minuit. Après les conjurations rituelles, l'enfant juif, de 6 à
10 ans, fut approché del' autel où le prêtre lui trancha la tête. Placée sur une
grande hostie noire, elle murmura ces mots : « Vim patior ! » (Je souffre!).
Éperdu, Charles IX s'évanouit, et quand il reprit connaissance, il s'écria:
«Éloignez cette tête, éloignez cette tête!» Sa mort survint peu de temps après.
On lira le récit détaillé de cette opération magique dans l'ouvrage de De-
france, qui étudie le rôle de la magie et de l'astrologie à la cour de Cathe-
rine de Médicis394 •
Moins cruelle, mais tout aussi perverse aux yeux des théologiens,
est la divination par la tête de mort. Aussi était-il dangereux d'en posséder
une, au risque de provoquer l'accusation de sorcellerie et de magie.
«C'est pourquoi, dit Jean Bodin (1530-1596, jurisconsulte, philosophe et
théoricien politique), ceux qui tiennent des têtes de mort, s'ils ne sont pas
médecins et chirurgiens, font ordinairement le métier de nécromantisme.
Joachim Camerarius (1534-1598, médecin et botaniste allemand) dit avoir
vu quelqu'un qui faisait parler le Diable par une tête de mort. (De même) à
391 Les ph ouf n'existent pas en sumérien et sont remplacés par un h.
392 Auguste Bouché-Leclercq, Histoire de la divination dans l'antiquité (2 volumes), Grenoble,
Éditions Jérôme Million, 2003, volume 1, p. 149.
393 Jean Bodin, La démonomanie des sorciers, Paris, Éditions J. du Puys, 1587, p. 78; Boguet,!. c;

Collin de Plancy, op. Z-, s. v. Tête de mort, p. 657.


394 Defrance, Catherine de Médicis - Ses astrologues et ses magiciens envoüteurs, 1911, p. 230 sq.

L'oracle de la tête sanglante et la mort de Charles IX.


LE BAPHOMET DÉCRYPTÉ 275

Paris, en la maison d'un des plus anciens médecins, un de ses amis faisait
parler une tête de mort et ne s'en cachait point395 • »

Selon l'archéologue et historien Waldemar Deonna, «les têtes


artificielles qui parlent sont les héritières des têtes véritables que les
croyances universelles dotent de parole prophétique. [ ... ] Siège de la vie,
de l'âme, la tête résume la personne; elle en est le symbole. Elle suffit à
l'être, et des Démons peuvent n'avoir pas de corps, être réduits à une tête,
tout comme les Anges de l'iconographie chrétienne. [... ] L'efficacité des
têtes, leur rôle comme talismans sont des faits bien connus, universels,
antiques et modernes. Elles sont dispensatrices de biens, elles enrichissent,
elles font, comme on le disait de celles des Templiers, fleurir les arbres et
germer les moissons, elles donnent la victoire, pétrifient l' ennemi3% ... »
Cette notion de tête coupée, dispensatrice de «bienfaits», se
retrouve dans les plus anciens contes celtiques d'Irlande, particulièrement
dans la branche du Mabinogi, où l'on apprend qu'un certain Bran le Béni,
responsable du Chaudron de Résurrection, fut blessé lors d'une expédition
visant à venger l'humiliation subie par sa sœur, L'expédition punitive
se déroulant mal, Bran demanda à ses sept compagnons de lui couper
la tête - tête conservée miraculeusement intacte et, grâce à laquelle, ils
feront des «festins d'immortalité». La tête de Bran créa alors une fissure
dans le temps et quelques mois passés sur place devinrent 80 années aux
yeux des rescapés. Ensuite, la tête miraculeuse fut enterrée sur la Coline
Blanche de Londres. La tête fut dès lors censée préserver l'île de toute
attaque et invasion, car elle possédait un pouvoir bénéfique pour ses alliés
et meurtrier pour ses ennemis ...

*
* *

Après l'examen de nombreux documents et la rencontre de plusieurs


francs-maçons qui eurent la gentillesse de me donner leur avis sur plusieurs
sujets, j'ai compris que chaque loge maçonnique détient sa propre façon
de fonctionner. Parmi toutes ces loges, il en existe une féminine, affiliée
à la franc-maçonnerie égyptienne, dans laquelle on trouve un rituel très
étonnant exécuté lors de la réception de la compagnonne (récipiendaire)
de la loge égyptienne d'adoption de Cagliostro (issue de l'Égypte copte).
Ce rituel fait penser à la décapitation d'Isis et relève, une fois encore, d'un
travail alchimique sur la Matière et l'orgueil afin de s'élever. En voici
quelques extraits :

«La Maîtresse des Cérémonies s'adresse à la récipiendaire : 'Eh


bien, mon enfant, rassurez-vous. Je n'entends pas vous faire de
395 Jean Bodin, La démonomanie des sorciers, op. cit., p. 80-81.
396 Waldemar Deonna, «Orphée et l'oracle de la tête coupé», op. cit., p. 67.
276 CORPUSDEAE

reproches ni vous intimider. Je dois, au contraire, vous enhardir.


Car nos mœurs comme nos pensées, étant bien différentes de celles
des profanes, nous aurons besoin de rappeler tout votre courage. Je
vais vous étonner, mais rassemblez toutes les forces de votre esprit
et préparez votre âme à des sentiments nouveaux ... Il ne me reste
plus qu'à vous nommer votre victime. Cette victime ... c'est le vice
et surtout l'orgueil qui est le premier et le plus dangereux de tous.
Il faut que vous l'étouffiez en vous-même pour pouvoir parvenir à
recouvrer la gloire et votre innocence primitives. Répondez-moi à
présent : aurez-vous ce courage?' La récipiendaire répondra : 'Oui.'

Aussitôt la Maîtresse, lui armant la main droite du poignard, lui fera


prêter serment de ne jamais révéler ni écrire ce qui se passera dans
l'atelier. Elle lui ordonnera de faire les voyages nécessaires pour
arriver à l'arbre de vie et tâcher de couper du premier coup et sans
terreur la tête du Serpent ...

La maîtresse des Cérémonies mènera par la main la récipiendaire


jusqu'à l'arbre de vie après lui avoir fait faire cinq fois le tour de la
loge. Le récipiendaire abattra du premier coup la tête du serpent
préparée à cet effet, s'en emparera et la portera au pied du trône.
La Grande Maîtresse rejettera les cheveux du récipiendaire sur ses
épaules, elle l'embrassera, prendra la tête du serpent et le poignard et
lui dira [après lui avoir octroyé plusieurs objets rituéliques propres
à la franc--maçonnerie et aux Templiers] : 'Mon enfant ... Enfin je
vous donne cette ceinture pour que vous la portiez constamment,
soit physiquement, soit moralement, ayant toujours présents les
mots qu'elle contient : Force, Pouvoir, Patience. Force, pour combattre
et écraser l'orgueil. Pouvoir, pour parvenir à connaître et à posséder
la Matière première. Patience pour attendre l'heureux moment de
couronner l'ouvrage.'

La Maîtresse fera mettre la récipiendaire à genoux, enfermera la tête


du serpent dans le vase, posera le poignard sur l'autel et, s'armant
de son glaive, reprendra la parole: 'Mon enfant, ... Je t'accorde les
privilèges et prérogatives de compagnonne del' adoption égyptienne
et, par le coup de glaive dont je vais te frapper, j'entends affermir
ton esprit dans les voies de la perfection.' La Maîtresse donnera un
coup de glaive sur la tête ...

'Je vais vous expliquer les vérités dont nous nous occupons.
Salomon, après avoir reconnu l'esprit de la reine de Saba, lui rendit
évidentes l'existence de Dieu et l'immortalité del' âme, lui fit détruire
le temple des faux dieux, écraser l'orgueil, couper la tête au serpent
et la conduisit ainsi à la connaissance de la première Matière ... Ma
LEBAPHOMETDÉCRYPTÉ 277

sœur, la reine de Saba s'étant rendue aux ordres de Salomon, ce roi,


pour la convaincre de l'attachement et des sentiments favorables
qu'elle lui avait inspirés, lui donna à son départ non seulement les
richesses, mais encore après lui avoir fait trancher la tête du serpent,
il lui communiqua les moyens de se rendre immortelle. Ce sont les
mêmes présents que je vais vous faire 397' ••• »
Réception de la Compagnonne
dans la loge égyptienne d'adoption de Cagliostro

3. La «tête diabolique» du procès des Templiers

Lors du procès démarré dès l'arrestation des Templiers, la légende


de la tête coupée et «magique» reparaît, citée par les témoins Hugues de
Faure et Antonio Sicci de Verceil, notaire des Templiers en Syrie pendant
40 ans, qui l'aurait entendu raconter à Sidon398 • Il subsiste dans ces récits
des survivances antiques. Cette tête au pouvoir pétrifiant perpétue dans
le folklore de la Méditerranée orientale le mythe de la Gorgone ou plus
simplement celui d'Isis.
Salomon Reinach (1858-1932), archéologue français, conservateur
du Musée de Saint-Germain et professeur d'Histoire de l' Art à l'École
du Louvre, chercha l'origine de la légende qui attribuait aux Templiers
cette fameuse idole en forme de tête humaine ou encore la possession
d'un crâne humain, doué de «propriétés magiques extraordinaires». Les
témoignages les plus précis à ce sujet proviennent d'individus ayant vécu
en Syrie, dit-il. Plusieurs d'entre eux racontèrent aux inquisiteurs qu'une
tête coupée de femme assura la fortune du chevalier qui la possédait ou
lui permit d'anéantir tous ses ennemis. On parla d'un coffret où se trouvait
enfermée cette tête mystérieuse, et du danger mortel que l'on courrait à
l'ouvrir et à regarder ce qu'il contenait ... Plus de cent ans avant le procès
des Templiers, pareille histoire se lit déjà dans l'ouvrage De nugis carialium
de Gautier Map (entre 1182 et 1190), et là, les expressions employées ne
laissent aucun doute quant à son écho avec la fable classique de Persée
et de la tête de Méduse, dont on retrouve, comme nous l'avons vu plus
haut, des traces «mythologiques» dans le quartier sud de Babylone -
véritable représentation de la constellation de Pégase manifestée sur Terre
par la décapitation de la Déesse-Mère. Cette fable, localisée aux environs
de Jaffa, sur l'ancienne côte syrienne (aujourd'hui israélienne), pénétra
dans le folklore de la Terre Sainte. Persée étant devenu un chevalier, on
songea naturellement que le possesseur de la tête redoutable était lui-

m Denis Labouré, Secrets de la franc-maçonnerie égyptienne, Escalquens, Éditions Chariot d'Or,


2002, extraits des pages 317 à 331.
398 Salomon Reinach, Cultes, mythes et religions, Paris, Éditions Ernest Leroux, volume 4,

p. 258.
278 CORPUSDEAE

même un chevalier du Temple. Ainsi, l'un des griefs imaginaires formulés


contre les Templiers par l'acte d'accusation dérive, par une voie indirecte,
mais qu'on peut suivre, d'un des épisodes les plus populaires de la fable
grecque399 • C'était, en tout cas, l'une des conclusions faisant partie des plus
raisonnables proposées jusqu'à ce jour.

Voici les faits en détail, dans deux variantes assez similaires


rapportées au procès des Templiers par Hugues de Faure et l'ancien
notaire Templier, Antonio Sied de Verceil:« Un noble de Sidon s'était épris
d'une jeune fille, mais celle-ci fut enlevée par la mort avant qu'il ne puisse
la conquérir. Le soir de l'enterrement, fou de désir, le chevalier ouvre la
tombe et assouvit sa passion sur le corps de la vierge disparue. Alors,
une voix lui dit : 'Reviens ici dans neuf mois et tu y trouveras une tête,
fille de tes œuvres. Ne te sépare jamais de cette tête, car elle te procurera
tout ce que tu peux désirer.' Et c'est ce qui arriva ... Le héros qui obtint la
tête magique par commerce avec la morte, vogua un jour avec elle vers
Constantinople; sa nourrice curieuse ouvrit le coffret et l'en retira; une
tempête terrible éclata et le navire fut submergé.»
Suivant un autre témoin, une tête mystérieuse paraît parfois dans le
tourbillon voisin de Satalia et les navires sont alors en grand péril. Même
détail dans le récit plus ancien de Gautier Map. L'homme qui a outragé
la morte, parcourt le monde avec la tête magique et pétrifie ses ennemis;
il épouse la fille de l'empereur de Constantinople, qui ouvre le coffret,
pétrifie son mari, et ordonne qu'on jette la tête et le corps du pirate dans
la mer; celle-ci se soulève avec fureur et forme en ce lieu un tourbillon, le
gouffre de Satalia400 •
Sans doute reconnaîtra-t-on dans ces récits, localisés dans la
Méditerranée orientale, quelque souvenir, non plus du mythe de Méduse,
mais de l'histoire de la décollation d'Isis travestie comme l'avaient déjà
fait les Égyptiens afin de dissimuler la mort de la grande déesse. On se
souviendra du passage du papyrus Chester Beatty 1 (9:9-10) où il était
déjà question de la déesse pétrifiée en pierre : « [Horus] ôta la tête de sa
mère Isis, puis il la prit dans ses bras et escalada la montagne où Isis se
transforma en une statue de pierre sans tête.» Ici se trouve sans doute
l'origine du mythe de Méduse quelque peu transformé par les Grecs.
Remo Boggio, de la revue Atlantis, voit dans l'épisode de la tête de
femme produite par la défunte vierge, une opération alchimique : une
mort initiatique sur l'ouverture de la Matière première (mort de la vierge),
la descente au tombeau ou descente aux Enfers ou encore descente dans
la Matière première (ouverture du tombeau), les neuf opérations del' Art
alchimique (les neuf mois de gestation), à la fin desquelles on rejoint la

399 M. Babelon : Salomon Reinach, «Origine de la légende qui attribue aux Templiers une idole

en forme de tête humaine», in Comptes rendus des séances de l'Académie des Inscriptions et Belles-
Lettres, 54• année, n° 6, 1910, p. 491.
400 Waldemar Deonna, «Orphée et l'oracle de la tête coupée», op. cit., p. 55-56.
LE BAPHOMET DÉCRYPTÉ 279

tête (la fille des Œuvres alchimiques). Et Boggio d'ajouter que l'opération
alchimique appelée Caput Mortuum ou tête de mort marque la séparation
du surnageant (dit «la tête») du reste de la Matière. Ainsi se forme le
véritable corps spirituel : «La jeune fille est alors la Matière première dont
est extraite la tête ou corps spirituel par les neuf opérations de l' Art, grâce
au noble Sidonien qui personnifie l' Artiste. Il s'agit de séparer le subtil de
l'épais, le pur de l'impur, le mental du physique. Cette opération est dite
'séparation ou décollation' et se retrouve dans certains signes d'ordres et
légendes initiatiques. Les alchimistes utilisent aussi la formule : 'couper la
tête du vase pour en sortir l'Élixif401'. »
On l'aura compris, tous ces éléments alchimiques se retrouvent
dans les épisodes relatifs à la décapitation d'Isis et à la Mort et
Résurrection d'Horus-Marduk disponibles dans les archives égyptiennes
et mésopotamiennes. La Matière première de toute chose (la Grande
Déesse) contient les quatre éléments (les quatre faces d'Hathor, voir plus
haut). Cette Matière première des Origines forme la totalité du Chaos, elle
représente le Tout dont on a besoin pour aboutir au Grand Œuvre.

*
* *

Au cours de leur procès, on accusa les Templiers d'idolâtrie. On leur


reprocha de vénérer une tête ou un buste représentant un visage barbu avec
des cornes et parfois des mamelles de femme. Pour condamner l'Ordre, il
fallait que l'Église puisse prouver l'usage templier d'un culte idolâtre et
antichrétien.
Le nom Baphomet n'apparaît pas, à l'origine, tel qu'on le connaît
dans les actes d'accusation. Le 13 novembre 1307, c'est le frère sergent
Gaucerant de Montpezat qui prononça ce mot en révélant qu'au moment
de sa réception dans l'Ordre, on lui présenta une idole in figuram Baffometi
(de figure - ou forme - baphométique). Le même jour, son compagnon
Raymond Rubei ajoute qu'on lui demanda de baiser les pieds d'une figure
« Baffometti » (archives nationales, AE/11/311). Un Templier d'Italie utilisa
aussi ce même mot.

On trouve, toutefois, la mention « Baphomet» dans le manuscrit en


langue latine traduit en 1877 par le Dr Theodor Merzdorf, conservateur
de la bibliothèque d'Oldenburg. Le contenu, formé de quatre documents,
restitue la Règle officielle de l'Ordre du Temple, suivie de trois statuts
secrets de l'Ordre des Templiers rédigés en 1205, 1240 et 1252. Tous ces
éléments seraient des copies de documents provenant des archives du
Vatican, copies réalisées par le savant danois Friedrich Münter en 1780. Les
deux passages qui nous intéressent proviennent du troisième document

401Remo Boggio, «Le Baphomet des Templiers, matière première alchimique», in Revue
Atlantis, n° 403, 2000, p. 413-414.
280 CORPUSDEAE

(1240), rédigé par Maître Roncelius et signé par Robert de Samford en


personne, procurateur du Temple en Angleterre :

Art.17. - La figure de Baphomet est retirée de sa châsse et le récepteur


dit : «Le Peuple qui marchait dans les ténèbres a vu une grande
lumière et elle a brillé pour ceux qui étaient assis dans les ombres de
la mort. Il y en a trois qui rendent témoignage à Dieu et au monde,
et ces trois sont : Un.»
Tous les Frères s'écrient : « Yah Allah!», c'est-à-dire, «Splendeur de
Dieu», baisent l'image et la touchent de leur ceinture. Le récepteur
prend ensuite le néophyte par la main et dit : «À présent le Fils de
l'Homme est glorifié et Dieu est glorifié en Lui. Voici un nouvel ami
de Dieu, qui parle à Dieu quand il lui plaît, à Dieu auquel vous de-
vez rendre grâce, parce qu'il vous a conduit là où vous désiriez aller
et qu'il a exaucé vos désirs. Que la Lumière Divine reste dans nos
cœurs et nos esprits. Amen. »Pour terminer la cérémonie, on chante le
chant tiré du Livre de la Sagesse, chant qui marque la fin du chapitre.

Art. 18 - Le néophyte est conduit aux archives où on lui enseigne


les : mystères de la science divine, de Dieu, de Jésus enfant du
véritable Baphomero2, de la Nouvelle Babylone, de la nature des
choses, de la vie éternelle ainsi que la science secrète, la grande
Philosophie, Abrax et les talismans. Choses qui toutes doivent être
rigoureusement cachées aux ecclésiastiques admis dans l'Ordre.

67. À gauche, motif gnostique représentant le Grand Archonte assimilé au dieu de la Bible
Yahvé (~AW), accompagné du nom du prophète mésopotamien Mani qui tira son système de
pensée du gnosticisme. En ancien égyptien, IAW exprime l'adoration et la prière.
68. À droite, adaptation de ce type de motif sur un sceau templier (Archives nationales,
D 9860 bis) où l'on distingue un Abraxas panthée accompagné des mots Secretum Templi
(«Secret du Temple»). Dans la pensée gnostique, le coq représente l' éveillé qui renaît dans
la Lumière des rites et Mystères secrets ... Ce signe était celui du ralliement des gnostiques,
adeptes de Basilide à Alexandrie, au second siècle de notre ère. Difficile de ne pas conclure à
une connexion évidente entre gnose égyptienne et templarisme.

Dans certaines reproductions de ce passage, il se trouve une virgule entre« enfant» et« du
402

véritable Baphomet», ce qui change considérablement le sens de cette phrase.


LE BAPHOMET DÉCRYPTÉ 281

L'authenticité des statuts secrets de l'Ordre est régulièrement remise


en cause, mais les dernières recherches relancent le débat et permettent
de penser que ces statuts secrets des Templiers ne seraient pas des faux.
Voir à ce sujet le très bon article intitulé «Les statuts secrets de l'Ordre des
Templiers» de Jean-Pierre Schrnit disponible sur le site lesfilsdelavallee.fr.
Certains auteurs, spécialisés dans le « templarisme officiel», aiment
à revendiquer la possible fausseté de ce document, en indiquant d'un
ton cinglant : «Ce texte de la fausse règle secrète des Templiers ne cesse
d'être utilisé par les amateurs de sensationnel qui voient évidement en
lui la preuve de la relation entre Cathares et Templiers. On voit comment
une construction purement fantaisiste peut devenir le ferment de thèses
forcément fallacieuses403 • »Fort heureusement, l'objectif de notre présente
étude n'est pas de prouver la valeur historique de ce texte, mais de le
citer comme document intéressant à examiner. Nous avons bien d'autres
éléments très sérieux à fournir et à étudier. Poursuivons ...

D'après les différents témoignages tirés du procès des Templie:t;s,


le Baphomet faisait partie du matériel rituel employé lors des cérémonies
auxquelles seuls quelques membres pouvaient avoir accès en raison de
la stricte hiérarchie de l'Ordre du Temple. Le Baphomet serait une tête
barbue, munie de cornes, brandie lors des cérémonies afin d'invoquer des
forces invisibles ...
Lors du procès, le Templier Jean de Cassanhas, précepteur de la
Maison du Temple dans la région de Pamiers (Ariège), prétendit qu'à sa
réception dans l'Ordre on lui présenta une idole en cuivre sortie d'une
boîte. Sa déposition détaille les paroles qu'on lui aurait soufflées ainsi que
la suite du rituel d'admission: «[On lui dit:] 'Voici un ami de Dieu qui
converse avec Dieu quand il veut; rendez-lui grâce de ce qu'il vous fait
parvenir à l'état que vous désirez tant, et de vos souhaits qu'il accomplit.'
Aussitôt, ils adorèrent cette idole par trois fois, se prosternant à genoux et
ils présentèrent le Crucifix pour faire savoir qu'ils le reniaient et crachèrent
dessus.» Pourquoi cracher sur une représentation de Jésus crucifié?
Dans de nombreuses formules funéraires égyptiennes, le défunt roi
prend la place d'Horus dans le Ciel et doit restaurer un état originel perdu.
Dans le monde des vivants, tout bon prêtre ou initié souhaitait participer
magiquement à la restauration d'Horus et soigner ainsi «la vue d'Horus»
brisée par sa colère et sa souffrance. Parmi les multiples formules gravées
dans la pierre de Saqqarah, nous en trouvons une reproduite à l'identique
dans plusieurs tombeaux de rois :

«C'est sur le visage d'Horus que tu cracheras à son bénéfice afin que
tu puisses supprimer la blessure qui est en lui.»
Textes des Pyramides - Pyramides de Pepy ter, Pepy II et Neit,
215:142a
403 Thierry Leroy, Les Templiers - Ugendes et histoire, Paris, ~ditions Imago, 2008, p. 60.
282 CORPUSDEAE

Une fois encore l'Égypte ancienne et les rites magiques éclairent


parfaitement les comportements des Templiers. Ces derniers, à l'instar des
prêtres-guerriers (les Suivants d'Horus), souhaitaient ainsi faire sortir le
mal de l'Yshu-Kirist Q='îf:g 6°8'--", litt. «l'oint mis en terre404 ». Il ne
s'agissait pas de Jésus-Christ, mais bien d'Horus-Marduk, blessé par son
aveuglement, et restauré grâce au rituel de la mise en terre rituélique et la
Résurrection!

Quelle pouvait être la véritable nature de ce fameux Baphomet tant


vénéré par les Templiers instruits au Secret? Sans doute une statuette ou un
talisman mystérieux dont seuls les initiés savent que cet objet mystérieux
procure une radiance magique, et surtout un changement de conscience
dont l'action met en relation visible et invisible. Inopportunément, nous
n'avons retrouvé aucune de ces têtes magiques, seuls subsistent les textes
du procès des Templiers dans lesquels se trouvent différentes descriptions
de l'idole.
Véritable allégorie d'une connaissance inconnue, sans doute même
spirituelle, les enquêteurs de Philippe le Bel ne purent imaginer la tête de
Dieu ou même celle de son fils Jésus; la tête du Baphomet devait plutôt
figurer celle du Diable! Très rapidement, l'idée satanique fit surface :
cette tête, avec ses oreilles élancées et ses grandes cornes, évoquait
obligatoirement celle d'un bouc, image du démon associée aux rites de
sorcellerie. Les différents témoignages comparent la tête magique avec
celle d'un bouc, d'un bélier, d'un bœuf ou encore d'un chat ...
Laissons le soin à l'auteur Tau Eléazar de nous récapituler en
quelques mots les descriptions généralement reproduites lors des diffé-
rentes audiences du procès des Templiers : «L'idole possiblement vénérée
par les Templiers est de forme très diverse selon les témoignages recueillis
durant les procès : tantôt très grande, tantôt tenant dans une poche, parfois
en bois, en os ou en métal, sous la forme d'une statue ou d'une toile de
peinture, l'idole représente souvent une tête d'homme barbu, mais peut
également être un lion à tête de femme, ou un visage presque humain pâle
avec des cheveux frisés. Les inquisiteurs recherchèrent activement des
têtes en bois ou en métal représentant Baphomet, qui auraient été nom-
breuses. Même les membres haut placés de l'Ordre du Temple, tel Hugues
de Pairaud, furent incapables de décrire la tête, expliquant qu'elle était trop
hideuse pour être décrite, ou bien qu'ils étaient trop loin pour la voir405. »

Lorsque cette histoire de tête ou de «figure baphométique »


apparut au cours du procès, Philippe le Bel avait depuis plusieurs mois
ordonné des recherches pour retrouver des exemplaires de cet objet sacré
vénéré comme Dieu par les Templiers. Les perquisitions partout dans

404 N.d.É. : Prière de se référer au Testament de la Vierge et au Chaos des Origines où l'auteur à
plusieurs fois commenté ces hiéroglyphes .
.os Tau Eléazar, Le Templier Kadosh ou le Templier noir, Éditions Alkemia, 2010, p. 46-47.
LE BAPHOMET DÉCRYPTÉ 283

Paris, et particulièrement au Temple en 1310, n'aboutirent à rien et les


enquêteurs ne trouvèrent pas grand-chose si ce n'est une tête d'argent à
figure de femme présentée à la Commission. Ce reliquaire creux intitulé
«Caput LVIIIm» aurait contenu des «OS de vierges martyres». Certains
virent dans cette tête une représentation dissimulée de la Mère divine et
lui donnèrent le nom d'Yse, dérivé d'Isis, en rapport avec la légende d'Isis
et celle de la femme violée qui enfanta la tête miraculeuse, mentionnée
plus haut ...

4. Quelques tentatives historiques pour décoder le Baphomet


(Mété, Métis, Mater, Materia)

Un grand nombre d'ouvrages traite du sujet très controversé du


Baphomet en tentant d'en découvrir le sens par l'utilisation d'un véritable
arsenal étymologique, en passant par le grec, le latin, l'hébreu, l'arabe, etc.
Avant de décoder le Baphomet d'une façon totalement inédite et assez
radicale, nous allons sommairement faire le tour des différentes théories
publiées jusqu'à ce jour. Il serait impossible de placer ici les innombrables
versions produites, nous allons toutefois en exposer les plus significatives.

Hugh Schonfield (1901-1988), spécialisé dans les Manuscrits de


la mer Morte, pensait que le mot « Baphomet » relevait du code Atbash
(système de cryptage del' alphabet hébreu) utilisé dans certains parchemins
de Qumran. Cette méthode de cryptage consiste à remplacer la première
lettre de l'alphabet par la dernière, la seconde par l'avant-dernière et
ainsi de suite. Selon ce code, le mot Baphomet, transcrit en hébreu en
tant que .nm~::i (BPWMTh), donne X'~7'fll (ShWPYE), à savoir la déesse
des gnostiques: Sophia («Sagesse»). Il s'agit là d'une très belle initiative,
sans doute la meilleure. Elle se relie d'une façon indirecte à ma découverte
détaillée dans le prochain chapitre.

L'orientaliste allemand Joseph von Hammer-Purgstall (1774-1856),


prétendit que le mot « Baphomet » provenait de l'arabe Bahoumid qui
signifie «veau» afin de traduire un rapport entre le veau d'or de l'époque
de Moïse et l'idole templière. Grossière erreur, «veau» se dit Ajèl en arabe.
Devant l'étonnement des arabisants, von Hammer changea vite sa thèse
pour proposer une origine gnostique à ce mot grâce à l'association de baphé
(«baptême») et météos («initiation»). Astucieuse tentative, mais le mot
«initiation» se dit myese en grec ...
Autre étymologie présentée : Ouba-el-phonet, mélange d'arabe et
d'hébreu, exprimerait «la bouche du Père», donc la Parole de Dieu ...
Le mot grec baphé et l'hébreu emeth, formeraient baphé-emeth qui
exprimerait «le baptême de la vérité». Très bonne initiative, malheureuse-
ment, et nous en reparlerons plus bas lors d'une autre possibilité, le terme
284 CORPUSDEAE

baphé ne fait pas partie du dictionnaire grec. Il s'agirait plutôt de baphius


(«teinturier») employé pour une autre possibilité en grec ancien que voici :
baphius-men («le teinturier de la nouvelle Lune»). Ici l'aspect alchimique
dont nous avons maintes fois discuté semble manifeste. En effet, l'alchi-
mie se nomme «art de teindre». L'ésotériste Fulcanelli (1~ siècle) dit à
ce propos : «Dans l'expression hermétique pure, correspondant au travail
de l'Œuvre, Baphomet vient du grec baphius, «teinturier», et mes, mis pour
men, «Lune», ou encore «mère» ou la «matrice», ce qui revient au même.
Et l'on peut dire, sans trop divulguer, que le souffre, père et teinturier de
la pierre, féconde la Lune mercurielle par immersion, ce qui ramène au
baptême symbolique de Mété, _exprimé dans le mot 'Baphomet406'. »
Justement, certains chercheurs voient également une relation entre le
Baphomet et la déesse grecque Métis qui figure la Materia Prima («Matière
première») des alchimistes. La déesse Métis, première femme de Zeus
(Jupiter), personnification de la prudence et de l'intellect, se présente dans
l'iconographie antique sous les traits d'une femme à deux visages, l'un
regardant vers le passé et l'autre vers l'avenir. Grande magicienne, elle
incarne la souveraineté divine, car elle assure la conquête du pouvoir royal.
Sans le secours de sa ruse et de sa science magique, le pouvoir suprême ne
saurait ni se conquérir, ni s'exercer, ni même se conserver. Sur ces points,
on retrouverait en elle plusieurs aspects d'Isis et Nephtys.
Parfois dénommée Mété, elle détient une coupe dorée et une drogue
magique (pharmakon) qu'elle fera boire à Cronos pour le contraindre à
vomir ses enfants qu'il dévora un à un afin qu'aucun d'entre eux ne puisse
le détrôner. La Théogonie d'Hésiode (VIII• - VII• av. J.-C.) décrit Métis
comme étant «la plus sage de toutes les filles des dieux et des hommes. »
La décomposition de son nom en sumérien, la langue des dieux, nous offre
son sens secret: ME («décret divin, destin, prescription») et TIS ou DIS
(«l'unique, seul»), soit «l'unique prescription», «l'unique décret divin»
ou encore «l'unique destin».
À la suite de l'union entre Métis et Zeus, la déesse de la Terre, Gaia,
prévient ce dernier que sa femme enfantera des enfants réputés pour leur
sagesse, tout d'abord une fille, suivie d'un fils, lequel le détrônera pour
prendre sa place et devenir le roi des dieux. Avant même l'accouchement
de leur fille, Zeus saisit Métis et, conformément à la vieille tradition
familiale, l'avale afin de se prémunir de la malédiction de Cronos. Hésiode
précise que Zeus (Jupiter) ne cessera de consulter Métis dans ses flancs,
afin «qu'elle l'aidât de ses conseils à discerner le bien comme le mal.»
La scène, aussi saisissante soit-elle, reste très clairement
symbolique. L'absorption de la déesse ou de son essence, procure très
clairement à l'adepte, ici Zeus, la connaissance en toute chose, mais aussi
la souveraineté de Métis. En reprenant les propos de l'orientaliste Joseph
von Hammer-Purgstall407, l'auteur ésotérique Fulcanelli signale dans son
406 Fulcanelli, Les demeures philosophales, Paris, Éditions Pauvert, 1984, p. 288-289.

""Le baron Joseph von Hammer-Purgstall (1774-1856) était un diplomate autrichien et un


LE BAPHOMET DÉCRYPTÉ 285

œuvre, Les demeures philosophales (Livre second, chapitre VI, 289), que le
terme Baphomet pourrait provenir du grec baphé mètètios, traduisible par
«baptême de Mété », il précise : «Or, comme les Templiers, les Ophites
avaient deux baptêmes : l'un, celui de l'eau, ou exotérique; l'autre,
ésotérique, celui de l'esprit ou du feu. Ce dernier s'appelait le baptême
de Mété (la déesse Métis). Saint Justin et Saint Irénée le nommaient
l'illumination. C'est le baptême de la Lumière des francs-maçons. Cette
purification - le mot est ici vraiment topique - se trouve indiquée sur
une des idoles gnostiques découvertes par M. von Hammer [ ... ] Elle tient
dans son giron - remarquez bien le geste : il parle - un bassin plein de
feu. Ce fait, qui aurait dû frapper le savant autrichien, et avec lui tous les
symbolistes, ne semble leur avoir rien dit. C'est pourtant de cette allégorie
que le fameux mythe du Graal tire son origine408 • »
Malheureusement, le terme baphé reproduit dans cette citation n'a
jamais été du grec ni même du latin. Fulcanelli (1930) tire son information
erronée du baron Joseph de Hammer-Purgstall (1832) qui, lui-même, l'aura
sans doute récupérée chez Nicolas de Bonneville, dans son ouvrage de
1788, intitulé: La Maçonnerie écossaise comparée avec les trois professions et le
secret des Templiers. En effectuant mes propres recherches, j'ai pu constater
la multiplication de la même erreur sur - on s'en serait douté! - le Net,
mais surtout dans de nombreux ouvrages traitant des Templiers et du
fameux Baphomet.
En grec, «baptême» se dit plutôt baptisma ou encore baptizo. Le grec
ancien, langue sacrée employée pour traduire de nombreux manuscrits
religieux, reste cependant une référence pour comprendre l'hermétisme
caché et codifié des traditions judéo-chrétiennes. N'oublions pas que la
première traduction complète de l'Ancien Testament - à savoir des cinq
premiers livres de la Bible de Moïse, dénommée Pentateuque ou Torah
juive - fut rédigée en grec, il s'agit de la fameuse Bible d'Alexandrie. Pour
relier le grec au terme « Baphomet», il faudrait plutôt chercher la racine de
baptizo («baptême»), à savoir bapto («plonger, tremper, (s' )immerger») et
l'associer avec Mété (Métis), ce qui nous donnerait bapto-Mété: «plonger
dans Métis» ou «S'immerger dans Métis», donc «S'immerger dans la
connaissance de la déesse Métis». S'il y avait une relation certaine entre
le fameux Baphomet des Templiers et le langage grec, nous pourrions
trouver également une association avec le terme meter qui donna mater en
latin, «mère». bapto-meter se traduirait alors par «plonger dans la Mère»
pour exprimer le fait de «s'immerger dans la connaissance de la Déesse-
Mère ».D'après ces découvertes, le fameux Baphomet serait une image de
la Déesse-Mère, ou encore de sa Sagesse ...

grand orientaliste.
408Fulcanelli, Les demeures philosophales, Livre second, chapitre VI, Jean Schemit librairie.,
Paris, 1930, p. 291-292.
286 CORPUSDEAE

*
* *
On déclare que Gaucerant de Montpezat, premier Templier à
prononcer le mot fatidique dès le début du procès, parlait la langue d'oc et
que Bafomet signifierait Mahomet en occitan. Passons les nombreux textes
du Moyen Âge, français comme étrangers et autres dialectes, où le prophète
de l'Islam est écrit en toutes lettres : Mahomet! Passons encore cette idée
d'associer Mahomet à l'idole des Templiers alors que toute représentation
religieuse d'un dieu ou d'un prophète est strictement prohibée chez les
musulmans. A-t-on oublié que Mahomet fit détruire toutes les idoles lors
de sa conquête de la Mecque? Si la religion templière avait épousé le culte
musulman, il n'aurait jamais été question d'adorer une idole ou autre
statue. La fameuse tête des Templiers relève d'un concept purement païen
et non chrétien ou sataniste et encore moins musulman. Poursuivons et
revenons à cette langue d'oc qui brouilla les cartes.
Pour beaucoup, le poème Ira et dolor (1265) d'un certain Olivier,
Templier troubadour, prouverait l'association Baphomet = Mahomet.
D'autres poèmes ou chansons de langue occitane évoquent Bafometz ou
Bafomet comme synonymes de Mahomet, on notera à ce propos le poème
de 1195, Senhors per los mostres peccatz, du troubadour Gavaudan ou encore
le poème d' Autore d' Aorlhac, sur le sujet de la 7e Croisade et daté de 1250.
Dans le même ordre d'idée, il semblerait également que les termes occitans
Bahomerid ou Bafomerie représenteraient des mosquées, donc les temples
musulmans.
Dans le texte Ira et dolor (1265), Olivier, un ancien soldat de l'Ordre
du Temple, exprime sa peine et la question du bien-fondé de la Croisade.
On peut lire : «Bien fou celui qui veut lutter contre les Turcs, puisque
Jésus-Christ ne leur conteste plus rien. Ils ont vaincu - ils vaincront, cela
me pèse ... Ils savent que chaque jour ils nous abaisseront, car Dieu dort,
qui veillait autrefois, et Bafomet manifeste son pouvoir et fait resplendir le
Sultan d'Égypte ... »

Ici le Baphomet ne semble pas du tout représenter Mahomet, mais


plutôt une puissance spéculative issue d'Orient et connue en Égypte.
La pensée religieuse égyptienne synthétisée en «Mahomet»? C'est
fort possible, car peut-on sincèrement imaginer que chaque Templier
connaissait la valeur du Baphomet? La question s'impose d'elle-même,
d'autant que l'article 18 du document rédigé par Maître Roncelius et signé
par Robert de Samford (1240), mentionne bien le caractère caché de ce
Baphomet quel' on devait dissimuler au plus grand nombre. Peut-on se fier
aux déclarations sans cesse remises en cause par les Templiers qui, comme
nous l'avons relevé plus haut, connurent l'inquisition et la torture dès le
surlendemain de leur arrestation? Que sait-on exactement des moyens de
persuasion employés par les inquisiteurs? Quelle valeur pouvons-nous
donc accorder à ces révélations. Retenons simplement l'idée que dans
LE BAPHOMET DÉCRYPTÉ 287

l'inconscient collectif des Templiers non initiés, le Baphomet et ses notions


ésotériques et spirituelles figuraient simplement la religion du monde des
musulmans.
Salomon Reinach (1858-1932), archéologue et professeur d'Histoire
de l' Art à l'École du Louvre, résume bien le problème : «[Les Templiers]
ont dit des choses extravagantes, parce qu'ils ne savaient pas sur quoi on
les interrogeait et qu'ils devaient bien, sous peine d'être torturés, inventer
ou répéter quelque chose ... Cette idole des Templiers idolâtres devait être
un Mahomet ou un Baphomet, puisqu'on voulait que ces soldats du Christ
eussent passé au camp ennemi de l'islamisme ... Comme le symbole que
les Templiers sont censés rejeter et même souiller est le crucifix, le Christ, on
qualifie du nom de Mahomet le symbole qu'ils préfèrent et opposent à celui-
là, sans songer que les musulmans eux-mêmes n'avaient pas d'images 409 • »

5. Lumière sur le Baphomet : la véritable identité de la tête des


Templiers

Peu de gens semblent avoir replacé le Baphomet dans son contexte


primitif, à savoir celui de l'Égypte ancienne, sainte patrie de Râmosé, alias
Moïse. Ne perdons pas de vue que les Templiers n'eurent, initialement,
aucune vocation militaire dès leur arrivée en Terre Sainte. Au contraire,
les différentes archives ne leur attribuent aucun acte militaire entre 1118 et
1127, les Templiers semblent tout bonnement absents de la toile historique.
Les chercheurs et historiens pensent naïvement que les neuf Templiers
auraient assuré des fonctions de protection sur la route des pèlerins allant
de Jaffa à Jérusalem. Nous avons démontré au début de cette enquête
l'impossibilité d'une telle action sur une route bien souvent escarpée
longue d'au moins 80 km. Ils se seraient fait massacrer en quelques
semaines, alors qu'au contraire, aucun document ne mentionne la perte
d'un seul moine-soldat ...
À juste titre, beaucoup d'auteurs évoquent plutôt une autre mission,
tout aussi incroyable que leur absence historique durant ces neuf premières
années de service. Celle de fouiller les souterrains de l'ancien temple de
Salomon pour y retrouver peut-être des traces de Moïse. À défaut de
déterrer sa fameuse Arche, pourquoi n'auraient-ils pas découvert quelques
objets sacrés et documents provenant d'Égypte, et pourquoi pas, tirés
de l'Arche d' Alliance elle-même? Les Templiers étaient, c'est certain, en
quête d'une connaissance perdue. C'est ce que nous allons découvrir dès à
présent.

*
* *

Salomon Reinach, «La tête magique des Templiers», Revue de !'Histoire des Religions, 1911,
409

vol. 63, p. 30 et 39.


288 CORPUSDEAE

Le Baphomet ne représentait pas une simple idole pour les Templiers,


mais plutôt un puissant symbole provenant de la gnose égyptienne. C'est
sans doute la raison pour laquelle, contrairement aux initiés, les simples
soldats Templiers ne la virent jamais, ou sinon de loin, au point d'en faire
des descriptions très approximatives. Ils n'auraient pu en comprendre le
sens. Il s'agissait d'un symbole fort qui figurait à la fois la puissance, la
royauté et la Mère Primordiale. Pour ceux qui ne l'auraient pas encore
compris, nous n'allons pas faire durer le mystère plus longtemps et dévoiler
dès à présent le secret : le Baphomet représente la déesse égyptienne Bat,
forme protectrice d'Hathor (déesse qui mélange à la fois Isis et Nephtys).

Hiéroglyphes pour nommer Bat

Nous avons longuement discuté de ces différents aspects dans


cette étude et j'ai régulièrement placé les indices capables d'apporter les
éléments pour comprendre la véritable forme du Baphomet. Je renvoie par
exemple les lecteurs au chapitre «Sous le signe de la déesse Bat, forme
protectrice d'Hathor », dans la partie intitulée «Les Templiers en Égypte».

La seule déesse égyptienne capable d'endosser le rôle du Baphomet


dans l'ancien pays de Moïse est la déesse vache Bat, divinité principale du
7enome (région administrative) de Haute-Égypte, situé précisément entre
Dendérah et Abydos, donc entre les villes saintes d'Isis-Hathor et d'Osiris.
Un élément frappe tout de suite les esprits: la ville de Nag Hammadi, centre
du gnosticisme égyptien, se situe précisément dans le nome régi par Bat!
Pour rappel, on a trouvé à Nag Hammadi les plus anciens récits gnostiques
du monde; des textes bibliques ou prébibliques, rédigés au tout début
du premier millénaire, et dont la plupart auraient pu trouver leur place
dans la Bible. Ils furent pourtant rejetés par les savants en charge de la
compilation du Livre sacré. J'ai longuement discuté de ce sujet dans mon
essai Le Chaos des Origines (2016 ).
Le nom Bat s'est formé à partir des hiéroglyphes Ba («esprit») et At
(«féminin, vulve, utérus»), ce qui donne : «Esprit Féminin». Il s'agit bien
entendu du Saint-Esprit des chrétiens, image de l'ancienne Déesse-Mère.
Se connecter à la déesse Bat, c'est être en lien avec la divine présence de la
Déesse des Origines et communier avec son esprit.
LE BAPHOMET DÉCRYPTÉ 289

«Esprit» «Féminin »

Bat est une antique déesse de l'époque prédynastique, donc


de la période très lointaine des tout premiers rois égyptiens dont les
règnes succèdent aux Suivants d'Horus. On la trouve d'ailleurs dans
les Textes des Pyramides au même titre qu'Isis ou Hathor, c'est dire son
ancienneté. Comme indiqué plusieurs fois déjà, la déesse Bat représente
la forme protectrice d'Hathor. Il est important de comprendre cet aspect.
Les égyptologues veulent voir en Bat une vieille divinité supplantée au
Moyen-Empire par Isis-Hathor. Nous savons qu'il n'en est rien et que Bat
formait plutôt un doublé d'Isis-Hathor, un double royal créé de toutes
pièces pour occulter un drame tout aussi grave que la mort d'Osiris, une
tragédie qu'il fallut dissimuler et codifier de la même façon. En Égypte, les
dieux ne peuvent mourir; sans jeu de mots, Bat allait pouvoir jouer le rôle
du bouc émissaire.

«Maître des dieux, en ce jour de rut, alors que les cous n'avaient pas
été attachés, que les têtes des dieux n'avaient pas été coupées, que le
disque n'avait pas été attaché sur les deux cornes et que le visage de
Bat n'avait pas été fixé.»
Textes des Sarcophages, CT4, G1T, 334:(181)1-o

Bat n'est pas vraiment présente dans l'art égyptien, mais on la


trouve sur bon nombre d'amulettes, d'idoles, de talismans et de bijoux.
Voici par exemple une amulette en or du Musée du Louvre où l'on voit très
clairement son support décrit comme une barbe chez les Templiers :
290 CORPUSDEAE

69. Amulette de la
déesse Bat en or et
en forme d'épingle
(Moyen Empire, vers
2030 av. J.-C.).
E 4836, Musée du
Louvre

Cette fameuse barbe énigmatique représente le nœud Tit, dit


également «nœud d'Isis», dont le pouvoir est de lier et délier. Les
Templiers ne liaient-ils pas le fameux Baphomet à des cordelettes pour
ensuite le porter sur eux? L'égyptologue René Lachaud nous dit à propos
du nœud Tit, «qu'il sert à lier les adversaires pour établir une coupure
entre eux et nous comme, par exemple, les dangereux animaux typhoniens
(compagnons de Seth) et les démons. Ce nœud sert également à se
défendre contre les maladies, les sortilèges et la mort. Pour le rendre actif,
il faut l'enduire d'une rosée de fleurs de sycomore et l'accrocher à son cou.
Cette onction est de nature purement alchimique. Tit forme une empreinte
d'Isis sur la Terre, il est un instrument 'pour faire de l'or', pour guider son
possesseur sur les chemins difficiles de l'incarnation. Le myste d'Isis qui
en est doté peut s'unir et se lier à la conscience supérieure et divine410 • »J'ai
pu constater la présence de ce genre d'information sur l'un des murs d'une
410 René Lachaud, L'tgypie ésotérique des pharaons, Tome 1, op. cit., p. 479-480.
LE BAPHOMET DÉCRYPTÉ 291

chapelle de la déesse Hathor à Dendérah :

«'Prends pour toi l'encens pour purifier ta statue. Ton cœur s'unit
à son parfum, placé sur le feu. Sa fumée monte de sorte que ton
nez s'unisse à l'Œil d'Horus. Ton cœur joyeux, Bat de Bugem, que
ta majesté parcourt en beauté.' [ ... ] [Hathor], maîtresse du double
pays, faucon féminin divin, maîtresse, dame de Punt, princesse du
double pays des dieux, au parfum agréable parmi les déesses, Bat,
maîtresse de Bugem. Tant que la dame de Punt, apparaissant dans
sa maison comme Bat à la tête de Dendérah, place sa terreur, éclaire
le double pays et unit son cœur à la joie, elle est l'Or des dieux à la
tête du double pays des dieux411 • »
Chapelle du Per-Neser, scène ouest, Dendérah

Certains lecteurs pourront se dire que tout cela est bien joli, mais
ils ne comprendront pas encore l'association entre le Baphomet et la
déesse Bat. Il est temps maintenant de présenter le hiéroglyphe Bat-umet
exprimant «le lien, la liaison, l'engagement ou encore la promesse d'une
personne envers la déesse Bat» :

Bat-umet exprime le fait d'être lié et engagé auprès de la déesse Bat

Le fait de se lier au Baphomet ressort distinctement des différents


interrogatoires, «le Baphomet n'est pas seulement une idole, c'est aussi
un talisman. Dans leurs aveux, les Templiers racontent qu'ils entouraient
la tête hideuse de cordelettes de fil blanc412 • » «Les chevaliers disaient que
cette tête pouvait les sauver, les rendre riches, qu'elle faisait fleurir les
arbres et germer les moissons; les chevaliers ceignaient ou touchaient avec
des cordelettes une certaine tête de ces idoles et ensuite ils se ceignaient
avec cette cordelette, soit au-dessus de la chemise, soit sur la peau413 • »
Le port du Bat-umet sur sa peau comme pendentif se retrouve
en Égypte ancienne. L'insigne Bat porté au cou grâce à des cordelettes
figurait la marque des vizirs, juges et ministres de l'ancienne époque. Une
inscription du temple d' Amenhotep, fils de Hapu (scribe royal et «chef de
tous les travaux du roi»), précise que l'emblème Bat suspendu à son cou
était en électrum et pierres précieuses.
Ce type de talisman se retrouve au cou de Pabasa, sur le relief de sa
tombe, énorme sépulture se situant à Der el Bahary, dans la nécropole de
411 René Preys, Les complexes de la demeure du sistre et du trône de Râ - Théologie et décoration dans
le temple d'Hathor à Dendérah, Éditions Peeters, 2002, p. 304 et 311.
412 Philippe Aziz, Les Templiers, Éditions Didro, 1999, p. 140.

413 Salomon Reinach, «La tête magique des Templiers», op. cit., p. 7.
292 CORPUSDEAE

l' Assâssif. Quatrième prophète d' Amon à Karnak, sous la XXVIe dynastie,
Pabasa était aussi le Grand Chambellan de« la Divine Adoratrice, Nitocris,
fille du roi Psammétique II. Ce titre fait de lui un premier ministre.

70. Talisman de Bat


au cou de Pabasa,
sur le relief de
sa tombe, à Der
el Bahary, dans
la nécropole de
l' Assâssif (tombe
n° 279).
Sous la tête,
on retrouve de
nouveau le nœud
lit qui évoquait
une barbe chez les
Templiers «non
initiés. » Dans cette
variante, les cornes
sont stylisées en
se recourbant vers
l'intérieur.
Bat se trouve ici
sous sa forme Bat-
umet \.. ~c!'~':"~
«Bat liée», ficelée
par un cordon
sur la poitrine du
premier ministre
du Pharaon.
Photographie de
l'égyptologue
René Lachaud,
avec son aimable
autorisation

Si l'on ne connaît rien à l'égyptologie, on pourrait parfaitement


distinguer ici une tête de Diable ou autre animal diabolique ... C'est
d'ailleurs la description que firent de cet objet les Templiers non initiés ou
encore ceux qui souhaitaient garder le secret.
René Lachaud, avec qui j'ai eu la chance d'effectuer un voyage en
Égypte dans les années 2010, exprime très bien la valeur du pendentif Bat
porté par les plus grands dignitaires égyptiens. Ce genre de bijou ne sert
LE BAPHOMET DÉCRYPTÉ 293

pas seulement de parure, sa fonction première est d'imprégner le corps de


celui qui le porte d'une radiance magique, d'une sorte de fluide protecteur.
Cet objet sacré modifie le comportement et la conscience, mettant en
relation visible et invisible. Le pendentif Bat agit sur le souffle du cœur.
On peut le considérer comme un blason révélant une appartenance à une
fraternité initiatique, celle des Shemsu (Suivants) d'Horus, ajoute René
Lachaud 414 •
Toutes ces propriétés se retrouvent parfaitement dans l'adoration
des Templiers pour le fameux Baphomet ! Cela rappelle en tout point
l'Amour courtois pratiqué par les chevaliers à l'époque des templiers et
des contes du Graal, où la Dame représente le double céleste du héros;
comme l'était clairement la Porteuse du Graal primitif, Nephtys-gtar.
Dans l'Amour courtois, l'enveloppe lumineuse de la Femme protège le
héros et son attirance magnétique transmute l'énergie du guerrier en force
de perfectionnement spirituel associée à la Sagesse. Qui peut comprendre
et apprécier cela aujourd'hui?
Le bijou Bat rendait possible cette magie opérative entre le visible
et l'invisible - magie ou noces mystiques entre le guerrier et la Déesse
des Origines, la grande Pistis-Sophia du 7e nome (région) de Haute-
Égypte où se trouve Nag Hammadi. Même si cela semble impossible,
c'est à se demander si les Templiers n'eurent pas en mains le contenu des
manuscrits gnostiques de Nag Hammadi. Avec ces nouvelles découvertes
révolutionnaires, force est de constater qu'ils entrèrent en contact avec
des documents gnostiques ou même des individus en charge de ce type
d'archives. Nous savons, par exemple, que l'usage d'évangiles apocryphes
fut reproché au Templier Jean de Tréviers, emprisonné avec d'autres
moines-soldats au château d'Alès vers 1310.

Dans le chapitre «Sous le signe de la déesse Bat, forme protectrice


d'Hathor», nous avons signalé la découverte, dans le temple de Karnak,
d'une statue naophore de Paser, le grand vizir de Ramsès Il. Cette statuette
en granit gris représente le vizir, paré du collier de protection de la
déesse Bat, montrant une table d'offrande sur un support. Elle se trouve
aujourd'hui au Musée du Caire sous la référence CG 42164.

414 René Lachaud, L'Égypte ésotérique des pharaons, tome 1, op. cit., p. 492 à 494.
294 CORPUSDEAE

71. et 72. Statue en granit gris de Paser, le grand vizir de Ramsès Il, trouvée à Karnak lors des
fouilles de Georges Legrain en mars 1904. On retrouve ici une autre variante de la tête de Bat
sur le nœud Tit. Une fois encore, la déesse se présente sous sa forme Bat-umet ~li.a~~':"~
«Bat liée», ficelée par un cordon sur la poitrine du grand vizir du Pharaon.
Musée du Caire, réf. CG 42164

Cette statue rappelle celle numérotée 1068 - R. 325, présente dans


l'inventaire du 27 mars 1568, dressé au palais Farnèse à Rome sous le nom
d'Idolo de Parangone. Un noble tient dans ses mains un naos contenant la
figure d'Osiris. Comme le vizir Paser, il porte le collier de la déesse Bat sur
sa poitrine, signe de protection et d'engagement envers Isis-Hathor. Cette
statue se trouve au Musée archéologique national de Naples. Bien que
le musée italien l'associe à la XIX• dynastie, son inscription gravée dans
la pierre dénote un pur style saïte, généralement présent sur les figures
pharaoniques de l'époque du souverain Uah-ab-râ (XXVI• dynastie) et
du roi de Babylonie, Nabuchodonosor Il, période de l'implantation des
comptoirs grecs en Égypte.
Nous avons vu dans le chapitre précité que le transport de
ce genre d'objet, associé à la déesse Bat, aura très bien pu s'effectuer
d'Alexandrie vers l'une des commanderies templières proches de Rome,
lors de la présence officielle des Templiers en Égypte (de 1164 à 1168 ou
de 1218 à 1221). Durant ces dix années d'occupation du sol égyptien, et
particulièrement les quatre premières, les Templiers purent descendre au
sud jusqu'à Nag Hammadi (7• nome), centre gnostique de l'Égypte régi
par la déesse Bat. Non pas pour étudier les textes qui ne seront découverts
LE BAPHOMET DÉCRYPTÉ 295

qu'en 1945, mais plutôt pour s'initier à la Déesse des Origines de l'Égypte
prédynastique.

73 et 74. Statue numérotée 1068 - R. 325,


présente dans l'inventaire du 27 mars
1568 dressé au palais Farnèse à Rome sous
le nom de Idolo de Parangone. Une fois
encore, la déesse se trouve sous sa forme
Bat-umet ~ ~08'~':"0, «Bat liée», ficelée
par un cordon sur la poitrine d'un noble
proche du souverain.

Bat se trouve également sur le haut de la fameuse palette du roi


Narmer (vers 3100 av. J.-C.). Munie de ses énormes cornes de vache, elle
surplombe la scène sous sa double identité (Isis et Nephtys) alors que
le Pharaon se livre à la conquête royale du royaume unifié de l'Égypte.
On notera l'importance du détail qui va suivre, parfaitement visible sur
ce document exceptionnel : le roi Narmer porte quatre têtes de Bat-umet
~ ~"'~~ '":"~, («Bat liée, ficelée»), attachées à sa ceinture par des cordelettes!
Les Templiers portaient une petite ceinture consacrée au préalable, ayant
été en contact avec le Baphomet. Lors d'un des interrogatoires, le Templier,
Gaucerant de Montpezat, déclara qu'on le bailla d'une ceinture que son
initiateur tira d'une boîte où se trouvait le Baphomet. On lui commanda
ensuite de garder cette ceinture et de la porter continuellement. Plusieurs
auditions vont dans ce sens. Dans le chapitre intitulé « Sarpanitu, porteuse
du GAR-A-AL et les deux gtar, piliers du Temple», nous avons détaillé le
sens du chiffre quatre, en rapport avec Isis-Nephtys et les deux gtars, et
nous n'y reviendrons donc pas.
Grâce à cette scène, nous savons maintenant d'où provient le rituel
templier mettant en scène le Baphomet et des cordelettes! La palette de
296 CORPUSDEAE

Narmer nous démontre avec précision qu'à l'aube des premières dynas-
ties égyptiennes, le souverain portait à sa ceinture l'emblème Bat-umet
~ ~=!'~'":" ~ , afin de rester connecté à la pureté originelle de la Déesse-
Mère. Gérard de Sorval exprime très bien cet état de conscience et cette
relation particulière entre le héros et la Dame divine; doctrine comprise
et révélée par Saint Bernard à travers la Vierge : «Dame suzeraine ou
souveraine, elle l'est, car c'est l'exemple divin de la beauté épiphanique,
le miroir sans tache, le cristal où l'attrait de l'âme noble trouve l'image
parfaite, ce qui fait d'elle l'inspiratrice et l'éducatrice des chevaliers du
Ciel415 • »Les Templiers souhaitaient garder ce contact intime avec la Vierge
des Origines. Pour Saint Bernard, il s'agissait de la Vierge Marie, mais pour
les Templiers initiés, disciples de la science gnostique (cachée) d'Égypte, la
divine inspiratrice représentait la déesse Bat-Hathor dont le double aspect
unifiait à jamais Isis (Marie) et Nephtys (Marie-Madeleine).

75 et 76. Recto de la palette de Narmer


trouvée à Nekhen, l'ancienne capitale
prédynastique de Haute-~gypte, dédiée
au faucon Horus. Le Pharaon porte à sa
ceinture Bat-umet ~ ll.c~~':"o , «Bat liée»,
ficelée par des cordes et des nœuds. Les
Templiers reprirent ce concept très ancien
pour se connecter à la déesse Bat, forme
protectrice d'Hathor, et bénéficier ainsi de
ses propriétés divines.

Sur le verso de la palette (disponible dans le chapitre «Le


remplacement dissimulé de la Bien-Aimée Reine du Trône par la Bien-
Aimée de la Tour»), le Pharaon se dresse comme vainqueur sur ses
ennemis décapités et dont les cadavres s'étalent devant lui à droite de

415 Gérard de Sorval, Scala Dei, ap. cit., p. 78.


LE BAPHOMET DÉCRYPTÉ 297

la scène. Chacun d'eux est émasculé416, il s'agit d'une ancienne pratique


exécutée par Horus et ses Suivants sur leurs ennemis jurés - les fidèles de
Seth - responsables de la mort d'Osiris. De nombreux papyrus et textes
sacrés font référence à l'émasculation de Seth par Horus. Trouver ici les
ennemis du Pharaon décapités et émasculés sous l' œil complice de Bat,
relève d'un acte de vengeance que nous avons longuement développé plus
haut et d'où découlent les légendes du Baphomet et du Graal primitif.
Bat incarne également la justice divine, elle est celle qui «brule ses
ennemis», comme l'indique la scène ouest de la chapelle Per-Neser de
Dendérah. Allégories reproduites sur la scène est du même bâtiment :

«Tant que la brillante qui brille dans le Per-Neser en tant que Bat
divine, souveraine de Punt, donne les rayons, éclaire l'obscurité et
réjouit son cœur avec l' œil d'Horus, elle est la dame de l'encens,
souveraine du pays du dieu, qui ordonne dans le double pays des
dieux[ ... ] La justice qui est à la tête de la Demeure de Maât, l'Or des
dieux, qui est à la tête de Dendérah, c'est celle de Dep, qui donne
des instructions dans le pays, qui massacre les pécheurs en sa place,
Bat aux formes multiples qui repose sur la justice, Hathor la grande,
dame de Dendérah417 • »
Chapelle du Per-Neser, scène est, Dendérah

L'aspect guerrier de Bat se retrouve aussi dans l'utilisation du sistre


et du miroir lors de rituels et de danses en l'honneur d'Hathor. Ces deux
objets sont réputés pour repousser le mal. Le sistre égyptien, sans doute
tiré du culte de Bat, était utilisé lors des danses et cérémonies religieuses,
particulièrement celles décernées à Hathor. Instrument de musique de la
famille des percussions, il est constitué de coques de fruits, de coquilles et
de rondelles métalliques qui s'entrechoquent pour former le son rappelant
le serpent à sonnette. Cet instrument était uniquement manipulé par les
prêtresses pendant les fêtes religieuses ou les danses sacrées. Lors des
cérémonies dédiées à conjurer les sorts, les prêtresses faisaient retentir
les sistres afin d'éloigner le mauvais sort, particulièrement Seth, le Satan
égyptien.

416 Sauf un seul, mais nul n'en connaît la raison. Le rite de l'ablation du pénis relève de

la magie, car aux yeux des ~gyptiens nul ennemi ne peut renaître ou même procréer une
descendance dans l'au-delà et le monde réel sans ses parties vitales.
417 René Preys, Les complexes de la demeure du sistre et du trône de Râ, op. cit., p. 304 et '307.
298 CORPUSDEAE

77 et 78. À gauche, Néfertari, épouse de Ramsès Il, tient un sistre de Bat dans le temple
d' Abu Simbel (vers 1300 av. J.-C.). À droite, un miroir de Bat au Brooklyn Museum.

À l'automne 1996, lors de la sixième mission d'étude menée sur le


site de Saqqarah, les archéologues du Musée du Louvre mirent au jour les
vestiges d'un immense mastaba de calcaire blanc d'où l'on arracha des
sables une chapelle décorée. Le site révéla trois statues du propriétaire de
la chapelle : un certain Akhethetep, haut dignitaire de l'Ancien Empire
(V" dynastie). Ces statues ne furent pas retrouvées à leur place d'origine,
mais en deux points du complexe funéraire, visiblement abandonnées par
des pillards à une époque impossible à déterminer418 • La statue qui nous
occupe ici représente Akhethetep debout avec l'emblème de la déesse Bat.
La tête a disparu, ainsi que le bas des jambes à partir des genoux. On dis-
tingue l'emblème de la déesse Bat le long de son corps, comme «grossière-
ment» présenté afin de souligner la valeur morale du noble. La tête de la
déesse ne se retrouve plus sur le nœud magique d'Isis, mais sur une forme
de «socle» agrémentée de cordelettes, de nœuds et de perles. Les cornes
de Bat figurent bien celles d'une vache comme sur la palette de Narmer.

Christiane Ziegler, «Les statues d' Akhethetep, propriétaire de la chapelle du Louvre», in


418

Revue d'Égyptologie, tome 48, Éditions Peeters, 1997, p. 227.


LE BAPHOMET DÉCRYPTÉ 299

79. Statue du haut


dignitaire Akhethetep
(Ancien Empire - V'
dynastie) retrouvée
à Saqqarah, près
des Pyramides à
Textes. L'aspect
«diabolique » de la
déesse semble une
fois encore manifeste.
Tout bon chrétien
verrait ici une tête de
démon. D'après les
descriptions soutirées
lors des interrogatoires
des Templiers, <!est ce
que les inquisiteurs
décrétèrent sans même
tenter d'y comprendre
quoi que ce soit...
Musée du Louvre,
SA9677

Les bas-reliefs des tombes de l'Ancien Empire nous apprennent


qu'au moins cinq particuliers portèrent le signe de Bat : Khufukaef; Ti;
Khenu; Ankhmahor et Khentika-Ikhekhi. Ce sont de hauts personnages,
fils de roi pour le premier, directeurs des travaux du roi pour les trois
autres, précise Christiane Ziegler, égyptologue et directrice honoraire du
Département des antiquités égyptiennes du Louvre. Comme nous l'avons
vu plus haut, nous savons qu'à partir du Moyen Empire, l'emblème de la
déesse Bat était porté par des juges et évoquait peut-être une autre image
de la déesse de la justice Maât419•
Ce rapport entre Bat et la justice divine se retrouve une fois encore
à Dendérah, fief d'Hathor. Dans la chapelle du Trône de Râ, Hathor fait
face au roi alors qu'un prêtre incarnant Ihy - fils d'Hathor, donc double
d'Horus - agite le sistre sacré pour conjurer le sort. Avant de s'adresser
au roi, Hathor se proclame : «Grande dans le Ciel, puissante sur Terre,
419 Ibid., p. 242.
300 CORPUSDEAE

protectrice de son père parmi les dieux, Bat divine, maîtresse de Punt, au
parfum agréable, douce d'amour. Cuivre noir, plaqué d'or [sur sa peau].
Ses cheveux sont en lapis-lazuli, les cornes en cuivre noir, le trône en or
et l'Uraeus en or[ ... ] Justice. fille de Râ dans la demeure de Maât. dont
la statue est sacrée parmi les puissances. Mehenet. la grande. dame de
beauté. qyi commande dans ce pays. première des ancêtres. Bat des dieux
et déesses: 'le te donne la Justice sur Terre durant ta royauté de sorte qye
j'agrandisse ton prestig.e dans le monde420'. »

On remarquera dans ces différents exemples en relation avec la déesse


Bat toutes les vertus requises du prêtre-chevalier prêt à combattre les forces
du mal grâce à l'énergie divine de la Mère des Origines. La déesse Bat,
double céleste du héros humain, voit toutes les actions terrestres et souffle
à celui qui peut l'entendre le rayonnement de sa Lumière. Elle incarne
celle de «l'autre côté du pont» situé loin des pulsations fébriles de notre
Monde. La relation intime que Bat entretient avec l'initié, connecté à son
énergie radiante, confère l'immortalité de l'âme et de l'esprit. La conduite
pieuse du chevalier se verra ainsi récompensée par l'accroissement de sa
sagesse intérieure, siège de l'illumination du Saint-Esprit. Les Templiers
récupérèrent toutes ces notions de l'Égypte ancienne - pensées purement
orientales que l'on retrouvera disséminées en Europe dans les contes du
Graal, la voie chevaleresque et l'Amour courtois.
Même les fameux baisers des Templiers, tant décriés lors du
procès à rallonge, font partie des pratiques initiatiques rattachées au rite
égyptien de l'Ouverture de la bouche par le prêtre Sem en vue de réactiver
magiquement les perceptions du défunt ou pour réveiller les sens del' initié
et le faire entrer dans le Mystère. Lorsque les Templiers étaient admis dans
l'Ordre interne, trois baisers s'ajoutaient à celui de la bouche: sur le coccyx
(plexus sacré), lieu de verticalité; sur le nombril, image du centre; sur le
membre viril, siège de la dualité qui habite l'homme421 •
Nous sommes donc loin, très loin des philosophies chrétiennes
de l'époque du Moyen Âge, avec leur sentiment de supériorité et autres
dogmes despotiques et aliénants. Ces prêtres inquisiteurs, fous de Dieu et
de la bonne parole, avaient-ils déjà oublié qu'au début du christianisme,
il existait plus de cinquante évangiles? Les quatre que nous connaissons
furent retenus lors du concile œcuménique de Nicée en 325 de notre ère afin
d'établir une unité de croyance ... Les Templiers moines-soldats aspiraient
simplement à vivre le secret des noces mystiques avec la Dame du Ciel,
comme le firent avant eux les rois et nobles de l'Égypte ancienne ainsi que
les gnostiques des rives du Nil.
Honte à l'inquisition, honte à Philippe le Bel, le roi des ombres,
et au manque de courage du pape qui finit par se plier aux exigences
d'un roi capricieux et imbu de son autorité. Ces découvertes relevées
420 René Preys, Les complexes de la demeure du sistre et du trône de Râ, op. cit., p. 394 et 400.
421 René Lachaud, Templiers, chevaliers d'Orient et d'Occident, op. cit., p. 146.
LE BAPHOMET DÉCRYPTÉ 301

ici révolutionnent la vision étriquée que l'on se faisait de «l'affaire des


Templiers». Rien ne sera plus comme avant.
Nous sommes maintenant - légitimement - en droit d'exiger de
l'Église de Rome et de l'histoire la réhabilitation des Templiers.
«Tristan et Iseult» de Jean Delville (1887). Poison ou Élixir de vie,
le Graal existe uniquement par la quête sacrée qu'on lui consacre.
II
Le Graal primitif

«La Porteuse de Graal est elle-même une sorte de Vestale, chargée


de veiller sur la lumière mystérieuse qui émane de la coupe sacrée.
Elle est prêtresse et elle ne peut s'unir qu'à un être exceptionnel.»
Jean Markale, Les Dames du Graal

Dans la plupart des contes celtiques et chrétiens du Graal, le héros


doit soigner ou remplacer un roi mourant. Le rôle rédempteur incombe,
certes, au jeune chevalier, mais derrière lui se dissimule systématiquement
la jeune femme initiée, l'inspiratrice, l'impératrice ou la Porteuse du
Graal dont nous avons très clairement trouvé la trace orientale dans le
personnage de Nephtys-Btar.
À l'image de la mythologie égyptienne, le jeune héros Perceval suit
les pas de Heru (Horus). Comme ce dernier, Perceval connaîtra une solitude
pesante, ainsi qu'une enfance enveloppée de prudence, mêlée d'une anxiété
maternelle (cf. Horus dissimulé et protégé par Isis et Nephtys contre Seth).
Une fois adulte, Perceval accomplira deux exploits : il vengera la mort de
son père (cf. Horus venge la mort d'Osiris), et apportera au pays et au roi
malade (l'ancien roi : l'ancien moi) la vigueur grâce à un acte héroïque de
compassion (cf. la Passion et Résurrection d'Horus-Bel-Marduk).
Ensuite intervient cet épisode où le héros devra «remplir» la
coupe de la Porteuse du Graal, de façon réelle ou symbolique. Comme
nous l'avons découvert au travers des festivités de l' Akitu, l'union entre
le roi ressuscité se présente sous la forme d'une hiérogamie. Cette même
union se retrouve entre Elaine, la Porteuse du Graal, et Lancelot dans
l'interprétation du Graal de Gautier Map, vers 1140 et 1210 ...

Les versions moyenâgeuses du Graal feront l'objet d'un prochain


travail de recherche. Nous allons plutôt explorer succinctement le
304 CORPUSDEAE

concept archaïque et oriental du Graal afin d'apporter quelques notions


complémentaires aux nombreuses déjà relevées dans le présent ouvrage.
En effet, le Graal, avant de lui trouver des symboles chrétiens comme
l'hostie et le sang christique, appartenait au cycle du Feu Sacré inscrit dans
les rites sacrés d'Égypte, eux-mêmes imités par la suite par les Grecs et les
Romains.

1. En quête du Graal égyptien et de la flamme intérieure

Notre périple démarre à la faveur de quelques lignes inscrites dans


le Dictionnaire des hiéroglyphes de l'historien et ancien conservateur du
Musée égyptien du Louvre, Camille Duteil (1808-1860). Dans les pages 143
et 144, il indique :

«Ce que les Grecs ont pris pour un boisseau est un vase en terre cuite
que les Égyptiens appelaient Gardal, et dans lequel on conservait le
feu; c'est en définitive un fourneau. Sérapis, le Vulcain égyptien,
est ordinairement représenté avec un Gardal sur la tête; c'était dans
ce Gardal que les prêtres conservaient le feu matériel dans son
temple, comme les vierges sacrées conservaient le Feu Céleste de
Ptah sur l'autel triangulaire à tête de bélier : le Gardal en écriture
hiéroglyphique exprime l'idée du feu (le contenant pour le contenu);
(à savoir:) le culte du feu éternel qui doit régénérer le Monde et dont
les vierges sacrées conservaient l'emblème à Memphis, sur l'autel
de Ptah422 • »
Camille Duteil, Dictionnaire des hiéroglyphes, 1841

Cette évocation du Gardai égyptien me rappela instantanément un


passage du fameux livre de l'ésotériste du 19" siècle, Fulcanelli, intitulé
Les demeures philosophales, où l'on peut lire : «Le Graal, - qui s'en doute
aujourd'hui? - est le mystère le plus élevé de la Chevalerie mystique
et de la Maçonnerie qui en dégénère; il est le voile du Feu créateur, le
Deus absconditus dans le mot INRI, gravé au-dessus de la tête de Jésus
en croix. Quand Titurel édifie son temple mystique, c'est pour y allumer
le Feu Sacré des Vestales, des Mazdéens et même des Hébreux, car les
Juifs entretenaient un feu perpétuel dans le Temple de Jérusalem. [... ]Les
Égyptiens possédaient aussi cet attribut : Sérapis est souvent figuré avec,
sur sa tête, le même objet, nommé Gardai sur les bords du Nil. C'était dans
ce Gardai que les prêtres conservaient le feu matériel, comme les prêtresses
y conservaient le feu céleste de Ptah. Pour les initiés d'Isis, le Gardai était
le hiéroglyphe du feu divin. Or, ce dieu Feu, ce dieu Amour s'incarne
422 Camille Duteil, Dictionnaire des hiéroglyphes, Charles Lawalle, 1841, p. 143 et 144
LE GRAAL PRIMITIF 305

éternellement en chaque être, puisque tout dans l'Univers a son étincelle


vitale. C'est l' Agneau immolé depuis le commencement du monde, que l'Église
catholique offre à ses fidèles sous les espèces de !'Eucharistie encloses dans
le ciboire, comme le Sacrement d' Amour. Le ciboire, - honni soit qui mal y
pense! - aussi bien que le Graal et les cratères sacrés de toutes les religions,
représentent l'organe féminin de la génération, et correspondent au vase
cosmogonique de Platon, à la coupe d'Hermès et de Salomon, à l'urne des
anciens mystères. Le Gardai des Égyptiens est donc la clef du Graal. C'est,
en somme, le même mot. En effet, de déformation en déformation, Gardai
est devenu Gradal, puis, avec une sorte d'aspiration, Graal. Le sang qui
bouillonne dans le saint calice est la fermentation ignée de la vie ou de
la mixtion génératrice. Nous ne pourrions que déplorer l'aveuglement
de ceux qui s'obstineraient à ne voir dans ce symbole, dépouillé de ses
voiles jusqu'à la nudité, qu'une profanation du divin. Le Pain et le Vm
du Sacrifice mystique, c'est l'esprit ou le feu dans la matière, qui, par leur
union, produisent la vie423• »

Gardai? À la lecture de ces passages, j'ai bien entendu consulté


tous les dictionnaires et lexiques égyptiens... sans succès! Aucune trace
de ce terme, même en faisant tous les efforts du monde. Par contre, on
se souviendra plus haut de la découverte de mot Garâal ~-0~é:'.'.l dont
le sens évoque l'action de «polir sa pierre lumineuse intérieure» pour se
perfectionner et ascensionner vers des niveaux supérieurs. Concept que
l'on retrouve dans la franc-maçonnerie qui impose justement à tous ses
membres de se perfectionner et des' élever en travaillant sa pierre intérieure,
où s'initier c'est aussi apprendre à mourir pour s'engager sur la voie de
sa propre renaissance. Inutile de préciser que ces aspects se retrouvent
naturellement dans toute initiation égyptienne.

@ = DA
= D 111111111111 0 <:=> c:::..J
Garâal, «la pierre de Lumière qui fait asœnsionner42' »

Pour ainsi dire, le Graal existe uniquement par la quête sacrée


qu'on lui consacre. Il permet de passer d'un état terrestre à un état céleste.
« Polir sa pierre intérieure pour la faire briller comme un Soleil », c'est se
mettre en relation avec son côté divin où se dissimule la Sagesse du cœur,

423 Fulcanelli, Les demeures philosophales, Livre second, chapitre VI, 292 à 293, Paris, Jean

Schemit librairie, 1930.


424 Rappel : Ga : » pierre précieuse» + Râ : «Lumière, Soleil» + Al (ou Ar, le l n'existe pas en

égyptien): «ascensionner, monter, s'élever».


306 CORPUSDEAE

siège de l'illumination et de la divine Présence du Saint-Esprit, donc de


la déesse Bat (l'Esprit Féminin). Nous parlons bien d' Amour universel
et de Noces Mystiques! Gérard de Sorval, à qui l'on doit de très bonnes
études sur l'énergie de la Vierge et la voie chevaleresque, décrit cela à
merveille : «Exprimer l'amour revient alors à manifester la seigneurie du
cœur spirituel, l'unification de l'être en son noyau de gravitation. Cette
notion métaphysique est 'la Lumière intellectuelle pleine d'amour' ...
Selon les jeux de mots en usage, Amor, signifie A-Mor, ce qui supprime la
mort, la puissance divine qui confère l'immortalité. Dans le langage des
troubadours, celui qui a obtenu la Rose a atteint le secret d'Éros, c'est-
à-dire de l'union en Dieu par la Beauté intelligible. Ces noces mystiques
comportent à la fois l'union de l'amant et de la Dame, l'union de l'âme et
de l'intelligence spirituelle ou Sophia425 • »

*
* *

Cette irruption du Saint-Esprit sur la Terre se retrouve par exemple


dans l'épisode où Isis conçoit magiquement Horus en se métamorphosant
en colombe qui se pose sur le sexe d'Osiris. Cette scène très connue se
trouve dans plusieurs temples égyptiens. Elle n'est pas sans rappeler
l'opération magique du Saint-Esprit qui donnera naissance à Jésus-Christ.
Dès les débuts du christianisme, la colombe apparaît dans l'art
décoratif comme l'emblème de pureté du Saint-Esprit. Elle figure aussi
l'inspiration divine, l'essence divine, et formel' emblème de la Vierge Marie.
Elle est même le symbole des studios américains «Columbia Pictures »
dont le logo montre une Vestale tenant dans sa main droite un flambeau ...
Nous parlerons plus loin des Vestales dont le rôle est en rapport avec le
Graal égyptien.
La descente du Saint-Esprit sur les plus sages des hommes se
retrouve également dans l'épisode biblique de la fête de la Pentecôte. Cette
fête célèbre la réception du Saint-Esprit par les apôtres. Au Moyen Âge, on
allumait des feux sur les hauteurs à la Pentecôte pour écarter les épidémies
et les mauvais esprits. Ce même jour, et à la même époque, il était d'usage
de jeter des étoupes enflammées du haut des voûtes des cathédrales et de
lâcher des pigeons, des colombes et des fleurs qui volaient sur les assistants
pendant l'office divin.
Sur de nombreuses représentations chrétiennes, on peut voir le
Saint-Esprit descendre sous la forme d'une colombe et répandre des
flammes sur les têtes ou le front des apôtres. Nous avons étudié ce sujet
plus haut et démontré que cette flamme est en rapport avec la glande
pinéale que les textes védiques associent tantôt au Chakra Ajna (3• œil),
tantôt au Sahasrara (Chakra de la couronne), situé au sommet du crâne.

425 Gérard de Sorval, La voie chevaleresque et l'initiation royale dans la tradition chrétienne, Éditions

Dervy, 1993 (réédition 2012), p. 83.


LE GRAAL PRIMffiF 307

Ce dernier représente le siège de la conscience pure d'où l'illumination


émerge. C'est aussi le centre énergétique qui nous connecte au divin. Les
Hopis nomment ce centre énergétique la «porte ouverte» au-dessus de la
tête grâce à laquelle le genre humain, disent-ils, a pu rester en contact avec
le divin et communiquer entre individus au Commencement des Temps.

80. «La réception du Saint-Esprit», peinture évoquant le Saint-Esprit sous forme de colombe
octroyant la flamme de l'illumination à Marie-Madeleine et aux apôtres lors de la Pentecôte.
El Greco, œuvre peinte vers 1600

Dans la pensée chrétienne, tout être peut réceptionner le Saint-


Esprit comme les apôtres en faisant pénitence. Cette réception de la foi
divine commémore la victoire du Christ sur son «ancien moi» grâce à ses
Passion et Résurrection qui ouvrirent la voie du chemin de l'humilité. Cet
Œil intérieur, ce siège de la force vitale placé sur le front ou sur le haut de
la tête, centralise un pouvoir «surnaturel» que Lucifer (Horus-Marduk)
n'avait pu maîtriser à cause de sa colère. Une bonne utilisation de ce centre
énergétique apporte illumination ou destruction. Il s'agit là de transmuter
l'énergie vitale en énergie spirituelle :

«Ton Œil est la lampe de ton corps. »


Évangile de Luc, 1:34
308 CORPUSDEAE

«Je te lance l'Œil d'Horus pour que tu voies par lui.»


Papyrus égyptien de Berlin, 3055, 30:2

C'est une fois encore l'opération alchimique permettant de


«séparer le subtil de l'épais». Une bonne maîtrise de ce centre énergétique
apportera la capacité de vivre éveillé à toute chose et à s'émerveiller de
l'environnement qui nous entoure grâce à un abandon de soi au profit de
la Lumière Originelle. Tout individu est apte à contempler ce Mystère.
Notre cœur a besoin de se fondre dans cet état de béatitude et de s'ouvrir
au dialogue d'amour avec la Source de toutes choses, symbolisée par le
Saint-Esprit ou Sophia, ou encore le Feu Sacré présent dans les temples.
Les Vestales des anciens temps, gardiennes du Feu Sacré, connaissaient ce
principe. Nous allons voir cela dès à présent.

2. Le Feu Sacré venu du Ciel

La présence d'un Feu Sacré dans. de nombreux temples de


l' Antiquité, avait pour fonction de faire descendre du Ciel les vertus du
feu solaire. En Égypte, ce feu symbolisait l'Œil d'Horus ou la planète
Vénus, transformée en nouveau Soleil à l'époque de la Passion d'Horus-
Marduk (pour plus d'explications sur les passages et bouleversements
causés par Vénus, voir par ex. La Dernière Marche des Dieux). L'Œil d'Horus
malade et incontrôlable s'est naturellement mêlé à l'Œil Solaire (la planète
Vénus) au moment où, après son décrochage entre Mars et Jupiter et son
errance dans le Système Solaire d'une durée minimum de 7000 ans, Vénus
se plaça finalement dans le lieu céleste qu'on lui connaît aujourd'hui. Le
Dr Immanuel Velikovsky, ami d'Albert Einstein, détaille très bien ce sujet
dans son remarquable ouvrage, Mondes en Collision.
La Vénus orientale, fille de la déesse syrienne Atargatis ou Astarté,
était honorée par un feu perpétuel dans les temples. Un autel illuminé,
abrité par un sanctuaire ou par une toiture, se trouve souvent sur les pièces
de monnaie à son effigie. Lors des fêtes commémorant la mort d'Adonis,
lorsqu'on se rendait à son temple pour invoquer la Vénus d' Afca libanaise,
on voyait apparaître un feu dans les airs qui s'enfonçait dans la rivière.
On distinguait Astarté en personne (Vénus, l'Étoile du Matin) dans ce
météore qui tombait du haut du Liban dans le fleuve Adonis. La déesse
était non seulement identifiée à la planète et au météore, mais aussi au
Feu Sacré qui brûlait sur son autel426 • Nous venons de constater la même
correspondance chez Horus, entre l'Œil horien et Vénus. Dans le prochain
chapitre, il sera aussi question du rapport entre Horus et le Feu Sacré des
temples égyptiens.

426P. Saintyves, Essais de folklore biblique - Magie, mythes et miracles dans l'Ancien et le Nouveau
Testament, op. cit., p. 28-29.
LE GRAAL PRIMITIF 309

Dans l' Antiquité et la Bible, on pensait que le feu du Ciel tombait


sur les animaux sacrifiés à YHWH lorsqu'il voulait donner une marque
particulière de son approbation. On croyait que Dieu avait ainsi agréé les
sacrifices. Depuis l'époque de Salomon, en mémoire de tous ces miracles,
on conservait un feu perpétuel dans le Temple de Jérusalem. Mais lorsque
Nabuchodonosor s'empara de Jérusalem, le prophète Jérémie prit le
feu perpétuel qui brO.lait sur l'autel des holocaustes et, accompagné de
quelques autres prêtres, le cacha dans une citerne où il n'y avait point d'eau.
De retour de captivité, Néhémie envoya les petits-fils des prêtres pour
chercher le feu dissimulé avant la déportation. Ceux-ci ne le trouvèrent
point, mais seulement de l'eau boueuse. Il leur dit d'en apporter et, l'ayant
répandue sur l'autel, un grand feu apparut pour consumer les sacrifices à
YHWH427•
Le Feu Sacré passait pour venir du Ciel. Peut-on vraiment admettre
que les anciens, comme certains savants l'ont cru, connaissaient l'art de
faire tomber la foudre et d'attirer l'électricité atmosphérique? Rien n'est
moins certain. Un feu venu du Ciel pour les anciens n'était rien d'autre
qu'un feu obtenu à travers les moyens imposés par le rituel. On sait que
dans de nombreux cas, le Feu Sacré s'obtenait en faisant brO.ler du bois par
frottement. Mais nous savons également que les Égyptiens connaissaient
l'art d'allumer le Feu Divin grâce aux rayons solaires réfléchis à partir d'un
miroir concave ou d'un corps transparent.
Une tradition très ancienne exige que tout temple soit éclairé par un
Feu Divin. En Égypte, un Feu Perpétuel brillait ainsi dans tous les temples.
Il en fut un peu plus tard de même en Grèce et à Rome. Dans cette dernière
ville, les Vestales assuraient l'entretien du Feu Sacré au péril de leur vie, car
la tradition voulait qu'elles soient enterrées vives si le Feu Sacré s'éteignait
par leur faute.
On a cherché à trouver l'étymologie du terme «Vestale» sous la
forme du sanscrit Was qui signifie «la demeure», j'y verrai plutôt le terme
sumérien Èsgal qui veut dire «grand temple» et que l'on retrouve dans
l'akkadien Esgallu dont le sens reste le même.

3. Les gardiennes du Feu Sacré, symbole de l'Œil d'Horus dans


les temples égyptiens

Aussi incroyable que cela puisse paraître, peu d'éléments sont


disponibles concernant le rôle des gardiennes du Feu Sacré en- Égypte.
Surtout que la déesse Bat, forme protectrice d'Hathor, figure le Feu Sacré,
de la demeure du commun des mortels jusqu'au temple! Il n'y a bien
entendu aucun hasard à cela et les Templiers durent certainement connaître
cet aspect de Bat. Nous savons que la fonction de Vestale provient de
l'Égypte antique, notamment par l'intermédiaire des prêtresses d'Hathor
427 Ibid., p. 22.
310 CORPUSDEAE

de Dendérah, et qu'elle fut par la suite reproduite en Grèce et à Rome.


J'ai sollicité mon ami James Rooms, responsable d'une multitude
de magazines dans les années 2000 sur des sujets comme les sciences
sacrées, l'égyptologie, l'histoire antique, les mystères et les religions, etc.
Il résulte de nos échanges que l'idée générale du feu dans l' Antiquité et
du culte qu'on lui rendait variaient selon le degré d'initiation atteint par
chaque civilisation. Pour les prêtres et prêtresses de l'ancienne Égypte,
le feu n'était pas seulement qu'un simple composé actif faisant partie de
la création de l'homme, comme le définira plus tard la Bible. Pour eux,
comme pour les gnostiques plus tard, le feu entrait dans la composition de
tout être humain sous trois aspects :

- le feu terrestre (corps terrestre),


- le feu céleste (corps lumineux ou de Lumière),
- le feu éthéré (corps éthéré).

En Égypte antique, la maîtrise du feu était sacrée, comme elle le


fut plus tard chez les Grecs et les Romains. Le feu incarne avant tout un
médiateur céleste et il était vénéré comme intermédiaire entre la Terre et
le Ciel en qualité de messager céleste. Le feu évoque aussi un élément
incorruptible et purificateur par excellence, car il peut devenir celui qui
va vaincre ou dissiper tous les éléments impurs. D'où l'importance du
baptême du feu fort différent, mais complémentaire au baptême de l'eau
que l'on retrouve au sein de plusieurs confréries initiatiques. Le feu ne
doit jamais être souillé d'aucune façon. Il est tellement précieux qu'il faut
prendre toutes les précautions d'usage avant de l'utiliser ou de l'éteindre.
Raison pour laquelle on commettait un véritable sacrilège lorsqu'on
contaminait un feu par son haleine, en lui soufflant dessus, d'où l'usage
d'un éteignoir.
En Égypte, l'entretien du feu de manière permanente sur le saint
autel par les prêtresses (l'équivalent des Vestales romaines), manifestait la
volonté de perpétuer le règne de Pharaon sur Terre comme au Ciel, mais
surtout de décréter magiquement sa protection grâce à l'Œil d'Horus,
symbole du Feu Sacré dans les temples.

*
* *

Le rituel du culte divin se trouve sur les murs du temple de Sethy ter
à Abydos, mais aussi sur plusieurs papyrus, comme le n° 3055 du Musée
de Berlin. L'égyptologue français Alexandre Moret s'est longuement
intéressé au sujet. Il note que l'allumage du feu et l'éclairage du sanctuaire
formaient l'une des cérémonies essentielles du culte journalier qui assurait
la pureté du temple. La formule «battre le feu», signifie distinctement que
le feu s'obtenait par friction de deux pièces de bois. Mais le prêtre officiant
LE GRAAL PRIMffiF 311

pouvait également se procurer le feu dans la réserve du Feu Sacré428 •


On allumait le feu pour un dieu spécifique; bien souvent pour
Horus, guerrier lumineux dont le combat repousse le mal et met Seth en
fuite. L'Œil d'Horus incarne le Feu Sacré des temples, mais le Feu Sacré
lui-même représente aussi !'Uraeus, le serpent frontal d'Horus que l'on
retrouve sur la couronne des Pharaons. Nous le savons désormais, il s'agit
de la pierre lumineuse tombée du front de Lucifer, sa force vitale perdue
qu'il faut retrouver, «reconstruire», polir et savoir maîtriser.

«Viens, Œil d'Horus brillant, viens, Œil d'Horus lumineux, venant


en paix, rayonnant comme le Soleil dans l'horizon. Il écrase les
forces de Seth; suivant les formules, il les emporte, s'en empare et
les brûle. Sa flamme vient et court ... elle vient et court au Ciel à
la suite du Soleil, sur les deux mains de tes deux sœurs [cf. Isis et
Nephtys].»
Papyrus de Nebseni

Cet Uraeus sacré désigne aussi la «flamme», considérée comme fille


du Soleil et serpent enflammé logé sur le front du roi et des dieux. Les
prêtres et prêtresses nommaient aussi !'Uraeus Urrit Hikau, «la Grande
Incantatrice » ou encore «la Régente de la Terre». Sous sa forme de deux
serpents, le double Uraeus en feu figurait les deux visages de la Grande
Reine, à savoir Isis et Nephtys.

«Bat, Dame du diadème d'électrum, [... ] place pour toi la couronne


d'or sur ta tête de sorte que Mehenet429 soit établie sur ton front. La
fille qui nourrit le double pays d'offrandes, l'Assemblée se réjouit de
sa Lumière, Celle de l'horizon dans l'horizon, Maîtresse, Dame des
puissances, au beau visagem ... »
Chapelle du Per-Neser, scène est, Dendérah

Horus expérimenta le mal à travers une mauvaise utilisation de son


Œil divin. Son acte, on l'a vu, provoqua la mort d'Isis. Ayant connu la Mort
rituelle et la Résurrection en guise de rédemption, lui seul était à même
de transcender l'énergie pour vaincre les forces obscures. Les prêtres et
prêtresses connaissaient l'histoire d'Horus et invoquaient son Œil avec
beaucoup précaution :

«Viens, viens en paix, Œil d'Horus lumineux; sois sauf, rajeunis-toi


en paix. Il rayonne comme Râ dans le double Horizon et devant lui
se cache la forme de Seth; l'Œil d'Horus s'en empare et l'amène à

428 Alexandre Moret, Le rituel du culte divin journalier en Égypte, Paris, Éditions Ernest Leroux,
1902, p. 10.
429 Déesse serpent qui s'enroule sur la tête des dieux.
U> René Preys, Les complexes de la demeure du sistre et du trône de Râ, op. cit., p. 285.
312 CORPUSDEAE

Horus pour le mettre devant sa place. Horus réalise la voix par son
Œil; l'Œil d'Horus détruit les adversaires d' Amon-Râ, seigneur de
Karnak, en toutes leurs places. Le roi donne l'offrande, car je me suis
purifié431 • »
Papyrus égyptien de Berlin, 3055, 1:2-5

L'éclairage du naos (Saint des Saints) de chaque temple par le Feu


Sacré «Œil d'Horus» formait un rite usuel dans toute consécration d'un
temple ou même d'un tombeau. On a trouvé dans certaines tombes des
stèles funéraires où une formule stipule que la «flamme, Œil d'Horus,
brille pour lancer le fluide magique au défunt et renverser ses adversaires. »
Le fluide lumineux horien apporte la force d'Horus au défunt qui pourra
affronter les ténèbres dans l'au-delà.
Nous avons mentionné de nombreuses fois le symbole de Nephtys
placé sur sa tête. Il forme une tour, mais aussi le support soutenant une
coupe alchimique, celle du Graal. Cette combinaison symbolise encore un
élément important : l'autel où l'on entretient le Feu Sacré.

Dans le papyrus des Lamentations d'Isis et Nephtys (4:5), Nephtys,


gardienne du Feu Sacré, dit au défunt, assimilé à Osiris : «Ton fils,
l'adolescent Horus, fils de tes deux sœurs, est devant toi. Je suis là, avec
la Lumière, pour ta sauvegarde magique, chaque jour.» Avez-vous bien
assimilé le véritable rôle de Nephtys dans cette histoire de blessure
~1 Ibid., p. 9-10.
LE GRAAL PRIMITIF 313

d'Horus et de relèvement de sa personne par la Porteuse de la Lumière des


Origines? On se demande souvent quel rapport existe entre le contenant et
le contenu du Graal. Voici la réponse, noir sur blanc :
- Le contenu : Le sang christique recueilli dans la coupe est la
Lumière perdue d'Horus (sa foi, son pouvoir, son feu intérieur : sa force
vitale), c'est-à-dire le feu originel préservé dans les autels des temples
égyptiens.
- Le contenant : Le Graal, sous forme de coupe, est le creuset
alchimique d'où s'opère la transmutation entre le feu horien et le feu de la
Vierge Nephtys, porteuse del' énergie transformatrice du Saint-Esprit et de
la royauté originelle.

Ensemble, Horus et Nephtys (Bel-Marduk et Inanna-mar)


instaurent }'Eucharistie, du grec ancien Eukharistia, «Action de grâce»,
par laquelle leurs corps (le pain) et leurs sangs (le vin) se mélangent pour
renouveler les capacités du roi déficient pourtant destiné à régner. Nous
sommes en pleine épopée du Graal! Jean Markale, grand expert de la
mythologie celtique, apporte quelques précisions sur ce concept connu de
quelques initiés, en faisant référence au Roman de Jaufré appartenant au
cycle arthurien (entre les 12e et 13e siècles): «[C'est une] 'quête du Graal',
mais vue sous son aspect primitif de vengeance rituelle par le sang, avec
guérison et remplacement d'un roi blessé et incapable de régner ... [La
Vierge]~2 apparaît ici comme l'image d'une Déesse-Mère, gardienne d'un
domaine qui, de façon emblématique, représente l'Univers tel qu'il était,
selon la tradition gnostique, avant l'usurpation opérée par le dieu mâle qui
a détrôné la Pistis Sophia et rendu stérile son 'Royaume de Lumière.' On
peut en déduire qui [la Vierge] est la Pistis Sophia des gnostiques. Mais elle
est aussi, selon la tradition celtique, la 'déesse des Commencements'. Ne
serait-elle pas en fait la 'Porteuse du Graal' 433 ? »

J'ai indiqué, au début du premier chapitre sur le Graal primitif,


l'impossibilité de retrouver le hiéroglyphe «Gardai» pourtant mentionné
par Camille Duteil et Fulcanelli. Mes recherches me menèrent vers la
variante Garâal ~-0~Ll («la pierre de Lumière qui fait ascensionner»)
amplement commentée dans le même chapitre. En fouillant plus avant,
j'ai aussi repéré quelque chose en connexion avec le Feu Sacré des temples
égyptiens sous la forme Garaal :

ui Ils'agit ici de la Vierge Brunissen à la chevelure brune, dont le château se nomme Monbrun
(«monticule sombre»). Elle possède un verger merveilleux où chantent des oiseaux. Elle est
en quelque sorte» la déesse oiseau», donc le Saint-Esprit,·symbole de la Déesse-Mère!
œ Jean Markale, L'énigme du Saint Graal (de Rennes-le Ch4teau il Marie-Mildeleine), Éditions du
Rocher, 2005, p. 82.
314 CORPUSDEAE

Garaal, «le feu qui s'élève (ou ascensionne)»

Les cérémonies du culte consacrées au Feu Sacré, se tenaient à des


moments cruciaux de la journée. Au moment où le Soleil se place dans
trois positions précises : au lever, à midi et lors du coucher. Il s'agissait
de préserver l'équilibre entre ces moments distincts. Le désordre menaçait
toujours pendant les périodes de transition, particulièrement lors du
passage de la fin du jour au début de la nuit, au moment où les forces
séthiennes pouvaient attaquer.
Dans le temple d'Hathor à Dendérah, les prêtresses, porteuses du
flambeau sacré, devaient justement combattre rituellement les puissances
des ténèbres. Une force d'autant plus difficile à maîtriser qu'elle pouvait à
tout moment détruire le monde et en particulier l'Égypte. La destruction
de la terre des ancêtres, l' N amenptah (l'Atlantide égyptienne, voir La
Dernière Marche des Dieux), étant toujours bien présente dans les esprits
des initiés. C'est grâce aux prêtresses qui invoquaient en cette occasion les
paroles redoutables de Sekhmet que celles-ci pouvaient protéger le roi et
l'Égypte de ses ennemis. On se rappellera que Sekhmet représente l'aspect
guerrier d'Hathor, comme Nephtys-gtar incarne une guerrière redoutable
tout en ayant sa caractéristique de déesse de l'amour.
Les prêtresses étaient revêtues d'une peau de lionne et Sekhmet
représentait, sous cet aspect particulier, le feu purificateur. Lors du rituel
du feu, la prêtresse transmutait les bonnes énergies en énergie lumineuse.
Le feu destructeur est alors transformé en énergie créatrice ...

*
* *

Saint Bernard de Clairvaux, grand inspirateur des moines-soldats


et sans doute l'un des créateurs de l'Ordre secret des Templiers, rédigea
plusieurs prérogatives à l'attention de la Vierge Marie. Nous pouvons
lire dans ces textes : «[La Vierge] a voulu être la débitrice des sages et
des insensés. Elle ouvre à tous le sein de sa miséricorde, afin que tous
participent de sa plénitude; le captif y trouvera sa délivrance, le malade sa
guérison, l' affligé sa consolation, le pécheur son pardon; le juste y puisera
la grâce, l'ange la joie434 [ ••• ]. N'est-elle pas la femme de l' Apocalypse
qu'enveloppe le Soleil? [... ]. C'est donc à juste titre que l'on nous montre
Marie revêtue de Soleil, elle qui a pénétré les abîmes de la Sagesse divine
à des profondeurs presque incroyables et qui, dans toute la mesure où la
chose est possible à une créature en dehors de l'union personnelle avec

~ Saint Bernard de Clairvaux, Les douze prérogatives de la bienheureuse Vierge Marie, chapitre 2.
LE GRAAL PRIMITIF 315

Dieu, paraît immergée au sein de la Lumière inaccessible. Le feu divin a


purifié les lèvres du Prophète, il embrase les Séraphins, mais il agit sur
Marie d'une façon bien plus extraordinaire. Car elle a mérité de n'en être
pas seulement effleurée, mais bien enveloppée de toutes parts, baignée
tout entière et comme enfermée dans ses flammes 435 • »
La Vierge, véritable miroir de Dieu, possède pour ainsi dire une
action magnétique que Saint Bernard aura parfaitement comprise et que
les Templiers retrouvèrent dans la Vierge Bat, forme protectrice d'Hathor
et gardienne du Feu Divin. Les traces de ces vierges sacrées égyptiennes
se retrouvent plus précisément chez les Divines Adoratrices consacrées
aux services d'Hathor à Dendérah et d' Amon à Thèbes. Vouées au célibat
durant toute leur vie, elles forment de très importantes dynasties sacer-
dotales. Certaines sont de sang royal, d'autres sont même filles de Pha-
raons, alors que d'autres encore font partie du clergé et de la noblesse. Ne
pouvant porter d'enfant, leur succéderont à leur mort des filles adoptives,
elles-mêmes issues de lignées royales ou nobles. Les Divines Adoratrices
héritant par voie d'adoption, chacune pouvait se réclamer de deux mères,
à savoir sa mère chamelle, et sa mère spirituelle qui l'avait adoptée.
À l'instar des Vestales gréco-romaines, nous savons que les Divines
Adoratrices jouissaient de grands pouvoirs et même des fonctions
monarchiques grâce auxquelles elles participaient aux rites de fondation
des temples et des sanctuaires tout en consacrant des offrandes à Hathor,
Amon et Maât. Parmi elles se trouvaient également des Chanteuses de
l'intérieur, comme la Shemâyt (chanteuse), la Hezyt (chanteuse-musicienne),
la Sekhemyt (joueuse de sistre), etc. Il semble que ces vierges-musiciennes
accompagnaient la Divine Épouse en titre lorsqu'elle officiait en chantant,
tout en maintenant le Feu Sacré durant le culte journalier. Toutes devaient,
à tour de rôle, venir passer la nuit dans le Saint des Saints pour préserver
l'équilibre du temple.
La dernière trace des gardiennes du Feu Sacré en Égypte se trouve
dans la personne de Cléopâtre436 qui était une Vestale, une gardienne du
Feu Divin. À l'époque de la dynastie des Ptolémées, le nom «Cléopâtre»
fut ensuite employé pour nommer les dernières Vestales en Égypte ...
Au stade final de cette étude, une interrogation demeurait dans
mon esprit. Nous avons pu observer des rapports réguliers entre certains
rites égyptiens et la franc-maçonnerie. Qu'en est-il de cet aspect chez les
francs-maçons? De même, quel rapport existe-t-il du point de vue FM
entre franc-maçonnerie et Templiers? J'ai sollicité une dernière fois Tau
Eléazar:

A.P. : Que représente la loge égyptienne Memphis Misraïm pour les


autres loges ? En fouillant les origines de la franc-maçonnerie, on a le
sentiment qu'ils'agirait en quelque sorte de la loge initiale, inspirée
m Saint Bernard de Clairvaux, Les douze prérogatives de la bienheureuse Vierge Marie, chapitre 3.
4.36 Des termes grec kléos («gloire») et latin patros (génitif de pater, «père»): «Gloire du père».
316 CORPUSDEAE

des Mystères de l'tgypte ancienne, mais en glanant des informations


à partir de la franc-maçonnerie elle-même, il semblerait que cette
loge soit parfois ironisée. Est-ce le cas et pourquoi?
T.E. : «Toute Lumière vient de l'Orient: Toute Initiation de l'Égypte!»
Le Memphis Misraïm est une loge mystique, effectivement inspirée
des Mystères de l'Égypte ancienne. Encore une fois, j'ai rencontré des
frères d'obédiences différentes qui ne connaissaient pas le Memphis
Misraïm, ou en avaient juste entendu parler. Il faut rappeler que
certaines obédiences interdisent aux frères de rencontrer les frères
des loges sœurs. Cela aussi est un mystère, l'adage n'est-il pas
«réunir ce qui est épars?», ce qui vaudrait dire qu'il faut bien aller
voir ailleurs, mais surtout ramener au sein de la loge ce que l'on a
découvert pour le partager. Aujourd'hui par contre il y a des frères
qui n'ont pas le droit d'aller voir ailleurs, mais là encore, c'est le
choix de chacun, si un frère accepte cette philosophie, si elle lui
convient, alors qu'il en soit ainsi.
J'ai rencontré, dans une région de France, un homme et ami qui
devrait se reconnaître dans ces lignes, car c'est un fidèle lecteur
d' Anton Parks, et j'en profite pour le saluer. Cet ami, à la suite de
son père, est devenu Grand Maître de loge après de longues années
de loyaux services au sein de la FM.
Je lui ai parlé du rite de Memphis Misraïm et ai pratiqué avec lui
certains de nos rituels. Il m'a avoué que c'est ce genre de rituel
théurgique qu'il avait toujours cherché et n'avait malheureusement
pas trouvé dans la voie qu'il avait suivie. Cela prouve que le message
passe parfois mal au sein même des frères, tout simplement car
certaines obédiences vivent recluses sur elles-mêmes. Si vous mettez
une clôture autour de votre pré, vos brebis n'iront plus voir ailleurs.
La réponse est donc claire, il y a effectivement des frères qui
regardent d'un drôle d'air les loges dites mystiques.
L'homme moderne est ainsi fait, il est aujourd'hui capable de mettre
en doute la polarité des pierres, le savoir des bâtisseurs, alors qu'il est
lui-même incapable de tenir un marteau, mais cela ne l'empêchera
pas de devenir Grand Maître ... »

A.P.: Qu'évoquent les Templiers pour les francs-maçons? L'origine


de la franc-maçonnerie semble provenir des moines-soldats, est-ce
accepté et validé par tous ou par seulement quelques loges ?
T.E. : «J'ai entendu beaucoup de choses pendant que je gravissais les
marches. Des choses qui m'ont enrichi et des choses qui m'ont froissé.
Quand on est franc-maçon et que l'on en a assimilé les Mystères, on
ne peut plus critiquer cette fraternité, il faut juste savoir admettre,
comme dit plus haut, que chacun est libre de penser. Je ne vais donc
pas généraliser, mais parler de ma propre expérience. En parlant du
Templarisme avec des frères, certains m'ont dit, 'mais les Templiers
LE GRAAL PRIMITIF 317

sont tous morts', d'autres m'ont ri au nez, d'autres ont placé leur
poing sur le cœur et se sont écriés 'foi, charité, courage'.
A ceux qui m'ont dit que les Templiers étaient tous morts je dirai :
Tous vos ancêtres sont morts, pourtant votre nom perdure, grâce à
vous.
À ceux qui ont placé le poing sur le cœur je dirai : Tous les Templiers
sont morts, mais leur mémoire perdure, grâce à VOUS.
À ceux qui ont ri je dirai : Il reste toujours des profanes à éveiller,
grâce à VOUS.
Mais pour ceux qui pensent que le Templarisme est mort, je leur
demanderai juste d'enrichir leur culture. Un exemple :
Après la trahison de 1312, fut créé le 14 mars 1319 au Portugal (où
bon nombre de Templiers s'étaient réfugiés) l'ordre du Christ (Real
Ordem dos Cavaleiros de Nosso Senhor /es us Cristo).
En cinq siècles, de 1319 à 1834, l'ordre évolue d'un ordre religieux
militaire à un ordre honorifique de la royauté portugaise. Avec la
révolution du 5 octobre 1910, l'ordre est supprimé comme tous les
ordres honorifiques puis rétabli en 1917.
Cet ordre est aujourd'hui l'ordre honorifique officiel de la République
portugaise, ayant pour grand-maître le président de la République
portugaise lui-même!
Bien entendu la FM est issue du Templarisme, et je pense que cet
ouvrage l'aura expliqué.
Pour terminer ce paragraphe et vous confirmer que la chevalerie a
traversé les âges et existe encore de nos jours, je vais vous parler des
Chevaliers Teutoniques. Cet ordre se rrommait initialement «Ordre
de Sainte Marie des Allemands» (Ordo sanctae Mariae Teutonicorum ).
Je ne vous parlerai pas de l'Ordre en lui-même, cet ouvrage n'en
étant pas le but, mais plutôt de notre rencontre, dans un lieu cher
à tous les ordres chevaleresques chrétiens, j'ai nommé le Saint
Sépulcre de Jérusalem.
A Jérusalem donc, il y a quelques années, lors d'un pèlerinage, je me
trouvais sur une terrasse à quelques mètres du Saint Sépulcre avec
des amis, lorsque je vis devant moi un groupe d'une vingtaine de
personnes se rapprochant de nous. Ce groupe nous croisa et disparut
dans la foule. Je me rappelle très bien que ce groupe m'avait laissé
une impression bizarre, indéfinissable, comme un frisson le long de
la colonne vertébrale, puis ce sentiment disparut et j'oubliai ce détail
en reprenant la discussion avec mes amis.
Une heure plus tard, j'entendis un bruit de bottes grandissant,
comme un pas militaire, et je ressentis à nouveau ce frisson dans
la colonne vertébrale. Lorsque ce bruit arriva à ma hauteur, à ma
grande stupeur je découvris une vingtaine d'hommes et de femmes
en uniforme, marchant fièrement, se tenant bien droits, de position
altière et de fière stature. La prestance de ces personnes laissait
318 CORPUSDEAE

transparaître une évidente appartenance à la haute bourgeoisie, tant


chez les hommes que chez les femmes.
Les hommes portaient l'habit noir, la cape noire et la croix sur
l'épaule, il s'agissait incontestablement des Chevaliers Teutoniques.
Je leur ai emboîté le pas, car visiblement ils se dirigeaient vers le
Saint Sépulcre. Je me suis permis de les observer, l'un après l'autre,
chacun allant se recueillir sur la tombe du Christ.
Cette rencontre restera gravée en ma mémoire, étant aussi
surprenante que mystérieuse de synchronicité. Je me suis discrètement
entretenu avec l'un d'eux (pratiquant leur langue), et ce dernier me
confirma avec gentillesse et dignité son appartenance à l'Ordre. »

A.P. : Et en France, le Templarisme existe-t-il toujours ?


T.E. : «En France le Templarisme est un peu plus confus. En effet,
il existe de nombreux Ordres Templiers, ou néo-Templiers, mais
certains (je dis bien certains) s'enchevêtrent malheureusement dans
d'occultes filiations ésotérico-mystiques, pour preuve le tristement
célèbre OTS (Ordre du Temple Solaire).
Là encore ce n'est pas le Templarisme en lui-même qui prête à
confusion, mais bien ses dirigeants. Je n'entrerai pas plus dans
les détails, car tant d'hommes sincères, tant d'hommes de valeur,
œuvrent derrière le voile. Rendons donc gloire à tous ceux qui sont
sincères. Revêtir une cape de Chevalier lors d'un adoubement, est
un moment inoubliable, et doit en principe être donné de manière
discrète, en petit comité, entre Frères et dans un lieu sacré. Il coule de
source que cet adoubement donné en grandes pompes, de manière
théâtrale, et devant une assemblée de profanes est donc totalement
incohérent, voire grotesque. Gloire donc, à ceux qui œuvrent pour
le bien.
Il existe donc bien des Ordres Templiers contemporains, assez faciles
à trouver sur Internet.
D'autres, beaucoup plus discrets, ne se révèleront à vous que par le
principe du Deus Vult, 'si Dieu le veut', car ce n'est pas l'ego qui doit
vous mener sur le chemin, mais bien Dieu. »

4. Le Graal sur la tête et l'intervention divine

L'origine du mot Graal reste très discutée. Nous avons relevé ses
aspects primitifs sous les formes de« Pierre de Lumière qui fait ascensionner»
et de «Feu Sacré» dont la lumière illumine les temples égyptiens et les
protège des forces du mal. D'un point de vue ésotérique, ces deux aspects
figurent aussi la Pierre tombée du front de Lucifer (l'Œil d'Horus) et
son Œil divin préservé dans les temples. On ne saurait être plus précis.
Pour certains, ce mot proviendrait plutôt de l'occitan Grasal dont le
LE GRAAL PRIMITIF 319

sens évoque «un vase» ou «un plat». Nous avons maintes fois commenté
l'aspect de coupe ou du plat graalien posé sur la tête de Nephtys. Ce même
plat porte une tête ensanglantée dans le cortège du Graal de la version
galloise de Peredur (Perceval). On peut lire ici et là que Graal proviendrait
plus simplement du terme latin gradalis (plat large et creux). On aura beau
chercher, le seul gradalis latin de disponible exprime quelque chose «qui
progresse posément ou qui avance par degré : pas à pas.»
N'ayant rien trouvé qui confirmerait cette étymologie, certains
s'empressent d'invoquer cratalis (?)tiré du latin cratis qui exprime «une
claie», sorte de treillis ou de panier en osier, lui-même découlant de catêr, à
savoir un «vase». Ce catêr («vase»), pourrait être en lien avec le mot grec
kalathos, sorte de coiffure haute en forme de panier ou de corbeille en osier.
Véritable symbole de prospérité et de fécondité, on y plaçait les grains
des moissons ou les fruits des vendanges, des fleurs, etc. Cette coiffure en
forme de calice étroit se trouve sur les têtes de déesses comme Cybèle (la
gardienne des Savoirs), Perséphone (la gardienne du monde souterrain et
de la végétation lors du printemps), d'Athéna, sous la forme de Minerve
à Rome (déesse de la guerre, de la sagesse et des arts), de Déméter, sous la
forme de la Romaine Cérès (gardienne de l'agriculture et des moissons) ...

Ce kalathos est associé au modius des Romains, mesure de capacité


pour les matières sèches comme le blé et le froment, que l'on retrouve sur
plusieurs têtes de déesses dont Isis et son époux Sérapis. Lorsque le Grec
Alexandre le Grand arrive en Égypte en décembre -332, il semble accueilli
en libérateur par un pays sous le joug de la domination perse. Rapidement,
il apparaît nécessaire de restructurer la triade la plus vénérée au monde :
Isis-Osiris-Horus, où seuls Osiris et Horus vont connaître des modifications
sous les apparences respectives de Sérapis (mélange d'Osiris et du taureau
Apis) et d'Harpocrate pour Horus.
Dès lors, Isis et Sérapis porteront le fameux Kalathos / Modius sur
leur tête en guise de calice d'abondance. Dispensateurs de bienfaits pour
l'humanité, le couple se vouera à la divination médicale dans les temples et
à l'exercice de la médecine surnaturelle. L'influence de l'Égypte ancienne
ne manquera pas de faire intervenir les drogues initiatiques et l'incubation
divinatoire en vue de se rapprocher des dieux ~t de communiquer avec
eux.
320 CORPUSDEAE

81 et 82. À gauche, Tyché, déesse grecque del' abondance et de la Fortune. Sa coiffe mélange à
la fois la tour de Nephtys (forteresse ou temple), la couronne royale et le Kalathos (Modius).
Marbre, copie romaine d'un original grec en bronze par Eutychides (3• siècle av. J.-C.),
n° 2672, Galleria dei Candelabri, Vatican
À droite, Buste de Sérapis avec un Modius sur la tête. Marbre, copie romaine d'un original
grec du 4• siècle av. J.-C. qui se trouvait dans le Sérapéon d'Alexandrie

Les prêtres égyptiens pratiquaient la divination et l'incubation


depuis fort longtemps (cf. rituel de Mort et de Résurrection d'Horus-
Marduk). J'ai plusieurs fois évoqué, dans cet ouvrage comme dans
d'autres, les niches d'incubation présentes dans le temple aquatique de
l'Osireion à Abydos (Égypte). En Genèse 41, l'épisode biblique du son,e
du Pharaon devant Joseph (version osirienne sous la forme de Yuef ~- :
le corps du dieu Osiris) montre l'importance qu'attachaient les Égyptiens
à la divination qu'ils nommaient Apu Ma, «message de vérité». Quant à
l'oracle médical, Isis était la maîtresse et on notera à cet effet les apparitions
opérées par la déesse lors de cures miraculeuses et d'apparitions aux
malades (cf. Diodore 1, 25).
Le principal oracle de Sérapis se trouvait à Alexandrie dans le
temple Sérapéon, où les Ptolémées en personne eurent recours aux oracles
divins. Son sanctuaire renfermait une célèbre bibliothèque qui n'était
qu'une annexe de la fameuse bibliothèque d'Alexandrie.
Tous les temples isio-sérapiques durent offrir aux fidèles le
miracle des révélations surnaturelles, particulièrement par la méthode
de l'incubation et l'intervention de voix et de symboles révélés lors du
rituel. Intervient dans ce cas le rôle des songes allégoriques où l'âme, selon
des lois naturelles, laisse entendre un événement et offre souvent les clés
de son dénouement. Par exemple, le livre du philosophe gréco-syrien,
LE GRAAL PRIMITIF 321

Artémidore de Daldis (second siècle av. J.-C.), explique «qu'un individu


rêva qu'il recevait un coup d'épée dans le ventre et en mourrait. Le même
homme guérit à la suite d'une opération d'une tumeur qui lui survint au
bas-ventre» (5:61)437•
Isis (et son doùble Nephtys), Sérapis et leur fils Harpocrate (Horus)
sont les seules divinités associées à la divination et aux rites de passage que
l'Égypte ait fournies au monde gréco-romain. La coupe placée sur la tête
de Nephtys, Neb = en égyptien, exprime à la fois les« dieux, seigneurs,
déesses, maîtres, maîtresses, etc.» et permet de recevoir naturellement
la Lumière pour filtrer «l'or alchimique». Ce réceptacle, contenant la
Lumière divine et autres abondances du Ciel et de la Terre, s'est donc
retrouvé naturellement sur la tête de personnage comme Sérapis, ou sous
forme de porte-flambeau-corne d'abondance entre les mains de Cléopâtre
comme on peut le voir ici :

83. Cléopâtre portant


une corne d'abondance
en forme de porte-
flambeau.
Photo de George
Shukli, Musée de
l'Ermitage à Saint-
Pétersbourg

w Auguste Bouché-Leclercq, Histoire de la divination dans l'antiquité, op. dt., p. 804.


322 CORPUSDEAE

Cette coupe des béatitudes, ce Feu Sacré ou encore ce creuset sur


la tête des dieux symbolisent l'onction divine où se mêlent les éléments
constituant le nouvel être et ses moyens pour accéder à l'avènement royal
grâce à une nouvelle naissance. Inutile de rappeler que nous avons détaillé
tous ces secrets cachés dans la présente étude.
La cérémonie aux Mystères d'Isis chez Apulée (vers 125-170 de
notre ère) nous offre une mine d'informations sur les dernières cérémonies
isiaques où la bestialité se mêle au mysticisme. Ces Métamorphoses
racontent la transformation en «âne» d'un aristocrate prénommé Lucius
et ses périples pour retrouver forme humaine. Après une course effrénée,
Lucius s'étend sur un lit de sable près de la Mer Egée et s'endort, accablé
de fatigue. Le livre XI poursuit l'histoire : Lucius s'adresse à la Lune en
l'invoquant à travers différents noms pour implorer son aide. Une déesse
d'aspect merveilleux émerge alors de la mer. Dans sa main droite, elle tient
un sistre en bronze, sans doute celui associé à la déesse Bat! Son autre main
tient une lampe à huile en or, symbole du Feu Sacré. La déesse se présente
sous divers noms, mais ajoute à la fin de la liste que son véritable nom
est Isis. Lucius, dont le nom tire son origine du latin lux («lumière»), doit
suivre les conseils d'Isis pour retrouver sa forme humaine. Il est invité à
participer à la grande fête d'Isis et à entrer dans cette sainte milice afin de
devenir un fidèle des Mystères de la Déesse-Mère.
Dans beaucoup de rites initiatiques, l'homme ancien doit succomber
pour faire renaître le nouvel être à travers cette mort salutaire. L'aspect
animal dénonce l'origine et la nature de la faute commise. La passion
dévoreuse dissimulée au fond de l'inconscient doit être anéantie!
La vieille peau (celle de l'âne, animal sethien par excellence), chargée des
péchés doit partir pour que l'initié puisse revêtir le nouveau corps de
Lumière.
Concernant la faute d'Horus-Marduk et de l'épreuve qui en résulte,
on reconnaît la même trame dans le mythe de Méduse, où Persée se voit
offrir Andromède et sa royauté pour avoir vaincu l'ancienne déesse dont il
a coupé la tête. De plus, la tête de Méduse sera ensuite adoptée par Athéna
sur son bouclier, comme Nephtys-IStar portera la tête d'Isis sous la forme
d'Hathor. Après l'errance dans les ténèbres intervient la Lumière révélée
par l'initiatrice. Elle est la Porteuse du creuset alchimique d'où s'opérera la
transmutation entre le feu horien et le feu de la Vierge (Nephtys), porteuse
de l'énergie transformatrice du Saint-Esprit et de la royauté originelle. On
ne saurait décidément être plus clair.
J'achèverai simplement ce voyage transformateur à tout point de
vue en ajoutant ces quelques mots : selon la philosophie chevaleresque des
Templiers, l'énergie de la Vierge (Isis et Nephtys unifiées en la déesse Bat,
forme protectrice d'Hathor) et son Amour sont les seuls éléments capables
de faire tomber les armes tout autant que de fusionner des polarités à
première vue opposées, mais finalement pleinement complémentaires. De
cette fusion résulteront la Paix et la Justice divine.
LE GRAAL PRIMITIF 323

84. Pectoral égyptien du Moyen Empire (vers 1890 av. J.-C.): Horus et Seth unifiés grâce à la
déesse Bat, seule divinité apte à équilibrer les forces opposées ...
Myers Museum, Eton College

Cette Lumière divine issue de la Vierge stimule la flamme intérieure


et éveille l'Amour en chacun de nous. Tous ces aspects donnent du courage
au guerrier et lui octroient les armes pour se perfectionner et atteindre la
noblesse du cœur. La Vierge, véritable ouvrière des transformations, est la
seule capable de transmettre l'Eau de Grâce comme le Feu de l'illumination.
La dissolution des formes étant réalisée et l'alchimie ainsi opérative, la
Flamme vive de l'Esprit opère alors une transformation de l'être et une
nouvelle naissance. Tout a été dit ...
85. Harpocrate (Horus) porte une corne d'abondance et un doigt sur la bouche pour
montrer aux initiés leur devoir de garder le silence ... gestuelle reprise dans les hauts grades
maçonniques.
Sur sa tête se trouve la flamme de l'illumination (l'Œil d'Horus), médiatrice entre chaque
individu et la Source de toutes choses (Dieu). Une bonne maîtrise de cette flamme permet un
contrôle total de l'énergie vitale.
Dessin de Domenico Campiglia (tS• siècle) à partir
d'une sculpture du musée du Capitole à Rome
Épilogue

Aujourd'hui samedi 8 juillet 2017, je clôture cette enquête à laquelle


j'aurai consacré de nombreuses années de travail. Un rapide coup d' œil
à travers la fenêtre de mon bureau me permet de constater que le Soleil
est au rendez-vous. L'été est déjà là et je vais sortir bien volontiers de ma
caverne studieuse et introspective pour profiter autant que je le pourrai
des contemplations extérieures et bénéficier de cette sensation de se sentir
bien vivant.
Des documents inattendus se placèrent sur ma route en plus de
toutes ces archives historiques qu'il m'aura fallu compulser et étudier avec
acharnement. Par conséquent, j'ai plus d'un an de retard sur les prévisions
de publication et je dois vous avouer avoir également vécu nombre de
pressions pour finaliser cet ouvrage. Pressions sans doute justifiées de
certains lecteurs mécontents de ne pas avoir reçu leur livre précommandé
dans les temps. D'autres pressions encore de la vie et de déconvenues
imprévues, sans parler des attaques dans l'invisible ... Cette rédaction fut
un véritable parcours du combattant, une quête initiatique, et cette quête
du Graal m'aura certainement transformé à jamais.

Après trente-six ans de réflexions et de travaux, déjà douze ans de


publications et neuf ouvrages (sans compter les éditions augmentées qui
prennent beaucoup de temps), je profite de cet espace pour faire une sorte
de bilan. Plus j'avance dans la recherche, plus je ne me sens éloigné de
cette planète et de la majorité de ses habitants. Dans mes pires moments, je
me dis parfois que j'aurais peut-être été plus utile à notre Monde, enfermé
dans une pièce des services gouvernementaux à décoder des textes anciens
ou des documents d'un autre monde ...

*
* *

La société moderne avec ses outils numériques oblige le citoyen


à fonctionner rapidement et ne permet plus la réflexion posée ou même
326 CORPUSDEAE

l'introspection. Les messages du passé ne veulent plus rien dire pour le


commun des mortels et j'ai la désagréable sensation de faire partie d'une
minorité encore apte à décoder ce genre de pensées originelles. Le gavage
des consciences grâce à Internet ou aux bruits de couloir non vérifiés
s'effectue avec une progressive frénésie alors que les études scientifiques
prouvent qu'un cerveau moyen ne peut en aucun cas enregistrer toutes ces
données.
Aujourd'hui de retour «dans le monde des vivants», je compulse
les dernières informations en vogue sur le Net, dignes des plus grandes
conspirations. On se croirait dans un mauvais film de série B : la Terre
serait bien plate; les dinosaures n'auraient jamais existé (leurs squelettes
étant des faux); les datations historiques de l'histoire mondiale seraient
incorrectes; la station spatiale internationale 155 n'existerait pas : exit
toutes les photos de l'astronaute français Thomas Pesquet, à qui l'on doit
les meilleurs clichés de la Terre à ce jour : tout serait truqué! Nous en
resterons là, tant on marche sur la tête!
Et la franc-maçonnerie? Pour cette étude, j'ai sollicité Tau Eléazar,
mais aussi deux francs-maçons dont un du 33• degré. Ne connaissant
absolument rien sur ce sujet, nos divers échanges m'ont permis d'en
comprendre davantage sur cet ordre initiatique qui, semble-t-il, tire
clairement certaines de ses doctrines de l'Égypte ancienne, du moins
dans les hauts grades. Cette institution m'a plusieurs fois invité à faire
partie de ses membres, mais j'ai toujours refusé. Par contre, je n'ai
absolument rien trouvé parmi ces personnes qui soit en rapport avec ces
insanités dégradantes que l'on peut trouver dans les propos de certains
« conspirationnistes ». Au contraire, j'ai rencontré des gens intègres,
sincères, ne cherchant qu'à s'améliorer et extrêmement attentifs aux propos
d'autrui. Je ne prétends pas que tous les francs-maçons sont comme cela;
ce sont des hommes comme vous et moi, mais j'invite grandement à la
prudence lorsque vous lirez ou entendrez certains ragots à ce sujet.

Le détournement de l'information ou des énergies ne date pas


d'aujourd'hui. On le voit par exemple avec le Baphomet sur lequel nous
avons largement travaillé pour en décoder le mystère. Selon de nombreux
échos, cette figure transformée en démon et employée lors de rites
sataniques servirait de représentation au cœur de cérémonies de haute
magie noire. Or, nous savons qu'il s'agit à l'origine de la Vierge Bat, figure
protectrice d'Hathor, donc de la Déesse-Mère égyptienne. Voilà comment
fonctionne le Monde. Le contrôle de la connaissance, de notre histoire,
dépend de ce genre de détournement des symboles et des énergies. Que
dire du fameux Œil d'Horus tant décrié par certains «spécialistes» de
l'ésotérisme? Cet œil détourné, paraît-il, par quelques groupuscules
obscurs, fait l'objet d'études assez poussées où l'on nous explique avec
beaucoup de sincérité son rôle inquisiteur. Dans cet ouvrage, nous avons
consacré une partie très importante à l'étude de cet œil et chacun aura
ÉPILOGUE 327

pu constater l'éloignement conceptuel et le détournement de cette énergie


pourtant bien présente en chacun de nous.
La présence d'une figure christique comme celle d'Horus-Marduk,
avec tous ces épisodes croisés, présents à la fois dans la littérature égyptienne
et mésopotamienne plus de 2000 ans avant le Nouveau Testament, nous
laisse également songeur. Libre à chacun d'en déduire ce qu'il voudra. Sans
remettre en cause l'historicité d'un Jésus-Christ, ne serait-il pas plus sage
d'envisager une volonté de répéter en boucle une histoire archétypale pour
que l'humanité puisse comprendre un message spécifique? Maintenant
que vous avez pris connaissance de cette information, vous pourrez relire
cette étude et l'interpréter d'une façon complémentaire.
L'humanité se trouve aujourd'hui à la croisée des chemins, avec la
possibilité de prendre en main son propre destin et d'ouvrir son esprit en
ayant conscience de cette chance qui s'offre à elle ...

Anton Parks
ANNEXE

Récapitulatif des sources principales issues de l'Orient ancien au


sujet de «la Passion et la Résurrection du Fils de Dieu». Informations
découvertes par les Templiers ou transmises à ces derniers par la Société
des Frères d'Orient de Michel Psellos. Ces traditions et documents furent
sans aucun doute entre les mains des anciens Hébreux à partir de l'époque
de leur fuite de l'Égypte avec Moïse et leur retour à Jérusalem après une
captivité de 58 ans à Babylone. Ces mêmes données se trouvent dans la
Bible judéo-chrétienne, plus précisément dans l'histoire de Jésus-Christ.
Tableau d' Anton Parks tiré du magazine Inexpliqué n° 2 (juillet-août
2020, p. 47 et 49) où l'auteur résume ses découvertes dans un long article
intitulé «Les origines occultées des Templiers, du Graal primitif et du
Baphomet» et paru dans quatre numéros successifs du magazine (des n° 1
à4).

• Textes des Pyramides


+ MS 10070 du British Museum
La Bible de Jérusalem
+ papyrus 1425 de Berlin
f~gypte)

Iextes des fn:amides : «Osiris Éu.npes d.~ I~rm (6;48-5Bl ; Msw;


est trahi par son frère Seth. Osiris (H:lZ-26}; Lui:: (22;14-21}; Ma-
se sacrifie pour le genre humain. tbieu (26;20-30} : «Jésus annonce
Il est crucifié à un arbre et il con- qu'il sera trahi par l'un des siens.
naît la Passion. Son corps (Yuef ~ ..:__ Avant d'être livré, crucifié et d'en-
en égyptien) est ensuite démem- trer dans la Passion, Jésus rompt
bré et dévoré comme du pain par le pain et prend le vin en les corn-
Seth. Osiris connaît la résurrec- parant respectivement à son corps
tion au travers de son fils Horus.» et à son sang. Ses chair et sang ap-
... / ... portent la vie éternelle et la résur-
rection. » ... / ...
330 CORPUSDEAE

Papyrus MS 10070 +papyrus 1425:


«Osiris a donné sous forme de
vin, son sang à boire à Isis et Ho-
rus, afin qu'après sa mort ils ne
l'oublient pas. L'émanation sainte
de son corps fait vivre les dieux
et les hommes qui existent à tra-
vers lui. Osiris répand l'eau de
son âme, pour prodiguer les pains
de son être, afin de faire vivre les
dieux et les hommes.»

• Papyrus Chester Beatty I


et mythologie égyptienne, La Bible de Jérusalem
(Égypte)

Chapitres 1 à 3 : «Horus (Heru Març 14:2H!2 ~t Mathi~y 26:22-


en égyptien) est le fils de l' arti- ~: «Jésus est le fils du charpen-
san Osiris-Ptah dont le corps se tier Joseph. Face à l'Assemblée
nomme. Face à l'Assemblée di- divine des grands prêtres, Jésus,
vine, Horus, fils d'Isis, dit Merl fils de Marie, doit prouver qu'il
:;;qq ~ , 'la bien-aimée', doit prou- est le fils de Dieu. »
ver qu'il est le fils du dieu Osiris.»

• Papyrus Chester Beatty I,


Tablette sumérienne G.1.2.b.1725
Papyrus Sallier IV
(Mésopotamie)
(Égypte)

Chapitr~ 9, ligne::! 8-9 : «Le faucon Lignef! ~. l~, 18, 12 ~t 2~ : « L' oi-
Horus, fils de la vache Isis, se fâche seau de la jeune vache, outrepas-
contre sa mère et sort de sa zone sant ses limites, fait intervenir
de combat, son arme à la main. Il une arme meurtrière. Il ôte la tête
ôte la tête de sa mère Isis, puis il (de la déesse), et s'en empare avec
la prend dans ses bras et escalade fermeté et arrogance. Le corps de
la montagne. Après la mort d'Isis, la déesse est emmené sur un mon-
la déesse Hathor apparaît et la ticule pour connaître les rites de
remplace.» résurrection dénommés I-si-iS. »

• Papyrus Chester Beatty I


La Bible de Jérusalem
(Égypte)

Chapitre l, début du récit : « L' As- Évangile de Marc, 4:3 : « Satan


semblée divine et Seth mettent au met au défi Jésus de lui prouver
ANNEXE 331

défi Horus de prouver qu'il est le qu'il est le Fils de Dieu.»


Fils du dieu Osiris, donc le Mesi
l'fl r ~ , 'Fait à la ressemblance [de
dieu]'.»
Chapitre 11. lignes 1-12: « L'Esprit Évangile de Marc. 1:12-13: « L'Es-
de l'Assemblée divine pousse Ho- prit pousse (Jésus) au désert. Et
rus et Seth à passer du temps en- il était dans le désert durant qua-
semble chez Seth, dans le désert. rante jours, tenté par Satan. Et il
Seth entraîne Horus à s'accoupler était avec les bêtes sauvages ... »
avec lui et le transforme en bête
abjecte.»

• Papyrus Jumilhac
& Textes des Pyramides, La Bible de Jérusalem
(Égypte)

Jumilhac. chapitre 13 :5-7: « Neph-


tys-Hathor dépose sur Horus un Marc (14:3-9): Jean (12:3-7) : «Ma-
onguent tiré de son godet pour rie 'la pécheresse' possède un
laver ses chairs et les guérir. » vase de parfum et le répand sur
Textes des Pyramides de Pepy 11:1_ les chairs et les membres de Jésus
et de Teti. 364:616 : « Nephtys rend pour laver son corps et le prépa-
la santé et rassemble les membres rer à la sépulture.»
pour le cercueil. »

• Tablette akkadienne - Cycle


de l'Akitu La Bible de Jérusalem
(Mésopotamie)

VAT 9,2,2,2, ligne!! Z-2 ~t 61-62 : Évangil~!! d.~ Mathi~y (26}; Mar~
«Marduk est arrêté et interrogé (14}; Lu~ (22}; l~an WH : «Jésus
par des prêtres, on l'accuse de est arrêté et interrogé par des prê-
blasphème. » tres, on l'accuse de blasphème.»

• Tablette akkadienne - Cycle


de l'Akitu La Bible de Jérusalem
(Mésopotamie)

QI 1Q2 YI. ligne12 2 : «Le grand Évangil~ g~ Mathi~y. 26:67 : «Les


prêtre frappe la joue du roi.» prêtres du Sanhédrin crachent au
VAT 9555, ligne 15: «Marduk est visage de Jésus, ils le giflent et lui
frappé et reçoit des coups.» donnent des coups. »
332 CORPUSDEAE

• Tablette akkadienne - Cycle


de l'Akitu La Bible de Jérusalem
(Mésopotamie)

YAI 2.2.2.2. li~ 17 ~1 18 : «Le ÉYilll&Ü~ d~ km 1:2;Z-l.2 : « Barab-


fils du père des dieux (AMur) est bas (litt. 'le fils du père') est arrêté
arrêté avec Marduk. Il passe en avec Jésus comme émeutier. Il
jugement et ne va pas avec Mar- passe en jugement devant Pilate
duk (litt. il n'est pas livré : il est et est relâché.»
donc relâché).»

• Tablette akkadienne - Cycle


del'Akitu La Bible de Jérusalem
(Mésopotamie)

Y.AI 255,2, li~e 30 : «ils enlèvent Én.niil~ d~ km 12;23 : « . . . ils


les vêtements de Marduk.» prirent les vêtements de Jésus.»

• Tablette akkadienne - Cycle


de l'Akitu La Bible de Jérusalem
(Mésopotamie)

VAI 95,2,2,ligne~ 48 ~t 49 : «Mar- ÉYmgil~ d~ Mathieu, 22'.;34 : « ...


duk absorbe l'eau. L'eau [qu'il] ils lui donnèrent à boire du vin
mélange avec [sa bouche?] se ré- mêlé de fiel. (Jésus) en goûta ... »
pand, c'est de l'eau amère.»

• Tablette akkadienne - Cycle


de l'Akitu La Bible de Jérusalem
(Mésopotamie)

YAI 2.255, ligne 'J.7 : «Lors de sa Évilllgil~ g~Lui;;, 23;46 : «Lors de


Passion, Bêl-Marduk fixe le Ciel, sa crucifixion, Jésus prie et inter-
prie et interpelle la Lune et le pelle Dieu. »
Soleil.»

• Tablette sumérienne - Cycle


de l'Akitu La Bible de Jérusalem
(Mésopotamie)

AO 'J.02'J. : « Trois noms de femmes Évmgil~ d~ Mathi~. 2Z:.2.2-.26


sont indiqués auprès de Bêl-Mar «Trois femmes sont présentes au
ANNEXE 333

duk lors de sa Passion : Égime près de Jésus lors de sa Passion:


(IStar), Ga§an-Hursag et Ga§an- Marie-Madeleine, Marie (mère de
Mah. » Jacques et de Joseph) et la mère
des fils de Zébédée. »

AO 3023 : Égime (Istar) se la- Évangile de Jean. 20:11-2 : Marie-


mente sur l'état de Bêl-Marduk. Madeleine pleure en découvrant
Silah et Simlah, deux doubles la sépulture vide de Jésus. Elle
du mort sont placés autour de la découvre à la place où se trouvait
couche mortuaire, l'un à la tête, son corps, deux Anges, l'un à la
l'autre aux pieds. tête, l'autre aux pieds .

• Tablette sumérienne - Cycle


de l'Akitu La Bible de Jérusalem
(Mésopotamie)

Ta]2lett~TIM 2. ligne:z ::!2 à 49 Év@gil~ d~ Mari;;, 16:1-7 : « Ma-


«IStar (double de Nephil, Merl- rie-Madeleine (Marie de la Tour),
Miktal ~ QQ~ ~~ ôQ 7 'laBien- accompagnée de deux femmes
Aimée de la Tour') effectue des (Marie, mère de Jacques et Salo-
offrandes et des gestes rituels mé), achète des aromates pour
auprès du corps (de Dumuzi-Mar- embaumer Jésus. À leur arrivée
duk) pour faire venir un esprit, dans la grotte, elles découvrent
qu'elle nomme 'Messager de la un Ange ou Messager de Dieu
Montagne' afin que ce dernier qui leur annonce que le mort est
puisse libérer le 'mort' et lui re- ressuscité.»
donner la vie.»

• Tablette akkadienne - Cycle La Bible de Jérusalem +


de l'Akitu Évangile gnostique
(Mésopotamie) de Marie (Madeleine)

Trnditi1.:ml2 d.~ 1'Akitu + K 2962 : Évruigil~ d~ I~@. 20:1-2: «Marie-


«IStar (double de Ner hi l, Merl- Madeleine (Marie de la Tour)
Miktal ~QQ ~ ~~Ô 7 'laBien- découvre la résurrection de Jésus
Aimée de la Tour') ressuscite, li- trois jours après sa mort.»
bère et fait voir la Lumière à Mar- Évangile ge Mari~. wd.~x d~ ~~r-
duk le troisième jour après son lin (8502) : Jésus a «connu» Ma-
ensevelissement. Après cela, elle rie-Madeleine, plus que tous ses
s'accouple avec le roi pour faire disciples et il l'aimait plus que
ascensionner son âme et lui offrir toute autre femme. Marie-Made-
la royauté perdue.» leine et Jésus partagent une même
vision à propos de l'ascension de
l'âme.
BIBLIOGRAPHIE
Liste des ouvrages mentionnés et
(ou simplement) consultés par l'auteur

Antiquité, histoire biblique et Jérusalem


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Abréviations dans le livre :
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M.E.A.: Manuel d'épigraphie akkadienne de René et Florence Malbran-
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Composition et mise en page
réalisées par les ËNT I F-29590 Lopérec
septembre 2020
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Prix France (TTC): 25,00 €

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