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Hommes et Migrations

Marie-France Briselance, Massinissa le berbère


Mustapha Harzoune

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Harzoune Mustapha. Marie-France Briselance, Massinissa le berbère. In: Hommes et Migrations, n°1145, juillet 1991. Après la
Guerre du Golfe. Bilan et conséquences, en France et dans le monde. pp. 69-71;

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Livres

traduites en français, des récits de Or, nos propres statistiques nous pendancescolonisations
breuses en passant par—lesfonde
nom¬
vie et des essais, y compris histori¬ indiquent que, de 1945 à 1989, nous
ques, est le fruit d'une équipe de comptons déjà comme ouvrages de aujourd'hui les nations d'Afrique
sept femmes, plus trois autres colla¬ fiction (romans, recueils de nou¬ du Nord. Aussi, toute entreprise
boratrices ponctuelles. On annonce velles, de poèmes et pièces de thé⬠dont l'objet est de rétablir l'Histoire
qu'il va de 1834 à 1989. Les notices tre) 740 titres. Il faudrait y ajouter de ces pays dans cette diversité et
sont classées à partir du titre de dans le même temps plus de 80 récits complexité mérite d'être saluée.
l'œuvre. Ces notices sont en géné¬ de vie et œuvres de témoignages.
ral bien rédigées, en termes clairs Ainsi que, de 1880 à 1944, au moins Ainsi est-ce justement à Mas¬
(et non abscons comme aiment à en une quarantaine d'autres titres (fic¬ sinissa que Marie-France Brise-
manier les universitaires), suffisam¬ tion et essais). Plus de 850 notices lance consacre plus de trois cents
ment explicites et bien équilibrées auraient donc dû être rédigées. On apages.
été l'assistante
HistoriennededeMarc
l'art,Ferro
l'auteur

(sauf une consacrée à un ouvrage voit par là que
l'exhaustivité a étéla très
« tentation
faible... » de
de M. Lacheraf, trop longue en son père spirituel — de 1972 à 1974
l'occurrence). pour une série de films historiques.
Faut-il parler d'exclusion de Scénariste,
romans et elle
une ahistoire
aussi publié
de l'Afri¬
deux
Cependant ce dictionnaire ne tous les manquants ? A partir de
comporte aucune introduction quels critères? Aucune introduc¬ que1.
pour expliquer ce que les auteurs tion ne nous l'explique. Fâut-il par¬
entendent par « œuvres algériennes » ler d'oublis ? C'est aussi grave car il Massinissa le Berbère couvre
et par « essais ». Par ailleurs il devrait faut parler alors d'oubli collectif, les trente premières années de la
s'appeler dictionnaire sélectif. En dix personnes ayant effectué la vie du roi numide qui en comptera
effet, il faut tout de même être « recherche ». C'est bien dommage plus de quatre-vingt-dix... Né en
sérieux dans une pareille entre¬ versitaires.
pour un travail
La recherche
mené par nécessite
des uni¬ 238 avant Jésus-Christ, Massinissa,
prise. Une note indique dès le début troisième héritier du trône des
que «ce dictionnaire a tenté d'être une longue haleine, une grande exi¬ Massyltes détenu par son père
exhaustif jusqu'en décembre 1989». gence
en demeurant
et une modeste
grande probité,
car on n'est
tout Gaïa, est envoyé par ce dernier à
Disons-le tout de suite : les cher¬ Carthage — puissance maritime,
cheurs n'ont pas succombé à la ten¬ jamais satisfait des résultats. économique, militaire, mais aussi
tation, ou bien alors la tentation a important centre culturel — pour y
été très faible ! Des ouvrages publiés Paris, L'Harmattan, 1990, 384 p. parfaire son éducation. Pour Car¬
ces dernières années en Algérie thage,desil cavaliers
tien s'agit de s'assurer
numides dudanssou¬
la
même, y compris en 1989, ne sont J.D.
pas répertoriés ! Passons pour des guerre entreprise sur le continent
ouvrages édités à l'étranger mais, sin- européen. Afin de sceller l'entente,
place même, la recherche a été mal Asdrubal, suffète de Carthage, pro¬
faite. met Sophonisbe, sa fille, au jeune
prince berbère.
Il faut dire tout d'abord que HISTOIRE
l'essai de Hamdan Khodja en 1834 A Carthage, Massinissa devra
est vraiment un hapax. Il faut ensuite dépasser la fascination-répulsion
attendre, en effet, les années 1880 qu'exerce sur lui la grande ville. Il
pour voir apparaître de petites pla¬ devra y découvrir selon le vœu de
quettes signées par des Algériens, Marie-France BRISELANCE Gaïa comment permettre au temps
que les auteurs ont d'ailleurs gla¬ de reprendre sa marche dans le
nées dans mon Dictionnaire des Massinissa le berbère royaume massyle où, «à force d'éter¬
Auteurs maghrébins (1984), ainsi nité, le temps s'était immobilisé pour
que les dates de naissance ou de les Numides, et avec lui, la coutume
mort, sans d'ailleurs avoir fait l'ef¬ s'était figée, le pouvoir était tombé
fort de combler les vides ou d'indi¬ L'HISTOIRE
ne commence
de l'Afrique
pas au VIIe
du Nord
siè¬ aux mains des radoteurs, des vieil¬
quer la date des morts survenues lards séniles qui ne se montraient
depuis 1984. capables que de rabâcher les mêmes
religieuse
cle passé
arabes.
un
la diversité
avecElle
beaucoup
—l'invasion
plonge
deethnique,
Massinissa
ses
plusdes
racines
culturelle,
lointain
aux
armées
indé¬
danset interdits, fermant la bouche à tous
Le nombre de notices est de 585, ceux qui sentaient bouillir en eux la
donc de 1834 (disons 1880) à 1989. vigueur et la jeunesse ».

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N° 1145 - JUILLET 1991
Livres

Alors qu'il combat aux que. Syphax, émouvant,


périra peu de temps après
contre
côtés lesdes
Romains
Carthaginois
en Ibé- dans une geôle romaine.
rie, la mort de Gaïa en 206 Sophonisbe, la troublante
av. J.-C. et la trahison de
et mystérieuse
héroïne du devoir
Sophonisbe,
et sans
Carthage vont entraîner sa
chute. Gaïa mort, le pou¬ doute aussi sincèrement
voir échoit,
tème héréditaire
selontradition¬
le sys¬ éprise de Massinissa — qui
l'épouse après la victoire —
nel, au plus âgé des s'empoisonne pour échap¬
hommes de la famille. Isal- per aux Romains.
cas, le frère du défunt, ne
conservera le trône que Pour rédiger ce livre
quelques
de nommer jours
Mazetul
: le temps
Chef Fauteur s'est inspiré de diverses
sources tout en privilégiant
des cavaliers, titre qui les données grecques
devait revenir à Massinissa, (Alexandrien Appien) —
son oncle. Capussa, le fils plusà favorables
et Massinissa auxmais
Numides
non
d'Isalcas, né quelques heures
seulement avant Massinissa, dénuées pour autant de
accède à son tour au trône «■si fondements historiques —
du royaume massyle. Pour par rapport à la version
s'en emparer, Mazetul pro-romaine de Tite-Live.
n'hésite pas à le tuer.
D'entrée, M.-F. Brise-
Au même moment, en lance affirme sa volonté
Espagne, Scipion défait les de rétablir la mémoire de
forces berbéro-carthagi- K O N fr' E Massinissa. Prêtant sa
noises. Carthage redoute plume à Juba II — sixième
alors une alliance entre descendant de Massinissa,
Rome et l'autre puissant royaume campagne. Les épreuves auront été savant et écrivain, il épousa Cléo-
berbère masaesyle du vieux Syphax. bénéfiques. Au terme de ce voyage pâtre Séléné, la fille de Cléopâtre
Pour y parer, Carthage passe alliance initiatique, sonne l'heure de l'in¬ et de Marc-Antoine —, elle dénonce
avec Syphax qui, pour la belle trospection et du choix décisif : « la version des vainqueurs, l'histoire
Sophonisbe, sort de sa neutralité et «Humilier, vaincre Carthage. La falsifiée par les thuriféraires latins ».
devient l'allié de la cité punique. détruire s'il le fallait». Reconsti¬ Bien d'autres versions falsifiées de
L'histoire est connue2, Sophonisbe tuant une armée, le roi déchu s'allie l'histoire nord-africaine rédigées
à Scipion qui, fort de ses victoires par d'autres thuriféraires à la
d'abord
contrainte
les intérêts
promise
de
d'épouser
Carthage.
à Massinissa
Syphax pour
est en Ibérie, a obtenu du sénat romain solde d'idéologies politiques ou
d'aller combattre la cité punique
sur les terres africaines, escomptant religieuses
Elles tendentpullulent
à déformer aujourd'hui.
cette his¬
Rentré clandestinement d'Es¬ ainsi forcer Hannibal à abandonner toire quand ce n'est pas à la nier
pagne, Massinissa rétablit l'ordre ses positions inexpugnables dans le tout simplement. Ce n'est pas le
au sein du royaume massyle. Sou¬ sud de l'Italie pour voler au secours moindre des mérites de ce livre que
cieux de préserver l'unité de son de Carthage. de rétablir quelques vérités. D'au¬
peuple, il pardonne à Mazetul.
C'est le moment choisi par Syphax, Victorieuse, l'alliance Massi- fait
tant avec
plustalent
que etM.-F.
chaleur.
Briselance le
poussé par Carthage, Asdrubal son nissa-Scipion permet au premier de
beau-père mais aussi Sophonisbe, recouvrer son royaume auquel est Mustapha Harzoune
pour attaquer Massinissa et le lais¬ adjoint celui des Masaesyles. Mas¬
ser pour mort sur le champ de
bataille. sinissa crée ainsi le premier Etat
berbère unifié d'Afrique du Nord.
Quant à Scipion, qui n'est pas (1) Buchet
Dame sans
Chastel
rois en
cl La
1984Bougeotte
et 1987, His¬
chez
Massinissa, vivant mais blessé, encore l'Africain, il jette les bases toire de l'Afrique (deux tomes), Jeune-
de la colonisation romaine en Afri¬ Afrique Livres, 1988.
seul, sans royaume, se terre dans la

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(2) Le personnage de Sophonisbe — « la tion miraculeuse de l'oasis, la palpi¬ connut la gloire mais fut accusé de
mère de toutes les tragédies françaises » tation inespérée du vert et de l'eau. vouloir renverser la dynastie gahwa-
selon Voltaire —, inspira ce que l'on
considère comme la première véritable rite et etdutvizir
Poète croupir
il le fut
dans
et son
un cachot.
amour
tragédie composée dans l'Europe moderne Le poème le plus ambitieux de
en 1514-1515
D'autres Sophonisbe
par Gian suivirent
Giorgio Trissino.
avec : en Sepehri
l'eau a»1. se
Il nous
nomme
dit «Les
l'enfance
pas au
de pour Wallada, fille du dernier calife
1594, Antoine de Montehrétien ; en 1634, omeyade, s'il est malheureux (pres¬
Jean de Mairet qui fait de Sophonisbe désert de Kashan : «Notre jardin que nécessairement
enflamme-t-il du moins sonen chant.
somme),
non seulement une héroïne du devoir, était peut-être l'arc que décrivait le
conformément à la tradition romaine cercle vers le bonheur ». Et puis l'en¬
mais aussi une véritable amoureuse : en
1663, Pierre Corneille ; en 1770, Voltaire ; fant s'éloigne : «Je m'en fiis vers le Cette poésie bien défendue
et en 1789, la vision originale de Vitto- banquet du monde. Je m'en fus vers par le traducteur O. Merzoug nous
rio Alfieri où Sophonisbe et Syphax, par la plaine de tristesse ». parle-t-elle toujours ? Merzoug cite
amour, décident de mourir ensemble. un historien éminent qui la trouve
Toute la poésie de Sepehri célè¬ (comme tout le lyrisme arabo-
bre une même quête, cette expé¬ andalou) d'un verbalisme déconcer¬
rience: première devenant univer¬
selle tant. Tel n'est pas le cas. La fusion
la plus intimeentière
communauté se veut: lyrisme de la
« Etpeut-être devons-nous poursuivre
L'appel de la Vérité « Que le salut de Dieu soit sur toi
Entre l'immémoriale vision du lotus Tant que durera cet amour
Et l'actualité de notre siècle » Que nous voilons mais qui nous
dévoile »
Sohrab SEPEHRI
Sepehri rejoint ainsi le lyrisme
de Hafez : «Où est la demeure de Un lyrisme qui, comme chez
Les pas de l'eau l'Ami ? ». Au fin fond de la nuit les troubadours, n'évite pas les arché¬
nous éclaire à jamais la parole qui types obligés : « Sa beauté est exem¬
dit : plaire et passe tout éloge». Mais
«A l'intérieur du mot "aube" nous ne trouvons jamais chez Ibn
SOHRAB
prématurément
SEPEHRI
en 1980
est mort
des L'aube se lèvera » Zaydun cette poésie de cour, guin¬
dée de servilité, d'un Malherbe. Ou
Ed. de La Différence, Coll. Orphée, alors il s'agit de la soumission de
janvier 1991. l'amant : « Sois hautaine, je le souf¬
frirai ».
Gérard da Silva
Dès lors que l'on perçoit
(1) Le film si émouvant de S. Ebrahimifar, combien l'engagement du poète est
Nar-O-Nay. réalisé en 1989, a précisé¬ moral et sentimental à la fois c'est
raude.
mer
l'eau.
moins,
suites
et
dans
plus
iranienne
devait
en
fut
aujourd'hui
traduction
même
Oswald,
Orphée
tout
français
rapidement
en
purement
lad'une
S'il
Ce
paraître
poète,
mer
cette
solitude
autant
a1972)
leyvolume
contemporaine.
,sous
mérite
de
leucémie.
dans
aédition
auteur
sous
poète.
mystique
quelques
épuisé.
rivage
extrême,
un
leD.vert
cette
titre
d'être
choix
leShayegan
de
du
titre
Ilen
QDàOasis
représentait,
la
était
tirage
nous
même
lebilingue.
de
recueil
rivage
poèmes
de
Ies
collection
lyrisme
En
lapoèmes
d'Eme-
peintre
revient
pas
poésie
,limité
belle
1982
P.-J.
:(lui-
De
dele
en ment pour source d'inspiration ce poème. vers la sérénité de l'âme, qu'en
effet, il nous mène :
«Paradis d'ici-bas, s'il ne demeure,
Ibn ZAYDUN Qu'au moins il t'apporte la jouis¬
sance éternelle
Une sérénité désenchantée Dans les jardins et les fleuves
célestes »
Traduction (de l'arabe) d'Omar
Merzoug. Ed. de La Différence, Coll. Orphée,
janvier 1991.
La poésie de Sepehri naît d'une
effusion mystique avec la nature. POUR
français
la première
peut lire, fois
en une
le lecteur
antho¬ G. da S.
Une expérience première — une
dynamique — la fait surgir et s'épa¬
nouir : celle de la solitude du désert, logie
fleuron
aarabo-andalouse1.
aussi
d'Ibn
presque
un
àZaydun.
luihomme
poétique
seul
milleréservé,
Ilpolitique
ans
de
reste
Ce (en
lapoète,
les
civilisation
comme
1003),
illustre.
poèmes
né ilfut
le
Ily (1) On peut lire de surcroft l'ouvrage classi¬
du monde comme désert, du désert que : La poésie andalouse en arabe clas¬
comme frange révélatrice du monde sique au Xe siècle de H. Pérès, Maison-
et, au cœur du désert, cette révéla- neuve, 1953.

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