Académique Documents
Professionnel Documents
Culture Documents
Seyuou Christiane. L'œuvre littéraire de Amadou Hampâté Bâ. In: Journal des africanistes, 1993, tome 63, fascicule 2. pp. 57-
60;
doi : https://doi.org/10.3406/jafr.1993.2386
https://www.persee.fr/doc/jafr_0399-0346_1993_num_63_2_2386
naient une lucidité et une distance qui l'amenaient à faire toujours la part de
l'essentiel et du relatif et qui se traduisaient, dans ses écrits comme dans ses propos ou
ses attitudes, par un humour tendre et complice, rarement acide, et une
compréhension de la nature humaine plus indulgente qu'amère.
C'est encore la bivalence de ce regard et cette double approche des choses qui,
je crois, l'ont conduit à ce mariage heureux d'une pensée et d'un savoir puisés au
cœur même de la tradition orale avec une expression poétique marquée par les
caractéristiques de la création littéraire écrite, tel qu'en témoignent deux textes
magistraux, parus en édition bilingue : Kaïdara (déjà traduit, en outre, en anglais et en
italien) et l 'Éclat de la Grande Étoile, textes qui. s' inscrivent dans un quatrième
volet de l'œuvre de A. Hampâté Bâ et non des moindres.
En effet, entre 1961 et 1985, Amadou Hampâté Bâ a publié quatre ouvrages
qu'il qualifiait de « contes » ou « récits initiatiques » : le premier, écrit en
collaboration avec Germaine Dieterlen, Koumen, présentait un texte ésotérique,
uniquement en français ; les deux suivants, évoqués ci-dessus,. nous offrent un texte
en peul et sa traduction en français ; quant au dernier paru, Njeddo dewal, mère
de la calamité, s'il n'a été publié qu'en français, je sais qu'il en existe une version
peule inédite.
Il convient, tout d'abord, de dissiper un malentendu à propos du qualificatif
d'initiatique donné par l'auteur à ces textes. En effet, il ne s'agit nullement de la
transcription telle quelle ou de la traduction de textes « sacrés » qui seraient
récités ou enseignés sous cette forme, au cours de cérémonies d'initiation telles que
les connaissent les ethnologues : ce ne sont donc pas des « documents
ethnographiques », à proprement parler. Le terme d'« initiatique » doit être pris au sens
large, comme faisant référence à un processus d'acquisition du savoir, comprenant
un parcours jalonné d'épreuves destinées à sélectionner les postulants méritants et
à éliminer les autres, puis une mutation de la personne qui doit « abandonner le
vieil homme » pour renaître à son nouveau statut d'initié. C'est ainsi que Kaïdara
traite de la quête de la connaissance, par opposition à celle de la richesse et du
pouvoir, objectifs choisis par les candidats inaptes à l'initiation qui, non seulement
n'auront pas la révélation du sens des mystères rencontrés sur leur route, mais,
bien pis, en perdront la vie. Dans l'Éclat de la Grande Étoile, c'est de l'initiation
au pouvoir qu'il s'agit, le commandement ne pouvant être confié, pour être juste
et bénéfique, qu'à l'initié qui a fait la preuve de ses vertus et a acquis la
connaissance. Quant au dernier texte, nourri des contes les plus classiques et de la culture
syncrétiste de cette région où se côtoient Peuls, Bambara, Malinké..., il présente,
sur le mode du fantastique et du merveilleux, une vaste allégorie de la lutte du
Mal et du Bien.
Ces textes s'inscrivent bien dans la lignée des contes dits « initiatiques » les
plus traditionnels, qu'ils exhaussent au rang des contes philosophiques et
didactiques tels que les connaît et les pratique la littérature écrite. Et ils sont en cela
intéressants à plus d'un titre.
Par leur contenu, ils sont représentatifs de la culture classique de toute une
région de l'Afrique de l'Ouest, de sa pensée, de sa philosophie de la vie, de sa
vision du monde, de sa conception de 1 acquisition du savoir... et aussi du
nécessaire recours, pour en parler, au langage du symbole et de l'allégorie. On y trouve
une accumulation, un condensé d'éléments, de thèmes, de motifs, de formules etc.,
tous puisés de la tradition orale et que le lecteur à qui celle-ci est familière, repère
aisément tout au long du texte. Ainsi par exemple, le personnage de Kaïdara a son
correspondant dans celui de Kabakou qui apparaît dans certaines versions de
l'épopée de Soundiata où l'on voit les trois Simbon (maîtres chasseurs qui sont à l'ori-
NOTES ET DOCUMENTS 59
Christiane Seydou