COMPTES RENDUS
phique. La mémoire peinte, vers 1581, peut
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tout la manière dont elles donnent un sens à
au plus être séculaire, apportée par la conquête
aztèque. La mémoire orale s’est donc mainte-
nue, au milieu des accidents (invasions et
autres) et de la « marginalité », pendant trois à
quatre siècles au moins.
Cet ouvrage apporte enfin un éclairage
novateur sur le post-classique récent (les XIVe-
e
XV siècles) : l’arrivée des populations rési-
duelles après l’effondrement des grands
empires ; la brutalité de leurs interrelations,
dont la finalité est aussi politique : le sacrifice
de prisonniers par dizaines de milliers permet
d’énerver – au sens étymologique – des popu-
lations entières, tels les Huastèques, et d’ins-
taurer un climat de paix, même si c’est celle
des cimetières.
Fruit d’une vie entière dédiée à arpenter
une région et à opérer une lecture intelligente,
critique et exhaustive des sources, l’ouvrage
de G. Stresser-Péan, exemplaire, a vocation à
servir de modèle pour l’exploration d’autres
aires géographiques.
THOMAS CALVO
Teresa Gisbert
El Paraı́so de los Pajaros parlantes.
La imagen del otro en la cultura andina
La Paz, Plural, 1999, 316 p.
Après son livre pionnier 1 qui traitait de la façon
dont la mythologie des Indiens des Andes
s’était adaptée aux dévotions chrétiennes,
l’historienne bolivienne Teresa Gisbert, publie
un deuxième ouvrage, dans lequel elle reprend
quelques-uns des thèmes en germe dans sa
précédente recherche et en développe d’autres.
Il s’agit, en fait, d’une série de quatorze
articles, remarquablement illustrés, et réunis
sous quatre chapitres : les indigènes dans le
monde de la vice-royauté, l’humanisme et la
pensée médiévale, le baroque, la diversité
culturelle. Le sous-titre proposé à cet ensemble
bigarré, L’image de l’autre dans la culture andine,
ne parvient pas toutefois à exprimer le contenu
de ce livre et la difficulté émerge lorsque l’on
tente de cerner l’argument principal de l’ou-
vrage. Centré sur les images, il explore avant
quelques moments de l’histoire des Andes.
Images verbales, images oniriques, images
peintes ou jouées s’y croisent dans un mouve-
ment de condensations et de déplacements
continu. Mais la perspective choisie par l’au-
teur dans chaque chapitre évolue elle aussi.
Car, depuis les dessins tracés par les Aymaras
sur les tours funéraires de l’altiplano au cours
des XVe et XVIIe siècles, analysées au début du
livre, dont T. Gisbert souligne la parenté avec
ceux des tuniques précolombiennes, et les
décors des haciendas des moulins du Cusco
au XVIIIe siècle où symboles maçonniques et
allégories se combinent, dans lesquels le dernier
article nous projette, les images étudiées tout
au long de l’ouvrage n’ont, bien évidemment,
ni les mêmes fonctions ni les mêmes usages.
L’auteur n’élude pas le problème de la diver-
sité des supports matériels et de leur influence
sur le sens des représentations, elle définit les
contextes culturels et idéologiques de chacun
des chapitres successifs, mais le problème des
fonctions constamment renouvelées des repré-
sentations iconographiques demeure.
La richesse de l’ouvrage tient à la grande
érudition de l’auteur et à cette façon qu’elle a
de débusquer des logiques combinatoires.
Dans l’essai central du livre : « Le paradis des
oiseaux parleurs », en privilégiant les traces
repérables des traditions indigènes préhispa-
niques dans l’art religieux baroque, T. Gisbert
favorise le regard indigène au détriment du
regard espagnol. Les fleurs écloses, les gra-
cieux perroquets parleurs de l’église de Cura-
huara de Carangas évoqueraient, selon elle, un
paradis amazonien dont les oiseaux délivraient
comme jadis, aux Indiens, leurs messages. Un
décor ailé et fleuri peint dans une chapelle de
l’église jésuite d’Aréquipa, propose toutefois
une lecture différente et plus catholique. Dans
les entrelacs et rinceaux inspirés des minia-
tures persanes, sur fond mordoré, se détachent
des dizaines d’oiseaux amazoniens, surprenant
de réalisme et de fraîcheur. Sans conteste, il
s’agit de la plus belle chapelle baroque des
Andes. Là, se recueillaient les missionnaires
que le collège jésuite d’Aréquipa formait avant
de les envoyer dans la selva, au Paraguay ou
vers les Philippines. La beauté de l’endroit les
disposait sans doute à partir vers des terres 385
 COMPTES RENDUS
inconnues où beaucoup mourraient et où les
attendait la promesse d’un paradis à venir.
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Alors, il faut admettre la relativité des inter-
prétations que nous déployons à propos du
métissage, croiser sans cesse des regards, pen-
ser que les religieux furent eux aussi, comme
l’écrivait Solange Alberro dans cette même
revue, « les coauteurs et coacteurs du métis-
sage 2 ». Mais ce n’est sans doute pas tant l’ana-
lyse conjointe de ces multiples bricolages qui
rend l’étude du métissage si peu aisée que son
caractère transitoire et les effets de miroir et de
feedback continus qu’il opère entre les diverses
traditions dont il est issu.
THÉRÈSE BOUYSSE-CASSAGNE
1 - TERESA GISBERT (éd.), Iconografı́a y mitos
indı́genas en el arte, La Paz, chez l’auteur, 1980.
2 - « Les voies du métissage », Annales HSS,
57-1, 2002, pp. 147-157, ici p. 154.
Jacques Poloni-Simard
La mosaïque indienne. Mobilité, stratification
sociale et métissage dans le corregimiento
de Cuenca (Équateur) du XVI e au XVIII e siècle
Paris, Éditions de l’EHESS, 2000, 514 p.
Dès les premières pages de son livre, Jacques
Poloni-Simard situe sa recherche dans « la tra-
dition monographique de l’historiographie
française ». On peut effectivement considérer
celle-ci comme une monographie, si l’on
accepte de suivre l’auteur dans l’appréciation
qu’il fait de son œuvre. Mais on ne peut pas
non plus éviter de considérer que nous avons
affaire, avec La mosaïque indienne, à une enquête
qui, par son ampleur et sa profondeur, dépasse
largement ce que l’on entend généralement
par « monographie ». Car si le cadre géogra-
phique choisi, le corregimiento de Cuenca,
c’est-à-dire une province qui s’étend au sud
de l’audience de Quito, apparaît, malgré son
hétérogénéité, comme une entité adminis-
trative coloniale effectivement susceptible
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d’être étudiée dans une perspective monogra-
phique, les trois siècles sur lesquels porte
l’étude lui confèrent une dimension peu fré-
quente pour une simple « monographie ». Par
ailleurs, les phénomènes qui constituent préci-
386 sément les objets de l’étude : la « mobilité »,
la « stratification sociale » et le « métissage »,
impliquent, par la fluidité des réalités que ces
notions recouvrent, des analyses qui dépassent
de beaucoup le monde indien, même appré-
hendé comme mosaïque, pour embrasser en
fait l’ensemble de la société coloniale.
Car le monde indien, celui de l’audience de
Quito comme celui de la vice-royauté du
Pérou ou de Nouvelle-Espagne, ne souffrit
d’évolution pendant les siècles considérés ici
– mobilité, modifications de la stratification
sociale et plus encore, métissage – que pris
dans la dynamique de la société coloniale,
c’est-à-dire à cause de ou grâce à – c’est selon –
les relations qu’il tissa et entretint avec les
Espagnols, les Africains, les métis. C’est dire
à quel point l’étude de J. Poloni-Simard
dépasse la monographie à laquelle il prétend
pourtant la réduire.
Ceci étant, rarement un titre n’a reflété
aussi fidèlement le contenu d’un ouvrage,
même de caractère historique. En effet, le
terme « mosaïque » qui, au premier abord,
peut sembler avoir été dicté par un souci
essentiellement littéraire, prend du sens au
cours de la lecture pour ne l’acquérir dans sa
totalité qu’à son terme. On réalise alors, avec
surprise mais jubilation, qu’effectivement,
comme dans les mosaïques et les kaléidos-
copes, les diverses figures, personnages et
scènes sont constitués à partir d’une multitude
de fragments, souvent les mêmes d’ailleurs,
qui, agencés chaque fois différemment, finis-
sent par dessiner des tableaux nouveaux. Ces
fragments eux-mêmes sont animés d’un dyna-
misme propre, qui fait passer l’encomienda des
débuts à l’hacienda qui lui succéda, la mita à
la corvée, puis au concertaje annonciateur du ser-
vage du XIXe siècle, la parcialidad à la reducción,
puis au village. Des éléments nouveaux vien-
nent aussi s’introduire dans les configurations
et les modifient quand elles ne les boulever-
sent pas : ainsi la fondation et le développement
ultérieur de la ville de Cuenca qui génère et
structure l’ensemble de la région ; l’imposition
de la mita, qui provoque l’abandon de villages
et hameaux entiers, accélère la désintégration
familiale et communautaire et suscite l’appa-
rition d’Indiens à la fois déracinés, étrangers
– les forasteros – exemptés de la redoutable
mita.