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Dix-huitième Siècle

La «gaieté française» ou la question du caractère national dans


la définition du rire, de L'Esprit des lois à De la littérature
Jocelyn Huchette

Abstract
"French gaiety" or the question of national character in the definition of laughter, from L'esprit des lois to De la littérature.
The myth of 18th-century French gaiety or frivolity continues to inhabit the collective consciousness and feed literary
nostalgia. But one can ask what Voltaire's contemporaries thought and how French character was represented in that
period of the Europeanisation of culture. The question of "national character" (which obviously poses scientific problems)
became an important issue in reflection on laughter in the second half of the century. On the one hand, the question was
how to defend (ou condemn) national identity by means of a comic norm ; awareness of a type of specifically French (as
opposed to English, German, Italian or Spanish) laughter involves important political elements and allows us to mesure
resistance or openness to foreign identities. On the other hand, the Enlightenment obviously developed the study of
laughter by relating it more and more sytematically to a specific cultural environment.

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Huchette Jocelyn. La «gaieté française» ou la question du caractère national dans la définition du rire, de L'Esprit des
lois à De la littérature. In: Dix-huitième Siècle, n°32, 2000. Le rire. pp. 97-109;

doi : https://doi.org/10.3406/dhs.2000.2341

https://www.persee.fr/doc/dhs_0070-6760_2000_num_32_1_2341

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LA « GAIETÉ FRANÇAISE »

OU
DE LA
L'ESPRIT
DANS
QUESTION
DES
LA DÉFINITION
LOIS
DU CARACTÈRE
À DE LA
DULITTÉRATURE
RIRE,
NATIONAL

Mythe romantique, motif de tant de déplorations littéraires


depuis la fin de l'Ancien Régime jusqu'à nos jours, la gaieté
du 18e siècle français est inscrite dans la mémoire collective
comme une spécificité nationale à jamais perdue, emportée par
les aléas de l'histoire. Très tôt, en fait, l'image d'un siècle heureux
s'est imposée, en élisant ses figures emblématiques, de Marivaux
au prince de Ligne (dont Mme de Staël évoque rêveusement, en
ou
1809,
bienla évidemment
« gaieté chevaleresque
Voltaire. » '), en passant par Fontenelle

Ces belles images d'Epinal ont-elles quelque forme de rapport


avec le regard que les contemporains portaient sur eux-mêmes ?
Comment représente-t-on le caractère français, à partir de l'âge
critique des Lumières ? Le stéréotype de la « gaieté française »
n'est évidemment pas nouveau. Il participe d'une fixation
pérenne, dans la conscience collective, d'une « géographie des
humeurs » (M. Fumaroli) d'une caractérisation des peuples et des
nations, dont les lettres antiques, à propos des Germains (Tacite)
et des Gaulois (César), avaient déjà fourni un modèle. Les « car¬
tes » sont néanmoins assez largement redistribuées à partir des
années 1750. D'une part, L'Esprit des lois de Montesquieu offre
à la caractérologie des nations une solide caution scientifique à
laquelle se référeront, explicitement ou non, presque toutes les
théories ultérieures. D'autre part, la caractérisation de la nation
française subit le feu d'un grand nombre de débats dans lesquels
(c'est ce dont nous voudrions essayer de donner ici un aperçu),
la question du rire occupe le premier plan.
La notion de « caractère national » est évidemment en elle-
même une notion problématique. Elle n'inspirerait aujourd'hui

Mémoires,
1 Mraedelettres
Staël,et Préface
pensées aux
(Paris,
Lettres
F. Bourin,
et pensées
1989),dup. prince
472. de Ligne, dans

DIX-HUITIÈME SIÈCLE, n° 32 (2000)


98 JOCELYN HUCHETTE

guère davantage que des sourires sceptiques. Comment appliquer


à la collectivité un concept « fixiste et essentialiste » 2 ? « A l'âge

perçoit
classique,
perçue
de
(L. l'anthropologie
Van l'individu
d'une
Delft,
tout art.
façon
comme
cité,
(...).
occidentale
foncièrement
p.
dans
Le269-270).
caractère
l'Antiquité,
pendant
Construite
différente
estaubien
la
moins
collectivité
la
àdepartir
deux
pierre
cellemille
du
angulaire
n'est
dont
modèle
ans
pas
on
»

théophrastien du « caractère éthique » dont elle est une « applica¬


tion possible », la caractérologie des nations renvoie aussi bien
à l'apparence qu'à une « réalité intérieure » dont elle serait l'ex¬
pression. C'est en ce sens, finalement, qu'elle désigne peut-être
moins la « vitrine » d'une culture ou d'une civilisation que son
procès.
Bien qu'approfondie et problématisée, la notion reste au
18e siècle en partie tributaire des conceptions classiques. Dans
un certain nombre de textes de fiction, le portrait individuel
renvoie au tableau des mœurs nationales, morceaux de bravoure
rhétoriques qui font défiler le spleen de l'Anglais, la jalousie de
l'Espagnol, l'impétuosité de l'Italien... et la gaieté du Français.
Le roman de formation à géographie européenne, ainsi que l'ont
montré I. Herrero et L. Vasquez, aboutit toujours, finalement, à
la valorisation de la civilité française, de cette heureuse politesse
qui rend le Français capable de s'intégrer partout3.

ensemble
par
de L'article
visions
le chevalier
de
traditionnelles
CARACTÈRE
la de
vaste
Jaucourt)
entrée
DES
et duest
NATIONS
CARACTÈRE,
souci
de ce
d'un
point
de nouvel
Y Encyclopédie
entièrement
de vue
examen
à la rédigée
croisée
(sous-
philo¬

sophique. En empruntant à Y Esprit des lois le triple déterminisme


de l'histoire, de l'institution politique et du climat (l'influence
de ce dernier étant inversement proportionnelle à la pérennité
des institutions), Jaucourt ne retient, en fait d'exemples, que ceux
de la France et du despotisme (Athènes et les « Germains » de
Tacite ne sont que rapidement évoqués) : « le caractère des Fran¬
çais est la légèreté, la gaieté, la sociabilité, l'amour de leurs rois
et de la monarchie même [...]. Dans un état despotique [...], le
peuple doit devenir bientôt paresseux, vain, et amateur de la

caractère
Anthropos,
fiction
127.
3.
2. I.L.françaises
Herrero
Van
des
1997).
Delft,
nations.
et(1750-1789)
L.« Vasquez,
Politesse
Regards»,et
« Types
dans
caractère
croisés,
Dix-Huitième
nationaux
sous
», dans
la européens
L'Europe
dir.
Siècle,
d'A.n°dans
des
Montandon
25 politesses
(1993),
des œuvres
p.(Paris,
et
1 15-
de
le
LA GAIETÉ FRANÇAISE 99

frivolité ; le goût du vrai et du beau doivent s'y perdre ; on ne


doit ni faire ni penser de grandes choses ».
On voit ici comment s'opère, pour ce qui concerne la France,
un glissement notionnel, de la gaieté à l'amour du roi et de la
monarchie : dans la progression des termes, Jaucourt paraît suggé¬
rer qu'il existe une continuité naturelle du caractère de gaieté
au loyalisme politique. Caractère par excellence de la sociabilité,
la gaieté unit la nation, comme elle unit la monarchie à ses
sujets. A l'opposé de ce que dira Mercier à la fin du siècle, le
caractère national est encore, ici, identifié à la représentation de
l'unité politique. Vient enfin l'évocation du despotisme, spectre,
comme on le sait, de toutes les grandes pensées politiques du
1 8e siècle, et en particulier de celle de Montesquieu. La proximité
semble tout de même un peu inquiétante, de la légèreté française,
à la vaine frivolité associée à ce régime... Même si elles ne
sont pas confondues, celle-ci ressemble assez dangereusement à
l'ombre projetée de celle-là.
L'entrée suivante (« Caractère des sociétés ou corps particu¬
liers ») confirme l'orientation politique de l'article. Définis
comme « de petites nations entourées d'une plus grande », les
« corps particuliers » sont en fait très vite assimilés aux corps
religieux (citation du Siècle de Louis XIV à l'appui), soupçonnés
d'avoir parfois à « servir Rome contre leur patrie ». A contrario,
« pour le». salut des États, la Philosophie brise enfin les portes
fermées

les
le
principes
texte
de
paru
anonyme
quarante-huitième
nation
devenu
son
sophique
L'accusation
philosophe
l'avocat
querelles
fiction
années
organisation
tel
dans
des
decourant
que
4),
de
(Moreau
persifleurs
sauvages...
exotique,
1750.
le
Jacob-Nicolas
qui
vérité
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leMercure
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d'
Mémoire
pour
opposèrent
La
politique.
anti-patriotisme
l'homme
degré
lui-même)
révélée
question
le(E.
les
». de
désigner,
Mémoire
de
Enjoués,
Bourguinat
pour
Aléthophiles.
Moreau
France
qui
C'est
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latitude
qui
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sont
en
rit
rire
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ce
fait
les
mauvaise
d'octobre
(1757).
contre
septentrionale
la
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yàCacouacs
suite
montré
est
source
l'histoire
la
L'«Avis
enintrinsèquement
découverte,
la
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Parodie
à part,
leurs
nation,
et
1757,
que
un
très
parfaitement
l'inspiration
représentent
des
«ce
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le
utile»
souvent
Avis
réjouissante
Paris

terme
rire
Cacouacs,
contre
« l'auteur
sous
utile
philo¬
d'une
et
liée
dans
était
les
un
de
la
le
»:

4. Le Siècle du persiflage (Paris, P.U.F., 1998).


100 JOCELYN HUCHETTE

Mémoire sont très probablement une répartie polémique à la


dédicace de Y Encyclopédie, dans laquelle, dès 1751, Diderot et
d'Alembert déclaraient vouloir distinguer de « la nation éclairée
des gens de lettres », « la nation libre et désintéressée des philo¬
sophes ». Il faut aussi rappeler que Jacob-Nicolas Moreau occu¬
pera, quelques années plus tard, les fonctions de bibliothécaire
de la reine Marie-Antoinette, et d'historiographe de France. C'est
aussi sous son initiative que le financier Bertin établit un Cabinet
des Chartes, chargé de collecter les titres de l'histoire nationale.
Des enjeux politiques et idéologiques contextualisent donc de
façon manifeste ces querelles. Gaieté franche et honnête des
« amis de la vérité » contre raillerie des « méchants » (le suffixe
du mot « cacouac » évoque aussi, comme on l'a parfois remarqué,
la francisation en coacre du terme quaker) : deux traditions du
rire, dont on ne voit que trop bien comment elles contribuent à
définir un rapport spécifique, de fidélité et de trahison, à l'identité
nationale.

L'apogée des Lumières coïncide avec une crise des modes de


représentation de la nation. Le « caractère français » est au cœur
de nombreuses querelles à distance, motif de crispations polémi¬
ques et de susceptibilités agressives. L'article FRANÇAIS, que
Voltaire donne à Y Encyclopédie en 1756, est encore inspiré des
belles illusions du Mondain. Moins de huit ans plus tard, l'humeur
s'est assombrie : le Discours aux Welches (1764) dédouble l'iden¬
tité française et met en évidence la part obscure des compatriotes
futiles, narcissiques et aveugles. La réactivité voltairienne à
l'image mythique de la « gaieté française » s'exprime de façon
très nette dans les textes contemporains des combats philosophi¬
ques de l'affaire Calas et du chevalier de La Barre. Ainsi de la
Princesse de Babylone, dont la trame narrative, comme on le
sait, se tisse au fil de la découverte des caractères nationaux.
Consacré à la France, à la « capitale nouvelle des Gaules » (Rous¬
seau dénonçait cette assimilation du caractère parisien au carac¬
tère français dans La Nouvelle Héloïse ), le chapitre 10, par d'habi¬
les périphrases, fustige les cercles mondains et leur gaieté frivole :

très
àl'emblème
qu'elle
la
Lecour
noble
temps,
en; quoiqu'elle
et
dequi
fûttrès
ses
à change
six
habitants
agréable,
cents
netout,
fût
milles
[...].
l'autre
qu'à
en Ils
avait
au
quatre
un
nemoins.
peu
faitpetits
savaient
une
grossière
Lamilles
ville
rien
douceur
de
dont
etd'eux,
ce
ridicule
la
de
quimoitié
il
lasesemblait
: société,
passait
c'était
était

la gaieté, la frivolité, était leur importante et leur unique affaire [...].


Si on leur parlait des horreurs qui avaient, deux siècles auparavant,
désolé leur patrie, et des temps épouvantables où la moitié de la nation
LA GAIETÉ FRANÇAISE 101

n'était
avaitlivre
(Le massacré
pasde
bien,
poche,
l'autre
et puis
1994,
ils
poursep.mettaient
des
602).
sophismes,
à rire etilsà chanter
disaientdes
qu'en
vaudevilles
effet cela
»

Le tableau parisien introduit aussi le problème politique fonda¬


mental de l'unité de la nation : « le temps qui change tout » a
brisé l'unité louis-quatorzienne de la ville et de la cour. Le centre
de la vie aristocratique, tout affairée aux délices d'une mondanité
riante, s'est éloigné du pouvoir monarchique. La gaieté de la
ville, loin de renvoyer au caractère national qui unissait la nation
dans un modèle utopique de sociabilité dans l'article du chevalier
de Jaucourt,
ration de l'identité
accuse ici
nationale.
la rupture de l'unité politique et la dénatu-

Le rire français devient ainsi une menace politique. Rire déna¬


turé, se prenant pour sa propre fin, il est aussi, dans l'optique
voltairienne des années 1760, le rire « welche », image en négatif
de ce qu'avait pu être le « bon ton », et la tradition aimable d'un
rire honnête. On le sait, Rousseau était allé beaucoup plus loin
dans la critique. En opposant, dans la Lettre à D'Alembert (1758),
la patrie du spectacle et de la gaieté à la république protestante
genevoise, il répondait aussi à l'argument d'un rire qui pût être
l'arme de la vertu. La tradition française avait toujours pu se
réclamer de Molière. Argument spécieux : « l'effet général du
spectacle est de renforcer le caractère national, d'augmenter les
inclinations naturelles, et de donner une nouvelle énergie à toutes
les passions » ( Œuvres complètes, Pléiade, t. 5, p. 19). En préten¬
dant corriger les mœurs, Molière a travaillé à les raffiner, à les
purger, non des vices, mais des ridicules.
Le spectacle français ne convient pas à Genève : « un peuple
badin [la France] veut de la plaisanterie et du ridicule » (ibid. ,
p. 17). Le caractère national détermine la nature des spectacles
et des fêtes. Mais précisément, la gaieté genevoise se passera
de spectacle : d'essence politique, elle ne saurait se traduire sur
scène. La société de Clarens, dans la Nouvelle Héloïse, offrait déjà
un contre-modèle de la sociabilité parisienne. La IXe Promenade
définit, contre la gaieté des Français, les principes de la « fête
républicaine ». La fête populaire française, dit Rousseau, n'est
pas gaie ; « mais à Genève et en Suisse où le rire ne s'évapore
pas sans cesse en folles malignités, tout respire le contentement
et la gaieté dans les fêtes » : les conditions se mélangent (sous
l'œil d'un magistrat dont la présence est bienveillante et discrète),
les cœurs s'épanouissent « dans les transports d'une innocente
joie» (ibid., 1. 1, p. 1093).
102 JOCELYN HUCHETTE

Le rire genevois ne « s'évapore pas » : l'énergie du rire est


immédiatement
méandres sournois
politisée.
de la mondanité.
En France, Le
cette
rire
énergie
est libido
se perd
dominandi,
dans les
source de déséquilibres politiques. C'est ce que constatera Mer¬
cier, quelques années plus tard, dans le Tableau de Paris : les
rapports de pouvoir entre la ville et la cour se sont inversés, au
profit de la première, où se sont développés l'esprit de tact et
la politesse (chap. 347, « De la Cour »).
Comment, donc, définir un rire qui ne soit pas destructeur,
une gaieté sociable ? Comment, en d'autres termes, concevoir
une gaieté qui soit l'expression d'une identité nationale, et qui
entre dans un projet d'unité politique ? La Lettre à D'Alembert
a mis en évidence certaines apories liées au modèle du rire
français, au rôle que la comédie lui assignait dans le domaine
politique et moral.
Dans les Éléments de littérature (publiés en 1787, mais dont

l'essentiel
définit
àaction
Marmontel,
près
lui-même
die,
nations
premiers
d'hui,
des
vers
que
«
deMais
saisir
conformer
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gouvernements
comme
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(article
«».comédie
âges,
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ridicule
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de
L'art
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« «l'Anglais
sentiments
corriger
les
comique,
Comédie
particularismes,
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».
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que
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plus
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et
société
polie,
«l'Italien
autres
l'imitation
ses
la
les
La
mimétique
le
qu'on
des
comédie
idées
bizarreries
génie
du
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au
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vices
eu
années
diamant
est-il
chacun
y
de
caractère
aux
pour
des
observe
des
n'être
de
aque
naturellement
mœurs
est
éprouvées
peuples
personnelles
1760),
fonction,
l'humanité,
àse
mœurs,
l'art
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«pas
spécifique
encore
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lade
de
sociable
Marmontel
et
disposition
le
un
la
mise
la
poursuit
dans
diamant
aujour¬
société
devoir
forme
tragé¬
(puis¬
àporté
peu
des
les
»).
en

[...], cette nation ne doit présenter que des caractères adoucis


par les égards, et que des vices palliés par les bienséances. Tel
est le comique français ».
Il y a donc une difficulté théorique à concevoir un art comique
français,
tère national.
puisque
Comme
la gaieté
le ditettrès
la politesse
bien J. Goldzink,
sont déjà «dans
la sociabilité
le carac¬
française [...] en polissant vices et travers, adoucit et exténue le
ridicule » 5. C'est à peu de choses près ce qui se passe dans le

des5. Cahiers
J. Goldzink,
de Fontenay,
Les Lumières
ENS etFontenay/St-Cloud,
l'Idée du comique (Ouvrage
déc. 1992,« Hors
p. 23).
collection »
LA GAIETÉ FRANÇAISE 103

cas du « comique noble » (article « Comique ») : « la plupart des


ridicules des grands sont si bien composés, qu'ils sont à peine
visibles ». Le comique noble est chez Marmontel un critère du
comique (en particulier pour le comique bourgeois qui se définit
à partir de lui, en cherchant à l'imiter, comme dans Le Malade
imaginaire ou Le Bourgeois gentilhomme ), mais il se dérobe
toujours à la représentation mimétique, d'une part en raison de
son invisibilité, et de l'autre, parce qu'il n'exige, en se corrigeant
et en se régulant lui-même, aucune mise à distance. Le comique
français se voit ainsi également menacé dans sa justification
politique : comment pourrait-il prétendre corriger des mœurs qui
s'équilibrent d'elles-mêmes ?
Il est sans doute significatif, de ce point de vue, que l'un des
chapitres de L'Esprit des lois où s'exprime le plus explicitement
le conservatisme politique de Montesquieu soit celui où il est
question de la gaieté du caractère français : « S'il y avait dans
le monde une nation qui eût une humeur sociable, une ouverture
de cœur, une joie dans la vie [...] ; qui fût vive, agréable, enjouée
[...] ; il ne faudrait point chercher à gêner par des lois ses manières,
pour ne point gêner ses vertus. Si, en général, le caractère est
bon, qu'importe de quelques défauts qui s'y trouvent ? [...] Qu'on
donne un esprit de pédanterie à une nation naturellement gaie,
l'État n'y gagnera rien [...]. Laissez-lui faire les choses frivoles

chap.
général
chapitre
nation
une
capable
égards
nous
sérieusement,
idée.
laisse
procure...
5qui
; : d'une
cette
d'offenser,
suivant
«La
ressemble
Combien
comme
nature
même
nation
et
».(«gaiement
Qu'il
nous
ilet
beaucoup
répare
vivacité
faut
»).
propre
Et
ne
sommes,
être
tout.
Montesquieu
faut
est
les
ààattentif
celle
corrigée
Elle
nous
pas
choses
disait
dont
nous
àfaire
tout
nepar
un
de
nous
sérieuses
point
corriger
a manquer
gentilhomme
poursuivre,
donné
la venons
politesse
changer
»)
une
» àde
: (livre
«vivacité
tous
dans
l'esprit
qu'elle
donner
Qu'on
d'une
19,
les
le

« La nature répare tout » : la vivacité dans la raillerie, en


pointant les ridicules, tend à s'édulcorer d'elle-même. Il y a pour
Montesquieu, dans la gaieté du Français, une vertu intrinsèque¬
ment correctrice, qui travaille au polissage des mœurs et en fait
paradoxalement un élément de stabilité politique. Il faut mettre
en rapport cette représentation du caractère national, à l'aube
des Lumières, avec les difficultés théoriques d'une réforme de
la comédie. Celle-ci peut-elle viser autre chose que la tradition
de ce que l'on perçoit de plus en plus comme étant l'essence
104 JOCELYN HUCHETTE

aristocratique du rire français (la correction et la régulation des


ridicules, école de politesse et œuvre de civilisation pour les uns,
raffinement insidieux du vice pour les autres) ?
C'est probablement ce que tenta Diderot, qui dans le discours
De la poésie dramatique, analysait le lien profond unissant le
genre des comédies avec le caractère national et la nature des
institutions (tragédie pour les républiques ; comédie, « gaie sur¬
tout », pour les monarchies ; voir Œuvres, coll. « Bouquins »,
t. 4, p. 1330). En modélisant la comédie d'après les seuls critères
de l'éthique mondaine, la scène française encourt un double
risque : la diffusion des « travers des grands » à la nation tout
entière 6 (le spectacle mondain risquerait de déterminer, et de

dénaturer,
de
çais
pleines
Italiens
peuple
s'affaiblit
les
mœurs
la
burlesque
qui
tragique,
des conception
sa
cheveux
unisse
modèles
ridicules.
comédies.
ettexture
»,
est
de
la
enet
ibid.).
italien,
les
en
vigueur
les
force
sont
civilisé,
la
autour
poétique.
às'
mœurs
exigences
d'un
nécessité
l'art
Les
adoucissant.
réduits
Tout
etnidu
de
des
poli,
genre
la
?Anglais
des
l'effort
C'est
lit
gaieté,
comédie
Comment
passions
au
d'un
poétiques
d'un
couches
moins
qui
drame
au
Quand
n'ont
comique
théorique
mais
père
ne
traditionnelle
temps
ses
plus
concilier
les
burlesque.
soit
moribond...
d'une
sans
que
est-ce
mœurs
plus
naturelles
ni

épuré
de
mœurs
des
peinture
la
basses),
les
Diderot
que
lesatire
sont
En
de
française
satires,
goût
enfants
»la
et
la
général,
?poétiques
(chap.
forte,
et
sans
nature
anglaise,
comique
«est
seule
Nous
l'étiolement
às'arrachent
porté
: goût.
18,
la
sans
un
peinture
plus
prépare
avons
vérité
«
; fran¬
genre
ni
vers
tout
Des
être
Les
un
le

Diderot avait très bien anticipé les réticences que ce genre


nouveau ne manquerait pas de susciter (« Si un peuple n'avait
jamais eu qu'un genre de spectacle, plaisant et gai, et qu'on lui
en proposât un autre, sérieux et touchant, sauriez-vous, mon ami,
ce qu'il en penserait ? » (Dédicace à Grimm, ibid., p. 1278). Il
en penserait, répondra Palissot, ce qu'en pense Marton, qui pour
justifier auprès de Damis un caprice qui a porté Cydalise à rompre
l'hymen qu'elle lui avait accordé pour sa fille, en réfère au
nouvel esprit du temps : « Nous n'extravaguons plus qu'à force

certaines
l'utilité
par
p. 6.1330).
lequel
« Un
des
conditions,
inconvénient
les
spectacles
traversbientôt
sedes
trop
restreint,
grands
commun,
ce sontetseque
les
c'est
répandent
seules
peut-être
que, dont
par
etmême
une
passent
on peigne
vénération
ils deviennent
auxlespetits
ridicule
mœursun
» (ibid.,
; pour
canal
que
LA GAIETÉ FRANÇAISE 105

de raison./ D'abord on a banni cette gaieté grossière,/ Délice des


traitants, aliment du vulgaire ;/ A nos soupers décents tout au
plus on sourit./ Si l'on s'ennuie, au moins c'est avec de l'esprit »
{Les Philosophes, 1,1).
L'entrée en scène de la « comédie sérieuse » peut-elle être
regardée comme un symptôme historique ? A partir des années
1760, les déplorations nostalgiques de la gaieté passée se multi¬
plient. Mémoires, correspondances (voir par exemple les lettres
de Mnle Du Deffand à Voltaire) en témoignent : la France ne rit
plus. Les coupables sont parfois vite désignés : les philosophes,
entichés de la philosophie anglaise (crime anti-patriotique dans
le contexte de la Guerre de Sept ans) et de son esprit de sérieux.
Partout les pédants donnent le ton, tandis que la France attend
son nouveau Molière. Chamfort le rappelle avec force, dans son
Éloge de Molière (1769) : éloge de salut public d'un auteur qui
avait su du
«traits peindre,
caractère
comme
de leur
tous nation»7.
les grands Il
auteurs
avait comiques,
su, en outre,
les
ramener à la raison (celle de la Cour) les faux airs et les préten¬
tions ridicules. En polissant les mœurs, il a donc contribué à
l'unité du royaume. La péroraison de Y Éloge en appelle à un

héritier
Le
paraisse,
rons
un
la révolution
jour
terme
mieux
digne
à le
est
nos
de
trône
d'un
expiré,
dépens
du
nosmaître
siècle
est
travers,
la[...].
vacant
nation
pour
: «De
et
Rendons-nous
»renouveler
ne
bons
demande
(p.désespérons
35).
esprits
un
le plus
ont
champ
poète
pas
pensé
decomique
de
de
justice,
pouvoir
la
qu'il
comédie.
;fallait
augu¬
qu'il
rire

Deux ans plus tôt, Y Essai sur le genre dramatique sérieux de


Beaumarchais laissait, il est vrai, présager pour la scène des
auspices plus sombres, dans l'héritage de Diderot davantage que
de Molière. L'exemple du théâtre offre en fait un bon exemple
des changements de goût et des polarisations esthétiques, idéolo¬
giques, qui se définissent jusqu'à l'époque révolutionnaire. Le
baron de Besenval, pressentant dans ses Mémoires la crise des
modèles socio-politiques traditionnels, se joint au chœur des pleu¬
reurs : « Sous la Régence et sous une partie du règne de Louis XV,
les Français ne songeant qu'au plaisir, n'existaient que pour la
gaieté. Cette façon d'être produisait sans cesse des aventures
plaisantes [...], ce qui remplissait la société [...] de galanteries

(Paris,
7. Éloge
chez de
la Molière.
veuve Regnard,
Discours1769),
qui a p.
remporté
5. le prix de l'Académie française
106 JOCELYN HUCHETTE

gaies, d'aventures ridicules dans tous les genres » 8. La même

française
rêvent
ris
année,
('sérieux,
Tableau
naissent
àMercier
leleurs
de
est
ton
deParis,
liée
la
caustique,
dettes,
suggère
modération
à tome
l'embourgeoisement
et que
sont
annoncent
1, chap.
la
des
toujours
disparition
désirs
18que
: «Gaieté»,
aux
: on
lade
de
plupart
expédients
nelala
lasociété
fameuse
connaît
1781).
des habitants
[...].
: plus
«gaieté
L'air
Les».

Comment, dans un tel contexte, situer l'œuvre de Louis-


Antoine Caraccioli ? Ancien oratorien, appliqué à définir les prin¬
cipes d'une mondanité souriante qui ne démentirait point les
devoirs chrétiens, il paraît ignorer les querelles du temps et le
pessimisme de certains de ses contemporains. Le traité De la
gaieté (1762) se réclame à la fois de la tradition jésuitique (en
particulier de l'Espagnol Sarasa, auteur, à la fin du 17e siècle,
d'un De arte semper gaudendï) et du modèle contemporain de la
sociabilité française. Heureux du présent, confiant dans l'avenir,
Caraccioli s'applique à tenir l'équilibre entre vie mondaine et
vie religieuse. Même s'il ne s'en réclame pas explicitement, il
est difficile de ne pas y voir un avatar de Y eutrapelia aristotéli¬
cienne et thomiste. Loin de contredire les exigences de la foi et
les leçons de l'Écriture, la gaieté « ranime l'esprit et le cœur »,

ouvre
bien
elle
fénelonienne
à l'amour
unit
entendue
l'imagination
également
du a (lorsqu'elle
Créateur.
fourni
lesaux
hommes,
le Principe
richesses
modèle
ne dégénère
dans
littéraire.
dedeun
modération
la
pas
âge
Création
en
d'or
« dont
bouffonnerie
lorsqu'elle
et la
prédispose
pastorale
est
»),

Le Voyage de la Raison en Europe (1772), ou plus encore


L'Europe française (1776) offrent d'étonnants exemples d'une
représentation euphorisée d'une civilisation parvenue à son point
de perfection, où la politesse du beau monde le dispute à la sagesse
chrétienne, l'esprit philosophique à l'intelligence politique, dans
le rayonnement du soleil français.
Ce processus d'acculturation européenne, sur le modèle fran¬
çais, fait du temps présent l'âge florissant des monarques éclairés
(Stanislas, Frédéric, Louis XV) et des peuples heureux : « il était
impossible que la gaieté française, toujours pétillante, toujours
variée, ne saisît insensiblement les étrangers » (L'Europe fran¬
çaise, 1776, chap. 30, « De la gaieté », p. 242). Caraccioli a pour¬
tant pris acte, mais d'une façon très édulcorée, de l'évolution

1987),
8. Besenval,
p. 77. Mémoires («
Aventure plaisante ») (Paris, Mercure de France,
LA GAIETÉ FRANÇAISE 107

des humeurs : la gaieté française, remarque-t-il, « a beaucoup


baissé, depuis que chacun veut être Philosophe, Politique, Agri¬
culteur ; mais comme dit une chanson, "ça ne dur'ra pas tou¬
jours " » (ibid., p. 245). Même type de réaction pour ce qui vise
la vogue de la comédie sérieuse :

pour
maintenant
qui
Jenele
nedurera
comique
prétends
pour
paslarmoyant.
Molière,
point
longtemps.
justifier
non
C'est
Ilsplus
ici
reviendront
un que
le
accès
pitoyable
l'enthousiasme
ded'eux-mêmes
fièvre
éloignement
chezque
les
auxFrançais,
l'on
qu'on
bonnes
senta

plaisanteries, qui, sans être farces, en ont presque le jeu, et qui, mises
sur scène, font également rire le bourgeois et le seigneur.
O mes amis ! ne perdons point cette précieuse gaieté qui caractérisa
toujours les Français, pensons que [...] c'est dénaturer la comédie, que
de la dépouiller de ce qu'elle a de plaisant (ibid., chap. 25, «Des
spectacles », p. 214).
Même si Caraccioli offre un exemple presque caricatural d'op¬
timisme historique et de vision euphorisée, il permet aussi de
mesurer la capacité d'intégration d'une culture qui se définit
encore assez majoritairement, sinon comme modèle, du moins
comme critère. C'est ce qui explique sans doute que la définition
d'un « rire français » jouisse à plus d'un titre, comme on l'a vu,
des faveurs des théoriciens. En prenant appui sur les thèses
freudiennes du Malaise dans la culture, D. Bertrand avait pu
conclure qu'au 17e siècle, l'identité du rire français se constituait
à partir du rejet agressif des modèles étrangers (en particulier de
la bouffonnerie italienne) : « encore incertaine et fragile, l' auto¬
représentation nationale implique une dynamique polémique » 9.

moitié
ques
exemple
peuple
ceux-ci
mer.
Sans étrangers
faire
du
voisin
à àl'aune
de généralisation
18e
tirersiècle
qui
(Chamfort,
des
d'une
fut
leçons
intègre
inconnu
tradition
nouvelles
dans
hâtive,
progressivement
àfrançaise
YMolière
Éloge
on
dupeut
« de
àcomique
»),défendre
dire
Molière,
les
mais
que
modèles
original
qu'elle
ou
la
invite
seconde
à réfor¬
comi¬
d'un
juge
par

L'époque révolutionnaire, bien sûr, radicalise les oppositions.


Les œuvres romanesques ou théâtrales de Nerciat, de Louvet ou
autres Beaumarchais portent la trace du grand bouleversement.
Il semble en tout cas que le « rire républicain » fut au centre de
polémiques ayant rapport à la tradition nationale (identifiée à la
tradition aristocratique) : « Grâces au ciel, la gaieté française a

1995),
9. Dire
chap.le 2,rire
p. 57.
à l'âge classique (Publications de l'Université de Provence,
108 JOCELYN HUCHETTE

disparu, et avec elle ont passé comme des songes, la légèreté


tant de fois reprochée à notre nation, l'élégance si chèrement
achetée de nos mœurs, et la clarté si ennuyeuse de notre langue.
Tant mieux, nous ne rirons plus ; nous allons devenir philosophes
[...]. De dire par combien de degrés il a fallu passer pour amener
la nation à cette sévérité d'humeur, qui constitue la véritable
dignité de l'homme, et nous paraît le signe le moins équivoque
de la félicité publique, est au-dessus de nos forces, et n'entre
point
inutile,dans
éditénos
« à vues
500 »lieues
(J. P.de
Gallais,
l'Assemblée
Extrait nationale
d'un dictionnaire
», 1790 ;
le passage cité est extrait de l'« Avant-propos excessivement
national », et, comme on le voit, profondément ironique, comme
l'ensemble de l'ouvrage).
Morale républicaine du sentiment contre tradition aristocratique
du rire : le divorce idéologico-politique paraît consommé. Moins
de dix ans après les sarcasmes de Gallais, et probablement d'une
bonne partie de l'aristocratie française exilée, Mme de Staël pourra
étudier la « gaieté française » avec un recul d'archéologue. De
la littérature (1800) propose de célèbres et profondes analyses
du caractère français (ou de ce qu'on avait l'habitude, précise
Mme de Staël, d'appeler ainsi), rapporté à un modèle institutionnel
(lre partie, chap. 18 : « Pourquoi la nation française était-elle la
nation d'Europe qui avait le plus de grâce, de goût et de
gaieté ? »).
Plutôt que d'une disposition « naturelle », ce que l'on a cou¬
tume d'appeler le « caractère national » résulte en fait plus direc¬
tement d'une culture politique spécifique. La gaieté des Français
est ainsi issue de l'institution monarchique, et de son principe
directeur : la « délicatesse du point d'honneur ». Délicat, le point
d'honneur l'est dans sa logique même, une logique virtuellement
contradictoire, entre le sens de l'honneur aristocratique et le
devoir d'obéissance à un souverain dont le pouvoir est « sans
bornes par le fait, et néanmoins incertain par le droit » (éd. G.-
F., 1992, p. 273).
Le régime politique français, fragilisé par l'équilibre difficile
des prérogatives aristocratiques et du pouvoir central, est un
« régime de la faveur » : régime qui impose le perfectionnement
des grâces, le « polissage » de la gaieté et la traque du ridicule.
C'est aussi, pour Mme de Staël, ce qui explique la supériorité du
comique français. V humour anglais ne s'associe pas à un procès
de civilisation. Il est un divertissement de peuple libre et affairé
(« les mœurs des Anglais s'opposent au vrai génie de la gaieté » ;
LA GAIETÉ FRANÇAISE 109

voir, dans la lre partie, le chapitre 14, « De la plaisanterie


anglaise »). En somme, l'Angleterre gagne en liberté politique
ce qu'elle perd en raffinement comique. De ce point de vue, la
comédie (le « génie de la gaieté »), qui s'occupe des mœurs
davantage que des individus isolés, est l'art qui suppose la plus
fine, la plus délicate analyse du cœur humain, mais aussi l'art
le plus dépendant de la société qu'il peint. La république, fondée
sur des valeurs morales qu'elle veut universelles, réclame le genre
sérieux 10 : « Quand le gouvernement est fondé sur la force, il

peut
mais
l'esprit
qui
excessivement
ouvr.
comme
de la
destruction
font
ne
lorsque
cité,
société
pas
public
l'avait
découvrir
p.craindre
234-235).
l'autorité
monarchique
dangereux
de
en la
déjà
est
ledit
lesociété
ridicule
le
penchant
La
dépend
Montesquieu,
principal
pour
fameuse
; elle
démocratique.
etla
dede
se
serait,
liberté
la
«ressort,
plaire
lagaieté
confiance
nation
une
en
politique
dans
force
française
république,
levers
talent
la
générale,
de
la
moquerie,
» (J.
plaisanterie
conservation
»etétait
Goldzink,
une
lalorsque
gaieté
donc,
force
sont:

Que retenir de ce bref parcours ? Les différents efforts théori¬


ques dont nous avons essayé de donner une idée restent marqués
par d'évidents clivages idéologiques, politiques, et même reli¬
gieux. Il reste que la question du rire est à notre sens un bon
moyen de mesurer les résistances et les ouvertures aux modèles
étrangers, à une époque d'européanisation des cultures. En appro¬
fondissant le rapport du rire aux différents environnements cultu¬
rels spécifiques, l'âge des Lumières, jusqu'au tournant révolution¬
naire, s'est donné les moyens d'approcher au plus près les
particularismes nationaux (le comique en étant l'expression la
plus mimétique, comme le remarquait Marmontel) ; mais il a
aussi mis en évidence l'idée fondamentale que le rire voyage
finalement assez mal : il suppose une connivence culturelle, un
corpus de valeurs implicites communes. Il est donc virtuellement
une force de résistance des traditions nationales, un enjeu politi¬
que avant d'être un enjeu « anthropologique ». C'est aussi la

raison
et
la seconde
de l'identité
pourmoitié
laquelle
nationale
du siècle,
il estH.encore,
au centre
chez
de la
de définition
nombreuxduauteurs
caractère
de

JOCELYN HUCHETTE
Université de Paris FV-Sorbonne

et 10.
sv. Voir sur ce point les pénétrantes analyses de J. Goldzink, ouvr. cité, p. 98
11. Le sujet abordé dans cet article fait actuellement l'objet d'une recherche
plus approfondie (thèse nouveau régime).

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