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Le Land-art. Une nature morte'/
Gaston Fernandez
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La Part de l'Œil, N°1 : Arts plastiques et psychana lyse. © La Part de l'Œil, 1985
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Oppenheim, qui me semble être celui qui est allé le plus loin dans
la réflexion sur ce point, est assez lucide face aux exigences d'un
tel effort pour saisir la moelle de l'expérience esthétique: « .•. une
suspension des sens... la suspension des liens avec la réalité
physique concrète, un état d'esprit qui soit « liquide » ••• ouvert
aux interférences... ». Sa pensée, en fait, est déjà apte à la
connaissance de l'expérience orientale. L'Occident, en tout cas,
ne peut être pour lui que la stagnation. Ou une régression (c'est
dans cette sphère qu'opère le Body-art, à l'instar des post-moder-
nismes).
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10. Jean Baudrillard, L'échange symbolique L'ingénuité d'Oppenheim, elle aussi, est à cet égard édifiante.
et la mort, Paris, Gallimard, 1976, p. 13 . Ayant préparé dans sa tête l'image de la terre (cartographie et
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tion d'un mille tracé Nord-Sud et d'un mille tracé Est-Ouest, est
une formule « sans fin » - tout comme Labyrinthe d'Herbe, de
Richard Fleishner, ne conduit nulle part, n'a pas d'objectif sym-
bolique. Et s'il a une quelconque intention esthétique, c'est celle
de nous mener justement à l'objectif symbolique que souhaiterait
la critique, et qui n'existe pas. (Tous les labyrinthes antiques
étaient des sentiers absolument fréquentables, et avaient une fin,
en plus de « termes» dans un contexte) - ou tout comme Locus
So/us, de Suzanne Harris, peut, lui, « être compris comme un
anti-observatoire. Situé à N ew York, il aurait pu offrir un point
de vue vers la ville; or il ne se dirige que vers lui-même, c'est-à-
dire vers un cube inscrit dans un cylindre »17.
Tertio, que, bien qu'il est vrai qu'il existe chez certains artistes
des enthousiasmes « primitifs », ces connotations « mythologi-
ques » et ces « signes» qui entourent les œuvres Land-art, toute
cette disponibilité envers les vieilles cultures ne sont pas « sans
limites », ainsi que l'affirme trop rapidement J .M. Poinsot. Il
n'est pas vrai non plus que « les traces de ces cultures appartien-
nent à notre actualité ». L'absence de rigueur de la critique
confond aisément le désir avec la réalité, celle d'un système qui
mutile l'Histoire depuis le Futurisme. Elle oublie aussi les
contradictions d'un artiste tel Smithson, qui savait très bien que
« personne n'agit aujourd'hui comme s'il y avait un quelconque
retour à la Nature ». Elle oublie aussi et surtout ce que pense
Oppenheim du contenu de son propre œuvre, qui le tourmente
assez : « dans le processus autour duquel mes œuvres s'« objec-
17. J.-M. Poinsot, Idem. L'imaginaire et la
tivent » et se créent (je donne) une attention Spéciale à l'irrup- spéculation, ici, contrairement à la différence
tion ... Aussi le contenu n'est-il pas ce qu'il y a de plus important, que le critique voudrait y trouver, se confon-
même s'il fait partie de la définition de l' œuvre. Le plus impor- dent. Car bien qu'il n'y a dans Locus So/us
aucun aspect sensoriel (voir Note 14, ibid.) il
tant, c'est réussir à « congeler» le travail à l'instant même de son n'y a pas non plus d'aspect sensible, celui-ci
apparition initiale ». Aucune trace laissée par les cultures an- ayant été tranformé en une simple exaltation
ciennes, existant dans nos paysages actuels, ne pourrait appartenir intellectuelle. Il y a, en revanche, beaucoup
de spéculation. Locus Sa/us est un autre
à un univers mental - technique - capable de pousser la parmi les multiples exemples de contradic-
rationalisation à un tel point de chirurgie, et, au fond, de tion que la critique spécialisée ne voit pas, ou
désintérêt pour la trace en question. Alors l'interrogation surgit: se refuse à élucider. Le sensible et l'imagi-
naire nouveaux, recherchés par le Land-art,
sous les apparences de l'enthousiasme primitif, et soutenu par une reviennent dans Locus Sa/us, c'est normal, à
critique complice, jusqu'à quel point le Land-art ne nous offre-t-il eux-mêmes, et avec plaisir. Un tel cercle
pas un rêve, semblable à celui vendu par les images des agences de vicieux, et un tel point final de la représenta-
tion du monde devaient fatalement être
tourisme? Il n'est pas dit que le voyageur du XX· siècle, déplacé et mieux médiatisés par le narcissisme et l'im-
déposé dans son rêve acheté, ait nécessairement accès à la réalité puissance de l'Art-vidéo.
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parois des temples ... La grande ingénuité des photographes est 20. Franco Vaccari, La Photographie et l'in-
conscient technologique, Paris, Créatis, Coll.
qu'ils insistent à vouloir donner une image du monde quand celui- L'encre et la lumière, 1981, p. 42. Le sou-
ci a désormais disparu ... »20 . ligné est de l'auteur. Smithson est plus
féroce, en parlant de la Cité du Futur, « faite
de structures et de surfaces nulles. « City »
Et c'est pour la même raison que l'éphémère, le détruit, qui ne produit aucune fonction naturelle, et
l'impermanent, ce qui n'a ni temps ni espace, soit la mort, la seule qui existe seulement, simplement, dans une
chose qui n'a pas de volonté propre, est plus que jamais aujour- zone indéfinie, vague, entre la pensée et la
matière, détachée des deux sans rien repré-
d'hui la prière majeure. Il y a quelque chose, dans le domaine des senter ... A ce niveau-là, c'est la léthargie qui
apparences, qui met l'homme hors de ses gonds : ce sont les se voit élevée au sommet de la grandeur ».
apparences elles-mêmes. Tout le réel doit en conséquence être Dans mon essai, inédit, intitulé La
Photographie Le Néant, je défends une hy-
dissimulé, la réalité spéculée, gommée, mise « à distance », loin de pothèse différente tendant à démontrer ceci:
nous, permanents que nous sommes, et qui en avons dès le début la réalité est invisible non seulement parce
assez de cette permanence. Au fond, la photographie, la cinéma- qu'elle n'est plus significative, mais surtout
parce que l'impossibilité, ontologique, de
tographie et toutes les images qui structurent déjà et pour le l'homme de s'accorder à la nature l'a
meilleur des mondes notre nouvelle perception du monde se- contraint à la détruire, à ses risques et périls.
raient, à bien y réfléchir, bénéfiques : le seul moyen pour cet Aussi bizarre que cela puisse paraître, on
photographie pour ne pas voir.
innommable couard et déséquilibré qu'est l'homme de supporter
tant bien que mal l'intolérable de sa condition.
Gaston Fernandez.
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