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Le pictodrame /
ou le verti-je sur toile
Pascal Vrebos
Si l'on connaît le psychodrame, cette mise de cette aventure et collective et intime ainsi
en scène (ou en obscenario), en rôles, en que pour apprivoiser la hantise de la « toile
corps, en espace, en mouvements et en mots blanche », les participants broient des
du désir plus ou moins déformé par les pigments avec le liant vinylique : l'eau
processus défensifs, le pictodrame serait cette donne corps à la couleur ... Ensuite chacun
rencontre avec l'Autre sur une scène sans choisit dans le groupe un modèle pour la
fond, à portée d'yeux, sur un autre corps é- première toile, deux, pour la deuxième et
toilé en-deça du mot ... Cette approche pic- trois, pour la dernière.
turale aux croisées de la psychanalyse, de Puis, il fait passer ses modèles derrière la
l'art-thérapie et de l'animation socio-cultu- toile, les met en scène (position, gestes ... ) et
relie a été mise au point par André Elbaz, les éclaire avec un projecteur. La toile s'illu-
artiste-peintre, professeur et cinéaste, mem- mine alors d'une ombre que le peignant
bre de la Société Internationale de la psycho- esquisse. Le passage par l'ombre annihile
pathologie de l'Expression. D'emblée, A. toute tentation d'iconicité : le réel, mis en
Elbaz annonce la couleur : « Je suis peintre, ombre, n'est déjà que représentation, que
je ne suis pas clinicien. Cette approche signes-cernes (<< cerne receptacle » dit Elbaz),
picturale est destinée à favoriser l'émergence que vide du corps de l'autre ... et ce vide
d'images chez des sujets qui n'avaient jamais dédoublé (disparition du modèle-référent
dessiné ou peint. » dans son ombre et disparition de l'ombre
elle-même après l'esquisse) suscite l'urgence
à signifier ce qui n'est plus et ce qui n'a
jamais réellement été, invite à combler ce
perdu, à faire signe pendant trois à cinq
heures ...
Entre chaque toile, on interprète en grou-
pe: parlerie, mise en sens où le temps
permet d'offrir au regard de l'autre les
images émergées. Cette parole sur la pictu-
Protocole du Pictodrame ration est perçue comme une métaphore
filée et effilochée du peignant, pas forcément
décodée. « La métaphore n'est pas à traduire
mais à renvoyer en écho, à relier à d'autres
Sur trois toiles de 2 m X 1 m 50, le pei- métaphores », précise A. Elbaz. Ce temps de
gnant fera surgir en quarante-huit heures parole crée une durée symbolique (entre le
des personnages « grandeur nature » avec passage de la première toile à la seconde et de
ses pots de peinture et ses couleurs à broyer; la seconde à la troisième) et ce discours
ici le peignant n'est pas penché sur une table (volontairement sans rigueur analytique)
ordinaire où il devrait maîtriser l'illusion permet de lire la toile finale et son processus
mais devant un lieu où un autre corps est à de production comme une « poétique qui
naître, où le geste va se faire ample, où de la prend forme consciente grâce à l'écho qu'elle
position accroupie ou recroquevillée, il va - suscite ». Sans cette parole, le peignant ne
progressivement - se déplier, croître, être pourrait au mieux - selon Elbaz - que
debout comme si son corps participait glo- pressentir les jeux et l'impact symboliques et
balement à ce qui va émerger sur sa toile. métaphoriques de ce qui se lie et se délie dans
Mais tout d'abord, ーッセイ@ tromper l'angoisse le signifiant.
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La Part de l'Œil, N°1 : Arts plastiques et psychana lyse. © La Part de l'Œil, 1985
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La Part de l'Œil, N°1 : Arts plastiques et psychana lyse. © La Part de l'Œil, 1985
et son sourire immense. Il ne manque que les son troisième personnage. Elle pose elle-
tibias entrecroisés. Ensuite le groupe perçoit même afin que Elbaz esquisse pour elle ce
- en bas au centre, coincé entre les corps troisième personnage. Puis, avant de pein-
des femmes - un corps « clandestin », violet dre, elle modifie encore l'orientation de cette
et bleu, foncé, entouré de cordons. Ce corps toile et la fixe horizontalement sur le mur.
peint à l'insu d'Emmanuelle semble lui aussi La figure centrale, la sienne, est couchée, le
scindé au niveau de la taille et du cou comme visage tourné vers le haut.
le « scaphandrier » du premier pictodrame. Elle cerne longuement de noir ses deux
Enfin, si l'on retourne la toile, fait remar- premiers personnages et dit à Elbaz : « Je les
quer le groupe, «on dirait la coupe anato- mets dans les sarcophages, ce sont des mo-
mique de l'utérus ». mies. » Puis avec du bleu pâle, de l'orange et
Drapeau, corsaire, pastel... « drap-peau », du rouge sanguin, elle peint sa jeune fille
« corps-serre », « passe-t-elle?» autant de centrale. Personnage aéré, composé comme
signifiants corrélatifs à l'écho homonymi- une mosaïque, tout vibrant de l'intérieur,
que qui laisse des empreintes de « quelque sorte de Belle au Bois Dormant prête à se
chose» qui tente de se frayer un passage. réveiller. Ce mouvement semble perceptible
Après la lecture, la toile offre à Emmanuelle dans la fluidité du jaune-orange qui « rem-
une autre métaphore d'elle-même: entre les plit » les narines de la jeune fille et l'envahit
os du bassin s'amorcerait comme la sortie du depuis l'assise. Cette atmosf.hère orangée
fœtus. Elle dira : « Je ne suis pas encore peut se percevoir comme 'antithèse des
née. » tuyaux orange (amputés du premier picto-
Pour sa troisième - et dernière - toile, drame), comme une « source d'oxygène»
Emmanuelle choisit deux modèles (cf. qui la nourrirait cette fois au lieu de l'étouf-
Em. 3). Elle les fait poser de profil, l'un face à fer.
l'autre, les bras le long du corps, assez Emmanuelle a reconnu d'emblée dans ses
distants l'un de l'autre pour laisser place à trois toiles le fil métaphorique de sa situa-
un personnage central. Elle place alors sa tion et de son vécu : étouffement dans un
toile tête-bêche de sorte que le couple scaphandrier marin dans la première toile;
esquissé se retrouve à l'envers par rapport à pour la seconde (où surgit à travers les deux
Emmanuelle 2.
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La Part de l'Œil, N°1 : Arts plastiques et psychana lyse. © La Part de l'Œil, 1985
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