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Dix-huitième Siècle

Jacques le fataliste et le renouveau du roman carnavalesque


Nicholas Cronk

Abstract
Jacques le fataliste and the renewal of the carnivalesque novel.
Bakhtin suggests that until the second half of the 17th Century, the carnivalesque in literature was a reflection of man's
direct experience of carnival ; therefore, as carnival itself waned, the literary carnivalesque became an increasingly literary
(intertextual) phenomenon. Thus Voltaire's Candide exemplifies certain thematic aspects of the carnivalesque, but stops
well short of linguistic subversion. Dulaurens's Le Compère Mathieu is, in contrast, a more fully carnivalesque text,
embodying the carnivalesque at the level of theme, of genre and of language. Diderot's Jacques le fataliste goes further
still, and may be said to represent a "renewal" of the carnivalesque novel. It derives its inspiration not only indirectly from
other carnivalesque literature, but also (and notwithstanding Bakhtin's view that 18th-century authors had lost immediate
contact with carnival) directly from Diderot's experience of popular culture.

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Cronk Nicholas. Jacques le fataliste et le renouveau du roman carnavalesque. In: Dix-huitième Siècle, n°32, 2000. Le
rire. pp. 33-49;

doi : https://doi.org/10.3406/dhs.2000.2336

https://www.persee.fr/doc/dhs_0070-6760_2000_num_32_1_2336

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JACQUES LE FATALISTE
ET LE RENOUVEAU
DU ROMAN CARNAVALESQUE

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trouve
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ne cul
ressemble
partout, en
et très
rienmal
à un
à propos
cul de:
sac ; un honnête homme aurait pu appeler ces sortes
de rues des impasses ; la populace les a nommées culs,
et les reines ont été obligées de les nommer ainsi.
(Voltaire) 1

Dans l'introduction à son édition magistrale de Jacques le


fataliste et son maître, Jacques Proust évoque le carnavalesque
comme « un aspect de l'œuvre que la tradition interprétative a
trop négligé » 2. Huguette Cohen, parlant de la tradition gauloise

Jacques
dans
la
proposons
que
quelle
spécifique
mot
19erichesse
siècle
représente
carnaval
lesmesure
romans
tout
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Diderot,
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carnavalesque
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carnavalesque
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pas
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et
siècle,
approfondir
littérature
plus
ilnous
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et
un
alarge
que
nous
dans
rire
le
4.:

édition.
(Paris,
1877-85),
2.1. Diderot,
Article
Hermann,
1. 19,LANGUES,
Jacques
p. 1981),
568. le fataliste,
Œuvres
p. 10. Toutes
complètes
éd. Jacques
les références
deProust,
Voltaire,
àŒuvres
ce texte
éd. complètes,
L.renvoient
Molandt. à(Paris,
XXIII
cette

3. Huguette Cohen, « La tradition gauloise et le carnavalesque dans Les Bijoux


indiscrets, Le Neveu de Rameau et Jacques le fataliste », Colloque International
Diderot, éd. Anne-Marie Chouillet (Paris, 1985), p. 229-37 (p. 235).
4. Par exemple : « Vous croirez que ma Muse usant du privilège du Carnaval
s'est mise en masque aujourd'hui » (Mlle L'Héritier ; cité dans le Dictionnaire

de le
{Jacques,

triomphe
Trévoux
rédacteur
du
p. 10)
(Paris,
vaudeville,
cite 1752),
parleunavec
passage
desànostalgie
chansons,
l'article
de la de
Correspondance
Carnaval,
del'époque
la féerie,deII,
deslalittéraire
p. contes
Régence
272). Jacques
et
(janvier
: des
« Ceromans.
Proust
1779),
fut le

DIX-HUITIÈME SIÈCLE, n° 32 (2000)


34 NICHOLAS CRONK

Certes, le carnaval, « invention autonome du Moyen Âge » 5,

existe
c'est
le
d'une
et
hiérarchiques,
Cette
mique
mais
fête
grossière
les
vin
qui,
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des
Dans
véritable
sophes,
aussi
seule
carnaval
Un
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plus
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nous
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de
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tel
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mais
les
la
pratique
est
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les
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de
phénomène
peuple
propreté
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opposition
est
canaille,
d'affranchissement
des
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paradoxalement
tous
plus
existant,
essentiellement
s'explique
une
pratique
privilèges,
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qui
s'appauvrit
des
culturelle
apparents,
ces
célébration
aussi
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fêtes
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infectent
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tambours,
de
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populaires
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plus
progrès
ou
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les
en
d'ordre
du
Y
bien
enfin
provisoire
en
Encyclopédie
de
les
passant
et
encyclopédistes
monde
provisoire
n'apprêtent
l'élite
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fait
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de
siècle
tradition,
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esthétique
heureux,
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dégoûtantes
l'allégresse
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d'une
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de
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l'envers,
raisons
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6.
des
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la
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hommes
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masses.
vérité
nous
tous
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Lumières,
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Pour
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objection
«qu'à
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déplaisantes
les
L'invention
voyons
ledominante
ville,
les
Bakhtine,
en
triomphe
d'Église.
l'ivresse
«
être
rapports
montrés
écono¬
L'élite
fêtes),
philo¬
mais
dans
dont
àune
» de
la
1.

éclairée du 18e siècle, écrit Jean Ehrard, tolère la liesse populaire


dans les "bambochades" de Teniers et autres peintres du Nord,
elle ne l'apprécie guère dans la rue » 8.

Dans
et
la
déguisement
littéraire,
au
Baroja
était
un
des
goût",
C'en
p.
Relange,
sur
éd. 5.
6.
7.
25-26.
8.
lasens.
main,
moyen
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critères
l'Encyclopédie,
soumise
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Arnold
Mikhaïl
Cahusac,
Jean
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fut
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Carnaval
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des
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de
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Paul
pour
profitèrent
charmes

des
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25
l'homme
carnaval
se
et
laBEAUX-ARTS,
(1998),
L'Œuvre
fous
Fête
semer
municipaux,
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Renaissance
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littéraire,
Folklore
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plus
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p.
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133.
Recherches
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(Paris,
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18.
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1998),
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Carnaval
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Paris,
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populaire
739.
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sa
1979),
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selon
Caro
"bon
vie
ce
età
LE ROMAN CARNAVALESQUE 35

La popularité de Teniers au siècle des Lumières est attestée


par la publication fréquente de nouvelles gravures d'après ses
œuvres (FIG. 1) 9. Les images du carnaval contemporain sont, en

revanche,
fête
expose
populaire
aubeaucoup
Salon
se fait
deplus
sentir
1757,
rares,
dans
Leet Carnaval
un
cette
tableau
méfiance
des
qu'Etienne
rues
à l'égard
de Jeaurat
Paris
de la

(FlG. 2) 10. Plusieurs personnages typiques d'une procession de

Mardi-Gras
vin,
un
Jeaurat
homme
porté
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en
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figurent
la
la Vieille
survivance
qui
: l'homme
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porte
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un
carnaval
dans
masque.
; derrière
la dans
hotte,
Certes
les
eux,
quirues
lese
le
tableau
verse
géant
de Paris
du
de
et

au 1 8e siècle, mais il affirme aussi que le carnaval du siècle des


Lumières ressemblait peu aux festivités de la Renaissance : les
masques et déguisements sont réduits au minimum, et les habi¬
tants du quartier, loin de se mêler à la fête, figurent en tant
que spectateurs passifs, se tenant tranquillement dans la rue ou
regardant par leurs fenêtres n. Le goût des visiteurs au Salon y

que
réalité
confirmer
est pour
devant
des 1 que
. Le
la
sociale,
quelque
ressent
Southwark
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chose,
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de
dans
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du
une carnaval
éprouvé
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esthéti¬
pour

urbain de l'époque 13. Jeaurat nous dépeint une gentille fête de

quartier,
du
de Carnaval
monde scène
à l'envers
etjoyeuse
Carême
que
mais
(Kunsthistorisches
peint
anodine,
Bruegel
à l'opposé
en Museum,
1559 dans
de laVienne).
Le
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CombatLa

particulier
P.
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Mercure
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(Paris,
Carnavalet,
Voltaire
9.
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110.
12.
13.
1 en
. La
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Louis-Sébastien
Le
Comparer
1970),
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majorité
(Genève
de
de
tableau,
Jacques-Philippe
DÉLITS
34
France,
Daméry
David
p.et
(1981),
: et
169-70).
des
«spectateurs
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LOCAUX,
Le
Teniers
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Oxford,
; gravures
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carnaval
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1771,
Dictionnaire
1968-),
et
»gravé
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2,
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vol.
musée
p.un
(1701-83)
par
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spectacle
le
I,Teniers
36,Jean-Charles
Bakhtine,
(Londres,
p.
carnaval
philosophique,
Carnavalet,
p.196).
11.
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Voir
La
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été
1979),
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Le
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65-68).
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de
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à18e
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complètes
l'origine
Dostoïevski
siècle
1771
du
la de
sépara¬
musée
(Jane
(voir
;fête
en
au
de

populaire où le peuple mange de la volaille et va aux cabarets ( Tableau de Paris,


éd. survivance
la Jean-ClaudeduBonnet
carnaval,
(Paris,
notamment
1994), Chap.
dans332,
le monde
« Carnaval
rural,
», I,voir
p. 885-88).
Yves-Marie
Sur
Bercé, Fête et révolte : Des mentalités populaires du 16e au 18e siècle (Paris,
1994).
36 NICHOLAS CRONK

foire de Beaucaire telle qu'elle est dépeinte dans un roman du


début du 18e siècle est un lieu de rencontres et d'amusements,
elle n'est certainement pas un lieu de désordre 14 . La publication
en 1741 d'un livre comme les Mémoires pour servir à l'histoire
de la fête des fous suggère même que le carnaval est en train
de devenir un sujet de recherche historique, presque sociologi¬
que 15. Le carnaval en France au 18e siècle n'est qu'un bien pâle
reflet du carnaval
conséquences pour la
qu'a
notion
connu
de Rabelais,
carnavalesque
et cela
à l'époque.
est lourd de

C'est dans son livre sur Dostoïevski que Bakhtine aborde


le « problème du
déterminante de carnaval
la carnavalisation,
sur la littérature
c'est-à-dire
et de
les l'influence
différents

genres » 16. Or le carnavalesque du 16e siècle, tel que Bakhtine


le décrit chez Rabelais, ne ressemble aucunement au carnavales¬
que du 18e :
A partir du 17e siècle, la vie carnavalesque populaire régresse : elle
perd presque entièrement son caractère public ; son rôle dans la vie des
hommes diminue considérablement, ses formes s'appauvrissent, rétrécis¬
sent, se simplifient [...].
Il en est résulté une atomisation et un éparpillement du carnaval et de
sa perception du monde, la disparition de son caractère authentiquement

fête
qui
un
nombre
voyage
ses
leurs
presque
le
de
notices
(Amsterdam,
38),
Mercure
14.
15.
la
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yaventures
des
t.mère
trouvent
maîtresses.
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Roche-Guilhen,
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et
jamais
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Ce
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concours.
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231-317.
ne
produisent.
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(Lausanne,
1709),
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sont
de
leurs
Enfin
particuliers
charmes,
désordre,
Dijon
1724)
leurs
pas
Lucotte
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C.
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Les
Leber,
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1708).
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1751.
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France,
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liberté
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d'heureu¬
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»galante
ne
suivent
(Anne
1826-
de
aussi
dans
sans
voit
un
la

16. Il poursuit : « Le carnaval lui-même [...] n'est pas un phénomène littéraire.


[...] Le carnaval s'est forgé tout un langage de symboles concrets et sensibles
[...]. Ce langage exprime d'une manière différenciée [...] une perception du monde
carnavalesque unique (mais complexe), inhérente à toutes ses formes. Il ne peut
être traduit, de façon tant soit peu complète et adéquate, dans le langage parlé,
et encore moins dans celui des notions abstraites, mais se plie à une certaine
transposition en images artistiques du langage littéraire, qui s'en rapproche par
son caractère concret et sensible. C'est cette transposition du carnaval dans la
littérature, que nous appelons carnavalisation » (Dostoïevski, p. 169).
1 . David Teniers le jeune : Les Accords flammands, gravé par Martiny et
Jacques-Philippe Le Bas (1775).
38 NICHOLAS CRONK

populaire, de place publique, et, par voie de conséquence, des modifica¬


tions notables dans la carnavalisation de la littérature. Jusqu'à la seconde
moitié du 17e siècle, les hommes participaient directement à l'acte et
à l'esprit carnavalesques ; ils vivaient encore dans le carnaval, autrement
dit : celui-ci était encore une forme de l'existence elle-même. [...] La
source de la carnavalisation était le carnaval lui-même. [...] Cependant,
dès la seconde moitié du 17e siècle, le carnaval cesse presque entièrement
d'être une source immédiate de carnavalisation, cédant ce rôle à la
littérature précédemment carnavalisée. De cette façon, la carnavalisation
devient une tradition purement littéraire. [...] La carnavalisation se mue
donc progressivement en une tradition de genre littéraire. Les éléments
carnavalesques y sont coupés de leur source directe ; ils changent d'as¬
pect et de signification 17 .
Pour Bakhtine donc, le carnavalesque du 18e siècle se réduit
entièrement à un phénomène d'intertextualité, comme en témoi¬
gne la réputation de Rabelais à l'époque : « Dans l'ensemble,
les philosophes des Lumières n'ont su ni comprendre ni apprécier
Rabelais, du moins au niveau de leur conscience théorique. [...]
Il importe toutefois de signaler que, dans la pratique, Voltaire
dans ses romans philosophiques et La Pucelle d'Orléans, et Dide¬
rot dans Jacques le fataliste et surtout Les Bijoux indiscrets
s'inspiraient dans une certaine mesure des images rabelaisiennes,
à vrai dire sous une forme limitée et quelque peu rationalisée » 18.

Pour
même
centre
du
Jacques
carnavalesque
Bakhtine
du
deleroman
ses
fataliste,
préoccupations
encore,
19,dans
et
nous
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notion
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Le
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symboles
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littéraires
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principales
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20.
17.
18.
19.
Béroalde
1757
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même,
Dostoïevski,
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Nous
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l'épopée,
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carnaval,
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; Panckoucke,
racines,
La
nécessairement
Verville
artistiques
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retrouvent
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Satire
p.rhétorique,
123-24.
p.au
124
schématiquement,
la
179-80.
il
a style
: largement
Ménippée
intermédiaires)»
connaît
rhétorique,
lesvoir
;se différents
En
faveur
sur
fait
formes
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le
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le
que
»souvent
dans
1Robin
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de
8e
carnaval
carnaval.
(Rabelais
d'autres
du
que
siècle
Bakhtine
l'évolution
(Dostoïevski
: l'histoire
nombreuses
lasujet
« Howells,
leL'influence
réimprimée
littérature
(il
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genre
ont
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,Selon
les
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p.
lui-même
été
de
du
fabliaux
1 du
romanesque
,24).
éditions,
«la
transformées
p.point
du
texte.
laRococo
évidemment
roman
;153-54).
prédominance
des
Le
composition)
18e
16e
qualifie
focal
sont
Moyen
formes,
siècle.
siècle,
dont
européen,
and
aédités
detrois
en
de
l'une,
Mais
du
carnival
son
entre
motifs
procédés
parvenir
carnava¬
de
mis
pour
Moyen
racines
étude,
l'une
cette
celle
trois
eux
au
et
la
»,
LE ROMAN CARNAVALESQUE 39

par2.Jean-Charles
Étienne Jeaurat
Le Vasseur
: Le Carnaval
( 1 77 1 ). des rues de Paris (Salon de 1757), gravé
40 NICHOLAS CRONK

Mathieu de l'abbé Dulaurens : les trois romans génèrent une sorte


de débat sur le carnavalesque dans la mesure où ils dialoguent
entre eux et constituent ainsi des jalons essentiels dans l'évolution
et le renouveau du roman carnavalesque au 18e siècle.
La possibilité d'une lecture carnavalesque de Candide est telle¬
ment évidente qu'il n'est guère besoin d'insister. Comme l'a
montré Robin Ho wells, le récit entier nous présente un monde
à l'envers qui est presque une célébration du corps grotesque 21 .

Mais
val
un
parle
Voltaire
Bakhtine,
carnavalesque
(1796)
limite
de
soit
18elieu
texte
carnavalesque
Candide
;Cazotte
siècle
beaucoup
etqu'un
aussi
pas
de
commun
si carnavalesque,
Candide
dans
Pigault-Lebrun.
à la
la de
se
texte
(1772),
qui
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notion
dans
trouver
plus
sa
la
romanesque
se
prenne
; s'y
dimension
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et
Candide
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est
de
rend
du
il
transporté
comme
est
un
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le
genre
Don
aussi,
carnaval
hautement
que
à22
des
générique,
.àl'égard
Alvare,
Dans
de
est
le
Voltaire,
Venise,
nombreux
c'est
à au
montre
Venise
au
laune
comme
domaine
parce
de
centre
dans
satire
révélateur
étude
Christiane
en
s'il
Rabelais
L'Enfant
auLe
héros
que
plaçant
thème
s'inspire
même
ménippée
moment
des
Diable
thématique
Voltaire
des
trois
24
de
n'en
Mervaud
du
de
.lede
limites
roman
amoureux
du
chapitres
la
carnaval
conte
23Lucien,
fait
parodie
. notion
carna¬
mais
Pour
pas
du
ne
au
de

Studies
et
théâtre
représente
guère
l'endroit
par
Venise
de
Mervaud
eighteenth-century
of
60.
«Travestis
«20)
(Amsterdam,
Bakhtine
21.
22.
23.
24.
sur
Robert
réjouissance
tous
Candide
;Morize,
aux
définir
l'Encyclopédie,
Robin
Christiane
Voir
»de
on
les
du
(article
et
dialogues,
Shackleton,
Voltaire,
la
et
pour
poissards
Voltaire,
»,
plaisirs
monde
S.
Richard
ibid.).
foire,
Diderot
le
1993),
Howells,
dans
Menant
carnaval
qu'on
leCARNAVAL,
Mervaud,
readings
L'abbé
308
et

18e
»,
Le
chap.
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»,Candide,
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17
écrit
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Siècle
(Oxford,
(1993),
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tout
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particulier
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de
(1994),
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4,Mallet
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Venise
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«Du
Encyclopédie,
la
Rabelais
«de
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Candide
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1987),
carnaval
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185-221)
Voltaire
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Le
83-106)
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beaucoup
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Neveu
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II,
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et
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que
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(Paris,
solennité
690).
».
«poissard
comme
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Venise
tirer
àau
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61
Recherches
René
(Oxford,
théâtre,
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1957),
(1983),
parti
(voir
une
dell'arte.
: en
«(voir
Voltaire's
Essays
est
l'épisode
Pomeau,
temps
de
Italie,
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Pierre
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1988),
175.
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190,
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French
Contes
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peut
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Ch.
39-
7-
leà
et
LE ROMAN CARNAVALESQUE 41

Tandis que dans son livre sur Dostoievski, Bakhtine s'intéresse


à l'impact du carnavalesque sur les questions de genre, dans son
livre sur Rabelais il examine en particulier l'influence du carnaval
sur la langue elle-même. En exploitant les tensions entre le latin
et la langue vernaculaire, Rabelais réussit à forger un langage
littéraire qui exprime une vision carnavalesque du monde :

propre
lesque
extrême
unique,
qui
nécessitait
geantes
"à Le
l'envers",
estcarnaval
[...]
chargée
prêt
(protéennes),
richesse
maispour
est
et"au
complexe
marquée,
achevé,
du
d'exprimer
s'exprimer
etcontraire"
apte
Moyen
fluctuantes
àànotamment,
du
toutes
traduire
Age
les
des
peuple.
(Rabelais...,
formes
prétentions
formes
[...]
etla mouvantes.
perception
Cette
par
a et
donné
d'expression
lap.symboles
perception,
logique
à19).
l'immuable
naissance
carnavalesque
[...] originale
La
du
dynamiques
hostile
langue
carnaval,
àet une
àdes
du
àl'éternel,
carnava¬
tout
monde
langue
choses
d'une
chan¬
ce

Ces préoccupations linguistiques — et Bakhtine s'est intéressé


au langage littéraire dès les années 20 — sont au cœur de la
notion de carnavalesque et jettent une lumière inattendue sur
Candide 25. Bakhtine attire notre attention sur le coq-à-l'âne,

hiérarchie
Rabelais.
par liberté,
conventionnelle
expressions
rantes
logique.
en
langue
exemple,
de
deUne
mots
Candide
verbale
délivrés
courantes
qui
sorte
pris
: dépasse
«»qui
de
Ce
en
de
(ibid.,
(proverbes,
récréation
n'imite
dehors
l'étreinte
sontet
p. transgresse
avant
420).
de
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du
l'ornière
dictons),
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Rien
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la des
la
n'est
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traditionnelle
logique
de
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des
plus
la
associations
linguistique
logique,
choses
de
étranger
de mots,
la du
langue
lâchés
de
d'un
cou¬
àlien
des
la

L'abbé Dulaurens exploita la célébrité de Candide en écrivant


son propre roman philosophique, et Le Compère Mathieu, publié
sept ans après le conte voltairien, connut tout de suite un très
grand succès 26 . Le Compère Mathieu contient de nombreuses

allusions comme
l'histoire
verbaux, àd'une
Candide
syphilis,
« le: meilleur
allusions
ou à des
àl'auto-da-fé
lamondes
Westphalie,
possibles
; certains
par exemple,
» emprunts
et « tout
à

est bien » sont autant de clins d'œil au lecteur qui ne manquera

French
àles
de
1766).
avoir
25.
26.
bigarrures
l'Arsenal.
Voir
Toutes
Cette
Studies
été Nicholas
approuvée
édition,
les
deBulletin,
l'esprit
références
Cronk,
imprimée
par
humain,
18l'auteur
seront
(1986),
« Voltaire,
probablement
3 àtomes
; lap.
unpremière
4-7.
Bakhtin,
exemplaire
(Londres,
enédition,
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Hollande,
Aux
sethetrouve
Le
dépens
language
Compère
semble
àdelalaof
Bibliothèque
être
Mathieu,
Compagnie,
carnival
la seule
ou
»,
42 NICHOLAS CRONK

pas de reconnaître la ressemblance entre Diego et Pangloss : ni


l'un ni l'autre n'apprennent rien de leurs expériences, et une
prière de Diego est suivie par un coup de tonnerre tout comme
un discours de Pangloss est suivi d'un tremblement de terre27.

àdans
exécution
troupe
fait
de l'excès,
AuDiderot)
des
Le
niveau
d'acteurs
sauts
Compère
(I,
même
(I,
thématique
197,
(comme
de
18-19,
dans
Mathieu
199
commedia,
; le89-90,
III,
d'abord,
fera
cachot
abondent.
153).
est
plus
128-129
de
les
Diego,
« tard
un
Diego
exemples
Les
Sauteur
;Jacques
qui
III,
compagnons
lorsqu'il
a 17).
de
de
fait
dans
carnavalesque
laNous
partie
Foire
attend
leboivent
roman
avons
d'une
» son
qui

affaire ici à un monde à l'envers où le professeur apprend aux


enfants à être impolis et violents (I, 179-180). Le Père Jean,
grand et puissant, est le héros de nombreuses scènes burlesques,
par exemple quand il prend une cuillère à pot pour assommer
un capucin qui tombe « le cul dans une chaudronnée de tripes »
(I, 137).
Au niveau du genre, c'est le roman même que le narrateur
de Dulaurens met en cause, le comparant aux « Vies des Saints »
(II, 4-5) et le qualifiant de « rapsodie » : « Tu me reprocheras
peut-être qu'il n'y a ni plan ni méthode dans cet ouvrage ; que
ce n'est qu'une rapsodie d'aventures sans rapports, sans liaisons,
sans suites : que mon style est tantôt trop verbeux, tantôt trop
laconique ; tantôt égal, tantôt raboteux ; tantôt noble et élevé,
tantôt plat et trivial » (I, 2) 28. Le Lecteur dans Jacques se souvien¬

dra peut-être
insipide
écrits
mise en
sans
cause
rhapsodie
grâce
de et
des ce
catégories
distribués
depassage
faits, génériques,
les
:sans
« uns
Etordre
votre
réels,
»typiquement
(éd.
Jacques
les cit.,
autres
p.n'est
carnavales¬
230).
imaginés,
qu'une
Cette

que, est soutenue par la référence constante aux autres auteurs


carnavalesques. La poésie libertine, des Grecs jusqu'à Piron, est
citée explicitement (I, 252-255) ; le long délire de Diego, dans
lequel il décrit une visite au paradis, au purgatoire, à l'enfer et

philosophiques
imite
événements
aussi
(I,
peut
Henriade
de 27,
28.
3 1 aller
rapsodies
2)
àsurtout
I,d'autres
Le rappelle
32mot
(I,
au;: dont
I,Ciel
la
256).
de
;31-32
rapidité
181-82
œuvres
Zadig
il«tupar
yrapsodie
m'ennuies
; aII,
;ledu
de
des
II,232
la chemin
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Voltaire
phrase,
8-9
»allusions
; revient
II,
;»voltairien
et(I,
8à:II,
qui ; 217).
propos
le
III,
sous
lui
explicites
307-08).
savant
36
(par
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la;deIII,
plume
exemple
qui
»la
Le
à(II,
124
liberté
dit
Sémiramis
Compère
du
; «I,dans
300) Cherche
narrateur
76
anglaise,
rappelle
;les
Mathieu
I, (I,196.
sommaires
ton
:47)
« «les
un
Dulaurens
bonheur
Ce
se
etchacun
Lettres
réfère
fatras
à des
La»
LE ROMAN CARNAVALESQUE 43

enfin au Soleil, évoque de façon implicite Lucien (I, 354 ; II,


137). Rabelais en personne fait son entrée dans le livre quand
Diego le rencontre à un dîner pour les saints 29 ; et avec respect
pour les auteurs,
Pantagruel et Gargantua
Dulaurens
en situe
enferRabelais
(II, 80-81
au ; paradis
III, 82).mais laisse

L'influence de Rabelais se fait sentir clairement dans la langue


du roman, elle aussi hautement carnavalesque. Le corps grotesque
est présent
d'un virus, le
dans
clitoris
toute « sa
faitverve
commerabelaisienne
un cornichon
: le »,pénis
et ainsi
atteint
de

suite (I, 36-41, 116). La rhétorique joue un rôle tout aussi carnava¬
lesque dans le discours du roman : l'accumulation de mots (une
liste de différentes religions finit par les rendre indistinctes) ; la
lamentation funèbre ; l'eulogie à deux prostituées ; des discours
hyperboliques et bouffons (comme lorsque Mathieu fait un dis¬
cours sur la cruauté des animaux, ou quand Diego mourant pro¬
nonce un discours stoïque, suivi par le délire verbal des moines
persécuteurs) (I, 172, 12,318-322; II, 168-171, 253-258). C'est
le prestige même du discours littéraire qui est mis en question
quand une longue phrase finit par être ridiculisée par le Père
Jean (I, 396-400). La langue même est relativisée quand les
héros, chez un peuple sauvage, parviennent à se faire entendre
à force de grimaces et de beuglements (II, 192). Le rire provoqué
par la scène où Mathieu et Diego croassent ensemble est un rire
carnavalesque dans la mesure où cette scène de pure farce met
en cause tout moyen sophistiqué de communication (II, 206).
La voix du narrateur contribue puissamment au dialogisme du
roman. Le narrateur se sert de néologismes et de proverbes 30 ;

vrelot
ne
il
un
plus,
tion
intervient
excuse
l'a
Espagnol
: toujours
quand
pas
» employé
l'emploi
trouvé
dans
une
qui
prête
dans
voix
une
parle
par
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à note
nous
Diego
mot
le» Dictionnaire
anonyme
(I,pour
«rappeler
Pécune
354).
n'est
nous
se La
pas
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l'artifice
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de
:voix
du
entendre,
« Trévoux
Passez
bon
dumême
que
narrateur
français
le
une
(I,
leterme
de
319)
mot
note
laet
est,

; vient
narra¬
qu'il
mais
c'est
che-
de

nous dire que c'est Diego qui s'exprime dans le texte ; quand
une jeune Hollandaise doit s'expliquer devant l'Inquisition espa¬
gnole, une note intervient pour résoudre un problème auquel le

détracteurs
(I, 29.
30.
55) Par
I,; «393
faire
exemple,
: II,
; comparer
accroire
77-79.
« décondylomiser
que
II, des
2 ; vessies
une »longue
(I,
sont
44)des
note
; « lanternes
l'habit
défendneRabelais
» fait
(I, pas
362).le
contre
moineses
»
44 NICHOLAS CRONK

lecteur n'avait même pas pensé : « D'ailleurs si cette fille s'expli¬


que en français, c'est apparemment qu'elle ignore encore l'espa¬
gnol, et
269). Dans
que une
l'Inquisiteur
autre note
n'entend
le narrateur
point confesse
le hollandais
à un »« (II,
Lecteur
200,
un peu difficile » qu'il ne sait pas comment Jean s'est échappé
de prison (III, 159-160).
L'emploi des notes en bas de page contribue puissamment à
la polyphonie du roman. Certaines sont sérieuses : Montaigne
est cité à plusieurs reprises ; et une discussion sur la liberté
appelle une note qui cite le Discours préliminaire de Rousseau
(1, 15 ; II, 150-152 ; I, 184). Plus souvent les notes sont ironiques :
lorsque Mathieu se sert de l'expression « Loi Naturelle » pour
défendre une cause indéfendable, une note en grec vient à l'appui ;
même l'action du baron qui prête sa femme est longuement
annotée (I, 329 ; I, 174-176). Une note parfaitement sérieuse sur
le Laocoon est suivie d'une autre, hautement ironique ; parfois
l'érudition d'une note nous laisse perplexe au point que l'on ne
sait plus si elle est ironique ou non (I, 153 ; I, 104 et sv.). Le
mélange de sérieux et de burlesque dans les notes crée un véritable
dialogisme, dialogisme qui est renforcé par le mélange des lan¬
gues à l'intérieur du texte, où le latin, le grec et même l'hébreu
côtoient le français (par ex., I, 33 ; III, 21-22 ; II, 116).
Le roman de Dulaurens met en scène tout un carnaval d'idées,
symbolisé par les trois moines qui se disputent autour du lit du
compère mourant (III, 197-199). Le narrateur intervient dans une
note pour se livrer à une courte dissertation visant à montrer
qu'il n'y a pas d'opinion si bizarre que quelqu'un ne la possède,
raisonnement qui n'est pas sans rappeler Montaigne (II, 37-39).
S'il y a satire de la connaissance encyclopédique qui rappelle
parfois Le Moyen de parvenir et parfois la Satire Ménippée, cela
ne veut pas dire que l'auteur, lui, ne prend pas position (I, 55-
59, 110, 123). Le Vieillard philosophe, à force d'étudier, a acquis
une vue foncièrement dialogique du monde :

malice
nations
courage
nions
haines,
de
266).
J'ai
meurtres,
misère,
qui
vu
et
de
policées,
et que
le
se
trahisons,
de
d'orgueil
en
mensonge.
heurtent,
lâcheté
l'univers
unetmot
jede
;etje
n'y
d'intérêts
de
vexations,
entier
J'ai
de
n'y
tous
aibassesse
consulté
ai
vu
étoit
vuqui
les
qu'un
de
qu'un
maux
plongé
;se
tyrannies,
l'Histoire
de
mélange
croissent
qu'on
assemblage
prospérité
danspuisse
de
l'illusion,
bizarre
générale
[sic],
cruautés,
monstrueux
etimaginer
de
d'infortune,
dedel'erreur[,]
préjugés,
grandeur
detoutes
guerres,
(I,d'opi¬
261-
les
de
la
et

Le Bibliophile, homme sage et tolérant, apprécie les opinions


de tous, et montre que la diversité des opinions devrait engendrer
LE ROMAN CARNAVALESQUE 45

la tolérance : « Je converse avec des Morts : j'adopte, je contredis,


je loue, je blâme ce qu'ils disent et je ne m'en fais point d'enne¬
mis. D'ailleurs je n'ai point acquis cette bibliothèque pour moi
seul : elle est ouverte aux Savants, aux gens de lettres, et à mes
amis. Il est nécessaire que l'histoire, les pensées, les opinions
de tous les temps nous parviennent et se communiquent [...] »
(I, 296). Si Dulaurens défend la tolérance, il déteste l'athéisme,
et le carnavalesque de son roman a aussi des limites. D'après
Mercier, la police parisienne venait souvent mettre fin aux fêtes
de carnaval,
même, brutalement
et dans Le mettre
Compèreun Mathieu
terme auune
carnaval
conclusion
du récit.
vient,

Le narrateur de Jacques le fataliste , nous assurant que nous


lisons « [11 'ouvrage le plus important qui ait paru depuis le Panta¬
gruel de maître Rabelais, et la vie et les aventures du Compère
Mathieu » (p. 288), situe le roman délibérément dans la tradition
du roman philosophique. La phrase réitérée de Jacques, « il était
écrit là-haut... » dérive peut-être du Compère Mathieu : après
avoir perdu Mathieu, Diego le retrouve dans un bordel : « Mais
il étoit écrit que nous vous reverrions... » (I, 95). Cela ne veut
pas
chezdire
Dulaurens
que Diderot
: les ressemblances
trouve l'inspiration
entre les
profonde
deux romans
de Jacques
sont

évidentes mais peu profondes 31 . Les rapports entre Jacques le


fataliste et Candide sont en revanche plus subtils. Ni Candide
ni les autres contes ne sont mentionnés dans Jacques, quoique
Voltaire lui-même y soit nommé trois fois 32 . Le cri d'une dévote

quiVoltaire
rant,
la clame
ses opinions
que
» souligne
« Voltaire
religieuses
sonest
conservatisme
l'Antéchrist
; une allusion
linguistique
» rappelle,
à « uneen
; et
impasse,
les
à propos
exagé¬à

de l'obscénité, le narrateur allègue l'exemple de La Pucelle


d'Orléans : de toutes les œuvres de Voltaire c'est celle qui mérite
le plus d'être qualifiée de carnavalesque, et si les contes sont
passés
de l'être.
sous silence, c'est peut-être parce qu'ils méritent moins

Le titre de Jacques le fataliste et son maître est couramment


abrégé, mais à tort, car le titre entier, en donnant la priorité au

fataliste
rens
dans
et
Century,
32.
31.
V.»,Enlightenment
W.
Voir
P.
Diderot
and
Topazio
73 Otis
143,(1970),
Le
101,
Studies,
E.
Compère
(Oxford,
230.
Fellows
Studies
p. Voir
165-91.
1 (1949),
Mathieu
1979),
and
in
René
Honour
Alice
Pomeau,
p.
p.»,243-51.
64-93
G.
Studies
ofGreen,
Lester
«; De
et onCandide
Clifton
«G.Diderot
Voltaire
Crocker,
Cherpack,
à Jacques
and
and
éd.the
the
A.le
«Jacques
abbé
J.fataliste
Eighteenth
Bingham
Dulau¬le
»,
46 NICHOLAS CRONK

domestique sur son maître, signale déjà le monde à l'envers qui


est au centre du roman : « Il est écrit là-haut (dit le maître) que
je ne me déferai jamais de cet original-là, et que tant que je
vivrai il sera mon maître et que je serai son serviteur » (p. 183 ;
comparer p. 185). Jacques assume le rôle du roi de carnaval, et
le cortège funèbre du capitaine et l'épisode du prêtre enfourché
sont des manifestations spectaculaires de ce monde carnavalesque
où les histoires commencent « un jour de foire ou de marché... »,
et où l'inspiration de la narration vient surtout du vin : « A
Delphes, la Pythie, ses cotillons retroussés, assise à cul nu sur
le trépied, recevait son inspiration de bas en haut ; Jacques, sur
son cheval, la tête tournée vers le ciel, sa gourde débouchée et
le goulot incliné vers sa bouche, recevait son inspiration de haut
en bas. Lorsque la Pythie et Jacques prononçaient leurs oracles,
ils étaient ivres tous les deux » (p. 232).
Et comme dans Le Compère Mathieu, le narrateur se met en
avant pour nous obliger à prendre conscience de la construction
de la fiction : la présence du mot « foutre » n'est pas en soi
carnavalesque, mais elle le devient quand le mot est suivi par toute
une discussion sur l'utilisation du mot 33. La mise en question dans
Jacques
habituellededutout
narrateur
procédéet romanesque
du lecteur estetfoncièrement
surtout de lacarnavales¬
hiérarchie

que 34.

précis
exemple,
C'est
carnavalesques
la
quoiqu'elle
présence
Carnavalesque
un
: lereste,
roman
statut
de
soit
Don
: moins
aujourd'hui
sien
deaussi
Quichotte
ladialogue
Jacques
présence
apparente
est le
encore,
est
comme
permanent
refus
de
peut-être
.Tristram
Ahautement
de
côté
roman
s'ancrer
plus
avec
de
Shandy
Rabelais,
philosophique,
importante
problématique
lesdans
autres
est qui
un
évidente,
encore,
textes
genre
laisse
par
35 .

par
Jacques
quichotisé
structure,
dues
et
dire
exemple).
moment
p. 33.
34.
35.
36.
toutes
170).
une
tout
pour
P. attitude
Voir
très
le
202,
les
lece
le»,
Onfataliste
:Nicholas
bon
temps
formes
important
Recherches
qui
«230-31
abolit
Les
déroulement
carnavalesque
est
du
lois,
»,
de
toutes
dicté
Cronk,
;Cronk,
carnaval
Modem
de
comparer
peur
sur
les
lapar
les
perception
qu'il
Diderot
interdictions,
«de
«Reading
;Language
distances
l'inégalité
spéciale
Jacques
laLe
on entraîne
vie
commence
Compère
etnormale
carnavalesque
expectations
sur
: le
entre
un
Review,
sociale
:les
fataliste
l'Encyclopédie,
vénération,
contact
Mathieu,
par
restrictions
(non
les renverser
ou
91
hommes,
carnavalesque)
: et
libre
(1996),
autre
the
duson
piété,
II,monde
narration
qui
et
94.
23
l'ordre
(celle
pour
maître
familier.
p.étiquette,
(1997),
déterminaient
330-41.
» les
de
(Dostoïevski
sont
hiérarchique
:ofun
remplacer
l'âge
Hume
C'est
p.suspen¬
c'est-à-
roman
63-78.
par
un
la,
in
LE ROMAN CARNAVALESQUE 47

des tracesauteurs
d'autres patentes,
comme
nous sentons
Béroaldeaussi
de Verville
la présence
37. Les
plus fabliaux
discrète

sont une grande redécouverte du 18e siècle : déjà Diderot avait


construit un roman entier, Les Bijoux indiscrets , sur un fabliau,
et maintenant, dans Jacques, il s'amuse à imiter le genre ; dans
la fable de la Gaîne et du Coutelet, ajoutée en 1780, Diderot
pousse l'imitation du fabliau jusqu'au pastiche 38. Les grands

lieux
allusion
Saint-Germain
dresse
carnavalesque
inspirés
Chapelle,
(p. 233).
deune
de
carnaval
aux
Chaulieu,
la
liste
jeux
gourde
:et« des
de
parisien
[les]
de
Saint-Laurent
la
auteurs
dans
sectateurs
hasard
Fontaine,
sont
cesde
derniers
qu'on
évoqués,
la
distingués
Molière,
» foire,
(p.pratiquait
siècles,
132)
dans
véritable
Panard,
de; ailleurs
le
Bacbuc,
Rabelais,
roman,
« aux
Galet,
catalogue
le[les]
foires
dans
narrateur
la
Vadé
Fare,
vrais
une
du
de
»

Au-delà des sources littéraires, nous trouvons dans Jacques ,


et c'est la grande découverte de Jacques Proust, toute une série
d'échos de la culture populaire de l'époque : échos des chansons
populaires (par exemple les moines libidineux dans les histoires
du Père Hudson et du Père Ange) ; formules et manières de
parler caractéristiques du parler populaire ; interruptions, comme
dans les fabliaux (nous demandons cinq fois l'histoire du poète
de Pondichéry avant de l'avoir) ; « mock stories » ; contes sans fin
et autres traces de la pratique « poétique » des conteurs populaires
comme les devinettes, les calembours, les équivoques, les para¬
doxes (ceux de Gousse, par exemple). Ces traces de la narration
populaire sont toutes attestées dans le folklore et elles démontrent
la grande originalité de Jacques par rapport à Candide et au
Compère Mathieu , originalité que Bakhtine lui-même a sous-
estimée dans le passage cité ci-dessus 39. Le Langrois Diderot a
une connaissance
populaire qui le rend
et une
unique
appréciation
parmi lesdes
romanciers
traditions de
de son
la narration
époque,

Parvenir
de
le
la
55.fataliste
37.
38.
Renaissance
la Renaissance
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129-30.
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Mélanges
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2t.
(Genève,
leMélanges
(Rennes,
Moyen
rouleau
du 1984),
Age
Moyen
sur
1980),
: Le
dans
lap.Age
Moyen
littérature
I,589-99.
Jacques
p. et147-
de

39. Voir Jacques Proust, « "La bonne aventure" », Romanistische Zeitschrift


fur Literaturgeschichte, 4 (1980), p. 19-35. Voir aussi Jean-Jacques Tatin, « Pro¬
verbes et voix du peuple », Revue des Sciences humaines, 61 (1983), N° 190,
p. 21-30.
48 NICHOLAS CRONK

d'autant plus que, d'après Huguette Cohen, « Langres était un


foyer particulièrement riche en culture populaire sous l'Ancien
Régime » (art. cit., p. 230). Le carnavalesque dans Jacques n'est
pas uniquement un phénomène intertextuel, car il existe en contact
direct avec une culture du carnaval : c'est pour cette raison que
Jacques représente un renouveau du roman carnavalesque au
18e siècle. A la différence des Bijoux indiscrets, roman carnava¬
lesque par le biais d'un texte carnavalesque antérieur, Jacques
est carnavalesque au sens plein du terme, car son rire très particu¬
lier dérive directement, au moins en partie, des traditions de la
narration populaire.
Le carnavalesque ne peut pas être compris comme une simple
notion thématique et il ne peut pas non plus être circonscrit
dans un genre quelconque. Le carnavalesque est, au fond, un
phénomène linguistique et stylistique qui met en cause toute
hiérarchie littéraire par le moyen d'un dialogisme radical. C'est
un concept profondément troublant que les auteurs n'acceptent
souvent qu'à moitié. Ainsi, si Candide est carnavalesque, il l'est
à contre-cœur, car le carnavalesque requiert une ouverture à la
tradition de la Renaissance qui sied difficilement à l'esthétique
néoclassique de Voltaire 40. Le Compère Mathieu est évidemment
plus nécessaire
fois ouvert au carnavalesque,
de limiter la verve
mais même
dialogique
Dulaurens
de son
trouve
récitpar¬
en
imposant une voix de narrateur nettement monologique. Seul
Jacques le fataliste prend le risque de conclure trois fois, c'est-
à-dire de ne pas conclure.
Pour qui voudrait cerner l'essence même du carnavalesque, « le
cul » est une pierre de touche incontournable. Candide commence
bien, avec un « coup de pied dans le derrière » dans le premier
chapitre ; mais plus carnavalesque est le vieillard philosophe du
Compère Mathieu qui propose de classer « les coups de pied au
cul » dans une grammaire des gestes expressifs (I, 59). Si Candide
parle volontiers de « fesses », Le Compère Mathieu se sert d'un

tout
pour
que
remonte
de
l'élevage
souligne
p. 40.
62).
Fontenelle,
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tant
Sur
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la raillerie
que
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Voltaire
des
(Paris,
tradition
Nul
villageois,
pastorales
odeurs
qui
intérêt
1995),
laisse
qui
de
en
LE ROMAN CARNAVALESQUE 49

vocabulaire plus pittoresque, comme quand Diego imagine des


diables en enfer qui vomissent le feu par le trou du cul et pètent
des étincelles (I, 358). Voltaire, on le sait, préfère le mot impasse
au vulgaire cul-de-sac : « Les bons écrivains sont attentifs à
combattre les expressions vicieuses que l'ignorance du peuple
met d'abord en vogue [...]. Le plus bas peuple, en fait de termes
d'art
on l'ose
et métiers
dire » 41.et Dans
des choses
la satire,
nécessaires,
Voltaire sesubjugue
sert volontiers
la cour,des
si
possibilités carnavalesques du cul-de-sac lorsqu'il veut évoquer
les goûts pédérastiques d'un adversaire : « Comment peut-on dire
qu'un grave président demeure dans un cul ? Passe encore pour
Fréron : on peut habiter dans le lieu de sa naissance ; mais un
président, un conseiller ! » 42 . Dans les contes, jamais Voltaire

ne se
Jacques
souligne
Diderot
que
fille
vous
qu'on dans
qui
[...]
permet
vous
lui-même
tombe
se»,
les
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126).
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La
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: «Diderot
là-haut
carnavales¬
Voltaire
jupe
Consolez-
d'une
dans
[...]
qui
43 .

NICHOLAS CRONK
Voltaire Foundation, Université d'Oxford

Questions
t.de
(D11889).
Welches
63A,
41.
1761Article
p.(Moland,
(D74-75)
sur
9960)
LANGUES
l'Encyclopédie
; ; t.Discours
La
25,Guerre
(Moland,
p. 237-38,
aux
(Moland,
Civile
t.Welches
251)
19,
de p.
; Genève,
t.et568).
18,
et réponse
la p.
leVoir
301-02)
«Supplément
Premier
aussi
de ;Voltaire
l'article
une
postscript
dulettre
Discours
àCUL
Panckoucke
Ȉ (Oxford,
d'Olivet
dans aux
les

42. « Prologue », La Guerre Civile de Genève, Voltaire (Oxford), t. 63A, p. 72 ;


voir aussi la préface «A Messieurs les Parisiens» de L'Écossaise, Voltaire

(Oxford),
tales
43.», P.French
101.
t. 50,Voir
Forum,
p. 351.
aussi 14
English
(1989),
Showalter,
p. 17-29« (p.
The28).
theme of language in Voltaire's

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