Vous êtes sur la page 1sur 2

LIR0414_098-101-ECRIVAINS BAC ok_Les_ecrivains_du_bac 07/03/13 13:54 Page98

Les écrivains DU BAC sous. Pour ce prix-là je ne peux vous donner


que la vérité…4 » .

> Sauvé par l’eau bénite


carmélites, publiée l’année de sa mort, un des
personnages, Blanche de la Force, remarque :
« Une fois sortis de l’enfance il faut longtemps
souffrir pour y rentrer, comme tout au long
BIBLIOGRAPHIE
Œuvres :
On trouve les œuvres de Bernanos, en collection
de la nuit on retrouve une autre aurore11. »
Georges
J
de poche, au Livre de poche et chez Gallimard.
ean-François, le père de Bernanos, était L’attachement bernanosien aux paysages Les éditions Castor Astral rééditent l’œuvre de

BERNANOS
un décorateur tapissier aisé et « doué de son enfance tenait avant tout à cette re- Bernanos avec d’intéressantes préfaces (ou
d’un goût artistique peu commun5 ». lation spirituelle à l’enfant qu’il avait été. postfaces) : Sous le soleil de Satan, Monsieur
Lecteur de Balzac et de Hugo, abonné à L’enfance, loin de tout infantilisme, était avant Ouine, Les Grands Cimetières sous la lune pa-
rus en 2008 ; L’Imposture, Nouvelle Histoire de
La Libre parole d’Edouard Drumont, il ap- tout le nom propre d’une dette et d’une tâche Mouchette, La France contre les robots, 2010.
partenait à la mouvance catholique de à accomplir : « Les saints et les héros sont des Œuvres romanesques, La Pléiade/Gallimard,
l’Action française. Georges était son troisième hommes qui ne sont pas sortis de l’enfance, 1988 ; Essais et Ecrits de combat, t. I,
Révélé à près de 40 ans par son premier roman, Sous le soleil de Satan (1926), enfant, le benjamin de la famille. Il ne connut mais qui l’ont peu à peu comme agrandie à La Pléiade/Gallimard, 1988 ; Essais et Ecrits
de combat, t. II, La PLéiade/Gallimard, 1995.
il mit sa célébrité au service d’engagements politiques courageux, cet ancien pas sa sœur aînée, morte en 1883, alors qu’elle la mesure de leur destin12. » Et si Bernanos
Le Combat pour la vérité. Correspondance iné-
n’avait pas trois ans. La légende familiale ra- prétendait écrire pour « se justifier auprès de
Camelot du Roi prenant position contre le franquisme et pour la France libre. conte que le petit Georges fut vers ses dix- l’enfant [qu’il fut]13 », c’était au sens de la pa-
dite (1904-1934) et Le Combat pour la liberté.
Correspondance inédite (1934-1948), Plon,
Son style et sa liberté de pensée font de « ce chrétien qui écrit » un homme à part. huit mois « atteint d’une infection si grave que role du Christ : « Si vous ne redevenez pas 1971. Lettres retrouvées. Correspondance iné-
le médecin prévoyant une issue finale cessa comme de petits enfants, vous n’entrerez pas

O
dite(1904-1948), Plon, 1983. Brésil, terre d'a-
tout traitement6 ». La mère, désespérée à la au royaume des cieux » (Mt, 18 3). mitié, choix de lettres et de textes consacrés au
n l’a cru « passé de mode », BIOGRAPHIE perspective de perdre un autre enfant, lui fit Brésil, présentés par S. Lapaque, La Petite
relégué au purgatoire des Vermilon/La Table ronde, 2009.
romanciers avec ses his- 1888. 20 février. Naissance de Louis- boire quelques cuillerées d’eau de Lourdes > Journaliste à Rouen Biographies et études :
qu’une voisine avait rapportée d’un pèleri-

S
Emile-Clément-Georges Bernanos à
toires de prêtres en sou- Paris 9e. 1906-1913 : Etudiant en droit nage. « Le lendemain, la fièvre baissait et trois a famille s’étant installée à Fressin, ce Max Milner, Georges Bernanos, Desclée de
tane et sa révolte suran- Brouwer, 1967 ; rééd. Librairie Séguier, 1989.
et en lettres. Engagements dans l’Action jours plus tard le médecin déclarait l’enfant fut là que Bernanos obtint son bacca- Louis Muron, Bernanos, Flammarion, 1996.
née de l’honneur chrétien. française. « Pour tout dire, j’aimais sauvé7. » L’événement « miraculeux » ren- lauréat. Sa jeunesse fut celle d’un fils de Gaëtan Picon, Bernanos. L’impatiente joie,
Intempestif, âpre, mal commode, ce con- le bruit. » 1917. 11 mai, épouse Jeanne força le climat de piété d’une famille dont la bourgeois aisé. Etudiant en droit en 1907, il Robert Marin, 1948 ; rééd. Hachette 1997.
tempteur du monde moderne fut d’abord un Talbert d'Arc à Vincennes. 1918. Eté. religiosité était exempte de servilité. Petit s’engagea pour la bonne cause en publiant Albert Béguin, Bernanos par lui-même, Seuil/
chrétien paradoxal, rompant, parce qu’il ne Engagé volontaire, il est blessé. Parisien, Georges fut trois ans élève au collège quelques contes historiques dans Le Panache Ecrivains de toujours, 1954.
se reniait pas sur l’essentiel, avec ses tendances Reçoit la croix de guerre. 1926. Mars. Guy Gaucher, Le Thème de la mort dans les
Publication de Sous le soleil de Satan. jésuite de Vaugirard où il fit sa première com- et en s’enrôlant, en 1908, dans les Camelots
premières, le monarchisme, l’Action française, romans de Bernanos, Minard, 1955.
1929. 5 décembre. Le prix Femina est munion. Il fut effrayé par l’atmosphère de du Roi. Meneur d’un groupuscule, il tâta Hans-Urs von Balthasar, Le chrétien Bernanos,
le franquisme, l’antisémitisme même. Ce thu- dressage qui régnait dans les établissements même de la prison, quinze jours à la Santé,
riféraire d’Edouard Drumont – l’auteur de attribué à La Joie. 1931. Février. Seuil, 1956.
Publication de La Grande Peur des bien- tenus par des jésuites. Il dénonça sa vie durant en mars 1909. Licencié en droit et ès lettres, Georges Bernanos, Cahiers de l'Herne, dirigé
La France juive – fut aussi celui de nos écri- pensants. 1933. Accident de moto. Il a le « bon élève docile » et son formateur de n’ayant, à vingt-cinq ans, toujours pas de par Dominique de Roux, L’Herne, 1967, rééd.
vains qui s’est le plus fermement engagé la jambe broyée. 1934. Octobre. Départ collège : « le singe, le plus singe des singes, le « situation », son père le mit en demeure de 1998.
contre l’esprit d’abandon que trahissaient la pour Palma de Majorque où il reste plus effronté des singes, le prêtre humaniste, gagner sa vie. Aussi prit-il, en 1913, sur la re- Joseph Jurt, Les Attitudes politiques de Georges
lâcheté à l’égard du charnier espagnol ou les jusqu’en mai 1937. 1935. Juillet. Bernanos jusqu'en 1931, Fribourg, Editions
ou plutôt l’humaniste prêtre, tout grouillant commandation de Léon Daudet, la direction, Universitaires, 1968.
accords de Munich qu’il condamna depuis Publication d’Un crime. 1936. Mars. de vers latins comme un cadavre d’asticots8 ». très modérément rémunérée, de L’Avant-
Publication de Journal d'un curé de Henri Guillemin, Regards sur Bernanos, Galli-
l’Amérique du Sud, où un rêve d’enfance et Aussi les modèles de prêtres bernanosiens Garde de Normandie, feuille de chou de la
campagne. Juillet. Grand Prix du roman mard, 1976 ; rééd. Utovie.h.g., 2012.
son sens de l’honneur l’avaient exilé avec sa furent-ils d’abord les petits curés de campagne succursale locale de L’Action française. Na- Philippe Le Touzé, Le Mystère du réel dans les
femme et ses six enfants. Bernanos fut ainsi, de l’Académie française. 1938. Mai.
que sa mère invitait dans la maison de famille tionaliste intégral, royaliste, ses têtes de Turcs romans de Bernanos, Nizet, 1979.
dans les années 1930 et 1940, la (mauvaise) Les Grands Cimetières sous la lune. Monique Gosselin, L’Ecriture du surnaturel dans
20 juillet. Départ pour l’Amérique du artésienne ou encore le saint curé d’Ars. étaient les Sarraut, les Marc Sangnier et un
conscience d’une France qui s’assoupissait, l’œuvre romanesque de Georges Bernanos,
Sud. 1940. Août. Il se fixe à Barbacena concurrent local, le philosophe Alain qui prê- Champion, 1979 ; Aux amateurs de livres, 1988.
celle-là même qui faillit devenir, sous Vichy,
« la France potagère1 ». Imprécateur halluciné,
(Brésil), d'où il collabore aux journaux > L’esprit d’enfance chait le radicalisme à La Dépêche de Rouen : Michel Estève, Bernanos. Un triple itinéraire,
brésiliens et aux organes de la France « Ce n’est pas ton idée que je méprise, c’est

L
Hachette, 1981 ; Minard, 1987.
Cassandre grattant là où ça démange, il fut libre. 1942. Mars. Lettre aux Anglais. ’enfance de Bernanos fut marquée par toi-même », clamait Bernanos assez niaise- Alan R. Clark, La France dans l'Histoire selon
un prophète lucide rêvant à une civilisation 1943. Septembre. Monsieur Ouine l’Artois. « J’ai passé les meilleurs jours ment au philosophe qui prônait la démocra- Bernanos, Minard, 1983.
française endiguant la « civilisation des ro- paraît à Rio. 1945. 29 juin. Retour en de mon enfance et de ma jeunesse tisation de l’armée. Rouen fut aussi l’occasion Jean-Loup Bernanos, Georges Bernanos à la
bots ». Comme l’abbé Donissan du Soleil de France. 1946 Mars. Refuse la Légion merci des passants, Plon, 1986.
d'honneur et l’Académie française. dans une vieille propriété de campagne [...] de rencontrer celle qui devint sa femme, Sébastien Lapaque, Georges Bernanos encore
Satan, il se voyait combattre pied à pied la lâ- au petit village de Fressin […], dans un pays Jeanne Talbert d’Arc, descendante prétendue
Août. La France contre les robots. une fois, Babel/Actes Sud, 2002.
cheté des hommes face au mal qui les ronge, de grands bois et de pâturages où j’ai plus ou d’un frère de la Pucelle d’Orléans et prési-
1948. 5 juillet. Mort à l’Hôpital Sébastien Lapaque, Sous le soleil de l'exil.
conscient que « la plus belle des ruses du dia- moins fait vivre depuis tous les personnages dente des femmes de l’Action française. Ce Georges Bernanos au Brésil 1938-1945,
américain de Neuilly-sur-Seine.
ble, c’est de vous persuader qu’il n’existe de mes romans9. » L’imaginaire de l’écrivain furent « les plus beaux mois, les mois les plus Grasset, 2002.
pas !2 » et que c’est l’indifférence des assis, des comme un littérateur mais comme un ami, un vre c’est moi-même, c’est ma maison ; je vous est nourri des paysages de son enfance. radieux de [sa] vie14 ». Marie Gil, Les Deux Ecritures. Etude sur Ber-
installés, « des gens de biens », qui cause les nanos, Cerf, 2008.
compagnon chaleureux dont on ne peut se parle la pipe à la bouche, ma veste encore fraî- Nostalgie terrienne, dans la ligne des Barrès Guy Gaucher, « Tout est grâce », Cerf, 2009.
plus grandes catastrophes. Alors, la mode… passer. Même lorsqu’il vitupère, on imagine che de la dernière averse, et mes bottes fu- ou des Maurras ? En fait, Bernanos, qui, sa > La vocation littéraire Timour Muhidine, Sous le soleil de Bernanos,
ALBERT HARLINGUE/ROGER-VIOLLET

volontiers son visage qui perce les âmes sur mant devant l’âtre3 ». Son objet est de dire la vie durant, ne cessa de déménager, souvent

M
Empreinte, 2010.
> Mon œuvre, c’est ma maison le point de s’éclairer d’un grand éclat de rire. vérité, pas l’abstraite, pas celle des philosophes parce qu’il tirait le diable par la queue, ne fut ais la guerre mit un terme à cette

C
Adaptations et documentaire :
et exalté qui semblait sortir d’un com- L’essayiste sans complaisance, le moraliste, ou des savants, mais celle des êtres concrets jamais adscriptus glebae. Son enracinement jeunesse somme toute heureuse. Opéra : Dialogues de carmélites, Francis Pou-
bat toujours recommencé contre ce féroce parfois, souvent drôle, fut en même et de leur fond secret, la vérité du cœur, celle était d’un autre ordre. « Rien ne fera de moi Bernanos, d’abord réformé, dut lenc, 1957 ; Films : Journal d’un curé de cam-
qui en chaque homme le rapetisse, fut temps un romancier considérable, un créateur, qui rend libre. « Entre vous et moi il n’y a vrai- un déraciné, je ne vivrais pas cinq minutes les batailler ferme pour s’engager. Mal à l’aise pagne, Robert Bresson, 1951 ; Dialogues des
avant d’être un écrivain un homme au regard charriant dans le monde des lettres la vie et ment rien que ce cahier de deux sous. On ne racines en l’air, je ne serai déraciné que de la dans l’armée, il y affermit son sentiment de carmélites, Philippe Agostini et Raymond Léopold
térébrant, s’adressant à ses lecteurs non Bruckberger, 1960 ; Mouchette, Robert Bresson,
son limon. Bref, Bernanos est un « mon œu- confie pas de mensonges à un cahier de deux vie10. » Dans sa dernière œuvre, Dialogues des révolte contre l’ordre établi : « J’ai fait la 1967; Sous le soleil de Satan, Maurice Pialat,
1987 ; Documentaire biographique : Bernanos,
98•LIRE AVRIL 2013 dans la série Un siècle d’écrivains, par Patrick
Zeyen, 1994.
LIR0414_098-101-ECRIVAINS BAC ok_Les_ecrivains_du_bac 07/03/13 13:54 Page100

Les écrivains DU BAC


guerre de 1914, engagé volontaire, comme sont en fait des êtres médiocres, étriqués, fan- s’intituler « La Démission de la France », et procédant d’une même conception > Revivre plutôt que
simple caporal, c’est-à-dire dans une familia- tomatiques, dont le néant se dissimule mal qu’il fila en un coruscant et profus essai po- étriquée, horizontale, matérialiste survivre
rité et une fraternité quotidiennes avec mes dans leur souci constant de sauver les appa- lémique, il fustigeait les catholiques ralliés à de la vie humaine, l’optimisme est

G
camarades ouvriers et paysans. Ils ont achevé rences et leur respectabilité. Le style est cru, la République, régime de compromissions condamné pour une raison analogue : eorges Bernanos ne voulait
de me dégoûter pour toujours de l’esprit bour- direct, dans la lignée du naturalisme. Sui- qui, à ses yeux, était en train de perdre la paix. « [il] m’est toujours apparu comme pas être considéré comme un
geois. Ce n’est pas la misère ou l’ignorance vent une première partie, « La tentation du La Grande Peur des bien-pensants, malgré l’alibi sournois des égoïstes, soucieux écrivain. C’est à cause de la
du peuple qui m’attire, c’est sa noblesse. désespoir », et une seconde partie, « Le saint quelques pages d’un antisémitisme pénible, de dissimuler leur chronique satisfac- déception de l’après-guerre et pour
L’élite ouvrière française est la seule aristo- de Lumbres », où est relatée l’histoire de témoigne de la plume combattante de Berna- tion d’eux-mêmes. Ils sont optimistes « surmonter l’écœurement26 » qu’il
cratie qui nous reste, la seule que la bourgeoi- l’abbé Donissan, un jeune « prêtre mal lé- nos. L’ennemi visé y est moins le Juif, symbole pour se dispenser d’avoir peur des entra en littérature comme on entre
sie du XIXe et du XXe siècle n’ait pas encore ché », qui, appelé à la sainteté, livre un combat maladroit du règne de Mammon, que la bour- hommes, de leur malheur21. » Cer- dans les ordres. Proclamations en
réussi à avilir15. » Rendu à la vie civile, flanqué contre les avances du diable dont l’un des geoisie catholique et la société matérialiste, tains ont pu avancer qu’il lui était Sous le soleil partie outrées, les romans comme les
de la croix de guerre après avoir failli être en- enjeux est de sauver in extremis l’âme de mécanisée, déshumanisée, sans héros ni saints, facile de dire au monde son fait de Satan
a été adapté écrits de combat – qu’on relise La Lettre
terré vif au fond d’un trou d’obus, il choisit la Mouchette. « Lancé » par un article de Léon que l’avènement du pouvoir de l’argent pré- sans en payer le prix. Bernanos, au cinéma aux Anglais ou les articles de presse rédi-
profession « décorative et illusoire16 » d’inspec- Daudet, l’ouvrage connut un immense succès pare. La plus belle des ruses de l’argent est qui avait alors cinquante ans, choi- par Maurice dieux de Donissan. Le curé d’Ambricourt gés pendant la guerre et rassemblés dans
teur des assurances. Mais, la vocation de l’écri- qui donna à Bernanos l’illusion qu’il pouvait de faire croire qu’il n’y a que lui qui existe. sit de rester en Espagne. Il y fut Pialat
en 1987.
craint surtout de manquer à sa mission, Le Chemin de la Croix-des-Ames ou dans
ture avait fait son chemin en lui : « Le métier vivre de sa plume. victime de deux attentats des ser- de ne pas être à la hauteur, ses tentatives son journal de guerre, Les Enfants humiliés,
littéraire, écrit-il sans fard à Dom Besse, > Le désespoir surmonté vices de Franco et sa tête fut mise à prix ! Au pour redonner vie à sa pauvre paroisse sem- et l’on voit à l’œuvre, non pas un homme
moine bénédictin qui fut l’un de ses maîtres, fond, ce que Bernanos reprochait aux élites blent toutes échouer. En fait « il aura servi le écœuré, mais un homme engagé dans un

M
ne me tente pas, il m’est imposé. C’est le seul anquant d’argent, Bernanos, qu’un de son temps, c’est de fuir la réalité du Mal. bon Dieu dans la mesure même où il croira combat pour la liberté des hommes mené au
moyen qui m’est donné de m’exprimer, c’est- accident de moto – une de ses rares S’il y a une mystique chrétienne chez Berna- l’avoir desservi. Sa naïveté aura raison de tout,
à-dire de vivre. Pour tous une émancipation, passions « modernes » – avait han- nos, il faut la chercher là, dans la conscience et il mourra tranquillement d’un cancer23 ». « L’ENFER PSYCHOLOGIQUE
une délivrance de l’homme intérieur, mais ici dicapé, déménagea en province, puis en troublée de ceux qui ont compris ou plutôt Le roman culmine dans la scène où le pauvre DÉCRIT DANS
quelque chose de plus : la condition de ma vie Espagne, à Majorque, dans l’illusion qu’il qui ont éprouvé dans leur chair que le vrai petit curé d’Ambricourt convertit, un jour MONSIEUR OUINE A POUR
morale. […] En enterrant ma vocation, on pourrait y faire vivre sa famille à moindres combat est spirituel. Les autres, les malheu- avant sa mort, la comtesse désespérée depuis CONTREPOINT
m’enterre avec elle, et les idées dont je vis : je frais. Sympathisant au début avec le régime reux, ceux qui se sont donnés au monde réduit la perte de son enfant : « L’enfer, Madame, L’ENFER SPIRITUEL QUI MENACE
ne suis plus qu’un automate dans le monde17. » franquiste dont l’idéologie chrétienne avait aux acquêts de l’argent et du plaisir finiront c’est de ne plus aimer24 », sorte de réponse LES HOMMES DU MONDE
pu le séduire – son fils aîné étant même, un dans une détresse imbécile et grise, visqueuse. par anticipation à la trop fameuse formule MODERNE »
> Sous le soleil de Satan temps, membre de la Phalange – Bernanos sartrienne.
comprit vite qu’il ne pouvait garder le silence > « L’enfer, c’est de ne plus nom d’une vérité qui ne lui appartient pas

V > La haine des machines


oilà Bernanos au début des années devant le spectacle qui s’offrait à lui. en propre. Loin d’être un has been, Bernanos
1920, sillonnant la France de l’Est au Georges Ce furent Les Grands Cimetières sous
aimer » est plutôt un exemple difficile à suivre,

B L
profit de la compagnie Nationale, Bernanos la lune où il analysa la guerre d’Espa- ernanos ne publia pas de roman entre ’enfer, Bernanos en avait tracé les comme ces saints chrétiens dont il aurait
avec
pour nourrir une famille qui allait s’étoffant, son père, gne comme le symptôme d’un certain La Joie (1929) et Un crime (1935), in- contours dans un roman commencé aimé lui-même être digne : « Qu’importe,
écrivant dans les gares ou dans les comparti- en 1904. état de pourrissement du monde. cursion dans un « genre » littéraire ré- en décembre 1930, Monsieur Ouine, d’ailleurs, que mon œuvre survive ? La grâce
ments de chemin de fer, toujours en présence Dans ce livre paradoxal, Bernanos se puté mineur. Ce n’était pas le fait du hasard. achevé en mai 1940 et publié en 1943, au que j’attends, c’est qu’elle revive, fût-ce en
d’autrui. Ces passants, dont le regard inconnu défaisait sans retour des oripeaux du conser- Tous les romans de Bernanos comportent des Brésil où il s’était découvert une seconde pa- un autre siècle, un autre temps, une autre
le rassérène, l’encourage, le sortent du tête- vatisme auquel sa fidélité à la tradition l’atta- crimes, et peuvent se lire comme autant de trie. Une étonnante technique lacunaire lui terre, et qui ne saura rien de moi, pas même
à-tête avec ses personnages qui, comme ceux chait. Le ton est véhément, bien que le ro- romans policiers, à ceci près que, comme dans permet de jouer, dans Monsieur Ouine, des mon nom. Il y a mille fois plus d’honneur
mancier affleure sous le prédicateur de le Crime et Châtiment de Dostoïevski, l’anec- différents registres romanesques et de prendre à revivre qu’à survivre27. » L’homme suc-
« ENCORE PROCHE D’UNE ACTION FRANÇAISE CONDAMNÉE vérités : « J’ai commencé ce livre par un doux dote policière est le prétexte à une plongée des libertés avec les vraisemblances, souli- comba, en juillet 1948, d’un cancer, ayant re-
PAR L’ÉGLISE, BERNANOS SE hiver palmesan, tout plein du suc des aman- au cœur des âmes déchirées, non pour s’y re- gnant ainsi le caractère de parabole du roman. fusé les distinctions et les honneurs que le
LANÇA DANS LA BATAILLE EN FUSTIGEANT LES CATHOLIQUES diers en fleur, juteux comme un fruit d’au- paître de leur noirceur, mais pour montrer Bernanos s’y attaquait une fois encore aux de Gaulle de la Libération lui avait proposés.
RALLIÉS À LA RÉPUBLIQUE » tomne18. » Livre noir, désespéré, en un sens, comment la grâce rédemptrice fait ou non la- formes concrètes que prend le mal dans le Jean Montenot
son élan trahit cependant l’énergie d’une borieusement son chemin. Un crime, rédigé monde.
de Dostoïevski, sont si présents qu’ils risquent parole libératrice : « La plus haute forme de alors que Bernanos vivait, comme il a presque L’enfer psychologique décrit dans Mon-
à tout moment de se jouer de leur créateur,
> En quête de justes combats l’espérance, c’est le désespoir surmonté19. » toujours vécu sa vie de père de famille, dans sieur Ouine a pour contrepoint l’enfer spirituel 1. Essais et Ecrits de combat, t. II, La Pléiade, p. 253. 2. « Le

E
joueur généreux », Le Spleen de Paris, L’Intégrale, Seuil, p. 169.
de devenir autre chose que ce qu’ils doivent crits dans la foulée de ce succès initial, Etant entendu que l’espérance est ici une une précarité fleuretant avec la misère, est qui menace les hommes du monde moderne 3. Lettre aux Anglais, Gallimard, p. 20, E.E.C., t. II, p. 16. 4.
être : des moyens de toucher le lecteur. Il qui fut à la fois une grâce et une malé- force : « Quand on va jusqu’au bout de la nuit, plutôt un roman « mercenaire22 ». C’est en dominé par la technique des machines. Ibidem. 5. Jean-Loup Bernanos, Georges Bernanos à la merci
des passants, Plon, 1986, p. 20. 6. Idem, p. 21. 7. Idem, p. 21.
achevait son premier roman, une étrange diction, L’Imposture et La Joie, qui, on rencontre une autre aurore. […] l’espé- Espagne aussi que Bernanos rédigea ses deux Bernanos devait le décrire de manière vision- 8. Les Enfants humiliés, « Journal de guerre posthume », E.E.C.
construction, Sous le soleil de Satan. Un pro- à l’origine, ne devaient faire qu’un livre, ont rance est une vertu, virtus, une détermination derniers romans, Journal d’un curé de cam- naire dans La France contre les robots (1944), t. I, p. 165. 9. « Autobiographie », La Nef, août 1948, p. 3, cité
par M. Milner, p. 11. 10. Les Enfants humiliés, E.E.C., t. I, p. 788.
logue intitulé « Histoire de Mouchette » narre pour point de départ l’idée de décrire un prê- héroïque de l’âme20. » pagne (1936) et Nouvelle Histoire de Mou- et l’avait déjà dénoncé dans La Grande Peur : 11. Dialogues des carmélites, II, 1, Œuvres romanesques,
les malheurs d’une adolescente, Germaine tre célèbre qui a perdu la foi. Cénabre est en chette (1937), un roman sans soutanes. Le pre- « L’activité bestiale dont l’Amérique nous La Pléiade, p. 1586. 12. L’Intransigeant, 25 décembre 1947,
Malhorty – « Mouchette » – dont la vie, ani- quelque sorte le contraire de l’abbé Donissan > Ni réaliste ni optimiste mier, couronné par le Grand Prix du roman fournit le modèle, et qui tend déjà si grossiè- repris dans Français, si vous saviez, Gallimard, p. 270, E.E.C.,
COLLECTION PARTICULIÈRE - RUE DES ARCHIVES

t. II, p. 1203. 13. Les Enfants humiliés, E.E.C., t. I, p. 870. 14.


mée par la recherche d’un amour véritable, – il descend sa pente – et la « sainte » qui sauve de l’Académie française, se présente sous la rement à uniformiser les mœurs, aura pour

O
Le Figaro, 17 novembre 1932. 15. Autobiographique, E.E.C.,
est viciée par la concupiscence et la lâcheté l’âme du prêtre en perdition est une jeune n aura compris que Bernanos était forme d’un journal où le curé d’Ambricourt, conséquence dernière de tenir chaque géné- t. II, p. 968. 16. A Dom Besse, 1919, Correspondance, I, p. 162.
17. Ibidem. 18. Les Grands Cimetières sous la lune, E.E.C.,
des hommes : son père, meunier devenu bras- fille, Chantal. Paru en novembre 1927, L’Im- tout sauf un utopiste rêveur. « Rêver, prêtre aux origines modestes marqué par une ration en haleine au point de rendre impos- t. I, p. 525. 19. La liberté, pour quoi faire ?, p. 15, repris dans
seur, qui ne comprend pas sa révolte, et posture ne connut qu’un médiocre succès. c’est se mentir à soi-même », fait-il hérédité alcoolique, consigne les événements sible toute espèce de tradition. N’importe quel E.E.C., t. I, p. 1262. 20. Idem, p. 1263. 21. Les Grands
les deux « seigneurs » du village de Cam- Encore proche d’une Action française con- dire à l’héroïne d’Un crime. Mais ce n’est de sa vie quotidienne et ses réflexions de voyou, entre ses dynamos et ses piles, coiffé Cimetières sous la lune, E.E.C., t. I, p. 371. 22. Henri Guillemin,
Regards sur Bernanos, Gallimard, p. 209. 23. A Robert Vallery-
pagne, l’officier de santé Gallet, libidineux, damnée par l’Eglise, Bernanos, avide d’action pas non plus un « réaliste » tant il est vrai prêtre. Comme l’abbé Donissan du Soleil de du casque écouteur, prétendra faussement Radot, le 6 janvier 1935. 24. Journal d’un curé de campagne,
sournois, libre penseur, et le marquis de et de fraternité, ressentit la nécessité de se lan- qu’à ses yeux le réalisme est un leurre, pire, Satan, il a le pouvoir surnaturel de lire dans être à lui-même son propre passé, et nos Œuvres romanesques, La Pléiade, p. 1157. 25. La Grande
Peur des bien-pensants, 1930, p. 50, E.E.C., t. I, p. 73-74. 26.
Cadignan, un passionné de chasse, excellant cer dans la bataille. Dans une biographie de une faute, « la bonne conscience des sa- les âmes, sans la conscience d’être appelé à la arrière-petits-fils risquent d’y perdre jusqu’à Correspondance II, p. 751. 27. Les Enfants humiliés, E.E.C.,
surtout dans la traque du gibier féminin. Tous son « maître », Edouard Drumont, qui devait lauds ». Indissociable du réalisme, parce que sainteté, ni le côté masochiste parfois fasti- leurs aïeux25. » t. I, p. 902.

100•LIRE AVRIL 2013 LIRE AVRIL 2013•101

Vous aimerez peut-être aussi