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I-L ’éducation chez les philosophes de l’Antiquité grecque

1- Le modèle platonicien de l’éducation

Deux ouvrages majeurs vont nous aider à comprendre la conception


platonicienne de l’éducation : La République et Les Lois.

Dans Les Lois, son dernier ouvrage, Platon développe une théorie de
l’éducation fondée sur trois principes : des écoles d’Etat, un enseignement
obligatoire, et l’égalité entre l’éducation des garçons et des filles. Formé par
Socrate, maitre de la dialectique et de l’éducation par le questionnement (la
maïeutique ou l’art d’accoucher les esprits), Platon, qui rêvait d’exercer une
influence politique va devoir y renoncer après son échec auprès de Denys
l’Ancien, tyran de Syracuse. Il va alors se consacrer à l’écriture et à l’école qu’il
a fondé à Athènes, l’Académie. Les Lois se présentent comme un dialogue
entre trois vieillards : l’Etranger d’Athènes, Clinias le Crétois et Mégillos de
Lacédémone. Dans ce dialogue, c’est l’Etranger d’Athènes qui exprime, le plus
souvent, les idées de Platon. Il considère que les enfants sont la propriété de
l’Etat. Il dit à ce propos : « On ne laissera pas le père libre d’envoyer ses
enfants à l’école ou de négliger leur éducation, si cela lui plait. Il faut,
comme on dit, que tous, hommes et enfants, y soient astreints dans la
mesure du possible, vu que les enfants appartiennent à l’Etat plutôt qu’à
leurs parents » (Platon, Les Lois, VII,804c). C’est ce qui explique la dévolution
de leur formation à des maitres choisis et rémunérés par la cité. Ceux-ci sont
des étrangers(métèques), car les citoyens ne peuvent toucher de
rémunération. Des « pédagogues », c’est-à-dire des esclaves qui mènent les
enfants à l’école, seront chargés de la surveillance.

Les Lois exposent l’ensemble des matières enseignées : l’écriture, la musique,


la danse, la gymnastique, l’arithmétique, la géométrie et l’astronomie. Un
modèle conforme au programme du système athénien à l’époque de Platon.
Mais l’ouvrage distingue les écoles, où se fera l’éducation intellectuelle et
musicale, des gymnases, destinés à l’éducation athlétique, mais dont le rôle
va évoluer à partir du IVe siècle, puisqu’ils accueillent alors aussi un
enseignement « secondaire » et « supérieur », de nature intellectuelle. Mais
là où Platon innove le plus, c’est dans sa volonté d’offrir un enseignement
identique aux filles et aux garçons. Dans la Grèce d’alors, seules les filles
spartiates ont accès à l’entrainement gymnique. A Athènes, leur éducation
est dispensée dans « l’oikos » (la maisonnée) et certains temples. Pour Platon,
l’accès égal à l’enseignement est une question de justice sociale et d’équité,
un impératif politique, donc économique. Il défend dans Les Lois : « je
soutiendrai toujours qu’il faut que les femmes prennent part, autant qu’il
est possible, à l’éducation et aux autres activités de l’homme. Si les femmes
ne partagent pas entièrement la vie des hommes, n’est-il pas nécessaire que
leur vie soit ordonnée autrement ? » (Platon, Les Lois, VII,805e).

Le programme présenté par Les Lois pour l’éducation des filles se poursuit par
une description de la vie en commun entre hommes et femmes dans la cité
idéale. Cet ouvrage a notamment contribué à présenter Platon comme l’un
des précurseurs du féminisme. La question reste cependant très discutée
même si certains commentateurs considèrent que Platon ne se préoccupait
pas des droits des femmes au sens du féminisme moderne.

Dans La République, Platon considère que l’Etat ne peut remplir sa mission


qui consiste à assurer le plus grand bien aux citoyens que lorsqu’il éduque à
la vertu. A en croire Platon, l’éducation vise le devenir meilleur de l’homme
en le libérant de la prison des désirs malsains et de l’ignorance. C’est
pourquoi, éduquer chez Platon, c’est accéder à une vision supérieure, c’est
purifier son âme, la convertir et l’orienter vers la bonne direction, vers les
idées pures, vers les vérités éternelles. L’éducation de l’élite doit viser à ce
que la classe dirigeante atteigne la raison et accède effectivement à la
connaissance. Pour éviter que les gouvernants succombent dans les
tentations et les déviances, ils doivent être formés de manière à surmonter
les passions et de peur que la Cité tout entière ne sombre dans le chaos.
Auguste Dies, écrit que « le but immédiat de l’éducation chez Platon était la
réforme des esprits par la purification intellectuelle, la recherche
scientifique et l’ascension progressive vers la vérité totale. » (Platon, Paris,
Ed. Flammarion, 1930, page 177). L’éducation que Platon propose pour l’élite,
est une éducation qui conduit à l’acquisition des vertus et vise un certain
accomplissement de l’homme en tant que tel. En d’autres termes, Platon vise
une éducation qui aidera les futurs dirigeants à être maitre de soi, et à pouvoir
vaincre les plaisirs malsains. Bref, elle vise à former les dirigeants afin que la
Cité soit bien gouvernée.
Deux éléments distincts mais complémentaires déterminent la formation du
citoyen dans la Cité : la nature et l’éducation. La nature, ce sont les forces et
tendances qui existent en l’homme depuis sa composition biologique.
L’éducation, ce sont les influences que l’homme reçoit de son milieu social en
particulier, soit sous l’effet d’une culture ou instruction, soit sans culture et
pour ainsi dire au hasard. Selon Platon, ces deux facteurs formateurs doivent
coexister convenablement et harmonieusement pour être à même de
façonner l’homme dans la vertu. Car la nature seule, ou l’éducation seule, ou
même les deux ensembles mais sans harmonie, seraient tout aussi vaines,
sinon nuisibles, pour la formation morale des gardiens de la Cité. On ne
s’étonnera donc pas que la nature joue un rôle déterminant dans l’éducation.
Car la capacité d’un homme à faire de grandes choses en dépend, ce qui
s’exprime, chez Platon avec emphase et négativement : « mais jamais
l’homme d’un naturel médiocre n’a de grands effets sur personne, ni sur un
particulier, ni sur une Cité » (La République, Livre VI,495b). On comprend
aisément que nul homme ne pourra être éduqué à la philosophie « s’il n’est
pas naturellement doué de mémoire, de facilité à apprendre, de grandeur
d’âme, de grâce, et s’il n’est ami et allié de la vérité, de la justice, de la
bravoure, de la tempérance » (La République, Livre VI, 487a). Ainsi la
reconnaissance de l’apport décisif de la nature de l’homme, en ce qui
concerne la formation de sa personnalité et son éducation, a pour
conséquence que la solution du problème politique, dans lequel s’inscrit la
question éducative, est nécessairement liée à la nature de l’homme : « la
nature a fait les uns pour s’attacher à la philosophie et commander et les
autres pour s’abstenir de philosopher et obéir à celui qui gouverne » (La
République, Livre V, 474c). Donc, rien de plus naturel, de plus raisonnable,
que de confier le pouvoir ou les affaires de l’Etat aux philosophes, esprits
éclairés, capables de logique et de délibération. Si donc Platon prône une
éducation par le truchement d’une sélection des meilleurs en tenant compte
de leur nature, nous pouvons de la sorte penser qu’une telle réforme
devienne une nécessité au point de vue que Platon dans La République estime
que les philosophes doivent être rois ou que ceux-ci deviennent à leur tour
des philosophes. Dans cette quête de qui doit gouverner la Cité, Platon nous
invite à une réflexion sur l’importance et la nécessité d’éduquer l’élite.
D’ailleurs, la situation actuelle de l’humanité dans la perspective de
l’évolution des Cités ne cesse de nous faire assister aux différents désordres
qui secouent les Cités dépourvues d’une élite bien formée, visionnaire et
responsable.

2- Aristote : pour une éducation du corps et de l’esprit

Elève de Platon à l’Académie, puis précepteur et conseiller d’Alexandre le


Grand, Aristote fonde en 335 avant Jésus-Christ, à Athènes, sa propre école
philosophique, le Lycée. Aristote prône pour les hommes une éducation
diversifiée qui ne doit pas être limitée aux seuls exercices du gymnase et à
l’apprentissage de la guerre, comme le faisait alors Sparte, la grande rivale
d’Athènes. Pour Aristote, l’éducation doit inclure l’étude de la lecture et de
l’écriture, qui était alors une des bases de l’enseignement des maitres privés
au pied de l’Acropole. Le Livre VII de La Politique envisage ainsi les quatre
matières de l’enseignement idéal : la grammaire (lire et écrire), la
gymnastique, la musique (jouer d’un instrument) et le dessin. Pour celui que
l’on surnomme le Stagirite, parce qu’il est originaire de la petite cité de
Stagire, dans le nord de la Grèce, comme pour Platon dans Les Lois,
l’éducation doit être à la charge de la cité toute entière.
Dans Le Livre VIII de La Politique, Aristote insiste sur les excès des exercices
physiques particulièrement l’athlétisme et la gymnastique. Il présente dans
cet extrait la gymnastique « supérieure », qui doit être distinguée de la
gymnastique « préparatoire » destinée à l’enfant et dispensée par un maitre
spécialisé, le pédotribe. La gymnastique doit être exercée différemment
avant et après la puberté, car elle est associée à des préconisations
hygiéniques et diététiques. Avant la puberté (14 à 16ans pour les grecs), les
exercices doivent être faciles et le régime alimentaire libre. Après cet âge, les
exercices doivent être plus exigeants l’alimentation contrôlée en qualité et
en quantité. Aristote écrit : « Ainsi donc, sur la nécessité de faire une place à
la gymnastique dans l’éducation, et sur la façon dont on doit en user,
l’accord est complet car jusqu’à la puberté, on appliquera l’enfant à des
exercices plus légers, en excluant tout régime alimentaire forcé ainsi que les
travaux contraignants, de façon à n’apporter aucun obstacle à sa croissance
» (La Politique, Livre VIII, traduction Jean Tricot, Paris, Ed. Flammarion, 1994.).
Aristote place les études littéraires et musicales des jeunes gens quand la
croissance du corps n’est plus un obstacle à la vie de l’esprit. Pour le bien-être
de l’homme, l’éducation doit viser à trouver une harmonie, un juste milieu
entre les occupations du corps et de l’esprit. Il écrit à ce propos : « L’esprit et
le corps, en effet, ne doivent pas peiner simultanément, car ces deux sortes
de figure produisent naturellement des résultats opposés, le travail du corps
étant un obstacle pour l’esprit, et le travail de l’esprit pour le corps. » (La
politique, Livre VIII, traduction Jean Tricot, Paris, Ed. Flammarion, 1994.).
L’éducation du corps et de l’esprit doit se faire avec méthode suivant un
programme bien défini. Ainsi il s’insurge contre les excès de l’éducation du
corps, c’est-à-dire athlétique en vigueur à Sparte. Cette éducation est l’objet
d’un débat à Athènes. En effet, pour Aristote, Sparte forme des « brutes » et
non des hommes vertueux et courageux. Il sollicite ainsi des exemples de
peuples barbares du littoral de la mer Noire pour montrer que la sauvagerie
associée au cannibalisme ne va pas de pair avec le courage. Il précise sa
pensée : « De notre temps, assurément, parmi ces Etats qui passent pour
apporter le plus de vigilance à l’éducation des enfants, les uns leur font
acquérir un tempérament d’athlète, au plus grand détriment des formes et
de la croissance des corps ; les autres, les Spartiates, n’ont pas commis cette
erreur, mais ils aboutissent à faire des brutes par leurs exercices pénibles,
dans la pensée que c’est le moyen le plus indiqué de leur donner du courage.
» (La Politique, Livre VIII, traduction Jean Tricot, Paris, Ed. Flammarion, 1994)

3- Saint Augustin : Le Maitre intérieur

Saint augustin a vécu à une époque de grands bouleversements, celle de


l’Antiquité tardive. Il est l’homme du passage de la culture antique, dont il est
un héritier, à la culture chrétienne médiévale, dont il construit en Occident
les fondements. Considéré en Occident comme le plus grand Père de l’Eglise,
son influence sur l’éducation est très importante. En effets, il conçoit non
seulement une pédagogie originale, celle du « maitre intérieur » présentée
dans son ouvrage De magistro, mais élabore aussi un programme d’étude de
la philosophie et de ce qu’on appelle dans l’Antiquité les arts libéraux, un
programme de culture chrétienne centré sur l’interprétation de la Bible.
Un homme peut-il enseigner à un autre homme et être appelé maitre ? C’est
à cette question qu’est consacré son De magistro. Dans ce dialogue
philosophique entre Augustin et son jeune fils Adéodat, il est montré qu’il n’y
a qu’un seul maitre, le Christ, qui habite dans l’âme humaine. Le Maitre
commence par une subtile discussion sur le langage. Augustin établit d’abord
que rien ne peut être enseigné sans les signes, comme il le démontre en
prenant l’exemple d’un mot inconnu « sarabares » et en l’isolant de son
contexte. Confronté à ce paradoxe, Adéodat comprend alors la vérité de l’idée
du Maitre intérieur : nous ne connaissons pas les choses par les mots, mais en
les voyant de nos propres yeux ; de même nous ne connaissons pas les vérités
en écoutant les paroles des maitres, mais en les comprenant par notre
intelligence éclairée par le Maitre intérieur.

Il ne suffit pas que le maitre enseigne pour que l’élève apprenne : encore fautil
que celui-ci sache que ce qui lui est enseigné est vrai. D’où sait-il que c’est vrai
? Pour répondre à cette question, Augustin distingue deux moments dans
l’enseignement, celui de la parole magistrale proférée à l’extérieur et celui de
la connaissance acquise par l’élève à l’intérieur de lui-même. Dans le premier
moment, le maitre fait autorité et le disciple croit en la parole qu’il entend : il
croit, mais il n’apprend pas encore car il ne sait pas encore que c’est vrai. Dans
le second moment, le disciple entre en lui-même et, se mettant à l’écoute du
Maitre intérieur, à la fois Christ intérieur et lumière de la vérité éternelle et
immuable, il examine si la parole du maitre est vraie ou fausse. C’est alors
qu’il apprend et sait à proprement parler.
Dans cette pédagogie, le maitre est un moniteur et un médiateur plutôt qu’un
maitre : il incite l’élève à faire retour sur lui-même pour devenir son propre
maitre en retrouvant en lui le Maitre intérieur. A la fin du Moyen Age, Saint
Thomas d’Aquin va discuter la thèse augustinienne dans un autre De
magistro. Pour lui aussi il y a dans l’âme humaine une lumière sans laquelle
l’enseignement est impossible, mais cette lumière est celle de la raison. Au
XVIIe siècle, Malebranche, philosophe cartésien et prêtre de la Congrégation
de l’Oratoire reprend l’idée du Maitre intérieur, qui va inspirer la pédagogie
de cet ordre enseignant.

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