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LA PHILOSOPHIE POLITIQUE (1)

Pouvons-nous arriver à être une personne sans l’aide de la société ? Une société qui ne respecte
pas les personnes individuelles, qui en f ont partie, peut-elle survivre et évoluer ? Est-il nécessaire
que certaines personnes exercent un pouvoir sur d’autres pour qu’on puisse vivre en société ?
Comment peut-on distinguer un pouvoir politique légitime d’une domination illégitime ? La
réf lexion sur ces sujets nous conduit à nous poser des questions sur l’origine et le fondement de
la vie sociale et sur cette institution particulière que l’on appelle l’Etat.

Mais l’État n’est pas la seule forme d’organisation politique qui existe, elle en est plutôt la forme
la plus moderne. Dans l’histoire de l’humanité nous retrouvons plusieurs organisations qui ont eu
lieu et ont perduré pendant longtemps : des organisations tribales, petites communautés
structurées à partir de liens f amiliaux et avec une économie de subsistance ; des structures
féodales, autour de seigneurs f éodaux, chefs militaires et politiques chargés d’établir l’ordre
politique et la protection militaire ; l’empire, qui a été la f orme la plus commune de grande
organisation de pouvoir politique, qui regroupait souvent plusieurs nations ou groupes ethniques
et religieux différenciés, avec une économie assurée pas des esclaves ou des vastes colonies ;
f inalement, l’État moderne qui à partir du XIX s. se transforme pour se constituer en État-nation.

Pour justifier les hiérarchies et la légitimité de l’ordre social à l’intérieur de ces structures, la
philosophie politique réfléchit au long de l’histoire pour déterminer quelles sont les meilleures
manières de s’organiser, de gouverner ; quelles sont les limites du pouvoir, l’origine de la loi, le
rapport des besoins individuels et des besoins collectifs.

Nous allons faire un bref parcours pour essayer de réfléchir autour des questions essentielles qui
traversent la pensée politique :

1- Le monde classique : le sens de la démocratie athénienne ; l’utopie de Platon dans


la République ou la cité idéale, et l’art de gouverner la cité d’Aristote.

2- Le réalisme politique de Machiavel ou l’idée moderne du pouvoir.

3- Les théories contractuelles de l’État, Locke, Hobbes et Rousseau. La naissance de


la démocratie représentative.

4- Le capitalisme : le libéralisme classique et la naissance du socialisme.

5- Le marxisme

6- Le XXe siècle : des totalitarismes à la mondialisation.

1- LE MONDE CLASSIQUE

1.1 La démocratie athénienne

Périclès f ut un gouverneur et militaire athénien (495-429 av JC). Il f ut le chef du parti


démocratique et domina la vie politique d’Athènes pendant plus de 30 ans. Il fut réélu quinze fois
stratège entre 443 et 429 av. J.-C. Il remporta de nombreuses victoires, militaires comme
diplomatiques et assura ainsi l’hégémonie d’Athènes sur le monde grec. Il chercha également à
réf ormer la démocratie athénienne et mena une politique dirigée vers les plus pauvres,
entreprenant notamment de grands travaux sur l’Acropole pour donner du travail à tous. Sa
dernière action politique est de pousser les Athéniens à se lancer dans une guerre contre la cité
de Sparte : c’est le début de la guerre du Péloponnèse (431-404 av. J.-C.) qui se termine par la
victoire de Sparte.

Il était également un grand orateur, et l’historien Thucydide nous présente l’un de ses discours
les plus connus, « l’Oraison f unèbre ». On y retrouve les traits principaux de la démocratie
athénienne : l’orgueil et la f ierté d’être athénien, le sentiment d’appartenir à une organisation
modèle, la cohésion politique ; la prééminence du tout sur la partie, c’est-à-dire de l’intérêt
commun ; l’isonomie ou l’égalité devant la loi, ce qui ne veut pas dire l’égalité de naissance ou
naturelle ; l’importance de la participation et des devoirs envers la cité ; l’importance des valeurs
éthiques, qui sont identifiés à la cité et intériorisés par ses membres dans le respect des uns et
des autres ; le mépris envers les personnes qui, pouvant participer aux questions politiques, n’y
participent pas.

"Notre constitution politique n'a rien à envier aux lois qui régissent nos voisins ; loin
d'imiter les autres, nous donnons l'exemple à suivre. Du fait que l'État, chez nous,
est administré dans l'intérêt de la masse et non d'une minorité, notre régime a pris
le nom de démocratie. En ce qui concerne les différends particuliers, l'égalité est
assurée à tous par les lois ; mais en ce qui concerne la participation à la vie publique,
chacun obtient la considération en raison de son mérite, et la classe à laquel le il
appartient importe moins que sa valeur personnelle ; enfin nul n'est gêné par la pauvreté
et par l'obscurité de sa condition sociale, s'il peut rendre des services à la cité. La liberté
est notre règle dans le gouvernement de la république et dans nos relations quotidiennes
la suspicion n'a aucune place ; nous ne nous irritons pas contre le voisin, s'il agit à sa
tête ; enfin nous n'usons pas de ces humiliations qui, pour n'entraîner aucune perte
matérielle, n'en sont pas moins douloureuses par le spectacle qu'elles donnent. La
contrainte n'intervient pas dans nos relations particulières ; une crainte salutaire nous
retient de transgresser les lois de la république ; nous obéissons toujours aux
magistrats et aux lois et, parmi celles-ci, surtout à celles qui assurent la défense
des opprimés et qui, tout en n'étant pas codifiées, impriment à celui qui les viole
un mépris universel. (…)

En outre pour dissiper tant de fatigues, nous avons ménagé à l'âme des délassements
fort nombreux ; nous avons institué des jeux et des fêtes qui se succèdent d'un bout de
l'année à l'autre, de merveilleux divertissements particuliers dont l'agrément journalier
bannit la tristesse. L'importance de la cité y fait affluer toutes les ressources de la terre
et nous jouissons aussi bien des productions de l'univers que de celles de notre pays.
(…)

Nous savons concilier le goût du beau avec la simplicité et le goût des études avec
l'énergie. Nous usons de la richesse pour l’action et non pour une vaine parade en
paroles. Chez nous, il n'est pas honteux d'avouer sa pauvreté ; il l'est bien davantage de
ne pas chercher à l'éviter. Les mêmes hommes peuvent s'adonner à leurs affaires
particulières et à celles de l'Etat ; les simples artisans peuvent entendre suffisamment les
questions de politique. Seuls nous considérons l'homme qui n 'y participe pas
comme un idiot et non comme un oisif.

ORAISON FUNEBRE DE PERICLES, Thucydide.

Cette conception sera durement critiquée par Platon, qui, dans sa conception de l’état, s’oppose
à la démocratie.
1.2 La République ou la cité idéale de Platon

Rappelons que c’est un tribunal démocratique qui a condamné Socrate, l’homme le plus sage
d’Athènes, ce qui laissera une forte empreinte dans Platon et son rapport au pouvoir. Platon, qui
par sa naissance était voué à devenir politicien, décidera de se consacrer à la philosophie. Pour
lui, le système démocratique est loin d’être le meilleur : il considère que nous ne pouvons pas
laisser le commandement de la cité à des f oules ignorantes . Selon lui les meilleurs doivent
gouverner. Mais qui sont ces meilleurs ? Et surtout, comment arrive-t-on à les reconnaitre ? Dans
ce but il conçoit une République idéale dont l’objectif ultime est la justice, la justice étant comprise
comme l’harmonie des parties ; cette république aura son f ondement dans l’éducation des
citoyens. Ceux-ci seront pris en charge pour être formés, dès leur naissance, par l’État.

Chez Platon, l’homme est divisé en trois parties : l’une est composée des désirs, c’est la partie la
plus animale, la plus domestique de l’homme, la seconde est le courage, le cœur, la recherche
de l’action noble, et la dernière est la tête, siège du savoir et de l’intelligence. Pour Platon, si tous
les hommes sont de cette façon tripartite, il existe des inégalités dans la répartition de ces attributs
: certains sont dominés par la recherche de la gloire, d’autres part leurs talents domestiques et
d’autres enf in par leurs capacités à raisonner justement : la différence est inhérente à
l’humanité, nous ne sommes pas tous pareils ni n’avons, par nature, les mêmes habiletés.
L’État idéal saura détecter dès la plus tendre enfance les dispositions naturelles de chacun pour
que son éducation soit dirigée dans un sens ou dans l’autre. Même si à la base tous les enfants
(f illes et garçons) ont une même f ormation, ils seront dirigés vers le rôle qu’ils sont appelés à
jouer dans la Cité.

Ainsi, les 3 parties de l’homme (besoins, cœur, savoir) correspondent à trois classes dans la
société. Les premiers sont les paysans, les artisans, les commerçants qui excellent dans la
conduite de la vie domestique. Les seconds sont la classe des guerriers, chargés d’assurer la
déf ense et qui veulent se distinguer par leur bravoure.
Les derniers sont les détenteurs du savoir, à savoir les philosophes.
La séparation des rôles induit chez Platon une hiérarchie des classes sociales. Pour lui,
les philosophes (c’est la fameuse théorie du philosophe-roi) doivent diriger la cité. Les
guerriers la défendre et le peuple la nourrir.
Cette hiérarchie provient du rapport au savoir de chaque classe sociale. Le peuple est guidé par
l’opinion (la doxa) et les illusions et ne peut donc décider rationnellement pour conduire les
af f aires de la Cité. Les guerriers recherchent leur gloire, Platon leur reconnaît de la noblesse,
mais une irrationalité car ils se f ondent sur leur f orce physique essentiellement. Enf in, les
philosophes sont dans un rapport intime avec le savoir, ils y consacrent toute leur activité. Il est
donc logique, pour Platon, de leur confier les rênes de la Cité.
Ainsi apparaît la notion de Justice chez Platon : la société juste est celle qui met chacun
(peuple, guerriers, philosophes) à sa place.
Chez Platon, le régime idéal est une aristocratie (un gouvernement des meilleurs) où le
savoir et la raison dominent, fondé sur une inégalité naturelle.

1.3 Aristote et l’art de gouverner la cité

Aristote est le premier auteur à avoir rédigée une œuvre intitulée La politique, (ou l’art de
gouverner la Cité). Aristote considère que le développement de la raison n’est pas une habileté
particulière à quelques-uns mais universelle à tout homme ; c’est d’ailleurs ce qui nous différencie
des plantes ou des autres animaux. Pour le disciple de Platon, aucune discrimination dans la
possession de la raison. Même les barbares sont dotés de la rationalité : “L’homme est un animal
rationnel“, nous dit Aristote, mais il est aussi un être f aible dans sa solitude : c’est pourquoi il a
besoin de vivre en communauté politique (polis).
L’homme est un être sociable par nature, c’est à dire, il ne pourrait pas se développer dans
son humanité (devenir humain), sans une communauté humaine. La première f orme de
sociabilité est la f amille, qui assure les soins affectifs et économiques pour la survie, puis le
village, enfin la Cité (polis) : celle-ci est la forme de communauté supérieure, car elle assure non
seulement la survie de ses membres mais la bonne vie : son organisation rationnelle donne la
possibilité de se consacrer aussi à l’art et à la science, donc à la partie supérieure de l’homme,
ce qui f ait sa spécificité.
La question pour lui est de voir quel est le régime qui convient le mieux à cette organisation qui
est la Cité.

Aristote, au contraire, ne divise pas la cité en trois classes selon leur nature mais il opère
une division quantitative en fonction du nombre de gouvernants. Ainsi il distingue 6
régimes :
- La monarchie et son opposé la tyrannie (basée sur le pouvoir d’1 seul),
- L’aristocratie et son opposé l’oligarchie (basée sur le gouvernement des meilleurs)
- La démocratie et son opposé la démagogie (basée sur le gouvernement de tous).

Ainsi chaque régime a son opposé qui résulte d’une dégénérescence. Si la monarchie est le
gouvernement d’un seul en vue du Bien commun, la tyrannie arrive quand le bien particulier
substitue à l’intérêt générale.
Le but de tout gouvernement est d’assurer l’intérêt général et le bonheur de tous.

Aristote propose un principe de justice distributive, afin que les prestations soient réparties aux
citoyens différents de façon différente, en f onction de la contribution apportée par chacun au bien-
être de la Cité.
Il observe que les besoins des Cités varient considérablement en f onction de leur richesse, de
leur population, de leur politique de classes. La plus grande tension constatée par Aristote est
l’inégalité économique entre riches et pauvres, génératrice de division dans les Cités. C’est
pourquoi Aristote défend l’établissement d’une classe moyenne forte, dont l’existence serait
nécessaire pour maintenir l’équilibre et protéger la Cité contre la corruption et l’oppression.

Les trois branches du gouvernement civique sont le législatif (f ondé sur la délibération en
assemblée), l’exécutif et le judiciaire : le législatif crée les lois que l’exécutif met en œuvre puis
que le judicaire fait respecter.
Aristote dessine aussi son état idéal dans les livres VII et VIII de La politique : cette Constitution
aurait pour rôle d’assurer le bonheur de tous et de chacun, en f avorisant la vie contemplative,
tournée vers la sagesse et la recherche de la vérité. Car même si Aristote accorde à l’action
politique une certaine dignité, la vie intellectuelle doit primer car la politique n’est qu’un moyen
qui doit servir la contemplation. La Cité idéale doit être assez grande pour vivre en auto-
suffisance, mais assez petite pour assurer le lien social entre les citoyens.
Cette conception de l’Etat parfait repose sur deux présupposés :
– un régime direct (non représentatif)
– l’esclavage, lequel permet aux citoyens d’exercer leur charge publique. L’esclavage est ainsi la
condition de la liberté du citoyen. Ce point servira d’angle d’attaque à Hegel dans la Philosophie
du droit pour dénoncer la soi-disant “belle liberté grecque”, en réalité fondée sur l’esclavage.

En résumé, peu importe la f orme du régime, seule compte sa nature et son principe. C’est une
leçon que retiendra Montesquieu dans De l’Esprit des Lois.

Pour les deux, le Bien commun est supérieur au bien individuel, les citoyens doivent se
subordonner à l’intérêt général, sans quoi ils n’arrivent pas à survivre, mais alors que Platon édifie
un projet plus de l’ordre de l’utopie, Aristote montre une f ois de plus son caractère plus empirique,
en observant des cas particuliers et des différentes possibilités.
Pour les deux la vertu politique est unie à la vertu éthique. Un bon gouverneur ne saurait être
une méchante personne ; la justice politique n’est qu’un élargissement de la justice éthique.
2- Le réalisme politique de Machiavel ou l’idée moderne du pouvoir.

Nicolas Machiavel f ut un philosophe italien de la f in du XVe siècle originaire de Florence. Il a


occupé la f onction de secrétaire de la chancellerie de Florence, et s’est distingué comme
diplomate en Europe en pleine période de la Renaissance. Il a travaillé auprès du pape Borgia
qui l'a inspiré fortement. En 1512, la chute de la république de Florence et le retour des Médicis au
pouvoir provoquent la disgrâce de Machiavel, qui est emprisonné et torturé. À sa libération il a
rédigé le manuel le plus important du gouvernant moderne, Le Prince, qui a servi et sert toujours
d’inspiration dans ce qui de nos jours est toujours appelé la Realpolitik, ou le réalisme politique.

L’objectif de son livre est de décrire comment doit être le modèle du dirigeant, et pour ce f aire
Machiavel passe en revu énormément de cas historiques, dus en partie à son expérience comme
diplomate ; son manuel se veut donc fondé sur des expériences politiques réelles, adressé à
des dirigeants réels et non pas à des modèles théoriques ou idéaux. Il critique justement que les
classiques aient plutôt pensé au pouvoir comme à ce qui devrait être au lieu d’analyser
véritablement ce qu’il en est. Son objectif : obtenir, comprendre et conserver le pouvoir.

La nature humaine

Il f aut d’abord connaître la nature humaine pour ne pas se tromper et admettre, comme le dit
Machiavel, que l’être humain est enclin au vice et à la méchanceté. Dans ce sens-là, l’auteur est
semblable au reste de philosophes qui pensent la politique : celle-ci doit être f ondée sur une
analyse de l’anthropologie (une connaissance de la nature humaine). L’auteur en distingue trois
aspects :

- La nature des peuples : les peuples sont volubiles et doivent être tenus en permanence.
Il af f irme que le dirigeant qui se fie de son peuple est comme celui qui bâtit sur du sable
mouvant. La méf iance est à la base pour celui qui veut conserver le pouvoir, s’il s’y confie,
il sera perdu. Dans le chapitre XVII Machiavel élabore sa célèbre théorie : le prince ne
peut pas être craint ou aimé à parts égales, il f aut donc choisir et il vaut mieux d’être
craint. Machiavel admet que le prince ne doit pas être haï, mais craint dans sa juste
mesure, puisque se f ier de l’amour des peuples serait naïf : l’amour change
constamment.
- La nature des opposants : le prince ne doit pas seulement tenir son peuple mais
également ses opposants, puisque le pouvoir est mieux porté lorsqu’il est tenu d’un seul.
Ceci servira plus tard à l’idée de pouvoir absolu pour les monarchies du XVIIe. Les
opposants sont toujours là pour s’emparer du pouvoir, ce ne sont pas des f idèles
collaborateurs mais des rivaux, donc il ne faut pas s’y confier.
- L’image du prince : Machiavel est conscient que l’image ou apparence est plus
importante que la réalité : le prince doit être une image de vertus et de bontés, il doit
paraître juste. S’il doit se montrer cruel pour affirmer son pouvoir, il ne doit pas hésiter à
le f aire. Il f aut remarquer que Machiavel ne cherche pas la cruauté pour elle-même, il la
justif ie à certaines occasions pour conserver l’ordre, voire la paix. Le prince doit s’efforcer
à montrer ce que son peuple veut voir, il doit avoir l‘art de la dissimulation. On retrouve
à nouveau une phrase célèbre phrase : « chacun voit ce que tu parais, peu perçoivent
ce que tu es ».

L’art de gouverner et les vertus politiques

C’est la connaissance de cette nature humaine qui doit inspirer le rapport au pouvoir et à l’art de
gouverner : l’État doit être toujours prêt à la guerre et les troupes doivent être tenues sous un
contrôle total. La f orce est positive lorsqu’il s’agit de construire et de conserver le pouvoir, et
aucun dirigeant réaliste ne devrait craindre le recours à la violence. Comme pour la cruauté, celle-
ci ne doit pas être employée pour détruire, mais pour conserver l’État.

Les vertus les plus importantes du prince sont les vertus politiques qui ne doivent être
conf ondues avec les vertus morales, à moins de concevoir la politique comme un jeu
d’enf ants. Machiavel se centre sur deux termes : la fortune et la virtù : comment doit-on les
comprendre ?

La fortune (fortuna en latin), assimilée ici au destin ou à la providence (en grec Thyikè) est la
f orme dont les événements arrivent, nous n’en sommes pas les maîtres. Machiavel affirme que
la f ortune représente la moitié des choses qui arrivent, l’autre moitié étant la capacité de savoir
les prévoir, se préparer ou bien s’y confronter ou savoir saisir l’occasion : c’est ce que f era un
prince habile s’il possède la virtù. Il aura donc l’art de l’anticipation, il sera le premier à voir ce
qui va arriver, saura s’emparer de la chose et f aire des moments que lui f ournit la f ortune
l’occasion d’être le meilleur. Il sera jugé en f onction de sa vertu à savoir diriger l’ensemble par
une intelligence pratique, tactique et pragmatique. Le prince habile est celui qui voit les
événements arriver avant les autres. Il doit savoir voir aussi les occasions singulières où il est
appelé à être le leader, par dessus les autres. A nouveau, l’on retrouve l’une de ses phrases les
plus connues, « si les fait l’accusent, les résultats l’excusent » : le prince sera jugé en f onction
de son efficacité, et non pas de ses intentions.

Pour mettre en place les vertus politiques, Machiavel remarque deux vertus principales sans
lesquelles un prince ne sera jamais un bon dirigeant : la force du lion et la ruse du renard.
Sans la f orce le prince perdra le pouvoir, son pouvoir militaire doit être toujours prêt à f aire la
guerre et la paix n’est en vrai qu’une guerre en puissance. Le prince doit toujours rester méfiant,
la méf iance est justifiée par l’instinct de survie, le monde de la renaissance est menaçant et sans
cette conception de la politique agressive le prince sera vite remplacé par d’autres. Mais le prince
ne peut pas être un sauvage, parce que les êtres humains ne sont pas des bêtes, il lui faut donc
la ruse(astucia), pour savoir agir parmi ses opposants, pour obtenir ses objectifs, et c’est ce qu’il
mettra en place constamment, en temps de paix.

Bref , Machiavel élabore un manuel pratique dans une époque violente, celle de la Renaissance,
où les vertus éthiques sont différenciées des vertus politiques et la politique est conçue comme
l’art de gouverner les hommes tels qu’ils sont et non pas tels qu’ils devraient être.
Chacun comprend combien il est louable pour un prince d’être f idèle à sa parole et d’agir
toujours f ranchement et sans artif ice. De notre temps, néanmoins, nous avons vu de grandes
choses exécutées par des princes qui f aisaient peu de cas de cette f idélité et qui savaient en
imposer aux hommes par la ruse. Nous avons vu ces princes l’emporter enf in sur ceux qui
prenaient la loyauté pour base de toute leur conduite.
On peut combattre de deux manières : ou avec les lois, ou avec la f orce. La première est
propre à l’homme, la seconde est celle des bêtes ; mais comme souvent celle-là ne suffit point,
on est obligé de recourir à l’autre : il faut donc qu’un prince sache agir à propos, et en bête et en
homme. C’est ce que les anciens écrivains ont enseigné allégoriquement, en racontant qu’Achille
et plusieurs autres héros de l’antiquité avaient été confiés au c entaure Chiron, pour qu’il les
nourrît et les élevât. Par-là, en ef f et, et par cet instituteur moitié homme et moitié bête, ils ont
voulu signifier qu’un prince doit avoir en quelque sorte ces deux natures, et que l’une a besoin
d’être soutenue par l’autre. Le prince, devant donc agir en bête, tâchera d’être tout à la f ois renard
et lion : car, s’il n’est que lion, il n’apercevra point les pièges ; s’il n’est que renard, il ne se
déf endra point contre les loups ; et il a également besoin d’être renard pour connaître les pièges,
et lion pour épouvanter les loups. Ceux qui s’en tiennent tout simplement à être lions sont très-
malhabiles.
Un prince bien avisé ne doit point accomplir sa promesse lorsque cet accomplissement lui
serait nuisible, et que les raisons qui l’ont déterminé à promettre n’existent plus : tel est le
précepte à donner. Il ne serait pas bon sans doute, si les hommes étaient tous gens de bien ;
mais comme ils sont méchants, et qu’assurément ils ne vous tiendraient point leur parole,
pourquoi devriez-vous leur tenir la vôtre ? Et d’ailleurs, un prince peut-il manquer de raisons
légitimes pour colorer l’inexécution de ce qu’il a promis ? À ce propos on peut citer une inf inité
d’exemples modernes, et alléguer un très-grand nombre de traités de paix, d’accords de toute
espèce, devenus vains et inutiles par l’infidélité des princes qui les avaient conclus. On peut faire
voir que ceux qui ont su le mieux agir en renard sont ceux qui ont le plus prospéré. Mais pour
cela, ce qui est absolument nécessaire, c’est de savoir bien déguiser cette nature de renard, et
de posséder parfaitement l’art et de simuler et de dissimuler. Les hommes sont si aveuglés, si
entraînés par le besoin du moment, qu’un trompeur trouve toujours quelqu’un qui se laisse
tromper. (…)
Ainsi donc, pour en revenir aux bonnes qualités énoncées ci-dessus, il n’est pas bien
nécessaire qu’un prince les possède toutes ; mais il l’est qu’il paraisse les avoir. J’ose même dire
que s’il les avait ef fectivement, et s’il les montrait toujours dans sa conduite, elles pourraient lui
nuire, au lieu qu’il lui est toujours utile d’en avoir l’apparence. Il lui est toujours bon, par exemple,
de paraître clément, fidèle, humain, religieux, sincère ; il l’est même d’être tout cela en réalité :
mais il f aut en même temps qu’il soit assez maître de lui pour pouvoir et savoir au besoin montrer
les qualités opposées.
On doit bien comprendre qu’il n’est pas possible à un prince, et surtout à un prince nouveau,
d’observer dans sa conduite tout ce qui f ait que les hommes sont réputés gens de bien, et qu’il
est souvent obligé, pour maintenir l’État, d’agir contre l’humanité, contre la charité, contre la
religion même. Il f aut donc qu’il ait l’esprit assez flexible pour se tourner à toutes choses, selon
que le vent et les accidents de la f ortune le commandent ; il faut, comme je l’ai dit, que tant qu’il
le peut il ne s’écarte pas de la voie du bien, mais qu’au besoin il sache entrer dans celle du mal.
Il doit aussi prendre grand soin de ne pas laisser échapper une seule parole qui ne respire
les cinq qualités que je viens de nommer ; en sorte qu’à le voir et à l’entendre on le croie tout
plein de douceur, de sincérité, d’humanité, d’honneur, et principalement de religion, qui est encore
ce dont il importe le plus d’avoir l’apparence : car les hommes, en général, jugent plus par leurs
yeux que par leurs mains, tous étant à portée de voir, et peu de toucher. Tout le monde voit ce
que vous paraissez ; peu connaissent à f ond ce que vous êtes, et ce petit nombre n’osera point
s’élever contre l’opinion de la majorité, soutenue encore par la majesté du pouvoir souverain.
Au surplus, dans les actions des hommes, et surtout des princes, qui ne peuvent être
scrutées devant un tribunal, ce que l’on considère, c’est le résultat. Que le prince songe donc
uniquement à conserver sa vie et son État : s’il y réussit, tous les moyens qu’il aura pris seront
jugés honorables et loués par tout le monde. Le vulgaire est toujours séduit par l’apparence et
par l’événement : et le vulgaire ne fait-il pas le monde ? Le petit nombre n’est écouté que lorsque
le plus grand ne sait quel parti prendre ni sur quoi asseoir son jugement.
Machiavel, Le Prince, chap. XVIII

1- Comment Machiavel justifie-t-il le manque de loyauté de certains princes ?

Il explique/justifie dans le premier paragraphe qu’il y a des princes qui ont réussi à
exécuter « de grandes choses » sans respecter la loyauté et même qui ont été supérieurs
(l’emporter) dans les résultats à d’autres qui avaient été loyaux.

2- Pourquoi le prince doit-il avoir les vertus du lion et du renard ?

Parce que c’est la ruse du renard qui lui fera voir les pièges, et c’est la f orce du lion qui
l’aidera à se défendre des loups (concurrents).

3- Le prince doit-il tenir toujours sa parole ?

Non, le prince ne doit tenir sa parole que lorsque ceci ne lui est pas nuisible, c’est -à-dire,
à partir d’un calcul de ce qui lui convient le plus. Machiavel se f onde sur le f ait que les
humains sont méchants par nature, et donc ils feraient la même chose. Le prince a plus
de raisons que le vulgaire, pour ne pas tenir sa parole. Il ne doit pas être un modèle de
vertu, mais il doit le paraître.

4- Pourquoi l’art du déguisement est-il essentiel en politique ?

Parce que les peuples ne jugent que les apparences, ils voient ce qu’ils aiment voir et ne
vont pas jusqu’à se demander les raisons ultimes ou véritables. Alors les peuples
préf éreront d’abord celui qui paraît au lieu de celui qui l’est véritablement, s’il ne sait pas
le transmettre. Et puis Machiavel va jusqu’au point de dire que parfois être vertueux est
nuisible, et il f aut agir en cruel. « il faut, comme je l’ai dit, que tant qu’il le peut il ne s’écarte
pas de la voie du bien, mais qu’au besoin il sache entrer dans celle du mal. »

5- Comment Machiavel considère-t-il ce qu’il appelle « le vulgaire » ? Les sages sont-ils


plus importants que « le vulgaire » ?

Le vulgaire est toujours séduit par l’apparence. Les sages (ou le petit nombre) ne peut
pas s’élever contre le vulgaire, puisque celui-ci est séduit par le pouvoir. Les sages ne
sont écoutés que lorsque le vulgaire est indécis, mais ceci a lieu quand le pouvoir est en
crise ; ce n’est pas la critique des sages qui provoque la crise. Si le prince a un pouvoir
f ort, la critique des sages ne pourra rien contre lui.
3- Les théories contractuelles de l’État : Hobbes, Locke et Rousseau. La naissance
de la démocratie représentative.

La période qui suit à la renaissance et qui constitue la modernité est également celle qui
correspond en Europe à la consolidation des grands États européens. En France, par exemple,
le lent renf orcement de l’autorité royale se consolide et un appareil d’État se développe
progressivement. Les guerres ont contribué à l’affirmation de la monarchie absolue. D’un autre
côté, en Angleterre, après deux révolutions, le royaume britannique devient progressivement une
monarchie parlementaire. Ce régime politique original ainsi que le dynamisme économique et
l’expansion coloniale de l’Angleterre font du pays un modèle pour les philosophes du temps, qui
réf léchissent à la répartition des pouvoirs et aux droits individuels.

C’est dans ce contexte que naissent les théories modernes de l’Etat et l’idée d’un contrat ou
pacte entre tous les membres de la société et leurs souverains.

Les trois auteurs les plus représentatifs de ce courant sont Thomas Hobbes (1588-1679), John
Locke (1632-1704), et Jean Jacques Rousseau (1712-1778).

La première idée f ondamentale est que pour eux l’état n’est pas une prolongation naturelle
de l’être humain, comme le voulait Aristote, mais le résultat d’une convention, d’un contrat,
d’un pacte entre deux membres (le peuple et le souverain). Il y a des fortes différences entre ces
trois auteurs mais eux tous se demandent sur l’origine, la nature, les conditions, bref , la
légitimation d’un tel pacte.

Af in d’expliquer le f ondement de ce pacte ils émettent l’hypothèse d’un état de nature préexistant
à l’état politique. Ce n’est qu’une hypothèse, pas un parcours historique de l’humanité, aucun de
ces auteurs ne prétend qu’un tel état de nature n’ait jamais existé, mais il nous sert à comprendre,
en analysant la nature humaine, la nécessité de dépasser l’état de nature et de f onder l’état
politique.

La nature humaine et la nécessité du contrat social

A la question de savoir comment serait l’être humain dans un état de nature la réponse de Hobbes
est claire : l’homme est un loup pour l’homme (Homo homini lupus est). Dans l’état de nature la
guerre de tous contre tous serait constante et le premier des droit naturels, le droit à la vie, serait
constamment menacé.

Locke met plutôt l’accent sur l’idée que les hommes sont libres et égaux, chacun serait libre de
travailler et d’en tirer du profit, mais la lutte pour la justice et les conflits seraient permanents.

Pour Rousseau, tout en admettant l’idée du « bon sauvage », un être bon par nature, les
problèmes de subsistance, la répartition du travail, et surtout, l’appropriation de certains biens de
la terre seraient à l’origine de disputes. Le droit n’existerait pas en tant que tel, mais la loi du plus
f ort. Or Rousseau nous rappelle avec cette belle phrase que « Le plus fort n’est jamais assez fort
pour être toujours le maître, s’il ne transforme sa force en droit et son obéissance en devoir ». Il
est donc nécessaire de dépasser cet état de nature et d’instaurer l’État. Mais comment ?

L’État

Le modèle hobbesien tel qu’il est développé dans son ouvrage Le Léviathan représente un
modèle d’État qui sera repris par les monarchies absolues : les individus cèdent leur volonté
individuelle dans une représentation appelée Volonté générale incarnée par le souverain ou
Léviathan. À partir de ce moment-là le souverain représente et détient le pouvoir pour déclarer
les lois et ordonner la vie en communauté : l’état vise le bien commun, il est le garant de l’ordre,
la paix et la sécurité.

Pour Locke, qui représente le courant libéral contre l’absolutisme, c’est -à-dire, la f orce du
parlement contre la monarchie absolue, l’état vise surtout à garantir la paix, la justice, l’égalité et
les libertés, dont le droit à la propriété privée, aux f ruits du travail, qui est d’après lui un droit
naturel, ce qui fera un grand débat dans les siècles qui suivront.

Mais c’est sans doute Rousseau celui qui élabore la théorie moderne de la démocratie
représentative, dans son œuvre Le contrat social : son principal effort et de bien différencier ce
qui revient au domaine de la nature et au domaine du droit et de préserver ses deux princes
f ondamentaux, la liberté et l’égalité.

Comme pour Hobbes, à travers le contrat social tous les hommes cèdent leur volonté individuelle
pour se constituer en Corps politique. Ce corps politique s’appelle l’État quand on le considère
passif et on parle de ses Sujets pour parler des membres qui le composent et qui sont soumis à
ses lois. Ce même corps s’appelle le Souverain quand il f ait des lois et les membres qui
participent à cette activité législative sont les Citoyens. Finalement on appelle ce même corps la
Puissance, quand il est comparé aux autres, et on parle du Peuple pour f aire réf érence aux
membres de cette Puissance.

Plusieurs termes pour différencier les nuances du corps politique qui se f onde sur un contrat à
double sens « les engagements qui nous lient au corps social ne sont obligatoires que parce
qu’ils sont mutuels, tous les services qu’un citoyen peut donner à l’état il les lui doit sitôt que le
souverain les demande, mais le souverain de son côté ne peut charger le sujet d’aucune chaîne
inutile à la communauté. » (Du contrat social)

Rousseau à travers cette notion de corps politique ou volonté générale représente la souveraineté
nationale et donc l’idée moderne de démocratie représentative et non directe. Le parlement, ou
pouvoir législatif, représente le pouvoir du peuple, sa souveraineté. L’individu n’est pas libre
individuellement mais dans une liberté déléguée dans l’ensemble.

Attention car cette volonté générale n’est pas la somme des volontés individuelles, c’est une
entité en elle-même, elle est indivisible. La souveraineté est indivisible, elle ne représente pas
la majorité mais l’intérêt général, tenant compte aussi des minorités. Si elle se divise, l’état
disparaît et il ne reste que des intérêts particuliers les uns contre les autres. L’unité de l’état sera
donc un problème f ondamental associé à tout pouvoir, et devra jongler entre les tendances
absolutistes (autoritaires) et celles qui favorisent le débat parlementaire.

Les tendances humaines à l’égoïsme font difficile de préserver la volonté générale, mais elle est
la seule garantie de la liberté et l’égalité. Dans l’état de nature on parlait de liberté naturelle, mais
ce n’était rien d’autre que la liberté de l’instinct, des forces de certains individus sur d’autres. À
travers l’état la liberté naturelle se transforme en liberté civile et liberté morale, civile parce qu’elle
répond aux lois de l’état, morale parce qu’elle est issue du droit. D’où la f ameuse phrase de
Rousseau qui servira d’inspiration à Kant pour son impératif catégorique, « être libre est se
soumettre à la loi que je me suis prescrit ». (Du contrat social). La liberté de l’instinct n’est rien
d’autre qu’obéir aux f orces de la nature : en quoi je suis libre de manger, si je n’ai pas choisi
d’avoir faim ? Se demande Rousseau. C’est pourquoi la véritable liberté est la liberté morale.

Rousseau passe en revue les différents types de f orme de gouvernement et conclue que la
démocratie semble convenir aux états petits, l’aristocratie aux états moyens et la monarchie aux
vastes empires.
Quand chacun f ait ce qui lui plaît, on f ait souvent ce qui déplaît à d'autres, et cela ne s'appelle
pas un état libre. La liberté consiste moins à f aire sa volonté qu'à n'être pas soumis à celle d’autrui
; elle consiste encore à ne pas soumettre la volonté d'autrui à la nôtre. Quiconque est maître ne
peut être libre, et régner, c'est obéir. (...)

Dans la liberté commune, nul n'a le droit de faire ce que la liberté d'un autre lui interdit, et la vraie
liberté n'est jamais destructrice d'elle-même ; car, comme qu'on s'y prenne, tout gêne dans
l'exécution d'une volonté désordonnée : dans l'état même de la nature, l'homme n'est libre qu'à
la f aveur de la loi naturelle qui commande à tous. Un peuple libre obéit, mais il ne sert pas ; il
obéit aux lois, mais il n'obéit pas aux hommes. (…)

Si l’on recherche en quoi consiste précisément le plus grand bien de tous, qui doit être la fin de
tout système de législation, on trouvera qu’il se réduit à ces deux objets principaux, la liberté et
l’égalité. La liberté, parce que toute dépendance particulière est autant de force ôtée au corps de
l’Etat ; l’égalité, parce que la liberté ne peut subsister sans elle.

J’ai déjà dit ce que c’est que la liberté civile ; à l’égard de l’égalité, il ne f aut pas entendre par ce
mot que les degrés de puissance et de richesse soient absolument les mêmes, mais que, quant
à la puissance, elle soit au-dessous de toute violence et ne s’exerce jamais qu’en vertu du rang
et des lois ; et quant à la richesse, que nul citoyen ne soit assez opulent p our en pouvoir acheter
un autre, et nul assez pauvre pour être contraint de se vendre. Ce qui suppose du côté des
grands, modération de biens et de crédit ; et du côté des petits, modération d’avarice et de
convoitise.

Cette égalité, disent-ils, est une chimère de spéculation qui ne peut exister dans la pratique : mais
si l’abus est inévitable, s’ensuit-il qu’il ne faille pas au moins le régler ? C’est précisément parce
que la f orce des choses tend toujours à détruire l’égalité, que la force de la législation doit toujours
tendre à la maintenir.

Rousseau, Du contrat social, liv 2 chap. IX

1- En quoi consiste la liberté pour Rousseau ?

La liberté consiste à se soumettre à la loi, une loi qui est générale et qui émerge indirectement
de moi, elle garantit la liberté de tous. Rousseau la déf init de manière négative : la liberté n’est
pas/ne consiste pas à s’imposer à un autre, à faire le maître, mais à respecter la liberté de l’autre.
Si la liberté n’est pas pour tous, elle cesse d’exister. Elle consiste moins à faire sa volonté qu’à
imposer sa volonté à un autre.

2- Comment tu comprends la phrase « Quiconque est maître ne peut être libre » ?

Le maître est celui qui impose sa volonté à un autre, par la f orce pas par les lois, car les lois
visent à assurer la liberté de tous et le respect de tous, donc celui qui est maître et qui s’impose
donc par la f orce perdra cette prétendue liberté quad un autre plus fort que lui viendra s’y imposer
(la vraie liberté n'est jamais destructrice d'elle-même). Seul dans l’état politique la véritable liberté
est assurée.

C’est l’idée que la liberté est indivisible : elle existe pour tous, ou c’est la loi du plus fort qui règne.

3- L’égalité veut dire pour Rousseau que nous soyons tous pareils ?

Non, nous sommes tous différents en richesse et en puissance, mais il faut éviter les extrêmes,
nous somme égaux devant la loi, mais pour que cette loi persiste il faut éviter les extrêmes qui la
détruisent
4- Quelles vertus classiques sont-elles nécessaires pour préserver l’égalité ?

La modération, dans l’’avarice, dans l’ambition, dans la convoitise (le désir de posséder).

5- Pourquoi le manque d’égalité détruit la liberté ?

Parce qu’il situe les personnes dans des extrêmes : le très riche ou très puissant peut acheter les
politiciens, les juges, il peut être au-dessus de la loi ; le très pauvre ou très faible se voit obligé
pour survivre de vendre son corps, sa dignité, de supporter les abus s’il ne veut pas crever de
f aim. Dans les deux cas la liberté de tous / la loi est violée. Donc pour que la loi soit garantie il
f aut éviter ces extrêmes. C’est un peu le principe de la social-démocratie.

6- Est-il f acile de préserver l’égalité ?

Non, puisque la tendance humaine est la loi du plus f ort. Nous restons des animaux, avec des
pulsions qui nous mènent constamment vers l’état de nature (dominer, convoiter…), c’est
pourquoi l’état (la force de la législation) doit lutter constamment pour se maintenir, sous peine
de retourner dans l’état de nature.
4- Le capitalisme. Le libéralisme classique, la naissance du
socialisme et le marxisme.

Le système capitaliste qui se développe progressivement en Europe comme système


économique va permettre une énorme croissance de la richesse qui, de manière exponentielle
avec le colonialisme et l’industrialisation, va atteindre des niveaux inimaginés, entre la deuxième
moitié du XIXe et jusqu’à l’arrivée de la première guerre mondiale. C’est pendant cette période
que le degré d’inégalité entre les plus riches et la plupart des populations va atteindre ses
sommets, et que des différents conflits sociaux vont surgir.

Nous devons remarquer du point de vue philosophique deux tendancesqui accompagnent cette
période : le libéralisme et le socialisme.

1. Le libéralisme classique

Nous avons vu que John Locke (XVIIe) est considéré le père du libéralisme classique : c’est une
pensée qui se caractérise par deux éléments f ondamentaux, la priorité du Parlement sur le
pouvoir royal, qui va être donc confronté aux modèles absolutistes en permanence, et la tolérance
religieuse. Il f aut remarquer qu’en Angleterre, où cette pensée surgit et se développe
traditionnellement, il n’existe pas de constitution écrite : tout repose sur la coutume depuis
XIIIe siècle (droit coutumier), le souverain gouverne avec un Parlement composé de deux
chambres et le rôle des pouvoirs locaux est très important. En 1689 est publiée la Bill of rights
ou la Charte des droits, qui limite considérablement le pouvoir royal. Pour Locke, la supériorité
du pouvoir législatif est claire. Il croit à la propriété privée comme un droit naturel. La priorité
est la préservation de la justice et la paix.

Deux siècles plus tard, dans la même tradition, Benjamin Constant (1767-1830), homme
politique et philosophe français déclare dans son ouvrage, De la liberté des anciens comparée a
celle des modernes que : “ la liberté est pour chacun le droit de n’être soumis qu’aux lois, de ne
pouvoir être arrêté ni détenu, ni mis à mort, ni maltraité d’aucune manière, par l’effet de la volonté
arbitraire d’un ou plusieurs individus. C’est pour chacun le droit de dire son opinion, de choisir
son industrie et de l’exercer, de disposer de sa propriété, d’en abuser même ; d’aller, de venir,
sans obtenir la permission, sans rendre compte de ses motifs ou de ses démarches. C’est pour
chacun le droit de se réunir à d’autres individus, soit pour conférer sur ses intérêts, soit pour
professer le culte qui lui et ses associés préfèrent (…) ». Il reprend donc la défense des libertés
individuelles face à la puissance d’un état qui pourrait tenter de les limiter.

Finalement, le philosophe anglais John Stuart Mill (1806-1873), représentant de la pensée


libérale reprend dans ses ouvrages l‘idée une moindre intervention de l’État sur les af faires qui
concernent les libertés individuelles et peuvent être réglées communément, bien que le principe
utilitariste affirme que la société et ses citoyens doivent contribuer à construire le plus haut degré
de satisfaction sociale, et que seulement doit être limité ce qui nuit et réduit la satisf action de
l’ensemble. Stuart Mill se montre classiquement libéral en économie, partisan de la libre
concurrence et d’un « laissez-faire » qui doit demeurer la règle générale tout en l’accompagnant
de notables restrictions qui le différencient de l’économie politique orthodoxe de l’époque (Adam
Smith et Ricardo), mais il af firme que la richesse générée par le système capitaliste est
souhaitable bien qu’elle doive être corrigée pour ne pas profiter qu’aux riches, et pouvoir reverser
sur l’ensemble de la société et contribuer au bonheur de tous (utilitarisme).
Ce qui caractérise donc cette tendance est la défense des droit individuels f ace à la puissance
de l’état, la perception du système capitaliste comme générateur de richesse (et donc positif) et
la déf ense de la propriété privée.

2. Le socialisme

2.1 Le socialisme utopique

Au XVIII s et f ace au libéralisme qui commence à s’installer, la pensée s ocialiste se développe


comme contrepartie, inspirée en partie sur les théories du bon sauvage de Rousseau et la critique
à la propriété privée ; cet aspect, ainsi qu’une tendance à la transformation de la société par des
f orces révolutionnaires qui interviennent pour moduler les inégalités de la société, en seront une
constante.

La pensée socialiste met donc l’accent sur les inégalités inhérentes à toute société, des
inégalités économiques qui s’accroissent durant cette époque à des niveaux inusités jusqu’à lors.
Elle cherche à combattre ces inégalités de différentes manières, mais l’idée principale est la
critique au système capitaliste, qui par le biais de la concurrence pousse l’homme à la lutte
contre l’homme, à l’individualité, et non à la solidarité ; le travailleur du XIX s n’est plus l’artisan
qui travaille son ouvrage mais l’ouvrier déshumanisé par le travail industriel qui le réduit à sa
f onction dans le système productif. Le premier socialisme, le socialisme utopique tente d’instaurer
un système de travail capable de fournir au travailleur des conditions de vie « humaines ».

Les socialistes utopiques défendent que le bonheur réside non pas dans l’abondance, mais dans
la vertu. Owen (1771-1858), représentant de ce courant, montre les conséquences de la société
industrielle naissante sur les travailleurs : il élabore une analyse comparative entre la production
artisanale et l’homme confronté à la machine et à la dévalorisation du travail humain. En tant
que chef d’une industrie textile, il va mettre en place un modèle différent et innovateur qui vise à
révolutionner les conditions de travail ouvrier. A la recherche d’ef ficacité et d’égalité entre
ouvriers, il commence par abaisser le temps de travail et augmenter les salaires, il améliore la
salubrité des logements, puis il ouvre autour de l’entreprise des écoles, où la pédagogie diffère
entièrement de celle éduquée habituellement ; ce modèle contient une répartition juste du travail,
de bonnes relations sociales et une suppression de la propriété privée. Il veut instaurer ce type
d’institutions au sein même de la société : ces « villages coopératifs » de 500 à 2000 individus
sont élaborés en contradiction totale avec le principe de concurrence capitaliste puisqu’il
repose sur la solidarité.

Fourier (1772-1837), reprend l’idée de la dégradation introduite par la concurrence et l’égoïsme


et réclame de substituer à l’état par une fédération d’associations de travailleurs regroupés
librement.

Mais la majorité des socialistes de l’époque viennent de la haute société, même s’ils souhaitent
déf endre la cause ouvrière. L’action va alors se politiser, grâce notamment au droit de grève
donné en 1864. En réaction à l’individualisme bourgeois et à la société industrielle naissante, le
socialisme veut réattribuer à la classe ouvrière ses droits. C’est donc vers la lutte ouvrière que
va basculer ce socialisme « des idées », de l’utopie, qui sera critiqué par le socialisme
scientifique. On ne peut pas laisser à la bonne volonté de certains patrons les conditions des
ouvriers, on ne peut pas laisser à « la bonne nature humaine » l’évolution des choses. Le
socialisme scientifique va devenir une organisation des travailleurs luttant pour leurs droits dans
un objectif qui sera de plus en plus net, l’abolition de la propriété privée et le renversement
de la structure sociale.
2.2 Le socialisme scientifique ou le marxisme

Karl Marx f ut un philosophe, économiste, historien et journaliste allemand.

Sa principale influence philosophique f ut l’idéalisme d’Hegel, auquel il s’opposa rapidement. Il


déf end le matérialisme. La conscience des individus, ce que Hegel appelle l’esprit, n’est pas
universelle et abstraite, elle est déterminée par les conditions matérielles dans lesquelles naît et
se développe chaque individu. Ainsi, le bourgeois développera une conscience bourgeoise, alors
que le prolétaire devra développer une conscience prolétaire. Le matérialisme de Marx est une
philosophie qui déf end l’importance des conditions matérielles, donc économiques, dans la
f ormation de la pensée des individus.

Une deuxième influence f ut celle de Feuerbach, notamment par rapport à la religion. Celle-ci
apparaît comme un instrument au service des classes dirigeantes p our maintenir les individus
dans la paix et l’ordre social : peu importe la misère « d’ici-bas », les pénuries seront rachetées
dans l ‘ « au-delà ». Les promesses d’une récompense dans le ciel évitent donc les révoltes
sociales et la religion profite à la classe dominante : elle est l’opium du peuple.

Le concept marxiste le plus important est sans doute celui d’aliénation. L’homme est par nature
un être sociable qui se réalise à travers son travail. Il transf orme la nature à travers le travail,
dans sa praxis. Or, dans la société capitaliste, fondée uniquement dans le gain et le profit de la
classe qui possède les biens de production, c’est-à-dire, la bourgeoisie, le travailleur est identifié
à sa f onction. Il se trouve aliéné, transf ormé en un simple outil, dépourvu de sa condition
d’homme, étranger à soi-même. Accablé par de nombreuses heures de travail, et sans la
possibilité de se développer en tant qu’homme à travers l’éducation, les arts ou le temps libre, il
mène une existence misérable. La société de classes que décrit Marx est donc divisée en deux
grands groupes : la bourgeoisie, qui possède le capital et les biens de production et qui est dans
sa majorité oisive, et le prolétariat, qui ne possède rien mais qui est la f orce de travail. Le rapport
entre les deux classes est décrit par Marx comme un rapport entre dominants et dominés.

Avec F. Engels, celui qui fut son ami et collaborateur, Marx vise une société sans classes et sans
propriété privée. En suivant Proudhon, il considère que la propriété privée c’est le vol, puisqu’elle
est f aite sur l’exploitation de la masse ouvrière sans que les gains (la plus-value) lui en
reviennent. Donc, ce n’est qu’à travers l’abolition de la propriété privée qu’on arrivera à l’abolition
des classes. Pour ce f aire, le prolétariat doit d’abord développer une conscience de classe et,
suivant les méthodes de la bourgeoisie, qui par déf inition est toujours révolutionnaire, f aire la
révolution pour établir la dictature du prolétariat et enf in, le communisme. Dans cette nouvelle
situation la distribution du travail serait différente : à tour de rôle, les individus accompliraient les
dif férentes tâches nécessaires à la vie en société et ne seraient plus identifiés à une seule.
L’homme ne serait plus « pêcheur, médecin ou menuisier » mais simplement un homme qui
accomplirait tantôt le rôle de pêcheur, tantôt celui de médecin ou de menuisier à temps partiel.

Texte, extrait du manifeste communiste :

La révolution communiste est la rupture la plus radicale avec le régime traditionnel de propriété ;
rien d'étonnant si, dans le cours de son développement, elle rompt de la façon la plus radicale
avec les idées traditionnelles.

Mais laissons là les objections faites par la bourgeoisie au communisme.


Nous avons déjà vu plus haut que la première étape dans la révolution ouvrière est la constitution
du prolétariat en classe dominante, la conquête de la démocratie.
Le prolétariat se servira de sa suprématie politique pour arracher petit à petit tout le capital à la
bourgeoisie, pour centraliser tous les instruments de production entre les mains de l'Etat, c'est-
à-dire du prolétariat organisé en classe dominante, et pour augmenter au plus vite la quantité des
forces productives
Cela ne pourra naturellement se faire, au début, que par une violation despotique du droit de
propriété et du régime bourgeois de production, c'est-à-dire par des mesures qui,
économiquement, paraissent insuffisantes et insoutenables, mais qui, au cours du mouvement,
se dépassent elles-mêmes et sont indispensables comme moyen de bouleverser le mode de
production tout entier.
Ces mesures, bien entendu, seront fort différentes dans les différents pays.
Cependant, pour les pays les plus avancés, les mesures suivantes pourront assez généralement
être mises en application :
1. Expropriation de la propriété foncière et affectation de la rente foncière aux dépenses de
l'Etat.
2. Impôt fortement progressif.
3. Abolition de l'héritage.
4. Confiscation des biens de tous les émigrés et rebelles.
5. Centralisation du crédit entre les mains de l'Etat, au moyen d'une banque nationale, dont
le capital appartiendra à l'Etat et qui jouira d'un monopole exclusif.
6. Centralisation entre les mains de l'Etat de tous les moyens de transport.
7. Multiplication des manufactures nationales et des instruments de production ;
défrichement des terrains incultes et amélioration des terres cultivées, d'après un plan
d'ensemble.
8. Travail obligatoire pour tous ; organisation d'armées industrielles, particulièrement pour
l'agriculture.
9. Combinaison du travail agricole et du travail industriel ; mesures tendant à faire
graduellement disparaître la distinction entre la ville et la campagne.
10. Education publique et gratuite de tous les enfants. Abolition du travail des enfants dans
les fabriques tel qu'il est pratiqué aujourd'hui. Combinaison de l'éducation avec la
production matérielle, etc.

Les antagonismes des classes une fois disparus dans le cours du développement, toute la
production étant concentrée dans les mains des individus associés, alors le pouvoir public perd
son caractère politique. Le pouvoir politique, à proprement parler, est le pouvoir organisé d'une
classe pour l'oppression d'une autre. Si le prolétariat, dans sa lutte contre la bourgeoisie, se
constitue forcément en classe, s'il s'érige par une révolution en classe dominante et, comme
classe dominante, détruit par la violence l'ancien régime de production, il détruit, en même temps
que ce régime de production, les conditions de l'antagonisme des classes , il détruit les classes
en général et, par là même, sa propre domination comme classe.
A la place de l'ancienne société bourgeoise, avec ses classes et ses antagonismes de classes,
surgit une association où le libre développement de chacun est la condition du libre
développement de tous.

Manifeste du parti communiste, K Marx et F. Engels, chap. II


- Le XXe siècle : des totalitarismes à la mondialisation.

Le XX s est un siècle caractérisé par des mouvements politiques révolutionnaires, des


transf ormations sociales, économiques et technologiques inouïes, un développement en matière
de communication qui a converti le monde dans ce que McLuhan a appelé le village planétaire.
Du point de vue de la philosophie politique on peut le diviser en trois étapes : du début du siècle
et jusqu’à la deuxième guerre mondiale, caractérisé par deux événements politiques majeurs,
tels que f urent la révolution russe et l’arrivée du fascisme, qui sont à la base du débat théorique.
Une deuxième étape qui surgit dans les années 50 à travers des penseurs comme Hannah Arendt
ou l’école de Frankfurt, qui à travers une approche multidisciplinaire vont tenter de comprendre
l’avènement de ces totalitarismes ; enf in, une troisième étape qui surgit avec la chute du
communisme, la révolution digitale et la mondialisation et se caractérise depuis quelques années
par la remontée des populismes.

La première moitié du siècle

La première étape du XX siècle est une étape très active du point de vue de la pensée politique
issue du marxisme ; plusieurs courants vont se réclamer de ce même auteur, même si Marx a
décédé en 1883. Le processus d’industrialisation avance, animé par l’exploitation des empires
coloniaux, et des conditions de travail misérables, même si plusieurs architectes conçoivent de
meilleures conditions dans les colonies ouvrières, particulièrement en termes d’hygiène. Les
masses ouvrières s’accroissent et subissent une inégalité éprouvante. Le socialisme de l’époque
ne s’est pas encore dif férencié entre le parti socialiste et le parti communiste. Il présente
cependant plusieurs courants : le syndicalisme et surtout le mouvement anarchiste, qui
représente sa plus grande scission depuis 1864 lors de la Première association Internationale de
travailleurs.

L’anarchisme, dont les principaux représentants à l’origine ont été Bakounine et Proudhon est
un courant qui s’oppose à Marx et revendique la disparition de l’état, l’abolition des classes et de
tous les systèmes d’exploitation, et promeut une vie fondée sur la raison et la coopération, dans
un modèle fédéral. Il considère que ce qui fait naître chez l’humain ses tendances destructrices
c’est le f ait d’être soumis à un pouvoir qu’il n’a pas choisi ; c’est-à-dire, c’est l’imposition de
l’autorité ce qui nous rend mauvais. Dans cette tradition, appelée aussi libertaire, si les êtres
humains étaient élevés en liberté ils chercheraient naturellement la coopération et obéiraient aux
lois de la conscience. La révolution ne peut venir que suite à une évolution de l’être humain, un
homme nouveau affranchi de tout préjugé et aliénation. Ce courant conçoit donc une éducation
de l’enf ant en liberté, qui a nourri plusieurs théories pédagogiques, un rapport plus p roche à la
nature (le culte du naturisme), et l’organisation en communes d’autogestion. Sa principale
opposition au marxisme est la critique de l’appropriation par le parti d’un mouvement
essentiellement révolutionnaire, c’est-à-dire, le parti reproduirait au niveau interne l’autorité qu’il
prétend abolir.

Le mouvement anarchiste, dans sa version la plus négative, fut un mouvement politiquement actif
accompagné de nombreux attentats contre l’autorité comme instrument d’une terreur
révolutionnaire, donc l’emploi de la violence pour en f inir avec la société de classes.

Mais le grand événement qui indique un tournant est la révolution de 1917. La Russie impériale,
un pays à peine industrialisé et de dimensions considérables, est renversée et s’instaure un
régime communiste qui se voudra l’application réelle des théories marxistes. Très vite, Lénine,
Trotski et Staline instaurent une persécution systématique des dissidents et une dictature. Le
régime perdure jusqu’en 1991.

Parallèlement en Italie, en 1919, sont créés les fascios de Mussolini. Mussolini est un ancien
militant du parti socialiste qui bascule vers ce qui deviendra un nouveau parti en Italie (le parti
national f asciste) et servira d’inspiration à plusieurs leaders européens. La caractéristique
principale du fascisme, représentée dans son symbole même, est l’unité et la violence. La
violence sera systématiquement employée comme action politique accompagnée de la critique
de la démocratie libérale. Le parti f asciste s’empare du Parlement pour le renverser, à aucun
moment il a l’idée de se soumettre à ses règles. La pensée f ascise est horizontale, pensée au
début pour intégrer les classes populaires appauvries après la guerre, elle sert de contrepoids à
la violence « bolchévique » et réussi ainsi à intégrer les classes privilégiées, grands propriétaires
f onciers et industriels, qui craignent une révolution communiste, ou tout simplement la f in de leurs
privilèges. Le f ascisme s’empare par la f igure d’un leader fort du spectre populaire (de tous) par
l’appropriation de symboles (drapeau, chants, victimes) et l’orgueil de la patrie. On voit donc que
le f ascisme à travers son populisme, aussi bien que le communisme à travers son
internationalisme, visent à être des mouvements qui unifient le peuple/ouvriers dans un combat
unique, en étouffant ainsi la pensée individualiste ou libérale. L’individu devient masse.

De son côté le nazisme suit un modèle similaire avec une particularité, l’antisémitisme (la haine
des juif s) ; ce courant, présent dans toute l’Europe depuis longtemps, devient pour l’Allemagne
le véritable bouc émissaire de son projet, la catharsis qui conduira à la mort à une grande partie
de sa population.

Après 1945

Après la deuxième guerre mondiale et la destruction à grande échelle qu’elle a entrainé, ainsi
que l’horreur que représente pour l’humanité la découverte des camps nazis, la philosophie
politique se centre sur l’analyse de cette expérience du mal radical incarnée par les camps
de concentrations.

Dans son ouvrage le Procès à Eichmann, la philosophe Hannah Arendt réf léchit sur cette
question. Arendt est une philosophe allemande d’origine juive émigrée aux Etats -Unis. Elle
travaille à l’époque pour le journal The New Yorker et est envoyée en 1961 à Jérusalem pour
couvrir journalistiquement le procès à Adolf Eichmann, ancien officier des SS et criminel de guerre
nazi. Elle s’attend à que l’accusé f asse preuve d’une perversité considérable, or elle s’aperçoit
que l’ancien responsable de la logistique de la « solution f inale » (élimination des juifs) est un
homme tout à fait quelconque : « les actes étaient monstrueux mais le responsable (…) était tout
à fait ordinaire, comme tout le monde, ni démoniaque, ni monstrueux. Il n’y avait en lui trace ni
de conventions idéologiques solides, ni de motivations spécifiques malignes », elle écrit. Que
peut donc f aire qu’un citoyen apparemment ordinaire participe et devienne le responsable de
l’assassinat de milliers d’êtres humains ? C’est une question qui reviendra constamment. Et de
plus, par quel mécanisme psychologique et social la responsabilité individuelle est
résorbée par la responsabilité collective ?

Dans sa thèse Arendt défend le concept de banalité du mal : cet homme en question n’est pas
un pervers mais un homme tout à fait banal, c’est son indifférence, son manque total d’empathie
qui sont à la base de sa méchanceté. Pour f aire le mal, il ne f aut pas f orcément une nature
diabolique, mais la simple indifférence envers la personne humaine, l’autre, ce qui arrive quand
l’homme est assimilé et dissous dans la structure, l’homme devenu masse.

Arendt avait déjà réf léchi à cet homme devenu masse dans Les origines du totalitarisme.
Qu’est-ce-que le totalitarisme et quelle est sa principale différence des dictatures ordinaires ? Elle
af f irme que la dictature a pour objectif l’imposition du pouvoir, une autocratie, un contrôle des
opposants et des forces qui pourraient s’y opposer, mais elle ne cherche pas l’assimilation totale
et unitaire de l’individu dans le projet. Dans le fascisme aussi bien que dans le nazisme, l’individu
est ignoré au profit du mouvement qui est la véritable entité qui demande des sacrifices. C’est ce
qui correspond à un ensemble d’individus devenus masse ; l’idéologie pénètre tous les
espaces de la vie humaine et leur donne un sens ou elle les élimine s’il le faut, ce qui n’a pas
lieu dans une dictature ordinaire. Le totalitarisme est un projet fanatique qui va au-delà du
politique et réclame des adhésions « totales » fondées sur une foi aveugle. C’est pour cela
que ses adhérents ne peuvent pas survivre au projet (ce qui explique par exemple le suicide de
certains membres du parti nazi). Bref , l’expérience historique du totalitarisme doit servir à
maintenir la pensée toujours vigilante pour ne pas y retomber.

Dans les années 20 s’était f ondée en Allemagne l’École de Frankfurt, un centre d’études
sociologiques qui regroupait de nombreux philosophes allemands de tradition marxiste. Cette
école reprend de l’élan dans les années 50-60 avec la plupart de ses membres exilés aux Etats-
Unis. C’est une réf lexion qui se veut multidisciplinaire : elle s’empare des instruments de la
sociologie (étude des sociétés), de la psychanalyse et de l’analyse des f aits historiquement
donnés. Dans ce sens, la philosophie politique doit surtout être une critique de la réalité. La
philosophie politique doit f uir l’idéologie (la croyance plus ou moins aveugle dans des théories
comme le communisme ou le f ascisme) qui voudrait imposer des vérités, elle doit être un
instrument émancipateur mais qui nous garde des dérives totalitaires . Elle doit être avant tout
une critique du système.

Parallèlement à ces courants, des groupes de philosophes issus de la science, comme Karl
Popperm ou B. Russell renouvellent la pensée politique à partir de l’ef f et traumatique de
l’expérience de la bombe atomique contre le Japon : ils défendent les bienfaits de la science
quand elle est accompagnée du pacif isme, de l’humanisme et du respect des libertés ; ils
af f irment que seul la science nous mènera à un véritable progrès à la condition d’être
accompagnée de cette réf lexion critique, ouverte et dépourvue d’idéologies.

Dernière étape

Dans les années 90 a lieu la chute des régimes communistes en Europe de l’Est,
l’avènement de la pensée néolibérale, l’affaiblissement des états-nations et l’arrivée
progressive de la mondialisation.

Le développement des technologies et des communications ainsi que la place du citoyen dans
un monde devenu plus grand et plus petit à la f ois (plus grand puisqu’il s’étend au-delà de sa
communauté principale, plus petit puisque tout devient plus f acilement accessible), remet en
question des structures politiques dépassées et à la fois en vigueur. Comme le disait Gramsci un
siècle auparavant « Le vieux monde se meurt, le nouveau monde tarde à apparaître et dans ce
clair-obscur surgissent des monstres ».

Quelle est la place du citoyen dans le monde ? Et de l’État ? Cette unité politique représentant la
souveraineté nationale est-elle remise en question par les entités supranationales, comme
l’Union européenne ou des organisations économiques internationales ?

La mondialisation a vu naitre des nouvelles formes de populisme. Le philosophe Ernest Laclau


explique dans son ouvrage Critique de la raison populiste comment, depuis Platon, la politique a
toujours été, sous des formes différentes, l’affaire des élites. À partir de la deuxième partie du XX
s, ces élites se sont emparé des partis traditionnels en f aisant appel à la raison, à un discours
rationnel et théorique, alors que le populisme réclame un langage plus proche du citoyen moyen,
un leader susceptible de comprendre les malheurs du peuple. Un leader qui exprime la voix du
peuple et non pas la voix des élites. Pour ce faire, le leader ne parle pas à travers la raison mais
dans l’émotion, c’est le leader fort, capable de regrouper ses adeptes avec des mots clés comme
patrie, peuple, liberté. Ces mots mobilisent immédiatement des émotions qui rassemblent les
citoyens sans prêter attention au contenu du message. Ces nouveaux populismes sont contraires
à la mondialisation, où l’individu se sent perdu, sans un appui ou un sol solide. Il retrouve un
sentiment d’appartenance : il repère un opposant/ennemi clairement déf ini et abandonne un
dialogue pour une communication devenue spectacle.

Ces théories sur de nouvelles f ormes de populisme cohabitent avec bien d’autres,
internationalistes, néo-marxistes, libérales, humanistes et environnementales.

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