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Revue Philosophique de Louvain

Christopher Bobonich, Plato's Utopia recast. His later ethics and


politics
René Lefebvre

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Lefebvre René. Christopher Bobonich, Plato's Utopia recast. His later ethics and politics. In: Revue Philosophique de Louvain.
Quatrième série, tome 104, n°1, 2006. pp. 153-156;

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Toutes ces réserves que nous exprimons ne font que témoigner de


l'intérêt suscité par les thèses développées, et n'entament en rien la valeur
globale de cet immense travail : Huffman apporte enfin tous les éléments
d'érudition longtemps attendus, susceptibles de faire avancer
efficacement la réflexion dans le domaine. Nul doute que l'ouvrage, par la somme
des informations qu'il rassemble, par l'ingéniosité de ses reconstitutions,
par les questions qu'il soulève, deviendra incontournable non seulement
dans le domaine des études pythagoricienne, mais aussi dans toute
réflexion d'ensemble sur la philosophie grecque, restituant enfin à la
grande figure d'Archytas de Tarente la place importante qui lui revient.

Jean-Luc Périllié.

Christopher Bobonich, Plato's Utopia recast. His later ethics and


politics. Un vol. 13 x 16 de xn-644 pp. Oxford, Clarendon Press, 2002
(2004 en livre de poche).

Dans cet ouvrage, C. Bobonich compare la doctrine de dialogues


centraux tels que le Phédon et la République avec celle des Lois,
concernant les chances respectives qu'ont philosophes et non-philosophes
d'accéder au bonheur et tout d'abord à la vertu. Les anciens, à la différence
des modernes, tendaient à faire de la vie réussie une prérogative
philosophique et à tirer de cela des conséquences politiques. L'évolution de
Platon va dans le sens d'un moindre élitisme: aux yeux de l'auteur des
Lois désormais, certains hommes du commun s'avéreront capables
d'apprécier la vertu pour elle-même, d'y accéder, d'être heureux, ou encore
de se soucier du bonheur des autres. De là un problème dont
l'identification est jugée décisive en vue de la compréhension de l'éthique et de
la politique platoniciennes et de leur évolution: comment attribuer à
certains hommes du commun une telle compétence, étant donné des
orientations, en psychologie de la connaissance tout particulièrement, qui
conduisaient originellement à la leur dénier? CB se propose d'étudier
«the backward and forward connections of Plato's new estimate of the
ethical capacities of non-philosophers» (p. 12). Faisant reposer ce plus
grand optimisme sur un très important remaniement de la psychologie, il
entend en dégager également les implications politiques.
Selon l'A., Platon, dans le Phédon, diagnostique un échec cognitif
fondamental du non-philosophe, hors d'état de saisir le beau ou le bien.
A ce propos, C. Bobonich a recours à ce qu'il appelle la Dependency
thesis, thèse selon laquelle des biens tels que santé, richesse, etc. (voire
les vertus: Ménon, 88 a-b) ne sont bons que moyennant la possession
d'autre chose, en l'occurrence la phronèsis, et plus exactement encore
moyennant la possession de ce qui manque le plus au poumon marin du
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Philèbe, la connaissance du fait que ce qui est bon est bon (p. 149). Un
bien dépendant n'est pas un bien instrumental (p. 127-130). L'homme
ordinaire manque de ce qui rend bons les biens dépendants.
Dans la République déjà, toutefois, s'il conçoit toujours la cognition
chez le non-philosophe comme déficiente, Platon entend rendre la justice
bonne même pour l'homme ordinaire, et inventer une cité juste dont la
majorité des habitants ne seront pas des philosophes. Dans les Lois, il va
plus loin: Platon veut désormais permettre, par la législation, l'accès de
tous les citoyens à la vertu. Cela va se traduire surtout par l'abandon de
la tripartition de l'âme élaborée en Rép., IV, au bénéfice d'une
conception plus unitaire.
Cet abandon, comme effet ou condition de la sortie hors du
pessimisme, constitue l'objet vraiment central de l'ouvrage. Ainsi que
l'observe l'A., dans la République la division de l'âme en trois parties va de
pair avec la reconnaissance de la possibilité de l'acrasie, dont elle
fournit une explication. Platon fait de chacune des parties de l'âme un
véritable sujet doté de désirs et de plaisirs, et surtout de croyances propres:
les parties peuvent même se parler, voire se comprendre (p. 243). Le
logistikon émettant seul des jugements sur le bien du tout, ou sur
l'intérêt à long terme, cette diversité de sujets permet de comprendre
l'opposition entre désirs, ou entre jugements, en évitant de verser dans la
contradiction. Dans l'acrasie, un désir plus fort, originaire d'une partie inférieure
de l'âme, s'oppose à la croyance sur le bien développée par la partie
supérieure. La division de l'âme, cependant, a un coût: elle fait tout d'abord
courir un risque de régression et rend problématique l'unité de la
personne. En continuant d'admettre la possibilité de l'acrasie, les Lois
produisent une explication jugée meilleure.
Phèdre (248 a) et le Timée supposaient des parties inférieures sans
contact avec les Formes, ce qui contribuait à rendre difficilement
concevable qu'elles puissent développer une activité de pensée, alors que la
pensée ordinaire elle-même requiert un tel contact préalable et que la
réminiscence n'a rien d'exclusivement philosophique: sur ce désastre
cognitif, les parties inférieures étant à la fois pauvres, comme le veut
également le Théétète, et perturbatrices, cf. p. 296-331. Les parties inférieures
de l'âme, qui dans le Phèdre sont figurées par des chevaux, dont l'un au
moins ne répond qu'au fouet (254 a), vont être passées sous silence dans
le Philèbe, ou à propos de l'acrasie en Soph., 228 b. Certes, l'image des
marionnettes divines utilisée dans les Lois illustre encore l'existence d'une
guerre intérieure et sert à expliquer l'acrasie, mais il ne s'agit plus d'un
conflit entre des parties jugées agent-like : n'excluant pas une corruption
du jugement du philosophe même, et n'envisageant plus le thymos comme
un renfort de la raison, Platon évite désormais l'incohérence consistant à
poser des parties pensantes sans leur consentir le moyen de la pensée;
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c'est maintenant l'âme tout entière, principe d'activité, qui contrebalance


certaines de ses croyances et certains de ses désirs. Dans le Théétète, qui
contribue à établir la faiblesse cognitive des parties inférieures, le besoin
d'une unité de la conscience se fait d'ailleurs déjà sentir (p. 328).
Le dernier chapitre est consacré aux conséquences politiques de
l'émergence de cette nouvelle conception de l'âme et des rapports entre
philosophes et non-philosophes: la notion d'une cité où tous les citoyens
sont sollicités, délibèrent, et dont C. Bobonich entend donner une image
plutôt «progressiste», si l'on peut avancer un terme qu'il n'emploie pas.
Dans les Lois, Platon envisage un système peu censitaire, globalement
favorable aux femmes, n'est pas forcément hostile à l'évolution de la
législation, ne veut pas d'un pouvoir excessif, prévoit sur le plan
juridique des procédures d'appel, admet l'élection. De ce point de vue, la
présence des préambules revêt une grande portée, quoique la rançon
paradoxale de ce progressisme et de l'optimisme qui le nourrit prenne la forme
d'une conception restrictive de la citoyenneté: si dans la cité tous ne
peuvent accéder à la vertu et au bonheur, il ne faut pas que tous,
spécialement les producteurs, soient citoyens.
Selon la République, les fins que se proposent d'atteindre les non-
philosophes sont déterminées par les parties inférieures de leur âme. Le
Politique indique que les non-philosophes ne peuvent alors accéder à
d' «authentiques» vertus (p. 195), et avec le Timée (89 d-90 d; 91 e), ce
dialogue permet d'établir l'insuffisance d'un projet d'amélioration de ces
parties inférieures. Selon les Lois, 668 b, qui ont renoncé aux parties,
l'opinion vraie peut suffire en matière axiologique: de là des contenus
éducatifs plus ambitieux que ceux que la République envisageait pour le
grand nombre et une préparation générale à l'exercice de la rationalité.
Ce livre, jamais pédant, philosophiquement clair et nourri, est
constamment d'un grand intérêt, surtout dans ses aspects fondamentaux
plutôt que politiques. Comparer la République et les Lois en évitant
î'étroitesse du point de vue strictement politique constitue une tâche
toujours actuelle. Les renvois plus ponctuels, mais néanmoins parfois
assez fouillés, à des dialogues tels que le Théétète ou le Timée, pour y
déceler les marques d'une insuffisance, d'une évolution ou d'un besoin
d'évolution, invitent à une relecture. Si dans sa ligne générale le propos
sur l'évolution de Platon est convaincant, il y a matière à discussion:
s'agissant de la République, les parties de l'âme y sont-elles vraiment
aussi pensantes que le prétend l'A.? Les Lois ont-elles assurément
abandonné la partition? Si elle est avérée, la nouvelle explication de l'acrasie
(dont les contours, nous a-t-il semblé, gagneraient à être encore précisés)
tient-elle la route? Un contact avec les Formes est-il présupposé pour
toute pensée, même la plus ordinaire, comme C. Bobonich l'affirme
p. 328? Et bien sûr, la législation de la cité des Magnètes est-elle aussi
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progressiste que cela? Sur les trois premières de ces questions, la


réaction négative de Lloyd Gerson à de précédentes formulations montre que
le débat est loin d'être clos («Akrasia and the divided soul in Plato's
Laws», S. Scolnikov, L. Brisson éd., Plato's Laws: From Theory into
Practice. Proceedings of the VI Symposium Platonicum, Sankt Augustin,
2003, p. 149-154).
René Lefebvre.

Stefan Buttner, Die Literaturtheorie bei Platon und ihre anthro-


pologische Begrundung. Un vol. 22 x 14 de xni-408 pp. Tiibingen/Bâle,
Francke, 2000. Prix: 98 DM.
Le but de l'ouvrage est de proposer une interprétation unifiée de la
conception platonicienne de la littérature. Stefan Buttner part en effet du
constat que l'on trouve dans les dialogues, à ce sujet, des positions
apparemment contradictoires. Ainsi, Platon fait usage de deux concepts
antagonistes pour penser la production littéraire, le concept de mimèsis,
généralement dévalorisé, et le concept d'enthousiasme, généralement valorisé.
De plus, ces deux concepts sont eux-mêmes intrinsèquement ambivalents.
Dans le Banquet, Platon confère aux belles choses singulières une certaine
dignité, du fait de leur participation aux Idées: la mimèsis comprise
comme participation est donc valorisée. En revanche, dans le livre X de
la République, Platon critique les œuvres d'art comme imitation
d'imitation, et comme représentation imparfaite de l'Idée: cette fois, la mimèsis
est au contraire dévalorisée. De son côté, le concept d'enthousiasme est
présenté dans Y Apologie comme un état de conscience inférieur, alors
que dans le Phèdre, c'est un ferment indispensable de la vraie
philosophie. C'est cette double contradiction (contradiction entre les concepts,
contradiction interne aux concepts eux-mêmes) que S. Buttner se
propose de résoudre en s 'appuyant sur l'étude précise des textes. Il
commence par passer en revue, de manière critique, la littérature secondaire
sur le sujet, afin de mieux dégager la spécificité de sa position exégé-
tique. Puis il consacre un premier chapitre à élucider l'anthropologie
platonicienne, là encore en se positionnant contre la plupart des
interprétations, auxquelles il reproche de lire Platon à la lumière de concepts
psychologiques anachroniques, datant du xvme siècle. Cette lecture
débouche sur une séparation stricte des facultés qui n'est pas du tout,
selon lui, platonicienne. S. Buttner récuse en effet l'idée que Platon
distinguerait entre une faculté purement réceptive, passive, irrationnelle, qui
serait la faculté sensible, et une faculté active et rationnelle, la faculté
cognitive. Il cherche au contraire à montrer que chacune des trois parties
de l'âme définies par Platon dans le livre IV de la République est, à sa

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