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Chap. II. LA JUSTICE COMME FONDEMENT DE LA POLITIQUE CHEZ


PLATON

II.1. La Justice naturelle, justice légale

La justice tient tout entière dans la loi, telle est l’affirmation aux allures de scandale
des sophistes, principaux adversaires de Platon, défenseur de l’idée d’une justice naturelle.
Opposant l’ordre de la nature (en grec physis) à l’ordre de la loi (nomos), les sophistes furent
les premiers à définir la justice comme un artifice créé par les hommes 1, c’est-à-dire une
convention indépendante de toute norme antérieure, qu’elle soit naturelle ou divine. La
justice est ce que les hommes décident qu’elle est.

Plus près de nous, le positivisme juridique soutient également l’identité de la justice et


de la loi. Soucieux de fonder une science pure du droit, le philosophe allemand Kelsen écarte
toute considération de valeur, laquelle échappe par définition au discours scientifique. Dès
lors, la validité d’une norme de justice ne peut dépendre que de sa conformité à une norme
supérieure, laquelle à son tour dépend d’une norme fondamentale simplement supposée.
C’est ainsi que la validité de la décision d’un juge dépendra de la validité des lois qu’il a pour
charge d’appliquer, dont la validité dépend à son tour de la Constitution, qui représente la
norme fondamentale dont la validité est seulement supposée, mais non démontrée. Le mérite
d’une telle doctrine est d’indiquer clairement que du juste comme valeur il ne saurait y avoir
de science. Pour autant, est-il soustrait à tout débat ? C’est ce que dément la pratique
judiciaire elle-même. Pourquoi un procès serait-il nécessaire, si le juge n’avait qu’à appliquer
la loi ? Le positivisme juridique trouve ici sa limite.

Par ailleurs, refuser d’obéir aux lois, ou même simplement les critiquer comme
injustes montre clairement que la justice ne peut tout entière être résorbée dans la loi. La
question sera alors celle de savoir à quelles conditions il est juste d’obéir aux lois, ou encore
au nom de quoi on peut juger de la justice des lois. L’idée de justice naturelle est née de cette
exigence de trouver un fondement à la justice, antérieur et supérieur aux lois positives, par
rapport auquel elles puissent être jugées justes ou injustes.

La philosophie antique, depuis Platon jusqu’aux stoïciens, a admis qu’il existait à


l’échelle cosmique une justice naturelle, c’est-à-dire un ordre et une harmonie naturels entre

1 PLATON, Apologie de Socrate, 38d-39b, trad. L. Robin, Paris, Gallimard, 1950, pp. 178-179.
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les êtres et les choses. La justice consisterait alors à respecter cet ordre en donnant à chacun
sa place et son dû. Connaître cet ordre serait la tâche du philosophe.

II.1.1. Genèse de la cité de nature

Les hommes à l’état de nature, avant qu’ils eussent  formé des sociétés agissaient pour
leurs désirs particuliers, car la nature humaine est régie par la compétition, la défiance et la
gloire. C’était selon le mot de Hobbes « une guerre perpétuelle, et non seulement cela, mais
une guerre de tous contre tous »2. Pour lui, le fait pour les hommes de former  des sociétés
n’est pas une disposition naturelle, cela n’arrive que par accident.

Selon Platon,  l’origine de la cité découle de l’incapacité qu’a l’homme de se suffire à


lui-même, d’où  l’obligation de se prêter aide mutuelle. C’est pourquoi pour faire face aux
nécessités de la vie : « (…) l’homme prend un autre avec lui en vue de tel besoin, puis un
autre en vue de tel besoin, et la multiplicité des besoins rassemble dans une même résidence
plusieurs hommes qui s’associent pour s’entraider »3. Dès lors, la cité de nature se fonde à
partir des besoins primaires de l’homme (manger, se vêtir, avoir un abri). Aussitôt que ces
besoins cesseront, la cité n’aura plus sa raison d’être. Jean-Jacques Rousseau va dans le
même sens quand il affirme que : « la cité la plus ancienne de toutes les sociétés et la seule
naturelle est celle de la famille. Encore les enfants ne restent-ils liés au père aussi longtemps
qu’ils ont besoin de lui pour se conserver. Si tôt que ces besoins cessent le lien naturel se
dissout »4.  

Au regard de ce qui précède, il y a lieu de croire que la cité doit sa naissance à


l’impuissance de  l’individu de se suffire à lui-même et au fait qu’il éprouve le besoin de
mille choses. Ces besoins, à en croire l’auteur de La République sont multiples : « le premier
et le plus important de tous est la nourriture d’où dépend la conservation de notre être et de
notre vie. Le deuxième est celui du logement, le troisième est celui de vêtement et de ce qui
s’y rapporte »5. Il y a donc dans la cité des laboureurs, des maçons, des tisserands,
des  cordonniers  qui travaillent en collaboration pour satisfaire les besoins de la
communauté.

II.1.2. Le passage de la cité de nature à la cité juste


2 HOBBES T., Le citoyen ou le fondement de la politique, Paris, Flammarion, 1993, p. 99.
3 PLATON, les lois, Oeuvres completes tome XI, Paris, Belles Lettres, 1951, p. 1.
4 J-J ROUSSEAU, Du contrat social, Paris, Flammarion, 1993, p. 99.
5 PLATON, Op. Cit, livre II, 369d, p.117.
3

Pour passer de la cité de nature fondée sur la satisfaction des besoins à la cité juste,
Platon estime qu’il faudrait procéder par l’éducation des gardiens. Le philosophe dit-il « sera
naturellement l’homme destiné à faire un excellent gardien d’Etat »6. Cependant, cette
éducation doit commencer dès l’enfance, parce que selon l’auteur de La République en toute
chose, la grande affaire est le commencement, principalement pour tout être jeune et tendre,
car c’est à ce moment qu’on façonne et qu’on enfonce mieux l’empreinte dont on veut
marquer un individu.

Pour assurer cette éducation dans la cité idéale, Platon propose en premier lieu une
reforme dans l’éducation religieuse : il demande qu’on inculque à l’enfant une haute
conception de Dieu, un Dieu bon, charitable. Pour cela « on exclura tous les livres qui ne
disent pas que Dieu est bon, qu’il est juste, qu’il est absolument simple et vrai, qu’il ne
change pas de forme, qu’il ne trompe jamais, qu’il a le mensonge en horreur »7. En suite
dans la formation aux bonnes mœurs, Platon préconise que les futurs gardiens ne doivent pas
se familiariser avec le rire, car «  quand on se livre à un rire violent, cet état entraîne dans
l’âme un changement violent »8 ; c’est pourquoi, ils  seront aussi éduqués à la tempérance
avec l’aide des passages instructifs des fables d’Homère en l’occurrence « Ami assieds-toi en
silence et obéit à ma parole ; les Achéens respirant la force, allaient en silence, craignant
leurs chefs ; hommes lourds de vin, aux yeux de chiens, au cœur de biche… »9. A ce
programme éducatif seront insérés la poésie pour susciter la créativité chez les
gardiens ;  l’éducation aux autres vertus comme le courage, la sainteté, la libéralité et les
vertus du même genre10 afin d’être des hommes vertueux ; la gymnastique et  la musique. En
ce qui concerne la musique, seule la musique simple, harmonieuse et virile y aura sa place,
toutes les autres formes de musique seront exclues de la cité idéale.

Les futurs gardiens auront aussi une instruction littéraire et scientifique une éducation à
l’esprit critique et à l’amour de la cité. Et à la fin de l’éducation, seuls ceux qui seront jugés
dignes et capables c’est-à-dire «  ceux qui après examen paraîtront devoir faire, pendant
toute leur vie et de toute leur bonne volonté ce qu’ils considèrent comme profitable à la cité,
sans jamais consentir à faire le contraire »11 pourront diriger la cité juste.

6 Ibid., livre III, 376c, p. 125.


7 Ibid., livre III, 381e, p. 130.
8 Ibid., livre III, 388d-390c, pp. 140-141.
9 Ibid.
10 Cf. Ibid., livre III, 395b-396b, p. 147.
11 Ibid., 412a-413a, p. 163.
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II.2. Gouvernement de cité juste

Le gouvernement de la cité juste repose sur l’élaboration et l’application des


constitutions justes qui ont pour but non seulement d’organiser la cité mais aussi de forger le
caractère de l’individu.

Le concept constitution dérive du latin constitutio qui veut dire arrangement  ou  disposition


légale renvoyant aux lois et textes fondamentaux d’un Etat12. Les constitutions sont d’origine
divine, affirme Clinias dans les lois de Platon dans la mesure où le législateur qui les
rédige  est inspiré par un dieu : Zeus. Les constitutions justes ont pour finalité de vaincre la
guerre civile et personnelle pour  instaurer la justice  dans  la cité et dans l’individu. C’est
pour cela, qu’elles procurent les biens mineurs encore appelés biens humains tels que la
santé, la beauté, la vigueur à la course et à tous les autres exercices physiques, la richesse
clairvoyante ;  et les biens divins ou supérieurs comme la tempérance, la justice, le courage,
la sagesse13.

            Dans ses constitutions, le gouvernement de la cité juste prend en compte:


l’organisation de la classe de gardiens, et l’éducation des philosophes-rois.

II.2.1. La communauté des fonctions entre les deux sexes

            Les lois qui règlent cette première vague s’articulent sur  le rôle des femmes des
gardiens et l’égalité de  chance  dans la fonction de gardien14 .
Ici,  Platon  souligne que les femmes des gardiens  doivent être  associées à la tâche de ces
derniers. Même si considérées comme sexe faible, elles seront traitées de la même manière
que les gardiens à travers les mêmes services et la même formation. C’est pourquoi
l’éducation sera identique aussi bien pour les hommes que pour  les femmes. La pratique de
la musique et de la gymnastique se fera ensemble  parce que la femme ne diffère pas de
l’homme bien qu’elle enfante et celui-ci engendre. Par conséquent, le rôle de gardiens de la
cité n’est pas seulement réservé aux hommes. Car, dans la cité, si une femme a cette
disposition  naturelle, elle sera formée pour être gardienne.

 II.2.2. La communauté des femmes et des enfants             

12 Cf. J. Russ, Dictionnaire de philosophie, Paris, Bordas/SEJER, 2004, p. 75.


13 Cf. Platon, Les lois, œuvres complètes, tome XI, Paris, Société d’édition « Les Belles  Lettres», 1951,
livre  I, 631c.
14 Cf. Platon, La République, Paris, Flammarion, 1966, livre V, 451e-452d.
5

            Les lois qui gouvernent cette deuxième vague se fondent sur le statut de la femme, des
enfants, sur le mariage et sur l’unité dans la cité.

            En ce qui concerne les femmes, Platon souligne que les femmes des gardiens seront
communes toutes à tous, aucune d’elles n’habitera en particulier avec aucuns d’eux ; de
même les enfants seront communs et les parents ne connaîtront pas leurs enfants ni ceux-ci
leurs parents ; les femmes choisies pour être gardiennes  vivront ensemble, en
communauté  sans posséder des biens personnels15.

             Pour le mariage dans la cité, Platon  propose d’organiser fréquemment des rencontres


entre les femmes et les hommes de la classe des élites et rarement entre ceux de la classe
pauvre. Dans le souci de ne pas favoriser l’augmentation ou la diminution du nombre
d’homme dans la cité, les magistrats célébreront les mariages par rapport  aux pertes
d’hommes, causées par la guerre, les maladies et autres accidents. Les mariages seront
organisés lors des fêtes  durant lesquelles on accompagnera les fiancés par les hymnes, les
sacrifices, les prières  et les poèmes16. 

Pour les enfants, leur éducation sera remise entre les mains des nourrices femmes et hommes.
Ceux-ci auront la charge de former chaque enfant selon ses dispositions naturelles. Ici, Platon
souligne qu’il faut avantager les enfants des élites afin de conserver la pureté de la race des
gardiens. Raison  pour laquelle  ils seront  élevés  à part  et  leur alimentation sera soignée,
c’est pourquoi les mamans seront conduites de temps en temps pour allaiter les enfants et on
s’arrangera  à ce qu’elles ne reconnaissent pas les siens17. Quant aux enfants handicapés, ils
seront abandonnés dans un lieu secret.

La procréation des enfants se fera à la fleur de l’âge ; vingt  ans pour la femme et trente  ans
pour l’homme, c’est pourquoi «  la femme enfantera  pour la cité dès sa vingtième année
jusqu’à la quarantième année et l’homme engendrera pour la cité  jusqu’à cinquante-cinq
ans »18 . Ces intervalles d’âge indiquent pour la femme et pour l’homme, le temps de la
grande vigueur du corps et de l’esprit favorable pour enfanter et engendrer.

15 Cf. Ibid., livre V, 457b-459b, pp. 212-213.


16 Cf. Ibid.,  livre V, 459b-461a, pp. 214-215.
17 Cf. Ibid., livre V, 460a-461a, p. 215.
18 Ibid.
6

            La fornication durant l’âge de la génération et le fruit de cette union illégale seront
sanctionnés  par une amande ou une peine pour impiété et injustice 19. C’est ainsi que l’enfant
de cette union sera bâtard  dans la mesure où  sa naissance  sera ni autorisée ni sanctifiée.

            Après l’âge de la génération, les femmes et les hommes peuvent encore s’unir avec
qui ils veulent, excepté avec les membres de leurs familles  pour ne pas commettre l’inceste.
Ils  prendront des précautions pour que nul enfant ne voie le jour de cette union parce que la
cité ne se chargera pas de le nourrir20. 

L’unité de la cité prendra  son  essence dans la fraternité  et la communion d’intérêts.


Raison pour laquelle, les jeunes doivent respecter les personnes âgées  et les aînés  en évitant
d’exercer tout actes de violence envers eux, car ceux-ci peuvent être un père ou une mère ou
un frère ou une sœur pour eux ; c’est pourquoi ces personnes âgées et ces aînés ont le devoir
de les corriger ou de les punir  en cas de mauvaise conduite21. 

II.2.3. La communauté des philosophes-rois

                     Les lois qui administrent cette troisième vague reposent sur les caractéristiques
des philosophes- rois, gardiens de la cité juste. Pour Platon, seul le philosophe-roi est digne
de diriger la cité, à condition qu’il remplisse certains critères tels que 22: l’amour pour la
vérité : le vrai philosophe est celui qui aime la vérité et doit l’aspirer dès sa jeunesse. C’est
pourquoi il est appelé à rechercher les plaisirs de l’âme et non ceux du corps ;  à pratiquer la
vertu et à fuir la richesse et des bassesses du corps. Ensuite l’amour pour la sagesse : le
philosophe est l’ami de la sagesse dans toute sa totalité, c’est pourquoi, il prend plaisir à
contempler le bien en s’élevant vers le monde des idées. Mais aussi, il devra être caractérisé
par la sobriété dans la vie c’est-à-dire qu’il est demandé au philosophe-roi  de  promouvoir
les relations de fraternité entre les membres de la cité, d’être solidaire avec eux par
le  partager de leurs joies et de leurs  peines ;   d’avoir des intérêts communs dans la mesure
où les vrais gardiens sont appelés à mettre tout en commun et à  ne rien  posséder de
personnels (comme maison,  terre, ni aucune autre propriété) parce qu’ils recevront des
citoyens nourritures et salaires. Et enfin, une grande capacité de rétention : dès sa jeunesse,
on s’assurera que le futur philosophe-roi a une facilité d’apprendre parce que les âmes

19 Cf. Ibid., livre V , 461a-462a, p. 216 .


20 Cf. Ibid. 
21 Cf.Ibid., livre V, 464d-465c, pp. 219-220.
22 Cf.Ibid., livre V, 463è-479b, pp. 218-235. 
7

oublieuses ne peuvent prétendre être philosophes ; c’est pourquoi l’éducation est très
déterminante dans la formation du philosophe-roi23.

II.2.4. L’éducation des philosophes-rois 

En ce qui concerne l’éducation des philosophes-rois, elle sera basée sur une formation
de l’esprit afin de le conduire jusqu’à l’idée du Bien suprême qui est la dimension
métaphysique de la justice. C’est ainsi que son éducation se fera en plusieurs étapes
lesquelles seront constituées des exercices physiques, des exercices intellectuels, de
l’expérience dans la cité et de la dialectique.       

Dans l’éducation des philosophes-rois Platon met en exergue trois choses à savoir : l’idée du
Bien, les théories de la connaissance et les étapes de l’éducation.

II.2.4.1. L’idée du bien 

            L’idée du Bien est l’apogée de la connaissance chez Platon. L’élévation à la


contemplation du Bien est la dernière étape de la formation du philosophe. Car, pour bien
diriger la cité  sans risque d’être corrompu, le philosophe doit d’abord contempler l’idée du
Bien pour mieux vivre les vertus dans la cité et  aider les citoyens à faire de même. C’est pour
cela que Platon définit le Bien comme «  la plus haute des connaissances, celle à qui la
justice et les autres vertus empruntent leur utilité et leurs avantages »24. Le Bien n’est ni un
plaisir ni une intelligence, ni une vision ; il est pensé, idée motrice de toute chose. Pour mieux
concevoir le Bien, Platon fait une analogie avec le soleil.  De même que « le soleil  donne aux
objets matériels la possibilité d’être vu, mais aussi la génération, l’accroissement et la
nourriture ; de même le Bien  est la lumière de l’âme, il est le principe de la science et de la
vérité,  il est la source de l’essence et de l’être des choses intelligibles, bien qu’il ne soit pas
l’essence, mais fort au-dessus de cette dernière en dignité et en puissance »25. Donc, le Bien
est la cause efficiente et finale des idées intelligibles comme le soleil est le principe de la vue
parce qu’il permet grâce à sa lumière de voir et de différencier les objets matériels.

 II.2.4.2. Les étapes de l’éducation  des philosophes-rois

23 Cf. Ibid., livre VI, 497c-498c, pp. 254-255. 


24 Cf. Ibid., livre VI, 504d-505c, pp. 262-263. 
25 Ibid., livre VI, 509a-510a, pp. 266-267.
8

                       L’éducation chez Platon est « l’art de  la conversion de l’âme  qui recherche


les moyens les plus aisés et les plus efficaces  de les opérer »26. Elle consiste à orienter
l’âme  dans la bonne direction. Cet art est réservé aux philosophes-rois  qui sont sensés
diriger la cité ; c’est pourquoi, Platon opte pour une éducation de qualité et sélective qui se
réalise en quatre étapes. Elle commence  dans  l’enfance pour s’achever à cinquante
ans.                                                      

La première étape  commence dans l’enfance : pendant l’étape de l’enfance, les enfants sont
soumis à la gymnastique et à la musique pour cultiver en eux la douceur, la tempérance de
l’âme, le courage et la rudesse physique. Ici, les plus agiles sont retenus pour continuer
l’éducation et les moins sont réorientés. 

La deuxième étape : les plus agiles retenus évoluent dans l’étude des sciences  tells que la
logistique, l’arithmétique, la géométrie, l’astronomie pour  connaître le rapport de ses
sciences entre elles et  la nature d’être. Cette deuxième étape correspond à la vingtième
année 

La troisième étape : après leur vingtième année les jeunes seront habiletés à étudier en
profondeur les sciences sus-citées en vue de les préparer à la dialectique. Cette troisième
étape dure  dix ans. 

La quatrième étape : à leur trentième année, les jeunes descendront dans la caverne (le
monde) pour exercer les fonctions et exercices propres aux jeunes gens. Cette descente est
une période d’épreuves. La durée dans la caverne est d’environ  quinze ans. Et à l’âge de
cinquante ans, ceux qui se seront distingués dans leur conduite et dans les sciences seront
menés au terme de leur éducation par l’élévation de la partie brillante de leur âme vers l’être
qui dispense la lumière à toute chose. Quand ils auront contemplé le bien en soi, ils s’en
serviront comme un modèle pour régler la cité, les particuliers et leur propre personne ; ils
étudieront la philosophie et quand leur tour viendra ils géreront la cité et formeront d’autres
hommes. 

II.3. La justice et la politique économique de la cité

II.3.1. La place du marché comme lieu de justice


26 Cf. Ibid., livre VI, 509a-511a, pp. 267-268.
9

Dans l’organisation de la cité juste, la dimension économique est d’une nécessité aussi
considérable pour la bonne marche de la cité. Certes, sous l’effet de l’asymétrie
d’information concernant la qualité de l’objet de la transaction entre l’acheteur et le vendeur
au marché, la méfiance du premier envers le second semble avoir été la règle, et beaucoup de
Grecs voyaient dans l’agora le lieu du mensonge et de la tromperie érigés en valeurs
morales27. Certes encore, les sophistes sont dépeints dans les dialogues de Platon comme des
commerçants âpres au gain et des marchands d’illusion28. Mais cette vision négative n’épuise
pas l’idée que Platon et sans doute les Grecs en général se font du commerce et de l’agora.
La République reconnaît elle aussi au commerce une fonction éthique et politique positive, et
fait de la place du marché un lieu de vérité et de justice. L’importance reconnue par Socrate à
l’activité marchande tient au fait qu’elle est la forme concrète des échanges qui font naître la
cité et que c’est d’abord au niveau de ces échanges que se jouent la justice et l’injustice dans
la polis29. Selon la façon dont le commerce  se déroule, la justice ou l’injustice trouveront un
terrain favorable, qu’elles nourriront aussi en retour.

Pour comprendre la nature et la fonction du marché dans la pensée platonicienne, il


est nécessaire de rappeler d’abord pourquoi Platon place les échanges économiques à
l’origine de la cité, et la modalité selon laquelle ils se déroulent selon lui. On pourra ensuite
présenter les deux formes sous lesquelles ils apparaissent dans ce dialogue : l’une, le
« commerce extérieur », concerne les exportations et les importations, l’autre, le « commerce
intérieur », désigne les transactions dans la cité.

II.3.2. Les échanges à l’origine de la cite

Platon place les échanges à l’origine de la cité. Dans le récit de sa genèse, il ne décrit
pas le passage historique d’une société archaïque à une société développée : il expose les
principes architectoniques de toute société, en particulier ceux gouvernant les échanges qui
s’y déroulent et qui, selon lui, font naître et perdurer jusqu’à un certain point cette société.

Ces principes sont au nombre de trois. Le premier est l’impossible autosuffisance individuelle
où chaque individu se trouve du fait qu’il a des besoins. Socrate, comme Aristote ou
Protagoras30, fait du besoin l’origine de la cité ou, plus largement, l’origine des rapports
sociaux qui sont donc d’abord des rapports économiques. Mais il se distingue d’eux sur deux
27 Cf. Ibid., livre VII, 514a-521b, pp. 273-279.
28 Cf. Ibid., livre VII, 536a-541b, pp. 294-300.
29 Cf. Ibid., livre II, 372a, p. 121.
30 Cf. Ibid., livre II, 369b, p. 117.
10

points. D’une part, il précise que ces besoins sont très nombreux, ce qui ouvrira la voie aux
dangers éthiques et politiques liés au désir de richesse et au désir d’avoir plus. D’autre part, la
communauté qui apparaît ainsi est fragile et ambiguë : ces premiers échanges sont communs
et réciproques mais s’enracinent en même temps dans une insuffisance individuelle que
chacun cherche à combler pour lui-même. Il n’est pas encore ce « commun » vraiment
politique que la République et les Lois proposent de construire : il est cette même
insuffisance que tous ont en partage 31. Le secours que chacun procure à l’autre n’est pour
l’heure que l’envers du secours dont il a lui-même besoin. Dans le geste par lequel chacun se
lie à l’autre pour échanger, la justice, indispensable, est d’emblée obérée par une source
d’injustice potentielle32.

C’est ce que confirme et précise le deuxième principe, consacré au « moteur » que Socrate
place à l’origine de ces échanges : chacun ne s’y livre que parce qu’il estime que c’est
meilleur pour lui-même33. Ce « commun » qui s’élabore dans le lien économique est donc par
nature fragile : le geste de cohésion porte en lui ce qui le fragilise, chacun étant juge, le plus
souvent mauvais juge, selon Platon34 de ce qui est bon pour lui et du rapport que ce « pour
soi-même » entretient avec le « commun ».

Enfin, troisième principe, la distribution des fonctions se fait sur le mode de la


spécialisation individuelle, sur la base de divers arguments : la facilité, la diversité des
naturels, une production de meilleure qualité et en plus grande quantité. Combiné aux deux
principes précédents, celui-ci rend raison à la fois de la multiplication inévitable des individus
qui composent la cité, et de la multiplication également inévitable des tensions entre le
mouvement particularisant par lequel chacun se lie aux autres, et le mouvement de mise en
commun que ces échanges inaugurent. Le lien économique porte en germe le lien politique
mais lui fait également obstacle. Sur la base de ces trois principes, quelle forme prennent
donc les échanges dans la cité ?

II.3.3. Exportation et importation dans le marché

Exportations et importations naissent sous l’effet combiné, d’une part, des trois
principes des échanges qui viennent d’être évoqués et, d’autre part, d’une nécessité de
caractère géographique, aucun territoire ne pouvant totalement pourvoir aux besoins de ses
31 Cf. Ibid., livre II, 369c, p. 118.
32 Cf. Ibid.
33 Cf. Ibid.
34 Cf. Ibid., livre II, 369b-c, pp. 117-118.
11

membres, si bien doté soit-il35. Socrate applique ensuite aux exportateurs étrangers le principe
selon lequel chacun n’échange que s’il y trouve un intérêt : ils ne céderont donc leurs produits
à la cité qui les importe qu’à la condition de pouvoir eux-mêmes en rapporter ce dont ils ont
besoin, l’obligeant elle-même à dédier une part de sa production à ses partenaires étrangers 36.
Sur ce point, on a pu reprocher à Platon son complet silence sur la façon dont la production
est équilibrée dans chaque cité en fonction de ses propres besoins et de ceux des autres cités
pour que ces mouvements d’exportations et d’importations puissent fonctionner 37. Or ce
silence n’est pas une insuffisance de sa part et n’est pas non plus l’indice d’un marché en
puissance (au sens moderne de « marché »), qui donnerait en sous-main sa cohérence aux
exportations et aux importations. Il tient plutôt aux trois raisons suivantes.

D’une part, Platon ne cherche pas ici à étudier un mécanisme économique pour en
dégager la loi, mais à montrer que l’échange est le mouvement fondamental de la vie
politique au sens très général de la vie de la cité, en elle et hors d’elle. Les termes traduits par
importations et exportations sont éloquents de ce point de vue, puisqu’ils signifient
respectivement « faire entrer » dans la cité et « faire sortir » d’elle38. D’autre part, le modèle
abstrait décrit par Socrate laisse entendre que chaque cité a de multiples partenaires
commerciaux, ce qui garantit probablement à chaque produit un débouché adapté aux besoins
des exportateurs avec lesquels la cité traite. Enfin, Socrate évoque juste après les marchands,
qui ont la charge des exportations et des importations, et dont on peut supposer qu’ils ont
l’expérience de ces échanges, qu’ils savent ce dont chaque cité environnante a besoin et ce
qu’elle produit39.

Le marché au sens moderne semble donc bien absent des échanges économiques entre les
cités. Mais qu’en est-il à propos du commerce qui se déroule dans la cité elle-même, sur la
place du marché ?

II.3.4. Le marché comme lieu de la justice et de l’injustice dans la Cité

Après les échanges avec l’extérieur, Socrate se penche sur la façon dont on échange à
l’intérieur de la cité : comment fonctionne la « communauté » des hommes qui y sont
rassemblés ? Le fil rouge du « commun », absent de l’étape du « commerce extérieur »,

35 Cf. Ibid., livre II, 370e, p. 119.


36 Cf. Ibid, livre II, 370e-371a, p. 119.
37 Cf. Ibid.
38 Cf. Ibid., livr II, 371a, p. 119.
39 Cf. Ibid.
12

réapparait ici, parce que l’idée de communauté a sans doute plus de sens pour Socrate dans
une cité qu’entre des cités40. C’est l’achat et la vente qui lient entre eux les membres de cette
cité naissante, ce qui est un argument supplémentaire contre la lecture historicisante de ce
passage (on va y revenir). Aux yeux de Socrate, la sociabilité de l’homme tient ainsi d’abord
au fait que c’est un animal économique, et c’est à partir de cet aspect de son être, à la fois
contre lui et avec lui, que la politique juste de la Kallipolis sera élaborée.

Pour que ces relations d’achat et de vente soient possibles, trois institutions sont
requises : l’agora, la monnaie, et les commerçants installés sur l’agora. Ce passage soulève
plusieurs questions. Tout d’abord, Socrate veut-il dire que ces institutions succèdent à une
forme naturelle d’échange, qui aurait été décrite par Socrate au moment où il exposait la
spécialisation des tâches ? La cité passerait-elle du troc et du « communisme » au « marché »
au sens moderne et abstrait du terme, réalisant par là un « saut qualitatif »? Ce n’est sans
doute pas le cas41. Dans le passage, Socrate n’a pas dépeint le fonctionnement effectif des
échanges dans la cité, ni une forme de « communisme » réalisé : il a proposé un modèle
abstrait du mode de satisfaction des « nombreux besoins » dont chaque homme est porteur42.
En évoquant maintenant l’agora, l’argent et les commerçants, il ne fait qu’expliciter les
instruments et les institutions économiques indispensables à l’accomplissement des échanges
selon le principe de la spécialisation des tâches, qui implique achat et vente. On peut certes
trouver étrange que, contrairement à Aristote dans les Politiques, Socrate ne fasse aucune
allusion au troc alors que c’est un mode d’échange possible, et qui se passe de l’institution
monétaire. La réponse à cette objection met en jeu l’interprétation de tout ce passage. Socrate
ne fait pas ici une histoire de la cité et des échanges économiques : il examine les grandes
fonctions qui font naître la polis, pour comprendre ce qu’est la justice dans les cités actuelles,
notamment Athènes, et savoir comment la favoriser. Or l’argent est à cette époque une
institution économique incontournable, dont Platon sonde à de nombreuses reprises les
enjeux éthiques et politiques : c’est aussi le cas ici.

Ensuite, en parlant de « marché » il est très peu probable que Socrate fasse référence à
une version primitive du principe central de l’économie moderne, c’est le lieu nécessaire des
échanges entre artisans et leurs produits. Sans lui, les transactions entre les membres de la
cité seraient impossibles, ou très difficiles43. À la différence de l’Athénien
40 Cf. Ibid., livre II, 371b, p. 120.
41 Cf. Ibid.
42 Cf. Ibid., livre II, 369e-370a, p. 118.
43 Cf. Ibid., 371b, p. 120.
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des Lois cependant, Socrate ne dit rien ici de l’organisation et de la localisation de cet espace


dans l’ensemble de la cité.

Quant à la monnaie, que veut dire Socrate en la qualifiant de « sumbolon de


l’échange » ? Deux choses au moins. D’une part, comme les tessons (sumboloi) qui servaient
de signe de reconnaissance entre deux personnes ou deux familles ne vivant pas sur le même
territoire et liés par des contrats de diverses sortes, la monnaie est un « symbole » au sens où
elle unit dans l’échange des membres de la polis jusque-là extérieurs les uns aux autres, avec
cette différence d’échelle que la monnaie lie chacun avec tous les autres, et pas seulement
deux individus ou deux familles44. D’autre part, et par conséquent, la monnaie est aussi un
« symbole » au sens où, selon une traduction possible de ce terme, elle est un gage, une
garantie qui, loin de limiter l’échange au seul présent, lui ouvre aussi l’avenir. La monnaie
inscrit donc les échanges dans le temps, elle pérennise jusqu’à un certain point l’imparfaite
communauté née de l’insuffisance individuelle. Elle sert donc, Aristote le dira mieux que
quiconque d’instrument et de signe d’une justice en acte, puisque c’est par son entremise que
l’échange a lieu et se perpétue, ce qui n’exclut pas de possibles injustices et les conflits
qu’elles entraînent.

La force de réunion portée par les échanges commerciaux au marché trouve


confirmation, enfin, dans la fonction des commerçants : ils achètent contre de l’argent des
marchandises à ceux qui ont besoin de vendre, puis les vendent à ceux qui ont besoin
d’acheter. L’expression « sur la place du marché » signifie peut-être que les commerçants
changent de place sur l’agora, passant des vendeurs aux acheteurs pour que chacun obtienne
ce qu’il souhaite. Ils assurent donc la circulation des biens et la distribution du nécessaire au
niveau le plus particulier45. Leur fonction d’intermédiaire ne consiste pas en elle-même à
s’enrichir, ce n’est qu’une dérive possible, que Socrate n’analyse pas ici mais à assurer les
échanges. Le commerce intérieur est, pourrait-on dire, une pure fonction de lien qui remplit le
rôle tout à la fois anthropologique, économique, éthique et pré-politique fondamental, parce
que nécessaire, d’assurer les échanges premiers et indispensables entre les membres de la cité
et de les réunir, même imparfaitement encore. À une époque où le commerce est en grande
partie une affaire personnelle, mettant directement en contact acheteurs et vendeurs, on
comprend que la place du marché soit un lieu décisif où se jouent la justice et l’injustice. Elle
met aux prises des individus dans une relation éthique immédiate. Elle est l’espace où justice

44 Cf. Ibid.
45 Cf. Ibid., livre II, 371d, p. 121.
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et injustice naissent et façonnent les prémisses d’un monde commun avec ce qu’il comporte à
la fois de lien effectif et de conflit potentiel. Dans la République, comme dans les Lois, la
conclusion est donc claire : sans commerçants et sans commerce, donc sans place physique
du marché, pas de cité.

CONCLUSION PARTIELLE

En somme, la justice chez Platon consiste à ce que chaque individu ou chaque groupe
social remplisse strictement la fonction à laquelle  il est appelé à exercer. Le gouvernement
de la cité juste est fondé sur une philosophie méritocratique, qui invite chacun à offrir le
meilleur de lui-même. Par ailleurs, l’éducation des membres en général de la cité et surtout
du philosophe-roi est très capitale. Enfin, Platon invente un concept d’économie  fondé sur
une analyse rationnelle qui identifie l’activité économique avec la production de richesse,
d’où la nécessité du marché comme lieu d’échange favorisant le développement économique
de la cité juste.

Notre troisième chapitre portera sur « la justice, paix et développement » ; dans celui-
ci nous tenterons de traiter de la justice comme vertu fondamentale de l’ordre social et de la
paix en tant que condition sine qua non du développement et cela dans le contexte actuelle en
Afrique.

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