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Philosophie et sciences sociales

Présentation du cours

1) Descriptif

Comme son nom l'indique, le cours a pour ojectif de


vous initier à la philosophie et aux sciences sociales.
Il s'agit d'un vaste programme et il est évident que
l'on ne pourra pas faire le tour de toutes les
questions, ni de toutes les disciplines. L'idée est de
vous donner quelques pistes et quelques prises
(théoriques et méthodologiques) pour pouvoir
appréhender le monde social selon différentes
approches, en particulier à travers la philosophie,
l'anthropologie et la sociologie.

Objectifs :

- Acquérir des bases de réflexion solides sur l'Homme


et la société,

- Savoir situer différentes disciplines et leurs


frontières,

- Maitrîser des notions-clés des sciences humaines et


sociales,

- Saisir la pensée de divers auteurs,

- Être capable de problématiser une question et de


développer un propos argumenté,

- Savoir mobiliser des outils critiques pour analyser


les sociétés contemporaines.

I: La "nature humaine" en question

1) Une question épineuse

- Comment, compte-tenu de la grande diversité des


sociétés humaines, définir "un propre de l'Homme" ?

- Problème de l'idée même de nature qui suppose une


essence, quelque chose d'inné et de fixé une bonne fois
pour toute,

- Au-delà de la biologie, une définition de ce qu'est


l'Homme court le risque de l'ethnocentrisme et, par là,
d'exclure des individus, des groupes ou des sociétés
qui ne correspondent pas aux critères énoncés,

- Une telle définition est toujours ancrée dans un


contexte socio-historique donné :

- Elle n'est jamais neutre puisqu'elle


renvoie à un système de représentations
symboliques d'une époque et d'une société
particulières.

- Elle n'est jamais innocente puisqu'elle comporte


des implications politiques, jusqu'à servir de
justification au pire (l'esclavage, la Shoa...).

2) Petite histoire d'une interrogation et de ses


controverses

a) Dans la Grèce antique

Apparition de la philosophie avec les Présocratiques au


VIème siècle avant J.C.

- Contexte plus général de développement des


sciences, en particulier des sciences de la
nature,

- Mise en question des traditions héritées,

- Passage du mythe à la raison,

- Ouverture d'une interrogation illimitée.

Les spécificités de l'Homme selon Aristote (384-322


avant J.C.)

- Aristote distingue trois types d'âmes :


végétative, animale et rationnelle,

- C'est la dernière, associée au logos, qui est


le propre de l'Homme : "L'Homme est le seul animal
qui possède le logos".

- Le logos signifie à la fois le langage et la


raison : par le langage, les Hommes ont la faculté
d'exprimer et d'échanger des idées,

- De cette disposition à la parole naît ainsi la


possibilité de débattre du juste et de l'injuste,
du bien et du mal...

- "Animal pensant", l'Homme est aussi un "animal


politique",

- Il devient Homme parmi les autres en vivant dans


une Polis (une Cité) régie par des lois et des
coutûmes,

- Car c'est seulement au sein d'une communauté


politique que les potentialités proprement humaines
s'actualisent,
- D'où l'importance chez les grecs anciens de la
Paideia, c'est-à-dire l'éducation, politique et
morale, par laquelle les citoyens s'élèvent à
l'authentique nature humaine,

- L'Homme est donc voué à vivre dans une Cité,


quelles que soient les conventions, les lois et le
type de gouvernement de cette Cité : "C'est de
différentes façons et par des moyens différents que
les divers peuples cherchent à atteindre le bonheur.
Ils se créent à eux-mêmes des modes de vie et des
institutions qui varient de l'un à l'autre."

- En d'autres termes, la vie en société est le


devenir naturel de l'Homme : l'Homme est un "animal
social" par nature.

b) L'Etat de nature : HOBBES contre ROUSSEAU

A partir du XVIIème siècle, les philosophes


modernes vont introduire une nouvelle notion, celle
d'Etat de nature, pour désigner la situation de l'Homme
avant la constitution de la société.

En l'absence de preuves historiques, il s'agit


d'une fiction théorique, comme l'écrit d'ailleurs Jean-
Jacques ROUSSEAU : "Ce n'est pas une légère entreprise
de démêler ce qu'il y a d'originaire et d'artificiel
dans la nature actuelle de l'Homme, et de bien
connaître un Etat qui n'existe plus, qui n'a peut-être
point existé, qui probablement n'existera jamais, et
dont il est pourtant nécessaire d'avoir les notions
justes, pour bien juger de notre Etat présent".

Thomas HOBBES (1588-1679) :


- Pour HOBBES, l'Homme naturel vise sa
propre conservation : il est mu par le
désir personnel et cherche à perdurer dans
son être (le conatus chez Baruch SPINOZA). De
là, l'Etat de nature se caractérise par
l'instabilité, la défiance et la
compétition entre rivaux,

- C'est un "état de guerre de chacun


contre chacun" dans lequel,selon sa
célèbre formule, "l'Homme est un loup pour
l'Homme",

- C'est pour échapper à cet état de


guerre permanent que les Hommes vont
renoncer à leur autonomie (le fait de se
gouverner soi-même) et abandonner leurs
libertés originelles. Ils vont alors s'en
remettre à un tiers : le Léviathan (l'Etat ou
le souverain) seul capable de garantir la
sûreté publique. C'est le passage de l'Etat
de nature à l'état social,

- Par cette explication de type


anthropologique, HOBBES entends poser les
fondements de l'Etat politique moderne. A
la liberté absolue des hommes naturels,
viennent s'interposer des lois collectives
indissociables de l'idée de justice qui lient les
individus par des contrats,

- Le Léviathan, par sa puissance, la


coercition qu'il exerce et la peur qu'il
inspire, est le garant du contrat
social. Dans l'esprit de HOBBES, il ne
s'agit pas d'un pouvoir tyrannique et
arbitraire puisque la source de son
autorité provient des sujets eux-mêmes (qui
ont passé un contrat entre eux),

- C'est pourtant ce caractère


originairement démocratique qui fait que,
à partir du moment où l'Etat est constitué,
les citoyens n'ont plus de légitimité à
désobéir. Ils ont consentis à être gouvernés.
Cela préfigure la fameuse définition par
Max WEBER de l'Etat comme détenteur du
"monopole de la violence physique légitime".

Jean-Jacques ROUSSEAU (1712-1778) :

- Voyant dans la définition de l'Etat de


nature chez HOBBES une sorte de
justification du pouvoir absolu,
ROUSSEAU propose un renversement de
perspective :

"N'allons pas surtout conclure avec Hobbes que pour


n'avoir aucune idée de la bonté, l'Homme soit
naturellement méchant, qu'il soit vicieux parce qu'il
ne connaît pas la vertu, qu'il refuse toujours à ses
semblables des services qu'il ne croit pas leur devoir,
ni qu'en vertu du droit qu'il s'attribue avec raison
aux choses dont il a besoin, il s'imagine follement
être le seul propriétaire de tout l'univers. [...] Je
ne crois pas avoir aucune contradiction à craindre, en
accordant à l'Homme la seule vertu naturelle. [...] Je
parle de la pitié, disposition convenable à des êtres
aussi faibles, et sujets à autant de maux que nous le
sommes ; vertu d'autant plus universelle et d'autant
plus utile à l'Homme qu'elle précède en lui l'usage de
toute réflexion, et si naturelle que les bêtes mêmes en
donnent quelques fois des signes sensibles."

- L'Etat de nature est pour lui un état


d'innocence, de solitude et
d'autosuffisance,

- L'Homme naturel est animé par l'amour


de soi (l'instinct de conservation, la
satisfaction des besoins esssentiels) et la
pitié,

-Tout en ignorant la morale, laquelle se


construit dans et par la société,
l'Homme naturel est "bon pour lui-même et
non dépendant des autres",

- C'est la "dépendance vis-à-vis des


autres qui fait les Hommes mauvais" ;
autrement dit, le passage à l'état
social fait surgir l'amour-propre, le
sentiment de supériorité, la compétition et
les conflits. C'est en ce sens que l'Homme
est corrompu par la société,

- Dans le Discours sur l'origine et les


fondements de l'inégalité parmi les
Hommes, ROUSSEAU écrit : "Le premier qui,
ayant enclos un terrain, s'avisa de dire : "Ceci
est à moi", et trouva des gens assez simples
pour le croire, fut le vrai fondateur de la
société civile". Celle-ci se constitue donc
négativement sur les fondements de la propriété
privée, dont la sauvegarde dépend de
l'édification des institutions
politiques et des lois,

- Avec la fin de l'Etat de nature, il


faut alors reconstituer la liberté et
l'égalité à travers des lois et des
conventions,

- Dans l'état civil, l'Homme laisse


place au citoyen, membre et participant
d'une communauté politique, et le
social se substitue à la pitié,

- Un Etat n'est légitime que s'il est


guidé par la volonté générale de ses
concitoyens : le peuple est souverain,
c'est lui qui fait les lois ; le
gouvernement ne fait que les exécuter,

- De là, ROUSSEAU établi un autre


critère qui fait la spécificité de
l'Homme : la perfectibilité, qu'il
oppose à la fixité de l'instinct chez les
animaux. L'Homme a "la faculté de se
perfectionner", c'est un être
historique, il a la possibilité de se
changer soi-même. En passant de la
nature à la culture, il devient un être
civilisé, pour le meilleur et pour le
pire...

"Il serait triste pour nous d'être forcés de


convenir que cette faculté distinctive, et presque
illimitée, est la source de tous les malheurs de
l'Homme ; que c'est elle qui le tire, à force de temps,
de cette condition originaire dans laquelle il
coulerait des jours tranquilles et innocents ; que
c'est elle qui, faisant éclore avec les siècles ses
lumières et ses erreurs, ses vices et ses vertus, le
rend à la longue le tyran de lui-même et de la nature."
- La perfectibilité implique que
l'évolution de l'Homme est
irréversible -impossible de revenir à la
pureté de l'Homme naturel- mais laisse
toutefois imaginer que l'on peut
corriger le cours des choses. Les
progrès simplement techniques doivent
s'accompagner d'un progrès moral et
politique : une organisation sociale qui
prévienne l'injustice en son sein.

c) DARWIN contre KROPOTKINE

Charles DARWIN (1809-1882)

- Il est considéré comme le fondateur de


la théorie de l'évolution (contre le
créationnisme),

- Dans "L'Origine des espèces", livre


publié en 1859, DARWIN propose une
théorie qui explique l'évolution
biologique des espèces par la sélection
naturelle et la concurrence vitale,

- Parce qu'il naît plus d'êtres vivants


que le milieu peut en nourrir, cela
débouchera sur une lutte pour la vie
entre les individus de la même espèce et
entre les espèces,

- La sélection naturelle désigne "la


survivance des plus aptes", un processus par
lequel les mieux adaptés à leur
environnement parviennent à survivre et à se
reproduire,

- Les variations avantageuses sont


retenues par cette sélection naturelle,
celles défavorables sont éliminées, ce qui
explique la transformation des espèces sur
le temps long.

Le darwinisme social

- De là, un courant de pensée,


représenté notamment par Herbert
SPENCER, va alors détourner les
conclusions de DARWIN, en transposant les
principes de "la survie des plus aptes", de
"la lutte pour l'existence" et de "la sélection
naturelle" aux sociétés humaines,

- Il s'agit en somme d'une entreprise


idéologique qui cherche à légitimer un
ordre inégalitaire,

- Le darwinisme social a ainsi participé


à la justification de l'impérialisme, de la
colonisation et des inégalités
sociales, au nom de "la loi du plus
fort", vue comme l'application à
l'espèce humaine de la sélection
naturelle.

C'est d'abord contre ces usages politiques de DARWIN -


et non contre DARWIN lui-même- que s'élève Pierre
KROPOTKINE (1842-1921)

- Néanmoins, son ouvrage "L'Entraide, un


facteur de l'évolution" va bousculer les
thèses de son prédécesseur,

- Pour KROPOTKINE, en effet, l'évolution


est moins déterminée par une lutte pour
l'appropriation des moyens d'existence,
lutte qui sélectionnerait les plus doués pour
la lutte, que par l'aide et le soutien
mutuel que les membres d'une même espèce
s'apportent les uns aux autres,

- Contre l'idée selon laquelle la survie


et l'amélioration de l'espèce humaine
dépendraient de la compétition et de la mise
en concurrence généralisée de ses membres, il faut
admettre que l'entraide est un facteur essentiel
pour l'évolution.

"Que l'entraide est le véritable fondement de nos


conceptions éthiques, ceci semble suffisamment évident.
Quelles que soient nos opinions sur l'origine première
du sentiment ou de l'instinct de l'entraide -qu'on lui
assigne une cause biologique ou une cause surnaturelle-
force est d'en reconnaître l'existence jusque dans les
plus bas échelons du monde animal ; et de là nous
pouvons suivre son évolution ininterrompue, malgré
l'opposition d'un grand nombre de forces contraires, à
travers tous les degrés du développement humain,
jusqu'à l'époque actuelle."

- En définitive, KROPOTKINE tord le


bâton dans l'autre sens : au contraire des
darwinistes sociaux, mais aussi de HOBBES,
l'entraide fait patie du monde naturel, animal
comme humain. Dès lors que des individus sont en
collectivité, ils s'associent et coopèrent
instinctivement. Il y aurait un fond
naturel à toutes les institutions
d'entraide qui rythment l'histoire
humaine.

d) Dépasser les querelles et les fausses oppositions

Les grandes étapes de l'hominisation, c'est-à-dire


le processus évolutif qui a transformé, au fil du
temps, les grands singes en humains :

- La bipédie,

- La fabrication d'outils,

- L'élargissement du cerveau,

- Le langage,

- La maîtrise du feu.

"L'Homme est un être culturel par nature parce


qu'il est un être naturel par culture" - Edgard MORIN.
Cette phrase, a priori paradoxale, sous-tend l'idée que
le processus évolutif (la nature) a fait de l'Homme un
être culturel.

S'il y a bien une unité du genre humain, produit de


l'évolution, cela n'explique pas la très grande variété
des cultures, des pratiques et des sociétés. La nature
humaine est en ce sens un mode modifiable : elle est
"culturable à merci", par un processus de
socialisation.

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