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( Introduction :)
L’État renvoie à un mode d’organisation politique centralisé qui structure la plupart, sinon
toutes les sociétés modernes. Dans son principe, en effet, il est détenteur de l’autorité politique
suprême et organise la société civile, dont il se distingue. L’existence de l’État implique, de fait, la
distinction entre des gouvernants et des gouvernés et interroge sur la nature de cette relation, autant
que sur le rôle du pouvoir. L’un des enjeux majeurs de toute réflexion sur l’État consiste à poser une
question déterminante : l’État garantit-il nécessairement la liberté ? L’État se présente comme un
ensemble d’institutions ( politiques, administratives, juridiques, militaires, économiques) qui
organise une société sur un territoire donné. De façon simple, on peut dire qu’il a le pouvoir de faire
les lois, de les faire appliquer par les citoyens, en recourant à l’usage de la force, s’il le faut.
L’adverbe « nécessairement », présent dans l’intitulé, nous invite à nous demander s’il fait partie
des fonctions essentielles de l’État d’assurer la liberté des citoyens , voire si c’est intrinsèquement
dans sa nature de le faire. La liberté dont on parle ici renvoie d’abord à son sens courant, c’est-à-
dire au fait de ne pas être empêché de faire ce que l’on veut, de dire ce que l’on pense. Bref, elle est
habituellement conçue comme une absence de contrainte étrangère qui viendrait peser sur la volonté
de l’individu. On voit bien apparaître les données du problème : il semble y avoir une contradiction
entre, d’une part, une autorité politique qui ordonne et, d’autre part, des citoyens dont on exige une
obéissance qui semble peu compatible avec la liberté au premier abord. Nous pouvons formuler le
problème de la façon suivante : l’autorité de l’État implique-t-elle par nature un pouvoir coercitif et
répressif réduisant la liberté, ou bien au contraire, est-elle la condition de la réalisation effective de
la liberté politique ? Pour répondre à cette question, nous verrons d’abord que parce qu’il est
détenteur de l’autorité politique, l’État détient un pouvoir de répression qui semble en faire
l’ennemi de la liberté. Puis, nous tâcherons de montrer en quoi l’État assure le passage d’une liberté
naturelle, qu’il réduit nécessairement, à une liberté civile, qu’il rend possible. Enfin, on tâchera
d’éclairer en quoi consiste la légitimité du pouvoir répressif de l’État, tout en indiquant quelles sont
ses dérives possibles.
I) L’État, détenteur d’un pouvoir de répression peu compatible avec la défense de la liberté
des individus et des citoyens.
2) L’État au service de la domination des riches sur les pauvres : la critique marxiste.
L’État serait, selon Marx, au service d’une organisation capitaliste qui sert les intérêts des puissants
-- les « bourgeois » --, détenteurs des moyens de production, au détriment des pauvres, -- les
« prolétaires »--, qui n’ont que leur force de travail pour vivre. En somme, c’est à fin de masquer la
domination sociale créée par l’organisation capitaliste de la société, que les capitalistes ont inventé
la notion d’État, en revendiquant que la neutralité du droit et l’universalité des lois pourraient
arbitrer les conflits sociaux selon un principe de justice. Il y aurait là un tour de passe-passe qui
consisterait à faire passer les intérêts privés de la classe dirigeante pour l’intérêt général. Cette
lecture économique de la société est également une lecture politique. C’est le principe de la doctrine
du Matérialisme historique de Marx) : les conditions matérielles d’existence misérables du
prolétariat les privent de leurs libertés et de leurs droits fondamentaux.
3) L’État implique une relation entre des gouvernants et des gouvernés qui tente de justifier des
rapports de domination des uns vis-à-vis des autres.
« L’homme est né libre, écrit Rousseau dans l’incipit de son livre Du Contrat social, et partout il
est dans les fers ». Le constat de Rousseau consiste à dire qu’aucun régime de son époque ne
garantit la liberté. Il va donc commencer par montrer ce qui rend ces régimes illégitimes. Il fait la
critique de la monarchie, de tout régime qui repose sur la force ou bien qui nie la liberté au nom de
la sécurité. L’essentiel de son travail, par conséquent, consiste à réfléchir à ce qui rend légitime le
pouvoir de l’État. Car le problème n’est pas tant celui de l’État qui serait liberticide en tant que tel,
mais des États qui sont détenteurs d’une autorité illégitime. On y reviendra.
Transition : on l’a vu, les critiques de l’État ne manquent pas. A bien des égards, elles apparaissent
pleinement fondées et justifient une suspicion tout à fait compréhensible à l’égard de l’État, qui peut
être, « le plus froid des monstres froids » comme l’ écrit Nietzsche dans Ainsi Parlait Zarathoustra.
Mais, l’État, lorsqu’il est légitime, ne peut-il pas être le moyen qui assure le passage d’une liberté
naturelle problématique à une liberté sociale qui rend possible une coexistence pacifique des
hommes dans la société ?
1) Passage de l’état de nature à la société civile et apparition de l’État par le contrat social.
La liberté naturelle est celle que l’on trouve à l’état de nature, qui correspond à la situation
pré-sociale de l’homme ( N.B. : cet état de nature ne correspond pas forcément à une période
historique déterminée. C’est une hypothèse de travail posée par les théoriciens du contrat social qui
vise à expliquer les raisons qui ont pu pousser les hommes à quitter l’état de nature pour rejoindre la
société civile, laquelle coïnciderait également avec l’apparition de l’État.
Cet état de nature = « la guerre de tous contre tous » ( Hobbes, Du Citoyen, Préface). Parce que les
hommes jouissent d’une liberté sans limite, chacun devient une menace potentielle pour les autres.
Selon la formule de Hobbes, l’homme, à l’état de nature, « est un loup pour l’homme ». Chacun ne
vise que sa propre conservation et on peut dire que tous les coups sont permis pour se conserver.
C’est une situation où tous sont isolés, vulnérables et c’est l’insécurité qui domine, y compris pour
le plus fort car pour tous la vie est « solitaire, pauvre, méchante, brutale et courte » ( Hobbes,
Léviathan, Livre 1, Chapitre XIII). En définitive, c’est la peur de la mort violente qui poussera les
hommes à vouloir sortir de cet état de nature. Et comme on sait, c’est un pacte social ( une
convention ) qui leur permettra de sortir de l’état de nature pour trouver un état social. Ce pacte
exige de ceux qui y adhèrent qu’ils abandonnent (qu’ils aliènent, en termes juridiques) leurs droits
naturels, en somme leur liberté individuelle et la transfèrent à un tiers, qui sera alors détenteur de
l’autorité politique souveraine et aura pour fonction d’assurer la paix et la sécurité. Ce tiers, c’est
L’État, celui que Hobbes nomme le Léviathan, en référence à un monstre biblique dotée d’une force
colossale. Par ce nom, Hobbes précise sa conception d’un État doté d’un pouvoir absolu et répressif
qui, potentiellement, terrorise les hommes. L’État est une puissance surplombante qui pacifie les
relations sociales. On voit bien qu’il y a dans cette conception de l’autorité de l’État, un risque
d’excès et d’abus de pouvoir. On y reviendra.
Transition : Nous venons de le voir, l’État peut être ce qui donne une effectivité à la liberté de
l’homme. Celle-ci n’est plus la simple liberté naturelle, mais la liberté civile, assurée et objectivée
par le droit, d’une part, et par l’exercice en acte de la souveraineté politique par le peuple, d’autre
part. La liberté ainsi conçue est autonomie. Cette liberté n’est pas incompatible avec l’exercice
d’une force contraignante par l’État. Nous allons voir que dès lors qu’il est défini et encadré par la
loi, le pouvoir répressif de l’État est à distinguer d’un pouvoir oppressif et liberticide.