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Kit de survie sur le thème « la violence »

par Romain Treffel

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● Je mettrai à jour ce document au cours de l’année (j’ajouterai notamment des
sujets et des liens vers des ressources sur le thème).
● J’ai également rédigé une dissertation modèle sur le sujet « La violence ».
● Tu peux m’écrire à romain@1000idcg.com.

Plus besoin de cours. Plus besoin d’idées.


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Découvre mes 50 paragraphes « tout cuits » sur la violence : 1000idcg.com/50ptc
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Caractéristiques du thème
💡 Est-ce un thème original ?
En Prépa ECG/HEC, le thème « la violence » n’est jamais tombé depuis les années
1990. Le seul thème passé qui s’en rapproche est « le mal » (2001).
Alors que la violence est une obsession de l’être humain — elle est avec la sexualité,
un des deux stimuli les plus puissants pour capter son attention — on ne peut
cependant pas dire qu’elle soit un thème classique en culture générale :
● les grandes œuvres de la littérature et de la philosophie occidentales ne traitent
pas spécifiquement de la violence (si ce n’est de manière adjacente,
lorsqu’elles traitent de la guerre notamment) ;
● ce n’est pas une notion du programme de philosophie de terminale ;
● ce n’est pas un axe du programme de culture générale de 1 ère année.
En conclusion, le thème de la violence est plutôt original.

💡 Est-ce un thème précis ou large ?


D’un côté, le thème de la violence semble précis parce que la polysémie du mot est
limitée (la définition du dictionnaire de l’Académie française est relativement
courte) ; parce que ce thème est moins général que d’autres (comme le monde — le
thème de l’année dernière —, par exemple, ou le mal) ; parce que le nombre de sous-
thèmes paraît limité.
D’un autre côté, le thème de la violence semble large dans la mesure où c’est une
obsession de l’être humain ; dans la mesure où on distingue de nombreuses formes
de violence (physique, psychologique, verbale, sexuelle, domestique, économique,
politique, symbolique, structurelle, individuelle, collective, etc.) ; et encore dans la
mesure où elle est une dimension majeure de l’histoire récente (disons depuis la
Révolution française, et tout particulièrement le XXe siècle).
En définitive, comparé à tous les thèmes qui sont tombés aux concours des grandes
écoles de commerce, le thème de la violence est plutôt précis.

Définitions essentielles
💡 Comment définir la violence ?
Sur le plan de l’étymologie, le nom commun « violence » vient du latin violentia, qui
signifie essentiellement « force », et qui sert notamment à qualifier la capacité de
certains phénomènes naturels à faire subir une contrainte physique à l’homme (la

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force du vent, par exemple). Le mot latin violentia vient lui-même du latin vis, qui
signifie également « force », mais au sens de « force vitale », d’« énergie en action »,
c’est-à-dire ce qui fait mouvoir les êtres vivants. Dans cette perspective, la violence
est liée à la vie elle-même.
L’idée que suggère l’étymologie latine est donc qu’il y a violence lorsque l’énergie qui
anime la vie se fait sentir physiquement (au point d’engendrer un dommage).
En français, le sens le plus courant du nom commun « violence » concerne en effet
les actions physiques et les comportements.
Pour faire simple, il faut distinguer deux usages du mot « violence » :
1. La force elle-même — C’est le fait d'agir sur quelqu'un ou de le faire agir contre
sa volonté en employant la force ou l'intimidation. Les dommages sont en
général physiques, mais ils peuvent être, et ils sont de plus en plus
psychologiques (comme dans le harcèlement). On parle par exemple de la
violence révolutionnaire, des violences policières, ou de la violence conjugale.
Dans cet usage, la violence s’oppose à la paix et à l’ordre.
2. La manière d’être de la force — C’est essentiellement le fait que la force n’est
pas contenue (et l’homme estime qu’elle devrait l’être parce qu’elle risque
d’engendrer un dommage). On parle par exemple de la violence du vent, de la
violence d’un coup (le coup constituant en lui-même une violence), ou de la
violence d’une accusation. Dans cet usage, la violence s’oppose à la mesure.
La langue ordinaire distingue certaines formes de violence, dont notamment la
violence physique, la violence verbale, la violence psychologique, la violence
sexuelle, ou encore la violence structurelle (lorsque l’organisation de la société, la
configuration hiérarchique de ses éléments est source de violence) et la violence
symbolique (idée issue de la sociologie de Bourdieu).

💡 Quelles sont les idées les plus importantes ?


Voici les principales idées liées à la notion de violence :
● Agression : Atteinte à l’intégrité physique ou psychologique d’un organisme.
Ressentir le bruit comme une agression.
● Barbarie : Caractère d’une violence dont l’excès est rapporté à la prétendue
sauvagerie de la vie humaine dans l’état précédant la civilisation. Pousser la
répression jusqu’à la barbarie.
● Brutalité : Caractère d’une chose dont l’intensité frappe l’esprit humain de la
même manière que l’intensité du comportement d’une brute (un animal
dépourvu de raison) frappe l’esprit. La brutalité d’une offensive militaire.
● Coopération : Entente entre les membres d'un groupe en vue d'un but commun.
Travailler en étroite coopération.
● Cruauté : Caractère d’une violence qui laisse penser que son auteur est
insensible à la souffrance de la victime. Traiter ses ennemis avec cruauté.

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● Domination : Action ou capacité d’un individu ou d’une entité à imposer sa


volonté à quelqu’un ou quelque chose. L’Empire romain étend sa domination.
● Dommage : Préjudice physique ou psychologique causé par un tiers. Les
dommages incalculables de la guerre.
● Force : Capacité d’un être vivant ou d’une chose à exercer une action. Ne plus
avoir la force d’avancer.
● Guerre : Conflit armé entre des groupes humains organisés. L’art de la guerre.
● Intégrité : État d’un ensemble (une chose ou un être) complet, dont il ne
manque aucune des parties. Une atteinte à l’intégrité physique.
● Intimidation : Action de susciter la crainte chez un être vivant. Ne pas céder à
des manœuvres d’intimidation.
● Paix : Absence de trouble dans les relations entre individus ou entre groupes
d’individus. Faire la paix.
● Peur : Émotion pénible liée à la conscience d’un danger. La peur de la mort.
● Souffrance : Douleur physique ou morale. La souffrance animale.
● Torture : Souffrance physique intense infligée à quelqu'un (souvent pour
obtenir des aveux). Un instrument de torture.
● Tyrannie : Domination qui, parce qu’elle n’est pas encadrée par des limites,
recourt à la violence et commet l’injustice. La tyrannie d’un dirigeant qui réprime
les oppositions à sa politique.
● Vengeance : Acte d’infliger un dommage en réponse à un dommage subi.
Goûter le plaisir de la vengeance.

Vue d'ensemble sur la violence humaine


Dans cette partie, mon objectif est de vous brosser les grandes lignes de l’histoire de
la violence humaine et des interprétations que la pensée occidentale en a données.
Ma perspective est donc principalement historique et philosophique. Toutefois, je
mobiliserai aussi d’autres champs du savoir qui permettent de mieux comprendre la
violence (notamment l’anthropologie et la psychologie).
Voici les limites de ma synthèse :
● Comme la violence est un phénomène et un enjeu majeur de la vie humaine, la
quantité de faits, d’idées et d’œuvres qu’on peut mentionner est infinie. Je me
contenterai donc de mentionner des repères essentiels.
● Comme une vue d’ensemble est une synthèse, je vais sacrifier les détails et
simplifier (parfois dans une proportion qui peut paraître excessive). Libre à
vous de compléter, mais rappelez-vous que votre objectif n’est pas d’accumuler
les connaissances (il est de réussir une épreuve de dissertation).
● Ma synthèse embrasse l’histoire de l’ensemble de l’humanité, mais comme la
plupart des travaux sur le même sujet, elle donne une place plus importante à
l’Occident. Elle privilégie également les violences physiques, qui sont celles
auxquelles renvoie en priorité le mot dans la langue courante.

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Gardez donc bien à l’esprit, lorsque vous lisez ou écoutez ma synthèse, que l’intérêt
est d’avoir une bonne perspective d’ensemble du thème. Ainsi, vous vous repérerez
mieux dans le champ intellectuel sur lequel vous devrez disserter cette année.

💡 Quelle différence entre les violences humaine et animale ?


Voici les principales conclusions de l’éthologie (la science du comportement des
espèces animales dans leur milieu naturel) :
● les animaux d'espèces différentes ou bien s'évitent, ou bien s'affrontent dans
une relation de prédation ;
● l'agression fonctionne comme un instinct (c’est-à-dire de manière programmée
et automatique) surtout à l'intérieur de l'espèce ;
● l’agression au sein de l’espèce intervient dans la répartition des ressources,
dans la sexualité, et dans l’établissement d’une hiérarchie stable ;
● elle est peu dangereuse : les armes des animaux sont limitées (griffes, dents,
cornes, etc.), et l’agression s’assortit de comportements de ritualisation qui
épargnent le plus faible ;
● il existe quand même des comportements pathologiques (lorsque la
ritualisation est défaillante) : animaux tueurs, autoagression, cannibalisme à
l'égard des petits, attaques pathologiques, guerres à l'intérieur du groupe, etc.
D’après ces conclusions, la violence animale serait liée à un instinct qui organise les
relations des individus à travers leurs affrontements. Cet instinct existerait chez
l’homme tant qu’il vit dans des groupes dits « naturels » (maximum une centaine de
membres) parce que chaque membre connaît intimement les autres membres.

Mais l’instinct déraille dans les grands groupes (dits « artificiels »). La distance
entre les individus les empêche de se connaître intimement et de communiquer
efficacement, d’où l’échec de la ritualisation. De surcroît, les armes et l’inventivité
technique humaines démultiplient les ravages.

Le zoologiste autrichien du XXe siècle Konrad Lorenz met par exemple en évidence le
fait que les armes modernes engendrent un aléa moral : l’homme qui appuie sur un
bouton n’a pas à en subir les conséquences.

« L'invention d'armes artificielles troubla l'équilibre entre les possibilités de


tuer et les inhibitions sociales. »
Konrad Lorenz, L’agression : une histoire naturelle du mal

L’homme serait donc un animal agressif qui pratique à vaste échelle ce qui passe
chez les autres animaux pour une défaillance de l’instinct.

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💡 Que sait-on de la violence chez les premiers hommes ?


Les corps d’hommes préhistoriques qu’on retrouve révèlent souvent, à l’analyse, des
traces de violence. C’est par exemple le cas d’Ötzi, l’homme des glaces découvert en
1991 au nord-est de l’Italie. Alors que les scientifiques pensaient d’abord qu’il était
mort de froid dans une crevasse où il était tombé, des radiologues découvrent une
pointe de flèche fichée dans son épaule ; puis on trouve des entailles non cicatrisées
au niveau de ses mains, ainsi que des blessures à la tête et au torse ; enfin, les
analyses ADN identifient des traces de sang d’autres individus. La conclusion
s’impose : Ötzi était un homme dangereux. Il faisait probablement partie d’un groupe
qui se livrait à de violents pillages et se serait heurté à une tribu voisine.
Cet exemple laisse donc penser que l’homme préhistorique n’était pas pacifique, et
qu’il avait de fortes chances de voir son corps meurtri.
On peut mettre cette hypothèse à l’épreuve en s’intéressant au comportement des
primates proches des ancêtres de l’homme préhistorique.
Les chimpanzés (les animaux les plus proches des êtres humains) passaient pour
une espèce essentiellement pacifique. Les anthropologues pensaient que les conflits
entre les groupes de chimpanzés ne dépassaient jamais le stade de l’intimidation.
Concrètement, lorsqu’un sous-groupe en quête de nourriture dans la forêt rencontre
un sous-groupe d’une autre communauté, ils se livrent simplement à des
démonstrations de force jusqu’à ce que l’un des deux groupes cède.

La primatologue britannique Jane Goodall rétablit la vérité dans les années 1960.
Observant des chimpanzés dans leur milieu naturel sur de longues périodes (ce
qu’elle est la première à faire), elle montre que l’agression mortelle fait partie du
répertoire normal du comportement des chimpanzés. En particulier, un groupe de
chimpanzés mâles peuvent faire preuve d’une sauvagerie meurtrière lorsqu’ils
rencontrent un plus petit groupe d’une autre communauté ou un individu isolé (si
c’est une femelle, ils peuvent la violer, voire tuer et même manger son petit).

« Les attaques par d'autres chimpanzés sont la deuxième cause de mortalité à


Gombe (Tanzanie), après les maladies. »
Jane Goodall, Through a Window

Comment expliquer la violence des chimpanzés ? Dans la perspective évolutionniste,


l’agression est un moyen efficace, pour les mâles, d’accaparer des ressources (du
territoire, donc de la nourriture, et aussi les femelles du groupe vaincu). Mais ils ne
s’adonnent pas à n’importe quel type d’agression : ils privilégient les combats
inégaux — le groupe des agresseurs essaie en général d’être trois fois plus
nombreux que le groupe des agressés — afin de réduire les risques. Cette situation
se produit notamment lorsque des chimpanzés affamés se mettent en quête de

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nourriture seuls, car les arbres à fruit sont distribués de manière irrégulière sur le
territoire.
Les bonobos sont d’autres primates (dont les hommes sont proches) apparemment
peu portés à la violence. Ils ont même été surnommés les « chimpanzés hippies » (le
bonobo est un chimpanzé nain) parce que cette espèce serait à la fois pacifique,
matriarcale, voluptueuse (ils dissocient la sexualité de la reproduction) et herbivore
(ils ont donné leur nom à un restaurant végétarien de New York). Cette vision est
cependant à nuancer, car les groupes de bonobos qui l’ont inspirée sont privilégiés.
On a constaté que les groupes moins privilégiés sont plus agressifs (quoique plus
pacifiques que les chimpanzés communs).
On peut également éclairer la propension à la violence des ancêtres de l’homme en
s’intéressant aux tribus de chasseurs-cueilleurs.
On a cru jusqu’à la fin du XXe siècle que leur violence était très limitée (notamment
en comparaison des carnages dont sont capables les sociétés plus avancées). On
pensait que les affrontements tribaux étaient essentiellement rituels et symboliques.
À quoi ressemblaient-ils ? Concrètement, deux camps se menacent et s’insultent à
distance ; ils se visent avec des flèches et des lances ; puis ils arrêtent les frais dès
les premiers blessés ou tués. L’historien américain William Eckhardt, qui a écrit une
histoire quantitative de la guerre en 1992, estime que les tribus étaient trop petites et
qu’elles avaient trop peu d’armes pour mener une guerre d’envergure.

Des anthropologues réfutent cette conclusion au tournant du XXIe siècle. L’idée


essentielle qui ressort de leurs travaux, c’est que ce ne sont pas les affrontements
bruyants des tribus qui font beaucoup de victimes, mais les raids, c’est-à-dire les
attaques sournoises (la source de la violence des chasseurs-cueilleurs serait donc
le même type de comportements que chez les chimpanzés).

Concrètement, un petit groupe d’hommes se glissent furtivement dans un village


ennemi avant le lever du jour, puis décochent des flèches contre les habitants qui
sortent de leur hutte. Ils peuvent ainsi tuer un grand nombre de personnes mal
réveillées. Le temps que les villageois organisent la riposte, les assaillants auront
déjà décampé. S’ils sont suffisamment nombreux, ils peuvent tuer tous les hommes
et enlever les femmes. D’autres types d’attaques sont possibles, comme
l’embuscade ou certaines ruses. Ces attaques susceptibles de décimer une tribu ne
sont pas forcément des événements rares.

« En général, les guerres dans les sociétés préétatiques étaient à la fois


fréquentes et importantes. »
Lawrence Keeley, Les guerres préhistoriques

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Cet anthropologue américain estime même que la guerre préhistorique était plus
meurtrière (en proportion de la population) que la guerre moderne, et que ce que
nous appelons des « génocides » étaient monnaie courante.
Voici quelques autres faits révélateurs :
● selon les enquêtes ethnographiques, environ les deux tiers des groupes de
chasseurs-cueilleurs sont en guerre au moins une fois tous les deux ans ;
● ces groupes se battent souvent pour se venger, et c’est ce motif qui les incite à
massacrer leurs ennemis jusqu’au dernier, afin d’éviter un match retour ;
● les guerriers sont capables d’atrocités (par exemple, ils imbibent les pointes
des flèches de poison, ils les conçoivent de manière à ce qu’elles se brisent au
moment de l’impact, ou encore ils torturent leurs prisonniers) ;
● le cannibalisme est largement répandu dans la préhistoire humaine, au point
que nous posséderions des gènes qui protègent des maladies transmises par
les pratiques cannibales.

💡 L’homme est-il violent par nature ?


Les penseurs de référence de la culture occidentale ont répondu à cette question
sans disposer de connaissances fiables sur la vie humaine avant la civilisation.

Pour faire simple, les deux positions clés sont, d’une part, la vision pessimiste
développée par Thomas Hobbes, un philosophe anglais du XVIIe siècle, dans le
Léviathan ; et d’autre part la vision optimiste développée par Jean-Jacques
Rousseau, un philosophe genevois du XVIIIe siècle, dans son Discours sur l’origine
de l’inégalité. Leur désaccord fondamental découle de leurs conceptions différentes
de l’état de nature, c’est-à-dire la condition (hypothétique) des êtres humains avant
l'établissement de la société et des lois.

En quoi Hobbes est-il pessimiste ?


À ses yeux, les premiers hommes vivaient dans un état d’anarchie violente, ce qu’il a
fameusement décrit comme « une guerre de tous contre tous ».

« La vie de l’homme est solitaire, besogneuse, pénible, quasi animale et brève. »


Thomas Hobbes, Léviathan

Pourquoi l’état de nature serait-il fondamentalement hostile ? Selon Hobbes, c’est


tout d’abord un problème de défiance. Comme l’homme originel craint d’être attaqué
à tout moment, il a intérêt à prendre lui-même l’initiative d’attaquer, c’est-à-dire qu’il
attaque par anticipation (« la meilleure défense, c’est l’attaque », dit un adage souvent
attribué à Napoléon). Mais la source primordiale de la violence de l’homme de l’état
de nature est psychologique : il a besoin de se sentir reconnu par ses semblables. Il
tend donc à interpréter le moindre signe de mésestime comme une agression

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insupportable, suffisante à déclencher les hostilités. Cette sensibilité le met dans


une disposition permanente au combat. C’est le sens de la célèbre formule du
dramaturge latin Plaute « l’homme est un loup pour l’homme » (qui sera popularisée à
partir de la Renaissance, et reprise par Hobbes dans Du citoyen).
Les premiers hommes vivent donc dans un état d’expectative qui empêche toute
activité sociale productive, puisque la violence risque de réduire à néant les fruits de
l’effort. C’est pour cette raison que Hobbes justifie l’instauration d’un État assez fort
pour interdire les violences privées. Il compare la puissance de cet État à celle du
Léviathan de La Bible, un monstre marin colossal capable d’anéantir le monde.
Cette solution repose sur une conception de l’acte de violence qui met en présence 3
parties qui ont chacune un motif de recourir à la violence :
1. l’agresseur qui veut imposer sa volonté à une victime ;
2. la victime, qui riposte pour se défendre ;
3. le témoin, qui intervient pour minimiser les dégâts collatéraux.
La violence entre les combattants peut être qualifiée de guerre ; la violence exercée
par le témoin contre les combattants peut être qualifiée de loi. Pour résumer d’un
mot la théorie du Léviathan, la loi vaut mieux que la guerre.
En quoi Rousseau est-il optimiste ?
À ses yeux, la violence est quasiment absente de l’état de nature. Hobbes se trompe
parce qu’il projette les passions propres à la société.

« Le calme des passions et l’ignorance du vice les empêchent de mal faire. »


Jean-Jacques Rousseau, Discours sur l’origine de l’inégalité

Pourquoi l’état de nature serait-il fondamentalement pacifique ? En premier lieu, c’est


une question de densité de population. Rousseau postule que l’homme préhistorique
menait une vie isolée, car les individus étaient dispersés sur la Terre (contrairement
à la promiscuité dans laquelle vivent les hommes civilisés). Du coup, les rencontres,
et donc les risques de conflit sont rares. En deuxième lieu, l’environnement naturel
satisfait les besoins de l’homme, ce qui rend la prédation inutile. En troisième lieu,
les passions sociales — la jalousie, pour faire simple — sont absentes à l’état de
nature, de telle sorte que la violence liée à l’honneur n’existe pas. Enfin, même si
l’homme naturel n’est ni bon ni mauvais — ses actes lui sont dictés par la survie — il
n’aime pas la violence parce qu’il éprouve de la pitié, la répugnance innée à voir
souffrir son semblable, qu’on décèle déjà chez les animaux.
La vision de Rousseau a des implications importantes, dont notamment :
● l’idée que c’est la civilisation, au sens de l’organisation de la vie collective en de
grands groupes artificiels, qui est responsable de la violence humaine ;

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● la substitution de l’idée d’innocence originelle à celle de péché originel (selon


saint Augustin, la désobéissance d’Adam et Ève, les premiers humains créés
par Dieu, prédispose ensuite les hommes à faire le mal) ;
● la révolution de l’éducation occidentale à partir de l’idée que l’enfant est un être
innocent et pur auquel il faut laisser la liberté de se développer naturellement
plutôt que de lui imposer une discipline précoce.
Qui, de Hobbes ou de Rousseau, a raison ?
Le progrès du savoir accompli ces derniers siècles nous permet de conclure que les
deux positions déforment très probablement la réalité de la violence humaine. Celle
de Hobbes exagère la propension de l’homme préhistorique à la violence comme
celle de Rousseau exagère l’innocence de cet homme.
Les champs modernes du savoir apportent de nouveaux éclairages :
● L’anthropologie met en lumière l’importance de la chasse. Cette activité aurait
développé chez les hommes l’agressivité propre aux carnivores. Elle aurait en
même temps entraîné la sophistication de la coopération — une équipe de
chasseurs peut s’attaquer à du gros gibier — et le perfectionnement des outils
(notamment des armes). Enfin, comme la chasse est une source importante
d’acquisition de nourriture, les chasseurs (dont la compétence est relative à la
prise de risque et à la violence) dominent dans la tribu.
● La psychologie met en lumière la coexistence de motivations qui favorisent la
violence et d’autres motivations qui en détournent. D’un côté, la satisfaction
des besoins, l’ambition, la rivalité, la vengeance, et le sadisme peuvent rendre
l’homme violent ; mais de l’autre côté, l’empathie, la maîtrise de soi, le sens
moral, et la raison l’aiguillent vers la coopération et l’altruisme. La psychologie
évolutionniste, l’école dominante dans la psychologie contemporaine, pose que
la tendance à la violence est stratégique, c’est-à-dire qu’en règle générale,
l’homme ne recourt à la violence que lorsqu’il estime que les gains potentiels
sont élevés et les risques faibles (les hommes [et les chimpanzés, comme on
l’a vu] ont une âme de guerrier quand ils sont à dix contre un).
● La neurophysiologie, qui étudie le fonctionnement et l'organisation du système
nerveux, met en lumière divers types d’agressivités. Il y en a une propre au
cerveau reptilien, qui est le siège des comportements de survie de l’individu et
de l’espèce, des peurs ancestrales et des mécanismes de reconnaissance de
base ; il y en a une propre au système limbique, qui est le siège des motivations
et des émotions ; enfin, il y en a une propre au néocortex, qui permet les
anticipations, les choix et le contrôle de l’action volontaire.
● La sociologie, qui étudie la société comme un tout qui a ses propriétés propres,
met en évidence divers rôles de la violence humaine dans une communauté :
par exemple, la violence initiatique (le bizutage) qui intègre un nouveau
membre dans un groupe ; la violence qui sert à contester la répartition des
ressources ; la violence « révolutionnaire » qui sert à contester la hiérarchie.

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Ces types de violence peuvent exister aussi bien dans une tribu d’une centaine
de chasseurs-cueilleurs que dans une nation de 70 millions de citoyens.
● L’économie met en lumière la rentabilité de la paix. Le commerce est un jeu à
somme positive, c’est-à-dire que toutes les parties gagnent à coopérer. Or, le
commerçant a intérêt à ce que ses clients et ses partenaires soient animés par
des sentiments favorables à son égard. C’est la fameuse idée du « doux
commerce », selon laquelle les interactions économiques pacifient les rapports
humains. Les choses semblent toutefois plus compliquées dans les faits.

💡 Quid de la violence dans les anciennes civilisations ?


Les anciennes civilisations qui servent de repères pour la culture occidentale sont
les civilisations bibliques, la Grèce antique et la Rome antique.
L’Iliade et l’Odyssée d’Homère offrent un aperçu de la violence de la Grèce antique.
Le récit se déroule à la période mythique de la guerre de Troie, aux environs du XIII e
siècle avant J.-C, mais comme il a été rédigé bien plus tard, il reflète en réalité la vie
(et en particulier la propension à la violence) des tribus et chefferies en Méditerranée
orientale dans la première moitié du Ier millénaire avant J.-C.
Les hommes de cette époque voient la guerre comme un aspect inexorable de
l’existence. Leur fatalisme se trahit par le fait qu’ils rapportent la guerre à la colère
des dieux plutôt que de l’envisager comme un problème humain soluble.

« Nous sommes des hommes à qui Zeus, je le vois, inflige le destin de dévider
le fil des guerres douloureuses, de nos plus jeunes ans jusqu’à notre vieillesse,
jusqu’à l’heure où chacun de nous doit succomber. »
Ulysse dans l’Odyssée d’Homère

Les descriptions d’Homère sont cohérentes avec les connaissances archéologiques,


ethnographiques et historiques dont nous disposons. Elles montrent que les guerres
de la Grèce antique sont tout aussi totales que les guerres des nations modernes.
Voici comment se produit une attaque : les soldats approchent du rivage dans des
embarcations rapides, ce qui leur permet de mettre à sac les habitations côtières
avant l’intervention des voisins ; en général, ils tuent les hommes ; ils pillent le bétail
et les autres biens meubles ; ils enlèvent les femmes, les asservissent et les violent
(les héros de l’Iliade considèrent les femmes comme un butin légitime). Les
combats infligent au corps humain une violence digne de nos films d’horreur, et puis
laissent des monceaux de cadavres en délitement sur le champ de bataille.
Ce scénario explique la psychologie des Grecs du temps d’Homère. Les hommes
vivent dans l’hypothèse d’une mort soudaine et violente. Leurs femmes ont peur pour
leurs maris et enfants. Elles guettent avec inquiétude des voiles à l’horizon qui
peuvent être annonciatrices d’une nouvelle vie de viols et d’esclavage.

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L’Ancien Testament (qui est la première partie de la Bible chrétienne, composée d'un
ensemble de textes religieux et historiques du peuple juif) offre un aperçu des vies et
des valeurs des civilisations proche-orientales au milieu du I er millénaire avant J.-C.
Or, la violence est un thème majeur de l’Ancien Testament.
Parmi les épisodes de violence les plus célèbres, on peut citer :
● le meurtre d'Abel par son frère aîné Caïn, ce qui fait de Caïn le premier meurtrier
de l’humanité (Abel et Caïn sont les fils d’Adam et Ève) ;
● le massacre des habitants Sodome et Gomorrhe (qui sont des villes voisines) :
Dieu décide de les engloutir dans un déluge de soufre et de feu pour punir leurs
péchés (que les théologiens réduiront à la sexualité non reproductive) ;
● le sacrifice d'Isaac : les valeurs morales d’Abraham, le père du peuple hébreu,
sont mises à l’épreuve lorsque Dieu lui ordonne d’emmener son fils Isaac au
sommet d’une montagne, de lui lier les mains, de l’égorger et de brûler son
corps en guise de sacrifice — Isaac n’est épargné que parce qu’au dernier
moment, un ange vient arrêter la main du père.
Les récits de l’Ancien Testament incluent les violences les plus graves : l’esclavage,
le viol, la torture, la mutilation, le sacrifice, et même le génocide de tribus voisines. Ils
banalisent la peine de mort, prescrite pour l’adultère, l’homosexualité, le manque de
respect envers les parents, ou encore le blasphème. Comme l’illustre l’épisode de
Sodome et Gomorrhe, la justice divine est d’une sévérité extrême : elle autorise le
génocide de peuples entiers (Hittites, Amorrites, Cananéens, etc.). La vengeance
humaine est légitimée par la loi du talion, qui apparaît à plusieurs reprises avec la
même image de l’œil et de la dent. Enfin, les pauvres animaux prennent cher. Ils sont
régulièrement sacrifiés pour honorer Dieu, célébrer des fêtes religieuses, expier les
péchés, ou encore sceller des alliances.

« Mais si malheur arrive, tu paieras vie pour vie, œil pour œil, dent pour
dent, main pour main, pied pour pied, brûlure pour brûlure, blessure pour
blessure, meurtrissure pour meurtrissure. »
Ancien Testament, Exode 21,23-25

En conclusion, l’Ancien Testament dépeint un monde d’une sauvagerie stupéfiante.


Les gens réduisent en esclavage, violent, assassinent des membres de leur famille
proche. Les chefs de guerre massacrent des civils de façon indiscriminée, y
compris des enfants. Les femmes sont achetées, vendues, enlevées comme objets
sexuels. Quant à Dieu, il torture et massacre hommes et femmes par centaines de
milliers pour simple désobéissance, ou même sans aucune raison. Les violences
atroces ne sont pas rares et elles impliquent toutes les principales figures du récit.

Le judaïsme et le christianisme ont cependant donné plus d’importance à des textes


sacrés bien moins violents que l’Ancien Testament, le Talmud (qui compile le savoir

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religieux des rabbins) pour le judaïsme, et le Nouveau Testament (qui relate


notamment le parcours de Jésus-Christ) pour le christianisme.
Plus particulièrement, on oppose souvent la conception chrétienne de l’amour à la
violence dépeinte et valorisée dans l’Ancien Testament. L’innovation en termes de
valeurs est double : premier versant, Jésus-Christ prescrit d’aimer son prochain
comme soi-même ; et second versant, il prescrit d’aimer tous les hommes, quels
qu’ils soient, indépendamment de leur mérite comme de leur identité (cela inclut
donc les ennemis). Le chrétien a ainsi un devoir de bienveillance universelle et
inconditionnelle qui constitue un idéal de non-violence. Envisagé dans une
perspective historique, le Nouveau Testament indique une évolution des mentalités
chez les peuples des deux premiers siècles.
La Rome antique est une civilisation ambivalente à l’égard de la violence.
D’un côté, elle est un exemple de la capacité d’un empire, une organisation politique
autoritaire qui s’étend sur des peuples distincts, à pacifier les rapports humains.
C’est ce qu’on appelle la Pax Romana (« Paix Romaine »). L’empire romain a connu
une période de stabilité politique et de prospérité qui s’étend grosso modo sur les
deux premiers siècles (qui sont également la période de l’histoire et de l’écriture du
Nouveau Testament). La Rome de cette époque connaît peu de conflits internes, pas
de guerres majeures, consolide le pouvoir impérial, développe les infrastructures à
travers les provinces, et enfin promeut le commerce et la culture.
Cette paix impériale romaine illustre les deux théories de référence concernant l’effet
de l’organisation politique sur la violence :
1. la théorie du Léviathan de Hobbes, selon laquelle la puissance de l’autorité
publique garantit la sécurité nécessaire à la civilisation ;
2. la définition de l’État comme détenteur du monopole de la violence légitime par
le sociologue allemand Max Weber (Le savant et le politique) : le pouvoir
politique étatique entraîne le déclin de la violence dans la communauté, car il
l’organise en interdisant l’usage de la violence à tout membre, groupe, ou entité
de la communauté qui n’agit pas en tant qu’agent du pouvoir politique.
Comme d’autres empires dans l’histoire de l’humanité, Rome s’est développée avec
des méthodes brutales, mais ses profits ont fait progresser la philosophie, les arts, la
justice, et même la morale. Les Romains justifiaient leur domination en affirmant
qu’ils apportaient aux barbares paix, justice et raffinement.
L’historien romain Tacite rapporte le discours du chef breton Calgacus (avant une
bataille contre l’armée romaine), qui dénonce la brutalité des conquêtes romaines et
leur justification de la violence sous couvert de civilisation et de paix :

« Ils pillent, tuent et ravissent par faux prétexte de gouvernement, et là où ils


font un désert, ils l'appellent paix. »
Tacite, Vie d’Agricola

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Seulement, d’un autre côté, la violence est très répandue dans la Rome antique. Elle
se manifeste notamment dans les guerres d'expansion et de conquête, les combats
de gladiateurs dans les arènes, les exécutions publiques de criminels et d'esclaves,
les persécutions de certains groupes religieux comme les chrétiens, la concurrence
féroce pour le pouvoir, ou encore les conflits politiques internes qui conduisaient
souvent à des assassinats (le plus célèbre étant celui de César).

De surcroît, la mentalité populaire ne condamnait pas la violence. Dans le Colisée qui


symbolise aujourd’hui l’Empire, des foules comparables à celles des stades actuels
jouissaient du spectacle de cruautés de masse (nous connaissons les combats de
gladiateurs, mais les spectateurs pouvaient aussi assister au viol d’une femme nue
attachée à un poteau, ou encore la voir se faire déchiqueter par des animaux). Autre
exemple emblématique, la crucifixion, qui est le moyen de mise à mort le plus
célèbre à Rome (c’était d’ailleurs un châtiment courant dans l’Antiquité), est d’une
cruauté impensable (le prisonnier était notamment flagellé par une sorte de martinet
dont les lanières étaient serties de pierres aiguisées qui pénétraient profondément
dans le corps et formaient ainsi des lambeaux de chair sanguinolente [on peut se
faire une idée de cette torture en regardant le film La Passion du Christ]).

💡 Quelles formes la violence collective prend-elle ?


La forme de violence collective la plus emblématique est la guerre, un conflit armé
entre des groupes humains organisés (on parle aussi de « violence organisée »).
Voltaire a violemment dénoncé la guerre par la bouche d’un personnage de Candide
(ce qui ne l’a pas empêché de faire grossir sa fortune en fournissant les armées) :

« Un million d’assassins enrégimentés, courant d’un bout de l’Europe à


l’autre, exerce le meurtre et le brigandage avec discipline pour gagner son
pain, parce qu’il n’a pas de métier plus honnête. »
Voltaire, Candide

Voici un bref aperçu de la violence organisée en Europe depuis la Renaissance :


● de 1400 à 1600, les conflits restent à un niveau bas, mais constant ;
● les guerres de religion (entre le XVIe et le XVIIe siècle) représentent un pic de
violence organisée ;
● ça se calme ensuite jusqu’à la fin du XVIIIe siècle ;
● la Révolution française et l’épopée napoléonienne relancent la violence ;
● c’est moins violent au milieu et à la fin du XIXe siècle ;
● la violence organisée explose dans la première moitié du XX e siècle ;
● une « longue paix » s’installe dans la seconde moitié du XXe siècle.

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Il ressort de cet aperçu que l’Europe moderne s’est développée dans un contexte de
guerres fréquentes mais peu étendues. D’un côté, les conflits sont devenus moins
nombreux à mesure que les entités politiques se consolident en États plus grands.
Mais de l’autre côté, les conflits se firent de plus en plus meurtriers à cause d’une
révolution militaire. Les guerres modernes mobilisent plus de participants et
impliquent plus de civils. Les armées sont plus grandes et plus efficaces.

Dans le détail, les États européens mettent sur place des armées professionnelles
permanentes aux XVIe et XVIIe siècles (c’est la raison pour laquelle l’impôt devient
permanent). Ils enrôlent un grand nombre d’hommes venant de toutes les couches
de la société, et non plus uniquement de sa partie la plus misérable. Ils les préparent
au combat organisé en les entraînant, en les endoctrinant, et en leur infligeant des
punitions sévères. Ils leur inculquent un code de discipline et de bravoure. Du coup,
lorsque deux armées professionnelles s’affrontent, les cadavres s’entassent
désormais à une vitesse ahurissante.
Les caractéristiques de la guerre moderne apparaissent au XIX e siècle :
● la conscription (inaugurée sous la Révolution française par un décret de 1793),
qui est l’enrôlement des citoyens dans l’armée par voie de tirage au sort
(l’Ukraine et la Russie y ont recours actuellement) ;
● des armes ainsi que des moyens de communication et de transport efficaces
issus de la révolution industrielle ;
● le développement de la logistique militaire ;
● les engins mécanisés (la révolution du tank [impulsée par le générale de Gaulle
en France] et celle de l'avion datent de la fin de la Première Guerre mondiale) ;
● une course à l’innovation dans l’armement.
Ainsi, la guerre est la forme de violence collective la plus emblématique parce qu’elle
est une constante de l’histoire de l’Europe du deuxième millénaire. Pour les classes
dirigeantes, elle fait partie de l’ordre des choses. Les élites considèrent donc la paix
comme un bref intervalle entre deux guerres.
Pour autant, la guerre n’est pas l’unique forme de violence collective.
On distingue encore :
● des violences diffuses comme des rixes, des bagarres entre groupes, entre
communautés villageoises ou religieuses, des émeutes populaires contre la vie
chère, le brigandage, le banditisme (de telles violences surgissaient souvent en
Europe jusqu’au XVIIIe siècle lors d’explosions de misère ou de révoltes contre
l’impôt, et les émeutes de banlieues sont un exemple moderne) ;
● les soulèvements et révolutions (les révolutions anglaises de 1642 et 1688, la
Révolution française de 1789, les journées révolutionnaires européennes tout
au long du XIXe siècle, la révolution russe de 1917 sont les exemples les plus
connus) : il s’agit d’une violence collective « moderne » (les violences diffuses

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étant des formes « anciennes ») qui présuppose l’identification d'un pouvoir


central à conquérir et un projet général de réorganisation de la société ;
● la violence de l’autorité politique pour établir, maintenir, ou faire fonctionner le
pouvoir politique (ex : despotes et tyrans, répression politique [exercée par les
forces de maintien de l’ordre dans les États modernes], terreur révolutionnaire) ;
● le terrorisme (qui se développe spectaculairement depuis les années 1960),
défini comme un acte de violence prémédité commis par un acteur non
étatique contre des civils avec un objectif politique, religieux ou social visant à
forcer la main à un gouvernement, à intimider la population ou à transmettre un
message à un public plus large ;
● la guerre civile, un conflit armé qui oppose des groupes au sein d'un même
pays et qui engendre souvent l’ultraviolence (tortures, exécutions sommaires,
mutilations, viols, meurtres de masse).

💡 Comment expliquer la violence collective ?


Étant donné que la guerre est un fond omniprésent de l’histoire des civilisations, les
penseurs occidentaux ont tenté de l’élucider.
Voici 3 théories de référence :
1. Thucydide, l’historien athénien du Ve siècle avant J.-C. qui a donné naissance à
l’histoire telle que nous la concevons aujourd’hui, étudie les causes de la guerre
dans La Guerre du Péloponnèse, où il raconte le conflit qui a opposé Athènes à
Sparte entre 431 av. J.-C. et 404 av. J.-C. De son point de vue, les conflits entre
États s’expliquent principalement par la peur, par la concurrence pour les
ressources, ou par la volonté de puissance des dirigeants. Il estime par
exemple que la peur, plus précisément la tendance d’une puissance établie à
agresser préventivement une puissance émergente, est la cause fondamentale
de la guerre du Péloponnèse.

« La cause la plus vraie [et] aussi la moins avouée [de la guerre] : c’est à mon
sens que les Athéniens, en s’accroissant, donnèrent de l’appréhension aux
Lacédémoniens, les contraignant ainsi à la guerre. »
Thucydide, La Guerre du Péloponnèse

C’est ce que les géopolitologues et spécialistes des relations internationales


appellent le « piège de Thucydide ». Ce concept leur fait par exemple craindre
que les États-Unis attaquent la Chine afin de préserver leur hégémonie.

2. Kant, le plus grand philosophe allemand des Lumières, veut résoudre le


problème de la guerre dans De la paix perpétuelle. Il part du principe que les
États continueront de s’agresser en l’absence d’ordre politique international. Il
plaide donc pour l’établissement d’un système de coopération qui ait le pouvoir
de tenir les nations en respect, solution qui revient à établir un « Léviathan
international ». Il met en évidence une autre cause de la guerre : les

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gouvernements non démocratiques. En effet, les démocraties tendent à éviter


la guerre dans la mesure où les bénéfices de la guerre vont à ceux qui règnent
sur un pays, tandis que le coût en est payé par les citoyens.

3. Clausewitz, un théoricien militaire prussien du XIXe siècle, confronte la théorie à


la réalité du terrain. Il est l’auteur de la fameuse formule selon laquelle la guerre
est la continuation de la politique par d’autres moyens. L’Italien Machiavel avait
déjà affirmé à la Renaissance dans Le Prince qu’un dirigeant politique peut
recourir à la guerre pour préserver ou étendre son pouvoir.

« La guerre n’est pas seulement un acte politique, mais un véritable


instrument politique, une continuation des relations politiques, un
accomplissement de celles-ci par d’autres moyens. »
Clausewitz, De la guerre

En pratique, la guerre s’arrête lorsque le vainqueur est satisfait par ce qu’il a


obtenu et qu’il est en mesure d’empêcher le vaincu de se réarmer. Dans le
détail, le calcul politique préconise l’arrêt du conflit lorsque la supériorité de l’un
des belligérants ne peut plus être renversée, ou lorsque la situation ne peut plus
être évaluée. La stratégie et les aléas font comparer la guerre à un jeu, mais elle
est un moyen sérieux au service d’une fin sérieuse. Clausewitz estime que les
enjeux politiques et les réalités du champ de bataille empêchent la montée aux
extrêmes que laissent craindre les passions humaines. La guerre moderne est
une ritualisation de la violence : les adversaires s’entendent pour ne pas
dépasser certaines limites et ne pas sortir de certaines formes.
Les penseurs ont également théorisé les autres formes de violence collective :
● Aristote dit dans Les Politiques que les inégalités et le mépris des dirigeants
sont susceptibles de provoquer la violence des groupes sociaux défavorisés.
Le marxisme requalifiera les violences diffuses comme des conflits de classe.
Le freudisme les requalifiera, lui, comme une libération d’inhibitions.
● Pareto, un sociologue italien des XIXe et XXe siècles, conçoit une révolution
comme le remplacement d’une élite qui a perdu sa compétence et sa volonté
de puissance par une nouvelle élite (par exemple, la bourgeoisie a remplacé la
noblesse lors de la Révolution française). Cette théorie développée dans le
Traité de sociologie générale de Pareto s’appelle la « circulation des élites ».
L’histoire des sociétés est celle de la succession de minorités privilégiées qui
se forment, luttent, arrivent au pouvoir, en profitent et tombent en décadence,
pour être remplacées par d’autres minorités.

« L’histoire est un cimetière d’aristocraties. »


Pareto, Traité de sociologie générale

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● Machiavel justifie la violence de l’autorité dans Le Prince comme un moyen


nécessaire pour atteindre certains objectifs. Probablement marqué par
l’instabilité et l’insécurité de l’Italie de son époque, il voit les hommes ordinaires
comme des tyrans en puissance susceptibles de détruire l’ordre social si les
dirigeants ne savent pas user de la force au bon moment. La Boétie, un
humaniste français du XVIe siècle, abordera la question du point de vue de la
multitude opprimée dans son fameux Discours de la servitude volontaire. Si
une multitude peut être soumise à un tyran, qui est seul et pas moins faible que
chacun, c’est parce qu’elle est fascinée et paralysée dans la crainte.
● Serge Netchaïev, un révolutionnaire russe du XIXe siècle, prône la violence et la
destruction sans réserve pour atteindre les objectifs révolutionnaires. Dans son
Catéchisme du révolutionnaire, il appelle les révolutionnaires à utiliser tous les
moyens nécessaires, y compris la terreur, pour renverser l'ordre établi. Léon
Trotski, le stratège de la révolution russe, défendra la même thèse 70 ans plus
tard dans son essai Leur morale et la nôtre. Le titre signifie que la révolution
communiste ne doit pas être jugée à l’aune de la morale bourgeoise, qui est
faussement universelle, mais à l’aune de la morale révolutionnaire, qui confère
une valeur morale à tout ce qui fait avancer la cause révolutionnaire.
● Platon (La République) conçoit la guerre civile comme une maladie interne qui
détruit le corps politique de l’intérieur. Elle porte la rivalité entre les hommes à
son comble. Le risque est grand en démocratie, car elle répand le laxisme à
tous les niveaux de la société (il contamine même le monde animal, estime
Platon). Aristote (Les Politiques), qui réfléchit de manière plus concrète, met en
lumière la même cause fondamentale — la rivalité entre les hommes — mais il
estime que le risque est plus grand dans une oligarchie, parce que ce sont
souvent les luttes entre grandes familles qui engendrent les guerres civiles.

💡 L’humanité devient-elle de plus en plus violente ?


Le psychologue canadien Steven Pinker (qui est prof à Harvard) a réalisé un sondage
auprès de citoyens anglais. Les gens interrogés estiment que le XX e siècle a été un
peu plus violent que le XIVe siècle en termes d’homicides. En réalité, malgré les
guerres mondiales, les génocides, les totalitarismes, etc., le taux d’homicides a été
divisé par 100 entre le XIVe et le XXe siècle. Ce sondage montre que les générations
modernes oublient la propension à la violence de leurs ancêtres.
Dans les faits, le déclin de la violence est incontestable. La tendance globale est
sans équivoque, visible à des échelles qui se comptent en millénaires ou en années,
qu’on considère les campagnes guerrières ou les fessées données aux enfants.
Voici quelques éléments de preuve :
● Le passage du mode de vie du chasseur-cueilleur à l'agriculture a divisé la
probabilité d’une mort violence par environ 5 (estiment les anthropologues).

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● En Europe, le taux d’homicide est passé de 100 par an pour 100 000 habitants
au XIVe siècle, à 10 au XVIIe siècle, et à 1 de nos jours. En France, il y a deux fois
moins de meurtres dans les années 2010 que dans les années 1990.
● Les guerres du passé ont causé des effets bien plus ravageurs (rapportés à la
population totale) qu’il ne le paraît si on prend en compte leurs effets indirects,
tels que les famines et les maladies.
● Du Moyen Âge à l’époque classique, les populations faisaient les frais des
rivalités entre pouvoirs locaux. Les chevaliers, comtes, ducs et princes ne
cessaient de s’attaquer et de se venger des agressions passées en s’efforçant
de ruiner leurs adversaires, en tuant et mutilant les paysans, en brûlant les
villages et en détruisant les récoltes.
● Jusqu’au XVIIIe siècle, la torture était pratiquée ouvertement. La pendaison, le
supplice de la roue, l’empalement, l’écartèlement par des chevaux et le supplice
du bûcher étaient monnaie courante.
● L’histoire européenne comprend également des phénomènes de violence de
grande ampleur comme l’esclavage, l’Inquisition, ou la chasse aux sorcières.
● La violence domestique, qui est une des formes de violence les plus répandues
dans le monde, a baissé de manière spectaculaire au cours du II e millénaire.

En définitive, l’Europe occidentale du tournant du XXIe siècle est le lieu le plus sûr de
l’histoire de l’humanité. Son taux d'homicide avoisinant une victime pour 100 000
habitants est le plancher qu’il est possible d’atteindre, car même la plus paisible des
sociétés ne peut pas éradiquer la violence. De plus, une violence modérée sera
toujours nécessaire sous la forme de forces de police et d’armées, afin de
dissuader la prédation ou de mettre hors d’état de nuire ceux qui ne se laissent pas
dissuader.

« Le déclin de la violence est la chose la plus importante qui se soit jamais


produite dans l'histoire de l'humanité. »
Steven Pinker, La part d'ange en nous

Comment expliquer le déclin de la violence humaine ?


Le sociologue allemand Norbert Elias donne une réponse convaincante dans son
chef-d’œuvre Sur le processus de civilisation. Il attribue la diminution de la violence
en Europe à une vaste évolution psychologique consécutive à la diffusion de
nouvelles normes sociales depuis la fin du Moyen Âge. Les individus ont appris à
inhiber leurs pulsions, anticiper les conséquences à long terme et considérer les
pensées et sentiments d'autrui. La culture de l'honneur légitimant la vengeance a été
remplacée par une culture de la dignité qui valorise la maîtrise de soi. Ce nouvel idéal
s’est propagé des aristocrates et chevaliers aux autres classes, jusqu’à intégrer
finalement la culture dans son ensemble.

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Cependant, ce processus de civilisation repose lui-même sur d’autres facteurs (la


centralisation des monarchies et la prospérité, notamment), et d’autres évolutions
ultérieures ont contribué à pacifier les sociétés occidentales.
Voici les facteurs les plus probables du déclin de la violence :
● L’émergence d’États stables a réduit les violences entre individus et groupes,
qui doivent désormais résoudre leurs conflits par l’intermédiaire d’institutions
et de processus légaux (cette évolution correspond à la théorie du Léviathan de
Hobbes et à celle du monopole de la violence légitime de Weber). Des États
stables sont également plus à même d’éviter la guerre grâce à la diplomatie.
● Le développement du commerce (qui est d’ailleurs favorisé par l’émergence
d’États stables) a stimulé la coopération et rendu la violence coûteuse. À partir
de la fin du Moyen Âge, les royaumes en pleine expansion ont consolidé une
infrastructure d’échanges, notamment à travers la monnaie et l’application des
contrats. Cette infrastructure, la construction de routes et d’horloges, la levée
des tabous frappant l’intérêt, l’innovation et la concurrence — tout cela a rendu
le commerce plus attrayant. Peu à peu les marchands, artisans et bureaucrates
ont remplacé les preux chevaliers.
● La féminisation des sociétés réduit la violence des jeunes hommes (la violence
étant largement le fait d’hommes qui ont entre 15 et 30 ans). La psychologie
évolutionniste explique que les cultures qui respectent davantage les intérêts et
les valeurs des femmes amenuisent la concurrence entre les mâles. L’une de
ces dispositions est le mariage, par lequel les hommes s’engagent à investir
dans les enfants qu’ils engendrent plutôt que de rivaliser les uns avec les
autres pour des opportunités sexuelles. Se marier réduit le taux de testostérone
des hommes, ainsi que la probabilité de les voir basculer dans la criminalité.
● L’expansion de l’empathie signifie que l’homme veut le bien de plus en plus de
ses semblables, et même d’autres êtres. Le philosophe australien Peter Singer
(connu comme l’auteur de la bible de la défense des droits des animaux)
avance dans The Expanding Circle que les êtres humains ont été pourvus, par la
sélection naturelle, d’un noyau d’empathie envers leurs proches et leurs alliés,
et qu’ils ont graduellement étendu cette empathie à des cercles toujours plus
larges d’êtres vivants, de la famille et du village au clan, à la tribu, à la nation, à
l’espèce, puis enfin à l’ensemble des êtres doués de sensibilité.
● Le progrès de la rationalité décrédibilise des justifications de la violence. En
particulier, la scolarisation du XXe siècle a démocratisé l’intelligence abstraite
qui favorise la maîtrise de soi et l’empathie en donnant à l’individu la faculté de
s’extraire de son expérience immédiate. Le raisonnement scientifique imprègne
désormais les raisonnements de la vie quotidienne.

Le déclin de la violence aboutit à l’idéal de la non-violence qui prévaut en Occident,


où les individus deviennent sensibles à toute forme d’agression. Cette évolution est
illustrée par la diffusion du concept de « micro-agression » (inventé par un

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psychiatre de Harvard à la fin des Trente Glorieuses), qui désigne une


discrimination subtile (une remarque, par exemple) envers un membre d’une
communauté marginalisée. Ainsi, les mentalités élargissent la notion de violence
jusqu’à en faire un synonyme de « domination ». S’impose alors l'idée que « tout est
violence ».

Quoique fiable, le constat du déclin de la violence mérite 2 nuances principales :


1. il n’est pas toujours facile de comparer les sociétés modernes avec celles du
passé, qui ne disposaient pas des mêmes capacités d’archivage ;
2. il y a des essors de violence sur de courtes périodes, comme lors de la
révolution culturelle occidentale qui s’étend grosso modo de 1960 à 1990
(d’ailleurs, en valorisant l’expression libre et naturelle, la révolution culturelle est
allée à rebours de l’évolution psychologique du « processus de civilisation »
mise en évidence par Norbert Elias, qui repose sur la maîtrise de soi).

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Sujets de dissertation sur le thème

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Ressources sur le thème

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