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Masque funéraire mycénien en feuille d'or, improprement appelé « masque d'Agamemnon », tombe V
du cercle A de Mycènes, musée national archéologique d'Athènes. Probablement l'artefact le plus
célèbre de la Grèce mycénienne.
Définition
Lieu éponyme Mycènes
Auteur Heinrich Schliemann
Caractéristiques
Période v. 1650-1200 av. J.-C.
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Vers 1450 av. J.-C. la Crète est dominée par des Mycéniens, qui s'implantent au
palais de Cnossos. C'est là que se trouvent les plus anciennes traces de l'écriture
mycénienne, le linéaire B, qui transcrit une forme ancienne du grec. Depuis son
déchiffrement par Michael Ventris et John Chadwick en 1952, la civilisation
mycénienne est, de toutes les civilisations égéennes pré-helléniques, la seule
connue à la fois par des vestiges archéologiques et des documents épigraphiques1.
Sur le continent, la civilisation qui émerge au même moment repose en partie sur
des apports culturels minoens, elle développe progressivement une civilisation
organisée autour de plusieurs palais et forteresses qui sont probablement des
centres de royaumes dominant des régions (Mycènes
en Argolide, Pylos en Messénie, Thèbes en Béotie, etc.). Ils sont dirigés par des rois,
placés à la tête d'une administration dont le fonctionnement apparaît dans les
tablettes administratives en linéaire B. On parle souvent de civilisation « palatiale »
parce qu'elle est dirigée depuis des palais encadrant de nombreuses activités, à
l'image de ce qui se passe dans les civilisations contemporaines du Proche-Orient et
d'Égypte. Cependant le pouvoir mycénien n'est manifestement pas particulièrement
centralisé.
Autour de 1200 av. J.-C., la civilisation mycénienne entre dans une phase de déclin,
marquée par plusieurs destructions de sites palatiaux, la fin de l'usage de l'écriture et
la désagrégation progressive des institutions qui la caractérisaient. Les traits
culturels mycéniens disparaissent progressivement après le XII siècle av. J.-C.,
e
durant la période appelée les « âges obscurs ». Les raisons de ce déclin n'ont pas
été élucidées. Quand le monde grec connaît une reprise après 1000, il le fait sur des
bases nouvelles, et la civilisation grecque antique, qui se forme par la suite, a
largement oublié les accomplissements de l'époque mycénienne.
Le passé des Grecs n'est longtemps connu que par les légendes des épopées et
des tragédies. L'existence matérielle de la civilisation mycénienne est révélée par les
fouilles d'Heinrich Schliemann à Mycènes en 1876 et à Tirynthe en 1886. Celui-ci
croit avoir retrouvé le monde décrit par les épopées d'Homère, l’Iliade et l’Odyssée.
Dans une tombe de Mycènes, il trouve un masque d'or qu'il nomme le « masque
d'Agamemnon ». De même, on baptise « palais de Nestor » un palais fouillé à Pylos2.
Le terme « mycénien » a été choisi par l'archéologue Schliemann pour qualifier cette
civilisation, avant que Charles Thomas Newton n'en définisse les caractéristiques en
identifiant sa culture matérielle homogène à partir des trouvailles effectuées sur
plusieurs sites3. Ce nom est repris de celui de la ville de Mycènes (Péloponnèse),
d'une part parce qu'il s'agit du premier site archéologique fouillé à révéler
l'importance de cette civilisation et d'autre part en raison de l'importance que revêtait
cette cité dans la mémoire des auteurs grecs antiques (en premier lieu Homère, qui
faisait du roi de Mycènes le chef des « Achéens »). Par la suite, Mycènes s'est
révélée n'être qu'un pôle de cette civilisation parmi d'autres, mais le terme
de « mycénien » est resté utilisé par convention.
Il faut attendre les recherches d'Arthur Evans, au début du XX siècle, pour que le
e
monde mycénien acquière une autonomie par rapport au monde minoen qui le
précède chronologiquement4. En fouillant à Cnossos (Crète), Evans découvre des
milliers de tablettes d'argile, cuites accidentellement dans l'incendie du palais,
vers 1440 av. J.-C. Il baptise cette écriture « linéaire B », car il l'estime plus avancée
que le linéaire A5. En 1952, le déchiffrement du linéaire B par Michael Ventris et John
Chadwick6, qui révèle une forme archaïque du grec, projette la civilisation
mycénienne de la Protohistoire à l'histoire, et l'insère à sa véritable place dans l'âge
du bronze du monde égéen.
Sur la base de ces tablettes, les historiens décrivent dans les années 1960 un
monde composé de petits royaumes, chacun doté d'une administration palatiale,
ayant vécu la chute de la civilisation minoenne et eux-mêmes disparus vers la fin
du XIII siècle av. J.-C.8. De nouvelles découvertes à partir des années
e
apogée dès la fin du XIV siècle av. J.-C. avec la construction des grands centres
e
la culture cycladique, comme son nom l'indique localisée dans les Cyclades ;
la culture minoenne, en Crète, où se développe la civilisation du même nom
depuis le début du IIe millénaire av. J.-C. ;
la culture helladique, dans la partie sud de la Grèce continentale, dont la
civilisation mycénienne représente la phase récente.
L'aire helladique est moins développée (ou « complexe ») que les deux autres durant
l'âge du Bronze moyen (Helladique moyen, première moitié du IIe millénaire av. J.-
C.), surtout occupée par des villages qui pratiquent une agriculture qui a peu évolué
depuis le Néolithique, où la céréaliculture a néanmoins été complétée par la culture
de l'olivier et de la vigne, et la métallurgie s'est répandue. L'habitat fortifié apparaît,
avec Kolonna sur l'île d’Égine. La culture matérielle est homogène dans l'aire, même
si les traditions de poterie de qualité varient d'une région à l'autre. Les morts sont
plutôt enterrés dans les sites habités, ce qui pourrait renvoyer à une volonté de
conserver un lien proche entre vivants et morts, donc aux groupes de parenté. On
trouve aussi des tombes sous tumulus, mais il ne s'agit apparemment pas d'une
forme de sépulture des élites comme aux périodes suivantes puisque leur matériel
funéraire ne les distingue pas des autres types d'inhumation. La présence de
quelques tombes plus riches que d'autres et d'habitations plus vastes pourrait
indiquer la présence de chefs ou du moins de groupes dominants. Les produits et les
idées circulent entre les régions, et avec les îles égéennes, comme l'indiquent les
caractères minoens de certains types de céramiques élaborés
en Argolide et Laconie (Lerne, Ayios Stephanos). Les îles d'Égine et
de Cythère semblent jouer un rôle de relais14. En effet au même moment la
civilisation palatiale de la Crète minoenne prend son essor, durant la période « proto-
palatiale » (v. 2000/1900–1700/1650 av. J.-C.) puis la période « néo-palatiale » (v.
1700/1650–1450 av. J.-C.), sa culture connaît une expansion dans l’Égée et entre en
contact avec les civilisations du Proche-Orient et l’Égypte15. L'aire cycladique est
marquée par l'influence minoenne, comprend également des sites d'habitat
important, peut-être des sortes de « républiques marchandes », documentés
notamment par le site d'Akrotiri sur Thera (Santorin). Celui-ci est remarquablement
conservé car il a été enseveli lors de l'éruption du volcan de Santorin, un des
événements marquants de cette période, dont la datation est débattue : dans la
seconde moitié du XVII siècle av. J.-C. (autour de 1640-1620 ?), ou un siècle plus
e
tard (v. 1530-1500 ?)16. Son impact sur l'évolution des cultures égéennes est
également discuté, possible par endroits en Crète du nord mais en général peu
évident à déceler, en tout cas la civilisation minoenne continue de prospérer
après17,18.
L'ouverture vers l'extérieur joue un rôle décisif dans certaines évolutions locales.
C'est notamment la Crète qui exerce une influence forte dans le monde égéen,
comme on le voit dans le fait que les tombes des élites continentales de cette
époque sont bien pourvues en productions crétoises ou de style crétois, qui sont
utilisées comme objets de prestige au service des classes dirigeantes mais ne
témoignent pas d'une influence crétoise profonde22. Mais cette époque est par bien
des aspects une période de créations sur le plan artistique, même si plusieurs d'entre
elles n'ont pas de postérité aux périodes suivantes (masques d'or, bas-reliefs
sculptés), mêlées à des emprunts et des adaptations continentales de modèles
extérieurs23. Les modalités de l'essor de l'élite continentale du début de l'Helladique
récent, parfois caractérisée comme une « aristocratie », restent obscures : les
constructions de l'époque ont disparu lors de la construction des forteresses et palais
de l'époque mycénienne. Les tombes de Mycènes indiquent que les chefs mettent en
avant une iconographie qui lie leur pouvoir à la guerre et à la chasse, sont organisés
autour de groupes familiaux, associant femmes et enfants24[à vérifier] . Il est impossible
de déterminer comment et pourquoi ce groupe émerge en l'absence de
documentation sur ces époques dans les zones d'habitat. Il n'y a pas encore
d'utilisation de l'écriture sur le continent, l'administration semble peu développée, ce
qui explique pourquoi les spécialistes préfèrent évoquer pour cette époque des
« principautés » plutôt que des « royaumes »25.
La période suivante, l'HR IIB (v. 1500-1400 av. J.-C.), voit ces tendances se
poursuivre, mais des changements se profilent, qui annoncent la période
mycénienne à proprement parler. Elle est encore mal connue26. Des tombes
à tholos de chefs sont connues pour cette époque, et elles témoignent d'un passage
de tombes collectives à des tombes individuelles, toutes pillées dans l'Antiquité, à
Mycènes, à Routsi en Messénie et à Vaphéio en Laconie. Le seul édifice qui pourrait
être qualifié par sa taille comme un palais fouillé qui soit daté de la période est celui
du Ménélaion à Sparte. Celui de Tyrinthe a livré quelques traces de cette période
indiquant qu'il existe déjà, les autres palais mycéniens postérieurs non27. Les
prospections et la localisation des tombes à tholos indiquent en tout cas l'émergence
de centres politiques en plusieurs endroits, peut-être déjà des centres palatiaux,
mais sans centralisation systématique : en Laconie le Ménélaion coexiste avec
Vaphéio déjà évoqué, aussi Ayios Stephanos et Pellana, donc le pouvoir y est
fragmenté ; en Messénie en revanche Pylos devient le seul centre ; en Argolide on
suppose l'émergence des centres palatiaux de Mycènes, Tyrinthe et Midea. Malgré
la diversité des configurations locales, la stratification sociale et politique semble
donc s'accentuer sur le continent28.
Les débuts de la Crète mycénienne[modifier | modifier le code]
Le palais de Cnossos est ensuite détruit vers 1370 av. J.-C. (début du MR IIIA2)31,
mais il continue de fonctionner un laps de temps indéterminé, avant d'être
abandonné, peut-être rapidement après sa destruction précédente32, ou bien plus
tard, vers 1300 (la fin du MR IIIA2)33. Le principal lot de tablettes du palais de
Cnossos est datable d'une de ces deux destructions, mais on ne sait laquelle, en
admettant d'ailleurs que ces textes datent tous du même moment34.
mineure, aussi à l'ouest jusqu'en Sardaigne35. Les sources hittites évoquent pour la
première fois l’Ahhiya, pays que l'on identifie couramment aux Mycéniens (Achéens)
au début du XIV siècle av. J.-C.36.
e
Le XIII siècle (HR IIIB) est la période la mieux documentée, tant sur le plan
e
La civilisation mycénienne est alors relativement homogène sur le continent dans les
régions dominées par les palais, et on a pu parler d'une koinè. Mais les éléments de
diversité sont toujours importants et que[à vérifier]et que certaines régions voisines des
grands centres ignorent le système palatial, notamment dans
le Péloponnèse l'Achaïe, l'Arcadie, l'Élide, et au nord la Phocide, la Thessalie, et la
Grèce septentrionale présentent un profil culturel différent de celui des régions
mycéniennes42,43.
Les études génétiques éclairent ces questions, notamment sur les origines des
populations du monde égéen de l'âge du Bronze. Elles montrent ainsi que les
Mycéniens étaient génétiquement proches des Minoens. Ces populations sont issues
d'un mélange génétique entre des agriculteurs néolithiques d'Anatolie occidentale
pour les trois quarts de leur ascendance et d'une population issue de l'Est (Iran ou
Caucase). Les Mycéniens se différencient par une composante en plus issue du
Nord liée aux chasseurs-cueilleurs d'Europe de l'Est et de la Sibérie introduite via
une source liée aux habitants de la steppe eurasienne51,52,53. Les résultats de cette
étude montrent également qu'il n'y a pas d'éléments génétiques d'origine égyptienne
ou levantine chez les Mycéniens51.
On a cependant pu considérer, dans le cas de la Crète, que l'île exerce encore une
influence notable dans la culture matérielle des régions voisines du monde égéen,
dont la Grèce continentale avec qui les échanges commerciaux sont de plus en plus
forts60 comme le montre par exemple le site portuaire de Pavlopetri, dans le
Péloponnèse61. Elle est alors incontestablement une composante du monde
mycénien, on y trouve une administration de type similaire à celle des royaumes
continentaux, même si on ne peut pas dire avec certitude si elle est dominée par des
gens venus de continent cela reste la solution la plus envisagée, et il faut au moins
admettre la présence de Mycéniens sur place62. La culture matérielle y subit
cependant peu d'influence continentale et les spécificités locales continuent63. On
constate une période de prospérité économique, et la présence d'un réseau de
centres administratifs dense. Il y a alors un affaiblissement de l'influence de Cnossos
face à l'émergence de nouveaux centres comme La Canée64, qui devient le centre
artisanal le plus important de l'île, dont les productions céramiques se retrouvent
dans les Cyclades, sur le continent, en Sardaigne et à Chypre65.
Dans l'aire cycladique, où le centre majeur de Thera (Santorin, avec Akrotiri) avait
disparu après l'éruption volcanique de Santorin, l'influence minoenne a reculé dès
le XV siècle av. J.-C. et celle de l'aire mycénienne se décèle dès ce moment par la
e
Alabastre en terre cuite retrouvé à Rhodes, HR III A2 (c. 1350). Musée du Louvre.
son roi est considéré comme un « Grand roi » par son homologue hittite, c'est-à-dire
son égal, au même titre que les rois d'Égypte et de Babylone, qui avaient tous
plusieurs États vassaux mais aucun suzerain. L'influence du roi des Ahhiyawa dans
la région orientale de l'empire hittite ne dure cependant pas longtemps, et il disparaît
finalement des textes. Son territoire dominait au moins une partie de l'Asie mineure,
car il a à un moment donné un gouverneur dans la cité de Millawanda,
probablement Milet. Sur ce dernier site, détruit par les Hittites vers la fin de l'HR III A,
l’influence mycénienne paraît forte, mais côtoie celle des peuples anatoliens. On
débat sur la localisation du centre du royaume Ahhiyawa : beaucoup veulent le situer
à Mycènes ou du moins en Grèce continentale, faisant alors correspondre son
extension à celle de la civilisation mycénienne, alors que certains proposent de le
situer plutôt en Asie mineure littorale ou bien sur une île comme Rhodes, car ce sont
les seules régions qu'on le voit dominer clairement dans les sources écrites69.
La Méditerranée orientale et
le Moyen-Orient au XIII siècle av. J.-C.
e
À une échelle plus petite, on dispose de traces indiquant des contacts entre les
Mycéniens et divers points du bassin méditerranéen au-delà de l'Égée. Ces traces
sont, encore plus que pour les régions des rives de l'Égée, essentiellement des
céramiques56. On en retrouve en effet dans des régions parfois très éloignées du
monde égéen : vers l'ouest, en Sardaigne, dans la vallée du Pô, dans la Péninsule
Ibérique, au nord en Macédoine ou en Thrace, et vers l'est et le sud-est à Chypre et
jusqu'aux rives de l'Euphrate ou encore dans la basse vallée du Nil71. En réalité, c'est
en direction de Chypre et du Levant que les traces sont les plus significatives, et
peuvent laisser supposer l'existence d'échanges plus importants et réguliers. Cela
pourrait être confirmé par l'épave retrouvée à Uluburun au sud de Kaş en Turquie,
datée de la fin du XIV siècle, transportant surtout du cuivre de Chypre, mais aussi
e
Les murailles les plus anciennes de Mycènes et Tyrinthe sont bâties dans un
appareil dit « cyclopéen », parce que les Grecs des périodes suivantes attribuaient
leur construction aux Cyclopes. Elles sont constituées de grands blocs de calcaire
pouvant avoir jusqu'à huit mètres d'épaisseur, non dégrossis, empilés les uns sur les
autres sans argile pour les souder. Les murs de Mycènes ont une épaisseur
moyenne de 4,50 mètres, et leur hauteur pourrait avoir atteint 15 mètres même si on
ne peut avoir de certitude80. Plus tardivement, on élabore des murailles avec des
blocs dégrossis, pour les encastrer en comblant les espaces vides par de petites
pierres. Sur les autres forteresses, les blocs de pierres utilisés sont moins massifs81.
Différents types d'ouvertures peuvent être employés pour traverser ces murailles :
porte monumentale, rampe d'accès, portes dérobées ou galeries voûtées pour sortir
en cas de siège82. Le palais de Tyrinthe dans son dernier état a également vu la
construction de passages voûtés (en encorbellement) sous son enceinte, dont la
fonction est énigmatique83. L'entrée principale du complexe fortifié de Mycènes, la
« Porte des Lionnes », nous est parvenue dans un bon état de conservation. Elle est
faite de blocs bien taillés. Son linteau est surmonté par un relief calcaire masquant le
triangle de décharge. Les deux animaux représentés, probablement des lions mais
dont la tête manque (tout comme l'ornement du relief), se font face autour d'une
colonne.
Les grands palais87 sont organisés autour d'un ensemble de cours ouvrant sur
plusieurs salles de différentes dimensions, dont des magasins, et des ateliers, en
plus des zones de réception et de résidence, et peut-être des lieux de culte. Un trait
essentiel de ces édifices est le ou les mégaron(s) : c'est un ensemble constitué d'un
porche ouvert sur une entrée monumentale, d'un vestibule et surtout d'une grande
salle à foyer central entouré de quatre piliers, à proximité duquel se trouve un trône 80.
On en trouve dans d'autres constructions monumentales mycéniennes. Des trois
édifices incontestablement palatiaux de la période HR III B qui ont été dégagés, celui
de Pylos est le mieux conservé88. Il est organisé autour d'un bâtiment principal de 50
sur 32 mètres environ, dominé par un vaste mégaron de près de 145 m2. On entrait
dans cet édifice par son côté sud-est, une porte donnant sur la cour principale qui
ouvrait sur toutes les autres parties du bâtiment, notamment des espaces de
stockage, des salles de garde, et peut-être des salles ayant servi à des cérémonies
religieuses. Plusieurs escaliers indiquent que l'édifice avait un étage. Le bâtiment
principal était entouré de trois autres unités. L'édifice sud-ouest, le plus vaste après
lui, dont le plan reste mal connu, est peut-être le plus ancien. Au nord du complexe,
un espace de stockage contenait de nombreuses jarres à vin, et un dernier bâtiment
au nord-est est constitué de plusieurs salles dont certaines ont pu servir d'ateliers, ou
d'espaces cultuels. Les palais de Tyrinthe et de Mycènes, dont l'état de conservation
est moins bon, sont solidaires de la citadelle dans laquelle ils prennent place, et la
circulation y est sans doute plus complexe.
À un niveau inférieur, on trouve des édifices ressemblant aux palais mais qui ne sont
pas forcément à considérer comme tels, car sans sources administratives témoignant
de la présence d'une institution palatiale ou bien en raison de l'absence d'un corps
central semblable à celui des grands palais. Ce sont par exemple les bâtiments
principaux de Gla, d'Orchomène ou de Sparte, auxquels on pourrait ajouter l'édifice
avec mégaron de Phylakopi. P. Darcque a qualifié ce type de bâtiment d'« édifices
intermédiaires » entre palais et maisons, en y ajoutant des grandes constructions
des sites de Mycènes (« Maison du marchand d'huile », « Maison des sphinx »,
« Maison des boucliers ») et de Tyrinthe qui sont liées aux grands palais89. Leur
fonction reste à déterminer : résidences de potentats locaux quand elles sont isolées
(donc palais en miniature), ou bien résidences d'aristocrates, ou encore
dépendances du palais quand elles sont sur des sites palatiaux ? Ce sont des
résidences de plus grande taille que l'habitat courant, couvrant de 300 à 925 m2, dont
l'aspect monumental, les techniques de construction et l'organisation interne
rappellent les trois grands palais. Elles servent manifestement pour des fonctions
plus complexes que les résidences plus petites, sans être des édifices de la taille des
trois grands palais.
Les maisons sont construites dans un calcaire extrait localement. Elles sont en
majorité de forme quadrangulaire, mais on connaît des cas de bâtiments de formes
curvilignes (ovales, absidales) sur des sites isolés92. Les plus petites maisons ont une
seule pièce, et mesurent en général entre 5 et 20 mètres de côté, ne dépassant pas
la soixantaine de mètres carrés. C'est là que résident les couches sociales les plus
basses. D'autres maisons plus vastes comportent plusieurs pièces, disposées de
façon plus ou moins complexe, les plus basiques ayant une organisation linéaire,
parfois une organisation autour de pièces parallèles, alors que certaines ont une
structure plus complexe et disposent parfois d'un couloir principal, voire d'une
terrasse à l'étage. Ces résidences à organisation plus complexes sont plus grandes,
occupant une surface au sol de plus de 100 m2, et servent sans doute pour les
couches sociales plus élevées. Les maisons mycéniennes sont dans la continuité
des traditions architecturales des périodes précédentes, et peu d'innovations sont
attestées dans les techniques, le changement principal étant l'apparition de
constructions plus vastes.
Les fonctions des pièces sont difficiles à déterminer, car le mobilier manque
souvent93. Les pièces principales de ces résidences ont généralement un foyer, dans
certains cas plusieurs, mais parfois aucun. Une différenciation fonctionnelle de
l'espace dans ces plus petites maisons est souvent impossible à déterminer, les
maisons à pièce unique étant plurifonctionnelles comme sans doute de nombreuses
pièces des maisons plus complexes. En fait, seuls les édifices palatiaux ou liés aux
palais ont montré des pièces spécialisées dans certaines fonctions, surtout celles
d'engranger et d'archiver.
Les tombes à tholos (θόλος / thólos) sont le type le plus spectaculaire à la période
mycénienne, qui trouve son origine dès l'Helladique moyen. Les plus vastes sont
considérées comme des tombes royales ou princières95. Elles sont constituées d'une
entrée (stomion) ouvrant sur un couloir souterrain (dromos) couvert par un tumulus,
qui mène à la tholos à proprement parler, une chambre de forme circulaire couverte
d'une voûte à encorbellement. Sur la centaine de tombes de ce type qui a été
retrouvée essentiellement en Grèce continentale, quatorze se démarquent par le fait
que le diamètre de la chambre est supérieur à 10 mètres. On les trouve surtout
en Messénie où elles se développent dès les débuts de l'Helladique récent, et aussi
en Argolide, les plus remarquables étant sur le site de Mycènes. La plus célèbre est
le « Trésor d'Atrée » (ou « tombeau d'Agamemnon »), dont le dromos est long de 36
mètres et la coupole est haute de 15 mètres pour un diamètre de même longueur.
Ce groupe de tombes date probablement du XIII siècle av. J.-C., date à laquelle les
e
L'intérieur de la coupole.
Mais le type de tombes le plus répandu est celui des tombes à chambre, composées
elles aussi d'un stomion et d'un dromos, ouvrant cette fois-ci sur une chambre
simplement taillée dans la roche de forme variable, avec une prédilection pour un
plan quadrangulaire96. La plus vaste chambre, à Thèbes, mesure 11,50 × 7 mètres au
sol, pour 3 mètres de hauteur. C'est peut-être la tombe d'une dynastie locale, dans
une région où on n'a pas construit de tholos. Il s'agit dans tous les cas de tombes
collectives.
Des inscriptions en linéaire B ont été retrouvées également sur des « nodules »,
ancêtres des étiquettes modernes. Il s'agit de petites boulettes d'argile, façonnées
entre les doigts autour d'une lanière (probablement de cuir) qui sert à attacher
l'ensemble sur l'objet. Le nodule présente une empreinte de sceau et un idéogramme
représentant l'objet. Les administrateurs y ajoutaient parfois d'autres informations :
qualité, origine, destination, etc. Une soixantaine ont été mis au jour à Thèbes 104. Ont
également été retrouvés une centaine de vases portant des inscriptions peintes dans
cette écriture105, et d'autres objets en moindre quantité (un sceau en ivoire,
un poids en pierre).
Cela fait en tout un corpus de près de 5 000 documents répartis sur une dizaine de
sites en Grèce continentale et sur l'île de Crète, avec trois sites fournissant la grosse
majorité de notre documentation, soit bien peu en comparaison de la documentation
contemporaine en provenance d'Égypte ou du Moyen-Orient7, mais qui suffit à
apporter des informations importantes pour comprendre la société mycénienne,
encore qu'il faille faire face à des difficultés notables pour interpréter les textes.
Les débuts du linéaire B sont l'objet de débats : la Crète des XVI – XV siècles106, ou
e e
bien la Grèce continentale107,108 ? Quoi qu'il en soit, le plus ancien document remonte
aux environs de 1375 et a été retrouvé à Cnossos. Le linéaire B est clairement une
forme de linéaire A adaptée par des scribes connaissant cette première écriture
d'origine crétoise à la langue grecque des « Mycéniens ». La majorité des documents
retrouvés plus tard date de l'HR III B, notamment de sa phase B2 (XIII siècle)109. Elles
e
ont été conservées, dans un état plus ou moins bon, parmi les ruines d'édifices à la
suite de la destruction de ceux-ci. Elles témoignent donc de l'activité des institutions
qui les ont produites durant les mois précédant cette destruction car il ne s'agit pas
d'archives qu'on souhaitait conserver à long terme.
Quant aux logogrammes111, ils servent à économiser l'écriture phonétique d'un mot
(un signe suffit ainsi à noter « mouton » ou « char ») ou bien à préciser le sens d'un
mot écrit en phonétique, par exemple dans le cas où on associerait le dessin d'un
tripode (forme de vase à trois pieds) au groupe de signes phonétiques ti-ri-po-de112.
Ces signes cherchent en général à représenter les choses qu'ils désignent de la
façon la plus réaliste possible pour en faciliter la compréhension, au point qu'on a pu
chercher à comparer les logogrammes les plus réalistes avec des objets
archéologiques exhumés sur les sites mycéniens ou des représentations peintes113.
Dans les transcriptions de textes en linéaire B, on note les logogrammes par
convention en majuscules dans le terme latin signifiant la chose désignée, ou ses
premières lettres : VIR pour « homme », OVIS pour « mouton », HORD (hordeum)
pour « orge », etc. Ce type de signes empêche de connaître le terme exact en
dialecte mycénien, et limite donc la connaissance du vocabulaire de cette langue.
Nature des documents[modifier | modifier le code]
Une tablette
administrative de Cnossos, en format « feuille » (allongé).
Les documents en linéaire B connus sont exclusivement des productions de
l'administration des palais114. Il s'agit de documents qui ont pour but d'enregistrer des
informations liées à la gestion des biens meubles stockés dans cette institution, ou
fabriqués pour son compte, leur circulation (entrées et sorties, avec la destination ou
les destinataires ou la provenance), voire le but de ces opérations, leur localisation ;
ou bien des informations sur la gestion des biens immeubles dépendant de
l'institution, des terres agricoles, leur localisation, les personnes à qui elles sont
attribuées. Les plus simples sont les nodules, les étiquettes, les inscriptions peintes
sur vase et les tablettes de petites dimensions qui enregistrent juste des informations
sur la nature de biens meubles ou d'animaux, et sur leur circulation. Les tablettes de
plus grande taille peuvent enregistrer les opérations les plus complexes : listes
d'opérations liées à la circulation de biens, ou à la gestion de terres agricoles (donc
des documents de type cadastral).
Cette documentation présente des parallèles évidents avec celles des cultures d'Asie
du sud-ouest contemporaines, qui renvoient plus largement à une organisation
administrative similaire118. Néanmoins en comparaison à la variété de la
documentation écrite exhumée sur plusieurs sites du Moyen-Orient contemporain
comme Ougarit, Hattusha ou Nippur, celle des sites mycéniens paraît très limitée :
pas de documents de nature scolaire, lexicographique, juridique, technique,
scientifique, mythologique, cultuel, épistolaire, diplomatique et historique7. Impossible
donc de connaître des évènements politiques ou une grande partie des croyances et
pratiques religieuses. Cela s'ajoute à l'écart quantitatif (un site comme Nippur a livré
à lui seul environ 12 000 tablettes du Bronze récent119). D'un autre côté, si on tourne
la comparaison vers la civilisation minoenne dont les écritures n'ont pas été
déchiffrées, la civilisation mycénienne est cette fois-ci avantagée. Les archives
palatiales en linéaire B sont donc un apport inestimable pour la connaissance de la
société du monde mycénien.
Les institutions mycéniennes[modifier | modifier le code]
Les sources archéologiques et surtout les textes en linéaire B nous donnent des
indications sur l'organisation et le fonctionnement de certains États mycéniens,
en Grèce continentale (surtout à Pylos) mais aussi en Crète autour de Cnossos.
Elles permettent de replacer ces régions du monde mycénien dans un contexte plus
vaste, celui des États du Bronze récent attestés essentiellement au Moyen-
Orient (Ougarit, Alalakh, Babylone ou encore l'Égypte pour ceux dont on dispose de
plus de sources sur la vie courante), dont la société et l'économie sont dominées par
une institution émanant du pouvoir central : le palais. Son influence réelle est
systématiquement débattue car on ne peut savoir exactement quelle part de la
société nous échappe du fait qu'on connaît celle-ci essentiellement par les archives
palatiales, et même uniquement par ces dernières dans le monde mycénien qui n'a
livré aucune archive de nature privée.
Ces sources locales sont cependant trop allusives pour permettre d'en dresser un
tableau précis, et elles ne permettent pas de comprendre l'organisation générale du
monde mycénien. Les informations sur le monde mycénien venant des autres États
ayant des intérêts politiques en Méditerranée occidentale (Hittites, Égypte) sont
complexes à interpréter. Ces réserves ayant été émises, on peut reconnaître que
l'analyse de ces sources permet d'émettre des reconstructions séduisantes et parfois
vraisemblables qu'il ne faut pas éviter, même s'il convient de garder à l'esprit le fait
qu'elles sont bien souvent impossibles à prouver de façon définitive.
Pour les régions disposant de plusieurs centres palatiaux, il faut affiner les analyses :
en Argolide, il reste à déterminer quel centre dominait de Mycènes, Tirynthe ou
Midéa, même si les faveurs vont souvent au premier ; en Crète, Cnossos domine
une grande partie de l'île avant la destruction de son palais vers 1370, après quoi
émergent des centres autonomes dont La Canée qui était auparavant sous sa
coupe ; en Béotie enfin, il est possible que Thèbes doive faire face à un État
d'Orchomène (qui domine peut-être la citadelle de Gla), préfiguration de la rivalité
des deux cités à l'époque classique121. Dans les reconstitutions courantes, on se
trouverait en présence d'au moins sept États en Grèce continentale : l'Argolide
autour de Mycènes, la Messénie autour de Pylos, la Laconie dominée par un site
situé vers Sparte (Ménélaion ou Ayios Vasileios), la Béotie orientale centrée sur
Thèbes, la Béotie occidentale autour d'Orchomène, l'Attique dominée par Athènes, et
la Thessalie littorale autour de Volos (Dimini/Iolcos). La présence d'un royaume en
Élide reste à confirmer.
Y avait-il un État qui a pu dominer tout le monde mycénien à une certaine période ?
Cela reste impossible à déterminer. L'existence d'une sorte de koinè mycénienne
autour de l'Égée ne veut pas dire qu'il y avait une puissance politique dominant la
région. Les traces archéologiques d'une influence mycénienne plus ou moins forte
en Crète, dans les Cyclades, le Dodécanèse ou l'Asie mineure littorale pourraient
indiquer une domination politique mycénienne à certains moments, mais une telle
interprétation des sources est loin d'être convaincante. C'est finalement la mention
dans les sources hittites des XIV – XIII siècles av. J.-C. d'un « Roi des Ahhiyawa »,
e e
rapproché du « Roi des Achéens » Agamemnon dans l'Iliade, qui est le principal
argument en faveur de l'existence d'un souverain dominant le monde
mycénien68,69. Mycènes reste alors le meilleur candidat en tant que capitale de ce
supposé royaume hégémonique (mais assurément pas « impérial » au regard de la
documentation), du fait du souvenir qu'elle a laissé chez les Grecs des périodes
suivantes, au premier chef Homère, et aussi de l'importance du site124.
En l'état actuel des choses, c'est une étude d'un monde mycénien fragmenté entre
plusieurs États et autres entités politiques qui reste plus raisonnable. C'est donc sur
leur nature que se concentrent l'essentiel des réflexions sur la politique, l'économie et
la société du monde mycénien, même s'il est complexe de déterminer dans quelle
mesure ce qu'on y observe est généralisable aux autres régions sur lesquelles
s'étend cette civilisation.
Les tablettes ne précisent pas non plus le nom du ra-wa-ke-ta, qui est donc
probablement un dignitaire unique dans le royaume134,135. L'une d'entre elles, à Pylos,
le mentionne à la suite du wa-na-ka ; il est le seul dignitaire à avoir un te-me-no, dont
la superficie est trois fois moindre que celle du wa-na-ka, et possède également des
dépendants135. Le ra-wa-ke-ta serait donc le second de ce dernier135. On a supposé
qu'il était un chef de guerre, en décomposant le terme en law-agetas (de λαϜός, qui
désigne la classe des guerriers chez Homère, et ἄγω, « mener, conduire »),
« conducteur des guerriers », mais les textes n'indiquent rien en ce sens135. D'autres
dignitaires sont les te-re-ta, qui apparaissent dans les textes comme les détenteurs
d'une certaine catégorie de terres, les ki-ti-me-na136. Leur nom suggère qu'elles sont
liées à une charge (τέλος), mais dont on ignore la nature137. Ils exercent peut-être une
fonction religieuse137. Les e-qe-ta, littéralement les « compagnons » (des
« chevaliers »), reçoivent du palais de la nourriture, des vêtements et des armes,
mais possèdent des revenus par ailleurs135. Ils reçoivent du palais des missions
importantes et leur nom, proche de ἑπετας, « serviteur », laisse supposer qu'ils en
sont dépendants135. Ils pourraient avoir une fonction guerrière135.
Une question récurrente concernant les États mycéniens de Pylos et Cnossos est la
place qu'aurait eu le palais dans l'ensemble de l'économie et la société du territoire
dominé. On a pu penser à un moment que le palais était un organisme ayant une
vaste emprise sur l'économie et la société, jouant un rôle d'employeur principal et de
redistributeur des ressources qu'il collectait146. Cette vision des choses était marquée
par le fait que les sources écrites ne proviennent que du palais, mais aussi par
l'approche « substantiviste » de l'économie antique qui dominait auparavant, ainsi
que par l'exemple des reconstructions des économies du Proche-Orient ancien, et
de Mésopotamie en particulier qui avaient cours alors, les voyant comme fortement
encadrées par les palais (et parfois aussi les temples). Depuis, ces interprétations
d'institutions exerçant une large emprise sur la société et l'économie de l'âge du
bronze ont été nuancées, et les études récentes sur le rôle du palais des États
mycéniens ont largement relativisé sa place147. Cette institution est de plus en plus
vue comme étant essentiellement au service des rois et de l'élite, leur fournissant
une source de richesses et un moyen de contrôle sur la population. Mais reste
encore à savoir si le palais jouait tout de même un rôle important dans l'économie du
royaume, ou bien s'il était négligeable148.
Il faut également mettre en avant le fait que la documentation écrite pose des
problèmes qui rappellent ceux de la documentation architecturale et artistique :
provenant de l'institution palatiale, elle reflète donc une vision de la société
mycénienne qui est celle des élites, qui sont les mêmes que ceux qui ont pensé, fait
bâtir et organisé les édifices qui ont été mis au jour, pour qui on a construit la grande
majorité de tombes que l'on connaît, et qui ont commandité la plupart des
productions artisanales/artistiques qui nous sont parvenues. Les autres catégories
sociales ne sont essentiellement perceptibles que quand elles entrent en relations
avec le milieu des élites, et on ne sait pas quelle était l'importance des activités
qu'elles pouvaient faire en dehors du cadre institutionnel.
Les céréales cultivées sont le blé et l'orge. On évalue à 982 000 litres les rentrées
annuelles de céréales à Cnossos, contre 222 000 litres à Pylos154. Il y a également
des plantations d'oliviers, pour la production d'huile d'olive. Celle-ci ne sert pas
seulement à l'alimentation, mais aussi pour les soins corporels, les parfums ou
l'éclairage155. Les Mycéniens connaissent d'autres oléagineux : le lin, le safran (ka-
na-ko), le sésame (sa-sa-ma), ainsi sans doute que le ricin et le pavot154. La vigne est
cultivée, souvent en association avec des oliviers et des figuiers, voire d'autres
cultures intercalaires155. On en tirait plusieurs variétés de vins : des vins mielleux,
liquoreux, ou doux. Une tablette de Mycènes mentionne un cratère, ce qui suggère
que le vin est déjà mélangé à de l'eau, comme à l'époque classique156. Le vin était
distribué lors de grandes fêtes religieuses : une tablette de Pylos mentionne la
distribution de 11 808 litres de vin à neuf localités lors d'un tel évènement. Les
fouilles de sites crétois (Phaïstos notamment) ont mis au jour
des maies de pressoirs à levier ayant servi à presser de l'huile ou du vin. Des salles
des palais ont quant à elles abrité de vastes réserves de vin ou d'huile, comme dans
l'édifice situé juste au nord du complexe palatial de Pylos, où étaient enterrées 35
jarres contenant chacune de 45 à 62 hectolitres155. Ces éléments nous permettent
d'envisager l'existence d'une agriculture qui va au-delà de la recherche de la
subsistance pour ces productions et dans le cadre palatial, notamment celui des
domaines dont bénéficiaient les principaux notables.
Ces changements sont solidaires de l'émergence des centres palatiaux, dont les
archives nous permettent d'entrevoir le fonctionnement de certains secteurs
artisanaux (mais qui ne sont jamais « industriels »162). Les archives de Pylos montrent
un travail spécialisé, chaque ouvrier appartenant à une catégorie précise, et
disposant d'une place spécifique dans les étapes de la production, notamment dans
le textile. Le tout se faisait sous le contrôle de l'administration palatiale. Des édifices
servant d'ateliers ont également été mis au jour à proximité des palais mycéniens,
par exemple la « Maison aux boucliers » de Mycènes qui a servi de lieu de
fabrication d'objets en ivoire, en faïence et en pierre163. Les réalisations artisanales
retrouvées sur les sites et dans les nécropoles nous montrent l'étendue des activités
des travailleurs de l'artisanat du monde mycénien : poterie en terre cuite, travail des
métaux (bronze, or essentiellement), réalisation de sceaux, transformation de
denrées alimentaires, etc. Les tablettes nous montrent l'artisanat textile, impossible à
appréhender par l'archéologie ; c'est avec la métallurgie le domaine dont
l'organisation est la mieux connue, sans doute parce que c'étaient les deux domaines
qui intéressaient le plus le palais pour des raisons stratégiques. En revanche,
l'organisation du travail de l'ivoire, bien identifié par les trouvailles archéologiques,
échappe à la documentation162,164.
L'activité textile est un secteur qui n'a sans doute pas vu de changements techniques
notables durant l'Helladique Récent, mais a connu des changements structurels dans
le cadre palatial, dirigé par une administration centralisée165. Les tablettes
de Cnossos permettent ainsi de suivre toute la chaîne de production, gérée par une
poignée de fonctionnaires se répartissant entre eux la supervision de domaines
précis de l'activité. D'abord l'élevage des troupeaux de moutons comportant de
nombreuses têtes de bétail qui sont comptabilisées et tondues. La laine obtenue
passe alors dans le domaine artisanal en étant répartie entre des tisserands (souvent
des femmes) qui la travaillent. Ensuite, les tablettes comptabilisent les produits finis
qui sont alors récupérés et stockés dans les magasins du palais. Les ouvriers du
textile étaient jusqu'à 900, organisés dans une trentaine d'ateliers (la production
textile étant donc décentralisée, à la différence de l'administration), et rémunérés par
des rations166. Les archives du palais de Pylos montrent qu'on y travaillait surtout
le lin, qui poussait dans des champs locaux et était sans doute obtenu en bonne
partie par des prélèvements fiscaux. Les étoffes produites sont mal connues : les
tablettes de stockage mentionnent différentes couleurs, notamment sur leurs
franges, et différentes qualités. On ignore de quelle manière elles étaient utilisées
après stockage.
La métallurgie est bien attestée à Pylos, où le palais recense dans ses archives
environ 400 ouvriers, dont les ateliers sont dispersés sur plus de 25 localités du
territoire, et semblent donc peu dépendants de l'institution162,166. Elle leur distribue le
métal pour qu'ils réalisent le travail demandé : en moyenne 3,5 kg de bronze par
forgeron. Cela est effectué dans le cadre d'une sorte de corvée pour l'institution (ta-
ra-si-ja), qui concerne aussi des textiles et d'autres produits. Leur rémunération est
inconnue, car ils sont mystérieusement absents des listes de distributions de rations.
À Cnossos, quelques tablettes témoignent de la fabrication d'épées, mais sans
évoquer de véritable activité métallurgique importante. En tout cas, c'est souvent en
lien avec l'armée que cette production paraît organisée, ou bien pour faire des objets
de luxe destinés à l'export ou au culte.
Les potiers (ke-ra-me-u) sont cités également dans les sources épigraphiques, alors
que peu d'ateliers de fabrication de céramique sont connus167. Ils apparaissent
notamment dans des listes de travailleurs employés par le palais. Les céramiques
sont en effet essentielles pour le fonctionnement de l'économie palatiale : elles
servent de contenants pour les aliments stockés et déplacés, notamment pour les
distributions de rations, d'offrandes aux dieux. Elles sont également un mobilier
essentiel à cette période pour des usages courants comme la cuisine et
l'alimentation quotidienne168.