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Ode à Psyché

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Ode à Psyché
Amour et Psyché, sculptés dans le marbre (Carlo
Albacini, fin du XVIIIe siècle)

Auteur
John Keats
Pays Angleterre

Genre
Ode

Version originale

Langue
Anglais
Titre
Ode to Psyche
Éditeur
Annals of the Fine Arts, no 15
Date de parution
1820

Version française

Traducteur
Albert Laffay, Keats, Selected Poems,
Poèmes choisis
Éditeur
Aubier-Flammarion bilingue
Date de parution
1968
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L'Ode à Psyché (en anglais Ode to Psyche) est vraisemblablement la première


des odes écrites par le poète romantique britannique John Keats en 1819. Il s'agit
d'une expérience dans le genre, sous la forme d'une version élargie
du sonnet destinée à la description d'une scène dramatique.

Ce schéma constitue une rupture par rapport à l'écriture poétique de Keats,


généralement plus enclin à se focaliser sur les évasions de son imagination qui
s'emploie ici à capter l'intention, proclamée par le narrateur, de redonner vie
à Psyché et, métaphoriquement, de se réincarner en Éros, dieu de l'amour.

À cette fin, le poète entend consacrer « une région inviolée » (untrodden region)N 1 de
son esprit pour honorer la déesse négligée et, à lui seul, lui ménager un rituel
d'adoration dont il sera le prêtre, cette intériorisation du mythe ancien conduisant à
un redéploiement de l'écriture poétique. Pour autant, la composition de l'ode ne
répond pas à un schéma régulier : mélange de plusieurs genres, elle fait preuve de
souplesse — ou de fantaisie — dans son organisation rythmique et prosodique.

Le maître mot de l'ode est contenu dans son titre : Psyché et psyché, le mythe et
l'esprit, ce dernier non incarné, autrement dit le cerveau, dont Keats connaît et utilise
l'anatomie pour, en sous-main, fonder son argument sur une base scientifique qu'il
sublime à des fins poétiques.

Assez peu apprécié lors de sa parution en 1820, le poème n'a fait que gagner en
popularité au cours des générations suivantes, mais il a fallu attendre le XX siècle
e

pour qu'il soit reconnu comme l'une des grandes odes composées par Keats au
printemps de 1819.

Contexte[modifier | modifier le code]


Genèse et publication[modifier | modifier le code]

Wentworth Place, maison partagée


par John Keats.
Keats n'est pas un écrivain professionnel. Ses émoluments d'assistant chirurgien
diplômé du Guy's Hospital de Londres subviennent tout juste à ses besoins. À vingt-
trois ans cependant, il quitte la voie médicale pour s'adonner complètement à la
poésie. Il loge à Wentworth Place1, chez son ami Charles Armitage Brown, un poète
à ses heures qui veille à recueillir les manuscrits de Keats. Même si l'histoire littéraire
a quelque raison de penser que l'Ode à Psyché est la première de la série
du printemps 1819 (composée entre le 21 et le 30 avril1), le fait n'est pas
scientifiquement prouvéKB 1. Pourtant, il existe une lettre de l'auteur à son
frère George, datée du 30 avril 18191, où il est dit : « [Voici] le dernier poème que j'ai
écrit — le premier et le seul pour lequel je me suis donné un mal même relatif. La
plupart du temps, j'ai écrit mes vers à la volée. Ce poème a été composé en prenant
mon temps. Je crois qu'il en est plus riche à la lecture, et, je l'espère, m'encouragera
à écrire d'autres choses avec un esprit encore plus serein et reposéC 1 »1. Le 4 mai,
un exemplaire est remis à John Hamilton Reynolds, ancien éditeur et ami de Keats
rencontré dans le cercle littéraire de Leigh Hunt en 1816. Il existe de légères
différences entre cette version et celle que Keats envoie à son frère, mais elles
portent surtout sur la ponctuation1.

L'Ode à Psyché est incluse dans le second volume du recueil Lamia, Isabella, The
Eve of St. Agnes, and Other Poems, dont le manuscrit complet parvient à
l'éditeur Taylor and Hessey à la fin d'avril 1820. L'ensemble sort le 1er ou le 3 juillet1.
Keats a déjà écrit à Brown qu'il n'entretient guère d'espoir (very low hopes) à son
propos. De fait, découragé par la critique, il se résigne pratiquement à « tenter son
mieux en tant qu'apothicaireC 2 »1. Cependant, quelques bons comptes rendus lui
apportent du réconfort, en particulier l'un des premiers, écrit par Charles Lamb dans
le New Times du 19 juillet, bientôt suivi d'un autre émanant de Francis JeffreyN 2 dans
la Edinburgh Review d'août et autres semblables éloges publiés en septembre1.

Les ventes stagnent cependant, car l'actualité qui occupe l'opinion et envahit la
presse concerne l'intention qu'a le roi George IV de divorcer. Si bien que lorsque le
recueil commence à éveiller réellement l'attention, ce sursaut, venu trop tard, n'a pas
d'impact sur l'avenir du poète : très malade, envoyé en Italie pour tenter une
rémission, Keats meurt à l'âge de 25 ans de la tuberculose. L'énorme succès que
connaît ensuite son œuvre — et notoirement ses odes du printemps et de septembre
1819 — est donc entièrement posthume1.

Keats et le mythe de Psyché[modifier | modifier le code]

Boucher, Le mariage de Psyché et de


l'Amour (1744).
Keats fréquente le mythe de Psyché depuis longtemps. Dès son enfance, il lit
le Dictionnaire classique de Lemprière, offrant de brefs portraits des dieux et des
déesses3,4, et l'ouvrage en strophes spensériennes de la poétesse pré-
romantique Mary Tighe, Psyche, publié en 18055, auquel il emprunte quelques
tournures de phrases1, avant d'y revenir en 1818, comme il l'explique à son frère peu
avant de composer son ode pour, cette fois, le décrier. Le livre ne lui convient plus,
explique-t-il en substance, et désormais, il entend se référer aux sources
primaires, Apulée et son Âne d'or6, traduites en 1566 par William Adlington7, pour
trouver matière à son inspirationKLC 1.
Références littéraires et mise en forme[modifier | modifier le code]
Il existe beaucoup de réminiscences miltoniennes dans l'ode de KeatsKL 1 : par
exemple, son premier distique rappelle le début de
l'élégie pastorale Lycidas (1637) : « Bitter constraint and sad occasion dear » (vers
6)8, et nombre d'échos renvoient à l'Ode au matin de la NativitéN 3 :

[Traduction libre] Les oracles restent muets,


The Oracles are dumm,
Nulle voix ni hideux bourdonnement
No voice or hideous humm
Ne ricochent sur les arches du toit en paroles
Runs through the arched roof in words deceiving.
trompeuses.
Apollo from his shrine
Dans son oracle, Apollon
Can no more divine,
Ne saurait prophétiser
With hollow shreik the steep of Delphos leaving.
En cris sourds l'abandon des pentes de Delphes.
No nightly trance, or breathed spell,
Point de transe nocturne, ou de répit inspiré,
Inspire's the pale-ey'd Priest from
Ne meut le prêtre aveugle du fond sa cellule
the prophetic cell.KL 1.
prophétique.

À la différence de celles qui suivent, l'Ode à Psyché doit encore quelque chose à
l'ode dite « irrégulière » que pratiquent Wordsworth et Coleridge, comme Intimations
of Immortality from Recollections of Early Childhood (Wordsworth) (Suggestions de
l’immortalité à partir de réminiscences de la tendre enfance) à laquelle répondent
aussitôt Dejection: An Ode (Ode à la mélancolie) et France: An Ode (Ode à la
France) (Coleridge)9 ; les vers y sont de longueur irrégulière et les strophes diffèrent
l'une de l'autre. Au départ, la lettre destinée à George Keats contient un manuscrit
avec deux strophes respectivement de 34 et 32 vers ; dans l'édition de 1820,
chacune est scindée en deux, si bien que le poème comprend à ce stade quatre
strophes de 24, 12, 14 ou 18 versKL 2. La Poetry Foundation le présente en cinq
strophes10, mais Albert Laffay suit Arthur Quiller-Couch qui, dans The Oxford Book of
English Verse, publié en 191911, opte pour trois, des vers 1 à 23, puis de 24 à 35,
enfin de 36 à 67KL 3,N 4

Poème[modifier | modifier le code]


Texte[modifier | modifier le code]
Ode to Psyche Ode à Psyché
I. I.
O Goddess! hear these tuneless numbers, Ô Déesse ! écoute ces harmonies sans rythme, expression
wrung D’une douce contrainte et d’un cher souvenir.
By sweet enforcement and remembrance Et pardonne-moi de murmurer tes secrets
dear, Même à ta propre oreille à la conque délicate :
And pardon that thy secrets should be Sûrement ai-je rêvé aujourd'hui, ou ai-je vu
sung L’ailée Psyché de mes yeux éveillés ?
Even into thine own soft-conched ear: J’errais, ne pensant à rien, dans une forêt
Surely I dreamt to-day, or did I see Lorsque soudain, défaillant de surprise,
The winged Psyche with awaken'd eyes? J’aperçus deux belles créatures, étendues côte à côte
I wander'd in a forest thoughtlessly, Dans l’herbe la plus touffue, sous le dais bruissant
And, on the sudden, fainting with surprise, Des feuilles et des tremblantes floraisons, là où court
Saw two fair creatures, couched side by Un ruisselet, à peine visible.
side Parmi les silencieuses fleurs, aux fraîches racines, aux
In deepest grass, beneath the whisp'ring taches parfumées
roof Bleu, blanc d’argent, aux boutons pourpres de Tyr,
Of leaves and trembled blossoms, where Elles reposent, la respiration calme, sur le jeune gazon ;
there ran Leurs bras et leurs ailes s’enlacent ;
A brooklet, scarce espied: Leurs lèvres ne se touchaient pas, mais ne s’étaient jamais
Mid hush'd, cool-rooted flowers, fragrant- dit adieu,
eyed, Comme si, disjointes par la caressante main du sommeil,
Blue, silver-white, and budded Tyrian, Elles étaient prêtes encore à dépasser le nombre des baisers
They lay calm-breathing, on the bedded échangés
grass; Lorsque tendrement l’amour ouvre les yeux du matin :
Their arms embraced, and their pinions L’enfant ailé je le reconnus.
too; Mais qui étais-tu, ô heureuse, heureuse colombe ?
Their lips touch'd not, but had not bade Sa Psyché ! elle-même !
adieu, II.
As if disjoined by soft-handed slumber, Ô la dernière née et de beaucoup la plus aimable vision
And ready still past kisses to outnumber De toute la hiérarchie évanouie de l’Olympe !
At tender eye-dawn of aurorean love: Plus belle que l’étoile de Phœbé entourée de saphirs
The winged boy I knew; Ou que Vesper, l’amoureux ver luisant du ciel ;
But who wast thou, O happy, happy dove? Plus belle qu’eux, quoique tu n’aies aucun temple,
His Psyche true! Ni autel enguirlandé de fleurs,
II. Ni chœurs de vierges exhalant de délicieuses litanies
O latest born and loveliest vision far Aux heures de minuit ;
Of all Olympus' faded hierarchy! Ni voix, ni luth, ni pipeau, ni suave encens
Fairer than Phoebe's sapphire-region'd Fumant d’un brûle-parfum balancé avec des chaînes ;
star, Ni châsse, ni bocage, ni oracle, ni fiévreuse
Or Vesper, amorous glow-worm of the Incantation psalmodiée par un prophète aux pâles lèvres.
sky; III.
Fairer than these, though temple thou hast Ô toi, la plus brillante ! quoique venue trop tard pour
none, d’antiques offrandes.
Nor altar heap'd with flowers; Trop, trop tard pour la lyre ingénument croyante,
Nor virgin-choir to make delicious moan Lorsque sacrés étaient les rameaux des forêts hantées.
Upon the midnight hours; Sacrés l’air, l’eau et le feu ;
No voice, no lute, no pipe, no incense Pourtant, même en ces jours si éloignés
sweet Des heureuses piétés, tes ailes resplendissantes,
From chain-swung censer teeming; S’agitant parmi les Olympiens évanouis,
No shrine, no grove, no oracle, no heat Je les vois, et je chante inspiré par mes propres visions.
Of pale-mouth'd prophet dreaming. Donc, souffre que je sois ton chœur et que j’entonne une
III. litanie
O brightest! though too late for antique Aux heures de minuit :
vows, En l’honneur de ta voix, ton luth, ton pipeau, ton suave
Too, too late for the fond believing lyre, encens
When holy were the haunted forest Fumant d’un brûle-parfum balancé avec des chaînes ;
boughs, Ta châsse, ton bocage, ton oracle, la fiévreuse
Holy the air, the water, and the fire; Incantation psalmodiée par un prophète aux pâles lèvres.
Yet even in these days so far retir'd IV.
From happy pieties, thy lucent fans, Oui, je serai ton prêtre, et te construirai un temple
Fluttering among the faint Olympians, Dans quelque région inexplorée de mon esprit,
I see, and sing, by my own eyes inspir'd. Où mes pensées, telles des ramures, nouvellement jaillies
So let me be thy choir, and make a moan d’une délicieuse douleur,
Upon the midnight hours; En guise de pins, murmureront dans le vent.
Thy voice, thy lute, thy pipe, thy incense Loin, loin alentour, ces arbres groupés dans l’ombre
sweet Garnissent de pic en pic les sauvages déclivités de la
From swinged censer teeming; montagne ;
Thy shrine, thy grove, thy oracle, thy heat Et là, zéphyrs, torrents, oiseaux et abeilles,
Of pale-mouth'd prophet dreaming. Endormiront par leurs berceuses les Dryades vêtues de
IV. mousse,
Yes, I will be thy priest, and build a fane Puis, au cœur de cette vaste quiétude,
In some untrodden region of my mind, Je veux édifier un sanctuaire rose
Where branched thoughts, new grown Avec les treillis entrelacés de mon cerveau en travail,
with pleasant pain, Avec des bourgeons, des clochettes, et des étoiles
Instead of pines shall murmur in the wind:
Far, far around shall those dark-cluster'd
trees
Fledge the wild-ridged mountains steep by
steep;
And there by zephyrs, streams, and birds,
and bees,
The moss-lain Dryads shall be lull'd to
sleep;
innommées.
And in the midst of this wide quietness
Avec toute la flore que peut simuler la Fantaisie,
A rosy sanctuary will I dress
Qui créant des fleurs, — ne créera jamais les mêmes ;
With the wreath'd trellis of a working
Et là il y aura pour toi toute la joie apaisante
brain,
Qu’une pensée chimérique peut procurer.
With buds, and bells, and stars without a
Une torche étincelante, et une baie ouverte la nuit
name,
Pour permettre au chaud Amour de s’y introduire12.
With all the gardener Fancy e'er could
feign,
Who breeding flowers, will never breed
the same:
And there shall be for thee all soft delight
That shadowy thought can win,
A bright torch, and a casement ope at
night,
To let the warm Love in!

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