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LORD BYRON

Le corsaire
et autres poèmes orientaux

Présentation et traduction de Jean Pavans


Édition bilingue

Poésie / Gallimard
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collection poésie
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LORD BYRON

Le Corsaire
précédé de
Oraison vénitienne
de Le Giaour
et de Mazeppa
Présentation et traduction
de Jean Pavans

ÉDIT I O N B I L I N G U E

GALLIMARD
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© Éditions Gallimard, 2019.

Couverture : Portrait de Lord Byron, par Richard Westall,


1813. National Portrait Gallery, Londres, photo © NPG,
London / Scala, Florence ; Lettre manuscrite de Byron,
photo © British Library / Leemage.
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UN ESPRIT SALAMANDRIN

« Byron, loquacité, redondance. Quelques-unes de


vos qualités, Monsieur. Mais, en revanche, ces sublimes
défauts qui font le grand poète : la mélancolie, toujours
inséparable du sentiment du beau, et une personnalité
ardente, diabolique, un esprit salamandrin. »
« Salamandrin » : qui, telle la salamandre, vit dans le
feu. Ce n’est pas la même chose que « flamboyant » : qui,
de l’intérieur, produit des lueurs de flammes. Les flammes
nécessaires à la vie d’un esprit salamandrin, et dont il
s’entoure, sont extérieures à lui : il les entretient autant
qu’il s’en nourrit.
Le néologisme est de Charles Baudelaire. Les remarques
où il figure font partie d’un Projet de lettre à Jules
Janin1, brouillon publié dans le recueil posthume de Mon
cœur mis à nu, où chaque phrase, quoique simplement

1.  Baudelaire se proposait de riposter à un article de Janin paru


dans l’Indépendance belge du 11 février 1865, Henri Heine et la
jeunesse des poètes, dont plus personne ne se soucie, et dont lui seul
sans doute s’est soucié à l’époque, du moins à ce point, alors que
ses humeurs demeurent intemporellement actuelles : « Mécon-
naissance de la poésie de Heine, et de la poésie, en général. Thèse
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8 Préface

esquissée, est indubitablement baudelairienne, c’est-à-dire


lumineuse et percutante. Oui, la poésie de Byron est bien
souvent loquace et redondante, « qualités » partagées par
Monsieur Janin. Et, oui, elle a les sublimes « défauts »
salamandrins de brûler sur fond d’ardente mélancolie et
de suractivité neurasthénique. Cela peut paraître une asso-
ciation paradoxale de termes antinomiques. Mais la source
profonde du désir de plaire, de la rage de séduire, n’est-elle
pas une timidité, un manque d’assurance, à surmonter ?
La compréhension que Baudelaire a de Byron est d’au-
tant plus pénétrante qu’elle est distante. La loquacité et
la redondance ne sont pas des « qualités » des Fleurs du
Mal ; elles s’y trouveraient même en défaut, pour qui
prétendrait y sentir un manque de souffle. Le génie de
Baudelaire n’était pas le cheval emballé de Mazeppa.
C’était une méditation concentrée calculant une rédac-
tion concise ; l’élan ne venait pas d’une graphomanie1.
La graphomanie peut bien sûr être une méthode pour
parvenir à des éclats visionnaires : élan suprême de Victor
Hugo. Mais Jules Janin, né quand le siècle avait, non plus
deux, mais quatre ans, était un graphomane aux idées
confuses dénué de tout germe de vision. Son bavardage,
pour son seul bonheur, régna durant une quarantaine

absurde sur la jeunesse du poète. Ni vieux, ni jeune, il est. Il est


ce qu’il veut. Vierge, il chante la débauche ; sobre, l’ivrognerie. »
1.  Il lui fallut pourtant remplir des colonnes de périodiques,
en particulier pour ses comptes rendus des Salons. Mais là aussi,
comme dans tout ce qu’il a écrit, sa pensée se concentre. Cependant,
s’il a satisfait cette tendance à la graphomanie qui est naturelle à
tout écrivain, alors c’est au moyen d’Edgar Poe : car l’exercice de
la traduction se limite à l’étape seconde de la rédaction, et donc
la méditation première n’en fait plus partie, puisque la pensée est
déjà toute formée, étant celle de l’auteur traduit.
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Préface 9

d’années dans la chronique littéraire de ce Journal des


Débats où Hector Berlioz, son aîné d’un an seulement,
était enchaîné à la critique musicale, en y déployant
toutefois une admirable maîtrise de la langue au service
de la vigueur de ses idées. Enfin, le couronnement de la
redondance loquace de Janin fut son entrée à l’Acadé-
mie française, en succession de son exact contemporain,
Sainte-Beuve, qui lui aussi pratiquait la confusion des
valeurs, mais avec moins de candeur, plus d’érudition, de
délibération, de brio, de sournoiserie et de rancœur.
Cette génération romantique française, dont le génie
était incarné, non par Janin ni par Sainte-Beuve, mais par
Hugo, Berlioz et Delacroix, fut puissamment enflammée,
à la fin de l’année 1827, par les apparitions conjuguées de
Shakespeare, joué en anglais à l’Odéon, et de Goethe, dans
la magistrale traduction de Faust par Gérard de Nerval.
Byron avait déjà été introduit en France de son vivant par
les traductions en prose d’Amédée Pichot, dont l’intégrale fut
publiée entre 1819 et 1825. Tous trois, Shakespeare, mort
depuis plus de deux siècles, Goethe, qui devait vivre quatre
ans encore et admirer la version de Nerval, Byron, disparu
cinq mois avant l’accession au trône de Charles X, arrachent
le style français à la décrépitude de l’imitation exsangue de la
poésie racinienne, et suscitent également un genre nouveau
de musique à inspiration littéraire, poèmes symphoniques et
symphonies narratives dont Berlioz est le pionnier.
L’assimilation la plus directe de Byron fut sans doute
opérée par Vigny, dont l’Eloa (1824) est inspirée de Caïn
(1822) ; il savait l’anglais et traduisit Romeo and Juliet
et Othello ; eût-il traduit le Don Juan (1819‑1824) de
Byron, sa version aurait sûrement été inégalable, tel le
Faust de Nerval.
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10 Préface

Les Orientales (1829) d’Hugo sont évidemment sur-


gies de l’orientalisme byronien ; elles comportent d’ailleurs
un Mazeppa qui en somme ne fait, dix ans plus tard, que
résumer et paraphraser l’hallucination du héros de Byron,
pour en expliciter la morale :

Ainsi, lorsqu’un mortel, sur qui son dieu s’étale,


S’est vu lié vivant sur ta croupe fatale,
Génie, ardent coursier,
En vain il lutte, hélas ! tu bondis, tu l’emportes
Hors du monde réel, dont tu brises les portes
Avec tes pieds d’acier !
[…]
Il crie épouvanté, tu poursuis implacable.
Pâle, épuisé, béant, sous ton vol qui l’accable
Il ploie avec effroi ;
Chaque pas que tu fais semble creuser sa tombe.
Enfin le terme arrive… il court, il vole, il tombe,
Et se relève roi !

Cependant, c’est dans une idée rectificatrice, avec la


volonté de ramener le personnage de Mazeppa à sa réalité
historique, qu’à la même époque Alexandre Pouchkine
écrivit Poltava (1828), dont Tchaïkovski fera son opéra
Mazeppa1 (1884) ; le merveilleux poème symphonique de
Liszt, qui est peut-être la transcription, la traduction, la
plus exacte de la chevauchée infernale du héros enchaîné,
avec sa rédemption dans les bras d’une « vierge cosaque »,

1.  Tchaïkovski a également composé une Symphonie Manfred,


en 1885, sur un canevas proposé d’abord à Berlioz par Mili Bala-
kirev. Le poème de Byron, paru en 1817, avait inspiré à Robert
Schumann un mélologue créé en 1852.
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Préface 11

date de 1851 ; en peinture, le supplice de Mazeppa est


représenté par Horace Vernet (en 1826) ou par Delacroix
(en 1828), qui a également illustré Le Giaour (par trois
fois, en 1826, en 1835 et en 1856) et Le Corsaire (en
1831), dont Giuseppe Verdi fera un opéra, sur un livret
de Francesco Maria Piave, en 1848.
La renommée littéraire de Byron s’est affirmée en
mars 1812 (« Je me réveillai un matin et j’appris que
j’étais célèbre ») avec la parution des deux premiers chants
du Childe Harold’s Pilgrimage qu’il poursuivit durant
six ans encore, et dont Berlioz fera son Harold en Italie
(1834). Toutefois les attaques envieuses dont il est l’ob-
jet dès le début l’exaspèrent, et dans la première préface à
The Corsair, sous forme de lettre à Thomas Moore, datée
du 2 janvier 1814, il déclare qu’il renonce, sinon à écrire,
du moins à publier. Mais voilà : le succès de librairie de
ce Corsaire est immédiat et considérable ; il s’en vend,
paraît-il, dix mille exemplaires dès le premier jour, ce qui
laisse rêveur si l’on songe aux techniques d’imprimerie de
l’époque. Le libraire de Londres, John Murray, d’Albe-
marle Street, aurait-il été assuré de milliers d’abonnements
ou précommandes, et aurait-il demandé par prévision à
l’imprimeur, Thomas Davison, de Whitefriars, une fabrica-
tion massive pour satisfaire l’attente dès la mise en vente ?
La conséquence, en tout cas, fut que Byron, cinq jours
plus tard, pour l’édition suivante, fit ôter et remplacer
par quelques lignes sa première longue préface, en taisant,
avec cette demi-sincérité qui fait partie de ses procédés de
séduction, la raison réelle de cet acte de censure : rayer
son engagement à ne plus publier. « Mon cher Moore, je
vous ai écrit une longue lettre de dédicace, que je supprime
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12 Préface

[…]. J’y parlais trop de poésie et de politique, et d’ailleurs


elle finissait par un sujet peu divertissant pour le lecteur,
c’est-à-dire que je me mettais moi-même en scène. » Et
donc il continua de publier ce que lui dictait d’écrire sa
« personnalité ardente » et que lui réclamaient instam-
ment, et à grand prix, les libraires anglais.
Ce triomphe de ventes de l’œuvre originale, comme les
scandales faisant la publicité européenne de son auteur,
explique sans doute en partie l’empressement des édi-
teurs parisiens de la période romantique d’en exploiter
des versions françaises1. La pratique contestable car dom-
mageable pour l’œuvre d’exclusivité éditoriale des tra-
ductions ne s’exerçant qu’un siècle plus tard, l’intégrale
d’Amédée Pichot fut vite suivie par celles de Paulin Paris
(1830‑1831) et de Benjamin Laroche (1837), toutes en
prose. Ce n’est que soixante-cinq ans après sa mort que
Percy Bysshe Shelley eut son œuvre traduite (également
en prose, par Felix Rabbe). Il est vrai que son génie, si dif-
férent de celui de Byron, et même contraire sous bien des
aspects, par son assurance rigoureuse et son ton intérieur,
sérieux, non abâtardi par l’humour et les railleries et sans
grand souci de « la galerie », était de la catégorie forcée de

1.  La traduction de The Corsair par Pichot fut publiée en 1820,


six ans donc après l’original. Le Corsaire est le titre que prit en 1823
un quotidien parisien, « journal des spectacles, de la littérature, des
arts et des modes », qui parut jusqu’en 1858. Dès l’année de créa-
tion, Berlioz y envoya sa toute première critique musicale, suivie
de deux autres, tout aussi virulentes. Cependant, son ouverture Le
Corsaire (1851), d’abord intitulée La Tour de Nice (1845), devait son
nouveau titre au Corsaire rouge (The Red Rover, 1827) d’un Améri-
cain contemporain de Byron : James Fenimore Cooper ; une traduc-
tion, par Auguste-Jean-Baptiste Defauconpret, était parue en 1839.
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Préface 13

publier ses œuvres à compte d’auteur. John Keats dut être


plus patient encore : c’est en 1910 seulement qu’en parut
une traduction intégrale, par Paul Gallimard.

« La mélancolie »… Venise s’éteignit, c’est-à-dire entra


dans la lumière de l’Intemporel, le 12 mai 1797, quand le
dernier de ses Doges, Ludovico Manin, en remit les clefs aux
Français du Directoire. Puis le traité de Campo-­Formio, en
octobre suivant, la céda à l’Empire autrichien. Napoléon
ensuite s’en empara de nouveau, en 1805, jusqu’à la chute
de son Empire, en 1814, et alors la domination autrichienne
reprit pour une cinquantaine d’années, avant la constitu-
tion du royaume d’Italie. C’est en 1819 que Byron écrivit
son Ode on Venice, en l’intégrant d’abord à Mazeppa,
grande allégorie de sa propre fuite en Italie, et à Venise,
afin d’échapper aux scandales et aux persécutions que son
génie et ses amours avaient provoqués en Angleterre, avec
pour moyen d’allumer les contre-feux de nouveaux scan-
dales. Puis il la fit paraître indépendamment, ce qui nous
justifie de l’avoir isolée au début de notre recueil, en pré-
férant le terme d’oraison à celui d’ode, car il s’agit plutôt
d’une déploration funèbre sur les gloires disparues d’une
République humiliée et soumise aux tyrannies des empires.
Après l’espoir trahi de la Révolution française dont les
prin­cipes ont exalté Shelley comme Byron, « Le nom de
République est effacé / Des trois quarts du globe gémissant »,
et « Plutôt que de stagner dans notre marécage », mieux
vaut « franchir / L’abîme des mers, ajouter un courant à
l’océan, / Un esprit aux âmes qui animaient nos pères, / Et
un homme libre de plus à toi, l’Amérique ! » Émigrer au
Nouveau Monde, Byron ne le fera pas, mais c’est ce que fit,
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14 Préface

à New York, en 1805, alors âgé de 56 ans, un remarquable


natif de Vénétie, lié au génie de l’Ancien Monde et à de
grands chefs-d’œuvre de Mozart : Lorenzo da Ponte.

« Loquacité, redondance »… Paru en juin 1813, The


Giaour, « fragment d’un conte turc », est une somptueuse
divagation, s’ouvrant sur une ode funèbre à la Grèce avilie
par la domination ottomane, où Byron avait fait son pre-
mier séjour trois ans plus tôt. Puis commence l’« histoire
déplorable » du Giaour, terme de mépris appliqué par les
Turcs aux infidèles, et de son rival, le pacha Hassan. Ils
se sont disputé Leïla, favorite d’Hassan, qui l’a fait noyer
parce qu’elle a voulu être enlevée par le chrétien. Le Giaour
la venge en tendant un guet-apens à son ennemi. Le récit
de leur duel à cheval est le passage fracassant qui a inspiré
à Delacroix ses trois merveilleuses déclinaisons du Combat
du Giaour et du pacha pleines d’éclats et de fureur.

Un jeune cœur peut tendrement chercher


À partager des caresses ardentes ;
Mais l’amour, pour tout ce que la beauté
Désire lui accorder, ne saurait
Palpiter avec autant de ferveur
Que la haine de rivaux qui s’étreignent
Et ne peuvent se séparer avant
L’ultime issue ; deux amis se rencontrent
Et se quittent ; l’amour rit de la foi ;
Deux ennemis s’unissent dans la mort.

Toutefois, la mort ennoblit le mahométan accueilli


par les houris du paradis d’Allah ; tandis que le Giaour,
en raison de son double forfait (avoir tué celui dont il a
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Préface 15

volé l’amante) est voué à des tourments sans fin, où il est


le bourreau de lui-même.

L’esprit ruminant les chagrins coupables


Est pareil au scorpion cerclé de feu ;
Les flammes en s’embrasant se resserrent
Autour de leur captif, et le harcèlent
D’un millier de tourments, jusqu’au moment
Où, fou de colère, il ne voit qu’un seul
Et triste moyen, le dard destiné
À ses ennemis, dont jamais encore
Le venin n’a failli, qui ne provoque
Qu’une brève piqûre, mais guérit
Toute douleur ; ainsi le noir dans l’âme
Se meurt comme le scorpion dans le feu ;
Tel est le cœur ravagé de remords,
Exclu de la terre, écarté du Ciel,
Ténèbres en haut, désespoir en bas,
Flammes tout autour, et mort au-dedans !

De cela, le meilleur commentaire, qui n’est sans doute pas


une simple coïncidence, se lit dans la préface du Chatterton
qu’Alfred de Vigny écrivit une vingtaine d’années plus tard :

Il y a un jeu atroce, commun aux enfants du Midi ;


tout le monde le sait. On forme un cercle de charbons
ardents ; on saisit un scorpion avec des pinces et on le pose
au centre. Il demeure d’abord immobile jusqu’à ce que la
chaleur le brûle ; alors il s’effraye et s’agite. On rit. Il se
décide vite, marche droit à la flamme, et tente courageu-
sement de se frayer une route à travers les charbons ; mais
la douleur est excessive, il se retire. On rit. Il fait lentement
le tour du cercle et cherche partout un passage impossible.
Alors il revient au centre et rentre dans sa première et plus
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16 Préface

sombre immobilité. Enfin, il prend son parti, retourne


contre lui-même son dard empoisonné, et tombe mort
sur-le-champ. On rit plus fort que jamais. C’est lui sans
doute qui est cruel et coupable, et ces enfants sont bons et
innocents. Quand un homme meurt de cette manière, est-il
donc Suicide ? C’est la société qui le jette dans le brasier.

Cependant, Byron ne meurt pas dans le brasier où la


société le jette ; il y vit puisque, plutôt qu’un scorpion,
c’est une salamandre ; sa vie toutefois n’est que condam-
nation à l’action, une constante obligation de franchir le
cercle de flammes et de courtiser la mort.
Le Giaour se retire dans un monastère et se confesse
avant de mourir. Cette confession s’alimente de tout le
mélange paradoxal d’exaltation et de nihilisme qui forme
la « personnalité diabolique » de son auteur.

Mon temps, qui n’est pas vieux, a connu


Bien des joies, et plus encore de peines ;
Dans les heures d’amour ou de conflit,
L’ennui de vivre me fut épargné ;
Tantôt lié à des amis, tantôt
Ceint d’ennemis, j’ai détesté le calme
Et le repos. […]

Leïla lui apparaît comme pour l’entraîner avec amour


dans la mort, et il cherche à l’étreindre, mais ce n’est
qu’une ombre, et ses bras se croisent dans le vide.

[…] Je l’ai vue, Père !


Oui, elle m’est réapparue vivante ;
Elle scintillait dans son blanc linceul
Comme dans ce nuage cette étoile
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Préface 17

Que j’aperçois là-haut ;


[…] Et oubliant alors
Nos chagrins passés, je me suis dressé,
J’ai bondi de ma couche pour l’étreindre
Au plus près de mon cœur désespéré.
J’ai serré mes bras ; mais qu’ai-je serré ?
Aucun corps respirant dans mon étreinte,
Aucun cœur battant pour répondre au mien.

Alors il se souvient de ce qu’il n’a peut-être jamais


perdu, en dépit du ravage des années écoulées :

Aux heures calmes d’un temps plus nouveau,


Quand deux cœurs se plaisaient à se mêler,
Dans les bosquets fleuris de ma vallée
Natale, j’avais – ah, l’ai-je toujours ? –
Un ami. Je veux que tu lui envoies
Ce gage de nos serments mutuels ;
[…] Apporte-lui
Cet anneau, autrefois le sien ; dis-lui
Ce que tu vois ! Le corps fripé, l’esprit
Ruiné, débris de passions naufragées,
Un papier jauni, une feuille morte,
Séchée par les rafales du chagrin !

Serait-ce là, non plus pour le Giaour, mais en Byron


même, un souvenir de John FitzGibbon, ou de John Tho-
mas Claridge, ses cadets de quatre ans, connus en 1805 à
la public school de Harrow et dont il s’était épris ?
En janvier 1818, à l’âge de trente ans, Byron fit à
Venise la connaissance de Teresa née Gamba, de douze
ans sa cadette, qui avait l’année précédente épousé le comte
Alexandre Guiccioli, de quarante ans plus âgé qu’elle.
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18 Préface

Fut-il alors, ce comte, pour le jeune couple adultère, une


incarnation de la décrépitude de sa ville, déplorée dans
Ode on Venice, en ouverture de Mazeppa, dont la pre-
mière édition parut en juin 1819, Teresa ayant fait, le mois
précédent, ce qui fut déclaré comme une fausse couche ?
L’aventure, relatée par Voltaire dans son Histoire de
Charles XII, Roy de Suède, d’un hetman ukrainien du
xviie siècle fournit alors à l’amant de Teresa Guiccioli la
possibilité d’une allégorie et de bien des allusions ironiques à
sa propre situation sentimentale et traquée.

Or il y avait là un certain Palatin,


Comte de très ancienne et très haute lignée,
Riche comme une mine de sel ou d’argent ;
Et il était fier, vous pouvez le deviner,
Comme s’il était vraiment envoyé du Ciel ;
[…] Et il avait l’œil fixé sur ses possessions,
Il gardait le nez plongé dans son lignage,
Si bien qu’une sorte de confusion d’esprit,
Qui lui donnait tout l’air d’avoir perdu la tête,
Le conduisait à y voir son propre mérite ;
Sa femme ne partageait pas cette opinion ;
Elle était plus jeune que lui de trente années,
Et de jour en jour se fatiguait davantage
De sa domination […]

À cette jeune épouse d’un vieux palatin, il attribue


même le prénom de Teresa, dans une description au
lyrisme splendide et parodique :

[…] la beauté de Thérèse


Me paraît en cet instant glisser devant moi,
Entre mes yeux et ce bosquet de châtaigniers,
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Préface 19

Tant son souvenir reste vivace et ardent ;


Pourtant je ne trouve pas les mots pour décrire
Ses formes que j’ai si bien aimées ; elle avait
L’œil asiatique, tout aussi noir que le ciel
Qui s’étend au-dessus de nous
[…] mais il répandait une tendre lumière,
Très semblable au lever de la lune à minuit,
Vaste, sombre, paraissant nager et se fondre
Dans les flots déversés par son rayonnement ;
Moitié langueur, moitié brasier, et tout amour […]
Un front comparable à un lac en plein été,
Rendu transparent par les rayons du soleil,
Quand les vagues même n’osent plus murmurer,
Tandis que les cieux se contemplent dans ses eaux.

Mais l’amour le plus intense, et certainement le plus


singulier, exprimé dans le millier de vers de l’extravagante
cavalcade de Mazeppa, c’est celui des chevaux ; soit de
l’animal apprivoisé, compagnon le plus intime et le plus
sûr de ses vieux jours…

[…] aussi robuste que son maître,


Ne se souciant guère du lit et de la table ;
Il était fougueux et docile en même temps,
Prêt à faire tout ce qu’on attendait de lui ;
Vif et velu, avec des jambes vigoureuses,
[…]
Ce coursier, du crépuscule à l’aube, s’attachait
À son seigneur comme un faon s’attache à sa mère.

… soit de la bête « enragée » sur laquelle il fut ligoté


nu pour son supplice équivalent à une sorte d’extase hal-
lucinée :
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20 Préface

[…] C’était en vérité un fort noble


Coursier, de race tartare, venu d’Ukraine ;
Ses jambes sans doute pouvaient être rapides
Comme la pensée ; mais il était ombrageux,
Farouche comme un daim sauvage, et indompté,
N’ayant jamais subi la bride et l’éperon ; […]
Il hennissait, avec sa crinière en bataille, […]
En écumant de terreur comme de colère, […]
Tout aussi enragé qu’un enfant trop gâté
À qui on refuse un caprice ; ou bien féroce
Telle une femme n’écoutant que ses lubies !

Leur couple fatal, indissociable et affolé s’enfuit dans la


nuit, poursuivi par une meute de loups, traverse plaines et
forêts, franchit un fleuve, et puis s’effondre d’épuisement.
Alors, dans un moment extraordinaire, des chevaux sau-
vages s’approchent en troupe, innombrables, font cercle
autour du corps moribond de l’homme sanglant et nu gar-
rotté sur le cadavre d’un des leurs, les reniflent, bronchent
et se cabrent, et puis disparaissent.
Mazeppa est alors sauvé par une « mince et grande jeune
fille à la longue / Chevelure », avec des « prunelles noires,
libres et sauvages » au « regard inquisiteur et apitoyé », et
il peut donc, cinquante ans plus tard, raconter son histoire
galopante, haletante et palpitante à Charles XII de Suède,
qui ne l’en remercie pas, car ce roi défait s’est endormi une
heure avant qu’elle ne soit finie.

L’autodérision en guise de raillerie préventive à l’égard


de ses adversaires est sans doute le comble de la complai-
sance narcissique. Encore faut-il être intellectuellement
et moralement armé pour l’exercer. Cependant, c’est
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Préface 21

une posture qui n’est que trompeusement et passagère-


ment protectrice et confortable ; elle est nécessairement
instable. Et comme c’est par goût de la moquerie que
Byron annonce que The Corsair est « le dernier ouvrage
avec lequel j’abuserai de la patience du public », il n’est
pas étonnant qu’il se soit vite ravisé devant le sérieux de
l’énorme succès de ventes d’un poème épique où, somme
toute, il a mis toute la gravité de son génie, et toute l’au-
thenticité de son tempérament ; et lorsqu’il nie s’être peint
à travers Childe Harold ou le Giaour, personnages aux
actes transgressifs, c’est sous forme de demi-aveu.

Puis-je ajouter quelques mots à propos d’un sujet sur


lequel tous les hommes sont supposés être bavards, et
aucun n’est agréable ? Soi-même. J’ai beaucoup écrit,
et j’ai publié plus qu’il ne faut pour exiger un plus
long silence que celui que je projette à présent ; mais,
pour les quelques années à venir, mon intention est de
ne plus m’offrir au jugement des dieux, des hommes
ni des journaux. […] Si je me suis égaré dans la triste
vanité de me peindre à travers mes personnages, les
portraits sont probablement ressemblants, puisqu’ils
sont peu favorables ; sinon, ceux qui me connaissent
ne s’y tromperont pas, et je ne me soucie guère de
détromper ceux qui ne me connaissent pas. Je ne désire
pas particulièrement que d’autres personnes que mes
connaissances estiment que l’auteur vaut mieux que
les créatures de son imagination […].

Et pourtant, les moments où Conrad le corsaire se des-


sine le plus nettement dans notre esprit, c’est quand il a
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22 Préface

tout l’air d’être un autoportrait délibéré, comme dans les


stances IX et XI du Chant premier :

Souvent sa lèvre se retrousse sous l’effet


D’un dédain qu’il retient sans pouvoir le cacher.
Sa voix est douce, sa contenance est calme,
Mais montre des choses sans qu’il en ait conscience ;
La mobilité de ses traits et ses afflux
De sang attirent mais déroutent l’attention,
Comme si dans un grand tumulte de l’esprit
Œuvraient des sentiments vagues et redoutables.
[…] Il se savait gredin,
Mais pensait que ses juges valaient moins encore ;
Il méprisait en eux l’hypocrisie qui cache
Ce que de plus audacieux font ouvertement.

Et c’est une sorte d’introspection par délégation qu’on


lit dans la stance X du Chant deuxième :

Tenter de peindre ses sentiments serait vain ;


On peut même douter qu’il en ait eu conscience.
Car c’est une bataille, un chaos de l’esprit,
Quand tous ses éléments mêlés et convulsés
S’enténèbrent dans le désordre de leurs forces,
Et grincent sous l’effet du Remords implacable,
Ce démon jongleur qui n’avait rien dit encore,
Mais crie « Je t’ai prévenu ! » quand le mal est fait.
Vain conseil ! L’esprit fort peut se tordre en brûlant,
Il se rebelle ; seul le faible se repent ! […]
Passé sans espoir, avenir qui court trop vite
Pour qu’on sache si c’est vers le Ciel ou l’Enfer,
Actions, idées, paroles, peut-être jamais
Aussi vives que dans cette heure de rappel ;
Choses légères ou charmantes en leur temps,
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Préface 23

Mais ayant l’air de crimes à la réflexion ;


Sentiment d’un mal d’autant plus dévastateur
Qu’il a été dissimulé […].

Le miroir de Narcisse se tend mutuellement entre


le chrétien et le mahométan, entre le Giaour et Has-
san, entre Conrad et Seyd. Ce miroir, c’est une femme
captive, favorite de harem, Leïla ou Gulnare, qui le
fournit ; mais l’amour que porte à la captive le pacha
son maître est peut-être, dans toute son iniquité, plus
authentique et digne que celui de son libérateur, qui
pourrait n’être que convoitise du droit exclusif d’aimer
que possède le rival.
The Corsair reprend les principaux éléments1 de ce
« fragment de conte turc » qu’était un an plus tôt The
Giaour, pour devenir un conte achevé, à l’impeccable
organisation en trois chants, que suivra docilement
Francesco Maria Piave une trentaine d’années plus
tard pour élaborer les trois actes du livret de l’opéra
de Verdi. Cependant, si Leïla semblait n’avoir qu’une
fonction de fantôme miroitant, Gulnare vit intensément
par elle-même : elle est passionnée, partagée et agissante
(jusqu’au crime) comme une héroïne cornélienne. Elle a
d’ailleurs son propre double en la fidèle et passive Médora,
qui chante son amour patient et frustré pour Conrad en
une touchante complainte dont Verdi fera un de ses plus
poétiques airs pour soprano. Le couplage de Seyd et de

1.  Y compris une ode à la Grèce, non plus comme bloc hété-
rogène et pesant avant que ne commence le récit, mais allégée et
habilement intégrée au début du troisième chant.
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24 Préface

Conrad aurait-il eu autant d’impact sur les lecteurs s’il


ne s’était renforcé du couplage de Gulnare et de Médora ?

La forme des trois contes orientaux ici réunis est versi-


fiée et rimée, mais ce sont avant tout des récits d’action,
des romans d’aventures viriles. L’effort principal, pour le
traducteur, est de tâcher d’en préserver l’élan. Je me suis
placé à mi-chemin de la prose libre et de la versification
formelle ; je dirai : une prose régulièrement rythmée par
une disposition en dodécasyllabes1 ou en décasyllabes non
rimés (les règles de la rime étant bien plus contraignantes
en français qu’en anglais, et conduisant à des artifices
cocasses les traductions qui se les imposent) ; dodécasyl-
labes pour les tétramètres de Mazeppa et les pentamètres
de The Corsair ; décasyllabes pour les tétramètres de The
Giaour ; et j’ai opté pour des vers libres dans ma version
des pentamètres de la plus brève Ode on Venice, mise
en ouverture parce qu’il fallait bien que Venise soit en
majesté dans un recueil byronien.

JEAN PAVANS

1.  Dodécasyllabes et non pas alexandrins : ainsi, pas plus que


celle de la rime, je ne me suis imposé la règle de l’hémistiche,
en particulier celle de l’interdiction d’un -e muet devant une
consonne, qui fait qu’il n’est plus muet.
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Oraison vénitienne
Ode on Venice
(1819)
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Oh Venice! Venice! when thy marble walls


Are level with the waters, there shall be
A cry of nations o’er thy sunken halls,
A loud lament along the sweeping sea!
If I, a northern wanderer, weep for thee,
What should thy sons do?–any thing but weep:
And yet they only murmur in their sleep.
In contrast with their fathers–as the slime,
The dull green ooze of the receding deep,
Is with the dashing of the spring-tide foam,
That drives the sailor shipless to his home,
Are they to those that were; and thus they creep,
Crouching and crab-like, through their sapping streets.
Oh! agony–that centuries should reap
No mellower harvest! Thirteen hundred years
Of wealth and glory turn’d to dust and tears;
And every monument the stranger meets,
Church, palace, pillar, as a mourner greets;
And even the Lion all subdued appears,
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Ô Venise ! Venise ! Quand tes murs de marbre


Seront gagnés par les eaux, il y aura
Un cri des nations devant tes salons engloutis,
Une forte lamentation le long de la mer vorace !
Si moi, voyageur du nord, je pleure sur toi,
Que devront faire tes fils ? Tout sauf sangloter :
Et pourtant ils ne font que gémir dans leur sommeil.
Par contraste avec leurs pères,
Ils sont aux disparus ce que le limon,
Ce que la vase verdâtre des flots refluant,
Est à l’écume impétueuse qui ramène au port
Le marin sans navire ; ce sont des crabes rampants
Répandus dans leurs rues étayées.
Ô souffrance ! Que les siècles n’aient pas moissonné
Une récolte plus mûre ! Treize cents ans
De richesse et de gloire devenus poussière et larmes !
Et chaque édifice que croise l’étranger,
Église, colonne, palais, le salue comme un veuf ;
Le Lion même paraît entièrement soumis,
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28 Ode on Venice

And the harsh sound of the barbarian drum,


With dull and daily dissonance, repeats
The echo of thy tyrant’s voice along
The soft waves, once all musical to song,
That heaved beneath the moonlight with the throng
Of gondolas–and to the busy hum
Of cheerful creatures, whose most sinful deeds
Were but the overbeating of the heart,
And flow of too much happiness, which needs
The aid of age to turn its course apart
From the luxuriant and voluptuous flood
Of sweet sensations, battling with the blood.
But these are better than the gloomy errors,
The weeds of nations in their last decay,
When Vice walks forth with her unsoften’d terrors,
And Mirth is madness, and but smiles to slay;
And Hope is nothing but a false delay,
The sick man’s lightning half an hour ere death,
When Faintness, the last mortal birth of Pain,
And apathy of limb, the dull beginning
Of the cold staggering race which Death is winning,
Steals vein by vein and pulse by pulse away;
Yet so relieving the o’er-tortured clay,
To him appears renewal of his breath,
And freedom the mere numbness of his chain;–
And then he talks of life, and how again
He feels his spirits soaring–albeit weak,
And of the fresher air, which he would seek;
And as he whispers knows not that he gasps,
That his thin finger feels not what it clasps,
And so the film comes o’er him–and the dizzy
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Oraison vénitienne 29

Et les coups brutaux du tambour barbare,


En des stridences mornes et quotidiennes,
Répètent l’écho de la voix du tyran,
Au fil des douces vagues, naguère si musicales,
Qui ondulaient au clair de lune sous des nuées de gondoles,
Accompagnées du bourdonnement actif
D’êtres joyeux, dont le plus grand péché
Était d’avoir un cœur trop palpitant,
Débordant de trop de bonheur, exigeant
L’aide de l’âge pour détourner sa course
Du flot luxuriant et voluptueux
Des sensations suaves qui font battre le sang.
Mais cela vaut mieux que les lugubres erreurs,
Orties des nations dans leur dernier déclin,
Lorsque le Vice s’avance sans masquer ses hideurs,
Que la Joie est démence, et ne sourit que pour assassiner ;
Que l’Espoir n’est qu’un délai trompeur,
Une étincelle pour l’homme malade à l’instant de sa mort,
Quand la Faiblesse, ultime élan meurtrier de la Douleur,
Et l’inertie des membres, triste début
De la course froide et chancelante que remporte le Trépas,
Refroidissent les veines et ralentissent le pouls.
Cependant, c’est un répit pour la chair torturée ;
Le moribond croit reprendre haleine,
Et se pense libéré par la torpeur de ses chaînes ;
Puis il parle de vivre, affirme
Qu’il retrouve ses esprits, veut aller respirer,
Tout faible qu’il est, un air plus pur ;
Il chuchote en ne sachant pas qu’il suffoque,
Que ses doigts maigres ne sentent pas ce qu’ils agrippent ;
Alors une pellicule s’étend sur lui ;
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30 Ode on Venice

Chamber swims round and round–and shadows busy,


At which he vainly catches, flit and gleam,
Till the last rattle chokes the strangled scream,
And all is ice and blackness,–and the earth
That which it was the moment ere our birth.
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Oraison vénitienne 31

La chambre ivre vacille en tous sens ; des ombres s’agitent,


Flottent et brillent ; il tente vainement de les saisir ;
Enfin le dernier râle étouffe son cri étranglé ;
Tout est glace et ténèbres, et la terre pour lui
Redevient ce qu’elle était avant sa naissance.
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II

There is no hope for nations!–Search the page


Of many thousand years–the daily scene,
The flow and ebb of each recurring age,
The everlasting to be which hath been,
Hath taught us nought or little: still we lean
On things that rot beneath our weight, and wear
Our strength away in wrestling with the air;
For ’tis our nature strikes us down: the beasts
Slaughter’d in hourly hecatombs for feasts
Are of as high an order–they must go
Even where their driver goads them, though to slaughter.
Ye men, who pour your blood for kings as water,
What have they given your children in return?
A heritage of servitude and woes,
A blindfold bondage, where your hire is blows.
What! do not yet the red-hot ploughshares burn,
O’er which you stumble in a false ordeal,
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II

Aucun espoir pour les nations ! Tournez les pages


De tant de millénaires : la scène quotidienne,
Le flux et reflux des siècles successifs,
Le sempiternel à venir de ce qui a été,
Ne nous ont presque rien appris ; nous continuons
De nous appuyer sur ce qui pourrit sous notre poids,
Et d’épuiser nos forces à lutter dans le vide ;
Car c’est notre propre nature qui nous jette bas ;
Les bêtes dont nous faisons une hécatombe pour nos
[festins
Valent autant que nous, quand elles suivent docilement
L’aiguillon du bouvier qui les mène à l’abattoir.
Vous les hommes, qui versez comme de l’eau votre sang
[pour les rois,
Qu’ont-ils donné en retour à vos enfants ?
Un héritage de servitude et de malheurs,
Un esclavage aveugle, avec des coups pour salaire.
Quoi ! N’est-il pas assez brûlant de sang chaud,
Le soc qui vous lacère en fausse ordalie,
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34 Ode on Venice

And deem this proof of loyalty the real;


Kissing the hand that guides you to your scars,
And glorying as you tread the glowing bars?
All that your sires have left you, all that Time
Bequeaths of free, and History of sublime,
Spring from a different theme!–Ye see and read,
Admire and sigh, and then succumb and bleed!
Save the few spirits, who, despite of all,
And worse than all, the sudden crimes engender’d
By the down-thundering of the prison-wall,
And thirst to swallow the sweet waters tender’d,
Gushing from Freedom’s fountains–when the crowd,
Madden’d with centuries of drought, are loud,
And trample on each other to obtain
The cup which brings oblivion of a chain
Heavy and sore,–in which long yoked they plough’d
The sand,–or if there sprung the yellow grain,
’Twas not for them, their necks were too much bow’d,
And their dead palates chew’d the cud of pain:–
Yes! the few spirits–who, despite of deeds
Which they abhor, confound not with the cause
Those momentary starts from Nature’s laws,
Which, like the pestilence and earthquake, smite
But for a term, then pass, and leave the earth
With all her seasons to repair the blight
With a few summers, and again put forth
Cities and generations–fair, when free–
For, Tyranny, there blooms no bud for thee!
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Oraison vénitienne 35

Pour que vous voyiez la réalité même dans cette preuve


[de loyauté,
En baisant la main qui décide de vos blessures,
Et vous glorifiant de fouler les sillons rougeoyants ?
Tout ce que vos pères vous ont laissé, tout ce que le Temps
Vous a légué de libre, et l’Histoire de sublime,
Provient d’une autre idée ! Vous voyez et lisez,
Admirez et soupirez, et puis vous succombez et saignez !
Sauf de rares esprits, qui, en dépit de tous les crimes
[violents,
Pires que tout, engendrés par l’enfermement explosif
Entre les murailles des prisons,
Ont soif d’avaler les eaux douces et offertes
Jaillissant des fontaines de la Liberté ; lorsque la foule,
Enragée par des siècles de sécheresse, se fait bruyante,
Et que tous s’y piétinent pour obtenir
La coupe qui procure l’oubli d’une chaîne pesante
Et douloureuse, joug sous lequel ils ont longtemps
Labouré le sable ; et si a germé le grain doré,
Ce ne fut pas pour eux, aux cous trop pliés sous leur
[attelage,
Et aux bouches moribondes ruminant la souffrance.
Oui ! Ces rares esprits, en dépit des actions
Qu’ils abhorrent, ne confondent pas avec leur cause
Ces écarts momentanés des lois de la Nature,
Qui, tels la peste et les séismes, ne frappent
Que pour un temps, et puis passent, en laissant la terre
Et toutes ses saisons réparer les ravages
Avec quelques étés, pour de nouveau enfanter
Villes et générations, belles, parce que libres ;
Car aucun bourgeon ne fleurit pour toi, Tyrannie !
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III

Glory and Empire! once upon these towers


With Freedom–godlike Triad! how ye sate!
The league of mightiest nations, in those hours
When Venice was an envy, might abate,
But did not quench, her spirit–in her fate
All were enwrapp’d: the feasted monarchs knew
And loved their hostess, nor could learn to hate,
Although they humbled–with the kingly few
The many felt, for from all days and climes
She was the voyager’s worship;–even her crimes
Were of the softer order–born of Love,
She drank no blood, nor fatten’d on the dead,
But gladden’d where her harmless conquests spread;
For these restored the Cross, that from above
Hallow’d her sheltering banners, which incessant
Flew between earth and the unholy Crescent,
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III

Gloire et Empire autrefois se dressaient bien haut


Avec la Liberté ! Triade divine ! Comme vous dominiez !
La ligue des plus puissantes nations, en ces heures
Où Venise suscitait l’envie, pouvait affaiblir,
Mais non éteindre, son flambeau ; dans son destin
Tous étaient entraînés ; les monarques fêtés aimaient
Et connaissaient leur hôtesse, et ne pouvaient la détester,
Même en se soumettant ; la multitude sentait
Comme les quelques rois, car de tout temps elle fit
[l’adoration
Des voyageurs venus de tous les climats ; même ses crimes
Étaient d’un ordre plus doux, issu de l’Amour ;
Elle ne buvait pas de sang, elle ne s’engraissait pas sur
[les morts,
Mais portait la joie partout où s’étendaient ses conquêtes
[sans dommages ;
Car elle y rétablissait la Croix, qui du haut du Ciel
Sanctifiait ses bannières protectrices, ne cessant de flotter
Entre la terre et le Croissant des infidèles ;
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38 Ode on Venice

Which, if it waned and dwindled, Earth may thank


The city it has clothed in chains, which clank
Now, creaking in the ears of those who owe
The name of Freedom to her glorious struggles;
Yet she but shares with them a common woe,
And call’d the “kingdom” of a conquering foe,–
But knows what all–and, most of all, we know–
With what set gilded terms a tyrant juggles!
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Oraison vénitienne 39

Et si ce symbole a pâli et décru, le Monde peut en remercier


La cité qu’il a entourée de chaînes, dont le bruit maintenant
Résonne aux oreilles de ceux qui doivent le nom de Liberté
Aux glorieux combats qu’elle a menés ;
Mais elle partage avec eux un malheur commun,
Et devenue « royaume » d’un ennemi conquérant,
Elle sait ce que tous savent, et nous plus que quiconque :
Avec quels termes enjôleurs un tyran peut jongler !
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IV

The name of Commonwealth is past and gone


O’er the three fractions of the groaning globe;
Venice is crush’d, and Holland deigns to own
A sceptre, and endures the purple robe;
If the free Switzer yet bestrides alone
His chainless mountains, ’tis but for a time,
For tyranny of late is cunning grown,
And in its own good season tramples down
The sparkles of our ashes. One great clime,
Whose vigorous offspring by dividing ocean
Are kept apart and nursed in the devotion
Of Freedom, which their fathers fought for, and
Bequeath’d–a heritage of heart and hand,
And proud distinction from each other land,
Whose sons must bow them at a monarch’s motion,
As if his senseless sceptre were a wand
Full of the magic of exploded science–
Still one great clime, in full and free defiance,
Yet rears her crest, unconquer’d and sublime,
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Un esprit salamandrin, préface de Jean Pavans 7

Oraison vénitienne 25
Le Giaour 45
Mazeppa 141
Le Corsaire 233

Chronologie 383
Bibliographie sélective 395
LORD BYRON

Le corsaire
et autres poèmes orientaux

Présentation et traduction de Jean Pavans


Édition bilingue

Le Corsaire
Lord Byron
Poésie / Gallimard

Cette édition électronique du livre


Le Corsaire précédé de Oraison vénitienne de
Le Giaour et de Mazeppa de Lord Byron
a été réalisée le 15 avril 2019 par les Éditions Gallimard.
Elle repose sur l’édition papier du même ouvrage
(ISBN : 9782072738173 - Numéro d’édition : 321063).
Code Sodis : N90512 - ISBN : 9782072738180.
Numéro d’édition : 321064.

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