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Baudelaire, Les Fleurs du Mal (1861)

L'Albatros

1 Souvent, pour s’amuser, les hommes d’équipage


Prennent des albatros, vastes oiseaux des mers,
Qui suivent, indolents compagnons de voyage,
Le navire glissant sur les goufres amers.

5 À peine les ont-ils déposés sur les planches,


Que ces rois de l'azur, maladroits et honteux,
Laissent piteusement leurs grandes ailes blanches
Comme des avirons traîner à côté d'eux.

Ce voyageur ailé, comme il est gauche et veule !


10 Lui, naguère si beau, qu'il est comique et laid !
L'un agace son bec avec un brûle-gueule,
L'autre mime, en boitant, l'inirme qui volait !

Le Poète est semblable au prince des nuées


Qui hante la tempête et se rit de l'archer ;
15 Exilé sur le sol au milieu des huées,
Ses ailes de géant l'empêchent de marcher.
Pour vous procurer les FDM en oeuvre intégrale : Les Fleurs du Mal
Voici le plan de l'explicaion telle que je l'ai faite dans cete vidéo

Lecture Analyique
"L'Albatros"
Introducion :
l Lorsque paraît le recueil des FDM en 1857, il a un grand retenissement. Procès à
l'issu duquel 6 pièces sont condamnées. Baudelaire retravaille à une édiion
augmentée de nouveaux poèmes qui sort en 1861. "L'Albatros" est l'un de ces
poèmes emblémaiques de la problémaique dans laquelle Baudelaire se sent pris
en tant que poète, et de l'incompréhension à laquelle il fait face.
1. Un poème qui repose sur une série d'opposiions binaires
2. Un récit à caractère sympbolique

1. Un poème qui repose sur une série d'opposiions binaires

l Poème célèbre, aimé et facile à comprendre car met en place un réseau renforcé
d'opposiions :
l V2 et 4 : Opposiion vericale entre la mer et le ciel. "vastes oiseaux des mers"
hypallage. On s'atend à "vaste mer" ou "oiseaux du ciel". Le ciel s'érige donc au-
dessus de la mer sans être nommé. Ce qui est du ciel n'échappera pas, dans la suite,
à la pesanteur et retombera au niveau horizontal.
l D'autant que à ce qui est en haut, répond par une rime riche ce qui est en-bas
"goufres amers", métaphore péjoraive qui laisse entendre une profondeur
menaçante et sous-jaçante.
l 2ème strophe : mouvement descendant selon cete vericalité précédemment
dessinée : Les "ailes" se transforment en "avirons".
l Simultanément, déchéance de la majesté (v6) "rois" deviennent "maladroits", rime
riche intérieure
l 3ème strophe insiste et renforce cete déchéance. 9-10 : Césures à l'hémisiche,
ponctuaion expressive. 11-12 : construcion parallèle de "L'un" et "L'autre".
l Dernière strophe vient enrichir ces opposiions d'une dimension symbolique.
Equivalence "prince des nuées"(13)/"rois de l'azur"(6). Rime "nuées/huées" conjoint
ciel et sol comme précedemment de faisait la rime "oiseaux des mers/goufres
amers" (1è st)

2. Un récit à caractère symbolique

l Le dernier vers produit un efet de chute en reprenant une dernière fois l'opposiion
vericale dans deux hémisiches égaux et netement marqués.
l L'ensemble du poème est narraif. Temps=présent de narraion. V1 : l'adv "Souvent"
marque une acion répéiive et habituelle.
l "pour s'amuser" = par déseuvrement, mais également par cruauté : V3 "indolents
(=sans douleur), leur font connaître la douleur, d'abord morale avec la succession
d'adjecifs aux vers 9 et 10 "gauche et veule", "comique et laid" puis physique avec
"brûle-gueule" ( 11) et "archer" (14)
l 12: "l'inirme qui volait", seul verbe au passé. Inirmité à la fois physique et morale,
qui prépare la comparaison avec le poète qui "est semblable au..." (13)
l Cruauté des "hommes d'équipage", maintenant assimilés à la foule. Les "planches"
(5) sont le lieu de la représentaion du ridicule, le théâtre où se diverit le vulgaire.
l Connotaion pathéique de la in du poème, lieu d'"exil" (15)
l 16 : Présent de vérité générale, seul occurence du poème qui vient clore l'apologue
ou la fable et sceller sa signiicaion symbolique transparente, appuyée par la grande
régularité du vers.

Conclusion :
l Baudelaire rejoint donc par cete fable symbolique la lignée des poètes maudits,
êtres écartelés entre deux mondes inconciliables où l'idée de vericalité est reprise :
l'idéal et la pureté du monde éthéré de la poésie et les afres de la douleur et du
spleen dans un monde auquel il est inadapté.
l Toute cete structure d'opposiion binaire parcourt la secion la plus importante des
FDM : "Spleen et Idéal", de laquelle fait parie 'l'Albatros". Victoire assurée des
forces de la pesanteur et de l'horizontalité.

Un autre commentaire de ce même poème, qui suit une logique diférente, qui
n'est pas de moi, mais que je vous joins ici à itre d'exemple :

Introduction

Le poème L'Albatros, de Charles Baudelaire est extrait de "Spleen et idéal", la deuxième partie du
recueil Les Fleurs du Mal. Cette partie évoque l'homme déchiré entre l'aspiration à l'élévation et
l'attirance pour la chute, déchirement à l'origine de la tristesse nommée spleen, indissociable de la
condition humaine et qui finit par triompher.
Ce poème a été inspiré à Baudelaire lors d'un voyage sur un navire qui devait le mener juqu'aux
Indes, mais qui finalement s'est achevé sur l'île Maurice. L'albatros traduit chez Baudelaire la
conscience d'être différent des autres. Baudelaire a recours à une image très suggestive pour
dépeindre sa propre condition dans une société qui l'ignore complètement. L'image de l'albatros
capturé évoque l'idée d'un être totalement étranger au monde qui l'entoure. Baudelaire faisait partie
de la génération des poètes maudits, c'est-à-dire non compris par les gens de son époque. Les trois
premières strophes concernent l'albatros tandis que la dernière est dédiée au poète.

Problématique : Il s'agira de découvrir la signification allégorique du poète.


Annonce des axes

I. La parabole du poète oiseau


1. Une double analogie
2. L'élévation

II. Un univers soumis à de fortes tensions


1. Le jeu des antithèses
2. Le jeu sur les sonorités
3. Le mouvement des phrases

III. Les symboles d'une chute


1. Une image symbolique
2. La portée des images

Commentaire littéraire

I. La parabole du poète oiseau

1. Une double analogie

Le poème L'Albatros est fondé sur une double comparaison. L'albatros est personnifié étant donné
que le poète est comparé à l'oiseau. Grâce à un réseau de personnification, les trois premières
strophes comparent l'albatros à un roi déchu ("roi" vers 6), à un voyageur ailé tombé du ciel. La
quatrième strophe explicite le symbole en faisant du poète, par une comparaison et une métaphore
hyperbolique, un "prince des nuées" (vers 13) aux "ailes de géant" (vers 16). Exilé parmi les hommes, la
vie de l'albatros apparaît donc comme une parabole qui définit l'existence du poète. Le poète et
l'albatros sont associés dans la dernière strophe et cette association oblige à une réinterprétation : le
voyageur ailé devient le poète, les hommes d'équipage : la foule et les planches : le théâtre social.

2. L'élévation

- La verticalité, l'aspect aérien. L'albatros est évoqué dans toute sa grandeur comme le confirme
l'enjambement des vers 1 et 2 qui suggère l'immensité des espaces que l'albatros a à parcourir. Cette
notion de grands espaces est renforcée par l'hypallage du vers 2 ("vaste oiseau des mers" = oiseau
des vastes mers).
- L'aspect sublime : Au-dessus de l'horizontalité médiocre (la société), l'oiseau donne une impression
de majesté, fait de fluidité, comme l'eau sur laquelle vogue le navire mis en relief par l'harmonie
suggestive du vers 4 en "v", "s" et "f".
- L'isolement, la solitude : Il y a le monde d'en haut et le monde d'en bas et la communication entre
les deux est difficile, voire impossible.
- La situation de la victime : l'albatros mais en même temps, le poète est agressé par les moqueries
des marins (vers 11 et 12) puis par l'archer et les huées (vers 14 15).
II. Un univers soumis à de fortes tensions

1. Le jeu des antithèses

Le poème de Baudelaire donne de l'albatros deux visions radicalement opposées : autant l'oiseau en
vol est un oiseau majestueux à l'allure souveraine désigné par la périphrase du vers 16 : "les rois de
l'azur", autant lorsqu'il se pose il paraît ridicule :
- les "ailes" du vers 7 qualifiés des deux épithètes "grandes" et "blanches" / "les avirons" (vers 8).
- la beauté du vers 10 / la laideur du vers 10.
- du vol royal (vers 3), on passe au boitement de l'infirme (vers 12).
Ces oppositions sont soulignées par des antithèses :
- "roi" (vers 6) / "maladroit" et "honteux" (vers 6).
- le "voyageur ailé" (vers 9) / "gauche" et "veule" (vers 9).
- "naguère si beau" (vers 10) / "comique" et "laid" (vers 10) de plus, ici, la rime intérieure croisée
associe encore à l'idée de l'albatros celle d'un animal ayant perdu son rang et son titre de "roi"
- "infirme" / "volait" (vers 12).

2. Le jeu sur les sonorités

Le jeu sur les sonorités renforce le contraste. La majesté de l'oiseau en vol est rendue par l'assonance
en "en" (vers 1, 2, 4, 13, 14, 16) et l'allitération en "v" (vers 1, 2, 3, 4). La déchéance de l'albatros se
traduit sur le plan phonétique par une sorte de dégradation et l'assonance en "en" est désormais
associée à des mots dont le sens ou les connotations sont négatives ou péjoratives. Le destin funeste
de l'oiseau est prédit par l'allitération en "s" du vers 4 : "gouffres amers".
La troisième strophe accumule des sonorités qui produisent un effet désagréable avec l'assonance en
"e", assonance déjà présente dans la strophe précédente avec "eu" de "honteux" au vers 6,
"piteusement" au vers 7, "à coté d'eux" au vers 8 et l'allitération en "c" et en "gu" comme "gauche" au
vers 9 et la cacophonie "comique et laid" du vers 10. Ainsi, le jeu des sonorités accentue la différence
de l'animal au fur et à mesure du poème ce qui est renforcé par la disposition en chiasme des
sonorités du vers 11.

3. Le mouvement des phrases

Il prend une valeur descriptive. On notera en particulier :


- Une ample phrase, bien balancée pour présenter l'oiseau en vol dans la première strophe.
- Une nouvelle phrase dans la deuxième strophe très ample mais cette fois avec une nuance d'ironie
pour présenter l'oiseau posé sur les planches.
- Dans la troisième strophe, une série de trois phrases exclamatives plus courtes, au rythme plus
haché pour traduire la souffrance de l'albatros.
- Dans la quatrième strophe, une phrase en deux parties qui explique la dimension symbolique de la
comparaison avec l'oiseau, il récapitule l'opposition.

III. Les symboles d'une chute


1. Une image symbolique

L'image de la chute
A prendre au sens physique et au sens moral du terme, la chute du poète oiseau est suggérée par des
images symboliques : perdant la liberté dont il jouit quand il "hante la tempête" (vers 14). C'est une
métonymie du climat pour désigner le lieu, il est désormais prisonnier des "planches" au vers 5,
synecdoque pour désigner le pont du navire. On note le caractère ridicule de l'oiseau lorsqu'il est en
dehors de son élément car un roi sur une planche, ce n'est pas sa place. L'anacoluthe des deux
derniers vers ("exilé" est au masculin singulier, on attend donc un sujet au masculin singulier mais on a
"ses ailes" qui est au féminin pluriel) accentue le déchirement du poète entre ses deux vies : celle de la
réalité et celle de l'idéal. L'art est pour Baudelaire une affaire personnelle : le poète ne se mêle pas au
public vulgaire. Leurs cultures sont trop éloignées. Le poète doit donc s'exiler, être seul et cette
singularité s'est cristallisée dans le symbole de l'albatros.

2. La portée des images

L'albatros est désigné par les expressions suivantes : des périphrases aux vers 2, 3, 6, 9, 13, 19 qui ont
toutes une valeur emphatique : de périphrase en périphrase, c'est tout l'aspect majestueux et
souverain qui est déployé. La dernière strophe développe la comparaison entre le poète et l'albatros.
C'est la même souveraineté dans la solitude mais c'est la même déchéance lorsqu'il redescend au
niveau de l'humanité vulgaire.
La comparaison entre l'oiseau et le poète permet de dégager la signification allégorique du poème :
comme l'albatros, le poète est victime de la cruauté des hommes ordinaires comme les hommes
d'équipage au vers 1 qui ne sont pas des "indolents compagnons" (vers 9). De plus, les "nuées" du
vers 13 / "huées" du vers 15. Les marins du vers 11 agacent et provoquent l'animal. Le poète est donc
déchiré entre le monde sublime (la poésie) et la vulgarité dégradante de la société. Bien plus,
l'agressivité des hommes qui se manifeste par les huées de la foule va jusqu'à une volonté de meurtre
symbolisée par l'archer du vers 14. On n'hésitera pas à mettre à mort le poète symboliquement mais il
reste un homme incompris. L'albatros poète se moque des flèches qui ne peuvent l'atteindre. Il est
exilé, c'est-à-dire étranger du milieu dans lequel il vit et est très mal vu et ses ailes, c'est-à-dire le
génie, le gênent.

Conclusion

Selon Baudelaire, la place du poète dans la société est comparée à un albatros : majestueux dans le
ciel, son élément, mais ridicule sur terre et au contact des hommes. De même, le poète se situe au-
dessus du commun des hommes pour ses poèmes, mais mêlé à la foule, il n'est rien et devient
ridicule. Baudelaire faisait ainsi partie de la génération des poètes maudits, c'est-à-dire non compris
par les gens de son époque.

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