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La Ruse du Dieu unique | Comment les hommes se sont leurrés dans la soumission
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Partie I. Mirages de la foi ....................................... 182
Il n’y a pas de société sans religion ............................... 186
Programmés pour entendre Dieu ? ............................. 188
Stupeur et tremblements ........................................ 190
Foules sentimentales ............................................ 192
Le blues de l’âge adulte ........................................ 194
Notre père qui êtes aux cieux… restez-y ! ................... 195
Partie II. La fabrique de l’intolérance ............................ 197
La naissance du monothéisme ................................. 197
L’Égypte, le berceau des dieux ................................. 198
D’un dieu à l’autre .............................................. 200
La haine des idoles .............................................. 204
Le royaume de la Peur .......................................... 205
Permis de tuer .................................................. 206
La lettre et l’esprit .............................................. 210
Le renversement des valeurs ................................... 211
La conquête des âmes impures ................................ 212
Nouveaux temps, nouvelles mœurs .......................... 213
La mécanique du péché ........................................ 217
« Là où passe mon cheval, l’herbe ne repousse pas » ......... 219
« Credo, quia absurdum » ...................................... 222
Ne cédons pas aux caprices de Dieu ...................... 224
Partie III. Et si les sorcières avaient raison ? .................... 225
Redevenir les dieux que nous sommes ....................... 226
L’ingénieur et le chamane ...................................... 229
Les charmes de l’invisible ..................................... 230
L’autre vérité .................................................... 233
Il n’y a autant de polythéismes que de païens .................. 234
Les hérétiques sont les vrais modernes ................. 238
Conclusion : quelques règles d’or pour
s’épanouir sans aucun monotheisme . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 240
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La Ruse du Dieu unique | Comment les hommes se sont leurrés dans la soumission
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PRÉFACE
DE L’AUTEUR
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premiers qu’à condition de les avoir éliminés. Prochain arrêt, le
Goulag !
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L’homme a besoin de croire mais, depuis deux millénaires, il
s’est perdu dans des dogmes allant contre sa nature profonde. Il a
accepté d’être malheureux et soumis à des idoles qui limitent ses
plaisirs en l’échange d’une promesse illusoire de vie éternelle. Au
Paradis, il n’y a plus de classes sociales, tous sont à égalité.
Plus généralement, ce sont les monothéismes qui formatent en-
core notre psyché, qui sont encore la matrice fondamentale par la-
quelle nous percevons le monde. On y trouve un Dieu unique, qui
donne des prescriptions morales dogmatiques, et surtout, qui in-
terdit tous les autres cultes que le sien. Il est l’Idole par excellence.
Dans les vieilles civilisations païennes, les dieux des autres étaient
facilement accueillis, avec la curiosité qui faisait que chaque occa-
sion de percevoir avec plus d’intensité la réalité de notre monde
était vécue avec joie. Les Romains reçurent ainsi avec bonheur
le Panthéon grec. Le monde n’était pas verrouillé par cette entité
surplombante, jalouse et oppressante. Le corps, le désir, la pensée
libre n’étaient pas alors empreints de vices à réprimer.
À l’inverse de ces religions de l’Antiquité, les religions mono-
théistes maintiennent chez nous l’esprit du blasphème. Je m’ex-
plique. Rien n’est plus blasphématoire, à mon sens, que de nier la
nature humaine. Les monothéismes prêchent un amour chimé-
rique du prochain et imposent à l’homme des dogmes moraux,
superflus et superficiels. Ils constituent une chimère et un crime
contre la nature de l’homme, car, en se donnant pour objectif de
le transformer, elles le privent de toute puissance, de toute volonté
et liberté.
Tous nos interdits arbitraires, toutes les offenses que les bien-
pensants sont si prompts à percevoir en toute occasion sont, à mon
sens, l’héritage le plus manifeste de cet esprit. Concrètement, c’est
notre libre expression qui, après des progrès que l’on ne saurait
minimiser, est aujourd’hui largement discutée en Europe. Qu’on
pense au simple fait que la jeune Mila doive vivre sous protection
policière.
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La Ruse du Dieu unique | Comment les hommes se sont leurrés dans la soumission
Cela ne veut pas dire que les religions monothéistes n’ont pas
le droit d’exister : simplement elles ne peuvent pas rester l’horizon
ultime de l’humanité. En bornant nos existences de la naissance
à notre mort, en donnant une réponse définitive et irréfutable à
tous les problèmes que nous pose notre condition humaine, le
Dieu unique s’est rendu indispensable. Telle est la ruse de Dieu :
se rendre incontournable aux questions existentielles de l’homme
pour que celui-ci se soumette à sa volonté. En fin de compte,
l’homme ne doit rien au Dieu qu’il a lui-même fabriqué. Les com-
mandements des monothéismes ne sont rien d’autre qu’une réin-
terprétation des vérités et des règles d’or que l’humanité s’est créées
plusieurs millénaires avant leur apparition.
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Telle est donc l’ambition de ce recueil : montrer comment notre
temps, que l’on a illusoirement cru émancipé des cadres dogma-
tiques de la pensée monothéiste, en est en vérité encore totalement
prisonnier. L’horizon illusoire d’un monde sans conflictualité of-
fert par ce type de pensée fait bien plus qu’influencer à la marge
les problèmes de société contemporaine. Les monothéismes en
constituent encore et toujours la matrice, alors même que l’his-
toire nous montre qu’ils ne sont en rien une évidence. Exhumer
cette simple idée me paraît bien plus qu’un combat d’arrière-garde,
il est au contraire à mes yeux le plus important de tous.
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PRÉFACE
DE L’ÉDITEUR
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Le premier recueil de Vitaly Malkin entend restituer au mieux
la pensée d’un auteur engagé. L’ouvrage propose une nouvelle édi-
tion conjointe de ses trois derniers essais : Le mandat du ciel, Mille
réponse au besoin de croire et Le fantôme de la morale. Ces trois
textes entendent prolonger l’ambition initiale du premier livre de
Vitaly Malkin, Illusions dangereuses, paru originellement en fran-
çais en 2018 : redonner au combat pour la laïcité les forces philo-
sophiques dont elle venait à manquer. Le lecteur pourra également
se familiariser avec les thèses développées dans ce premier essai,
dont certains extraits clés ont été restitués dans le présent volume.
L’actualité récente a donné la certitude que le combat de Vitaly
Malkin pour la liberté contre la morale et les dogmes établis était
tout sauf un combat d’arrière-garde. Là où nous avons parfois naï-
vement cru à la fin historique des chimères de la superstition, nous
sommes surpris de les revoir surgir, dans les sociétés occidentales,
sous la forme de la barbarie la plus obscurantiste. Le présent re-
cueil vient nous rappeler tant l’importance que la permanence de
ce combat.
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RAISON
ET CHIMÈRES
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Extrait Illusions dangereuses
Je suis convaincu que tout ce qui existe nous apparaît de façon
tangible et peut être perçu par tous les hommes sans exception. Ce
n’est évidemment pas le cas des idéaux chimériques qui n’existent
pas. À ma plus grande déception, la majorité de l’humanité ne par-
tage cependant pas cette conviction : depuis des millénaires, l’hu-
manité s’est entichée d’un grand nombre de chimères, qu’il s’agisse
de mythes naïfs ou de croyances religieuses (en particulier celles
des religions monothéistes), auxquels sont rattachés, suivant les
cultures et les époques, divers interdits, tabous et règles parfois ex-
trêmement contraignants. En dénonçant la foi que les hommes ont
en leurs chimères, je constate combien elle est forte et tenace. Même
si les chimères se ressemblent toutes et n’ont rien à voir avec les lois
de la nature (y compris de la nature humaine), leurs adeptes sont
convaincus qu’elles sont uniques et qu’elles existent bel et bien. Les
doctrines de chacune d’elles affirment que leur Dieu est singulier et
que Lui seul mérite de devenir l’objectif unique et ultime de l’exis-
tence humaine, tandis que les autres ne seraient que des illusions.
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J’ai toujours été fasciné par le fait que l’humanité a gaspillé des
milliards d’heures, des centaines de millions de vies humaines et
une quantité pharaonique de ressources au service des cultes re-
ligieux. Une telle quantité d’émotions et d’espoirs déçus – étant le
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summum du non-sens – un tel exploit d’adoration, ne doivent pas
rester ignorés. Il serait intéressant d’analyser sereinement les va-
leurs qui ont été érigées par ces cultes : ces valeurs justifiaient-elles
ces pertes et dépenses colossales ?
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Cette situation est assez logique. Tout idéal étant par définition
inatteignable, c’est précisément son impossibilité qui devient la
source principale de toutes les illusions et de tous les maux de
l’humanité. Inhumain, s’appuyant sur les commandements d’un
Dieu-Surveillant, l’Idéal assigne des objectifs inatteignables aux
hommes et peut annihiler en eux tout ce qu’il y a d’humain. Il sape
toute tentative de vivre selon nos aspirations et besoins naturels, et
d’améliorer le monde peu à peu.
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L’HOMO
RELIGIOSUS,
OU COMMENT
LE MONOTHÉISME
NOUS A RENDU
DÉRAISONNABLES
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pour être la source de toutes les vertus. » Quant à Sénèque, l’équi-
valent romain d’Épicure, il disait, à l’aube de l’ère chrétienne : « Si
tu veux soumettre toute chose, soumets-toi toi-même à la raison.
Que d’hommes tu gouverneras, si la raison te gouverne ! » Le
même thème fut repris un siècle et demi plus tard par l’empereur
et philosophe Marc Aurèle : « L’intelligence en chacun de nous est
Dieu. » (Pensées, livre XII)
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explications rationnelles aux phénomènes sans recourir à la re-
ligion, pour tenter de créer une morale purement humaine. Ce
n’était pas la foi, mais la raison, autonome et autosuffisante, qui
désormais jouait le rôle principal dans l’élaboration du jugement.
Le savoir fondamental de l’Antiquité n’était donc pas la théologie,
comme ce fut le cas dans les époques ultérieures, mais la philoso-
phie. Et la philosophie, c’est bien connu, commence souvent par
faire table rase, c’est-à-dire par opérer une remise en question ra-
dicale.
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libre des grands philosophes grecs et romains a constitué un
progrès conséquent pour les hommes. En se fondant uniquement
sur la raison, ils ont permis la transformation d’un être proche
du singe, l’« homo superstitiosus », en un être beaucoup plus éle-
vé, un être pensant, l’« homo sapiens ». Pour moi, la fin de l’An-
tiquité a sonné le glas du progrès des civilisations européennes,
qui se dégradèrent continuellement pendant presque un millier
d’années. Cette chute fut freinée par la Renaissance, mais ne s’ar-
rêta définitivement qu’avec l’époque des Lumières et l’apparition
du libéralisme comme modèle social et comme régime politique.
On peut résumer les choses ainsi, d’après le credo de mon philo-
sophe préféré, Pythagore, qui peut être formulé en ces termes :
« Là, où il n’y a pas de nombre ni mesure rationnelle, habitent le
chaos et les chimères. » Dans mon système de valeurs également,
les chimères sont inacceptables. Lorsque l’homme est possédé par
ses chimères, il n’écoute plus la raison et retourne à un état primi-
tif, agissant parfois sauvagement. C’est particulièrement vrai des
chimères religieuses. Pour désigner ce type humain, je propose le
terme d’« homo religiosus ».
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L’INTRONISATION DE L’HOMO RELIGIOSUS,
OU UNE BRÈVE HISTOIRE DE LA DÉCADENCE
DE LA RAISON
« Le Seigneur connaît les pensées de l’homme, il sait qu’elles sont vaines. »
Psaume 94 : 11
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de tout, ainsi que la source de toute autorité ; il n’y a qu’un texte
sacré, unique et immuable, et un seul point de vue sur le monde.
L’homme cesse d’être le législateur du monde et la source de la
raison. Désormais, Dieu est le centre unique du monde, source
universelle de la raison, seul à avoir une autorité reconnue. Il é-
tait donc logique, de ce point de vue, que la religion monothéiste
cherchât à affaiblir la raison et à détruire la tradition antique d’in-
dépendance de la pensée.
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Qu’en est-il des autres livres ? L’existence du Livre rendit tous
les autres écrits obsolètes. En effet, à quoi pouvaient-ils servir ?
Le dogme n’était pas soumis à la critique, il prescrivait à la rai-
son humaine, ravalée au rang de faculté faible et indigne, les su-
jets de réflexion ainsi que les conclusions qu’il fallait en tirer. Les
postulats des livres religieux devinrent des dogmes inflexibles et
indiscutables. Les contradictions logiques internes, les incohé-
rences apparentes entre les différents chapitres du texte durent
être dissimulés. De la même manière, le vrai croyant pouvait
ainsi se passer d’éducation laïque comme de toute connaissance
sur le monde extérieur ne provenant pas du Livre : elles furent
considérées comme inutiles dans le meilleur des cas, voire nui-
sibles. Le manque d’éducation fut même un temps une source de
fierté. En définitive, après l’élimination de la grande philosophie
antique, il ne resta plus que la scolastique.
C’est encore le cas de nos jours pour les croyants qui embrassent
un état religieux et passent leur vie entière à étudier la loi divine.
Ils ne cherchent pas la connaissance humaine et laïque et font tout
leur possible pour échapper à la discussion dès lors qu’elle porte
sur des domaines que leur foi n’admet pas. Ils évitent toutes les
questions qui les déstabilisent et ne répondent jamais véritable-
ment aux questions posées, préférant alors recourir à des formules
doctrinales « passe-partout » et à des sentences empruntées à des
auteurs licites.
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des violences et des guerres. Encore un bel exemple du destin pa-
radoxal que connaissent parfois les plus belles idées... La convic-
tion selon laquelle les personnes pieuses seraient plus morales que
les autres ne s’est jamais vérifiée, et même, au contraire, on a sou-
vent constaté l’inverse. En effet, dans le système polythéiste grec
par exemple, la foi n’a pas de statut privilégié, et c’est pourquoi il
n’y a jamais eu de conflits religieux dans les sociétés polythéistes.
Avec le monothéisme, la foi est devenue la question centrale de
toute vie humaine. Cela a conduit à des guerres de religion qui se
sont soldées par des millions de morts. Des hommes de confes-
sions différentes se battirent au nom d’idéaux illusoires, pourtant
très éloignés de leur vie quotidienne.
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à donner lieu à de nouveaux commentaires, et ainsi à l’infini, em-
pêchant ainsi le savoir de progresser. Comme les moucherons
autour du feu, une foule d’autorités religieuses dont les opinions
soutenaient la tradition voletaient autour de la Révélation. Leurs
opinions revêtaient un caractère sacré. Si le monothéisme et de ses
concepts de tradition, de dogme et de révélation, freina la marche
du progrès, celle-ci ne s’arrêta pas complètement non plus. Cela
ne fut possible que parce que certains croyants n’étaient pas aussi
fervents ni fermes dans leur foi que ce qu’ils étaient censés être.
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L’INSOUTENABLE
JOIE DE LA
SOUFFRANCE
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DIEU AIME VOS SOUFFRANCES
C’est là que la souffrance entre en jeu. Cette souffrance n’est pas
seulement le fruit de causes naturelles – sous cet aspect, elle a tou-
jours existé –, elle est avant tout volontaire, infligée à soi-même au
nom de Dieu. Il ne faut plus craindre ni les souffrances ni la mort.
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Matthias Grünewald, La Crucifixion, 1515.
Personne ne pouvait représenter mieux la souffrance et la destruction de la
chair que les peintres chrétiens.
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Le but de la vie humaine est à chercher non pas dans l’existence en
tant que telle, mais hors d’elle, dans l’au-delà.
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LES FORTS ET
LES FAIBLES
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de force, mais, d’un point de vue moral, ils se sont sentis apaisés,
rassurés.
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avait déjà existé dans les cultures antérieures au christianisme : les
dieux-martyrs mourraient dans d’atroces souffrances dans le seul
but de ressusciter par la suite pour une nouvelle vie bienheureuse.
Il était cohérent de croire qu’un tel dieu comprendrait mieux et
récompenserait davantage les souffrances d’un croyant. En tout
cas, l’image d’un Dieu souffrant est beaucoup plus intelligibles aux
hommes misérables que celle d’un Dieu rassasié, prospère et heu-
reux.
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LE SEXE
EST LE PIRE
ENNEMI
DE DIEU
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Extrait Illusions
Comment est-il alors possible qu’un phénomène aussi naturel
que la sexualité humaine soit devenu le pire ennemi de Dieu ?
Pourquoi, face à des civilisations polythéistes, pourtant puissantes,
et culturellement avancées, n’a-t-on jamais imposé de limites à la
sexualité humaine, le monothéisme a-t-il dès son avènement im-
posé une dévalorisation universelle de la sexualité ? Pourquoi le
monothéisme a-t-il exigé de restreindre, voire de rejeter la sexua-
lité en bloc, non seulement pour les serviteurs élus du culte, mais
aussi pour la totalité des fidèles ?
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pour que chaque homme croie que c’était lui-même qui avait initié
la rupture avec sa propre nature. Contrôler les actes et les pensées
n’était possible qu’en dominant ses instincts de base.
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Par conséquent, Dieu n’est pas le seul à vouloir s’incruster dans
votre vie. George Orwell décrit ainsi ce phénomène :
« Ce n’était pas seulement parce que l’instinct sexuel se créait un monde à
lui hors du contrôle du Parti, qu’il devait, si possible, être détruit.
Ce qui était plus important, c’est que la privation sexuelle entraînait l’hystérie,
laquelle était désirable, car on pouvait la transformer en fièvre guerrière et en
dévotion pour les dirigeants. »
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plaisir principal de la vie est voué à envier ceux qui en jouissent au
plus haut degré.
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Martin Van Maele, Illustration de la série « La grande danse macabre des Vifs », 1905.
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de voler par-dessus nos têtes jusqu’à ce qu’il y ait quelqu’un qui ait
enfin assez de fermeté d’esprit et de force physique pour l’achever.
Peut-être que vous l’aurez, mes chers lecteurs ?
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impossible de créer après cela. Hélas, la prière ne crée pas de nou-
velles valeurs.
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de Dieu, car il est fondamentalement impossible de s’adonner en-
tièrement au Créateur si on persiste dans l’amour de soi-même.
D’un point de vue religieux, cela est tout à fait cohérent, car tout
désir fort - tout ce qui ne correspond pas aux commandements du
Livre, tout ce qui n’est pas la foi -, est extrêmement indésirable. La
concupiscence vue comme un désir de vivre pleinement ne cor-
respond guère au devoir du chrétien qui consiste à imiter les souf-
frances de Jésus-Christ, ou bien au désir de mourir.
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Je pense que l’on peut dire sans ironie : « Rendez-nous la concu-
piscence et nous vous rendrons votre Dieu. » À mon avis, c’est un
échange équitable.
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BONJOUR, LA
MORT – NOTRE
PREMIER PAS
VERS LE PARADIS !
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Extrait Illusions dangereuses
« Еt l’opinion qui desdaigne nostre vie, elle est ridicule :
Car en fin c’est nostre estre, c’est nostre tout. »
Montaigne, Еssais, Livre II, ch. II : « Coustume de l’isle de Cea »,
édition de 1595
Si l’on n’y croit pas, la foi religieuse perd tout son sens. En effet,
sur quoi d’autre pourrait-elle tenir, si ce n’est sur l’espoir de l’im-
mortalité individuelle de l’âme ? Rien d’autre ne permet de justifier
les restrictions et les sacrifices que l’on s’impose volontairement
toute notre vie durant. Les religions monothéistes se ressemblent
dans leur rapport à la mort. Elles sont basées sur trois postulats,
immuables et connus de tous :
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Les monothéismes ne donnent que peu de moyens concrets
pour vaincre la mort et accéder à l’immortalité. Le judaïsme sou-
tient qu’après l’avènement du Messie, ne seront ressuscités que les
hommes justes qui vivront éternellement dans un monde parfait.
Quant aux pécheurs, ils resteront dans leurs tombes, morts et
dévorés par les vers. L’islam et le christianisme partagent l’idée
selon laquelle tous les morts, même les athées ou mécréants de
leur vivant, ressusciteront : leur « partie vertueuse » ira au Para-
dis et vivra auprès de Dieu, et leur « mauvaise partie » mourra de
nouveau et demeurera en Enfer. Dans le christianisme orthodoxe
(reconnu comme tel lors du premier concile de Nicée en 325 de
notre ère), il a été affirmé que la résurrection générale se déroule-
rait lors de la seconde venue du Christ, tandis que les musulmans
croient que cela arrivera après le Jugement dernier.
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Louis Raemaekers, Le tango allemand, 1916.
Vanitas : une danse des plus enivrantes…
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Je suis capable de comprendre le désir de sacrifier sa vie pour ses
enfants ou, éventuellement, pour sa Patrie ou pour le bien com-
mun. Je comprends que, sous le coup de l’impulsion, on puisse
vouloir tuer un agresseur ou une amante infidèle. Mais quelle per-
sonne saine d’esprit pourrait vouloir sa propre mort ? Quel puis-
sant lavage de cerveau les monothéismes ont réussi à opérer sur
les hommes, les poussant ainsi aux confins de la folie !
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DIEU,
LE SOUVERAIN
DU MAL ?
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Extrait Illusions dangereuses
Un Dieu qui ne préserve pas les hommes du Mal mérite-t-Il
d’être vénéré? Il est absolument incontestable que le Mal l’emporte
très largement sur le Bien dans le monde. Parfois bénin et rémis-
sible, le mal dont nous souffrons peut être d’ordre physique, tel
une blessure légère ou une simple grippe, ou encore d’ordre moral,
telle une situation de harcèlement au travail. Mais le Mal peut aus-
si revêtir un caractère universel, causer des dommages terribles et
irréparables, comme c’est le cas lors de guerres ou de génocides.
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La Ruse du Dieu unique | Comment les hommes se sont leurrés dans la soumission
consacrer leurs vies. C’est ainsi que ces croyants considèrent natu-
rellement Dieu comme la chose la plus importante au monde. Il
leur est si insupportable de penser qu’Il pourrait être à l’origine du
Mal qu’ils sont prêts, pour défendre leur Dieu et leurs croyances,
à se battre de toutes leurs forces sans considération aucune pour
la logique et la raison. Leur Dieu ne peut être que le plus gentil
et le plus généreux de tous. Il ne peut avoir, par nature, aucun
rapport au Mal, seulement au Bien. Pour ne pas remettre en cause
l’existence de Dieu et pouvoir le dédouaner de tous les maux, les
croyants ont fait appel à un autre personnage, le Diable, qui est
tenu pour responsable de tout ce qui est contraire au Bien. Voici
ce qu’en dit Bertrand Russel :
« Je ne veux pas avancer l’argument dogmatique que Dieu n’existe pas. Je dirai
que nous ne savons pas s’il existe. Je ne comprends pas comment à partir de
ce que nous disent les mystiques l’on en peut déduire un argument quelconque
pour l’existence de Dieu qui ne serait en même temps un argument pour
l’existence de Satan. »
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questions. La naïveté et la crédulité sont une explication possible
à cela (l’opinion selon laquelle les serviteurs de l’Église, surtout ses
hiérarques, savent mieux est répandue), et l’absence totale d’ha-
bitude d’activité intellectuelle et de son fils, le doute, en sont une
autre. Pourtant, j’ai pu voir quel travail intellectuel conséquent
pouvait être fourni par ceux qui ont placé la religion au centre de
leur vie et de leurs activités, à savoir les prêtres et les prêcheurs.
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La Ruse du Dieu unique | Comment les hommes se sont leurrés dans la soumission
après l’autre, ont subitement pris conscience du fait que ces décès
étaient en réalité une preuve de la tendresse divine, et ils avaient
alors cessé leur deuil. Il ne faisait pour eux aucun doute qu’ils al-
laient revoir leurs enfants dans la gloire céleste du Paradis.
Au vu de toutes ces consultations et enquêtes, je suis au regret
de constater que cinq cents ans de travail acharné par les meil-
leurs philosophes du monde n’ont laissé aucune trace dans les
consciences des croyants et ne leur ont rien appris. Quel dom-
mage ! Après tout cela, nul besoin d’être très perspicace pour
comprendre que je reste assez sceptique à l’égard de la théodicée.
Qu’apporte en effet la théodicée à l’humanité ? De mon point de
vue, la théodicée est une entreprise complètement dépourvue de
sens : au lieu de combattre le Mal, elle consacre d’immenses ef-
forts à trouver des arguments destinés à prouver que Dieu n’est pas
responsable du Mal dans le monde.
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Génocide au Rwanda.
Spinoza affirmait que voir le Mal, c’était mal voir.
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La Ruse du Dieu unique | Comment les hommes se sont leurrés dans la soumission
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existe, pourquoi le Mal est-il présent ? » Les hommes ont choisi un
Dieu unique comme protecteur, en abandonnant tous les autres
dieux. Malgré toute l’imperfection et la légèreté de l’Homme,
Dieu n’est-il pas cependant responsable de la plus grande partie
du Mal ? De quoi est-il responsable ? Pourquoi avons-nous besoin
d’un pareil « protecteur » ? La réponse me semble évidente.
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La Ruse du Dieu unique | Comment les hommes se sont leurrés dans la soumission
Cela étant, Dieu ne doit pas forcément être tenu pour respon-
sable du Mal qui frappe le monde ; en réalité, ceux qu’il faudrait
châtier, ce sont Ses zélateurs, Ses adorateurs, tous emprunts de
bonnes intentions dont on sait que l’Enfer est pavé. Telle est du
moins l’opinion de Milan Kundera dans L’Insoutenable Légère-
té de l’Être : « Les régimes criminels n’ont pas été façonnés par
des criminels, mais par des enthousiastes convaincus d’avoir
découvert l’unique voie du paradis. » C’est pour atteindre ce Pa-
radis enchanteur que tant de méfaits ont été commis au nom
de Dieu : parmi ceux-ci, citons la destruction de grandes civili-
sations telles celles d’Amérique latine, des meurtres de masse au
sein d’un même peuple (qu’il s’agisse d’hérésie ou d’athéisme, de
la Réforme protestante ou des milliers de femmes brûlées vives
comme « sorcières »), des guerres (comme les croisades), des
génocides (comme celui au Rwanda), les attaques terroristes du
11-Septembre, etc. Le marquis de Sade avait raison : « On évalue
à plus de cinquante millions d’individus les pertes occasionnées
par les guerres ou massacres de religion. En est-il une seule d’entre
elles qui vaille seulement le sang d’un oiseau ? » (Notes pour La
84
Vérité, vers 1787). Ce Mal et ces souffrances ont-ils été néces-
saires ? En tout cas, il ne faut pas accepter aveuglément ceux qui les
minimisent en arguant que toutes ces atrocités ont été commises il
y a très longtemps, ou qu’elles ne représentent pas la « vraie foi ».
Que représenteraient-elles d’autre alors ?
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La Ruse du Dieu unique | Comment les hommes se sont leurrés dans la soumission
Buchenwald, 1945.
Si Yahvé existe et aime son peuple,
comment a-t-Il pu permettre cette tragédie ?
86
et dont ils ont rigoureusement observé la loi, a-t-Il pu permettre
qu’un Mal si absolu soit infligé à Son « peuple élu » ? Pourtant,
c’est précisément juste après la Shoah que la théodicée dans le ju-
daïsme connut ses heures de gloire.
Cela m’a tant surpris que j’ai voulu lire des témoignages et des
réflexions. En effet, quelles arguties pouvait-on inventer pour
justifier ce Mal radical ? Comment pouvait-on rationnellement
contenir cette légitime et juste avalanche d’accusations contre
Yahvé qui n’avait pas voulu, ou pu, protéger son peuple ? Il est im-
possible que les juifs n’aient pas essayé de comprendre la cause
de cette catastrophe. Quelles explications ont-ils donc élaborées ?
L’attitude des juifs envers leur Dieu a-t-elle changé ? Pensent-ils
que leur foi en Lui et Sa force mystique ait encore du sens ? Les
juifs sont-ils devenus moins religieux, et le nombre de croyants
pratiquants a-t-il changé ? Les croyants persistent-ils dans leur
désir de s’approcher de Dieu et de « voir Son visage » ? Et s’ils ont
gardé ce désir, n’ont-ils alors pas pensé aux millions de personnes
assassinées dans les chambres à gaz ? Enfin, le judaïsme a-t-il
changé sa position concernant le sens des souffrances humaines ?
87
La Ruse du Dieu unique | Comment les hommes se sont leurrés dans la soumission
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qu’il est tout simplement inconcevable. J’ai eu l’impression de de-
venir fou, et j’ai été transpercé par la même douleur insupportable
que je ressentais quand je faisais mes recherches sur la Shoah.
Puis je fus saisi d’une colère aveugle qui m’empêcha de travail-
ler pendant au moins trois semaines. J’ai pris ici la liberté d’arrê-
ter un temps mon exposé pour exprimer la colère qui me trans-
perce. Sans cela, je n’aurais pu continuer d’écrire, car mes mains
tremblaient et mes yeux ne voyaient plus. Je suis absolument
révolté : c’est un sacrilège, une trahison envers son propre peuple
et une profanation de la mémoire des millions de victimes que de
justifier Dieu après la Shoah.
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La Ruse du Dieu unique | Comment les hommes se sont leurrés dans la soumission
J’aimerais mieux moi aussi que ma vie soit facile, mais hélas,
c’est impossible. Je suis conscient de n’avoir pas le pouvoir de relé-
guer la théodicée dans le passé. Certaines trouvent à la théodicée
de nombreux aspects positifs. En effet, elle agit comme un sédatif
pour les nerveux, ou un analgésique puissant pour les malades en
phase terminale. Elle enseigne l’art de se berner soi-même, celui de
vivre entouré par le Mal sans le remarquer. Seule la théodicée a le
pouvoir de vous faire croire que, malgré toutes les souffrances que
90
Dieu vous a envoyées – par exemple, trois de vos parents pourtant
pieux sont morts après avoir atrocement souffert de maladies, ou
encore votre femme en pleine fleur de l’âge a été renversée par
un train, ou encore votre petit-neveu bien aimé est mort en trois
ans d’une leucémie –, vous devez toujours aimer Dieu, Lui faire
confiance et Le remercier pour toutes les bonnes choses qu’Il a
faites pour vous et votre famille. Quoi qu’il arrive, vous devez être
sûr que Dieu a créé le meilleur des mondes possibles et que c’est
dans ce meilleur des mondes que nous vivons. Et si la présence
du Mal vous saute toujours aux yeux, ne vous désespérez pas ! La
théodicée est la recette infaillible pour atteindre le bonheur com-
plet : c’est l’art de se voiler la face ou de porter des lunettes avec des
verres colorés pour voir la vie en rose.
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La Ruse du Dieu unique | Comment les hommes se sont leurrés dans la soumission
LE MANDAT
DU CIEL
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INTRODUCTION
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La Ruse du Dieu unique | Comment les hommes se sont leurrés dans la soumission
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Dans l’ordre chronologique, tout commence par le judaïsme,
entre le XIIe et le VIIe siècle avant J.-C. (pour autant que l’on sache).
Le christianisme démarre au Ier siècle de notre ère, et l’islam au
VIIe siècle de notre ère. Le christianisme se répand rapidement
dans le monde entier après son adoption par l’empereur romain
au IVe siècle. En chiffres approximatifs, le christianisme compte
environ 2,5 milliards d’adeptes (soit un tiers de la population mon-
diale), l’islam environ 1,7 milliard et le judaïsme environ 9 mil-
lions, concentrés en Israël et aux États-Unis. Bien que le judaïsme
compte beaucoup moins d’adeptes que les méga-religions que sont
le christianisme et l’islam, il s’agit bien de la première religion mo-
nothéiste et son influence mondiale est beaucoup plus importante
que le nombre limité de ses adeptes ne le laisse supposer.
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La Ruse du Dieu unique | Comment les hommes se sont leurrés dans la soumission
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cette croyance s’est transmise au sein de la famille au fil des généra-
tions, mais elle est importante car il y existait déjà tout un monde
avant le judaïsme. Nous ignorons simplement ce qui se passait, car
il n’y avait pas de journalistes ni d’historiens à l’époque. Les peuples
du monde entier, à notre connaissance, étaient très croyants au sens
spirituel du terme. Ils se demandaient d’où ils venaient et ce qu’ils
faisaient sur terre, mais avaient de nombreux dieux pour les aider,
pas seulement un. C’est ce que nous appelons le polythéisme, par
opposition au monothéisme qui est la croyance en un seul dieu.
Jude et Christian, qui croyaient en une religion à un seul dieu,
voulurent se débarrasser de tous les autres dieux que l’on priait ou
vénérait de quelque façon que ce soit. Christian semblait nettement
plus enthousiaste à cette idée que son père. Quand Islam est appa-
ru, il aurait élu le même Dieu que les juifs et les chrétiens. Pourtant,
ils se disputent encore pour savoir si ce Dieu est véritablement le
même. Peu importe. Ils parlent tous de Jésus, de Marie et de cer-
tains des saints, ainsi que de Moïse et de tous les autres premiers
croyants. Ces querelles constantes à propos de futilités sont sans
doute un phénomène masculin. Le père et le fils nient toujours
qu’ils ont le même Dieu mais, comme je l’ai dit, tel père, tel fils,
dans une certaine mesure.
Les différences importent peu car tous les trois ont toujours
aimé les belles histoires. L’une des meilleures est celle de la créa-
tion de la terre et de la vie. Ils étaient plutôt d’accord sur le fond et
sur la plupart des détails comme le jardin d’Éden, l’arbre interdit,
le serpent, et le départ d’Adam et Ève du jardin.
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La Ruse du Dieu unique | Comment les hommes se sont leurrés dans la soumission
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Il ne s’agit pas de caractères ni de circonstances particulières. Le
problème vient du fait que même s’ils ne cessent de se quereller,
ils ne se disputent pas pour avoir le seul Dieu. Puisqu’ils sont d’ac-
cord sur ce point, ils monopolisent les arguments, interrompent
les autres et partent du principe que tout le monde devrait être
d’accord avec eux. Il est difficile de les écouter et presque impos-
sible de discuter.
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La Ruse du Dieu unique | Comment les hommes se sont leurrés dans la soumission
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projet voué à l’échec dont il faudra enfin assumer la responsabilité.
Cette hypothèse apocalyptique ainsi que la relation entre ce vieux
grandpère bourru, Jude, ce père paresseux, Christian, et ce fils fa-
natique, Islam, de la triste dynastie des Abraham, sont au cœur de
ce livre.
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La Ruse du Dieu unique | Comment les hommes se sont leurrés dans la soumission
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La mort d’Agag, gravure de la Bible illustrée par Gustave Doré, 1866.
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La Ruse du Dieu unique | Comment les hommes se sont leurrés dans la soumission
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Les adolescents recrutés par l’État islamique exécutent
les soldats syriens à Palmyre en mai 2015.
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La Ruse du Dieu unique | Comment les hommes se sont leurrés dans la soumission
Le monopole de Dieu :
au-delà de la raison et contre la nature
La nature et l’objectif du monothéisme diffèrent complètement
des autres religions. Le monothéisme s’immisce dans la vie per-
sonnelle, élimine les croyances concurrentes, rejette la raison na-
turelle et impose un ensemble de rituels hermétiques (adoptés par
de nombreux monothéistes de la première heure). Il a tendance à
fonctionner selon des modèles théocratiques et autoritaires, ce qui
autorise la religion à changer la nature humaine elle-même. C’est
pourquoi le monothéisme a une tendance naturelle à monopoli-
ser la sphère politique. Il se comporte comme un parasite, ou un
106
virus, surtout dès qu’il est attiré par le pouvoir politique.
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La Ruse du Dieu unique | Comment les hommes se sont leurrés dans la soumission
Nombreux sont ceux qui ont peur de dire que la violence fait
partie intégrante de l’islam. Ils craignent de se voir accusés d’is-
lamophobie, mais ils ont la preuve évidente que la plupart des at-
taques terroristes des vingt dernières années proviennent de l’is-
lam et non des religions plus anciennes.
108
sauvages aussi ennemies des hommes que le sont la plupart
du temps les chrétiens, animés entre eux de haines mortelles
(...) Qu’adviendra-t-il alors de ceux qui croient en des dieux
différents ?»
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La Ruse du Dieu unique | Comment les hommes se sont leurrés dans la soumission
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Il a montré à quel point une religion peut s’armer de patience
avant de saisir l’occasion d’étreindre un hôte, en vue de le dominer.
La stratégie judaïque a su trouver un regain de force dans le nou-
veau mouvement sioniste de la fin du XIXe siècle, qui s’est conju-
gué à d’autres tendances pour se manifester au moment même de
la création d’un nouveau pays pour le peuple juif après la Seconde
Guerre mondiale.
111
La Ruse du Dieu unique | Comment les hommes se sont leurrés dans la soumission
Origines
La religion des Israélites trouve son origine dans les guerres tri-
bales intestines. Elle se poursuit avec une histoire de libération
miraculeuse et une relation de groupe abusive avec Dieu. Ces évé-
nements constituent la toile de fond de la naissance du judaïsme,
fondé sur l’élection d’un peuple (ou tribu) parmi tous les autres
pour hériter du monde.
112
par un Dieu vindicatif qui protège et soutient activement son
peuple. Ce récit historique et légendaire est à l’image de toute re-
ligion monothéiste.
113
La Ruse du Dieu unique | Comment les hommes se sont leurrés dans la soumission
Dieu est intervenu à la dernière minute pour lui offrir une chèvre
en échange, épargnant ainsi la vie d’Isaac. Dieu, satisfait, a pu alors
confirmer son choix et ses promesses antérieures à Abraham.
114
grande partie, qu’un récit de plus tiré de l’Ancien Testament, sur la
cruauté psychologique manifestement insensée de Dieu. Pour les
puristes et les théologiens, la soumission absolue d’Abraham à la
volonté de Dieu relève d’un récit édifiant qui entérine le concept
d’un Dieu unique et tout-puissant qui fait loi.
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La Ruse du Dieu unique | Comment les hommes se sont leurrés dans la soumission
116
le passé d’Israël, réitèrent les lois que Moïse avait communiquées
au peuple du Sinaï et soulignent que le respect de ces lois est es-
sentiel pour le bien-être du peuple dans les terres qu’il s’apprête à
posséder.
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La Ruse du Dieu unique | Comment les hommes se sont leurrés dans la soumission
brutal dans sa façon de traiter ses sujets juifs. En 66 après J.-C., les
juifs ont recommencé à se rebeller contre la domination romaine
en Judée. La rébellion a été vaincue et lors du siège de Jérusalem
en 70 de notre ère, après une nouvelle insurrection contre l’auto-
rité romaine, les Romains ont détruit le Temple de Jérusalem et
dispersé presque tous les Juifs de la ville.
118
Le christianisme a opéré un revirement en créant un nouveau
culte avec des objectifs, des règles religieuses et des rites différents,
fondés sur la vie et les enseignements du Messie, et qui com-
mençait déjà à s’écarter de ses origines. Néanmoins, le nouveau
culte employait les mêmes tactiques de désobéissance civile que
les agitateurs juifs avaient utilisées auparavant et il renforçait rapi-
dement ses effectifs de fidèles. Quant au judaïsme, il a continué à
se développer avec ses rites, ses rébellions et d’autres dispersions.
Une nouvelle occasion pour les juifs d’avoir enfin leur propre
terre et leur société a été saisie après des siècles de pertes et de dis-
crimination, et nombre d’entre eux ont considéré la naissance de
l’Israël moderne comme le moment propice à une renaissance so-
ciale et politique moderne. Même de nombreux juifs qui restaient
attachés à la tradition se sont efforcés d’abandonner les éléments
archaïques, pour n’en garder que les attributs extérieurs. Cela mar-
quait un rare tournant dans l’histoire : pourquoi vouloir réintégrer
au monde nouveau tout le bagage de préjugés religieux archaïques ?
119
La Ruse du Dieu unique | Comment les hommes se sont leurrés dans la soumission
120
les juifs émancipés et assimilés ont été accueillis par les nouvelles
élites impériales émergentes des grandes puissances européennes,
soulagées par le nouveau mouvement social qui semblait indiquer
l’abandon par les juifs de l’exclusivité et des schibboleths de leur
religion.
121
La Ruse du Dieu unique | Comment les hommes se sont leurrés dans la soumission
122
citoyens que celle qui avait été établie dans les lois de Nuremberg
de l’Allemagne nazie.
Ainsi, l’idée initiale de créer un État national pour les juifs eu-
ropéens s’est transformée en une tâche messianique consistant à
reconstituer un État biblique qui deviendrait un foyer religieux
pour les juifs du monde entier. La religion a en outre été définie
comme le fondement de l’identité nationale juive sans être séparée
de l’État. Les fêtes religieuses sont devenues des fêtes nationales.
Les pratiques séculières et les rites du cycle de vie (baptêmes, ma-
riages, funérailles ) relevaient des communautés religieuses. Les
chrétiens et les musulmans d’Israël ont également été obligés de
les célébrer au sein de leurs propres communautés religieuses, ce
qui représente un cas intéressant de réglementation imposée au
nom des religions monothéistes. La religion s’est entrelacée avec
un État-nation moderniste.
123
La Ruse du Dieu unique | Comment les hommes se sont leurrés dans la soumission
Tendance à la théocratie
Une majorité d’Israéliens contemporains s’accorde sur la néces-
sité d’une collaboration formelle entre la religion et l’État. Cepen-
dant, les motifs et le degré d’implication de la religion dans la vie
de l’État et de la société sont sujets à de sérieux débats.
124
À peu près 10 à 12 % des Israéliens sont des sionistes religieux.
Ils perçoivent la religion et la nation comme une seule unité, et ne
doutent pas de la nécessité de renforcer la composante religieuse
dans l’éducation et la vie publique. Les sionistes religieux consti-
tuent la majorité des colons dans les territoires palestiniens. Ils
se considèrent comme des agents au service de Dieu en rendant
aux Israéliens la terre que Dieu leur a léguée dans la Torah. Mo-
tivés par des raisons religieuses, ils mettent en œuvre un projet de
réinstallation et de colonisation à grande échelle qui bénéficie au
mouvement sioniste.
125
La Ruse du Dieu unique | Comment les hommes se sont leurrés dans la soumission
126
mener une révolution). La religion a été la première à faire appel
à ceux qui se trouvaient au bas de l’échelle. C’est peut-être cette
nouvelle approche qui a donné au christianisme tant de nouveaux
adeptes parmi ceux qui n’avaient jamais eu de pouvoir d’aucune
sorte. Elle a notamment eu du succès auprès des femmes qui ont
peut-être discerné dans ces enseignements une pointe de respect
envers celles-ci et leur rôle, alors qu’elles étaient embourbées dans
les corvées, la dépendance et la servitude.
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La Ruse du Dieu unique | Comment les hommes se sont leurrés dans la soumission
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le christianisme s’est tourné vers ses prochaines cibles. Son travail
à Rome était terminé, confirmé par l’État symbolique que le chris-
tianisme a laissé en son cœur.
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La Ruse du Dieu unique | Comment les hommes se sont leurrés dans la soumission
130
se caractérisait par une intolérance absolue, marquée par une au-
to-exclusion provocante.
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La Ruse du Dieu unique | Comment les hommes se sont leurrés dans la soumission
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Louis Figuier, Gravure représentant les terribles sévices subis par Hypatie, 1866.
133
La Ruse du Dieu unique | Comment les hommes se sont leurrés dans la soumission
134
l’arsenal libéral, à la recherche de la moindre faiblesse, comme un
virus qui tente sans cesse de s’introduire dans un corps.
Par Cité de la Terre Augustin entend l’État dans son sens tradi-
tionnel, dirigé par un homme. Tel était le cas dans la Rome antique
jusqu’à ce qu’une nouvelle religion s’impose. Le règne du christia-
nisme a fait naître une contradiction entre les principes suivants :
« tout pouvoir venant de Dieu » (l’Unique) et « tout pouvoir ve-
nant de l’homme » (le principe romain).
135
La Ruse du Dieu unique | Comment les hommes se sont leurrés dans la soumission
136
Ces deux versets ont été utilisés pour prouver que Dieu avait
confié le pouvoir terrestre à l’apôtre Pierre et à ses héritiers élus :
les papes et l’ensemble du pouvoir temporel sous leur direction qui
avait été élaboré au cours des trois siècles suivant la mort de Jésus
et, bien sûr, de Pierre lui-même, qui n’a jamais eu connaissance de
son importante élévation temporelle. En plus des références tirées
des écrits d’Augustin qui distinguaient les deux cités, cette situa-
tion a constitué le socle commun des débats sur la primauté de
l’Église sur l’État.
137
La Ruse du Dieu unique | Comment les hommes se sont leurrés dans la soumission
138
L’une des principales différences entre ces campagnes et de
nombreux autres conflits religieux chrétiens résidait dans le fait
que l’Église déclarait que la participation serait considérée comme
une pénitence pour le pardon des péchés.
139
La Ruse du Dieu unique | Comment les hommes se sont leurrés dans la soumission
140
Pour planter le décor, de nouveaux schismes inattendus ap-
paraissaient au sein du christianisme et entre le christianisme et
l’islam. Les deux religions étant monothéistes et agressives, ces
divisions ont causé de profondes cicatrices : un sentiment de vic-
toire déplacé chez les chrétiens et un ressentiment profond lié à la
défaite et au désaccord chez les musulmans. La rupture définitive
entre le christianisme et l’islam était alors confirmée.
Les chrétiens ont également tué les leurs pour s’être écartés du
modèle officiel. Il existe de nombreux exemples de ce type de vio-
lence extrémiste. Lors d’une série de massacres perpétrés au XIIIe
siècle dans le sud-ouest de la France, des chrétiens traditionnels
ont tué des cathares, connus pour être fondamentalistes. À Béziers,
lors de la croisade des Albigeois en 1209, lorsque les soldats de la
ville se sont lancés dans une sortie, ils ont été rapidement défaits,
puis poursuivis par les croisés qui les ont repoussés vers les portes
de la ville. Arnaud Amaury, commandant des croisés, aurait été
interrogé sur la manière de distinguer les catholiques des autres.
Sa réponse effrayante était : « Caedite eos. Novit enim Dominus qui
sunt eius » soit « Tuez-les tous, Dieu reconnaîtra les siens ».
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La Ruse du Dieu unique | Comment les hommes se sont leurrés dans la soumission
ville a été rasé par le feu. Arnaud Amaury a écrit au pape Innocent
III : « Aujourd’hui, Votre Sainteté, vingt mille hérétiques ont été
mis à l’épée, quels que soient leur rang, leur âge ou leur sexe. »
142
moins monothéiste, moins totalitaire et plus tolérant tout au long
de ses 2000 ans d’existence sur Terre. Son déclin semble être l’his-
toire d’un virus vivant qui a constamment menacé de s’appro-
cher de son hôte et de le tuer, mais qui n’y est pas parvenu jusqu’à
présent. Il reste encore beaucoup de temps.
Expansion de l’influence
L’histoire de l’islam comprend des moments où les pouvoirs sé-
culiers et ecclésiastiques ont été tour à tour en conflit, en harmonie,
séparés ou fusionnés. L’exemple classique des débuts de l’histoire
de l’islam réside dans le califat politique abbasside, ainsi que dans
les structures étatiques qui l’ont précédé, créées par le prophète
Mohammed, lequel a entamé sa vie d’adulte en tant que soldat.
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La Ruse du Dieu unique | Comment les hommes se sont leurrés dans la soumission
144
Portrait de l’empereur Babur.
Dans Baburnama, l’empereur Babur, fondateur de l’Empire moghol, écrivit au
sujet des « mécréants » tués lors de sa conquête de l’Inde :
«Pour l’amour de l’islam, je suis devenu vagabond,
j’ai combattu les infidèles et les hindous,
J’étais déterminé à devenir un martyr.
Grâce à Dieu, je suis devenu un tueur de non-musulmans !»
De nombreux historiens estiment que plus de 6 millions de personnes ont péri
lors des invasions musulmanes du subcontinent indien.
145
La Ruse du Dieu unique | Comment les hommes se sont leurrés dans la soumission
Le wahhabisme
C’est dans le wahhabisme que réside la genèse du succès de l’is-
lam sur l’État politique, l’accomplissement de la mission. L’islam a
connu une phase de détachement alors même qu’il se propageait
dans d’autres régions du monde, par exemple en Asie et en Europe,
146
entraînant une fusion des pratiques islamiques avec les croyances
et les traditions locales. Un exemple notable est l’émergence de
cultes célébrant les saints musulmans, ainsi que de nombreuses
variantes du mysticisme islamique.
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La Ruse du Dieu unique | Comment les hommes se sont leurrés dans la soumission
148
vie spirituelle et séculière du VIIe siècle comme une époque idéale
à réitérer, les Frères musulmans peuvent être définis comme des
radicaux religieux de l’« âge d’or » uniquement au sens spirituel,
mais pas au sens matériel ou politique.
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La Ruse du Dieu unique | Comment les hommes se sont leurrés dans la soumission
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En termes strictement économiques et technologiques, ce nou-
veau monde moderne des juifs et des chrétiens semblait supérieur
au monde de l’islam traditionnel. Ainsi, le rôle de l’islam tradition-
nel dans la vie culturelle et spirituelle de ses adeptes était remis
en question, tout comme sa nécessité pour les États musulmans
en tant que partie intégrante de la structure étatique. C’est cette
pression de l’Occident « chrétien » et la réceptivité des sociétés
musulmanes à son égard qui ont conduit à la formation d’idéolo-
gies islamistes radicales visant à purifier les communautés musul-
manes de l’influence spirituelle néfaste de l’Occident « chrétien »
ou « païen », à vouloir renvoyer les colonisateurs et les « croisés »
et à faire revivre le seul système étatique correct : le califat, État
religieux unitaire.
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La Ruse du Dieu unique | Comment les hommes se sont leurrés dans la soumission
152
La société iranienne n’a jamais pris au sérieux la situation se-
mi-coloniale de son pays. La religion, cependant, a joué un rôle
mineur dans ce ressentiment. Contrairement aux Frères musul-
mans, le mouvement anticolonial iranien s’est davantage appuyé
sur l’identité sociale et (plus tard) nationale que sur l’islam. Tel a
été le cas lors de la première révolution iranienne de 1905-1907,
ainsi qu’en 1953, lorsque la tentative de nationalisation de l’indus-
trie pétrolière menée par le Premier ministre Mohammad Mos-
sadegh s’est transformée en un coup d’État organisé par les ser-
vices de sécurité britanniques et américains.
153
La Ruse du Dieu unique | Comment les hommes se sont leurrés dans la soumission
L’État islamique
La dernière tentative de réunification du séculier et du spirituel
au sein d’un seul État panislamique, entreprise par l’idéologie po-
litique islamique, a conduit à la création de l’État islamique (ISIS)
sous forme d’organisation.
154
Le projet assimile nombre d’idées des mouvements précédents.
Il a un caractère anticolonial, qui se manifeste par la promotion
active de l’anti-occidentalisme et la lutte contre Israël en tant que
progéniture coloniale de l’Occident (cette activité est appelée « Ji-
had contre les croisés »).
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La Ruse du Dieu unique | Comment les hommes se sont leurrés dans la soumission
Le renouveau islamiste
De nombreux mouvements islamistes sont apparus en réaction
à des problèmes sociaux et économiques tels que le chômage des
jeunes et la pauvreté. Pourtant, les mouvements islamistes ne se
limitent nullement aux pays pauvres ou aux groupes défavorisés et
marginalisés, et ne sont pas tous extrémistes ou révolutionnaires.
En fait, les membres de ces mouvements sont généralement très
instruits, principalement dans les domaines laïques, grâce aux
projets de modernisation menés par l’État. Les partis islamistes
traditionnels, en particulier, sont généralement dirigés par des
jeunes hommes et des jeunes femmes qui sont des professionnels
accomplis, titulaires de diplômes d’études supérieures.
Une nouvelle génération est arrivée à l’âge adulte dans les années
1960 sans avoir connu le colonialisme directement, seulement ses
156
répercussions à long terme, mêlées à certains avantages. L’accès
généralisé à l’éducation et la plus grande disponibilité de la littéra-
ture islamique leur ont également donné l’occasion de se forger
leurs propres interprétations de l’islam. Les musulmans pouvaient
étudier le Coran et la Sunna sans la médiation des oulémas, qui
proposaient une interprétation plus institutionnalisée de l’islam.
Mohammed lui-même aurait pu approuver ce changement.
157
La Ruse du Dieu unique | Comment les hommes se sont leurrés dans la soumission
158
Cela s’est avéré être le cas. À la fin de la même année et éga-
lement à Paris, le 13 novembre 2015, les terroristes ont tué 130
autres personnes, pour la plupart des jeunes, au cours de six at-
tentats coordonnés mais distincts qui se sont déroulés pendant
une demi-heure dans différents quartiers de Paris, dont le théâtre
du Bataclan, où 90 personnes sont mortes. Les actes différaient
considérablement de ceux du 7 janvier par leur intention et leur
ampleur. Les meurtres du Charlie Hebdo visaient des personnes
accusées d’avoir insulté le prophète Mohammed. Les attaques au
Bataclan et dans les restaurants voisins, quant à elles, visaient à
tuer quiconque se trouvait sur leur passage, bien qu’un groupe se
faisant appeler l’Armée de l’islam ait déclaré en 2011 aux services
de sécurité français qu’une attaque du Bataclan était prévue parce
que ses propriétaires étaient juifs.
159
La Ruse du Dieu unique | Comment les hommes se sont leurrés dans la soumission
Les terroristes qui ont perpétré ces actes ne sont pas des psycho-
pathes ; ce sont des gens normaux, mais ils croient que leur corps
appartient entièrement à la Oumma, la communauté musulmane
mondiale, et qu’il devrait être sacrifié sans hésitation si jamais la
Oumma est en danger. Les kamikazes et les décapitateurs, issus
de pays pauvres et sous-développés, sont identifiés comme des
« armes de guerre ». Cela leur permet de se fondre dans le décor
des nations choisies pour leur auto-immolation terroriste. Presque
tous sont sous le contrôle d’autres personnes qui restent cachées.
160
Les vrais croyants ne sont conscients de rien d’autre que de leur
foi. Thomas More l’aurait certainement compris. Le terrorisme is-
lamique est le seul moyen de faire de la place à Dieu. Tout le reste
est secondaire et donc sans importance. D’un point de vue pro-
fondément religieux, cette attitude est totalement justifiée : Dieu
a besoin de place. Certains affirment même que les terroristes
prennent un plaisir particulier à provoquer la terreur humaine et
l’agonie parce qu’ils y voient la manifestation d’une puissance su-
périeure universelle et essentiellement indicible.
161
La Ruse du Dieu unique | Comment les hommes se sont leurrés dans la soumission
Il n’en a pas toujours été ainsi. Il y a 900 ans, une nette ten-
dance aux attaques terroristes chrétiennes générées en Europe a
vu le jour et s’est poursuivie pendant plusieurs siècles. Au cours
des deux millénaires qui ont précédé l’arrivée du christianisme,
le Moyen-Orient a connu une longue période de violence tribale
de la part des Israélites. Le tout, et plus encore, au nom de Dieu.
Aujourd’hui, ce problème, qui se présente comme un jihad contre
l’Europe, doit être traité et résolu.
162
contre elle-même, alors même que chacun de ses membres lutte
pour établir un contrôle total dans ses sphères d’influence et
au-delà, partout dans le monde.
163
La Ruse du Dieu unique | Comment les hommes se sont leurrés dans la soumission
164
choix que de mettre fin à leur vie. Ils suppriment leurs propres
doutes en tuant d’autres personnes par la même occasion.
165
La Ruse du Dieu unique | Comment les hommes se sont leurrés dans la soumission
166
Nous n’éradiquerons pas le terrorisme en traitant ses symp-
tômes (là où il fait mal), mais en considérant la religion dans son
ensemble, c’est-à-dire le « monde du terrorisme » et le « monde de
la religion », qui sont indissociables.
Tous les sacrifices sont vains : le paradis n’existe pas, n’a jamais
existé et n’existera jamais. Une croyance passionnée en l’existence
du paradis n’est pas une lueur d’espoir. C’est un mythe, qui a volé
en éclats tout comme les ceintures des Shahid.
167
La Ruse du Dieu unique | Comment les hommes se sont leurrés dans la soumission
168
la protection ou le respect des religions ? Devrions-nous protéger
l’organisation terroriste nigériane Boko Haram ? C’est en son nom
que l’on trouve l’indice de sa principale politique d’interdiction
de l’enseignement laïque. Pourquoi sommes-nous étonnés de voir
qu’ils capturent des écolières et en font des prostituées pour les
soldats ?
169
La Ruse du Dieu unique | Comment les hommes se sont leurrés dans la soumission
170
une tâche longue et difficile. Mais c’est le seul moyen de rendre la
vie meilleure et plus harmonieuse aux générations à venir.
171
La Ruse du Dieu unique | Comment les hommes se sont leurrés dans la soumission
Le Messie n’est pas venu. Le fait qu’il ne soit jamais venu re-
présente le plus grand défi à relever pour le récit judéo-chrétien.
Les croyants l’ont attendu si longtemps avec espoir, mais qui que
ce soit, c’était en vain. Non seulement il n’est pas venu pour nous
épargner l’adversité et donner un sens à notre existence, mais il
semble même qu’il n’ait jamais eu l’intention de venir.
172
N’est-il pas temps que l’humanité prenne la responsabilité de
son propre destin et apprenne à expier ses péchés sans l’aide pé-
nible et culpabilisante de Dieu, de Jésus, de Yahvé, d’Allah, de tous
les prophètes et les saints ? Et sans Dieu, existe-t-il réellement tant
de péchés à expier ?
« Imaginez qu’il n’y ait pas de religion. C’est facile si vous es-
sayez. Pas d’enfer en dessous de nous, au-dessus seulement le ciel. »
173
La Ruse du Dieu unique | Comment les hommes se sont leurrés dans la soumission
MILLE RÉPONSES
AU BESOIN DE
CROIRE
174
INTRODUCTION : DIEU, LE PIÈGE VIEUX COMME LE
MONDE ?
175
La Ruse du Dieu unique | Comment les hommes se sont leurrés dans la soumission
En tout cas, ce n’est pas notre besoin de croire que l’on peut
supprimer à la demande. Certains ont essayé, bien sûr, de tirer
un trait sur toutes les croyances passées. Les communistes, ou les
hommes du Reich, avaient leur idée pour effacer les religions de la
vie des hommes. En tentant d’agir sur sa nature avec leur idéolo-
gie mortifère, ils ont essayé de lui faire oublier ses besoins les plus
primitifs. Mais en dénaturant l’homme, ils ne voyaient pas qu’ils
marchaient dans les traces des pires sectes religieuses. Ne dit-on
pas qu’une religion est une secte qui a réussi ? De ce point de vue,
les idéologies politiques rivalisent, parfois, avec les pires dérives
religieuses. Ne sommes-nous pas soumis, en permanence, aux as-
sauts de fanatiques ?
176
point que l’on ne distingue plus aujourd’hui ce qui lui appartient
de notre propre civilisation occidentale.
177
La Ruse du Dieu unique | Comment les hommes se sont leurrés dans la soumission
178
dernière heure : des houris aux « yeux noirs comme des biches »,
des « vallées de lait et de miel », ou que sais-je encore ?
179
La Ruse du Dieu unique | Comment les hommes se sont leurrés dans la soumission
Ils me font bien rire, moi, ceux qui pensent que leur Dieu se se-
rait imposé aux hommes avec amour et bienveillance. « Les dieux
sont morts, disait Nietzsche, oui, ils sont morts de rire en enten-
dant l’un d’eux dire qu’il était le seul. » Les dieux se sont toujours
fait la guerre. Le Dieu du monothéisme n’y fait pas exception. Un
Dieu unique est un dieu jaloux, un vampire qui subjugue entière-
ment la volonté et l’attention de ses adeptes. Un tel être n’est pas un
détail dans la vie d’un croyant, mais une totalité. Créateur de tout,
il contrôle votre vie et régule chacun de ses aspects, de votre mo-
ralité jusqu’à vos préférences sexuelles. Comme nous le verrons
plus loin, le monothéisme est d’abord la victoire d’un Dieu sur les
autres dieux, une prise de pouvoir. Une victoire obtenue par la
force, et par l’établissement d’une morale répressive, qui n’a rien à
voir avec la spiritualité mais plutôt avec la volonté de dominer les
autres.
180
à ne rater ! Mais c’est une transformation fondamentale qui a lieu
dans la vie de tout son adepte, une révolution des mentalités, tout
un changement politique qui demande à être analysé. Comment
s’est fait ce processus ? Quels en sont les mécanismes ? Il me semble
que l’on sait bien peu de choses sur cette micro-politique de la
croyance. Pourquoi ? Par peur, j’imagine, de remettre en cause
des évidences acquises au cours de notre éducation. Peut-être par
crainte, aussi, de bousculer nos convictions les mieux installées.
181
La Ruse du Dieu unique | Comment les hommes se sont leurrés dans la soumission
182
Affiche soviétique pro-athéisme, les années 1960.
Sur l’affiche, Yuri Gagarine dit : « Dieu n’existe pas. »
183
La Ruse du Dieu unique | Comment les hommes se sont leurrés dans la soumission
184
quels résultats ? Bien peu, finalement. Dans leur aveuglement, ils
ne se sont pas rendu compte qu’ils avaient remplacé l’ancienne
religion par une nouvelle, bien plus cruelle encore. Ils n’ont pas
voulu voir, non plus, qu’ils avaient inventé une mystique révolu-
tionnaire, tout aussi brutale, et têtue que l’ancienne.
185
La Ruse du Dieu unique | Comment les hommes se sont leurrés dans la soumission
186
qui ont tout pour être heureux se retrouvent à la recherche d’un
sens à leur vie. Une recherche qui ne les empêche pas de ressen-
tir, au fond d’eux, un manque, ou un vide sidéral. La société du
« Moi » fatigué dopée aux antidépresseurs et incapable de faire
rien d’autre que de consommer les valeurs et les idées tout faites.
La faute à l’idéologie scientifique, celle du monde occidental, pour
qui la science permet de faire disparaître toutes les croyances. Ce
fut la même erreur que celle des communistes, qui pensaient que
l’appareil technoscientifique ferait oublier la religion.
187
La Ruse du Dieu unique | Comment les hommes se sont leurrés dans la soumission
C’est en tout cas l’une des hypothèses envisagées par les scienti-
fiques, aujourd’hui, pour expliquer l’origine de ce besoin de croire.
Il est désormais admis qu’une partie de notre cerveau pourrait être
188
« programmé pour croire ». Des chercheurs américains, comme
Andrew Newberg, ont observé que la méditation, et les expériences
mystiques, font appel à des aires particulières du cerveau1. Au cours
de leurs recherches, les neurologues ont remarqué que l’activité du
cortex pariétal baissait lorsque le fidèle se concentrait pour obtenir
une expérience mystique. Il se pourrait que les sentiments religieux
s’enracinent dans l’activité profonde du cerveau lorsqu’il entame un
effort d’introspection. Dans le même ordre d’idées, le neurologue
Michael Persinger affirme, lui, avoir réussi à déclencher des expé-
riences mystiques chez des personnes qui n’étaient pas religieuses,
prouvant par cette expérience, qu’il était possible de manipuler le
cerveau de quelqu’un de non-croyant2. Le chercheur américain a
réussi à stimuler le lobe temporal des sujets de l’expérience. La sti-
mulation de cette partie du cerveau, responsable des crises d’épi-
lepsie et de la différenciation entre le soi et le non-soi, lui a fait
obtenir des résultats similaires à ceux d’une extase mystique chez
des patients « normaux ». Surprenant, n’est-ce pas ? Les recherches
ne manquent pas pour prouver l’existence d’un « centre religieux
cérébral », mais ne nous échauffons pas trop vite…
189
La Ruse du Dieu unique | Comment les hommes se sont leurrés dans la soumission
Stupeur et tremblements
Interpréter, nous le faisons tous les jours sans le savoir. Contre
les chimères de la religion, l’interprétation reste notre meilleure
arme et notre plus fidèle alliée. Car, toutes les croyances ne se
valent pas. Une religion qui respecte la nature de l’homme et ne lui
demande pas de changer toute sa vie, comme le taoïsme, n’a pas la
même valeur à mes yeux qu’une religion monothéiste, où le res-
pect de Dieu s’apparente au respect dû à un être avide d’obéissance,
un Big Brother spirituel. Dans un cas, les croyances se rapportent
à une vision apaisée de l’homme, où l’important consiste d’abord
à prendre soin des siens et de soi-même. Dans l’autre, à une vision
angoissée de l’existence, où la peur de mourir et d’aller en enfer
prennent le pouvoir sur toutes les autres émotions. Ce qu’il nous
faudrait, c’est une psychologie qui accepte de se placer du côté de
l’homme, et non de Dieu, pour comprendre quelles sont les émo-
tions attendues des fidèles dans leurs religions, une anthropologie
philosophique des religions, en somme. À l’aide d’une telle ap-
proche, nous pourrions savoir s’il existe des croyances joyeuses et
des croyances tristes, comme il existe des addictions dangereuses,
ou des comportements à risque.
190
tout un programme. Ce n’est qu’en faisant la « psychologie de la
foi », dit-il, que l’on pourra comprendre le besoin véritable qui
pousse les hommes à croire. Non pas les fausses raisons qu’il in-
voque, comme les miracles, ou la vérité des Écritures, mais ce be-
soin vital, comme dit Nietzsche, de « se cramponner » à quelque
chose. « On mesure la force d’un homme, ou, pour mieux dire, sa
faiblesse, au degré de foi dont il a besoin pour se développer, au
nombre des crampons qu’il ne veut pas qu’on touche parce qu’il s’y
tient », écrit-il dans l’un des aphorismes du Gai Savoir3. Plus loin,
il poursuit : « ce besoin de foi, d’appui, de vertèbres, de corset » ne
peut venir que d’un « instinct de faiblesse » car, pour Nietzsche,
la volonté de posséder « quelque chose de sûr » ne peut être que
le signe d’un manque absolue de volonté et de confiance en soi.
« C’est toujours là où manque le plus la volonté que la foi est le
plus désirée, le plus nécessaire », conclut-il, en se moquant de ces
« bataillons » d’hommes qui ont besoin de certitudes, comme les
patriotes « chauvins », les esprits de laboratoire, et même les nihi-
listes, parfois « athées jusqu’au martyr ».
191
La Ruse du Dieu unique | Comment les hommes se sont leurrés dans la soumission
Foules sentimentales
Si les croyances religieuses ne nous rassurent pas, alors pour-
quoi continuons-nous à croire ? À mon avis, les croyances sur-
vivent grâce à plusieurs raisons. Il y a, tout d’abord, la nécessité des
rites. L’être humain a besoin de repères qui structurent symboli-
quement sa vie. Ces rites structurent sa vie mentale, nous l’avons
192
vu, mais elles remplissent aussi une fonction sociale. Il se pourrait
aussi que notre besoin de croire soit lié à des processus d’imita-
tion des autres. Comment ne pas voir que les religieux arrivent
à se communiquer leur enthousiasme à la manière des évangé-
listes ? Dans un livre paru en 1841, La Folie des Foules, le journa-
liste écossais Charles Mackay4 prenait l’exemple de la bourse pour
comparer la folie de l’homme d’affaires au charisme de l’homme
de foi. La finance, faisait-il remarquer, provoque parfois des élans
d’enthousiasme similaires à ceux d’une croyance mystique. Et il
en donne un exemple. Lorsque les financiers du XVIème siècle
ont cru que de nouvelles variétés de tulipes avaient été inventées,
dit-il, une bulle spéculative s’est mise en place autour de cette fleur.
Dans l’euphorie, les financiers se sont mis à acheter des bulbes, ou
des parties de bulbe, pour les revendre à meilleur prix.
193
La Ruse du Dieu unique | Comment les hommes se sont leurrés dans la soumission
194
culière ». À la fois, le petit garçon espère être protégé par son père
et, en même temps, il redoute sa protection en raison de la rivalité
qui les poussent, tous deux, à chercher à l’amour de la mère. Pour
la psychanalyse, « les signes de cette ambivalence marquent pro-
fondément toutes les religions »6. On retrouve à la fois la crainte
mêlée de respect dans le culte du Dieu monothéiste, et cette di-
mension mystique de fusion avec la mère dans le thème de « l’en-
fant merveilleux », ou de « l’union avec l’un », lui aussi présent
dans un grand nombre de religions.
Dans la vie de l’esprit, il faudrait donc savoir décoder ces ré-
férences à l’enfance comme un sous-texte psychanalytique. « Au-
cune recherche, si minutieuse fût-elle, ne saurait ébranler la
conviction que notre conception religieuse du monde est détermi-
née par notre situation infantile », écrit-il, « il ressort avec une évi-
dence particulière que le dieu de chacun est l’image de son père »,
ajoute-t-il. Pour Freud, la relation à Dieu n’est qu’une forme dé-
guisée de la relation aux parents.
«Quand l’enfant, en grandissant, voit qu’il est destiné à rester à jamais un
enfant, qu’il ne pourra jamais se passer de protection contre des puissances
souveraines et inconnues, alors il prête à celles-ci les traits de la figure
paternelle, il se crée des dieux, dont il a peur, qu’il cherche à se rendre propices
et auxquels il attribue cependant la tâche de le protéger. Lorsque plus tard,
l’adulte reconnaît son abandon réel et sa faiblesse devant les grandes forces de
la vie, il se retrouve dans une situation semblable à celle de son enfance et il
cherche alors à démetir cette situation sans espoir en ressuscitant, par la voie de
la régression, les puissances qui protégeaient son enfance. »
195
La Ruse du Dieu unique | Comment les hommes se sont leurrés dans la soumission
Nous avons fini notre petit tour d’horizon. Il nous aura permis de
voir les différentes théories sur ce besoin étrange de croire au ciel,
malgré l’évolution de la science et de nos sociétés. Même si elles
n’expliquent pas entièrement l’attachement de l’homme à Dieu,
nous pouvons comprendre désormais, pourquoi les croyances ré-
sistent et continueront de résister face à toutes les progrès possibles
de la connaissance. Non pas que ces croyances soient vraies ! Elles
sont, au contraire, d’une grande fragilité quand on les examine à
la lumière de notre raison. Leur pouvoir ne vient pas de leur véri-
té, mais de notre nature qui nous incite, parfois, à suivre des opi-
nions non démontrées, à suivre le groupe, ou encore, à éprouver
des émotions floues. Mais le fait de le savoir devrait nous renforcer
dans notre combat contre les illusions religieuses. Nous libérer des
chaînes des croyances néfastes et nous permettre enfin de vivre
nos vies selon les lois exclusivement humaines. La famille appa-
raît comme l’un des terrains où ces croyances s’enracinent, alors
7 Freud, L’Avenir d’une illusion, VI, 1927, trad. Bernard Lortholary, Points, 2011.
196
faisons en sorte de prendre soin de notre propre santé mentale, et
donc, de nos proches, pour ne pas avoir à vivre sous la dépendance
d’un Big Brother.
La naissance du monothéisme
Rien, dans la nature, ne nous oblige à consacrer notre vie à une
divinité. Il y aurait une grave erreur à croire en Dieu simplement
parce que nous y sommes, d’une certaine manière, programmés.
Il y a des croyances qui détruisent un homme, des croyances qui
vous font tourner la tête, et vous rendent malades à n’en plus pou-
voir supporter la vie. La peur d’un dieu qui observe toute votre
vie, pour vous culpabiliser, par exemple. Il est de la plus haute im-
portance d’éviter les croyances de ce type, dont les conséquences
peuvent se révéler dramatique pour notre santé mentale. De ne
pas croiser le chemin de ces religions qui rejettent la faute sur
l’homme et le manipulent pour mieux lui enlever ses forces. Le
monothéisme offre un échantillon varié de ces croyances mo-
no-maniaques. Par sa nature, le monothéisme est fondamentale-
ment différent des autres religions.
197
La Ruse du Dieu unique | Comment les hommes se sont leurrés dans la soumission
198
Fresque représentant Akhénaton, Néfertiti et leurs filles sous Aton, le Dieu-Soleil.
199
La Ruse du Dieu unique | Comment les hommes se sont leurrés dans la soumission
200
Moïse.
201
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202
Léon Bonnat, Job, 1880.
203
La Ruse du Dieu unique | Comment les hommes se sont leurrés dans la soumission
vraie et des religions fausses, entre le Dieu vrai et des faux dieux,
et donc également de se situer du bon côté de la frontière du vrai
et du faux, le régime totalitaire du monothéisme a pu s’imposer.
Il devenait aussi possible de passer un cap en adoptant la pratique
de la conversion. Il s’agissait alors de passer d’une religion fausse
à la religion vraie. Ainsi, on peut voir, dès le début, que le mono-
théisme en tant que doctrine obéit à une motivation bien identi-
fiée : détruire les dieux d’autrui, comme on détruisait les ennemis
du Parti sous le régime stalinien et imposer la sienne au prix de la
conversion forcée.
204
rappelant la présence de dieux concurrents : le cruel Dagan, dieu
des Philistins, ou le terrible Moloch, adoré par les habitants d’Am-
mon, dont la tradition fera une puissance démoniaque.
Le royaume de la Peur
On le voit bien, dès le départ, le monothéisme cherche à rompre
avec le monde d’avant. Il se présente comme iconoclaste et ne res-
pecte plus rien des anciennes croyances. Il représente, en cela, une
petite révolution dans le paysage de Judée. Une révolution vio-
lente et intolérante, dont la mémoire a été conservée dans l’Ancien
Testament. Le dieu des Hébreux, dont le nom est désormais rem-
placé par les trois lettres YHV, s’adresse en personne aux hommes
qui ne veulent plus l’écouter. En son nom, il les menace des pires
représailles s’il leur arrivait de ne plus croire en lui. « Vous n’irez
pas à la suite d’autres dieux, dieux des peuples qui seront autour
de vous, car Yahvé, ton Seigneur, au milieu de toi, est un Dieu ja-
loux. » C’est le début de la peur, comme régime de soumission, qui
205
La Ruse du Dieu unique | Comment les hommes se sont leurrés dans la soumission
Permis de tuer
Plus grave encore, le monothéisme ne s’adapte pas et considère
toute forme de spiritualité étrangère comme une hérésie païenne.
Les anciennes croyances deviennent la cible d’un acharnement ab-
solu. Il faut, à tout prix, détruire les idoles, humilier les anciennes
croyance et, pourquoi pas, ridiculiser les autres dieux. « Leurs
idoles c’est de l’argent et de l’or, se lamente le prophète Isaïe, œuvre
des mains de l’homme, elles ont une bouche et ne parlent pas,
des yeux et ne voient pas, des oreilles et n’entendent pas. » (Isaïe,
psaume 115). Tout est permis, désormais, pour mettre ses congé-
nères sur la voie du droit chemin. La méchanceté, et s’il le faut,
le mensonge. Ainsi le prophète Jérémie n’hésite pas à invoquer
les sacrifices d’enfant pratiqués par les ennemis d’Israël en l’hon-
neur de Baal Ha’amon, aussi surnommé, le « Saturne Africain ».
206
« Ils ont bâti des hauts lieux à Baal, pour brûler leurs enfants au
feu en holocaustes à Baal : ce que je n’avais ni ordonné ni prescrit,
ce qui ne m’était point venu à la pensée », fait-il dire à Dieu dans
le livre des Lamentations. Des sacrifices d’enfants ? Les archéolo-
gues n’en ont jamais retrouvé la moindre trace, du moins, pas à
l’endroit indiqué. Mais rien ne doit être écarté pour convaincre les
fidèles. Pas même les mensonges, comme nous le prouvent encore
aujourd’hui, les « intox » utilisées en Syrie par certains salafistes
pour enrôler leurs combattants.
207
La Ruse du Dieu unique | Comment les hommes se sont leurrés dans la soumission
208
une vieille tradition dans la Bible qui raconte, avec force détails,
les massacres imposés sur des populations voisines qui s’étaient
éloignées de la bonne religion. Avec exagération, très sûrement,
elle fait état de milliers de morts. Dans un livre absolument indis-
pensable, le psychologue australien Steve Wells dénombre 2,8 mil-
lions le nombre de victimes de Dieu dans la Bible, soit bien plus
que le génocide arménien et le génocide rwandais réunis. Parmi
elles, Steve Wells estime que 160 personnages sont directement
tués par Dieu et au moins 2 millions, tués de manière indirecte.
209
La Ruse du Dieu unique | Comment les hommes se sont leurrés dans la soumission
La lettre et l’esprit
Il est intéressant de remarquer que les idéologues des mono-
théismes n’admettent jamais que leurs textes sacrés sont violents
et attribuent tous les actes de violence commis au nom de leurs
textes à leur « mauvaise compréhension ». Nous le voyons bien,
l’intolérance est au cœur de ses textes et de ses représentations. Les
religions en question aiment se décrire comme des « religions du
Livre ». En d’autres mots, des religions de culture et d’interpréta-
tion ne peuvent être que hostiles au désordre et à la violence. Mon
œil ! L’interprétation, c’est commode lorsque l’on veut faire dire
n’importe quoi à un texte ! Les limites de la bêtise sont repous-
sées dans le domaine de l’interprétation religieuse, où toutes les
idioties sont permises du moment qu’elles « respectent » l’esprit du
texte. On pourrait dire que le monothéisme trouve son expression
parfaite dans cette distinction entre la « lettre » et « l’esprit », que
l’on se plaît à tordre dans tous les sens. Surtout lorsque la « lettre »
en question nous permet de commettre des horreurs en son nom,
comme jeter des homosexuels du haut des immeubles, mettre des
bombes dans des avions, ou couper les cheveux d’une jeune fille
pour avoir perdu sa virginité...
« Lapide les idolâtres […] quand ce serait ton frère, ton fils et la
femme qui dort sur ton sein », ordonne, par exemple, un passage
de l’Ancien Testament. Comment voulez-vous interpréter cette
phrase autrement que par ce qu’elle nous dit ? On peut difficile-
ment être plus clair. Les croyants auront beau se frotter les yeux et
210
faire semblant de ne pas avoir bien lu. Mais, si ! Le texte les incite
bien à jeter des pierres sur les membres de leur propre famille ! Au
cas où ils n’auraient pas compris, des fanatiques leur préciseront
comment s’y prendre et comment perfectionner leur technique
de lancer. Sur les plateaux de télé française, on dit que ce ne sont
pas de « vrais musulmans » qui détruisent Palmyre et coupent la
tête aux journalistes. Une lecture littérale des textes religieux peut
conduire à la violence, prétend-t-on, mais en aucun cas une pra-
tique sérieuse des textes. Mais, pour un croyant, comment faire
abstraction de ces pages tout à fait claires qui appellent au meurtre
dans la Bible ou le Coran ? Jusque lors, aucun mouvement pro-
gressiste à l’intérieur des religions monothéistes n’a abrogé de fa-
çon nette et précise ces commandements depuis leur origine. Ils
restent, jusqu’à un nouvel ordre, la règle pour ceux qui voudraient
suivre, à la lettre, la parole de Dieu.
211
La Ruse du Dieu unique | Comment les hommes se sont leurrés dans la soumission
Dans le monde de l’époque, ce qui est bon, c’est tout ce qui af-
firme la vie, tout ce qui la favorise. Bref, tout ce qui caractérise
les maîtres. Les esclaves, en revanche, ne sont pas des créateurs
de valeurs à partir d’eux-mêmes. Leur morale se définit par rap-
port aux maîtres, et transforme leurs valeurs en valeurs négatives.
Aussi Nietzsche accuse-t-il les prêtres d’avoir agi comme des
« faux-monnayeurs ». Et pour cause, dans leur système, la lâcheté
devient patience, la soumission, de l’obéissance et l’impuissance,
de la bonté. De tous les points de vue, ce renversement des valeurs
consacre la faiblesse d‘un peuple impuissant et prépare le terrain
à l’arrivée du christianisme sur laquelle il faut désormais nous ar-
rêter un moment.
212
a réussi à se faire passer pour le Messie qu’attendaient ses compa-
triotes dans une période troublée par la domination des Romains.
Depuis 63 après J.C., la Judée est envahie par les légions de Pom-
pée, la Palestine est une province romaine. Dans ce contexte, Jésus
a su donner espoir à des Juifs qui pensaient avoir été abandonnés
en leur confiant la mission d’aimer leur prochains, sans éprouver
de haine à l’encontre de Rome.
213
La Ruse du Dieu unique | Comment les hommes se sont leurrés dans la soumission
214
Dans le christianisme, l’homme devient véritablement un ani-
mal historique. Cette idée devait être bien étrangère aux sociétés
traditionnelles dans lesquelles les hommes sont ce qu’ils sont et
ne peuvent changer de destin. Le temps est venu, pour eux, de
se mettre au travail. Aux hommes, désormais, de conquérir leur
place « sous le soleil », comme le dit l’Ecclésiaste, de « gagner leur
pain à la sueur de leur front ». Ce qui sera répété, page après page,
dans les textes des Psaumes.
« Tu te nourriras du travail de tes mains : Heureux es-tu ! À toi, le bonheur !
Ta femme sera dans ta maison comme une vigne généreuse, et tes fils, autour de
la table, comme des plants d’olivier. Voilà comment sera béni l’homme
qui craint le Seigneur. »
Des propos qui seront repris plus tard pour justifier le rôle
destructeur de l’homme dans la création. Dans les sociétés mo-
nothéistes, les hommes et les femmes doivent s’élever sur le plan
moral et ensuite, sur celui de la maîtrise de la nature avec le pro-
grès technique, pour la plus « grande gloire de Dieu ». Ils doivent
donc travailler comme des esclaves de leur Maître et Créateur sans
215
La Ruse du Dieu unique | Comment les hommes se sont leurrés dans la soumission
216
se poser de questions. Ils doivent aussi progresser dans les Textes,
par une rumination quotidienne des Évangiles… Triste vie.
Une vie spirituelle illusoire qui s’interdit de créer ses propres va-
leurs, perdues à ruminer de vieux textes avec leurs vérités soi-di-
sant éternelles. L’existence même de ces textes sacrés rend déri-
soires tous les autres livres, détruit la culture et rend impossible
le véritable progrès humain : celui qui croit n’en a aucun besoin.
La mécanique du péché
Or si l’homme doit s’améliorer moralement, cela signifie que
l’éthique n’est plus suffisante et que doit s’opérer une mutation des
mentalités vers une morale du commandement. Comme l’a bien
montré Michel Foucault, l’image du berger avec son troupeau
exprime à merveille la relation de Dieu avec son peuple dans le
christianisme. L’Éternel se comporte avec ses fidèles comme un
pasteur auprès de ses bêtes. En prenant soin de chacune, il veille
à ce que ses brebis ne manquent de rien. « Déchargez-vous sur lui
de tous vos soucis, car il prend soin de vous », écrit Pierre dans
l’une de ses Épîtres. L’image du berger est à l’origine de toute la
morale chrétienne, celle de la surveillance de soi et de la mauvaise
conscience. En effet, si Dieu est derrière chacun des mouvements
de ses moutons, la liberté devient une valeur fictive. Dieu connaît
à l’avance leur destin, ce qu’ils font, et ce qu’ils désirent en secret.
On ne peut rien lui cacher, ni lui mentir, car le « Seigneur entend
ceux qui l’appellent », commentent les Psaumes.
217
La Ruse du Dieu unique | Comment les hommes se sont leurrés dans la soumission
218
Pour cela, une seule voie, suivre la religion chrétienne, qui se dé-
clare la source unique de la rédemption du péché et de la faute de
l’homme face à Dieu.
Par là, tout le vivant et toutes les valeurs matérielles perdent leur
importance et, un jour, la mort finit par prendre la place de la vie.
Or, il ne faut pas croire que le monothéisme salue tout ce qui est
spirituel. Le contraire est plutôt vrai : il refuse à l’homme le droit
d’avoir une vie spirituelle purement humaine — la seule véritable
vie spirituelle, selon le monothéisme, est la vie qui est entièrement
consacrée à la vénération de Dieu et à l’étude des lois qu’il a édic-
tées. Voilà comment la machine psychologique du christianisme
opère sur les fidèles. À partir du moment où l’on met un pied dans
cette mécanique, elle se referme comme un piège sur vous, elle ne
vous laisse plus respirer.
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pouvait-on ne pas être Grec, ou juif, dans un contexte où l’appar-
tenance à la cité se définissait avant tout par la ville et par l’ethnie ?
Dans cette formule, le prosélytisme catholique venait de trouver
son arme fatale, la conversion considérée comme « humanisme ».
Ce déracinement prétendument « humaniste », nous en souffrons
encore à ce jour…
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Le christianisme va développer plusieurs techniques pour em-
pêcher de penser par soi-même. Ce qui montre, d’ailleurs, dès le
départ, qu’il s’intéresse bien plus à ce qui se passe dans le cœur de
ses fidèles qu’à ce qui se trouve réellement aux cieux. La confes-
sion, et l’examen de conscience, marquent un tournant dans l’his-
toire occidentale. Ces pratiques sont apparues à la fin de l’Antiqui-
té dans les cercles religieux. Même si elles existaient déjà au sein
de plusieurs sectes philosophiques, comme les pythagoriciens, la
confession n’avait encore rien d’un exercice « spirituel ». Ce qui
est certain, c’est que le christianisme va généraliser son usage à
tous les croyants. Difficile de savoir, en l’occurrence, si nous avons
affaire, ici, à outil de pouvoir ou à une pratique authentiquement
spirituelle. Car si Dieu sait tout, à quoi bon lui avouer ses péchés ?
L’Église ne s’embarrasse pas de ces contradictions, aussi évidentes
soient-elles. Peu importe, donc !
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demeure identique à ce qu’il a toujours été, à savoir une terrible
machine de guerre contre les « infidèles ». Une morale, plus mor-
telle que la mort, et plus vénéneuse que le pire des poisons.
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La Ruse du Dieu unique | Comment les hommes se sont leurrés dans la soumission
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seule source de l’inspiration et la fin ultime de l’existence semble se
trouver dans la vie terrestre, dans cette réalité même dans laquelle
vit l’homme et dont il essaie de tirer le maximum de plaisirs, par-
ticulièrement ceux charnels. Avoir non pas « là-bas et demain »
(autrement dit, jamais), mais « ici et maintenant ». Où tout tourne
autour des intérêts de l’homme, et de l’homme uniquement.
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peu, pour découvrir d’autres cultures, d’autres idées, j’accepte ce
risque avec joie.
L’ingénieur et le chamane
En ce qui me concerne, j’ai eu la chance, une fois, de rencontrer
en personnes l’un de ces chamanes. Non pas ces chamanes « New
Age », dont s’inspirent les spiritualités américaines. Non, un sor-
cier traditionnel, un chamane de Sibérie. Il n’est pas donné à tout
le monde de consulter l’un de ces hommes à l’existence discrète
et souvent rurale. J’occupais à l’époque un poste de sénateur en
Russie, quand il me fut proposé de rencontrer l’un de ces böös,
comme on les appelle en Bouriatie. Les böös sont des personnages
très respectés dans la région du lac Baïkal, au sud de la Sibérie. On
ne le sait peut-être pas, mais la région compte au moins deux cents
chamanes actifs autour du lac. Ces-derniers y possèdent même
leurs associations à Irkoutsk, Chita et Oulan-Oudé, pour lutter
contre les « faux chamans ». Le culte chamanique est l’une des re-
ligions officielles de cette régions avec le bouddhisme et l’Église
orthodoxe. Les transes sibériennes y restent une tradition locale.
On s’y rend lorsque l’un de ses enfants ne grandit pas assez vite, on
s’y asperge de vodka avant de partir en voyage, ou pour ramener
un mari infidèle à la maison. Bref, dans tous les événements im-
portants de la vie, le chamane est là pour accompagner la famille.
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La Ruse du Dieu unique | Comment les hommes se sont leurrés dans la soumission
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nature. L’homme respecte le cosmos en se reconnaissant comme
partie intégrante. De ce point de vue, la visite chez le chamane ne
m’avait pas fait perdre mon temps : la séance avait le pouvoir de
vous inspirer une pensée très simple : « Tu es un géant, tu peux. »
Comme le moine bouddhiste, qui sait que les repas offerts à son
dieu ne seront pas mangés et qu’il lui faudra retirer les offrandes
une fois que les aliments auront pourri, le chamane a conscience
que la magie ne peut pas tout, mais il n’en croit pas moins aux es-
prits de la forêt. La croyance offre toujours deux niveaux, l’un re-
levant du savoir, et l’autre, du croire. Mais il me semble qu’elle ne
s’articule pas de la même manière dans les croyances polythéistes,
où le jeu de l’incertitude, fait aussi partie de l’expérience spirituelle.
Le monde du rêve, par exemple, est un endroit où les forces de la
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La Ruse du Dieu unique | Comment les hommes se sont leurrés dans la soumission
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nature peuvent s’adresser au chamane. Et quelle différence, dans le
fond, entre croire à l’inconscient, et croire que les esprits, ces mes-
sagers nocturnes, peuvent nous parler pendant notre sommeil ?
De même qu’on peut savoir que les dieux ne mangeront pas les of-
frandes, et croire sincèrement que ces offrandes leur ont fait plaisir,
on peut savoir que les rêves sont des illusions, et croire qu’ils nous
révèlent des vérités sur nous. Des petits arrangements sont tou-
jours possibles entre les dieux et les hommes. D’ailleurs, il nous ar-
rive à tous d’être un peu animistes. La mémé qui parle à son chien,
au parc, n’est pas plus folle que le chamane lorsqu’il pense entrer en
communication avec les esprits.
L’autre vérité
C’est vrai, les chamanes ne demandent pas aux hommes chan-
ger leur nature, ils ne réprimandent pas les femmes qui trompent
leur mari, ni l’alcoolique épris de la divine bouteille. En un mot,
ils acceptent l’homme tel qu’il est, et non pas tel qu’il aurait dû
être. Bref, les chamanes, les druides, et les prêtres des mytholo-
gies slaves incarnent tout le contraire de ce que le monothéisme
représente, à savoir, une force de transformation des masses, une
idéologie de troupeau, une planche étroite aux idées conformistes.
Ainsi, on comprend mieux l’attitude négative des religions abra-
hamiques envers la magie qui, en contournant Dieu, cherche à
renforcer l’homme et augmenter sa puissance. La magie a toujours
été, dans ces religions, un repoussoir nocturne et inquiétant, car
menaçant toujours de révéler une autre vérité. Et quelle réponse
pouvait bien apporter l’Église à ce vent de liberté ? La chasse aux
sorcières, évidemment ! « Tu ne laisseras point vivre la magi-
cienne », lisait-on déjà dans l’Exode (22:17) ; qu’à cela ne tienne,
les magiciennes seront poursuivies et brûlées en place publique
dans toute l’Europe. Entre et 1400 et 1782, on estime que 50 à
100 000 femmes ont ainsi été mises au bûcher, ou soumises à des
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Lucas Cranach, L’âge d’or, 1530.
Lorsque les hommes ne savaient rien des préceptes d’un Dieu unique,
ils menaient une vie très agréable.
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quotidienne sont empreints de religiosité : quand vous mangez,
quand vous voyagez, à chaque occasion de la vie, votre conduite
est marquée par la présence d’un univers divin auquel vous de-
vez vous conformer. Mais il n’existe pas une sphère religieuse qui
doive impérativement modeler les certitudes », explique l’histo-
rien Jean-Pierre Vernant. Ce que confirme, pour Rome, l’historien
de l’Antiquité, Paul Veyne : « En passant devant la statue de Diane,
la chasseresse, il existait une sorte d’habitude : si l’on voulait avoir
une fille aussi belle, on lui envoyait un baiser avec les doigts,
et éventuellement, quelques offrandes par la suite. » Les religions
grecques, ou romaines, ne donnaient pas une ligne de conduite à
suivre dans l’absolu. La morale appartenait à la philosophie, et il
revenait à la politique, ensuite, de la faire exister dans les actes de
la vie quotidienne.
Il faut rappeler que les grands empires (tels que celui d’Alexandre
et surtout l’Empire romain) ont fait figure de gigantesques carre-
fours religieux où se sont croisés des spiritualités très différentes.
Ainsi, les religions orientales se sont mêlées progressivement aux
anciennes traditions occidentales et ont modifié en profondeur le
rapport au divin. Ceci n’aurait jamais été possible si les religions
indo-européennes et leurs mythologies avaient eu des principes
exclusifs et intolérants envers la nouveauté. Ces quelques facteurs
permettent déjà de souligner le caractère d’adaptation propre au
polythéisme, facilité par le fait qu’il n’y a pas de révélation, donc
pas de message vertical adressé par Dieu aux hommes, et pas d’or-
thodoxie à respecter. Les récits dont descendent les mythes se ra-
content d’une génération à la suivante de manière orale, en « bri-
colant » comme disent les ethnologues. Au fil du temps, le récit
change, se transforme et s’adapte, même si les grandes lignes sont
conservées. L’oralité joue un grand rôle dans l’évolution des tradi-
tions anciennes. Ajoutons, encore, l’absence de clergé et d’autorité
religieuse qui laisse une grande liberté au croyant d’interpréter le
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La Ruse du Dieu unique | Comment les hommes se sont leurrés dans la soumission
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droit de vivre leur frigidité en paix ; quant aux femmes, il ne fallait
pas condamner leur libido mais les inviter à l’utiliser pour mani-
puler les hommes et rétablir l’égalité entre les sexes. Plus besoin de
condamner l’égoïsme, ou le sexe, nous avions tous besoin de croire
en nous-mêmes et de nous adorer pour ce que nous étions en uti-
lisant cette énergie, jadis dépensée en prières, pour la création de
nouvelles valeurs. Tout devenait ainsi plus clair : la fête principale
pour l’homme était son anniversaire, et son malheur suprême – sa
mort. Le reste ne concernait pas l’homme diable créé par le dia-
bolique Anton LaVey, pourfendeur des religions, provocateur de
génie, mais surtout, libre de tout préjugé.
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Savoir que le monde n’est pas là pour nous faire plaisir, qu’il n’a
aucune explication à nous donner, et en éprouver tout de même de
la joie, telle pourrait être la leçon de ce détour par le polythéisme.
C’est ce sentiment que je tenais à vous faire toucher, ici, cette joie
de n’appartenir à aucun maître. Je ne veux obliger personne à de-
venir chamane, je préfère laisser à chacun le soin de trouver ses
propres valeurs. En ce qui me concerne, je retiendrais seulement
la leçon de tolérance que nous donnent les religions polythéistes :
il ne sert à rien de limiter les désirs de l’homme pour le rendre
croyant.
Il resterait encore une autre voie à explorer. Une voie qui per-
mette de concilier les avantages de toutes les religions à la fois.
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La Ruse du Dieu unique | Comment les hommes se sont leurrés dans la soumission
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leurs chagrins ; des interprétations plus originales de leurs rêves
et des routines à suivre pour retrouver la forme, grâce aux sor-
cières d’Instagram, qui sait ? Je dis que ces croyances sont bonnes,
même si elles ne sont pas toutes efficaces, du moment qu’elles nous
donnent la force. Et si c’est le cas, bien que ce mot m’arrache la
bouche, amen.
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CHIMERÈS DU
MONOTHÈISME
SONT UN CANCER
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Extrait Illusions dangereuses
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certaine étape de développement de la tumeur a été franchie, elles
détruisent les organes sains comme elles ont détruit auparavant
les tissus où elles ont été engendrées. De même, les chimères re-
ligieuses pénètrent tous les aspects de l’existence humaine, sont
présentes à tous les niveaux de la société et migrent d’un pays à
l’autre. C’est ce qui s’est produit par le passé avec le prosélytisme
religieux (ou le prosélytisme politique, qui est de nature sem-
blable), les exemples abondent ne serait-ce qu’au xxe siècle, et cela
se produit encore de nos jours.
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La Ruse du Dieu unique | Comment les hommes se sont leurrés dans la soumission
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L’une des chimères les plus fréquentes réside par exemple dans le
fait de jurer à quelqu’un qu’on l’aimera jusqu’à ce que la mort nous
en sépare – serment en apparence assez innocent, et que certains
d’entre nous ont d’ailleurs répété à plusieurs personnes –, et ce
type de promesse finit bien souvent par donner lieu à des utopies,
comme celle de vouloir construire le paradis sur Terre.
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Mon rejet du monothéisme tient d’abord au fait qu’il ait marqué
un point d’inflexion magistral dans l’histoire de l’humanité et qu’il
ait fini par apporter aux hommes plus de mal que de bien. Les doc-
trines monothéistes ont considérablement freiné les progrès de la
civilisation, et, quels qu’aient été leurs efforts durant des siècles,
elles n’ont au bout du compte pas réussi à rendre les hommes plus
heureux, bien au contraire.
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LE FANTÔME
DE LA MORALE
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Egon Schiele, Femme debout en rouge,1913
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Je dois dire que l’idée d’une telle société moralisatrice m’a tou-
jours effrayé. Comment supporter que des moralisateurs puissent
lyncher un homme sur la place publique pour avoir caché l’exis-
tence de sa maîtresse ? Il est temps de réagir face à ce que l’on
pourrait appeler le retour de l’ordre moral. Car ce n’est pas la pre-
mière fois qu’un homme est attaqué pour des affaires touchant à
sa vie privée. Il m’arrive de repenser à ce que le grand champion
de golf Tiger Woods, qui a changé la vie des milliers de jeunes
Américains, a dû endurer en 2009, lorsque la liste de ses liaisons
avec plusieurs femmes — dont une mannequin, une serveuse et
une pin-up de magazine — a été révélée dans la presse. Je me sou-
viens encore de la folie qui s’empara alors des États-Unis. Pendant
quelques mois, le golfeur a été montré du doigt par l’Amérique tout
entière, et tout cela, simplement pour avoir trompé sa femme —
comme si, lui, le père de famille idéal, le sportif modèle, n’avait pas
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le droit de s’évader un peu d’une vie conjugale plate, ennuyeuse et,
somme toute, misérable !
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Tous les peuples ont possédé des règles semblables ayant pour
objectif de préserver leur existence face aux menaces extérieures.
Et il n’est pas dans mon propos de dire qu’ils n’en auraient pas be-
soin. Je ne suis pas naïf.
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Pour vous présenter plus en détail mes réflexions, mes in-
fluences et les nombreuses raisons qui font que je suis contre le
climat « moralisateur » de nos sociétés occidentales, j’ai donc ré-
digé ce tract. Je m’interroge sur l’origine et les manifestations de
cette pression diffuse, en augmentation constante, qui pointe les
comportements et les pensées des individus.
Alors que Dieu ou tout autre absolu ne devrait plus avoir d’auto-
rité sur le mode de vie des Occidentaux, je constate néanmoins, et
paradoxalement, le retour d’une morale qui contraint. Mélangeant
idéologie et conformisme moral, ce néo-puritanisme a déclaré la
guerre à la liberté d’expression, à la diversité d’opinion et à l’éman-
cipation sexuelle.
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La Ruse du Dieu unique | Comment les hommes se sont leurrés dans la soumission
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Sur ce point, toute l’entreprise philosophique de Nietzsche est
de déterminer quelles sont les origines extra-morales de la mo-
rale — ou des morales existantes historiquement.
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La Ruse du Dieu unique | Comment les hommes se sont leurrés dans la soumission
In fine c’est la vie elle-même qui est affaiblie, niée dans sa ri-
chesse, sa puissance. Pour Nietzsche, voilà ce qui est proprement
immoral : évaluer la vie, la critiquer et la soumettre à un jugement
catégorique, voire à la répression d’une interprétation unique.
262
individuelle et ses valeurs à un devoir non fondé. C’est mutiler sa
propre nature, renoncer à ses potentialités, brider son élan de vie,
son énergie, sa force, nier le mouvement même de la vie et couper
l’homme de lui-même ! Voilà ce que donne cette morale superfi-
cielle et mortifère que blâme Nietzsche.
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La Ruse du Dieu unique | Comment les hommes se sont leurrés dans la soumission
Ainsi, les Européens ont pris la vérité pour une valeur qui va,
pour ainsi dire, de soi, et qu’il est inutile de remettre en cause. La
vérité — la première des valeurs — est un bien en soi ; à l’inverse
le mensonge est un mal. Mais vérité et mensonge ne sont que des
constructions de la morale, des tentatives pour réduire la vie à un
objet de connaissance précis que l’on peut maîtriser.
Dans tous ces cas, ce sont des interprétations qui dominent tout
en se cachant derrière le masque de la vérité. La morale est tou-
jours pour lui une arme de guerre, un instrument de domination
dans les mains de ceux qui l’agitent pour s’imposer : d’abord les
prêtres (qui s’imposent aux êtres serviles en réduisant la vie à la
morale), ensuite les philosophes (qui s’imposent aux ignorants en
réduisant la vie à un objet de connaissance). L’articulation entre
bien moral et vérité pourrait se résumer en une seule formule :
c’est en cherchant la vérité que l’on fait le bien. Or Nietzsche com-
prend que c’est en cherchant la vérité, ou pire, en prétendant la
détenir, que l’on se détourne de la vie. Comprenons bien que
Nietzsche ne conteste pas que certaines choses soient vraies mais
il refuse qu’une interprétation se présente comme la vérité à l’ex-
clusion de toutes les autres interprétations. Or tel est bien notre
problème, c’est-à-dire une morale qui se présente comme la vérité
alors qu’elle n’est qu’une interprétation.
264
en sonder le fond. Pour Nietzsche, il n’est plus question ici de se
demander, de manière assez classique, si la vérité existe, ni même
de la chercher, mais de se demander d’où vient le besoin que nous
en avons. Pourquoi avons-nous besoin d’une quelconque véri-
té ? Et pourquoi nous est-il si naturel de croire que la vérité est
nécessaire à la vie ? Il faut garder à l’esprit que Nietzsche se voit,
comme d’autres avant lui d’ailleurs, comme un philosophe méde-
cin : il cherche à comprendre d’où vient le mal dont souffrent ses
contemporains et qu’il appelle « nihilisme ». Ici, le nihilisme est
l’entreprise de négation de la vie.
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La Ruse du Dieu unique | Comment les hommes se sont leurrés dans la soumission
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Elle se transforme en tribunal populaire. Sous couvert de vé-
rité, la vie sociale est tyrannisée par la foule, c’est-à-dire une ma-
jorité d’individus aveuglés par la même passion de la vérité et du
moralement convenable. Un individu peut ainsi se faire exclure
quand il tient un discours différent de la morale collective, ou se
faire acclamer comme un héros quand il reprend à son compte
le discours dominant. La soumission des opinions minoritaires
n’est pas légale mais sociale, mondaine. Il peut y avoir ainsi des
délits de penser qui, même s’ils ne sont pas prévus par le droit,
existent réellement au sein de la société, sur les réseaux sociaux
d’aujourd’hui par exemple. La conséquence est non seulement fu-
neste à la liberté des opinions, et donc à la démocratie, mais sur-
tout à la vie sociale elle-même. Pourquoi ?
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La Ruse du Dieu unique | Comment les hommes se sont leurrés dans la soumission
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et de la morale chrétienne. Ils ouvrent la voie à un puritanisme
moderne, que l’on retrouve aujourd’hui dans les prises de position
d’une gauche progressiste prétendant défendre la veuve et l’orphe-
lin et lutter noblement contre le fascisme et le racisme.
Son origine remonte dans les années 1960 au sein des grandes
universités américaines. À cette époque, le débat aux États-Unis
portait sur l’adoption des droits civils pour les personnes noires.
La violence des manifestations a alors vite débouché sur des prises
de position de plus en plus radicales, ce qui provoqua une mora-
lisation toujours plus grande du discours politique. En clair, les
Blancs ont été présentés comme racistes et ségrégationnistes, par
opposition aux Noirs, vus comme des victimes innocentes de l’hé-
ritage de la colonisation, de l’esclavage et du racisme. Mais loin de
clarifier le bien-fondé des revendications des minorités, cette sim-
plification à l’extrême du débat sociétal et politique, n’a eu pour
conséquence que d’augmenter les tensions entre les tenants de la
nouvelle bien-pensance et les partisans d’une vision plus tradi-
tionnelle de la société américaine.
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La Ruse du Dieu unique | Comment les hommes se sont leurrés dans la soumission
Telle est la vision angélique mais lâche de la belle âme : elle mo-
ralise et condamne le monde et en même temps se tient à l’écart
du monde comme un spectateur. Cette attitude hypocrite n’est pas
de nature morale, prévient Hegel. Elle est, au contraire, immorale
270
car contraire à la loyauté d’un homme d’honneur et d’action qui
incarne les valeurs auxquelles il croit. Plutôt que d’agir et de s’en-
gager, la belle âme se satisfait de la grandeur et de la pureté de ses
bons sentiments. Il ne faudrait surtout pas se compromettre dans
l’action, se risquer à faire des erreurs et à se heurter à l’épaisseur
de la réalité !
La bien-pensance au pouvoir
Comme nous avons vu, la morale sociale bien-pensante et do-
minante, incarnée jadis par la morale chrétienne, est aujourd’hui
ce que l’on appelle la morale progressiste. Elle domine l’Europe et
plus largement le monde occidental. La caractéristique dominante
de cette morale et aussi ce qui fait sa force et sa dangerosité, c’est
qu’elle a le sentiment d’être habitée par une mission quasi prophé-
tique, qu’elle se croit en somme dépositaire attitré d’une certaine
idée du Bien. Autrement dit gardienne de la morale légitime et en
un certain sens détentrice de la vérité absolue.
Une telle pensée, ou plutôt une telle croyance, est une véri-
table arme de guerre au sens où elle se sent toujours dans son bon
droit quand il s’agit de disqualifier et discréditer toutes formes de
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elle réhabilite l’idée de faute ou de péché par pensée, par parole,
par action, voire par omission.
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opprimées, y compris si au contraire, les pouvoirs combattus ont
pris le relais de la parole progressiste. Car le plus extravagant dans
tout cela, est que la morale s’emporte alors qu’en face, pourtant, le
pouvoir politique lui est tout acquis. Le bien-pensant peut alors
contester l’autorité en se faisant passer pour un rebelle, voire un
héros, alors que tout le monde est d’accord avec lui, à commencer
par l’autorité publique elle-même ! Le moraliste moderne ne fait
que reconduire l’opinion commune, sans risque et sans danger,
mais en en retirant de la gloire. Il fait régner de manière tyran-
nique, à son niveau individuel, la loi morale, qui est la loi de l’opi-
nion publique, tout en se vivant lui-même comme un révolution-
naire, ce qui le rend d’autant plus ridicule.
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La Ruse du Dieu unique | Comment les hommes se sont leurrés dans la soumission
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Par principe, il est difficile de définir une « morale naturelle »
car cela reviendrait à isoler une nature que nous ne pouvons
connaître. Mais nous pouvons essayer d’envisager quels éléments
a priori, c’est-à-dire universels et nécessaires, peuvent constituer
une morale avant toute historicité, avant toute entrée dans l’His-
toire, et donc avant tout repères liés à un espace culturel.
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Dans ce contexte, une seule obligation peut s’imposer à lui, au
regard de l’amour de soi, c’est le respect de ses propres enfants.
En clair, il existe un tabou primordial : l’inceste, lequel consti-
tue l’unique forme de morale, mais cela pour des raisons qui
consistent à respecter l’humanité elle-même. L’apparition des
grandes catégories morales en termes de Bien et de Mal est une
question d’une complexité extrême à laquelle il m’est impossible
de répondre clairement. Du moins, il apparaît qu’elles ne peuvent
être le produit d’un rapport direct de l’homme à la nature, tel que
nous l’avons explicité à la lumière de Rousseau. Ou pour le dire en
ces termes : Bien et Mal ne peuvent apparaître autrement que sous
l’effet d’un bouleversement dans le rapport de l’homme avec la na-
ture, ou encore dans sa manière de vivre et d’accepter sa propre
nature. L’effet de la socialisation pour Rousseau aurait pu avoir de
telles conséquences.
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La Ruse du Dieu unique | Comment les hommes se sont leurrés dans la soumission
Le son que nous renvoient les statues que sont les valeurs est
sourd, creux et sans consistance. C’est en cela qu’une morale des
valeurs absolues est toujours illusoire et mensongère. Bref, par
contraste, on saisit qu’une morale naturelle s’attache à assumer
que la vie soit sans pourquoi, sans explication, sans justification.
Il s’agit de renoncer à l’absolu pour mieux saisir ce qui est dans le
mouvement même du monde. Sans quoi le risque est de sombrer
dans le fanatisme de ceux qui pensent détenir une vérité définitive.
La réunification du monde
À partir du moment où un tel rapport au monde est imaginable
et que le Bien en soi est contesté, il s’ensuit une remise en cause
du dualisme. En clair, le monde ne trouve pas sa justification dans
une réalité supérieure, un monde au-delà du monde sensible. Ce
dualisme a forgé pourtant l’essentiel de notre compréhension du
réel depuis Platon et son monde intelligible jusqu’à l’avènement
du judéo-christianisme. Car voir le monde sous l’angle d’un Bien
idéal, par opposition à un Mal, a permis de dissocier deux réalités
(sensible-intelligible) dont l’une n’est que transitoire, imparfaite, et
l’autre un horizon indépassable.
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lui-même, pas d’autre horizon que ses propres limites, pas d’autre
finalité que sa propre mort.
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arrachement à leur passé et un saut vers l’avenir, considéré comme
une permanente recherche de progrès. Or qu’est-ce qui est le plus
juste aux yeux des sociétés traditionnelles ? Et en ce sens qu’est-ce
qui fait autorité ? Que chacun soit à sa place, celle qui lui revient
par nature. Et non seulement que chacun l’accepte mais qu’en plus,
chacun y excelle. Exceller à la place qui est la sienne, voilà le vrai
visage d’une société juste pour les Anciens.
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la nature. Par conséquent le désir de l’homme n’est rien d’autre que
l’expression de la nature, il est donc amoral — c’est-à-dire hors de
toute morale, ni bon ni mauvais en soi.
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La Ruse du Dieu unique | Comment les hommes se sont leurrés dans la soumission
Par conséquent, le désir n’est pas non plus la marque d’un esprit
malfaisant. Les valeurs absolues peuvent donc être renvoyées à la
superstition. Le Bien véritable n’est pas une valeur mais consiste
simplement pour l’homme à reconnaître sa nature comme néces-
saire et de savoir se réjouir de ce qu’elle est.
286
Le dernier homme est représenté comme l’antipode du surhu-
main : il y a une sorte de choix à faire ici, avec la différence que le
surhomme, il faut le vouloir, alors que le dernier homme c’est une
pente — il se fait tout seul. La passivité s’installe dans nos vies sans
que nous nous en rendions compte. On n’a pas besoin de dévaler
la pente à toute vitesse : on glisse tout doucement, mais sûrement,
vers le néant (le néant de pensée, de culture, etc.). Cette pente, ce
déclin, se fait tout doucement et ne nécessite pas vraiment de ré-
sistance : c’est pourquoi Nietzsche dit qu’il faut résister activement
pour ne pas sombrer.
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pasdéplorer que le monde ne soit pas idéal, mais l’aimer tel qu’il
est. Il faut accepter son propre désir sans le refouler par une mo-
rale d’obligations. Et enfin, il faut aller jusqu’au bout de sa propre
nature, c’est-à-dire de sa puissance, sans chercher à être ce qu’on
n’est pas.
Le dionysiaque est une notion que Nietzsche définit dès les pre-
miers paragraphes de son premier livre La Naissance de la tragé-
die, et qu’il oppose à l’apollinien. Dionysiaque et apollinien for-
ment un couple et sont deux manières d’aborder et de comprendre
la vie. L’apollinien, c’est la représentation claire et rationnelle du
monde, ce qui est rassurant. L’apollinien nous permet d’organiser
notre vie et d’apaiser notre angoisse face à la violence du monde.
Le dionysiaque, c’est la part du désir irrationnel, Nietzsche dit la
puissance, qui est la nôtre et qui déborde toujours la raison et le
principe apaisant de l’apollinien.
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La Ruse du Dieu unique | Comment les hommes se sont leurrés dans la soumission
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face à ceux qui veulent faire taire le fort. « Hommes supérieurs,
apprenez donc à rire ! », tel est l’enseignement du Zarathoustra.
De ce point de vue, les possibilités pour se moquer de la morale
du gauchisme, la tourner en dérision, en faire ressortir l’absurdité,
sont infinies.
Qu’est-ce que cela signifie pour nous, pour notre vie ? Vous ai-
mez vraiment votre maîtresse ? N’ayez pas honte de l’inviter à dî-
ner avec les plus « fidèles » de vos amis, ceux qui sont en ménage,
et n’ont jamais été voir ailleurs. La vie est courte, et il faut savoir
l’aimer avec ses risques pour retrouver le sens authentique du dio-
nysiaque, et respecter ses propres désirs. Aller jusqu’au bout de sa
propre nature, de cette ivresse qui rend l’existence et les passions
dignes d’être vécues. En un mot, la prochaine fois que vous rece-
vrez une invitation pour une partie fine, n’y allez pas seul. Emme-
nez votre maîtresse !
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La Ruse du Dieu unique | Comment les hommes se sont leurrés dans la soumission
ÉPILOGUE
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Je voudrais conclure ce livre par quelques remarques.
*
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La principale question de ce livre est la suivante : en quoi est-il rai-
sonnable de croire ? Sachant que la majeure partie des êtres humains
est sans cesse préoccupée par ses affaires quotidiennes et manque
cruellement de temps, j’ai pensé qu’il m’était peut-être possible de les
aider à y voir plus clair dans leurs propres croyances fondamentales,
et d’en faire le tri. Un peu à la manière de ce que Matthieu recom-
mande dans l’Évangile, il s’est agi, pour moi, de chercher à séparer le
bon grain de l’ivraie (13 : 24-43) : les Évangiles et moi poursuivons
le même objectif, mais procédons différemment.
L’Évangile prétend que le bon grain est celui qui est semé par
Dieu et qu’il se trouve en dehors des hommes, tandis que l’ivraie
rassemblerait les péchés et les fausses doctrines propres aux
hommes et créés par le Diable. Selon moi, c’est l’inverse. Le bon
grain doit renvoyer à la nature biologique des êtres humains,
à ce qui constitue son héritage résultant des nombreux siècles de
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La Ruse du Dieu unique | Comment les hommes se sont leurrés dans la soumission
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Je m’inquiète tout particulièrement pour nos enfants. Les psy-
chanalystes, dont les œuvres sont tout aussi importantes que les
Écritures saintes, ont démontré à l’humanité que l’enfance était
une matrice de la personnalité et un miroir de notre nature. Le
plus grand crime des monothéismes est l’endoctrinement des en-
fants. Les monothéismes œuvrent insidieusement pour détruire
leur esprit critique, pourtant si naturel : en effet, qui n’a jamais
constaté que les enfants sont bien plus sensibles et plus pers-
picaces que les adultes ? Qu’ils posent souvent des questions
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« inconvenantes » ou dérangeantes, et qu’ils sont les mieux à
même de donner naissance à des idées de génie ?
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La Ruse du Dieu unique | Comment les hommes se sont leurrés dans la soumission
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Bien qu’elles soient instillées dès l’enfance dans nos esprits, les
chimères n’ont rien d’un jeu enfantin. Si elles jouent à un jeu, ce jeu
n’a rien d’enfantin : c’est à un jeu de dupes avec notre esprit qu’elles
s’adonnent. Autrement dit, les chimères ne jouent pas avec nous :
elles se jouent de nous. Et évidemment, ce jeu est extrêmement
dangereux. Les promesses du monothéisme sont particulièrement
nocives. Pour le comprendre, nous devons toujours nous poser
une question fondamentale : qu’est-ce que le monothéisme nous
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apporte et de quoi nous prive-t-il ? Je ne nie pas l’émotion intense
que fait naître dans les hommes la croyance en un Être suprême
capable de nous consoler et de nous préparer au pire, la mort. La
religion joue le rôle d’un antidouleur ou d’un calmant puissant :
en effet, personne ne veut se séparer de l’espoir fantasmatique
qu’on ne finira pas dans une tombe rongés par les vers.
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veilleux. Nous n’avons qu’une seule vie, et nul ne nous en offrira
jamais une seconde.
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Durant de nombreuses années, je fus indifférent aux concep-
tions de la divinité, quelles qu’elles soient. Ma famille n’avait aucun
dieu, et les dieux des autres ne me séduisaient pas. Mais, en travail-
lant à ce livre, j’ai découvert l’idée que les croyances polythéistes
se faisaient du Dieu-Créateur. Cette idée diffère radicalement de
celle que les religions du Livre essaient de nous imposer.
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Massacrés durant le génocide connu sous le nom de « croisade
contre les Albigeois », les Cathares étaient de véritables chrétiens :
ils chantaient l’amour et refusaient la vengeance, le meurtre et la
guerre ; ils s’entraidaient ; ils reconnaissaient les droits civils et re-
ligieux des femmes, mais ne croyaient ni dans le péché originel,
ni dans le sacrifice du Christ, ni dans la rédemption des péchés
humains, et n’adoraient ni icônes, ni saints.
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humble avis la forme ultime du respect des droits d’autrui. Soyez
fier et réjouissez-vous de vos impulsions « animales » : elles ne
sont pas éternelles, la vieillesse en viendra à bout plus vite que
vous ne le pensez.
Ne lisez plus les pages people et les rumeurs sur la vie sexuelle
des hommes et de femmes politiques ou des stars. Chacun peut –
et doit – vivre comme il l’entend et le peut. Lisez plutôt des livres
portant sur des nourritures saines et savoureuses : vous dormirez
mieux et ne souffrirez jamais de gastrite.
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