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le Sage de Qumrân,
à qui je dois ce livre,
en témoignage
d'admiration
et de reconnaissance.
Nihil obstat
Paris, le 8 octobre 1979
Cl. Chopin.
Imprimatur
Paris, le 8 octobre 1979
P. Faynel.
TABLE DES MATIÈRES
(que les Allemands et les Anglais aiment trouver au début des ouvrages, comme
un menu, et que les Français placent à la fin ).
Préface .......................................................................................................... 7
Déclarations préliminaires .................................................................... 9
Première étape. Vers 1955, dans un brouillon d ’article sur les manuscrits
de Qumrân, j ’avais écrit spontanément : « ... le Royaume de Dieu, qui tient
une telle place dans la pensée de Qumrân... ». J ’ai voulu étayer cette affirma
tion par quelques références et j ’ai constaté, à mon grand étonnement, que
jamais le Royaume de Dieu n ’y était mentionné. D ’où la question : « Sous
quelle influence ai-je ainsi projeté sur les textes de Qumrân une théologie
imaginaire ? »
Troisième étape. En travaillant le N otre Père, j ’ai été surpris des interpré
tations imaginées pour « Que votre Règne arrive ». Divers auteurs confondaient
le Règne de Dieu et le Royaume de Dieu, mélangeaient l’un avec l ’autre, se
prononçaient en faveur de l’un ou de l ’autre en toute fantaisie. Ces hésitations
m ’ont obligé à réfléchir sur ces termes, à mieux les préciser, quand j ’ai rédigé
le chapitre VII de mes « Recherches sur le Notre Père ».
Jean C a r m ig n a c .
1) J ’avoue très volontiers n ’avoir pas lu tous les travaux publiés sur le
Royaume de Dieu et sur l ’Eschatologie. Parfois j ’avais l’excuse que ces
travaux (même écrits en français, mais publiés en Suisse ou en Belgique) ne
se trouvaient pas dans les principales bibliothèques de Paris. Pour qu’on puisse
vérifier les limites de mon information, je n ’ai mentionné dans la bibliographie
générale que les travaux réellement consultés.
2) J ’ai tellement perdu de temps à déchiffrer d ’agaçantes abréviations,
que j ’ai pris la résolution de les proscrire radicalement, surtout le sinistre
« s s » et l ’équivoque « c f» . Cependant j ’ai cru pouvoir maintenir p. pour
« page», vol. pour « volume», et parfois M atth. pour « M atthieu».
3) Contrairement à l’usage français, mais conformément à l’usage
allemand et anglais, je demande la permission d ’employer très libéralement
les majuscules, pour manifester que certains termes ne sont pas à prendre
dans un sens banal, mais q u ’ils sont riches de toute une théologie, qui les
personnifie en quelque sorte. Ainsi je dirai « le royaume de David », mais
« le Royaume de Dieu ».
4) Les futurs recenseurs de cet ouvrage me feraient plaisir s’ils avaient
la gentillesse de préciser clairement dans leur recension s’ils ont eu la patience
et le courage de le lire vraiment d ’un bout à l’autre. Je les en remercie par
avance.
PREMIÈRE PARTIE
Royauté, Règne
et Royaume de Dieu.
CHAPITRE I
1. D ’ailleurs, m êm e chez les exégètes allem ands o u anglais, plusieurs ont reconnu
explicitem ent les déficiences de la form ule habituelle. E n 1927, J. W a r s c h a u e r écrivait :
« W hat we tran slate « the K ingdom o f G o d » m eans thus. ra th e r H is « kingschip », His
« reign », ra th e r th an H is « rcalm » » (citation p a r K .L. S c h m id t, article B asileia, p. 580,
n o te 68). E t plus récem m ent R. S c h n a c k e n b u r o intitu lait son étude « G o ttes H errschaft
u n d R eich » ( = R ègne et R oyaum e de D ieu) et la teniiinait p a r une « note su r la fixation
d u langage théologique » (p. 293-296). D e m êm e W . D anthm e, citant J. H e c k e l « Im Irrgarten
d e r Z w ei-Reiche-Lehre » p. 6-7, reconnaît (p. 200) q u ’il faudrait distinguer entre « K ônigs
w ürde », « K ônigsregim ent » et « K ônigsvolk ». Les Français, qui pourraient facilem ent
distinguer ces trois sens, ne le font pas toujours, ainsi L oisy (Livres du N .T . traduits...)
emploie presque partout « royaume » et B o n sirv e n ad o p te presque invariablement « règne ».
14 SENS DES MOTS
2. U ne telle étude philologique, littéraire et théologique a déjà été présentée par plusieurs
auteurs, com m e D a l m a n (p. 75-119), D ie c k m a n n (p. 23-60), K i;h n (p. 563-573), K.L. S c h m id t
(Basileia..., p. 573-592), B o n s ir v e n (p. 11-25), S c h n a c k e n b u r g (p. 11-62), C o p p e n s (p. 87)...
S. A a l e n proteste contre ceux qui voudraient élitniner la notion de Royaume et ne g a rd e r
qu8 celle de Règne (p. 215-232).
3. Voir la G ram m aire de l ’Hébreu Biblique de P. JoüoN, p. 196-197.
4. En I Rois 12,21, et alors le texte parallèle de II Chroniques 11,1 remplace « meloukâh »
par « mam iâkâh ».
5. I Rois 21,7 ; I Chroniques 10,14 et sans doute Abdias 1,21 = Psaume 22,29.
6. I Samuel 14,47; I Rois 11,35 (en opposition avec mamiâkâh au verset précédent).
7. I Samuel 10,16; 10,25; 11,14; 18,8; II Samuel 16,8; I Rois 2,15 (2 fois); 2,22;
Isaïe 34,12; Ezechiel 16,13.
DANS l ’a n c ie n TESTAMENT 15
Bien entendu, ce substantif peut, lui aussi, avoir une valeur adjectivale
et signifier simplement « ro y al» . Ainsi Psaumes 4 5,7; Esther 1,2.9.11.19;
2,16.17 ; 5,1 (trois fois, la première en suppléant le mot « vêtem ents», comme
font la Septante et la Peshitto) ; 6,8 ; 8,15 ; 1 Chroniques 22,10 ; 28,5 ; 2
Chroniques 1,18 ; 2,11 ; 7,18.
En tenant compte de Ben Sira®, on totalise 90 emplois de ce terme dans
l’Ancien Testament.
Dès lors on remarque que c’est toujours (sauf en Jérémie 27,1 ; 28,1) ce
terme qui est employé pour les dates : « sous le règne de... »® ; de même
il apparaît normalement quand on parle de la gloire d ’un r è g n e o u quand on
évoque une durée
Mais on trouve aussi quelques cas où le sens est nettement celui de la
« royauté on constate surtout que malkout prend assez souvent le
sens de « royaume », d ’abord en Daniel 8,22, le seul endroit où ce terme soit
employé au pluriel (« les 4 royaum es»), puis lorsque l ’on précise « le royaume
des Chaldéens... des Perses..., etc. ou «les provinces du royaume»*'^,
ou lorsqu’on introduit une notion spatiale « dans tout le royaume » ‘ ; en
particulier ce sens est manifesté dans la formule « la moitié de mon royaume ®
(qui se retrouvera en Marc 6,23).
Comme nous le verrons ci-dessous, cette évolution du sens provient
d ’une influence araméenne. Malgré cela la signification de « règne » reste
assez fréquente pour q u ’on y reconnaisse le sens normal de malkout.
3) Mamlâkâh. La performante « m » est en hébreu caractéristique des
noms de lieu (voir J o ü o n , p . 203) et donc ce terme indique par lui-même le
lieu sur lequel règne un roi, donc son « royaume ». Comme il y a sur terre de
nombreux royaumes, ce terme a souvent l ’occasion d ’être au pluriel (58 fois),
alors que « meloukâh » ne l’est jamais et que « m alkout» ne l’est q u ’une fois
(Daniel 8,22). Soit au singulier (67 fois, plus 3 fois en Ben Sira) soit au pluriel,
ce terme est réparti dans presque tous les livres de l’Ancien Testament, sauf
Esther, Esdras-Néhémie et Daniel, qui abusent de malkout. Sans parler des
emplois à valeur adjectivale^^, le sens de « royaum e» est très fréquent, même
au singulier, bien q u ’on relève quelques endroits où le contexte suggère plutôt
« royauté » ‘ ®ou « règne » ‘
8. G râce à la Concordance de B a r t h é l é m y - R i c k e n b a c h e r .
9. Jérémie 49,34; 52,31 (le passage parallèle, II Rois 25,27, emploie l’infinitif du verbe
mâlak, « régner ») Esther 2,16 ; Daniel 1,1 ; 2,1 ; Esdras 4,5 ; 4,6 (2 fois) ; 7,1 ; 8,1 ; Néhémie
12,22; I Chroniques 26,31 ; II Chroniques 3,2; 15,10; 15,19; 16,1 ; 16,12; 35,19.
10. N ombres 24,7; Psaumes 145,11.12; Esther 1,4; I Chroniques 29,25; Daniel 11,21.
11. Psaumes 145,13 (2 fois); I Chroniques 11,10; 29,30; II Chroniques 20,30; 33,13
26,20 ; Néhémie 9,35 ; Daniel 8,23.
12. Esther 1,19 (fin du verset); 4,14; Qohélet 4,14; I Chroniques 12,24.
13. Daniel 9,1; 10,13; 11,2; 11,9; II Chroniques 11,17.
14. Esther 2,3 ; 3,8 ; 9,30.
15. Esther 1,20; 3,6; Daniel 1,20; 11,17; Esdras 1,1; I Chroniques 17,14; II C hro
niques 36,22.
16. Esther 5,3 ; 5,6 ; 7,2.
17. Deutéronome 17,18; 1 Samuel 27.5; II Samuel 7,13; I Rois 9,5; II Rois 11,1 ;
Amos 7,13 ; Il C h roniques22,10; 23,20; Ben Sira 47,11.
18. Isaïe 17,3 ; Michée 4,8 (2 fois); Ben Sira 46.13.
19. I Samuel 13,13 et 14 ; 28,17 ; Il Samuel 3,10 ; 5,12 ; I Rois 2,46 ; II Rois 14,5 ; 15,19 ;
I Chroniques 29,11 ; U Chroniques 13,5; 13,8; 17,5; 21.3; 22,9 ; 25,3 ; Ben Sira 10,8.
16 SENS DES MOTS
B) A Qurarân
28. En X n ,]6 le règne étemel d ’Israël est désigné par l'infinitif « melôk », mais en
X IX ,8 on a clairement le substantif « malkout ».
29. Bien entendu, on ne tient pas compte ici de la Règle de la Guerre X II, 15 et X IX,7
ni de I Q 33, fragment 2, ligne 2, car alors les consonnes m l k \v t doivent être vocalisées
« melâkôt » : « les reines ».
30. Je me suis donc trompé en traduisant par « sa royauté » dans les textes de Q umrân,
vol. II, p. 92. J ’aurais dû traduire par « son règne ».
31. Ainsi le même document, pour dire « trône royal » emploie une fois « malkout »
(en L IX ,17) et une fois « mamlâkâh » (en LVI.20).
18 SENS DES MOTS
(ou la grande royauté du sacerdoce) hors de (ou : plus que) la royauté (ou :
le règne, ou : le royaume)... ». Une fois le sens n ’est q u ’adjectival : IV Q
( = 4 * grotte de Qumrân), Hénoch, livre des Géants, manuscrit g, fragment 4,
ligne 18 : « le temple royal Une autre fois le sens de « règne » paraît
le plus probable ; IV Q Hénoch, livre des Géants, manuscrit a, fragment 9,
ligne 6 ; « le règne de ta grandeur Deux fois enfin le sens de « royaum e»
est imposé par un contexte où il s’agit de quatre « royaumes » : Pseudo-
Daniel^^, manuscrit a, fragment D, lignes 3 et 4 ; « ... puissants et le
royaume des peu [pies...] », «ceci est le pre[mier] royaum e».
C) Dans la Mishnâh
37. A partir de 100 après J.-C., on a commencé à remplacer le nom de Dieu non plus
par « les cieux », mais par ham m âqôm « le lieu ».
38. Aussi l ’on se demande sur quoi s ’appuie K .G . K u h n pour affirm er: « malkût
shâmayîm est donc... dans la théologie du judaïsme tardif un concept purement eschatologique,
au sens strict du mot » (p. 572).
39. Malheureusement l’édition de Z i e g l e r ne respecte pas le témoignage des manuscrits.
40. Bien que, dans l ’hébreu de Q umrân, l’article soit parfois omLs devant le mot « cieux »,
on dirait plutôt malkout hashshàmayîm. L ’absence d ’article, en hébreu rabbinique, montre
que shâmayîm y est considéré comme un nom propre.
20 SENS DES MOTS
♦
* *
41. Ce cas est d ’autant plus curieux q u ’au verset précédent M atthieu s ’écartait de M ate
et de Luc en parlant du « Royaume des Cieux ».
42. En hébreu, cette idée de localisation ne s’exprimerait pas par malkout hashshâ-
m ayîm ; « le Royaume des Cieux », mais par hanijualkout ’ashèr bashshâmayîm : « le
Royaume qui (est) dans les Cieux », comme on dit « notre Père qui (es) dans les Cieux » pour
signifier « notre Père des Cieux » ; voir à ce sujet J. C armionac (Recherches..., p. 72-74).
RÉCAPITULATION 21
43. he Targum de Job, trouvé à Q umrân, montre pourtant que les traductions
araméennes pouvaient déjà exister au temps de Jésus.
44. De même, dans le Midi de la France, bien des gens parlent entre eux en provençal,
en languedocien ou en catalan ; mais ils savent aussi le français et ils l’emploient souvent
quand Ils écrivent. Or la différence qui existe entre l ’hébreu et l’araméen est à peu près la
même q u ’entre les langues du Midi de la France et le français « officiel ».
22 SENS DES MOTS
Le sens des mots étant ainsi bien précisé"^’, nous pouvons passer en
revue tous les textes qui parlent de la « basileia » en rapport avec Dieu ou
avec Jésus. Certes d ’autres textes peuvent aussi contenir cette notion sans
employer ce terme. Mais puisque cette notion n ’est pas alors indiquée par
un vocable précis, elle ne peut être reconnue que par comparaison avec les
textes explicites. Donc, en bonne logique, il faut d ’abord étudier ces textes
explicites, pour en dégager le sens avec précision (ce que j ’essaie de faire),
et seulement ensuite on pourra détecter, avec plus ou moins de certitude, les
formulations équivalentes. Mais alors interviendront des appréciations sub
jectives, qui rendront les conclusions plus ou moins hypothétiques. C ’est
pourquoi je n ’ose m ’appuyer ici sur les textes qui s’appliquent peut-être à
la basileia, mais qui ne la mentionnent pas de façon incontestable.
45. Ce besoin de précision est bien exprimé par L. B o u y e r : « La juste relation (entre
le Royaume et l’Eglise) n ’est pas facile à définir. On peut douter d ’y parvenir jam ais aussi
longtemps q u ’on s’en tient à la traduction, si consacrée q u ’elle soit par l ’usage, de basileia
par « Royaume » ... Les protestants, sur ce point, ne paraissent pas avoir été plus effleurés
par le doute que les catholiques ; « Royaume » se trouve aussi bien chez O l i v é t a n et ses
successeurs que chez L e m a î tr e d e S a c y . Et ce qui vaut des traductions françaises vaut
également de toutes les autres. L u t h e r , comme les traductions médiévales qui l’avaient
précédé, parle de « Reich ». Pareillement le protestant T y n d a l e , la catholique Rheims
Version ou la Bible du roi James s’accordent sur « Kingdom » (p. 296-297).
CHAPITRE II
1) M a r c 1,14-15
M arc, aussitôt après le Baptême de Jésus (1,9-11) et la Tentation au
Désert (1,12-13) donne un bref résumé de la première prédication de Jésus
1. Certains passages de la Source Commune sont insérés chez M atthieu et chez Luc
dans la même séquence venant de Marc ; on est donc amené à conclure q u ’ils ont été i ^ r é s
non pas directement par Matthieu et par Luc (qui les auraient alors insérés chacun d ’après
ses tendances penonnelles) mais par un naême rédacteur, intermédiaire entre Marc d ’une
part et M atthieu-Luc d ’autre part ; voilà pourquoi on suppose l ’existence d ’une compilation,
aujourd’hui perdue, qui aurait combiné Marc et la Source Commune et dont se seraient
servis M atthieu et Luc. Mais cette hypothèse n ’est pas essentielle à notre démonstration.
2. Sur la date du quatrièm e Evangile J.A .T. R o b in s o n propose une hypothèse nouvelle,
mais ce problème de datation ne nous concerne pas ici.
24 DANS l ’Év a n g il e d b m a r c
3. Bien que de très nombreux manuscrits grecs portent en M arc 1,14 « prêchant l’Evangile
du Règne de Dieu », le mot Règne est considéré comme inauthentique par les éditions cri
tiques de N e s t l e , M e r k et A l a n d . B.M. M e t z g e r (p. 74) justifie cette décision, parce que
ce mot a dû être ajouté par des copistes désireux d ’harmoniser ce verset sur le suivant.
4. Ici M atthieu ne remplace pas « Dieu » par « les Cieux ».
5. Les manuscrits hésitent entre soixante-dix et soixante-douze disciples ; voir
B .M . M b t z o e r , p. 150-151.
6. Plus en Luc 9,2, où la notion de proximité est omise.
7. Selon J. I* ry k e (p. 151-176) ce passage, ainsi que 4,11 ; ll,1 0 e t 15,43, aurait les carac
téristiques du style « rédactionnel » de Marc, alors que les 8 autres mentions de la basileia
tou théou contenues dans cet évangile proviendraient d ’une tradition primitive. Cette distinc
tion à l’intérieur du style de Marc attribue donc ces textes à deux origines différentes, dont
l’une antérieure à Marc. Ainsi ce n ’est pas seulement Marc, c’est aussi sa source (ou : ses
sources), qui nous attesterait et nous transm ettrait le témoignage de la toute première église
primitive. B.D. Chilton , après une longue étude sur la rédaction (p. 29-64) puis sur les
sources (p. 67-95) de Marc 1,14-15, reconnaît q u ’il y a de fortes raisons pour que les paroles
citées par M arc remontent bien à Jésus lui-même.
MARC 1,14-15 25
Règne de Dieu est déjà arrivé, comme le suggère l ’emploi du verbe êngikén
au parfait (six fois) ? Ou bien veut-elle dire seulement q u ’il est proche et q u ’il
va arriver, comme le suggère le choix d ’une racine signifiant « proche» (sept
fois) ? Une bataille exégétique s’est engagée sur ce point et une revue anglaise,
The Expository Times, est allée jusqu’à publier 8 articles, écrits par des
auteurs différents, pour exposer les multiples arguments de cette polémique.
D a l m a n en 1898, s’était contenté (p. 87 et 88) d ’une étude rapide, où
il traduisait êngikén par « nahe sein » ( = être proche) et éphthasén par « kom-
men » ( = venir). Mais en 1927, J o ü o n (excellent sémitisant et auteur d ’une
grammaire hébraïque très réputée) essayait de prouver q u ’en M arc 1,15, en
M atth 3,2 et 12,28 il fallait comprendre non pas « le Royaume de Dieu est
proche», mais « le Royaume de Dieu est arrivé»®. La même année 1927,
quelques mois auparavant, C.H. D o d d avait lui aussi proposé de traduire
êngikén par « has com e» ( = est arrivé) et il revenait sur cette question en
1930 et en 1935 (Parables..., p. 28-30). En 1935, R.H. L ig h t f o o t (p. 65 et
106-107) se ralliait à son point de vue. Mais D o d d était contredit, dans
The Expository Times de novembre 1936, par J.Y. C a m p b e l l et il répondait
dans la même revue le mois suivant. Tour à tour, J.M . C r e e d , en 1937,
Matthew B l a c k en juin 1952, W.R. H u t t o n en décembre 1952, M.A. S im p s o n
en 1953, P. S t a p l e s en 1959, plaidaient en faveur de D o d d ou de C a m p b e l l .
Bientôt la polémique sortait d ’Angleterre et atteignait le «C ontinent»
et l ’Amérique : alors la position de D o d d était généralement rejetée et le
sens de « est devenu proche » était maintenu par C .T . C r a ig (p. 19-20),
W .G. K ü m m e l (Naherwartung, p. 34-36), P. S t a p l e s (p. 87-88). D ’autres
auteurs restaient indécis : K .W . C l a r k (p. 367-383), R .F . B e r k e y (Journal...
p. 185-187) et E. R a s c o (p. 313-314).
T ant de bons arguments philologiques ont été présentés pour ou contre
la thèse de D o d d et de J o ü o n , q u ’il serait inutile de les exposer à nouveau.
La prudence et la sagesse conseillent de ne pas prendre parti et de ne fonder
aucune argumentation sur des textes aussi controversés.
D o d d résume fort bien la situation en disant : « M . C a m pb e l l prend
êngikén en son sens obvie et essaye d ’y conformer éphthasén, alors que moi
je prends éphthasén en son sens obvie et j ’essaie d ’y conformer êngikén»
(Expository Times... 1936, p. 138).
achoppent. D ’autres sont les semés dans les épines : ce sont ceux qui ont
entendu la Parole, mais les soucis du monde, la séduction de la richesse et les
désirs de la chair en survenant étouffent la Parole et elle devient sans fruit.
Et tels sont les semés sur la bonne terre : ceux qui entendent et accueillent la
Parole et qui produisent des fruits l ’un trente, l ’un soixante et l ’autre
c e n t» ‘ ^
M atthieu suit d ’assez près le récit de Marc, en om ettant toutefois quelques
détails. Deux retouches seulement sont importantes pour nous : au verset 11,
il amplifie « à vous est donné le mystère du Règne de Dieu », en disant
« à vous est donné de connaître (ou de comprendre) les mystères du Règne
des Cieux ( = de D ieu ); au verset 19 il précise que la Parole est « la
Parole du Règne ».
Luc, qui est encore plus concis que Matthieu, dit lui aussi « à vous est
donné de connaître (ou de comprendre) les mystères du Règne de Dieu » ;
mais pour lui la Parole est « la Parole de Dieu ».
Ce récit n ’est pas une parabole, car il n ’est pas la preuve par l’image d ’une
vérité particulière, mais bien une allégorie, c ’est-à-dire une description voilée
où les réalités spirituelles sont présentées à travers la transparence d ’un récit
fictif. Et Jésus lui-même fournit la clef de l ’allégorie, en précisant les person
nages q u ’il entend décrire : les différentes catégories de semence représentent
les différentes catégories d ’auditeurs de sa Parole. Aussi l’on devine sans peine
pourquoi Jésus a recouru à une allégorie plutôt q u ’à un exposé direct : par
là il ne risquait pas de froisser ceux q u ’il voulait avertir et corriger, car il
ne les dénonçait pas publiquement, mais il leur laissait le soin de découvrir
eux-mêmes dans quelle catégorie ils se rangeaient.
M arc ne spécifie pas la nature de la Parole. Mais pour M atth 13,19 elle
est la Parole du Règne ou du Royaume, c ’est-à-dire la Parole qui annonce,
qui fait connaître le Règne ou le Royaume. Et pour Luc 8,11 cette Parole est
la Parole de Dieu, c ’est-à-dire la Parole qui vient de Dieu et qui est prêchée
au nom de Dieu.
Les trois Synoptiques voient dans cette allégorie « le secret (ou : les
secrets) du Règne de D ieu», c ’est-à-dire l ’explication des réactions humaines
à la Parole de Dieu qui invite les cœurs à s’ouvrir à son Règne. On aurait tort
de traduire ici par «R o y au m e» , car l ’allégorie ne concerne pas l’aspect
collectif d ’une société où s’intégre chaque croyant, mais bien les réactions
individuelles de chaque âme qui accepte et accueille la lumière que Dieu lui
envoie.
Le temps des verbes indique clairement que cette allégorie ne vise pas le
futur, car dans l ’exposé du récit, tous les verbes sont au passé : le semeur
est déjà sorti pour semer et sa semence est déjà semée. Dans l’explication.
c ’est le présent qui domine, car les réactions des auditeurs manifestent des
tendances permanentes, qui sont indépendantes du tem ps'*.
Dans l’explication, Jésus ne précise pas qui est le semeur, mais on ne
saurait douter q u ’il s’agit de lui-même : c ’est lui qui est sorti pour répandre
la Parole, qui est la Parole du Règne pour M atthieu et la Parole de Dieu
pour Luc. D ’ailleurs, dans l’explication d ’une autre allégorie où intervient
aussi un semeur, M atthieu 13,37 dit clairement « Celui qui sème la bonne
semence c’est le Fils de l’Hom m e».
Pour nous la conclusion est évidente : Jésus a déjà commencé à répandre
la semence de la Parole de Dieu et le Règne de Dieu germe et fructifie déjà
dans les cœurs de ses auditeurs selon leurs bonnes ou leurs mauvaises
dispositions.
3) P a r a b o l e de la S e m e n c e q u i po u sse d ’e l l e - m êm e ( M a r c 4,26-29)
« Ainsi est le Royaume de Dieu : (c’est) comme un homme (qui) jettera it' ®
la semence sur la terre et (qui) dorm irait et se lèverait, la nuit et le jo u r* ’ ;
la semence pousse et grandit, lui ne sait pas comment : spontanément la
terre produit du fruit : d ’abord une herbe, puis un épi, puis plein de blé dans
l ’épi ; et quand le fruit (se) présente, aussitôt il (y) envoie la faux, parce que la
moisson est à point ». Ce récit, que M atthieu et Luc ont omis de reproduire,
est intermédiaire entre la parabole et l’allégorie, mais souvent on le classe
parmi les paraboles*®.
L’idée centrale en est que la semence pousse toute seule et qu’elle produit
du fruit sans que le semeur ait à s’en occuper. Jésus veut donc, comme dans
une parabole, nous apprendre que, de la même façon, le Règne ou le Royaume
de Dieu se développe de lui-même, indépendamment de l ’activité humaine.
Les verbes au subjonctif donnent à l ’exposé une allure hypothétique, qui le
place en dehors des contingences particulières : cette narration est valable
pour tous les tem ps'*.
Divers auteurs discernent aussi des éléments allégoriques et ils reconnais
sent dans la faux et dans la moisson une allusion à la Fin du M onde déjà
entrevue par Jean-Baptiste (M atth 3,12 = Luc 3,17), reprise par Jésus
(M atth 13,30) et développée dans l’Apocalypse 14, 14-20.
15. Q u’on n ’objecte pas, pour négliger le temps des verbes, que les Evangiles, ayant
un substrat sémitique oral ou écrit, participent à l ’imprécision des langues sémitiques et
distinguent inal le temps des verbes. La réponse est facile : a) L’hébreu, même l’hébreu biblique,
distingue, beaucoup mieux que ne le disent de mauvais connaisseurs de cette langue, le passé,
le présent et le futur, h) L ’hébreu évoluait vers une précision tem |»relle de plus en plus
nette : dans l ’hébreu de Qum rân le passé est toujours clairement distingué du futur, et le
présent est rarement confondu avec ce futur (voir mon article « Conjectures... », p. 160-164).
c) Quand l’aspect duratif prime l’aspect temporel (ce qui déroute les hébraïsants novices),
il aboutit à rendre notre imparfait par un apparent futur, et donc cela joue contre moi et en
faveur des théories eschatologistes. — Le temps des verbes qui concernent le Règne ou le
Royaume de Dieu est fort bien apprécié par H . C l a v i e r (« Accès... », p. 22).
16. En français, l’emploi du conditionnel essaie de rendre la nuance du subjonctif grec.
17. Bien entendu, il faut com prendre: « qui dorm irait la nuit et se lèverait le jo u r ».
18. Voir la longue étude récente de cette parabole par J. D u p o n t .
19. Paul lui fera écho en I Cor 3,6 : « Moi j ’ai planté, Apollos a arrosé, mais Dieu a fait
pousser ».
MARC 4 ,3 0 -3 2 29
Cette exégèse n ’est pas certaine, car ce trait n ’est pas développé spéciale-
niient, mais elle n ’est pas impossible non plus, car la portée des paroles de
l ’Evangile va souvent bien au-delà des apparences immédiates. Ainsi Jésus
voudrait insinuer q u ’il est m aintenant le semeur, mais q u ’il reviendra plus
tard comme moissonneur ; « Lorsque (Jésus) aura disparu, laissant le règne
de Dieu destiné à grandir, les apôtres com prendront que ce règne q u ’ils
prêchent doit se développer sans la présence du Maître, qui viendra seulement
à la fin pour recueillir la moisson. Ainsi cette parabole, si simple en apparence,
était-elle susceptible d ’un prolongement indéfini. Ceux qui l ’entendaient
devaient surtout l’interpréter du développement infaillible du règne de Dieu.
Elle les invitait en même temps à la confiance et au calm e» (Lagrange,
Marc, p. 118).
Dans ce récit, est-il question du Règne ou du Royaume de Dieu ? On
peut légitimement hésiter à répondre, mais finalement il semble q u ’on doive
pencher pour le Royaume de Dieu. Si le récit contient une allusion à la Fin du
M onde et au Jugement Dernier, ces événements concernent le développement
historique du Royaume de Dieu. Et même si cette allusion n ’existait pas,
l ’ensemble de l ’exposé paraît s’appliquer non pas à la croissance d ’une seule
plante, qui représenterait le cœur d ’un homme livré au Règne de Dieu, mais
bien plutôt à la croissance de tout un champ, qui aboutit à une moisson, et
donc cet aspect collectif convient mieux à la notion de Royaume.
En somme le développement du Royaume de Dieu ne dépend pas de
l ’activité humaine : il se réalise mystérieusement, sans q u ’on sache cominent.
Le semeur (Jésus) n ’interviendra personnellement q u ’au temps de la moisson.
« un homme a pris (et) semé (ce grain) dans son champ » et en Luc « un homme
a pris (et) jeté (ce grain) dans son jardin ». Pour eux les semailles du Royaume
de Dieu sont déjà faites et elles appartiennent au passé.
Ainsi les trois paraboles de M arc, dont deux sont conservées aussi en
M atthieu et en Luc, décrivent tantôt le Règne et tantôt le Royaume de Dieu.
La première, qui concerne plutôt le Règne de Dieu, fait dépendre ses fruits
de l ’accueil de chaque homme. La seconde et la troisième, qui visent plutôt
le Royaume de Dieu, insistent au contraire sur l ’action directe de Dieu, qui
se charge lui-même d ’assurer sa croissance, et sur les magnifiques résultats
de cette croissance, malgré de chétifs débuts.
Les trois comparaisons choisies sont étroitement apparentées, puisqu’elles
présentent toutes l ’image d ’une semence, qui peut tom ber dans des terrains
défavorables, mais qui, si elle tombe dans la bonne terre, grandit toute seule,
devient une plante et produit beaucoup de fruit.
La durée de cette croissance et de ce développement n ’est pas spécifiée,
mais plusieurs fois le temps des semailles est présenté au passé, en supposant
donc q u ’au moment où Jésus parle elles sont déjà un fait accompli.
5) M arc 9,1
« Et il ( = Jésus) leur disait : « Amen, je vous dis q u ’il y a certains de
ceux qui sont ici présents qui ne goûteront pas la m ort jusqu’à ce q u ’ils
voient le Règne de Dieu venu avec puissance
M atthieu 16,28 a jugé ambiguë la finale de ce texte et il la modifie pour la
clarifier : « Amen, je vous dis q u ’il y a certains de ceux qui sont ici présents
qui ne goûteront pas la m ort jusqu’à ce q u ’ils voient le Fils de l ’Homme
venant dans sa Royauté ».
Luc 9,27 n ’aime pas non plus cette finale de M arc et il préfère la sup
primer : « Je vous dis en vérité ; il y a certains de ceux qui sont ici présents
qui ne goûteront pas la m ort jusqu’à ce q u ’ils voient la Royauté (ou : le
Règne, ou : le Royaume) de D ieu».
Les trois Synoptiques placent cette parole de Jésus dans le même contexte,
ce qui prouve entre eux une stricte dépendance. Mais M arc seul introduit
ces mots par un vague : « Et il leur disait », qui suffit à nous avertir q u ’il
insère là une réflexion qui n ’a pas de lien chronologique avec ce qui précède,
qui se présente donc à sa mémoire par simple association d ’idées. En effet le
verset précédent se termine par une allusion au Jugement Dernier : « quand
le Fils de l ’Homme viendra dans la gloire de son Père avec ses saints anges ».
Par ailleurs, Jésus fait manifestement allusion à un événement futur
prévu pour un avenir assez rapproché (moins d ’une cinquantaine d ’années).
Est-ce que cette venue glorieuse du Christ sera celle de sa Transfiguration,
6) M arc 9,43-47
« Si ta main te fait achopper, retranche-là ; il est bon ( = meilleur) pour
toi d ’entrer m anchot dans la Vie que d ’aller avec tes deux mains dans la
Géhenne, dans le feu inextinguible. Si ton pied te fait achopper, retranche-le :
il est bon ( = meilleur) pour toi d ’entrer estropié dans la Vie que d ’être jeté
avec tes deux pieds dans la Géhenne. Si ton œil te fait achopper, arrache-le : il
il est bon ( = meilleur) pour toi d ’entrer borgne dans le Royaume de Dieu
que d ’être jeté avec tes deux yeux dans la Géhenne».
Luc omet ce passage. M atthieu 18,8-9 abrège et remplace « le Royaume
de Dieu » par « la Vie » comme dans la phrase précédente.
Le sens de « Royaume » s’impose, puisqu’il s’agit d ’entrer « dans » ce
« Royaume » comme « dans la Géhenne » ou « dans le feu inextinguible ». Mais
quand y entrera-t-on ? La possibilité d ’achoppement et la mutilation sont
formulées au présent. L ’entrée dans la Géhenne ou dans le « Royaume de
D ieu» est prévue pour plus tard, mais, scmble-t-il pour un futur assez
rapproché !
24. Même si le grec du Nouveau Testament confond parfois ces deux prépositions, il
les emploie toujours correctement dans les passages où figure la « basileia to u théou ».
25. La form ation de ce texte est examinée par B .D . C h i l t o n (p. 253-274). M . K ü n z i
présente fort bien l’histoire de son exégèse : selon lui (p, 186-196), il a été compris en fonction
de l’Eglise par : G r é g o i r e l e G r a n d , B è d e l e V é n é r a b l e , R a b a n M a u r e , la Glose Ordinaire,
B u c e r, P e llic a n , M u n s te r, M u s c u lu s , S c h o c ttg e n , M o ru s, R o s e n m ü lle r,
J.D . M i c h a e l i s , P a u l u s , B a u m g a r t e n , B le e k , C o l a n i , a . K l o s t e r m a n n , G o d e t , H o f m a n n ,
N ô s o e n , Th.H. R o b in s o n , L o h m e y e r, A .T . C a d o u x , M . B a r t h , D u n c a n , T a y l o r , F l ü -
CKtoER, L a g r a n o e , H u b y , S i c k e n b e r g e r , M e i n e r t z , S t a a b et B o n s ir v e n .
32 DANS l ’Év a n g il e d e m a r c
26. Quiconque est allé en Orient et a été assiégé par des bandes d ’enfants imagine
facilement la scène.
27. Une expression semblable est employée par M att. 5,3.10 et par Luc 6,20. Voir
ci-dessous, p. 36-37.
28. Même B o n s ir v e n (p. 87) renonce à « Règne » et adm et « Royaume ».
MARC 1 1 ,1 0 ; 1 2 ,3 4 ; 14,25 33
riches ne sont pas encore entrés dans le « Royaume de Dieu » et ensuite les
verbes au présent soulignent que cette difficulté est et sera permanente. Mais
de quel futur s’agit-il ? Jésus répond à une question ainsi formulée : « Que
ferai-je ( = que dois-je faire) pour posséder (littéralement : « hériter ») la
vie éternelle ? » (M arc 10,17). Il vient de dire q u ’en donnant ses biens aux pau
vres « o n aura un trésor dans le ciel» (M arc 10,21). Les disciples réagissent
en dem andant : «Qui peut être sauvé ?» (Marc 10,26). Il s’agit donc du
salut personne] de chaque homme et de la vie éternelle obtenue après la mort.
Rien ne demande de supposer un futur plus lointain.
9) M a r c 11,10
Les foules qui acclament Jésus au jo u r des Rameaux s’écrient : « Béni
au nom du Seigneur^® celui qui vient ! Béni le Règne de notre père David
qui vient». M atthieu, Luc et Jean décrivent la même scène, mais ils ne
mentionne pas « le Règne de notre père David ».
Comme ce sont les foules qui exhalent leur enthousiasme, nous ne pou
vons pas affirmer que leur pensée rejoigne celle de Jésus. Mais, pour elles, il
s’agit bien du Règne d ’un nouveau David, et ce Règne est en train de se
réaliser dans le présent.
10) M a r c 12,34
Jésus, pour une fois, s’attire les compliments d ’un scribe et « voyant
q u ’il avait répondu intelligemment, il lui a dit : « Tu n ’es pas loin du Royaume
de Dieu ».
Cet échange de compliments entre Jésus et un scribe a paru inopportun
à M atthieu et à Luc, qui ont négligé de le reproduire. En M arc la pensée de Jésus
dépend du sens de m akran (= lo in ), qui désigne en général l ’éloignement
dans l’espace, mais aussi parfois l ’éloignement dans le temps. Dans la première
hypothèse, l ’image spatiale concernerait plutôt le Royaume de Dieu ; dans
la seconde hypothèse, l ’image temporelle conviendrait mieux au Règne de
Dieu. Toutefois, dans un cas comme dans l ’autre, Jésus parle d ’une réalité
presque présente, puisqu’elle concerne son interlocuteur.
29. Citation du Psaume 118,26. Beaucoup comprennent : « Béni celui qui vient au nom
du Seigneur! » Cela n ’a pas d ’im portance p o u r nous.
30. Certains manuscrits grecs ont une formule plus sémitique signifiant « je ne
recommence plus à boire », c’est-à-dire « je ne bois plus à nouveau ».
34 DANS l ’Év a n g il e d e m a r c
1. Les Allemands assignent à cette Sourcx Commune le sigle « 0 », qui est l’initiale de
« Quelle » ( = « source »). Beaucoup de savants, même en dehors de rÀ llem ague, adoptent
cette appellation.
2. Le tout récent ouvrage de R.A. E d w a r d s fournit (p. 159-164) une abondante biblio
graphie sur cette Source Commune. Elle est aussi étudiée (ou re p o a ss^ ) p ar les innombrables
travaux sur le problème synoptique.
3. T .W . M a n s o n (Sayings... p. 15-28 et 39) pose le problème exactement de la même
façon.
36 DANS LA SOURCE COMMUNE À MATTHIEU ET LUC
Les bénéficiaires des autres béatitudes en jouiront à leur mort, quand ils
pénétreront dans la Vie céleste, car alors leur « récompense (sera) abondante
dans les d eu x » (M atth 5,12), mais on peut jouir dès maintenant de la pre
mière béatitude, car on peut dès m aintenant entrer dans le Royaume de Dieu,
si l’on n ’en est empêché ni par l’attachement aux richesses ni par la peur des
persécutions. Ce présent convient à merveille, puisque précisément ceux qui
entrent dans le Royaume de Dieu doivent en fait se détacher de leurs posses
sions (M arc 1,18 ; 10,21-25 ; 10,28-30 ; M atthieu 4,20.22 ; 6,19-21 ; 13,44-46 ;
19,21-24 ; 19,27-29 ; Luc 6,35 ; 12,33-34 ; 18,22-25 ; 18,28-30) et q u ’ils
risquent diverses persécutions (M arc 4,17 ; 10,30 ; M atthieu 5,44 ; 13,21 ;
19,13 ; Luc 6,27-28 ; 11,52 ; Jean 9,22 ; 12,42). Si donc la béatitude des
pauvres et celle des persécutés sont exprimées au présent, c’est parce q u ’elles
peuvent déjà être réalisées au présent, par l ’entrée dans ce Royaume de Dieu,
alors que les autres béatitudes ne seront réalisées que plus tard, après la mort.
2) L u c 7,28 = M a t t h ie u 11,11
Jésus fait ainsi l’éloge de Jean-Baptiste : « Personne n ’est plus grand
que Jean parmi les rejetons des femmes® mais le plus petit dans le Royaume
de Dieu est plus grand que lui » (Luc 7,28) ou bien : « Parmi les rejetons
des femmes il ne s’(en) est pas élevé (de) plus grand que Jean-Baptiste, mais
le plus petit dans le Royaume des Cieux ( = de Dieu) est plus grand que lui »
(M atthieu 11,11).
Jean est pris ici comme un repère entre deux économies®. L ’ancienne,
dont il fait encore partie et dont il est le sommet, et la nouvelle, qui est
appelée « le Royaume de Dieu ». En lisant ce texte, comment ne pas en conclure
que la nouvelle économie, le Royaume de Dieu, existe déjà au moment où
parle Jésus ? Il ne dit pas que le plus petit dans le Royaume de Dieu sera
plus grand que Jean-Baptiste, mais q u ’il est (déjà) plus grand que lui.
Ici la traduction par «R ègne de D ieu» n ’est pas à envisager, car ce
« Royaume de Dieu » est considéré sous son aspect collectif et presque
spatial.
3) L u c 9,2 = M a t t h ie u 10,5-8
«(Jésus) les a envoyés ( = les Apôtres) proclamer (ou : prêcher) la
Royauté (ou : le Règne, ou : le Royaume) de Dieu et faire des guérisons »
(Luc 9,2). — « Jésus a envoyé (ces douze) en leur recom m andant : « ...Pro
clamez (ou : prêchez) que le Règne des Cieux ( = de Dieu) est devenu proche.
Guérissez les malades... » (M atthieu 10, 5-8).
P " reconnaît la formule hébraïque yilloud ’ishshâh, qui provient de Job 14,1 ; 15,14;
^5,4 ou de Ben Sira 10,18 et q u ’on retrouve plusieurs fois à Qumrân.
9. Cela sera encore plus clair dans le verset suivant, qui provient lui aussi de la Source
com m une. Voir ci-dessous p. 41-42.
f parenté de Luc 9,2 avec M atthieu 10,5-8 est signalée par les synopses de L a r f e l d
cp. 60), V A N N u rrE L U (p. 128), A l a n d (p. 140) et B e n o i t - B o i s m a r d (p. 126), mais elle ne l ’est
^ s par les synopses de W r i g h t (qui semble omettre Luc 9,2), H u c k (p. 84) et D e is s (p.
63-64 et 104).
38 DANS LA SOURCE COMMLJNE À MATTHIEU ET LUC
4 ) Luc 11,2 = M a t t h ie u 6 ,1 0
11. Voir J. C a r m ig n a c , Recherche$ sur le N otre Père, p. 89-102. Une variante textuelle
en Luc est discutée par B.M. M e t z o e r , p. 154-156.
LUC 1 1 ,5 2 = MATTHIEU 2 3 ,1 3 39
D aas ces deux textes à peu près identiques (sauf que le doigt de Dieu,
chez Luc, devient en Matthieu l’esprit de Dieu), le verbe «parvenir» ou
« atteindre » invite à traduire plutôt basileia par « Règne ». Cependant la
notion de Royaume n ’est pas impossible non plus, si l ’on suppose un
royaume déjà existant qui dilate ses frontières jusqu’à inclure de nouveaux
territoires et de nouveaux sujets.
Par contre, les indications temporelles sont très claires : Jésus vient de
chasser un démon et ce prodige est attribué par les ennemis de Jésus à
Béélzéboul ; à l ’inverse Jésus réplique que ce prodige suppose l ’action de Dieu,
donc que le Règne de Dieu est déjà parvenu jusqu’à ses auditeurs. Cet argu
ment perdrait toute sa valeur si Jésus ne concevait pas le Règne (ou : le Royau
me) de Dieu comme une réalité déjà présente et agissante.
6) L u c 11,52 = M a t t h ie u 2 3 ,1 3
« M alheur à vous, les Légistes, car vous avez enlevé la clef de la science :
vous-mêmes vous n ’êtes pas entrés et ceux qui entraient vous les avez
empêchés» (Luc 11,52). — « M alheur à vous, Scribes et Pharisiens hypocrites,
parce que vous fermez le Royaume des Cieux ( = de Dieu) devant les hommes ;
en effet, vous, vous n ’entrez pas et ceux qui entraient vous ne les laissez pas
entrer» (M atth. 2 3 ,1 3 ). Bien que Luc, qui a tendance à supprimer ce qui ne
lui paraît pas essentiel, ait omis de mentionner ici le « Royaume de Dieu »,
la similitude de ces deux phrases est telle q u ’on doit supposer comme origine
la Source Commune.
Est-ce Luc ou est-ce Matthieu qui a modifié la rédaction originale du
Marc-Complété ? Peu nous importe, car il nous suffit de constater ce que
M atthieu a voulu nous transmettre.
Le sens de « Royaum e» est évident, car seul il s’adapte à cette métaphore
de la clef. Et les reproches formulés par Jésus n ’ont de sens que s’ils visent
des actes déjà commis, qui ont créé un état permanent d ’hostilité contre le
vrai Royaume de Dieu. Luc l ’indique encore plus clairement, puisqu’il met
les verbes au passé. Sans aucun doute possible, le Royaume de Dieu existe
déjà depuis un certain temps, quand Jésus s’élève ainsi contre les Scribes
et les Pharisiens et leur reproche d ’en détourner les hommes.
7) L u c 12,29-31 = M a t t h ie u 6,3 1 -3 3
12. Beaucoup de manuscrits portent « le Royaume de Dieu », mais cette variante n ’est
pas retenue par les éditions critiques.
40 DANS LA SOURCE COMMUNE À MATTHIEU ET LUC
8) P a r a b o l e du L e v a in : L u c 13,20-21 et M a t t h ie u 13,33
9) L u c 13,28-29 = M a t t h ie u 8,11-12
L ’allégorie de Luc 13,25-27 sur la porte fermée se termine par un dévelop
pement que M atthieu transpose dans un autre c o n t e x t e « L à il y aura le
sanglot et le grincement des dents, quand vous verrez Abraham, Isaac, Jacob
et tous les prophètes dans le Royaume de Dieu et vous jetés dehors. On
viendra du levant et du couchant, du nord et du midi et on s’attablera dans
le Royaume de Dieu » (Luc 13,28-29). — « Beaucoup viendront du levant et
du couchant et s’attableront avec Abraham , Isaac et Jacob dans le Royaume
des Cieux ( = de Dieu), mais les enfants du Royaume seront jetés dans la
ténèbre extérieure : là il y aura le sanglot et le grincement des dents »
(M atthieu 8,11-12).
Malgré les contextes différents et d ’assez nombreuses retouches rédac
tionnelles, ces deux textes sont l ’écho de la même Source Commune. Le sens
de « Royaume » est patent. Les verbes sont tous au futur et donc concernent
un avenir que nous devons essayer de préciser.
15. Le substrat sém itique (aram éen) de ces te.xtes est discuté p a r D alman (p. 113-116)
et plus succinctem ent p a r H éring (p. 28).
16. Ces textes ont fait l’objet de nombreuses études ; les plus récentes sont celles de
G. B r a u m a n n , de P.H. M e n o u d , de W.E. M o o r e et de B.D. C h i l t o n . En Matthieu le mot
« biastai » ( = violents) n ’a pas d ’article et donc on ne peut pas comprendre, semble-t-il
que les disciples de Jésus s ’emparent avec énergie (dans le bon sens) du Royaume de Dieu ;
on doit semble-t-il comprendre que des violents (que Jésus ne veut pas désigner de façon
précise) empêchent (dans le mauvais sens) d ’y parvenir.
42 DANS LA SOURCE COMMUNE À MATTHIEU ET LUC ^
2) M a t t h ie u 5,1 9 -2 0
Source Commune et que Luc en ait seulement conservé quelques mots. Mais
ce n ’est là qu’une hypothèse invérifiable.
Le sens de « Royaume » s’impose ici puisqu’il s’agit d ’une réalité col
lective, dans laquelle on « entre ». Curieusement, les verbes qui indiquent
les conditions sont au subjonctif aoriste, à sens de répétition dans le présent
(« si quelqu’un viole.., s ’il enseigne... s ’il pratique... s’il enseigne... si votre
justice ne dépasse pas...») et les verbes qui indiquent les résultats sont à
l ’indicatif futur (« il sera appelé...) ou au subjonctif aoriste à cause de
« ou mê », signifiant « il n ’y a pas de danger que... » (« il n ’y a pas de danger
que vous entriez = vous n ’entrerez pas »). Cette tournure montre clairement
que les conditions sont à remplir dès m aintenant, mais que leur effet ne se
produira que plus tard : c’est dès m aintenant qu’on peut violer et faire violer
les préceptes, q u ’on peut les observer et les faire observer, que la justice
peut dépasser celle des Scribes, mais c’est seulement plus tard q u ’on entrera
ou n ’entrera pas dans le Royaume de Dieu et q u ’on y sera considéré comme
le plus petit ou le plus grand. Ici donc le Royaume de Dieu est présenté dans
le futur, mais dans un futur relativement proche, puisque les auditeurs de
Jésus pourront y pénétrer ou en être exclus’.
3) M a t t h ie u 7,21
« C e n ’est pas tout (homme) qui me dit «Seigneur, Seigneur» qui
entrera dans le Royaume des Cieux ( = de Dieu), mais celui qui fait la
Volonté de mon Père qui (est) dans les Cieux ».
Luc 6,46 résume la même idée et donc il se pourrait que cette parole de
Jésus provienne de la Source Commune à M atthieu et à Luc, mais nous
ne pouvons pas le vérifier.
Comme dans le texte précédent, il s’agit bien du Royaume de Dieu, où
l ’on peut entrer, et la même distinction apparaît entre les deux verbes au
présent ; «(celui) qui me dit... celui qui fait...», et le verbe au futur : « il
entrera dans le royaume ». Donc, comme au texte précédent, Jésus distingue
les conditions à remplir déjà maintenant et l’effet à obtenir plus tard, mais
dans un avenir accessible à ses auditeurs.
Certains manuscrits (énumérés par N e s t l e , M e r k o u L e g g ) ajoutent ;
«celui-là entrera dans le Royaume des Cieux ( = de Dieu)». Cette variante
est une addition manifeste et, en ce qui nous concerne, elle ne modifie en
rien les données de la phrase précédente.
4) A l l é g o r ie d e l ’I v r a ie d a n s l e B lé : M a t t h ie u 13,24-30+36-43
I. C ’est ici que devrait ê(re mentionné M atthieu 6,13 : « C ar à toi est la royauté, la
puissance et la gloire pour les siècles », où le sens de « royauté » est imposé par le parallélisme
avec la « puissance » et la « gloire » ; le premier terme, tout comme les deux suivants, désigne
un attribut subjectif de Dieu. Mais ce texte, qui est une addition d'origine liturgique inspirée
par 1 Chron. 29,11-12, ne peut pas être considéré comme authentique, ainsi que le
reconnaissent les éditions critiques de T i s c h e n d o r f , de W e s t c o t t - H o r t , de N e s t l e , de
VON SoDEN, de M e r k , de L e o o et d ’ALANo. La question est discutée plus en détail par
B .M . M b t z o e r , p. 16-17 et par J. C a r m i g n a c (Recherches...) p. 320-333.
MATTHIEU 13 ,2 4 -3 0 + 36 -4 3 45
son ennemi est venu : il a semé de l’ivraie au milieu du blé et il est parti.
Quand l’herbe a poussé et a fait du fruit, alors est apparue aussi l’ivraie.
5) P a r a b o l e du T r é s o r : M a t t h ie u 13,44
6) P a r a b o l e d e la P e r l e : M a t t h ie u 13,45-46
5. N ous savons par Jean 1,42; 1 Cor. 1,12; 3,22; 9,5; 15,5; Gai. 1,18; 2,9; 11,14
q u ’effectivement Pierre a été appelé Kêfâ(s), ce qui en aram éen signifie « la pierre » ou
« le roc », « le rocher ».
48 TEXTES PROPRES À MATTHIEU
promesse®, quoique tout le monde soit bien obligé de reconnaître son carac
tère sémitique''. Certains voudraient la considérer comme inauthentique,
mais elle se trouve dans tous les manuscrits de Matthieu®, sans plus de variantes
secondaires que le reste des Evangiles®.
Quelle que soit l ’origine de ce passage, ce qui nous importe, c ’est de le
comprendre exactement^®. Comme Jésus parle des clefs du Royaume (voir
ci-dessus (p. 39) Luc 11,52 et M atthieu 23,15) et qu’il souligne le caractère
spatial de ce Royaume, en opposant la terre et le ciel, on ne doit pas hésiter à
reconnaître ici le sens de « Royaume » plutôt que celui de « Règne ». La
promesse de Jésus s’exprime par des verbes au futur : « Je construirai mon
Eglise... les portes de l ’Enfer ne seront pas plus fortes q u ’elle. Je te donnerai
les clefs du Royaume (de Dieu)... sera lié... sera délié». Mais quelle est la
portée de ce futur : est-ce que l’Eghse n ’existe pas encore, ni les clefs du
Royaume, et q u ’elles n ’existeront que plus tard, pendant la vie de Pierre ?
Ou bien est-ce que l ’Eglise existe déjà, mais q u ’elle ne reposera sur Pierre
que plus tard ? Est-ce que ce qui est lié ou délié sur la terre l ’est déjà dans le
ciel, mais cette fonction ne sera attribuée à Pierre que plus tard ? Reconnais
sons que ce passage, à lui seul, ne nous permet pas de répondre à ces questions
et de résoudre ces am biguïtés^^
Mais nous devons noter très soigneusement le parallélisme manifeste que
Jésus réalise entre « son Eglise » et « le Royaume de Dieu ». C ’est en somme
la même idée q u ’il exprime par deux formules équivalentes : « sur (toi) je
construirai mon Eglise» et « je te donnerai les clefs du Royaume des Cieux
( = de Dieu) ». A travers deux images différentes mais complémentaires,
c ’est la même réalité que Jésus désigne par son « Eglise » et par le « Royaume
des Cieux ». Ce parallélisme est d ’autant plus significatif que le terme « Eglise »
est extrêmement rare dans les Evangiles : M arc, Luc et Jean ne l ’emploient
jamais ; M atthieu ne l’emploie q u ’ici et en 18,17 (au voisinage de 18,18 qui est
apparenté de façon manifeste à la finale de notre passage. Ainsi sur les deux
fois où le m ot « Eglise » apparaît dans les Evangiles, il est une fois considéré
comme l ’équivalent du « Royaume de Dieu ». L ’un des plus récents commen-
6. Etudes plus ou moins développées sur ce passage : non seulement dans les commen
taires sur M atthieu, mais aussi chez H . D ie c k m a n n (I, p. 285-319), L. d e G r a n d m a is o n
(II, p. 63-65), O. L i n t o n (p. 157-180), T.W. M a n s o n (Sayings, p. 201-205), R .N . F l e w
(p. 89-98), K.L, ScHMiDT(Ekkêsia... en allemand, p. 522-530 ; en français, p. 78-94), G . G a n d e r
(tout l’ouvrage), G .E . L a d d (p. 240-242), J. K a h m a n n , P. H o f f m a n n .
7. Ce substrat sémitique (araméen) est étudié par D a l m a n (p. 174-178).
8. Et elle était déjà connue au premier siècle par les Odes de Salomon X X II,12, au
deuxième siècle par l ’Apocalypse Grecque de Barach X I,2, entre 150 et 155 par J u s t i n dans
son Dialogue avec Tryphon, chapitre 100, n° 4 ( M io n e , Patrologie Grecque vol. VI, col. 709,
traduction A r c h a m b a u l t , p. 123) et vers 220 par T e r t u l l i e n dans le De Pudicitia, chap. 21
( M ig n e , Patrologie Latine, vol. II, col. 1025). L ’authenticité est actuellement reconnue par
K .L. ScHMiDT (p. 523) : « Dans les autres cas une tradition n ’est nullement considérée comme
inauthentique parce q u ’elle est une tradition particulière ».
9. Selon l’édition de L e g q , la plus complète qui existe actuellement.
10. K.L. ScHMiDT remarque à propos de ce texte : « Il est caractéristique combien
fortement, dans toute cette discussion, une construction systématique a évincé la position
exégétique » (Basileia... p. 526, note 63).
11. Ces réponses seront fournies ci-dessous, p. 96.
MATTHIEU 18,1 + 3 + 4 45/
10) M a t t h ie u 18,1 + 3 + 4
Dans le récit de M arc 9,33-37, que Luc 9,46-48 reproduit en l’abrégeant,
M atthieu 18,1-5, qui lui aussi abrège M arc sur certains points, ajoute quelques
développements, qui trois fois mentionnent le « Royaume des Cieux ( = de
Dieu) ».
Là où M arc 9,34 disait : « Qui (est le) plus grand ? » et Luc 9,46 :
«Qui serait (le) plus grand (parmi) eux ( = les disciples) ?» M atthieu 18,1
dit : « Qui est Oe) plus grand dans le Royaume des Cieux ? ».
Puis M atthieu 18,3-4 complète M arc 9,36 (et Luc 9,48) en insérant la
réflexion suivante : « Si vous ne changez pas et (ne) devenez (pas) comme les
enfants, vous n ’entrerez pas dans le Royaume des Cieux ( = de Dieu). Donc
quiconque se rendra petit comme cet enfant, celui-là est le plus grand dans
le Royaume des Cieux ( = de Dieu)».
T out ce passage, avec ses trois références au « Royaume des Cieux
( = de Dieu) », vise clairement le « Royaume » et non pas le « Règne » de Dieu,
puisqu’il s ’agit précisément d ’y entrer, d ’en être membre et d ’être comparé
aux autres membres.
12. L a bibliographie sur ce texte est immense. Q u’il soit pem ûs de ne citer (mais dans sa
langue originelle) qu ’un vieil auteur anonyme, qui risquerait de tom ber dans l’oubli ; « 1 will
give unto thee the keys of the kingdom o f heaven. » By « the kingdom of heaven » is meant
the Church which Christ was establishing on earth, with ail its privilèges and means o f grâce,
to préparé his people for the Church trium phant— the kingdom of heaven above. It is the
common usage of our Lord to describe his Church by this expression ; as when he likens
« the kingdom o f heaven » to a net cast into the sea, which encloscd both good fishes and
bad (M att. 13, 47-50); to a field, in which both the good seed and the tares were to grow
together until the harvest (M att. 13, 24-30) ; to a grain o f mustard seed growing into a large
tree, in which the fowls of the air should lodge (M att. 13, 31-32); to leaven hid in three
measures of meal till the whole was leavened (M att. 13, 33) ; and in many other familiar
cases. The phrase is sometimes used in other senses, sometimes the S tate o f e te m a l glory,
sometimes the internai experience of the Christian, sometimes the whole work and dispensa
tion of Christ. But here it evidently means the Church, o f which he had just before spoken,
and to which the subséquent clauses plainly apply ». (« The Rock. An exegesis of St. Matthow
16,15-19 », dans The Journal o f Sacred Literature and Bibiical Record, vol. VU, n" 13,
April 1858, p. 82).
La liste des auteurs qui maintiennent l’authenticité de M atth. 16,17-19 est dressée par
O. CuLLMANN (Saint-Pierre..., p. 167-191) et complétée par G.E. L a ü d (p. 241).
Parmi les auteurs qui refusent l'authenticité de ce passage, voici l’opinion de R. B u l t m a n n
(Histoire de la tradition synoptique, p. 179): « Il me paraît absolument impossible de tenir
Matthieu 16,18-19 pour une authentique parole de Jésus, comme le désirerait K.L. S c h m u jt
qui trouve exprimée dans cette sentence la fondation par Jésus d ’une société particulière
(d ’une kenîStâ). La rançon à payer pour ce moyen de se tirer d ’affaire est que l’ekklêsia perd
son radical sens eschatologique » (l’aveu est significatif!). B.S. E a t o n abonde dans le même
sens (p. 257) : « Il est maintenant admis universellement que (ce passage) est secondaire, car
il est totalement inconciliable avec l’enseignement de Jésus sur le Royaume, soit présent,
soit futur » (autre aveu significatif!). En 1941 B u l t m a n n revient sur la question (Die Frage...
article reproduit en 1967 dans Exegetica) pour affirmer à nouveau que Jésus ne pouvait
pas vouloir fonder une « para-synagogue », puisque « il ne peut y avoir aucun doute que cette
ekklêsia était le peuple de Dieu eschatologique » (Exegetica, p. 263). Nous voyons par là
comme les théories eschatologiques influencent la compréhension des paroles de l’Evangile...
La position de B ü l t m a n n est légèrement adoucie par son disciple E. D i n k l e r (dans un ouvrage
en l’honneur de B ü l t m a n n !).
50 TEXTES PROPRES À MATTHIEU
11) P a r a b o l e d u D é b it e u r I m p it o y a b l e : M a t t h ie u 18,23-35
« Le Règne des Cieux {= de Dieu) a été comparé à un homme, un roi,
qui voulait régler ses comptes avec ses serviteurs... » Après avoir mis en scène
un débiteur qui devait dix mille talents et un autre qui devait cent deniers,
Jésus conclut : « Ainsi mon Père céleste (lui) aussi agira envers vous, si vous
ne pardonnez pas, chacun à son f r è r e d e (tout) votre cœ ur».
Dans cette parabole, une traduction par « Royaum e» fausserait la
pensée de Jésus : la conclusion montre nettement que Jésus décrit le principe
de gouvernement suivi par Dieu, donc q u ’il veut dire « Règne», là où le grec
emploie «basileia». Nous voyons ici comment Dieu met à exécution sa
Royauté. Bien sûr, les deux serviteurs sont membres du Royaume de Dieu,
dont l’un est exclu, parce q u ’il ne se conforme pas à l ’exemple que lui donne
son maître. Mais ce n ’est pas l’aspect « Royaume » qui est présenté par cette
parabole, c’est l’aspect « Règne ».
La parabole est tout entière rédigée au passé, mais c ’était inévitable que
Jésus emploie une tournure historique, pour donner une allure de réalité au
récit fictif q u ’il inventait. Ces verbes au passé n ’ont donc pour nous aucune
valeur particulière.
12) M a t t h ie u 19,12
« Il y a des eunuques qui sont nés ainsi du sein de leur mère, et il y a
des eunuques qui ont été rendus tels par les hommes, et il y a des eunuques
qui se sont eux-mêmes rendus tels à cause du Règne (ou : du Royaume)
des Cieux ( = de Dieu)».
Ici Jésus n ’envisage pas la façon dont Dieu réalise sa Royauté, mais la
réaction de certains hommes qui y sont soumis. Faut-il comprendre que
certains hommes se sont castrés pour « entrer dans le Royaume de Dieu »
ou bien q u ’ils l ’ont fait sous l’influence du «R ègne» de Dieu sur eux ? La
préposition grecque « dia » n ’est pas assez précise pour nous renseigner
sur ce point.
Par contre ces eunuques sont trois fois mentionnés au présent, comme des
réalités historiques bien connues. Et chaque fois la cause de leur état est
indiquée par un verbe au passé. C ’est donc déjà dans le passé que certains
hommes se sont eux-mêmes rendus eunuques et que leur acte a été inspiré
par le « Règne » ou le « Royaume » de Dieu. Mais cela ne signifie pas
nécessairement que ce « Règne » ou ce « Royaume » de Dieu appartiennent
au passé : des hommes ont pu agir dans le passé en vue d ’un but futur. Sur
ce point aussi ce passage de M atthieu reste amphibologique.
L ’épouse de Zébédée demande pour ses fils : « Dis que mes deux fils
que voici siègent l’un à ta droite et l ’autre à ta gauche dans ton Royaume... ».
Jésus répond : « ... Siéger à ma droite et à (ma) gauche, ce n ’est pas mon
(affaire) de le donner, mais (c’est) pour ceux à qui (cela est) préparé par
'J :'-
m on Père...» Et Jésus termine par une adm onition adressée aux douze
Apôtres : « Vous savez que les chefs des nations les régentent et (que) les
52 TEXTES PROPRES À MATTHIEU
grands les oppriment. Ce n ’(est) pas ainsi (qu’) il (en) sera^'* parmi vous, mais
quiconque veut parmi vous devenir grand, il sera votre serviteur. Et quiconque
veut parmi vous être le premier, il sera votre esclave, comme le Fils de l’Homme
n ’est pas venu (pour) être servi, mais (pour) servir et donner sa vie (en) expia
tion à la place de beaucoup ».
Selon M arc 10,37 la demande présentée à Jésus concerne la prom otion
de Jacques et Jean à sa droite et à sa gauche « dans ta gloire » et M atthieu
20,21 remplace « g lo ire» par «basileia». Si M atthieu a voulu conserver le
caractère subjectif de « gloire », il a dû avoir à l’esprit le sens de « Royauté ».
Mais s’il a substitué un terme à l’autre, n ’est-ce pas plutôt parce q u ’il voulait
remplacer l’idée subjective de « gloire» par l’idée objective de « R oyaum e» ?
Il a dû penser qu’il n ’était pas naturel de dire « siéger dans ta gloire » et qu’il
vaudrait mieux dire « siéger dans ton Royaume ». Aussi, malgré le parallèle
de Marc, et peut-être même à cause de lui, on doit, semble-t-il, donner la
préférence au sens de « Royaume ». Mais ici ce « Royaume » n ’est pas consi
déré comme le « Royaume de Dieu », il est bel et bien le « Royaume de
Jésus», les deux formules étant équivalentes (voir ci-dessous, p. 98).
La demande suppose évidemment que le Royaume de Jésus n ’est pas
encore là, mais q u ’il va être inauguré dans un avenir immédiat, pendant la
vie même de Jésus. Et Jésus ne répond pas en arguant d ’une erreur de pers
pective, mais d ’une différence d ’attribution : ces postes sont décernés par son
Père et non par lui. Puis Jésus adresse à tous les Apôtres une monition plus
générale : la grandeur réelle sera l ’inverse de la grandeur apparente. Mais
ce futur ne concerne plus le « Royaume » : il suppose que la vraie grandeur,
c ’est-à-dire la petitesse apparente, n ’est pas encore atteinte par les Apôtres,
mais q u ’elle pourra l’être.
Jésus admet donc implicitement que « son Royaume » existera bientôt,
avant la m ort de tous ses Apôtres.
15) M a t t h ie u 2 1 ,3 1 -3 2
14. En Marc 10,43 et en M atthieu 20,26 les manuscrits hésitent entre le présent « est »
et le futur « sera ». L ’édition de Aland préfère le présent en M arc et le futur en M atthieu
(voir B.M. M b t z g e r , p. 108 et 52-53).
15. Bien que le verbe soit au présent dans tous les manuscrits grecs, l’apparat critique
de L eg g signale que plusieurs versions traduisent au fu tu r: Syriaque Sinaitique, Copte
Bohaïrique, Ethiopienne et peut-être Géorgienne (1 manuscrit sur 3). En latin selon l’apparat
critique de W o r d s w o r t h -W h it e , la Vetus-Latina aurait le présent selon 7 manuscrits (dont
2 du 4 ' ou 5 ' siècle) et le futur selon 4 manuscrits (dont 2 du 4 ' ou 5 ' siècle) ; pour la Vulgate
15 manuscrits ont le présent et sont suivis p ar les éditions de W o r d s w o r t h -W h it e et de
W eber , mais 11 manuscrits ont le futur et ils sont suivis par les éditions de Robert E s t ie n n e ,
SrxTE V, C lam ent V llI, T is c h e n o o r f . En français, le futur est employé par L e M a ist r e de
S a c y (éditions de 1759), E. R eus S, Pierre de B e a u m o n t , André F r ossa r d (« En ce temps-là
a Bible »), André C h o u r a q u i ; mais le présent est conservé à juste titre p ar O st e r v a l d ,
C r a m p o n , C e n t e n a ir e , L ié n a r t , M a r ed so u s , J ér u sa lem , O st y et Traduction Oecuménique.
16. Ici M atthieu ne parle pas d u «R oyaum e des C ieux», mais, par exception, du
Royaume de Dieu ».
17. Evidemment il s’agit ici de la perfection dans l’observance de la loi juive.
MATTHIEU 2 1 ,4 3 53
n ’avez pas cru en lui, alors que les publicains et les prostituées ont cru en
lui. Et vous, en (les) voyant, vous n ’avez pas ensuite changé de disposition
pour croire en lui ».
Le sens de « Royaume » s’impose, puisque c ’est un lieu vers lequel on se
dirige (ou ; ne se dirige pas).
Parfois les traductions françaises remplacent (pour quel m otif ?) le
présent « précèdent » par le futur « précéderont », mais en grec tous les
manuscrits (selon L e g g ) ont bien le présent. Et de fait, cette réflexion de
vifv Jésus suppose que déjà les publicains et les prostituées ont cru en la prédi-
■^1 cation de Jean et sont entrés dans le Royaume de Dieu, que déjà les chefs des
prêtres et les anciens du peuple, avec lesquels Jésus discute (M atthieu 21,23),
ont refusé d ’y croire et que déjà ils n ’ont pas tenu compte de l’exemple que
leur donnaient ces publicains et ces prostituées.
Donc ce texte ne peut pas se comprendre si l’on n ’adm et pas que le
Royaume de Dieu existe déjà et q u ’il existait déjà lors de la prédication de
Jean-Baptiste.
16) M a t t h ie u 2 1 ,4 3
18. Bien que J ü u c h e r considère ce passage comme une parabole allégorisée, J.M . V osté
et J . PiROT le rangent à juste titre parmi les allégories.
. 19. A nouveau M atthieu oublie de remplacer « D ieu » par « Cieux ».
54 TEXTES PROPRES À MATTHIEU
17) P a r a b o l e de la N o c e e t d e l ’H a b it N u p t ia l : M a t t h ie u 22,2-14
18) M a t t h ie u 24,14
« Cet Evangile (ou : cette bonne nouveUe) du Règne (ou : du Royaume)
sera proclamé (e) dans toute la terre en témoignage pour toutes les nations ;
alors viendra la fin ».
Le futur du verbe « proclamer » concerne la bonne nouvelle (ou :
l ’Evangile), mais pas directement le Règne ou le Royaume, qui peuvent être
antérieurs à leur diffusion. Or la Fin (du M onde) ne surviendra q u ’après
une diffusion atteignant tout l’univers. Mais on pourrait objecter que la
bonne nouvelle peut aussi proclamer un Règne ou un Royaume à venir.
Aussi ne peut-on extraire de ce texte aucun renseignement valable sur le
début du Règne ou du Royaume.
20. N i non plus, évidemment, d u futur « il y aura le sanglot », car c’est un futur par
rapport à l’expulsion du convive sans h abit de noce.
MATTHIEU 2 5 ,3 1 -4 6 35
20) D e s c r ip t io n du J u g e m e n t D e r n ie r : M a t t h ie u 25,31-46
1) L u c 1,31-33
« T u l’appelleras Jésus. Il sera grand et appelé fils du Très-Haut. Le
Seigneur Dieu lui donnera le trône de son père David, il régnera sur la maison
de Jacob pour les siècles et son Règne n ’aura pas de fin ».
3) L u c 9,62
« Personne, s’il a mis la main à la charrue et regarde en arrière, n ’est
apte au Règne (ou ; au Royaume) de Dieu ».
Ici encore, l’absence de contexte ne permet pas de décider entre « Règne»
ou « Royaume » de Dieu.
Mais, ici plus qu’ailleurs, Jésus insiste sur Furgence d ’une adhésion
positive, car cette réponse est faite à un homme qui demande seulement un
délai de quelques jours pour aller prendre congé de sa famille. Comment
comprendre une telle exigence de la part de Jésus, s’il ne prêche qu’un
« Règne » ou un « Royaume » de Dieu prévus pour un avenir assez lointain ?
C 4) L uc 12,32
« Ne crains pas, petit troupeau, puisqu’il a plu à votre Père de vous
donner le « Royaume ».
58 TEXTES PROPRES À LUC
Entre deux versets communs avec M atthieu (Luc 12,31 = M atthieu 6,33 ;
Luc 12,33 = M atthieu 6,20), Luc insère cette phrase bien frappée en style
sémitique^.
S’il s’agissait du « R ègne» de Dieu, le verbe « donner» supposerait que
Dieu a délégué sa Royauté aux membres du petit troupeau pour qu’ils
l ’exercent à sa place. Ce n ’est évidemment pas cela que Jésus veut dire.
C ’est donc le «R o y aum e» qui est accordé aux disciples, qui ne forment
encore q u ’un petit troupeau, mais qui sont regardés par leur Père du Ciel
avec complaisance ou avec bienveillance.
Le verbe, « il a plu » au passé, pourrait en théorie être considéré comme
un «passé prophétique» : Dieu ayant déjà décidé d ’accomplir une chose qui
ne se réalisera que dans l’avenir. Mais c’est dans le présent que doit être
éliminée toute crainte et elle doit être éliminée parce que Dieu a déjà décidé
de « d o n n e r» le Royaume. Même si, en théorie, cette expression peut s ’appli
quer à un Royaume qui ne sera donné que plus tard^, on ne peut nier q u ’elle
convienne beaucoup mieux si le petit troupeau est déjà gratifié du « Royaume »,
ce qui doit le prémunir contre toutes les peurs possibles.
5) L u c 14,15
« Un des convives, entendant cela, lui a dit ( = à Jésus) : « Bienheureux
quiconque mangera du pain dans le Royaume de Dieu».
Voilà bien une phrase qui est certainement d ’origine sémitique. Luc l ’insère
après 14 versets qui lui sont personnels et avant la parabole des Noces qui
est reproduite, avec de notables variantes, par Luc 14,16-24 et par Matthieu
22,2-13. Nous ne pouvons donc affirmer avec certitude ni qu’elle provient de
la Source Commune, ni q u ’elle n ’en provient pas. Mais peu importe pour
nous.
Le sens de « Royaum e» s’impose, puisqu’il est ici comparé à un repas,
dont on se réjouit d ’être un des convives.
» Le verbe au futur indique clairement q u ’on ne participe pas encore à ce
repas et rien n ’indique si cet avenir est proche ou éloigné. Simplement la
participation à ce repas du Royaume, même pour un rôle modeste : manger
du pain'*, est considérée comme un bonheur digne d ’être mentionné.
6) L u c 17,20-21*
« Interrogé par les Pharisiens quand vient le Règne de Dieu, il ( = Jésus)
leur a répondu et il a dit : « Le Règne de Dieu ne vient pas ostensiblement®.
On ne dira pas : « Voici (il est) ici ou là. Car voici (que) le Règne de Dieu
est parmi vous ».
2. Wilh. Pesch a consacré un savant article à ce passage, mais sans insister sur l’aspect
qui nous intéresse. B.D. C h il t o n étudie longuement (p. 231-250) les sources possibles et la
rédaction hypothétique de ce verset.
3. Voir en ce sens J. D u p o n t (Béatitudes, III, p. 122-124).
4. Certes, en langage sémitique, cette formule convient à toutes les participations à un
repas, mais ici, alors q u ’au verset suivant Luc parle explicitement d ’un banquet, elle n ’insiste
pas, bien au contraire, sur la qualité du repas.
5. Le substrat sémitique (araméenj de ce texte est étudié par D a lm a n (p. 116-119) et plus
guccinctem ent par H é r in o (Remarques..., p. 27-28).
6. Littéralement : « avec observation ». Voir P. J o ü o n , Notes philologiques..., p. 354-355.
LUC 17,20-21 59
Règne de Dieu existe déjà et q u ’il s’exerce déjà sur les Pharisiens eux-mêmes.
En toute hypothèse, Jésus considère ce Règne de Dieu comme une réalité
déjà présente
7) L u c 18,29
« Pierre a dit : « Voici que, nous, ayant quitté (nos) biens, nous t ’avons
suivi ». Il ( = Jésus) leur a dit (aux apôtres) : « Amen, je vous dis q u ’il n ’y a
personne qui a quitté une maison, une femme, des frères, des parents ou des
enfants à cause du Règne (ou ; du Royaume) de Dieu, qui ne reçoive pas
beaucoup plus en ce temps-ci et dans le siècle à venir la Vie étemelle ».
L ’ensemble de ce dialogue se trouve aussi en M arc 10,28-30 et en M atthieu
19,27-29. Mais là où Luc porte « à cause du Règne (ou ; du Royaume) de
D ieu», M arc dit « à cause de moi ( = Jésus) et à cause de l’Evangile» et
Matthieu dit « à cause de mon nom ». Nous pouvons donc conclure que
c ’est Luc en personne qui a voulu cette modification pour un m otif soit
littéraire soit théologique. Peut-être a-t-il agi ainsi pour mieux s’adapter à
la mentalité de ses lecteurs, qui commençaient à moins s’intéresser à la
personne de Jésus et qui songeaient surtout à participer à ce Règne (ou : ce
Royaume) de Dieu. Quoi qu’il en soit, cette adaptation de M arc représente
directement non pas la pensée de Jésus, mais l ’interprétation par Luc de la
pensée de Jésus.
Le contexte de Luc ne nous permet pas de préciser s’il parle du Règne ou
du Royaume de Dieu, car on peut renoncer à tous ses biens soit pour mieux
s’ouvrir au Règne de Dieu, soit pour mieux participer à son Royaume.
Par contre la réflexion de Pierre vise certainement le passé (et de même en
M arc et en M atthieu) puisqu’il fait allusion au renoncement que lui et les
apôtres ont dû consentir pour commencer à suivre Jésus. Et la réponse de Jésus,
qui indique le résultat de ce renoncement, se situe sur le même plan, mais en
énonçant un principe général qui déborde le cas des apôtres et qui concerne
tous les disciples de Jésus, dans le passé, dans le présent et dans l ’avenir. Si
Jésus emploie un verbe au passé (« qui a quitté »), ce passé est relatif au verbe
suivant (« qui ne reçoive pas ») et donc il n ’a pour nous aucune valeur parti
culière ; le renoncement est toujours antérieur à sa récompense. Mais ce
qui a une grande valeur c’est que le principe général formulé par Jésus
10. Loisy (Synoptiques... II, p. 401-404, voir à la fin de ce livre l’Appendice I, p. 203-205)
se donne beaucoup de mal pour dénaturer le sens de ce présent, qui gêne ses théories. Plusieurs
auteurs avouent qu’ils ne peuvent pas admettre que ce texte s’applique au présent, parce que
cela com prom ettrait son caractère eschatologique. Voici comment T.F. G lasson (Kingdom
as Cosmic... p. 192-193) apprécie leur m éthode: « Certains interprètes harmonisent (ce texte)
avec la théorie futuriste en ajoutant le m ot « subitement » (par exemple B u l t m a n n , Jésus
and the W orld, London, 1935, p. 40). On est enclin à ratifier l’opinion de R udolf O rro
(Kjngdom o f G od, London, 1938, p. 135): « Pour sauver une fausse théorie, on s’en tire
en suppléant certains mots, comme « subitement », « inopinément ». Ce m ot est mis entre
p a r e n th è ^ et la parenthèse insérée dans le texte ; « Le Royaume viendra (subitement) parmi
vous ». Singulière méthode d'interprétation qui interpole le texte plutôt q u ’elle ne l ’explique.
Le m ot entre parenthèses deviendrait alors l ’essentiel du discours et sur lui seul tout
reposerait ». Plus logiquement, E. G r asser parle de « la pensée non-eschatologique de Luc »
(p. 212).
LUC 19.11 ; 2 2 ,1 6 61
s’applique déjà aux apôtres : eux, ils ont déjà tout quitté à cause du Règne
ou du Royaume de Dieu, tout comme le feront ensuite bien d ’autres disciples.
Les apôtres, quelques mois ou quelques années auparavant, en laissant leur
famille et leurs biens, ont déjà agi, selon la pensée de Luc, en vue du Règne
ou du Royaume de Dieu. Certes on ne dit pas que ce Règne ou ce Royaume
existait déjà et les apôtres ont pu, en théorie du moins, n ’agir que pour une
espérance plus ou moins lointaine. Mais Luc ne fait ici que transposer à
l ’intention de ses lecteurs la formule de Marc : « à cause de mot ( = Jésus)
et de l ’Evangile,», ou celle de M atthieu : « à cause de mon nom ». Donc,
selon la pensée de Luc, agir à cause de Jésus et de l’Evangile, c ’est agir à cause
du Règne ou du Royaume de Dieu. Manifestement, pour Luc, Jésus et son
Evangile sont équivalents au Règne ou au Royaume de Dieu.
8) L u c 19,11
«C om m e ils ( = les apôtres) entendaient cela, (Jésus) à n o u v e a u l e u r
a dit une parabole, parce q u ’il était proche de Jérusalem et q u ’ils s’imaginaient
que le Règne (ou ; le Royaume) de Dieu devait se manifester immédiatement ».
Cette phrase, qui ne se trouve q u ’en Luc, correspond bien à son intention
de grouper dans le cadre d ’un dernier voyage à Jérusalem un bon nombre
des enseignements de Jésus. En Luc 9,51 nous avons le début de ce voyage et
ici nous sommes près du terme. Cependant le sémitisme qui marque le début de
cette phrase (comme en Luc 20,11 et 12 et dans les Actes 12,3) oblige à sup
poser que, pour les premiers mots au moins, Luc s’inspire d ’un document
sémitique.
S’agit-il du Règne ou du Royaume de Dieu ? L ’un et l ’autre peuvent
se manifester. Et n ’oublions pas que ce passage nous transmet non pas la
pensée de Jésus, mais les rêves des apôtres, que Luc refuse de prendre à son
compte.
Selon ces rêves, le Règne ou le Royaume de Dieu devait se manifester
bientôt, et sans doute d ’une façon spectaculaire. Cette manifestation peut
d ’ailleurs supposer, dans l’imagination des apôtres, soit que le Règne ou le
Royaume de Dieu n ’existaient pas encore, soit q u ’ils existaient déjà, mais
en secret, et qu’ils allaient enfin apparaître en public.
Comme ce ne sont là que des rêves, et qui ont été cruellement démentis
par la réalité, nous ne pouvons en tirer aucun argument valable sur la date
prévue pour ce Règne ou ce Royaume.
9) Luc 22,16
« Quand ç ’a été l’heure, (Jésus) s’est mis à table et les apôtres avec lui.
n leur a dit : « J ’ai désiré d ’un (grand) désir manger cette Pâque avec vous
avant de souffrir, car je vous dis que je ne la mangerai plus jusqu’à ce q u ’elle
soit accomplie dans le Royaume de Dieu ».
La première phrase est assez parallèle à M arc 14,17 et à M atthieu 26,20,
mais ensuite Luc ne dépend plus d ’eux. Cependant il reproduit un document
11. Pour dire « à nouveau », Luc n ’emploie pas l’adverbe « palin », qui serait normal
en grec, mais la formule sémitique « il a ajouté et il a dit » : ou « ayant ajouté, il a dit » :
c ’est l'indice d ’une origine sémitique pour cette phrase.
62 TEXTES PROPRES À LUC
sémitique et même hébraïque, car la formule « j ’ai désiré d ’un (grand) désir»
correspond sans aucun doute possible à l ’infmitif absolu de l’hébreu (et cette
tournure caractéristique n ’existe pas en araméen).
Le sens est manifestement celui de Royaume, puisqu’il s’agit ici d ’un lieu
dans lequel sera célébrée la future Pâque.
De même il est clair que ce texte concerne l ’avenir. Si les paroles de Jésus
sont à prendre dans leur signification habituelle, cet avenir est très proche,
puisqu’il se réalisera avant la Pâque de l ’année suivante. Mais, plus pro
bablement, ces paroles de Jésus sont chargées d ’une valeur métaphorique ou
allégorique et elles veulent dire en somme que Jésus va m ourir et entrer dans
une vie céleste, qui est présentée comme le Royaume de Dieu.
10) L u c 22,29-30
«V ous ( = les apôtres) êtes ceux qui ont persévéré avec moi dans mes
épreuves. Et moi je vous transmets, comme mon Père me (1’) a transmis, un
Règne (ou : un Royaume), afin que vous mangiez et buviez sur ma table dans
mon Royaume, et que vous siégiez sur des trônes en jugeant les douze tribus
d ’Israël ».
L ’ensemble de ce texte se retrouve en M atthieu 19,28, et donc il provient
de la Source Commune. Mais M atthieu n ’a pas cette double mention du
Royaume de Dieu, qui correspondrait si bien à ses goûts. Comme on ne peut
guère supposer q u ’il l ’ait négligée, on doit plutôt la considérer comme une
addition venant de Luc lui-même*^.
Dans ces deux emplois du mot « basileia », le second concerne bien le
Royaume, dans lequel sera réalisé le festin messianique. Mais le premier ?
On adm ettra volontiers q u ’il a aussi le même sens et donc que Jésus a transmis
à ses apôtres le Royaume qu’il a reçu de son Père.
Le verbe « transmettre » est au présent et s’oppose au passé qui concerne
la transmission du Père à Jésus : Jésus parle donc d ’un Royaume qui existe
présentement. Si c’était seulement le droit à ce Royaume (futur), Jésus aurait
dû nécessairement mettre le verbe au futur ou spécifier que ce q u ’il trans
mettait alors n ’était pas le Royaume, mais seulement une promesse. Le texte,
tel q u ’il est, impose cette conclusion, d ’autant plus que la transmission du
Père à Jésus n ’est pas un simple « titre », mais bien une réalité, située dans le
passé : donc la transmission présente de Jésus aux apôtres doit être aussi
réelle.
Pourtant on ne peut nier que ce texte concerne aussi la Fin du Monde,
car « siéger sur des trônes pour juger les douze tribus d ’Israël » est une claire
allusion au Jugement Dernier. D ’ailleurs le texte parallèle de M atthieu le
précise d ’une façon explicite : « dans la nouvelle création quand le Fils de
l ’Homme siégera sur son trône g l o r i e u x 'v o u s siégerez vous aussi sur douze
12. L ’importance de ce texte est bien mise en relief par B üchhelm , qui lui emprunte
le titre de son 2 ' chapitre (p. 55-88) : « A ma table dans mon Royaume ».
13. Littéralement : « dans la palingénèse ».
14. Matthieu emploie la tournure sémitique « le trône de sa gloire ».
LUC 2 3 ,4 2 63
trônes en jugeant les douze tribus d ’Israël». Ainsi nous voyons que le
Royaume de Dieu existe déjà quand Jésus parle à ses apôtres et qu’il existera
encore à la Fin du Monde et au Jugement Dernier.
11) L u c 23,42
« 11 ( = le bon larron) disait : « Jésus, souviens-toi de moi quand tu
viendras dans ta Royauté (ou ; ton Royaume)».
Les manuscrits grecs hésitent entre « en tê basileiâ » et « eis tên basileian » ;
à leur suite les critiques sont assez indécis : W e st c o t t -H o r t , N estle , A l a n d
(Synopse en 1964), M e t z g e r (p. 181) préfèrent «eis tê n » ; T is c h e n d o r f ,
VON SoDEN (1913), L a g r a n g e , M e r k et l ’édition de A l a n d -B l a c k - M e t z g e r -
WiKGREN (en 1966) préfèrent « en tê».
Sans q u ’on puisse prétendre à la certitude, les critiques qui optent pour
« en tê » font vaJoir que la présence du verbe « venir » devait entraîner en
grec le passage de « en tê » en « eis tên » et empêcher celui de « eis tên » en
« en tê». Ainsi la variante « eis tên » a plus de chance d ’être une correction et
la variante « en tê », qui est littérairement moins naturelle, a plus de chance
de correspondre à l ’original. Si l ’on adm et que ce passage correspond à une
source sémitique (au verset 40 la tournure « ayant répondu... il a dit » est si
normale en hébreu ou en araœéen et si anormale en grec !), le problème
devient encore plus insoluble, car dans un cas comme dans l’autre l ’hébreu
ou l ’araméen emploieraient b m l K w T k ' qui peut signifier soit « dans ta
Royauté » soit « dans ton Royaume ».
N ’oublions pas non plus que cette phrase n ’est pas mise sur les lèvres
de Jésus, mais sur celles du bon larron. Luc ne la prend donc pas nécessairement
à son compte.
En fait cette phrase peut se comprendre soit en fonction du ciel, où
Jésus va pénétrer comme un roi dans son Royaume, soit en fonction de la terre,
où il reviendra avec la dignité de roi (messianique) dans son Royaume
(messianique). Mais la réponse de Jésus s’harmonise mieux avec la première
hypothèse : « Amen je te (le) dis : A ujourd’hui tu seras avec moi dans le
Paradis ».
Toutes ces incertitudes obligent à n ’attacher à ce texte aucune valeur
démonstrative.
1) J e a n 3,3 e t 5
2) J ean 18,36
1) A c t e s 1,3
«(L es Apôtres) auxquels il ( = Jésus) s’est présenté vivant après sa
passion par de multiples preuves se m ontrant visible à eux pendant quarante
jours et parlant de ce qui concerne le Règne (ou : le Royaume) de Dieu».
Voilà bien une phrase grecque, qui ne décalque pas un original sémitique.
Luc, l’auteur des A ctes', l ’a manifestement rédigée lui-même, en grec de bonne
qualité. Et cependant il résume les derniers entretiens de Jésus avec ses
Apôtres, pendant les quarante jours écoulés entre la Résurrection et
l ’Ascension, par cette formule bien sémitique « ce qui concerne le Règne (ou :
le Royaume) de D ieu», qui correspond tout à fait à celle q u ’emploie
l ’Evangile de Luc en 4,43 ; 8,1 ; 9,2.11 et 60 pour définir ainsi la prédication
de Jésus.
Mais la formule est si générale que nous ne savons pas si elle vise le
Règne ou le Royaume de Dieu. De même nous ne pouvons préciser si elle
concerne le passé, le présent ou l’avenir. Mais une telle insistance ne s’expli
querait guère si Jésus ne prédisait qu’un événement lointain, alors q u ’elle
convient tout à fait à l ’annonce d ’une réalité présente, qui concerne directe
m ent les Apôtres et tous ceux q u ’ils atteindront.
2) A c t e s 1,6-7
« Eux ( = les Apôtres), s’étant rassemblés, lui demandaient ( = à Jésus) ;
« Seigneur, est-ce en ce temps-ci que tu restitues le Royaume pour Israël ? »
Il leur a dit : « Ce n ’est pas à vous de savoir les temps et les moments que le
Père a fixés en sa propre puissance... ».
1. L ’attribution des Actes des Apôtres à Luc, l’auteur du troisième évanple, est appuyée
par de tels argum ents q u ’on ne saurait guère la contester. Si cependant certains la mettaient
en doute cela n ’aurait aucune importance pour nous : il leur suflfirait de remplacer ensuite
« Luc » par « l ’auteur des Actes ».
ACTES 8 ,1 2 ; 14,21-22 67
3) A c t e s 8,12
4) A c t e s 14,21-22^
5) A c t e s 19,8
6) A c t e s 2 0 ,2 5 -2 8
« M aintenant voici que je sais que vous ne verrez plus mon visage, vous
tous chez qui je suis passé en prêchant le Règne (ou ; le Royaume)... Prenez
soin de vous-mêmes et de tout le troupeau dans lequel l ’Esprit Saint vous
a placés comme surveillants'^ (pour) être pasteurs de l ’Eglise de Dieu ».
Cette fois c ’est Paul qui, par la plume de Luc, évoque d ’un mot toute
sa prédication à Ephèse. Malheureusement il ne nous fournit aucune préci
sion supplémentaire. Tout au plus remarque-t-on que, trois versets plus loin,
il considère les « surveillants » q u ’il a laissés à Ephèse comme des « pasteurs
de l ’Eglise de D ieu». Son ministère, qui a consisté à prêcher le Règne ou
le Royaume do Dieu, est continué par des « surveillants », dont le rôle consiste
à être « des pasteurs de l ’Eglise de Dieu ». Le parallélisme entre ces deux
formules n ’est peut-être pas fortuit.
7) A c t e s 28,23
« (Les principaux Juifs de Rome), après lui avoir fixé un jour ( = à Paul),
sont venus nombreux vers lui dans son logis® ; par son exposé il attestait le
Règne (ou : le Royaume) de Dieu et il les persuadait® au sujet de Jésus, à partir
de la Loi de Moïse et des Prophètes, depuis le m atin jusqu’au soir».
Cette phrase est rédigée en style grec et elle est vraisemblablement sortie
de la plume de Luc. Cette fois encore, pour caractériser l ’ensemble des exposés
de Paul, il ne trouve pas de meilleure formule que ce recours au « Règne (ou ;
8) A ct es 28,30-31
« Paul est resté deux années entières dans son propre logement et il
recevait tous ceux qui venaient vers lui, annonçant le Règne (ou : le Royaume)
de Dieu et enseignant ce qui concerne le Seigneur Jésus-Christ en toute liberté,
sans empêchement ».
Cette phrase, qui constitue la finale des Actes, est, elle aussi, de structure
grecque. Pour la 6® fois dans les Actes (après 1,13 ; 8,12 ; 19,8 ; 20,25 ;
28,23), Luc répète la formule q u ’il a déjà insérée quatre fois dans son Evangile ;
(4,43 ; 8,1 ; 9,11.60) « annoncer (ou : prêcher, ou : enseigner) le Règne (ou :
le Royaume) de Dieu». Pour ceux qui douteraient que les deux ouvrages
aient le même auteur, voici un sérieux argument pour les convaincre’ . Ici
comme en 28,23 le Règne (ou : le Royaume) de Dieu est considéré comme
l ’équivalent de « ce qui concerne le Seigneur Jésus-Christ» et, ici encore,
cette formule ne se comprend bien que si les deux termes sont pratiquement
synonymes.
« Vous (êtes) témoins, ainsi que Dieu, comme nous^ avons agi saintement,
justement, irréprochablement envers vous les croyants. De même vous savez
comment chacun de vous, comme un père envers ses enfants, nous vous
exhortions, encouragions et adjurions pour que vous vous conduisiez de façon
digne du Dieu qui vous appelle en son Royaume glorieux»^.
Paul veut certainement parler du Royaume de Dieu et non pas de son
Règne, puisqu’il recourt à l ’image spatiale d ’un lieu vers lequel sont convoqués
les croyants.
Conformément au génie de la langue grecque, Paul emploie ici plusieurs
participes, qui insistent plus sur la durée de son action que sur son antériorité ;
mais le premier verbe « égénêthêmén » (rendu approximativement par : « nous
1. Ce « nous » concerne peut-être Paul seul, comme en 2,18, mais peut-être aussi ses
collaborateurs Silvain et Timothée, qui sont mentionnés au début de l ’épître.
2. Littéralement : « vers son Royaume et (sa) gloire ».
II THESS. 1,3-5 71
avons agi ») suffît à les situer tous dans le passé, comme il est naturel, puisque
Paul évoque son récent séjour à Thessalonique. Alors, avec l’affectueuse
sollicitude d ’un père, il exhortait de toutes les façons possibles ses premiers
convertis à une conduite digne du Dieu qui les appelait à son Royaume.
Manifestement, cet appel de Dieu existait déjà lors de la présence de Paul et
il continue de façon permanente, mais est-ce un appel pour un Royaume déjà
existant ou seulement pour un Royaume futur, où l ’on entrera soit à la m ort
soit à la Fin du M onde ?
La présence du mot «g lo ire» ou «glorieux» exclut absolument toute
allusion à la situation réelle des Thessanoliciens, qui sont en pleine détresse
(1,6), qui ont souffert autant que les églises de Judée (2,14), qui ont besoin
d ’être réconfortés dans leurs tribulations (3,3-4). Donc ce « Royaume
glorieux» est celui dans lequel pénétreront les Chrétiens soit à leur mort,
soit au temps de la Parousie et de la Résurrection Générale. Cette dernière
interprétation est, de beaucoup, la plus vraisemblable, car elle est en harmonie
avec le reste de cette épître, où la Parousie et la Fin du Monde tiennent une
très grande place (1,10 ; 3-13 ; 4,15-18 ; 5,1-5).
3) P r e m iè r e a u x C o r in t h ie n s 4 ,19-21
4) P r e m iè r e a u x C o r in t h ie n s 6 ,9 -1 0
5) P re m iè r e a u x C o r in t h ie n s 15,22-27
« Comme tous meurent en Adam, ainsi tous sont vivifiés dans le Christ.
Chacun à son propre rang : (en) prémice le Christ, ensuite les (gens) du Christ
dans ( = lors de) sa Parousie, ensuite la fin, quand il remettra la Royauté
(ou : le Régne, ou : le Royaume) à Dieu le Père*, quand il aboli (ra) toute
dom ination et toute autorité et puissance. Car il faut q u ’il règne ju sq u ’à ce
q u ’il mette tous (ses) ennemis sous ses pieds®. (Comme) dernier ennemi
(sera)”' abolie la mort. Car il a tout soumis sous ses pieds»®.
Le sujet de ces derniers verbes (il remettra... il abolira... il règne... il mette...
il a soumis) ne peut être que le Christ. La projection dans le futur est plus forte
en français q u ’en grec, où elle est simplement sous-entendue, sans être exprimée
nettement, sauf par les mots «ensuite» et « ju sq u ’à ce que». Quoi q u ’il
en soit, nous sommes manifestement devant une description de la Fin du
Monde.
6) P r e m iè r e aux C o r in t h ie n s 15,50
« Je vous affirme ceci, frères : que (la) chair et (le) sang ne peuvent pas
être gratifiés du Royaume de Dieu, ni la corruption n ’est gratifiée de l’incor-
ruption ».
Comme en 1 Corinthiens 6,9-10, « être gratifié» essaie de traduire un
hébraïsme décalqué en grec par la Septante et adopté par S. Paul. Ici comme
là, il ne peut s’agir que du « Royaume » puisque la Royauté et le Règne de
Dieu sont proprem ent intransmissibles à des êtres humains.
Comme S. Paul emploie une phrase négative pour affirmer que cette
entrée dans le Royaume de Dieu n ’est pas possible, il se place en dehors du
temps et sa déclaration vaut pour le passé, le présent et l’avenir. Cependant,
le parallélisme entre « Royaume de Dieu » et « incorruption » indique que
Paul pense au Royaume de Dieu tel q u ’il sera réalisé au Ciel.
7) R o m a in s 14,14-18
« Je sais et j ’ (en) suis convaincu dans le Seigneur Jésus, que rien n ’est
i m p u r e n soi, mais q u ’une chose est impure pour celui qui pense que
c’ (est) impur. Si en effet ton frère est attristé par (une question de) nourri
ture^* tu ne marches plus selon la charité. Ne (risque) pas (de) perdre par
ta nourriture celui pour qui (le) Christ est mort, afin que ne soit pas discrédité
votre (ou : notre) bien‘ ^. Car le Règne de Dieu n ’est pas (une question de)
nourriture ou (de) boisson, mais j u s t i c e 'p a i x et joie dans (]’) Esprit Saint*
En effet celui qui en cela** sert le Christ est agréable à Dieu et estimé des
hommes ».
On ne peut guère contester q u ’ici il s’agisse bien du « Règne» et non pas
du « R o yaum e», puisque précisément est énuméré ce qui est, ou n ’est pas,
l’objet de ce Règne.
Comme il s ’agit d ’une vérité permanente, elle n ’est pas restreinte au passé,
au présent ou à l ’avenir. Mais si S. Paul en parle aux Romains, c ’est évidem
ment que ce problème des aliments purs ou impurs (aux yeux des Juifs) se pose
pour eux de façon concrète. C ’est donc spécialement pour le présent que vaut
cette description des effets du Règne de Dieu dans une vie humaine.
8) G a l a tes 5,19-21^®
« Manifestes sont les œuvres de la chair, qui sont fornication, impureté,
débauche, idolâtrie, magie, inimitiés, rivalité, jalousie, colères, ambitions,
discordes, factions, envies, beuveries, goinfreries^^ et choses semblables.
Je vous (le) dis pour l’avenir comme je vous (L’) ai dit pour le passé : que
ceux qui font de telles choses ne seront pas gratifiés du Royaume de Dieu ».
Ce passage est apparenté à I Corinthiens 6,9-10 et 15,50. Ici comme là,
S. Paul parle d ’une f^uture admission dans un Royaume, dont il ne précise
ni la proximité ni Téloignement, mais qui semble bien être le Ciel.
9) COLOSSIENS 1,9-14
« N o u s ’ ® ne cessons pas de prier pour vous et de demander que vous
soyez remplis de la connaissance de sa volonté ( = celle de Dieu) en toute
sagesse et intelligence spirituelle... rendant grâce*® au Père qui vous (ou :
nous) a admis dans le lot du sort des saints dans la lumière^®, qui vous a
arrachés à la puissance des ténèbres et (vous) a transférés dans le Royaume
de son Fils bien-aimé^*, en qui nous avons la délivrance, le pardon des
péchés ».
Aucun doute : il s’agit bien ici du Royaume, dans lequel on est introduit
par la grâce de Dieu. Mais ici le Royaume dans lequel Dieu fait entrer se
trouve être le Royaume de son Fils.
A lire le texte tel q u ’il est, cette entrée des Colossiens dans le Royaume
du Fils de Dieu a déjà été réalisée ; on remercie le Père de cette faveur ; il
a déjà admis parmi les saints ; il a déjà arraché aux ténèbres ; il a déjà transféré
dans le Royaume de la lumière. Un seul verbe est au présent : « nous avons
la délivrance, le pardon des péchés », précisément parce q u ’il indique le résultat
permanent d ’une délivrance et d ’un pardon qui déjà sont acquis. Le seul
moyen d ’échapper à cette conclusion serait de recourir ici à des « passés
prophétiques» ; parfois, pour indiquer la réalisation im manquable d ’un
événement, les prophètes le décrivent avec des verbes au passé, puisque ce
16. Ceux qui placent l’épître aux Galates avant l’épître aux Romains, ou même avant
celles aux Thessaloniciens. peuvent ranger ce passage à l’endroit qu’ils préfèrent.
17. Cette énumération commence au singulier, en désignant les vices eux-mêmes, et
elle se termine au pluriel, en désignant plutôt les multiples actes qui en résultent.
18. Soit Paul seul, soit Paul et Timothée, nommés l’un et l’autre en 1,1.
19. La tournure employée en grec ne permet pas de savoir si ce sont les Colossiens,
ou Paul et Timothée, qui rendent grâce. Pour la critique textuelle de ce passage, voir M etsmer,
p. 620.
20. C ’est-à-dire : qui vous fait participer au sort réservé aux saints, qui est de jouir de
la lumière de Dieu.
21. Littéralement : « le Royaume du Fils de son am our ».
œ t o s s . 4,1 0 -1 1 75
fait est déjà décidé par Dieu. Mais rien, dans le contexte, n ’indique que S. Paul
fasse une prophétie ; et, au contraire, tout montre q u ’il remercie Dieu pour
les grâces déjà reçues par les Colossiens.
11) E p h é s ie n s 5,5
12) S e c o n d e à T im o t h é e 4,1
« Je (t’en) conjure devant Dieu et le Christ Jésus, qui doit juger les vivants
et les morts, (par) sa manifestation et sa Royauté (ou : son Règne, ou : son
Royaume), proclame la parole... ».
La seconde à Timothée n ’avait pas bonne réputation parmi les critiques,
mais son authenticité vient d ’être soutenue à la fois par J.A.T. R o b in so n
(p. 67-82), par D o c k x (p. 167-178) et surtout par S. d e L e s t a pis (p. 101-120,
261-285, 365-389). Gardons-nous cependant de prendre parti dans cette
controverse et permettons à ceux qui le désirent de récuser ce texte et le
suivant.
Cette « manifestation » du Christ peut être celle de sa Royauté, de son
Règne ou même de ( = dans) son Royaume et nous n ’avons pas d ’argument
pour préférer l ’une ou l ’autre de ces notions.
76 DANS LES ÉPÎTRES DE SAINT PAUL
13) S e c o n d e à T im o t h é e 4 ,1 8
22. La tournure grecque indique une nuance de direction ; en durcissant cette nuance i/;
on aurait : « il me sauvera en m ’introduisant dans son Royaume ».
CHAPITRE IX
La date des épîtres non pauliniennes est fort contreversée, surtout celle
de la seconde de Pierre. Heureusement cette fixation n ’est pas indispensable
pour nous et nous pouvons laisser leur témoignage dans une certaine impré
cision. Nous n ’avons même pas de raison de les présenter dans un ordre plutôt
que dans un autre et donc le plus simple est de conserver celui du Nouveau
Testament, qui semble établi en fonction de la longueur des documents.
1) E p it r e aux H é b r e u x 1,8
« (Dieu) dit... à (son) Fils : -Ton trône. Dieu (est) pour le (s) siècle (s)
de (s) siècle (s) et le sceptre de la droiture (est) le sceptre de ta Royauté ».
L ’auteur cite le Psaume 45,7, selon la Septante, mais en renversant les
termes du second stique, qui est, dans la Septante comme chez les Masso-
rètes : « le sceptre de ta royauté (malkoutékâ) est un sceptre de droiture ».
Ce détail ne modifie pas l’interprétation. Si Fauteur applique ce texte au Fils
de Dieu, c’est q u ’il voit dans cette Royauté l ’annonce de celle de Jésus. Mais
elle est présentée comme éternelle et donc elle ne peut nous apporter aucune
précision temporelle.
2) E p it r e aux H é b r e u x 12,26-28
3) E prrR E de J a c q u e s 2,5
« Ecoutez, mes frères bien aimés : n ’est-ce pas Dieu qui a choisi les
pauvres selon le monde (pour en faire) des riches selon la foi et des possesseurs
du Royaume q u ’il a promis à ceux qui l ’aim ent».
Comme Dieu seul (et Jésus avec lui) peut posséder la Royauté et exercer
le Règne, c’est bien du Royaume que parle Jacques.
Les verbes au passé supposent que ce choix de Dieu est déjà réalisé et que
les pauvres sont déjà en possession de ce Royaume. On ne peut ici recourir à
l’hypothèse du passé prophétique (ci-dessus, p. 74-75), car ce n ’est pas dans
l’avenir, mais bien dans le présent que les pauvres sont déjà des riches selon
la fol. Simplement, on pourrait dire que « possesseurs » force un peu le sens
du terme grec et q u ’il pourrait signifier simplement « ceux qui ont maintenant
un droit à posséder dans l’avenir ce Royaume ». C ’est possible, et donc cette
hypothèse ne doit pas être écartée.
4) S e c o n d e de P ie r r e 1,10-11
Dans l’Apocalypse
D ’un genre littéraire diflférent de celui de tous les autres livres du Nouveau
Testament, l’Apocalypse constitue une catégorie particulière. Certes on
pourrait aussi la faire figurer dans un ensemble johannique, avec le quatrième
évangile et les trois épîtres de Jean. Mais ces épîtres ne parlent pas de la
«basileia tou théou» et l ’évangile de Jean n ’en parle qu’en deux endroits.
De tous les auteurs du Nouveau Testament, Jean est le plus réservé sur le
thème de la Royauté, du Règne ou du Royaume de Dieu, peut-être parce
q u ’il est le moins ancien.
1) A p o c a l y p s e 1,6
« A celui qui nous aime, qui nous a délivrés de nos péchés dans son
sang, et qui a fait de nous un Royaume, des prêtres pour Dieu son Père, à lui
la gloire et la force dans les siècles des siècles»'.
Celte phrase contient un hébraïsme caractéristique, que ne semblent pas
avoir compris bien des traducteurs ; en hébreu, quand plusieurs participes se
suivent, on aime remplacer les derniers par des imparfaits invertis^. Ici l’auteur
a d ’abord suivi l’usage grec en coordonnant les participes « a im a n t» et
« ayant délivré »^, puis il a cédé à ses habitudes hébraïques et il a remplacé
le troisième participe, qui aurait dû être l’aoriste « poiêsanti », par l’indicatif
«époiêsén». Cette particularité s’explique d ’autant mieux qu’alors l’auteur
am algamait deux citations de l ’Ancien Testament (Exode 19,6 et Isaïe 61,6)
et q u ’il utilisait pour cela non pas le texte grec de la Septante, mais un texte
hébreu pré-massorétique. Exode 19,6 porte en hébreu : « Et vous, vous serez
pour moi un royaume de prêtres (mamlèkèt kohanîm)» et Isaïe 61,6 : « E t
vous, prêtres du Seigneur, vous serez appelés serviteurs de notre Dieu». L a
fusion de ces deux formules donne « un royaume, des prêtres pour Dieu »•
1. Voir clans M e t z g e r (p. 731-732) les problèmes que pose la critique textuelle de ces
deux versets et les solutions proposées. Les variantes qui concernent le mot « Royaume »
sont si mal attestées q u ’elles ne méritent même pas d ’être signalées.
2. Voir la grammaire hébraïque de JOÜON, n° 121, p. 342.
3. Que l’on est obligé de transposer en français par la formule « celui qui... ».
80 DANS l ’a p o c a l y p s e
2) A p o c a l y p s e 1,9
I
« Moi Jean, votre frère et compagnon dans la tribulation, le Royaume
et l ’endurance en Jésus, j ’ai été dans l ’île appelée Patmos... ».
Que ce « J e a n » soit Jean l’Apôtre ou quelque homonyme, que l’île de
Patmos soit une réalité géographique ou une donnée symbolique, cela ne nous
concerne pas ici.
Le voisinage des mots « tribulation » et « endurance » suffit pour nous
indiquer que l ’auteur ne parle pas ici de « R oyauté» ni de « Règne», mais
bien de « Royaume » et même d ’un Royaume très particulier, auquel on
participe par la tribulation subie avec endurance, grâce à la force du Christ.
Ce royaume appartient au passé, mais à un passé tout récent. L ’auteur
évoque son séjour à Patmos pendant lequel il a reçu les révélations que va
exposer son ouvrage. C ’est dans ce contexte q u ’il se présente comme participant
aux mêmes épreuves et au même Royaume que ses correspondants. Certes sa
tournure est assez vague et ce «com pagnonnage» n ’exclut pas le présent, ni
même un avenir immédiat. Mais il n ’exclut pas non plus le passé et même il
l ’inclut normalement.
4. Nous n ’avons pas ici à enquêter sur le sens du m ot « prêtres » ni sur la tournure en
apposition qui lui est appliquée, mais qu 'o n ne retrouvera pas en 5,10.
A p o c. 5 ,9 -1 0 ; 11,15 81
3) A p o c a l y p s e 5,9-10
4) A p o c a l y p s e 11,15
« Le septième ange a joué de la trompette et de grandes voix dans le ciel
se sont mises à dire ; « La Royauté (sur) le monde est devenue (la propriété)
de notre Seigneur et de son Christ et elle (ou peut-être : il) régnera pour les
siècles des siècles »®.
Au lieu de traduire par «R oyauté (sur) ce m onde» on pourrait aussi
comprendre « Règne (sur) ce monde » ou « Royaume de ce monde ». La
première hypothèse semble préférable, si le verbe suivant (« il régnera »)
s’applique à l’exercice de cette Royauté par le Règne sur le Royaume ; et elle
s’impose absolument si «basileia» est le sujet des deux verbes «devenir»
et régner ».
C ’est dans une vision récente que l’auteur a entendu ce chant et alors
la Royauté de Dieu et du Christ était caractérisée par un verbe au passé
« est devenue », ou peut-être simplement « a été ». Rien ne précise la distance
de ce passé et rien ne distingue non plus la Royauté de Dieu et celle du Christ.
5. U ne variante assez bien attestée met ce verbe au présent : « ils régnent ». M etzoer
explique pourquoi le futur est préférable (p. 738).
6. Mais ici la présence de la conjonction « et » entre « Royaume » et « prêtres » rend la
tournure plus limpide.
7. Le présent est d ’ailleurs attesté dans plusieurs manuscrits, mais M e t z o e r le considère
comme moins probable (p. 738).
8. On pourrait aussi traduire : « Est réalisée (sur) le m onde la R oyauté de notre Seigneur
et de son Christ », mais le sens resterait au fond le même. P ar contre, on ne pourrait envisager
de comprendre : « ... le monde de notre Seigneur et de son Christ », car la phrase serait alors
déséquilibrée. — Sur le sens de « notre Seigneur », voir p, 93, n. 2.
82 DANS l ’a p o c a l y p s e
Mais ensuite ce Christ régnera pour les siècles des siècles. L ’auteur distingue
donc la Royauté (passée) de Dieu et du Christ et son Règne (futur). Cette
distinction entre un verbe au passé et un autre au futur empêche ici de
recourir à l’hypothèse d ’un « passé prophétique ».
5) A p o c a l y p s e 12,10
« J ’ai entendu une grande voix dans le ciel, qui disait : M aintenant le
salut, la puissance et la Royauté sont devenus (la propriété) de notre Dieu
et le pouvoir (celle) de son Christ, parce que l ’accusateur de nos frères a été
rejeté ».
Puisque le salut, la puissance et le pouvoir, qui sont des attributs subjectifs
de Dieu et du Christ, sont associés à « basileia », ce terme ne peut désigner
ici que la « Royauté ».
Comme précédemment, c’est dans le récit d ’une vision récente que
l ’auteur place ces verbes qui s’appliquent au passé. Mais curieusement, ce
passé est ici précisé par l’adverbe « m aintenant», qui ne peut concerner que
le présent ou un passé immédiat ou un futur immédiat. L’association de ce
verbe et de cet adverbe invite donc à comprendre q u ’il s’agit d ’un passé
immédiat, d ’un acte dont on ne sait pas bien s’il est encore dans le passé ou
déjà dans le présent. Cette fois l ’ensemble des verbes au passé pourrait
aussi convenir à un « passé prophétique ».
Les derniers emplois de « basileia » dans l’Apocalypse concernent d ’une
façon ou d ’une autre la royauté, le règne ou le royaume de Satan (16,10) ou
de ses suppôts (17,12.17.18) et donc ils ne peuvent rien nous apprendre
directement sur la « basileia » de Dieu ou du Christ.
CHAPITRE XI
Vue d’ensemble
1. En fait l’Apocalypse, seule, n ’emploie jam ais la formule habituelle : basileia tou thiou.
2. Voir les références dans S t r a c k -B il l e r b e c k , I, p. 183-184; K u h n , p. 570-573;
B o n s ir v e n , p. 22-25.
84 VUE d ’en sem b le
considérer M atthieu, Luc, M arc et la Source Commune comme des écrits plus
anciens. Certes, cette constatation ne saurait suffire à elle seule à fixer la date
de ces documents ou de certaines de leurs parties, mais elle doit entrer en
ligne de compte, tout comme les variations dans l ’usage de « Fils de l’Homme »,
d ’ « Eglise » et d ’autres termes significatifs.
4) Quatrième étonnement : la différence manifeste entre le Nouveau
Testament et l’Ancien Testament dans l ’emploi de Royauté, Règne ou
Royaume de Dieu.
L’Ancien Testament proclame souvent que Dieu est roi ou qu’il règne,
mais, curieusement, il préfère en général employer un verbe plutôt qu’un
substantif, et donc il parle relativement peu de la Royauté, du Règne et
surtout du Royaume de Dieu® ; alors que ces substantifs sont couramment
employés quand il ne s’agit pas de Dieu, ils s’appliquent à Dieu assez
rarement : jam ais meloukâh ; 6 fois m aikout’ (Ps. 103,19 ; 145,11.12.13 ;
1 Chron. 28,5 ; Daniel 4,31) ; 1 fois mamlâkâh (2 Chron. 13,8)^°.
Dans l’araméen de Daniel, revient 4 fois, avec de légères variantes, la
formule : « Sa Royauté ( = de Dieu) (est) une Royauté éternelle et sa Sou
veraineté (est) de génération en génération» (3,33 = 3,100 en grec ; 4,31 ;
7,14 et 7,27) ; 6 autres fois on parle d ’une Royauté, d ’un Règne ou d ’un
Royaume qui sont établis par Dieu, mais qui sont en fait délégués aux
«Saints du T rès-H aut» (2,44 (2 fois) ; 7,18 (2 fois) ; 7,22 ; 7,27).
Dans les textes connus en grec, basileia apparaît une fois dans un livre
dont l ’original sémitique est perdu (Tobie, 13,1 ou 2) et deux autres fois
dans un livre écrit en grec (Sagesse 6,4 ; 10,10).
T out cela est vraiment très peu, si l ’on tient compte de la longueur
respective de l ’Ancien et du Nouveau Testament. En outre on constate que le
plus souvent le nom de Dieu est remplacé par un pronom et qu’il n ’est réelle
ment exprimé que 3 fois (1 Chron. 28,5 et 2 Chron. 13,8, avec le tétragramme ;
Sagesse 10,10, avec théou). En somme, la notion de « Roi » est couramment
appliquée à Dieu dans l’Ancien Testament, mais on commence seulement
à en dégager la notion de Royauté, plus rarement celle de Règne et presque
jamais celle de Royaume. Par rapport à l ’Ancien Testament, la notion de
Royaume de Dieu est, dans le Nouveau Testament, une notion presque neuve.
11. La même citation semble avoir été répétée dans la Règle de la Guerre XII,16 et
XIX.8, mais le manuscrit est alors lacuneux.
12. J. S truonell , en éditant deux fragments de cet ouvrage, dit (p. 327) que ce document
utilise souvent le Ps 145,12, qui exalte la gloire du Règne de Dieu ; de même il révèle {p. 334)
que les anges y sont à l’occasion appelés « chefs des royaum es ». Mais il ne fournit pas les
textes qui justifient ces affirmations.
13. M anquent au moins deux mots.
14. Pour les cas où il ne s’agit pas de Dieu, voir ci-dessus, p. 16-18, la liste des emplois
qumrâniens de ces termes.
15. Bien entendu, à la suite des travaux de J.T. M iu k , on ne peut plus considérer le
Livre des Paraboles comme faisant partie du texte original d ’Hénoch.
16. En apparence les tables de C h a rles et de M a r t in fournissent quelques références,
mais toutes se rapportent à l’introduction ou au commentaire, et aucune au texte lui-même.
17. De l ’avis de tous les critiques, cet ouvrage a été en partie remanié par un chrétien.
18. A. H u l t o â r d étudie ce passage, vol. I, p. 253-254.
19. Au lieu de Royauté, on pourrait aussi comprendre Règne.
20. V oir H ultg Ar d , I, p. 226-227.
LITTÉRATURE INTERTESTAMENTAIRE 87
21. Malgré son titre « L ’Eschatologie des Testaments des Douze Patriarches », l’ouvrage
d ’A. H u l t o â r d ne parle à peu près pas d ’eschatologie, mais presque uniquement de messia
nisme ou d'apocalyptique. Voir ci-dessous, p. 135.
22. La date de cette compilation est difficile à préciser, mais elle pourrait rem onter
jusqu’à 170-140 avant Jésus-Christ selon R.H. C h a rl es (vol. II, p. 371-372) et selon
A.M. D emis (p. 120) ; V. NtKiPROWETZKY pencherait plutôt pour une composition au i‘' siècle
avant Jésus-Christ (p. 216-217).
23. La traduction de la collection « Sources Chrétiennes », à laquelle sont empruntée
CCS citations, porte en fait « autorité », mais le grec a bien « basileia ».
88 VUE d ’en sem ble
28. Si l’on attribuait à cette période les remaniements chrétiens de l’Apocalypse Grecque
de Baruch X I,2 (voir ci-dcssus p. 48 n. 8 et p. 87) on ajouterait une mention du «porte-clef du
Royaume des Cieux » qui est une allusion à M atth. 16,19.
29. Selon l ’édition d ’E. H ennecke .
30. Sur Nag-Hammadi, une bibliographie très complète est fournie par D .M . S c h o l e r .
31. Voici la liste de ces passages : n° 2, vient de Luc 17,20-21 ; n" 23, de Marc 4,30-32 ;
n° 27, développe Marc 10,14-15 ; n° 51, vient de M atth 11,11 ou de Luc 7,28 ; n° 59 de M atth,
5,3 ou de Luc 6,20; n» 62, de MaUh 13,24-30; n° 80, de M atth 13,45-46; n° 100, de M atth
13,33 ou de Luc 13,20-21 ; n° 113, de M atth 13,44; n ” 117, de Luc 17,20-21.
32. Voici ces 2 passages : n° 103 : « ...Vous et ceux qui font la volonté de mon Père,
ce sont là mes frères et ma mère ; ce sont eux qui entreront dans le Royaume de mon Père »
(d ’après Marc 3,31-35 ou M atth 12,46-50 ou Luc 8,19-21); n “ 111 : « Le Royaume est pareil
à un berger qui a cent brebis » (d ’après M atth 18,12-13 ou Luc 15,4-6).
33. Voici ces textes selon la traduction de J. D oresse ; N° 32 « Si vous ne jeûnez pas au
monde, vous ne trouverez point le Royaume... ». N° 54 : « Bienheureux les solitaires et les
élus, car vous trouverez le Royaume. Parce que vous êtes issus de lui, vous y retournerez ».
N ° 86 : « Celui qui est près de moi est près du feu, et celui qui est loin de moi est loin du
Royaume ». N° 101 : « Le Royaume du Père est pareil à une femme qui porte un vase plein
de farine... ». N° 102 ; « Le Royaume du Père est pareil à un homme qui veut tuer un grand
personnage... ». N° 118 : « ...Toute femme qui sera faite mâle entrera dans le Royaume des
Cieux ».
90 VUE d ’en sem ble
34. C ’est pourquoi ne sont pas interrogés des ouvrages, comme le Pasteur d ’Hermas,
qui sont certainement postérieurs à l’an 130.
35. On pourra aussi consulter L. A t z b e r g e r .
36. De trop nombreux exemples de cette application seront donnés dans la suite de cet
ouvrage.
37. Bien entendu, cela se fait en toute bonne foi : on est tellement convaincu que ses
propres idées sont justes, q u ’on ne remarque pas que le procédé qui les «justifie » n ’estf>as
irréprochable.
ÉLIMINATION DE CERTAINS TEXTES 91
38. On ne peut pas ajouter l’épître aux Ephésiens, du moins pour le passage qui nous
concerne, car il est trop évidemment paulinien (voir ci-dessus, p. 75).
39. Pour q u ’on ne croie pas que je plaisante ou que j ’exagère, je me permets de donner
en appendice quelques exemples de traitement subjectif des textes, sous la plume d ’auteurs
très influents.
CHAPITRE XII
Royauté de Dieu et
Royauté du Christ
Commençons par relire et par grouper les textes où le mot « basileia »
a paru signifier « Royauté ». En voici la liste : M atth. 16,28 ; Luc 2 3 ,4 2 (mais
le texte grec est incertain) ; Jean 18,36 (3 fois) ; 1 Cor. 15,24 (sens incertain) ;
2 Tim. 4,1 (sens incertain) ; Hebr. 1,8 (citation du Ps. 4 5 ,7 appliquée au
Fils de Dieu, avec un sens purement adjectival) ; Apocalypse 11,15 et 12,10.
Ce qui frappe tout de suite, c ’est la rareté de cette notion : une dizaine
d ’emplois seulement, dont quatre sont incertains pour différents motifs; et,
sur les six cas utilisables, cinq se trouvent dans le « corpus johannique ».
Pourquoi cela ?
Une autre question est celle des rapports entre la Royauté de Dieu et
celle du Christ^. En M atth. 16,28 il s’agit explicitement de la Royauté du Fils
de l ’Homme, alors que les deux textes parallèles de M arc 9,1 et de Luc 9,2 7
parlent de la « basileia » de Dieu. Est-ce que M atthieu en modifiant ainsi
son texte de base avait seulement l’intention de mieux en dégager le sens,
et alors pour lui la Royauté de Dieu et la Royauté du Christ étaient une
seule et même chose ? Ou bien est-ce qu’il avait l’intention de corriger le
texte de M arc pour exprimer une idée différente, précisément parce q u ’il
excluait cette identification ? Comment répondre à une telle question ? Mais
un autre rapprochement s’impose : si en Luc 2 3 ,4 2 la leçon retenue par A l a n d
était certaine ce texte serait curieusement semblable à M atth. 16,28 : « Quand
tu ( = Jésus) viendras dans ta R oyauté» et « le Fils de l’Homme venant
dans sa Royauté ».
Les deux textes de Paul, 1 Cor. 15,24 et 2 Tim. 4 ,1 , parlent du Christ,
mais ils ne permettent guère de préciser le sens du mot « basileia » et donc
nous ne pouvons pas les utiliser directement. Toutefois quand S. Paul dit
que Jésus remettra la « basileia » à Dieu le Père, il suppose, quel que soit le
sens réel de « basileia », que celle du Christ et celle de Dieu sont distinctes,
mais q u ’elles peuvent et doivent se rejoindre et s ’identifier.
C ’est aussi du Christ q u ’il s’agit en Hébr. 1,8 et même l ’auteur lui
applique le Ps. 45,7, qui visait au sens littéral un roi davidique. Mais comme
« basileia » a seulement le sens de notre adjectif « royal », nous ne pouvons
pas non plus deviner si l ’auteur voulait parler du «sceptre de la R oyauté»
ou du « sceptre du Règne ».
En Jean 18,36, par contre, tout est clair : c ’est Jésus qui parle et qui
précise que sa Royauté n ’a pas une origine humaine. Pilate l’entend bien
ainsi quand il réplique : « Est-ce que tu es roi ? », c ’est-à-dire : « Est-ce que
tu as la dignité et le pouvoir d ’un roi, donc sa royauté ? ».
L ’Apocalypse 11,15 (à moins que, selon une hypothèse peu probable,
il ne s’agisse du Règne ou du Royaume) identifie explicitement la Royauté
de Dieu et la Royauté du Christ, puisque les voies célestes acclament la
Royauté « de notre Seigneur^ et de son Christ ».
Dans l ’Apocalypse 12,10, le sens de « R oyauté» est indiscutable, puisque
ce terme est coordonné à « puissance », qui indique bien une qualité subjective.
Mais alors c’est l’identité entre la Royauté de Dieu et celle du Christ qui est
moins claire, puisque sont attribuées à Dieu « la puissance et la Royauté » et
au Christ « le pouvoir» ; cependant l’auteur semble bien, surtout si l’on se
rappelle la formule de 11,15, ne pas vouloir opposer ces prérogatives, mais
au contraire les placer en parallélisme synonymique, afm de les additionner.
En définitive, la Royauté de Dieu semble bien s ’identifier à celle du Christ
selon l ’Apocalypse 11,15 et 12,10. Ces textes s’harmonisent facilement avec
1 Cor. 15,24, qui envisage pour la Fin du Monde la fusion de la « basileia »
du Christ dans celle de Dieu, car ils concernent la liturgie céleste dans un
avenir imprécis. Et ils sont grandement confirmés par la formule : « Roi
des rois et Seigneur des seigneurs» ( = Daniel 2,47) que I Timothée 6,15
applique à Dieu et que l’Apocalypse 17,14 et 19,16 applique à Jésus.
Dans un article consacré tout entier à prouver que la Kônigsherrschaft
de Dieu (plutôt au sens de Règne, mais le Règne est indissociable de la
Royauté, sauf chez les usurpateurs) W. D antine présente ainsi sa démons
tration (p. 197) : « Règne de Dieu et Régne du Christ sont considérés (par
le Nouveau Testament) dans une si étroite association q u ’ils ne peuvent
plus être séparés : ils désignent une seule et même réalité. Un Règne de Dieu
qui ne serait pas Règne du Christ et un Règne du Christ qui ne serait pas
Règne de Dieu sont en tout cas étrangers au Nouveau Testament ».
*
* *
2. Dans l’usage actuel du français « N otre Seigneur » est devenu synonyme de « Jésus-
Christ », il n ’en était pas ainsi au temps de l ’Apocalypse et ici « notre ^ ig n e u r » s ’applique
directement à Dieu.
94 ROYAUTÉ DE DIEU ET DU CHRIST
Le Royaume de Dieu
et l’Eglise
Pour la clarté de l ’exposé, permettons-nous de traiter d ’abord le Royaume
de Dieu et de réserver le Règne de Dieu pour le chapitre suivant.
Si nous rassemblons nos différentes informations sur ce Royaume,
q u ’obtenons-nous ? Bien entendu, ayons soin de ne négliger aucune donnée
et de considérer tous les textes, avec leur degré de certitude ou d ’incertitude,
tels q u ’ils ont été analysés plus haut. Gardons-nous surtout de déclarer
certains textes incompatibles avec d ’autres : s’ils nous paraissaient tels, ce
serait peut-être que nous aurions mal compris, que notre synthèse serait
fausse ou q u ’elle aurait appauvri la pensée plus riche du Nouveau Testament.
Luc 22,16-18). Celui qui enseigne la moindre désobéissance sera le dernier dans
le Royaume des Cieux (M atth. 5,19). Celui qui n ’est pas meilleur que les
scribes et les Pharisiens n ’entrera pas dans le Royaume des Cieux (M attb.
5,20). Celui qui accomplit la volonté du Père entrera dans le Royaume des
Cieux (M atth. 7,21). Jésus donnera à Pierre les clefs du Royaume des Cieux
(M atth. 16,18-19). Les Apôtres espèrent une restitution prochaine du
Royaume de Dieu (Actes 1,6). Quatre fois S. Paul donne une liste de pécheurs
qui n ’obtiendront pas le Royaume de Dieu (1 Cor. 6,9-10 ; 15,50 ; Gai. 5,21 ;
Ephés. 5,5).
4) Quatrième constatation : ce Royaume de Dieu aura son accomplisse
ment à la Fin du Monde.
Dans l ’allégorie de l ’Ivraie (M atth. 13,24-30 et 36-43) Jésus précise
lui-même que la moisson sera faite par les anges à la consommation du temps.
Même horizon dans l ’allégorie du Filet (M atth. 13,47-50) et dans la des
cription du Jugement Dernier (M atth. 24,31-46). S. Paul, dans ses deux plus
anciennes épîtres, envisage aussi la même perspective pour l ’entrée dans le
Royaume (1 Thess. 2,12 et 2 Thess. 1,5).
5) Cinquième constatation : ce Royaume ne sera pas composé seulement
de justes, mais aussi de pécheurs.
Si paradoxal que cela paraisse, Jésus enseigne plusieurs fois que le
Royaume de son Père inclura même des pécheurs^. C ’est même, semble-t-il,
l’intention principale de l’allégorie de l ’Ivraie (M atth. 13,24-30 et 36,43),
de l ’allégorie du Filet (M atth. 13,47-50) et de la parabole des Dix Vierges
(M atth. 25,1-10). Dans la description du Jugement Dernier (M atth. 25,31-46),
l’humanité est composée elle aussi de justes et de pécheurs, mais c ’est seulement
à leur séparation que les justes sont invités au Royaume du Père, qui leur
était réservé depuis la création du monde. Si cet aspect de la pensée de Jésus
nous étonne, c ’est que nous ressemblons aux serviteurs trop zélés qui
voudraient sarcler tout de suite l ’ivraie poussant au milieu du blé (M atth.
13,27-29).
6) Sixième constatation : Ce Royaume de Dieu connaîtra une réelle
évolution, une véritable croissance.
Cet aspect de la pensée de Jésus, tout comme le précédent, risquait de
dérouter ses auditeurs, aussi l’a-t-il enveloppé sous le voile de plusieurs para
boles et allégories : la Semence qui pousse d ’elle-même (M arc 4,26-29), le
Grain de Senevé (M arc 4,30-32 = M atth. 13,31-32 = Luc 13,18-19), le Levain
(Luc 13,20-21 = M atth. 13,33), l ’Ivraie (M atth. 13,24-30 et 36-43)^
7) Septième constatation : après la m ort, ce Royaume de Dieu se pro
longera dans la Vie étemelle.
Selon M arc 9,43-47, il vaut mieux s’am puter d ’un membre que de risquer
d ’être exclu du Royaume de Dieu et d ’aller dans le feu de l’étemelle Géhenne.
2. Bien entendu, nous ne devons pas opposer ces textes à ceux qui affirment que les
pécheurs n ’enireront pas dans le Royaume de Dieu. N ous devrons chercher une solution
qui les concilie les uns avec les autres.
3. Ces « allégories de la croissance » sont étudiées spécialement par D o d d et par D a h l
(Studia Theologica).
98 LE ROYAUME DE DIEU ET L ’ÉGLISE
En répondant à une question sur la Vie éternelle, Jésus précise que Dieu seul
peut faire entrer dans son Royaume (M arc 10,23-25 = M atth. 19,23-24 =
Luc 18,24-25). Ce Royaume est décrit ailleurs (Luc 13,28-29 = M atth. 8,11-12)
comme un banquet en compagnie des patriarches et des prophètes, dont
sont exclus « tous les artisans d ’iniquité ». La même conception est exprimée
par le convive qui a dit selon Luc 14,15 : «H eureux celui qui mangera du
pain dans le Royaume de D ieu», par S. Paul quand il espère que Dieu le
«sauvera dans son Royaume céleste» (2 Tim. 4,18) et par la 2“ épître de
Pierre (1,11) qui prom et que nous sera richement procurée l’entrée dans le
Royaume éternel de notre Seigneur et Sauveur Jésus-Christ ».
8) Huitième constatation : ce Royaume se présente sous deux états diffé
rents : un état avec pécheurs et un état sans pécheurs.
Certains textes supposent la présence de pécheurs à l ’intérieur du Royaume
de Dieu, comme on l’a vu à la 5® constatation. Mais d ’autres textes affirment
que les pécheurs n ’entreront pas dans le Royaume de Dieu : M arc 10,15
( = M atth. 19,14 = Luc 18,17) ; M arc 10,23-27 ( = M atth. 19,23-24 = Luc
18,24-27) ; M atth. 18,3 ; Jean 3,3-5 ; 1 Cor. 6,9-10 ; 15,50 ; Gai 5,19-21 ;
Eph. 5,5. Pour concilier ces deux points de vue, on doit nécessairement adm ettre
que le Royaume de Dieu se présente sous deux états différents : dans le
premier les pécheurs peuvent pénétrer, mais pas dans le second. Et c’est à ce
second état que font allusion les textes qui répètent que tels ou tels pécheurs
(ou même tous les pécheurs) n ’auront pas accès au Royaume de Dieu, car les
textes qui excluent les pécheurs ont tous des verbes au futur. Logiquement
on concluera donc que c ’est l’état présent (et terrestre) du Royaume de Dieu
qui tolère les pécheurs, mais que c ’est l ’état futur (et céleste) de ce Royaume V
qui est réservé aux justes, en plein accord avec la description du Jugement
Dernier en M atth. 25,34-46. r
9) Neuvième constatation : ce Royaume peut être présenté soit comme
celui de Dieu soit comme celui du Christ.
Le texte de 2 Pierre 1,11 qui vient d ’être cité attribue explicitement ce
Royaume à Jésus ; de même Coloss. 1,13 : « (Dieu nous) a transférés dans le If
Royaume de son Fils bien-aimé». Partout ailleurs le Royaume est celui de
Dieu, ou du Père, ou des Cieux, même quand la bonne graine représente les .
fils du Royaume et q u ’elle a été semée par le Fils de l ’Homme (M atth. 13,37-
38). Mais ces deux points ne s’excluent nullement, car ils sont synthétisés
par Eph. 5,5, qui parle du « Royaume du Christ et de Dieu
4. Les textes qui peuvent concerner soit le « Règne » soit le « Royaume » sont réservés
par prudence au chapitre suivant, mais ils ne modifieraient pas substantiellement le tableau
obtenu à partir des textes désignant uniquement le Royaume.
IDEÏ>mFICAT10N DU ROYAUME DE DIEU 99
qui englobe des justes et des pécheurs, qui se prolongera dans la Vie étemelle
et qui est attribuabic à la fois à Dieu et au Christ ?
En supprim ant l ’une ou l’autre des données du problème, on lui a
donné des solutions différentes. Si l ’on tient à les harmoniser toutes, une
seule réponse est possible : c’est VEglise Du moins on n ’cn a pas encore
trouvé d ’autre*.
En effet les divers traits de ce Royaume de Dieu ou du Christ correspon
dent à ceux de l ’Eglise.
1) Quand Pierre rattache le « service » des Apôtres au Baptême de Jésus
(Actes 1,17-25), quand il fait commencer à ce même Baptême « 1’onction par le
Saint-Esprit » et le « passage » bienfaisant de Jésus (Actes 10,37-38), quand Paul
fait remonter à ce Baptême le rôle salvifique de Jésus (Actes 13,23-26), quand
Jean présente dans un parallélisme saisissant la mission du Baptiste et celle
de Jésus avec la plénitude de la grâce (Jean 1,6-18), ils supposent clairement que
les débuts de l’Eglise se situent lors de ce Baptême®.
2) et 3) Dans les Actes des Apôtres et dans les épîtres de S. Paul l’Eglise
est manifestement considérée comme une réalité déjà bien établie et appelée
à un avenir illimité ; l ’on ne peut guère douter que Jésus fasse allusion à
cette Eglise quand il résume dans la Prière Sacerdotale la mission q u ’il a
remplie (Jean 17,1-26).
4) L ’Eglise doit vivre jusqu’à la Fin du M onde (M atth. 28,20), puisque
c ’est en elle que se réalisent les promesses d ’éternité contenues dans l’Ancien
Testament.
5) L ’Eglise contient des justes et des pécheurs’ : une faute contre un
frère peut aboutir à une intervention de l ’Eglise® ; Judas a fait partie de
l’Eglise (Actes 1,17) ; les exhortations morales des épîtres visent des pécheurs
possibles et les reproches faits aux Thessaloniciens, aux Corinthiens (surtout
1 Cor. 5,1-13 ; 6,1-18 ; 11,17-22) et aux Galates supposent de sérieuses défail
lances ; 1 Pierre 4,15 et 3 Jean 9,10 ainsi que l ’Apocalypse 3,1-4 et 15-19
s’adressent à des membres de l’Eglise qui, eux aussi, font scandale...
6) L ’évolution de l ’Eglise, sa diffusion et sa croissance sont décrites
dans les Actes des Apôtres et dans les lettres aux Eglises de l’Apocalypse,
sans oublier maints passages des épîtres.
7) L ’Eglise se prolongera dans la Vie éternelle. Elle est le corps du Christ
(Eph. 5,30 ; Col. 1,24) et il en est la tête (Eph. 1,22 ; 5,23 ; Col. 1,18.24).
Elle doit donc vivre avec lui dans la gloire du Père (l’Apocalypse 1,5-8.18 ;
2,7, etc.).
8) L ’Eglise existe ici-bas sur la terre et elle existe aussi dans le Ciel,
selon une distinction entre l’Eglise Militante et l ’Eglise Triom phante qui
s’appuie sur l’ensemble de l ’Apocalypse.
9) L ’Eglise est tantôt l ’Eglise de Dieu (Actes 20,28 ; 1 Cor. 1,2 ; 10,32 ;
11,16.22 ; 15,9 ; 2 Cor. 1,1 ; Gai. 1,13 ; 1 Thess. 2,14 ; 2 Thess. 1,4 ; 1 Tim.
3,5.15) et tantôt l ’Eglise du Christ (M atth. 16,18 ; Rom. 16,16 ; Gai. 1,22 ;
Eph. 3,21 ; 5,29 ; Col. 1,18-24).
Une telle correspondance entre les traits caractéristiques du Royaume
de Dieu et ceux de l ’Eglise ne peut s’expliquer que si l’on reconnaît que VEglise
est bel et bien le Royaume de Dieu^.
Cette conclusion, qui résulte directement de la confrontation de toutes
les données bibliques, est confirmée par plusieurs autres arguments.
a) Comme nous l ’avons vu dans l’étude analytique (p. 47-49), M atth. 16,17-19
met en parallélisme « je construirai mon Eglise » et « je donnerai les clefs du
Royaume des d e u x ( = de Dieu) ». Ce rapprochement suppose que dans la
pensée de l ’auteur l ’Eglise et le Royaume sont une seule et même chose
sous deux désignations différentes.
b) Dans le discours aux «anciens» d ’Ephèse, Paul rappelle q u ’il est «passé
chez eux en prêchant le Règne (ou le Royaume) de Dieu » (Actes 20,25) ; puis,
trois versets plus loin il leur recommande de prendre soin « de tout le troupeau,
dans lequel l’Esprit Saint (les) a placés comme surveillants^® (pour) être
pasteurs de l’Eglise de Dieu » (20,28). L ’incertitude sur le sens de Règne ou
de Royaume et les trois versets qui séparent les deux formules empêchent de
voir là un argument décisif. Pourtant ce n ’est peut-être pas un effet du
hasard si la tâche d ’un prédicateur du Règne ou du Royaume est continuée
par les pasteurs de l’Eglise.
c) Alors que les Synoptiques mentionnent 105 fois la «basileia» de Dieu
et seulement 2 ou 3 fois l’Eglise (M atth. 16,18 et 18,17) les épîtres de S. Paul
mentionnent 14 fois la «basileia» et 21 fois l’Eglise^^. La confrontation de
ces chiffres invite à penser que Paul appelle Eglise ce que les Synoptiques
appellent Royaume de Dieu.
Ceux qui refuseraient d ’adm ettre cette identification entre le Royaume
de Dieu et l ’Eglise n ’ont le choix q u ’entre trois solutions :
1) Déclarer qu’on ne peut pas savoir à quoi correspond ce Royaume de
Dieu qui constituait un des éléments essentiels de la prédication de Jésus et
que Jésus et les Apôtres considéraient à la fois comme passé, présent et futur
comme terrestre et céleste. Mais cette solution est-elle scientifique ?
9. Bien entendu, cette identification fondamentale n ’exclut pas une certaine nuance
d a n s la présentation, comme celle q u e signalent F a ir b a ir n ,
d e M o n t c h e u il , J o u r n e t et
qui sera précisée à la page suivante.
10. Paul emploie le mot « épiskopos », d ’où dérive le français « évêque ».
11. Ce chiffre n ’est q u ’approximatif, car il n ’est pas toujours facile de savoir si l’on
parle d ’une église particulière ou de l’Eglise en général.
12. H .D . W e n d l a n d résume ainsi (p. 145) les données du Nouveau Testam ent : « 1) Le
Royaume de Dieu est venu. 2) Le Royaume de Dieu est actuellement en train de venir.
3) Le Royaume de Dieu viendra ».
IDENTIFICATION DU ROYAUME DE DIEU 101
13. C ’est ce que font, parm i beaucoup d ’autres, A l t h a u s : « Le Royaume de Dieu c’est
la souveraineté de D ieu » (col. 1822) et B l a c k m a n : « L a science moderne signale que
Royaume de D ieu signifie essentiellement l ’activité divine, la souveraineté et royauté de Dieu...
C ’est avec le sens de Royaume... que l ’Eglise est par erreur confondue et identifiée » (p. 371).
102 LE ROYAUME DE DIEU ET L’ÉGLISE
pas mettre de différence entre « toutes les Eglises du C hrist» (Rom. 16,16) et
« les Eglises de D ieu» (1 Cor. 11,16) et de même il considère comme
« l ’Eglise de D ieu» (1 Cor. 10,32 ; 11,22 ; 15,9 ; Gai. 1,13) cette Eglise q u ’il
appelle ailleurs « le Corps du C hrist» (Col. 1,24 ; plus Eph. 1,22 ; 5,23 ;
Col. 1,18). En conséquence on doit reconnaître que Paul désigne surtout
l ’aspect présent par le terme « Eglise » et surtout l ’aspect futur par le terme
« Royaume » (de Dieu ou du Christ). C ’est là une distinction conceptuelle
parfaitement admissible, mais l’Eglise et le Royaume n ’en restent pas moins
une seule et même réalité, considérée sous deux aspects différents.
Certes, dans le Royaume de Dieu, tout comme dans l’Eglise, on doit
distinguer une étape terrestre et une étape céleste. C ’est pourquoi, dans un |
bon nom bre de textes (et surtout chez Paul), le Nouveau Testament parle ;
de l’entrée dans le Royaume, alors qu’il s’agit en réalité de l’entrée au Ciel
(soit tout de suite après la mort, soit seulement au Jugement Dernier : peu
importe, ici, pour nous) : M atth. 8,11,12 ( = Luc 13,28-29) ; 13,43 ; Luc
22,30 ; 1 Cor. 6,9-10 ; 15,24-25.50 ; Gai. 5,21 ; 2 Tim. 4,1.18 ; 2 Pierre 1,11.
Dans tous ces textes il s’agit de l ’entrée dans un Royaume céleste. Mais en
d ’autres textes, encore plus nombreux, il s’agit manifestement de l ’entrée
dans un Royaume terrestre. Concluons donc que le Royaume de Dieu est ter
restre selon un de ses aspects et céleste selon un autre. O r telle est précisément
la situation de l ’Eglise, qui groupe autour de Jésus à la fois les hommes sur la
terre et les saints du Ciel.
i
14. Si les Pères Grecs (et à leur suite les Pères Latins) attachent relativement peu d 'im
portance à la « basileia tou théou », bien q u ’elle soit capitale pour les Evangiles Synoptiques,
cela peut tenir à deux raisons : 1) La confusion entre les trois notions de « royauté », de
« règne » et de « royaume », imposée par une regrettable imprécision de la langue grecque,
empêchait d ’en bien saisir et d ’en bien développer la richesse théologique. 2) D ans le monde
grec, où le gouvernement démocratique des cités correspondait à de vieilles traditions et
où les rois étaient surtout des conquérants (macédoniens ou romains), la notion de « royaume »
était peut-être moins populaire que chez les Juifs, où les souvenirs glorieux de David et de
Salomon continuaient à inspirer les imaginations. J. D e n n e y pense même (p. 184-186) que
si Paul parle plus de l’Eglise que du Royaume de Dieu, c’est déjà parce q u ’il essayait d ’adapter
une notion sémitique à une mentalité hellénistique.
15. Ce relevé ne cherchera donc à être un peu étoffé que pour les théologiens des cent
dernières années. Auparavant, q u ’il suffise de constater la permanence d ’une tradition
paisiblement admise.
IDENTIFICATION À TRAVERS LES ÂGES 103
16. L ’authenticité de ce dernier texte n ’est pas au-dessus de tout soupçon. Mais, s’il
n ’est pas de S. G r é g o ir e , il suppose q u ’un autre auteur est du même avis.
17. Une enquête détaillée devrait aussi être faite dans les textes liturgiques, soit de l ’Orient
soit de l’Occident. Qui s ’en chargera ?
18. Le Dictionnaire de la Somme Théologique de Th. P ègues (en 2 volumes) n ’a pas *
d ’article « Eglise », ni « Eschatologie », ni « Règne de D ieu », ni « Royaume de Dieu », ni
« Royauté de Dieu ». i
I
19. Cette citation est fournie deux fois par C. J o u r n e t , vol. II, p. 57, note 1 et p. 64,
note 5, mais les deux références sont à corriger ainsi : Commentaire sur le 4 ' livre des Sentences,
distinctio 49, quaestio 1, articulus 2, questiuncula 5, solutio 5 (p. 1190, col. 1).
20. On verra plus loin, p. 124-125, pourquoi L u t h e r n ’est pas mentionné ici.
21. La pensée de C alvin est présentée plus en détail par T orrance p. 122-139 et 147-155.
IDENTIFICATION À TRAVERS LES ÂGES 105
22. R.N . F l e w repousse cette interprétation parce que « basileia » signifie Royauté
ou Règne (p. 20) et parce que l’Eglise ne peut pas être identifiée au Règne de Dieu (p. 24)
[Evidemment !]... Ailleurs il affirme : « L ’équation (Royaume de Dieu = Eglise) ne se trouve
que bien des siècles plus tard ( = après le Nouveau Testament) » (p. 87).
On se demande si l ’expression « many centuries » n ’aurait pas quelque peu dépassé la
pensée de l’auteur 1
23. Cet ouvrage était encore réédité en 1909.
106 LE ROYAUME DE DIEU ET L ’ÉGLISE
vue d ’en Haut ; l ’Eglise est le Royaume vu d ’en bas. Dans le Royaume la
société est conçue à travers sa volonté créatrice et formatrice ; dans l’Eglise
la volonté est conçue à travers la société créée et formée. Dans le Royaume
on insiste sur le roi ; dans l’Eglise, sur les citoyens : dans un cas nous voyons
l’homme comme il devrait être devant Dieu... dans l’autre cas nous voyons
l’homme comme il devrait être pour Dieu dans la société» (p. 528)... «Jésus
prêche le Royaume, c ’est-à-dire se déclare Lui-Même Roi, proclame le Royaume
constitué par la présence du Roi ; mais les Apôtres, en fondant des églises,
édifient l ’Eglise, appellent les hommes à devenir des saints et à entrer dans la
société des sauvés... On voit ici la coïncidence des deux notions : le plan
selon lequel l ’Eglise est bâtie, c’est la volonté de Dieu, ou l ’idéal du Royaume,
alors que le moyen par lequel le Royaume est réalisé, c’est l ’Eglise et les églises.
Mais cela implique la corrélation des deux notions : le Royaume est l ’Eglise
immanente et l ’Eglise est le Royaume explicité : chacun ne peut rien avoir
qui soit étranger à l ’autre. Le Royaume est l’Eglise exprimée selon les paroles,
l ’esprit et la personne de son Fondateur ; l’Eglise est le Royaume réalisé dans
les âmes vivantes et dans la société q u ’elles constituent» (p. 528-529).
Christ, et q u ’ils les utilisaient ou non selon les circonstances» (p. 182-
185).
En 1899, J. O r r : « On peut vraiment dire que le Royaume de Dieu a
existé sur terre en sa personne ( = de Jésus) depuis le 1*^ instant de sa mani
festation» (vol. III, p. 850, F* col.)— « S i Jésus était pleinement conscient
d ’être lui-même dès le début le Fils de Dieu et fondateur de son Royaume,
à ses yeux ce Royaume ne pouvait pas être seulement une chose future,
mais il devait être considéré comme déjà existant» (vol. II, p. 851, 2 ' col.),..
« S i nos explications précédentes sont correctes, ces idées ( = Royaume de
Dieu et Eglise) ne sont pas tout à fait identiques, comme on l ’a fréquemment
admis. Le Royaume de Dieu est une conception plus large que celle d ’Eglise.
D ’autre part, ces idées ne sont pas aussi distantes q u ’on le représente parfois.
En certains cas (par exemple en M atth. 16,18-19), l ’expression « Royaume
des Cieux» est pratiquement synonyme à celle d ’Eglise. L ’Eglise, comme
société, est l’expression visible du Royaume dans le monde ; elle est en fait
la seule société qui professe formellement de le représenter (souvent très
imparfaitement). Pourtant l ’Eglise n ’est pas le corps extérieur de ce Royaume
en tous ses aspects, mais seulement dans son aspect directement religieux et
moral, c ’est-à-dire spirituel» (vol. II, p. 854-855).
En 1903, P. W e r n l e : « Il est clair que Paul connaît déjà dans le présent
un Royaume de Dieu et que celui-ci correspond à peu près à l ’Eglise»
(p. 3)... « LeRoyaume de Dieu est tout présent, aussi doit-il coïncider à peu
près avec l ’Eglise. Cela résulte très clairement de Col. 1,13, où l ’accession
au Royaume du Fils de Dieu concerne pratiquement l’entrée dans l ’Eglise...
Le Royaume de Dieu est aussi ancien que l ’Eglise et l ’on entre dans le
Royaume de Dieu par l’entrée dans l’Eglise... L ’Eglise est le Royaume de
Dieu dans le sens dynamique ou pneumatique » (p. 4)... « (Dans l’Apocalypse)
la notion du Royaume du Christ dans l ’Eglise est peut-être comprise plus
clairement et plus concrètement q u ’en n ’importe quel autre ouvrage du
Christianisme prim itif» (p. 8)... « ( L ’auteur de l ’Apocalypse), malgré la
teneur eschatologique de tout l’ouvrage, est un témoin en faveur de la présence
du Royaume messianique dans l ’Eglise» (p. 9)... «(Selon M atthieu) le
Royaume de Dieu est là, parce que l ’Eglise est le Royaume gouverné par le
Christ » (p. 24).
En 1907, L o is y constate (sans prendre à son compte, évidemment) :
« L e premier Evangile est, entre tous, un livre d ’édification, l ’on pourrait
même dire d ’organisation ecclésiastique ; le rédacteur a son idée de
«justice», c’est-à-dire de perfection chrétiemie, et de bon ordre dans les
communautés : l ’Eglise est pour lui le royaume des cieux déjà réalisé, avec
le Christ invisiblement présent» (Evangiles Synoptiques, vol. I, p. 136-137).
En 1909, L. M a is o n n e u v e : « Elle ( = l ’Eglise) est proprem ent et unique
ment le Royaume de Dieu, si souvent annoncé et promis dans l ’Evangile»
(col. 1529).
En 1911, E.F. S c o t t reproche aux Evangélistes d ’avoir transformé
l ’enseignement prim itif de Jésus en l ’adaptant à leur conception de l ’Eglise.
Pour lui donc les Evangiles (et plus encore S. Paul) dans leur état actuel assi
milent l’Eglise au Royaume de Dieu : « Nos récits évangéliques ont été
écrits dans leur forme actuelle quand la notion d ’Eglise a commencé à rem
placer la notion de Royaume... Les paroles ( = de Jésus) sur le Royaume
devaient être complètement transposées sur la communauté... (Paul, comme
108 LE ROYAUME DE DIEU ET L’ÉGLISE
27. L ’auteur précise un peu plus loin que c’est là ce qu ’il considère comme le point essen
tiel (Herzpunkt) de l’être de l ’E^ise.
IDENTinCATION À TRAVERS LES ÂGES II I
28. Quelle étrange objection! La présence des pécheurs dans le Royaume de Dieu
n ’est-ellc pas clairement enseignée p ar M atthieu 13,24-30.36-43.47-50 ; 25,1-10.31-46 7
Voir ci-dessus p. 97,98,99.
112 lÆ ROYAUME DE DIEU ET l ’ÉGLISE
31. Cette délégation était présidée par le patriarche A thénacæiras ; le nom de tous
les autres membres est indiqué à la p. 271 de The Evanston Report.
32. Par exception J. Bonsirven emploie ici (à juste titre) le mot « Royaume » ; générale
ment il traduit par « Règne », même quand le sens exigerait « Royaume », comme on le
constatera dans les citations reproduites ci-dessous.
116 LE ROYAUME DE DIEU ET L ’ÉGLISE
OÙ des distinctions sont faites entre les deux^^. Mais cela ne doit pas produire de
confusion si, avant de penser «Eglise», il a déjà pensé « le Royaume de
Dieu »... Cette suggestion peut être illustrée par les autres termes par lesquels
certains aspects du Royaume sont appliques à l ’être de l ’Eglise» (p. 124-125).
En septembre 1961, S. A a l e n ne prononce pas le m ot «E glise», mais
semble bien y penser : « Le Royaume de Dieu, selon ce groupe de paraboles
(celles de la «croissance») est déjà en un sens venu : à mon avis cela ne
peut pas être contesté... Ce qui grandit et atteint finalement l ’état de consom
mation et de plénitude est toujours le peuple de Dieu, la communauté de Dieu...
Le Royaume est l ’endroit où l ’on reçoit le salut. C ’est l ’état de salut et de
délivrance. Cet endroit est la maison de Dieu » (p. 232). Plus loin il résume
ainsi sa pensée : « La conception du Royaume de Dieu comme une maison
ou comme un synonyme de communauté sainte » (p. 233).
Dans un ouvrage réédité en 1962, R. H a ssev e ld t intitule un chapitre
« L ’Eglise nouveau R oyaum e» (p. 148) et s’exprime ainsi : « C ’est dans une
perspective esdiatologique que le Christ établit ainsi son Eglise ; le Royaume a
besoin de cette organisation parce q u ’il n ’a pas encore atteint les dimensions
du monde, et pour q u ’il puisse atteindre ces dimensions. Ceci constitue la
vraie réponse à L o is y : « Jésus annonçait le Royaume, et c ’est l’Eglise qui est
venue ». Il faut dire que l ’Eglise est précisément le Royaume dans sa phase
terrestre de croissance : le Royaume en devenir. C ’est précisément pour
qu’advienne le Royaume définitif que Jésus a prévu et fondé son Eglise et
que par conséquent c ’est l ’Eglise qui est venue... Le Royaume que nous
connaissons ici-bas, l ’Eglise fondée par Jésus-Christ sur le fondement des
Apôtres n ’est donc que la phase terrestre et visible du Royaume, avant son
achèvement au retour du C hrist» (p. 154-155).
En 1962, le Vocabulaire de 'Théologie Biblique, « La pensée de Jésus
s’inscrit dans le cadre de sa proclamation du royaume des cieux ; il y révèle,
en un langage prophétique où les plans ne se distinguent pas toujours, que la
phase céleste de l ’Eglise (Matthieu 13,43 ; 25,31-46)^'^ sera précédée par une
phase terrestre. Celle-ci, à son tour, comprendra deux étapes. La première
est la vie mortelle de Jésus, qui, par sa prédication, son action sur Satan et
la form ation de la communauté messianique, rend le Royaume déjà présent
(M atth. 12,28 ; Luc 17,21). La seconde sera le temps de l’Eglise proprement
dit (M atth. 16,18)... L ’Eglise, première réalisation d ’un royaume qui n ’est
pas de ce monde (Jean 18,36)**, accomplira et dépassera les plus audacieuses
prophéties universalistes de l ’Ancien Testam ent» (article «E glise», col.
256-258)... « Le Royaume de Dieu est une réalité mystérieuse dont Jésus
seul peut faire connaître la nature. Encore ne la révèle-t-il q u ’aux humbles
et aux petits, non aux sages et aux habiles de ce monde... Le « petit troupeau »
auquel il ( = le Royaume) est donné (Luc 12,32) lui confère un visage ter-
restre, celui d ’un nouvel Israël, d ’une Eglise fondée sur Pierre... En un sens,
les temps sont accomplis et le Royaume est là ; depuis Jcan-Baptiste, l’ère
du Royaume est ouverte... Après la résurrection de Jésus, la dissociation de
son entrée en gloire et de son retour comme Juge (Actes 1, 9-11) achèvera
de révéler la nature de ce temps intermédiaire : ce sera le temps du témoi
gnage (Actes 1,8 : Jean 15,27), le temps de l ’Eglise» (article «R oyaum e»,
col. 953-954).
Le 21 novembre 1964 était promulguée la Constitution Dogmatique
«.Lumen Gentium» élaborée par le Concile V a t ic a n II. Bien q u ’elle ne soit
pas une étude scientifique, elle peut servir de point de repère sur les positions
olficielles de l ’Eglise Romaine : « L ’Eglise, c’est-à-dire le Règne (ou le
Royaume) du Christ^* déjà mystérieusement présent...» (n® 3, p. 15 dans
l’édition du Centurion)... « Le Seigneur Jésus donne naissance à son Eglise
en prêchant l ’heureuse nouvelle, l ’avènement du Règne de Dieu promis dans
les Ecritures depuis les siècles : « Que les temps sont accomplis et que le
Royaume de Dieu est là » (Marc, 1,15). Ce Royaume il brille aux yeux des
hommes dans la parole, les œuvres et la présence du C hrist» (n“ 5, p. 16).
« Avant tout cependant, le Royaume se manifeste dans la personne même
du Christ, Fils de Dieu et Fils de l’homme... Aussi l ’Eglise... reçoit mission
d ’annoncer le Royaume du Christ et de Dieu et de l’instaurer dans toutes les
nations, form ant de ce Royaume le germe et le commencement sur la terre.
Cependant, tandis que peu à peu elle s’accroît, elle-même aspire à l’achèvement
de ce Royaume, espérant de toutes ses forces et appelant de ses vœux l'heure
où elle sera, dans la gloire, réunie à son Roi » (n® 5, p. 17).
En 1966, G.E. L a d d commence par définir le Royaume comme un
«concept dynam ique», donc « le gouvernement royal de D ieu» (p. 258).
Ayant ainsi confondu Royaume et Règne, il affirme à juste titre : « L ’Eglise
est la communauté du Royaume [ = du Règne], mais jamais le Royaume
( = le Règne] lui-même» (p. 258). Puis il développe sa pensée de telle façon
que ses arguments aboutiraient à identifier Eglise et Royaume, s’il ne donnait
pas à Royaume le sens de Règne : « 1) L ’Eglise n ’est pas le Royaume...
« R oyaum e» est synonyme de « rois» [sic !], non pas de « peuple sur lequel
Dieu règne» (p. 259)... 2) Le Royaume crée l’Eglise» (p. 260)... 3) L ’Eglise
est le témoin du Royaume (p. 261)... 4) L ’Eglise est l ’instrum ent du Royaume
(p. 265)... 5) L ’Eglise est la gardienne du Royaume (p. 269)». Fidèle à sa
confusion initiale, E.G. L a d d peut alors conclure : « Il y a une inséparable
relation entre le Royaume et l’Eglise... Le Royaume est le Règne de Dieu
[sic !]... L’Eglise est la communauté de ceux qui expérimentent le Règne de
Dieu » (p. 273).
En 1970, P. F a y n e l : « Les étapes de la fondation du Royaume. Cette
fondation, en effet, ne s’est pas accomplie d ’un seul coup ; on peut en
discerner trois étapes. 11 y a eu d ’abord l ’ensemble de la vie publique. D urant
cette première étape, le Christ a commencé à fonder le Royaume, d ’une part
36. Ici je m ’écarte de la traduction française, faite p ar le Cardinal G a rrone , que repro
duit l’édition du Centurion, car cette traduction rend ici « regnum Christi » par « règtie de
Dieu ». Cette inadvertance permet-elle de supposer que le Cardinal G arro .ve considère
(à juste titre !) le Règne ou le Royaume de Dieu comme identiques au Règne ou au Royaume
du Christ ? Voir p. 98,100, 192-193, la discussion sur ce point.
118 LE ROYAUME DE DIEU ET L’ÉGLISE
A la fin de cette enquête, où figurent tous les auteurs que j ’ai pu trouver
en faveur d ’une identification plus ou moins complète entre l’Eglise et le
Royaume de Dieu^’ , quelques constatations se précisent :
1) Depuis la fin du siècle dernier, les exégètes et les théologiens opposés à
cette identification sont beaucoup plus nombreux, soit chez les Protestants
soit chez les Anglicans soit chez les Catholiques, que les partisans d ’une telle
identification.
2) Mais les positions de beaucoup semblent influencées par le fait q u ’ils
confondent Règne et Royaume et q u ’ils constatent (avec raison) que le Règne
de Dieu ne peut pas être mis en parallèle avec l ’Eglise.
3) Dans l ’état actuel de confusion entre Règne et Royaume, on n ’a pas le
droit de présenter les Anglicans ou les Protestants comme hostiles en bloc à
cette identification, car un certain nombre d ’entre eux l ’adm ettent plus ou
moins clairement.
37. Mais ne sont pas mentionnés les auteurs comme G . G loegb, K .L. S c h m id t ,
O. L in to n , H .D . W end la nd , qui semblent bien adm ettre au fond d ’eux-mêmes l’identifica
tion du Royaume de Dieu et de l ’Eglise, mais qui n ’osent pas le dire clairement et qui recourent
à des formules tellement ambiguës q u ’on ne peut pas affirmer que telle est bien leur pensée.
(Voir F.M . B raun , Aspects Nouveaux..., p. 163-166).
IDENTJFICATION A TRAVERS LES ÂGES 119
38. E. M énard , qui est catholique, présente ainsi les reproches parfois adressés à l'Eglise
de Rome : « L ’un des grands reproches qui pèsent plus ou moins sur notre Eglise est q u ’elle
a cherché à se prendre pour Dieu lui-même, q u ’elle a cherché à s’identifier à Dieu, q u ’elle
s ’est attribué des relations si intimes avec Dieu, avec le Seigneur Jésus et avec l ’Esprit-Saint,
que tout ce qu’elle dit, tout ce q u ’elle fait, tout ce q u ’elle pense prend à ses propres yeux et
voudrait s’imposer inconditionnellement aux autres comme valeur absolue, divine. L ’autorité
de l ’Eglise est l ’autorité de Dieu même. La pensée de l’Eglise est la pensée de Dieu même.
T out ce qui existe de fait dans l’Eglise y aurait été mis par une intervention de Dieu lui-même
et du Saint-Esprit. Tout ce qui est dans l ’Eglise devrait être considéré comme beau, grand,
bienfaisant, p u i^ u e cela y existe de par Dieu lui-même. Et ainsi de suite ! L ’absolu de Dieu
se serait, pour ainsi dire, incarné dans l’Eglise » (p. 96). — Je n ’ai pas qualité pour apprécier
dans quelle mesure de telles positions ont été effectivement soutenues (en fait ou en droit).
Mais elles seront absolument impossibles quand on identifiera bel et bien l ’Eglise avec le
Royaume de Dieu fondé par Jésus, puisque ce Royaume de Dieu contient pendant son
existence terrestre une proportion variable de pécheurs (selon les paraboles de l ’Ivraie, du
Filet, des Noces, des Vierges, du Jugement). Le danger d ’une telle identification n ’apparaîtrait
que si l ’on reléguait ce Royaume de Dieu dans une « Eschatologie » plus ou moins coupée
de la vie terrestre et déjà plus ou moins fondue dans la Vie céleste. Les reproches formulés
par E. M énard proviennent au fond d ’une lamentable confusion entre le Règne et le Royaume
de Dieu. Mais on parv iendra bien un jou r, espérons-le, à distinguer enfin clairement l ’un
de l’autre !
39. Qui douterait de cette affirmation pourrait se reporter à un stupéfiant article de
H. G o l l in g b r sur le Règne ou le Royaume de Dieu dans l’éducation catholique en Allemagne.
En est-il de même dans les autres pays ?
CHAPITRE XIV
1. Et l ’on ne peut rien dégager d'utilisable dans d ’autres passages très vagues sur
l’annonce, la proclamaîton ou l’enseignement du Règne ou du Royaume de Dieu : M atth.
4,23; 9,35; 24,14; Luc 4,43; 8,1 ; 9,11 ; 9,60; Actes 1,3; 19,8; 20,25; 28,23-31 ; Col. 4,11.
122 RÈGNE DE DŒU ET JUSTIHCATION
2. Ainsi s’expliquerait, et pas seulement par une omission fortuite, l’absence de textes
parlant du Règne de Dieu ( = la Justirication) pour les hommes ne renonçant pas au péché.
RÉFLEXIONS SUR LE RÈGNE DE DIEU 123
préparés, afin que nous nous conduisions selon elles » [c’est bien le Règne de
Dieu et du Christ !] (Ephésiens 2,3-5 et 10). La même association se trouve
à l ’arrière-plan de Gai. 4,3-5 : « Nous aussi, quand nous étions des enfants,
nous étions asservis aux éléments du monde ; mais quand est venue la
plénitude du temps. Dieu a envoyé son Fils... pour racheter ceux qui (étaient)
sous la Loi, afin que nous recevions l ’adoption filiale » : recevoir la Justification
c ’est aussi être libéré du règne du « monde » et de la Loi, donc passer sous le
règne de Dieu... On pourrait dégager la même conclusion de Col. 2,13-15...
Dans le sillage de ces textes se sont engagés plusieurs auteurs, par exemple
tous ceux qui parlent du « règne de la grâce », s’ils donnent à ces mots le même
sens plénier que Rom. 5,21.
Bien que S. T h o m a s d ’A q u in soit très discret sur le Règne ou le Royaume
de Dieu, la seule fois où il mentionne le Rcgnum Dei (Prima Secundae, question
108, article 1, ad primum)® il le présente sous l ’aspect de l ’action de Dieu
dans les âmes : « Le Règne de Dieu consiste principalement en des actes
intérieurs... Puisque le Règne de Dieu est la justice intérieure, la paix et la
joie spirituelle... » (vol. II, p. 752)®.
L u t h e r '' est conduit par sa conception de l ’Eglise invisible à donner la
prépondérance à la notion de Règne sur celle de Royaume et à identifier ce
Règne de Dieu avec la Justification. Cette relative absence de la notion de
Royaume est d ’ailleurs facilitée parce q u ’il emploie encore très souvent le
latin, où « regnum » est proche parent de « regnare » ; aussi, même quand il
s’exprime en allemand, Reich signifie chez lui Règne plutôt que Royaume.
Ceux qui connaissent un peu l ’œuvre de L u t h e r n ’ont pas besoin q u ’on leur
prouve cette identification du Règne de Dieu avec la Justification, tellement
les textes abondent. En voici quelques uns, répartis à travers toute sa prédi-
dation : sermon pour le 15' dimanche après la Trinité (sans doute en 1520) :
« Le Règne de Dieu sera en nous quand aucun péché ne dominera plus sur nous
et que nous unirons à Dieu tous nos membres et tous nos sentiments, en sorte
que ce ne soit plus nous, mais Dieu qui règne en nous » (Œuvres, vol. IV, p.
712)... Sermon du 23 octobre 1524 : « (Le Règne du Christ) n ’est rien d ’autre
que la rémission des péchés entre Dieu et les hommes et aussi entre les
hom m es» (vol. XV, p. 721)®... Sermon du 17 septembre 1525 : « E n ceci
5. Pour la Somme Théologique, c ’est le seul emploi de Regnum Dei que signale le très
copieux Index Rerum de l ’édition publiée par la Biblioteca de Autores Cristianos (vol. V,
p. 635-915, sur 2 colonnes !). Cette omission presque totale d ’un concept évangélique essentiel
pose un curieux problème. La confusion entre les trois sens de « regnum » suffit-elle à expliquer
ce silence dans une œuvre aussi monumentale que la Somme Théologique de S. Thom as ?
6. L ’excellente édition française de la Revue des Jeunes a omis de traduire les questions
106 à 108 de la Prima Secundae ; c’est pour cela que je ne cite pas selon cette édition.
7. Certes l'œuvre immense de L u ther contient quelques textes qui identifient Eglise et
Royaume de Dieu, par exemple en 1521 dans le traité « De votis monasticis. M artini Lutheri
judicium » : « L ’Eglise est appelée Royaume de Dieu et elle l’est, parce q u ’en elle Dieu seul
règne, commande, parle, agit, est glorifié » (vol. VJII, p. 656). De même L uther , en opposant
très souvent le Royaume de Dieu ou du Christ au royaume du diable, de l ’antéchrist (ou du
pape !), paraît supposer que le premier est contemporain du second et que le premier constitue
la véritable église (au sens de L uther ) comme le second constitue la fausse église (au sens de
L uther ). Cependant, il répète avec une telle insistance que le Règne de Dieu est la Justification
q u ’on doit voir là l ’aspect fondamental de sa pensée.
8. Form ule très voisine dans le sermon du 2 octobre 1524, vol. XV, p. 698,
RÉF1.EXIONS SUR LE RÈGNE DE DIEU 125
9. Les positions théologiques récentes sont résumées par K.P. D o n f r ie d (avec une
ample bibliographie).
10. Malheureusement la traduction de la Documentation Catholique rend ici le latin
« regnum » par « royaume ».
TZ6 RÈGNE DE DIEU ET JUSTIFICATION
l’expression d ’une idée qui nous est chère. Envisagé sous cet angle, le royau
me est bien la vie de Dieu en l ’homme et, du même coup, la vie de l ’homme
lorsqu’il vit en Dieu, la vraie vie, au sens johannique du mot, que connais
sent les Synoptiques (H. C l a v ie r , p. 64, avec la confusion habituelle entre
Règne et Royaume).
« C ’est en sanctifiant les âmes et en les reliant à Dieu q u ’il ( = le Christ-
Roi) les retire du péché et les conquiert à son royaume... C ’est en sauvant les
âmes du péché et en les ram enant à Dieu que le Christ exerce sa royauté
spirituelle» (Ch. V. H éris, p. 164 et 169).
« Tout dualisme est complètement exclu entre la Justification par la foi
et le Royaume de Dieu... La Justification et le Royaume de Dieu forment
réellement une unité organique, qui selon le point de vue, apparaît au croyant
soit comme la Justification soit comme le Royaume de Dieu... La Justification
par la foi est une expression résumée qui présente la réalisation du Royaume
de Dieu aussi bien comme délivrance que comme capacité de la Vie éternelle »
(D.T. B o h l in , p. 25-26, qui, lui aussi, confond Règne et Royaume).
« Ce qui constitue le royaume, c ’est le règne de Dieu dans les âmes par
la destruction du péché et la pratique de la justice intérieure... Cette transfor
mation spirituelle n ’est point encore, il est vrai, le salut définitif, mais elle en
est le gage, mieux encore, elle en est le germe qui n ’aura q u ’à s’épanouir
dans la vie étemelle » (L. V e n a r d , p. 353).
« Parfois il ( = le Royaume confondu avec le Règne !) semble être la
justice intérieure des âmes » (E. M e r s c h , p. 64).
« En M atth. (6,33) la Justification est associée très intimement avec Dieu
et son Règne, comme un pur don de Dieu, ainsi que tout ce qui dépend
de la basileia » (G. S c h r e n k , p. 200)... « La Justification de Dieu... comme
une nouvelle vie, introduit dans son Règne » (idem, p. 205-206)... « L ’action
justifiante de Dieu conduit au règne de la grâce... Iæ croyant est introduit
dans ce mouvement du Règne de Dieu. Les formules sur la Justification ne
doivent donc pas être séparées de ce Règne du Christ, qui est source de vie »
(idem, p. 213).
« En réalité, le salut est dans l ’Eglise, l’Eglise étant l ’incarnation du
salut. On peut donc dire que l ’Eglise ne conduit pas au salut, mais q u ’elle est
le salut même ; ici-bas, dans une enveloppe fragile, provisoire, appelée à dis
paraître ; et, dans l’au-delà, à l ’instar de notre corps humain, l ’Eglise
ressuscitera dans la gloire» (O .S e m m e l r o t h , p. 220-221 ; avec confusion
entre Règne et Royaume, ce qui fait identifier Eglise et Règne !).
« La doctrine paulinienne de la Justification n ’est rien autre q u ’une
variation, théologiquement plus précise, de la proclamation du christianisme
prim itif sur le Règne de Dieu comme salut eschatologique » (E. K â s e m a n n ,
An die Rômer, p. 26)... « Dans la Justification il ne s’agit de rien autre que du
Règne de Dieu proclamé par Jésus» (E. K â s e m a n n , Paulinische Perspektiven,
p. 133, en anglais p. 75).
Ces quelques citations ne peuvent évidemment pas constituer une preuve
de la relation intime entre le Règne de Dieu et la Justification. Elles veulent
seulement m ontrer que cette suggestion n ’est pas nouvelle et q u ’elle cor
respond à une tendance théologique assez largement représentée, surtout
dans les milieux protestants.
HORS DE l ’ Ég l i s e p o in t de sa lut ? 127
I raison d ’insister sur le fait que la Justification provient de Dieu seul, sans aucune
collaboration positive de l’homme, car Dieu seul peut établir et exercer son
Règne. Mais si l’on considère la Justification passive, c ’est-à-dire, les effets
de ce Règne de Dieu en l’homme, on ne peut guère refuser d ’admettre qu’ils
atteignent au moins rintelh'gence et la volonté Le Règne de Dieu dans
l’intelligence c’est la foi, et le Règne de Dieu dans la volonté c’est la charité
(au sens théologique). Autrement dit : en prenant possession de l ’homme, le
Règne de Dieu s’exerce au moins à travers son intelligence par la foi et à
travers sa volonté par la charité. Alors on comprend que la formule «justi
fication par la foi seule» suscite des oppositions, car elle supposerait une
restriction du Règne de Dieu, qui n ’atteindrait que l ’intelligence et qui
négligerait la volonté. Pourquoi Dieu régnerait-il seulement dans une partie
(si l’on peut dire !) de l ’âme ?
Si l’on voulait tenir compte de ces distinctions, ne vaudrait-il pas mieux
dire : 1) Dieu seul peut établir en l ’homme son Règne justificateur. 2) Cet
unique Règne de Dieu se réalise dans la foi et dans la charité !
Ces distinctions peuvent aussi servir à mieux cerner le problème de la fo i
et de son objet. Tout homme qui accepte le Règne de Dieu dans son intelligence
a une foi aussi parfaite que cette acceptation, même s’il n ’a pas encore bien
compris tel ou tel point de l ’Ecriture, telle ou telle partie de la Révélation.
Inversement, une erreur ou une ignorance de bonne foi sur une ou plusieurs
vérités révélées peuvent très bien coexister avec une acceptation sincère et
totale du Règne de Dieu dans l ’intelligence ; dans cette soumission au Règne
de Dieu la foi du charbonnier peut être aussi grande que celle du théologien,
bien q u ’elle porte sur un objet beaucoup plus restreint et beaucoup moins précis.
11. Plus toutes les autres puissances de l’âme, pour ceux qui aboutissent à une analyse
anthropologique plus complexe,
12. Cette formule est en harm onie avec la pensée juive, que M. T e s t u z résume ainsi,
pour le livre des Jubilés : « Hors de l’Alliance pas de salut, ni pour le Gentil, qui ne peut
y entrer, ni pour le Juif qui n ’en observe pas les lois » (p. 73-74).
128 RÈGNE DE DIEU ET JUSTIHCATION
13. C yprien exprime la même pensée dans sa Lettre ad Pomponium ; « Les orgueilleux
et les endurcis sont tués par le glaive spirituel, quand ils sont rejetés de l ’Eglise. Car ils ne
peuvent pas vivre en dehors d ’elle, puisqu’il n ’y a q u ’une seule maison de Dieu et q u ’il ne
peut y avoir de salut pour personne, si ce n ’est dans l’Eglise » (col. 371).
14. C ’est dans ce sens que le pape P élage II, en 585, cite explicitement S. C yprien
(D en zin o er , n“ 247).
15. Par exemple le pape I nnocent III, le 18 décembre 1208, dans la profession de foi
imposée aux Vaudois (D en m n g er , n“ 423), puis le 4 ' C oncile de L atran (D en zin o er ,
n” 430), puis B oniface VIII (D en zin o er , n “ 468), et ensuite divers autres documents officiels,
suivis par C alvin , vol. II, p. 122.
16. Sans avoir fait de recherches spéciales, j ’ai relevé les références suivantes:
1920: D u blanchy , col. 2155-2175;
1921 : G ore , p. 646-651 ;
1925 : D ieckm ann , vol. II, p. 252-253, n° 957 ;
1929: G loege , p. 347-349;
1938; DE L u bac , p. 174-179;
1943 : J ournet , vol. I, p. 43-47 ;
1969: R a tzin ü er , p. 145-171.
Auparavant, E. D ublanchy avait en 1895 composé sur ce sujet une thèse de doctorat
de 442 pages.
HORS DE l ’ Ég l i s e p o in t de sa lut ? 129
t
.
17. J. D e n n e y (p. 188) propose une autre solution, plus sociale : « Je ne pense pas que le
N.T. envisage l’existence des Chrétiens isolés (personnes qui ont accepté le salut chrétien
et embrassé l’idéal et la vocation chrétiens) mais qui ne sont pas membres d ’une église. Le
but du Christianisme ne peut jam ais être atteint... sauf par l’action et la réaction mutuelles,
la réciprocité à donner et à recevoir, de tous ceux qui sont les disciples du Christ. Ce que les
frères ont est indispensable pour nous ; ce que nous avons est indispensable pour eux. En ce
sens le dogme a raison : « Hors de l’Eglise point de salut ». C ’est sur la reconnaissance de
cette vérité que repose l ’unité vitale de l’Eglise ».
18. L. C e r k a u x exprime à peu près la même idée; « Le Royaume de Dieu, jusqu’à un
certain point, s’oppose à son Règne. Dieu règne sur toutes les nations et son Royaume se
restreint à Israël » (p. 26).
130 RÈGNE DE DIEU ET JUSTIHCATION
• •• sans Eschatologie
1
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»
CHAPITRE XV
I
L’histoire du terme Eschatologie a été retracée dans New Testament
Studies (vol. XVII, n° 4, July 1971, p. 365-390) et sera complétée dans la même
revue par un article à paraître bientôt. On peut donc se borner à la résumer
ici, 1) Ni l ’Ancien Testament, ni le Nouveau Testament, ni les Pères de l ’Eglise,
134 MÉFAJTS DE L ’ESCHATOLOGIE
II
Quoi q u ’il en soit du passé, l ’im portant est de définir le contenu théolo
gique de ce terme.
B r e t s c h m e id e r et les premiers utilisateurs lui donnent le sens normal
de tous les termes composés avec la finale « logie » : pour eux l’Eschatologie
est la science des choses dernières, tout comme la théologie est la science de
Dieu, la géologie la science de la terre, la biologie la science de la vie, etc.
Ce terme désigne alors de façon synthétique et commode l’étude du traité
appelé en latin « De Novissimis ». Cela est parfaitement légitime.
Mais assez vite, par une curieuse déformation, certains ont employé ce
terme pour désigner non plus l ’étude des choses dernières, mais ces choses
dernières eUes-mêmes'^. Cette « chosification » faisait passer subrepticement
de l ’Eschatologie-science à l ’Eschatologie-objet^. Je n ’ai pas fait de recherches
précises en Allemagne et en Angleterre, mais en France le premier témoin
de ce tour de passe-passe semble être E. S c h é r e r en 1851 et 1854.
La première partie du vocable « eschato... » suscite d ’autres ambiguïtés,
‘ car, le nombre de ces « choses dernières » peut varier selon les auteurs, de trois
(parousie, résurrection, jugement) à huit (mort, parousie, résurrection, juge
ment, béatitude, damnation, fin du monde, olïrande au Père).
On devrait aussi, mais on ne le fait pas toujours, préciser a) si cette
eschatologie concerne chaque individu en particulier ou bien l ’humanité en
général ou bien les deux à la fois, b) si le jugement et sa sentence atteignent
chacun dès sa m ort ou la collectivité à la fin du monde, ou bien l’un et l’autre*.
1. Toutefois ccite déformation n ’est pas encore admise par tout le monde et H. C azelles,
en 1978, donne encore pour l ’Eschatologie une définition tout à fait acceptable : « L ’Eschato
logie, c’est un discours, ou du moins une vision, sur les derniers temps » (Messie de la Bible,
p. 191).
2. Dirait-on de quelqu’un qui se promène en forêt : « il se promène en sylvologie »
et de quelqu’un qui ferme la bouche : « il ferme sa stomatologie » ? Quel avantage la science
peut-elle tirer d ’une telle perversion du langage ? Hélas, la psychologie a donné sur ce point
le mauvais exemple, car selon le gros Dictionnaire de P. R obert, elle est tantôt « l ’étude
scientifique des phénomènes de l’esprit », tantôt « les états de conscience, les faits psychiques
eux-mêmes » (vol. V, p. 535).
^3. P. VOLZ, qui n ’admet que l ’Eschatologie collective, affirme catégoriquem ent:
« L ’Eschatologie individuelle est en elle-même une contradiction » (p. 1).
CONFUSIONS 135
III
A cause de toutes ces amphibologies, plusieurs théologiens ont déjà
protesté contre l’emploi d ’un terme aussi équivoque :
En 1918, M.J. Lagrange : « Il est extrêmement difficile de sortir de la
confusion c r ^ par le mot eschatologique » (Sens du Christianisme, p. 233).
En 1936, F. H olmstrôm intitule un chapitre « Les multiples significations
du concept d ’Eschatologie » et il le conclut en regrettant q u ’elles soient
« illimitées ».
En 1940, G. D elling : « Le mot Eschatologie ne devrait plus être employé
pour l’attente du futur chez Jésus ».
En 1945, M c Cow n , qui appelle l ’Eschatologie un terme « comfortable »
(au sens anglais) : « L ’extension du terme Eschatologie... a seulement augmenté
immensément une indescriptible confusion... Plus vite le m ot « Eschatologie »
disparaîtra de la terminologie théologique et sera confiné à la description
positive d ’anciennes opinions intenables qui ne contribuent en rien à notre
compréhension de l’univers et de Dieu, plus rapidement on pourra progresser »
(p. 166).
En 1953, W.A. W iutehouse : « On suppose parfois que la théologie de la
personne et de l’action du Christ inclut de multiples facteurs qui n ’ont que peu
ou rien à voir avec le problème des « choses dernières » au sens strict ; aussi on
contribuerait à la clarté si l’on n ’utilisait pas le terme « Eschatologie » pour
des questions relatives à ce niveau » (p. 71). Et à la page suivante il appelle
l’Eschatologie un « terme-parapluie ».
En 1961, James Barr : « Il ne me semble pas injuste de signaler que,
en dehors de la recherche biblique, le vocabulaire de la théologie biblique
développe une sorte de rhétorique particulière, où reviennent interminablement
certains termes favoris (comme « Heilsgeschichte », « Alliance » et « Escha
tologie ») dont le sens m ouvant fait des mots passe-partout plutôt que d ’utiles
moyens de communication » (p. 281).
En 1964, N.A. D ahl : « Divers théologiens ont eu tendance à qualifier
d ’eschatologique tout ce qui a rapport au Christ. La signification du m ot
« Eschatologie » est devenue si chatoyante q u ’il devrait être permis à un homme
étranger à la langue allemande^ de revenir aux usages anciens » (p. 3).
En 1966, M. D e J onge : « L ’étude des attentes juives concernant le futur
est grandement entravée par le manque d ’accord dans la terminologie... Les
Mais surtout, par une curieuse évolution, l ’Eschatologie est venue compli
quer le problème du Règne ou du Royaume de Dieu.
Pour des raisons historiques, que d ’autres sans doute chercheront à
analyser, un amalgame progressif a combiné la notion de basileia tou théou
avec celle de la Fin du Monde, puis celle de la Fin du M onde avec celle d ’Escha-
tologie, si bien que peu à peu on est arrivé à confondre le Règne ou le Royaume
de Dieu et l’Eschatologie et ainsi à fausser complètement ces notions.
La situation théologique est sur ce point si grave et si invraisemblable
q u ’il ne suffit plus de la dénoncer. L’expérience prouve que des esprits par
ailleurs judicieux s’enferment dans une incrédulité souriante dès q u ’on ose
contester devant eux l ’équation Royaume de Dieu = Fin du Monde.
t:- Aussi, pour essayer d ’ouvrir les yeux à ceux qui conservent suffisamment
d ’esprit critique, faut-il entreprendre une enquête historique qui essaie de
déceler les perturbations provoquées par cette fâcheuse invention de
l ’Eschatologie.
Cette enquête ne prétend nullement être complète. Son but est seulement
de montrer, par des exemples concrets, comment plusieurs synthèses théolo
giques ont été perturbées par cette intrusion de l’Eschatologie.
En attendant que soit écrite une vaste histoire de l’Eschatologie, je me
contenterai de choisir certains auteurs, dont l’influence a été considérable, et,
sans dresser un portrait exhautif de leur pensée, de constater comme elle a été
déviée par l ’influence des théories eschatologiques. On pourra comprendre
alors pourquoi les conclusions dégagées dans la première partie de cet ouvrage
au sujet du Règne et du Royaume de Dieu ne sont plus à la mode actuellement.
CHAPITRE XVI
1) Reimarus
ment projeté dans le passé et mis sur les lèvres de Jésus leurs conceptions
nouvelles (n° 31, p. 265-266) ; on ne doit donc pas en tenir compte sur ce point
(n“ 33, p. 268-269).
Cette théorie de R eimarus est d ’autant plus logique q u ’elle récuse tous
les documents existants et q u ’elle reconstitue l ’histoire telle q u ’il voudrait
q u ’elle soit. Mais son point de départ est faux, car elle repose sur l’habituelle
confusion entre Royauté, Règne et Royaume. Au temps de Jésus le peuple
ju if n ’attendait pas le Royaume de Dieu. Certes on connaissait les textes de
l ’Ancien TesUment qui proclament que Dieu est roi, on désirait la manifesta
tion de cette Royauté de Dieu, deux formules mishniques parleront plus tard
du Règne de Dieu (voir ci-dessus, p. 18,19,88), mais jam ais il n ’est question
du Royaume de Dieu ou du Messie au sens du Nouveau Testament. R eimarus
ne pouvait évidemment pas connaître comme nous les textes de Qumrân et
il n ’avait pas encore une concordance de F lavius J osèphe. Mais il aurait
au moins pu et dû s’apercevoir que sa construction reposait sur une base
extrêmement fragile. Pour « prouver » que l ’ensemble du peuple ju if attendait
w le Royaume du Messie, il ne fournit que deux textes (n® 29, p. 262) : 1) Le
premier est le Targum de Michée 4,7, où le texte massorétique porte ; « le
Seigneur régnera sur eux dans la montagne de Sion », et où le Targum de
Jonathan trad u it: « la royauté du Seigneur se manifestera sur eux dans la
montagne de Sion » ‘. 2) Le second argument invoque le commentaire de
Zacharie 14,9 dans le Yalqout Shim'oni, folio 178, col. 1^. Or voici le texte
q u ’on trouve à la référence indiquée (n® 585)^ : « Le Seigneur est le Dieu,
surtout ( ’b l) pour le monde à venir, quand régnera sur nous le Saint, béni
soit-il ». Ces deux textes se bornent donc à reprendre une pensée exprimée çà
et là dans l ’Ancien Testament (Exode 15,18; Psaume 146,10): Dieu possède
la Royauté et il l ’exercera un jo u r en régnant sur son peuple. Mais : 1) aucune
■M/ précision n ’est donnée sur ce R ègne; 2) le contexte montre q u ’il ne s’agit
pas du Royaume de Dieu ; 3) la rareté de ces textes m ontre q u ’ils n ’expriment
pas une des idées fondamentales de la pensée juive, comme on voudrait nous
Je faire accroire. Comment un historien pourrait-il, à partir de ces deux textes
insignifiants construire tout un système qui récuse le témoignage des Evangiles
et qui se permet de lui substituer une théorie purement imaginaire ? Et pourtant
les vues de R eimarus auront un succès considérable et exerceront une énorme
influence !
2) Strauss
3) Reuss
Edouard R euss (1804-1891) était Alsacien et enseignait ou écrivait aussi
bien en allemand qu’en français"^. Il faisait partie d ’un groupe de théologiens
5. Quel document permet de voir une telle « parousie à grand spectacle » dans l ’attente
messianique du peuple juif et surtout quel document suggère que ce Messianisme soit une
Eschatologie ?
6. Certaines formules de R e u ss constituent des aveux d ’une délicieuse naïveté : « Ainsi,
les idées eschatologiques ordinaires du christianisme primitif m anquent dans l ’Evangile de
Jean » (vol. II, p. 459)... « La saine exégèse ne doit-elle pas supposer (sic) que Jésus dans ses
enseignements eschatologiques s’est volontairement servi d ’expressions qui rappelaient le
matérialisme (sic) des croyances populaires ? » (vol. II, p. 462, note l),.. « Le nom de royaume
de Dieu, nom emprunté également à l’eschatologie populaire (sic), ne se trouve dans nos
textes que lorsque Jésus est amené à se servir de locutions usuelles » (vol. II, p. 463)... « Ce qui
prouve, du reste, q u ’il n ’est pas question d ’eschatologie » (vol. II, p. 463)... « Ce système n ’a
pas de place pour les notions eschatologiques vulgaires (sic) » (vol. II, p. 464)... Une autre
phrase de R e u ss nous stupéfie, maintenant que nous connaissons les documents de Qumrân :
« Quand on songe à quel degré inférieur de culture intellectuelle, morale et religieuse se
trouvaient les populations au-xquelles il ( = Jésus) s’adressait... » (Histoire Evangélique, p. 192).
7. Les 4 éditions précédentes ne contiennent pas cette phrase. Je remercie M. le D r
H ubert K l e in , de la Bibliothèque d e Berlin, d ’avoir fait pour moi cette vérification.
142 f o r m a t io n d ’u n e erreur
4) Renan
1 ). Ces trois auteurs sont étudiés plus en détail dans un article à paraître : « Rectification
d ’une erreur concernant l’Eschatologie », dans New Testament Studies.
12. P. A lfakic précise quel parti R enan a tiré de ces auteurs, ainsi que de certains
autres q u ’il oublie de mentionner (p. xxxvi à XLrv), Le même ouvrage reproduit un carnet de
notes où R enan a dépouillé la Vie de Jésus de Strauss (p. 59-62). A i'index alphabétique
(p. 379-380) les références précises à chaque auteur sont énumérées. D ’autres renseignements
sont fournis par J. PoMMinR.
FAUTES DE RAISONNEMENT 145
OU non) les textes du Nouveau Testament qui les gênaient et qui ne s’harmoni
saient pas avec leurs synthèses préconçues, b) Ils imaginaient q u ’aux abords
de l’ère chrétienne les Juifs étaient obsédés par l’attente du Royaume de Dieu
et de la Fin du M onde et que Jésus avait partagé leurs illusions. R e im a r u s
n ’appuyait cette théorie que sur deux citations sans valeur démonstrative
(voir p. 139) et R e n a n y ajoutait un vague renvoi à Daniel et au Livre
d ’Hénoch (voir p. 143).
La première de ces fautes de raisonnement a été si souvent dénoncée et
stigmatisée par les controversistes catholiques ou protestants, q u ’on aurait
mauvaise grâce à insister. Q u’on suspecte l’authenticité d ’un passage sur lequel
les manuscrits, les anciennes versions ou les citations des Pères de l ’Eglise
ne sont pas unanimes, c ’est normal. Mais quand un texte est bien attesté dans
l ’ensemble des témoins, on n ’a pas le droit de l’éliminer, sous prétexte q u ’il
ne s'accorde pas avec telle ou telle conception théologique moderne. Agir
ainsi, c ’est violer les méthodes scientifiques. Et alors les conclusions obtenues
doivent être considérées comme non-démontrées.
La seconde faute de raisonnement, qui ne pouvait être décelée que par
de vrais connaisseurs, n ’est pas non plus passée inaperçue. Ainsi, Timothée
CoLANi (1828-1888), bien q u ’ancien élève de R e u ss , réagissait contre la Vie
de Jésus de R e n a n en l ’attaquant sur ce point particulièrement vulnérable.
Avec un remarquable sens historique, C o l a n i objecte (un siècle avant les
découvertes de Qumrân !) que les contemporains de Jésus ne rêvaient pas
ainsi de la Fin du M onde et que Jésus donnait à son Royaume une signification
bien dilTérente*^.
« (Selon R e n a n ) la qualité de président des assises finales de l’humanité
fut le rôle essentiel q u ’il [= Jésus] s’attribua. Bientôt, sans doute, il comprit
q u ’il serait victime de sa hardiesse, mais il pensa q u ’après sa mort il reviendrait
subitement, accompagné de légions d ’anges, juger les hommes et séparer les
bons d ’avec les méchants. M. R e n a n ne dit pas clairement si Jésus puisa cette
idée apocalyptique dans les illusions de son esprit ou dans les superstitions
de son entourage. J ’espère avoir montré, par les pages qui précèdent, l ’impossi
bilité de l’une et de l’autre hypothèse : il n ’y a dans les discours authentiques
de Jésus aucune notion qui, tenant au fond même de sa pensée, ait pu devenir
le germe de pareilles rêveries ; il n ’y a dans les documents antérieurs ou même
postérieurs à Jésus aucune trace que les Juifs aient jam ais attribué au Messie
le rôle de président des assises finales de l ’humanité » (p. 165).
T. C o l a n i ne se contente pas de cette réfutation. Il dégage lui-même les
traits principaux du Royaume de Dieu tel q u ’il l ’aperçoit et il montre q u ’il
existait déjà lors de la prédication de Jésus : « Le jo u r arrive où Jésus ne dit
plus seulement que le royaume du Messie approche : il est déjà venu, il a déjà
commencé. Jean-Baptiste marque la limite entre les temps anciens et les temps
nouveaux : c’est jusqu’à lui que vont la loi et les prophètes ; depuis le grand
précurseur, quiconque usant de violence sait se dépouiller des idées anciennes
peut pénétrer dans le royaume. Les œuvres de Jésus prouvent à elles seules
que les temps messianiques sont accomplis » (p. 61)... « Jésus croit m aintenant
13. T. C olani ne pouvait guère reprocher à R enan et aux autres leur habile triage des
textes, c ar nous verrons plus loin (p. 180) q u ’il p ratiquait lui-m êm e cette m éthode.
146 FORMATION d ’UNE ERREUR
14. CoLANi veut parler du messianisme habituel chez les Juifs de son temps.
CHAPITRE XVII
1) Johannes Weiss
3) Même Jésus ne peut pas amener, fonder, édifier le Reich Gottes. Dieu
seul le peut. C ’est Dieu lui-même qui doit s’em parer du Règne. Jésus peut
seulement, dans la force qui lui est communiquée par l ’esprit divin, combattre
le démon et rassembler une troupe de partisans, qui attendront l ’arrivée du
Reich Gottes dans une piété renouvelée, dans la pénitence, l’humilité et
l’abandon.
4) La conscience messianique de Jésus est la certitude que lui seront commu
niqués le Jugement et le Règne dans la formation du Reich que Dieu va
instaurer. Dieu va l’élever à l’état de Fils de l’Homme, dont il revendique le
titre (Jean 5,27), et le faire devenir Seigneur et Messie.
5) Alors qu’au début Jésus espère vivre jusqu’à la formation de ce Reich, il
acquiert peu à peu la certitude q u ’il doit auparavant passer par le chemin
de la mort et contribuer par cette m ort à la formation du Reich en Israël.
Alors il reviendra sur les nuées du ciel pour la formation de ce Reich, et
cela encore pendant la vie de la génération qui l ’a rejeté. Jésus ne donne pas
de plus grandes précisions de temps, car l’arrivée de ce Reich ne peut pas
être prévue par le calcul ou l ’observation des signes.
6) Quand cela arrivera. Dieu anéantira ce vieux monde pourri et dominé
par le démon et il créera un monde nouveau. Les hommes participeront eux
aussi à cette transm utation et ils deviendront comme les anges.
7) En même temps se produira le Jugement, non seulement sur ceux qui
vivront encore lors de la venue du Fils de l’Homme, mais aussi sur ceux
qui seront alors ressuscités, bons ou mauvais, Juifs ou païens.
8) La Palestine, transfigurée dans une nouvelle splendeur, formera le centre
du nouveau Reich ; les nations ne la domineront plus, mais elles reconnaîtront
Dieu ; il n ’y aura plus de deuil ni de péché ; mais ceux qui vivront dans le
Reich Gottes verront Dieu et le serviront dans une étemelle justice, innocence
et félicité.
9) Jésus et ses fidèles domineront sur ce peuple rénové des douze tribus,
qui acceptera aussi en lui les païens.
10) Par le Règne du Messie, le Règne de Dieu n ’est pas supprimé, mais
réalisé, soit que l’un et l ’autre subsistent ensemble soit que Jésus gouverne
sous l ’autorité suprême de Dieu. »
Ailleurs (p. 67) Johannes W fjss reproche à ses contemporains de ne plus
employer les mots dans le même sens que Jésus, car « nous ne partageons
pas la tonalité eschatologique de « la figure de ce monde passe » (I Cor. 7,31)...
Nous n ’attendons pas un Reich Gottes qui doit descendre du ciel sur la terre
et anéantir ce monde, mais nous espérons être rassemblés avec la commu
nauté de Jésus-Christ dans le Royaume céleste». Et une note précise que
«cette modification de l ’idée du Reich Gottes est peut-être très ancienne»,
car elle se manifeste peut-être déjà dans la source judéo-chrétienne de Luc.
Johannes Wi-i.ss reprendra les mêmes théories en 1895 dans un autre
ouvrage sur « l ’imitation du Christ dans la prédication actuelle» : « Qua nd
nous introduisons la pensée de l’im itation du Christ dans le cadre de l’idée
du Reich Gottes, nous n ’employons pas cette idée dans le sens des Evangiles,
mais dans celui q u ’elle a reçu dans la théologie moderne. Dans la langue
et la pensée de Jésus, le monde et le Reich Gottes sont des contraires absolu
ment inconciliables : le monde doit disparaître pour faire place au Reich
Gottes. Dans la théologie moderne au contraire la pensée est ainsi déviée que.
150 SUCCÈS d ’u n e e r r e u r
2) Alfred Loisy
Nous sommes bien renseignés^ sur l ’évolution de la pensée d ’A. Lx) isy
(1857-1940) par les deux autobiographies q u ’il a publiées : « Choses Passées »,
en 1913, et «M ém oires pour servir à l’histoire religieuse de notre tem ps»,
en 1930-1931 (3 gros volumes de 1 860 pages), ainsi que par les souvenirs
de ses confidents : A. H o u t in et F. S a r t ia u x , édités par P o u l a t .
Nous savons donc que ce ne sont pas les problèmes du Royaume de
Dieu et de l ’Eschatologie qui sont à l ’origine de sa construction Ihéologique.
Ses maîtres lui ayant enseigné une conception presque mécanique de l ’inspi
ration® et son étude de la Bible lui prouvant l’absurdité de cette conception^,
il a commencé par récuser l ’inerrance et l ’inspiration de la B i b l e * p u i s il
s’est engagé dans une exégèse qui se voulait purement critique** et qui l ’a
conduit à une sorte à'évolutionnisme théologique. Ce drame intérieur s’est
déroulé vers 1881-1885 et c’est seulement un peu avant Pâques 1893 q u ’il
enseignera les Evangiles Synoptiques à l’Institut Catholique de Paris (Mémoi
res, vol. I, p. 242) et seulement à la fin de 1893 q u ’il publiera ses premiers
travaux sur cette question.
On a parfois reproché à L o isy de s’être inféodé aux Protestants rationalistes
d ’Allemagne. Et en effet, dans le Bulletin Critique du 15 février 1889, il évoque
R e u s s , K u e n e n , W e l l h a u s e n , R e n a n et G r a f (p. 61), puis Hui>i-ELD et les
« critiques contemporains ». A partir de mars 18W un mystérieux « P », dont
les idées et le style ressemblent fort à ceux de Lx )isy * recense dans la même
revue A. R e sc h et divers autres travaux écrits en allemand. En outre, depuis
1889, la Revue Critique, l ’approvisionnait en ouvrages allemands (Mémoires,
vol. I, p. 363).
Mais L o is y a plusieurs fois rejeté ces hypothétiques influences. Les seuls
inspirateurs q u ’il admette sont R eu ss et R e n a n et encore pour encourager
plutôt que pour provoquer une évolution (Mémoires, vol. I, p. 153-154,
161-162).
7. Mes recherches sur Loisy ont été grandement facilitées par la compétence de Monsieur
l’Abbé Jean-Paul B lanc et par la précieuse bibliographie de Loisy dressée par E. P oulat
(p. 303-324).
8 . « Son enseignement { = de V i g o u r o u x ) et ses livres ont plus f a i t pour me détourner
des opinions orthodoxes en cette matière que tous les rationalistes ensemble, R e n a n compris »
(Choses Passées, p. 58, à propos des cours suivis en 1881-1882).
9. « Dès 1881, la notion traditionnelle de l’Ecriture inspirée figure au chapitre des
pertes. En 1883, c ’est tout le système de doctrine et d ’apologétique de l’Eglise qui est mis en
discussion » (Choses Passées, p. 68).
10. Dans les « Dialogues des m orts » (composés en 1895 et restés manuscrits) Loisv
fait dire à R e n a n : « De la première page de la Genèse à la dernière page de l’Apocalypse
on ne trouve pas dix lignes de suite qui ne donnent lieu à contestation si on veut les prendre
à la lettre » (fd io 22).
11. E. T rocmé m ontre cependant que Loisy , tout comme R enan , a été influencé par une
idéologie plus ou moins consciente (p. 454-458).
12. L oisy a lui-même avoué q u ’il s’était servi de plusieurs pseudonymes : Revue
d ’Histoire et de Littérature Religieuses, vol. 6, n° 3, mai-juin 1901, p. 278, note 1 ; Choses
Passées, p. 171, 209-218. 343; Mémoires, vol. I, p. 413, 428, 570.
13. Plus tard aussi N ew man , sur lequel il se renseigne le 15 septembre 1896 (Mémoires,
vol. I, p. 410) et dont il em prunte les oeuvres le 12 octobre 1896 (ibidem, p. 415).
152 SUCCÈS d ’u n e erreur
14. Ailleurs L o is y adm ettra une plus grande influence de R e .m a n ; « D urant ces années
(1881-1883), mon auteur de prédilection fut R e n a n , que je ne prenais d ’ailleurs pas pour un
oracle ; mais c'est surtout avec lui et contre lui que je pensais » (Revue d ’Histoirc et de
Littérature Religieuses, vol. 5, n° 6, novembre-décembre 1913, p. 570).
15. L oisy a présenté ses souvenirs sur les cours de R enan dans une allocution du 1" mars
1923 (Mémoires, vol. III, p. 437).
16. Dans Choses Passées, p. 75, il est plus réticent : « Certaines idées de R enan m ’aidèrent
probablement à la concevoir ( = m a théorie), mais elles n ’y sont guère plus reconnaissables
que la croyance catholique ».
17. N" 19, 5 juillet 1895, p. 361-373 ; n° 21, 25 juillet 1895, p. 401-408 ; n» 22. 5 août 1895,
p. 421-429.
18. N euf articles, en 1896, du n° 26 au n" 45.
19. Tome 3, 1898, n “ 5, p. 385-406,
20. De même dans les Mémoires, vol. Il, p. 59 : « Elle ( = la Vie de Jésus) n ’est pas non
plus ^ n s défaut pour le critique, parce que R e n a n a fait un peu le Christ à son image, et q u e
certaines habiletés littéraires pour obtenir u n tableau complet, fût-il, en maint endroit,
purement hypothétique, ont aussi altéré la rigueur de la méthode ».
21. Dans les Mémoires, vol. I, p. 315, L o is y reconnaît avoir pratiqué « u n léger
camouflage théologique ».
A . LO ISY I jj
22. « R e n a n a été mon maître sans que j ’aie jam ais conversé avec lui. Je le lisais pour
le critiquer ; mais j ’apprenais beaucoup en le critiquant » (Choses Passées, p. 373)... « J ’ai dit
plus haut com m ent R b n a n avait été mon maître — à vrai dire, mon seul m aître en critique
biblique, — et tout le profit que j ’avais tiré de son cours d ’histoire » (Mémoires, vol. III,
p. 98-99).
23. On ne voit pas bien si ces paroles exposent la pensée de L o is y ou celle de l'ouvrage
q u ’il recense (en l’approuvant).
24. Cet ouvrage, publié en 1902, reprend sur ce point un cours professé à l’Ecole des
Hautes-Etudes en 1901-1902. Voici ce q u ’on y trouve: « La prédication évangélique est
l’invitation au Royaume, mais n ’est pas ce Royaume » (p. 106)... « Le Royaume n ’est pas
encore réalisé, mais Jésus le prévoit pour un avenir très proche » (p. 113)... « Les Paraboles
du Royaume sont indéniablement e-schatologiqucs » (p. 118)... « C ’est dans l’avenir
qu'apparaîtra (en Jésus) sa qualité de Messie Fils de Dieu, conformément à la nature eschato-
logique de son Royaume » (p. 121).
25. Mais, à la lin de cette lente élaboration, les positions de LotSY ont pu être influencées
par Johannes W eiss, auquel il semble faire allusion dans l’Evangile et l’Eglise p. 36.
26. F. S a r t ia u x a créé pour elle le terme d ’ondoyance (p. 232, ligne 21).
154 SUCCÈS d ’u n e erreur
d ’autre sens q u ’une prédiction téméraire d ’une Fin du Monde imminente. Leur
« évidence » n ’était nullement troublée par les paraboles de l ’Ivraie, du Filet,
des Dix Vierges et ils ne remarquaient même pas que certains textes s ’expri
maient au passé. Alors cette Fin du M onde constituait pour eux, tout
naturellement, une Eschatologie.
Avant eux, cette idée n ’était guère admise que par des cercles restreints.
Les innombrables lecteurs de R e n a n , séduits par son style enjôleur, n ’avaient
sans doute pas attaché assez d ’importance aux notations discrètes, glissées un
peu partout, qui rejetaient le Royaume de Dieu dans un avenir « eschatolo-
gique». Jusqu’à la fin du x ix ' siècle, le protestantisme libéral, dont R it s c h l
et H a r n a c k sont deux illustres représentants, dissolvait dans un idéal spirituel
la notion de Royaume de Dieu et donc se dispensait d ’en préciser l’horizon
historique.
Mais, après que R it s c h l a bien mis en relief l ’importance du Royaume
de Dieu dans la pensée de Jésus, Johannes W eiss en Allemagne et L o isy en
France arrivent juste à point pour faire adm ettre que l ’irruption de ce
Royaume de Dieu constituera la Fin du Monde. Ni l ’un ni l ’autre ils n ’appor
tent d ’argument nouveau ; l ’un et l ’autre ils éliminent les textes qui les
contredisent ; l’un et l’autre ils supposent sans preuve que les contemporains
de Jésus sont obsédés par l’attente d ’une catastrophe cosmique. Mais grâce
à l ’émouvante conviction de Johannes W eiss , grâce au talent littéraire et à
l ’influence de L o is y , leurs affirmations répétées commencent à prendre aux
yeux de beaucoup l ’allure d ’une vérité indiscutable.
CHAPITRE XVIir
A) Le système de Schweitzer
S c h w e it z iîr '’’ suppose sans hésiter que le Royaume de Dieu est une
croyance purement eschatologique et il construit inexorablement une vie de
Jésus centrée sur cette illusion, que la réalité historique devait démentir. Il
qualifie d ’incompréhensible, et donc il déclare inauthentique, tout ce qui dans
les Evangiles n ’est pas en harmonie avec sa conception. Sans même soupçonner
que sa logique personnelle puisse différer de celle d ’un Palestinien du premier
siècle, il adm et comme seul critère l ’impression de cohérence que lui four
nissent les textes : « Il s’agit uniquement ici d ’élaborer une construction
historique (en italiques dans le texte français) aussi nécessaire q u ’inévitable
dont la justesse dépend de la mesure d ’ordre et de clarté q u ’elle apporte dans
les écrits synoptiques» (Secret, p. 29). De fait il aboutit (Secret, p. 193-290) à
proposer une vie de Jésus qui satisfait pleinement ses postulats subjectifs,
mais qui n ’est guère conforme aux données des Evangiles.
Pour les textes qui lui conviennent, il déclare : « C ’est commettre un
acte de pure violence que de déclarer ces scènes comme n ’étant pas histori
ques » (Secret, p. 23). Mais, à la page suivante, il écarte les données qui ne
lui plaisent pas : « Seule est historique la conception qui explique comment
Jésus pouvait se considérer lui-même comme le Messie» (Secret, p. 24), Et
cela ne l ’empêche pas de reprocher aux autres d ’introduire « u n lien causal
fictif dans la suite chronologique des récits (Secret, p. 36). Dans la « Leben-
Jesu-Forschung » * il reproche à B r a n d t d ’employer trop souvent les formules
« il serait permis », « il serait possible », « il faudrait », qui « exercent un véri
table règne de terreur à travers le livre» (p. 250 en allemand, p. 257 en
anglais). Et plus loin il se plaint que J ü l ic ib îr « n ’hésite pas à exclure des
authentiques discours de Jésus tout ce qui ne lui convient pas » (même ouvrage ;
p. 255 en allemand, p. 263 en anglais). Pourtant, lui, il essaie de montrer
comment les paraboles que nous appelons « de la croissance » ne parleraient
pas de « croissance », mais de « mystère » (Secret, p. 69-72). Ailleurs, à
propos de la Transfiguration, il dit tout simplement : « Ainsi cet étrange pas
sage interpolé...» (Secret, p. 128-129). Ailleurs (Secret, p. 144-145): «T ous
les passages dans lesquel (Jésus) se dénomme avant Césarée de Philippe...
« Fils de rhom m e » ne sont pas liistoriquesS>... « Les passages sus-mentionnés...,
ne sont pas historiques»... « C ’est ainsi que l ’on aboutit à ces inepties philo-
ment pour les élus. Pour les autres sa m ort ne peut servir à rien, pas même
à les amener au repentir. D ’ailleurs, il ne meurt pas pour que celui-ci ou celui-là
puisse entrer dans le Royaume de Dieu ; il expie les péchés pour que le
Royaume lui-même puisse venir. C ’est seulement quand ce Royaume sera là
que les élus eux-mêmes pourront en prendre possession» (Leben-Jesu-
Forschung, p. 436, note 1 en allemand ; p. 388, note 1 en anglais).
b) La morale que Jésus prêchait n ’avait pas pour but de fournir à toute
l’humanité des règles stables et un idéal permanent. Elle voulait simplement
inviter le petit cercle des disciples à se détacher du monde pour accueillir
sans obstacle le Royaume qui allait surgir. Cette morale n ’a donc aucune
valeur pour toutes les générations qui en fait se sont succédé après la fin de
l’illusion qui avait obsédé Jésus. Aussi les conseils ou les préceptes contenus
dans les Evangiles ne sont q u ’une «m orale intérim aire», non adaptée à la
réalité historique d ’un genre humain qui a continué à vivre sur la terre.
*
♦ ♦
Quand on essaye de dégager les bases sur lesquelles est construit un tel
édifice théologique, on est fort surpris de constater q u ’elles sont bien fragiles.
L ’argument décisif est au fond le même que celui qui a inspiré la « découverte »
de 1894 : sans cela, on ( = S c h w e it z e r ) ne parvient pas à expliquer logique
ment les paroles et les actes de Jésus. Puis une affirmation historique est
cent fois répétée : Jésus ne pouvait pas ne pas partager les aspirations de ses
contemporains, qui vivaient dans « u n e intense attente eschatologique»
(Secret, p. 121) d ’un Royaume de Dieu qui se réaliserait lors d ’un cataclysme
cosmique m arquant la Fin du Monde. Cette affirmation, dont S c h w e it z e r
n ’est pas l ’inventeur, est tellement im portante que nous devons l’examiner en
détail.
Pour prouver que les contemporains de Jésus, et donc Jésus lui-même,
étaient obsédés par l’attente d ’un cataclysme cosmique qui serait l ’irruption
du Royaume de Dieu sur la terre, S c h w e it z e r invoque 4 documents*^ : les
Psaumes de Salomon, le 2 ' livre de Baruch, le 4* livre d ’Esdras et le livre
d’Hé^och^^
14. Voir, en français, l’excellent ouvrage de J. V iteau , en le complétant par A.M. D enis ,
p. 60-69. Bonne présentation des textes essentiels par P. G relot , p. 94-102.
15. Comme nous l’avons vu p. 87, il faudrait d ’ailleurs traduire par Royauté de Dieu
plutôt que par Royaume de Dieu.
16. Les mêmes aveux sont formulés par R.H. C harles (Religious Development... p. 57) ;
« (Dans) les principales autorités du premier siècle (avant J.-C.) ; Hénoch XCI-CIV,
XXXVII-LXXI, I Maccabées, Psaumes de Salomon, Livre de la Sagesse... l’espoir d ’un
éternel Royaume de Dieu sur cette présente terre... est maintenant, sauf dans une œuvre,
absolument abandonné pour toujours ». L ’exception ici mentionnée est Hénoch XXXVII-
LXXI, c ’est-à-dire les Paraboles d ’Hénoch, qui seront examinées ci-dessous, p. 163-164.
17. Voir l’excellente étude de P. BooAERTet les renseignements techniques d ’A.M. D enis,
p. 182-186. Les textes essentiels sont bien présentés par P. G relot , p. 185-193.
18. Voir surtout L. G r y : « La ruine du Temple... ».
19. R .H . C harles (vol. II, p. 474-476) distingue plusieurs éléments, dont certains
seraient antérieurs et certains postérieurs à la destruction du Temple. Mais alors raison de
plus pour ne pas interpréter les uns en fonction des autres.
20. Voir R .H . C harles , vol. II, p. 479-480; J.B. F rey , « Apocryphes... », col. 421-422.
162 TRIOMPHE d ’u n e ERREUR
21. P. VoLZ sans son « Eschatologie de la comm unauté juive » l ’avoue candidement :
« Il est digne de rem arque que dans l'Apocalypse d ’Esdras et dans celle de Baruch on ne
parle pas explicitement de ce Règne de Dieu sur le monde, qui commencera avec le nouvel
Eon » (p. 172).
22. En LXXVII,25 il s’agit du règne de Salomon et en L X X III,! le sens est purement
adjecùval « son trône royal ». En X XXIX,7 et en X L ,3 le terme syriaque « ry Syt » semble
avoir le même sens que le grec « arche », c ’est-à-dire « autorité », « primauté » (voir la note
de K mosko , col. 1128). Le travail sur l ’Apocalypse Syriaque de Baruch est grandement
facilité par la concordance de K mosko .
23. La traduction anglaise ajoute ensuite (sans doute en accord avec la première édition
allemande) : « L ’interprétation eschatologique est immensément (sic) fortifiée par ces
parallèles ».
24. V oir l ’étu d e de L. V aoanay . U ne copieuse bibliographie, ju sq u ’en 1970, est fournie
p a r G .B . C ole ,m an , p. 92 à 106. B onne p résentation des passages principaux chez P. G relot ,
p. 176-185.
A. SCHWEITZER 163
W de Jésus^*. Mais n ’insistons pas sur cet argument et supposons que le Qua
trième Livre d ’Esdras soit un témoin valable pour le temps de Jésus.
Relevons plutôt l ’aveu de L. V a g a n a y (p. 94) : « II est toutefois remar
quable que les expressions de « royaume, roi, royauté », si fréquentes dans
les écrits juifs de cette époque (Ps(aumes de) Sal(omon) V, 18 ; Hén(och)
c m , 1)^®, ne se trouvent pas une fois dans notre apocalypse ( = ce Quatrième
Livre d ’Esdras)». Comment donc utiliser un ouvrage qui ne parle jam ais du
Royaume de Dieu pour prouver que ce Royaume de Dieu est identifié avec
la Fin du M onde imminente ? Mieux encore ; L. V a g a n a y signale que cet
ouvrage « est très réservé lorsqu’il s’agit de préciser la date de la Fin du
M onde» (p. 72). D ’ailleurs l’auteur du Quatrième Esdras reconnaît explici
tement q u ’il ignore la date de cette Fin du M onde^’ : IV, 44 et V, 13. En fait
l’auteur, après la ruine de Jérusalem et du Temple (IX, 38 à X, 50), s’engage
dans une longue allégorie sur un aigle, qui symbolise clairement l’empire romain
(XI, 1 à XII, 35), puis il fait intervenir un lion, c ’est-à-dire le Messie, qui
renverse cet empire et rétablit le peuple d ’Israël dans sa vraie patrie (XII, 31
à XII, 40). Comment tirer de cela l ’identification du Royaume de Dieu avec
un cataclysme imminent, qui sera la Fin de ce Monde terrestre ?
4) Le Livre d ’Hénoch^^ est en fait la réunion de cinq ouvrages différents,
qui forment une sorte de Pentateuque ; le livre des Veilleurs (chap. I à XXXVI),
le livre des Paraboles (chap. XXXVII à LXXI), le livre de la Révolution des
Luminaires (chap. LXXII à LXXXII). Le livre des Songes (chap. LXXXIII
à XC), le livre de l ’Exhortation (chap. XCI à CVIII). A Qumrân^ ^ on a retrouvé
12 manuscrits, qui contiennent des fragments d ’à peu près tous les chapitres,
sauf les chap. XXXVI à LXXI, correspondant au livre des Paraboles, lequel est
remplacé par un autre livre, celui des Géants (6 manuscrits à Qumrân, dont un
semble contenir à la fois le livre des Veilleurs, le livre des Géants et le livre
des Songes). Depuis cette découverte les savants adm ettent généralement^*^
que le livre des Paraboles d ’Hénoch, qui est lui-même l’œuvre d ’un Chrétien,
fut inséré là pour remplacer le livre des Géants, inacceptable pour des Chré
tiens. Ces Paraboles d ’Hénoch deviennent ainsi un précieux témoin de la
littérature chrétienne primitive^ \ mais elles ne peuvent plus nous documenter
directement sur la pensée du judaïsme pré-chrétien.
Or, c ’est surtout dans ce livre des Paraboles que figurent les textes allégués
jadis en faveur de la connexion entre le Royaume de Dieu et la Fin du Monde^^.
Certes, nous ne pouvons pas reprocher aux historiens des générations
précédentes de n ’avoir pas eu le bonheur de connaître les découvertes de
Qumrân. Du moins devons-nous abandonner sans hésiter les positions q u ’ils
auraient eux-mêmes abandonnées, s’ils avaient eu entre les mains ces précieux
documents.
Cependant nous pouvons aller plus loin et penser que même à la fin du
X IX 'siècle et au début du x x ' on n ’aurait pas dû s’appuyer sur le livre des
Paraboles d ’Hénoch : a) Certains critiques, depuis H il g e n f e l d en 1857,
avaient déjà reconnu que ce livre des Paraboles était d ’origine chrétienne*^.
b) Tout lecteur attentif aurait dû s’apercevoir que l ’on n ’y parle jam ais du
Royaume de Dieu : en LXV, 12 il s’agit de la royauté de Noé ; en XLI, 1
« le royaume » qui « sera partagé » sera certes un royaume de prospérité,
mais rien ne prouve q u ’il s ’agisse du Royaume Messianique*'^ ni surtout du
Royaume de Dieu, c) Le Jugement des bons et des méchants ne peut pas
être identifié au Jugement Dernier de l’Evangile, car il ne se produit pas à la
Fin du Monde, mais au début ou bien an milieu de l’ère de justice et de
prospérité, d) Cette ère de prospérité concerne la vie terrestre et ne s’identifie
donc pas à la vie céleste prévue par l’Evangile tout de suite après la Résurrection
Générale et le Jugement Dernier, é) Aucun texte n ’associe explicitement un
cataclysme, la Fin du Monde et le Royaume du Messie (et encore bien moins
le Royaume de Dieu) ; or c ’est précisément cette association qui est indispensa
ble pour fournir un argument en faveur de l ’Eschatologie.
Si donc les savants ne s’étaient pas laissé entraîner par leur imagination,
ils n ’auraient jam ais dû invoquer les Paraboles d ’Hénoch à l ’appui de leur
identification du Royaume de Dieu (au sens de l’Evangile) avec la Fin du
M onde (au sens de l ’Evangile).
Les autres parties du Livre d ’Hénoch sont encore moins probantes*’.
Dans le livre des Veilleurs, le Jugement de Dieu est certes décrit en termes
évocateurs, mais il inaugure simplement une ère de prospérité terrestre (X,
16-22), qui est en somme un retour au Paradis de la Genèse (XXIV-XXV ;
XXVIII-XXXII). Dans le livre des Luminaires rien ne nous concerne. Dans
le livre des Songes, où l’histoire du monde est décrite symboliquement, rien
de précis n ’est annoncé pour l ’avenir (XC, 17-39) : après la punition des
impies (XC, 17-27) sera inaugurée la nouvelle Jérusalem (XC, 2 8 -3 6 ), où
naîtra un personnage merveilleux (XC, 37 -38). Dans le livre de l’Exhortation,
36. J ’avais déjà rédigé ce passage quand j ’ai pris connaissance de l’étude de M. L attke
« sur la préhistoire juive du concept de Règne de Dieu chez les Synoptiques »(enl975).
L ’auteur commence par affirmer que « depuis les travaux de J. W eiss et de S chw eitzer on
ne peut plus contester sérieusement que, pour Jésus, le concept de Reich Gottes était un
concept fortement eschatologique » (p. 10). Et cependant il est bien obligé d ’avouer que le
R è ^ e de Dieu ne joue aucun rôle dans le Quatrième Livre d ’Esdras et dans l ’Apocalypse
Syriaque de Baruch (p. J5) et presque aucun dans le Livre des Jubilés, car il n ’est mentionné
q u ’en 1,28, où Dieu est présenté comme « roi sur la montagne de Sion pour toute l’éternité »
(p. 19). Parmi divers textes plus ou moins douteux et sans grande signification, les seuls
témoignages positifs qu’il relève sont ceux de Daniel et des livres des Maccabées (p. 16-17
et 22), qui sont du 2 ' siècle avant Jésus-Christ, ceux des Paraboles d ’Hénoch (p. 19), qu’il
date encore du premier siècle avant Jésus-Christ, car il ne pouvait en 1975 connaître l’ouvrage
de M ilik paru en 1976, ceux des Psaumes de Salomon (p. 23), où Dieu est présente comme
un roi gouvernant politiquement le monde, et ceux de textes rabbiniques postérieurs au
Christianisme (p. 24)...
37. S ch w eitzer veut dire : est-ce que cette espérance eschatologique s’appuyait sur les
prophètes de la Bible ou sur des révélations postérieures 7
38. Plus loin la traduction anglaise contient des aveux significatifs (p. 365-366) : « \jn
littérature rabbinique ne peut guère nous aider à comprendre le monde de pensée dans lequel
Jésus a vécu... Quelle est, après tout, l ’Eschatologie juive ? C ’est une Eschatologie avec une
grande lacune au milieu, parce que la période principale, avec les documents qui s’y rapportent,
a été laissée de côté. Le véritable historien décrira l’Eschatologie du Baptiste, celle de Jésus
et celle de Paul de façon à expliquer l’Eschatologie juive ». Mais la seconde édition allemande
est profondément remaniée (p. 364-371) et ces phrases ne s ’y trouvent plus.
166 TRIOM PHE d ’u n e ERREUR
39. G . S eaver , qui donne les références pour ces auteurs, omet d ’en donner une pour
ririan d ais et pour R obertson .
40. Texte et référence chez T .F. G l a s s o n , p. 296.
41. Les références à ces a u te u rs so n t fournies p a r K ümmel , p. 64-65.
42. Béda R i g a u x apprécie en ces termes l’ouvrage de H. G r o o s ; « Sa présentation de
A. SCHWErrzER est en tout cas ce que nous possédons de mieux et de plus équilibré » (p. 17,
note 42).
43. Et peut-être aussi sous l’influence d ’une très juste adm iration pour les talents
musicaux de ScH W ïrrzE R et pour son merveilleux dévouement à l ’hôpital de Lambaréné
en Afrique Equatoriale.
A. SCHWEITZER 167
44. H. G r o g s lui reproche aussi de trop négliger la critique littéraire. Mais c ’est là un
problème qui nous mènerait trop loin (p. 138-145).
45. H. G roos se pose la m êm e question, m ais sa réponse est assez confuse (p. 250-260),
46. Est-ce parce que, plus ou moins consciemment, on refuserait de considérer cette
théologie comme une véritable science ?
168 t r io m p h e d ’u n e erreur
47. Que penserait-on d ’un mathématicien qui dirait : « Treize fait partie de la seconde
dizaine ; dix-sept fait aussi partie de cette seconde dizaine ; donc 13 = 17 » ? P ourtant certains
arguments d ’une pseudo-théologie sont construits sur ce type.
48. Comme il est convenu p. 137, cette étude ne considère que les répercussions de
l ’Eschatologie sur la pensée d ’A. ScHWErrZER ; sur d ’autres points l’appréciation d e \ T a i t
évidemment être plus favorable.
CHAPITRE XIX
1. L a liste des œuvres de R, B ultm ann est donnée par A. F ridrichsen jusqu’en 1943
et par Erich D inkiæ r dans Exegetica, p. 483-507, jusqu’en 1967. Une copieuse bibliographie
sur B ultm ann est rassemblée par G . B ornkamm , p. 173-184. Enfin une liste aussi complète
que possible des études sur B ultm ann est donnée par M anfred K w ir a n .
2. « Johannes W ess zum Gedâchtnis »,
170 LOGIQUE d ’u n e ERREUR
cette prière à ses disciples : Que Ton nom soit sanctifié, que Ton règne vienne,
que Ta volonté soit fa ite sur la terre comme au ciel (M t 6, 9b-10).
« Jésus s’attendait à ce que son espérance se réalisât bientôt, dans l ’avenir
immédiat ; il dit que le crépuscule (sic) de ce temps pouvait déjà être observé
dans les signes et les miracles q u ’il accomplissait, notam m ent dans l ’exorci
sation q u ’il faisait lui-même des démons. Jésus se représenta l ’avènement
du Royaume de Dieu comme un violent drame cosmique. Le Fils de l’Homme
devait venir sur les nuées du ciel, puis les morts ressusciteraient et le jo u r du
jugem ent se lèverait ; c ’est alors que commencerait pour les justes le temps
de la félicité, tandis que les damnés seraient livrés aux peines infernales.
« Lorsque je commençai mes études de théologie, aussi bien les théologiens
que les laïcs étaient alors bouleversés et effrayés par les théories de
Johannes W e iss . Je me rappelle ce que disait mon maître Julius K a f t a n ,
alors professeur de dogmatique à Berlin : « S i Johannes W eiss a raison, si
vraiment l ’idée du Royaume de Dieu est eschatologique, il est alors impossible
d ’en faire usage en dogm atique». Les années suivantes, les théologiens,
Julius K a f t a n y compris, furent de plus en plus convaincus que W eiss avait
raison. Puis-je me permettre de mentionner ici Albert S c h w e it z e r , qui
poussa cette théorie à l’extrême ; il soutint que non seulement la prédication
et la conscience que Jésus avait de lui-même furent dominées par une attente
eschatologique, mais aussi sa vie quotidienne elle-même : cette attente
devenait ainsi l ’équivalent d ’un dogme eschatologique prépondérant.
« A ujourd’hui, personne ne doute que la conception de Jésus du
Royaume de Dieu est eschatologique, — tout au moins dans la théologie
européenne, et, pour autant que je puisse m ’en rendre compte, parmi les
spécialistes américains du Nouveau Testament. Il apparaît même avec toujours
plus d ’évidence que l ’attente et l’espérance eschatologiques constituent le
noyau de la prédication néotestam entaire» (Jésus-Christ et la mythologie,
p. 187-188).
B u l t m a n n connaissait fort bien les œuvres de J. W eiss et d ’A. S c h w e it z e r ,
puisque, dès 1908, il recensa la traduction du Nouveau Testament de J. W eiss
(M onatsschrift, p. 156) et, en 1910, un autre opuscule du même auteur
(Christlichfr Welt, col. 861). Puis, en 1914, un an après la parution de la
« Geschichte der Leben-Jesu-Forschung » d ’A, S c h w e it z e r , il recensa égale
ment avec les plus grands éloges ce « livre extraordinaire », dont il adm irait
la puissance de choc (Christliche Welt, col. 643-644).
B u l t m a n n , qui est un philosophe et un théologien^, est aussi un spécialiste
d ’exégèse'^ et son premier ouvrage im portant a été « L ’Histoire de la
3. D ans son « Essai pour Comprendre B ultm ann », Karl B arth se demande si
B ultma -Nn est un rationaliste (p. 176-177), ou un apologète (p. 177-178), ou un historien
(p. 178-180), ou un philosophe (p. 180-181), ou un théologien luthérien (p. 181-184).
4. Voici comment Karl B arth juge l’exégèse de B ultmann : « B ultmann est un exégète.
Mais je ne pense pas qu’on puisse discuter avec lui au niveau de l’exégèse, parce q u ’il est en
môme temps un systématicien dont l’envergure est telle q u ’il semble q u ’il n ’existe pas un seul
texte biblique q u ’il ne traite sans q u ’apparaissent au premier plan certains axiomes de sa
pensée — si bien que tout est finalement lié à la validité de ces axiomes » (Dogmatique,
vol. III, tom e u, 2* partie, p. 130).
R . BULTM AKN XT^l
Tradition Synoptique» en 1921*. C ’est là q u ’il étudie la valeur des textes sur
lesquels repose son édifice théologique®.
Selon des critères d ’une extrême subtilité (et subjectivité), B u l t m a n n
distingue dans les Evangiles Synoptiques : a) une ancienne tradition juive, qui
peut être antérieure à Jésus ; b) un noyau prim itif qui remonte à Jésus ;
c) des formations de la communauté primitive, palestinienne ; d) des forma
tions de la communauté hellénistique ; e) le travail rédactionnel de Marc,
ou de la Source Commune à M atthieu et Luc, ou de M atthieu, ou de Luc.
Cette méthode, appliquée aux textes synoptiques recensés ci-dessus,
p. 23-63, donne les résultats suivants’ ;
a) Peuvent provenir de la tradition juive : M atthieu 13,24.47.52 ; 25,34.
b) Ancienne sentence reprise par la tradition chrétienne ; M arc 9,47.
c) Remontent à Jésus lui-même® : Marc 10,14-15 ; M atthieu 19,12 ; Luc 9,62 ;
13,20 : 17,20-21^ ; la source de M atthieu 12,28 (et de Luc 11,20)^® ; peut-être
M atthieu 21,31
d) Fait historique devenu ensuite une légende messianique : M arc 11,10.
e) Proviennent de la communauté primitive : M atthieu 11,12-13 ( = Luc
16,16) ; Luc 1,33 ; peut-être Marc 4,26.
/ ) Résulte des discussions entre la communauté palestinienne et la communauté
hellénistique : M atthieu 5,19.
g) Provient de la communauté hellénistique : M arc 14,25,
h) Form ations de la communauté : M arc 9,1 ; 10,25 ; la source de M atthieu
5,3 (et de Luc 6,20) ; la source de M atthieu 10,7 (et de Luc 9,2) ; la source
de M atthieu 11,11 (et de Luc 7,28) ; M atthieu 16,19^^ ; 25,1 ; Luc 4,43 ; 8,1 ;
9 ,1 1 ; 14,15; 22,29-30.
/■) Additions secondaires : M arc 1,14-15 ; 4,11 ; la source de M atthieu 6,33 (et
de Luc 12,31) ; M atthieu 12,38.41.43 ; 13,33.44-45 ; Luc 12,32.
j ) Légende biographique : Luc 22,16.
k) Aucun rapport à la personne de Jésus : M atthieu 8,11-12 ( = Luc 13,28-29).
/) Sens originel devenu méconnaissable : M atthieu 20,1.
m) Passage dont on ne peut pas établir l’ancienneté ; M arc 15,43.
n) Travail rédactionnel de M arc : 10,23-24 ; 12,34.
o) Travail rédactionnel de la Source Commune : M atthieu 23,13.
p) Travail rédactionnel de M atthieu : 4,23 ; 5,10.20 ; 7,21 ; 9,35 ; 18,1.3-4.
g) Travail rédactionnel de Luc ; 9,60 ; 18,29 ; 19,11 ; 23,42.
r) Textes sur lesquels B u l t m a n n ne se prononce pas ; M arc 4,30 ; la source
de Matthieu 6,10 (et Luc 11,2)” ; M atthieu 18,23 ; 20,21 ; 21,43 ; 24,14.
Sans examiner ici la valeur de la méthode de B u l t m a n n et la justesse des
postulats sur lesquels elle repose constatons du moins que cette pulvérisa
tion des Evangiles aboutit, au sujet du Règne et du Royaume de Dieu, à des
conclusions qui contredisent racücalement les constatations qui semblent se
dégager des textes eux-mêmes (voir ci-dessus, p. 83-85).
Alors que B u l t m a n n n ’attribue à Jésus que cinq ou six mentions du
R è ^ e ou du Royaume de Dieu, nous avons vu au contraire que cette notion
était peu f r é q u e n t e d a n s le judaïsme contemporain de Jésus et peu en
harmonie avec la pensée hellénistique (p. 86-88) ; par ailleurs nous avons
remarqué q u ’elle apparaît avec une insistance notable chez Marc, dans la
Source Commune, chez M atthieu et chez Luc (p. 84).
Pour expliquer cette convergence, on est tout naturellement conduit à
supposer que c ’est Jésus lui-même qui a mis cette idée au centre de son
message. Mais, si l ’on adm et les vues de B u l t m a n n , comment expliquer que
ce soient les communautés chrétiennes, d ’origine palestinienne ou hellénis
tique, qui aient propagé d ’elles-mêmes une conception qui n ’était ni pales
tinienne ni hellénistique ? Le découpage proposé par B u l t m a n n selon des
méthodes qui se veulent purement rationnelles aboutit ainsi à une reconstitu
tion non-rationnelle. Mais n ’insistons pas sur ce point, car nous n ’avons ni à
ratifier ni à critiquer l’œuvre de B u l t m a n n , mais seulement à voir quelle
influence l ’eschatologie a exercée sur sa pensée^®.
1) B u l t m a n n accepte docilement les positions de Johannes W eiss et
d ’Albert S c h w e it z e r sans les soumettre à un examen scientifique. Il considère
comme prouvé, et même comme évident, que le Royaume de Dieu n ’arrivera
12. L ’opinion de B ultm ann sur ce texte capital est rapportée ci-dessus, p. 49, n. 12.
13. C ’est-à-dire le « N otre Père »,
14. Cet examen critique a déjà été fait bien des fois (voir par exemple la liste des travaux
signalés par R. M arlé , p. 132, note 65); en français on pourra se reporter, p ar exemple, à
l ’ouvrage de B. de Solages . La plus amicale, la plus autorisée (et la plus sévère) des critiques
est celle de K arl B a rth dans son « Essai pour comprendre B ultm ann ».
15. B ultm ann le reconnaît d ’ailleurs très loyalement : « Il est remarquable que le concept
de basileia tou théou n ’était encore (au temps de Paul) employé que rarem ent » (Tteologie
des Neuen Testaments, p. 79).
16. J. S mart étudie en détail la form ation de la pensée de B ultm ann et l ’opposition
de plus en plus grande entre lui et K arl B arth .
m
R. BULTMANN 173
q u ’il peut affirmer sereinement que Jésus avait sur tel ou tel point telle ou
telle position, que les communautés palestiniennes puis hellénistiques ont ff
ensuite modifiée de telle ou telle façon. En fait, B u l t m a n n raisonne de façon ^
purement artificielle, au nom de sa logique personnelle, comme si les per
sonnages de l ’antiquité orientale s’étaient toujours conformés aux théories /;
des théologiens modernes. -
Ce vice de méthode affecte tout le « système » construit par B u l t m a n n .
Lui qui est tellement sceptique sur la personne et la pensée de Jésus, il devrait,
logiquement, s’abstenir de toute conclusion précise sur sa théologie. Les '
mêmes arguments q u ’il utilise pour refuser d ’attribuer à Jésus la prédication
du Règne (ou : du Royaume) de Dieu devraient l ’empêcher de dénier la
possibilité de cette même prédication. Autrement dit, si nous ne pouvons plus
savoir ce que Jésus a prêché, nous ne pouvons pas plus savoir ce q u ’il n ’a pas
prêché (à moins de remplacer l ’histoire par une théologie préconçue). /
4) B u l t m a n n , à la suite de Johannes W eiss et d ’Albert S c h w e it z e r ,
admet comme évident que le Règne (ou : le Royaume) de Dieu sera non
pas la Fin du Monde actuel, mais Vinstawation d ’un autre monde, d ’une
tout autre nature. Certes, une telle opinion est en harmonie avec les textes
comme M atthieu 25,31-46 ou I Corinthiens 6,9-10 ; 15,24.50 et II Timothée
4,18, qui assimilent le Royaume de Dieu à la Vie étemelle ; cette opinion ne a:
doit donc pas être considérée comme fausse sur ce point-là. Mais d ’autres textes,
comme les paraboles de la croissance (M arc 4,26-29 + 30-32 ; M atthieu |
13,24-30-1-33) ou comme M atthieu 18,1 ; 19,12 ; 21,31-32 ; Luc 12,32 ; |
17,20-21 m ontrent clairement que le Royaume de Dieu est présent sur cette ■ Vï
terre. A moins de récuser ces textes (comme B u l t m a n n le peut facilement
grâce à son exégèse, mais comme ne le peuvent pas ceux qui refusent d ’éliminer
un texte théologique pour des motifs théologiques), on doit chercher une
solution qui convienne aux deux aspects à la fois ; Royaume de Dieu
présent sur la terre et dans l ’histoire, d ’une part, et, d ’autre part, Royaume de
Dieu présent au-delà de la terre et de l ’histoire. C ’est d ’ailleurs pour cela
q u ’on est obligé de voir dans le Royaume de Dieu l’Eglise, qui est à la fois
terrestre et céleste. Mais reléguer le Royaume de Dieu après la Fin du Monde
et dans un autre monde, c ’est violenter certains textes bibliques, tout comme
on en violenterait d ’autres si on le reléguait seulement dans la phase finale
de l ’histoire de ce monde, lors de la Parousie et du Jugement Général.
5) Allant encore plus loin dans la même ligne, B u l t m a n n en arrive à ne
plus voir dans le Règne-Royaume de Dieu (ou dans l ’Eschatologie à laquelle
il s’identifie) q u ’une réalité suprahistorique, éternelle et divine qui, par définition,
s’oppose à tout ce qui est terrestre et humain. « La prédication eschatologique
regarde le temps présent à la lumière du futur ; elle dit aux hommes que le
monde actuel, le monde de la nature et de l ’histoire, celui dans lequel nous
vivons et établissons nos projets, n ’est pas le seul, mais q u ’il est temporel, éphé
mère et, finalement, aussi vide q u ’irréel au regard de l ’éternité» (B u l t m a n n :
Jésus-Christ et la Mythologie, p. 195). Cette notion extra-historique de
21. B ultmann a senti cette difficulté, car il aflRrme dans sa Théologie des Neucn
Testaments, mais sans fournir aucun argument : « Même les paraboles du Senevé et du
Levain ne parlent pas d ’un développement progressif du Royaume de Dieu » (p. 7). Pourquoi ?
R. BULTMANN 175
22. G.W . B ucha n an déclare dans la préface de son gros ouvrage : « Plus on discutait
l’Eschatologie de B ultm ann , plus je devenais convaincu q u ’elle n ’était pas biblique ».
23. Toutefois, B ultm ann n ’a pas réédité cette œuvre de jeunesse dans les recueils
« Verstehen und Glauben » et « Exegetica ».
176 LOGIQUE d ’u n e ERREUR
26. Et il a raison de ne pas le faire ; puisque pour lui l’Eschatologie est une notion plus
vaste que l ’Eglise ou que le Règne-Royaume de Dieu, elle ne |» u t servir à les identifier;
autrem ent, cela constituerait un raisonnenaent du type de celui-ci : La laine est blanche ; la
neige est blanche ; donc la laine est la neige !
178 LOGIQUE d ’u n e ERREUR
L ’Eglise en effet - il faut le redire — n ’est pas une grandeur historique, elle
est transcendante au monde. C ’est le Christ ressuscité... qui en est le R oi»
(A. M alet, p. 243). Si la Royauté de Dieu est accomplie dans l ’Eglise,
n ’est-ce pas que l ’Eglise est le Royaume de Dieu ?
«
* *
1. W. W e iffe n b a c h , p. 376-389.
180 RETOURNEMENT D ’UNE ERREUR
succès, puisqu’il fut réédité la même année. Convaincu (sans doute par R év il l e )
que la Parousie n ’est pas admissible, il expose franchement ses positions :
« Ce ne peut être évidemment q u ’avec un sentiment de réserve, de défiance
même que nous abordons les textes sur la parousie » (p. 113)^... « Des cinq
paroles que nous venons d ’étudier (Matthieu 10,23; 19,28; 23,39
( = Luc 13,35); 26,29 ( = M arc 14,25 et Luc 22,18); 26,64 ( = M arc 14,62
et Luc 22,69)), il y en a une qui examinée de près s’est trouvée ne rien contenir
d ’apocalyptique, trois qui étant en contradiction flagrante avec d ’autres
paroles incontestables ont dû être déclarées inauthentiques, une enfin, la
dernière, qui nous a paru invraisemblable à un très-haut degré » ( T ' édition :
p. 137 ; 2 ' édition ; p. 198)... « Comment attribuer à Jésus l ’espoir de revenir
ainsi sur les nuées pour ouvrir les assises finales du genre humain ?... Jésus
aurait pu, je le suppose, emprunter les idées fantastiques de son entourage,
il n ’a pu les outrer à ce point... C ’est d ’après sa doctrine, c ’est d ’après lui
que seront jugés et chaque homme individuellement et les peuples et l’humanité
entière. Cette manière de voir (je le dis avant tout examen des textes) [sic !],
il a fort bien pu l’exprimer sous une image en l’adaptant, par exemple, à la
notion d ’un jugement solennel qui doit terminer l ’histoire. Mais, je le répète, il
n ’a pas pu s’attendre à revenir sur les nuées du ciel pour présider à ce jugement »
(1 " édition : p. 107 ; 2 ' édition : p. 155-156)... « Nous le disons donc sans aucune
hésitation ; non Jésus n ’a pas espéré revenir du ciel pour achever son œuvre.
En m ourant il l’avait achevée complètement, telle q u ’il l ’avait conçue. C ’était
désormais à l’Esprit invisible de donner la croissance au grain déposé dans la
terre » (1 " édition : p. 148 ; 2 ' édition : p. 215).
En 1873, W. W e if f e n b a c h , qui cite divers auteurs à l ’appui de sa thèse,
conclut un examen méticuleux des Evangiles Synoptiques (p. 69-372) en affir
m ant que Jésus imaginait pour un avenir très prochain son retour personnel
parmi les siens (p. 359), mais que rien ne prouve que ce retour marque la fin
du Royaume de Dieu ou la Fin du Monde (p. 365). C ’est l ’Eglise primitive
qui a mal compris ses paroles et imaginé une Parousie associée au Jugement
Général et à la destruction du monde (p. 370).
En somme, alors que S t r a u s s , R eu ss et R e n a n voient dans la Parousie
une erreur de Jésus, R é v il l e , C o l a n i et W e if f e n b a c h reportent cette erreur
sur les disciples, qui ont mal compris leur maître. Dans un cas comme dans
l ’autre, le Royaume de Dieu est une réalité présente et n ’a plus de portée
« eschatologique ».
Mais J. W eiss , S c h w e it z e r et B u l t m a n n soutinrent le contraire avec
une telle énergie que ce courant théologique sombra dans un oubli presque
total. Ce n ’est donc pas sous son influence que se placent C.H. D odd et ses amis.
En effet, malgré le succès, en Allemagne, de l ’Eschatologie Conséquente,
certains savants anglais ne se laissèrent pas impressionner et reprirent l ’examen
des textes. On ne sait pas très bien s’il faut attribuer à Edwyn H o s k y n s , à
T.W. M a n s o n ou à C.H. D o d d l’initiative de cette réaction, mais c ’est surtout
Dodd^ qui en est devenu le champion officiel.
4. A.M. H u n t e r fait rem arquer que, sur 27 passages de Marc et de la Source Commune,
18 envisagent le Royaume de Dieu comme présent (p. 72).
5. Un des principaux ouvrages de D odd concerne « Les Paraboles du Royaume ».
6. T.W . M anson va presque jusque là : dans une conférence de 1943, reproduite dans la
Festschrift L io htfoot , il affirme que « l’Eglise a existé presque aussitôt que le niinistère de
Jésus a commencé » (p. 24) ; et dans une conférence de 1948, rééditée dans ses Studies in the
Gospels and Epistles, il reconnaît que « le ministère de Jésus n ’est pas un prélude au Royaume
de Dieu, il est le Royaume de Dieu » (p. 9-10).
7. En 1925 C.R. Bowen reconnaissait cependant (p. 2) que l ’Eschatologie laissait en
lui un certain sentiment de mauvaise conscience. Mais il demandait de réagir en acceptant
l ’Eschatologie « avec joie et enthousiasme » (p. 3).
8. E. H oskyns avait d ’abord parlé de « fulfilledEschatology » ( = Eschatologie
accomplie), d ’autres ont proposé « inaugurated Eschatology », mais ces formules n ’ont
pas été retenues.
182 RETOURNEMENT D ’U N E ERREUR
c ’est sa venue en Palestine « sous Ponce Pilate » qui est la véritable Parousie®,
c ’est sa Résurrection qui a été prise pour l ’annonce d ’une Résurrection
Générale. Chaque texte qui semble associer le Royaume de Dieu et l ’un ou
l’autre des événements « eschatologiques » doit être interprété symbolique
ment^*^ ou doit être considéré comme une méprise des communautés
chrétiennes primitives, qui ont projeté dans l ’avenir ce que Jéstis avait dit du
présent.
Ainsi D odd croyait résolu son faux problème, mais à quel prix ? D ’abord
il inventait une formule inadmissible, qui ne reposait que sur les multiples
équivoques du terme Eschatologie : « l’Eschatologie Réalisée » ; pour qui donne
aux mots leur véritable sens, cette formule ne peut convenir q u ’à l ’instant
précis où se produira la Fin du Monde. Puis il traitait les textes avec la même
désinvolture que les tenants de l ’Eschatologie Conséquente; alors que ceux-ci
éliminaient d ’une façon ou d ’une autre les textes qui n ’étaient pas conformes
à leurs théories, parce qu’ils présentaient le Royaume de Dieu comme déjà
antérieur à la Fin du Monde, D odd sc voyait obligé d ’éliminer les textes qui
contredisaient sa théorie, parce q u ’ils parlaient d ’un Royaume de Dieu futur,
incluant les événements de la Fin du Monde. Surtout, D odd était logiquement
conduit à nier (ou, ce qui revient presque au même, à interpréter symbolique
ment) des réalités qui sont clairement affirmées dans les Ecritures et qui
constituent des éléments de la foi chrétienne : la Parousie, ou seconde venue
de Jésus, la Résurrection Générale et le Jugement Dernier.
D o d d est ainsi la victime des méfaits de l ’Eschatologie : il avait bien
commencé une recherche scientifique sérieuse, il allait rétablir, contre les
fantaisies des eschatologistes allemands et français, la véritable notion de
Royaume de Dieu ; mais il a été aveuglé par une funeste Eschatologie, qui l ’a
conduit à tomber dans les pièges q u ’il dénonçait si justem ent chez les autres.
Cet exposé, très schématique, est centré uniquement sur D o d d , mais
en fait tout un groupe de théologiens anglais ou américains, dont il était le
plus célèbre, a partagé et développé les mêmes théories*', parfois au prix
9. Profitons de l ’occasion pour protester contre une erreur qui s’est insinuée jusque
dans la Dogmatique de Karl B a r th (3‘ volume, 2 ' tom e, 2 ' partie, p. 202) : « Le décret adopté
en 1944 par la « Congrégation du Saint-Office » est très significatif à cet égard : la croyance
au retour visible du Christ, est-il spécifié, ne peut pas « être enseignée comme certaine » !
On tient donc pour « incertain » ce qui constitue précisément ta certitude la plus grande du
N ouveau Testament, sur la base de la résurrection du Christ ! Que reste-t-il dès lors de l ’espé
rance chrétienne ! »... La même erreur est répétée par O. C u llm a n n dans « Christ et le
temps », p. 104, note 1. — En fait, un décret du Saint-OtRce, en date du 21 juillet 1944, publié
dans les Acta Apostolicae Scdis, vol. XXXVI, n“ 7, 28 juillet 1944, p. 212, dit q u ’on ne peut
pas enseigner en sûreté de conscience ( = « tuto ») le millénarisme mitigé et le décret précise
que ce système affirme un Règne visible du Christ siu" la terre avant le Jugement Dernier...
S ’il avait pris la peine de recourir aux sources, Karl B a r t h se serait certainement épargné
cette attaque injuste contre l’Eglise Catholique, car lui non plus n'était évidemment pas
millénariste et lui non plus n ’adm ettait évidemment pas un Règne politique du Christ avant
la Fin du Monde.
10. Vers la fin de sa vie, en 1970, dans « Le Fondateur du Christianisme », C.H. D odd
admet que le Royaume de Dieu « demeure aussi une espérance », mais il voit la réalisation
de cette espérance dans le Règne de Dieu, qui « ne peut se limiter à aucun présent temporel »
(p. 122).
11. Par exemple; C.T. C raio , Floyd F ilson , T.F. G lasson , A .M , H u n ter ,
A.T. C a d o iw , J.A.T. R obinson , R .F . B erkey , N orm an P err in , B.M . N ola n . La pensée
de J.A .T. R obinson est en outre présentée par R . M c B rien .
C .H . D O D D 183
12. Joachiin J eremias est aussi un spécialiste des Paraboles, tout comme D o d d .
13. Par exemple R udolf O tto , p. 116 dans la 1 " édition et p. 122 dans la 2 ‘.
CHAPITRE XXI
comme telle. Chacun put voir que si j ’étais capable de parler de « l ’au-delà »
du royaume de Dieu comme il faut, j ’étais beaucoup moins au clair en ce qui
concerne sa venue » (p. 390)... « En renouant comme elle l’a fait avec l ’escha
tologie, elle ( = notre théologie) a pris l ’aspect d ’une réaction exagérée, c ’est-
à-dire arbitraire. Si, en face de l’immanentisme d ’hier, il était nécessaire et
juste de rappeler avec une nouvelle force que Dieu vient, il ne convenait pas
de ne voir la doctrine chrétienne que sous cet angle eschatologique... On
devrait éviter, en théologie, de forcer la vérité dans un sens ou dans un autre,
malgré tout l’intérêt que cela peut présenter... La doctrine du Dieu vivant
ne tolère pas nos marottes ! Et c’est pourquoi on trouve chez les partisans du
renouveau eschatologique tant d ’idées-force qui, après avoir exercé une certaine
influence, ont provoqué la lassitude, et que l ’on a dû abandonner l’une après
l’autre pour ne pas sombrer dans la stérilité » (p. 391)"^.
En plus de cet exposé fondamenUil, nous voyons évoluer la pensée de
K. Barth dans le déroulement de sa Dogmatique.
En 1938 (1'^ volume, 2 ' tome, 3 ' partie) : « Elle ( = l’Eglise) devient ainsi
dans le monde le signe du royaume de Dieu qui s’est approché de nous »
(p. 305)».
En 1940 (2 ' vol., 1"' tome, 2 ' partie, qui vient déjà d ’être cité tout
à l ’heure) ; « Dans les Synoptiques, le royaume de Dieu n ’est pas une réalité
indépendante mais apparaît toujours comme une grandeur absolument lice
à la venue du Messie, à sa Parole, à ses actions et à la foi en lui. On ne saurait
séparer ce royaume de celui qui en est le roi » (p. 23)... « Jésus-Christ est
lui-même le royaume de Dieu qui vient et qui reste encore caché, et l’essence
de ce royaume n ’est rien d ’autre que sa propre essence » (p. 361).
En 1942 (2 ' vol., 2 ' tome, 1 " partie): « Jésus-Christ est lui-même le
royaume de Dieu » (p. 187)... « Le service de l’Eglise, forme achevée du peuple
de Dieu, consiste à attester... la venue du royaume de Dieu » (p. 267)... « Par
elle ( = la « paradosis » de Jésus par Dieu) l ’homme a été purifié de son péché
et l’accès au royaume de Dieu lui a été ouvert... Par elle l ’Eglise a été et reste
fondée » (p. 492).
En 1942 encore (2® vol., 2* tome, 2 ' partie): « 11 ne s’agit pas de trois
choses, mais de trois fois la même chose. Le royaume est le nouvel homme en
Jésus. Jésus est lui-même le royaume du nouvel homme. Le nouvel homme est
Jésus, porteur et héraut du royaume » (p. 185)... « Ce que les disciples de Jésus
et, en eux, l ’Eglise emportent de la montagne où le Seigneur leur a parlé, c ’est
le royaume et le nouvel homme eux-mêmes » (p. 187).
En 1948 (3* vol., 2 ' tome, T partie) : « Il est non moins vrai que parce
que Jésus (le porteur de l’Evangile de Dieu) est venu, ce même royaume est
venu lui aussi, d ’une manière cachée mais efficace, et qu’il a coïncidé avec
l ’accomplissement du temps » (p. 147)... « Une eschatologie « conséquente »...
une telle eschatologie n ’a rien à voir avec celle du christianisme du Nouveau
Testament^ » (p. 155),.. « Comment le passé de Jésus serait-il moins im portant
7. Les pages 387 à 393 seraient à citer en entier. Les théories de S cu w E rrzn R et de ses
« épigones » y sont qualifiées de « malheur exégétique » (p. 392).
8. Alors, K. B a r t h se trouve donc au niveau du subterfuge mentionné ci-dessous,
p. 193-194.
9. Ainsi donc K. B a r t h contredit exactement sa fameuse formule de 1922 (ci-dessus,
p. 184).
186 UBÉRATION d ’u n e ERREUR
que le présent apostolique ?... C ’est dans ce passé, en effet, que le royaume de
Dieu vient et se trouve proclamé... Il s’agit du temps où le fondement de la
communauté a été posé » (p. 162)... « Jésus lui-même est le royaume de Dieu,
comme il l’a déjà été et le sera, et c’est en lui que se trouvent toutes les trans
formations, tous les biens, toutes les perfections et toutes les joies de ce royaume.
A strictement parler, il n ’y a pas de « choses dernières », nous voulons dire :
de choses dernières dans l’abstrait, existant en dehors et à côté de lui, le dernier »
(p. 179)... (A la fin d ’une réfutation de l ’Eschatologie Conséquente) : « 11 faut
avoir introduit cette opinion dans le Nouveau Testament, qui la contredit
explicitement et implicitement, pour considérer q u ’elle est essentielle à l ’intelli
gence de la manière dont la communauté primitive concevait le présent. Et il
faut avoir été très peu touché par la puissance consolatrice du Saint-Esprit,
pour ne plus pouvoir se sortir de l’impasse dans laquelle on s’est égaré ici »
(p. 201)^°... « Sa vie (de Jésus) a été la présence du royaume de Dieu » (p. 276).
En 1951 (3 ' vol., 4 ' tome, 2 ' partie): « Elle ( = l’Eglise) est constituée
par le royaume de Dieu qui s’est approché, et non pas par quelque empire
historique » (p. 180)... « Elle ( = la communauté chrétienne) vit dans la mesure
où elle remplit sa tâche au service du royaume de Dieu » (p. ISO)... « Nous
présupposons que la communauté chrétienne ou l ’Eglise est le peuple effective
ment constitué par son Seigneur Jésus-Christ, c ’est-à-dire par le royaume qui
vient et dont elle tient sa tâche » (p. 180-181)... « La communauté chrétienne...
n ’est-elle pas une œuvre du Saint-Esprit ? Elle n ’a aucune raison d ’être en
dehors du royaume de Dieu... Elle atteste le royaume de Dieu par le simple
fait q u ’elle existe toujours à nouveau » (p. 182-183)... « Celui qui s’y décide
( = à entrer dans la communauté chrétienne) annonce q u ’il a reconnu le
royaume de Dieu... S’adjoindre à ceux qui confessent, eux aussi, q u ’ils ont
reconnu le royaume de Dieu » (p. 183)... La communauté chrétienne comme
telle n ’a pas d ’autre raison d ’existence que le royaume de Dieu et sa révélation...
La foi repose sur la vision du royaume de Dieu » (p. 184).
En 1953 (4 ' vol., 1''' tom e; 17' vol. en français): « Il ne reste plus à
l ’homme q u ’un seul lieu où il puisse se tenir : le royaume où Dieu et lui-même
vivent dans une paix mutuelle... En Jésus-Christ nous nous trouvons déjà
dans l ’empire^ ^ auquel nous appartenons » (p. 103)... « En Jésus-Christ
l ’homme a déjà été introduit dans le royaume de la paix avec Dieu » (p. 104)...
« En lui ( = Jésus-Christ) le royaume de Dieu dans toute sa gloire est déjà
venu et s’est imposé » (p. 152)... « Dès le début ( = de la tradition néotestamen
taire), et nonobstant les différences de mentalité et de terminologie qui existent,
le Père céleste, son royaume venu sur la terre et la personne de Jésus de Nazareth
sont des grandeurs qui, loin d ’être simplement juxtaposés, de se recouper çà
10. B a r t h n ’est pas tout-à-fait le seul, même en Allemagne, pour être sorti de cette
impasse: H . S c h u s t e r a publié s u r ce sujet un article lucide et courageux, où il reproche à
ScH W E rrzE R et à son disciple M artin W e r n e r d ’avoir majoré les tendances eschatologiques
au début de l’ère chrétienne (p. 5-7), d ’avoir négligé l’aspect « présent » du Royaume de Dieu
(p. 7-8), d ’avoir confondu Règne et Royaume de Dieu (p. 8-9), d ’avoir malmené les textes
bibliques (p. 9-19), d ’avoir remplacé la réalité historique par une construction purement
artificielle (p. 10 et 19-25). Mais S c h u s t e r ne va pas jusqu’à rapprocher le Royaume de Dieu
et l ’Eglise.
11. Pourquoi le traducteur n ’a-t-il pas dit « dans le Royaume » ? L ’allemand (p. 107)
porte bel et bien « Reich ».
K. BARTH 187
12. D onc le Royaume de D ieu est ici confondu avec le Règne et avec la Royauté !
13. Les citations précédentes se trouvent en français dans le 20* volum e; les citations
suivantes dans le 21' volume.
188 LIBÉRATION D ’UNE ERREUR
14. De même, dans une mise au point faite en 1938 (« Parergon », p. 268-275) Karl B a r t h
dit encore que « le caractère eschatologique de tout le message chrétien... forme le centre de
sa théologie », mais il ajoute q u ’une attente eschatologique abstraite, sans influence sur le
présent et occupée seulement d ’un Dieu transcendant, n ’existe que dans la tête de beaucoup
de ses lecteurs, non dans la sienne (p. 275). Puis, dans deux autres mises au point faites en
1948 (« Parergon », p. 275-282) et en 1958 (« How my mind has changed »), il ne parle plus
de l’Eschatologie.
15. Ce volume 26 parle bien d ’eschaton, mais pas d ’eschatologie. La nuance est
significative !
16. L ’évolution de K arl B a r t h a déconcerté S t a d t l a n d , qui est un eschatologiste
convaincu. Après avoir exposé la pensée de K. B a r t h entre 1920 et 1931, il est bien obligé
de constater q u ’ensuite elle s ’est profondément modifiée, dans un sens qui l’étonne. Il regrette
que finalement pour B a r t h l’Eschatologie ne soit plus que « l ’enseignement sur les fins
dernières » (p. 145) (...ce qui est le seul sens acceptable!), q u’il cherche à sortir de ce q u ’il
ose appeler « le rêve pan-eschatologique » (p. 171), que chez lui « la dimension de l ’avenir
eschatologique manque presque complètement » (p. 181-182). Plus loin S t a d t l a n d se
demande si l ’on peut encore parier d ’une Eschatologie chez B a r t h (p. 188) et il avoue être
un disciple qui ne comprend plus son maître (p. 188). Mieux encore, après avoir reproduit
l’opinion de H ans Urs v o n B a l t h a s a r ; « B a r t h a explicitement rétracté les exagérations
eschatologiques de (sa) première période », S t a d t l a n d ajoute naïvem ent: « Comment
peut-on exagérer en Eschatologie ? » (p. 172, note 470).
17. Cette confusion apparaît clairement dans la Dogmatique, 3* vol., 2* tome, 2 ' partie,
p. 201-203 ; une phrase de ce développement a été citée au chap. 20, p. 182, note 9 (sur le
S. Office et la Parousie).
CHAPITRE XXII
A) Avantage
que Johannes W eiss , son gendre, a centré la sienne sur la Fin du Monde,
personne ne peut plus ignorer que ces deux thèmes doivent figurer dans toute
synthèse théologique, et à une place d ’honneur.
En outre, bien sûr, l’attention consacrée à ces thèmes majeurs a inspiré
bien des recherches connexes qui ont éclairé l ’exégèse, la patristique, l ’histoire
et la dogmatique. Un effort n ’est jamais vain.
B) Inconvénients
Hélas, la partie positive de ce bilan est presque étouffée par ime énorme
partie négative, q u ’on ne peut évoquer q u ’avec une immense tristesse. Com
ment aurait progressé la théologie au x x ' siècle, si elle n ’avait pas été empoi
sonnée par l’Eschatologie ? Malheureusement, elle a été empoisonnée et nous
devons inventorier les dégâts.
b) L ’Eschatologie Conséquente
Cette formule est à elle seule une énigme. Car enfin ! Le Nouveau Testa
ment ne parle jam ais d ’Eschatologie ; il parle de temps en temps de la Fin
du M onde (et des événements connexes) ; il parle souvent di’un Royaume de
Dieu, qui existait déjà au temps de Jésus, qui existera encore lors de la Fin
du M onde et qui existera même encore par la suite. Comment a-t-on pu
tirer de là une « Eschatologie Conséquente », c’est-à-dire une théorie qui veut
expliquer par l ’attente de la Fin du Monde toute la pensée et l ’activité de
2. Je me permets de rappeler que si j ’ai entrepris cet ouvrage, c ’est pour soulager ma
conscience contre un danger de complicité. Combien de fois n ’ai-je pas entendu évoquer
« l’ardente fièvre eschatologique qui brûlait les gens de Qumrân » ? Or, manifestement,
on ne parle pas de Royaume de Dieu ni de Fin du M onde, encore moins d ’Eschatologie,
dans les textes de Qumrân actuellement publiés. C ’est alors que j ’ai découvert les ravages
créés par l ’illusion eschatologique même chez des savants réputés. Et j ’ai eu peur d ’être
complice si je me taisais. Pendant des années j ’ai lutté contre m a conscience pour ne pas
écrire ce livre. Finalement, j ’ai dû céder à ma conscience.
INCONVÉNIENTS 191
c) L ’Eschatologie Réalisée
Cette fois on ne met plus en cause les « illusions » de Jésus. Mais on
les attribue à ses disciples. Ce sont eux qui se sont trompés sur le sens des
paroles de leur Maître et qui ont pris pour la prédiction d ’un futur Retour
de Jésus à la Fin du M onde ( = Parousie) de simples métaphores bibliques,
qui décrivaient à l ’avance la chute de Jérusalem"^ ou l’emprise du Règne
de Dieu (en confondant Règne et Royaume) sur les âmes des croyants. Mais
pour aboutir à ce résultat, il faut utiliser les méthodes chirurgicales de
l’Eschatologie Conséquente et il faut am puter le Nouveau Testament des
textes sur lesquels elle s’appuyait pour absorber le présent dans le futur, puisque
cette fois c ’est le futur qui est absorbé dans le présent.
L’illogisme fondamental de cette théorie apparaît dans le titre même
qui la désigne : Eschatologie Réalisée. Elle ne peut avoir un sens que si l’on
ne donne plus à Eschatologie le sens d ’Eschatologie. Alors pourquoi s’être
encombré de ce fardeau et ne pas parler simplement de la réalisation du
Royaume de Dieu ?
d) L’esprit critique
En un siècle qui s’honore d ’avoir développé l’esprit critique, la théologie
a donné un exemple de véritable esprit non-critique. Car les fautes de raison
nement relevées dans cet ouvrage, les déformations de textes, les pétitions
de principe ou les cercles vicieux, tout cela a été pratiqué au grand jo u r par les
théologiens les plus illustres ou les plus influents... sans provoquer d ’énergiques
réfutations. Le monde théologique s’est comporté, sur ce point, comme s’il
avait été anesthésié par une « mode » toute puissante. A ma connaissance,
e) Les subterfuges
Comme nous l ’avons vu (p. 98-102) l’identification entre l’Eglise et le
Royaume de Dieu, qui a été paisiblement affirmée jusqu’au xviii' siècle,
semble à peu près inéluctable. En fait, cette équivalence® aurait pu être admise
sans problème par les diverses écoles théologiques, puisqu’elle est reconnue
p ar S. A u g u s t in , par L u t h e r , par C a l v in et par des papes. Le problème
de la structure de l ’Eglise, sur lequel s’opposent les Catholiques et les
Protestants, est un problème tout différent dont nous n ’avons pas à traiter
ici’ .
Or, à cause des préjugés eschatologiques, bien des auteurs paraissent
avoir honte de reconnaître cette identification, contre laquelle joue une sorte
de réflexe conditionné. Comme pourtant les textes du Nouveau Testament
lui sont manifestement favorables, on a trouvé des subterfuges pour esquiver
tout de même ime conclusion aussi gênante.
1) Premier subterfuge : distinguer entre le Royaume du Christ (qui pourrait
être l ’Eglise) et le Royaume de Dieu (qui reste confiné dans son Eschatologie).
Les auteurs (dont tel de premier plan) qui recourent à cette distinction® recon-
5. J ’ai dû faire raoi-mômc cette enquête dans « Les D angers de l’Eschatologie », p. 365-
370, et « Correction d ’une erreur... » (à paraître).
6. Avec la réserve, bien sûr, exprimée par Ch. J o u r n e t (vol. II, p. 92) ; s’il n ’y a pas de
distinction réelle entre l’Eglise et le Royaume, n ’en subsiste pas moins une distinction
conceptuelle : la même réalité est saisie avec ces deux termes sous des aspects différents (voir
ci-dessus, p. 101).
7. Certains protestants affirment parfois que l’identification de l’Eglise et du Royaume
de Dieu est une thèse catholique. C ’est faire peu d ’honneur aux générations de Protestants
(voir l’étude de G. S c h r e n k ) qui ont soutenu cette thèse, et c ’est faire trop d ’honneur aux
Catholiques modernes, qui souvent n ’osent plus la soutenir (voir ci-dessus, chap. 13). En
fait, cette identification appartient au trésor commun des Catholiques et des fto testan ts
et elle pourrait constituer un point d ’accord œcuménique.
8. Johannes W ass (Predigt..., p. 9-10) et D o d d (New Testam ent Studies, p. 54) ont
déjà imaginé cette distinction. Elle se trouve même déjà chez les Réformateurs, selon
T o r r a n c e (p. 22-29; 75-89; 122-125; 131-134; 147-164), mais alors elle a pour but
de remédier à la confusion fondamentale entre Royauté, Règne et Royaume. La distinction
faite par S. A u g u s t in (voir J o u r n e t , vol. II, p. 64) a un tout autre sens, car elle n ’oppose
pas Royaume du Christ à Royaume de D i e u , mais Eglise militante à Eglise triom phante.
Sur la distinction (ou plutôt : la non-distinction) entre Royauté de Dieu et Royauté du Christ,
voir ci-dessus, p. 92-94.
SUBTERFUGES 193
naissent par le fait même que l’Eglise s’identifie au R oyaum e’ , ce qui est
très im portant ; c’est seulement parce q u ’ils se croient (bien à tort) obligés
de reléguer le Royaume de Dieu dans l’Eschatologie q u ’ils imaginent cette
échappatoire. Certes le Nouveau Testament parle tantôt du Royaume du
Christ (M atthieu 13,41 ; Col. 1,13 ; II Pierre 1,11) et tantôt du Royaume de
Dieu (partout ailleurs), mais l ’équivalence de ces deux réalités est établie par
Ephésiens 5,5 : « tout fornicatcur... n ’a pas de participation au Royaume du
Christ et de D ieu»^°. D ’ailleurs personne n ’aurait sans doute inventé cette
distinction^^, s’il n ’y avait pas été contraint, comme certain le confesse loyale
ment, par le besoin de sauvegarder « l’Eschatologie du Royaume de Dieu ».
Et ceux qui, bon gré mal gré, y recourent ne semblent pas s ’apercevoir q u ’ils
malmènent ainsi les textes sur la présence de pécheurs dans le Royaume de
Dieu (voir ci-dessus, p. 97 et 98), puisque, eux, ils transfèrent ces pécheurs
du Royaume de Dieu au Royaume du Christ.
2) Deuxième subterfuge: faire de l ’Eglise le «sacrem ent du Royaume».
Chez les Catholiques français, cette théorie est devenue une véritable mode,
bien que personne, à ma connaissance, n ’ait cherché à la justifier. Comment le
pourrait-on d ’ailleurs ? C ar cette formule, qui n ’est pas biblique, déforme
curieusement les données du Concile Vatican II : dès ses premiers mots
la constitution dogmatique Lumen Gemium disait : « L ’Eglise étant, dans
le Christ, en quelque sorte le sacrement, c ’est-à-dire à la fois le signe et le
moyen, de l ’union intime avec Dieu et de l’unité de tout le genre humain... »
(chap. 1, n “ 1)^^. Et plus loin : « (Dieu) a fait l’Eglise... sacrement visible de
cette unité salutaire» (chap. 2, n “ 9)... « L ’Eglise, sacrement universel du
salut» (chap. 7, n° 48)*^. Jamais le Concile ne dit que l’Eglise est le sacrement
du R o y a u m e ^ P o u rq u o i a-t-on falsifié en « sacrement du R oyaum e», ce qui
est en réalité « sacrement de l’union à Dieu, sacrement de l’unité des hommes
et sacrement du salut» ? Pire encore : cette malencontreuse formule laisse
supposer que l ’Eglise ne serait que la partie visible et terrestre d ’un Royaume
de Dieu invisible et céleste, mais alors que faire des pécheurs qui doivent sub
sister dans ce Royaume de Dieu, selon les Evangiles (voir ci-dessus, p. 97 et 98) ?
f ) Les négations
Ces subterfuges n ’étant guère défendables, ceux qui tiennent malgré
tout à reléguer le Royaume de Dieu dans l ’Eschatologie doivent maintenir
que l ’Eglise ne peut pas être le Royaume de Dieu. Aucun texte biblique ne
peut leur fournir d ’argument. Alors, sans donner aucune preuve, beaucoup
se contentent d ’affirmer avec indignation : « Bien entendu, l’Eglise n ’est pas
le Royaume ». Tel autre avoue ingénument : « The Kingdom of God,
according to accepted doctrine (sic !), cannot be identified with the Church »
(N olan , p. 292)... Tel autre fait même suivre sa négation d ’une remarque qui
la contredit : « Le Royaume de Dieu ne peut pas être identifié avec l’Eglise,
quoique le Règne de Dieu suppose un peuple qui vive sous ce Règne»...
Tel autre, dans un chapitre sur « le Royaume et l’Eglise » développe sa pensée
en cinq points ; 1) « L ’Eglise n ’est pas le Royaum e». 2) « Le Royaume crée
l’Eglise». 3) « L ’Eglise témoigne du Royaum e». 4) « L ’Eglise est l’instrument
du Royaume ». 5) « L ’Eglise est la gardienne du Royaume ». Comme dit
cet auteur, « to u t dépend de la définition du Royaum e». Hélas !... Tel autre
essaie de s ’en tirer par un rideau de brouillard, en accumulant des phrases
qui ne veulent rien dire. Ainsi dans une étude sur l ’Eglise peuple de Dieu
l’auteur m ontre q u ’il connaît l ’un des arguments en faveur de l’équation
Eglise = Royaume : « Quand on compare, grâce à une concordance, le
vocabulaire des Synoptiques et celui des lettres de Saint Paul ou des Actes des
Apôtres, on voit que le terme « Royaume », fréquent chez les premiers,
est plus rare dans les autres écrits, et que le terme « Eglise », abondamm ent
employé par ceux-ci, ne se rencontre que deux fois chez ceux-là. On en retient
l’impression que l’Eglise a pris la place du Royaume, au moins pour ce qui est
de sa présence actuelle en ce monde ». Mais l’auteur ne veut pas céder à une
telle impression, aussi il continue : « Ce n ’est pourtant pas exact ». On suppose
donc q u ’il doit avoir des motifs sérieux pour rejeter sa première (et judicieuse)
impression. On s’attend à trouver dans la suite une argumentation exégétique
ou théologique irréfutable. Et voici ce q u ’on lit ; « A la place du
Royaume, que prêchait Jésus, selon les Synoptiques, l’Eglise de Saint Paul et
des Actes ne prêche pas l’Eglise, mais Jésus Seigneur et Sauveur, m ort pour nos
péchés, ressuscité par notre salut. Sur ce point, l’Evangile selon saint Jean
témoigne du même changement. Les annonces de l ’Eglise, avec mention du
Royaume, q u ’on peut lire, explicites ou implicites, dans les Evangiles, mon
trent l ’Eglise ordonnée au Royaume, où il faut entrer, et q u ’il faut accueillir
de Dieu, plutôt q u ’elle n ’est identifiée à lui (cf. M t 16,18-19 ; M t 21,43 ;
Le 12,32). Mais l ’Eglise ne peut pas proclamer le Royaume sans proclamer
Jésus-Christ, justem ent parce q u ’elle n ’est pas Jésus-Christ, et parce que Jésus-
Christ est devenu plus que Jamais, dans la Croix et la Résurrection, le signe
par excellence de la proximité du Royaume... D ’autre part, l ’Eglise ne peut
NÉGATIONS. SILENCES 195
pas proclamer le Royaume et en faire connaître les signes, si elle n ’est pas
soumise et unie à Jésus-Christ, qui demeure, par le don de l’Esprit Saint,
l’Apôtre du Père dans le monde. Le temps de l’Eglise, ouvert dans la proximité
du Royaume comme le temps original de la prédication et de la conversion,
devient ainsi le temps et l ’espace d ’un Royaume du Christ Seigneur, déjà
vainqueur de la m ort et des « Puissances ». Les chrétiens des premières géné
rations ont pu se représenter ce Royaume à la manière du Royaume messiani
que, précédant le Royaume définitif, q u ’on trouve annoncé dans certains
écrits juifs de cette époque (cf. Ap. 20,1-6)». Si l’on essaie de préciser les
arguments contenus dans ces phrases, que trouve-t-on ? Aucun argument
exégétique, car de vagues références (indiquées seulement par de vagues
« c f» ) à M atth. 16,18-19 ; 21-43 ; Luc 12,32 ; Apocalypse 20,1-6 ne consti
tuent pas un argument. Aucun argument théologique, philosophique ou
historique. Seulement des affirmations sans valeur démonstrative ; « L’Eglise...
ne prêche pas l’Eglise, mais Jésus-Christ» (mais quelle opposition y a-t-il
entre l ’Eglise et J é s u s ? ) ; «les annonces de l’Eglise m ontrent l’Eglise
ordonnée au Royaume » (mais précisément l ’auteur devrait prouver que cette
relation ne peut pas et ne doit pas aller jusqu’à l ’identification) ; « l ’Eglise ne
peut pas proclamer le Royaume sans proclamer Jésus-Christ» (bien sûr,
mais cela ne prouve pas q u ’elle n ’est pas ce Royaume) ; « le temps de
l ’Eglise... devient ainsi le temps et l’espace d ’un Royaume du Christ Seigneur »
(c’est encore plus vrai si l’Eglise est le Royaume)... Serait-on injuste en
soupçonnant que l’auteur, qui entrevoit bien que l ’Eglise est le Royaume,
cherche, sans les trouver, des arguments pour se convaincre, et nous convain
cre, que cette vérité est une erreur ?
g) Les silences
D ’autres auteurs semblent écartelés : d ’un côté ils comprennent bien que
ces subterfuges ou ces négations sans preuve ne sont pas des procédés
scientifiques, mais d ’un autre côté ils ne peuvent s’enhardir jusqu’à mettre
en cause l’Eschatologie ou jusqu’à reconnaître l’identité de l ’Eglise et du
Royaume. Alors, que faire ? Ne parvenant pas à résoudre ce problème, ils
l’esquivent. On trouve ainsi d ’excellents ouvrages sur l’Eglise où n ’est jamais
traitée clairement sa relation avec le Royaume. J ’en ai vérifié deux d ’assez
près : les auteurs (qui sont des Catholiques très représentatifs) supposent en
permanence une intime relation entre l ’Eglise et le Royaume, mais pas une
fois ils n ’osent soit affirmer soit nier leur identification.
Ainsi, dans un article de 1961 consacré à la définition de l’Eglise, un
grand théologien (catholique lui aussi) n ’envisage même pas la notion de
Royaume de Dieu, malgré deux brèves allusions au Règne de Dieu (p. 236
et 252).
De même, un article tout récent (en 1974) s’exprime ainsi : « Nous avons
toute raison de croire que Jésus voyait dans ce Royaume vécu (sic) par lui
et ses disciples l ’embryon (sic) de la future Eglise... Sans affirmer une identi
fication sans réserve de l’Eglise avec le Royaume de Dieu, il semble possible
de voir dans la croissance de l ’Eglise l ’expension du Royaume prédite et voulue
par Jésus» (p. 199)... L ’Eglise dans laquelle le Royaume de Dieu grandira
(plus haut, le Royaume était l’embryon de l’Eglise !) est ainsi définie comme
le lieu de la metanoia spirituelle (p. 200)... Nous espérons avoir montré que ce
que les évangiles Synoptiques nous disent sur le Royaume est instructif
(oh, combien !) également pour cette autre réalité appelée Eglise» (p. 203).
196 BILAN D UNE ERREUR
Objections et Conclusions
Les lecteurs de cet ouvrage ont certainement senti naître en eux un certain
nom bre d ’objections, qui ont affaibli, retardé, ou même empêché leur adhésion
plénière. Q u’ils se rassurent ! Les mêmes objections se sont présentées à moi.
Si j ’ai continué de tenir la plume, c ’est parce que j ’espère pouvoir m ontrer
que ces objections ne sont pas décisives, q u ’elles peuvent même, après m ûr
examen, se retourner en faveur des conclusions imposées par d ’autres argu
ments et pour d ’autres motifs.
a) Première objection :
Puisque Jésus et ses contemporains parlaient habituellement l'araméen,
qui ne distingue pas entre Royauté, Règne et Royaume, ils ne pouvaient guère
avoir ces notions et ils ne pouvaient guère les utiliser dans une construction
théologique.
Oui. Mais les documents de Qum rân et de M urabba’ât* nous montrent
que l ’hébreu n ’était pas ignoré, même p ar les gens du peuple, et donc q u ’il
pouvait continuer à influencer leurs structures mentales. Et surtout l’absence
d ’un vocabulaire adéquat n ’empêche pas l’existence de concepts plus ou moins
précis: bien que les Français aient du mal à distinguer clairement entre
« dürfen » et « kônnen », entre « sollen » et « müssen », entre « tun » et
« machen », ils possèdent tout de même les idées correspondantes ; de même,
bien q u ’ils rendent « girl » et « daughter » l ’un et l ’autre par « fille », ils sont
to u t de même capables de com prendre la différence entre ces termes ; bien
q u ’ils n ’aient pas encore créé un m ot spécial pour dire « cheap » ou « reliable »,
ils n ’ignorent to u t de même pas complètement ces notions. U n vocabulaire
plus précis facilite certes l ’acquisition et l ’emploi d ’un concept, mais un
vocabulaire moins précis n ’empêche pas absolument de parvenir à ce concept.
Surtout, la pensée chrétienne a bien dû se contenter pendant un siècle du
vocabulaire de l ’Ancien Testament et des religions hellénistiques, même si
elle voulait verser du vin nouveau dans des outres vieilles. Au début du christia-
1. M urabba’ât est le nom d ’un autre wadi du Désert de Juda, près duquel on a découvert
des grottes contenant les squelettes, les objets usuels et les papiers personnels de maquisards
juifs de la Seconde Révolte (132-135 après Jésus-Christ). O r ces gens, qui n ’appartenaient
pas nécessairement à l ’élite intellectuelle, avaient près d ’eux 8 contrats en hébreu et 17 en
atam éen, mais les 7 lettres q u ’ils conservaient étaient toutes en hébreu.
198 OBJECTIONS
nisme la difficulté n ’était pas plus grande sur ce point que sur tant d ’autres.
Ce sont les théologiens postérieurs qui auraient dû mieux clarifier leur
vocabulaire.
b) Deuxième objection :
Affirmer que le Royaume de Dieu c ’est l’Eglise et que le Règne de Dieu
c ’est la Justification, c ’est rejoindre Luther et Calvin et, à travers eux, la
théologie patristique et médiévale. N ’est-ce donc pas sombrer dans im honteux
conservatisme ?
Certes, les conclusions obtenues sont étonnam m ent traditionnelles. Mais
elles résultent d ’arguments nouveaux : la distinction entre Royauté, Règne et
Royaume n ’a pas, semble-t-il, été proposée de façon claire par les Pères de
l ’E ^ise ou les théologiens du Moyen-Age; les remarquables progrès de la
science moderne dans la connaissance de la période intertestamentaire
commencent seulement à porter leurs fruits et iis n ’ont sans doute pas fini de
rajeunir d ’autres vieux problèmes. Je me permets d ’ailleurs de l’affirmer:
ce n ’est pas parce que je désirais voler au secours de thèses actuellement
déconsidérées que j ’ai pensé à invoquer de tels arguments. C ’est parce que mes
propres travaux m ’ont amené à constater peu à peu la fausseté des positions
à la mode, que je me suis décidé, après bien des hésitations, à dénoncer le
mirage de l ’Eschatologie. Le conservatisme consisterait plutôt à plier le genou
devant l’eschatologisme envahissant!
c) Troisième objection :
L’exégèse moderne fait une grande place à la critique littéraire, c ’est-à-dire
à la distinction des multiples sources ou des multiples retouches qui ont abouti
à la production de notre actuel Nouveau Testament. N ’est-ce pas une méthode
regrettable d ’avoir constamment négligé les lumières de cette science?
Q u’on ne prenne pas mon silence pour un refus ou un mépris ! Si telle
traduction française anonyme, malgré les habitudes des autres collaborateurs,
distingue ainsi les sources et les documents de deux livres bibliques, c ’est
parce que j ’ai lutté, seul contre tous, pour l'exiger. Dans le cas qui nous
occupe, la situation est toute différente. Trop souvent, la critique littéraire
du Nouveau Testament est faite à partir d ’une théologie préconçue et c ’est
en fonction de cette théologie q u ’on décide que tel ou tel passage n ’a pu être
rédigé q u ’à telle période. Cette critique-là doit être refusée absolument. Comme
nous l’avons vu (p. 83-85), la convergence de Marc, de la Source Commune,
de M atthieu, de Luc, de Paul m ontre clairement que la notion de basileia tou
théou provient de Jésus lui-même^ ; nous savons que c ’était une notion rela
tivement rare chez ses contemporains et q u ’elle a été plutôt négligée dans les
milieux grecs de l ’Eglise prim itive: c ’est en fonction de ces données q u ’il
aurait fallu faire la critique littéraire et non pas inversement. D ’ailleurs,
inutile de se battre sur ce point : les textes qui parlent de cette basileia tou théou
sont si nombreux q u ’on ne peut vraiment pas les récuser tous ou les considérer
tous comme tardifs. Même B u l t m a n n , q u ’on peut considérer comme le
champion de la critique littéraire, n ’est pas parvenu (et n ’a sans doute pas
cherché) à les disqualifier tous.
2. B.D. C h i l t o n , dans un ouvrage tout récent consacré à la critique littéraire des princi
pales paroles de Jésus sur la basileia tou théou, aboutit à la conclusion q u ’elles « peuvent
être identifiées comme provenant du Seigneur » (p. 293).
OBJECTIONS 199
d) Quatrième objection :
L ’argum entation de ce livre est singulièrement étriquée. N ’est-ce pas se
mettre des œillères que de retenir seulement les textes qui contiennent tel ou
tel m ot ? Ne devrait-on pas tenir compte aussi de tous les textes où ce mot
n ’est pas exprimé formellement, où cependant la notion équivalente se trouve
implicitement ?
L ’objection est valable et je me la suis faite à moi-même en permanence.
Mais, si le faux concept d ’Eschatologie a réussi à s’imposer, alors q u ’il n ’existe
pas dans le Nouveau Testament, c ’est précisément parce q u ’on est parti de
notions vagues et mal définies, q u ’on a cru (de bonne foi) les reconnaître un
peu partout et q u ’on a bâti sur elles une théologie partiellement imaginaire.
Pour lutter contre cet abus, il fallait étudier uniquement les textes qui
contiennent certainement une notion, puisqu’ils l ’expriment formellement,
de façon à ne pas risquer de projeter sur les textes des idées préconçues et
purement subjectives. Certes, le Nouveau Testament contient sans doute des
passages qui concernent la Royauté, le Règne ou le Royaume de Dieu, sans
mentionner la basileia tou théou. Mais on ne peut pas partir de ces textes
imprécis pour étudier ces notions. C ’est seulement quand ces notions seront
élaborées scientifiquement q u ’on pourra rechercher les autres passages où
elles sont contenues implicitement. Et alors il faudra commencer par prouver
que chaque texte contient réellement ces notions et q u ’on ne cède pas
inconsciemment à quelque tendance arbitraire. A d ’autres de réaliser cette
enquête élargie et de compléter ce travail. Pour un début, il fallait s’en tenir
aux textes sûrs.
e) Cinquième objection :
La partie historique de cet ouvrage est notoirement insuffisante : bien des
auteurs, qui auraient mérité une étude spéciale, sont passés sous silence ; bien
des articles et même bien des ouvrages im portants semblent ignorés.
C ’est exact, je le reconnais. Je me permets cependant de plaider une
circonstance atténuante : les bibliothèques de Paris ne m ’ont pas permis de
faire m ieux; mes amis d ’Allemagne, d ’Angleterre ou des Etats-Unis savent
combien de photocopies je leur ai demandées ; je ne pouvais pas davantage
abuser de leur obligeance.
Mais surtout je ne considère nullement cet ouvrage comme définitif. Il
faudra le reprendre eiitièrement, pour mieux en vérifier chaque détail. Les
divers auteurs étudiés ne le sont q u ’à titre de jalons représentatifs, et ils ne
suffisent évidemment pas pour un tableau historique complet. Je ne pouvais
que donner le coup d ’envoi et signaler l’urgence d ’une remise en ordre fonda
mentale. A mes successeurs de faire mieux et de corriger tout ce qui le mérite.
Comme on dit en rugby, ceci n ’est q u ’un « essai » ; à d ’autres de le
« transformer ».
/ ) Sixième objection :
Refuser l ’Eschatologie, n ’est-ce pas com prom ettre la « théologie de
l ’espérance » q u ’à si bien étudiée Jürgen M o l t m a n n ?
Cette théologie de l'espérance est plus que bienfaisante, elle est juste ; ou
plutôt : elle serait juste si elle était placée dans un cadre exact. Bien que
200 œ N C L U siO N S
Si l’on veut bien accepter comme suffisantes les réponses à ces diverses
objections, j ’ose espérer q u ’alors on adm ettra volontiers, jusqu’à preuve du
contraire, les principaux résultats de ce travail :
1) Le terme Eschatologie n ’est admissible que dans sa signification normale :
étude des fins dernières ; si on lui fait signifier ces fins dernières elles-mêmes,
on commet un illogisme.
2) Quiconque parle d ’Eschatologie (même dans le sens admissible) doit
reconnaître que sa pensée ne part pas du Nouveau Testament mais q u ’elle
impose à ce Nouveau Testament un concept non-biblique.
3) Surtout si l ’on parle une langue peu sensible à certaines nuances, on devrait
avoir grand soin de ne pas confondre Royauté, Règne et Royaume de Dieu
et d ’employer un vocabulaire aussi précis que possible.
4) Les Français devraient définitivement renoncer à traduire Jean 18,36 par
« M on Royaume n ’est pas de ce monde » (ce qui équivaut en fait à « M on
Royaume n ’est pas dans ce monde »), puisque le sens est clairement : « Ma
Royauté ne vient pas de ce monde ».
tion très nette. Avec une telle méthode, on offrirait au public une synthèse
doctrinale plus ou moins spécieuse, mais non l’essence du christianisme
d ’après l ’Evangile » (L ’Evangile et l ’Eglise, 5 ' édition, Introduction, p. xiv
à xix).
Dans le cours de la discussion, L o is y est bien obligé d ’examiner
Luc 17,20-21. Voici comment il le fait: « On a, pour appuyer l’idée d ’un
royaume purement intérieur et déjà présent, un texte du troisième Evangile,
dont l ’authenticité n ’est pas très sûre, ni le sens très clair. Interrogé, par les
pharisiens sur le temps où viendrait le royaume de Dieu, Jésus leur répond :
« La venue du royaume de Dieu n ’est pas matière d ’observation. L ’on ne dira
pas : Il est ici, o u : Il est là. Car le royaume de Dieu est en vous*. « Cette
déclaration ne se lit que dans Luc, et elle fait partie d ’un préambule que l’auteur
a rédigé pour un discours eschatologique^ dont la substance a été retenue par
M atthieu^. Il y a beaucoup de chances pour que ce discours seul appartienne
à la source commune des deux Evangiles, et que la parole citée vierme de Luc
ou de sa tradition particulière. L ’ensemble de cette introduction est dans le
style de l’évangéliste, qui crée volontiers la mise en scène des discours q u ’il
reproduit ; et l ’idée du royaume présent ne s’accorde pas bien avec le discours
même, qui concerne l ’avènement du Fils de l ’homme, à moins que l ’assertion ;
« Le royaume de Dieu est en vous », ne doive s’entendre comme une prophétie
qui signifierait : « Le royaume de Dieu est tout près de se manifester parmi
vous ». Le travail rédactionnel s’accuse en ce que l ’on dit du royaume : « 11 est
ici, ou là », ce qui ne convient q u ’au Messie, et s ’applique en effet à lui deux
versets plus loin » (L’Evangile e t l ’Eglise, p. 51-53). — En somme L o is y accuse
ce texte d ’être « rédactionnel » et de moindre valeur, selon une méthode décrite
ci-dessus (p. 90-91) et il commence par insinuer que « l ’authenticité n ’(en)
est pas très sûre ni le sens très clair », mais sans prouver d ’aussi graves soupçons.
Puis il continue : « Si la parole a été réellement prononcée par Jésus et
adressée aux pharisiens comme le dit l’évangéliste, elle ne peut pas signifier
que le royaume de Dieu soit en eux, c ’est-à-dire dans leurs âmes ; car ces
pharisiens ne croient pas à l ’Evangile et n ’ont point de part au royaume. 11 y
aurait bien de la subtilité à sous-entendre une restriction, comme si Jésus
voulait dire : « L e royaume de Dieu est tel, qu’il doit se réaliser en vous, pourvu
que vous le vouliez et que vous en soyez dignes ». Le sens le plus naturel serait :
« Le royaume de Dieu est au milieu de vous », et c ’est peut-être ainsi que le
comprend le rédacteur, si toutefois il n ’a pas voulu dire simplement que le
royaume surviendra sans q u ’on s ’y attende, et sans q u ’on ait le temp
d ’annoncer q u ’il est apparu en tel ou tel endroit » (L ’Evangile et l ’Eglise,
p. 53). — Cette fois L o is y , pour se dispenser d ’accepter le sens «le plus naturel»,
prétend que ce malheureux texte n ’a pas un sens acceptable.
Le terrain étant ainsi préparé et ce texte suffisamment discrédité, il pour
suit son argumentation : « Pour être autorisé à soutenir que Jésus a entendu
cette parole dans un sens différent, il faudrait avoir d ’autres textes, de sens
et d ’authenticité indiscutables, où s’exprimerait le caractère intérieur et actuel
du royaume. Mais il est évident que ces textes font entièrement défaut, et l’on
irait contre les principes les plus élémentaires de la critique en sacrifiant le
reste de l’Evangile à l’interprétation douteuse d ’un seul passage » (L ’Evangile
et l’Eglise, p. 53-54). — Ici nous sommes en pleine contre-vérité. « autres
textes, de sens et d ’authenticité indiscutables, où s’exprimerait le caractère
intérieur et actuel du royaume » existent bel et bien : nous en avons relevé une
dizaine rien que dans les Evangiles, aux pages 96-97, et même une dizaine
d ’autres décrivent ce royaume avec des verbes au passé. Et L o isy spécule sur la
naïveté du lecteur quand il en appelle aux « principes les plus élémentaires
(pourquoi ce pluriel ?) de la critique », q u ’il ne voudrait pas violer « en sacrifiant
le reste de l ’Evangile à l’interprétation douteuse d ’un seul passage ». La
critique demande, non pas de sacrifier un texte à d ’autres, mais de les respecter
tous, les uns et les autres. En réalité ce passage n ’est pas seul et son interpréta
tion, discutable en ce qui concerne la nature du royaume, ne l’est nullement
en ce qui concerne son actualité.
Alors, L o is y peut conclure avec une belle condescendance ; « Dans les
conditions les plus favorables, et l’authenticité de la parole étant admise, on
devrait dire que Jésus parle de la présence du royaume dans son commencement,
et de sa préparation par l ’Evangile » (L ’Evangile et l’Eglise, p. 54). — Quel
lecteur aura remarqué q u ’il a subrepticement dévié la discussion'! Dans ce
passage L o is y polémique contre H a r n a c k , qui interprète le Royaume de Dieu
d ’une façon purement intérieure. Or, dès le début, il n ’a pas dit seulement
« un royaume purement intérieur » il a ajouté « et déjà présent », ce qui n ’est
d ’ailleurs pas inexact. Puis, dans la discussion, il invoque « l ’idée du royaume
présent » et laisse au second plan l ’intériorité. Vers la fin il m entionne encore
les deux notions : « le caractère intérieur et actuel du royaume ». Mais dans
la conclusion il ne parle plus que « de la présence du royaume dans son
commencement et de sa préparation par l ’Evangile ». La discussion sur l ’inté
riorité du royaume de Dieu aboutit aussi à un plaidoyer contre sa présence...
Hélas, on pourrait signaler des exemples tout aussi édifiants sous la plume
des exégètes et des théologiens de notre temps, même dans les ouvrages qui se
vendent le mieux. Les lecteurs seraient-ils dupes de tels procédés ?
DEUXIÈME APPENDICE
Comment on suppose
au point de départ
ce qu’il faudrait démontrer
1. Pour être complet, l ’auteur devrait ajouter q u ’elle est encore moins mentionnée
auparavant !
APPENDICE 207
II
1. L ’auteur donne certains de ce.s textes seulement en grec, je les ai traduits en français.
2. Pourquoi ne pas dire tout simplement que pour Paul la justification peut exister
dans le passé, tout comme dans le présent ou l ’avenir? Pourquoi parler seulement d ’un
« double aspect, l’un présent, l’autre eschatologique » ? Que devient le passé, reconnu comme
« indéniable » dans les textes cités ? E t pourquoi remplacer « futur » par « eschatologique » ?
3. La différence entre le passé, le présent et l’avenir est-elle seulement « formelle » et
« verbale » ?
QUATRIÈME APPENDICE
Comment on sollicite
inconsciemment les textes
1. L ’auteur dit même un peu plus loin, avec une bonne foi évidente: « Cette vue, que
Saint T h o m a s donne si clairement... ».
CINQUIÈME APPENDICE
n ’essaie pas de décider si dans les textes de Qum rân une limite est déjà posée
au temps messianique par l’Eon à venir. L ’incendie du monde, dont parlent
les Hymnes 111,26 et la suite, pourrait aussi être une image de l’anéantissement
des impies. Les pieux qumrâniens ont certainement eu une Eschatologie
individuelle : les âmes bienheureuses ^ continuent à vivre en communauté
avec les anges au Ciel (Hymnes 111,21 et la suite ; passim). Cette Eschatologie
est ainsi déjà prolongée dans le transcendant. Mais malheureusement on ne
peut pas décider avec certitude si l ’Eschatologie nationale et l ’Eschatologie
individuelle étaient déjà combinées à l’intérieur de la secte dans l ’attente de
la résurrection à la fin des temps (pour cette distinction à l ’intérieur de l’Escha
tologie, voir ici aussi C. S t e u e r n a g e l ).
« Quand nous parlons de la fm des temps, nous entendons les derniers
moments de ces « temps mauvais ». Ainsi pour nous la fin des temps correspond
d ’une certaine façon à l’époque eschatologique, en tant que la fin des temps
coïncide comme fin de ces temps mauvais avec le début de la nouvelle ère
(messianique).
« Par « figure d ’un Sauveur eschatologique », c’est-à-dire par le Messie,
nous n ’entendons pas forcément une figure royale de la fin des temps. 11 n ’est
pas conforme à la logique de limiter a priori le nom m§yh (au sens eschatolo
gique) au roi eschatologique, comme on le fait souvent (autrement : Gressmann,
Der Messias, et S ta e rk , Soter I). Avant tout, S. M o w in ck el identifie le Messie
uniquement avec le roi de la fin des temps (He that cometh, Oxford, 1956, p. 99).
Mais précisément les textes de Qumrân m ontrent q u ’il peut être subordonné
à une plus importante figure d ’un Sauveur humain »...
Ce spécialiste reconnaît donc que les textes de Qumrân ne parlent « presque
plus ou peut-être plus du tout » (ainsi d ’ailleurs que l ’Ancien Testament)
« d ’un grand drame de la fin des temps » qui inclue « la destruction et la rénova
tion du cosmos » (sauf peut-être les Hymnes 111,26, mais qui peuvent aussi
être considérés comme une image poétique).
1) Pourtant il affirme (sans preuve) que les gens de Qum rân « ont certainement
eu une Eschatologie individuelle ». Il définit le Messie comme un « Sauveur
eschatologique ».
2) Il impose à ses lecteurs une notion de l ’Eschatologie hautement fantaisiste :
« une certaine attente de la fin » qui exclut cette fin elle-même.
3) II définit à priori le Messie comme un « Sauveur eschatologique », alors
q u ’il vient « d ’insister » sur la différence « fondamentale » entre Messianisme
et Eschatologie.
Tout cela est-il logique ?
Pourquoi veut-on à tout prix qu’il y ait une Eschatologie à Qumrân ?
1. Cette interprétation des Hymnçs est loin d ’être certaine ; dans le passage cité i) n ’est
pas question des « âmes bienheureuses ».
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3,1-2: p. 24
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19,12: p 51
4,17 : p. 24
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19.23-24 : p. 32-33
5.3 + 10: p. 36-37
20,1-16: p. 51
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20,20-28 : p. 51-52
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21,31 : p 171 n. 11
5,19-20 : p. 43-44
21.31-32 : p. 52-53
6,10: p. 38
21,43 : p . 53
6,13 : p. 44 n. 1
22,2-14: p. 54
6.31-33 : p. 39-40
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7,21 : p. 44
24,14: p,. 43, 54
8,11-12: p. 40-41
25,1-13: p. 51-55
9,35 : p. 43
25.31-46 :p . 55
10.5-7 : p. 24
26,29 : p . 33-34
10.5-8 : p. 37-38
26,45-46 : p. 25 n. 8
11,11 : p. 37, 148
11,12: p. 25 n. 8
11,12-13: p. 41-42
12,27-28 : p. 38-39 Marc
12,28: p. 24, 25 n. 8, 171 n. 10
13.3-11 + 18-23: p. 26-28 1.14-15: p. 23-26
13,18-19: p. 111 I,15: p. 117-118
13,24-30 + 36-43 : p. 44-46 4,3-11 + 13-20: p. 26-28
13.31-32: p. 29-30 4,11 : p. 24 n. 7
13,33: p. 40 4,26-29 : p. 28-29
13,37: p. 28 4.30-32 : p. 29-30
13,44: p. 46 4.30-34: p. 110
13,45-46 : p. 46 9,1 : p. 30-31, 121
13,47: p. 111 9,43-47: p. 31-32
13,47-50: p. 47 10.14-15: p. 32
13,51-52: p. 47 10,23-25 : p. 32-33
16.17-19: p. 47-49, 100. 106. 108. 112. 10,35-45: p. 51-52
16,28 : p. 30-31 II,1 0 : p. 24 n. 7, 33, 121
18.1.3-4: p. 49-50 12,34: p. 33
18,8-9: p. 31 14,25: p. 33-34
18.17-18: p. 106 15,43: p. 24 n. 7, 34, 121
238 TA B L E D E S TEX TES B IB LIQ U ES
Luc Actes
1,31-33: p. 56-57 1,3: p. 66
I,33 : p. 121 1,6-7 : p. 66-67
4,43: p. 57 8,12: p. 67
6,20 : p. 36-37 14,21-22 : p. 67-68
6 ,2 3 :p . 3 6 n . 5 19,8: p. 68
6.24-25 : p. 36 n. 7 20,25-28 : p. 68, 100
7,28 : p. 37 28,23 : p. 68-69
8,1 : p. 57 28,30-31 : p. 69
8,5-10 + 11-15: p. 26-28
9.2: p. 24, 37-38
9.11 : p. 57
9,27: p. 30-31 5,20-21 : p. 123
9,60: p. 57 14,14-18 : p. 73-74
9,62 : p. 57
^®’9 'P - 2 4 I Corinthiens
10.11 : p. 24
II ,2 : p. 38 3 ,6 :p . 2 8 n . 19
11.19-20 : p. 38-39 4,19-21 : p. 71-72
11,20: p. 24, 171n. 10 6,9-10: p. 72
11,52: p. 39 15,22-27: p. 72-73
12,29-31 : p. 39-40 15,50: p. 73
12,32: p. 57-58
13,18-19: p. 29-30 Galates
13.20-21 : p. 40
13.28-29 ; p. 40-41 4,3-5 : p. 124
14,15: p. 58 5,19-21: p. 74
16,16: p. 41-42
17.20-21 : p. 58-60, 148, 204-205 Ephésiens
18.16-17: p. 32
18.24-25 : p. 32-33 2,3-5.10 : p. 123-124
18,29 : p. 60-61 5,5 : p. 75, 101, 193
19.11 : p. 61, 121
21,31 : p. 24 Colossiens
22,16 : p. 61-62
22.16-18 : p. 33-34 • P-
22.29-30 : p. 62-63 1,13: p. 101
23,42: p. 63 1,18-20 : p. 123
23,51: p. 34 4,10-11: p. 75
I Th
Jean 2,12: p. 70-71
3.3-5 : p. 64 „ ^ .
14,23 : p. 122-123 " Thessaloniciens
18,36; p. 65, 200 1,3-5: p. 71
T A B L E D E S TEX TES B IB LIQ U E S 2 39
II Timothéc II Pierre
4,1 : p. 75-76 1,10-11 : p. 78
4,18: p. 76
Hébreux Apocalypse
1,2: p. 135
1,8: p. 77 1,6: p. 79-80
12,26-28 : p. 77-78 I,9 : p. 80
5,9-10: p. 81
Jacques II,1 5 : p. 81-82
2,5 : p. 78 12,10: p. 82
il'
TABLE DES AUTEURS CITÉS
Abréviations : p. 9
Allégorie : p. 26 n. 9
Ancien Testament : p. 94
Apocalypse d ’Esdras: p. 162-163
Apocalypse Grecque de Baruch : p. 48 n. 8, 87
Apocalypse Syriaque de Baruch : p. 87, 161-162
Apocalyptique: p. 135, 168, 176
Aram éen: p. 16, 21, 85, 197-198
Ascension d ’fsaîe : p. 89
Assomption de Moïse : p. 87
Didaché : p. 88
Distinction conceptuelle entre Eglise et Royaume de D ieu: p. 101, 105-106,
114, 116
Divinité de Jésus : p. 191
Docteur de Justice : p. 3, 8
Doxologie du Notre Père : p. 44 n. 1
Jubilés (Livre) : p. 86
Jugement D ernier: p. 133
Justification: p. 120-127, 177
Justification par la Foi : p. 127
Kingdom : p. 13
Kingship : p. 13
Kônigswürde : p. 13
Majuscules : p. 9
M âlak : p. 94
Malkou : p. 16
M alkout : p. 14-19
M amlâkâh : p. 15-18
Manuscrits de la M er Morte, voir à Qumrân
Mèlèk : p. 94
M eloukâh: p. 14, 16-18
Mer Morte, voir à Qumrân
Messianisme: p. 135, 141, 148-149, 168, 209
Millénarisme : p. 182
M onde N ouveau: p. 149, 174
Morale Intérim aire: p. 160
M ythe: p. 140, 176
Notre Père : p. 7, 44 n. 1
Paraboles : p. 26 n. 9
Paraboles d ’H énoch: p. 163-164
Parousie: p. 133, 179-183
Passé prophétique : p. 58, 74-75
248 T A B L E D E S SU JETS
Râz ; p. 26 n. 11
Rabbinique (littérature) : p. 88
Rédactionnel (style) : p. 24 n. 7
Rédactionnel (texte): p. 90-91, 101
Règne (sens) ; p. 13
Règne de Dieu à la Fin du M onde : p. 121
Règne de Dieu : dans le passé : p. 120; dans le présent: p. 120-121; dans
l’avenir immédiat : p. 121
Règne de Dieu et du Christ : p. 121
Règne Politique du Messie : p. 149
Reich : p. 13
Résurrection Générale : p. 133
Royaume (sens) : p. 13
Royaume de Dieu : dans le passé : p. 95-96 ; dans le présent : p. 96 ; dans I;
l’avenir immédiat : p. 96-97 ; à la Fin du Monde : p. 97 I
Royaume de Dieu et du Christ : p. 98, 101-102, 192-193 ft
Royaume de Dieu = Eglise : p. 95-119, 187-188
Royaume de Dieu et Vie Eternelle : p. 97-98, 102
Royaume de Dieu = Jésus : p. 103, 185-187, 214
Royaume de Dieu uniquement à la Fin du Monde : p. 137-178
Royauté (sens) : p. 13 W
Vatican II : p. 193
Verbes (temps en Hébreu) : p. 28 n. 15
(que les Allemands et les Anglais aiment trouver au début des ouvrages, comme
un menu, et que les Français placent à la fin ).
Préface .......................................................................................................... 7
Déclarations préliminaires .................................................................... 9
I ;•