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Au Docteur de Justice,

le Sage de Qumrân,
à qui je dois ce livre,
en témoignage
d'admiration
et de reconnaissance.
Nihil obstat
Paris, le 8 octobre 1979
Cl. Chopin.

Imprimatur
Paris, le 8 octobre 1979
P. Faynel.
TABLE DES MATIÈRES

(que les Allemands et les Anglais aiment trouver au début des ouvrages, comme
un menu, et que les Français placent à la fin ).

Préface .......................................................................................................... 7
Déclarations préliminaires .................................................................... 9

Première partie : Royauté, Règne et Royaume de Dieu ... 11

Chap. I : Sens des Mots ................................................................ 13


A) Dans l’Ancien T estam e n t......................................................... 14
B) A Qumrân .................................................................................. 16
C) Dans la M ish n â h ........................................................................ 18
D) Dans l’Evangile de M a tth ie u ................................................... 19
Chap. II : Dans l’Evangile de M a r c .............................................. 23
Chap. III ; Dans la Source Commune à M atthieu et à L u c ___ 35
Chap. IV : Les Textes propres à M atthieu ................................... 43
Chap. V : Les Textes propres à L u c .............................................. 56
Chap. VI : Dans l ’Evangile de J e a n ................................................ 64
Chap. VII : Dans les Actes des A p ô tre s .......................................... 66
Chap. VIII : Dans les Epîtres de S. Paul .......................................... 70
Chap. IX : Les Epîtres non PauUniennes ...................................... 77
Chap. X : Dans l’Apocalypse ........................................................ 79
Chap. XI : Vue d ’ensemble .............................................................. 83
Chap. XII : Royauté de Dieu et Royauté du C h r is t..................... 92
Chap. XIII : Le Royaume de Dieu et l ’E g lise ................................. 95
A) Caractéristiques du Royaume de D i e u .................................. 95
B) Identification du Royaume de Dieu ...................................... 98
C) Cette identification à travers les âges .................................... 102
Chap. XIV ; Règne de Dieu et Justification ................................... 120
A) Caractéristiques du Règne de D ie u ........................................ 120
B) Réflexions sur ce Règne de D ie u ............................................. 122
C) « Hors de l ’Eglise point de salut » ........................................ 127
Conclusions de la Première Partie ........................................................ 130
6 TABLE DES MATIÈRES

Seconde partie : ... sans Eschatologie 131

Chap. XV : Les méfaits de l’Eschatologie ................................... 133


Chap. XVI : Form ation d ’une erreur ............................................ 138
A) R eim aru s....................................................................................... 138
B) S tra u s s ........................................................................................... 139
C) Reuss ............................................................................................. 140
D) Renan ........................................................................................... 142
Chap. XVII : Succès d ’une e r re u r ........................................................ 147
A) Johannes Weiss ........................................................................... 147
B) Alfred L o is y ............................................................................... 151
Chap. XVIII : Triomphe d ’une erreur :Albert Schweitzer ............ 156
A) Le système de S chw eitzer.......................................................... 157
B) Que penser du système deSchweitzer ..................................... 160
C) Jugement par les contemporains de Schweitzer ................... 165
D) Excuses en faveur de Schw eitzer.............................................. 167
Chap. XIX : Logique d ’une erreur ; Rudolf Bultmann ................. 169
Chap. XX : Retournement d ’une erreur : C.H. D o d d ................. 179
Chap. XXI : Libération d ’une erreur : Karl B a rth ......................... 184
Chap. XXII : Bilan d ’une e r r e u r .......................................................... 189
A) Avantages ..................................................................................... 189
B) Inconvénients ............................................................................... 190
Chap. XXIII : Objections et Conclusions ............................................ 197
Appendices ;
I : Exemple d ’exégèse « scientifique » ....................................... 203
II : Comment on suppose au point de départ ce qu ’il faudrait
d ém o n tre r................................................................................... 206
III : Exemple de blocage in co n scien t............................................ 209
IV : Comment on sollicite inconsciemment les te x te s ............... 210
V : Comment sont présentés les textes de Qumrân ................. 212
VI : Déclarations de diverses Eglises sur les rapports entre le
Royaume de Dieu et l’E glise.................................................. 214
B ibliographie................................................................................................ 217
Table des Textes bibliques é tu d ié s.......................................................... 237
Table des Auteurs cités ............................................................................. 240
Table des Sujets effleurés........................................................................... 246
PRÉFACE

Depuis plus d ’une vingtaine d ’années ce livre se forme en moi. Je ne


puis pas le retenir plus longtemps. Il faut q u ’il naisse.

Première étape. Vers 1955, dans un brouillon d ’article sur les manuscrits
de Qumrân, j ’avais écrit spontanément : « ... le Royaume de Dieu, qui tient
une telle place dans la pensée de Qumrân... ». J ’ai voulu étayer cette affirma­
tion par quelques références et j ’ai constaté, à mon grand étonnement, que
jamais le Royaume de Dieu n ’y était mentionné. D ’où la question : « Sous
quelle influence ai-je ainsi projeté sur les textes de Qumrân une théologie
imaginaire ? »

Deuxième étape. En poursuivant mes études sur les manuscrits de


Qumrân, j ’ai été frappé par les déformations que certains auteurs imposaient
aux textes au nom de l ’Eschatologie (tout comme j ’avais failli le faire
moi-même au nom du Royaume de Dieu). Tel disait même : « L ’Eschatologie
exige que...». Comment était-il possible de confondre une théorie avec une
réalité et d ’attribuer même à cette pseudo-réalité une force contraignante ?
Par réaction, j ’ai écrit : « L’Eschatologie dans la Bible et à Q um rân».

Troisième étape. En travaillant le N otre Père, j ’ai été surpris des interpré­
tations imaginées pour « Que votre Règne arrive ». Divers auteurs confondaient
le Règne de Dieu et le Royaume de Dieu, mélangeaient l’un avec l ’autre, se
prononçaient en faveur de l’un ou de l ’autre en toute fantaisie. Ces hésitations
m ’ont obligé à réfléchir sur ces termes, à mieux les préciser, quand j ’ai rédigé
le chapitre VII de mes « Recherches sur le Notre Père ».

Quatrième étape. Pour expliquer l ’engouement qui entoure la notion


d'Eschatologie, je me suis risqué à étudier sa naissance, son évolution, sa
prolifération. Et là je suis allé de stupeur en stupeur. Ce terme datait seulement
de 1804 ; de 1850 à 1892 sa signification a été radicalement modifiée ; depuis
lors chacun y projette ses conceptions personnelles, au point q u ’on pourrait
lui trouver au moins deux cents définitions différentes. En fait, ce terme est
un puissant facteur de confusion. J ’ai résumé mes découvertes dans «Les<
Dangers de l ’Eschatologie».
Cinquième étape. Lors des discussions qui ont suivi la conférence sur
« Les Dangers de l’Eschatologie », certains contradicteurs, à ma grande
surprise, ont mis en cause le Royaume de Dieu. Alors, mais alors seulement,
j ’ai compris q u ’historiquement le problème de l ’Eschatologie était lié au
problème du Règne et du Royaume de Dieu. C ’était enfin pour moi la
lumière : la notion d ’Eschatologie s’était formée à cause d ’une altération de
8 PRÉFACE

la notion du Royaume de Dieu. Il fallait tout reprendre à la base, assainir la


théologie du Royaume de Dieu et ramener la notion d ’Eschatologie à la
place q u ’elle n ’aurait jamais dû quitter.
Ainsi ce livre était fait. Je n ’avais plus q u ’à le mettre par écrit.
Il est dédié a u D o c t e u r d e J u s t ic e , car il est tout entier qumrânien.
Bien que les références à Qum rân n ’y abondent pas, c ’est l ’étude de ces docu­
ments qui m ’a ouvert les yeux‘ sur le Nouveau Testament et, hélas, sur la
théologie moderne.

Jean C a r m ig n a c .

(1) A Q um rân on d irait plu tô t « m ’a ouvert les oreilles » (Règle de la G u erre X , 11 ;


H ym nes I, 21 ; V I, 4 ; X V III, 4), c a r il ne suffit pas de lire la Parole de D ieu, il fau t l ’écouter.
DÉCLARATIONS PRÉLIM INAIRES

1) J ’avoue très volontiers n ’avoir pas lu tous les travaux publiés sur le
Royaume de Dieu et sur l ’Eschatologie. Parfois j ’avais l’excuse que ces
travaux (même écrits en français, mais publiés en Suisse ou en Belgique) ne
se trouvaient pas dans les principales bibliothèques de Paris. Pour qu’on puisse
vérifier les limites de mon information, je n ’ai mentionné dans la bibliographie
générale que les travaux réellement consultés.
2) J ’ai tellement perdu de temps à déchiffrer d ’agaçantes abréviations,
que j ’ai pris la résolution de les proscrire radicalement, surtout le sinistre
« s s » et l ’équivoque « c f» . Cependant j ’ai cru pouvoir maintenir p. pour
« page», vol. pour « volume», et parfois M atth. pour « M atthieu».
3) Contrairement à l’usage français, mais conformément à l’usage
allemand et anglais, je demande la permission d ’employer très libéralement
les majuscules, pour manifester que certains termes ne sont pas à prendre
dans un sens banal, mais q u ’ils sont riches de toute une théologie, qui les
personnifie en quelque sorte. Ainsi je dirai « le royaume de David », mais
« le Royaume de Dieu ».
4) Les futurs recenseurs de cet ouvrage me feraient plaisir s’ils avaient
la gentillesse de préciser clairement dans leur recension s’ils ont eu la patience
et le courage de le lire vraiment d ’un bout à l’autre. Je les en remercie par
avance.
PREMIÈRE PARTIE

Royauté, Règne
et Royaume de Dieu.
CHAPITRE I

Sens des Mots


La langue française possède trois substantifs dérivés du mot « roi » :
ce sont « royauté », « règne » et « royaume ».
« Royauté » désigne la dignité du roi ; c’est un terme abstrait qui exprime
l’ensemble de ce qui constitue un roi, qui le distingue de toute autre personne.
«R èg n e» désigne l’exercice du pouvoir royal, en incluant volontiers un
aspect temporel.
« Royaume » désigne les territoires ou les personnes sur lesquels le roi
exerce son autorité, et donc ce terme évoque souvent une connotation spatiale.
Ainsi pour nous la royauté est un droit ou un pouvoir purement subjectifs ;
quand elle se réalise effectivement elle constitue le règne ; alors elle agit sur
des pays ou des sujets qui forment le royaume. La royauté est subjective, le
royaume est objectif et le règne est le passage du subjectif à l ’objectif.
Toutes les langues ne sont pas aussi précises que le français et elles n ’aident
pas toujours à bien préciser et à bien formuler ces notions.
Le grec n ’a q u ’un seul terme «basileia», pour les exprimer toutes les
trois et donc il risque de provoquer des confusions entre l’une et l ’autre. De
même le latin, qui n ’a que «regnum ». L ’allemand et l ’anglais emploient
surtout « Reich » et « kingdom », qui signifient surtout « royaume », bien
q u ’ils puissent à l ’occasion recourir à « Kônigswürde » et « Kônigsherrschaft »
ou bien à « kingship » et « reign ».
A cause de cette situation linguistique, les auteurs qui parlent grec ou
latin (donc presque tous les Pères de l ’Eglise) ont tendance à confondre ces
trois notions, et ceux qui parlent allemand ou anglais (donc beaucoup de
théologiens modernes) ont plutôt tendance à les absorber dans la notion de
« royaume », en étouffant plus ou moins la « royauté » et le « règne » ’.

1. D ’ailleurs, m êm e chez les exégètes allem ands o u anglais, plusieurs ont reconnu
explicitem ent les déficiences de la form ule habituelle. E n 1927, J. W a r s c h a u e r écrivait :
« W hat we tran slate « the K ingdom o f G o d » m eans thus. ra th e r H is « kingschip », His
« reign », ra th e r th an H is « rcalm » » (citation p a r K .L. S c h m id t, article B asileia, p. 580,
n o te 68). E t plus récem m ent R. S c h n a c k e n b u r o intitu lait son étude « G o ttes H errschaft
u n d R eich » ( = R ègne et R oyaum e de D ieu) et la teniiinait p a r une « note su r la fixation
d u langage théologique » (p. 293-296). D e m êm e W . D anthm e, citant J. H e c k e l « Im Irrgarten
d e r Z w ei-Reiche-Lehre » p. 6-7, reconnaît (p. 200) q u ’il faudrait distinguer entre « K ônigs­
w ürde », « K ônigsregim ent » et « K ônigsvolk ». Les Français, qui pourraient facilem ent
distinguer ces trois sens, ne le font pas toujours, ainsi L oisy (Livres du N .T . traduits...)
emploie presque partout « royaume » et B o n sirv e n ad o p te presque invariablement « règne ».
14 SENS DES MOTS

L ’araméen biblique, comme le grec et le latin, n ’utilise en fait que


« m alk o u » ou « m alk o u t» . Mais l ’hébreu, lui, emploie couramment trois
termes, comme le français : « meloukâh », « m alkout » et « m amiâkâh ».
Une étude théologique doit commencer par préciser leur sens exact^.

A) Dans l’Ancien Testament

1) Meloukâh. Grammaticalement, c’est un dérivé normal, de type


« qatoul », mais avec une finale féminine qui en souligne le caractère abstrait,
tout comme « em o u n âh» ( = fidélité), « g ebourâh» ( = force), « y esh o u 'âh »
( = s a l u t ) P a r lui-même ce terme correspond tout à fait à «roy au té» ,
« Kônigswürde » ou « kingship ». En fait il a p p a ra t 24 fois dans l’Ancien
Testament, surtout dans les livres de Samuel et des Rois (comme il est naturel),
mais aussi en Isaïe (34,12 et 62,3), Ezéchiel (16,13 et 17,13), Abdias 1,21
( = Psaume 22,29) ; on ne le trouve q u ’une seule fois dans les Chroniques
(1®' livre 10,14) et en Daniel (1,3) car ces ouvrages préfèrent « m alkout».
Sept cas doivent être éliminés, car alors ce substantif est employé avec
une valeur adjectivale, selon une tournure hébraïque courante : ville royale
(2 Samuel 12,26), trône royal (1 Rois 1,46), tiare royale (Isaïe 62,3) et race
royale (2 Rois 25,25 ; Jérémie 41,1 ; Ezéchiel 17,13 ; Daniel 1,3).
Sur les 17 autres cas on rencontre 1 fois le sens de « royaume »^, 4 fois celui
de « règne » ’ et 2 fois on peut hésiter entre la « royauté » subjective et l’exercice
de cette royauté, c ’est-à-dire le « règne»* ; dans les 10 autres cas le sens de
« ro y a u té » est confirmé par le contexte’ , surtout en 1 Rois 2,15, où il s’agit
de Salomon, qui n ’a pas encore commencé son règne, et d ’Adonias, qui ne
régnera jamais, et en Ezéchiel 16,13, où il s’agit de la « ro y a u té » esthétique
d ’une reine de beauté.
2) Malkout. L’afformante « out » est en hébreu caractéristique des noms
abstraits, comme dans « jeunesse », « servitude », « orgueil » (voir J o ü o n ,
p. 211). Ce terme, que nous retrouverons en araméen, est surtout employé
dans les ouvrages les plus récents de l’Ancien Testament : 1 fois en Qohélét,
25 fois en Esther, 6 fois en Esdras, 2 fois en Néhémie, 28 fois dans les
Chroniques et 14 fois en Daniel ; mais on le trouve aussi en Nombres 24,7 ;
1 Samuel 20,31 ; 1 Rois 2,12 ; Jérémie 10,7 ; 49,34 ; 52,31 et dans les Psaumes
(qui sont peut-être récents, eux aussi) 45,7 ; 103,19 ; 145,11.12.13 (deux fois).

2. U ne telle étude philologique, littéraire et théologique a déjà été présentée par plusieurs
auteurs, com m e D a l m a n (p. 75-119), D ie c k m a n n (p. 23-60), K i;h n (p. 563-573), K.L. S c h m id t
(Basileia..., p. 573-592), B o n s ir v e n (p. 11-25), S c h n a c k e n b u r g (p. 11-62), C o p p e n s (p. 87)...
S. A a l e n proteste contre ceux qui voudraient élitniner la notion de Royaume et ne g a rd e r
qu8 celle de Règne (p. 215-232).
3. Voir la G ram m aire de l ’Hébreu Biblique de P. JoüoN, p. 196-197.
4. En I Rois 12,21, et alors le texte parallèle de II Chroniques 11,1 remplace « meloukâh »
par « mam iâkâh ».
5. I Rois 21,7 ; I Chroniques 10,14 et sans doute Abdias 1,21 = Psaume 22,29.
6. I Samuel 14,47; I Rois 11,35 (en opposition avec mamiâkâh au verset précédent).
7. I Samuel 10,16; 10,25; 11,14; 18,8; II Samuel 16,8; I Rois 2,15 (2 fois); 2,22;
Isaïe 34,12; Ezechiel 16,13.
DANS l ’a n c ie n TESTAMENT 15

Bien entendu, ce substantif peut, lui aussi, avoir une valeur adjectivale
et signifier simplement « ro y al» . Ainsi Psaumes 4 5,7; Esther 1,2.9.11.19;
2,16.17 ; 5,1 (trois fois, la première en suppléant le mot « vêtem ents», comme
font la Septante et la Peshitto) ; 6,8 ; 8,15 ; 1 Chroniques 22,10 ; 28,5 ; 2
Chroniques 1,18 ; 2,11 ; 7,18.
En tenant compte de Ben Sira®, on totalise 90 emplois de ce terme dans
l’Ancien Testament.
Dès lors on remarque que c’est toujours (sauf en Jérémie 27,1 ; 28,1) ce
terme qui est employé pour les dates : « sous le règne de... »® ; de même
il apparaît normalement quand on parle de la gloire d ’un r è g n e o u quand on
évoque une durée
Mais on trouve aussi quelques cas où le sens est nettement celui de la
« royauté on constate surtout que malkout prend assez souvent le
sens de « royaume », d ’abord en Daniel 8,22, le seul endroit où ce terme soit
employé au pluriel (« les 4 royaum es»), puis lorsque l ’on précise « le royaume
des Chaldéens... des Perses..., etc. ou «les provinces du royaume»*'^,
ou lorsqu’on introduit une notion spatiale « dans tout le royaume » ‘ ; en
particulier ce sens est manifesté dans la formule « la moitié de mon royaume ®
(qui se retrouvera en Marc 6,23).
Comme nous le verrons ci-dessous, cette évolution du sens provient
d ’une influence araméenne. Malgré cela la signification de « règne » reste
assez fréquente pour q u ’on y reconnaisse le sens normal de malkout.
3) Mamlâkâh. La performante « m » est en hébreu caractéristique des
noms de lieu (voir J o ü o n , p . 203) et donc ce terme indique par lui-même le
lieu sur lequel règne un roi, donc son « royaume ». Comme il y a sur terre de
nombreux royaumes, ce terme a souvent l ’occasion d ’être au pluriel (58 fois),
alors que « meloukâh » ne l’est jamais et que « m alkout» ne l’est q u ’une fois
(Daniel 8,22). Soit au singulier (67 fois, plus 3 fois en Ben Sira) soit au pluriel,
ce terme est réparti dans presque tous les livres de l’Ancien Testament, sauf
Esther, Esdras-Néhémie et Daniel, qui abusent de malkout. Sans parler des
emplois à valeur adjectivale^^, le sens de « royaum e» est très fréquent, même
au singulier, bien q u ’on relève quelques endroits où le contexte suggère plutôt
« royauté » ‘ ®ou « règne » ‘

8. G râce à la Concordance de B a r t h é l é m y - R i c k e n b a c h e r .
9. Jérémie 49,34; 52,31 (le passage parallèle, II Rois 25,27, emploie l’infinitif du verbe
mâlak, « régner ») Esther 2,16 ; Daniel 1,1 ; 2,1 ; Esdras 4,5 ; 4,6 (2 fois) ; 7,1 ; 8,1 ; Néhémie
12,22; I Chroniques 26,31 ; II Chroniques 3,2; 15,10; 15,19; 16,1 ; 16,12; 35,19.
10. N ombres 24,7; Psaumes 145,11.12; Esther 1,4; I Chroniques 29,25; Daniel 11,21.
11. Psaumes 145,13 (2 fois); I Chroniques 11,10; 29,30; II Chroniques 20,30; 33,13
26,20 ; Néhémie 9,35 ; Daniel 8,23.
12. Esther 1,19 (fin du verset); 4,14; Qohélet 4,14; I Chroniques 12,24.
13. Daniel 9,1; 10,13; 11,2; 11,9; II Chroniques 11,17.
14. Esther 2,3 ; 3,8 ; 9,30.
15. Esther 1,20; 3,6; Daniel 1,20; 11,17; Esdras 1,1; I Chroniques 17,14; II C hro­
niques 36,22.
16. Esther 5,3 ; 5,6 ; 7,2.
17. Deutéronome 17,18; 1 Samuel 27.5; II Samuel 7,13; I Rois 9,5; II Rois 11,1 ;
Amos 7,13 ; Il C h roniques22,10; 23,20; Ben Sira 47,11.
18. Isaïe 17,3 ; Michée 4,8 (2 fois); Ben Sira 46.13.
19. I Samuel 13,13 et 14 ; 28,17 ; Il Samuel 3,10 ; 5,12 ; I Rois 2,46 ; II Rois 14,5 ; 15,19 ;
I Chroniques 29,11 ; U Chroniques 13,5; 13,8; 17,5; 21.3; 22,9 ; 25,3 ; Ben Sira 10,8.
16 SENS DES MOTS

4) Résumons cette enquête ; a) Quand le sens reste purement adjectival,


on peut employer indifféremment comme complément d ’un autre nom, soit
« meloukâh », soit « malkout », soit « mamlâkâh ». b) La notion de « royauté »
est plutôt exprimée par « meloukâh ». c) La notion de « règne », avec connota­
tion temporelle, est généralement rendue par « malkout ». d) La notion de
« royaume », avec connotation spatiale, correspond très souvent à
« m am lâkâh». e) Mais à partir d ’Esther et des Chroniques une forte influence
araméenne tend à exprimer les trois notions indistinctement par « malkout ».
5) Araméen. Plus pauvre que l ’hébreu, sur ce point, l ’araméen biblique
ne possède que « malkou » et « malkout », qui ont pratiquement le même
sens, pour désigner à la fois la « royauté », le « règne » et le « royaume ».
« Malkou », employé 8 fois par Daniel, a 1 fois une simple valeur adjec­
tivale (4,27 = maison royale) 1 fois le sens de « ro y a u té » (7,14) et 6 fois
celui de « royaum e»^”.
« M alkout » est employé 4 fois par Esdras et 45 fois par Daniel. Le sens de
« ro y a u té » est 15 fois assez clair^^ ; le sens de «règ n e» est aussi employé
14 fois^^, dont 4 fois pour dater un événement sous le « règne» de tel ou tel
roi^^ ; ailleurs (18 fois) s’impose le sens de « royaume»^"^, en particulier
3 fois où est employé le pluriel^
En outre dans 2 cas ce terme figure comme complément d ’un nom avec
une simple valeur adjectivale^®.
En somme l’araméen « m alkou» ou « m alkout» regroupe dans l’Ancien
Testament à peu près à égalité les trois sens de « royauté », « règne » et
« royaume ».

B) A Qurarân

Les gens de Qumrân, qui vivaient dans un régime à la fois théocratique et


démocratique, avaient peu l’occasion de parler de « ro y au té» , de «règ n e»
ou de « royaume ». Mais ces trois termes existent pourtant chez eux.
1) Meloukâh. Ce terme est employé par la Règle de la Guerre VI, 6^’,
dans une citation d ’Abdias 1,21 ( = Psaume 22,29) où il signifie bien « règne»,
puisqu’il s’agit des prouesses que Dieu réalisera par « les saints de son peuple ».
Dans le même ouvrage la même citation était reprise en X II,16 et XIX,8,
malheureusement le mot « meloukâh » est disparu dans une lacune, en totalité
la première fois et en partie la seconde fois ; alors on peut se demander si

20. Daniel 2,39 (2 fois).40.41.44 ; 7,23.


21. Daniel 2,37.44 ; 4,14.22.28.29 ; 5,18.21 ; 6,1.27 ; 7,14.18 (2 fois).22.27.
22. Esdras 7,23 ; Daniel 3,33 (2 fois) ; 4,23.31.33 (2 fois) ; 5.26 ; 7,27 (2 fois).
23. Esdras 4,24 ; 6,15 ; Daniel 6,29 (2 fois).
24. Esdras 7,13; Daniel 2,42; 4,15; 5,7.11.16.26.28.29; 6,2 (2 fois).4.5.8 ; 7,24.
25. Daniel 2,44 ; 7,23.27.
26. Daniel 4.26 ; 5,20.
27. Que les spécialistes de Q um rân veuillent bien rae pardonner de ne pas désigner les
ouvrages qumràniens par leurs sigles techniques; ce n ’est pas que j'ignore ces sigles,c ’est
que je crains q u ’il existe encore sur terre des non-spccialistes de Qumrân.
A QUMRÂN 17

l ’auteur qumrânien lui donnait le sens de « royauté » ou celui de « règne »,


car il distingue la «m eloukâh» de Dieu et la « m alk o u t» d ’IsraëP*. On
retrouve «m eloukâh» en 1 Q 25 ( = 1“ grotte de Qumrân, document n° 25)
fragment 5, ligne 6, mais l'absence de tout contexte empêche d ’en préciser
le sens.
2) Malkout. C ’est de beaucoup le terme le plus employé : 13 fois^®.
Les déchirures des manuscrits nous privent deux fois du contexte et ne nous
permettent pas de déterminer la signification exacte : dans les Hymnes,
fragment 11, ligne 5 et en IV Q 172 (4' grotte de Qumrân, document n “ 172),
fragment 3, ligne 2. Deux autres fois le sens est purement adjectival ; Recueil des
Bénédictions, col. IV, ligne 26 : « palais royal » ; Rouleau du Temple,
LIX, 17 : « trône royal».
Une fois le sens de « royauté » est plus naturel : Règle de la Guerre XII,7.
On peut hésiter entre « royauté » et « règne » dans le Recueil des Bénédictions
111,5 et V,21, dans les Bénédictions Patriarcales 1, 2 et 4, et dans la Règle
des Chants pour l ’Holocauste du Sabbat, document A, ligne 25. Mais le sens
est clairement celui de « règ n e» dans la Règle de la Guerre XIX,8 (à côté
de meloukâh) et dans le Péshér de Nahun IV,3^°.
Une fois seulement malkoût est pris au sens de « royaume » : Rouleau du
Temple LIX,21 : « Il prolongera des jours nombreux sur son royaume, lui et
ses fils après lui », car l’emploi de la préposition « sur » exclut le sens de
« règne ».
3) Mamlâkâh. Ce terme apparaît 5 fois à Qumrân. Une fois la perte du
contexte rend la signification imprécise ; VI Q 9 ( = 6 ' grotte de Qumrân,
document n° 9), fragment 57, ligne 1. Une fois le sens est adjectival : Rouleau
du Temple LVI,20 : « son trône royal » ^ ‘. Deux fois ce terme est au pluriel,
ce qui n ’est guère possible q u ’au sens de «royaum e» : Hymnes VI,7 « la
clameur des royaumes» et IV Q 176 ( = 4 ' grotte de Qumrân, document n"
176), fragments 1-2, col. I, ligne 2 ; « plaide avec les royaumes». La 5 ' fois
mamlâkâh, au singulier, se trouve après une lacune, mais la suite postule
aussi le sens de « royaum e» ; IV Q 160 ( = 4 ' grotte de Qumrân, document
n° 160), fragments 3-4, col. II, ligne 5 : « ... royaume et tous les peuples de
tes territoires sauront (ou : ont su)... ».
4. Araméen. M alkout se présente 6 fois dans les textes araméens de
Qumrân.
Un fragment sans contexte emploie ce terme deux fois de suite ; Testa­
ment de Lévi, I Q 21 (1 " grotte de Qumrân, document n° 21), fragment 1,
ligne 2 : « la royauté (ou : le règne, ou : le royaume) du grand sacerdoce

28. En X n ,]6 le règne étemel d ’Israël est désigné par l'infinitif « melôk », mais en
X IX ,8 on a clairement le substantif « malkout ».
29. Bien entendu, on ne tient pas compte ici de la Règle de la Guerre X II, 15 et X IX,7
ni de I Q 33, fragment 2, ligne 2, car alors les consonnes m l k \v t doivent être vocalisées
« melâkôt » : « les reines ».
30. Je me suis donc trompé en traduisant par « sa royauté » dans les textes de Q umrân,
vol. II, p. 92. J ’aurais dû traduire par « son règne ».
31. Ainsi le même document, pour dire « trône royal » emploie une fois « malkout »
(en L IX ,17) et une fois « mamlâkâh » (en LVI.20).
18 SENS DES MOTS

(ou la grande royauté du sacerdoce) hors de (ou : plus que) la royauté (ou :
le règne, ou : le royaume)... ». Une fois le sens n ’est q u ’adjectival : IV Q
( = 4 * grotte de Qumrân), Hénoch, livre des Géants, manuscrit g, fragment 4,
ligne 18 : « le temple royal Une autre fois le sens de « règne » paraît
le plus probable ; IV Q Hénoch, livre des Géants, manuscrit a, fragment 9,
ligne 6 ; « le règne de ta grandeur Deux fois enfin le sens de « royaum e»
est imposé par un contexte où il s’agit de quatre « royaumes » : Pseudo-
Daniel^^, manuscrit a, fragment D, lignes 3 et 4 ; « ... puissants et le
royaume des peu [pies...] », «ceci est le pre[mier] royaum e».

C) Dans la Mishnâh

La Mishnâh, compilée aux environs de l’année 200 de l ’ère chrétienne


par Rabbi Y e h o u d â h h a n - N â s î , reproduit une foule d ’antiques traditions,
qui peuvent remonter jusqu’à Jésus, ou même plus haut. Elle est donc un bon
témoin pour apprécier l ’état du judaïsme officiel tout au début de l’ère
chrétienne.
Elle n ’emploie jam ais meloukâh ni mamlâkâh et elle se contente de
malkout, qui est employé 17 fois^*, dont 2 fois dans la formule malkout
shâmayîm.
En 3 occasions le sens est nettement celui de royauté car on met en
parallèle la loi, le sacerdoce et la royauté (Abôt IV, 13 et VI,6 (2 fois)).
Quatre fois (Gittîn V III,5 (3 fois) et Sanhédrin VII,3) le sens de
« royaume » a évolué jusqu’à signifier « le pays où l ’on se trouve », n ’importe
quelle région ou contrée dont on adopte les us et coutumes ; c ’est sans doute
aussi le sens d ’Abôt 111,2, où l ’on demande de prier pour la prospérité du
« royaume » ou du « pays ».
Les 9 autres fois supposent plutôt la notion de « règne » : Berâkôt 11,2 ;
Rabbi Y e h ô s h u a ' be n Q o r h a h (vers 150 après J.-C.) parle de « recevoir sur
soi le joug du Règne des Cieux ( = de D ieu)» ; Berâkôt 11,5 : Rabban
G a m a l ie l , celui qui intervint en faveur des Apôtres (Actes 5,34) et qui eut
parmi ses disciples le futur Saint Paul (Actes 22,3), proteste q u ’il ne voudrait
pas abolir même «p endant une heure le Règne des Cieux ( = de D ieu)» ;
Yômâ 111,8 ; IV, 1 et 2 ; VI,2 répète 4 fois cette formule de la liturgie de la
fête des Expiations (donc antérieure à 70 après J.-C.) « béni soit le nom glo­
rieux de son Règne ( = de Dieu) pour toujours et toujours» ; Sanhédrin X,2
mentionne à deux reprises le cas du roi Manassé, déporté à Babylone puis
renvoyé à Jérusalem pour reprendre « son règne » ; Abôt VI,6 ; le règne (ou
la royauté ?) s’acquiert par 30 qualifications.
Sans qu’il soit besoin de faire une plus longue enquête dans la littérature
juive postérieure^*, ces textes, qui sont écrits en hébreu et non pas en araméen.

32. p . 266 dans l ’édition de J,T. M iu K .


33. P. 316 dans l’édition de J.T. M ilik .
34. Edité par J.T. M i l i k : Prière de Nabonide, p. 413.
35. Sans parler de 5 cas où c ’est le nom de l’une des 10 bénédictions.
36. On en trouvera un résumé dans D a lm a n p. 75-83, dans S t r a c k - B i l l e r b e c k , vol. I,
p. 172-180 ou dans B o n s [r v e n p. 19-25.
DANS l ’Év a n g il e d e Ma t t h ie u 19

nous m ontrent à l ’évidence que malkout, en éliminant meloukâh et mamlâkâh,


en a pris la signification et q u ’il peut signifier, selon le contexte, « royauté »,
« règne » ou « royaume ». On rem arquera surtout la formule m alkout shâmayîm,
employée deux fois, dont l’une par un contemporain de Jésus^^, au sens de
« Règne des Cieux», pour désigner une réalité déjà présente^®. C ’est la même
formule que nous retrouverons 33 fois dans l’Evangile de St. Matthieu.

D) Dans l’Evangile de Matthieu

Commençons par dissiper une confusion. Lorsque nous rencontrons la


formule « Royaume des Cieux », nous comprenons spontanément « Royaume
qui est aux Cieux, qui est réalisé dans les Cieux ». Mais c’est là une erreur,
provoquée par une traduction trop servile, comme le reconnaissent bien des
auteurs, par exemple T. F ilthaut, p. 14-15. Pour un palestinien du temps de
Jésus « Royaume des Cieux » signifie en réalité « Royaume de Dieu ». Car
c’est un fait bien connu que les Juifs, depuis plusieurs siècles avant l ’ère chré­
tienne, évitaient le plus possible de prononcer le nom de Dieu et le remplaçaient
par divers équivalents, dont le mot « Cieux » (qui n’est jamais employé au
singulier, ni en hébreu ni en araméen).
Cette substitution apparaît déjà en Daniel 4,23 : « tu sauras que le maître
est les Cieux (= Dieu)», et la traduction grecque de la Septante remplace
« Dieu» par « le Ciel» en Isaïe 14,13^® et en Job 22,26.
Dans les livres des Maccabées cette substitution est manifeste une dou­
zaine de fois : dans le premier livre (qui a été rédigé en hébreu) 3,18 : « il n ’y
a pas de différence devant le Ciel (= Dieu) de sauver en beaucoup ou en peu » ;
3,19 : « (la victoire est obtenue par) la force qui vient du Ciel (= de Dieu),
ainsi il (= Dieu) agira» ; de même en 4,10.24.55 ; 12,15 ; 16,3 ; dans le
second livre (qui a été rédigé en grec) 3,15.34 ; 7,11 ; 8,20 ; 9,4. Dans
l’Evangile, on relève la formule de Luc 15,18 et 21 « j ’ai péché envers le Ciel
( = Dieu) et envers toi ». Bien d ’autres exemples apparaissent dans la Mishnâh,
qui sont énumérés par E. Schürer, par E. L andau et par G. D alman (p.
178-180). En particulier l’expression malkout shâmayîm“° « Royaume des
Cieux», ou son équivalent araméen malkoutâ’ dishemayyâ’, est longuement
étudiée par D alman (p. 75-119) et par Strack-Billerbeck (vol. I, p. 172-184)
et ils concluent qu’elle signifie purement et simplement « Royaume de Dieu».

37. A partir de 100 après J.-C., on a commencé à remplacer le nom de Dieu non plus
par « les cieux », mais par ham m âqôm « le lieu ».
38. Aussi l ’on se demande sur quoi s ’appuie K .G . K u h n pour affirm er: « malkût
shâmayîm est donc... dans la théologie du judaïsme tardif un concept purement eschatologique,
au sens strict du mot » (p. 572).
39. Malheureusement l’édition de Z i e g l e r ne respecte pas le témoignage des manuscrits.
40. Bien que, dans l ’hébreu de Q umrân, l’article soit parfois omLs devant le mot « cieux »,
on dirait plutôt malkout hashshàmayîm. L ’absence d ’article, en hébreu rabbinique, montre
que shâmayîm y est considéré comme un nom propre.
20 SENS DES MOTS

En ce qui concerne les Evangiles la comparaison des trois Synoptiqties


montre que M atthieu emploie « Royaume des Cieux » là où M arc et Luc
emploient « Royaume de Dieu » :
M atth 4,17 = M arc 1,15
M atth 5,3 = Luc 6,20
M atth 8,11 = Luc 13,28-29
M atth 10,7 = Luc 9,2
M atth 11,11 = Luc 7,28
M atth 13,11 = M arc 4,11 = Luc 8,10
M atth 13,31 = M arc 4,30 = Luc 13,18
M atth 13,33 = Luc 13,20
M atth 19,14 = M arc 10,14 = Luc 18,16
M atth 19,23 = Marc 10,23 = Luc 18,24.
Et donc, quelles que soient les hypothèses présentées pour résoudre le
problème synoptique, il est clair que Marc et Luc comprennent « Royaume
de Dieu » là où M atthieu écrit « Royaume des Cieux ». D'ailleurs Matthieu
lui-même, comme s’il avait parfois oublié son habituelle transposition, utilise
à trois reprises la formule « Royaume de D ieu» : en 21,43, où nous n ’avons
pas de parallèle synoptique, en 12,28, où il rejoint Luc 11,20, en 19,24 où il
rejoint Marc 10,24 et Luc 18,25“^^ ; en outre en 26,29 Jésus dit « d an s le
Royaume de mon Père» alors qu’en M arc 14,25 il dit « dans le Royaume de
Dieu ».
Cette équivalence entre « Royaume des Cieux » et « Royaume de Dieu »
est tellement certaine qu’elle n ’est contestée par personne.
K uhn (p. 570) et T raub (p. 512) s’accordent pour déclarer que le décalque
servile de M atthieu correspond exactement à la traduction plus idiomatique
de M arc et de Luc. Cependant, la force des mots est si grande que bien des
lecteurs modernes risquent d'être influencés dans leur compréhension de ce
« Royaume des Cieux » et d ’imaginer plus ou moins qu’il est un royaume
à localiser dans les cieux. Pour essayer de conjurer une telle méprise, le seul
moyen est de rappeler chaque fois ; « des Cieux» = « de D ieu » “^^.


* *

Malgré son aridité technique, cette étude de vocabulaire nous apporte


des renseignements précieux.
En hébreu, l ’idée de « royauté » est plutôt exprimée par « meloukâh »,
celle de « règne » plutôt par « malkout », celle de « royaume » plutôt par
« mamlâkâh » et ces trois termes vivent encore dans l’hébreu de Qumrân.

41. Ce cas est d ’autant plus curieux q u ’au verset précédent M atthieu s ’écartait de M ate
et de Luc en parlant du « Royaume des Cieux ».
42. En hébreu, cette idée de localisation ne s’exprimerait pas par malkout hashshâ-
m ayîm ; « le Royaume des Cieux », mais par hanijualkout ’ashèr bashshâmayîm : « le
Royaume qui (est) dans les Cieux », comme on dit « notre Père qui (es) dans les Cieux » pour
signifier « notre Père des Cieux » ; voir à ce sujet J. C armionac (Recherches..., p. 72-74).
RÉCAPITULATION 21

Mais SOUS l ’influence de l’araméen, qui ne possède que « m alk o u t» , on est


de plus en plus enclin à grouper ces trois notions sous le seul terme de
« m alkout » : cette tendance, qui commence à se manifester dans les derniers
livres de l’Ancien Testament, se développe dans l’hébreu de Qumrân et elle
triomphe dans l’hébreu de la Mishnâh, qui a complètement éliminé les
deux autres termes.
Puisque Jésus parlait araméen, il n ’a sans doute employé que « malkout »
dans le langage courant.
Mais, comme tous les Juifs, il priait en hébreu et il devait lire la Sainte
Ecriture dans le texte hébreu plutôt que dans une traduction araméenne'^^.
Si les Evangiles primitifs ou les documents qu’ils reproduisent, étaient
en araméen, ils devaient aussi se contenter de « m alk o u t» pour rendre les
trois idées différentes de « ro y au té» , de « règ n e» et de «royaum e».
Mais les découvertes de Qumrân et de M urabba'ât prouvent q u ’au temps
de Jésus et des Evangiles l’hébreu était encore très connu et très employé,
même dans la correspondance privée, et donc rien n ’empêche que les récits
composés par les témoins de la vie de Jésus et par les premiers Evangélistes
aient été bel et bien en hébreu"^'^, la langue sacrée, où la distinction entre les
trois notions est facilitée par la plus grande précision du vocabulaire.
Nous sommes donc invités à ne pas traduire mécaniquement le grec
« basileia » par « royauté », par « règne » ou par « royaume », mais à
choisir chaque fois le terme qui correspond le mieux à la pensée réelle de
l ’auteur, même si l’araméen, aussi pauvre que le grec sur ce point, ne lui facili­
tait pas cette distinction, mieux perçue en hébreu ou en français.
L ’étude des termes apparentés à «basileia», c ’est-à-dire «basileus»
( = roi) et basileuein» ( = être roi), confirme les mêmes résultats. Le nom
« basileus » quand il s’applique à Dieu ou à Jésus, désigne tour à tour
«celui qui a la royauté» (par exemple M atthieu 2,2 ou 21,5), «celui qui
exerce le pouvoir » et donc « qui règne » (par exemple M atthieu 25,34 ou
« celui qui gouverne un royaume » (par exemple Matthieu 5,35 ou 27,42).
Le verbe « basileuein», quand il s’applique à Dieu ou à Jésus, signifie
généralement «exercer le pouvoir royal», c ’est-à-dire «rég n er» (Luc 1,33 ;
I Cor 15,25 ; I Timothée 6,15 ; Apocalypse II, 15.17 et 19,6).
Chez F l a v iu s J o s è p h e le terme « basileia » exprime exactement les mêmes
significations que dans le Nouveau Testament : sur les 6 premières références
fournies par la concordance de R e n g s t o r f , 2 signifient « royauté » (Guerre
1,19 et 74), 2 signifient « règne » (Guerre 1,70 et 12) et 2 signifient « royaume »
(Guerre 1,40 et 90).

43. he Targum de Job, trouvé à Q umrân, montre pourtant que les traductions
araméennes pouvaient déjà exister au temps de Jésus.
44. De même, dans le Midi de la France, bien des gens parlent entre eux en provençal,
en languedocien ou en catalan ; mais ils savent aussi le français et ils l’emploient souvent
quand Ils écrivent. Or la différence qui existe entre l ’hébreu et l’araméen est à peu près la
même q u ’entre les langues du Midi de la France et le français « officiel ».
22 SENS DES MOTS

Le sens des mots étant ainsi bien précisé"^’, nous pouvons passer en
revue tous les textes qui parlent de la « basileia » en rapport avec Dieu ou
avec Jésus. Certes d ’autres textes peuvent aussi contenir cette notion sans
employer ce terme. Mais puisque cette notion n ’est pas alors indiquée par
un vocable précis, elle ne peut être reconnue que par comparaison avec les
textes explicites. Donc, en bonne logique, il faut d ’abord étudier ces textes
explicites, pour en dégager le sens avec précision (ce que j ’essaie de faire),
et seulement ensuite on pourra détecter, avec plus ou moins de certitude, les
formulations équivalentes. Mais alors interviendront des appréciations sub­
jectives, qui rendront les conclusions plus ou moins hypothétiques. C ’est
pourquoi je n ’ose m ’appuyer ici sur les textes qui s’appliquent peut-être à
la basileia, mais qui ne la mentionnent pas de façon incontestable.

45. Ce besoin de précision est bien exprimé par L. B o u y e r : « La juste relation (entre
le Royaume et l’Eglise) n ’est pas facile à définir. On peut douter d ’y parvenir jam ais aussi
longtemps q u ’on s’en tient à la traduction, si consacrée q u ’elle soit par l ’usage, de basileia
par « Royaume » ... Les protestants, sur ce point, ne paraissent pas avoir été plus effleurés
par le doute que les catholiques ; « Royaume » se trouve aussi bien chez O l i v é t a n et ses
successeurs que chez L e m a î tr e d e S a c y . Et ce qui vaut des traductions françaises vaut
également de toutes les autres. L u t h e r , comme les traductions médiévales qui l’avaient
précédé, parle de « Reich ». Pareillement le protestant T y n d a l e , la catholique Rheims
Version ou la Bible du roi James s’accordent sur « Kingdom » (p. 296-297).
CHAPITRE II

Dans l’Évangile de Marc


Sans entrer dans les discussions qui concernent la date de chaque livre du
Nouveau Testament, nous allons les interroger selon leur genre littéraire^
en donnant donc la priorité aux Evangiles, puis en consultant un autre ouvrage
historique, les Actes des Apôtres, enfin en interrogeant les Epîtres, puis cet
ouvrage hors série q u ’est l ’Apocalypse.
Dans les Evangiles nous adopterons sans discuter la position la plus
courante chez les exégètes contemporains : M arc serait le premier récit
conservé embrassant toute la vie de Jésus ; il aurait été enrichi par l’insertion
d ’une source que les Allemands nomment « Quelle » ; ce M arc complété
serait à la base des Evangiles de Matthieu et de L uc^ De toute façon l ’Evan­
gile de Jean est le dernier en date^.
Mais ce classement n ’a q u ’une importance secondaire et ceux qui présen­
tent d ’autres hypothèses sur la formation des Evangiles constateront que
notre enquête aboutirait au même résultat si l’on suivait leurs options
personnelles.
Bien entendu, chaque passage de M arc sera étudié avec les parallèles de
M atthieu et de Luc, quand ils existent. Comme nous n ’avons pas de m otif
de perturber l ’ordre choisi par M arc pour en adopter un différent, parcourons
ces textes l ’un après l ’autre, comme ils se présentent, pour recueillir les
informations fournies par chacun.

1) M a r c 1,14-15
M arc, aussitôt après le Baptême de Jésus (1,9-11) et la Tentation au
Désert (1,12-13) donne un bref résumé de la première prédication de Jésus

1. Certains passages de la Source Commune sont insérés chez M atthieu et chez Luc
dans la même séquence venant de Marc ; on est donc amené à conclure q u ’ils ont été i ^ r é s
non pas directement par Matthieu et par Luc (qui les auraient alors insérés chacun d ’après
ses tendances penonnelles) mais par un naême rédacteur, intermédiaire entre Marc d ’une
part et M atthieu-Luc d ’autre part ; voilà pourquoi on suppose l ’existence d ’une compilation,
aujourd’hui perdue, qui aurait combiné Marc et la Source Commune et dont se seraient
servis M atthieu et Luc. Mais cette hypothèse n ’est pas essentielle à notre démonstration.
2. Sur la date du quatrièm e Evangile J.A .T. R o b in s o n propose une hypothèse nouvelle,
mais ce problème de datation ne nous concerne pas ici.
24 DANS l ’Év a n g il e d b m a r c

(1,14-15) : « Jésus est venu en Galilée prêchant l ’Evangile^ de Dieu et disant :


« Le temps est accompli et le Règne de Dieu est devenu proche ! Convertissez-
vous et croyez à l’Evangile».
Matthieu 4,17 condense encore ce résumé : « Dès lors, Jésus a commencé
à prêcher et à dire : Convertissez-vous, car le Règne des Cieux ( = de Dieu)
est devenu proche ».
Peu auparavant, en 3,1-2, M atthieu avait déjà placé la même formule
dans la bouche de Jean-Baptiste : « Survient Jean-Baptiste prêchant dans le
désert de Judée (et) disant : Convertissez-vous, car le Règne des Cieux ( = de
Dieu) est devenu proche ».
Deux autres fois la même formule se trouve dans la Source Commune à
M atthieu et à Luc, d ’abord à propos de la première mission des Apôtres,
puis dans un commentaire de Jésus : a) Selon M atthieu 10,5-7 : « Jésus a
envoyé ces douze en leur recommandant : ... Prêchez en disant que le Règne
des Cieux ( = de Dieu) est devenu proche» et selon Luc 9,2 : (Jésus) a envoyé
(les douze) prêcher le Règne de Dieu et guérir», b) Selon Matthieu 12,28,
Jésus polémique ainsi à propos de la guérison d ’un possédé : « Si (c’est) dans
l ’Esprit de Dieu (que) moi j ’expulse les démons, donc le Règne de Dieu'^ est
parvenu sur vous » et Luc 11,20 reproduit un texte presque identique : « Si
(c’est) dans ( = par) le doigt de Dieu (que) j ’expulse les démons, donc le
Règne de Dieu est parvenu sur vous ».
Cette formule plaît tellement à Luc que trois autres fois il l’insère dans
des développements personnels : en 10,9 Jésus recommande aux soixante-
douze disciples^ : « Guérissez les malades (de cette ville) et dites-leur : Le
Règne de Dieu est devenu proche de vous » ; en 10,11 Jésus demande d ’avertir
ainsi ceux qui refuseraient d ’accueillir les disciples : « Mais sachez que le
Règne de Dieu est devenu proche» ; en 21,31, Luc juge opportun de corriger
une formule de Marc 13,29 et de M atthieu 24,33 : «Sachez que (l’été) est
proche, près de la porte » et il la remplace par : « Sachez que le Règne de
Dieu est proche ».
Cette formule de Marc, de la Source Commune à M atthieu et à Luc, de
M atthieu puis de Luc, qui revient neuf fois dans les trois Synoptiques, avec
de légères variantes®, représente certainement un thème essentiel de nos
Evangiles^. Mais quelle en est la portée exacte ? Veut-elle dire que le

3. Bien que de très nombreux manuscrits grecs portent en M arc 1,14 « prêchant l’Evangile
du Règne de Dieu », le mot Règne est considéré comme inauthentique par les éditions cri­
tiques de N e s t l e , M e r k et A l a n d . B.M. M e t z g e r (p. 74) justifie cette décision, parce que
ce mot a dû être ajouté par des copistes désireux d ’harmoniser ce verset sur le suivant.
4. Ici M atthieu ne remplace pas « Dieu » par « les Cieux ».
5. Les manuscrits hésitent entre soixante-dix et soixante-douze disciples ; voir
B .M . M b t z o e r , p. 150-151.
6. Plus en Luc 9,2, où la notion de proximité est omise.
7. Selon J. I* ry k e (p. 151-176) ce passage, ainsi que 4,11 ; ll,1 0 e t 15,43, aurait les carac­
téristiques du style « rédactionnel » de Marc, alors que les 8 autres mentions de la basileia
tou théou contenues dans cet évangile proviendraient d ’une tradition primitive. Cette distinc­
tion à l’intérieur du style de Marc attribue donc ces textes à deux origines différentes, dont
l’une antérieure à Marc. Ainsi ce n ’est pas seulement Marc, c’est aussi sa source (ou : ses
sources), qui nous attesterait et nous transm ettrait le témoignage de la toute première église
primitive. B.D. Chilton , après une longue étude sur la rédaction (p. 29-64) puis sur les
sources (p. 67-95) de Marc 1,14-15, reconnaît q u ’il y a de fortes raisons pour que les paroles
citées par M arc remontent bien à Jésus lui-même.
MARC 1,14-15 25

Règne de Dieu est déjà arrivé, comme le suggère l ’emploi du verbe êngikén
au parfait (six fois) ? Ou bien veut-elle dire seulement q u ’il est proche et q u ’il
va arriver, comme le suggère le choix d ’une racine signifiant « proche» (sept
fois) ? Une bataille exégétique s’est engagée sur ce point et une revue anglaise,
The Expository Times, est allée jusqu’à publier 8 articles, écrits par des
auteurs différents, pour exposer les multiples arguments de cette polémique.
D a l m a n en 1898, s’était contenté (p. 87 et 88) d ’une étude rapide, où
il traduisait êngikén par « nahe sein » ( = être proche) et éphthasén par « kom-
men » ( = venir). Mais en 1927, J o ü o n (excellent sémitisant et auteur d ’une
grammaire hébraïque très réputée) essayait de prouver q u ’en M arc 1,15, en
M atth 3,2 et 12,28 il fallait comprendre non pas « le Royaume de Dieu est
proche», mais « le Royaume de Dieu est arrivé»®. La même année 1927,
quelques mois auparavant, C.H. D o d d avait lui aussi proposé de traduire
êngikén par « has com e» ( = est arrivé) et il revenait sur cette question en
1930 et en 1935 (Parables..., p. 28-30). En 1935, R.H. L ig h t f o o t (p. 65 et
106-107) se ralliait à son point de vue. Mais D o d d était contredit, dans
The Expository Times de novembre 1936, par J.Y. C a m p b e l l et il répondait
dans la même revue le mois suivant. Tour à tour, J.M . C r e e d , en 1937,
Matthew B l a c k en juin 1952, W.R. H u t t o n en décembre 1952, M.A. S im p s o n
en 1953, P. S t a p l e s en 1959, plaidaient en faveur de D o d d ou de C a m p b e l l .
Bientôt la polémique sortait d ’Angleterre et atteignait le «C ontinent»
et l ’Amérique : alors la position de D o d d était généralement rejetée et le
sens de « est devenu proche » était maintenu par C .T . C r a ig (p. 19-20),
W .G. K ü m m e l (Naherwartung, p. 34-36), P. S t a p l e s (p. 87-88). D ’autres
auteurs restaient indécis : K .W . C l a r k (p. 367-383), R .F . B e r k e y (Journal...
p. 185-187) et E. R a s c o (p. 313-314).
T ant de bons arguments philologiques ont été présentés pour ou contre
la thèse de D o d d et de J o ü o n , q u ’il serait inutile de les exposer à nouveau.
La prudence et la sagesse conseillent de ne pas prendre parti et de ne fonder
aucune argumentation sur des textes aussi controversés.
D o d d résume fort bien la situation en disant : « M . C a m pb e l l prend
êngikén en son sens obvie et essaye d ’y conformer éphthasén, alors que moi
je prends éphthasén en son sens obvie et j ’essaie d ’y conformer êngikén»
(Expository Times... 1936, p. 138).

8. « En hébreu la racine q r b , qui exprime la notion de proximité, s’emploie aussi dans


des cas où, la proximité étant absolue, nous disons, non plus « il est proche », mais « il est
arrivé ». Ainsi dans I Rois 8,59 le sens est : « Que ces paroles suppliantes... soient présentes
(qerôbîm) à... notre D ie u » ;P s 119,169:«Q ue ma prière arrive jusqu’à to i» . Dans le premier
livre des Maccabécs (lequel est traduit de l’hébreu) on lit en 9,10 ; « ...Si notre heure est
arrivée ( êngihén o kairos êmôn), mourons courageusement pour nos frères ! » Le parfait
êngikén représente le parfait hébreu qârab q u ’on a dans Lam. 4,18 qârab qt$$ènu « notre fin
est arrivée ». Dans êngiké gar ê basileia ton ouranôn (M atth 3,2 ; etc.) le sens est bien
plutôt « le royaume des cieux est arrivé » que « le royaume des cieux est proche ». Dans
M atth 12,28 la même idée est exprimée par éphthasén « le royaume de Dieu est parvenu
à vous ». La Peshitto traduit ce verbe par qerbat qui a clairement ici le sens « est arrivé »
...D ans Marc 1,15 le sens « est arrivé » est confirmé par le parallélisme avec péplêrôtai :
« Le temps est accompli et le royaume de Dieu est arrivé ». Nous savons d ’ailleurs, par
M atth 11,12, que le royaume des cieux « depuis le temps de Jean le Baptiste est forcé » ;
c’est donc qu’il est déjà arrivé. Semblablement dans M atth 26,45-46 le sens est : « Voici que
l’heure est venue où le Fils de l’homme va être livré aux mains des pécheurs. Levez-vous!
Allons ! Voilà que celui qui me livre est arrivé... » ( J o ü o n , N otes philologiques..., p. 538-539).
26 DANS L’ÉVANGILE DE MARC

Contentons-nous donc de signaler ; a) Cette fonnule « le Règne ou le


Royaume de Dieu est devenu proche, ou est proche, ou est parvenu jusqu’à
vous» est considérée comme si im portante q u ’elle est répétée dans les trois
Evangiles Synoptiques : 1 fois en M arc 1,15 (suivi par M atthieu 4,17), 2 ou 3
fois dans la Source Commune (Luc 9,2+10,9 et M atthieu 10,7; Luc 11,20 et
M atthieu 12,28) ; 1 fois par M atthieu seul (3,2) ; 2 fois par Luc seul (10,11 et
21,31). b) Cette formule est tellement caractéristique de la prédication de
Jésus que M atthieu 3,2 l ’attribue également à Jean-Baptiste, comme pour
m ontrer que les deux prédications étaient en parfait accord, c) Même si cette
formule ne signifie pas que le Règne ou le Royaume de Dieu est déjà arrivé,
elle suppose au moins q u ’il ne tardera pas, puisque les auditeurs de Jésus (et
de Jean-Baptiste) sont invités à se convertir pour être en état de l’accueillir.
d) M arc 1,15, juste avant cette formule, dit explicitement : « Le temps est
accompli » (en grec péplêrôtai, au parfait), donc ce Règne ou ce Royaume de
Dieu doit se réaliser dans un proche avenir (s’il n ’est pas déjà réalisé).

2) A l l é g o r ie d e la S e m e n c e ( M a r c 4,3-11 et 13-20 = M a t t h ie u 13,3-11


et 18-23 = L uc 8,5-10 et 11-15)^
« Voici (que) le semeur est sorti semer. Et il est arrivé (que) dans le
semage une (semence) est tombée sur la route : les oiseaux sont venus et
l ’ont mangée ; une autre (semence) est tombée sur la pierraille, où il n ’y
avait pas beaucoup de terre : elle a levé aussitôt parce q u ’elle n ’avait pas
de profondeur de terre et, quand le soleil s’est levé‘ °, elle a été brûlée et, parce
q u ’elle n ’avait pas de racine, elle s’est desséchée ; une autre (semence) est
tombée dans les épines : les épines ont poussé, l’ont étouffée et elle n ’a pas
donné de fruit ; d ’autres (semences) sont tombées dans la bonne terre : en
poussant et en croissant elles donnaient du fruit et elles produisaient l’une
trente, l’autre soixante et l ’autre cent ». Et (Jésus) disait : « Qui a des oreilles
(pour) entendre, q u ’il entende ! »... Quand (Jésus) a été en particulier, son
entourage avec les Douze l ’interrogeaient (sur) les allégories, et il leur
disait : « A vous est donné le mystère du Règne‘ ‘ de Dieu... ». Et il leur dit :
«V ous ne comprenez pas cette allégorie ? Comment comprendrez-vous
toutes les allégories ? Le semeur sème la Parole. Tels sont ceux qui (sont)
sur la route où la Parole est semée : quand ils entendent, aussitôt vient Satan
et il ôte la parole semée en eux. Tels sont^^ ceux qui (sont) semés sur la
pierraille ; quand ils entendent la Parole aussitôt ils la reçoivent avec joie,
mais ils n ’ont pas de racine en eux-mêmes et ils sont (seulement) pour un temps,
ensuite, venue la tribulation ou la persécution à cause de la Parole, ils

9. Evidemment, on adoptera en permanence la distinction entre parabole et allégorie,


qui est classique depuis les travaux d ’A. J ü u c h e r , mais en tenant compte aussi de ceux de
L . F o n c k , J.M . V o s té , C.H. D o d d , Jean (et non pas Louis !) P i r o t , N.A. D a h l , J. J e re m ia s ...
Comme cette distinction n ’a aucune influence sur les conclusions de cette étude, on ne prendra
pas la peine de la justifier en chaque cas et on laissera à chacun la liberté de choisir des posi­
tions différentes, s’il le préfère.
10. Le grec recourt ici à la même racine pour la plante qui lève et pour le soleil qui se lève.
11. Bien que le m ot « mystère » soit actuellement chargé de toute une théologie chrétienne,
c ’est lui qu ’il faut employer ici, et non pas le terme plus banal de « secret », car son correspon­
dant hébreu « râz » se trouve à Qum rân avec une signification profondément théologique.
12. De nombreux manuscrits ajoutent « semblablement ».
MARC 4,3-11 + 13 -2 0 27

achoppent. D ’autres sont les semés dans les épines : ce sont ceux qui ont
entendu la Parole, mais les soucis du monde, la séduction de la richesse et les
désirs de la chair en survenant étouffent la Parole et elle devient sans fruit.
Et tels sont les semés sur la bonne terre : ceux qui entendent et accueillent la
Parole et qui produisent des fruits l ’un trente, l ’un soixante et l ’autre
c e n t» ‘ ^
M atthieu suit d ’assez près le récit de Marc, en om ettant toutefois quelques
détails. Deux retouches seulement sont importantes pour nous : au verset 11,
il amplifie « à vous est donné le mystère du Règne de Dieu », en disant
« à vous est donné de connaître (ou de comprendre) les mystères du Règne
des Cieux ( = de D ieu ); au verset 19 il précise que la Parole est « la
Parole du Règne ».
Luc, qui est encore plus concis que Matthieu, dit lui aussi « à vous est
donné de connaître (ou de comprendre) les mystères du Règne de Dieu » ;
mais pour lui la Parole est « la Parole de Dieu ».
Ce récit n ’est pas une parabole, car il n ’est pas la preuve par l’image d ’une
vérité particulière, mais bien une allégorie, c ’est-à-dire une description voilée
où les réalités spirituelles sont présentées à travers la transparence d ’un récit
fictif. Et Jésus lui-même fournit la clef de l ’allégorie, en précisant les person­
nages q u ’il entend décrire : les différentes catégories de semence représentent
les différentes catégories d ’auditeurs de sa Parole. Aussi l’on devine sans peine
pourquoi Jésus a recouru à une allégorie plutôt q u ’à un exposé direct : par
là il ne risquait pas de froisser ceux q u ’il voulait avertir et corriger, car il
ne les dénonçait pas publiquement, mais il leur laissait le soin de découvrir
eux-mêmes dans quelle catégorie ils se rangeaient.
M arc ne spécifie pas la nature de la Parole. Mais pour M atth 13,19 elle
est la Parole du Règne ou du Royaume, c ’est-à-dire la Parole qui annonce,
qui fait connaître le Règne ou le Royaume. Et pour Luc 8,11 cette Parole est
la Parole de Dieu, c ’est-à-dire la Parole qui vient de Dieu et qui est prêchée
au nom de Dieu.
Les trois Synoptiques voient dans cette allégorie « le secret (ou : les
secrets) du Règne de D ieu», c ’est-à-dire l ’explication des réactions humaines
à la Parole de Dieu qui invite les cœurs à s’ouvrir à son Règne. On aurait tort
de traduire ici par «R o y au m e» , car l ’allégorie ne concerne pas l’aspect
collectif d ’une société où s’intégre chaque croyant, mais bien les réactions
individuelles de chaque âme qui accepte et accueille la lumière que Dieu lui
envoie.
Le temps des verbes indique clairement que cette allégorie ne vise pas le
futur, car dans l ’exposé du récit, tous les verbes sont au passé : le semeur
est déjà sorti pour semer et sa semence est déjà semée. Dans l’explication.

13. En tenant compte du substrat hébraïque, comme il est expliqué par J. C a r m ig n a c


(Background, p. 66-67).
14. Luc 8,15 dit : « ils produisent des fruits dans la persévérance ».
28 DANS l ’Év a n g il e d e m a r c

c ’est le présent qui domine, car les réactions des auditeurs manifestent des
tendances permanentes, qui sont indépendantes du tem ps'*.
Dans l’explication, Jésus ne précise pas qui est le semeur, mais on ne
saurait douter q u ’il s’agit de lui-même : c ’est lui qui est sorti pour répandre
la Parole, qui est la Parole du Règne pour M atthieu et la Parole de Dieu
pour Luc. D ’ailleurs, dans l’explication d ’une autre allégorie où intervient
aussi un semeur, M atthieu 13,37 dit clairement « Celui qui sème la bonne
semence c’est le Fils de l’Hom m e».
Pour nous la conclusion est évidente : Jésus a déjà commencé à répandre
la semence de la Parole de Dieu et le Règne de Dieu germe et fructifie déjà
dans les cœurs de ses auditeurs selon leurs bonnes ou leurs mauvaises
dispositions.

3) P a r a b o l e de la S e m e n c e q u i po u sse d ’e l l e - m êm e ( M a r c 4,26-29)

« Ainsi est le Royaume de Dieu : (c’est) comme un homme (qui) jettera it' ®
la semence sur la terre et (qui) dorm irait et se lèverait, la nuit et le jo u r* ’ ;
la semence pousse et grandit, lui ne sait pas comment : spontanément la
terre produit du fruit : d ’abord une herbe, puis un épi, puis plein de blé dans
l ’épi ; et quand le fruit (se) présente, aussitôt il (y) envoie la faux, parce que la
moisson est à point ». Ce récit, que M atthieu et Luc ont omis de reproduire,
est intermédiaire entre la parabole et l’allégorie, mais souvent on le classe
parmi les paraboles*®.
L’idée centrale en est que la semence pousse toute seule et qu’elle produit
du fruit sans que le semeur ait à s’en occuper. Jésus veut donc, comme dans
une parabole, nous apprendre que, de la même façon, le Règne ou le Royaume
de Dieu se développe de lui-même, indépendamment de l ’activité humaine.
Les verbes au subjonctif donnent à l ’exposé une allure hypothétique, qui le
place en dehors des contingences particulières : cette narration est valable
pour tous les tem ps'*.
Divers auteurs discernent aussi des éléments allégoriques et ils reconnais­
sent dans la faux et dans la moisson une allusion à la Fin du M onde déjà
entrevue par Jean-Baptiste (M atth 3,12 = Luc 3,17), reprise par Jésus
(M atth 13,30) et développée dans l’Apocalypse 14, 14-20.

15. Q u’on n ’objecte pas, pour négliger le temps des verbes, que les Evangiles, ayant
un substrat sémitique oral ou écrit, participent à l ’imprécision des langues sémitiques et
distinguent inal le temps des verbes. La réponse est facile : a) L’hébreu, même l’hébreu biblique,
distingue, beaucoup mieux que ne le disent de mauvais connaisseurs de cette langue, le passé,
le présent et le futur, h) L ’hébreu évoluait vers une précision tem |»relle de plus en plus
nette : dans l ’hébreu de Qum rân le passé est toujours clairement distingué du futur, et le
présent est rarement confondu avec ce futur (voir mon article « Conjectures... », p. 160-164).
c) Quand l’aspect duratif prime l’aspect temporel (ce qui déroute les hébraïsants novices),
il aboutit à rendre notre imparfait par un apparent futur, et donc cela joue contre moi et en
faveur des théories eschatologistes. — Le temps des verbes qui concernent le Règne ou le
Royaume de Dieu est fort bien apprécié par H . C l a v i e r (« Accès... », p. 22).
16. En français, l’emploi du conditionnel essaie de rendre la nuance du subjonctif grec.
17. Bien entendu, il faut com prendre: « qui dorm irait la nuit et se lèverait le jo u r ».
18. Voir la longue étude récente de cette parabole par J. D u p o n t .
19. Paul lui fera écho en I Cor 3,6 : « Moi j ’ai planté, Apollos a arrosé, mais Dieu a fait
pousser ».
MARC 4 ,3 0 -3 2 29

Cette exégèse n ’est pas certaine, car ce trait n ’est pas développé spéciale-
niient, mais elle n ’est pas impossible non plus, car la portée des paroles de
l ’Evangile va souvent bien au-delà des apparences immédiates. Ainsi Jésus
voudrait insinuer q u ’il est m aintenant le semeur, mais q u ’il reviendra plus
tard comme moissonneur ; « Lorsque (Jésus) aura disparu, laissant le règne
de Dieu destiné à grandir, les apôtres com prendront que ce règne q u ’ils
prêchent doit se développer sans la présence du Maître, qui viendra seulement
à la fin pour recueillir la moisson. Ainsi cette parabole, si simple en apparence,
était-elle susceptible d ’un prolongement indéfini. Ceux qui l ’entendaient
devaient surtout l’interpréter du développement infaillible du règne de Dieu.
Elle les invitait en même temps à la confiance et au calm e» (Lagrange,
Marc, p. 118).
Dans ce récit, est-il question du Règne ou du Royaume de Dieu ? On
peut légitimement hésiter à répondre, mais finalement il semble q u ’on doive
pencher pour le Royaume de Dieu. Si le récit contient une allusion à la Fin du
M onde et au Jugement Dernier, ces événements concernent le développement
historique du Royaume de Dieu. Et même si cette allusion n ’existait pas,
l ’ensemble de l ’exposé paraît s’appliquer non pas à la croissance d ’une seule
plante, qui représenterait le cœur d ’un homme livré au Règne de Dieu, mais
bien plutôt à la croissance de tout un champ, qui aboutit à une moisson, et
donc cet aspect collectif convient mieux à la notion de Royaume.
En somme le développement du Royaume de Dieu ne dépend pas de
l ’activité humaine : il se réalise mystérieusement, sans q u ’on sache cominent.
Le semeur (Jésus) n ’interviendra personnellement q u ’au temps de la moisson.

4) P a r a b o l e d u G r a in de S én evé ; M a r c 4,30-32 ( M a t t h 13,31-32 =


L uc 13,18-19)
« Comment trouverons-nous une chose semblable au Royaume de Dieu ?
Avec quoi le mettrons-nous en comparaison ? (Il est) comme un grain de
sénevé : quand il est semé sur la terre, il est plus petit que toutes les semences
de la terre^° ; mais quand il est semé, il pousse et devient plus grand que tous
les légumes ; il fait de grands rameaux, en sorte que les oiseaux du ciel peuvent
s’installer sous son ombre ».
M atthieu et surtout Luc omettent certains détails, mais ils ne modifient
pas l ’allure générale du récit ; cependant ils le compliquent en spécifiant
que ce grain de sénevé « devient un arbre », ce qui est peu conforme à la
r é a lité ^ M a tth ie u , bien entendu, transforme le «R oyaum e de D ieu» en
« Royaume des Cieux ».
Cette description a pour but d ’opposer les humbles débuts du Royaume
de Dieu à son magnifique épanouissement. Ici, la notion de Royaume
s’impose, puisque nous voyons les oiseaux du ciel s’installer sous son ombre :
les hommes profitent des bienfaits que leur offre ce Royaume.
En Marc, rien n ’indique quand le Royaume de Dieu est semé, ni quand
il réalise sa pleine stature. Mais M atthieu et Luc sont plus précis : en Matthieu

20. Littéralement : « qui (sont) sur la terre »,


21. Je pense pouvoir expliquer cette variante synoptique par une confusion survenue
dans le substrat hébreu (Background, p. 81-82).
30 DANS l ’Év a n g il e d e m a r c

« un homme a pris (et) semé (ce grain) dans son champ » et en Luc « un homme
a pris (et) jeté (ce grain) dans son jardin ». Pour eux les semailles du Royaume
de Dieu sont déjà faites et elles appartiennent au passé.
Ainsi les trois paraboles de M arc, dont deux sont conservées aussi en
M atthieu et en Luc, décrivent tantôt le Règne et tantôt le Royaume de Dieu.
La première, qui concerne plutôt le Règne de Dieu, fait dépendre ses fruits
de l ’accueil de chaque homme. La seconde et la troisième, qui visent plutôt
le Royaume de Dieu, insistent au contraire sur l ’action directe de Dieu, qui
se charge lui-même d ’assurer sa croissance, et sur les magnifiques résultats
de cette croissance, malgré de chétifs débuts.
Les trois comparaisons choisies sont étroitement apparentées, puisqu’elles
présentent toutes l ’image d ’une semence, qui peut tom ber dans des terrains
défavorables, mais qui, si elle tombe dans la bonne terre, grandit toute seule,
devient une plante et produit beaucoup de fruit.
La durée de cette croissance et de ce développement n ’est pas spécifiée,
mais plusieurs fois le temps des semailles est présenté au passé, en supposant
donc q u ’au moment où Jésus parle elles sont déjà un fait accompli.

5) M arc 9,1
« Et il ( = Jésus) leur disait : « Amen, je vous dis q u ’il y a certains de
ceux qui sont ici présents qui ne goûteront pas la m ort jusqu’à ce q u ’ils
voient le Règne de Dieu venu avec puissance
M atthieu 16,28 a jugé ambiguë la finale de ce texte et il la modifie pour la
clarifier : « Amen, je vous dis q u ’il y a certains de ceux qui sont ici présents
qui ne goûteront pas la m ort jusqu’à ce q u ’ils voient le Fils de l ’Homme
venant dans sa Royauté ».
Luc 9,27 n ’aime pas non plus cette finale de M arc et il préfère la sup­
primer : « Je vous dis en vérité ; il y a certains de ceux qui sont ici présents
qui ne goûteront pas la m ort jusqu’à ce q u ’ils voient la Royauté (ou : le
Règne, ou : le Royaume) de D ieu».
Les trois Synoptiques placent cette parole de Jésus dans le même contexte,
ce qui prouve entre eux une stricte dépendance. Mais M arc seul introduit
ces mots par un vague : « Et il leur disait », qui suffit à nous avertir q u ’il
insère là une réflexion qui n ’a pas de lien chronologique avec ce qui précède,
qui se présente donc à sa mémoire par simple association d ’idées. En effet le
verset précédent se termine par une allusion au Jugement Dernier : « quand
le Fils de l ’Homme viendra dans la gloire de son Père avec ses saints anges ».
Par ailleurs, Jésus fait manifestement allusion à un événement futur
prévu pour un avenir assez rapproché (moins d ’une cinquantaine d ’années).
Est-ce que cette venue glorieuse du Christ sera celle de sa Transfiguration,

22. Ou peut être : « avec intensité », « avec énergie ».


23. Le sens exact du parfait « élêluthuian » ( » venu) est discuté p ar C a m p b e ll (p. 93)
e t par D o d d (Expository... p. 141-142), mais cette question est sans im portance po u r nous ;
quand on verra (dans l ’avenir) ce règne de Dieu, c ’est q u ’il existera déjà, donc q u ’il sera,
pour ses bénéficiaires, déjà « venu ».
MARC 9 ,4 3 -4 7 31

celle de sa Résurrection, celle de la prédication victorieuse de l ’Evangile ou


celle de la Parousie ? L ’hypothèse de la Transfiguration est d ’autant plus pro­
bable q u ’elle est racontée par les trois Synoptiques immédiatement après cette
parole de Jésus : M arc semble avoir voulu juxtaposer la prédiction et la
réalisation de cet événement extraordinaire. Mais les autres hypothèses,
Résurrection et prédication de l ’Evangile, peuvent aussi être envisagées (ainsi
que celle de la Parousie, si l ’on adm et que Jésus se soit trom pé sur ce point).
Pour nous, l’essentiel est de préciser la nature de la « basileia tou théou »
ainsi présentée. On peut exclure en M atthieu le sens de « Royaume », car le
grec aurait alors employé « eis» et l ’accusatif et non pas « én » et le datif^'*.
En M atthieu le sens de « R o y au té» paraît s’imposer, surtout si l’on admet
un substrat sémitique, où la préposition « b e » ( = « d a n s » ) a aussi le sens
de « av ec» , car le Fils de l ’Homme vient avec sa « R o y au té» personnelle,
tandis que son « Règne » supposerait la présence de sujets sur lesquels s’exerce­
rait cette « Royauté ». En M arc la formule est moins claire, mais on pencherait
plutôt pour le sens de « Règne », car on ne dit pas que Dieu viendra, avec ses
attributs, dont la « Royauté », mais que son « Règne » sera déjà venu (verbe
au parfait, en grec) et q u ’il perdurera : cette prolongation dans le temps
convient surtout au « Règne». En Luc la formule est si vague q u ’on ne peut
en définir le contenu : Luc a senti q u ’il y avait là un problème et, au lieu de
le résoudre, il l ’a volontairem ent éludé^®.

6) M arc 9,43-47
« Si ta main te fait achopper, retranche-là ; il est bon ( = meilleur) pour
toi d ’entrer m anchot dans la Vie que d ’aller avec tes deux mains dans la
Géhenne, dans le feu inextinguible. Si ton pied te fait achopper, retranche-le :
il est bon ( = meilleur) pour toi d ’entrer estropié dans la Vie que d ’être jeté
avec tes deux pieds dans la Géhenne. Si ton œil te fait achopper, arrache-le : il
il est bon ( = meilleur) pour toi d ’entrer borgne dans le Royaume de Dieu
que d ’être jeté avec tes deux yeux dans la Géhenne».
Luc omet ce passage. M atthieu 18,8-9 abrège et remplace « le Royaume
de Dieu » par « la Vie » comme dans la phrase précédente.
Le sens de « Royaume » s’impose, puisqu’il s’agit d ’entrer « dans » ce
« Royaume » comme « dans la Géhenne » ou « dans le feu inextinguible ». Mais
quand y entrera-t-on ? La possibilité d ’achoppement et la mutilation sont
formulées au présent. L ’entrée dans la Géhenne ou dans le « Royaume de
D ieu» est prévue pour plus tard, mais, scmble-t-il pour un futur assez
rapproché !

24. Même si le grec du Nouveau Testament confond parfois ces deux prépositions, il
les emploie toujours correctement dans les passages où figure la « basileia to u théou ».
25. La form ation de ce texte est examinée par B .D . C h i l t o n (p. 253-274). M . K ü n z i
présente fort bien l’histoire de son exégèse : selon lui (p, 186-196), il a été compris en fonction
de l’Eglise par : G r é g o i r e l e G r a n d , B è d e l e V é n é r a b l e , R a b a n M a u r e , la Glose Ordinaire,
B u c e r, P e llic a n , M u n s te r, M u s c u lu s , S c h o c ttg e n , M o ru s, R o s e n m ü lle r,
J.D . M i c h a e l i s , P a u l u s , B a u m g a r t e n , B le e k , C o l a n i , a . K l o s t e r m a n n , G o d e t , H o f m a n n ,
N ô s o e n , Th.H. R o b in s o n , L o h m e y e r, A .T . C a d o u x , M . B a r t h , D u n c a n , T a y l o r , F l ü -
CKtoER, L a g r a n o e , H u b y , S i c k e n b e r g e r , M e i n e r t z , S t a a b et B o n s ir v e n .
32 DANS l ’Év a n g il e d e m a r c

Quant à la nature de ce « Royaume », M arc le considère conune l ’équi­


valent de « la Vie », q u ’il a mentionnée dans les deux phrases précédentes.
E t M atthieu a si bien compris sa pensée q u ’il substitue carrément cette « Vie »
à ce « Royaume ».

7) M arc 10,14-15 = M atthieu 19,14 = L uc 18,16-17


« Laissez les enfants venir vers moi, ne les empêchez pas, car c ’est à leurs
semblables q u ’est le Royaume de Dieu. Amen, je vous Ôe) dis : Quiconque
n ’accueille pas le Royaume de Dieu comme un enfant n ’y entre pas».
Luc 18,16-17 ne diffère de M arc que par l ’addition de la conjonction
« e t » entre les deux premiers verbes. Matthieu 19,14 n ’a conservé que la
première phrase, avec quelques modifications secondaires et la transform ation
du « Royaume de Dieu » en « Royaume des Cieux ». S’il a supprimé la
seconde phrase, c ’est peut-être parce q u ’il en avait inséré l’équivalent en
18,3-4, dans un contexte où il s’agit également de l ’enfance spirituelle.
En M arc et en Luc le verbe « accueillir » conviendrait bien au « Règne
de Dieu », et le verbe être (au sens : être destiné à..., ou : appartenir à...) peut
s’adapter soit au « Règne » de Dieu soit à son « Royaume ». Mais le dernier
verbe « entrer dans » demande q u ’on opte pour le sens de « Royaume »,
car on entre dans un Royaume, mais on n ’entre pas dans un Règne (sauf,
si l’on est le roi !).
Certains traducteurs mettent les verbes au futur, mais c ’est là un coup
de pouce manifeste : les deux premiers verbes sont à l ’im pératif présent ou
aoriste, le verbe « être » est au présent, les verbes « accueillir » et « entrer »
soit au subjonctif aoriste. Pas la moindre trace de futur. Jésus part d ’un fait
présent, l ’attitude des disciples envers les enfants qui l ’entourent^® et il en
tire une leçon permanente. Manifestement, Jésus suppose q u ’on peut déjà
entrer, ou même être entré, dans le Royaume de Dieu, tout comme on
continuera à y entrer dans l’avenir. M ais il vise le présent, et non pas l ’avenir^’ .

8) M arc 10,23-25 = MArrraEU 19,23-24 = L u c 18,24-25


« Combien difficilement ceux qui possèdent des richesses entreront dans
le Royaume de Dieu !... Enfants, comme il est difficile d ’entrer dans le
Royaume de Dieu ! Il est plus aisé pour un chameau de passer à travers le
trou d ’une aiguille que pour un riche d ’entrer dans le Royaume de D ieu».
M atthieu 19,23-24 supprime la seconde phrase, parce q u ’elle ne fait que
répéter la première et il remplace la première fois, mais pas la seconde,
« le Royaume de Dieu » par « le Royaume des Cieux ».
Luc 18,24-25 supprime lui aussi la seconde phrase, mais pour le reste il
rejoint à peu près M arc et Matthieu.
Ici on ne peut hésiter à traduire par «R oyaum e de Dieu»^®, tant il
est présenté de façon concrète. Le premier verl^ au futur indique que les

26. Quiconque est allé en Orient et a été assiégé par des bandes d ’enfants imagine
facilement la scène.
27. Une expression semblable est employée par M att. 5,3.10 et par Luc 6,20. Voir
ci-dessous, p. 36-37.
28. Même B o n s ir v e n (p. 87) renonce à « Règne » et adm et « Royaume ».
MARC 1 1 ,1 0 ; 1 2 ,3 4 ; 14,25 33

riches ne sont pas encore entrés dans le « Royaume de Dieu » et ensuite les
verbes au présent soulignent que cette difficulté est et sera permanente. Mais
de quel futur s’agit-il ? Jésus répond à une question ainsi formulée : « Que
ferai-je ( = que dois-je faire) pour posséder (littéralement : « hériter ») la
vie éternelle ? » (M arc 10,17). Il vient de dire q u ’en donnant ses biens aux pau­
vres « o n aura un trésor dans le ciel» (M arc 10,21). Les disciples réagissent
en dem andant : «Qui peut être sauvé ?» (Marc 10,26). Il s’agit donc du
salut personne] de chaque homme et de la vie éternelle obtenue après la mort.
Rien ne demande de supposer un futur plus lointain.

9) M a r c 11,10
Les foules qui acclament Jésus au jo u r des Rameaux s’écrient : « Béni
au nom du Seigneur^® celui qui vient ! Béni le Règne de notre père David
qui vient». M atthieu, Luc et Jean décrivent la même scène, mais ils ne
mentionne pas « le Règne de notre père David ».
Comme ce sont les foules qui exhalent leur enthousiasme, nous ne pou­
vons pas affirmer que leur pensée rejoigne celle de Jésus. Mais, pour elles, il
s’agit bien du Règne d ’un nouveau David, et ce Règne est en train de se
réaliser dans le présent.

10) M a r c 12,34
Jésus, pour une fois, s’attire les compliments d ’un scribe et « voyant
q u ’il avait répondu intelligemment, il lui a dit : « Tu n ’es pas loin du Royaume
de Dieu ».
Cet échange de compliments entre Jésus et un scribe a paru inopportun
à M atthieu et à Luc, qui ont négligé de le reproduire. En M arc la pensée de Jésus
dépend du sens de m akran (= lo in ), qui désigne en général l ’éloignement
dans l’espace, mais aussi parfois l ’éloignement dans le temps. Dans la première
hypothèse, l ’image spatiale concernerait plutôt le Royaume de Dieu ; dans
la seconde hypothèse, l ’image temporelle conviendrait mieux au Règne de
Dieu. Toutefois, dans un cas comme dans l ’autre, Jésus parle d ’une réalité
presque présente, puisqu’elle concerne son interlocuteur.

11) M a r c 14,25 = M a t t h ie u 26,29 = L uc 22,16-18


M arc termine le récit de l ’institution de l’Eucharistie par cette phrase
sibylline : « Je ne bois^° plus du produit de la vigne jusqu’à ce jo u r où je le
bois nouveau dans le Royaume de Dieu ».
M atthieu 26,29 reproduit le même texte, en ajoutant seulement « je bois
avec vous » et il transform e le « Royaume de Dieu » en « le Royaume de
mon Père ».

29. Citation du Psaume 118,26. Beaucoup comprennent : « Béni celui qui vient au nom
du Seigneur! » Cela n ’a pas d ’im portance p o u r nous.
30. Certains manuscrits grecs ont une formule plus sémitique signifiant « je ne
recommence plus à boire », c’est-à-dire « je ne bois plus à nouveau ».
34 DANS l ’Év a n g il e d e m a r c

Luc déplace ces paroles et les rapporte avant l ’institution de l’Eucharistie.


Surtout il les amplifie notablement : « Je ne mange plus (cette pâque) jusqu’à
ce q u ’elle soit remplie dans le Royaume de Dieu... Je ne bois plus désormais
de ce produit de la vigne jusqu’à ce que vienne le Règne de Dieu».
Le sens est clairement celui du futur. Dans ce repas d ’adieu, les Apôtres
ne pouvaient guère imaginer autre chose q u ’un futur tout proche. Et Jésus
entendait certainement annoncer sa M ort imminente et sa Résurrection. Rien
dans ce texte, ni de près ni de loin, ne contient la moindre allusion à la Parousie.
Ici, le sens de « Royauté » est peu probable, car, même si en M arc et
M atthieu on peut envisager de voir Jésus participer à la Royauté de son
Père, en Luc ce sens est exclu, puisque le sujet de la phrase n ’est plus Jésus,
mais la pâque. Alors s ’agit-il du « R èg n e» ou du «R oyaum e» ? Rien ne
permet de répondre avec assurance. Cependant la notion de « Royaume »
semble peut-être mieux en harmonie avec l’ensemble du récit. D ’ailleurs Jésus
ne dit pas q u ’après sa M ort et sa Résurrection il accédera au Royaume de
Dieu, il fait seulement comprendre que c ’est dans ce Royaume de Dieu qu’il
retrouvera ses Apôtres. En Luc, la notion de « Royaume » s ’impose dans la
première phrase, mais dans la seconde on semble bien avoir glissé au sens
de « Règne », car le verbe « venir » convient mieux au « Règne » qu’au
«R oyaum e». Quoi q u ’il en soit, ce passage laisse entendre que la M ort
et la Résurrection de Jésus seront des événements qui affecteront le Royaume
de Dieu, ou même, selon Luc, le Règne de Dieu.

12) M a r c 15,43 = L uc 23,51


Pour présenter Joseph d ’Arimathie, M arc 15,43 et Luc 23,51 emploient
l ’un et l’autre, en grec, le verbe prosdéchomai, qui signifie soit «recevoir»
soit « attendre » ^ ‘ : « Joseph d ’Arimathie... qui lui aussi recevait (ou : atten­
dait) le Règne de Dieu ». Le premier sens, celui de « recevoir », est employé
par Luc 15,2, quand les Pharisiens reprochent à Jésus de «recevoir» les
pécheurs. Le second sens « d ’attendre », est aussi employé par Luc 2,25 et 38,
à propos du vieillard Siméon, qui « attendait la consolation d ’Israël », et à
propos de la prophctesse Anne, qui parlait de l ’enfant Jésus « à tous ceux
qui attendaient la libération de Jérusalem » ; et c’est encore ce sens q u ’on
retrouve en Luc 12,36 à propos des serviteurs qui « attendent leur m aître» à
son retour des noces. A cause de ces parallèles, les traducteurs retiennent
généralement le sens « atten d re» , mais celui de « recevoir» reste tout à fait
possible. Q uant au substantif, il faut ici lui reconnaître le sens de « Règne »
car « atten d re» (ou ; «recevoir») un Royaume ne peut se dire que du roi
qui en espère (ou : qui en obtient) le gouvernement. Si l ’on adm ettait le sens
de « recevoir», il en résulterait que le Règne de Dieu serait déjà présent dans
le cœur de Joseph d ’Arimathie. Si, avec l ’ensemble des exégètes, on retient
le sens de « attendre», il en résulte que dans l ’esprit de ce Joseph d ’Arimathie
le Règne de Dieu était imminent ; et les deux Evangélistes ne lui en font aucun
reproche, au contraire ils soulignent ce trait avec sympathie. Mais les
conceptions que ce personnage pouvait se faire du « Règne de Dieu »
n ’étaient peut-être pas encore purement chrétiennes.

31. Voir l ’étude de W . G r u n d m a n n , p. 56-57.


CHAPITRE III

Dans la Source Commune


à Matthieu et Luc
M atthieu et Luc dépendent de Marc pour une partie de leurs récits.
Mais pour d ’autres qui ne se trouvent pas en Marc, ils présentent encore entre
eux des similitudes qui ne peuvent guère s’expliquer que par une source
commune^. On est même conduit à supposer que lorsque M atthieu et Luc
ont utilisé cette source elle était déjà amalgamée avec Marc, car plusieurs fois,
ils l ’insèrent au même endroit, comme s’ils avaient puisé l ’un et l’autre dans
luie sorte de « M arc Complété », où quelqu’un aurait intercalé dans le récit
de M arc des matériaux q u ’il rédigeait lui-même ou q u ’il empruntait à un
document déjà en circulation.
Ce qui provient de cette Source Commune est facile à détecter : c ’est tout
ce qui est absent de M arc et présent à la fois en M atthieu et en Luc. Mais il
pourrait aussi se faire q u ’elle ait contenu des éléments que, pour une raison
quelconque, M atthieu ou Luo auraient omis. En ce cas, évidemment, nous
ne pouvons plus les identifier comme venant de la Source Commune et nous les
considérons à tort comme étant le bien propre de Matthieu ou de Luc. Mais
nous ne pouvons pas faire mieux^.
Ce sont les passages provenant de cette Source Commune qui vont être
examinés l’un après l ’autre. L ’ordre de Luc et celui de M atthieu sont identi­
ques 4 fois sur 7, mais il est plus sage de suivre toujours celui de Luc, car
nous savons que M atthieu déplace parfois certains matériaux pour construire
des ensembles plus cohérents^.
Si quelqu’un n ’adm ettait pas nos hypothèses sur la form ation des
Evangiles, cela n ’aurait aucune importance pour le résultat final, car elles
n ’ont pas ici d ’autre rôle que de fournir un simple cadre pour faciliter le
classement.

1. Les Allemands assignent à cette Sourcx Commune le sigle « 0 », qui est l’initiale de
« Quelle » ( = « source »). Beaucoup de savants, même en dehors de rÀ llem ague, adoptent
cette appellation.
2. Le tout récent ouvrage de R.A. E d w a r d s fournit (p. 159-164) une abondante biblio­
graphie sur cette Source Commune. Elle est aussi étudiée (ou re p o a ss^ ) p ar les innombrables
travaux sur le problème synoptique.
3. T .W . M a n s o n (Sayings... p. 15-28 et 39) pose le problème exactement de la même
façon.
36 DANS LA SOURCE COMMUNE À MATTHIEU ET LUC

1) L u c 6,20 = M a t t h ie u 5,3 et 5,10


Luc 6,20 : « Bienheureux les pauvres, car à vous est le Royaume de
Dieu ». M atthieu 5,3 : « Bienheureux les pauvres en esprit, car à eux est le
Royaume des Cieux ( = de Dieu)». M atthieu 5,10: «Bienheureux les
persécutés à cause de la justice, car à eux est le Royaume des Cieux ( = de
Dieu)». Bien que M atthieu ait 9 béatitudes et que Luc en ait seulement 4,
on peut, semble-t-il, supposer que l’ensemble du passage provient de la
Source Commune. Mais si l’on préférait considérer M atthieu 5,10 (ainsi que
5,7-10) comme un développement personnel que M atthieu aurait rédigé à
partir de la Source Commune, cela ne modifierait en rien nos conclusions,
puisque de toute façon M atthieu 5,10 est une reprise de 5,3 : « Car à eux
est le Royaume des Cieux ( = de Dieu)»'^.
Le sens de « Royaume » est postulé par la troisième béatitude de
Matthieu : « Bienheureux les doux, car (ce sont) eux (qui) hériteront la terre ».
En outre ni la « Royauté » ni le « Règne » de Dieu ne peuvent appartenir à
des hommes, tandis que le « Royaume » de Dieu leur appartient dans la
mesure où ils en sont les membres.
Quant à l ’horizon historique envisagé par Jésus, on remarque que, soit en
Luc soit en M atthieu, chaque béatitude est caractérisée par un verbe au
futur («vous serez rassasiés»... «ils seront consolés», etc.) sauf précisément
les trois formules où figure le « Royaume » de Dieu. On peut, certes, expliquer
cette différence par le fait que le substrat hébreu (ou araméen) avait ici laissé
le verbe sous-entendu (comme c ’est normal en ces langues) et que ce sont les
traducteurs grecs de Luc et de M atthieu qui ont ajouté le verbe « être » au
présent. Mais cette objection n ’est pas décisive : 1) L ’hébreu et l’araméen ne
sous-entendent en général le verbe « être » q u ’au présent ; quand le sens
est futur (ou passé) on exprime habituellement le verbe, au temps voulu^.
2) Si les deux traducteurs ont l ’un et l ’autre employé en grec le présent, c ’est
q u ’ils comprenaient cette phrase au présent et ils étaient mieux placés que nous
pour en saisir le sens exact. 3) Le fait que le traducteur de Luc et celui de
M atthieu, qui ont si peu de choses en commun dans les Béatitudes,
s’accordent sur ce verbe au présent peut difficilement être attribué au hasard®.
Aussi ce triple emploi du verbe « être » au présent, dans un contexte où
tous les verbes sont au futur, doit être bel et bien compris dans son sens normal,
celui du présent^. Dès le moment où Jésus prononce les Béatitudes, le Royaume
de Dieu appartient aux pauvres en esprit et aux persécutés à cause de la justice,
car ces pauvres et ces persécutés peuvent déjà y entrer et en être membres.

4. Voir J. D u p o n t , les Béatitudes, tome I, p. 343-344.


5. Luc 6,23 et M atthieu 5,12 constituent une exception: « car votre récompense (est
ou sera) abondante dans le(s) cie(ux) » ; mais on rem arquera q u ’alors ni Luc ni M atthieu
n ’expriment le verbe en grec.
6. Une opinion difTérente, mais nullement convaincante, est exposée par J. D u p o n t ,
d an s: Les béatitudes, tom e II, p. 119-121.
7. D ans les malédictions que Luc place après les béatitudes, le premier verbe est aussi
au présent, alors que les suivants sont au futur : « M alheur à vous les riches, car vous possédez
votre récompense ! M alheur à vous les repus (de) maintenant, car vous serez affamés ! Malheur
à vous les rieurs (de) m aintenant, car vous gémirez et vous pleurerez » (Luc 6,24-25). Ce
présent et ce futur sont à prendre littéralement : c ’est dès maintenant que les riches ont leur
récompense, mais c'est seulement plus tard (à leur mort) q u ’ils auront leur châtiment.
LUC 7 ,2 8 = MATTHIEU 11,11 37

Les bénéficiaires des autres béatitudes en jouiront à leur mort, quand ils
pénétreront dans la Vie céleste, car alors leur « récompense (sera) abondante
dans les d eu x » (M atth 5,12), mais on peut jouir dès maintenant de la pre­
mière béatitude, car on peut dès m aintenant entrer dans le Royaume de Dieu,
si l’on n ’en est empêché ni par l’attachement aux richesses ni par la peur des
persécutions. Ce présent convient à merveille, puisque précisément ceux qui
entrent dans le Royaume de Dieu doivent en fait se détacher de leurs posses­
sions (M arc 1,18 ; 10,21-25 ; 10,28-30 ; M atthieu 4,20.22 ; 6,19-21 ; 13,44-46 ;
19,21-24 ; 19,27-29 ; Luc 6,35 ; 12,33-34 ; 18,22-25 ; 18,28-30) et q u ’ils
risquent diverses persécutions (M arc 4,17 ; 10,30 ; M atthieu 5,44 ; 13,21 ;
19,13 ; Luc 6,27-28 ; 11,52 ; Jean 9,22 ; 12,42). Si donc la béatitude des
pauvres et celle des persécutés sont exprimées au présent, c’est parce q u ’elles
peuvent déjà être réalisées au présent, par l ’entrée dans ce Royaume de Dieu,
alors que les autres béatitudes ne seront réalisées que plus tard, après la mort.

2) L u c 7,28 = M a t t h ie u 11,11
Jésus fait ainsi l’éloge de Jean-Baptiste : « Personne n ’est plus grand
que Jean parmi les rejetons des femmes® mais le plus petit dans le Royaume
de Dieu est plus grand que lui » (Luc 7,28) ou bien : « Parmi les rejetons
des femmes il ne s’(en) est pas élevé (de) plus grand que Jean-Baptiste, mais
le plus petit dans le Royaume des Cieux ( = de Dieu) est plus grand que lui »
(M atthieu 11,11).
Jean est pris ici comme un repère entre deux économies®. L ’ancienne,
dont il fait encore partie et dont il est le sommet, et la nouvelle, qui est
appelée « le Royaume de Dieu ». En lisant ce texte, comment ne pas en conclure
que la nouvelle économie, le Royaume de Dieu, existe déjà au moment où
parle Jésus ? Il ne dit pas que le plus petit dans le Royaume de Dieu sera
plus grand que Jean-Baptiste, mais q u ’il est (déjà) plus grand que lui.
Ici la traduction par «R ègne de D ieu» n ’est pas à envisager, car ce
« Royaume de Dieu » est considéré sous son aspect collectif et presque
spatial.

3) L u c 9,2 = M a t t h ie u 10,5-8
«(Jésus) les a envoyés ( = les Apôtres) proclamer (ou : prêcher) la
Royauté (ou : le Règne, ou : le Royaume) de Dieu et faire des guérisons »
(Luc 9,2). — « Jésus a envoyé (ces douze) en leur recom m andant : « ...Pro­
clamez (ou : prêchez) que le Règne des Cieux ( = de Dieu) est devenu proche.
Guérissez les malades... » (M atthieu 10, 5-8).

P " reconnaît la formule hébraïque yilloud ’ishshâh, qui provient de Job 14,1 ; 15,14;
^5,4 ou de Ben Sira 10,18 et q u ’on retrouve plusieurs fois à Qumrân.
9. Cela sera encore plus clair dans le verset suivant, qui provient lui aussi de la Source
com m une. Voir ci-dessous p. 41-42.
f parenté de Luc 9,2 avec M atthieu 10,5-8 est signalée par les synopses de L a r f e l d
cp. 60), V A N N u rrE L U (p. 128), A l a n d (p. 140) et B e n o i t - B o i s m a r d (p. 126), mais elle ne l ’est
^ s par les synopses de W r i g h t (qui semble omettre Luc 9,2), H u c k (p. 84) et D e is s (p.
63-64 et 104).
38 DANS LA SOURCE COMMLJNE À MATTHIEU ET LUC

Luc aboutit à sa formule de prédilection : « annoncer ou proclamer


(= prêcher) la « basilcia» de Dieu», (qu’on retrouve en 4,43 ; 8,1; 9,60;
16,16 et dans les Actes 8,12; 20,25 et 28,31), dans laquelle on ne sait s’il faut
voir la « Royauté », le « Règne » ou le « Royaume » de Dieu. En M atthieu
la notion de proximité semble être acquise par l’arrivée de ce Règne de Dieu,
et alors on doit préférer cette notion à « Royauté » et à « Royaume » qui
ne peuvent pas « arriver ». En Luc la proclamation peut concerner aussi bien
le passé, que le présent ou l ’avenir. En M atthieu la présence du verbe « est
devenu proche» pose les mêmes problèmes que nous avons vu à propos de
M arc 1,15 (ci-dessus, p. 23-26).

4 ) Luc 11,2 = M a t t h ie u 6 ,1 0

C ’est la seconde demande du Notre Père : « Que ton Règne vienne


(ou : arrive)»^^. Bien que certains auteurs traduisent par «R oyaum e», la
grande majorité reconnaît, à juste raison, que le parallélisme avec « le Nom »
de Dieu et sa « Volonté » oriente vers les notions de « Royauté » ou de « Règne »
et q u ’ensuite la présence du verbe « venir» ou plutôt « arriver» ne convient
vraiment qu’au « Règne ». En effet, la Royauté de Dieu, étant un droit ina­
liénable et un attribut permanent, ne peut ni croître ni arriver ; au contraire
le Règne de Dieu, l’exercice de cette Royauté dans le cœur des hommes,
peut commencer et s’épanouir indéfiniment, donc il peut « v en ir» et
« arriver » en eux.
Q uant à l ’horizon historique visé par cette demande, rien n ’indique q u ’il
faille le reléguer dans le futur. Nous souhaitons et demandons la glorification
du Nom de Dieu et la réalisation de sa Volonté dans le présent immédiat ;
c ’est donc aussi pour le présent immédiat que nous implorons la venue et
l ’arrivée de son Règne. Bien sûr, notre prière n ’assigne aucune limite à ce
Règne de Dieu et donc elle inclut indirectement le futur, mais elle concerne
d ’abord et principalement la situation concrète dans laquelle nous nous
trouvons hic et nunc. Qui oserait dire à son Père du ciel : « Que ton N om soit
sanctifié plus tard, que ton Règne arrive dans l’avenir, que ta Volonté soit faite
dans le fu tu r» ? Et comment alors ajouter « sur la terre comme au ciel » puis-
q u ’au ciel ces demandes sont déjà parfaitement réalisées dans l’éternel présent
de l ’éternité ? Ceux qui veulent interpréter cette prière en fonction de l ’avenir,
et surtout en fonction de l’avenir lointain de la Fin du Monde, ne peuvent
s’appuyer que sur les motifs subjectifs de leurs théories personnelles.

5) L uc 11,19-20 = M atthieu 12,27-28


« Si moi (c'est) par Béélzéboul (que) je chasse les démons, vos fils par
qui (les) chassent-ils ? A cause de cela ils seront vos juges. Mais si (c’est)
par le doigt de Dieu (que) je chasse les démons, donc le Règne de Dieu est
parvenu à vous» (Luc 11,19-20). — « Si moi (c’est) par Béélzéboul (que) je
chasse les démons, vos fils par qui (les) chassent-ils ? A cause de de cela ils
seront vos juges. Mais si (c’est) par l’esprit de Dieu (que) moi je chasse les
démons, donc le Règne de Dieu est parvenu à vous» (M atthieu 12,27-28).

11. Voir J. C a r m ig n a c , Recherche$ sur le N otre Père, p. 89-102. Une variante textuelle
en Luc est discutée par B.M. M e t z o e r , p. 154-156.
LUC 1 1 ,5 2 = MATTHIEU 2 3 ,1 3 39

D aas ces deux textes à peu près identiques (sauf que le doigt de Dieu,
chez Luc, devient en Matthieu l’esprit de Dieu), le verbe «parvenir» ou
« atteindre » invite à traduire plutôt basileia par « Règne ». Cependant la
notion de Royaume n ’est pas impossible non plus, si l ’on suppose un
royaume déjà existant qui dilate ses frontières jusqu’à inclure de nouveaux
territoires et de nouveaux sujets.
Par contre, les indications temporelles sont très claires : Jésus vient de
chasser un démon et ce prodige est attribué par les ennemis de Jésus à
Béélzéboul ; à l ’inverse Jésus réplique que ce prodige suppose l ’action de Dieu,
donc que le Règne de Dieu est déjà parvenu jusqu’à ses auditeurs. Cet argu­
ment perdrait toute sa valeur si Jésus ne concevait pas le Règne (ou : le Royau­
me) de Dieu comme une réalité déjà présente et agissante.

6) L u c 11,52 = M a t t h ie u 2 3 ,1 3

« M alheur à vous, les Légistes, car vous avez enlevé la clef de la science :
vous-mêmes vous n ’êtes pas entrés et ceux qui entraient vous les avez
empêchés» (Luc 11,52). — « M alheur à vous, Scribes et Pharisiens hypocrites,
parce que vous fermez le Royaume des Cieux ( = de Dieu) devant les hommes ;
en effet, vous, vous n ’entrez pas et ceux qui entraient vous ne les laissez pas
entrer» (M atth. 2 3 ,1 3 ). Bien que Luc, qui a tendance à supprimer ce qui ne
lui paraît pas essentiel, ait omis de mentionner ici le « Royaume de Dieu »,
la similitude de ces deux phrases est telle q u ’on doit supposer comme origine
la Source Commune.
Est-ce Luc ou est-ce Matthieu qui a modifié la rédaction originale du
Marc-Complété ? Peu nous importe, car il nous suffit de constater ce que
M atthieu a voulu nous transmettre.
Le sens de « Royaum e» est évident, car seul il s’adapte à cette métaphore
de la clef. Et les reproches formulés par Jésus n ’ont de sens que s’ils visent
des actes déjà commis, qui ont créé un état permanent d ’hostilité contre le
vrai Royaume de Dieu. Luc l ’indique encore plus clairement, puisqu’il met
les verbes au passé. Sans aucun doute possible, le Royaume de Dieu existe
déjà depuis un certain temps, quand Jésus s’élève ainsi contre les Scribes
et les Pharisiens et leur reproche d ’en détourner les hommes.

7) L u c 12,29-31 = M a t t h ie u 6,3 1 -3 3

«V ous, ne cherchez pas ce que vous mangerez ni ce que vous boirez


et ne soyez pas inquiets : car tout cela les nations du monde le recherchent,
mais votre Père sait que vous en avez besoin. Au contraire, recherchez son
Royaume*^ et cela vous sera donné en surcroît» (Luc 12,29-31). — « Ne vous
tourmentez pas en disant : Q u’allons-nous manger ? ou q u ’allons-nous boire ?
ou qu’allons-nous endosser ? Car tout cela les nations (le) recherchent. Car
votre Père céleste sait que vous avez besoin de tout cela. Mais cherchez d ’abord
le Royaume et sa justice et tout cela vous sera donné en surcroît»
(M atthieu 6 ,3 1 -3 3 ).

12. Beaucoup de manuscrits portent « le Royaume de Dieu », mais cette variante n ’est
pas retenue par les éditions critiques.
40 DANS LA SOURCE COMMUNE À MATTHIEU ET LUC

Si ce royaume n ’est pas explicitement présenté en M atthieu comme étant


celui de Dieu, c ’est parce que la chose est évidente. Plus difficile est ici le choix
entre « Règne » et « Royaume » et l’on ne peut affirmer que « Règne » soit
impossible. Cependant « Royaume » semble préférable dans la mesure où
«cherchez» inclut l ’idée de «cherchez à entrer» et où «les nations»
(c’est-à-dire les païens) s’opposent aux membres de ce « Royaume ». Par
contre il est clair que ce « Royaume » (ou « ce Règne ») existe déjà, puisqu’on
doit éviter tous les autres soucis pour ne se préoccuper que de lui. La recom­
m andation de Jésus serait absurde si le « Royaume » (ou le « Règne ») n ’était
q u ’un projet à réaliser à l’avenir, d ’autant plus q u ’en M atthieu le verset suivant
interdit de se soucier du lendemain.

8) P a r a b o l e du L e v a in : L u c 13,20-21 et M a t t h ie u 13,33

« A quoi comparerai-je le Règne (ou : le Royaume) de Dieu ? II est


semblable à du levain q u ’une femme a pris et a c a c h é d a n s trois mesures
de farine, jusqu’à ce que tout ait levé» (Luc 13,20-21). — « Le Règne (ou :
le Royaume) des Cieux ( = de Dieu) est semblable à du levain q u ’une femme
a pris et a caché dans trois mesures de farine, jusqu’à ce que tout ait levé»
(M atthieu 13,33).
Cette parabole en miniature, qui fait suite en Luc à celle sur le G rain de
Sénevé, se rapporte soit au Règne de Dieu, si l’on insiste sur le dynamisme
du levain, soit au Royaume de Dieu, si l ’on considère surtout l’aspect collectif
implicite dans la mention de la farine. M atthieu et Luc s’accordent pour
décrire l’action de cette femme par des verbes au passé : « elle a pris et elle
a caché », et donc ils envisagent ce levain comme déjà en action quand Jésus
parle. D ’ailleurs cette parabole sur la puissance de fermentation du levain
serait faussée s’il fallait seulement comprendre : « Plus tard le Royaume de
Dieu agira comme un levain, mais il n ’agit pas encore m aintenant».

9) L u c 13,28-29 = M a t t h ie u 8,11-12
L ’allégorie de Luc 13,25-27 sur la porte fermée se termine par un dévelop­
pement que M atthieu transpose dans un autre c o n t e x t e « L à il y aura le
sanglot et le grincement des dents, quand vous verrez Abraham, Isaac, Jacob
et tous les prophètes dans le Royaume de Dieu et vous jetés dehors. On
viendra du levant et du couchant, du nord et du midi et on s’attablera dans
le Royaume de Dieu » (Luc 13,28-29). — « Beaucoup viendront du levant et
du couchant et s’attableront avec Abraham , Isaac et Jacob dans le Royaume
des Cieux ( = de Dieu), mais les enfants du Royaume seront jetés dans la
ténèbre extérieure : là il y aura le sanglot et le grincement des dents »
(M atthieu 8,11-12).
Malgré les contextes différents et d ’assez nombreuses retouches rédac­
tionnelles, ces deux textes sont l ’écho de la même Source Commune. Le sens
de « Royaume » est patent. Les verbes sont tous au futur et donc concernent
un avenir que nous devons essayer de préciser.

13. La tournure grecque avec un verbe au participe et l’autre à l ’indicatif correspond


habituellement à la tournure sémitique avec deux verbes coordonnés.
14. O n pourra consulter, si l’on veut, les travaux de Joachim Je re m ia s , de J . D u p o n t ,
de D . Z e l l e r et de B .D . C h i l t o n (p. 179-201).
LUC 16,16 = MATTHIEU 11,12-13 41

Dans M atthieu, qui place cet avertissement après la guérison du serviteur


du centurion de Capham aüm , les « enfants du Royaume » sont les Juifs
par opposition aux païens. Ainsi les Juifs devraient être les premiers à faire
partie du Royaume de Dieu et cela ne vise pas seulement les Juifs de l’avenir,
mais, évidemment, déjà ceux qui entourent Jésus et ceux pour lesquels écrit
l 'Evangéliste.
L ’expression « là il y aura le sanglot et le grincement des dents » que M at­
thieu affectionne (ici ; 13,42.50 ; 22,13 ; 24,51 ; 25,30) n ’est pas forgée par
lui, puisque son emploi en Luc 13,28 nous montre q u ’elle provient de la
Source Commune. Partout elle est employée pour caractériser le châtiment des
damnés : deux fois (M atthieu 13,42 et 50) elle se rapporte explicitement à la
Fin du M onde et trois fois (M atthieu 22,13 ; 24,51 ; 25,30) à la mort du
pécheur. Q u’en est-il ici ? En Luc où le contexte parle du nom bre des élus,
il s’agit également du jugement après la mort. En M atthieu, où la foi d ’un
païen est opposée à l ’incrédulité des Juifs, rien non plus n ’oriente vers la
Fin du M onde, et la rétribution à la m ort explique suffisamment tous les
détails du texte. Ce futur est donc celui de la m ort de chacun des auditeurs
de Jésus et des lecteurs de M atthieu et de Luc : alors ils auront la surprise
de trouver des païens parmi les élus (présentés comme attablés au même
festin que les Patriarches) et de se voir eux-mêmes rejetés au dehors. Ainsi
le Royaume de Dieu est le ciel, où seront admis même des païens et d ’où
seront exclus même des Juifs.

10) L u c 16,16 = M a t t h ie u 11,12-13'^


« La Loi et les Prophètes jusqu’à Jean ; depuis lors le Royaume de Dieu
est annoncé et chacun se violente vers lui ( = doit se faire violence pour y
entrer)» (Luc 16,16). — « Depuis les jours de Jean-Baptiste jusqu’à mainte­
nant le Royaume des Cieux ( = de Dieu) est violenté et des violents le
confisquent, car tous les Prophètes et la Loi jusqu’à Jean (1’) ont prophétisé »
(M atthieu 11,12-13). Ce texte difficile semble vouloir dire, en Luc, que
chacun doit se faire violence pour parvenir au Royaume de Dieu ; en Matthieu,
que de violentes oppositions cherchent à empêcher d ’y entrer. Luc semble
avoir maintenu ce texte à sa place originale, alors que M atthieu l’a transporté
dans un contexte plus logique. Mais M atthieu est peut-être plus fidèle que
Luc à la forme primitive de cette parole de Jésus.
Heureusement nous pouvons nous dispenser d ’entrer dans les contro­
verses exégétiques, car les deux points qui nous intéressent sont suffisamment
clairs. D ’abord le sens fondamental est bien celui de « Ro y a u me » et non
pas celui de « Règne », car le Règne de Dieu ne peut pas être « violenté » ni

15. Le substrat sém itique (aram éen) de ces te.xtes est discuté p a r D alman (p. 113-116)
et plus succinctem ent p a r H éring (p. 28).
16. Ces textes ont fait l’objet de nombreuses études ; les plus récentes sont celles de
G. B r a u m a n n , de P.H. M e n o u d , de W.E. M o o r e et de B.D. C h i l t o n . En Matthieu le mot
« biastai » ( = violents) n ’a pas d ’article et donc on ne peut pas comprendre, semble-t-il
que les disciples de Jésus s ’emparent avec énergie (dans le bon sens) du Royaume de Dieu ;
on doit semble-t-il comprendre que des violents (que Jésus ne veut pas désigner de façon
précise) empêchent (dans le mauvais sens) d ’y parvenir.
42 DANS LA SOURCE COMMUNE À MATTHIEU ET LUC ^

« confisqué » (ou, comme pensent certains, « approprié »), et surtout il ne peut


pas être confisqué par des malhonnêtes, seul le Royaume, par les hommes qui
le composent, peut subir (ou ; exercer) ces traitements. Ensuite les précisions
historiques sont formelles : ce Royaume de Dieu existe bel et bien au moment
où Jésus parle, puisqu’il prend même soin d ’en fixer le début : « depuis
Jean (Baptiste)». Quelles que soient les interprétations adoptées, ce texte
affirme en toute hypothèse que le Royaume de Dieu a commencé dès la
mission de Jean-Baptiste. M atthieu ne précise pas si c ’est dès le début ou dès
la fin de cette mission, mais Luc supposerait plutôt que c ’est depuis la fin.
CHAPITRE IV

Les Textes propres à Matthieu


Dans l ’Evangile de M atthieu, tout ce qui ne provient pas de Marc ou de la
Source Commune à M atthieu et à Luc est mis au compte de l’Evangéliste,
sans que nous puissions en générai distinguer ce q u ’il emprunte à des
documents (écrits on oraux) et ce q u ’il rédige lui-même. Mais, les documents
dont il s’inspire doivent correspondre à scs vues personnelles et il est toujours
capable de les retoucher à son gré. Nous ne lui faisons donc pas d ’injustice
quand nous lui attribuons tout ce dont nous ne connaissons pas l ’origine,
même s’il se contente peut-être de ratifier des données antérieures.

1) M a t t h ie u 4,23 ; 9,35 ; 24,14


A trois reprises, M atthieu trouve en Marc 1,39 ; 6,6 et 13,10 le verbe
« proclam er» ( = « prêcher») ou le verbe « enseigner» et il le pourvoit d ’un
complément « l ’Evangile (ou la bonne nouvelle) du Règne (ou du Royaume) »,
qui semble inspiré de M arc 1,14 : « proclamant l ’Evangile (ou : la bonne nou­
velle) de D ieu». Cette touche rédactionnelle doit provenir de l ’Evangéliste
lui-même, qui n ’avait pas besoin de recourir à une source précise pour ajouter
une telle remarque. La formule est si vague que nous ne pouvons préciser
si elle parle du « Règne » ou du « Royaume ». Mais une telle insistance ne
s’expliquerait pas si cette bonne nouvelle concernait un avenir plus ou moins
lointain et si elle ne visait pas la réalisation immédiate de ce « Règne » ou de
ce « Royaum e».
Curieusement, une formule équivalente se trouve 3 fois en Luc (8,1 ;
9,2 et 9,60) dans des passages qui ne sont pas parallèles à ceux de M atthieu.
Ainsi les deux évangélistes ajoutent l ’un et l ’autre la même formule, mais
à des endroits différents. C ’est la preuve que l ’un et l ’autre la considéraient
comme bien représentative de la prédication de Jésus.

2) M a t t h ie u 5,1 9 -2 0

« Si quelqu’un viole un seul de ces plus petits préceptes et s’il enseigne


cela aux hommes, il sera appelé le plus petit dans le Royaume des Cieux
( = de Dieu). Mais si quelqu’un (le) pratique et (1’) enseigne, celui-là sera
appelé grand dans le Royaume des Cieux ( = de Dieu)... Si votre justice ne
dépasse pas (celle) des Scribes et des Pharisiens, vous n ’entrerez pas dans le
Royaume des Cieux ( = de Dieu)».
En M atthieu, le verset précédent (5,18) contient quelques termes identi­
ques à ceux de Luc 16,17 ; il se pourrait donc que ce passage provienne de la
44 TEXTES PROPRES À MATTHIEU

Source Commune et que Luc en ait seulement conservé quelques mots. Mais
ce n ’est là qu’une hypothèse invérifiable.
Le sens de « Royaume » s’impose ici puisqu’il s’agit d ’une réalité col­
lective, dans laquelle on « entre ». Curieusement, les verbes qui indiquent
les conditions sont au subjonctif aoriste, à sens de répétition dans le présent
(« si quelqu’un viole.., s ’il enseigne... s ’il pratique... s’il enseigne... si votre
justice ne dépasse pas...») et les verbes qui indiquent les résultats sont à
l ’indicatif futur (« il sera appelé...) ou au subjonctif aoriste à cause de
« ou mê », signifiant « il n ’y a pas de danger que... » (« il n ’y a pas de danger
que vous entriez = vous n ’entrerez pas »). Cette tournure montre clairement
que les conditions sont à remplir dès m aintenant, mais que leur effet ne se
produira que plus tard : c’est dès m aintenant qu’on peut violer et faire violer
les préceptes, q u ’on peut les observer et les faire observer, que la justice
peut dépasser celle des Scribes, mais c’est seulement plus tard q u ’on entrera
ou n ’entrera pas dans le Royaume de Dieu et q u ’on y sera considéré comme
le plus petit ou le plus grand. Ici donc le Royaume de Dieu est présenté dans
le futur, mais dans un futur relativement proche, puisque les auditeurs de
Jésus pourront y pénétrer ou en être exclus’.

3) M a t t h ie u 7,21
« C e n ’est pas tout (homme) qui me dit «Seigneur, Seigneur» qui
entrera dans le Royaume des Cieux ( = de Dieu), mais celui qui fait la
Volonté de mon Père qui (est) dans les Cieux ».
Luc 6,46 résume la même idée et donc il se pourrait que cette parole de
Jésus provienne de la Source Commune à M atthieu et à Luc, mais nous
ne pouvons pas le vérifier.
Comme dans le texte précédent, il s’agit bien du Royaume de Dieu, où
l ’on peut entrer, et la même distinction apparaît entre les deux verbes au
présent ; «(celui) qui me dit... celui qui fait...», et le verbe au futur : « il
entrera dans le royaume ». Donc, comme au texte précédent, Jésus distingue
les conditions à remplir déjà maintenant et l’effet à obtenir plus tard, mais
dans un avenir accessible à ses auditeurs.
Certains manuscrits (énumérés par N e s t l e , M e r k o u L e g g ) ajoutent ;
«celui-là entrera dans le Royaume des Cieux ( = de Dieu)». Cette variante
est une addition manifeste et, en ce qui nous concerne, elle ne modifie en
rien les données de la phrase précédente.

4) A l l é g o r ie d e l ’I v r a ie d a n s l e B lé : M a t t h ie u 13,24-30+36-43

« Le Royaume des Cieux ( = de Dieu) a été comparé à un homme ayant


semé de la bonne graine dans un champ. Pendant que les hommes dormaient.

I. C ’est ici que devrait ê(re mentionné M atthieu 6,13 : « C ar à toi est la royauté, la
puissance et la gloire pour les siècles », où le sens de « royauté » est imposé par le parallélisme
avec la « puissance » et la « gloire » ; le premier terme, tout comme les deux suivants, désigne
un attribut subjectif de Dieu. Mais ce texte, qui est une addition d'origine liturgique inspirée
par 1 Chron. 29,11-12, ne peut pas être considéré comme authentique, ainsi que le
reconnaissent les éditions critiques de T i s c h e n d o r f , de W e s t c o t t - H o r t , de N e s t l e , de
VON SoDEN, de M e r k , de L e o o et d ’ALANo. La question est discutée plus en détail par
B .M . M b t z o e r , p. 16-17 et par J. C a r m i g n a c (Recherches...) p. 320-333.
MATTHIEU 13 ,2 4 -3 0 + 36 -4 3 45

son ennemi est venu : il a semé de l’ivraie au milieu du blé et il est parti.
Quand l’herbe a poussé et a fait du fruit, alors est apparue aussi l’ivraie.

; serviteurs lui disent ; « Veux-tu


nue nous allions la ramasser ?» Il dit : « N on. De peur q u ’en ramassant
rivraie vous ne déraciniez le blé en même temps q u ’elle. Laissez l ’un et l’autre
croître ensemble jusqu’à la moisson et au moment de la moisson je dirai
aux moissonneurs ; « Ramassez d ’abord l ’ivraie et liez-la en gerbes pour
la brûler, et rentrez le blé dans m on grenier»...
« Ses disciples ( = de Jésus) sont venus à lui en disant : « Explique nous
l ’allécorie de l ’ivraie du champ ». En réponse il leur a dit ; « Celui qui sème
la bonne graine c ’est le Fils de l ’Homme. Le champ c ’est le monde. La
bonne graine ce sont les enfants du Royaume. L’ivraie ce sont les enfants du
Mauvais L ’ennemi qui l’a semée c ’est le diable. La moisson c ’est la consom­
mation du temps. Les moissonneurs ce sont les anges. Donc, comme on
ramasse l’ivraie et on la brûle au feu, ainsi il en sera à la consommation du
temps Le Fils de l ’Homme enverra ses anges et ils ramasseront de son
Royaume tous les scandales et ceux qui font l’iniquité et ils les jetteront dans
la fournaise de feu. L à il y aura le sanglot et le grincement des dents. Alors
les justes brilleront comme le soleil dans le Royaume de leur Père ».
Ainsi pourvue de son explication, cette allégorie^ est parfaitement claire ;
il s’agit sans aucun doute possible du Royaume de Dieu et les perspectives
historiques sont bien précisées. Le Royaume de Dieu existe déjà, puisque
c’est Jésus, le Fils de l ’Homme, qui le réalise^ L ’ivraie, elle aussi, est déjà
semée car pour elle les verbes sont constamment au passé ; « son ennemi
est venu il a semé de l ’ivraie... il est parti ; quand l ’herbe a poussé et a fait
du fruit alors est apparue aussi l ’ivraie... l ’homme ennemi a fait cela...
l ’ennemi’ qui l’a semée». Mais ce passé se continue dans le présent, car
plusieurs verbes, surtout dans l ’explication de l ’allégorie sont au présent :
« d ’où (le champ) a-t-il donc de l ’iv ra ie ? ; ...les serviteurs lui d isen t:
«V eux-tu »; celui qui sème la bonne graine, c’est le Fils de l’Homme;
le cham p c ’est le monde ; la bonne graine ce sont les enfants du Royaume ;
l’ivraie w sont les enfants du Mauvais ; l’ennemi... c ’est le diable». Puis la
moisson est décrite au futur : « je dirai aux moissonneurs» et, par chance,
ce futur est précisé comme étant « la consommation du temps» ; alors « le
Fils de l’Homme enverra ses anges et ils ramasseront... ils les jetteront...
il y aura le sanglot... les justes brilleront comme le soleil dans le Royaume
de leur Père ».
Les enseignements de cette allégorie sont extrêmement précieux ; le
Royaume de Dieu a déjà commencé quand Jésus parle, il se prolonge dans
le présent et il durera jusqu’à la Fin du Monde, jusqu’à la punition défimtive
des méchants et à la transform ation définitive des justes. En outre nous

2 . R . B u ltm a n n conteste le caractère allégorique de ce passage ; « Je tiens le morceau


pour une pure parabole et non, comme le pense J ü u c h e r , pour une allégorie » (Histoire
de la tradition synoptique, p. 223). Plus loin (p. 572) il ciledans le même sens D odd , Jerem ias
et K üm m el. Cette discussion n ’a aucune importance pour nous.
3. Les semailles sont même présentées par un participe aoriste: « un homme ayant
semé », puis par un indicatif aoriste ; « n ’as-tu pas semé de la bonne graine ? ».
*tO TEXTES PROPRES A MATTHIEU

apprenons que le Royaume du Fils de l’Homme n ’est pas formé seulement


par des justes, mais q u ’il englobe aussi « tous les scandales et ceux qui font
l ’iniquité», ceux que les anges «jetteront dans la fournaise de feu (où) il y
aura le sanglot... » ; c ’est même ce mélange permanent de justes et de pécheurs
qui semble la leçon principale de cette allégorie : les serviteurs, qui proposent
d ’éliminer l ’ivraie ( = les méchants), en sont catégoriquement empêchés :
«No n . De peur q u ’en ramassant l’ivraie vous ne déraciniez le blé ( = les
justes) en même temps q u ’elle. Laissez l ’un et l’autre croître ensemble jusqu’à
la moisson ». Nous constatons aussi que le Royaume de Dieu ( = des Cieux)
mentionné au début de l’allégorie devient dans le cours du récit « le Royaume
du Fils de l’Homme » et à la fin « le Royaume du Père » : ces trois formules
sont donc interchangeables. Certains auteurs (voir ci-dessous, p. 192-193)
voudraient introduire une distinction entre le Royaume du Fils de l ’Homme
(sur terre) et le Royaume du Père (au ciel) ; mais c ’est oublier que l’allégorie
a pour but d ’illustrer la notion de Royaume des Cieux ( = de Dieu) qui
est mentionnée dès les premiers mots.

5) P a r a b o l e du T r é s o r : M a t t h ie u 13,44

« Le Règne (ou : Royaume) des Cieux ( = de Dieu) est semblable à un


trésor caché dans un champ : l ’homme qui l’a trouvé l ’a (re) caché et dans
sa joie il s’en va vendre tout"^ ce qu’il a et il achète ce champ-là ».
A elle seule cette parabole ne nous permet pas de préciser si ce trésor
figure le « Règne » de Dieu ou son « Royaume ». Elle veut enseigner la valeur
de ce trésor et inviter à l’acquérir à tout prix, mais elle est intemporelle et elle
ne permet pas de le situer historiquement : si deux verbes sont au passé :
« a trouvé» et « a (re) caché», c ’est par rapport aux verbes suivants : «il va,
il vend... et il achète». Mais comme le m ontre D o d d (Parables..., p. 87)
Jésus n ’aurait pas proposé cette parabole et la suivante s’il n ’avait pas eu
l’intention d ’ejchorter ses auditeurs à faire l’impossible pour s’ouvrir à ce
Règne de Dieu ou pour entrer dans son Royaume. Implicitement elles
supposent un Règne ou un Royaume de Dieu à portée de la main.

6) P a r a b o l e d e la P e r l e : M a t t h ie u 13,45-46

« Le Règne (ou : le Royaume) des Cieux ( = de Dieu) est encore semblable


à un marchand qui cherche des perles précieuses ; ayant trouvé une perle de
grand prix, il s’en est allé réaliser tout ce q u ’il avait et il l’a achetée».
Comme pour la parabole précédente, nous ne pouvons guère ici distinguer
entre le « Règne » et le « Royaume » de Dieu. L ’action de ce m archand est
située dans le passé : « ayant trouvé... étant allé, il a réahsé (verbe au parfait)...
ce q u ’il avait (imparfait)... il a acheté» ; mais son commerce est au présent :
« un marchand qui cherche». On serait imprudent si l’on insistait sur ce passé
et il est plus sage de considérer cette parabole comme aussi intemporelle
que la précédente. Son but est uniquement de mettre en valeur le très grand
prix de cette perle, qui vaut mieux que tous les biens q u ’on possédait.

4. Le m ot « tout » m anque dans quelques témoins très anciens.


MATTHIEU 1 3 , ^ - 5 2 ; 1 6,17-19 47

7) Allégorie du F ilet ; M atthieu 13,47-50


« Le Royaume des Cicux ( = de Dieu) est encore semblable à un filet
qui a été jeté dans la mer et qui a attrapé (des poissons) de toute espèce ;
quand il a été plein, on l’a tiré sur le rivage, on s’est assis, on a trié les bons
dans des récipients et on a jeté dehors les mauvais. Ainsi (en) sera-t-il à la
consommation du temps : les anges sortiront, sépareront les méchants du milieu
des justes et les jetteront dans la fournaise de feu : là il y aura le sanglot et le
grincement des dents ».
Cette allégorie ressemble beaucoup à celle de l’Ivraie : ici comme là
c’est bien le « Royaume » et non pas le « Règne » qui est en cause ; ici comme
là, l’interprétation vise explicitement la Fin du Monde. Mais ici plus encore
que là, est décrite la composition disparate du Royaume de Dieu, qui
rassemble des justes et des pécheurs, dont le tri ne sera fait qu’au Jugement
Général. C ’est même cet enseignement qui forme le trait essentiel de cette
allégorie, avec la description du sort réservé aux méchants.

8) R éflexion générale sur les allégories : M atthieu 13,51-52


« Avez-vous compris tout cela ? (Les disciples) lui disent : « Oui ». 11
(= Jésus) leur a dit : « C ’est pour cela que tout scribe instruit du Règne
(ou : du Royaume) des Cieux ( = de Dieu) est semblable à un maître de maison
qui sort de son trésor du neuf et de l’ancien ».
Le contexte ne permet pas de préciser si Jésus parle du « Règne » ou du
« Royaume» de Dieu ; peut-être est-ce de l’un et de l’autre. Manifestement
les disciples, à qui est adressée cette réflexion, sont déjà les émules de tels
scribes, parce qu’ils sont instruits du « Règne » ou du « Royaume » de Dieu.
Mais l’enseignement que Jésus leur a donné et qu’ils ont bien compris
pourrait porter sur le passé, sur le présent ou sur l’avenir. Nous ne pouvons
donc rien conclure sur la réalisation du « Règne » ou du « Royaume » de Dieu.

9) Promesses à P ierre : M atthieu 16,17-19


« En réponse (à Pierre) Jésus lui a dit : Heureux es-tu, Simon fils de
Jona, car (la) chair et (le) sang ne t ’ont pas révélé (cela), mais mon Père qui
(est) dans les Cieux. Et moi je te dis que tu es Pierre*, (que) sur cette pierre
je construirai mon Eglise et (que) les portes du Sheôl ne seront pas plus fortes
qu’elle. Je te donnerai les clefs du Royaume des Cieux ( = de Dieu) : ce que
tu lieras sur la terre sera lié dans les Cieux et ce que tu délieras sur la terre
sera délié dans les Cieux ».
Cette promesse est insérée par Matthieu seul dans un passage (16,13-23)
où il est parallèle à Marc 8,27-33 et à Luc 9,18-22. Matthieu est seul aussi à
reprendre une partie de ce texte en 18,18 : «T out ce que vous lierez sur la
terre sera lié dans le Ciel et tout ce que vous délierez sur la terre sera délié
dans le Ciel». Différentes hypothèses ont été faites sur l’origine de cette

5. N ous savons par Jean 1,42; 1 Cor. 1,12; 3,22; 9,5; 15,5; Gai. 1,18; 2,9; 11,14
q u ’effectivement Pierre a été appelé Kêfâ(s), ce qui en aram éen signifie « la pierre » ou
« le roc », « le rocher ».
48 TEXTES PROPRES À MATTHIEU

promesse®, quoique tout le monde soit bien obligé de reconnaître son carac­
tère sémitique''. Certains voudraient la considérer comme inauthentique,
mais elle se trouve dans tous les manuscrits de Matthieu®, sans plus de variantes
secondaires que le reste des Evangiles®.
Quelle que soit l ’origine de ce passage, ce qui nous importe, c ’est de le
comprendre exactement^®. Comme Jésus parle des clefs du Royaume (voir
ci-dessus (p. 39) Luc 11,52 et M atthieu 23,15) et qu’il souligne le caractère
spatial de ce Royaume, en opposant la terre et le ciel, on ne doit pas hésiter à
reconnaître ici le sens de « Royaume » plutôt que celui de « Règne ». La
promesse de Jésus s’exprime par des verbes au futur : « Je construirai mon
Eglise... les portes de l ’Enfer ne seront pas plus fortes q u ’elle. Je te donnerai
les clefs du Royaume (de Dieu)... sera lié... sera délié». Mais quelle est la
portée de ce futur : est-ce que l’Eghse n ’existe pas encore, ni les clefs du
Royaume, et q u ’elles n ’existeront que plus tard, pendant la vie de Pierre ?
Ou bien est-ce que l ’Eglise existe déjà, mais q u ’elle ne reposera sur Pierre
que plus tard ? Est-ce que ce qui est lié ou délié sur la terre l ’est déjà dans le
ciel, mais cette fonction ne sera attribuée à Pierre que plus tard ? Reconnais­
sons que ce passage, à lui seul, ne nous permet pas de répondre à ces questions
et de résoudre ces am biguïtés^^
Mais nous devons noter très soigneusement le parallélisme manifeste que
Jésus réalise entre « son Eglise » et « le Royaume de Dieu ». C ’est en somme
la même idée q u ’il exprime par deux formules équivalentes : « sur (toi) je
construirai mon Eglise» et « je te donnerai les clefs du Royaume des Cieux
( = de Dieu) ». A travers deux images différentes mais complémentaires,
c ’est la même réalité que Jésus désigne par son « Eglise » et par le « Royaume
des Cieux ». Ce parallélisme est d ’autant plus significatif que le terme « Eglise »
est extrêmement rare dans les Evangiles : M arc, Luc et Jean ne l ’emploient
jamais ; M atthieu ne l’emploie q u ’ici et en 18,17 (au voisinage de 18,18 qui est
apparenté de façon manifeste à la finale de notre passage. Ainsi sur les deux
fois où le m ot « Eglise » apparaît dans les Evangiles, il est une fois considéré
comme l ’équivalent du « Royaume de Dieu ». L ’un des plus récents commen-

6. Etudes plus ou moins développées sur ce passage : non seulement dans les commen­
taires sur M atthieu, mais aussi chez H . D ie c k m a n n (I, p. 285-319), L. d e G r a n d m a is o n
(II, p. 63-65), O. L i n t o n (p. 157-180), T.W. M a n s o n (Sayings, p. 201-205), R .N . F l e w
(p. 89-98), K.L, ScHMiDT(Ekkêsia... en allemand, p. 522-530 ; en français, p. 78-94), G . G a n d e r
(tout l’ouvrage), G .E . L a d d (p. 240-242), J. K a h m a n n , P. H o f f m a n n .
7. Ce substrat sémitique (araméen) est étudié par D a l m a n (p. 174-178).
8. Et elle était déjà connue au premier siècle par les Odes de Salomon X X II,12, au
deuxième siècle par l ’Apocalypse Grecque de Barach X I,2, entre 150 et 155 par J u s t i n dans
son Dialogue avec Tryphon, chapitre 100, n° 4 ( M io n e , Patrologie Grecque vol. VI, col. 709,
traduction A r c h a m b a u l t , p. 123) et vers 220 par T e r t u l l i e n dans le De Pudicitia, chap. 21
( M ig n e , Patrologie Latine, vol. II, col. 1025). L ’authenticité est actuellement reconnue par
K .L. ScHMiDT (p. 523) : « Dans les autres cas une tradition n ’est nullement considérée comme
inauthentique parce q u ’elle est une tradition particulière ».
9. Selon l’édition de L e g q , la plus complète qui existe actuellement.
10. K.L. ScHMiDT remarque à propos de ce texte : « Il est caractéristique combien
fortement, dans toute cette discussion, une construction systématique a évincé la position
exégétique » (Basileia... p. 526, note 63).
11. Ces réponses seront fournies ci-dessous, p. 96.
MATTHIEU 18,1 + 3 + 4 45/

tateurs de M atthieu dit explicitement : « l ’Eglise de Dieu et de Jésus est iden­


tique au Royaume de Dieu et de Jésus » (P. G a e c h t e r , p. 530)

10) M a t t h ie u 18,1 + 3 + 4
Dans le récit de M arc 9,33-37, que Luc 9,46-48 reproduit en l’abrégeant,
M atthieu 18,1-5, qui lui aussi abrège M arc sur certains points, ajoute quelques
développements, qui trois fois mentionnent le « Royaume des Cieux ( = de
Dieu) ».
Là où M arc 9,34 disait : « Qui (est le) plus grand ? » et Luc 9,46 :
«Qui serait (le) plus grand (parmi) eux ( = les disciples) ?» M atthieu 18,1
dit : « Qui est Oe) plus grand dans le Royaume des Cieux ? ».
Puis M atthieu 18,3-4 complète M arc 9,36 (et Luc 9,48) en insérant la
réflexion suivante : « Si vous ne changez pas et (ne) devenez (pas) comme les
enfants, vous n ’entrerez pas dans le Royaume des Cieux ( = de Dieu). Donc
quiconque se rendra petit comme cet enfant, celui-là est le plus grand dans
le Royaume des Cieux ( = de Dieu)».
T out ce passage, avec ses trois références au « Royaume des Cieux
( = de Dieu) », vise clairement le « Royaume » et non pas le « Règne » de Dieu,
puisqu’il s ’agit précisément d ’y entrer, d ’en être membre et d ’être comparé
aux autres membres.

12. L a bibliographie sur ce texte est immense. Q u’il soit pem ûs de ne citer (mais dans sa
langue originelle) qu ’un vieil auteur anonyme, qui risquerait de tom ber dans l’oubli ; « 1 will
give unto thee the keys of the kingdom o f heaven. » By « the kingdom of heaven » is meant
the Church which Christ was establishing on earth, with ail its privilèges and means o f grâce,
to préparé his people for the Church trium phant— the kingdom of heaven above. It is the
common usage of our Lord to describe his Church by this expression ; as when he likens
« the kingdom o f heaven » to a net cast into the sea, which encloscd both good fishes and
bad (M att. 13, 47-50); to a field, in which both the good seed and the tares were to grow
together until the harvest (M att. 13, 24-30) ; to a grain o f mustard seed growing into a large
tree, in which the fowls of the air should lodge (M att. 13, 31-32); to leaven hid in three
measures of meal till the whole was leavened (M att. 13, 33) ; and in many other familiar
cases. The phrase is sometimes used in other senses, sometimes the S tate o f e te m a l glory,
sometimes the internai experience of the Christian, sometimes the whole work and dispensa­
tion of Christ. But here it evidently means the Church, o f which he had just before spoken,
and to which the subséquent clauses plainly apply ». (« The Rock. An exegesis of St. Matthow
16,15-19 », dans The Journal o f Sacred Literature and Bibiical Record, vol. VU, n" 13,
April 1858, p. 82).
La liste des auteurs qui maintiennent l’authenticité de M atth. 16,17-19 est dressée par
O. CuLLMANN (Saint-Pierre..., p. 167-191) et complétée par G.E. L a ü d (p. 241).
Parmi les auteurs qui refusent l'authenticité de ce passage, voici l’opinion de R. B u l t m a n n
(Histoire de la tradition synoptique, p. 179): « Il me paraît absolument impossible de tenir
Matthieu 16,18-19 pour une authentique parole de Jésus, comme le désirerait K.L. S c h m u jt
qui trouve exprimée dans cette sentence la fondation par Jésus d ’une société particulière
(d ’une kenîStâ). La rançon à payer pour ce moyen de se tirer d ’affaire est que l’ekklêsia perd
son radical sens eschatologique » (l’aveu est significatif!). B.S. E a t o n abonde dans le même
sens (p. 257) : « Il est maintenant admis universellement que (ce passage) est secondaire, car
il est totalement inconciliable avec l’enseignement de Jésus sur le Royaume, soit présent,
soit futur » (autre aveu significatif!). En 1941 B u l t m a n n revient sur la question (Die Frage...
article reproduit en 1967 dans Exegetica) pour affirmer à nouveau que Jésus ne pouvait
pas vouloir fonder une « para-synagogue », puisque « il ne peut y avoir aucun doute que cette
ekklêsia était le peuple de Dieu eschatologique » (Exegetica, p. 263). Nous voyons par là
comme les théories eschatologiques influencent la compréhension des paroles de l’Evangile...
La position de B ü l t m a n n est légèrement adoucie par son disciple E. D i n k l e r (dans un ouvrage
en l’honneur de B ü l t m a n n !).
50 TEXTES PROPRES À MATTHIEU

Mais l ’horizon historique est moins facile à déterminer. Comme les


disciples se chamaillent pour savoir qui est le plus grand dans le Royaume
des Cieux ( - de Dieu), leur discussion ne doit pas être purement académique
et théorique, au sujet d ’un Royaume de Dieu éloigné ou intemporel.
D ’ailleurs M atthieu exprime au présent le verbe sous-entendu chez M arc :
« Qui (est le) plus grand ? », et Luc précise « (le) plus grand parmi eux ».
Ensuite M atthieu met sur les lèvres de Jésus un avertissement au futur (« vous
n ’entrerez pas»), mais ce futur doit être assez rapproché, puisqu’il concerne
les disciples auxquels Jésus s’adresse pour régler leur querelle ; « Je vous le
dis... vous n ’entrerez pas». Ensuite Jésus énonce un principe plus général
valable pour « quiconque », mais il met la condition au futur (« se rendra
petit ») et la conséquence au présent (« celui-là est le plus grand »). Pour
justifier cette alternance dans le temps des verbes, on est amené, en harmonie
avec le contexte, à comprendre ce récit de la façon suivante : Les disciples
envisagent le Royaume de Dieu comme une réalité présente, ou du moins
si proche q u ’elle peut être considérée comme déjà présente, à laquelle ils
participent ou participeront dans un avenir imminent. Jésus leur répond en
leur précisant la condition q u ’ils devront remplir pour entrer (au futur) dans
ce Royaume de Dieu. Puis il élargit l ’horizon et s’adresse à tous les candidats
à ce Royaume en leur affirmant q u ’eux aussi devront réaliser la même condi­
tion ; comme il s’agit d ’un principe général, les verbes pourraient être au
présent, mais, par un curieux illogisme, Jésus met cette condition au futur et
son résultat au présent. En somme les disciples ne sont pas encore entrés dans
le Royaume de Dieu, alors q u ’ils s’en croient tellement proches q u ’ils discutent
déjà sur la répartition des places, mais ils pourront y entrer bientôt ; ce
royaume ne sera pas égalitaire, mais il supposera une différenciation, qui sera
le contraire de la différenciation actuelle.

11) P a r a b o l e d u D é b it e u r I m p it o y a b l e : M a t t h ie u 18,23-35
« Le Règne des Cieux {= de Dieu) a été comparé à un homme, un roi,
qui voulait régler ses comptes avec ses serviteurs... » Après avoir mis en scène
un débiteur qui devait dix mille talents et un autre qui devait cent deniers,
Jésus conclut : « Ainsi mon Père céleste (lui) aussi agira envers vous, si vous
ne pardonnez pas, chacun à son f r è r e d e (tout) votre cœ ur».
Dans cette parabole, une traduction par « Royaum e» fausserait la
pensée de Jésus : la conclusion montre nettement que Jésus décrit le principe
de gouvernement suivi par Dieu, donc q u ’il veut dire « Règne», là où le grec
emploie «basileia». Nous voyons ici comment Dieu met à exécution sa
Royauté. Bien sûr, les deux serviteurs sont membres du Royaume de Dieu,
dont l’un est exclu, parce q u ’il ne se conforme pas à l ’exemple que lui donne
son maître. Mais ce n ’est pas l’aspect « Royaume » qui est présenté par cette
parabole, c’est l’aspect « Règne ».
La parabole est tout entière rédigée au passé, mais c ’était inévitable que
Jésus emploie une tournure historique, pour donner une allure de réalité au
récit fictif q u ’il inventait. Ces verbes au passé n ’ont donc pour nous aucune
valeur particulière.

13. Form ule sémitique signifiant « l ’un à l ’autre ».


MATTHIEU 1 9 ,1 2 ; 2 0 ,1 -1 6 51

Le seul verbe qui puisse nous renseigner sur l ’horizon historique de ce


« Règne de Dieu » est celui de la conclusion : « Ainsi mon Père céleste (lui)
aussi agira envers vous ». Nous sommes clairement dans le domaine du futur,
sans que rien ne précise s’il s’agit d ’un futur proche ou d ’un futur lointain.
Ce sont les auditeurs de Jésus qui sont concernés par cet avertissement,
mais nous ne savons pas si le jugement de Dieu les atteindra à leur mort,
ou seulement à la Fin du Monde.

12) M a t t h ie u 19,12
« Il y a des eunuques qui sont nés ainsi du sein de leur mère, et il y a
des eunuques qui ont été rendus tels par les hommes, et il y a des eunuques
qui se sont eux-mêmes rendus tels à cause du Règne (ou : du Royaume)
des Cieux ( = de Dieu)».
Ici Jésus n ’envisage pas la façon dont Dieu réalise sa Royauté, mais la
réaction de certains hommes qui y sont soumis. Faut-il comprendre que
certains hommes se sont castrés pour « entrer dans le Royaume de Dieu »
ou bien q u ’ils l ’ont fait sous l’influence du «R ègne» de Dieu sur eux ? La
préposition grecque « dia » n ’est pas assez précise pour nous renseigner
sur ce point.
Par contre ces eunuques sont trois fois mentionnés au présent, comme des
réalités historiques bien connues. Et chaque fois la cause de leur état est
indiquée par un verbe au passé. C ’est donc déjà dans le passé que certains
hommes se sont eux-mêmes rendus eunuques et que leur acte a été inspiré
par le « Règne » ou le « Royaume » de Dieu. Mais cela ne signifie pas
nécessairement que ce « Règne » ou ce « Royaume » de Dieu appartiennent
au passé : des hommes ont pu agir dans le passé en vue d ’un but futur. Sur
ce point aussi ce passage de M atthieu reste amphibologique.

13) P a r a b o l e des O u v r ie r s E n v o y é s à l a V ig n e : M a t t h ie u 20,1-16

« Le Règne des Cieux ( = de Dieu) est semblable à un homme maître


de maison, qui sortit le m atin embaucher des travailleurs pour sa vigne, etc.
Ainsi les derniers seront les premiers et les premiers (seront) les derniers».
Dire que le Royaume de Dieu est semblable à un homme ne serait pas
très logique. Plus naturellement, Jésus propose cet homme et ses serviteurs
comme images de Dieu gouvernant le monde et donc c ’est le « Règne » de Dieu
qui est ici la traduction normale.
Les principaux verbes de la parabole sont au passé, comme l ’exige le
genre littéraire de ce récit fictif, et donc ils n ’ont pour nous aucune signification
spéciale. M ais la conclusion est au futur, ce qui indique que la reddition
de comptes supposée par la parabole ne sera exécutée que plus tard, dans un
avenir totalement imprécis, qui peut fort bien être proche ou très éloigné.

14) M a t t h ie u 20,20-28, parallèle à M a r c 10,35-45

L ’épouse de Zébédée demande pour ses fils : « Dis que mes deux fils
que voici siègent l’un à ta droite et l ’autre à ta gauche dans ton Royaume... ».
Jésus répond : « ... Siéger à ma droite et à (ma) gauche, ce n ’est pas mon
(affaire) de le donner, mais (c’est) pour ceux à qui (cela est) préparé par
'J :'-
m on Père...» Et Jésus termine par une adm onition adressée aux douze
Apôtres : « Vous savez que les chefs des nations les régentent et (que) les
52 TEXTES PROPRES À MATTHIEU

grands les oppriment. Ce n ’(est) pas ainsi (qu’) il (en) sera^'* parmi vous, mais
quiconque veut parmi vous devenir grand, il sera votre serviteur. Et quiconque
veut parmi vous être le premier, il sera votre esclave, comme le Fils de l’Homme
n ’est pas venu (pour) être servi, mais (pour) servir et donner sa vie (en) expia­
tion à la place de beaucoup ».
Selon M arc 10,37 la demande présentée à Jésus concerne la prom otion
de Jacques et Jean à sa droite et à sa gauche « dans ta gloire » et M atthieu
20,21 remplace « g lo ire» par «basileia». Si M atthieu a voulu conserver le
caractère subjectif de « gloire », il a dû avoir à l’esprit le sens de « Royauté ».
Mais s’il a substitué un terme à l’autre, n ’est-ce pas plutôt parce q u ’il voulait
remplacer l’idée subjective de « gloire» par l’idée objective de « R oyaum e» ?
Il a dû penser qu’il n ’était pas naturel de dire « siéger dans ta gloire » et qu’il
vaudrait mieux dire « siéger dans ton Royaume ». Aussi, malgré le parallèle
de Marc, et peut-être même à cause de lui, on doit, semble-t-il, donner la
préférence au sens de « Royaume ». Mais ici ce « Royaume » n ’est pas consi­
déré comme le « Royaume de Dieu », il est bel et bien le « Royaume de
Jésus», les deux formules étant équivalentes (voir ci-dessous, p. 98).
La demande suppose évidemment que le Royaume de Jésus n ’est pas
encore là, mais q u ’il va être inauguré dans un avenir immédiat, pendant la
vie même de Jésus. Et Jésus ne répond pas en arguant d ’une erreur de pers­
pective, mais d ’une différence d ’attribution : ces postes sont décernés par son
Père et non par lui. Puis Jésus adresse à tous les Apôtres une monition plus
générale : la grandeur réelle sera l ’inverse de la grandeur apparente. Mais
ce futur ne concerne plus le « Royaume » : il suppose que la vraie grandeur,
c ’est-à-dire la petitesse apparente, n ’est pas encore atteinte par les Apôtres,
mais q u ’elle pourra l’être.
Jésus admet donc implicitement que « son Royaume » existera bientôt,
avant la m ort de tous ses Apôtres.

15) M a t t h ie u 2 1 ,3 1 -3 2

« Les publicains et les prostituées vous précèdent*^ dans le Royaume de


Dieu*®. En effet Jean est venu vers vous dans la voie de la justice*'' et vous

14. En Marc 10,43 et en M atthieu 20,26 les manuscrits hésitent entre le présent « est »
et le futur « sera ». L ’édition de Aland préfère le présent en M arc et le futur en M atthieu
(voir B.M. M b t z g e r , p. 108 et 52-53).
15. Bien que le verbe soit au présent dans tous les manuscrits grecs, l’apparat critique
de L eg g signale que plusieurs versions traduisent au fu tu r: Syriaque Sinaitique, Copte
Bohaïrique, Ethiopienne et peut-être Géorgienne (1 manuscrit sur 3). En latin selon l’apparat
critique de W o r d s w o r t h -W h it e , la Vetus-Latina aurait le présent selon 7 manuscrits (dont
2 du 4 ' ou 5 ' siècle) et le futur selon 4 manuscrits (dont 2 du 4 ' ou 5 ' siècle) ; pour la Vulgate
15 manuscrits ont le présent et sont suivis p ar les éditions de W o r d s w o r t h -W h it e et de
W eber , mais 11 manuscrits ont le futur et ils sont suivis par les éditions de Robert E s t ie n n e ,
SrxTE V, C lam ent V llI, T is c h e n o o r f . En français, le futur est employé par L e M a ist r e de
S a c y (éditions de 1759), E. R eus S, Pierre de B e a u m o n t , André F r ossa r d (« En ce temps-là
a Bible »), André C h o u r a q u i ; mais le présent est conservé à juste titre p ar O st e r v a l d ,
C r a m p o n , C e n t e n a ir e , L ié n a r t , M a r ed so u s , J ér u sa lem , O st y et Traduction Oecuménique.
16. Ici M atthieu ne parle pas d u «R oyaum e des C ieux», mais, par exception, du
Royaume de Dieu ».
17. Evidemment il s’agit ici de la perfection dans l’observance de la loi juive.
MATTHIEU 2 1 ,4 3 53

n ’avez pas cru en lui, alors que les publicains et les prostituées ont cru en
lui. Et vous, en (les) voyant, vous n ’avez pas ensuite changé de disposition
pour croire en lui ».
Le sens de « Royaume » s’impose, puisque c ’est un lieu vers lequel on se
dirige (ou ; ne se dirige pas).
Parfois les traductions françaises remplacent (pour quel m otif ?) le
présent « précèdent » par le futur « précéderont », mais en grec tous les
manuscrits (selon L e g g ) ont bien le présent. Et de fait, cette réflexion de
vifv Jésus suppose que déjà les publicains et les prostituées ont cru en la prédi-
■^1 cation de Jean et sont entrés dans le Royaume de Dieu, que déjà les chefs des
prêtres et les anciens du peuple, avec lesquels Jésus discute (M atthieu 21,23),
ont refusé d ’y croire et que déjà ils n ’ont pas tenu compte de l’exemple que
leur donnaient ces publicains et ces prostituées.
Donc ce texte ne peut pas se comprendre si l’on n ’adm et pas que le
Royaume de Dieu existe déjà et q u ’il existait déjà lors de la prédication de
Jean-Baptiste.

16) M a t t h ie u 2 1 ,4 3

L ’allégorie*® des Vignerons Homicides est complétée, chez Mathieu


seulement, par cet avertissement : « Le Règne (ou : le Royaume) de Dieu*®
vous sera enlevé et il sera donné à une nation qui fasse ses fruits ( = qui lui
fasse porter des fruits) ».
Le verset suivant précise que les chefs des prêtres et les Pharisiens ont
compris que Jésus parlait d ’eux ; c ’est donc au moins à eux que s’applique le
pronom « vous ».
Cet avertissement de Jésus est rattaché à l ’allégorie des Vignerons
Homicides (M atth 21,33-42) où est décrit le « R ègne» de Dieu. Reconnaissons
q u ’il est difficile de dire q u ’un « règne sera donné à une nation », mais il
n ’est pas plus facile de dire q u ’un «royaum e sera donné à (cette) nation».
En hébreu ou en araméen la préposition « lamed » est assez polyvalente
pour que ce texte signifie soit (comme a compris le traducteur grec du
M atthieu sémitique) « le Règne (ou : le Royaume) sera donné à une nation »,
soit (comme il aurait dû comprendre) « le Règne (ou le : Royaume) sera
donné pour cette nation », c ’est-à-dire « en direction de cette nation », « au
sujet de cette nation », « en ce qui la concerne ».
Au fond Jésus veut dire : « Dieu cessera de régner sur vous et il régnera
sur d ’autres », ou bien : « vous cesserez d ’appartenir au Royaume de Dieu
et d ’autres y appartiendront à votre place ». Dans un cas comme dans l ’autre,
ce Règne ou ce Royaume concerne déjà les chefs des prêtres et les Pharisiens
(et sans doute aussi une partie notable du peuple juif), mais bientôt il ne les
concernera plus et il concernera d ’autres sujets.

18. Bien que J ü u c h e r considère ce passage comme une parabole allégorisée, J.M . V osté
et J . PiROT le rangent à juste titre parmi les allégories.
. 19. A nouveau M atthieu oublie de remplacer « D ieu » par « Cieux ».
54 TEXTES PROPRES À MATTHIEU

17) P a r a b o l e de la N o c e e t d e l ’H a b it N u p t ia l : M a t t h ie u 22,2-14

« L e Règne des Cieux ( = de Dieu) a été comparé à un homme, à un


roi, qui fit les noces pour son fils. Il envoya ses serviteurs, etc.... Le roi, étant
entré pour regarder les convives, vit là un homme non revêtu de l’habit de noce.
Il lui dit : « Ami, comment es-tu entré ici sans avoir l ’habit de noce ? »
Celui-ci resta muet. Alors le roi dit aux serviteurs : « Liez-lui les pieds et les
mains et expulsez-le dans les ténèbres extérieurs : là il y aura le sanglot et le
grincement des dents».
La même parabole est racontée par Luc 14,15-24, mais sans q u ’y figure ni
le Règne de Dieu, ni le passage sur l’habit de noce. Il se pourrait que l ’un et
l’autre ait emprunté son récit à la Source Commune.
Cette parabole concerne la façon dont Dieu gouverne le monde, et
donc il faut ici traduire « basileia » par « Règne ». La traduction par
« Royaume » aboutirait à un contre-sens, car, manifestement, ce sont les noces
qui sont ici une image du Royaume, dans lequel on entre et d ’où l’on est
expulsé.
Comme dans les autres paraboles ou allégories, les verbes au passé veulent
donner à ces récits fictifs une apparence historique. Nous n ’avons donc pas
à tenir compte de ce passé^°. Mais ensuite aucun détail ne nous permet de
localiser (si l’on peut dire 1) ce récit dans le temps. Comme il est situé entre
deux controverses avec les chefs des prêtres ou les Pharisiens (M atth. 21,45-
46 et 22,15) nous pouvons deviner q u ’il concerne ces adversaires de Jésus,
que Dieu convie aux noces de son fils, c ’est-à-dire à son Royaume, qui est
aussi celui de Jésus. Ce sont aussi les mêmes adversaires qui sont symbolisés
par le convive sans habit de noce. Mais cela n ’est pas dit explicitement et
donc la prudence demande de ne pas utiliser cette parabole pour déterminer
quand s’est exercé ou s’exercera ce Règne de Dieu ni quand a commencé
ou commencera ce Royaume de Dieu.

18) M a t t h ie u 24,14
« Cet Evangile (ou : cette bonne nouveUe) du Règne (ou : du Royaume)
sera proclamé (e) dans toute la terre en témoignage pour toutes les nations ;
alors viendra la fin ».
Le futur du verbe « proclamer » concerne la bonne nouvelle (ou :
l ’Evangile), mais pas directement le Règne ou le Royaume, qui peuvent être
antérieurs à leur diffusion. Or la Fin (du M onde) ne surviendra q u ’après
une diffusion atteignant tout l’univers. Mais on pourrait objecter que la
bonne nouvelle peut aussi proclamer un Règne ou un Royaume à venir.
Aussi ne peut-on extraire de ce texte aucun renseignement valable sur le
début du Règne ou du Royaume.

19) P a r a b o l e des D ix V ie r g e s : M a t t h ie u 25,1-13

« Alors le Royaume des Cieux ( = de Dieu) sera comparé à dix vierges,


qui ont pris leurs lampes et sont allées à la rencontre de l ’époux, etc.... Veillez
donc, puisque vous ne savez ni le jo u r ni l ’heure ».

20. N i non plus, évidemment, d u futur « il y aura le sanglot », car c’est un futur par
rapport à l’expulsion du convive sans h abit de noce.
MATTHIEU 2 5 ,3 1 -4 6 35

Comme dans la parabole précédente, les noces représentent le Royaume


de Dieu, dans lequel certains sont admis et d ’autres non. Les vierges sont les
sujets qui vivent dans ce Royaume. L’époux est soit Dieu, soit plutôt Jésus,
soit l ’un et l ’autre. Ainsi, notre logique aurait été mieux respectée si Jésus
avait dit : « Les sujets du Royaume de Dieu seront semblables à dix vierges... »
' ■■ Mais on supplée facilement l’absence de cette précision.
Dès le début, Jésus indique que sa parabole s’applique à l ’avenir, puisqu’il
emploie le futur « sera com paré». Mais cet avenir doit être relativement pro­
che, puisqu’il concerne les auditeurs, auxquels s’adresse la monition finale :
«Veillez donc, puisque vous ne savez ni le jo u r ni l’heure».

20) D e s c r ip t io n du J u g e m e n t D e r n ie r : M a t t h ie u 25,31-46

«Q u an d sera venu le Fils de l’Homme dans sa gloire et tous les anges


avec lui, alors il siégera sur son trône glorieux^ ^ Toutes les nations seront
rassemblées devant lui et il les séparera ( = les hommes) les uns des autres,
:y comme le berger sépare les chèvres^^ des boucs. 11 placera les chèvres à sa
droite et les boucs à sa gauche. Alors le roi dira à ceux de sa droite : Venez,
les bénis de mon Père, héritez le Royaume qui a été préparé pour vous depuis
la fondation du monde ». En effet... ».
Ce texte est parfaitement clair : le roi, qui est Jésus, parle bien d ’un
ÿ Royaume, dont les bénis vont prendre possession, ou plutôt q u ’ils vont rece­
voir aussi gratuitement q u ’un héritage. Et cet héritage sera obtenu au moment
de la Parousie et du Jugement Dernier, comme le précise la première phrase.
Mais s’agit-il du Royaume de Dieu ou du Royaume de Jésus ? Ce Royaume
semble bien être celui du Fils de l ’Homme, puisque c’est lui qui en choisit
les participants et qui en exclut les réprouvés lors du Jugement Dernier. Mais
c ’est aussi, semble-t-il, le Royaume de Dieu, puisque les élus sont « les
bénis de son Père» et que ce Royaume a été préparé pour eux (par qui ?)
„.i; depuis la fondation du monde. Cette confusion ou cette équivalence entre le
ÿ, Royaume de Dieu et le Royaume de Jésus pose une question que nous devrons
‘î;. tâcher de résoudre^^.
v'i.', •

21. Littéralement : « le trône de sa gloire ».


22. « Les chèvres » plutôt que « les brebis », à cause du contexte.
■ -
23. Voir ci-dessous p. 98-100.
CHAPITRE V

Les textes propres à Luc


T out comme M atthieu, Luc a connu et utilisé Marc, complété par les
additions provenant de la Source Commune. Mais lui aussi, il possédait des
renseignements supplémentaires provenant de diverses traditions (orales ou
écrites, peu importe ici pour nous), qui pouvaient enrichir sa présentation
des actes et des paroles de Jésus. C ’est d ’ailleurs bien ce que suppose le
prologue de Luc (1,1-4).
Evidemment, il est fort possible que Luc ou M atthieu aient fait un tri
dans les éléments que leur fournissait le « Marc-Complété » et que l ’un et
l ’autre ait omis volontairement des récits qui lui semblaient peu en harmonie
avec les goûts ou les préoccupations de ses destinataires ^ Dans ce cas le
passage emprunté au «M arc-C om plété» nous paraît provenir d ’une source
particulière à Luc ou à M atthieu, alors qu’en réalité il provient de la Source
Commune. Pour nous, heureusement, cette erreur d ’attribution n ’aura pas
de graves conséquences, puisque nous examinons tous les textes qui parlent
de la « basileia » de Dieu ou de Jésus, Et de même les savants qui auraient
des vues différentes sur la composition des Evangiles peuvent fort bien
conserver leurs hypothèses personnelles, qui n ’aboutiraient q u ’à modifier
l ’ordre de présentation des textes.
N ous ne pouvons pas non plus distinguer toujours ce que Luc emprunte
à des sources et ce q u ’il rédige lui-même. Tout ce qui a un substrat sémitique
doit provenir de ses sources et ce qui n ’a pas ce substrat doit représenter une
composition personnelle, ou du moins un document déjà rédigé en grec. En
conséquence, parmi les passages propres à Luc, nous ne pouvons pas toujours
déterminer avec certitude ceux qui remontent à la Source Commune, ceux
qui dérivent de sources particulières et ceux qui constituent un apport
personnel.

1) L u c 1,31-33
« T u l’appelleras Jésus. Il sera grand et appelé fils du Très-Haut. Le
Seigneur Dieu lui donnera le trône de son père David, il régnera sur la maison
de Jacob pour les siècles et son Règne n ’aura pas de fin ».

1. C ’est ainsi q u ’une soixantaine de versets de M arc ne se retrouvent ni en M atthieu


ni en Luc, soit parce que le « Marc-Complété » les aurait déjà négligés, soit parce que l’un
et l’autre les auraient simultanément éliminés.
LUC 9 ,6 2 ; 12,32 57

Ce texte, dont l ’origine est manifestement sémitique, concerne bien le


« Règne» et non pas le « Royaum e», puisqu’il s’agit précisément d ’exercer
ce Règne pendant une durée illimitée.
Les verbes, qui sont tous au futur, indiquent que ce Règne n ’a pas
encore commencé lors de l ’Annonciation à Marie, mais ils affirment tous
que ce Règne débutera avec Jésus et ne finira jamais.
Ce Règne sera donc celui de Jésus, mais en même temps il sera le Règne
de Dieu, qui en sera le donateur. Ainsi, quand on dit « Règne de Dieu » et
« Règne de Jésus » la préposition « de » n ’a pas le même sens : dans le premier
cas elle signifie « donné par Dieu » et dans le second cas « exercé par Jésus ».

W: 2) L uc 4,43 ; 8,1 ; 9,11 ; 9,60


p:
■«; « Il me faut annoncer aussi aux autres villes le Règne (ou : le Royaume)
de Dieu, car (c’est) pour cela (que) j ’ai été envoyé».
. 'V ‘
Luc, 4,42-43 dit à peu près la même chose que M arc 1,35-38, mais les deux
rédactions sont tellement différentes qu’on hésite ici à voir en Luc un adapfa-
^ teur de Marc, lequel disait «afin que je prêche», alors que Luc porte « c a r
■ il me faut annoncer... le Règne (ou : le Royaume) de D ieu».
Cette formule est tellement vague et tellement générale qu’on ne peut
v> préciser si cette annonce concerne le « Règne» de Dieu, ou son « Royaume»,
ou les deux à la fois. Mais si Luc insère 4 ou 5 fois cette formule, tout comme
M atthieu l ’insère lui aussi 3 fois dans des développements non-synoptiques
(4,23 ; 9,35 ; 24,14), c ’est q u ’elle leur paraît à l ’un et à l’autre exprimer
l’essentiel de la prédication de Jésus. Et leur accord fortuit sur ce point nous
prouve que les témoins de la vie de Jésus avaient l ’habitude de résumer ainsi
son enseignement ; « Il proclamait ou il prêchait, ou il annonçait, ou il
enseignait la bonne nouvelle du Règne (ou du Royaume) de Dieu».
Aucun verbe ne vient préciser quand se réalisera ce « Règne » ou ce
:V « Royaum e» de Dieu. Mais on voit mal Jésus insister tellement sur ce point
(et demander à d ’autres d ’en faire autant : Luc 9,60 : « Toi, va annoncer le
;i;:. Règne (ou : le Royaume) de D ieu»), s’il ne s’agissait pas là d ’une réalité
déjà présente ou du moins imminente.

3) L u c 9,62
« Personne, s’il a mis la main à la charrue et regarde en arrière, n ’est
apte au Règne (ou ; au Royaume) de Dieu ».
Ici encore, l’absence de contexte ne permet pas de décider entre « Règne»
ou « Royaume » de Dieu.
Mais, ici plus qu’ailleurs, Jésus insiste sur Furgence d ’une adhésion
positive, car cette réponse est faite à un homme qui demande seulement un
délai de quelques jours pour aller prendre congé de sa famille. Comment
comprendre une telle exigence de la part de Jésus, s’il ne prêche qu’un
« Règne » ou un « Royaume » de Dieu prévus pour un avenir assez lointain ?

C 4) L uc 12,32
« Ne crains pas, petit troupeau, puisqu’il a plu à votre Père de vous
donner le « Royaume ».
58 TEXTES PROPRES À LUC

Entre deux versets communs avec M atthieu (Luc 12,31 = M atthieu 6,33 ;
Luc 12,33 = M atthieu 6,20), Luc insère cette phrase bien frappée en style
sémitique^.
S’il s’agissait du « R ègne» de Dieu, le verbe « donner» supposerait que
Dieu a délégué sa Royauté aux membres du petit troupeau pour qu’ils
l ’exercent à sa place. Ce n ’est évidemment pas cela que Jésus veut dire.
C ’est donc le «R o y aum e» qui est accordé aux disciples, qui ne forment
encore q u ’un petit troupeau, mais qui sont regardés par leur Père du Ciel
avec complaisance ou avec bienveillance.
Le verbe, « il a plu » au passé, pourrait en théorie être considéré comme
un «passé prophétique» : Dieu ayant déjà décidé d ’accomplir une chose qui
ne se réalisera que dans l’avenir. Mais c’est dans le présent que doit être
éliminée toute crainte et elle doit être éliminée parce que Dieu a déjà décidé
de « d o n n e r» le Royaume. Même si, en théorie, cette expression peut s ’appli­
quer à un Royaume qui ne sera donné que plus tard^, on ne peut nier q u ’elle
convienne beaucoup mieux si le petit troupeau est déjà gratifié du « Royaume »,
ce qui doit le prémunir contre toutes les peurs possibles.

5) L u c 14,15
« Un des convives, entendant cela, lui a dit ( = à Jésus) : « Bienheureux
quiconque mangera du pain dans le Royaume de Dieu».
Voilà bien une phrase qui est certainement d ’origine sémitique. Luc l ’insère
après 14 versets qui lui sont personnels et avant la parabole des Noces qui
est reproduite, avec de notables variantes, par Luc 14,16-24 et par Matthieu
22,2-13. Nous ne pouvons donc affirmer avec certitude ni qu’elle provient de
la Source Commune, ni q u ’elle n ’en provient pas. Mais peu importe pour
nous.
Le sens de « Royaum e» s’impose, puisqu’il est ici comparé à un repas,
dont on se réjouit d ’être un des convives.
» Le verbe au futur indique clairement q u ’on ne participe pas encore à ce
repas et rien n ’indique si cet avenir est proche ou éloigné. Simplement la
participation à ce repas du Royaume, même pour un rôle modeste : manger
du pain'*, est considérée comme un bonheur digne d ’être mentionné.

6) L u c 17,20-21*
« Interrogé par les Pharisiens quand vient le Règne de Dieu, il ( = Jésus)
leur a répondu et il a dit : « Le Règne de Dieu ne vient pas ostensiblement®.
On ne dira pas : « Voici (il est) ici ou là. Car voici (que) le Règne de Dieu
est parmi vous ».

2. Wilh. Pesch a consacré un savant article à ce passage, mais sans insister sur l’aspect
qui nous intéresse. B.D. C h il t o n étudie longuement (p. 231-250) les sources possibles et la
rédaction hypothétique de ce verset.
3. Voir en ce sens J. D u p o n t (Béatitudes, III, p. 122-124).
4. Certes, en langage sémitique, cette formule convient à toutes les participations à un
repas, mais ici, alors q u ’au verset suivant Luc parle explicitement d ’un banquet, elle n ’insiste
pas, bien au contraire, sur la qualité du repas.
5. Le substrat sémitique (araméenj de ce texte est étudié par D a lm a n (p. 116-119) et plus
guccinctem ent par H é r in o (Remarques..., p. 27-28).
6. Littéralement : « avec observation ». Voir P. J o ü o n , Notes philologiques..., p. 354-355.
LUC 17,20-21 59

Vers la fin de la longue section personnelle'' qui va de 9,51 à 18,14, Luc


fait figurer ces paroles, q u ’il n ’emprunte pas à M arc ni à la Source Commune
et dont l ’origine sémitique est évidente. L ’importance de ce passage est consi­
dérable pour nous, puisque Jésus y répond précisément à la question dont
nous cherchons la solution : Quand faut-il situer dans le temps le Règne de
Dieu ?
D ’abord, il s’agit bien du Règne et non pas du Royaume de Dieu,
puisque la question porte sur le temps et q u ’un Royaume ne peut pas
« venir ».
Les Pharisiens posent leur question au présent, parce qu’ils ne veulent
pas préjuger de la réponse, qui pourra concerner aussi le passé ou l ’avenir.
Tout naturellement Jésus garde ce présent dans sa réponse (« il vient»,
« il est »), puisqu’il refuse cette problématique et qu’il veut amener ses inter­
locuteurs à se faire une idée plus spirituelle de ce Règne de Dieu. Cependant
il emploie le futur pour nier les réactions de curiosité : la manifestation
spectaculaire du Règne de Dieu n ’est pas encore apparue ni dans le passé,
ni dans le présent (sans quoi la question des interlocuteurs n ’aurait pas de
sens) et donc elle ne peut être envisagée que pour l ’avenir. Reconnaissons
donc que ju sq u ’ici la réponse de Jésus ne nous satisfait pas, car elle élude la
question sans la résoudre. Du moins elle nous apprend une chose très impor­
tante : le Règne de Dieu est une réalité spirituelle qui n ’est ni observable
ni localisable.
Mais, après cette invitation à dépasser les conceptions trop influencées par
les théories à la mode de l’époque, Jésus répond à ce qui était sérieux et
valable dans la question et sa réponse est décisive. Les exégètes se sont
demandé® si Jésus voulait dire que le Règne de Dieu est présent dans le cœur
des Pharisiens ou bien q u ’il est présent dans la société contemporaine^. La
plupart optent pour la seconde interprétation, en faisant valoir que Jésus
ne pouvait affirmer que le Règne de Dieu existait déjà dans le cœur ou l’âme
des Pharisiens, puisqu’ils étaient précisément les ennemis du Règne de Dieu
ainsi conçu. Cet argument est judicieux. Mais pour nous cette distinction
entre les divers sens possible du m ot grec « entos » ( = parmi) n ’a pas grande
importance, car dans tous les cas on aboutit aux mêmes conclusions : a) Si,
comme il est plus probable, Jésus a répondu aux Pharisiens : « le Règne de
Dieu est présent dans la société juive dont vous faites partie », alors il affirme
que ce Règne de Dieu existe déjà et q u ’il s’exerce déjà sur certains de leurs
contemporains, b) Si, comme il est moins probable, Jésus leur a répondu :
« le Règne de Dieu est dans vos cœurs », alors il affirme également que ce

7. Q uelques passages de cette section o n t des parallèles en M arc 12,28-31 ; 3,22-27;


8,1 5 ; 4,30-32; 9 ,5 0 ; 9 ,4 2 ; 13,15-16; d ’autres, plus nom breux, se retrouvent dispersés en
M atthieu. O n suppose donc q u ’une partie de cette section provient de la Source C om m une ;
m ais une au tre partie est sans d oute rédigée à p a rtir de docum ents propres à Luc.
8. O : texte a in sp iréd e nom breuses études : en 1937, T . W. MAN.soN(Sayings...,p. 303-305);
e n 1938, P.M .S. A llen ; en 1939, A. S ledd ; en 1940, R. O r r o (p. 98-104) ; en 1948, B. N o ack ,
puis A . F euillet (p. 545-548); en 1958, 1960 et 1963, A. S tr o b el ; en 1960, A. R ü s t o w ;
en 1962, F . M ossher , puis R . S need (qui résum e sa thèse de d o c to ra t); e n 1963 et 1967,
N . P errin (K ingdom o f G o d ..., p. 174-178 ; Rediscovering..., p. 68-74, plus une bibliographie,
p. 255-256); en 1970, R . S chnackenburo ; e n 1974, H . H a r tl .
9. C .H . R oberts en 1948 et O . G R i r m u s e n 1951 s o u tie n n e n t que é n to s h u m ô n signifie
« à p o rté e d e v o tr e m a in », c e q u i re v ie n t e n s o m m e à la se c o n d e in te rp ré ta tio n .
60 TEXTES PROPRES À LUC

Règne de Dieu existe déjà et q u ’il s’exerce déjà sur les Pharisiens eux-mêmes.
En toute hypothèse, Jésus considère ce Règne de Dieu comme une réalité
déjà présente

7) L u c 18,29
« Pierre a dit : « Voici que, nous, ayant quitté (nos) biens, nous t ’avons
suivi ». Il ( = Jésus) leur a dit (aux apôtres) : « Amen, je vous dis q u ’il n ’y a
personne qui a quitté une maison, une femme, des frères, des parents ou des
enfants à cause du Règne (ou ; du Royaume) de Dieu, qui ne reçoive pas
beaucoup plus en ce temps-ci et dans le siècle à venir la Vie étemelle ».
L ’ensemble de ce dialogue se trouve aussi en M arc 10,28-30 et en M atthieu
19,27-29. Mais là où Luc porte « à cause du Règne (ou ; du Royaume) de
D ieu», M arc dit « à cause de moi ( = Jésus) et à cause de l’Evangile» et
Matthieu dit « à cause de mon nom ». Nous pouvons donc conclure que
c ’est Luc en personne qui a voulu cette modification pour un m otif soit
littéraire soit théologique. Peut-être a-t-il agi ainsi pour mieux s’adapter à
la mentalité de ses lecteurs, qui commençaient à moins s’intéresser à la
personne de Jésus et qui songeaient surtout à participer à ce Règne (ou : ce
Royaume) de Dieu. Quoi qu’il en soit, cette adaptation de M arc représente
directement non pas la pensée de Jésus, mais l ’interprétation par Luc de la
pensée de Jésus.
Le contexte de Luc ne nous permet pas de préciser s’il parle du Règne ou
du Royaume de Dieu, car on peut renoncer à tous ses biens soit pour mieux
s’ouvrir au Règne de Dieu, soit pour mieux participer à son Royaume.
Par contre la réflexion de Pierre vise certainement le passé (et de même en
M arc et en M atthieu) puisqu’il fait allusion au renoncement que lui et les
apôtres ont dû consentir pour commencer à suivre Jésus. Et la réponse de Jésus,
qui indique le résultat de ce renoncement, se situe sur le même plan, mais en
énonçant un principe général qui déborde le cas des apôtres et qui concerne
tous les disciples de Jésus, dans le passé, dans le présent et dans l ’avenir. Si
Jésus emploie un verbe au passé (« qui a quitté »), ce passé est relatif au verbe
suivant (« qui ne reçoive pas ») et donc il n ’a pour nous aucune valeur parti­
culière ; le renoncement est toujours antérieur à sa récompense. Mais ce
qui a une grande valeur c’est que le principe général formulé par Jésus

10. Loisy (Synoptiques... II, p. 401-404, voir à la fin de ce livre l’Appendice I, p. 203-205)
se donne beaucoup de mal pour dénaturer le sens de ce présent, qui gêne ses théories. Plusieurs
auteurs avouent qu’ils ne peuvent pas admettre que ce texte s’applique au présent, parce que
cela com prom ettrait son caractère eschatologique. Voici comment T.F. G lasson (Kingdom
as Cosmic... p. 192-193) apprécie leur m éthode: « Certains interprètes harmonisent (ce texte)
avec la théorie futuriste en ajoutant le m ot « subitement » (par exemple B u l t m a n n , Jésus
and the W orld, London, 1935, p. 40). On est enclin à ratifier l’opinion de R udolf O rro
(Kjngdom o f G od, London, 1938, p. 135): « Pour sauver une fausse théorie, on s’en tire
en suppléant certains mots, comme « subitement », « inopinément ». Ce m ot est mis entre
p a r e n th è ^ et la parenthèse insérée dans le texte ; « Le Royaume viendra (subitement) parmi
vous ». Singulière méthode d'interprétation qui interpole le texte plutôt q u ’elle ne l ’explique.
Le m ot entre parenthèses deviendrait alors l ’essentiel du discours et sur lui seul tout
reposerait ». Plus logiquement, E. G r asser parle de « la pensée non-eschatologique de Luc »
(p. 212).
LUC 19.11 ; 2 2 ,1 6 61

s’applique déjà aux apôtres : eux, ils ont déjà tout quitté à cause du Règne
ou du Royaume de Dieu, tout comme le feront ensuite bien d ’autres disciples.
Les apôtres, quelques mois ou quelques années auparavant, en laissant leur
famille et leurs biens, ont déjà agi, selon la pensée de Luc, en vue du Règne
ou du Royaume de Dieu. Certes on ne dit pas que ce Règne ou ce Royaume
existait déjà et les apôtres ont pu, en théorie du moins, n ’agir que pour une
espérance plus ou moins lointaine. Mais Luc ne fait ici que transposer à
l ’intention de ses lecteurs la formule de Marc : « à cause de mot ( = Jésus)
et de l ’Evangile,», ou celle de M atthieu : « à cause de mon nom ». Donc,
selon la pensée de Luc, agir à cause de Jésus et de l’Evangile, c ’est agir à cause
du Règne ou du Royaume de Dieu. Manifestement, pour Luc, Jésus et son
Evangile sont équivalents au Règne ou au Royaume de Dieu.

8) L u c 19,11
«C om m e ils ( = les apôtres) entendaient cela, (Jésus) à n o u v e a u l e u r
a dit une parabole, parce q u ’il était proche de Jérusalem et q u ’ils s’imaginaient
que le Règne (ou ; le Royaume) de Dieu devait se manifester immédiatement ».
Cette phrase, qui ne se trouve q u ’en Luc, correspond bien à son intention
de grouper dans le cadre d ’un dernier voyage à Jérusalem un bon nombre
des enseignements de Jésus. En Luc 9,51 nous avons le début de ce voyage et
ici nous sommes près du terme. Cependant le sémitisme qui marque le début de
cette phrase (comme en Luc 20,11 et 12 et dans les Actes 12,3) oblige à sup­
poser que, pour les premiers mots au moins, Luc s’inspire d ’un document
sémitique.
S’agit-il du Règne ou du Royaume de Dieu ? L ’un et l ’autre peuvent
se manifester. Et n ’oublions pas que ce passage nous transmet non pas la
pensée de Jésus, mais les rêves des apôtres, que Luc refuse de prendre à son
compte.
Selon ces rêves, le Règne ou le Royaume de Dieu devait se manifester
bientôt, et sans doute d ’une façon spectaculaire. Cette manifestation peut
d ’ailleurs supposer, dans l’imagination des apôtres, soit que le Règne ou le
Royaume de Dieu n ’existaient pas encore, soit q u ’ils existaient déjà, mais
en secret, et qu’ils allaient enfin apparaître en public.
Comme ce ne sont là que des rêves, et qui ont été cruellement démentis
par la réalité, nous ne pouvons en tirer aucun argument valable sur la date
prévue pour ce Règne ou ce Royaume.

9) Luc 22,16
« Quand ç ’a été l’heure, (Jésus) s’est mis à table et les apôtres avec lui.
n leur a dit : « J ’ai désiré d ’un (grand) désir manger cette Pâque avec vous
avant de souffrir, car je vous dis que je ne la mangerai plus jusqu’à ce q u ’elle
soit accomplie dans le Royaume de Dieu ».
La première phrase est assez parallèle à M arc 14,17 et à M atthieu 26,20,
mais ensuite Luc ne dépend plus d ’eux. Cependant il reproduit un document

11. Pour dire « à nouveau », Luc n ’emploie pas l’adverbe « palin », qui serait normal
en grec, mais la formule sémitique « il a ajouté et il a dit » : ou « ayant ajouté, il a dit » :
c ’est l'indice d ’une origine sémitique pour cette phrase.
62 TEXTES PROPRES À LUC

sémitique et même hébraïque, car la formule « j ’ai désiré d ’un (grand) désir»
correspond sans aucun doute possible à l ’infmitif absolu de l’hébreu (et cette
tournure caractéristique n ’existe pas en araméen).
Le sens est manifestement celui de Royaume, puisqu’il s’agit ici d ’un lieu
dans lequel sera célébrée la future Pâque.
De même il est clair que ce texte concerne l ’avenir. Si les paroles de Jésus
sont à prendre dans leur signification habituelle, cet avenir est très proche,
puisqu’il se réalisera avant la Pâque de l ’année suivante. Mais, plus pro­
bablement, ces paroles de Jésus sont chargées d ’une valeur métaphorique ou
allégorique et elles veulent dire en somme que Jésus va m ourir et entrer dans
une vie céleste, qui est présentée comme le Royaume de Dieu.

10) L u c 22,29-30
«V ous ( = les apôtres) êtes ceux qui ont persévéré avec moi dans mes
épreuves. Et moi je vous transmets, comme mon Père me (1’) a transmis, un
Règne (ou : un Royaume), afin que vous mangiez et buviez sur ma table dans
mon Royaume, et que vous siégiez sur des trônes en jugeant les douze tribus
d ’Israël ».
L ’ensemble de ce texte se retrouve en M atthieu 19,28, et donc il provient
de la Source Commune. Mais M atthieu n ’a pas cette double mention du
Royaume de Dieu, qui correspondrait si bien à ses goûts. Comme on ne peut
guère supposer q u ’il l ’ait négligée, on doit plutôt la considérer comme une
addition venant de Luc lui-même*^.
Dans ces deux emplois du mot « basileia », le second concerne bien le
Royaume, dans lequel sera réalisé le festin messianique. Mais le premier ?
On adm ettra volontiers q u ’il a aussi le même sens et donc que Jésus a transmis
à ses apôtres le Royaume qu’il a reçu de son Père.
Le verbe « transmettre » est au présent et s’oppose au passé qui concerne
la transmission du Père à Jésus : Jésus parle donc d ’un Royaume qui existe
présentement. Si c’était seulement le droit à ce Royaume (futur), Jésus aurait
dû nécessairement mettre le verbe au futur ou spécifier que ce q u ’il trans­
mettait alors n ’était pas le Royaume, mais seulement une promesse. Le texte,
tel q u ’il est, impose cette conclusion, d ’autant plus que la transmission du
Père à Jésus n ’est pas un simple « titre », mais bien une réalité, située dans le
passé : donc la transmission présente de Jésus aux apôtres doit être aussi
réelle.
Pourtant on ne peut nier que ce texte concerne aussi la Fin du Monde,
car « siéger sur des trônes pour juger les douze tribus d ’Israël » est une claire
allusion au Jugement Dernier. D ’ailleurs le texte parallèle de M atthieu le
précise d ’une façon explicite : « dans la nouvelle création quand le Fils de
l ’Homme siégera sur son trône g l o r i e u x 'v o u s siégerez vous aussi sur douze

12. L ’importance de ce texte est bien mise en relief par B üchhelm , qui lui emprunte
le titre de son 2 ' chapitre (p. 55-88) : « A ma table dans mon Royaume ».
13. Littéralement : « dans la palingénèse ».
14. Matthieu emploie la tournure sémitique « le trône de sa gloire ».
LUC 2 3 ,4 2 63

trônes en jugeant les douze tribus d ’Israël». Ainsi nous voyons que le
Royaume de Dieu existe déjà quand Jésus parle à ses apôtres et qu’il existera
encore à la Fin du Monde et au Jugement Dernier.

11) L u c 23,42
« 11 ( = le bon larron) disait : « Jésus, souviens-toi de moi quand tu
viendras dans ta Royauté (ou ; ton Royaume)».
Les manuscrits grecs hésitent entre « en tê basileiâ » et « eis tên basileian » ;
à leur suite les critiques sont assez indécis : W e st c o t t -H o r t , N estle , A l a n d
(Synopse en 1964), M e t z g e r (p. 181) préfèrent «eis tê n » ; T is c h e n d o r f ,
VON SoDEN (1913), L a g r a n g e , M e r k et l ’édition de A l a n d -B l a c k - M e t z g e r -
WiKGREN (en 1966) préfèrent « en tê».
Sans q u ’on puisse prétendre à la certitude, les critiques qui optent pour
« en tê » font vaJoir que la présence du verbe « venir » devait entraîner en
grec le passage de « en tê » en « eis tên » et empêcher celui de « eis tên » en
« en tê». Ainsi la variante « eis tên » a plus de chance d ’être une correction et
la variante « en tê », qui est littérairement moins naturelle, a plus de chance
de correspondre à l ’original. Si l ’on adm et que ce passage correspond à une
source sémitique (au verset 40 la tournure « ayant répondu... il a dit » est si
normale en hébreu ou en araœéen et si anormale en grec !), le problème
devient encore plus insoluble, car dans un cas comme dans l’autre l ’hébreu
ou l ’araméen emploieraient b m l K w T k ' qui peut signifier soit « dans ta
Royauté » soit « dans ton Royaume ».
N ’oublions pas non plus que cette phrase n ’est pas mise sur les lèvres
de Jésus, mais sur celles du bon larron. Luc ne la prend donc pas nécessairement
à son compte.
En fait cette phrase peut se comprendre soit en fonction du ciel, où
Jésus va pénétrer comme un roi dans son Royaume, soit en fonction de la terre,
où il reviendra avec la dignité de roi (messianique) dans son Royaume
(messianique). Mais la réponse de Jésus s’harmonise mieux avec la première
hypothèse : « Amen je te (le) dis : A ujourd’hui tu seras avec moi dans le
Paradis ».
Toutes ces incertitudes obligent à n ’attacher à ce texte aucune valeur
démonstrative.

15. L ’hébreu pourrait en théorie faire la différence entre bimeloukâtekâ « dans ta


;f-^v Royauté » et bemamlâkâtekâ. « dans ton Royaume », mais il est plus probable qu’il i>ortait
simplement b m l k w t k , qui est possible soit en hébreu soit en araméen (avec des vocali­
sations différentes).
CHAPITRE VI

Dans l’Évangile de Jean

Le quatrième évangile attache beaucoup moins d ’importance que les autres


aux notions de « Royauté », de « Règne », ou de « Royaume » de Dieu, bien
q u ’elles n ’en soient pas tout à fait absentes. Cette diflërence provient-elle du
fait que cet évangile, qui a été composé après les autresS vise davantage un
millieu héüénistique, où ces notions juives ne font pas partie des idées
courantes ? Nous constaterons en eifet dans tout le Nouveau Testament que
leur fréquence varie avec le caractère plus ou moins ju if et plus ou moins
hellénistique des destinataires de chaque ouvrage.

1) J e a n 3,3 e t 5

«Jésus lui a répondu ( = à Nicodème) et lui a dit : « Amen, amen, je te


(le) dis : si quelqu’un n ’est pas engendré d ’en-haut, il ne peut pas voir le
Royaume de Dieu ». Nicodème lui dit : « Comment un (être) humain peut-il
être engendré, (quand) il est un vieillard ? Est-ce q u ’il peut une deuxième fois
entrer dans le sein de sa mère et être engendré ? ». Jésus a répondu : « Amen,
amen, je te (le) dis : si quelqu’un n ’est pas engendré de l’eau et de l’esprit,
il ne peut pas entrer dans le Royaume de Dieu»^.
La première affirmation de Jésus pourrait s’entendre soit du « Règne »
soit du « Royaume », mais la seconde, qui lui est bien parallèle, concerne
sûrement le « R o yaum e», puisqu’il est question d ’y entrer.
Dans ces deux phrases Jésus énonce un principe général, valable pour
tous les temps. Mais si Jésus insiste sur ce point devant Nicodème, c ’est bien
parce q u ’il pense surtout à son application présente, comme le confirme le
verset 7 : « Il vous faut être engendrés d ’en-haut». Tous les hommes peuvent
et doivent voir le Royaume de Dieu et y entrer, à condition d ’être engendrés
de l ’eau et de l ’esprit, c ’est-à-dire d ’être baptisés, selon la formule de Jean
1,33. Cette obligation vaut déjà pour Nicodème. Donc déjà le Royaume de
Dieu est à sa portée. M ais le texte ne précise pas si cette entrée dans le
Royaume de Dieu se fera immédiatement sur cette terre, ou dès la m ort au
ciel, ou plus tard à la Fin du Monde.

1. La date de composition du quatrièm e évangile est étudiée de façon neuve et assez


convaincante par J.A.T. R o b in so n (Redating..., p. 254-311).
2. Certains manuscrits portent « Royaume des Cieux », selon la formule habituelle
en M atthieu et certains critiques les suivent, par exemple L a g r a n o e . Mais M e t 2X3ER (p. 203)
apporte de bons arguments en faveur de « Royaume de Dieu ».
JEAN 18,36 65

2) J ean 18,36

« Jésus a répondu (à Pilate) : « Ma Royauté ne (vient) pas de ce monde.


Si de ce monde (venait) ma Royauté, mes serviteurs combattraient, afin que je
ne sois pas livré aux Juifs. Mais en fait ma Royauté ne (vient) pas d ’ici (bas) ».
Pilate lui a donc dit : « Ainsi tu es roi ! » Jésus lui a répondu : « Tu (le) dis^ :
Je suis roi ».
Plusieurs traductions françaises portent : « mon Royaume n ’est pas de
ce monde », mais c ’est là une double erreur : a) Jésus ne parle pas de son
«R o y au m e» , mais de sa « R o y a u té » ; b) en français « n ’est pas de ce
monde » est souvent compris com m e « n ’est pas dans ce monde ».
a) Ce dialogue ne cherche pas à préciser où est le Royaume de Jésus,
mais bien si Jésus est roi, s’il possède la Royauté, s’il a des prétentions à ce
titre. Pilate le comprend fort bien quand il réplique « Ainsi tu es roi ! ». Et
Jésus ne le détrompe pas, mais affirme carrément « J e suis roi». Aucune
notion de « R èg n e» ou de «R oyaum e» n ’est possible ici.
b) Jésus précise deux fois que sa Royauté n ’a pas une origine terrestre,
qu’elle ne procède pas « de ce m onde» et une troisième fois q u ’elle ne procède
pas « d ’ici», c ’est-à-dire « d e ce bas m onde». Ce n ’est pas une origine
dynastique ou une conquête personnelle qui lui ont procuré cette dignité
et ce pouvoir royal. Pour éviter en français toute méprise, l ’addition du verbe
« v e n ir» montre bien que la préposition « d e » possède alors son sens
originel : « hors de », « en provenance de »'*.
Cette Royauté est revendiquée par Jésus non pas pour l ’avenir, mais bien
pour le présent, quand il est de fait « livré aux Juifs ». Le contexte ne précise
pas où, quand, comment cette Royauté s’est exercée, s’exerce ou s’exercera.
Simplement Jésus repousse toute origine humaine pour sa Royauté.

3. Certains comprennent : « C ’est toi qui dis que je suis roi ! ».


4. C ’est bien ainsi que comprend, par exemple, P. V id a l -N a q u e t (p. 84) : « N on pas,
c o tM e on traduit généralement le texte grec : « Mon royaume n ’est pas de ce monde »,
n ^ s ... « M a qualité royale, ce qui fait que je suis roi, ne provient pas de ce monde », autrement
dit : « ce ne sont pas les hommes qui ont fait de moi un roi ».
CHAPITRE VII

Dans les Actes des Apôtres


Après les quatre évangiles, qui sont des témoignages historiques sur
Jésus, le Nouveau Testament contient les Actes des Apôtres, qui conservent
le même genre littéraire du témoignage historique, mais qui racontent la
suite de la vie de Jésus : celle de la communauté formée par ses premiers
disciples.

1) A c t e s 1,3
«(L es Apôtres) auxquels il ( = Jésus) s’est présenté vivant après sa
passion par de multiples preuves se m ontrant visible à eux pendant quarante
jours et parlant de ce qui concerne le Règne (ou : le Royaume) de Dieu».
Voilà bien une phrase grecque, qui ne décalque pas un original sémitique.
Luc, l’auteur des A ctes', l ’a manifestement rédigée lui-même, en grec de bonne
qualité. Et cependant il résume les derniers entretiens de Jésus avec ses
Apôtres, pendant les quarante jours écoulés entre la Résurrection et
l ’Ascension, par cette formule bien sémitique « ce qui concerne le Règne (ou :
le Royaume) de D ieu», qui correspond tout à fait à celle q u ’emploie
l ’Evangile de Luc en 4,43 ; 8,1 ; 9,2.11 et 60 pour définir ainsi la prédication
de Jésus.
Mais la formule est si générale que nous ne savons pas si elle vise le
Règne ou le Royaume de Dieu. De même nous ne pouvons préciser si elle
concerne le passé, le présent ou l’avenir. Mais une telle insistance ne s’expli­
querait guère si Jésus ne prédisait qu’un événement lointain, alors q u ’elle
convient tout à fait à l ’annonce d ’une réalité présente, qui concerne directe­
m ent les Apôtres et tous ceux q u ’ils atteindront.

2) A c t e s 1,6-7
« Eux ( = les Apôtres), s’étant rassemblés, lui demandaient ( = à Jésus) ;
« Seigneur, est-ce en ce temps-ci que tu restitues le Royaume pour Israël ? »
Il leur a dit : « Ce n ’est pas à vous de savoir les temps et les moments que le
Père a fixés en sa propre puissance... ».

1. L ’attribution des Actes des Apôtres à Luc, l’auteur du troisième évanple, est appuyée
par de tels argum ents q u ’on ne saurait guère la contester. Si cependant certains la mettaient
en doute cela n ’aurait aucune importance pour nous : il leur suflfirait de remplacer ensuite
« Luc » par « l ’auteur des Actes ».
ACTES 8 ,1 2 ; 14,21-22 67

Si les Apôtres parlaient de la Royauté, ils voudraient dire qu'Israël a


le droit de gouverner le monde ; s’ils parlaient du Règne, ils voudraient
dire q u ’Israël exerce en fait ce gouvernement. Malgré les sentiments très
nationalistes qui les animent encore, les Apôtres ne semblent pas avoir été
jusque là. Plus probablement ils voulaient parler du Royaume que constituera
Israël sous la conduite de Dieu. Si l ’on prend au pied de la lettre le verbe
« restitu er» , les Apôtres envisageaient tout simplement un royaume comme
celui de David et de Salomon.
Quant à l ’horizon historique, Jésus refuse précisément de le déterminer.
Nous ne pouvons donc que respecter son silence. Mais il poursuit en décrivant
les réalisations immédiates de ce Royaume ; « Vous recevrez la force du
Saint Esprit venant sur vous et vous serez mes témoins à Jérusalem, dans
toute la Judée et la Samarie, et jusqu’à l’extrémité de la terre ». L ’histoire
de ce Royaume inclura donc la Pentecôte, la prédication des Apôtres et celle
de leurs successeurs.

3) A c t e s 8,12

« Quand (les Samaritains) sont venus à la foi par (l’intermédiaire de)


Philippe, qui évangélisait au sujet du Règne (ou : du Royaume) de Dieu
et du nom de Jésus le Christ, hommes et femmes étaient baptisés ».
Luc donne ici l’impression q u ’il décalque un document sémitique, dont
il conserve la saveur particulière. Comme d ’habitude dans ces formules
synthétiques, nous ne pouvons deviner s’il s’agit du « Règne » de Dieu, de
son « Royaum e» ou de l ’un et l ’autre.
Mais Luc associe de telle façon la prédication du diacre Philippe, la
bonne nouvelle du « Règne » ou du « Royaume », le nom de Jésus et le
baptême des Samaritains, que ce Règne ou ce Royaume doivent être aussi
concrets que la parole de Philippe, que le nom de Jésus et que le baptême qui
en résultait. Comment imaginer une telle fécondité de la prédication et un tel
empressement au baptême, s’il ne s’agissait que de se préparer à un événement
lointain ?

4) A c t e s 14,21-22^

« (Paul et Bamabé), après avoir évangélisé cette ville-là ( = Derbé) et fait


pas mal de disciples, sont retournés à Lystre, à Iconium et à Antioche (de
Pisidie), fortifiant les âmes des disciples, recommandant de demeurer dans la
foi et que c ’est par de nombreuses tribulations q u ’il nous faut entrer dans le
Royaume de Dieu ».
Comme en 1,6, Luc parle bien du «R oyaum e» de Dieu, puisqu'il est
question d ’y « entrer ». Comme dans les trois passages précédents, Luc parle
de ce Royaume de Dieu pour définir en quelques mots le contenu de la
prédication apostolique.
Même si ce Royaume de Dieu peut en théorie n ’être que l’espoir d ’un
événement lointain, l ’insistance sur les tribulations qui permettent d ’y entrer
ne s’explique bien que si l’entrée est immédiate. Luc pourrait-il pour la
quatrième fois, revenir sur ce point s’il voulait seulement dire : « C ’est par de
nombreuses tribulations (présentes) q u ’il nous faut entrer dans le Royaume

2. D ans ce passage la num érotation de la Vulgate est en retard d ’un verset.


68 d a n s les a c t e s d e s a p ô t r e s

de Dieu (à la Fin du M onde)» La difficulté serait moins grande s’il


s’agissait de la récompense promise à la m ort de chaque chrétien, comme
le pensent par exemple J a c q u ie r (p. 4 3 4 ), H a e n c h e n (p. 38 3 ), C o n z e l m a n n
(Apostelgeschichte, p. 81). Mais cependant le sens est encore plus naturel
si la prédication, les tribulations et l’entrée dans le Royaume de Dieu sont
strictement contemporains.

5) A c t e s 19,8

«(Paul), étant entré dans la synagogue (à Ephèse), s’exprimait libre­


ment pendant trois mois, discourant de façon persuasive au sujet du Règne
(ou : du Royaume) de Dieu ».
Encore une fois, Luc mentionne le Règne ou le Royaume de Dieu pour
résumer toute une activité missionnaire. Manifestement c’était là, pour lui,
le thème essentiel de toute prédication, soit de la part de Jésus, soit de la
part des Apôtres.
Mais, cette fois encore, cette formule est trop vague pour nous renseigner
sur son contenu précis, sauf q u ’une telle insistance suppose un thème tout
à fait d ’actualité !

6) A c t e s 2 0 ,2 5 -2 8

« M aintenant voici que je sais que vous ne verrez plus mon visage, vous
tous chez qui je suis passé en prêchant le Règne (ou ; le Royaume)... Prenez
soin de vous-mêmes et de tout le troupeau dans lequel l ’Esprit Saint vous
a placés comme surveillants'^ (pour) être pasteurs de l ’Eglise de Dieu ».
Cette fois c ’est Paul qui, par la plume de Luc, évoque d ’un mot toute
sa prédication à Ephèse. Malheureusement il ne nous fournit aucune préci­
sion supplémentaire. Tout au plus remarque-t-on que, trois versets plus loin,
il considère les « surveillants » q u ’il a laissés à Ephèse comme des « pasteurs
de l ’Eglise de D ieu». Son ministère, qui a consisté à prêcher le Règne ou
le Royaume do Dieu, est continué par des « surveillants », dont le rôle consiste
à être « des pasteurs de l ’Eglise de Dieu ». Le parallélisme entre ces deux
formules n ’est peut-être pas fortuit.

7) A c t e s 28,23

« (Les principaux Juifs de Rome), après lui avoir fixé un jour ( = à Paul),
sont venus nombreux vers lui dans son logis® ; par son exposé il attestait le
Règne (ou : le Royaume) de Dieu et il les persuadait® au sujet de Jésus, à partir
de la Loi de Moïse et des Prophètes, depuis le m atin jusqu’au soir».
Cette phrase est rédigée en style grec et elle est vraisemblablement sortie
de la plume de Luc. Cette fois encore, pour caractériser l ’ensemble des exposés
de Paul, il ne trouve pas de meilleure formule que ce recours au « Règne (ou ;

3. C ’est pourtant l’interprétation que soutient, très savamment, J. D u p o n t dans les


Béatitudes, III, p. 124-126, avec d ’ailleurs aussi l ’interprétation suivante.
4. C ’est le terme qui désigne aussi les « évêques ».
5. Littéralement « dans le lieu où il recevait l ’hospitalité ».
6. Voici un cas typique « d ’imparfait de tentative ».
ACTES 28,30-31 69

au Royaume) de D ieu», Ici le contexte met en parallèle ce témoignage sur


« le Règne (ou le Royaume) de Dieu » et la discussion sur le rôle de Jésus tel
q u ’il ressort de l ’Ancien Testament. La formule serait tout à fait anormale
si le Règne (ou le Royaume) de Dieu concernait la Fin du Monde, alors
que la mission de Jésus fait partie d ’un passé tout récent. Elle paraît au contraire
toute naturelle si le Règne (ou le Royaume) de Dieu a commencé avec la
prédication de Jésus.

8) A ct es 28,30-31

« Paul est resté deux années entières dans son propre logement et il
recevait tous ceux qui venaient vers lui, annonçant le Règne (ou : le Royaume)
de Dieu et enseignant ce qui concerne le Seigneur Jésus-Christ en toute liberté,
sans empêchement ».
Cette phrase, qui constitue la finale des Actes, est, elle aussi, de structure
grecque. Pour la 6® fois dans les Actes (après 1,13 ; 8,12 ; 19,8 ; 20,25 ;
28,23), Luc répète la formule q u ’il a déjà insérée quatre fois dans son Evangile ;
(4,43 ; 8,1 ; 9,11.60) « annoncer (ou : prêcher, ou : enseigner) le Règne (ou :
le Royaume) de Dieu». Pour ceux qui douteraient que les deux ouvrages
aient le même auteur, voici un sérieux argument pour les convaincre’ . Ici
comme en 28,23 le Règne (ou : le Royaume) de Dieu est considéré comme
l ’équivalent de « ce qui concerne le Seigneur Jésus-Christ» et, ici encore,
cette formule ne se comprend bien que si les deux termes sont pratiquement
synonymes.

7. La même opinion est exprimée p ar C a d b u r y (p. 311).


CHAPITRE VIII

Dans les Ëpîtres de Saint Paul


Les épîtres de S. Paul peuvent être datées approximativement : les épîtres
aux Thessaloniciens en 50 ou 51, les épîtres aux Corinthiens en 55-56, les
épîtres aux Romains et aux Galates en 56-57, les épîtres de la captivité (Colo-
siens et Ephésiens, puisque nous n ’avons pas affaire aux Philippiens) vers
57-59 ou 60-62 ; enfin la seconde à Timothée est placée par J.A.T. R o b in s o n
à l’autom ne 58, par S. d e L e s t a pis vers 61 et par S. D o c k x vers 67-68. Bien
sûr, des discussions plus ou moins âpres concernent surtout les Galates, les
Ephésiens et encore plus la seconde à Timothée. Mais ces questions de date
restent pour nous secondaires : ces chiffres ne sont rappelés que pour fixer
un cadre et ceux qui soutiennent d ’autres chronologies peuvent fort bien
les remplacer par ceux q u ’ils préfèrent.
La question essentielle pour nous est celle du genre littéraire : après les
témoignages historiques consignés dans les Evangiles et les Actes, les lettres
de S. Paul ont une physionomie bien spéciale : ce sont en somme des disser­
tations théologiques provoquées par des situations particulières. Elles nous
renseignent directement sur la pensée de Paul et de ses divers collaborateurs
entre les années 50 et 65, ou, si l ’on conteste l ’authenticité de certaines, celle
de ses disciples quelques années plus tard.

1) P r e m iè r e aux T h e ssa l o n ic ie n s 2,12

« Vous (êtes) témoins, ainsi que Dieu, comme nous^ avons agi saintement,
justement, irréprochablement envers vous les croyants. De même vous savez
comment chacun de vous, comme un père envers ses enfants, nous vous
exhortions, encouragions et adjurions pour que vous vous conduisiez de façon
digne du Dieu qui vous appelle en son Royaume glorieux»^.
Paul veut certainement parler du Royaume de Dieu et non pas de son
Règne, puisqu’il recourt à l ’image spatiale d ’un lieu vers lequel sont convoqués
les croyants.
Conformément au génie de la langue grecque, Paul emploie ici plusieurs
participes, qui insistent plus sur la durée de son action que sur son antériorité ;
mais le premier verbe « égénêthêmén » (rendu approximativement par : « nous

1. Ce « nous » concerne peut-être Paul seul, comme en 2,18, mais peut-être aussi ses
collaborateurs Silvain et Timothée, qui sont mentionnés au début de l ’épître.
2. Littéralement : « vers son Royaume et (sa) gloire ».
II THESS. 1,3-5 71

avons agi ») suffît à les situer tous dans le passé, comme il est naturel, puisque
Paul évoque son récent séjour à Thessalonique. Alors, avec l’affectueuse
sollicitude d ’un père, il exhortait de toutes les façons possibles ses premiers
convertis à une conduite digne du Dieu qui les appelait à son Royaume.
Manifestement, cet appel de Dieu existait déjà lors de la présence de Paul et
il continue de façon permanente, mais est-ce un appel pour un Royaume déjà
existant ou seulement pour un Royaume futur, où l ’on entrera soit à la m ort
soit à la Fin du M onde ?
La présence du mot «g lo ire» ou «glorieux» exclut absolument toute
allusion à la situation réelle des Thessanoliciens, qui sont en pleine détresse
(1,6), qui ont souffert autant que les églises de Judée (2,14), qui ont besoin
d ’être réconfortés dans leurs tribulations (3,3-4). Donc ce « Royaume
glorieux» est celui dans lequel pénétreront les Chrétiens soit à leur mort,
soit au temps de la Parousie et de la Résurrection Générale. Cette dernière
interprétation est, de beaucoup, la plus vraisemblable, car elle est en harmonie
avec le reste de cette épître, où la Parousie et la Fin du Monde tiennent une
très grande place (1,10 ; 3-13 ; 4,15-18 ; 5,1-5).

2) S e c o n d e aux T h e ssa l o n ic ien ' s 1,3-5

« Nous^ devons remercier Dieu en permanence à votre sujet, frères,


comme cela convient, puisque votre foi grandit et q u ’abonde l ’am our de
chacun de vous tous envers les autres, en sorte que nous-même (s) nous
soyons fier (s) de vous dans les églises de Dieu à cause de votre endurance
et de votre foi dans toutes vos persécutions et les tribulations que vous
supportez : (elles sont) l’esquisse du juste jugement de Dieu, en vue de vous
rendre dignes du Royaume de Dieu, pour lequel vous souffrez».
On peut souffrir soit pour devenir docile au Règne de Dieu, soit pour
entrer dans son Royaume. Malgré cette incertitude, le sens de « Royaume »
est ici nettement préférable, car il ne s’agit pas du Règne actuel et permanent de
Dieu, mais du Royaume futur, auquel on se prépare au milieu des épreuves
présentes.
Cette seconde épître, comme la première, a pour thème général l’attente
du Jugement Dernier (1,7-10 ; 2,1-4 ; 2,8-12) et donc ce Royaume de Dieu
que l’on prépare dans les souffrances et les tribulations ne peut être que celui
qui s’instaurera à la Fin du Monde, dans lequel seront admis les justes et dont
seront exclus les infidèles.

3) P r e m iè r e a u x C o r in t h ie n s 4 ,19-21

« Je viendrai bientôt vers vous, si le Seigneur veut, et je prendrai connais­


sance non pas de la parole de (ces) enflés (d ’orgueil), mais de (leur) courage■*.
Car le Règne de Dieu n ’est pas en parole, mais en courage. Que voulez-vous ?
Que je vienne vers vous avec une trique ou avec am our et esprit de douceur ? ».

3. Ce « nous » inclut peut-être Silvain et Timothée, qui viennent d ’être mentionnés,


mais peut-être aussi ne conceme-t-il que Paul tout seul.
4. Ici et dans la phrase suivante, on peut comprendre : soit le courage manifesté par
ceux qui sont livrés au Règne de Dieu, soit la puissance divine qui réalise ce Règne de Dieu
(comme en Marc 9,1 et 1 Cor. 2,5). Heureusement, cela n ’a pas d ’importance pour nous.
72 DANS LES ÉPÎTRES DE SAINT PAUL

S. Paul veut rabattre le caquet de trublions plus forts en parole q u ’en


réalisation. Si c’est vraiment Dieu qui règne en eux leur conduite doit en
témoigner. Ainsi le sens de « Règne » est nettement préférable.
C ’est un principe général qui est énoncé ici, et donc il vaut pour le passé
aussi bien que pour l’avenir. Mais, puisqu’il s’agit de constater par des réalités
concrètes l ’action du Règne de Dieu en ces fanfarons, c ’est que ce Règne de
Dieu existe déjà, ou du moins pourrait et devrait exister, en eux. Ici le présent
s’impose de façon absolue, sous peine de renverser l’argumentation de S. Paul.

4) P r e m iè r e a u x C o r in t h ie n s 6 ,9 -1 0

« Ne savez-vous pas que les pervers ne seront pas gratifiés du Royaume


de Dieu ? Ne vous illusionnez pas ! Ni les impurs, ni les idolâtres, ni les
adultères, ni les efféminés, ni les pédérastes, ni les voleurs, ni les cupides,
ni les ivrognes, ni les coléreux, ni les voleurs ne seront gratifiés du Royaume
de Dieu ».
Le verbe « être gratifié » essaie de traduire tant bien que mal le verbe
grec, qui signifie littéralement « hériter » ; c ’est un écho du style de la Septante,
oii il est très fréquent, surtout pour traduire l ’hébreu yârash, qui signifie
« recevoir un bien en donation ». En français « hériter » est à déconseiller,
car il inclut l ’idée de «succession après la m ort». On ne serait guère plus
heureux avec « entrer en possession », car ce serait trop insister sur l’idée de
«possession». Quoi q u ’il en soit, cette notion de «transm ission gratuite»
s’applique bien au « Royaume de Dieu », mais non pas au « Règne », que
Dieu ne délègue à personne.
S. Paul met les verbes au futur et donc n ’envisage l’admission dans ce
Royaume que pour un avenir indéterminé. Sera-ce au moment de la m ort ?
Sera-ce lors du Jugement Général ? Les deux interprétations semblent l ’une et
l ’autre possibles.

5) P re m iè r e a u x C o r in t h ie n s 15,22-27

« Comme tous meurent en Adam, ainsi tous sont vivifiés dans le Christ.
Chacun à son propre rang : (en) prémice le Christ, ensuite les (gens) du Christ
dans ( = lors de) sa Parousie, ensuite la fin, quand il remettra la Royauté
(ou : le Régne, ou : le Royaume) à Dieu le Père*, quand il aboli (ra) toute
dom ination et toute autorité et puissance. Car il faut q u ’il règne ju sq u ’à ce
q u ’il mette tous (ses) ennemis sous ses pieds®. (Comme) dernier ennemi
(sera)”' abolie la mort. Car il a tout soumis sous ses pieds»®.
Le sujet de ces derniers verbes (il remettra... il abolira... il règne... il mette...
il a soumis) ne peut être que le Christ. La projection dans le futur est plus forte
en français q u ’en grec, où elle est simplement sous-entendue, sans être exprimée
nettement, sauf par les mots «ensuite» et « ju sq u ’à ce que». Quoi q u ’il
en soit, nous sommes manifestement devant une description de la Fin du
Monde.

5. Littéralement : « au Dieu et Père ».


6. Allusion au Rsaume 110,1.
7. Littéralement : « est ».
8. Allusion au Psaume 8,7.
I COR. 15,50 73

Est-ce que le Christ remet au Père la Royauté, le Règne ou le Royaume ?


Rien n ’autorise à répondre avec assurance. On n ’est même pas obligé de
choisir entre ces trois significations et l ’on peut les accepter toutes ensemble® :
le Christ remet à son Père à la fois son autorité royale, l’exercice de cette
autorité et les hommes assujettis à cette autorité. A la Fin du M onde tout
se concentre dans [e Christ, qui lui-même n ’est q u ’offrande à son Pére.

6) P r e m iè r e aux C o r in t h ie n s 15,50

« Je vous affirme ceci, frères : que (la) chair et (le) sang ne peuvent pas
être gratifiés du Royaume de Dieu, ni la corruption n ’est gratifiée de l’incor-
ruption ».
Comme en 1 Corinthiens 6,9-10, « être gratifié» essaie de traduire un
hébraïsme décalqué en grec par la Septante et adopté par S. Paul. Ici comme
là, il ne peut s’agir que du « Royaume » puisque la Royauté et le Règne de
Dieu sont proprem ent intransmissibles à des êtres humains.
Comme S. Paul emploie une phrase négative pour affirmer que cette
entrée dans le Royaume de Dieu n ’est pas possible, il se place en dehors du
temps et sa déclaration vaut pour le passé, le présent et l’avenir. Cependant,
le parallélisme entre « Royaume de Dieu » et « incorruption » indique que
Paul pense au Royaume de Dieu tel q u ’il sera réalisé au Ciel.

7) R o m a in s 14,14-18
« Je sais et j ’ (en) suis convaincu dans le Seigneur Jésus, que rien n ’est
i m p u r e n soi, mais q u ’une chose est impure pour celui qui pense que
c’ (est) impur. Si en effet ton frère est attristé par (une question de) nourri­
ture^* tu ne marches plus selon la charité. Ne (risque) pas (de) perdre par
ta nourriture celui pour qui (le) Christ est mort, afin que ne soit pas discrédité
votre (ou : notre) bien‘ ^. Car le Règne de Dieu n ’est pas (une question de)
nourriture ou (de) boisson, mais j u s t i c e 'p a i x et joie dans (]’) Esprit Saint*
En effet celui qui en cela** sert le Christ est agréable à Dieu et estimé des
hommes ».
On ne peut guère contester q u ’ici il s’agisse bien du « Règne» et non pas
du « R o yaum e», puisque précisément est énuméré ce qui est, ou n ’est pas,
l’objet de ce Règne.

9. W .R.G. L o a d e r (p. 208-209) voit dans ce texte à la fois « kingdoni » et « ruling » et


il précise que si le Royaume est alors remis au Père par le Fils, c ’est que celui-ci le gouverne
déjà maintenant.
10. Evidemment, il s’agit de l’impureté rituelle définie par la loi juive.
11. S. Paul aurait été plus clair s’il avait dit : Si tu attristes ton frère par une question
de nourriture, tu ne marches plus selon la charité.
12. Ce « bien » est sans doute la libération des questions de pureté rituelle dont sont
affranchis les Juifs devenus Chrétiens.
13. Peut-être serait-il préférable de traduire par « sainteté », pour bien m ontrer qu'il
ne s’agit pas de la juste répartition des biens au sens moderne, mais de la parfaite conformité
avec la volonté de Dieu, au sens hébraïque.
14. L’absence d ’article en grec n ’empêche pas de reconnaître ici l’Esprit Saint, car cet
article est souvent omis et il l ’est même toujours dans l ’épître aux Romains (5,5 ;
9 ,1 ; 15,13.16.19).
15. C ’est-à-dire par la justice, la paix et la joie.
74 DANS LES ÉPÎTRES DE SAINT PAUL

Comme il s ’agit d ’une vérité permanente, elle n ’est pas restreinte au passé,
au présent ou à l ’avenir. Mais si S. Paul en parle aux Romains, c ’est évidem­
ment que ce problème des aliments purs ou impurs (aux yeux des Juifs) se pose
pour eux de façon concrète. C ’est donc spécialement pour le présent que vaut
cette description des effets du Règne de Dieu dans une vie humaine.

8) G a l a tes 5,19-21^®
« Manifestes sont les œuvres de la chair, qui sont fornication, impureté,
débauche, idolâtrie, magie, inimitiés, rivalité, jalousie, colères, ambitions,
discordes, factions, envies, beuveries, goinfreries^^ et choses semblables.
Je vous (le) dis pour l’avenir comme je vous (L’) ai dit pour le passé : que
ceux qui font de telles choses ne seront pas gratifiés du Royaume de Dieu ».
Ce passage est apparenté à I Corinthiens 6,9-10 et 15,50. Ici comme là,
S. Paul parle d ’une f^uture admission dans un Royaume, dont il ne précise
ni la proximité ni Téloignement, mais qui semble bien être le Ciel.

9) COLOSSIENS 1,9-14
« N o u s ’ ® ne cessons pas de prier pour vous et de demander que vous
soyez remplis de la connaissance de sa volonté ( = celle de Dieu) en toute
sagesse et intelligence spirituelle... rendant grâce*® au Père qui vous (ou :
nous) a admis dans le lot du sort des saints dans la lumière^®, qui vous a
arrachés à la puissance des ténèbres et (vous) a transférés dans le Royaume
de son Fils bien-aimé^*, en qui nous avons la délivrance, le pardon des
péchés ».
Aucun doute : il s’agit bien ici du Royaume, dans lequel on est introduit
par la grâce de Dieu. Mais ici le Royaume dans lequel Dieu fait entrer se
trouve être le Royaume de son Fils.
A lire le texte tel q u ’il est, cette entrée des Colossiens dans le Royaume
du Fils de Dieu a déjà été réalisée ; on remercie le Père de cette faveur ; il
a déjà admis parmi les saints ; il a déjà arraché aux ténèbres ; il a déjà transféré
dans le Royaume de la lumière. Un seul verbe est au présent : « nous avons
la délivrance, le pardon des péchés », précisément parce q u ’il indique le résultat
permanent d ’une délivrance et d ’un pardon qui déjà sont acquis. Le seul
moyen d ’échapper à cette conclusion serait de recourir ici à des « passés
prophétiques» ; parfois, pour indiquer la réalisation im manquable d ’un
événement, les prophètes le décrivent avec des verbes au passé, puisque ce

16. Ceux qui placent l’épître aux Galates avant l’épître aux Romains, ou même avant
celles aux Thessaloniciens. peuvent ranger ce passage à l’endroit qu’ils préfèrent.
17. Cette énumération commence au singulier, en désignant les vices eux-mêmes, et
elle se termine au pluriel, en désignant plutôt les multiples actes qui en résultent.
18. Soit Paul seul, soit Paul et Timothée, nommés l’un et l’autre en 1,1.
19. La tournure employée en grec ne permet pas de savoir si ce sont les Colossiens,
ou Paul et Timothée, qui rendent grâce. Pour la critique textuelle de ce passage, voir M etsmer,
p. 620.
20. C ’est-à-dire : qui vous fait participer au sort réservé aux saints, qui est de jouir de
la lumière de Dieu.
21. Littéralement : « le Royaume du Fils de son am our ».
œ t o s s . 4,1 0 -1 1 75

fait est déjà décidé par Dieu. Mais rien, dans le contexte, n ’indique que S. Paul
fasse une prophétie ; et, au contraire, tout montre q u ’il remercie Dieu pour
les grâces déjà reçues par les Colossiens.

10) C o l o ssien s 4,10-11

« Vous saluent Aristarque... Marc... et Jésus, appelé loustos : parmi les


circoncis, ce sont les seuls qui ont travaillé avec (moi) pour le Règne (ou : le
Royaume) de Dieu, qui ont été pour moi un soulagement».
Ce travail pour Dieu appartient clairement au passé, mais Paul et ses
collaborateurs pouvaient travailler pour préparer un avenir plus ou moins
proche. Et donc nous ne pouvons rien conclure de ce texte. Nous ne savons
même pas s’il parle du « Règne » ou du « Royaume » de Dieu, car l ’activité
missionnaire cherche à étendre en même temps le Règne de Dieu et son
Royaume.

11) E p h é s ie n s 5,5

« Soyez avertis de ceci : tout (homme) fornicateur ou impur ou cupide,


ce qui est une (forme d ’) idolâtrie, n ’a pas de participation dans le Royaume
du Christ et de Dieu ».
Ce texte ressemble tant à I Corinthiens 6,9-10 ; 15,50 et à Galates 5,21
que même les adversaires de l’authenticité de l’épître aux Ephésiens ne pour­
ront pas en contester l ’origine paulinienne. Ici le verbe rendu approximative­
ment par « être gratifié» est remplacé par un substantif de même racine,
pour lequel il est encore plus difficile de trouver un équivalent français ; les
pécheurs mentionnés ne peuvent accéder à la possession de ce Royaume, ils
n ’ont pas le droit d ’y participer.
Ce texte ne nous apprend rien de plus que les précédents, sauf q u ’ici le
verbe « avoir » est au présent : c’est dès m aintenant que ces pécheurs perdent
l ’accès au Royaume. Mais on notera avec soin la formule que nous n ’avons
pas encore rencontrée : « le Royaume du Christ et de Dieu », bien que
I Corinthiens 15,24, Romains 14,17 et surtout Colossiens 1,13 la faisaient
déjà pressentir.

12) S e c o n d e à T im o t h é e 4,1

« Je (t’en) conjure devant Dieu et le Christ Jésus, qui doit juger les vivants
et les morts, (par) sa manifestation et sa Royauté (ou : son Règne, ou : son
Royaume), proclame la parole... ».
La seconde à Timothée n ’avait pas bonne réputation parmi les critiques,
mais son authenticité vient d ’être soutenue à la fois par J.A.T. R o b in so n
(p. 67-82), par D o c k x (p. 167-178) et surtout par S. d e L e s t a pis (p. 101-120,
261-285, 365-389). Gardons-nous cependant de prendre parti dans cette
controverse et permettons à ceux qui le désirent de récuser ce texte et le
suivant.
Cette « manifestation » du Christ peut être celle de sa Royauté, de son
Règne ou même de ( = dans) son Royaume et nous n ’avons pas d ’argument
pour préférer l ’une ou l ’autre de ces notions.
76 DANS LES ÉPÎTRES DE SAINT PAUL

Mais l’horizon historique est clairement indiqué, puisque le Christ est


décrit comme le juge futur des vivants et des morts : nous sommes donc au
Jugement Dernier.

13) S e c o n d e à T im o t h é e 4 ,1 8

« Le Seigneur me délivrera de toute œuvre mauvaise et il me sauvera


dans^^ son Royaume céleste».
Ici le Royaume est conçu comme un lieu de refuge, où Dieu habite et
où les élus vont le rejoindre.
Les deux verbes sont au futur. La seule incertitude concerne la proximité
plus ou moins grande de cet avenir. S. Paul veut-il parler de sa m ort person­
nelle ou du Jugement Général à la Fin du M onde? On incline vers la première
hypothèse, puisque c ’est le sort de Paul seul, et non pas celui de tout le monde,
qui est envisagé ; en outre c’est dès sa m ort q u ’il sera délivré de toutes les
embûches de ses ennemis.

22. La tournure grecque indique une nuance de direction ; en durcissant cette nuance i/;
on aurait : « il me sauvera en m ’introduisant dans son Royaume ».
CHAPITRE IX

Les Epîtres non Pauliniennes

La date des épîtres non pauliniennes est fort contreversée, surtout celle
de la seconde de Pierre. Heureusement cette fixation n ’est pas indispensable
pour nous et nous pouvons laisser leur témoignage dans une certaine impré­
cision. Nous n ’avons même pas de raison de les présenter dans un ordre plutôt
que dans un autre et donc le plus simple est de conserver celui du Nouveau
Testament, qui semble établi en fonction de la longueur des documents.

1) E p it r e aux H é b r e u x 1,8

« (Dieu) dit... à (son) Fils : -Ton trône. Dieu (est) pour le (s) siècle (s)
de (s) siècle (s) et le sceptre de la droiture (est) le sceptre de ta Royauté ».
L ’auteur cite le Psaume 45,7, selon la Septante, mais en renversant les
termes du second stique, qui est, dans la Septante comme chez les Masso-
rètes : « le sceptre de ta royauté (malkoutékâ) est un sceptre de droiture ».
Ce détail ne modifie pas l’interprétation. Si Fauteur applique ce texte au Fils
de Dieu, c’est q u ’il voit dans cette Royauté l ’annonce de celle de Jésus. Mais
elle est présentée comme éternelle et donc elle ne peut nous apporter aucune
précision temporelle.

2) E p it r e aux H é b r e u x 12,26-28

« (Dieu), dont alors la voix ébranla la terre, a annoncé (pour) m aintenant ;


« Encore une fois je ferai trembler non seulement la terre, mais aussi le ciel ».
Cet « encore une fois » implique le changement des (choses) ébranlables
parce que créées, afin que subsistent (seulement) les inébranlables. C ’est pour­
quoi recevant un Royaume inébranlable, conservons la grâce, en sorte que
par elle nous adorions Dieu valablement, avec piété et respect».
Voici le commentaire de C. S p ic q (vol. II, p. 412-413) : « Le royaume
propre de Dieu, c ’est le ciel avec ses anges et ses élus, c ’est la Jérusalem céleste
ou la cité spirituelle, immobile et impérissable par nature... Les chrétiens
sont dès maintenant membres de ce royaume (cf. le participe présent)». En
effet l ’auteur oppose à la mutabilité des choses humaines l ’immutabilité du
Royaume dont nous faisons partie et où il nous exhorte à adorer Dieu le mieux
possible.
Quelques versets auparavant l’auteur disait : « Vous êtes venus vers une
montagne de Sion, une cité du Dieu vivant, une Jérusalem céleste, (vers) des
78 ÉPÎTRES NON PAULINIENNES

myriades d ’anges en assemblée solennelle, (formant) une église de premiers-nés,


inscrits dans les cieux, (vers) un Dieu juge universel, (vers) des esprits de justes
ayant atteint la perfection, (vers) Jésus, médiateur d ’une nouvelle alliance... »
(12,22-24). Ne serait-ce pas tous ces éléments q u ’il résume ici en parlant d ’un
« Royaume inébranlable » ? Alors ce royaume, ou cette cité de Dieu, ou cette
Jérusalem céleste, serait constitué par Dieu, par Jésus, par les anges, par les
âmes des saints. Ce serait donc un royaume tout spirituel, auquel nous sommes
associés dès cette terre par l ’adoration que nous offrons à Dieu.

3) E prrR E de J a c q u e s 2,5

« Ecoutez, mes frères bien aimés : n ’est-ce pas Dieu qui a choisi les
pauvres selon le monde (pour en faire) des riches selon la foi et des possesseurs
du Royaume q u ’il a promis à ceux qui l ’aim ent».
Comme Dieu seul (et Jésus avec lui) peut posséder la Royauté et exercer
le Règne, c’est bien du Royaume que parle Jacques.
Les verbes au passé supposent que ce choix de Dieu est déjà réalisé et que
les pauvres sont déjà en possession de ce Royaume. On ne peut ici recourir à
l’hypothèse du passé prophétique (ci-dessus, p. 74-75), car ce n ’est pas dans
l’avenir, mais bien dans le présent que les pauvres sont déjà des riches selon
la fol. Simplement, on pourrait dire que « possesseurs » force un peu le sens
du terme grec et q u ’il pourrait signifier simplement « ceux qui ont maintenant
un droit à posséder dans l’avenir ce Royaume ». C ’est possible, et donc cette
hypothèse ne doit pas être écartée.

4) S e c o n d e de P ie r r e 1,10-11

« Frères, ayez soin de rendre stables votre vocation et votre élection :


en faisant cela vous ne (risquerez) pas de tomber jamais. En effet c ’est ainsi
que vous sera richement procurée l ’entrée dans le Royaume éternel de notre
Seigneur et Sauveur Jésus-Christ ».
Cette fois le Royaume n ’est pas encore possédé et c ’est seulement dans
l ’avenir q u ’on en obtiendra l ’entrée. Ce «R oyaum e éternel» n ’est pas ici
le Royaume de Dieu, mais le Royaume de Jésus, comme en Colossiens 1,13
et en Ephésiens 5,5. Mais est-ce à la mort ou à la résurrection générale q u ’on
aura accès à ce Royaume de Jésus ? Le texte ne le dit pas clairement.
Cette épître est peut-être celle dont l’authenticité est la plus discutée,
bien q u ’elle soit soutenue résolument par J.A.T. R o b in s o n (p. 169-199).
Sans chercher à résoudre ce problème, admettons que ce témoignage soit
considéré comme peut-être plus tardif que celui des autres épîtres.
CHAPITRE X

Dans l’Apocalypse
D ’un genre littéraire diflférent de celui de tous les autres livres du Nouveau
Testament, l’Apocalypse constitue une catégorie particulière. Certes on
pourrait aussi la faire figurer dans un ensemble johannique, avec le quatrième
évangile et les trois épîtres de Jean. Mais ces épîtres ne parlent pas de la
«basileia tou théou» et l ’évangile de Jean n ’en parle qu’en deux endroits.
De tous les auteurs du Nouveau Testament, Jean est le plus réservé sur le
thème de la Royauté, du Règne ou du Royaume de Dieu, peut-être parce
q u ’il est le moins ancien.

1) A p o c a l y p s e 1,6

« A celui qui nous aime, qui nous a délivrés de nos péchés dans son
sang, et qui a fait de nous un Royaume, des prêtres pour Dieu son Père, à lui
la gloire et la force dans les siècles des siècles»'.
Celte phrase contient un hébraïsme caractéristique, que ne semblent pas
avoir compris bien des traducteurs ; en hébreu, quand plusieurs participes se
suivent, on aime remplacer les derniers par des imparfaits invertis^. Ici l’auteur
a d ’abord suivi l’usage grec en coordonnant les participes « a im a n t» et
« ayant délivré »^, puis il a cédé à ses habitudes hébraïques et il a remplacé
le troisième participe, qui aurait dû être l’aoriste « poiêsanti », par l’indicatif
«époiêsén». Cette particularité s’explique d ’autant mieux qu’alors l’auteur
am algamait deux citations de l ’Ancien Testament (Exode 19,6 et Isaïe 61,6)
et q u ’il utilisait pour cela non pas le texte grec de la Septante, mais un texte
hébreu pré-massorétique. Exode 19,6 porte en hébreu : « Et vous, vous serez
pour moi un royaume de prêtres (mamlèkèt kohanîm)» et Isaïe 61,6 : « E t
vous, prêtres du Seigneur, vous serez appelés serviteurs de notre Dieu». L a
fusion de ces deux formules donne « un royaume, des prêtres pour Dieu »•

1. Voir clans M e t z g e r (p. 731-732) les problèmes que pose la critique textuelle de ces
deux versets et les solutions proposées. Les variantes qui concernent le mot « Royaume »
sont si mal attestées q u ’elles ne méritent même pas d ’être signalées.
2. Voir la grammaire hébraïque de JOÜON, n° 121, p. 342.
3. Que l’on est obligé de transposer en français par la formule « celui qui... ».
80 DANS l ’a p o c a l y p s e

Le sens de « Royaume », qui correspond bien à l’hébreu (mamlèkèt est


une forme de mamlâkâh), est le seul qui convienne aux humains que nous
sommes : la Royauté et le Règne ne peuvent appartenir q u ’à Dieu et ce sont
les hommes qui constituent son Royaume.
Le temps des verbes est hautement significatif ; Jésus nous aime en
permanence, l’auteur commence donc par un participe présent ; c ’est par sa
mort, qui est maintenant un fait complètement terminé, q u ’il nous a délivrés
de nos péchés, et donc l’auteur change le temps du second participe et passe
à l’aoriste ; pour le troisième verbe il aurait dû conserver le participe aoriste,
mais sa pensée sémitique lui inspire une tournure usuelle en hébreu et il rem­
place ce troisième participe par un indicatif, q u ’il a soin de laisser à l ’aoriste.
Donc pour lui, c ’est clair, le troisième verbe indique, comme le second, un
fait déjà passé : c ’est par un acte déjà passé que Jésus « a fait de nous un
Royaume, des prêtres La nature de ce fait n ’est pas précisée, mais le
contexte semble bien indiquer que c ’est par sa m ort sur la Croix que Jésus,
en nous délivrant de nos lâchés, nous a par le fait même transformés en un
Kv-
tel Royaume. Donc ce Royaume existe déjà depuis un certain temps. D ’ailleurs
l’emploi du pronom « nous» oblige à reconnaître que l ’auteur et ses destina­ ^y;
taires sont membres de ce Royaume ; par conséquent, même si l’on voulait,
contre le texte, supposer ici un futur, ce ne pourrait être qu’un futur très
rapproché, représentant un avenir accessible à l’ensemble des contemporains
de l’auteur.
Autre fait à noter : ce n ’est plus la formule habituelle « Royauté, Règne
ou Royaume de Dieu ou du C hrist» que nous rencontrons ici et que nous
rencontrerons ensuite dans l ’Apocalypse, mais des formules plus souples
et moins stéréotypées : l’auteur, visiblement, ne se considère plus comme
obligé de recourir à une expression toute faite.

2) A p o c a l y p s e 1,9
I
« Moi Jean, votre frère et compagnon dans la tribulation, le Royaume
et l ’endurance en Jésus, j ’ai été dans l ’île appelée Patmos... ».
Que ce « J e a n » soit Jean l’Apôtre ou quelque homonyme, que l’île de
Patmos soit une réalité géographique ou une donnée symbolique, cela ne nous
concerne pas ici.
Le voisinage des mots « tribulation » et « endurance » suffit pour nous
indiquer que l ’auteur ne parle pas ici de « R oyauté» ni de « Règne», mais
bien de « Royaume » et même d ’un Royaume très particulier, auquel on
participe par la tribulation subie avec endurance, grâce à la force du Christ.
Ce royaume appartient au passé, mais à un passé tout récent. L ’auteur
évoque son séjour à Patmos pendant lequel il a reçu les révélations que va
exposer son ouvrage. C ’est dans ce contexte q u ’il se présente comme participant
aux mêmes épreuves et au même Royaume que ses correspondants. Certes sa
tournure est assez vague et ce «com pagnonnage» n ’exclut pas le présent, ni
même un avenir immédiat. Mais il n ’exclut pas non plus le passé et même il
l ’inclut normalement.

4. Nous n ’avons pas ici à enquêter sur le sens du m ot « prêtres » ni sur la tournure en
apposition qui lui est appliquée, mais qu 'o n ne retrouvera pas en 5,10.
A p o c. 5 ,9 -1 0 ; 11,15 81

3) A p o c a l y p s e 5,9-10

« (Les quatre vivants et les vingt-quatre anciens) chantent un cantique


nouveau : Tu es digne de prendre le livre et d ’en ouvrir les sceaux, parce
que tu as été immolé et tu as acheté pour Dieu, dans ton sang, (des hommes)
de toute tribu, langue, peuple et nation et tu en as fait pour notre Dieu un
Royaume et des prêtres et ils régneront® sur la terre ».
Ce texte est visiblement apparenté à celui de 1,6 étudié plus haut (p.
79-80). Comme lui il s’inspire de l’Exode 19,6 et d ’Isaïe 61,6. Ici comme
là, le sens de « Royaum e» s’impose®.
Ici comme là, l’auteur ne met pas au hasard le temps des verbes : au début
le présent « ils chantent » s’insère dans la description d ’une vision récente de
l ’auteur, où on chante les exploits du « Christ : « qui a été immolé, qui a
(r) acheté les hommes... et qui a fait d ’eux un Royaume ». Manifestement
l’acte qui a réalisé ce Royaume est associé à ceux par lesquels le Christ a été
immolé et par lesquels il a racheté les pécheurs. Donc la constitution de ce
Royaume remonte au moins à la Passion du Christ. Mais ensuite vient un
verbe au futur"' : « ils régneront », qui montre que les sujets de ce Royaume
accéderont plus tard à une Royauté et à un Règne, qui ne peuvent être que
ceux de Dieu ou du Christ.

4) A p o c a l y p s e 11,15
« Le septième ange a joué de la trompette et de grandes voix dans le ciel
se sont mises à dire ; « La Royauté (sur) le monde est devenue (la propriété)
de notre Seigneur et de son Christ et elle (ou peut-être : il) régnera pour les
siècles des siècles »®.
Au lieu de traduire par «R oyauté (sur) ce m onde» on pourrait aussi
comprendre « Règne (sur) ce monde » ou « Royaume de ce monde ». La
première hypothèse semble préférable, si le verbe suivant (« il régnera »)
s’applique à l’exercice de cette Royauté par le Règne sur le Royaume ; et elle
s’impose absolument si «basileia» est le sujet des deux verbes «devenir»
et régner ».
C ’est dans une vision récente que l’auteur a entendu ce chant et alors
la Royauté de Dieu et du Christ était caractérisée par un verbe au passé
« est devenue », ou peut-être simplement « a été ». Rien ne précise la distance
de ce passé et rien ne distingue non plus la Royauté de Dieu et celle du Christ.

5. U ne variante assez bien attestée met ce verbe au présent : « ils régnent ». M etzoer
explique pourquoi le futur est préférable (p. 738).
6. Mais ici la présence de la conjonction « et » entre « Royaume » et « prêtres » rend la
tournure plus limpide.
7. Le présent est d ’ailleurs attesté dans plusieurs manuscrits, mais M e t z o e r le considère
comme moins probable (p. 738).
8. On pourrait aussi traduire : « Est réalisée (sur) le m onde la R oyauté de notre Seigneur
et de son Christ », mais le sens resterait au fond le même. P ar contre, on ne pourrait envisager
de comprendre : « ... le monde de notre Seigneur et de son Christ », car la phrase serait alors
déséquilibrée. — Sur le sens de « notre Seigneur », voir p, 93, n. 2.
82 DANS l ’a p o c a l y p s e

Mais ensuite ce Christ régnera pour les siècles des siècles. L ’auteur distingue
donc la Royauté (passée) de Dieu et du Christ et son Règne (futur). Cette
distinction entre un verbe au passé et un autre au futur empêche ici de
recourir à l’hypothèse d ’un « passé prophétique ».

5) A p o c a l y p s e 12,10
« J ’ai entendu une grande voix dans le ciel, qui disait : M aintenant le
salut, la puissance et la Royauté sont devenus (la propriété) de notre Dieu
et le pouvoir (celle) de son Christ, parce que l ’accusateur de nos frères a été
rejeté ».
Puisque le salut, la puissance et le pouvoir, qui sont des attributs subjectifs
de Dieu et du Christ, sont associés à « basileia », ce terme ne peut désigner
ici que la « Royauté ».
Comme précédemment, c’est dans le récit d ’une vision récente que
l ’auteur place ces verbes qui s’appliquent au passé. Mais curieusement, ce
passé est ici précisé par l’adverbe « m aintenant», qui ne peut concerner que
le présent ou un passé immédiat ou un futur immédiat. L’association de ce
verbe et de cet adverbe invite donc à comprendre q u ’il s’agit d ’un passé
immédiat, d ’un acte dont on ne sait pas bien s’il est encore dans le passé ou
déjà dans le présent. Cette fois l ’ensemble des verbes au passé pourrait
aussi convenir à un « passé prophétique ».
Les derniers emplois de « basileia » dans l’Apocalypse concernent d ’une
façon ou d ’une autre la royauté, le règne ou le royaume de Satan (16,10) ou
de ses suppôts (17,12.17.18) et donc ils ne peuvent rien nous apprendre
directement sur la « basileia » de Dieu ou du Christ.
CHAPITRE XI

Vue d’ensemble

Avant de dégager les principaux traits de la Royauté, du Règne et du


Royaume de Dieu, tels qu’ils apparaissent dans le Nouveau Testament,
jetons un regard d ’ensemble sur les textes que nous venons d ’analyser en
détail, pour les considérer d ’une façon plus synthétique.
1) Premier étonnement : la fixité de la formule « ê basileia tou théou»
dans le Nouveau Testament.
En grec on pourrait dire aussi « tou théou ê basileia » ou « ê tou théou
basileia», mais ces tournures ne sont presque jamais employées, alors que
«basileia tou th éou» l’est 67 fois, «basileia ton ouranôn» 33 fois (par
M atthieu) sans parler de 14 fois où « D ieu» est remplacé par un pronom,
de 6 fois où il est remplacé par un synonyme, par exemple « Père », et de 8
fois où il est sous-entendu (dont 3 fois dans l ’Apocalypse). Les variantes sont
très rares : I Corinthiens 6,9 place « théou» avant « basileia» ; I Thess. 2,12
insère « éau to û » entre l ’article et « basileia» ; Hébreux 12,28 ajoute l’adjectif
« in é b ra n la b le » ; 2 Pierre 1,11 l’adjectif « k e r n e l » ; et Apocalypse 11,15
porte une formule plus développée : « ê basileia tou kosmou tou Kuriou
êmôn kai tou Christou autou » = « La Royauté (sur) le monde de notre
Seigneur et de son Christ ».
La fixité de cette formule est donc totale dans les Evangiles. Les quatre
seules exceptions se trouvent chez S. Paul, dans une épître non paulienne
et dans l’Apocalypse*. Un tel accord n ’est possible que s’il repose sur une
formule très courante et tellement stéréotypée que presque personne n ’éprouve
le besoin de la modifier. Manifestement cette formule est d ’origine sémitique
puisque chez M atthieu elle remplace « Dieu » par « les Cieux » et q u ’elle
correspond exactement à la formule malkout shâmayîm q u ’on trouve 2 fois
dans la Mishnâh (Berâkôt II, 2 et II, 5) et quelques autres fois dans la litté­
rature rabbinique^. C ’est donc en milieu sémitique que cette formule est née ;
et elle a dû se propager en un milieu tellement sémitique q u ’on se contentait
encore de la décalquer en grec. De fait, les rares exceptions proviennent de
milieux plus ouverts à la mentalité grecque.

1. En fait l’Apocalypse, seule, n ’emploie jam ais la formule habituelle : basileia tou thiou.
2. Voir les références dans S t r a c k -B il l e r b e c k , I, p. 183-184; K u h n , p. 570-573;
B o n s ir v e n , p. 22-25.
84 VUE d ’en sem b le

2) Deuxième étonnement : la répartition de cette formule.


Quand on totalise ses divers emplois, on obtient ceci :
M arc : 15 fois
Source Commune : 10 fois
M atthieu : 24 fois^
Luc ; 17 fois
Jean : 5 fois (en 2 passages seulement)
Actes : 8 fois
Paul : 14 fois (dont 2 contestées)
Autres épîtres : 4 fois
Apocalypse : 5 fois.
Donc nous sommes ici en présence d ’un thème connu par tous les écrits"^
du Nouveau Testament, et qui n ’appartient pas à une seule tendance, mais à
toutes. Comme manifestement les auteurs de ces écrits ne s’inspiraient pas
toujours les uns des autres*, nous sommes obligés d ’admettre que ce thème
et cette formule sont antérieurs à tous et q u ’ils appartiennent au noyau pri­
m itif fondamental de la doctrine chrétienne. Si l ’on refusait de les attribuer à
Jésus lui-même, on serait obligé de les attribuer à la toute première prédica­
tion apostolique, avant la naissance des divers courants qui en sont issus.
3) Troisième étonnement : les variations d ’emplois de cette formule.
Si l’on tient compte approximativement de la longueur de chaque écrit,
on distingue un groupe où la fréquence est relativement faible (Paul, Jean,
Apocalypse, épîtres non-pauliniennes) et un autre où la fréquence est relative­
ment forte (M atthieu, Luc, Marc, Source Commune), avec un écrit inter­
médiaire qui ne rentre bien ni dans un groupe ni dans l ’autre (les Actes des
Apôtres). Sans qu’on puisse le contester, les écrits du premier groupe supposent
une influence héllénistique plus grande que ceux du second groupe, où domine
une influence sémitique*. Et ce n ’est pas le genre littéraire qui provoque cette
différence, puisqu’un évangile, celui de Jean, figure parmi les écrits du pre­
mier groupe, et les trois autres évangiles dans le second. Au contraire, la
variation semble être proportionnelle à la date, car les écrits considérés géné­
ralement comme moins anciens (Jean’, Apocalypse, épîtres non-pauliniennes)
sont ceux où le pourcentage est le plus faible. Logiquement donc il faudrait

3. Comme il a été signalé p. 35, si Luc a omis de transcrire un passage de la Source


Commune, nous avons l'impression q u ’il provient de M atthieu, alors q u ’en fait il provient
de cette Source Commune. Le chiffre de M atthieu est donc jieut-être un peu trop fort et celui
de la Source Commune un peu trop faible. II n ’est guère vraisemblable q u ’un phénomène
parallèle ait joué en faveur de Luc à cause d ’une omission en M atthieu, car celui-ci ne manque
pas d ’employer cette formule quand il en a l’occasion.
4. Pour simplifier, groupons les épîtres non-pauliniennes, comme si elles formaient
un ensemble cohérent.
5. Pour le cas des Synoptiques, nous avons essayé de séparer les divers éléments consti­
tutifs, en signalant quand ils ne dépendent pas l’un de l’autre. Même si Paul et Jean ont connu
les Synoptiques, leur personnalité littéraire et théologique ne permet pas de considérer leurs
œuvres comme un simple sous-produit de ces Synoptiques.
6. Personne ne doute que Luc ait bien été rédigé en grec, mais l’usage de sources sémi­
tiques y est manifeste.
7. On a pu rem arquer que l’évangile de Jean ne parle de la « basileia » q u ’en deux
passages, et chaque fois sur les lèvres de Jésus.
ANCIEN ET NOUVEAU TESTAMENTS 85

considérer M atthieu, Luc, M arc et la Source Commune comme des écrits plus
anciens. Certes, cette constatation ne saurait suffire à elle seule à fixer la date
de ces documents ou de certaines de leurs parties, mais elle doit entrer en
ligne de compte, tout comme les variations dans l ’usage de « Fils de l’Homme »,
d ’ « Eglise » et d ’autres termes significatifs.
4) Quatrième étonnement : la différence manifeste entre le Nouveau
Testament et l’Ancien Testament dans l ’emploi de Royauté, Règne ou
Royaume de Dieu.
L’Ancien Testament proclame souvent que Dieu est roi ou qu’il règne,
mais, curieusement, il préfère en général employer un verbe plutôt qu’un
substantif, et donc il parle relativement peu de la Royauté, du Règne et
surtout du Royaume de Dieu® ; alors que ces substantifs sont couramment
employés quand il ne s’agit pas de Dieu, ils s’appliquent à Dieu assez
rarement : jam ais meloukâh ; 6 fois m aikout’ (Ps. 103,19 ; 145,11.12.13 ;
1 Chron. 28,5 ; Daniel 4,31) ; 1 fois mamlâkâh (2 Chron. 13,8)^°.
Dans l’araméen de Daniel, revient 4 fois, avec de légères variantes, la
formule : « Sa Royauté ( = de Dieu) (est) une Royauté éternelle et sa Sou­
veraineté (est) de génération en génération» (3,33 = 3,100 en grec ; 4,31 ;
7,14 et 7,27) ; 6 autres fois on parle d ’une Royauté, d ’un Règne ou d ’un
Royaume qui sont établis par Dieu, mais qui sont en fait délégués aux
«Saints du T rès-H aut» (2,44 (2 fois) ; 7,18 (2 fois) ; 7,22 ; 7,27).
Dans les textes connus en grec, basileia apparaît une fois dans un livre
dont l ’original sémitique est perdu (Tobie, 13,1 ou 2) et deux autres fois
dans un livre écrit en grec (Sagesse 6,4 ; 10,10).
T out cela est vraiment très peu, si l ’on tient compte de la longueur
respective de l ’Ancien et du Nouveau Testament. En outre on constate que le
plus souvent le nom de Dieu est remplacé par un pronom et qu’il n ’est réelle­
ment exprimé que 3 fois (1 Chron. 28,5 et 2 Chron. 13,8, avec le tétragramme ;
Sagesse 10,10, avec théou). En somme, la notion de « Roi » est couramment
appliquée à Dieu dans l’Ancien Testament, mais on commence seulement
à en dégager la notion de Royauté, plus rarement celle de Règne et presque
jamais celle de Royaume. Par rapport à l ’Ancien Testament, la notion de
Royaume de Dieu est, dans le Nouveau Testament, une notion presque neuve.

8. L ’excellent ouvrage de J. C o p p e n s : « La Royauté, le Règne, le Royaume de Dieu :


cadre de la relève apocalyptique », distingue fort bien ces trois notions (et déjà dans son titre) ;
or sa longue enquête dans l’Ancien Testament (p. 89-274) parle presque uniquement de la
« Royauté de Yahvé » ; il dit expressément : « Des trois vocables français couverts par le
terme hébreu malkût, vocables parmi lesquels il importe de choisir selon le contexte, surtout
les deux premiers entrent en ligne de compte quand il s ’agit d'inform ations concernant Dieu »
(p. 263). Déjà en 1909 J. B okhmer reconnaissait que « l’expression Reich Gottes est dans
l ’A.T. rare et peu significative, tout comme est peu caractéristique la mention de Dieu comme
roi » (p. 129).
9. Malgré la présence du mot « Dieu » au vocatif, le Ps 45,7 ne semble pas concerner
Dieu, mais seulement un personnage divin, aussi nous ne pouvons pas le joindre à cette liste ;
le sen.s est d ’ailleurs purement adjectival : « ton sceptre royal ».
10. Et tous ces textes sont généralement considérés comme très récents !
86 VUE d ’en sem ble

5) Cinquième étonnement : dans la littérature intertestamentaire, la


notion de Règne ou de Royaume de Dieu est bien plus rare q u ’on ne le
dit trop souvent.
d) A Qumrân, on emploie, en parlant de Dieu, 1 fois meloukâh (Règle
de la Guerre VI,6)“ , 5 fois malkout (Règle de la Guerre X ll,7 ; Recueil
des Bénédictions V,21 ; Bénédictions Patriarchales 1,2 ; Règle des Chants
pour l’Holocauste du Sabbat, document A, ligne 25'^ ; IV Q Hénoch, Livre
des Géants, manuscrit a, fragment 9, ligne 6), 1 fois m am lâkâh (IV Q 160,
fragments 3-4, col. II, ligne 5 : Tu as créé [ ] *^ et un royaume ..)*■*.
Là aussi, on constate une idée en voie de formation, mais qui n ’est pas encore
coulée dans une formule stable, puisque jamais on n ’emploie un correspondant
exact de la formule stéréotypée « basileia tou théou », qui sera si fréquente dans
le Nouveau Testament.
h) Pour les Jubilés la table des matières de R.H. C h a r l e s , pourtant
très détaillée, ne signale ni l’idée ni la formule ; M. T e s t u z n ’en parle pas dans
son ouvrage : « Les Idées Religieuses du Livre des Jubilés » ; G.L. D a v e n p o r t
présente un choix des passages q u ’il juge spécialement significatifs pour
l ’Eschatologie : aucun ne mentionne le Royaume de Dieu. De même dans
le livre d ’Hénoch* aucune mention ne figure dans les tables de R.H. C h a r l e s
ni dans celles de F. M a r t in *®. Rien non plus dans le 4 ' livre d ’Esdras, bien
q u ’un des sous-titres de R.H. C h a r l e s soit : « The Temporary Messianic
Kingdom and the End of the World » (vol. II, p. 582).
c) Dans les Testaments des Douze Patriarches^^, oii basileia apparaît 19
fois, 3 passages seulement concernent Dieu : I) Dan 6,2 : les manuscrits
grecs portent « Royaume de Dieu », mais la version arménienne et la pre­
mière version slavonne «royaum e de l ’en n e m i» ; R.H. C h a r l e s préfère
la 1 " hypothèse en 1908 et la 2* en 1 9 1 3 2 ) Joseph 19,12 : « sa Royauté
(de Dieu)** est une Royauté éternelle» : cette citation de Daniel 3,33 ou 7,27
ne se trouve pas dans la version arménienne, en outre ce passage^® est un
de ceux q u ’un chrétien a remaniés, car en 19,8 on parle d ’une vierge qui
enfante un agneau et en 19,11 cet agneau «enlève le péché du m onde»

11. La même citation semble avoir été répétée dans la Règle de la Guerre XII,16 et
XIX.8, mais le manuscrit est alors lacuneux.
12. J. S truonell , en éditant deux fragments de cet ouvrage, dit (p. 327) que ce document
utilise souvent le Ps 145,12, qui exalte la gloire du Règne de Dieu ; de même il révèle {p. 334)
que les anges y sont à l’occasion appelés « chefs des royaum es ». Mais il ne fournit pas les
textes qui justifient ces affirmations.
13. M anquent au moins deux mots.
14. Pour les cas où il ne s’agit pas de Dieu, voir ci-dessus, p. 16-18, la liste des emplois
qumrâniens de ces termes.
15. Bien entendu, à la suite des travaux de J.T. M iu k , on ne peut plus considérer le
Livre des Paraboles comme faisant partie du texte original d ’Hénoch.
16. En apparence les tables de C h a rles et de M a r t in fournissent quelques références,
mais toutes se rapportent à l’introduction ou au commentaire, et aucune au texte lui-même.
17. De l ’avis de tous les critiques, cet ouvrage a été en partie remanié par un chrétien.
18. A. H u l t o â r d étudie ce passage, vol. I, p. 253-254.
19. Au lieu de Royauté, on pourrait aussi comprendre Règne.
20. V oir H ultg Ar d , I, p. 226-227.
LITTÉRATURE INTERTESTAMENTAIRE 87

( = Jean 1,29). 3) Benjamin 9,1 : « La Royauté (ou : le Règne, ou : le Royaume)


de Dieu ne sera pas en vous ». Au jugement de H u l t g â r d (I, p. 146) : « Cela
vise selon toute vraisemblance le passage du règne sur Israël, de Saül à David ».
Au total donc, aucune mention certaine du Royaume de Dieu dans cet
ouvrage^'.
d) Oracles sibyllins d ’origine juive^^ ; III, 47-48 : « Alors le très grand
Royaume du Roi immortel brillera sur les hom m es» ; III, 767-768 ; «A lors
il ( = Dieu) établira sur les hommes son Royaume pour tous les siècles ».
e) Psaumes de Salomon V,21 : «Israël ton Royaum e» ; XVII,4 : « L a
Royauté (ou : le Règne) de notre Dieu est sur les nations pour l ’éternité».
f ) Assomption de Moïse 10,1 : «S on Royaum e» (dans un contexte qui
parle de Dieu).
ff) Apocalypse Syriaque de Baruch, appelée aussi 2 ' livre de Baruch,
73,1 : «(D ieu) s ’est assis sur le trône de sa Royauté (ou plutôt ; sur son
trône royal) ».
h) Apocalypse Grecque de Baruch, appelée aussi 3* livre de Baruch, XI,2 :
« Michel, le porte-clef du Royaume des Cieux » ; mais cet ouvrage a été
écrit par un chrétien, peu après 136 après Jésus-Christ selon R.H. C h a rle s
(vol. II, p. 530) et dans le courant du ii' siècle de l’ère chrétienne selon
A.M. D enis (p. 82). On peut donc soupçonner là une citation de M atthieu
16,19 (ce qui confirmerait l ’authenticité de ce passage en Matthieu).
/) Pour P h ilo n d ’A lex a n d rie, K.L. Schm idt (article basileia, p. 575)
pose la question : « Parle-t-il du Royaume de Dieu (Gottesreich) ? ». Et il
répond : « Oui et non ! » Puis il commente ; « Le Règne (Kônigsherrschaft)
n ’est compris nulle part comme une donnée eschatologique. La basileia est
plutôt un chapitre de la théorie de la vertu. Le vrai roi est le sage ». De fait
les 6 passages allégués n ’ont vraiment aucun rapport avec le Règne ou le
Royaume de Dieu des Evangiles. Q u’on en juge ! ; « Une autre cause plus
vénérable... guide... le ciel dans son ensemble avec une (royauté)^^ souveraine
et toute-puissante» (Quis Rerum Divinarum, n “ 3 01). — « A qui... la
royauté, à qui ? N ’est-ce pas à Dieu seul ?» (De M utatione Nominum,
n® 135-136). — « Ils espéraient escalader le ciel... pour abattre la royauté
étemelle » (De Somniis, II, n® 2 8 5 ). — « La royauté du sage est un don de
D ieu» (De Abraham o, n° 2 6 1 ). — « L e soleil, la lune et la cohorte... des
autres astres, sous la direction et le commandement de Dieu, qui détient...
le pouvoir royal (basileian) par lequel toutes les choses sont gouvernées selon
la justice» (De Specialibus Legibus, I, n° 20 7 ). — « M on sceptre... emblème
d ’une souveraineté sans faille formée à l’image de son modèle, la royauté
divine» (Ibidem, IV, n° 164).

21. Malgré son titre « L ’Eschatologie des Testaments des Douze Patriarches », l’ouvrage
d ’A. H u l t o â r d ne parle à peu près pas d ’eschatologie, mais presque uniquement de messia­
nisme ou d'apocalyptique. Voir ci-dessous, p. 135.
22. La date de cette compilation est difficile à préciser, mais elle pourrait rem onter
jusqu’à 170-140 avant Jésus-Christ selon R.H. C h a rl es (vol. II, p. 371-372) et selon
A.M. D emis (p. 120) ; V. NtKiPROWETZKY pencherait plutôt pour une composition au i‘' siècle
avant Jésus-Christ (p. 216-217).
23. La traduction de la collection « Sources Chrétiennes », à laquelle sont empruntée
CCS citations, porte en fait « autorité », mais le grec a bien « basileia ».
88 VUE d ’en sem ble

j ) Pour F l a v i u s J o s è p h e , la Concordance de K.H. R e n g s t o r f permet


une étude plus précise. Or, bien q u ’il dise, par exemple dans les Antiquités
Judaïques (livre VI, chapitre iv, paragraphe 4, n° 60) que les Israélites
«répudient sa Royauté ( = de Dieu)», jam ais il n ’emploie la formule
« basileia tou théou ». Cette constatation est d ’autant plus importante que
ses œuvres sont considérables (2 279 pages, dans l ’édition grecque de
B. N lk se) et q u ’elles sont bien datées (entre 77 et 97 après Jésus-Christ).
k ) Dans la littérature rabbinique (qui a pu subir l ’influencc de certaines
idées chrétiennes), K u h n a fait une étude précise qui aboutit aux constatations
suivantes (p. 570-573) : 1) Dans les Targûmîn, c ’est-à-dire dans les traductions
araméennes de l’Ancien Testament, la tournure verbale «D ieu règne» est
parfois rendue par une tournure nominale parlant de la « Royauté de Dieu ».
Sept références sont données : s’il n ’y en a pas d ’autres, c’est bien peu pour
tout l’Ancien Testament^"^. 2) Dans le reste de la littérature rabbinique, le
«R ègne des Cieux» n ’est mentionné que dans la formule «accepter (ou :
refuser) le joug du Règne des Cieux» et alors il ne s’agit jam ais du « Royaume
de Dieu »^*.
/) Bien entendu, on a parfaitement le droit d ’accuser cette étude de
myopie et de lui reprocher de s’en tenir à l’examen d ’une formule. Mais
précisément ce q u ’il faut expliquer c ’est la différence entre la fréquence de
cette formule dans le Nouveau Testament et sa rareté dans le milieu ambiant.
Et, si la formule est fort peu employée dans le milieu juif où Jésus vivait,
n ’est-ce pas aussi que les notions théologiques q u ’elle contient n ’y jouaient
pas un rôle considérable ? En refusant une telle enquête sur les formules
employées, ne risquerait-on pas de prendre ses rêves pour des réalités et
d ’imaginer une construction théologique inexistante^ ?
6) Sixième étonnement : les vicissitudes des notions de « Royauté »,
« Règne » ou « Royaume de Dieu » dans la théologie chrétienne. Pour faciliter
l’enquête, continuons à ne pas distinguer entre ces trois sens, de façon à conser­
ver l ’ambiguïté du grec « basileia» et du latin « regnum ». Même en groupant
ces trois sens, la toute première littérature chrétienne leur attache peu
d ’importance. Souvent elle se contente de citer des passages du Nouveau
Testament qui contiennent «basileia», sans insister particulièrement^”'.
a) Didaché : en VIII,2 elle cite le Pater selon le texte de M atth. 6,9-13 ;
en IX,4 et X,5 elle demande que l ’Eglise soit rassemblée dans le Royaume
de Dieu.

24. Dans un article à paraître bientôt, je répondrai au tout récent article de K . K o c h .


2 5 . De même un spécialiste aussi qualifié que D a l m a n termine une étude de 3 9 pages
(p. 7 3 - U 3) par cette conclusion : « Non seulement le contenu du concept (Royaume de Dieu),
qui est au centre de l’enseignement de Jésus, mais aussi son emploi pratique étaient nouveaux
et originaux, même si l’expression choisie correspondait au vocabulaire religieux des Juifs.
Le Règne de Dieu, qui faisait son entrée dans le monde, était plus q u ’une réalisation pacifiante
d ’un confluent d ’espérance, il était une grandeur c r^ tric e , même au point de vue de la
form ation du terme » (p. 113), J. B o e h m e r dit à peu près la même chose (p. 1 27).
26. Joachim J erem ias , après une étude très sérieuse sur l’emploi de basileia tou théou
(Théologie du N .T., p. 42-46) aboutit aux mêmes conclusions.
27. L ’ordre de présentation des difTérents ouvrages est approximatif, puisque leur date
de composition n ’est pas toujours connue avec certitude. Mais on peut modifier cet ordre,
si l'on a des raisons pour en préférer un autre.
ANCIENNE UTTÉRATURE CHRÉTIENNE 89

b) Odes de Salomon : M atth. 16,18 est cité en XXII, 12 et semble-t-il,


l ’Apocalypse 12,10 en XXIII,12 ; pour XVIII,3 le parallélisme avec «fo rce»
(v. 2) et avec « perfection » (v. 5) supposerait le sens de « Royauté », mais
le parallélisme avec « parole » (v. 4) plaiderait plutôt en faveur de « Règne ».
c) Lettres d ’iGNACE d ’A ntioche : La lettre aux Ephésiens XVI,I et celle
aux Philadelphiens 111,3 citent 1 C or 6,9-10 ou 15,50, ou Galates 5,21 ou
même Ephésiens 5,5. En dehors de cela, Ignace ne fait aucune allusion à la
« basileia » de Dieu ou du Christ.
d) La «basileia» de Dieu ou du Christ n ’est même jamais mentionnée
dans l ’Epître de C lém ent aux Corinthiens, ni dans l’Ascension d ’Isaïe^®.
e) Si l ’on se tourne vers les plus anciens évangiles a p o c r y p h e s ( d o n t
la date de rédaction est difficile à déterminer), on ne trouve rien dans les
fragments qui proviennent de l ’Evangile des Ebionites, de l’Evangile selon
les Hébreux, de l ’Evangile de Pierre. L ’Evangile des Nazaréens cite Matth.
11,12 en le déformant. L ’Evangile des Egyptiens (selon la 2 ' épître de Clément
XII, 1-2) porterait : «A ttendons en (son) temps le Règne (ou : le Royaume)
de Dieu dans l’am our et la justice, puisque nous ne savons pas le jour de
la manifestation de Dieu. En effet, le Seigneur, interrogé par quelqu’un quand
viendrait son Règne, a dit... ».
f ) Quant aux évangiles gnostiques découverts à Nag-Hammadi^°, leur
date de composition ne peut pas encore être précisée, et encore moins celle des
traditions q u ’ils recueillent. Plusieurs sont d ’origine valentinienne et donc
sont postérieurs au milieu du second siècle. Celui qui aurait le plus de chance
de contenir des éléments très anciens, l’Evangile de Thomas, évite généralement
la formule « Royaume de Dieu » ou « Royaume des Cieux » et il dit presque
toujours soit « le Royaume » sans précision, soit « le Royaume de mon père ».
En 18 passages il parle de ce « Royaum e», mais 10 fois il suit d ’assez près le
texte évangélique^ ‘ ; 2 fois iL ajoute au texte évangélique la mention du
Royaume^^ ; 6 autres fois il présente des textes non-évangéliques qui parlent
du « Royaume »^^.

28. Si l’on attribuait à cette période les remaniements chrétiens de l’Apocalypse Grecque
de Baruch X I,2 (voir ci-dcssus p. 48 n. 8 et p. 87) on ajouterait une mention du «porte-clef du
Royaume des Cieux » qui est une allusion à M atth. 16,19.
29. Selon l ’édition d ’E. H ennecke .
30. Sur Nag-Hammadi, une bibliographie très complète est fournie par D .M . S c h o l e r .
31. Voici la liste de ces passages : n° 2, vient de Luc 17,20-21 ; n" 23, de Marc 4,30-32 ;
n° 27, développe Marc 10,14-15 ; n° 51, vient de M atth 11,11 ou de Luc 7,28 ; n° 59 de M atth,
5,3 ou de Luc 6,20; n» 62, de MaUh 13,24-30; n° 80, de M atth 13,45-46; n° 100, de M atth
13,33 ou de Luc 13,20-21 ; n° 113, de M atth 13,44; n ” 117, de Luc 17,20-21.
32. Voici ces 2 passages : n° 103 : « ...Vous et ceux qui font la volonté de mon Père,
ce sont là mes frères et ma mère ; ce sont eux qui entreront dans le Royaume de mon Père »
(d ’après Marc 3,31-35 ou M atth 12,46-50 ou Luc 8,19-21); n “ 111 : « Le Royaume est pareil
à un berger qui a cent brebis » (d ’après M atth 18,12-13 ou Luc 15,4-6).
33. Voici ces textes selon la traduction de J. D oresse ; N° 32 « Si vous ne jeûnez pas au
monde, vous ne trouverez point le Royaume... ». N° 54 : « Bienheureux les solitaires et les
élus, car vous trouverez le Royaume. Parce que vous êtes issus de lui, vous y retournerez ».
N ° 86 : « Celui qui est près de moi est près du feu, et celui qui est loin de moi est loin du
Royaume ». N° 101 : « Le Royaume du Père est pareil à une femme qui porte un vase plein
de farine... ». N° 102 ; « Le Royaume du Père est pareil à un homme qui veut tuer un grand
personnage... ». N° 118 : « ...Toute femme qui sera faite mâle entrera dans le Royaume des
Cieux ».
90 VUE d ’en sem ble

g) Cette rapide enquête dans la plus ancienne littérature chrétienne


ne saurait prétendre être définitive : trop d ’ouvrages ne sont connus que par
des fragments et la plupart ne sont pas encore datés avec précision. Du moins
elle suffit à m ontrer que les notions de Royauté, Règne ou Royaume de Dieu
n ’ont pas joué un rôle considérable dans le demi-siècle qui a suivi la m ort des
Apôtres^'^. Ensuite cette influence est longtemps restée discrète, si l’on se
réfère aux trois ouvrages du patrologue G. B a r d y : « l’Eglise à la fin du
premier siècle », « la Théologie de l ’Eglise de S. Clément de Rome à S. Irénée »,
« la Théologie de l ’Eglise de S. Irénée au Concile de Nicée»^^.
Nous nous trouvons donc dans la situation suivante ; les notions de
Royauté, Règne ou Royaume de Dieu étaient peu à la mode dans le milieu
où Jésus a vécu ; pourtant elles sont capitales dans les Evangiles Synoptiques
et même dans les Actes des Apôtres ; elles n ’ont q u ’un rôle secondaire dans
l’Eglise primitive.
7) Septième étonnement : l ’application^® q u ’ont mise certains exégètes
modernes à vouloir disqualifier certains passages où figure la « basileia tou
théou ».
En même temps q u ’ils majorent l’importance du «R ègne de D ieu»
dans le judaïsme am biant, certains ont tendance à le minimiser dans le
Nouveau Testament et surtout dans les Evangiles. On a l’impression que
certains textes les gênent et q u ’ils cherchent, inconsciemment bien sûr, à
s’en débarrasser.
Or, qui veut se débarrasser d ’un texte gênant dispose d ’une triple astuce :
déclarer ce texte interpolé, rédactionnel ou tardif^
a) Texte interpolé, c ’est-à-dire ajouté par un copiste désireux de faire
passer ses idées personnelles. Dans le cas de la Royauté, du Règne ou du
Royaume de Dieu, cet échappatoire doit atteindre l’ensemble des passages
que nous avons relevés. Il faut donc supposer que ce copiste malhonnête
était assez adroit pour interpoler non seulement un évangile, mais deux ou
trois à la fois, et dans les passages exactement parallèles. Il aurait aussi interpolé
les épîtres de Paul, en respectant bien leur style si particulier. Et de tout cela
il ne subsisterait aucune trace dans aucun des manuscrits conservés. Est-il
sérieux de s’arrêter à une telle hypothèse, qui ne repose sur aucun argument
positif ?
b) Texte rédactionnel, c ’est-à-dire ne provenant pas de documents ou
de traditions primitifs, mais ajouté par le rédacteur final pour harmoniser
ses sources. Dans notre cas, cette hypothèse est partiellement juste : M atthieu
a trouvé intéressante la formule de M arc 1,15 « L e Royaume de Dieu est
proche » ou « est devenu proche » et il l ’a répété 2 fois pour caractériser la

34. C ’est pourquoi ne sont pas interrogés des ouvrages, comme le Pasteur d ’Hermas,
qui sont certainement postérieurs à l’an 130.
35. On pourra aussi consulter L. A t z b e r g e r .
36. De trop nombreux exemples de cette application seront donnés dans la suite de cet
ouvrage.
37. Bien entendu, cela se fait en toute bonne foi : on est tellement convaincu que ses
propres idées sont justes, q u ’on ne remarque pas que le procédé qui les «justifie » n ’estf>as
irréprochable.
ÉLIMINATION DE CERTAINS TEXTES 91

prédication de Jésus (4,17 et 10,7) et 1 fois celle de Jean-Baptiste (3,2). Luc a


trouvé intéressante la formule « prêcher (ou : annoncer) le Royaume de Dieu »
qui figurait dans une de ses sources ou q u ’il a façonnée lui-même et il l ’a
répétée 5 fois dans son Evangile et 4 fois dans les Actes. Notre étude
analytique de ces passages ne manque pas de le signaler (voir ci-dessus p.
43,57,66-69). Mais précisément ces formules rédactionnelles n ’ont aucun
intérêt pour nous, car elles sont trop vagues et trop banales pour nous appren­
dre quoi que ce soit. Nous les éliminons de bon cœur. Le problème est en défi­
nitive celui-ci : peut-on considérer aussi comme « rédactionnels » tous les
passages différents, qui contiennent des observations valables ? Pour l ’admet­
tre il faudrait supposer une singulière harmonie préétablie entre les « rédac­
teurs» de Marc, de M atthieu, de Luc, des épîtres et de l’Apocalypse.
c) Texte tardif, c ’est-à-dire composé si longtemps après la vie de Jésus
q u ’on ne doit plus y voir le reflet d ’une tradition primitive. Cette fois encore
on ne peut pas repousser absolument cette hypothèse. Parmi les documents
qui nous intéressent, deux sont en effet contestés pour ce m otif : la seconde
à Timothée et la seconde de Pierre^®. Bien que les arguments en faveur de
l ’inauthenticité soient loin d ’être convaincants, nous acceptons volontiers
d ’affecter ces textes d ’un bémol d ’incertitude et nous permettons à tous
ceux qui le voudront de les récuser. Mais, pour l ’ensemble des textes inventoriés
ju sq u ’ici, on doit reconnaître au contraire que la fixité des formules et l ’évo­
lution de leur emploi sont nettement favorables à une origine très ancienne,
qui remonte à Jésus lui-même ou à ses premiers disciples. Evidemment, quand
on a déclaré un passage « tardif », on a les mains plus libres pour le qualifier
ensuite de « mythique », bien que les impressions subjectives puissent jouer
une part considérable dans l ’attribution de ce caractère à tel ou tel passage.
Même en additionnant ces trois astuces, on est loin d ’avoir subtilisé
tous les textes qui parlent de la Royauté, du Règne ou du Royaume de Dieu.
Et ceux qui résistent à ces trois dissolvants sont largement suffisants pour
fonder une étude sérieuse^®.

38. On ne peut pas ajouter l’épître aux Ephésiens, du moins pour le passage qui nous
concerne, car il est trop évidemment paulinien (voir ci-dessus, p. 75).
39. Pour q u ’on ne croie pas que je plaisante ou que j ’exagère, je me permets de donner
en appendice quelques exemples de traitement subjectif des textes, sous la plume d ’auteurs
très influents.
CHAPITRE XII

Royauté de Dieu et
Royauté du Christ
Commençons par relire et par grouper les textes où le mot « basileia »
a paru signifier « Royauté ». En voici la liste : M atth. 16,28 ; Luc 2 3 ,4 2 (mais
le texte grec est incertain) ; Jean 18,36 (3 fois) ; 1 Cor. 15,24 (sens incertain) ;
2 Tim. 4,1 (sens incertain) ; Hebr. 1,8 (citation du Ps. 4 5 ,7 appliquée au
Fils de Dieu, avec un sens purement adjectival) ; Apocalypse 11,15 et 12,10.
Ce qui frappe tout de suite, c ’est la rareté de cette notion : une dizaine
d ’emplois seulement, dont quatre sont incertains pour différents motifs; et,
sur les six cas utilisables, cinq se trouvent dans le « corpus johannique ».
Pourquoi cela ?
Une autre question est celle des rapports entre la Royauté de Dieu et
celle du Christ^. En M atth. 16,28 il s’agit explicitement de la Royauté du Fils
de l ’Homme, alors que les deux textes parallèles de M arc 9,1 et de Luc 9,2 7
parlent de la « basileia » de Dieu. Est-ce que M atthieu en modifiant ainsi
son texte de base avait seulement l’intention de mieux en dégager le sens,
et alors pour lui la Royauté de Dieu et la Royauté du Christ étaient une
seule et même chose ? Ou bien est-ce qu’il avait l’intention de corriger le
texte de M arc pour exprimer une idée différente, précisément parce q u ’il
excluait cette identification ? Comment répondre à une telle question ? Mais
un autre rapprochement s’impose : si en Luc 2 3 ,4 2 la leçon retenue par A l a n d
était certaine ce texte serait curieusement semblable à M atth. 16,28 : « Quand
tu ( = Jésus) viendras dans ta R oyauté» et « le Fils de l’Homme venant
dans sa Royauté ».
Les deux textes de Paul, 1 Cor. 15,24 et 2 Tim. 4 ,1 , parlent du Christ,
mais ils ne permettent guère de préciser le sens du mot « basileia » et donc
nous ne pouvons pas les utiliser directement. Toutefois quand S. Paul dit

1. Le problème de la Royauté de Dieu et do celle du Christ n ’est pas )e même que le


problème du Royaume de Dieu et de celui du Christ, qui sera traité ci-dessous, p. 192-193.
En effet deux rois peuvent régner cotuointement sur le même royaume (comme ce fut le cas
en France avec les deux frères Louis III et Carloman entre 879 et 882) et surtout un même
roi peut régner sur plusieurs royaumes (Charles-Quint et Victoria !).
IDENTinCATION 93

que Jésus remettra la « basileia » à Dieu le Père, il suppose, quel que soit le
sens réel de « basileia », que celle du Christ et celle de Dieu sont distinctes,
mais q u ’elles peuvent et doivent se rejoindre et s ’identifier.
C ’est aussi du Christ q u ’il s’agit en Hébr. 1,8 et même l ’auteur lui
applique le Ps. 45,7, qui visait au sens littéral un roi davidique. Mais comme
« basileia » a seulement le sens de notre adjectif « royal », nous ne pouvons
pas non plus deviner si l ’auteur voulait parler du «sceptre de la R oyauté»
ou du « sceptre du Règne ».
En Jean 18,36, par contre, tout est clair : c ’est Jésus qui parle et qui
précise que sa Royauté n ’a pas une origine humaine. Pilate l’entend bien
ainsi quand il réplique : « Est-ce que tu es roi ? », c ’est-à-dire : « Est-ce que
tu as la dignité et le pouvoir d ’un roi, donc sa royauté ? ».
L ’Apocalypse 11,15 (à moins que, selon une hypothèse peu probable,
il ne s’agisse du Règne ou du Royaume) identifie explicitement la Royauté
de Dieu et la Royauté du Christ, puisque les voies célestes acclament la
Royauté « de notre Seigneur^ et de son Christ ».
Dans l ’Apocalypse 12,10, le sens de « R oyauté» est indiscutable, puisque
ce terme est coordonné à « puissance », qui indique bien une qualité subjective.
Mais alors c’est l’identité entre la Royauté de Dieu et celle du Christ qui est
moins claire, puisque sont attribuées à Dieu « la puissance et la Royauté » et
au Christ « le pouvoir» ; cependant l’auteur semble bien, surtout si l’on se
rappelle la formule de 11,15, ne pas vouloir opposer ces prérogatives, mais
au contraire les placer en parallélisme synonymique, afm de les additionner.
En définitive, la Royauté de Dieu semble bien s ’identifier à celle du Christ
selon l ’Apocalypse 11,15 et 12,10. Ces textes s’harmonisent facilement avec
1 Cor. 15,24, qui envisage pour la Fin du Monde la fusion de la « basileia »
du Christ dans celle de Dieu, car ils concernent la liturgie céleste dans un
avenir imprécis. Et ils sont grandement confirmés par la formule : « Roi
des rois et Seigneur des seigneurs» ( = Daniel 2,47) que I Timothée 6,15
applique à Dieu et que l’Apocalypse 17,14 et 19,16 applique à Jésus.
Dans un article consacré tout entier à prouver que la Kônigsherrschaft
de Dieu (plutôt au sens de Règne, mais le Règne est indissociable de la
Royauté, sauf chez les usurpateurs) W. D antine présente ainsi sa démons­
tration (p. 197) : « Règne de Dieu et Régne du Christ sont considérés (par
le Nouveau Testament) dans une si étroite association q u ’ils ne peuvent
plus être séparés : ils désignent une seule et même réalité. Un Règne de Dieu
qui ne serait pas Règne du Christ et un Règne du Christ qui ne serait pas
Règne de Dieu sont en tout cas étrangers au Nouveau Testament ».

*
* *

2. Dans l’usage actuel du français « N otre Seigneur » est devenu synonyme de « Jésus-
Christ », il n ’en était pas ainsi au temps de l ’Apocalypse et ici « notre ^ ig n e u r » s ’applique
directement à Dieu.
94 ROYAUTÉ DE DIEU ET DU CHRIST

La relative rareté de la notion de « Royauté de Dieu » ou de « Royauté du


C hrist» dans le Nouveau Testament pose un curieux problème, car, para­
doxalement, c ’est cette notion qui était le plus dans la ligne de l ’Ancien
Testament, c’est elle q u ’on retrouvera parfois dans le Targum de Jonathan^
et c ’est elle qui aura le plus de succès chez les Pères de l ’Eglise et au
Moyen Age.
En effet, dans l ’Ancien Testament c ’est surtout la Royauté de Dieu
qui est affirmée et proclamée, soit par le substantif « mèlèk » ( = « roi »), soit
par le verbe « mâlak », qui ne signifie pas seulement « régner » (en fait) mais
aussi « avoir la royauté », « être roi » (en droit). Ainsi, selon la table des
matières du plus récent ouvrage sur l’Eschatologie dans l ’Ancien Testament
(édité par H.D. P r e u s s en 1978), il parle 8 fois de la Royauté de Dieu (et encore
une référence est-elle fausse) et 3 fois seulement du Royaume de Dieu(et
encore s’agit-il une fois de sa Royauté).
Des études précises n ’ont pas encore, semble-t-il, été faites sur le rapport
des trois sens de « basileia » chez les Pères Grecs et de « regnum » chez les
Pères Latins et, tant q u ’un savant n ’aura pas élucidé ce problème, on sera
réduit à des approximations, qui ne sauraient passer pour définitives.
A titre provisoire, constatons que dans un article sur « l’Idée de la
Royauté du Christ dans l’Œuvre de Saint Justin», Jean L e c l e r c q ne parle
pas du Royaume, très peu du Règne et presque uniquement du pouvoir royal,
c ’est-à-dire de la Royauté du Christ. Même position du même auteur dans
d ’autres études sur « le sermon sur la Royauté du Christ au Moyen Age»,
sur « la Royauté du Christ dans les lettres des Papes du x n i' siècle », sur
« un sermon inédit de Saint Thomas sur la Royauté du Christ»'^.
On a l ’impression que, chez les Pères de l’Eglise, la question essentielle
est celle de la divinité du Christ et q u ’une des façons de l ’aborder est de
mettre en valeur la Royauté du Christ, qui émane de celle du Père et qui un
jo u r se fondra en elle. Au Moyen Age ce sont les luttes politiques entre « le
sacerdoce et l ’em pire» qui suscitent un plus grand intérêt pour la Royauté
du Christ, en faveur de ceux qui prétendent en hériter dès cette terre.
En plus de ces contingences théologiques ou historiques, a peut-être
joué aussi l’imprécision des termes « basileia » et « regnum »* : on en voyait
surtout le sens fondamental « nature et prérogatives d ’un roi » et l ’on risquait
d ’oublier un peu les sens dérivés « exercice de ces pouvoirs » et « sujets de ces
pouvoirs». Surtout la théologie de l’Eglise ne posait pas encore de problèmes
brûlants...

3. B.D. C h il t o n et K. K o c h signalent, dans ce Targum sur les Prophètes, quelques


mentions de la m aikoutâ de Dieu, mais alors il s ’agit de la Royauté ou du Règne de Dieu,
non pas d e son Royaume au sens précis. D ’ailleurs B.D. C h il t o n , selon le titre même de son
liv re , comprend le Royaume de Dieu comme « Dieu dans sa Puissance ».
4. Toutes ces études sont reprises dans « L ’idée de la Royauté du Christ au Moyen Age».
5. Ainsi A. v o n G a l l parle de l ’Eglise « pour qui le regnum Dei et le regnum Christi
sont devenus deux concepts eschatologiques (sic !) équivalents » (p. 480).
CHAPITRE XIII

Le Royaume de Dieu
et l’Eglise
Pour la clarté de l ’exposé, permettons-nous de traiter d ’abord le Royaume
de Dieu et de réserver le Règne de Dieu pour le chapitre suivant.
Si nous rassemblons nos différentes informations sur ce Royaume,
q u ’obtenons-nous ? Bien entendu, ayons soin de ne négliger aucune donnée
et de considérer tous les textes, avec leur degré de certitude ou d ’incertitude,
tels q u ’ils ont été analysés plus haut. Gardons-nous surtout de déclarer
certains textes incompatibles avec d ’autres : s’ils nous paraissaient tels, ce
serait peut-être que nous aurions mal compris, que notre synthèse serait
fausse ou q u ’elle aurait appauvri la pensée plus riche du Nouveau Testament.

A) Caractéristiques du Royaume de Dieu

1) Première constatation : pour Jésus et les Apôtres le Royaume de Dieu


appartenait déjà au passé.
Les invectives de Jésus contre les légistes (Luc 11,52 = M atth. 23,13)
condamnent des actes déjà commis, qui ont déjà commencé de détourner du
Royaume de Dieu les âmes trop naïves. D ’ailleurs Luc m et les verbes au passé.
De même les encouragements au « p etit troupeau» de Luc 12,32 sont
justifiés « parce q u ’il a plu au Père de lui donner le Royaume » ; ces propos,
qui ne peuvent guère s’entendre d ’un «passé prophétique», concernent les
auditeurs de Jésus, qui ont déjà reçu du Père ce Royaume.
Quand S. Paul dit q u ’il rend grâce au Père « qui vous a arrachés (Colos-
siens 1,13) à la puissance des ténèbres et qui vous a transférés dans le Royaume
de son Fils bien-aimé », il fait manifestement allusion à la récente conversion
des chrétiens de Colosses qui les a fait entrer dans le Royaume du Christ.
En Jacques 2,5 également, Dieu a déjà dans le passé choisi les pauvres
pour en faire des riches et pour les mettre en possession du Royaume q u ’il a
promis : tous les verbes sont au passé, mais un passé qui se prolonge dans
le présent.
Dans l ’Apocalypse, Jésus « nous a délivrés de nos péchés dans son sang
et il a fait de nous un Royaume » (1,6 repris littéralement en 5,10) et donc les
96 LE ROYAUME DE DIEU ET L’ÉGLISE

destinataires de l ’Apocalypse participent à ce Royaume depuis q u ’ils béné­


ficient de la Passion du Christ.
Surtout plusieurs textes mettent ce Royaume en relation avec Jean-Baptiste
et donc ils incluent un passé qui remonte au moins jusqu’au Baptême de
Jésus. Dans la Source Commune, Luc 7,28 et M atth. 11,11 m ontrent que
Jean-Baptiste se trouve à la charnière entre l’ancienne Alliance et le Royaume
de Dieu. Plus loin un texte, controversé pour d ’autres motifs, dit au moins
clairement que le Royaume de Dieu est annoncé depuis Jean-Baptiste (Luc
16,16) et que depuis lors il faut du courage pour y entrer (M atth. 11,12).
Môme les publicains et les prostituées ont cru à la prédication de Jean-Baptiste
et ainsi ils précèdent les scribes et les Pharisiens dans le Royaume de Dieu
(M atth. 21,31-32) : cette priorité peut concerner les «préséances» dans le
Royaume, mais encore plus naturellement le temps de l ’entrée dans ce
Royaume^.
2) Deuxième constatation : ce Royaume de Dieu est une réalité qui
existe déjà lors de la prédication de Jésus, puis des Apôtres.
Ce Royaume de Dieu appartient (et pas seulement : appartiendra) à ceux
qui ressemblent aux petits enfants (M arc 10,14-15 = M atthieu 19,14 = Luc
18,16-17), les publicains et les prostituées sont déjà en train d ’y entrer et les
autres auditeurs de Jésus sont invités à y entrer eux aussi. Le scribe qui
approuve Jésus « n ’est pas loin du Royaume de D ieu» (M arc 12,34). Les
Béatitudes qui concernent ce Royaume de Dieu sont exprimées au présent,
alors que les autres sont au futur. La discussion sur les préséances dans le
Royaume de Dieu concerne une situation bien concrète (M atth. 18,1.3.4).
En outre, plusieurs expressions sont formulées d ’une façon très générale,
dont le caractère intemporel inclut le présent, en même temps d ’ailleurs q u ’un
avenir illimité. Ainsi : 1) la parabole de la Semence qui pousse d ’elle-même
(M arc 4,26-29) ; 2) l ’invitation à rechercher d ’abord le Royaume et sa Justice
(Luc 12,31 = M atth. 6,33) ; 3) la parabole du Levain (Luc 13,20-21 = M atth.
13,33, et l ’un et l’autre exposent cette parabole avec des verbes au passé) ;
4) la réponse à Nicodème : « Si quelqu’un n ’est pas engendré d ’en-haut, il
ne peut pas voir le Royaume de Dieu... si quelqu’un n ’est pas engendré de
l ’eau et de l ’esprit, il ne peut pas entrer dans le Royaume de D ieu» (Jean
3,3-5) ; 5) l’avertissement des Actes 14,22 : « C ’est par de nombreuses tri­
bulations q u ’il nous faut entrer dans le Royaume de Dieu » ; 6) l’invitation
d ’Hébreux 12,28 à recevoir « le Royaume inébranlable», afin d ’adorer Dieu
valablement.
3) Troisième constatation : ce Royaume de Dieu est promis pour un
futur immédiat, ne dépassant pas le délai d ’une génération.
Avant l ’institution de l ’Eucharistie, Jésus prom et aux Apôtres de boire
le vin avec eux dans le Royaume de son Père (M arc 14,25 = M atth. 26,29 =

1. Même E. R e u s s aboutit à une semblable conclusion ; « (Jésus) va plus loin et assigne


rnême une date précise à l’avènement du royaume, et cette date (M atth 11,11-14; Luc 16,16)
n ’est autre que le moment où Jean-Baptiste, le dernier et le plus grand des prophètes, en ouvrit
pour ainsi dire la porte, en annonçant au monde celui qui devait réaliser scs plus chères
espérances. Dès ce moment-là, le mouvement vers le royaume a commencé, et les hommes
se pressent avec ardeur pour y entrer » (Histoire de la Théologie chrétienne, I, p. 190).
CARACTÉRISTIQUES DU ROYAUME DE DIEU 97

Luc 22,16-18). Celui qui enseigne la moindre désobéissance sera le dernier dans
le Royaume des Cieux (M atth. 5,19). Celui qui n ’est pas meilleur que les
scribes et les Pharisiens n ’entrera pas dans le Royaume des Cieux (M attb.
5,20). Celui qui accomplit la volonté du Père entrera dans le Royaume des
Cieux (M atth. 7,21). Jésus donnera à Pierre les clefs du Royaume des Cieux
(M atth. 16,18-19). Les Apôtres espèrent une restitution prochaine du
Royaume de Dieu (Actes 1,6). Quatre fois S. Paul donne une liste de pécheurs
qui n ’obtiendront pas le Royaume de Dieu (1 Cor. 6,9-10 ; 15,50 ; Gai. 5,21 ;
Ephés. 5,5).
4) Quatrième constatation : ce Royaume de Dieu aura son accomplisse­
ment à la Fin du Monde.
Dans l ’allégorie de l ’Ivraie (M atth. 13,24-30 et 36-43) Jésus précise
lui-même que la moisson sera faite par les anges à la consommation du temps.
Même horizon dans l ’allégorie du Filet (M atth. 13,47-50) et dans la des­
cription du Jugement Dernier (M atth. 24,31-46). S. Paul, dans ses deux plus
anciennes épîtres, envisage aussi la même perspective pour l ’entrée dans le
Royaume (1 Thess. 2,12 et 2 Thess. 1,5).
5) Cinquième constatation : ce Royaume ne sera pas composé seulement
de justes, mais aussi de pécheurs.
Si paradoxal que cela paraisse, Jésus enseigne plusieurs fois que le
Royaume de son Père inclura même des pécheurs^. C ’est même, semble-t-il,
l’intention principale de l’allégorie de l ’Ivraie (M atth. 13,24-30 et 36,43),
de l ’allégorie du Filet (M atth. 13,47-50) et de la parabole des Dix Vierges
(M atth. 25,1-10). Dans la description du Jugement Dernier (M atth. 25,31-46),
l’humanité est composée elle aussi de justes et de pécheurs, mais c ’est seulement
à leur séparation que les justes sont invités au Royaume du Père, qui leur
était réservé depuis la création du monde. Si cet aspect de la pensée de Jésus
nous étonne, c ’est que nous ressemblons aux serviteurs trop zélés qui
voudraient sarcler tout de suite l ’ivraie poussant au milieu du blé (M atth.
13,27-29).
6) Sixième constatation : Ce Royaume de Dieu connaîtra une réelle
évolution, une véritable croissance.
Cet aspect de la pensée de Jésus, tout comme le précédent, risquait de
dérouter ses auditeurs, aussi l’a-t-il enveloppé sous le voile de plusieurs para­
boles et allégories : la Semence qui pousse d ’elle-même (M arc 4,26-29), le
Grain de Senevé (M arc 4,30-32 = M atth. 13,31-32 = Luc 13,18-19), le Levain
(Luc 13,20-21 = M atth. 13,33), l ’Ivraie (M atth. 13,24-30 et 36-43)^
7) Septième constatation : après la m ort, ce Royaume de Dieu se pro­
longera dans la Vie étemelle.
Selon M arc 9,43-47, il vaut mieux s’am puter d ’un membre que de risquer
d ’être exclu du Royaume de Dieu et d ’aller dans le feu de l’étemelle Géhenne.

2. Bien entendu, nous ne devons pas opposer ces textes à ceux qui affirment que les
pécheurs n ’enireront pas dans le Royaume de Dieu. N ous devrons chercher une solution
qui les concilie les uns avec les autres.
3. Ces « allégories de la croissance » sont étudiées spécialement par D o d d et par D a h l
(Studia Theologica).
98 LE ROYAUME DE DIEU ET L ’ÉGLISE

En répondant à une question sur la Vie éternelle, Jésus précise que Dieu seul
peut faire entrer dans son Royaume (M arc 10,23-25 = M atth. 19,23-24 =
Luc 18,24-25). Ce Royaume est décrit ailleurs (Luc 13,28-29 = M atth. 8,11-12)
comme un banquet en compagnie des patriarches et des prophètes, dont
sont exclus « tous les artisans d ’iniquité ». La même conception est exprimée
par le convive qui a dit selon Luc 14,15 : «H eureux celui qui mangera du
pain dans le Royaume de D ieu», par S. Paul quand il espère que Dieu le
«sauvera dans son Royaume céleste» (2 Tim. 4,18) et par la 2“ épître de
Pierre (1,11) qui prom et que nous sera richement procurée l’entrée dans le
Royaume éternel de notre Seigneur et Sauveur Jésus-Christ ».
8) Huitième constatation : ce Royaume se présente sous deux états diffé­
rents : un état avec pécheurs et un état sans pécheurs.
Certains textes supposent la présence de pécheurs à l ’intérieur du Royaume
de Dieu, comme on l’a vu à la 5® constatation. Mais d ’autres textes affirment
que les pécheurs n ’entreront pas dans le Royaume de Dieu : M arc 10,15
( = M atth. 19,14 = Luc 18,17) ; M arc 10,23-27 ( = M atth. 19,23-24 = Luc
18,24-27) ; M atth. 18,3 ; Jean 3,3-5 ; 1 Cor. 6,9-10 ; 15,50 ; Gai 5,19-21 ;
Eph. 5,5. Pour concilier ces deux points de vue, on doit nécessairement adm ettre
que le Royaume de Dieu se présente sous deux états différents : dans le
premier les pécheurs peuvent pénétrer, mais pas dans le second. Et c’est à ce
second état que font allusion les textes qui répètent que tels ou tels pécheurs
(ou même tous les pécheurs) n ’auront pas accès au Royaume de Dieu, car les
textes qui excluent les pécheurs ont tous des verbes au futur. Logiquement
on concluera donc que c ’est l’état présent (et terrestre) du Royaume de Dieu
qui tolère les pécheurs, mais que c ’est l ’état futur (et céleste) de ce Royaume V
qui est réservé aux justes, en plein accord avec la description du Jugement
Dernier en M atth. 25,34-46. r
9) Neuvième constatation : ce Royaume peut être présenté soit comme
celui de Dieu soit comme celui du Christ.
Le texte de 2 Pierre 1,11 qui vient d ’être cité attribue explicitement ce
Royaume à Jésus ; de même Coloss. 1,13 : « (Dieu nous) a transférés dans le If
Royaume de son Fils bien-aimé». Partout ailleurs le Royaume est celui de
Dieu, ou du Père, ou des Cieux, même quand la bonne graine représente les .
fils du Royaume et q u ’elle a été semée par le Fils de l ’Homme (M atth. 13,37-
38). Mais ces deux points ne s’excluent nullement, car ils sont synthétisés
par Eph. 5,5, qui parle du « Royaume du Christ et de Dieu

B) Identification da Royaume de Dieu

Si nous sommes fidèles à ne néghger aucun texte et à chercher une


solution qui soit en accord avec chacun, nous nous trouvons devant la devi­
nette suivante : Quelle est la réalité, comparable à un royaume, qui a
commencé au Baptême de Jésus, qui se développera jusqu’à la Fin du Monde,

4. Les textes qui peuvent concerner soit le « Règne » soit le « Royaume » sont réservés
par prudence au chapitre suivant, mais ils ne modifieraient pas substantiellement le tableau
obtenu à partir des textes désignant uniquement le Royaume.
IDEÏ>mFICAT10N DU ROYAUME DE DIEU 99

qui englobe des justes et des pécheurs, qui se prolongera dans la Vie étemelle
et qui est attribuabic à la fois à Dieu et au Christ ?
En supprim ant l ’une ou l’autre des données du problème, on lui a
donné des solutions différentes. Si l ’on tient à les harmoniser toutes, une
seule réponse est possible : c’est VEglise Du moins on n ’cn a pas encore
trouvé d ’autre*.
En effet les divers traits de ce Royaume de Dieu ou du Christ correspon­
dent à ceux de l ’Eglise.
1) Quand Pierre rattache le « service » des Apôtres au Baptême de Jésus
(Actes 1,17-25), quand il fait commencer à ce même Baptême « 1’onction par le
Saint-Esprit » et le « passage » bienfaisant de Jésus (Actes 10,37-38), quand Paul
fait remonter à ce Baptême le rôle salvifique de Jésus (Actes 13,23-26), quand
Jean présente dans un parallélisme saisissant la mission du Baptiste et celle
de Jésus avec la plénitude de la grâce (Jean 1,6-18), ils supposent clairement que
les débuts de l’Eglise se situent lors de ce Baptême®.
2) et 3) Dans les Actes des Apôtres et dans les épîtres de S. Paul l’Eglise
est manifestement considérée comme une réalité déjà bien établie et appelée
à un avenir illimité ; l ’on ne peut guère douter que Jésus fasse allusion à
cette Eglise quand il résume dans la Prière Sacerdotale la mission q u ’il a
remplie (Jean 17,1-26).
4) L ’Eglise doit vivre jusqu’à la Fin du M onde (M atth. 28,20), puisque
c ’est en elle que se réalisent les promesses d ’éternité contenues dans l’Ancien
Testament.
5) L ’Eglise contient des justes et des pécheurs’ : une faute contre un
frère peut aboutir à une intervention de l ’Eglise® ; Judas a fait partie de
l’Eglise (Actes 1,17) ; les exhortations morales des épîtres visent des pécheurs
possibles et les reproches faits aux Thessaloniciens, aux Corinthiens (surtout
1 Cor. 5,1-13 ; 6,1-18 ; 11,17-22) et aux Galates supposent de sérieuses défail­
lances ; 1 Pierre 4,15 et 3 Jean 9,10 ainsi que l ’Apocalypse 3,1-4 et 15-19
s’adressent à des membres de l’Eglise qui, eux aussi, font scandale...
6) L ’évolution de l ’Eglise, sa diffusion et sa croissance sont décrites
dans les Actes des Apôtres et dans les lettres aux Eglises de l’Apocalypse,
sans oublier maints passages des épîtres.
7) L ’Eglise se prolongera dans la Vie éternelle. Elle est le corps du Christ
(Eph. 5,30 ; Col. 1,24) et il en est la tête (Eph. 1,22 ; 5,23 ; Col. 1,18.24).
Elle doit donc vivre avec lui dans la gloire du Père (l’Apocalypse 1,5-8.18 ;
2,7, etc.).

5. Bien entendu, cet argument concerne seulement l’existence de l’Eglise. Il ne préjuge


en rien de sa nature, sur laquelle bien des discussions sont en cours.
6. On dit souvent que l ’Eglise aurait commencé à la Pentecôte, mais alors l ’institution
de l ’Eucharistie et la Passion seraient antérieures à l’Eglise...
7. Ceci est bien exposé par Calvin, tom e II, chapitre 4, p. 134-135.
8. C ’est alors d ’une « église » locale q u ’il s’agit, mais comment imaginer des églises
locales sans « l ’Eglise » ?
100 LE ROYAUME DE DIEU FF L ’ ÉGLISE

8) L ’Eglise existe ici-bas sur la terre et elle existe aussi dans le Ciel,
selon une distinction entre l’Eglise Militante et l ’Eglise Triom phante qui
s’appuie sur l’ensemble de l ’Apocalypse.
9) L ’Eglise est tantôt l ’Eglise de Dieu (Actes 20,28 ; 1 Cor. 1,2 ; 10,32 ;
11,16.22 ; 15,9 ; 2 Cor. 1,1 ; Gai. 1,13 ; 1 Thess. 2,14 ; 2 Thess. 1,4 ; 1 Tim.
3,5.15) et tantôt l ’Eglise du Christ (M atth. 16,18 ; Rom. 16,16 ; Gai. 1,22 ;
Eph. 3,21 ; 5,29 ; Col. 1,18-24).
Une telle correspondance entre les traits caractéristiques du Royaume
de Dieu et ceux de l ’Eglise ne peut s’expliquer que si l’on reconnaît que VEglise
est bel et bien le Royaume de Dieu^.
Cette conclusion, qui résulte directement de la confrontation de toutes
les données bibliques, est confirmée par plusieurs autres arguments.
a) Comme nous l ’avons vu dans l’étude analytique (p. 47-49), M atth. 16,17-19
met en parallélisme « je construirai mon Eglise » et « je donnerai les clefs du
Royaume des d e u x ( = de Dieu) ». Ce rapprochement suppose que dans la
pensée de l ’auteur l ’Eglise et le Royaume sont une seule et même chose
sous deux désignations différentes.
b) Dans le discours aux «anciens» d ’Ephèse, Paul rappelle q u ’il est «passé
chez eux en prêchant le Règne (ou le Royaume) de Dieu » (Actes 20,25) ; puis,
trois versets plus loin il leur recommande de prendre soin « de tout le troupeau,
dans lequel l’Esprit Saint (les) a placés comme surveillants^® (pour) être
pasteurs de l’Eglise de Dieu » (20,28). L ’incertitude sur le sens de Règne ou
de Royaume et les trois versets qui séparent les deux formules empêchent de
voir là un argument décisif. Pourtant ce n ’est peut-être pas un effet du
hasard si la tâche d ’un prédicateur du Règne ou du Royaume est continuée
par les pasteurs de l’Eglise.
c) Alors que les Synoptiques mentionnent 105 fois la «basileia» de Dieu
et seulement 2 ou 3 fois l’Eglise (M atth. 16,18 et 18,17) les épîtres de S. Paul
mentionnent 14 fois la «basileia» et 21 fois l’Eglise^^. La confrontation de
ces chiffres invite à penser que Paul appelle Eglise ce que les Synoptiques
appellent Royaume de Dieu.
Ceux qui refuseraient d ’adm ettre cette identification entre le Royaume
de Dieu et l ’Eglise n ’ont le choix q u ’entre trois solutions :
1) Déclarer qu’on ne peut pas savoir à quoi correspond ce Royaume de
Dieu qui constituait un des éléments essentiels de la prédication de Jésus et
que Jésus et les Apôtres considéraient à la fois comme passé, présent et futur
comme terrestre et céleste. Mais cette solution est-elle scientifique ?

9. Bien entendu, cette identification fondamentale n ’exclut pas une certaine nuance
d a n s la présentation, comme celle q u e signalent F a ir b a ir n ,
d e M o n t c h e u il , J o u r n e t et
qui sera précisée à la page suivante.
10. Paul emploie le mot « épiskopos », d ’où dérive le français « évêque ».
11. Ce chiffre n ’est q u ’approximatif, car il n ’est pas toujours facile de savoir si l’on
parle d ’une église particulière ou de l’Eglise en général.
12. H .D . W e n d l a n d résume ainsi (p. 145) les données du Nouveau Testam ent : « 1) Le
Royaume de Dieu est venu. 2) Le Royaume de Dieu est actuellement en train de venir.
3) Le Royaume de Dieu viendra ».
IDENTIFICATION DU ROYAUME DE DIEU 101

2) Refuser la distinction entre Royauté, Règne et Royaume de Dieu, car


l’Eglise n ’est évidemment ni la Royauté ni le Règne de Dieu. Mais cette
confusion est-elle scientifique” ?
3) Supposer interpolés, tardifs ou rédactionnels tous les textes du Nouveau
Testament qui parlent du Royaume de Dieu d ’une façon qui ne nous plaît
pas. Mais l ’élimination de ces textes ne doit pas être faite pour des motifs
théologiques, car, dans une argumentation théologique, récuser des textes
théologiques pour des motifs théologiques, ce serait commettre un «cercle
vicieux ».
Si l ’on n ’accepte pas l ’une ou l ’autre de ces trois échappatoires, on
ne peut plus refuser la conclusion : donc le Royaume de Dieu c'est l'Eglise.
On n ’a pas même le droit, comme le font certains, de voir en l ’Eglise
la préparation du Royaume, car cela implique que le Royaume soit postérieur
à l’Eglise et donc cela contredit les paroles de Jésus et des Apôtres qui affirment
que le Royaume est déjà de leur temps, une réalité présente. On ne doit pas
non plus laisser entendre que le Royaume de Dieu prolongera l’Eglise dans
l ’au-delà. L ’Eglise a commencé à exister à l ’instant même où le Royaume de
Dieu a été fondé et elle existera comme lui durant toute l’éternité. L ’Eglise
et le Royaume ne peuvent en aucune façon être dissociés, du moins si
l’on s’en tient à l ’ensemble du Nouveau Testament, sans préférer certains
textes à d ’autres.
Cependant, l’identification de l’Eglise et du Royaume de Dieu n ’oblige
nullement à considérer ces deux termes comme synonymes : ils désignent la
même réalité, mais ils la désignent sous des points de vue différents. Quand
on parle du Royaume de Dieu, on envisage surtout le résultat de l’action
de Dieu, qui se réalise parmi les hommes en les groupant autour du Christ ;
quand on parle de l ’Eglise, on envisage surtout les hommes qui sont groupés
par Dieu autour du Christ. Cette distinction conceptuelle est judicieusement
exprimée par A .M . F a i r b a i r n (p. 105-106), Y. d e M o n t c h e u i l (p. 113)
et C. JOURNET (p. 114).
Une semblable distinction conceptuelle apparaît chez S. Paul, qui préfère
parler d ’Eglise quand il s’agit du passé récent (1 Cor. 12,28 ; 15,9 ; Gai. 1,13 ;
Ephés. 1,22 ; Philipp. 3,16) ou du présent (partout ailleurs), mais parler
du Royaume quand il s’agit de l ’avenir (1 Thess. 2,12 ; 2 Thess. 1,5 ; l Cor.
6,9-10 ; 15-24 (?) ; 15,50 ; Gai. 5,21). Cependant on n ’a pas le droit d'en
conclure que pour S. Paul l ’Eglise et le Royaume sont des réalités distinctes,
car parfois il considère que le Royaume appartient au passé (Col. 1,13) ou au
présent (Eph. 5,5). Certains exégètes expliquent différemment ces deux
passages, en rem arquant que Col. 1,13 parle du Royaume du Christ et les
textes au futur du Royaume de Dieu : ainsi le Royaume du Christ serait
bien identique à l ’Eglise, mais il se distinguerait du Royaume de Dieu, prévu
seulement pour l ’avenir. Mais cette exégèse est réfutée par Eph. 5,5 qui parle,
au présent, du « Royaume du Christ et de Dieu ». D ’ailleurs S. Paul ne semble

13. C ’est ce que font, parm i beaucoup d ’autres, A l t h a u s : « Le Royaume de Dieu c’est
la souveraineté de D ieu » (col. 1822) et B l a c k m a n : « L a science moderne signale que
Royaume de D ieu signifie essentiellement l ’activité divine, la souveraineté et royauté de Dieu...
C ’est avec le sens de Royaume... que l ’Eglise est par erreur confondue et identifiée » (p. 371).
102 LE ROYAUME DE DIEU ET L’ÉGLISE

pas mettre de différence entre « toutes les Eglises du C hrist» (Rom. 16,16) et
« les Eglises de D ieu» (1 Cor. 11,16) et de même il considère comme
« l ’Eglise de D ieu» (1 Cor. 10,32 ; 11,22 ; 15,9 ; Gai. 1,13) cette Eglise q u ’il
appelle ailleurs « le Corps du C hrist» (Col. 1,24 ; plus Eph. 1,22 ; 5,23 ;
Col. 1,18). En conséquence on doit reconnaître que Paul désigne surtout
l ’aspect présent par le terme « Eglise » et surtout l ’aspect futur par le terme
« Royaume » (de Dieu ou du Christ). C ’est là une distinction conceptuelle
parfaitement admissible, mais l’Eglise et le Royaume n ’en restent pas moins
une seule et même réalité, considérée sous deux aspects différents.
Certes, dans le Royaume de Dieu, tout comme dans l’Eglise, on doit
distinguer une étape terrestre et une étape céleste. C ’est pourquoi, dans un |
bon nom bre de textes (et surtout chez Paul), le Nouveau Testament parle ;
de l’entrée dans le Royaume, alors qu’il s’agit en réalité de l’entrée au Ciel
(soit tout de suite après la mort, soit seulement au Jugement Dernier : peu
importe, ici, pour nous) : M atth. 8,11,12 ( = Luc 13,28-29) ; 13,43 ; Luc
22,30 ; 1 Cor. 6,9-10 ; 15,24-25.50 ; Gai. 5,21 ; 2 Tim. 4,1.18 ; 2 Pierre 1,11.
Dans tous ces textes il s’agit de l ’entrée dans un Royaume céleste. Mais en
d ’autres textes, encore plus nombreux, il s’agit manifestement de l ’entrée
dans un Royaume terrestre. Concluons donc que le Royaume de Dieu est ter­
restre selon un de ses aspects et céleste selon un autre. O r telle est précisément
la situation de l ’Eglise, qui groupe autour de Jésus à la fois les hommes sur la
terre et les saints du Ciel.
i

C) Cette identification à travers les âges

La plus ancienne littérature chrétienne n ’attache q u ’une importance


secondaire au Royaume de Dieu (voir ci-dessus p. 88-90) et jamais,
semble-t-il, elle n ’identifie ce Royaume à l’Eglise. Même si l’on ne sait pas
comment expliquer ce fait, on doit le reconnaître comme un fait*'^.
Nous ne pouvons évidemment pas suivre à travers les siècles l ’histoire 'V
des notions d ’Eglise et de Royaume de Dieu, ni celle de leurs relations f
réciproques. Les documents ont déjà été rassemblés et étudiés plus ou moins %
complètement par G. B a r d y , L . A t z b e r g e r , E. S t a e h e l in , J. L e c l e r c q ,
Y. C o n g a r , W. V o l l r a t h et, pour la période qui suit la Réforme, par j«
G. SCHRENK, J.K . M o z l e y , H. F r ic k et L. KovÂcs. Simplement, pour
signaler quelques jalons, contentons-nous de rappeler la position des auteurs
qui ont exercé le plus d ’influence^*.

14. Si les Pères Grecs (et à leur suite les Pères Latins) attachent relativement peu d 'im ­
portance à la « basileia tou théou », bien q u ’elle soit capitale pour les Evangiles Synoptiques,
cela peut tenir à deux raisons : 1) La confusion entre les trois notions de « royauté », de
« règne » et de « royaume », imposée par une regrettable imprécision de la langue grecque,
empêchait d ’en bien saisir et d ’en bien développer la richesse théologique. 2) D ans le monde
grec, où le gouvernement démocratique des cités correspondait à de vieilles traditions et
où les rois étaient surtout des conquérants (macédoniens ou romains), la notion de « royaume »
était peut-être moins populaire que chez les Juifs, où les souvenirs glorieux de David et de
Salomon continuaient à inspirer les imaginations. J. D e n n e y pense même (p. 184-186) que
si Paul parle plus de l’Eglise que du Royaume de Dieu, c’est déjà parce q u ’il essayait d ’adapter
une notion sémitique à une mentalité hellénistique.
15. Ce relevé ne cherchera donc à être un peu étoffé que pour les théologiens des cent
dernières années. Auparavant, q u ’il suffise de constater la permanence d ’une tradition
paisiblement admise.
IDENTIFICATION À TRAVERS LES ÂGES 103

On présente parfois I r é n é e comme le premier avocat de l ’identité entre


l ’Eglise et le Royaume de Dieu, parce q u ’il écrit : « (Dieu) introduit dans le
Royaume des Cieux Abraham et sa postérité, c ’est-à-dire l’Eglise» (IV, 8,1).
Mais en fait, comme le texte grec le montre clairement, l ’Eglise est identifiée
non pas au Royaume des Cieux, mais à la postérité d ’Abraham et donc ce
texte m arquerait plutôt une distinction entre l ’Eglise et le Royaume, où elle
est introduite.
En fait la plus ancienne identification que je connaisse entre le Royaume
de Dieu et l ’Eglise se trouve chez H ip p o l y t e d e R o m e (Réfutation... livre IX,
n® 12, p. 250, lignes 2-4) : dans un réquisitoire contre le pape C a l l ist e
(m ort m artyr en 222), il lui reproche : « Il disait que la parabole de l ’Ivraie
se rapportait à cela ( = l e mariage des clercs) : «Laissez l ’ivraie croître
avec le blé», c ’est-à-dire (laissez) dans l’Eglise les pécheurs». Puisque cette
parabole concerne le Royaume de Dieu, c ’est bien lui qui est considéré comme
l’Eglise par C a l l is t e . Mais nous ne savons pas si les reproches d ’HippoLYTE
sont inspirés seulement par le laxisme (vrai ou supposé) de C a l l is t e ou bien
aussi par cette conception du Royaume de Dieu et de l ’Eglise.
O r ig è n e , qui affirme que le Christ est lui-même le Royaume (Sur M atthieu,
traité 14, n° 7 : M ig n e , vol. 13, col. 1197 ; K l o s t e r m a n n , p. 289) semble
bien avoir identifié réellement Eglise et Royaume de Dieu, sans toutefois
l ’affirmer explicitement.
Vers 345, le Syrien A p h r a a t e (Démonstration XXI, n® 13, col. 963-966)
développe un long parallèle entre David et Jésus, où, sans parler explicitement
de l ’Eglise, il décrit le Royaume du Christ en des termes qui ne conviennent
q u ’à elle : « David a été sacré par Samuel... Jésus a été sacré par Jean...
David a régné d ’abord sur une seule tribu, puis sur tout Israël ; Jésus a régné
d ’abord sur les quelques uns qui croyaient en lui et à la fin il régnera sur tout le
monde. Samuel a consacré David à l’âge de 30 ans ; Jésus à l’âge de 30 ans
a reçu l’imposition des mains par Jean. David a épousé 2 filles de roi ; Jésus a
épousé 2 filles de roi, la communauté du peuple (juif) et la communauté des
peuples (païens)... David a transmis le royaume à Salomon et a été réuni
à son peuple ( = est m ort) ; Jésus a transmis les clefs à Simon, est monté
(aux cieux) et est allé à celui qui l ’avait envoyé ».
A u g u s t in est considéré comme le principal propagateur de l ’équation
Royaume de Dieu = Eglise. De fait il consacre un chapitre de sa Cité de
Dieu (livre XX, chap. IX) à exposer que l ’Eglise s’identifie soit au Royaume
de Dieu soit au Royaume du Christ (vol. 37, p. 230-242) et il résume sa
pensée en des formules bien frappées : « P a r conséquent, m aintenant aussi
l ’Eglise est le Royaume du Christ et le Royaume des Cieux» (p. 235)...
« L ’Eglise, qui dès m aintenant est le Royaume du C hrist» (p. 237)... « L’Eglise,
qui est le Royaume du C hrist» (p. 239)... « L ’ivraie qui, à la Fin du Monde,
doit être rejetée de son Royaume ( = du Christ), qui est l ’Eglise »
(p. 239).
A la suite de S. A u g u s t in , S. G r é g o ir e est catégorique : « L ’Eglise est
appelée le Royaume des Cieux», (Moralium, livre XXXIII, chap. 18, n° 34 ;
M ig n e , vol. 76, col. 695)... « Il nous faut savoir que souvent dans la sainte
Ecriture l’Eglise du temps présent est appelée le Royaume des Cieux» (Homé­
lies sur les Evangiles, livre I, homélie 17, n° 1 ; M ig n e , vol. 76, col. 1118)...
« Je me souviens vous avoir dit souvent que la plupart du temps dans le saint
104 LE ROYAUME DE DIEU LT L’ÉGLISE

Evangile l ’Eglise présente est appelée le Royaume des Cieux» (Homélies


sur les Evangiles, livre II, homélie 38, n® 2 ; M i g n e , vol. 76, col. 1282)...
« Par Royaume du Christ, c ’est la sainte Eglise qui est désignée (In Primum
Regum, livre I, chap. III, sur 1 Rois 2,6 ; M ig n e , vol. 79, col. 76)^*.
La pensée de S. A u g u s t in et de S. G r é g o ir e , évidemment, marquera
tout le Moyen-Age l a t i n b i e n q u ’on ait tendance à restreindre le sens de
« regnum » pour l’appliquer surtout à la « Royauté » (voir ci-dessus, p. 94),
G . ScHRENK affirme sans nuance : « Le catholicisme vulgaire du Moyen-Age
identifie l ’Eglise romaine et le Royaume de Dieu » (p. 149).
S. T h o m a s d ’A q u in , dont la Somme Théologique ne contient pas une étude
particulière sur l ’Eglise ni sur le Royaume de Dieu^®, s ’exprime ainsi dans
son Commentaire sur les Sentences*® : « Le Royaume de Dieu signifie par
antonom ase deux choses ; tantôt l’assemblée de ceux qui voyagent dans la foi,
et alors c ’est l ’Eglise militante qui est le Royaume de Dieu ; tantôt l’union
de ceux qui se reposent dans la fin, et alors c ’est l ’Eglise triomphante qui
est le Royaume de Dieu ».
C a l v in non plus ne traite pas la chose explicitement, mais il la
considère comme tout à fait évidente : « Christ mesmes dict que le Royaume
de Dieu est en nous, et appelle aucunes fois l ’Eglise le Royaume des Cieux»
(tome III, chap. 9, 2 ' pétition, p. 179). Et ensuite il la prend pour base
d ’argumentation : « En somme puis que ( = puisque) l ’Eglise est le Règne de
Christ, et puis que ( = puisque) Christ ne règne sinon par sa parolle (sic)...»
(tome IV, chap. 15, p. 163)"'^
Chez les Protestants la situation est ainsi résumée par L. KovÀcs : « La
réformation vient et passe aussi sans avoir modifié la conception augusti-
nienne du Royaume de Dieu. Elle l’accepte et la transm et aux Eglises pro­
testantes, comme elle a accepté de la part de l’Eglise catholique beaucoup
d ’autres dogm es» (p. 15). De fait c ’est en gros cette identification de l’Eglise
avec le Royaume de Dieu ou du Christ qu’on retrouve chez M artin B u c e r
(T o r r a n c e , p. 75-89) chez M é l a n c h t h o n (S c h r e n k , p. 156-158) et chez
CoccEius (S c h r e n k , p. 209) : « Selon une seconde et plus ancienne explication
(que R.N. F l e w ne prend pas à son compte), le Royaume de Dieu sur la

16. L ’authenticité de ce dernier texte n ’est pas au-dessus de tout soupçon. Mais, s’il
n ’est pas de S. G r é g o ir e , il suppose q u ’un autre auteur est du même avis.
17. Une enquête détaillée devrait aussi être faite dans les textes liturgiques, soit de l ’Orient
soit de l’Occident. Qui s ’en chargera ?
18. Le Dictionnaire de la Somme Théologique de Th. P ègues (en 2 volumes) n ’a pas *
d ’article « Eglise », ni « Eschatologie », ni « Règne de D ieu », ni « Royaume de Dieu », ni
« Royauté de Dieu ». i
I
19. Cette citation est fournie deux fois par C. J o u r n e t , vol. II, p. 57, note 1 et p. 64,
note 5, mais les deux références sont à corriger ainsi : Commentaire sur le 4 ' livre des Sentences,
distinctio 49, quaestio 1, articulus 2, questiuncula 5, solutio 5 (p. 1190, col. 1).
20. On verra plus loin, p. 124-125, pourquoi L u t h e r n ’est pas mentionné ici.
21. La pensée de C alvin est présentée plus en détail par T orrance p. 122-139 et 147-155.
IDENTIFICATION À TRAVERS LES ÂGES 105

terre est identique à l ’Eglise... P ar L u t h e r , B u c e r et C a l v in , cette vue est


passée dans l’exégèse protestante traditionnelle»^^ (R.N. F l e w , p. 20).
Comme témoin de la théologique catholique, q u ’il suffise d ’écouter
B o s su e t ; « Le Royaume de Jésus-Christ, c ’est son Eglise catholique ; et
j ’entends ici, par l ’Eglise, toute la société du peuple de Dieu » (vol. IV, p. 365,
sermon du 2 avril 1662)... « Q u ’est-ce que l ’Eglise ? C ’est l ’assemblée des
enfants de Dieu, l ’armée de Dieu vivant, son royaume, sa cité, son temple,
son trône, son sanctuaire, son tabernacle. Disons quelque chose de plus
profond : l ’Eglise, c ’est Jésus-Christ, mais Jésus-Christ répandu et com­
m uniqué» (vol. VI, p. 653, allocution aux Nouvelles Catholiques, avant 1669).
La bonne étude de J. Riek donne un aperçu (p. 26-29) sur la notion de
Royaume de Dieu depuis L u t h e r : certains Protestants hésitent à identifier
Eglise et Royaume de Dieu, mais les Catholiques n ’y voient aucune difficulté.
Certains même, par exemple J.S. v o n D r e y (1777-1853) et J.B. vON H ir s c h e r
(1788-1865), prennent cette identification comme fondement de leurs concep­
tions sociales.
Telle était encore la situation vers 1892, quand s’est produite la révolution
théologique que nous étudierons plus loin (p. 138-196).
Depuis cette date, voici la liste (certainement très incomplète) des auteurs
(catholiques, anglicans ou protestants), qui, d ’une façon ou d ’une autre,
avec plus ou moins de conviction, reconnaissent dans le Royaume de Dieu
les principaux traits de l’Eglise.
En 1890^^, A.B. B r u c e ; « La nature de l ’Eglise et sa relation au Royaume
de Dieu sont exposés dans les paroles remarquables adressées par Jésus à
Pierre après sa courageuse profession de foi en la messianité de son maître »
(p. 260)... Jésus alors exprima trois grandes vérités... deuxièmement que
(l’Eglise) comme telle devrait être pratiquement identique au Royaume de
Dieu q u ’il avait prêché jusqu’alors ; troisièmement, que dans cette Eglise la
justice du Royaume trouverait son « h o m e» (p. 262-263)... « L ’identité de
l’Eglise et du Royaume n ’est pas absolue, mais relative. Les deux catégories
ne coïncident pas entièrement, même quand l ’Eglise, en tant que société visible,
est ce q u ’elle doit être... Le Royaume est une catégorie plus large. Il embrasse
tous ceux qui, par la clé de la vraie connaissance du Christ historique, sont
admis dans son enceinte, mais aussi beaucoup d ’autres, les enfants du Père
qui, dans tous les pays, ont inconsciemment aimé le Christ dans la personne
de ses représentants, les pauvres, les souffrants, les affliges...» (p. 265-266).
En 1892, H. S c h e l l , dans son gros traité de Dogmatique, définit ainsi
l ’Eglise : « L’Eglise est le Royaume, fondé par le Christ, de la (vraie et)
surnaturelle communauté divine» (vol. III, p. 382).
En 1893, A.M. F a ir b a ir n dans une section intitulée : « L ’Eglise comme
Royaume et Peuple de Dieu » (p. 528) : « Le Royaume (de Dieu) est l ’Eglise

22. R.N . F l e w repousse cette interprétation parce que « basileia » signifie Royauté
ou Règne (p. 20) et parce que l’Eglise ne peut pas être identifiée au Règne de Dieu (p. 24)
[Evidemment !]... Ailleurs il affirme : « L ’équation (Royaume de Dieu = Eglise) ne se trouve
que bien des siècles plus tard ( = après le Nouveau Testament) » (p. 87).
On se demande si l ’expression « many centuries » n ’aurait pas quelque peu dépassé la
pensée de l’auteur 1
23. Cet ouvrage était encore réédité en 1909.
106 LE ROYAUME DE DIEU ET L ’ÉGLISE

vue d ’en Haut ; l ’Eglise est le Royaume vu d ’en bas. Dans le Royaume la
société est conçue à travers sa volonté créatrice et formatrice ; dans l’Eglise
la volonté est conçue à travers la société créée et formée. Dans le Royaume
on insiste sur le roi ; dans l’Eglise, sur les citoyens : dans un cas nous voyons
l’homme comme il devrait être devant Dieu... dans l’autre cas nous voyons
l’homme comme il devrait être pour Dieu dans la société» (p. 528)... «Jésus
prêche le Royaume, c ’est-à-dire se déclare Lui-Même Roi, proclame le Royaume
constitué par la présence du Roi ; mais les Apôtres, en fondant des églises,
édifient l ’Eglise, appellent les hommes à devenir des saints et à entrer dans la
société des sauvés... On voit ici la coïncidence des deux notions : le plan
selon lequel l ’Eglise est bâtie, c’est la volonté de Dieu, ou l ’idéal du Royaume,
alors que le moyen par lequel le Royaume est réalisé, c’est l ’Eglise et les églises.
Mais cela implique la corrélation des deux notions : le Royaume est l ’Eglise
immanente et l ’Eglise est le Royaume explicité : chacun ne peut rien avoir
qui soit étranger à l ’autre. Le Royaume est l’Eglise exprimée selon les paroles,
l ’esprit et la personne de son Fondateur ; l’Eglise est le Royaume réalisé dans
les âmes vivantes et dans la société q u ’elles constituent» (p. 528-529).

En avril 1894, J. D e n n e y : « L’étroite connexion entre Eglise et Royaume


est m ontrée dans ces deux passages (M atth. 16,19 et 18,17-18) par le fait
que, quand Pierre pose à Jésus une question provoquée par son discours
sur les limites du pardon, il reçoit comme réponse une parabole qui concerne
le Royaume des Cieux. Le Royaume organisé et agissant collectivement pour
la discipline morale de ses membres semble être appelé l ’Eglise» (p. 179)...
« (Pour ceux qui pensent que le Royaume est plus grand que les églises) ce
n ’est pas sur cette base que l ’Eglise et le Royaume peuvent être distingués
et, quand ils le sont, la distinction ne provient pas d ’une théologie chrétienne
ou du moins néotestamentaire, mais seulement des présupposés de son auteur...
Une (autre) distinction voudrait caractériser l’Eglise comme rehgieuse et le
Royaume comme éthique ; pour ce m otif elle voudrait subordonner l ’Eglise
au Royaume comme un moyen à une fin... Mais cette distinction ne peut pas
non plus en cette forme soutenir la comparaison avec l ’usage de ces mots
dans le Nouveau Testament... L’Eglise /j’est pas, dans le Nouveau Testament,
une communauté religieuse qui doit être complétée par l’idée du Royaume
comme par une communauté éthique... Quelle est la distinction entre les
deux [Eglise et Royaume] ? Je ne suis pas persuadé q u ’en principe il y en ait
une. L ’explication de leur usage dans le Nouveau Testament est à chercher,
j ’imagine, dans des considérations plutôt historiques que dogmatiques. Quand
Jésus est paru parmi les Juifs prêchant la bonne nouvelle du Royaume, (il
trouvait dans la notion de Royaume) un point d ’attache auquel il pouvait
relier ce q u ’il voulait dire... mais pour la masse des païens d ’Asie, de Macé­
doine, de Grèce, d ’Italie, (cette notion) n ’exprimait rien du tout. Aussi les
Apôtres l’ont pratiquement laissé tom ber et ils ont représenté l’aspect social
du christianisme dans le m ot Ecclesia, ou Eglise... Ils n ’ont pas renoncé à
l ’idée (de Jésus) sur le Royaume et ils ne l’ont pas remplacée par une (idée)
inférieure parce q u ’ils n ’auraient pas pu conserver tout son contenu ; en
pratique ils l ’ont échangée avec une autre idée, quand ils ont compris q u ’ainsi
la grâce de Dieu atteindrait plus facilement les esprits. Le remplacement de
Royaume par Eglise, que nous constatons entre les évangiles et les épîtres,
ne signifie pas que les apôtres auraient mal compris le Christ ; il signifie
que dans la liberté de l ’esprit et dans la conscience d ’avoir la pensée du
Christ, ils n ’attachaient pas d ’importance aux mots, même aux mots du
IDENTIFICATION À TRAVERS LES ÂGES JV7

Christ, et q u ’ils les utilisaient ou non selon les circonstances» (p. 182-
185).
En 1899, J. O r r : « On peut vraiment dire que le Royaume de Dieu a
existé sur terre en sa personne ( = de Jésus) depuis le 1*^ instant de sa mani­
festation» (vol. III, p. 850, F* col.)— « S i Jésus était pleinement conscient
d ’être lui-même dès le début le Fils de Dieu et fondateur de son Royaume,
à ses yeux ce Royaume ne pouvait pas être seulement une chose future,
mais il devait être considéré comme déjà existant» (vol. II, p. 851, 2 ' col.),..
« S i nos explications précédentes sont correctes, ces idées ( = Royaume de
Dieu et Eglise) ne sont pas tout à fait identiques, comme on l ’a fréquemment
admis. Le Royaume de Dieu est une conception plus large que celle d ’Eglise.
D ’autre part, ces idées ne sont pas aussi distantes q u ’on le représente parfois.
En certains cas (par exemple en M atth. 16,18-19), l ’expression « Royaume
des Cieux» est pratiquement synonyme à celle d ’Eglise. L ’Eglise, comme
société, est l’expression visible du Royaume dans le monde ; elle est en fait
la seule société qui professe formellement de le représenter (souvent très
imparfaitement). Pourtant l ’Eglise n ’est pas le corps extérieur de ce Royaume
en tous ses aspects, mais seulement dans son aspect directement religieux et
moral, c ’est-à-dire spirituel» (vol. II, p. 854-855).
En 1903, P. W e r n l e : « Il est clair que Paul connaît déjà dans le présent
un Royaume de Dieu et que celui-ci correspond à peu près à l ’Eglise»
(p. 3)... « LeRoyaume de Dieu est tout présent, aussi doit-il coïncider à peu
près avec l ’Eglise. Cela résulte très clairement de Col. 1,13, où l ’accession
au Royaume du Fils de Dieu concerne pratiquement l’entrée dans l ’Eglise...
Le Royaume de Dieu est aussi ancien que l ’Eglise et l ’on entre dans le
Royaume de Dieu par l’entrée dans l’Eglise... L ’Eglise est le Royaume de
Dieu dans le sens dynamique ou pneumatique » (p. 4)... « (Dans l’Apocalypse)
la notion du Royaume du Christ dans l ’Eglise est peut-être comprise plus
clairement et plus concrètement q u ’en n ’importe quel autre ouvrage du
Christianisme prim itif» (p. 8)... « ( L ’auteur de l ’Apocalypse), malgré la
teneur eschatologique de tout l’ouvrage, est un témoin en faveur de la présence
du Royaume messianique dans l ’Eglise» (p. 9)... «(Selon M atthieu) le
Royaume de Dieu est là, parce que l ’Eglise est le Royaume gouverné par le
Christ » (p. 24).
En 1907, L o is y constate (sans prendre à son compte, évidemment) :
« L e premier Evangile est, entre tous, un livre d ’édification, l ’on pourrait
même dire d ’organisation ecclésiastique ; le rédacteur a son idée de
«justice», c’est-à-dire de perfection chrétiemie, et de bon ordre dans les
communautés : l ’Eglise est pour lui le royaume des cieux déjà réalisé, avec
le Christ invisiblement présent» (Evangiles Synoptiques, vol. I, p. 136-137).
En 1909, L. M a is o n n e u v e : « Elle ( = l ’Eglise) est proprem ent et unique­
ment le Royaume de Dieu, si souvent annoncé et promis dans l ’Evangile»
(col. 1529).
En 1911, E.F. S c o t t reproche aux Evangélistes d ’avoir transformé
l ’enseignement prim itif de Jésus en l ’adaptant à leur conception de l ’Eglise.
Pour lui donc les Evangiles (et plus encore S. Paul) dans leur état actuel assi­
milent l’Eglise au Royaume de Dieu : « Nos récits évangéliques ont été
écrits dans leur forme actuelle quand la notion d ’Eglise a commencé à rem­
placer la notion de Royaume... Les paroles ( = de Jésus) sur le Royaume
devaient être complètement transposées sur la communauté... (Paul, comme
108 LE ROYAUME DE DIEU ET L’ÉGLISE

Jésus,) parle des serviteurs de Dieu comme constituant dès m aintenant le


Royaume. L ’Eglise, en tant que communauté visible, est l ’ordre céleste se
réalisant sur la terre... L ’Eglise est investie d ’une signification mystique comme
l ’objet des promesses du Christ concernant le Royaume... D ’un bout à l’autre
de la série de paraboles du chapitre 13 (de M atthieu) la notion d'Eglise est
mélangée avec celle de Royaum e» (p. 104-106).
En 1912, J.B. F r e y : « S i l ’Eglise est venue, alors que Jésus annonçait
le Royaume, ne sera-ce point parce q u ’il y a entre les deux un lien organique,
essentiel, parce que l ’Eglise est elle-même, en un sens, le royaume annoncé ?...
Le royaume-Eglise transparaît dans la parabole du grain de senevé... Les
deux termes (royaume et Eglise) ne sont sans doute pas synonymes; la notion
du royaume est plus large que celle de l ’Eglise, puisqu’elle s’applique aussi
au règne immanent et au royaume transcendant. Mais cela n ’empêche pas le
royaume d ’être parc4lement l ’assemblée des fidèles qui ont accueilli le message
du Christ, et qui selon l’esprit de leur vocation doivent posséder et conserver
le règne intérieur, seul gage du royaume céleste... Bien que l’identification du
royaume avec l’Eglise soit surtout devenue classique depuis la controverse
donatiste, elle n ’était pas entièrement inconnue auparavant... Les principaux
textes relatifs au royaume-Eglise sont puisés dans M atthieu, qui pour cette
raison est souvent appelé l ’Evangile de l’Eglise... D ’après M atthieu, le Christ
a parlé d ’une Eglise visible, d ’un organisme social destiné à durer, et...
cette Eglise équivaut, dans sa pensée, au royaume des cieux» (Royaume de
Dieu, col. 1252-1253).
En 1918, H. C l é r is sa c : « Notre-Seigneur... a voulu que son Eglise
demeurât un royaume... Notre-Seigneur avait trouvé mieux encore en par­
lant du Royaume de Dieu, de son Royaume et de son Eglise » (p. 40-41).
En 1920, F.J. Foakcs J a c k s o n et K ir s o p p L a k e ; « Ces paroles (M atth.
16, 17-19)... reflètent deux phases importantes de la pensée et du langage
de l ’Eglise primitive ; la suprématie de Pierre et l ’explication du Royaume
comme (étant) l ’Eglise» (vol. I, p. 329)... « I l est passablement [tolerably]
certain que plusieurs chrétiens, peut-être à Antioche, comprenaient le Royaume
de Dieu comme l’Eglise. Peut-être le rédacteur de Matthieu a-t-il interprété
de cette façon toutes les références au Royaume dans ses sources et a-t-il
pensé que, quand Jésus disait « le Royaume des Cieux est à portée de la
m ain», il envisageait l’Eglise chrétienne» (vol. I, p. 331)... « L ’éditeur des
Actes et peut-être la source des derniers chapitres s’accordaient avec
M atthieu pour regarder l’Eglise du Seigneur comme identique au « Royaume
de D ieu» dont Jésus avait parlé» (vol. 11, p. 194, en 1922).
En 1921, C. G o r e , ancien évêque d ’Oxford : « La relation de l ’Eglise
au Royaume de Dieu se comprend facilement quand on regarde l ’Eglise,
comme nous devons le faire historiquement, en continuité directe avec
l’Ancien Israël... Dans un sens le Christ supposait dans son enseignement que
le Royaume était déjà parmi les hommes en vertu de sa présence. Dans un
autre sens il était manifeste q u ’il était à venir dans sa glorieuse Résurrection
et dans la mission de l’Esprit. En ce sens l ’Eglise est même identifiée avec le
Royaume, comme cela est déjà manifestement le cas dans la parabole du
Filet et dans les mots du Christ à Pierre : « Je te donne les clefs du Royaume
des Cieux». En un autre sens plus complet le Royaume vient seulement avec
le triom phe final et universel de Dieu dans le Christ... L ’Eglise maintenant
IDENTIFICATION À TRAVERS LES ÂGES 109

dans le monde représente le Royaume et dans un sens réel mais il


faut encore prier : « Que ton règne arrive » et quand le Royaume viendra
dans la gloire, l’Eglise passera en lui comme quelque chose de beaucoup
plus grand q u ’elle. Cette double opinion au sujet de l’Eglise : comme étant
et comme n ’étant pas encore le Royaume de Dieu... » (p. 681-682).
En 1924, Karl A d a m : « L ’Eglise est la réalisation du Royaume de Dieu
sur la terre... Ce « Royaume des Cieux» l’Eglise professe que c ’est en elle
q u ’il est réalisé» (p. 31).
En 1924, Albert M ic h e l : « C ’est ce qu’explique Jésus dans toutes les
paraboles où l ’idée du royaume appelle l ’idée de l ’Eglise... Du royaume-
Eglise, du royaume eschatologique, c ’est toujours Jésus qui est le roi » (col.
1200).
En 1925, H. D ie c k m a n n , dans un traité classique sur l’Eglise, commence
par une affirmation claire : « Le Royaume de Dieu présent s’appelle l’Eglise »
(vol. I, p. 100, n “ 131). Puis il précise sa pensée : « Quel rapport y a-t-il entre
le Royaume de Dieu et l ’Eglise du Christ ? Est-ce que l’Eglise est ce Royaume
de Dieu fondé par le Christ, envoyé de Dieu ? En fait beaucoup nient cette
identité entre le Royaume de Dieu et l ’Eglise... Nous affirmons : 1) L ’Eglise est
bien le Royaume de Dieu annoncé par le Christ comme messianique et fondé
comme tel par le même Christ. 2) L ’Eglise ne s’identifie pas au Royaume de
Dieu sous tous les points de vue, mais elle est le Royaume de Dieu présent^
c ’est-à-dire celui qui existe dans les conditions de ce temps et qui aura dans
l ’autre vie son terme et son état définitif » (vol. I, 189-190, n° 238).
En 1925, Y. d e l a B r i è r e : « Il ne faut pas confondre l ’Eglise du Christ
avec le « royaume » de Dieu. L’Eglise est quelque chose du « royaume » ;
elle n ’est pas tout le «royaum e»... Le «royaum e de D ieu», c ’est l ’œuvre
entière de la Providence divine, pour conduire les hommes à leur fin étemelle ;
c ’est l ’œuvre entière de Jésus-Christ ; c ’est foute Vépopée du salut»... Mais
ensuite l ’auteur s’engage dans des distinctions très révélatrices : « Dans
toutes les descriptions de ce geixre (grain de senevé, champ du père de
famille, cortège nuptial, vigne féconde), le « royaume de Dieu » est considéré
sous un aspect extérieur et social, parmi les conditions mêmes de la vie présente.
A ce premier point de vue, « le royaume de Dieu » est exactement la même
chose que « l ’Eglise du Christ»,.. Puis l’auteur présente un autre point de
vue, qui sera cité plus loin, p. 125, car alors il confond « R oyaum e» et
«R èg n e» . Ensuite il continue: « L e «royaum e de D ieu» c ’est enfin le
banquet de Vétemité... Dans les descriptions de ce genre le « « royaume de
D ieu» est considéré sous son aspect eschatologique et céleste. A ce dernier
point de vue, le « royaume de Dieu » est encore autre chose que l’Eglise de
Dieu, que la communauté visible et hiérarchique des chrétiens d ’ici-bas. Le
«royaum e de D ieu» devient alors la félicité du siècle à v e n i r Enfin
l ’auteur envisage une autre hypothèse : « On peut, de plus, comprendre sous

24. Les italiques sont de l’auteur.


25. L ’auteur est obligé à cette restriction par la définition q u ’il donne de l’Eglise : « Elle
est le Royaume de Dieu présent, que de fait le Christ a institué » (p. 192, n° 242). Mais sur
quel texte peut-il s ’appuyer pour limiter l ’Eglise au temps présent ?
26. Nous verrons plus loin, p. 190-191, ce q u ’il faut penser de cet aspect «escha­
tologique » du Royaume de Dieu.
110 LE ROYAUME DE DIEU ET L ’ÉGLISE

le terme Eglise, non plus seulement la communauté visible et hiérarchique,


militante aujourd’hui sur la terre, mais encore l’ensemble des âmes justes
qui forment... l ’Eglise triomphante du ciel. Dans cette acceptation très étendue,
VEglise devient, sous tous les rapports, une seule et même chose avec le
royaume de Dieu. A la fois « corps » et « âme », l ’Eglise vérifie non moins
l’aspect intérieur et spirituel que l ’aspect extérieur et social du « royaume ».
A la fois chose présente et chose à venir, l ’Eglise vérifie non moins l’aspect
eschatologique et céleste que l’aspect actuel et terrestre du «royaum e».
Bref, l’Eglise, au sens large, c ’est tout le «royaum e de D ieu» (col. 1247-
1248... Mais, si l ’on refuse ce dernier sens du m ot «E glise», on en fait un
corps sans âme ou une âme sans corps !).
En octobre 1926, D. S c h a e d e r ; « Elle (l’Eglise) est dans ce m onde et
dans ce temps la réalisation du Royaume de Dieu dans le monde, la réalisation
de la Royauté de Dieu sur le monde... Il n ’y a pas et il n ’y aura jamais,
jusqu’à la fin de l’histoire, une réalisation de cette Royauté autre que sous la
forme de l ’Eglise. Eglise et Royaume de Dieu coïncident, si l’on com prend
exactement cette formule dangereuse. Si cette formule signifie que la com­
m unauté de foi telle q u ’elle est dans l ’histoire est définitivement le Royaume
de Dieu, alors elle est radicalement fausse. Mais si elle signifie que, pendant la
durée de notre histoire, le Royaume de Dieu, qui est plus que l’Eglise, est
réalisé dans l ’Eglise et pas autrem ent, alors elle est juste et tout à fait néces­
saire pour couper toute possibilité de fuite hors de l ’Eglise aux chrétiens
individualistes et aux non-chrétiens. La réalisation du Royaume de Dieu
dans l ’Eglise est alors non seulement une réalité présente et un fait pacifiant,
mais aussi une tâche inéluctable...»^^ (p. 92-93).
En mai 1927, E.G. S e l w y n : « En disant « le Royaum e» S. Paul entend
la sphère où sont réalisées la souveraineté et la miséricorde de Dieu, qui est en
partie sujet d ’espérance et en partie sujet d ’expérience présente ; c ’est dans
ce dernier sens que « Royaume » et « Eglise » deviennent des termes presque
interchangeables... La description du Royaume-Eglise qui convient le mieux
à ses relations avec la société humaine est celle de « l’Israël de Dieu »... C ’est
ce que nous devons comprendre, si l ’Eglise est l ’expression, partielle mais
réelle, du Royaume de D ieu» (p. 287-289).
En mai 1927, P. A l t h a u s : « Puisque la foi et la communion sont une
œuvre de l ’Esprit-Saint, l’Eglise de Dieu représente l’aube du Royaume de
Dieu dans l ’histoire : elle est le Corps du Christ, la Maison de Dieu, le
Temple du Saint-Esprit. En même temps l ’Eglise est l’instrument du Saint-
Esprit, donc le chemin de la grâce par laquelle Dieu veut réaliser la venue du
Royaum e» (p. 290).
En 1927, C.G. M o n t e f io r e : « Sur les 13 endroits où M arc parle du
Royaume, c ’est le seul (M arc 4,30-34) qui semble clairement signifier l ’Eglise
chrétienne grandissante» (I, p. 107)... « Il y a quelques passages dans lesquels
le Royaume semble être présent et identifié avec la communauté chrétienne,
l ’Eglise» (II, p. 34)... « Le Royaume est peut-être (en M atth. 5,19) non pas
le futur Royaume eschatologique (comme au verset 20) mais l ’Eglise chré-

27. L ’auteur précise un peu plus loin que c’est là ce qu ’il considère comme le point essen­
tiel (Herzpunkt) de l’être de l ’E^ise.
IDENTinCATION À TRAVERS LES ÂGES II I

tienne» (II, p. 52)... « (M atthieu) comme d ’habitude comprend (en 13,18-19)


la communauté chrétienne ou, comme l’on peut dire, l ’Eglise» (II, p. 208)...
« Ici (M atth. 13,47) le Royaume semblerait à nouveau devoir être identifié
avec la communauté chrétienne» (II, p. 214).
En 1932, Y. C o n g a r : « P o u r nous l ’Eglise est le royaume de Dieu
visible et le royaume non pas vidé de son Roi qui serait trop transcendant,
mais le royaume avec son Roi, une arche-tabernacle, avec son Dieu dans le
tabernacle, la « barque qui porte son pain » (Prov. 31-14) » (Vie Intellectuelle,
1932, p. 28 -2 9 = Sainte Eglise, 1964, p. 456. Mais on pourrait aussi trou ver sous
la plume du même auteur des positions assez divergentes, par exemple p. 622
de ce dernier ouvrage).
En 1934, A . V it t i intitule « Ecclésiologie des Evangiles» un long et excel­
lent article consacré à l ’étude du Règne (ou du Royaume) de Dieu.
En juillet 1937, E. B e v a n ; « L ’Eglise est, à travers l ’histoire terrestre,
la sphère spéciale du Royaume (de Dieu). L ’Eglise sur terre est la communauté
divine en voie de réalisation » (p. 63).
En juillet 1937, P. T il l ic h : « Quand A u g u s t in identifie le Royaume de
Dieu avec l ’Eglise et le Royaume de Satan avec les grands empires du monde,
il a en partie raison et en partie tort. Il a raison d ’afiirmer q u ’en principe
l ’Eglise représente le Royaume de Dieu ; il a tort en oubliant le fait... que
les puissances démoniaques peuvent pénétrer dans l ’Eglise elle-même»^®
(p. 116).
En 1938, H. d e L u b a c commence p ar une restriction assez curieuse qui
semblerait supposer que le Royaume ne doive pas être visible : « L’Eglise en
tan t que visible n ’est pas le Royaume, elle n ’est pas non plus le Corps
mystique, bien que la sainteté de ce Corps rayonne à travers sa visibilité
m êm e» (p. 38). Cette concession faite, l ’auteur s’exprime excellemment :
« L ’Eglise terrestre n ’est pas seulement le « vestibule» de l ’Eglise du Ciel. Elle
est avec la Patrie dans un rapport d ’analogie mystique où nous devons voir le
reflet d ’une identité profonde. C ’est en effet la même cité qui se construit sur
terre et qui a déjà son fondement dans le ciel, et saint A u g u s t in s’écriait...
à juste titre : « L ’Eglise actuelle, c ’est le Royaume du Christ et le Royaume
des Cieux ! ». Sans être de tout point coextensive au Corps mystique,
l ’Eglise n ’est pas adéquatement distincte de lui» (p. 42).
En 1939, Em st S o m m e r l a t h : « Nous devons tenir compte du double fait
que le Nouveau Testament parle du Royaume de Dieu et de l’Eglise et que
pourtant l’un ne va pas sans l ’autre. Eglise et Royaume de Dieu, leur relation
réciproque, cela ne signifie pas moins que la bonne ou la mauvaise conscience
dans tout le travail de l ’Eglise et dans la pratique de la vie communautaire... »
(p. 563). L ’auteur signale quatre différences entre le Royaume de Dieu et
l’Eglise mais dans la première il confond Royaume et Royauté, dans la
seconde il dépasse le plan humain pour embrasser toute la création, dans
la troisième il envisage l ’action médiate ou immédiate de Dieu, dans la
quatrième la visibilité ou l’invisibilité du Christ (p. 564-569). Puis il continue :

28. Quelle étrange objection! La présence des pécheurs dans le Royaume de Dieu
n ’est-ellc pas clairement enseignée p ar M atthieu 13,24-30.36-43.47-50 ; 25,1-10.31-46 7
Voir ci-dessus p. 97,98,99.
112 lÆ ROYAUME DE DIEU ET l ’ÉGLISE

« En fait, à y regarder de plus près, il y a une série d ’indices qui inclinent à


adm ettre l ’identité du Royaume de Dieu et de l ’Eglise » (p. 569). Voici ceux
q u ’il relève : 1) les formules employées en M atth. 16,18-19 et en Col. 1,13-18 ;
2) la même opposition au monde démoniaque ; 3) les mêmes caractéristiques
supra-humaines et supra-temporelles ; 4) la même présence du Christ ; 5) les
mêmes réalisations visibles (p. 569-572). Et il conclut : « Nous sommes devant
le fait que Eglise et Royaume de Dieu, dans leur sens propre, sont tellement
semblables q u ’on est obligé de parler d ’une identité. L ’Eglise n ’est pas seule­
ment la préparation du Royaume. Elle n ’est pas non plus le reflet affaibli et
secondaire du Royaume apparu en Jésus. Royaume de Dieu et Eglise sont
une seule et même chose. Mais il faut aussi tenir compte que Royaume de
Dieu et Eglise, comme on l’a vu, se distinguent l ’un de l ’autre sur des points
im portants. Cette unité et cette diversité ne peuvent être placées dans un
juste rapport que si l’on considère l ’Eglise comme une autre forme du
Royaume de Dieu » (p. 572)... « Le Royaume de Dieu entre le départ et le
retour de Jésus, c ’est cela l ’Eglise» (p. 575).
En 1941, Otto M ic h e l : « La plus grande fonction et la plus belle
dignité de l’Eglise consistent en ce q u ’elle porte en elle le Royaume de Dieu et
q u ’elle doit le préserver... La pire tentation pour l ’Eglise consisterait à
renoncer à sa fonction et à sa dignité de porter en elle le Royaume de Dieu et
à tenter aussi de réaliser réellement une séparation et une différence entre
elle et lui » (Das Zeugnis der Neuen Testaments von der Gemeinde (Gôtt-
ingen, 1941) p. 81, cité par B u c h h e im , p. 11).
En 1941, M. B e sso n , évêque de Lausanne, Genève et Fribourg ; « L e
problème de l ’Eglise, c ’est-à-dire du Royaume de D ieu...» (p. 5)... « L e
Royaume de Dieu sur la terre, c ’est l ’Eglise du Christ : pour nous, cela
ressort de to u t l ’Evangile» (p. 8)... « L ’Eglise, Royaume de Dieu sur terre... »
(p. 9).
En 1942, F.M . B r a it o , après avoir m ontré l ’illogisme de ceux qui ne
veulent voir dans l ’Eglise q u ’un instrument en vue du Royaume, expose
ainsi sa pensée : « V E glise^^ est le Royaume en tant qu'elle est pénétrée par
la force du Royaume ici-bas, en tant que, de tout son être, elle se porte vers le
Royaume glorieux et consommé du siècle à venir. Et vice versa : Le Royaume
est l ’Eglise, en tant que la vertu du Royaume descendue dans ce monde sous
form e de grâce et de vie éternelle par Jésus, s'exerce principalement et
normalement, quoique non exclusivement, dans la communauté des fidèles
fondée sur les Douze. S’exprimer ainsi, ce ne serait pas afïirmer inconsidéré­
ment que l’Eglise et le Royaume s’identifient à tous points de vue, sans
tenir compte de la condition terrestre de l’Eglise ni de la condition céleste
du Royaume. Mais ce serait m ontrer l’homogénéité de l’Eglise et du
Royaume, tout en discernant dans le Royaume deux phases successives ; une
phase céleste, dont l ’inauguration aura lieu à la Fin du Monde, lorsque Jésus
se soum ettra lui-même avec son Eglise à Celui qui lui aura tout soumis ; et
une phase terrestre, pendant laquelle Jésus est appelé à régner comme tête
de son Eglise, par la grâce, jusqu’au jo u r où il dominera tous ses ennemis,
et le dernier ennemi est la mort (1 Cor. 15,26)» (Aspects Nouveaux..., p.
166-167).

29. Les italiques sont de l ’auteur.


IDENTinCATlON À TRAVERS LES ÂGES 113

En 1942, L. C e r f a u x , dans une étude sur la théologie de S. Paul : « C ’est


dans les épîtres de la captivité que l’équation s’établit entre le Royaume du
Christ et l ’Eglise,,. Royaume du Fils où s’exerce donc la force sanctificatrice
du Christ et qui se coiifond avec l ’Eglise. Ce royaume n ’est déjà plus simple­
ment de la terre, mais devient céleste, comme son roi, comme l ’Eglise.., La
signification chrétienne traditionnelle de Royaume de Dieu dans la prédi­
cation du Christ... de même que le thème ju if du Règne de Dieu... restreignent
naturellement la sphère du Royaume du Christ et la limitent à l ’Eglise...
C ’est son œuvre de salut parmi les hommes qui lui ( = au Christ) a donné
son Royaume, son Eglise... Le Royaume du Christ, ce sera donc l’Eglise...
Les vrais chrétiens peuvent dire, eux aussi, q u ’ils sont déjà dans le Royaume,
mais ce Royaume reste toujours le Royaume de Dieu... (Saint Paul) aurait
pu, lui aussi, parier du Royaume des Cieux présent sur terre dans le mystère
d ’une Eglise ; il préféra dire l’Eglise présente en mystère dans les cieux.
Le vocabulaire seul changeait» (Théologie de l ’Eglise suivant saint Paul,
p. 300-304).
Le 29 juin 1943, le pape P ie XII dans l ’encyclique « Mystici Corporis
Christi » : « Le Père éternel a voulu q u ’elle ( = l ’Eglise) fût « le Royaume de
son Fils bien aim é» (Col. 1,13)» (traduction de la Documentation
Catholique).
Avant 1944, Y. d e M o n t c h e u il (fusillé le 10 août 1944) ; « L ’Eglise
n ’est pas seulement la préparation du Royaume de Dieu, elle en est aussi la
réalisation... Le Royaume de Dieu existe en deux états ; sur terre, dans sa
réalisation inchoactive, et dans sa plénitude au ciel. Or, dans l ’un et l ’autre
état, ce Royaume, c ’est encore l ’Eglise. L ’Eglise sur terre est déjà plus que
promesse et préparation : elle commence à réaliser le Royaume... Il faut
cependant... dire que, même dans sa vie sur terre, l’Eglise est plus q u ’un
moyen en vue d ’une fin, plus q u ’une voie menant à un terme : elle est la
présence commencée et voilée de ce qui doit être un jo u r parfait et dévoilé.
Elle possède déjà mystiquement les biens de l’héritage et peut commencer de
les distribuer. Elle est déjà parmi nous la réalité du Royaume » (p. 29-30).
En 1945, T.F. G l a sso n : « Est-ce que l’arrivée du Royaume avec puis­
sance signifie... l’irruption de spirituelle puissance qui a provoqué l ’existence
du mouvement chrétien et a commencé une ère nouvelle dans l’histoire de
l ’humanité, en sorte que l ’Eglise primitive a compris q u ’elle vivait déjà
dans un monde nouveau ? L ’avantage de (cette) vue est que c ’est ce qui
est arrivé de fait. Il serait bien étrange de soutenir que Jésus attendait
quelque chose d ’entièrement différent et que l ’apparition de l’Eglise chrétienne
fut un accident imprévu, le précipité fortuit d ’une expérience qui tournait
mal !» (p. 114).
En 1947, Eugen W a l t e r : « Nous sommes en état de voir exactement
le rapport du Royaume de Dieu et de l ’Eglise. Si l’Eglise doit être assimilée
au Royaume du Fils de l ’Homme, alors aussi au Royaume de Dieu 1 Naturel­
lement, l ’Eglise ne peut pas être simplement l ’équivalent du Royaume de
Dieu^°. Il est donc nécessaire de dire : Eglise et Royaume de Dieu ne sont
pas la même chose. Mais il ne suffit pas non plus de dire q u ’il y a une relation

30. Sur quoi repose une telle affirmation ?


IR le royaume de d ie u et l ’ é g l is e

entre eux. Entre le Jésus terrestre et le Seigneur glorifié, il y a plus q u ’une


relation ! C ’est l’identité de la personne en différentes circonstances histori­
ques. Cela est à transposer pour l ’Eglise et le Royaume de Dieu. L ’identité
qui existe ici entre les deux, permet et oblige de dire : l ’Eglise est le Royaume
de Dieu dans son état présent. Cela signifie qu’appartient au Royaume de
Dieu (dans la façon où c ’est possible maintenant) qui appartient à l ’Eglise »
(p. 43).

En 1948, K. B u c h h e im : « Au moins au début, l ’Eglise historique fut à un


haut degré ce q u ’elle devait être, c’est-à-dire le Royaume annoncé par Jésus.
Elle le fut parfois aussi plus tard, surtout chez L u t h e r . C ar chez les Réfor­
mateurs les notions de Royaume de Dieu, de Royaume du Christ et d ’Eglise
sont intimement mêlées» (p. 12)... « L ’Eglise est donc le Royaume du Christ,
le Royaume messianique avec lequel le Royaume de Dieu arrive sur la terre.
On ne doit pas comprendre à tort... que l’Eglise serait seulement un organe
du Royaume de D ieu» (p. 15)... « L a formation de l’Eglise est elle-même
un signe de l ’irruption du Règne de Dieu... Son achèvement reste à espérer
pour la fin du temps, mais son développement commence dans le présent»
(p. 68).

En 1951, Ch. J o u r n e t , dans le traité le plus complet q u ’on ait jamais


écrit sur l ’Eglise (2 976 pages !), intitule une section : « Synonymes du nom
d ’Eglise» (vol. Il, p. 49) et met en 2 ' position le Royaume (p. 57) : « L e
royaume est déjà sur la terre et l’Eglise est déjà dans le ciel. Renoncer à l ’équi­
valence de l ’Eglise et du royaume, c’est oublier cette révélation m ajeure»...
E t plus loin : « L ’Eglise, le royaume, le corps mystique, c’est tout cela qui
commence sur la terre pour s’achever dans le ciel, qui est germe avant d ’être
fleur» (vol. II, p. 77)... « Le royaume déjà formé est débordé par le royaume
encore en formation, l’Eglise déjà achevée est débordée par l ’Eglise encore
en préparation. Le royaume et l’Eglise sont ainsi coextensifs ; ils se distinguent
entre eux non pas réellement, mais seulement conccptuellement » (vol. II, p.
86)... « Une erreur... serait d ’entendre le mot de royaume de Dieu exclusive­
ment de l ’au-delà, et de l ’opposer au mot d ’Eglise, entendu exclusivement
de l ’en-deçà» (vol. II, p. 90)... « L’Eglise tout entière, en raison de la sainteté
christique de chacun de ses enfants, est un royaume de lumière et d ’am our,
elle est le royaume du Fils de l ’homme, un royaume qui n ’est pas de ce
monde mais qui est déjà dans ce monde ». Et en note : « Nous ne croyons
pas que l'on puisse renoncer à identifier l'Eglise et le Royaume (les italiques sont
de C. J o u r n e t ). Il y a là deux notions, mais une seule réalité. L ’Eglise est
le Royaume, le Royaume est l’Eglise» (vol. II, p. 997).

En 1953, L. C e r f a u x exprime à nouveau sa pensée ; «(Jésus) porte en


lui le Royaume des Cieux : ceux qui l ’entendent et se font ses disciples sont
entrés par là même dans le Royaume. Le Royaume est présent dans le
mystère de son message et de sa promesse... C ’est tout le Royaume de Dieu,
présent au ciel, qui a touché la terre... Tous ceux qui ont la foi... renaissent
dans ce Royaume et en sont les fils. L ’Eglise est née qui possède ici-bas les
biens du Royaume céleste... Nous chrétiens (nous sommes) membres du
Royaume... Dans ce Royaume spirituel, il reste place pour l’espérance. La
réalisation du Royaume des Cieux est en marche... L ’Eglise réunit déjà
dans son sein unique, en mystère, les saints du ciel et les fidèles de la terre »
(p. 31-32).
IDENTinCATlON À TRAVERS LES ÂGES 115

En 1954, déclarations des délégués de l’Eglise d ’Orient^* à l ’Assemblée


du Conseil M ondial des Eglises : « La « parfaite unité » des Chrétiens ne
doit pas être interprétée uniquement comme une réalisation de la Seconde
Venue du Christ. Nous devons reconnaître que même dans l ’époque présente
le Saint Esprit habitant dans l’Eglise continue de souffler sur le monde, pour
guider tous les Chrétiens vers l ’unité. L’unité de l ’Eglise ne doit pas être
comprise seulement eschatologiquement, mais comme une réalité présente
qui recevra son accomplissement au Dernier Jo u r» (The Evanston report,
p. 94)... Nous croyons fermement q u ’il est nécessaire d ’attacher une juste
importance à la présence actuelle du Royaume de Dieu dans l’Eglise. Le
royaume a été fondé par Dieu à travers l’Incarnation de son Fils, la Rédemp­
tion, la Résurrection, l’Ascension du Christ dans la gloire et la descente du
Saint Esprit... Ainsi notre participation dans la vie renouvelée du Royaume
de Dieu est une réalité présente aussi bien q u ’un accomplissement futur...
Ainsi l ’Eglise du Christ, qui est le Royaume de Dieu réalisé, n ’est pas soumise
au Jugement, alors que ses membres, qui sont capables de péché et d ’erreur,
sont sujets de (ce) Jugement... » (Ibidem, p. 330),
En 1955, D.M. S t a n l e y : « La venue du Royaume, qui a coïncidé avec la
fondation de l ’Eglise, a été un processus évolutif qui s ’est étendu sur une
certaine période de temps (p. 28)... Le terminus a quo (de la formation de
l ’Eglise) est le Sermon sur la Montagne, par lequel Jésus a inauguré sa pré­
dication du Royaume » (p. 29).
En 1955, F.C. G r a n t : «(M atthieu) a des passages qui semblent refléter
la vue que le Royaume de Dieu est identique avec l ’Eglise, l ’institution qui
existe entre le temps présent et les Derniers Jours » (p. 444).
En 1957, J. B o n s ir v e n intitule un chapitre de son ouvrage : « Le
:• Royaume^^ de Dieu ; l ’Eglise» (p. 187) et il explique ainsi sa pensée : « Dans
ce Royaum e de Dieu ouvert par le baptême, les membres, devenus fils de Dieu,
posséderont cette participation à la nature divine, que procure la génération
par l ’E sprit» (p. 200). Plus loin, avec sa confusion habituelle entre « Règne»
et « Royaume » : « Le Règne, économie spirituelle, possède tout ce qui carac­
térise une maison, une famille, bien organisée : elle est une société parfaite,
l ’Eglise... C ’est en tant que société que le Règne se développe constamment...
Les paraboles du grain de sénevé et du levain illustrent également cette puis­
sance de développement, surprenante pour qui considère les petits commen­
cements de l ’Eglise... Cet idéal n ’est-il pas utopique ? Il le serait si l ’Eglise, le
Règne de Dieu n ’étaient (sic) pas l ’œuvre du Tout-Puissant...» (p. 206-207).
E n 1958, T . F il t h a u t , qui refuse d ’identifier le Royaume de Dieu et
l’Eglise, pour ne pas affaiblir les perspectives eschatologiques (!), commence
par reconnaître à cette identité « une large diffusion dans la pratique
catéchétique » des pays de langue allemande (p. 14-15).
En 1961, P.S. M in e a r ; « Il y a des endroits où un écrivain du Nouveau
Testament identifie manifestement l ’Eglise et le Royaume et d ’autres endroits

31. Cette délégation était présidée par le patriarche A thénacæiras ; le nom de tous
les autres membres est indiqué à la p. 271 de The Evanston Report.
32. Par exception J. Bonsirven emploie ici (à juste titre) le mot « Royaume » ; générale­
ment il traduit par « Règne », même quand le sens exigerait « Royaume », comme on le
constatera dans les citations reproduites ci-dessous.
116 LE ROYAUME DE DIEU ET L ’ÉGLISE

OÙ des distinctions sont faites entre les deux^^. Mais cela ne doit pas produire de
confusion si, avant de penser «Eglise», il a déjà pensé « le Royaume de
Dieu »... Cette suggestion peut être illustrée par les autres termes par lesquels
certains aspects du Royaume sont appliques à l ’être de l ’Eglise» (p. 124-125).
En septembre 1961, S. A a l e n ne prononce pas le m ot «E glise», mais
semble bien y penser : « Le Royaume de Dieu, selon ce groupe de paraboles
(celles de la «croissance») est déjà en un sens venu : à mon avis cela ne
peut pas être contesté... Ce qui grandit et atteint finalement l ’état de consom­
mation et de plénitude est toujours le peuple de Dieu, la communauté de Dieu...
Le Royaume est l ’endroit où l ’on reçoit le salut. C ’est l ’état de salut et de
délivrance. Cet endroit est la maison de Dieu » (p. 232). Plus loin il résume
ainsi sa pensée : « La conception du Royaume de Dieu comme une maison
ou comme un synonyme de communauté sainte » (p. 233).
Dans un ouvrage réédité en 1962, R. H a ssev e ld t intitule un chapitre
« L ’Eglise nouveau R oyaum e» (p. 148) et s’exprime ainsi : « C ’est dans une
perspective esdiatologique que le Christ établit ainsi son Eglise ; le Royaume a
besoin de cette organisation parce q u ’il n ’a pas encore atteint les dimensions
du monde, et pour q u ’il puisse atteindre ces dimensions. Ceci constitue la
vraie réponse à L o is y : « Jésus annonçait le Royaume, et c ’est l’Eglise qui est
venue ». Il faut dire que l ’Eglise est précisément le Royaume dans sa phase
terrestre de croissance : le Royaume en devenir. C ’est précisément pour
qu’advienne le Royaume définitif que Jésus a prévu et fondé son Eglise et
que par conséquent c ’est l ’Eglise qui est venue... Le Royaume que nous
connaissons ici-bas, l ’Eglise fondée par Jésus-Christ sur le fondement des
Apôtres n ’est donc que la phase terrestre et visible du Royaume, avant son
achèvement au retour du C hrist» (p. 154-155).
En 1962, le Vocabulaire de 'Théologie Biblique, « La pensée de Jésus
s’inscrit dans le cadre de sa proclamation du royaume des cieux ; il y révèle,
en un langage prophétique où les plans ne se distinguent pas toujours, que la
phase céleste de l ’Eglise (Matthieu 13,43 ; 25,31-46)^'^ sera précédée par une
phase terrestre. Celle-ci, à son tour, comprendra deux étapes. La première
est la vie mortelle de Jésus, qui, par sa prédication, son action sur Satan et
la form ation de la communauté messianique, rend le Royaume déjà présent
(M atth. 12,28 ; Luc 17,21). La seconde sera le temps de l’Eglise proprement
dit (M atth. 16,18)... L ’Eglise, première réalisation d ’un royaume qui n ’est
pas de ce monde (Jean 18,36)**, accomplira et dépassera les plus audacieuses
prophéties universalistes de l ’Ancien Testam ent» (article «E glise», col.
256-258)... « Le Royaume de Dieu est une réalité mystérieuse dont Jésus
seul peut faire connaître la nature. Encore ne la révèle-t-il q u ’aux humbles
et aux petits, non aux sages et aux habiles de ce monde... Le « petit troupeau »
auquel il ( = le Royaume) est donné (Luc 12,32) lui confère un visage ter-

33. Malheureusement l’auteur ne précise pas sa pensée et ne donne aucune référence.


34. Rem arquons que ces textes de M atthieu concernent le Royaume des Cieux ( = de
Dieu) et non pas l’Eglise. Mais cette confusion elle-même est révélatrice de la pensée profonde
de l ’auteur.
35. N ous avons vu p. 65 que c’est un double contre-sens de traduire Jean 18,36 par
« m on Royaume n ’est pas de ce monde »,
IDENTIFICATION À TRAVERS LES ÂGES H7

restre, celui d ’un nouvel Israël, d ’une Eglise fondée sur Pierre... En un sens,
les temps sont accomplis et le Royaume est là ; depuis Jcan-Baptiste, l’ère
du Royaume est ouverte... Après la résurrection de Jésus, la dissociation de
son entrée en gloire et de son retour comme Juge (Actes 1, 9-11) achèvera
de révéler la nature de ce temps intermédiaire : ce sera le temps du témoi­
gnage (Actes 1,8 : Jean 15,27), le temps de l ’Eglise» (article «R oyaum e»,
col. 953-954).
Le 21 novembre 1964 était promulguée la Constitution Dogmatique
«.Lumen Gentium» élaborée par le Concile V a t ic a n II. Bien q u ’elle ne soit
pas une étude scientifique, elle peut servir de point de repère sur les positions
olficielles de l ’Eglise Romaine : « L ’Eglise, c’est-à-dire le Règne (ou le
Royaume) du Christ^* déjà mystérieusement présent...» (n® 3, p. 15 dans
l’édition du Centurion)... « Le Seigneur Jésus donne naissance à son Eglise
en prêchant l ’heureuse nouvelle, l ’avènement du Règne de Dieu promis dans
les Ecritures depuis les siècles : « Que les temps sont accomplis et que le
Royaume de Dieu est là » (Marc, 1,15). Ce Royaume il brille aux yeux des
hommes dans la parole, les œuvres et la présence du C hrist» (n“ 5, p. 16).
« Avant tout cependant, le Royaume se manifeste dans la personne même
du Christ, Fils de Dieu et Fils de l’homme... Aussi l ’Eglise... reçoit mission
d ’annoncer le Royaume du Christ et de Dieu et de l’instaurer dans toutes les
nations, form ant de ce Royaume le germe et le commencement sur la terre.
Cependant, tandis que peu à peu elle s’accroît, elle-même aspire à l’achèvement
de ce Royaume, espérant de toutes ses forces et appelant de ses vœux l'heure
où elle sera, dans la gloire, réunie à son Roi » (n® 5, p. 17).
En 1966, G.E. L a d d commence par définir le Royaume comme un
«concept dynam ique», donc « le gouvernement royal de D ieu» (p. 258).
Ayant ainsi confondu Royaume et Règne, il affirme à juste titre : « L ’Eglise
est la communauté du Royaume [ = du Règne], mais jamais le Royaume
( = le Règne] lui-même» (p. 258). Puis il développe sa pensée de telle façon
que ses arguments aboutiraient à identifier Eglise et Royaume, s’il ne donnait
pas à Royaume le sens de Règne : « 1) L ’Eglise n ’est pas le Royaume...
« R oyaum e» est synonyme de « rois» [sic !], non pas de « peuple sur lequel
Dieu règne» (p. 259)... 2) Le Royaume crée l’Eglise» (p. 260)... 3) L ’Eglise
est le témoin du Royaume (p. 261)... 4) L ’Eglise est l ’instrum ent du Royaume
(p. 265)... 5) L ’Eglise est la gardienne du Royaume (p. 269)». Fidèle à sa
confusion initiale, E.G. L a d d peut alors conclure : « Il y a une inséparable
relation entre le Royaume et l’Eglise... Le Royaume est le Règne de Dieu
[sic !]... L’Eglise est la communauté de ceux qui expérimentent le Règne de
Dieu » (p. 273).
En 1970, P. F a y n e l : « Les étapes de la fondation du Royaume. Cette
fondation, en effet, ne s’est pas accomplie d ’un seul coup ; on peut en
discerner trois étapes. 11 y a eu d ’abord l ’ensemble de la vie publique. D urant
cette première étape, le Christ a commencé à fonder le Royaume, d ’une part

36. Ici je m ’écarte de la traduction française, faite p ar le Cardinal G a rrone , que repro­
duit l’édition du Centurion, car cette traduction rend ici « regnum Christi » par « règtie de
Dieu ». Cette inadvertance permet-elle de supposer que le Cardinal G arro .ve considère
(à juste titre !) le Règne ou le Royaume de Dieu comme identiques au Règne ou au Royaume
du Christ ? Voir p. 98,100, 192-193, la discussion sur ce point.
118 LE ROYAUME DE DIEU ET L’ÉGLISE

en proclamant la Bonne nouvelle venue de Dieu (M arc 1,15), et d ’autre part


en organisant visiblement ce Royaume en Eglise (p. 25-26)... C ’est également
à cette lumière q u ’il faut comprendre à la fois l ’identité profonde entre le
Christ et le Royaume, et la différence de sens entre ces deux termes : le
Royaume, c ’est la réalisation totale du mystère de salut ; l ’Eglise, c ’est le
«peuple de Dieu par qui ce royaume prend corps» (V a t ic a n II, L.G.
[ = Lumen Gentium] 13)... Dans certains cas (Eglise céleste) le m ot Eglise a
aujourd’hui un sens plus large, qui recouvre finalement la totalité du mystère
(p. 33)... Alors que le m ot de Royaume indique d ’abord et essentiellement
(mais non pas exclusivement) le mystère profond, le terme d ’Eglise souligne
plus fortement (mais non exclusivement) l ’aspect d'institution visible et orga­
nisée (p. 34)... En ce sens, il ne faut pas hésiter à dire aussi que la Pentecôte
constitue le dernier acte de la fondation de l’Eglise » (p. 44).
En 1975, H.J. M ic h e l : « Luc peut aussi dans les Actes des Apôtres
caractériser la proclamation de l ’Eglise comme une proclam ation du
Royaum e...» (p. 110).
En 1977, T.F. G la s so n : « A travers la majeure partie de l ’histoire du
Christianisme, il a été maintenu que... (le Royaume de Dieu) est l’ère de la
rédemption, q u ’il trouve son expression dans l ’Eglise» (p. 290).
Le 28 janvier 1979, à Puebla, le Pape J e a n -P a u l II, en s’adressant à
l’épiscopat latino-américain : « Dans l ’abondante documentation avec laquelle
vous avez préparé cette conférence... on sent parfois un certain malaise au
sujet de l ’interprétation même de la nature et de la mission de l ’Eglise. On
mentionne, par exemple, la séparation que certains établissent entre Eglise
et Royaume de Dieu. Celui-ci, vidé totalem ent de son contenu, est entendu
en un sens très sécularisé : on n ’entrerait pas dans le Royaume par la foi
et l’appartenance à l ’Eglise» (p. 194).
*
* *

A la fin de cette enquête, où figurent tous les auteurs que j ’ai pu trouver
en faveur d ’une identification plus ou moins complète entre l’Eglise et le
Royaume de Dieu^’ , quelques constatations se précisent :
1) Depuis la fin du siècle dernier, les exégètes et les théologiens opposés à
cette identification sont beaucoup plus nombreux, soit chez les Protestants
soit chez les Anglicans soit chez les Catholiques, que les partisans d ’une telle
identification.
2) Mais les positions de beaucoup semblent influencées par le fait q u ’ils
confondent Règne et Royaume et q u ’ils constatent (avec raison) que le Règne
de Dieu ne peut pas être mis en parallèle avec l ’Eglise.
3) Dans l ’état actuel de confusion entre Règne et Royaume, on n ’a pas le
droit de présenter les Anglicans ou les Protestants comme hostiles en bloc à
cette identification, car un certain nombre d ’entre eux l ’adm ettent plus ou
moins clairement.

37. Mais ne sont pas mentionnés les auteurs comme G . G loegb, K .L. S c h m id t ,
O. L in to n , H .D . W end la nd , qui semblent bien adm ettre au fond d ’eux-mêmes l’identifica­
tion du Royaume de Dieu et de l ’Eglise, mais qui n ’osent pas le dire clairement et qui recourent
à des formules tellement ambiguës q u ’on ne peut pas affirmer que telle est bien leur pensée.
(Voir F.M . B raun , Aspects Nouveaux..., p. 163-166).
IDENTJFICATION A TRAVERS LES ÂGES 119

4 ) M a is o n n ’a p a s le d r o i t n o n p lu s d e p ré s e n te r c e tte id e n tif ic a tio n c o m m e


u n e p o s itio n s p é c ifiq u e m e n t c a th o liq u e ^ ® , p u is q u e : a ) elle n ’e s t im p o s é e p a r
a u c u n d o c u m e n t officiel, b ) e lle e s t re p o u s s é e p a r d e n o m b r e u x a u te u r s , d o n t
n u l n ’a le d r o i t d e s u s p e c te r la sc ie n c e o u la fo i. R . M c B r i e n , q u i est
c a th o liq u e , a p a r f a ite m e n t r a is o n d e d ir e : « 11 n ’y a p a s u n a n im ité p a rm i
les th é o lo g ie n s e t le s e x é g è te s c a th o liq u e s q u a n t à l ’id e n tité o u à la n o n -id e n tité
E g lis e -ro y a u m e d e D ie u » ^ ® (p . 71).
Le P. CoNGAR regrette que « sans cesse les protestants accusent (les
catholiques) d ’abolir la distinction et la tension, en faisant de l ’Eglise le
commencement d u Royaum e» (Sainte Eglise p. 137). Les protestants qui
formulent ces reproches sont injustes envers C a l v in et envers leurs coreligion­
naires qui maintiennent judicieusement l ’identité du Royaume et de l ’Eglise ;
en outre ils font trop d ’honneur aux catholiques, en s’imaginant qu’ils
continuent tous à comprendre correctement la pensée du Nouveau Testament.

38. E. M énard , qui est catholique, présente ainsi les reproches parfois adressés à l'Eglise
de Rome : « L ’un des grands reproches qui pèsent plus ou moins sur notre Eglise est q u ’elle
a cherché à se prendre pour Dieu lui-même, q u ’elle a cherché à s’identifier à Dieu, q u ’elle
s ’est attribué des relations si intimes avec Dieu, avec le Seigneur Jésus et avec l ’Esprit-Saint,
que tout ce qu’elle dit, tout ce q u ’elle fait, tout ce q u ’elle pense prend à ses propres yeux et
voudrait s’imposer inconditionnellement aux autres comme valeur absolue, divine. L ’autorité
de l ’Eglise est l ’autorité de Dieu même. La pensée de l’Eglise est la pensée de Dieu même.
T out ce qui existe de fait dans l’Eglise y aurait été mis par une intervention de Dieu lui-même
et du Saint-Esprit. Tout ce qui est dans l ’Eglise devrait être considéré comme beau, grand,
bienfaisant, p u i^ u e cela y existe de par Dieu lui-même. Et ainsi de suite ! L ’absolu de Dieu
se serait, pour ainsi dire, incarné dans l’Eglise » (p. 96). — Je n ’ai pas qualité pour apprécier
dans quelle mesure de telles positions ont été effectivement soutenues (en fait ou en droit).
Mais elles seront absolument impossibles quand on identifiera bel et bien l ’Eglise avec le
Royaume de Dieu fondé par Jésus, puisque ce Royaume de Dieu contient pendant son
existence terrestre une proportion variable de pécheurs (selon les paraboles de l ’Ivraie, du
Filet, des Noces, des Vierges, du Jugement). Le danger d ’une telle identification n ’apparaîtrait
que si l ’on reléguait ce Royaume de Dieu dans une « Eschatologie » plus ou moins coupée
de la vie terrestre et déjà plus ou moins fondue dans la Vie céleste. Les reproches formulés
par E. M énard proviennent au fond d ’une lamentable confusion entre le Règne et le Royaume
de Dieu. Mais on parv iendra bien un jou r, espérons-le, à distinguer enfin clairement l ’un
de l’autre !
39. Qui douterait de cette affirmation pourrait se reporter à un stupéfiant article de
H. G o l l in g b r sur le Règne ou le Royaume de Dieu dans l’éducation catholique en Allemagne.
En est-il de même dans les autres pays ?
CHAPITRE XIV

Règne de Dieu et Justification


Après les textes concernant la Royauté et le Royaume, groupons ceux qui
concernent le Règne de Dieu, afin de les envisager eux aussi de façon plus
synthétique. Puisqu’en bien des cas nous n ’avons pas réussi à préciser s’il
s ’agissait du Règne ou du Royaume, ces textes ambigus doivent être présentés
à part. Cependant, comme le Règne de Dieu et son Royaume sont certaine­
ment corrélatifs, le passage d ’une notion à l’autre reste légitime. C ’est d ’ailleurs
parce qu’elles se confondent dans ces textes que nous ne parvenons pas à les
distinguer.

A) Caractéristiques du Règne de Dieu

1) Première constatation : Le Règne de Dieu, tout comme le Royaume,


était déjà du passé pour Jésus ou pour les Apôtres.
C ’est ce qui ressort de Luc 18,29, quand Jésus parle de ceux qui ont
to u t quitté à cause du Règne ou du Royaume (ou même à cause de l’un et
l ’autre). De même en Luc 22,29-30 Jésus affirme que te Père lui a déjà transmis
le Règne ou le Royaume q u ’il transm et alors aux Apôtres. Mais reconnaissons
que ces textes ne visent pas le Règne de Dieu d ’une façon certaine. Si en fait
ils concernaient directement le Royaume, ils ne concerneraient q u ’indirecte­
ment le Règne, car le Royaume de Dieu n ’est pas concevable sans que Dieu y
règne, c ’est-à-dire y exerce (au moins partiellement) son autorité royale.

2) Deuxième constatation : ce Règne de Dieu était aussi considéré comme


présent par Jésus ou par les Apôtres.
L ’allégorie de la Semence (M arc 4,3-11 et 13-20 = M atth. 13,3-11 et 18-23
= Luc 8,5-10 et I I - 15) veut expliquer aux disciples « le mystère (ou ; les
mystères) du Règne de Dieu » en leur exposant les diverses réactions humaines
à la Parole de Dieu ; elle s’applique déjà dans le présent et même plusieurs
verbes sont au passé !... Quelle que soit l’interprétation q u ’on choisisse pour
Luc 17,20-21, le Règne de Dieu est déjà présent, soit dans le cœur de ses
auditeurs, soit au milieu d ’eux. Quand S. Paul écrit aux Corinthiens (I, 4,20)
que le Règne de Dieu est plus que des paroles, q u ’il est des actes, ou quand il
écrit aux Romains (14,17) que ce Règne suppose l ’observation de la justice
plus que celle de la pureté rituelle, il pose un principe général déjà valable
pour scs correspondants.
CARACTÉRISTIQUES DU RÙONE DE DIEU IZl

Le Règne de Dieu est parfois aussi présenté d ’une façon intemporelle,


qui n ’exclut pas un futur continuellement renouvelé, mais qui inclut déjà
les auditeurs auxquels Jésus s ’adresse ; ainsi la seconde demande du Notre
Père : « Que ton règne arrive» (Luc 11,2 = M atth. 6,10) ; ainsi les paraboles
du Débiteur Insolvable (M atth. 18, 23-25), des Ouvriers Envoyés à la Vigne
(M atth. 20,1-16), de la Noce et de l ’Habit Nuptial (M atth. 22,2-14).
Le même caractère intemporel, mais qui suppose une application immé­
diate, se retrouve dans des textes où les notions de Règne et de Royaume
sont plus ou moins confondues : la parabole du Trésor (M atth. 13,44), la
parabole de la Perle (M atth. 13,45-46), la réflexion sur les allégories (M atth.
13,51), celle sur les ennuques (M atth. 19,12), celle sur la main à la charrue
(Luc 9,62), le récit de la prédication de Philippe en Samarie (Actes 8,12).
3) Troisième constatation : ce Règne de Dieu sera aussi réalisé dans un
proche avenir, avant la disparition de la génération présente.
C ’est ce q u ’affirme explicitement Marc 9,1 : « Certains de ceux qui sont ici
présents ne goûteront pas la m ort jusqu’à ce q u ’ils voient le Règne de Dieu
venu avec puissance». Les foules qui acclament Jésus (Marc 11,10) applau­
dissent au « Règne qui vient de notre père David » c ’est-à-dire qui est en
train de venir ou qui va bientôt venir. De même Joseph d ’Arimathie (M arc
15,43 = Luc 23,51) est présenté comme «attendant (ou peut-être: recevant)
le Règne de D ieu», Même si l ’on refuse de traduire Marc 1,14-15 ; M atth.
3,1-2 ; 4,17 ; 10,7 ; 12,28 ; Luc 10,9-11 ; 11,20 par « le Règne de Dieu est
arrivé », on doit au moins comprendre « le Règne de Dieu est devenu proche ».
On retrouve le même futur rapproché dans l’allégorie des Vignerons
Homicides (M atth. 21,43), bien que le Règne y soit mal séparé du Royaume.
4) Quatrième constatation : ce Règne de Dieu se poursuivra jusqu'à la
Fin du Monde.
L ’ange de l ’Annonciation (Luc 1,33) prom et explicitement pour Jésus
le Règne « sur la maison de Jacob » et il a soin de préciser que « ce Règne
n ’aura pas de fin ». En deux textes où les trois notions de Royauté, de Règne
et de Royaume sont mal distinguées (I Cor. 15,24 et II Tim. 4,1) elles sont
aussi prolongées jusqu’au jugement final sur les vivants et sur les morts.
5) Cinquième constatation : ce Règne est sans doute présenté à la fois
comme celui de Dieu et comme celui du Christ.
Que ce Règne soit appelé Règne de Dieu, de multiples passages en témoi­
gnent. Mais il est aussi considéré comme le Règne du Christ, malheureusement
dans un passage qui n ’est pas assez précis : en Luc 22,29-30 Jésus transmet
aux Apôtres le Règne ou le Royaume qu’il a reçu de son père. Deux autres
cas semblables (I Cor. 15,24 et II Tim. 4,1) ont été déjà envisagés hypothéti­
quement à propos de la Royauté, mais ils peuvent aussi inclure les notions de
Règne ou de R oyaum e^ Luc 19,11 annonce une discussion sur le Règne de
Dieu et donne en fait une allégorie sur le Règne de Jésus (19,12-27), comme
si les deux notions étaient équivalentes.

1. Et l ’on ne peut rien dégager d'utilisable dans d ’autres passages très vagues sur
l’annonce, la proclamaîton ou l’enseignement du Règne ou du Royaume de Dieu : M atth.
4,23; 9,35; 24,14; Luc 4,43; 8,1 ; 9,11 ; 9,60; Actes 1,3; 19,8; 20,25; 28,23-31 ; Col. 4,11.
122 RÈGNE DE DŒU ET JUSTIHCATION

6) Sixième constatation : trois données concernant le Royaume de Dieu


n ’ont pas d ’équivalent dans les textes concernant le Règne.
Cette absence peut être simplement le fait du hasard et l’on n ’a pas le
droit d ’en tirer un argument positif, mais elle doit être au moins signalée.
Aucun texte ne dit que les pécheurs peuvent comme les justes être sujets du
Règne de Dieu. Aucun texte ne prévoit une évolution interne de ce Règne
de Dieu. Aucun texte n ’affirme explicitement q u ’il se poursuive dans la Vie
étemelle du Ciel, bien que I Cor. 15-24 et II Tim. 4,1 puissent aussi être
compris en ce sens.

B) Réflexions sur ce Règne de Dieu

Alors que le Royaume de Dieu et l ’Eglise sont clairement identifiés


par les textes, nous n ’avons pas les mêmes précisions au sujet du Règne de
Dieu. Ce qui va suivre ne peut donc pas être considéré comme une affirmation
certaine, mais simplement comme une suggestion discutable.
La «justification», au sens théologique actuel, qui inclut la rémission
des péchés, l ’adoption filiale par Dieu et l ’admission à la Vie étemelle (déjà
commencée sur terre), n ’est presque jam ais mentionnée dans les Evangiles :
on ne peut citer en effet que Luc 18,14 : « (Le publicain) est descendu justifié
dans sa maison, plutôt que (le pharisien) », et jusqu’à un certain point M atth.
12,37 : « (A u jo u r du Jugement, c’est) à partir de tes paroles (que) tu sera
déclaré juste et (c’est) à partir de tes paroles (que) tu seras déclaré coupable».
De même le substantif «justice » et l ’adjectif-substantif «juste » ne com portent
que deux ou trois fois ce sens théologique plénier : en M atth. 6,33 : « Cherchez
d ’abord le Royaume de Dieu et sa justice », en M atth. 25,46 : « Les justes
(iront) à une Vie éternelle» et peut-être en Luc 14,14 : « ... lors de la résurrec­
tion des justes. » Au contraire cette notion de « justification » est tout à fait
centrale dans l ’épître aux Romains et dans celle aux Galates. Ailleurs on la
retrouve dans les Actes 13,38-39 (« Par (Jésus) vous est annoncée la rémission
des péchés et de to u t ce dont vous n ’avez pas pu être justifiés dans ( = par)
la Loi de Moïse : en lui ( = Jésus) tout croyant est justifié »), dans I Cor. 4,4 ;
6,11 ; I Tim. 3,16 ; Tite 3,7 ; Jacques 2,21.24.25.
Comment expliquer qu’une notion capitale pour Saint Paul soit presque
ignorée par les Evangiles ? Ne serait-ce pas que la même idée est exprimée par
des termes différents, comme dans le cas de Royaume de Dieu et d ’Eglise ?
Et alors ne pourrait-on pas envisager, au moins à titre d ’hypothèse, que le
Règne de Dieu corresponde à la Justification ?^. Si Paul affirme que le « juste »
est la maison de Dieu, le Temple de Dieu, un membre du Corps du Christ,
n ’est-ce pas précisément parce que Dieu règne en lui ? Et alors on rejoint
de nombreux textes johanniques, en particulier Jean 14,23 : « Si quelqu’un
m ’aime, il gardera ma parole, mon Père l ’aimera, nous viendrons vers lui et
nous ferons chez lui (notre) dem eure» : le Règne de Dieu est inclus dans
cet am our de Dieu, dans cette habitation de Dieu et dans cette fidélité à la

2. Ainsi s’expliquerait, et pas seulement par une omission fortuite, l’absence de textes
parlant du Règne de Dieu ( = la Justirication) pour les hommes ne renonçant pas au péché.
RÉFLEXIONS SUR LE RÈGNE DE DIEU 123

paroie de Jésus. Ainsi le Règne de Dieu, fréquent chez les Synoptiques, la


Justification exposée par S. Paul et la Demeure de Dieu habituelle à S. Jean
seraient au fond trois présentations différentes de la même réalité, inaccessible
au langage humain, évoquée par trois notions complémentaires devenues
alors synonymes. Q u’on relise les textes présentés depuis le début de ce
chapitre en remplaçant Règne de Dieu par Justification, on constatera q u ’à
travers des images différentes leur sens fondamental n ’est pas modifié et que
les deux notions s’adaptent et se complètent fort bien, avec simplement des
nuances dans la formulation. Certes la notion de Règne de Dieu ou du
Christ insiste plus sur l’acteur divin que sur l’objet humain, alors que la
Justification implique toujours un «justifié», mais toutes ces notions
com portent nécessairement un double aspect : un Dieu qui règne et des
hommes sur qui il règne, un Dieu qui justifie et des hommes qui sont justifiés,
un Dieu qui habite et des hommes en qui il habite.
Cette proposition de voir dans le Règne de Dieu un équivalent de la
Justification n ’est, heureusement, pas nouvelle^. Si elle n ’a pas été plus cou­
rante, c ’est probablement parce q u ’on distinguait mal les trois aspects de la
« basileia » : dans la mesure où l’on y voyait surtout la Royauté de Dieu
(Pères de l’Eglise) ou le Royaume de Dieu (théologiens allemands ou anglais)
on ne pouvait pas y reconnaître l ’action de Dieu régnant dans un homme
et par le fait même lui communiquant sa sainteté et le prédestinant à la vie
éternelle.
Pourtant S. Paul, même s’il n ’emploie pas explicitement les termes
« rég n er» et «justifier», montre assez clairement sa pensée : «(L e Christ)
est la tête du corps"* de l ’Eglise, lui qui est le principe, le premier-né d ’entre
les morts, afin q u ’il ait la primauté parmi tous, car (Dieu) s’est complu à faire
habiter en lui toute la plénitude et à tout réconcilier par lui, pour lui, après
avoir établi la paix par le sang de sa croix, (donc) par lui, soit les choses de la
terre soit celles du ciel» (Col. 1,18-20). Le Christ n ’est-il pas présent là tout
ensemble avec le Règne qu’il exerce sur nous et avec la Justification q u ’il
réalise en nous ?
E t de même quand S. Paul oppose le service de Dieu, à la servitude
envers les puissances mauvaises, ne voit-il pas dans cette libération à la fois
le Règne de Dieu sur nous et notre Justification par le Christ ? « Où le péché
a abondé, la grâce a surabondé [= Justification !] afin que, comme le péché a
régné dans la mort, ainsi la grâce règne par la justice [ = Règne !] pour la
vie étemelle par Jésus-Christ notre Seigneur » (Romains 5,20-21)... « Nous
tous aussi nous nous sommes comportés jadis selon les désirs de notre chair,
en faisant les volontés de la chair et des passions... Alors que nous étions
m orts par nos fautes. Dieu nous a fait revivre avec le Christ [c’est bien la
Justification !]... Car nous sommes sa création, (nous qui) avons été créés
dans le Christ Jésus pour les œuvres bonnes, auxquelles Dieu (nous) a

3. Evidemment, dans tout ce chapitre, il s ’agit du Règne de Dieu selon le Nouveau


Testament. En effet, dans l ’Ancien Testam ent le Règne de D ieu concerne la ci&ition de
l’homme ou le gouvernement du monde, mais pas encore clairement la Justification intime
de l ’âme.
4. On ne sait s ’il faut supposer ici une virgule et donc s’il faut comprendre « du corps
(et) de l ’Eglise » ou « du corps de l ’Eglise ».
124 RÈGNE DE DIEU ET JUSTIFICATION

préparés, afin que nous nous conduisions selon elles » [c’est bien le Règne de
Dieu et du Christ !] (Ephésiens 2,3-5 et 10). La même association se trouve
à l ’arrière-plan de Gai. 4,3-5 : « Nous aussi, quand nous étions des enfants,
nous étions asservis aux éléments du monde ; mais quand est venue la
plénitude du temps. Dieu a envoyé son Fils... pour racheter ceux qui (étaient)
sous la Loi, afin que nous recevions l ’adoption filiale » : recevoir la Justification
c ’est aussi être libéré du règne du « monde » et de la Loi, donc passer sous le
règne de Dieu... On pourrait dégager la même conclusion de Col. 2,13-15...
Dans le sillage de ces textes se sont engagés plusieurs auteurs, par exemple
tous ceux qui parlent du « règne de la grâce », s’ils donnent à ces mots le même
sens plénier que Rom. 5,21.
Bien que S. T h o m a s d ’A q u in soit très discret sur le Règne ou le Royaume
de Dieu, la seule fois où il mentionne le Rcgnum Dei (Prima Secundae, question
108, article 1, ad primum)® il le présente sous l ’aspect de l ’action de Dieu
dans les âmes : « Le Règne de Dieu consiste principalement en des actes
intérieurs... Puisque le Règne de Dieu est la justice intérieure, la paix et la
joie spirituelle... » (vol. II, p. 752)®.
L u t h e r '' est conduit par sa conception de l ’Eglise invisible à donner la
prépondérance à la notion de Règne sur celle de Royaume et à identifier ce
Règne de Dieu avec la Justification. Cette relative absence de la notion de
Royaume est d ’ailleurs facilitée parce q u ’il emploie encore très souvent le
latin, où « regnum » est proche parent de « regnare » ; aussi, même quand il
s’exprime en allemand, Reich signifie chez lui Règne plutôt que Royaume.
Ceux qui connaissent un peu l ’œuvre de L u t h e r n ’ont pas besoin q u ’on leur
prouve cette identification du Règne de Dieu avec la Justification, tellement
les textes abondent. En voici quelques uns, répartis à travers toute sa prédi-
dation : sermon pour le 15' dimanche après la Trinité (sans doute en 1520) :
« Le Règne de Dieu sera en nous quand aucun péché ne dominera plus sur nous
et que nous unirons à Dieu tous nos membres et tous nos sentiments, en sorte
que ce ne soit plus nous, mais Dieu qui règne en nous » (Œuvres, vol. IV, p.
712)... Sermon du 23 octobre 1524 : « (Le Règne du Christ) n ’est rien d ’autre
que la rémission des péchés entre Dieu et les hommes et aussi entre les
hom m es» (vol. XV, p. 721)®... Sermon du 17 septembre 1525 : « E n ceci

5. Pour la Somme Théologique, c ’est le seul emploi de Regnum Dei que signale le très
copieux Index Rerum de l ’édition publiée par la Biblioteca de Autores Cristianos (vol. V,
p. 635-915, sur 2 colonnes !). Cette omission presque totale d ’un concept évangélique essentiel
pose un curieux problème. La confusion entre les trois sens de « regnum » suffit-elle à expliquer
ce silence dans une œuvre aussi monumentale que la Somme Théologique de S. Thom as ?
6. L ’excellente édition française de la Revue des Jeunes a omis de traduire les questions
106 à 108 de la Prima Secundae ; c’est pour cela que je ne cite pas selon cette édition.
7. Certes l'œuvre immense de L u ther contient quelques textes qui identifient Eglise et
Royaume de Dieu, par exemple en 1521 dans le traité « De votis monasticis. M artini Lutheri
judicium » : « L ’Eglise est appelée Royaume de Dieu et elle l’est, parce q u ’en elle Dieu seul
règne, commande, parle, agit, est glorifié » (vol. VJII, p. 656). De même L uther , en opposant
très souvent le Royaume de Dieu ou du Christ au royaume du diable, de l ’antéchrist (ou du
pape !), paraît supposer que le premier est contemporain du second et que le premier constitue
la véritable église (au sens de L uther ) comme le second constitue la fausse église (au sens de
L uther ). Cependant, il répète avec une telle insistance que le Règne de Dieu est la Justification
q u ’on doit voir là l ’aspect fondamental de sa pensée.
8. Form ule très voisine dans le sermon du 2 octobre 1524, vol. XV, p. 698,
RÉF1.EXIONS SUR LE RÈGNE DE DIEU 125

consiste la Justification : appartenir à ce Règne (de Dieu ou du C hrist)»


(vol. XXII, p. 274)... Sermon du 10 novembre 1532 : « (L e Règne du Christ)
consiste dans la foi» (vol. XXXVI, p. 592-593)... Sermon du 6 août 1545 ;
« Le Règne du Christ qui consiste dans la parole... et qui nous donne le
pardon des péchés et la Vie éternelle » (vol. LI, p. 21).
A la suite de L u t h e r , cette conception est évidemment courante chez les
auteurs protestants^. Mais on la trouve aussi chez des catholiques.
« Le règne de Dieu, c ’est la grâce par laquelle Dieu règne en nous et
par laquelle nous sommes appelés à régner avec lui ; et la justice du royaume
de Dieu n ’est rien d ’autre que la justice de la grâce dont nous sommes ornés
comme enfants de D ieu» (M.J, S c h e e b e n , p. 319).
« Le règne de Dieu, c ’est Dieu lui-même prenant possession de l ’esprit
et du cœur de l ’homme, inspirant et dirigeant ses pensées, ses désirs, ses
actes» (T h o m a s , p. 75).
« Les Chrétiens justifiés, c ’est-à-dire admis au royaume... Dans S. Paul la
justification consiste toujours, selons nous, dans le décret d ’admission au
royaume messianique » (E. T obac, p. 213 et 216 ; ce « toujours » est significatif ;
l’auteur confond en permanence le Règne et le Royaume).
« A cette paix du Christ, qui, fille de la charité, réside dans les profondeurs
de l ’âme, est applicable la parole de saint Paul (Romains 14,17) sur le Règne
de Dieu, car c ’est précisément par la charité que Dieu règne dans les âmes...
Les prédicateurs de l’Evangile sont allés à maintes reprises, sous l’impulsion
de la divine charité, jusqu’à sacrifier leur vie pour le salut des âmes et par
leur m ort ils ont contribué à étendre le règne du Christ » (P ie XI, Encyclique
Ubi arcano Dei, du 23 décembre 1922, p. 686).
« Dans toutes les descriptions de ce genre (trésor caché, perie précieuse,
ferment mystérieux), le «royaum e de D ieu» est considéré sous un aspect
intérieur et spirituel, c ’est-à-dire comme existant au fond des cœurs. A ce
point de vue le « royaume de Dieu » est autre chose que l ’Eglise du Christ, que
la communion visible et hiérarchique des chrétiens. Le « royaume de Dieu »
devient alors la sanctification des âmes en Jésus-Christ » (Y. de l a BRii-RE,
col 1247. Le contexte de cette citation est reproduit plus haut, p. 109.
La définition que l’auteur donne ici du «royaum e» convient exactement au
« Règne de Dieu », quand on prend la peine de distinguer ces deux notions).
Un peu plus loin l ’auteur revient sur ce sujet ; « On peut donner au mot
Eglise une acception élargie, un sens plus mystique. On peut, en efiet,
comprendre sous ce terme, non plus seulement la communauté visible et
hiérarchique des chrétiens, mais encore l ’âme invisible de ce même corps
social ; âme qui est constituée par la justice intérieure, âme à laquelle parti­
cipent tous les hommes en état de grâce » (col. 1247. Le sens donné ici à l’Eglise
est son sens normal : de quel droit priver ce « corps » de son « âme » ?).
« M. W e n d l a n d est conduit à rapprocher très justement les notions de
règne et de vie étemelle. Nous sommes heureux de trouver dans son camp

9. Les positions théologiques récentes sont résumées par K.P. D o n f r ie d (avec une
ample bibliographie).
10. Malheureusement la traduction de la Documentation Catholique rend ici le latin
« regnum » par « royaume ».
TZ6 RÈGNE DE DIEU ET JUSTIFICATION

l’expression d ’une idée qui nous est chère. Envisagé sous cet angle, le royau­
me est bien la vie de Dieu en l ’homme et, du même coup, la vie de l ’homme
lorsqu’il vit en Dieu, la vraie vie, au sens johannique du mot, que connais­
sent les Synoptiques (H. C l a v ie r , p. 64, avec la confusion habituelle entre
Règne et Royaume).
« C ’est en sanctifiant les âmes et en les reliant à Dieu q u ’il ( = le Christ-
Roi) les retire du péché et les conquiert à son royaume... C ’est en sauvant les
âmes du péché et en les ram enant à Dieu que le Christ exerce sa royauté
spirituelle» (Ch. V. H éris, p. 164 et 169).
« Tout dualisme est complètement exclu entre la Justification par la foi
et le Royaume de Dieu... La Justification et le Royaume de Dieu forment
réellement une unité organique, qui selon le point de vue, apparaît au croyant
soit comme la Justification soit comme le Royaume de Dieu... La Justification
par la foi est une expression résumée qui présente la réalisation du Royaume
de Dieu aussi bien comme délivrance que comme capacité de la Vie éternelle »
(D.T. B o h l in , p. 25-26, qui, lui aussi, confond Règne et Royaume).
« Ce qui constitue le royaume, c ’est le règne de Dieu dans les âmes par
la destruction du péché et la pratique de la justice intérieure... Cette transfor­
mation spirituelle n ’est point encore, il est vrai, le salut définitif, mais elle en
est le gage, mieux encore, elle en est le germe qui n ’aura q u ’à s’épanouir
dans la vie étemelle » (L. V e n a r d , p. 353).
« Parfois il ( = le Royaume confondu avec le Règne !) semble être la
justice intérieure des âmes » (E. M e r s c h , p. 64).
« En M atth. (6,33) la Justification est associée très intimement avec Dieu
et son Règne, comme un pur don de Dieu, ainsi que tout ce qui dépend
de la basileia » (G. S c h r e n k , p. 200)... « La Justification de Dieu... comme
une nouvelle vie, introduit dans son Règne » (idem, p. 205-206)... « L ’action
justifiante de Dieu conduit au règne de la grâce... Iæ croyant est introduit
dans ce mouvement du Règne de Dieu. Les formules sur la Justification ne
doivent donc pas être séparées de ce Règne du Christ, qui est source de vie »
(idem, p. 213).
« En réalité, le salut est dans l ’Eglise, l’Eglise étant l ’incarnation du
salut. On peut donc dire que l ’Eglise ne conduit pas au salut, mais q u ’elle est
le salut même ; ici-bas, dans une enveloppe fragile, provisoire, appelée à dis­
paraître ; et, dans l’au-delà, à l ’instar de notre corps humain, l ’Eglise
ressuscitera dans la gloire» (O .S e m m e l r o t h , p. 220-221 ; avec confusion
entre Règne et Royaume, ce qui fait identifier Eglise et Règne !).
« La doctrine paulinienne de la Justification n ’est rien autre q u ’une
variation, théologiquement plus précise, de la proclamation du christianisme
prim itif sur le Règne de Dieu comme salut eschatologique » (E. K â s e m a n n ,
An die Rômer, p. 26)... « Dans la Justification il ne s’agit de rien autre que du
Règne de Dieu proclamé par Jésus» (E. K â s e m a n n , Paulinische Perspektiven,
p. 133, en anglais p. 75).
Ces quelques citations ne peuvent évidemment pas constituer une preuve
de la relation intime entre le Règne de Dieu et la Justification. Elles veulent
seulement m ontrer que cette suggestion n ’est pas nouvelle et q u ’elle cor­
respond à une tendance théologique assez largement représentée, surtout
dans les milieux protestants.
HORS DE l ’ Ég l i s e p o in t de sa lut ? 127

Peut-être aussi cette conception du Règne de Dieu dans et par la Justi­


fication pourrait-elle aider à mieux comprendre la thèse luthérienne de la
Justification par la foi seule, et les réactions de ses adversaires. En effet la
Justification est une notion complexe qui a un aspect actif et un aspect passif.
La Justification active, c’est l ’intervention de Dieu qui établit son Règne
dans un être humain et qui par le fait même le sanctifie. La Justification passive
est le résultat produit dans l ’homme par cette initiative divine. Si l’on
considère la Justification active. Dieu en est seul l ’auteur et le rôle de l’homme
consiste uniquement à ne pas s’opposer à cette emprise divine. Alors on a

I raison d ’insister sur le fait que la Justification provient de Dieu seul, sans aucune
collaboration positive de l’homme, car Dieu seul peut établir et exercer son
Règne. Mais si l’on considère la Justification passive, c ’est-à-dire, les effets
de ce Règne de Dieu en l’homme, on ne peut guère refuser d ’admettre qu’ils
atteignent au moins rintelh'gence et la volonté Le Règne de Dieu dans
l’intelligence c’est la foi, et le Règne de Dieu dans la volonté c’est la charité
(au sens théologique). Autrement dit : en prenant possession de l ’homme, le
Règne de Dieu s’exerce au moins à travers son intelligence par la foi et à
travers sa volonté par la charité. Alors on comprend que la formule «justi­
fication par la foi seule» suscite des oppositions, car elle supposerait une
restriction du Règne de Dieu, qui n ’atteindrait que l ’intelligence et qui
négligerait la volonté. Pourquoi Dieu régnerait-il seulement dans une partie
(si l’on peut dire !) de l ’âme ?
Si l’on voulait tenir compte de ces distinctions, ne vaudrait-il pas mieux
dire : 1) Dieu seul peut établir en l ’homme son Règne justificateur. 2) Cet
unique Règne de Dieu se réalise dans la foi et dans la charité !
Ces distinctions peuvent aussi servir à mieux cerner le problème de la fo i
et de son objet. Tout homme qui accepte le Règne de Dieu dans son intelligence
a une foi aussi parfaite que cette acceptation, même s’il n ’a pas encore bien
compris tel ou tel point de l ’Ecriture, telle ou telle partie de la Révélation.
Inversement, une erreur ou une ignorance de bonne foi sur une ou plusieurs
vérités révélées peuvent très bien coexister avec une acceptation sincère et
totale du Règne de Dieu dans l ’intelligence ; dans cette soumission au Règne
de Dieu la foi du charbonnier peut être aussi grande que celle du théologien,
bien q u ’elle porte sur un objet beaucoup plus restreint et beaucoup moins précis.

C) « H o rs de l ’Eglise point de salut»?

Cette formule célèbre*^ synthétise la pensée de deux Pères de l ’Eglise à


peu près contemporains, qui ne semblent pas s’être influencés réciproquement.
O r ig è n e , vers 249-250, dans une homélie sur Josué 6,22-25, compare le
salut accordé à R ahab au salut chrétien : « Il n ’y a de salut pour personne
ailleurs que dans le sang du Christ... Que personne donc ne se fasse illusion :

11. Plus toutes les autres puissances de l’âme, pour ceux qui aboutissent à une analyse
anthropologique plus complexe,
12. Cette formule est en harm onie avec la pensée juive, que M. T e s t u z résume ainsi,
pour le livre des Jubilés : « Hors de l’Alliance pas de salut, ni pour le Gentil, qui ne peut
y entrer, ni pour le Juif qui n ’en observe pas les lois » (p. 73-74).
128 RÈGNE DE DIEU ET JUSTIHCATION

hors de cette maison, c ’est-à-dire hors de l’Eglise, personne n ’est sauvé. Si


quelqu’un en sort, il se rend coupable de sa propre mort. C ’est là q u ’est le
signe du sang, car c ’est là la purification qui se fait par le sang » (Homélie ill,
n ” 5, p. 142-143 = M ig n e , Patrologie Grecque, vol. 12, col. 841-842).
S. C y p r ie n , au début de 251, dans son Liber De Ecclcsiae Catholicae
Unitate, s ’exprime ainsi : « Qui se sépare de l’Eglise et se joint à une adultère
se sépare des promesses de l ’Eglise ; il ne parviendra pas aux récompenses
du Christ, celui qui abandonne l ’Eglise du Christ... Il ne peut plus avoir Dieu
pour père celui qui n ’a pas l’Eglise pour mère... Qui rom pt la paix du Christ
et la concorde, agit contre le Christ. Qui ramasse ailleurs que dans l’Eglise
disperse l’Eglise du Christ... Qui ne tient pas cette unité ne tient pas la loi
de Dieu, ne tient pas la foi du Père et du Fils, ne tient pas la vie et le salut »
( M ig n e , Patrologie Latine, vol. 4, col. 503-504 = Corpus Christianorum,
vol. III, n “ 6, p. 253-254).“
Dans ces deux textes, il s’agit manifestement des schismatiques qui sortent
de l ’Eglise et brisent son unité. C y p r ie n en particulier polémique alors contre
la secte de Novat et Novatien. En outre O r ig è n e veut m ontrer que le sang
du Christ est la seule cause du salut. Ces deux textes peuvent certes se résumer
en la formule lapidaire : « Hors de l ’Eglise point de salut», mais ils s’appli­
quent uniquement aux déserteurs de l’E g l i s e L e s appliquer aux non-
chrétiens qui ne font pas partie de l ’Eglise et surtout à ceux qui ne la
connaissent pas, c ’est les trahir.
Malheureusement on a détaché cette formule de son contexte et on lui a
suppose une extension q u ’elle n ’avait pas* On a ainsi créé un faux problème,
que beaucoup d ’auteurs s’appliquent à résoudre*®.
« C ’e s t là , d it J . M a r it a in , u n e f o r m u le d ’u n e é q u iv o c ité s a n s p a re ille »
(p . 159).
Sans vouloir chercher à défendre cette formule ni résoudre ce faux
problème, la distinction entre Règne [= Justification] et Royaume [= Eglise]

13. C yprien exprime la même pensée dans sa Lettre ad Pomponium ; « Les orgueilleux
et les endurcis sont tués par le glaive spirituel, quand ils sont rejetés de l ’Eglise. Car ils ne
peuvent pas vivre en dehors d ’elle, puisqu’il n ’y a q u ’une seule maison de Dieu et q u ’il ne
peut y avoir de salut pour personne, si ce n ’est dans l’Eglise » (col. 371).
14. C ’est dans ce sens que le pape P élage II, en 585, cite explicitement S. C yprien
(D en zin o er , n“ 247).
15. Par exemple le pape I nnocent III, le 18 décembre 1208, dans la profession de foi
imposée aux Vaudois (D en m n g er , n“ 423), puis le 4 ' C oncile de L atran (D en zin o er ,
n” 430), puis B oniface VIII (D en zin o er , n “ 468), et ensuite divers autres documents officiels,
suivis par C alvin , vol. II, p. 122.
16. Sans avoir fait de recherches spéciales, j ’ai relevé les références suivantes:
1920: D u blanchy , col. 2155-2175;
1921 : G ore , p. 646-651 ;
1925 : D ieckm ann , vol. II, p. 252-253, n° 957 ;
1929: G loege , p. 347-349;
1938; DE L u bac , p. 174-179;
1943 : J ournet , vol. I, p. 43-47 ;
1969: R a tzin ü er , p. 145-171.
Auparavant, E. D ublanchy avait en 1895 composé sur ce sujet une thèse de doctorat
de 442 pages.
HORS DE l ’ Ég l i s e p o in t de sa lut ? 129

permet de l’éclairer*''. Si l’on pense à la notion de Règne, et si l’on y voit la


Justification, on en conclut nécessairement que tous ceux qui sont étrangers
au Règne de Dieu ne peuvent pas être sauvés ; ou réciproquement : tous les
II'
'A V . .
hommes de bonne volonté, qui seront évidemment sauvés, appartiennent
certainement au Règne de Dieu. Au contraire, comme le dit clairement le
Nouveau Testament (voir ci-dessus, p. 97,99), l’Eglise, donc le Royaume
de Dieu, englobe même des pécheurs qui ne seront pas sauvés (M atth. 7,21-23 ;
13,24-30 et 36-43 ; 13,47-50 ; 25,41-46). Ainsi la formule « Hors de l ’Eglise
point de salut» serait exacte pour le Règne, mais fausse pour le Royaume.
Malheureusement, comme en fait Royaume = Eglise, on la prend générale­
ment dans sa fausse signification. Pour rétablir la vérité il faudrait revenir à la
pensée d ’OaicèNE et de S. C y p r ie n et n ’appliquer cette formule q u ’à ceux qui
se détournent de l’Eglise par leur faute : « Pour qui sort de l'Eglise point de
salut » ; ou bien il faudrait la corriger et dire ; « Hors du Règne de Dieu
point de salut ».
En effet les notions de Règne et de Royaume n ’ont pas la même extension :
certains sont dans le Royaume mais pas dans le Règne (les mauvais chrétiens)
et d ’autres sont dans le Règne mais pas dans le Royaume (les bons païens)^®.

t
.

17. J. D e n n e y (p. 188) propose une autre solution, plus sociale : « Je ne pense pas que le
N.T. envisage l’existence des Chrétiens isolés (personnes qui ont accepté le salut chrétien
et embrassé l’idéal et la vocation chrétiens) mais qui ne sont pas membres d ’une église. Le
but du Christianisme ne peut jam ais être atteint... sauf par l’action et la réaction mutuelles,
la réciprocité à donner et à recevoir, de tous ceux qui sont les disciples du Christ. Ce que les
frères ont est indispensable pour nous ; ce que nous avons est indispensable pour eux. En ce
sens le dogme a raison : « Hors de l’Eglise point de salut ». C ’est sur la reconnaissance de
cette vérité que repose l ’unité vitale de l’Eglise ».
18. L. C e r k a u x exprime à peu près la même idée; « Le Royaume de Dieu, jusqu’à un
certain point, s’oppose à son Règne. Dieu règne sur toutes les nations et son Royaume se
restreint à Israël » (p. 26).
130 RÈGNE DE DIEU ET JUSTIHCATION

CONCLUSION DE LA PREMIÈRE PARTIE

En rédigeant la première partie de cet ouvrage, j ’avais sans cesse l’impres­


sion d ’énoncer des évidences.
Comment refuser la distinction entre Royauté, Règne et Royaume,
même si certains contextes sont tellement vagues q u ’ils puissent s’adapter
à chacune de ces trois notions ?
Comment nier que Jésus et les Apôtres considéraient la « basileia »
comme une réalité à la fois passée, présente et future, à la fois terrestre et
céleste, attribuable pareillement à Dieu et au Christ ?
Comment contester que le Royaume de Dieu et l’Eglise soit tellement
identiques q u ’ils aient la même définition ? Car le Royaume c ’est Jésus et
ceux q u ’il a groupés, groupe et groupera autour de lui, et l’Eglise c ’est Jésus
et ceux q u ’il a groupés, groupe et groupera autour de lui.
Comment ne pas approuver la conclusion de J.B. F r e y : « S’il fallait
maintenant comprendre sous une formule globale les significations diverses de
l ’expression basileia tou théou, nous la définirions : actualisation de la royauté
éternelle de Dieu, dans les âmes par la libre soumission à la loi du Dieu créateur
et sauveur^®, dans le monde par l ’établissement et le développement progressif
de la société des fidèles (Eglise), dans l’au-delà par l ’union définitive des élus
avec Dieu (Vie éternelle) et leur incorporation dans l’Eglise triom phante »
(Royaume de Dieu, col. 1257) ?
D ’ailleurs ces évidences n ’ont guère été mises en doute avant la fin du
dix-neuvième siècle et elles ont été jusque-là reconnues paisiblement par les
Catholiques, par les Anglicans et par les Protestants^®.
Mais pourquoi donc ont-elles subitement cessé, vers la fin du siècle
dernier, de paraître évidentes et pourquoi sont-elles méconnues par la grosse
majorité des exégètes et des théologiens ?
C ’est q u ’alors la pensée chrétienne a été perturbée par une innovation
dangereuse : l’Eschatologie.

19. C ’est le Règne de Dieu ou la Justification.


20. Je suis confus de ne pas pouvoir mentionner aussi les Orthodoxes, mais j ’ignore le
grec moderne et toutes les langues slaves. En ce qui concerne l’Eglise et le Royaume de Dieu,
une rem arquable déclaration des Délégués Orthodoxes au Conseil Mondial des Eglises a
été citée, p. 115.
SECONDE PARTIE

• •• sans Eschatologie
1
Æv.

/S'
T
;V,-.

»
CHAPITRE XV

Les méfaits de l’Eschatologie


Commençons par bien poser le problème. La Parousie, la Résurrection
Générale, le Jugement Dernier, l ’Offrande au Père sont des faits annoncés
clairement dans le Nouveau Testament. Il n ’est donc pas question de les nier
ou simplement de les mettre en doute ou même de les interpréter
symboliquement.
a) La Parousie est prédite par M atthieu 24,27-31 + 36-39 ; 25,31 ; I Cor. 4,5 ;
I Thess. 3,13 ; II Thess. 2,1 ; Jacques 5,7-8.
b) La Résurrection Générale est prédite par M arc 12,18-27; Luc 14,14;
Jean 5,28-29; Actes 23,6; 24,15.21; I Cor. 15,12-24; I Thess. 4,14-17;
Hébreux 6,2.
c) Le Jugement Dernier est prédit par Matthieu 25,31-46; Actes 17,31;
I Cor. 4,5; 6,2-3; I Pierre 4,5; II Pierre 3,7; Apoc. 20,12-15.
d) L ’offrande au Père est prédite par I Cor. 15,20-28.
Une étude loyale sur le Nouveau Testament ne peut donc q u ’admettre
ces prophéties et en attendre la réalisation, à moins de prouver (mais non par
des arguments théologiques, sous peine de cercle vicieux !) que sur l ’un ou
l’autre de ces points tous les textes, absolument tous, sont à rejeter.
Si l ’on admet les conclusions établies dans l’étude exégétique précédente,
ces événements relatifs à la fin du monde s’intégrent facilement dans le Règne
et dans le Royaume de Dieu : ce Règne, qui transforme toutes les âmes de
bonne volonté, et ce Royaume, qui est en réalité l’Eglise, dureront jusqu’à
la Fin du M onde et même au-delà. La Parousie, la Résurrection, le Jugement,
l ’Offrande au Père sont des éléments constitutifs de la vie du Royaume de
Dieu et ils seront pour Dieu le couronnement de son Règne terrestre, prélude
de son Règne céleste.
Aucun problème ne se pose alors.
Au contraire de graves difficultés surgissent, comme on le verra plus loin,
dès q u ’on introduit la notion d ’Eschatologie.

I
L’histoire du terme Eschatologie a été retracée dans New Testament
Studies (vol. XVII, n° 4, July 1971, p. 365-390) et sera complétée dans la même
revue par un article à paraître bientôt. On peut donc se borner à la résumer
ici, 1) Ni l ’Ancien Testament, ni le Nouveau Testament, ni les Pères de l ’Eglise,
134 MÉFAJTS DE L ’ESCHATOLOGIE

ni les théologiens jusqu’au début du 19* siècle n ’ont éprouvé le besoin de


recourir à ce concept. 2) L e terme Eschatologie a été fabriqué par
K.G. B r e t s c h n e id e r en 1804 et repris par F. O b e r t h ü r en 1807-1810; il
s’est d ’abord propagé en Allemagne ; un groupe de théologiens Alsaciens l’a
naturalisé en France à partir de 1828 ; en Angleterre il apparaît en 1844 (peut-
être même plus tôt). 3) Vers 1890 A. L o is y et Johannes Wniss (sans doute sous
l ’influence d ’E. Rüuss) identifient le Royaume de Dieu et la Fin du Monde,
ce qui amène A. S c h w e it z e r à confondre Royaume de Dieu et Eschatologie.
4) Malgré certaines résistances, surtout en Angleterre, cette confusion s’est
répandue chez presque tous les exégètes et les théologiens influents. 5) Actuel­
lement, quand on refuse de l ’accepter les yeux fermés, on est considéré comme
un rétrograde.

II
Quoi q u ’il en soit du passé, l ’im portant est de définir le contenu théolo­
gique de ce terme.
B r e t s c h m e id e r et les premiers utilisateurs lui donnent le sens normal
de tous les termes composés avec la finale « logie » : pour eux l’Eschatologie
est la science des choses dernières, tout comme la théologie est la science de
Dieu, la géologie la science de la terre, la biologie la science de la vie, etc.
Ce terme désigne alors de façon synthétique et commode l’étude du traité
appelé en latin « De Novissimis ». Cela est parfaitement légitime.
Mais assez vite, par une curieuse déformation, certains ont employé ce
terme pour désigner non plus l ’étude des choses dernières, mais ces choses
dernières eUes-mêmes'^. Cette « chosification » faisait passer subrepticement
de l ’Eschatologie-science à l ’Eschatologie-objet^. Je n ’ai pas fait de recherches
précises en Allemagne et en Angleterre, mais en France le premier témoin
de ce tour de passe-passe semble être E. S c h é r e r en 1851 et 1854.
La première partie du vocable « eschato... » suscite d ’autres ambiguïtés,
‘ car, le nombre de ces « choses dernières » peut varier selon les auteurs, de trois
(parousie, résurrection, jugement) à huit (mort, parousie, résurrection, juge­
ment, béatitude, damnation, fin du monde, olïrande au Père).
On devrait aussi, mais on ne le fait pas toujours, préciser a) si cette
eschatologie concerne chaque individu en particulier ou bien l ’humanité en
général ou bien les deux à la fois, b) si le jugement et sa sentence atteignent
chacun dès sa m ort ou la collectivité à la fin du monde, ou bien l’un et l’autre*.

1. Toutefois ccite déformation n ’est pas encore admise par tout le monde et H. C azelles,
en 1978, donne encore pour l ’Eschatologie une définition tout à fait acceptable : « L ’Eschato­
logie, c’est un discours, ou du moins une vision, sur les derniers temps » (Messie de la Bible,
p. 191).
2. Dirait-on de quelqu’un qui se promène en forêt : « il se promène en sylvologie »
et de quelqu’un qui ferme la bouche : « il ferme sa stomatologie » ? Quel avantage la science
peut-elle tirer d ’une telle perversion du langage ? Hélas, la psychologie a donné sur ce point
le mauvais exemple, car selon le gros Dictionnaire de P. R obert, elle est tantôt « l ’étude
scientifique des phénomènes de l’esprit », tantôt « les états de conscience, les faits psychiques
eux-mêmes » (vol. V, p. 535).
^3. P. VOLZ, qui n ’admet que l ’Eschatologie collective, affirme catégoriquem ent:
« L ’Eschatologie individuelle est en elle-même une contradiction » (p. 1).
CONFUSIONS 135

Le terme « eschatos » ou « dernier » (on l’oublie trop souvent) n ’a q u ’un


sens relatif et on devrait toujours avoir soin de préciser par rapport à quoi
est calculée cette position de « dernier ». Dans bien des cas, c ’est le présent qui
termine la série envisagée et ainsi « dernier » désigne un passé tout récent, par
exemple dans « ces derniers jours ». Mais on peut aussi parler d ’une série
déjà lointaine dans l ’histoire, par exemple « les derniers jours de César », ou
d ’une série qui se perd dans un avenir illimité : « les derniers jours du monde ».
Ainsi, dans l’Epître aux Hébreux 1,2 : « Dieu nous a parlé par son fils à la fin
de ces jours », l’auteur ne suppose pas nécessairement q u ’il vit dans les derniers
temps du monde, il peut aussi opposer le passé lointain des prophètes d ’Israël
au passé récent de la mission de Jésus. Donc, le terme « eschatologie », peut
théoriquement concerner soit le présent soit l’avenir. Et nous verrons que cette
confusion n ’est pas chimérique"^.
De même, dans l ’Ancien Testament la formule b ’h r y t hymym, qui est
souvent traduite par « à la fin des jours », « at the end of thc days » ou « am
Ende der Tage », signifie en réalité « dans la suite des jours », donc
« à l ’avenir »*, et l’on ne devrait l ’appliquer à la Fin du Monde que si le con­
texte le précise explicitement, ce qui n ’est généralement pas le cas*.
D ’autres complications, qui ne devraient pas exister, mais qui existent
en fait, proviennent de confusions supplémentaires : 1) Les prévisions chré­
tiennes sur la Fin du Monde n ’ont pas le même contenu que celles des autres
religions et donc le terme « Eschatologie », créé en fonction de la pensée
chrétienne, ne devrait pas, logiquement, être appliqué à d ’autres religions. —
2) Le Messianisme, qui concerne la venue et l’activité du Messie, n ’a rien
à voir avec la Fin du Monde (à moins q u ’on ne suppose, gratuitement, que
l’arrivée de ce Messie termine l ’histoire du monde), et pourtant combien
d ’auteurs assimilent plus ou moins le Messianisme à l ’Eschatologie'’ !. —
3) L ’Apocalyptique devrait encore moins entrer ici en ligne de compte, car
elle est simplement un genre littéraire qui décrit l ’avenir à l ’aide de révélations
.%■ plus ou moins symboliques. Mais une tendance assez répandue limite le champ
de l'Apocalyptique à la Fin du Monde, et ensuite se permet de l ’assimiler
à l’Eschatologie. — 4) Les philosophes ayant des notions différentes sur le
temps et sur l’histoire, elles rejaillissent pour eux sur l’histoire de la fin des

4. G.B. C airo , qui a bien étudié ce problème, va jusqu’à dire : « Au moins 90 % de ce


que nous appelons eschatologie dans la Bible n ’a rien à voir avec un eschaton dans ce sens
strict » (p. 221 )... « Il est donc inévitable q u ’il y ait des eschatologies d iv e i^ s dans le Nouveau
Testament » (p. 227).
5. Le véritable sens de cette formule a déjà été précisé par W, S t a e r k en 1891 et confirmé
par B.D. E e rd m a n s en 1947 (p. 322), par R. P a u t r e l en 1949 (col. 1324-1325), par
A. H u l t g â r d en 1977 (p. 85-86) et surtout par H. K o sm a la en 1963 : « Aucun passage de
l ’Ancien Testament qui a b ’h r v t h y n iy m n'est eschatologique au sens où nous employons
ce terme » (p. 29).
6. Voir J. L in d b l o m et la Revue de Q um rân, (n° 25, tome V il, fasc. 1, décembre 1969,
p. 20-22).
7. Ainsi un ouvrage (par ailleurs excellent) d ’Anders H ultgàrd s’intitule « L ’eschato­
logie des Testaments des Douze Patriarches », alors qu'il parle presque uniquement du
messianisme et q u ’il consacre à peine quelques pages à la Fin du Monde.
136 MÉFAITS DE L’ESCHATOLOGIE

temps et chacun la conçoit à sa façon, en harmonie avec son propre système ;


pour certains elle est même une notion supra-historique et a-temporelle®.

III
A cause de toutes ces amphibologies, plusieurs théologiens ont déjà
protesté contre l’emploi d ’un terme aussi équivoque :
En 1918, M.J. Lagrange : « Il est extrêmement difficile de sortir de la
confusion c r ^ par le mot eschatologique » (Sens du Christianisme, p. 233).
En 1936, F. H olmstrôm intitule un chapitre « Les multiples significations
du concept d ’Eschatologie » et il le conclut en regrettant q u ’elles soient
« illimitées ».
En 1940, G. D elling : « Le mot Eschatologie ne devrait plus être employé
pour l’attente du futur chez Jésus ».
En 1945, M c Cow n , qui appelle l ’Eschatologie un terme « comfortable »
(au sens anglais) : « L ’extension du terme Eschatologie... a seulement augmenté
immensément une indescriptible confusion... Plus vite le m ot « Eschatologie »
disparaîtra de la terminologie théologique et sera confiné à la description
positive d ’anciennes opinions intenables qui ne contribuent en rien à notre
compréhension de l’univers et de Dieu, plus rapidement on pourra progresser »
(p. 166).
En 1953, W.A. W iutehouse : « On suppose parfois que la théologie de la
personne et de l’action du Christ inclut de multiples facteurs qui n ’ont que peu
ou rien à voir avec le problème des « choses dernières » au sens strict ; aussi on
contribuerait à la clarté si l’on n ’utilisait pas le terme « Eschatologie » pour
des questions relatives à ce niveau » (p. 71). Et à la page suivante il appelle
l’Eschatologie un « terme-parapluie ».
En 1961, James Barr : « Il ne me semble pas injuste de signaler que,
en dehors de la recherche biblique, le vocabulaire de la théologie biblique
développe une sorte de rhétorique particulière, où reviennent interminablement
certains termes favoris (comme « Heilsgeschichte », « Alliance » et « Escha­
tologie ») dont le sens m ouvant fait des mots passe-partout plutôt que d ’utiles
moyens de communication » (p. 281).
En 1964, N.A. D ahl : « Divers théologiens ont eu tendance à qualifier
d ’eschatologique tout ce qui a rapport au Christ. La signification du m ot
« Eschatologie » est devenue si chatoyante q u ’il devrait être permis à un homme
étranger à la langue allemande^ de revenir aux usages anciens » (p. 3).
En 1966, M. D e J onge : « L ’étude des attentes juives concernant le futur
est grandement entravée par le manque d ’accord dans la terminologie... Les

8. H.W. ScH^^DT, cité par O. C ullmann (La pensée eschatologique... p. 352) :


« L ’eschatologie c ’est l’histoire des actes divins qui relie l’éon présent à celui qui viendra.
H n ’y a pas rupture entre les deux éons ; l’eschatologie les unit. Elle prend ainsi une valeur
actuelle sans perdre son sens temporel ». Autre jolie définition, toute récente, par G . C respy :
« J ’appelle eschatologie (à l'intérieur de la théologie) la réflexion sur le fait que rien de ce qui
a commencé, dans l ’histoire, n'est parvenu à son terme, de sorte que non seulement l’avenir
est ouvert à l’espérance, mais que la plénitude des sens n ’est pas encore donnée » (p. 4).
9. N.A. D ahl est Norvégien et il enseigne aux Etats-Unis, mais ce texte est rédigé en
allemand.
PROTESTATIONS 137

termes « Eschatologie » et « eschatologique » ne devraient pas être employés


avec des connotations modernes dépendantes de théories philosophiques ou
théologiques sur la relation entre l’histoire et l ’au-delà de l ’histoire... Nous
devons faire attention à ne pas compromettre notre analyse par une termino­
logie inadéquate » (p. 132-133).
En 1970, G. W a n k e publie une vigoureuse protestation dont le titre est
significatif : « Eschatologie : Un exemple de confusion du langage théologique ».
W ‘■ A ce concert de lam entations, d o n t les voix sont surto u t britanniques
ou Scandinaves, je m ’associe entièrem ent.
ïï'
IV

Mais surtout, par une curieuse évolution, l ’Eschatologie est venue compli­
quer le problème du Règne ou du Royaume de Dieu.
Pour des raisons historiques, que d ’autres sans doute chercheront à
analyser, un amalgame progressif a combiné la notion de basileia tou théou
avec celle de la Fin du Monde, puis celle de la Fin du M onde avec celle d ’Escha-
tologie, si bien que peu à peu on est arrivé à confondre le Règne ou le Royaume
de Dieu et l’Eschatologie et ainsi à fausser complètement ces notions.
La situation théologique est sur ce point si grave et si invraisemblable
q u ’il ne suffit plus de la dénoncer. L’expérience prouve que des esprits par
ailleurs judicieux s’enferment dans une incrédulité souriante dès q u ’on ose
contester devant eux l ’équation Royaume de Dieu = Fin du Monde.
t:- Aussi, pour essayer d ’ouvrir les yeux à ceux qui conservent suffisamment
d ’esprit critique, faut-il entreprendre une enquête historique qui essaie de
déceler les perturbations provoquées par cette fâcheuse invention de
l ’Eschatologie.
Cette enquête ne prétend nullement être complète. Son but est seulement
de montrer, par des exemples concrets, comment plusieurs synthèses théolo­
giques ont été perturbées par cette intrusion de l’Eschatologie.
En attendant que soit écrite une vaste histoire de l’Eschatologie, je me
contenterai de choisir certains auteurs, dont l’influence a été considérable, et,
sans dresser un portrait exhautif de leur pensée, de constater comme elle a été
déviée par l ’influence des théories eschatologiques. On pourra comprendre
alors pourquoi les conclusions dégagées dans la première partie de cet ouvrage
au sujet du Règne et du Royaume de Dieu ne sont plus à la mode actuellement.
CHAPITRE XVI

Formation d’une erreur :


Reimarus, Strauss, Reuss, Renan
Le Nouveau Testament associe plusieurs fois la basileia tou théou aux
événements de la Fin du M onde (voir ci-dessus, p. 45,55,62,97). Nul ne conteste
donc q u ’il y ait un rapport intime entre ces deux notions. Mais le Nouveau
Testament présente aussi cette basileia comme passée (p. 95-96,120) ou comme
présente au temps de Jésus (p. 96,120-121). Et donc on viole (ou l’on escamote)
ces textes lorsqu’on r e s t r e in t le Règne ou le Royaume de Dieu à leur aspect
futur et q u ’on les identifie aux événements qui constitueront cette Fin du
Monde. Dire que le Règne et le Royaume de Dieu, qui existent déjà m aintenant,
existeront encore à la Fin du Monde, c ’est parfaitement légitime et c ’est en
plein accord avec tout le Nouveau Testament. Mais dire que le Règne et le
Royaume de Dieu n ’existent pas vraiment dès m aintenant et qu’ils n ’existeront
q u ’à la Fin du Monde, c ’est fausser gravement la pensée de Jésus et des Apôtres.
Plusieurs auteurs ont contribué à cette déviation. Sans les recenser tous,
voyons rapidement les plus connus ou les plus influents.

1) Reimarus

Hermann Samuel R e im a r u s (1694-1768) a laissé à sa m ort des papiers,


publiés par L e s s in g , qui soumettent le Nouveau Testament à une impitoyable
critique rationaliste. Dans le fragment sur « Le but de Jésus et de ses disciples »,
il étudie le « Royaume des Cieux » aux n*” 29 à 33 (p. 261-269). Son raisonne­
ment est simple : au temps de Jésus l’ensemble du peuple ju if attendait le
Royaume du Messie, qui serait fondé par Dieu, où Dieu serait le souverain
théorique, mais où le pouvoir serait en pratique transmis au Messie (n® 29,
p. 262) ; les auditeurs et les disciples de Jésus, quand ils entendent annoncer
la venue du Royaume des cieux, comprennent que le Messie devait bientôt
paraître et inaugurer son Règne (n" 29, p. 262-263) ; quand Jésus envoie ses
disciples prêcher, ceux-ci proclament « l ’agréable nouvelle de l’arrivée prochaine
du Messie attendu » (n" 30, p. 263) ; pour les uns comme pour les autres, le
Royaume du Messie ou de Dieu ou des Cieux ne pouvait concerner que le
peuple d ’Israël, à l’exclusion de tous les païens (n® 30, p. 264) ; après la mort
de Jésus, les Apôtres doivent, « en une paire de jours » (n° 33, p. 268), trans­
former complètement leur espérance déçue et la reporter sur le salut spirituel
de tout le genre humain par la m ort d ’un Messie souffrant (n“ 30, p. 264-265) ;
comme les Evangélistes n ’ont écrit q u ’après ce retournement, ils ont naturelle­
REIMARUS 139

ment projeté dans le passé et mis sur les lèvres de Jésus leurs conceptions
nouvelles (n° 31, p. 265-266) ; on ne doit donc pas en tenir compte sur ce point
(n“ 33, p. 268-269).
Cette théorie de R eimarus est d ’autant plus logique q u ’elle récuse tous
les documents existants et q u ’elle reconstitue l ’histoire telle q u ’il voudrait
q u ’elle soit. Mais son point de départ est faux, car elle repose sur l’habituelle
confusion entre Royauté, Règne et Royaume. Au temps de Jésus le peuple
ju if n ’attendait pas le Royaume de Dieu. Certes on connaissait les textes de
l ’Ancien TesUment qui proclament que Dieu est roi, on désirait la manifesta­
tion de cette Royauté de Dieu, deux formules mishniques parleront plus tard
du Règne de Dieu (voir ci-dessus, p. 18,19,88), mais jam ais il n ’est question
du Royaume de Dieu ou du Messie au sens du Nouveau Testament. R eimarus
ne pouvait évidemment pas connaître comme nous les textes de Qumrân et
il n ’avait pas encore une concordance de F lavius J osèphe. Mais il aurait
au moins pu et dû s’apercevoir que sa construction reposait sur une base
extrêmement fragile. Pour « prouver » que l ’ensemble du peuple ju if attendait
w le Royaume du Messie, il ne fournit que deux textes (n® 29, p. 262) : 1) Le
premier est le Targum de Michée 4,7, où le texte massorétique porte ; « le
Seigneur régnera sur eux dans la montagne de Sion », et où le Targum de
Jonathan trad u it: « la royauté du Seigneur se manifestera sur eux dans la
montagne de Sion » ‘. 2) Le second argument invoque le commentaire de
Zacharie 14,9 dans le Yalqout Shim'oni, folio 178, col. 1^. Or voici le texte
q u ’on trouve à la référence indiquée (n® 585)^ : « Le Seigneur est le Dieu,
surtout ( ’b l) pour le monde à venir, quand régnera sur nous le Saint, béni
soit-il ». Ces deux textes se bornent donc à reprendre une pensée exprimée çà
et là dans l ’Ancien Testament (Exode 15,18; Psaume 146,10): Dieu possède
la Royauté et il l ’exercera un jo u r en régnant sur son peuple. Mais : 1) aucune
■M/ précision n ’est donnée sur ce R ègne; 2) le contexte montre q u ’il ne s’agit
pas du Royaume de Dieu ; 3) la rareté de ces textes m ontre q u ’ils n ’expriment
pas une des idées fondamentales de la pensée juive, comme on voudrait nous
Je faire accroire. Comment un historien pourrait-il, à partir de ces deux textes
insignifiants construire tout un système qui récuse le témoignage des Evangiles
et qui se permet de lui substituer une théorie purement imaginaire ? Et pourtant
les vues de R eimarus auront un succès considérable et exerceront une énorme
influence !

2) Strauss

David Friedrich S t r a u s s (1808-1874) a réalisé en 1835 le grand ouvrage


dont R e im a r u s n ’avait laissé que des fragments. En ce qui concerne le Royaume
de Dieu il cite explicitement R e i .m a r u s et il le résume avec complaisance
(vol. I, p. 526-528). Puis il présente les arguments de ceux qui distinguent

1. N ous savons maintenant, grâce aux recherches de K .G. K u u n (Basileia, p. 570),


q u ’en 5 autres passages (IsaTe 24,23; 31,4; 40,9; 52,7; 2^charie 14,9) reparaît la même
formule targoumique ; mais chaque fois il s ’agit de la Royauté et jam ais du Royaume.
2. Ce Yalqout Shim'oni est une compilation faite en Allemagne au 12' ou 13' siècle
(après Jésus-Christ). Les principales éditions en sont présentées par M. K r u p p .
3. D ans l ’édition de Varsovie, c ’est au vol. II, folio 87, col. 2. Le texte est identique,
sauf pour les abréviations.
140 f o r m a t i o n d ’u n e k r r f . u r

« une forme antérieure et une forme postérieure du plan de Jésus » : « Bien


que l’am élioration morale et l ’élévation religieuse de son peuple eussent été
de tout temps son but principal, cependant il avait, au commencement de son
ministère public, conçu l’espérance de renouveler, par le moyen de cette
renaissance intérieure, la gloire extérieure de la théocratie, une fois q u ’il
aurait été reconnu comme le Messie par la nation, et revêtu, en cette qualité,
de la suprême autorité ; mais, lorsque cette espérance eut échoué, il comprit
que Dieu rejetait toute direction politique du plan messianique, et, en consé­
quence, il l’éleva à un plan purement spirituel » (vol. I, p. 529). Finalement,
S t r a u s s n ’adopte aucune de ces deux explications, qui attribuent l’une aux
apôtres, l ’autre à Jésus, le passage d ’un rêve politique sur Israël à un règne
religieux sur le genre humain. Sans le dire explicitement, il semble s’orienter
vers une solution mythique : les allégations des Evangiles seraient des fictions
plus ou moins imaginaires.
Cette évolution se poursuivit dans la pensée de S t r a u s s et en 1864 il
publia une « Vie de Jésus pour le Peuple Allemand », qui accentue les tendances
de son premier ouvrage. Cette fois l’interprétation mythique est longuement
exposée. C ’est par erreur que Jésus s’est attribué un rôle imaginaire dans un
futur cataclysme universel : « (Jésus) annonce q u ’il viendra dans les nuées
du ciel, dans la magnificence de Dieu et à la tête des anges, réveiller les morts,
juger les vivants et les morts, et inaugurer son royaume, le royaume de Dieu
ou des cieux » (vol. I, p. 309)... « Jésus considérait son retour comme extrême­
ment rapproché... Et la crise finale aurait lieu aussitôt après la destruction de
Jérusalem, qu’il avait également prédite. Jésus se serait donc au moins fortement
trompé quant à la date... Mais cela d ’ailleurs n ’importe pas, puisque nous
n ’avons pas besoin de l’expérience pour affirmer l ’impossibilité du retour
d ’un homme sur les nuées » (I, p. 310-311)... « (Jésus) place évidemment le
royaume des cieux, non pas au temps où il vivait, mais dans une période
nouvelle, que Dieu amènerait miraculeusement » (I, p. 315)...
Loyalement, S t r a u s s reconnaît que dans certains passages (Matthieu
11,12 ; 12,28 ; Luc 16,16 ; 17,21) « le royaume de Dieu s’entend comme existant
déjà ici-bas, comme fondé et ouvert par Jésus pendant sa vie terrestre » (I,
p. 315-316).
Mais il conclut : « Jésus séparait ce monde-ci, préliminaire et défectueux,
et le monde transcendant, accompli et définitif ; cette vie-ci, temps d ’efforts
et d ’épreuves, et une vie future, période de rémunération. Ajoutons q u ’il
rattachait la péripétie à une révolution cosmique, miraculeusement amenée
par Dieu. Tous les Evangiles expriment cela très nettement ; nous ne pourrions
le contester sans leur retirer toute valeur historique... Si Jésus se croyait le
Messie, et si, à ce titre, il s’appliquait la prophétie de Daniel, il devait nécessai­
rement s’attendre à revenir un jo u r porté sur les nuages » (1, p. 316-317).

3) Reuss
Edouard R euss (1804-1891) était Alsacien et enseignait ou écrivait aussi
bien en allemand qu’en français"^. Il faisait partie d ’un groupe de théologiens

4. On pourra consulter sur lui Théodore G e r o l d , « Edouard Rnuss. Notice biogra­


phique » (Fischbacher, Paris, 1892), avec une bonne bibliographie des œuvres de R e u ss aux
pages 73-87.
REUSS 141

très actifs qui illustrèrent alors la Faculté de Théologie Protestante de


Strasbourg. Les membres de ce groupe furent même pendant longtemps les
seuls en France à parler de l’Eschatologie à la suite de Jacques M a t t e r en
1828. Edouard R eu s s , qui enseigna à Strasbourg depuis 1835, fut d ’abord
trop absorbé par scs tâches universitaires pour publier abondamment. Mais
quatre de ses élèves mentionnent l’Eschatologie dans leurs thèses:
Christian B a r t h o l m è ss et Jean H o e p f f n e r en 1838, Charies-Hcnri H h n t z
en 1839, Edmond S c h é r e r en 1843. Et même celui-ci transforme en 1851, la
signification du terme « Eschatologie », qui sous sa plume en vient à désigner
non plus « la connaissance des choses dernières », mais ces choses dernières
elles-mêmes.
R e u s s , lui, commence à parler de l’Eschatologie en 1842 dans un ouvrage
allemand (« Die Geschichte der Heiligen Schriften Neuen Testaments »), et
en 1850 dans un article français (« Parallèle entre les apôtres Paul et Jean
considérés comme théologiens »). Il imagine chez les contemporains de Jésus
une ferveur eschatologique dont aucun document ne témoigne : « On sait la
ténacité avec laquelle l ’Eglise, restée judéo-chrétienne à cet égard, a conservé
à peu près intacte l’eschatologie de la Synagogue pharisaïque: parousie à
grand spectacle^, résurrection universelle, jugement dernier, paradis et enfer
pleins de jouissances matérielles et de douleurs du corps » (article de 1850, p. 42).
En 1852 R e u ss publie une « Histoire de la Théologie chrétienne au siècle
apostolique », qui reprenait ses cours à l’université et où s’étalent de réelles
contre-vérités : le Messianisme est confondu avec {'Eschatologie, même chez
les Juifs (vol. I, p. 132-143 ; vol. II, p. 17, p. 230) ; l’Eschatologie devient une
des dominantes de la pensée juive au temps de Jésus (vol. I, p. 137, 260, 292,
313, 352; vol. II, p. 161, 220, 462, 464, 499, 622, 655); le Royaume de Dieu
est confondu avec l’Eschatologie (vol. I, p. 183)®. Plus tard, à partir de la
5 ' édition’ de son Histoire des Ecrits du Nouveau Testament (en 1874),
R eu ss dit carrément : « Au sujet des idées eschatologiques nous renvoyons
.ïjg . aux ouvrages sur la basileia » (p. 18). R eu s s est vraiment le père de l’eschato-
logisme. Comme il a été un écrivain très fécond, son influence a certainement
été considérable en Allemagne, en France et aussi en Angleterre, où ses prin­
cipales œuvres ont été traduites.

5. Quel document permet de voir une telle « parousie à grand spectacle » dans l ’attente
messianique du peuple juif et surtout quel document suggère que ce Messianisme soit une
Eschatologie ?
6. Certaines formules de R e u ss constituent des aveux d ’une délicieuse naïveté : « Ainsi,
les idées eschatologiques ordinaires du christianisme primitif m anquent dans l ’Evangile de
Jean » (vol. II, p. 459)... « La saine exégèse ne doit-elle pas supposer (sic) que Jésus dans ses
enseignements eschatologiques s’est volontairement servi d ’expressions qui rappelaient le
matérialisme (sic) des croyances populaires ? » (vol. II, p. 462, note l),.. « Le nom de royaume
de Dieu, nom emprunté également à l’eschatologie populaire (sic), ne se trouve dans nos
textes que lorsque Jésus est amené à se servir de locutions usuelles » (vol. II, p. 463)... « Ce qui
prouve, du reste, q u ’il n ’est pas question d ’eschatologie » (vol. II, p. 463)... « Ce système n ’a
pas de place pour les notions eschatologiques vulgaires (sic) » (vol. II, p. 464)... Une autre
phrase de R e u ss nous stupéfie, maintenant que nous connaissons les documents de Qumrân :
« Quand on songe à quel degré inférieur de culture intellectuelle, morale et religieuse se
trouvaient les populations au-xquelles il ( = Jésus) s’adressait... » (Histoire Evangélique, p. 192).
7. Les 4 éditions précédentes ne contiennent pas cette phrase. Je remercie M. le D r
H ubert K l e in , de la Bibliothèque d e Berlin, d ’avoir fait pour moi cette vérification.
142 f o r m a t io n d ’u n e erreur

En particulier, un de ses élèves de Strasbourg, Albert R é v il l e (1826-1906)


sera un actif propagateur des vues de son ancien maître. Ainsi R é v il l e écrivait
en 1858 : « Lorsqu’une telle croyance (à la proximité de la Parousie) a pénétré
à ce point une société religieuse q u ’elle a été si longtemps l’angle visuel sous
lequel se présente l ’avenir immédiat, les yeux y sont habitués : ce n ’est que
lentement, très lentement, q u ’elle diminue d ’abord en puissance pour laisser
place enfin à de tout autres perspectives »® (Etudes sur Tertullien, IV, p. 83).

4) Renan

Ernest R e n a n (1823-1892) a rédigé sa Vie de Jésus pendant l’été 1861


« à la hâte, dans une cabane maronite avec cinq ou six volumes autour de (lui) »
(Introduction, p. Liv).
Cet ouvrage a exercé une énorme influence Donc, même s’il n ’exprime
pas toute la pensée de R e n a n , c ’est lui qui l’a propagée le plus efficacement^®.
Le style enchanteur de R jenan drape souvent une pensée indécise. Plus
encore que S t r a u s s , il a compris l ’importance du Royaume de Dieu dans
l ’Evangile. Lui aussi il distingue deux aspects dans la pensée de Jésus, tout en
reconnaissant que ses intentions furent toujours purement religieuses : tantôt
Jésus croyait, à tort, que la Fin du Monde allait éclater bientôt, tantôt
il envisageait une prolongation illimitée de son œuvre.
« Ce nom de « royaume de Dieu » ou de « royaume du ciel » fut le terme
favori de Jésus pour exprimer la révolution q u ’il apportait en ce monde »
(p. 78)... « Dans les derniers temps de sa vie, Jésus crut que ce règne allait
se réaliser matériellement par un brusque renouvellement du monde. Mais
sans doute ce ne fut pas là sa pensée première. La morale admirable q u ’il
tire de la notion du Dieu père n ’est pas celle d ’enthousiastes qui croient le
monde près de finir et qui se préparent par l ’ascétisme à une catastrophe
chimérique ; c ’est celle d ’un monde qui veut vivre et qui a vécu » (p. 79)...
« La conception réaliste de l’avènement divin n ’a été q u ’un nuage, une erreur
passagère que la m ort a fait oublier. Le Jésus qui a fondé le vrai royaume de
Dieu, le royaume des doux et des humbles, voilà le Jésus des premiers jours »
(p. 80)...
Le chapitre VII tout entier (p. 113-129) est consacré au « Développement
des idées de Jésus sur le royaume de Dieu ». «A ttendre le royaume de Dieu sera
synonyme d ’être disciple de Jésus » (p. 116)... « L ’avènement de ce règne du bien
sera une grande révolution subite. Le monde semblera renversé... Les premiers
seront les derniers. Un ordre nouveau gouvernera l ’humanité » (p. 117)...
« La persuasion q u ’il ( = Jésus) ferait régner Dieu s’empara de son esprit d ’une

8. Comment R é v il l e pouvait-il concilier une telle affirmation avec Marc H ,32


( = Matthieu 24,36); Actes 1,7; I Thessal. 5,1-2; II Thessal. 2,2-12?
9. P. A lfaric dit (p. IX ) que la Vie de Jésu.s de R enan « est sans doute, parmi les grandes
œuvres de notre littérature, celle qui a obtenu le succès le plus prom pt et le plus décisif ».
Sans parler de nombreuses traductions en langues étrangères, 135 éditions françaises ont été
vendues en 60 ans.
10. Comme il est dit plus haut (p. 137) ces notices ne prétendent point retracer l’évo­
lution personnelle des auteurs q u ’elles mentionnent, mais seulement établir des jalons
significatifs qui marquent les points essentiels de l’histoire de la notion d ’Eschatologie.
RENAN 143

manière absolue. Il s’envisagea comme l’universel réformateur... Dans son


accès de volonté héroïque, il se croit tout-puissant. Si la terre ne se prête pas
à cette transformation suprême, la terre sera broyée, purifiée par la flamme
et le souffle de Dieu » (p. 118-119).., « C ’est bien le royaume de Dieu, en effet,
je veux dire le royaume de l’esprit, qu’il fondait » (p. 121)... « Q u’il y eut une
contradiction entre la croyance d ’une fm prochaine du monde et la morale
habituelle de Jésus, conçue en vue d ’un état stable de l’humanité... c’est ce
q u ’on n ’essayera pas de nier » (p. 126)... « Jésus, en même temps q u ’il annonçait
un bouleversement sans égal dans les choses humaines, proclamait les principes
sur lesquels la société repose depuis dix-huit cents ans. Ce qui distingue, en
effet, Jésus des agitateurs de son temps et de ceux de tous les siècles, c ’est son
parfait idéalisme » (p. 127)... « A qui s’adresser, sur qui compter pour fonder
le règne de Dieu ? La. pensée de Jésus en ceci n ’hésita jamais... Les fondateurs
du royaume de Dieu seront les simples... des femmes, des hommes du peuple,
des humbles, des petits » (p. 128)...
Plus loin le chapitre XI (p. 178-194) présente le « royaume de Dieu conçu
comme l ’avènement des pauvres ». « Le royaume de Dieu est fait : 1) pour les
enfants et pour ceux qui leur ressemblent ; 2) pour les rebutés de ce monde... ;
3) pour les hérétiques et schismatiques, publicains, samaritains, païens de Tyr
et de Sidon » (p. 178-179).,. « Il ( = Jésus) ne perdait aucune occasion de répéter
que les petits sont des êtres sacrés, que le royaume de Dieu appartient aux
enfants, q u ’il faut devenir enfant pour y entrer, q u ’on doit le recevoir en
enfant » (p. 122)...
Enfin le chapitre XVII (p. 270-289) expose la « Forme définitive des idées
de Jésus sur le royaume de Dieu ». « L’idée fondamentale de Jésus fut, dès son
premier jour, l’établissement du royaume de Dieu. Mais ce royaume de Dieu...
Jésus paraît l’avoir entendu dans des sens très divers. Par moments, on le
prendrait pour un chef démocratique, voulant tout simplement le règne des
pauvres et des déshérités. D ’autres fois, le royaume de Dieu est l’accomplisse­
ment littéral des visions apocalyptiques de Daniel et d ’Hénoch. Souvent,
enfin, le royaume de Dieu est le royaume des âmes et la délivrance prochaine
est la délivrance par l ’esprit... Toutes ces pensées paraissent avoir existe à la
fois dans la conscience de Jésus » (p. 270-271)... « Ses deux conceptions du
royaume de Dieu se sont appuyées l’une l’autre, et cet appui réciproque a
fait son incomparable succès » (p. 272)... « Par une illusion commune à tous
les grands réformateurs, Jésus se figurait le but beaucoup plus proche q u ’il
n ’était » (p. 278)... « Si la doctrine de Jésus n ’avait été que la croyance à une
prochaine fin du monde, elle dorm irait certainement aujourd’hui dans l’oubli...
Le monde n ’a point fini, comme Jésus l ’avait annoncé, comme ses disciples
le croyaient. Mais il a été renouvelé, et en un sens renouvelé comme Jésus
le voulait. C ’est parce q u ’elle était à double face que sa pensée a été féconde.
Sa chimère n ’a pas eu le sort de tant d ’autres » (p. 281-282)... « Ce vrai royaume
de Dieu, ce royaume de l’esprit, qui fait chacun roi et prêtre ; ce royaume qui,
comme le grain de sénevé, est devenu un arbre qui ombrage le monde... Jésus
l’a compris, l’a voulu, l ’a fondé » (p. 282)... « Souvent il déclare que le royaume
de Dieu est déjà commencé, que tout homme le porte en soi et peut, s’il en est
digne, en jouir, que ce royaume chacun le crée sans bruit par la vraie conver­
sion du cœur. Le royaume de Dieu n ’est alors que le bien, un ordre de choses
meilleur que celui qui existe, le règne de la justice, que le fidèle, selon sa mesure,
doit contribuer à fonder » (p. 284)... « En acceptant les utopies de son temps
et de sa race, Jésus sut ainsi en faire de hautes vérités, grâce à de féconds
144 f o r m a t io n d ’u n e erreur

malentendus. Son royaume de Dieu, c ’était sans doute la prochaine apo­


calypse qui allait se dérouler dans le ciel. Mais c ’était encore, et probablement
c ’était surtout, le royaiune de l’âme » (p. 284)... « Quand, au bout d ’un siècle
de vaine attente, l’espérance matérialiste d ’une prochaine fin du monde s’est
épuisée, le vrai royaume de Dieu se dégage. De complaisantes explications
jettent un voile sur le règne réel qui ne veut pas venir » (p. 285)... « Le m ot de
« royaume de Dieu » exprime, d ’un autre côté, avec un rare bonheur, le besoin
q u ’éprouve l’âme d ’un supplément de destinée, d ’une compensation à la vie
actuelle » (p. 288)...
Dans sa conclusion, au chapitre XVIII, sur le « Caractère essentiel de
l ’œuvre de Jésus » (p. 442-459), R e n a n résume ainsi sa pensée : « Le royaume
de Dieu, tel que nous le concevons, diffère notablement de l ’apparition sur­
naturelle que les premiers chrétiens espéraient voir éclater dans les nues. Mais
le sentiment que Jésus a introduit dans le monde est bien le nôtre. Son parfait
idéalisme est la plus haute règle de la vie détachée et vertueuse. Il a créé le
ciel des âmes pures, où se trouve ce q u ’on demande en vain à la terre, la par­
faite noblesse des enfants de Dieu, la pureté absolue, la totale abstraction des
souillures du monde, la liberté enfin » (p. 445).
Si l ’on veut essayer de situer R e n a n dans l’évolution de la pensée
ihéologique, on est parfaitement renseigné par l’Introduction de sa Vie de
Jésus (p. vi-vn), où il conseille la lecture de 5 ouvrages : la Vie de Jésus par
S t r a u s s , l’Histoire de la théologie chrétienne par R eu ss , les Doctrines reli­
gieuses des Juifs par Michel N ic o l a s , les Etudes critiques sur l ’Evangile de
saint M atthieu par Albert R é v il l e , et la Revue de théologie et de philosophie
chrétienne dirigée par Timothée C o l a n i . Quand on se rappelle que Michel
N ic o l a s , A. R é v il l e et T . C o l a n i *^ sont des élèves de R eu ss et que celui-ci
dépend de S t r a u s s , l’arbre généalogique n ’est pas difficile à établir*^. Voici
d ’ailleurs l’éloge que R e n a n fait de S t r a u s s : « La critique de détail des
textes évangéliques, en particulier, a été faite par M. S t r a u s s d ’une manière
qui laisse peu à désirer... Il est indispensable, pour se rendre compte des motifs
qui m ’ont guidé dans une foule de minuties, de suivre la discussion toujours
judicieuse, quoique parfois un peu subtile, de (son) livre » (Introduction,
p. VIIl).

* *

Malgré l’immense succès de R e n a n , qui reprenait et complétait


R e im a r u s , S t r a u s s et R e u ss , ses idées n ’ont pas été admises partout sans
résistance.
Au fond, deux erreurs fondamentales viciaient le raisonnement de ces
auteurs : a) Partant de préjugés rationalistes, ils éliminaient (consciemment

1 ). Ces trois auteurs sont étudiés plus en détail dans un article à paraître : « Rectification
d ’une erreur concernant l’Eschatologie », dans New Testament Studies.
12. P. A lfakic précise quel parti R enan a tiré de ces auteurs, ainsi que de certains
autres q u ’il oublie de mentionner (p. xxxvi à XLrv), Le même ouvrage reproduit un carnet de
notes où R enan a dépouillé la Vie de Jésus de Strauss (p. 59-62). A i'index alphabétique
(p. 379-380) les références précises à chaque auteur sont énumérées. D ’autres renseignements
sont fournis par J. PoMMinR.
FAUTES DE RAISONNEMENT 145

OU non) les textes du Nouveau Testament qui les gênaient et qui ne s’harmoni­
saient pas avec leurs synthèses préconçues, b) Ils imaginaient q u ’aux abords
de l’ère chrétienne les Juifs étaient obsédés par l’attente du Royaume de Dieu
et de la Fin du M onde et que Jésus avait partagé leurs illusions. R e im a r u s
n ’appuyait cette théorie que sur deux citations sans valeur démonstrative
(voir p. 139) et R e n a n y ajoutait un vague renvoi à Daniel et au Livre
d ’Hénoch (voir p. 143).
La première de ces fautes de raisonnement a été si souvent dénoncée et
stigmatisée par les controversistes catholiques ou protestants, q u ’on aurait
mauvaise grâce à insister. Q u’on suspecte l’authenticité d ’un passage sur lequel
les manuscrits, les anciennes versions ou les citations des Pères de l ’Eglise
ne sont pas unanimes, c ’est normal. Mais quand un texte est bien attesté dans
l ’ensemble des témoins, on n ’a pas le droit de l’éliminer, sous prétexte q u ’il
ne s'accorde pas avec telle ou telle conception théologique moderne. Agir
ainsi, c ’est violer les méthodes scientifiques. Et alors les conclusions obtenues
doivent être considérées comme non-démontrées.
La seconde faute de raisonnement, qui ne pouvait être décelée que par
de vrais connaisseurs, n ’est pas non plus passée inaperçue. Ainsi, Timothée
CoLANi (1828-1888), bien q u ’ancien élève de R e u ss , réagissait contre la Vie
de Jésus de R e n a n en l ’attaquant sur ce point particulièrement vulnérable.
Avec un remarquable sens historique, C o l a n i objecte (un siècle avant les
découvertes de Qumrân !) que les contemporains de Jésus ne rêvaient pas
ainsi de la Fin du M onde et que Jésus donnait à son Royaume une signification
bien dilTérente*^.
« (Selon R e n a n ) la qualité de président des assises finales de l’humanité
fut le rôle essentiel q u ’il [= Jésus] s’attribua. Bientôt, sans doute, il comprit
q u ’il serait victime de sa hardiesse, mais il pensa q u ’après sa mort il reviendrait
subitement, accompagné de légions d ’anges, juger les hommes et séparer les
bons d ’avec les méchants. M. R e n a n ne dit pas clairement si Jésus puisa cette
idée apocalyptique dans les illusions de son esprit ou dans les superstitions
de son entourage. J ’espère avoir montré, par les pages qui précèdent, l ’impossi­
bilité de l’une et de l’autre hypothèse : il n ’y a dans les discours authentiques
de Jésus aucune notion qui, tenant au fond même de sa pensée, ait pu devenir
le germe de pareilles rêveries ; il n ’y a dans les documents antérieurs ou même
postérieurs à Jésus aucune trace que les Juifs aient jam ais attribué au Messie
le rôle de président des assises finales de l ’humanité » (p. 165).
T. C o l a n i ne se contente pas de cette réfutation. Il dégage lui-même les
traits principaux du Royaume de Dieu tel q u ’il l ’aperçoit et il montre q u ’il
existait déjà lors de la prédication de Jésus : « Le jo u r arrive où Jésus ne dit
plus seulement que le royaume du Messie approche : il est déjà venu, il a déjà
commencé. Jean-Baptiste marque la limite entre les temps anciens et les temps
nouveaux : c’est jusqu’à lui que vont la loi et les prophètes ; depuis le grand
précurseur, quiconque usant de violence sait se dépouiller des idées anciennes
peut pénétrer dans le royaume. Les œuvres de Jésus prouvent à elles seules
que les temps messianiques sont accomplis » (p. 61)... « Jésus croit m aintenant

13. T. C olani ne pouvait guère reprocher à R enan et aux autres leur habile triage des
textes, c ar nous verrons plus loin (p. 180) q u ’il p ratiquait lui-m êm e cette m éthode.
146 FORMATION d ’UNE ERREUR

que l ’avènement du royaume messianique se confond avec l ’avènement de sa


doctrine ou plutôt de la vie nouvelle, vie de paix et de joie, q u ’il apporte au
monde... Si le christianisme est le royaume, comment s’étonner de l ’autorité
souveraine avec laquelle parle Jésus et de l’immense valeur q u ’il attribue à son
enseignement, à la parole du royaume ? » (p. 62)... « Son royaume est tout
spirituel, une puissance purement morale... Le royaume spirituel de Dieu
existe déjà, puisque l’Evangile est prêché ; mais il n ’existe encore q u ’en principe,
et ce principe devra triom pher peu à peu dans le monde » (p. 65)... « Jésus
affirme que déjà il ( = le Royaume de Dieu) existe : il est parmi vous ; il a
commencé aux jours de Jean-Baptiste, le dernier des prophètes et des précur­
seurs » (p. 84)... « Le fait seul qu’il ( = Jésus) a pu dire en m ontrant ses œuvres
d ’am our : « il est donc déjà au milieu de vous », ce fait seul rend indubitable
q u ’il comprenait le royaume de Dieu tout autrem ent que les Juifs. En se
déclarant comme il l’a fait, le chef de ce royaume spirituel, Jésus a donc :
1) rejeté la confusion du temporel et du spirituel, du visible et de l’invisible
inhérente à toute la théocratie d ’Israël; 2) il a conçu comme réalisation du
royaume de Dieu une humanité idéale où l ’on ne trouve plus aucune trace du
prétendu privilège des Juifs; 3) il a substitué dans ses vues de l ’avenir un
développement organique aux catastrophes des apocalypses. En un mot,
il a rompu avec le m e s s i a n i s m e C e qu’il s ’en approprie c ’est uniquement
l ’idée d ’un chef spirituel des hommes » (p. 68).
Même si ces vues ont été par la suite exagérées et déformées dans ce q u ’on
appelle le « Protestantisme Libéral », elles s’appuient sur une saine lecture
des textes et donc elles méritent d ’être saluées.
Peut-être est-ce la réaction de C o l a n i et de certains autres qui a freiné
pour quelque temps la diffusion de l’erreur inventée par R e im a r u s et propagée
par S t r a u s s , R eu ss et R e n a n .

14. CoLANi veut parler du messianisme habituel chez les Juifs de son temps.
CHAPITRE XVII

Succès d’une erreur :


Johannes Weiss et Loisy
Les idées semées par R e im a r u s , S t r a u s s , R eu ss et R e n a n se sont
répandues chez divers auteurs, dont une histoire complète devrait tenir
compte*, mais qui ne semblent pas les avoir transformées profondément.
Après cette période d ’incubation, elles explosent simultanément chez
Johannes W eiss et chez L o is y , qui vont les imposer avec une telle conviction
et un si grand talent q u ’elles seront désormais considérées comme prouvées
et q u ’elles susciteront une véritable « mode » théologique.
A l ’erreur transmise par R eu ss et par R e n a n , Johannes W eiss et L o isy
vont faire franchir une étap>e nouvelle, parce q u ’ils vont commencer à
combiner les notions de Royaume de Dieu (uniquement futur) et d ’Escha-
tologie (chosifiée en Fin du Monde). Pour eux Eschatologie et Royaume de
Dieu vont devenir deux notions corrélatives et indissociables.

1) Johannes Weiss

Johannes W eiss (1863-1914) était le fils du théologien Bernhard W eiss


et le gendre d ’Albrecht R it s c h l (1822-1889).
Celui-ci, dont la théologie a été souvent exposée^, était un lointain disciple
de ScHLEiERMACiiER (1768-1834), dont la philosophie religieuse reposait
essentiellement sur « le sentiment de dépendance absolue envers Dieu ».
R it s c h l reprenait cette idée et la complétait en m ettant bien en relief l’impor­
tance de la notion de basileia tou théou dans le Nouveau Testament. Mais, tout
en traduisant par Reich Gottes^, il donnait à ces mots presque le sens de

1. A. ScHwerrzER présente en détail ces auteurs dans « Von Reimarus zu Wrede » ;


le plus im portant d ’entre eux semble avoir été l ’Alsacien Wilhelm B aldenspbrger .
2. En 1905 on avait déjà publié plus de 150 éludes sur la théologie de Rrrecm , ; et cette
année môme, en 1978, E.P. M eijering en publie encore une (chez Brill à Leiden).
3. Comme les auteurs allemands emploient souvent Reich Gottes dans un sens imprécis
qui combine Royauté, Règne et Royaume de Dieu, je demande la permission de leur laisser
la responsabilité de cette expression nuageuse.
148 SUCCÈS d ’u n e erreur

Règne de Dieu et donc il y voyait surtout une réalité morale et un idéal


spirituel, une action de l’Esprit de Dieu dans l’âme des croyants
Johannes VVeiss était d ’accord avec son beau-père pour voir dans le
Reich Gottes un des éléments principaux de la prédication de Jésus, mais il
s’opposait à lui en donnant à basileia le sens de Royaume et en choisissant
dans les Evangiles les textes qui se rapportent d ’une façon ou d ’une autre à
la Fin du Monde.
Encore bien jeune, Johannes W eiss publie en 1892 un petit volume :
«Di e Predigt Jesu vom Reiche G ottes»*, que sa préface affirme ébauché
depuis longtemps. L ’auteur avoue naïvement q u ’il emploie un certain nombre
de procédés, que nous ne pouvons pas ne pas considérer comme anti­
scientifiques : ainsi sa théologie l ’empêche de reconnaître pour authentiques
et primitives les affirmations des Evangiles qui concernent la basileia tou théou
(p. 9) ; elle lui impose le devoir de négliger certaines paraboles (p. 10-11) ;
Matthieu 11,11 ne concerne pas le passé et signifie seulement que depuis
Jean-Baptiste on a le désir du Reich Gottes (p. 15) ; à deux reprises Luc
17,20-21 est escamoté ou récusé (p. 17 et 30-32). Mieux encore, il a le courage
d ’affirmer (p. 26) q u ’aucun texte ne peut contredire sa théorie*^.
Comme Johannes Wtiss a eu la bonne idée de résumer en 10 points l ’essen­
tiel de sa pensée (p. 61-63), on ne peut mieux faire que de le citer intégralement :
« 1) L’activité de Jésus est dominée par le sentiment fort et inconfusible que
le temps messianique est tout proche. 11 a même des moments d ’intuition
prophétique dans lesquels il reconnaît que l ’opposition du Royaume de Satan
est déjà pour l ’essentiel vaincue et brisée, et alors il parle avec une foi intrépide
d ’une irruption déjà réelle du Reich Gottes.
2) Mais en général la réalisation du Reich Gottes est encore différée. En
particulier Jésus n 'a pas l’idée de reconnaître une réalisation préalable du
Règne de Dieu dans le renouveau de piété de ses disciples. En général il ne
discerne pas les deux stades principaux, celui de la préparation et celui de
l ’accomplissement du Reich Gottes. Les disciples doivent prier pour l’arrivée
de ce Reich. car les hommes ne peuvent pas du tout l’instaurer.

4. D ’ailleurs un des principaux ouvrages d ’A. R j t s c h l mentionne dans son titre


« Rechtfertigung und Versôhnung », c ’est-à-dire « Justification et Adoption ».
5. C ’est-à-{lire : « La prédication de Jésus au sujet du Reich Gottes ».
6. Dans la préface de la seconde édition (en 1900) de son ouvrage sur la Prédication
du Reich Gottes, Johannes W eiss décrit lui-même le conflit ihéologique qui a provoqué la
form ation de son système : « La première édition de cet ouvrage a été le r& ultat d ’un oppri­
m ant conflit personnel. A l’école d ’A. R itschl je me suis persuadé de la particulière
signification de la pensée systématique du Reich G ottes, qui forme le centre organique de
sa théologie. Je pense encore aujourd’hui que son système et surtout sa pensée centrale
présentent cette forme de la doctrine de la foi qui est la plus propre à rapprocher de notre
genre humain la religion chrétienne et, compris et exprimé correctement, à éveiller et
à développer une vie religieuse saine et forte, comme nous en avons besoin maintenant. Mais
depuis longtemps m ’inquiétait la claire perception que la pensée de R itsch l sur le Reich
G ottes et la même idée dans la prédication de Jésus, sont deux choses très différentes... Le
nouveau ihéologoumenon est d ’une forme et d ’une tonalité totalem ent autres que cette
pensée de foi dans le christianisme primitif. De plus amples études m ’ont convaincu que les
racines particulières de l’idée de R itschl se trouvaient chez K ant et la théologie de
l’Aufklârung » (p. V).
JOHANNES WEISS 149

3) Même Jésus ne peut pas amener, fonder, édifier le Reich Gottes. Dieu
seul le peut. C ’est Dieu lui-même qui doit s’em parer du Règne. Jésus peut
seulement, dans la force qui lui est communiquée par l ’esprit divin, combattre
le démon et rassembler une troupe de partisans, qui attendront l ’arrivée du
Reich Gottes dans une piété renouvelée, dans la pénitence, l’humilité et
l’abandon.
4) La conscience messianique de Jésus est la certitude que lui seront commu­
niqués le Jugement et le Règne dans la formation du Reich que Dieu va
instaurer. Dieu va l’élever à l’état de Fils de l’Homme, dont il revendique le
titre (Jean 5,27), et le faire devenir Seigneur et Messie.
5) Alors qu’au début Jésus espère vivre jusqu’à la formation de ce Reich, il
acquiert peu à peu la certitude q u ’il doit auparavant passer par le chemin
de la mort et contribuer par cette m ort à la formation du Reich en Israël.
Alors il reviendra sur les nuées du ciel pour la formation de ce Reich, et
cela encore pendant la vie de la génération qui l ’a rejeté. Jésus ne donne pas
de plus grandes précisions de temps, car l’arrivée de ce Reich ne peut pas
être prévue par le calcul ou l ’observation des signes.
6) Quand cela arrivera. Dieu anéantira ce vieux monde pourri et dominé
par le démon et il créera un monde nouveau. Les hommes participeront eux
aussi à cette transm utation et ils deviendront comme les anges.
7) En même temps se produira le Jugement, non seulement sur ceux qui
vivront encore lors de la venue du Fils de l’Homme, mais aussi sur ceux
qui seront alors ressuscités, bons ou mauvais, Juifs ou païens.
8) La Palestine, transfigurée dans une nouvelle splendeur, formera le centre
du nouveau Reich ; les nations ne la domineront plus, mais elles reconnaîtront
Dieu ; il n ’y aura plus de deuil ni de péché ; mais ceux qui vivront dans le
Reich Gottes verront Dieu et le serviront dans une étemelle justice, innocence
et félicité.
9) Jésus et ses fidèles domineront sur ce peuple rénové des douze tribus,
qui acceptera aussi en lui les païens.
10) Par le Règne du Messie, le Règne de Dieu n ’est pas supprimé, mais
réalisé, soit que l’un et l ’autre subsistent ensemble soit que Jésus gouverne
sous l ’autorité suprême de Dieu. »
Ailleurs (p. 67) Johannes W fjss reproche à ses contemporains de ne plus
employer les mots dans le même sens que Jésus, car « nous ne partageons
pas la tonalité eschatologique de « la figure de ce monde passe » (I Cor. 7,31)...
Nous n ’attendons pas un Reich Gottes qui doit descendre du ciel sur la terre
et anéantir ce monde, mais nous espérons être rassemblés avec la commu­
nauté de Jésus-Christ dans le Royaume céleste». Et une note précise que
«cette modification de l ’idée du Reich Gottes est peut-être très ancienne»,
car elle se manifeste peut-être déjà dans la source judéo-chrétienne de Luc.
Johannes Wi-i.ss reprendra les mêmes théories en 1895 dans un autre
ouvrage sur « l ’imitation du Christ dans la prédication actuelle» : « Qua nd
nous introduisons la pensée de l’im itation du Christ dans le cadre de l’idée
du Reich Gottes, nous n ’employons pas cette idée dans le sens des Evangiles,
mais dans celui q u ’elle a reçu dans la théologie moderne. Dans la langue
et la pensée de Jésus, le monde et le Reich Gottes sont des contraires absolu­
ment inconciliables : le monde doit disparaître pour faire place au Reich
Gottes. Dans la théologie moderne au contraire la pensée est ainsi déviée que.
150 SUCCÈS d ’u n e e r r e u r

à l’intérieur de l ’humanité, une communauté d ’alliance entre Dieu et une


partie de cette humanité... s’est formée précisément par l ’action de Jésus...
Selon la pensée et les paroles de Jésus lui-même, le Règne de Dieu ne peut
être que préparé par lui et surtout par les hommes, mais il doit être réalisé
par l’intervention de Dieu dans l ’histoire et par la création d ’un monde nouveau
à la place de l’ancien» (p. 168-169).
Johannes W eiss donnera de plus amples (ou ; nouvelles) précisions
dans une conférence du 14 juin 1900, publiée l’année suivante, sur « l’idée
du Reich Gottes dans la théologie». L’Eschatologie de Jésus correspond
à celle de ses contemporains (p. 3). Le monde présent est le domaine du
démon et il doit disparaître le plus vite possible (p. 3-4). « Jésus est tout à fait
pénétré de la conviction prophétique que le temps est m ûr pour l’institution
du Reich Gottes. Pour cette conviction dure comme pierre, il est sans im por­
tance q u ’un bref délai intervienne encore entre l’attente et l’accomplissement.
Les signes des temps m ontrent avec certitude que l ’heure de Dieu est arrivée...
Jésus croit déjà vivre les débuts de la réalisation du Reich G ottes» (p. 4-5)...
Plusieurs fois J. W eiss reproche à R it s c h l de voir dans le Reich Gottes un
état de perfection morale et religieuse qui engendre un bonheur terrestre :
« Le dernier résultat de cette diffusion et de cet affermissement du regnum
Dei sur le monde serait dans le meilleur des cas la production d ’une génération
d ’hommes vraiment parfaits, libres et nobles ; elle présenterait, par sa vie
en plein accord avec la volonté de Dieu, la plus haute fleur de ce qui peut
provenir de l’homme. Mais pendant que nous nous représentons cette image,
nous sentons aussitôt q u ’elle nous reflète quelque chose d ’impossible... Nous
devons détacher de la terre cette génération de parfaits et de bienheureux,
ces profiteurs d ’un millenium éthique, et les penser dans un environnement
céleste, où il n ’y a plus aucun devoir moral. Mais alors cette représentation
se transporte hors d 'un royaume terrestre, auquel ne participe que la dernière
génération de l’humanité, dans un royaume céleste auquel nous espérons
participer. Ainsi nous constatons que nous ne pouvons pas même penser à
la réalisation d ’un parfait Reich Gottes sur la terre, sans parler q u ’il ne sera
même jam ais réalisé. C ’est un concept-limite, un idéal» (p. 151)... « No u s
arrivons à une antinomie de la pensée religieuse. Pour la piété pratique est
indispensable l’idée que Dieu s’insère dans le temps par son gouvernement
des hommes et q u ’il participe au développement du monde, et pourtant
inexécutable est cette pensée, si nous voulons la mettre en relation
avec la notion d ’un Dieu élevé au-dessus du monde, du temps et de l’espace...
Pour l ’usage pratique, nous ne pourrons pas renoncer à croire que peu à peu
par une lente évolution le Règne de Dieu se réalise toujours plus, mais du
point de vue de Dieu nous ne pouvons penser cette pensée. Nous ne pouvons
nous représenter visiblement son rapport avec l ’humanité q u ’en dehors du
temps, puisqu’il embrasse d ’un seul regard les générations qui à nos yeux
sont séparés par le temps » (p. 154).
Puisque la conception traditionnelle du Reich Gottes, telle q u ’elle est
encore présentée chez R it s c h l , aboutit à de telles contradictions (selon
Johannes W eiss ), force est bien d ’y renoncer et de voir dans ce Reich Gottes une
intervention décisive de Dieu pour décruire ce monde et en instaurer un nouveau.
Serait-on injuste envers Johannes W eiss , si l’on pensait que ce n ’est pas
par l’analyse des textes bibliques q u ’il a dégagé cette conclusion, mais que
sa philosophie religieuse, différente de celle de R it s c h l , lui imposait cette
conclusion et qu’il a tâché de la justifier par les textes du Nouveau Testament ?
A. LOISY 151

2) Alfred Loisy

Nous sommes bien renseignés^ sur l ’évolution de la pensée d ’A. Lx) isy
(1857-1940) par les deux autobiographies q u ’il a publiées : « Choses Passées »,
en 1913, et «M ém oires pour servir à l’histoire religieuse de notre tem ps»,
en 1930-1931 (3 gros volumes de 1 860 pages), ainsi que par les souvenirs
de ses confidents : A. H o u t in et F. S a r t ia u x , édités par P o u l a t .
Nous savons donc que ce ne sont pas les problèmes du Royaume de
Dieu et de l ’Eschatologie qui sont à l ’origine de sa construction Ihéologique.
Ses maîtres lui ayant enseigné une conception presque mécanique de l ’inspi­
ration® et son étude de la Bible lui prouvant l’absurdité de cette conception^,
il a commencé par récuser l ’inerrance et l ’inspiration de la B i b l e * p u i s il
s’est engagé dans une exégèse qui se voulait purement critique** et qui l ’a
conduit à une sorte à'évolutionnisme théologique. Ce drame intérieur s’est
déroulé vers 1881-1885 et c’est seulement un peu avant Pâques 1893 q u ’il
enseignera les Evangiles Synoptiques à l’Institut Catholique de Paris (Mémoi­
res, vol. I, p. 242) et seulement à la fin de 1893 q u ’il publiera ses premiers
travaux sur cette question.
On a parfois reproché à L o isy de s’être inféodé aux Protestants rationalistes
d ’Allemagne. Et en effet, dans le Bulletin Critique du 15 février 1889, il évoque
R e u s s , K u e n e n , W e l l h a u s e n , R e n a n et G r a f (p. 61), puis Hui>i-ELD et les
« critiques contemporains ». A partir de mars 18W un mystérieux « P », dont
les idées et le style ressemblent fort à ceux de Lx )isy * recense dans la même
revue A. R e sc h et divers autres travaux écrits en allemand. En outre, depuis
1889, la Revue Critique, l ’approvisionnait en ouvrages allemands (Mémoires,
vol. I, p. 363).
Mais L o is y a plusieurs fois rejeté ces hypothétiques influences. Les seuls
inspirateurs q u ’il admette sont R eu ss et R e n a n et encore pour encourager
plutôt que pour provoquer une évolution (Mémoires, vol. I, p. 153-154,
161-162).

7. Mes recherches sur Loisy ont été grandement facilitées par la compétence de Monsieur
l’Abbé Jean-Paul B lanc et par la précieuse bibliographie de Loisy dressée par E. P oulat
(p. 303-324).
8 . « Son enseignement { = de V i g o u r o u x ) et ses livres ont plus f a i t pour me détourner
des opinions orthodoxes en cette matière que tous les rationalistes ensemble, R e n a n compris »
(Choses Passées, p. 58, à propos des cours suivis en 1881-1882).
9. « Dès 1881, la notion traditionnelle de l’Ecriture inspirée figure au chapitre des
pertes. En 1883, c ’est tout le système de doctrine et d ’apologétique de l’Eglise qui est mis en
discussion » (Choses Passées, p. 68).
10. Dans les « Dialogues des m orts » (composés en 1895 et restés manuscrits) Loisv
fait dire à R e n a n : « De la première page de la Genèse à la dernière page de l’Apocalypse
on ne trouve pas dix lignes de suite qui ne donnent lieu à contestation si on veut les prendre
à la lettre » (fd io 22).
11. E. T rocmé m ontre cependant que Loisy , tout comme R enan , a été influencé par une
idéologie plus ou moins consciente (p. 454-458).
12. L oisy a lui-même avoué q u ’il s’était servi de plusieurs pseudonymes : Revue
d ’Histoire et de Littérature Religieuses, vol. 6, n° 3, mai-juin 1901, p. 278, note 1 ; Choses
Passées, p. 171, 209-218. 343; Mémoires, vol. I, p. 413, 428, 570.
13. Plus tard aussi N ew man , sur lequel il se renseigne le 15 septembre 1896 (Mémoires,
vol. I, p. 410) et dont il em prunte les oeuvres le 12 octobre 1896 (ibidem, p. 415).
152 SUCCÈS d ’u n e erreur

Quand L o isy préparait le cours d ’hébreu de seconde année (à partir de


1882 ou 1883) il consultait « la Bible de Reuss et les meilleurs ouvrages alle­
mands sur les textes q u ’il avait à expliquer» (Choses Passées, p. 77). Quand
il enseignait (1889-1891) et publiait son «H istoire du Canon de l’Ancien
Testam ent» (1890) puis son «H istoire du Canon du Nouveau Testam ent»
(1891) il ne pouvait pas ignorer « l ’Histoire du Canon des Ecritures Saintes
dans l’Eglise chrétienne » de R e u ss , et de fait, il la cite assez souvent. Et ce
n ’est sans doite pas un hasard si les études de L o i .s y sur les Synoptiques
adoptent la méthode d ’exposition de R eu ss , dès 1893 et 1894,
L a dépendance de L o is y envers R e n a n est encore plus évidente. N on pas
que R e n a n soit à l’origine de son évolution spirituelle : L o isy reconnaît que
ses réactions profondes ont été semblables à celles de R e n a n , produites par
les mêmes causes, mais totalement indépendantes. Il affirme n ’avoir « probable­
ment » rien lu de R e n a n avant 1881 (Mémoires, vol. I, p. 103) et le 7 juillet 1883
il n ’en connaît « peut-être pas beaucoup plus que les Souvenirs de Jeunesse...
et la Vie de Jésus» (Mémoires, vol. I, p. 120)^“^. A partir de décembre 1882
ju sq u ’en 1885, il suit «assez régulièrement» les cours de R e n a n au Collège
de France (Mémoires, vol. I, p. 117)‘ *. Et pour la préparation de sa thèse
de doctorat, au début de 1884, R e n a n l’aide «beaucoup»^® à percevoir la
faiblesse des théories traditionnelles sur l ’inspiration (Mémoires, vol. 1, p.
132 et 136). En 1894-1895 il analyse en détail l’Histoire du peuple d ’Israël
par R e n a n (Mémoires, vol. I, p. 388-389) et des extraits de cet exposé sont
parus dans le Bulletin Critique*’ , dans la Revue Anglo-Romaine*® et dans
la Revue d ’Histoire et de littérature Religieuses*’ . Dans tous ces articles,
L o isy formule de nombreuses et sérieuses réserves^®, mais serait-il impossible
que certaines aient peut-être pour but de donner le change ?^*.
En fait, le problème du Royaume de Dieu se pose à L o is y , comme
conséquence de ses positions personnelles sur l ’inspiration et l ’inerrance des
Ecritures. Quoi q u ’on en ait dit trop souvent, L o isy ne dépend pas de
Johannes W eiss , pas plus que celui-ci ne dépend de L o is y . S'ils ont simultané-

14. Ailleurs L o is y adm ettra une plus grande influence de R e .m a n ; « D urant ces années
(1881-1883), mon auteur de prédilection fut R e n a n , que je ne prenais d ’ailleurs pas pour un
oracle ; mais c'est surtout avec lui et contre lui que je pensais » (Revue d ’Histoirc et de
Littérature Religieuses, vol. 5, n° 6, novembre-décembre 1913, p. 570).
15. L oisy a présenté ses souvenirs sur les cours de R enan dans une allocution du 1" mars
1923 (Mémoires, vol. III, p. 437).
16. Dans Choses Passées, p. 75, il est plus réticent : « Certaines idées de R enan m ’aidèrent
probablement à la concevoir ( = m a théorie), mais elles n ’y sont guère plus reconnaissables
que la croyance catholique ».
17. N" 19, 5 juillet 1895, p. 361-373 ; n° 21, 25 juillet 1895, p. 401-408 ; n» 22. 5 août 1895,
p. 421-429.
18. N euf articles, en 1896, du n° 26 au n" 45.
19. Tome 3, 1898, n “ 5, p. 385-406,
20. De même dans les Mémoires, vol. Il, p. 59 : « Elle ( = la Vie de Jésus) n ’est pas non
plus ^ n s défaut pour le critique, parce que R e n a n a fait un peu le Christ à son image, et q u e
certaines habiletés littéraires pour obtenir u n tableau complet, fût-il, en maint endroit,
purement hypothétique, ont aussi altéré la rigueur de la méthode ».
21. Dans les Mémoires, vol. I, p. 315, L o is y reconnaît avoir pratiqué « u n léger
camouflage théologique ».
A . LO ISY I jj

ment diffusé les mêmes opinions en France et en Allemagne, c'est parce


q u ’ils ont tous les deux une source commune, qui est R tuss, soit directement
soit par l ’intermédiaire de R e n a n
L ’exposé chronologique de la pensée de L o isy est assez difficile, car
plusieurs de ses œuvres n ’ont été publiées q u ’assez longtemps après leur
composition ; ainsi c ’est entre 1893 et 1900 q u ’il composa les premières
ébauches de son volumineux commentaire sur les Synoptiques (Choses Passées,
p. 163), il le term ina le 12 avril 1904, puis la révision se prolongea jusqu’à
la fin de 1906 (Mémoires, vol. Il, p. 380 et 494), mais les deux gros volumes
ne sortirent des presses que le 25 janvier 1908 (Mémoires, vol. Il, p. 618) ;
de même, il rédigea, lors de son séjour à Neuilly (1894-1899) des Essais
d ’Histoire et de Critique Religieuses, dont il fit une révision autour du
3 janvier 1898, puis une nouvelle rédaction entre le 30 juillet 1898 et le
4 mai 1899, et dont il se servit pour écrire l’Evangile et l’Eglise, qui fut publiée
le 5 octobre 1902 (Mémoires, vol. I, p. 419-477).
Dans la mesure où tous ces facteurs d ’imprécision permettent de le
conjecturer, les idées de L o is y sur le Royaume de Dieu semblent commencer
à s’organiser vers la fin de 1892. Les premiers indices q u ’on en relève sont :
1) Une conversation du 24 octobre 1892 où il exprime la pensée du futur
Cardinal M e ig n a n ; « 11 n ’est jam ais arrivé, le royaume de Dieu ; il n ’arrivera
jam ais comme ils ( = les prophètes) l’ont décrit... L’avènement de ce Règne
a commencé en Jésus-Christ, mais presque tout reste à venir. Nous ne savons
pas ce qui arrivera» (Choses Passées, p. 119). 2) Une Chronique sur les
Synoptiques parue dans l ’Enseignement Biblique de janvier-février 1893 :
« Les Synoptiques ne renferment pas absolument le royaume de Dieu dans le
triomphe final du Christ avec ses élus et saint Jean ne s’absorbe pas dans le
présent au point de négliger tout à fait le second avènem ent» (p. 40)^^.
Plus tard, L o is y exposera le fruit de son exégèse dans les Etudes Evan­
géliques^'*, dans l ’Evangile et l’Eglise (surtout p. 35 à 72) et dans les
Evangiles Synoptiques (surtout vol. I, p. 225-251)^’. On a souvent condensé
la pensée de L o isy dans le m ot célèbre : « Jésus annonçait le royaume, et
c’est l’Eglise qui est venue» (L’Evangile et l ’Eglise, p. 255) ; mais cette
pensée est beaucoup trop fluente et fuyante^® pour tenir vraiment dans cette
formule.

22. « R e n a n a été mon maître sans que j ’aie jam ais conversé avec lui. Je le lisais pour
le critiquer ; mais j ’apprenais beaucoup en le critiquant » (Choses Passées, p. 373)... « J ’ai dit
plus haut com m ent R b n a n avait été mon maître — à vrai dire, mon seul m aître en critique
biblique, — et tout le profit que j ’avais tiré de son cours d ’histoire » (Mémoires, vol. III,
p. 98-99).
23. On ne voit pas bien si ces paroles exposent la pensée de L o is y ou celle de l'ouvrage
q u ’il recense (en l’approuvant).
24. Cet ouvrage, publié en 1902, reprend sur ce point un cours professé à l’Ecole des
Hautes-Etudes en 1901-1902. Voici ce q u ’on y trouve: « La prédication évangélique est
l’invitation au Royaume, mais n ’est pas ce Royaume » (p. 106)... « Le Royaume n ’est pas
encore réalisé, mais Jésus le prévoit pour un avenir très proche » (p. 113)... « Les Paraboles
du Royaume sont indéniablement e-schatologiqucs » (p. 118)... « C ’est dans l’avenir
qu'apparaîtra (en Jésus) sa qualité de Messie Fils de Dieu, conformément à la nature eschato-
logique de son Royaume » (p. 121).
25. Mais, à la lin de cette lente élaboration, les positions de LotSY ont pu être influencées
par Johannes W eiss, auquel il semble faire allusion dans l’Evangile et l’Eglise p. 36.
26. F. S a r t ia u x a créé pour elle le terme d ’ondoyance (p. 232, ligne 21).
154 SUCCÈS d ’u n e erreur

Cependant cette formule lapidaire montre q u ’il avait au moins entrevu


les vrais rapports du Royaume de Dieu et de l ’Eglise. S’il avait continué sa
phrase en disant : « ... d ’où l’on voit que l ’Eglise et le Royaume sont au fond
la même réalité», alors il aurait pu harmoniser toutes les affirmations du
Nouveau Testament sans en violenter aucune. Mais le système général de
L o is y , qui cherchait à opposer les textes les uns aux autres pour déclarer
les uns ou les autres sans valeur historique, l ’inclinait à raisonner en sens
contraire. Pour lui, la venue de l’Eglise prouve l’erreur de la prédication du
Royaume et cette erreur s’ajoute à toutes celles q u ’il relève dans les Evangiles
ou dans la Bible.
Pour L o is y , Jésus a évidemment cru à l'imminence d'une catastrophe qui
allait remplacer le monde actuel par un monde idéal. Il se considérait comme
chargé par Dieu de préparer son peuple à l ’irruption de ce Royaume. Sa
morale, aussi sublime q u ’inapplicable, n ’était prévue que pour une brève
période intermédiaire. Bientôt allait venir le cataclysme qui engloutirait notre
actuel monde de péchés et qui ferait naître le vrai Royaume de la justice.
Les textes évangéliques qui parlent de ce Royaume au présent sont
interprétés comme des futurs immédiats, comme une «anticipation du
Royaum e» (L ’Evangile et l ’Eglise, p. 42) : l’arrivée de ce Royaume est telle­
ment proche q u ’on peut le considérer comme déjà là. Parfois, aussi, comme
chez H a r n a c k ^ '', le Royaume se confond avec le Règne et le caractère intem­
porel de l ’action divine dans les cœurs permet de diluer certains textes gênants.
L’Eschatologie n ’intervient pas très souvent, car le concept n ’est pas
encore bien familier aux lecteurs français, mais elle est toujours implicite :
le Royaume de Dieu ne peut être inauguré que par l’intervention foudroyante
q u ’on attend d ’un moment à l’autre et qui constituera la Fin du Monde.
Bien que L o isy se réfère constamment aux méthodes historiques, on est
étonné de voir comment il escamote les textes qui ne rentrent pas dans sa
synthèse^®. Surtout, il adm et toujours comme un fait évident que les contem­
porains de Jésus vivaient dans J'attente fiévreuse du Royaume de Dieu et que
Jésus ne pouvait q u ’adopter leurs illusions^^. Mais il ne semble pas remarquer
que les textes q u ’il invoque dans l ’Ancien Testament parlent tous de la
Royauté ou du Règne de Dieu (II Samuel, 7 ; Isaïe 60 ; Daniel 7 ; cités dans
les Evangiles Synoptiques, vol. I, p. 227-229), et jamais d ’un véritable
Royaume.
*
♦ ♦

Pour L o is y , comme pour Johannes W eiss , les paroles des Evangiles et


du Nouveau Testament sur le Royaume de Dieu ne pouvaient pas avoir

27. C ’est pour réfuter H a r n a c k que L o is y a rédigé « l ’Evangile et l ’Eglise ».


28. Voir par exemple le I Appendice, ci-dessous p. 203-205. Il dit ailleurs ; « La contra­
diction que l’on découvre entre l’idte d ’un royaume à venir et celle d ’un royaum e déjà présent
n ’existe que si l’on attribue à la seconde idée un caractère absolu q u ’elle n ’a pas
dans l’Evangile » (L ’Evangile et l’Eglise, p. 47-48).
29. « S’il ( = Jésus) ne donne jam ais sa définition du royaume de Dieu, c ’est que le
royaume dont il est le messager et l’agent s ’identifie dans sa pensée, comme dans celle de ses
auditeurs, à celui que les prophètes avaient annoncé » (L ’Evangile et l’Eglise, p. 47).
A. LOISY 155

d ’autre sens q u ’une prédiction téméraire d ’une Fin du Monde imminente. Leur
« évidence » n ’était nullement troublée par les paraboles de l ’Ivraie, du Filet,
des Dix Vierges et ils ne remarquaient même pas que certains textes s ’expri­
maient au passé. Alors cette Fin du M onde constituait pour eux, tout
naturellement, une Eschatologie.
Avant eux, cette idée n ’était guère admise que par des cercles restreints.
Les innombrables lecteurs de R e n a n , séduits par son style enjôleur, n ’avaient
sans doute pas attaché assez d ’importance aux notations discrètes, glissées un
peu partout, qui rejetaient le Royaume de Dieu dans un avenir « eschatolo-
gique». Jusqu’à la fin du x ix ' siècle, le protestantisme libéral, dont R it s c h l
et H a r n a c k sont deux illustres représentants, dissolvait dans un idéal spirituel
la notion de Royaume de Dieu et donc se dispensait d ’en préciser l’horizon
historique.
Mais, après que R it s c h l a bien mis en relief l ’importance du Royaume
de Dieu dans la pensée de Jésus, Johannes W eiss en Allemagne et L o isy en
France arrivent juste à point pour faire adm ettre que l ’irruption de ce
Royaume de Dieu constituera la Fin du Monde. Ni l ’un ni l ’autre ils n ’appor­
tent d ’argument nouveau ; l ’un et l ’autre ils éliminent les textes qui les
contredisent ; l’un et l’autre ils supposent sans preuve que les contemporains
de Jésus sont obsédés par l’attente d ’une catastrophe cosmique. Mais grâce
à l ’émouvante conviction de Johannes W eiss , grâce au talent littéraire et à
l ’influence de L o is y , leurs affirmations répétées commencent à prendre aux
yeux de beaucoup l ’allure d ’une vérité indiscutable.
CHAPITRE XVIir

Triomphe d’une erreur :


Albert Schweitzer
Avant que les idées de Johannes W eiss et de L o isy aient eu le temps de
conquérir une large audience, elles étaient déjà dépassées par une synthèse
encore plus logique et encore plus radicale, qui allait peu à peu les supplanter.
Puisque Strasbourg avait été, grâce à R euss et à son école, la capitale
de l ’eschatologisme, c ’est là que devait surgir la résultante d ’un siècle de
tâtonnements progressifs.
L ’Alsacien Albert S c h w e it z e r (1875-1965)* avait commencé en octobre
1893 à suivre à Strasbourg les cours de H .J . H o l t z m a n n sur les Synoptiques
(Vie, p. 11-12); il les avait interrompus en avril 1894 pour son service militaire,
lorsque, au cours des manœuvres d ’automne, la m éditation des chapitres 10 et
11 de M atthieu suscita en lui une explication qui lui paraissait neuve :
« Jésus n ’avait pas annoncé un royaume à réaliser ici-bas par lui et les croyants,
mais un royaume situé dans un monde surnaturel, dont l’avènement était
proche » (Vie, p. 16)^. S c h w e it z e r poursuivit à la fois ses études de théologie,
de philosophie et de musique à Strasbourg, à Paris (sous la direction d ’Eugène
M é n é g o z et d ’Auguste S a b a t ie r ) et à Berlin. En 1900 et en 1902 il présenta,
pour la licence puis pour l’agrégation en théologie, deux travaux sur la Cène
et sur la Passion, dont seul le second fut publié, en 1901^, puis traduit en
français en 1961 sous le titre : « Le secret historique de la Vie de Jésus ». Nous
y trouvons déjà une synthèse vigoureuse et cohérente des idées que S c h w e it z e r
reprendra et développera par la suite.
Cet exposé ne contient pas de bibliographie et ne fait guère allusion aux
auteurs précédents que pour les contredire. On ne peut donc pas affirmer que
S c h w e it z e r soit le continuateur de l’un ou de l’autre. C ’est plutôt l’escha-
tolo^sm e diffus dans la théologie de Strasbourg qui a été son véritable
inspirateur.

1. Il a pris la peine d'exposer iui-même son cheminement théologique dans « Ma Vie


et m a Pensée ».
2. « L ’élément affectif est ici très visible, comme il est bien naturel lorsqu’on n ’a pas
vingt ans et que l’on vient de commencer des études de théologie » (E. T r o c m é , p. 34).
3. Les exemplaires imprimés seraient-ils antidatés ? Ou faut-il lire 1902 à la place de 1901 ?
A. SC irW ElT ZE R 157

A) Le système de Schweitzer

S c h w e it z iîr '’’ suppose sans hésiter que le Royaume de Dieu est une
croyance purement eschatologique et il construit inexorablement une vie de
Jésus centrée sur cette illusion, que la réalité historique devait démentir. Il
qualifie d ’incompréhensible, et donc il déclare inauthentique, tout ce qui dans
les Evangiles n ’est pas en harmonie avec sa conception. Sans même soupçonner
que sa logique personnelle puisse différer de celle d ’un Palestinien du premier
siècle, il adm et comme seul critère l ’impression de cohérence que lui four­
nissent les textes : « Il s’agit uniquement ici d ’élaborer une construction
historique (en italiques dans le texte français) aussi nécessaire q u ’inévitable
dont la justesse dépend de la mesure d ’ordre et de clarté q u ’elle apporte dans
les écrits synoptiques» (Secret, p. 29). De fait il aboutit (Secret, p. 193-290) à
proposer une vie de Jésus qui satisfait pleinement ses postulats subjectifs,
mais qui n ’est guère conforme aux données des Evangiles.
Pour les textes qui lui conviennent, il déclare : « C ’est commettre un
acte de pure violence que de déclarer ces scènes comme n ’étant pas histori­
ques » (Secret, p. 23). Mais, à la page suivante, il écarte les données qui ne
lui plaisent pas : « Seule est historique la conception qui explique comment
Jésus pouvait se considérer lui-même comme le Messie» (Secret, p. 24), Et
cela ne l ’empêche pas de reprocher aux autres d ’introduire « u n lien causal
fictif dans la suite chronologique des récits (Secret, p. 36). Dans la « Leben-
Jesu-Forschung » * il reproche à B r a n d t d ’employer trop souvent les formules
« il serait permis », « il serait possible », « il faudrait », qui « exercent un véri­
table règne de terreur à travers le livre» (p. 250 en allemand, p. 257 en
anglais). Et plus loin il se plaint que J ü l ic ib îr « n ’hésite pas à exclure des
authentiques discours de Jésus tout ce qui ne lui convient pas » (même ouvrage ;
p. 255 en allemand, p. 263 en anglais). Pourtant, lui, il essaie de montrer
comment les paraboles que nous appelons « de la croissance » ne parleraient
pas de « croissance », mais de « mystère » (Secret, p. 69-72). Ailleurs, à
propos de la Transfiguration, il dit tout simplement : « Ainsi cet étrange pas­
sage interpolé...» (Secret, p. 128-129). Ailleurs (Secret, p. 144-145): «T ous
les passages dans lesquel (Jésus) se dénomme avant Césarée de Philippe...
« Fils de rhom m e » ne sont pas liistoriquesS>... « Les passages sus-mentionnés...,
ne sont pas historiques»... « C ’est ainsi que l ’on aboutit à ces inepties philo-

4 . W .G. K ü m m el (A. Schweitzer... p. 41-46) montre que la pensée de S c h w e it z e r a été


influencée plutôt par F. S p h t a et T. Z ie g l e r , qui l’un et l’autre furent ses professeurs, et par
R. K a b is c h . Il reproche à ScHWErrzER de n ’avoir pas reconnu l’importance de R eüss (ibidem,
p. 4 6 )... On ignore quand ScnwErrzER a pris connaissance de l’œuvre de Johannes W eiss ,
qu’il résume ainsi ; « Le Reich Gottes est purement futur... La prédication de Jésus était
seulement eschatologique » (Leben-Jesu Forschung, p. 233-234) ; il en fait alors le plus grand
éloge : « Une des plus im portantes œuvres de la théologie historique ; elle réalise comme une
libération, comme la fin d ’une (période) ancienne et le commencement d ’une nouvelle »
(même ouvrage, p. 233).
5. Je n ’ai pas pu me procurer « Von Reimarus zu Wrede » et j ’utilise à sa place la 4°
édition de la « Geschichte der Leben-Jesu Forschung » ; je donnerai donc les références à la
fois dans cette édition allemande et dans « the Quest of the Historical Jésus », qui est une
traduction anglaise de « Von Reimarus zu Wrede ».
6. ' Les italiques ne sont pas de moi.
158 TRIOMPHE d ’u n e ERREUR

logiques et historiques». Pire encore (Secret, p. 148) : « Historiques sont tous


les passages où le caractère eschatologique... est effectif ; inauthentiques,
tous ceux où ce n ’est pas le cas ». Et, à propos du chapitre 13 de Marc ; « Le
discours comme tel est nécessairement inauthentique» (Secret, p. 187-188)...
Hélas, cette méthode n ’est pas un péché de jeunesse, désavoué par la suite ;
elle se retrouve, plus ou moins affichée, à travers toute t’œuvre théologique de
Schweitzer ’ .
Les résultats d ’une telle méthode sont faciles à présenter, car il les répète
à travers tous ses ouvrages : « V o n Reimarus zu W rede» (réédité sous le
titr e : « D ie Geschichte der Leben-Jesu-Forschung»), « L a mystique de
l ’Apôtre Paul », « Ma Vie et ma Pensée », dans une préface à la 6 ' édition de la
«G eschichte der Leben-Jesu-Forschung» datée du 19 août 1950, et encore
dans « Die Idee des Reiches Gottes », écrite en 1953 et publiée, après sa mort,
en 1967.
Voici comment il les expose lui-m êm e: « J ’oppose à l’interprétation
insoutenable donnée de la vie de Jésus jusque là, une autre conception : je le
représente comme déterminé dans sa pensée, sa parole et ses actes, par
l’attente de la fin imminente de ce monde et de l’avènement du Royaume
messianique siunaturel. Cette interprétation est appelée « eschatologique »
(du m ot grec eschatos, qui signifie le dernier) parce q u ’elle est conforme à la
doctrine judéo-chrétienne traditionnelle relative aux événements devant se
produire à la Fin du Monde.
« De même que Jésüs n ’annonce pas que le Royaume de Dieu commence
dès maintenant, mais q u ’il sera révélé dans l’avenir, il ne croit pas être déjà
le Messie. Il est seulement convaincu q u ’à l ’avènement du Royaume messiani­
que, lorsque les élus entreront dans l ’existence surnaturelle à laquelle ils sont
destinés, lui-même se manifestera comme le Messie. Cette connaissance de sa
grandeur future demeure son secret. Vis-à-vis du peuple, il se présente seule­
ment comme celui qui annonce la venue imminente du Royaume de Dieu.
Ceux qui l ’écoutent n ’ont pas besoin de savoir à qui ils ont affaire. Ils le
découvriront à l’avènement du Royaume de Dieu....

7. Si l ’o n osait plaisanter, on ferait rem arquer que S c h w e it z b r , comme plusieurs


autres savants allemands, anglais ou français, a oublié de résoudre une question préalable
fondamentale : avant de malaxer « scientifiquement » les textes évangéliques pour en dégager
une vie et un enseignement de Jésus bien logiques et enfin compréhensibles, n ’aurait-il pas
fallu commencer par prouver que Jésus a vécu au 19” ou au 20° siècle, qu'il a parlé allemand,
anglais ou français, et que sa logique a été structurée selon les principes de la logique allemande,
ou de la lo^que anglaise, ou de la logique française (si difTérentes les unes des autres) ? Tant
q u ’on persistera à localiser la vie de Jésus en Palestine et à la dater du premier siècle de l’ère
chrétienne, donc à considérer Jésus comme un Oriental d ’il y a presque 2000 ans, ne devrait-on
pas admettre que seuls les Orientaux de son temps sont qualifiés pour apprécier la logique
de ses actions et la cohérence de sa pensée ? D ’ailleurs A. S c h w e it z e r s’en est parfaitement
rendu compte : « Pourquoi ne serait pas historique ce qui nous est incompréhensible ? Ne
vaudrait-il pas mieux admettre simplement que nous ne comprenons pas certains rapports
d ’idée et tours d ’expression dans les discours de Jésus ? » (Leben-Jesu-Forschung, p. 335
en allemand, p. 304 en anglais). Toutes les reconstructions rationnelles des savants modernes
ne ressemblent-elles pas à des fleurs artificielles, parfaitement symétriques et mécaniquement
démontables ? Mais comment blâmer ceux qui préfèrent les fleurs naturelles de nos Evangiles ?
Ainsi que le reconnaît E. T r o c m é , « par bien des traits, ce Jésus schweitzérien montre q u ’il
appartient sans aucun doute possible aux premières années du 20 ' siècle » (p. 32)... « Le Jésus
reconstitué par Albert S cirw E rrzE R au début du siècle n ’est plus aujourd’hui une ligure
immédiatement accessible à nos contemporains. Comme le Jésus de R e n a n , il est devenu un
chapitre de l’histoire des idées » (p. 33).
A. S C m V E IT ZE R 159

« Mais son attente ( = de Jésus) ne se réalise pas. Les disciples reviennent


auprès de lui sans avoir eu a subir aucune persécution. La tourmente pré-
messianique ne se produit pas et le Royaume ne se manifeste pas. Jésus ne
peut s’expliquer ce délai que par le fait q u ’un événement particulier doit
advenir auparavant.
« L ’idée surgit en lui que le Royaume ne pourra être instauré que lorsque
lui-même, futur Messie, aura par sa souffrance et sa m ort expié pour les Elus
du Royaume et les aura ainsi délivrés de la tourmente pré-messianique».
(M a vie et ma Pensée, p. 46 à 48)®.
Tout lecteur de la Leben-Jesu-Forschung conviendra que telle est bien la
pensée qui inspire tout l’ouvrage, avec une insistance inlassable. A, S c h w e f t z e r
reproche même à Johannes W h s s et à son école « eschatologiste » de n ’être
pas allés assez loin et de n ’avoir pas tiré toutes les conséquences logiques de
ses théories : « La faute en est à l ’école eschatologique elle-même, car elle a
utilisé son explication eschatologique seulement pour la prédication de Jésus...
au lieu de l ’utiliser aussi pour éclairer toute l’activité publique de Jésus... Elle
a montré que Jésus dans certains des plus importants passage de son enseigne­
ment pensait et parlait eschatologicalement, mais pour le reste elle a donné
une présentation non-eschatologique de sa vie» (p. 390 en allemand, p. 349
en anglais)’ . S c h w e i t z e r , lui, échappe certainement à ce reproche, car c ’est
toute l ’activité de Jésus, tous ses faits et gestes, q u ’il rattache à l ’Eschatologie.
Ainsi il aboutit à imaginer une vie du Christ purgée de tout ce qui n ’est pas en
harmonie avec son postulat fondamental (Leben-Jesu-Forschung, p. 392-443
en allemand ; p. 350-395 en anglais). C ’est pour cela q u ’il donne lui-même
à ses théories le nom d ’Eschatologie c o n s é q u e n t e c ’est-à-dire d'Eschatologie
radicale ou universelle (titre du chapitre 19, en allemand)
En deux points surtout les conclusions dégagées par S c h w e it z e r sont
particulièrement importantes ; le prédestinationisme et la morale intérimaire.
d) Jésus n ’est pas m ort pour sauver le genre humain, mais pour provoquer
le déclanchement de la catastrophe finale et l ’irruption du Royaume de Dieu.
Il ne pensait donc pas q u ’entreraient dans ce Royaume tous les hommes,
mais seulement le petit groupe de ceux qui s’y étaient préparés avec lui ;
« Le prédestinationisme est une partie intégrante de l ’Eschatologie et, en
fait, il a dominé la pensée de Jésus. Le Seigneur est conscient de mourir seule-

8. Cet ouvrage a été publié en allemand en 1931 et en français en 1960.


9. D ans une note, A. S c h w e itz e r répète ainsi ses critiques ; « Par l ’œuvre de Johannes
W eiss: « Le plus ancien Evangile », on peut voir que l ’école eschatologique a montré une
certaine timidité en tirant les conséquences de sa reconnaissance du caractère de la prédication
de Jésus et en examinant la tradition au point de vue de l ’Eschatologie... Comme si elle
n ’avait pas possédé dans ses vues eschatologiques sur la prédication de Jésus une conception
fondamentale qui lui mettait en main une clé pour une psychologie toute différente... »
(Leben-Jesu-Forschung, p. 390, note 1 en allemand ; en anglais, p. 349, note 1).
10. A cause des différents sens du mot « conséquent » en français, il vaudrait mieux
pour nous dire « Eschatologie fondamentale ».
11. La traduction anglaise porte alors : « Complet scepticisme et complète Eschatologie »
(p. 328), mais il aurait mieux valu dire « ou » au lieu de « et », car ScHWErrzER ne veut pas
dire q u ’il aboutit à un complet scepticisme et à une complète Eschatologie ; il veut dire au
contraire que, selon lui, on doit choisir entre un complet scepticisme ou une complète
Eschatologie.
160 TRIOMPHE d ’u n e ERREUR

ment pour les élus. Pour les autres sa m ort ne peut servir à rien, pas même
à les amener au repentir. D ’ailleurs, il ne meurt pas pour que celui-ci ou celui-là
puisse entrer dans le Royaume de Dieu ; il expie les péchés pour que le
Royaume lui-même puisse venir. C ’est seulement quand ce Royaume sera là
que les élus eux-mêmes pourront en prendre possession» (Leben-Jesu-
Forschung, p. 436, note 1 en allemand ; p. 388, note 1 en anglais).
b) La morale que Jésus prêchait n ’avait pas pour but de fournir à toute
l’humanité des règles stables et un idéal permanent. Elle voulait simplement
inviter le petit cercle des disciples à se détacher du monde pour accueillir
sans obstacle le Royaume qui allait surgir. Cette morale n ’a donc aucune
valeur pour toutes les générations qui en fait se sont succédé après la fin de
l’illusion qui avait obsédé Jésus. Aussi les conseils ou les préceptes contenus
dans les Evangiles ne sont q u ’une «m orale intérim aire», non adaptée à la
réalité historique d ’un genre humain qui a continué à vivre sur la terre.
*
♦ ♦

B) Que penser du système de Schweitzer ?

Quand on essaye de dégager les bases sur lesquelles est construit un tel
édifice théologique, on est fort surpris de constater q u ’elles sont bien fragiles.
L ’argument décisif est au fond le même que celui qui a inspiré la « découverte »
de 1894 : sans cela, on ( = S c h w e it z e r ) ne parvient pas à expliquer logique­
ment les paroles et les actes de Jésus. Puis une affirmation historique est
cent fois répétée : Jésus ne pouvait pas ne pas partager les aspirations de ses
contemporains, qui vivaient dans « u n e intense attente eschatologique»
(Secret, p. 121) d ’un Royaume de Dieu qui se réaliserait lors d ’un cataclysme
cosmique m arquant la Fin du Monde. Cette affirmation, dont S c h w e it z e r
n ’est pas l ’inventeur, est tellement im portante que nous devons l’examiner en
détail.
Pour prouver que les contemporains de Jésus, et donc Jésus lui-même,
étaient obsédés par l’attente d ’un cataclysme cosmique qui serait l ’irruption
du Royaume de Dieu sur la terre, S c h w e it z e r invoque 4 documents*^ : les
Psaumes de Salomon, le 2 ' livre de Baruch, le 4* livre d ’Esdras et le livre
d’Hé^och^^

12. A vant A. S c h w eit zer , un autre Alsacien, W . B aldensperoer , avait spécialement


étudié « les espérances messianiques du Judaïsme ». Dans les pages 1 à 101 il présente (de
façon rem arquable pour l’époque : en 1888 !) le développement des notions de Messianisme,
d'Eschatologie et d ’Apocalyptique dans la littérature intertestamentaire, mais alors il ne
parle pas du Reich Gottes. Plus loin, dans le chapitre consacré à la prédication de ce Reich
Gottes (p. 107-114) il ne fournit plus aucune référence à cette littérature. Cela ne l’empêche
pas d ’affirmer (p. 108), sans aucune preuve à l'appui, que « la prédication du Reich (par
Jésus) a ainsi indéniablement une coloration messianiquement eschatologique ». D e tels
ouvrages, qui associent indûment les notions de Reich G ottes et d ’Eschatologie, permettent
d ’expliquer comment, de très bonne foi, A. S ch w eitzer a pu faire la môme confusion, et
d ’autres après lui.
13. Actuellement on devrait plutôt dire, à la suite de J.T. M iu k , « les livres d ’Hénoch »,
puisque c’est une collection de cinq ouvrages d ’origines différentes.
A. SCHWEITZER 161

1) Les Psaumes de Salomon'-^, qui semblent avoir été composés vers le


milieu du premier siècle avant Jésus-Christ, parlent du sort des justes et des
impies après la m ort et d ’une intervention de Dieu ( = un jugement) qui
châtiera collectivement les pécheurs et délivrera les fidèles. Mais « à quelle
époque aura-t-il lieu ? Le monde finira-t-il alors ? Les textes cités ne permettent
aucune induction à cet égard » (J. V it e a u , p. 58). En effet on ne trouve aucun
texte qui rattache la notion de Messie ou celle de Royaume de Dieu^^ à la Fin
du M onde ou à un cataclysme cosmique. D ’ailleurs, après s’être appuyé
sur les Psaumes de Salomon à la p. 367 de la traduction anglaise de « Von
Reimarus zu W rede», A. S c h w e it z e r reconnaît loyalement à la page suivante
(en anglais, p. 368, note 4) : « Les Psaumes de Salomon forment le dernier
document de l ’Eschatologie juive avant la venue de Jean-Baptiste. Pour
presque une centaine d'années, de 60 avant Jésus-Christ à 30 après, nous
n ’avons aucune information sur les mouvements eschatologiques ! Et les
Psaumes de Salomon manifestent-ils réellement un profond mouvement escha-
tologique au temps de la prise de Jérusalem par Pompée ? Difficilement, je
pense. En étudiant la période de Jésus il faut noter que les circonstances
environnantes n ’ont aucun caractère eschatologique». Malgré ces aveux^®,
S c h w e it z e r en appelle plusieurs fois au témoignage des Psaumes de Salomon,
au point que T.F. G l a s s o n le lui reproche en ces termes : « Cela a toujours
été un mystère pour moi que S c h w e it z e r en appelle à diverses reprises
(repeatedly) aux Psaumes de Salomon, comme s’ils exprimaient les vues
apocalyptiques qui auraient remplacé les vues traditionnelles : ils ne font rien
de tel» (p. 291). D ’ailleurs S c h w e it z e r a dû sentir lui-même cette difficulté,
car le passage correspondant a été complètement remanié dans la seconde
édition, publiée sous le titre « Geschichte der Leben-Jesu-Forschung ».
2) L ’Apocalypse Syriaque de Baruch, appelée aussi 2 ' livre de B aruch'^,
fait allusion à la destruction du Temple (en particulier XXXII, 2-4)^®, et
donc on date sa composition vers la fin du premier siècle a p r è s Jésus-Christ*’ .
L ’auteur semble bien avoir subi une certaine influence chrétienne^®.
Il parle longuement des catastrophes qui s ’abattront sur le monde (par
exemple chap. XXVII-XXVIIl), après lesquelles viendra le Messie, qui

14. Voir, en français, l’excellent ouvrage de J. V iteau , en le complétant par A.M. D enis ,
p. 60-69. Bonne présentation des textes essentiels par P. G relot , p. 94-102.
15. Comme nous l’avons vu p. 87, il faudrait d ’ailleurs traduire par Royauté de Dieu
plutôt que par Royaume de Dieu.
16. Les mêmes aveux sont formulés par R.H. C harles (Religious Development... p. 57) ;
« (Dans) les principales autorités du premier siècle (avant J.-C.) ; Hénoch XCI-CIV,
XXXVII-LXXI, I Maccabées, Psaumes de Salomon, Livre de la Sagesse... l’espoir d ’un
éternel Royaume de Dieu sur cette présente terre... est maintenant, sauf dans une œuvre,
absolument abandonné pour toujours ». L ’exception ici mentionnée est Hénoch XXXVII-
LXXI, c ’est-à-dire les Paraboles d ’Hénoch, qui seront examinées ci-dessous, p. 163-164.
17. Voir l’excellente étude de P. BooAERTet les renseignements techniques d ’A.M. D enis,
p. 182-186. Les textes essentiels sont bien présentés par P. G relot , p. 185-193.
18. Voir surtout L. G r y : « La ruine du Temple... ».
19. R .H . C harles (vol. II, p. 474-476) distingue plusieurs éléments, dont certains
seraient antérieurs et certains postérieurs à la destruction du Temple. Mais alors raison de
plus pour ne pas interpréter les uns en fonction des autres.
20. Voir R .H . C harles , vol. II, p. 479-480; J.B. F rey , « Apocryphes... », col. 421-422.
162 TRIOMPHE d ’u n e ERREUR

inaugurera une ère de prospérité (chap. XXIX), suivie par la Résurrection


des justes et des pécheurs (chap. XXX).
En parcourant ce texte sans idée préconçue on constate à l ’évidence que les
cataclysmes prévus ne surviennent pas à la Fin du Monde, mais au contraire à
la fin d ’une période de péchés et avant le début d ’une période de prospérité^
Si donc Jésus s’était inspiré de ce tableau, il faudrait en conclure que ses
prédictions ont bien été conformes à la réalité ; les épreuves annoncées sont
celles de la guerre des Juifs contre les Romains ; la période de prospérité est
la vie de l ’Eglise ; la Résurrection Générale se produira à la Fin du Monde...
En somme l ’interprétation admise par S c h w e it z e r est anti-scientifiquc
sur plusieurs points : a) L ’Apocalypse Syriaque de Baruch ne parle ni du
Royaume de Dieu ni du Royaume du Messie^ ^ ; b) Quand elle parle de la
prospérité messianique elle la décrit comme un état purement terrestre, c) Même
si l ’on supposait q u ’elle considère cette prospérité messianique comme le
« Royaume de Dieu », on devrait reconnaître q u ’elle ne conçoit nullement
les terribles épreuves préparatoires comme l ’agonie de notre monde terrestre,
mais au contraire comme la naissance de ce monde à sa véritable vie terrestre.
Cette Apocalypse Syriaque de Baruch envisage l ’avenir exactement comme les
documents de Qumrân, bien q u ’elle soit plus récente.
Voici comment A. S c h w e it z e r raisonne à son sujet ; « Comme l ’Apoca­
lypse de Baruch remonte à la période qui a suivi la destruction de Jérusalem,
on peut supposer (sic) que cette association d ’idées était courante également
dans l’apocalyptique juive du temps de Jésus. Il y a là un élément pour
comprendre historiquement et en accord avec les idées du temps le secret du
Royaume de Dieu dans les paraboles de la Semence et de la M oisson»...
(Leben-Jesu-Forschung, p. 409-410, note 1 en allemand ; p. 361, note I, en
anglais)^^.
3) Le Quatrième Livre d'Esdras (parfois aussi appelé « Apocalypse
d ’Esdras »)^"^ est un ouvrage apparenté à l ’Apocalypse de Baruch et qui,
lui aussi, a été composé quelque temps après la destruction du Temple et de
Jérusalem, q u ’il décrit longuement (de IX ,38 à X,50). Pour lui comme pour
l ’Apocalypse de Baruch, on pourrait récuser son témoignage, car les événe­
ments de 70 après Jésus-Christ ont tellement bouleversé la pensée juive que
les perspectives d ’avenir ont dû en subir le contre-coup et donc que celles
qui étaient en vogue vers l ’année 100 ne remontaient peut-être pas au temps

21. P. VoLZ sans son « Eschatologie de la comm unauté juive » l ’avoue candidement :
« Il est digne de rem arque que dans l'Apocalypse d ’Esdras et dans celle de Baruch on ne
parle pas explicitement de ce Règne de Dieu sur le monde, qui commencera avec le nouvel
Eon » (p. 172).
22. En LXXVII,25 il s’agit du règne de Salomon et en L X X III,! le sens est purement
adjecùval « son trône royal ». En X XXIX,7 et en X L ,3 le terme syriaque « ry Syt » semble
avoir le même sens que le grec « arche », c ’est-à-dire « autorité », « primauté » (voir la note
de K mosko , col. 1128). Le travail sur l ’Apocalypse Syriaque de Baruch est grandement
facilité par la concordance de K mosko .
23. La traduction anglaise ajoute ensuite (sans doute en accord avec la première édition
allemande) : « L ’interprétation eschatologique est immensément (sic) fortifiée par ces
parallèles ».
24. V oir l ’étu d e de L. V aoanay . U ne copieuse bibliographie, ju sq u ’en 1970, est fournie
p a r G .B . C ole ,m an , p. 92 à 106. B onne p résentation des passages principaux chez P. G relot ,
p. 176-185.
A. SCHWEITZER 163

W de Jésus^*. Mais n ’insistons pas sur cet argument et supposons que le Qua­
trième Livre d ’Esdras soit un témoin valable pour le temps de Jésus.
Relevons plutôt l ’aveu de L. V a g a n a y (p. 94) : « II est toutefois remar­
quable que les expressions de « royaume, roi, royauté », si fréquentes dans
les écrits juifs de cette époque (Ps(aumes de) Sal(omon) V, 18 ; Hén(och)
c m , 1)^®, ne se trouvent pas une fois dans notre apocalypse ( = ce Quatrième
Livre d ’Esdras)». Comment donc utiliser un ouvrage qui ne parle jam ais du
Royaume de Dieu pour prouver que ce Royaume de Dieu est identifié avec
la Fin du M onde imminente ? Mieux encore ; L. V a g a n a y signale que cet
ouvrage « est très réservé lorsqu’il s’agit de préciser la date de la Fin du
M onde» (p. 72). D ’ailleurs l’auteur du Quatrième Esdras reconnaît explici­
tement q u ’il ignore la date de cette Fin du M onde^’ : IV, 44 et V, 13. En fait
l’auteur, après la ruine de Jérusalem et du Temple (IX, 38 à X, 50), s’engage
dans une longue allégorie sur un aigle, qui symbolise clairement l’empire romain
(XI, 1 à XII, 35), puis il fait intervenir un lion, c ’est-à-dire le Messie, qui
renverse cet empire et rétablit le peuple d ’Israël dans sa vraie patrie (XII, 31
à XII, 40). Comment tirer de cela l ’identification du Royaume de Dieu avec
un cataclysme imminent, qui sera la Fin de ce Monde terrestre ?
4) Le Livre d ’Hénoch^^ est en fait la réunion de cinq ouvrages différents,
qui forment une sorte de Pentateuque ; le livre des Veilleurs (chap. I à XXXVI),
le livre des Paraboles (chap. XXXVII à LXXI), le livre de la Révolution des
Luminaires (chap. LXXII à LXXXII). Le livre des Songes (chap. LXXXIII
à XC), le livre de l ’Exhortation (chap. XCI à CVIII). A Qumrân^ ^ on a retrouvé
12 manuscrits, qui contiennent des fragments d ’à peu près tous les chapitres,
sauf les chap. XXXVI à LXXI, correspondant au livre des Paraboles, lequel est
remplacé par un autre livre, celui des Géants (6 manuscrits à Qumrân, dont un
semble contenir à la fois le livre des Veilleurs, le livre des Géants et le livre
des Songes). Depuis cette découverte les savants adm ettent généralement^*^
que le livre des Paraboles d ’Hénoch, qui est lui-même l’œuvre d ’un Chrétien,
fut inséré là pour remplacer le livre des Géants, inacceptable pour des Chré­
tiens. Ces Paraboles d ’Hénoch deviennent ainsi un précieux témoin de la
littérature chrétienne primitive^ \ mais elles ne peuvent plus nous documenter
directement sur la pensée du judaïsme pré-chrétien.

25. « Répétons le ; le judaïsme qui a survécu à la destruction de Jérusalem n ’était pas le


même que le Judaïsme antérieur » (R.H. C h a r l e s , Religious Development... p. 35 ; les italiques
ne sont pas de moi).
26. Ainsi, pour prouver que ces expressions sont « si fréquentes », on n ’allègue que deux-
références, et encore sont-elles fausses l’une et l ’autre, comme chacun peut le constater !
27. Comme Jésus en Marc 12,32 ( = Matthieu 24,36) et dans les Actes 1,7.
28. Longue bibliographie, jusqu’en 1970, par G.B, C olxman, p. 62 à 86. Voici le jugement
de R bnan sur cet ouvrage : « B r u ce , qui a rapporté d ’Abyssinie le livre d ’Hénoch. L aurence ,
M urray et A.G. H offm ann , qui en ont élaboré le texte, auront plus avancé l’œuvre ( = l ’his­
toire des Origines du christianisme, qui révolutionnerait la pensée) que Voltaire flanqué de
tout le X V III' siècle » cité par P. A lfaric p. xxxv.
29. Voir la récente édition, par J.T. M ilik , des fragments trouvés à Qumrân. On reproche
parfois à M i l i k d ’avoir abusé des restitutions hypothétiques, aussi nous aurons soin de ne
tenir compte que des passages réellement attestés.
30. Les exposés les plus récents sont ceux de M . B lack dans Expository Times d ’octobre
1976, de J.H. C harlesw orth , M.A. K nibb et C .L . M earns , dans New Testament Studies
d ’avril 1979.
31. La date exacte de composition n ’est pas encore certaine : M i l i k la place à la fin du
3 ' siècle après Jésus-Christ (p. 91-98) ; plusieurs autres spécialistes préfèrent la fin du 1 " siècle
ou le début du 2 ' siècle après Jésus-Christ.
164 TRIOM PHE d ’u n e ERREUR

Or, c ’est surtout dans ce livre des Paraboles que figurent les textes allégués
jadis en faveur de la connexion entre le Royaume de Dieu et la Fin du Monde^^.
Certes, nous ne pouvons pas reprocher aux historiens des générations
précédentes de n ’avoir pas eu le bonheur de connaître les découvertes de
Qumrân. Du moins devons-nous abandonner sans hésiter les positions q u ’ils
auraient eux-mêmes abandonnées, s’ils avaient eu entre les mains ces précieux
documents.
Cependant nous pouvons aller plus loin et penser que même à la fin du
X IX 'siècle et au début du x x ' on n ’aurait pas dû s’appuyer sur le livre des
Paraboles d ’Hénoch : a) Certains critiques, depuis H il g e n f e l d en 1857,
avaient déjà reconnu que ce livre des Paraboles était d ’origine chrétienne*^.
b) Tout lecteur attentif aurait dû s’apercevoir que l ’on n ’y parle jam ais du
Royaume de Dieu : en LXV, 12 il s’agit de la royauté de Noé ; en XLI, 1
« le royaume » qui « sera partagé » sera certes un royaume de prospérité,
mais rien ne prouve q u ’il s ’agisse du Royaume Messianique*'^ ni surtout du
Royaume de Dieu, c) Le Jugement des bons et des méchants ne peut pas
être identifié au Jugement Dernier de l’Evangile, car il ne se produit pas à la
Fin du Monde, mais au début ou bien an milieu de l’ère de justice et de
prospérité, d) Cette ère de prospérité concerne la vie terrestre et ne s’identifie
donc pas à la vie céleste prévue par l’Evangile tout de suite après la Résurrection
Générale et le Jugement Dernier, é) Aucun texte n ’associe explicitement un
cataclysme, la Fin du Monde et le Royaume du Messie (et encore bien moins
le Royaume de Dieu) ; or c ’est précisément cette association qui est indispensa­
ble pour fournir un argument en faveur de l ’Eschatologie.
Si donc les savants ne s’étaient pas laissé entraîner par leur imagination,
ils n ’auraient jam ais dû invoquer les Paraboles d ’Hénoch à l ’appui de leur
identification du Royaume de Dieu (au sens de l’Evangile) avec la Fin du
M onde (au sens de l ’Evangile).
Les autres parties du Livre d ’Hénoch sont encore moins probantes*’.
Dans le livre des Veilleurs, le Jugement de Dieu est certes décrit en termes
évocateurs, mais il inaugure simplement une ère de prospérité terrestre (X,
16-22), qui est en somme un retour au Paradis de la Genèse (XXIV-XXV ;
XXVIII-XXXII). Dans le livre des Luminaires rien ne nous concerne. Dans
le livre des Songes, où l’histoire du monde est décrite symboliquement, rien
de précis n ’est annoncé pour l ’avenir (XC, 17-39) : après la punition des
impies (XC, 17-27) sera inaugurée la nouvelle Jérusalem (XC, 2 8 -3 6 ), où
naîtra un personnage merveilleux (XC, 37 -38). Dans le livre de l’Exhortation,

32. La bonne synthèse de P. G r e l o t présente les Paraboles d ’Hénoch aux p. 152-167


et les autres parties du livre bien plus tôt, aux p. 43-51.
33. La liste précise de ces auteurs est fournie par F. M a rtin , p. lxxxtx-x c .
34. D ’autres passages d ’Hénoch placent l’ère de prospérité avant la venue du personnage
que nous identifions au Messie : voir F. M a rtin , p. XLvn et l- u .
35. Dans les fragments araméens découverts à Q umrân, le terme malkou(t) n ’est signalé
que deux fois : en XCIII,13 M ilik le restitue dans une lacune, mais aucune des trois lettres
du radical n ’est vraiment visible (manuscrit g, fragment 1, col. IV, ligne 18, p. 266 et 361);
dans le livre des Géants (manuscrit a, fragment 9, ligne 6, p. 316) on lit clairement « ton
royaume glorieux », mais entre deux lacunes et sans aucun contexte utilisable.
A. SCHW EITZER 165

au contraire, la nouvelle Jérusalem semble présente dès avant le Jugement,


mais celui-ci est suivi de « nombreuses semaines » ( = périodes) « dans la
bonté et la justice» (XC, 13-17)®*.
Par un extraordinaire paradoxe, S c h w e it z e r lui-même, dont la sincérité
et la loyauté sont évidentes, ne se fait aucune illusion sur les lacunes de son
information historique : « Nous ne savons pas si l’attente du Messie était
générale ou si c ’était la foi d ’un simple conventicule... En outre, si l ’espérance
eschatologique était générale, était-ce sous la forme prophétique ou sous
la forme apocalyptique^’ ?... Nous ne savons pas quelle était la forme popu­
laire... Nous connaissons seulement la forme d ’Eschatologie contenue dans
les Evangiles et dans les Epîtres de P aul» (Leben-Jesu-Forschung, p. 8 en
allemand et en anglais...)^®.

* *

C) Jugement par les contemporains d e Schweitzer

G. S e a v e r (p. 197-205) et W.G. K ü m m el ont eu la bonne idée de relever,


pour l ’Angleterre et pour l ’Allemagne, les jugements des contemporains de
S c h w e it z e r sur son « Eschatologie conséquente ».
En Angleterre, S c h w e it z e r n ’a trouvé un écho favorable que chez \V.
S a n d a y (qui s’est rétracté peu après), chez F.C. B u r k it t (qui lui aussi était
bon musicien), chez deux recenseurs anonymes (dont un Irlandais) et chez le
catholique G. T y r r e l l (excommunié pour modernisme) ; par contre J.M.
R o b e r t s o n dit sans ambage : « Il n ’est pas nécessaire de discuter en détail
un théorème qui en définitive dresse une pyramide sur sa pointe, avec plus

36. J ’avais déjà rédigé ce passage quand j ’ai pris connaissance de l’étude de M. L attke
« sur la préhistoire juive du concept de Règne de Dieu chez les Synoptiques »(enl975).
L ’auteur commence par affirmer que « depuis les travaux de J. W eiss et de S chw eitzer on
ne peut plus contester sérieusement que, pour Jésus, le concept de Reich Gottes était un
concept fortement eschatologique » (p. 10). Et cependant il est bien obligé d ’avouer que le
R è ^ e de Dieu ne joue aucun rôle dans le Quatrième Livre d ’Esdras et dans l ’Apocalypse
Syriaque de Baruch (p. J5) et presque aucun dans le Livre des Jubilés, car il n ’est mentionné
q u ’en 1,28, où Dieu est présenté comme « roi sur la montagne de Sion pour toute l’éternité »
(p. 19). Parmi divers textes plus ou moins douteux et sans grande signification, les seuls
témoignages positifs qu’il relève sont ceux de Daniel et des livres des Maccabées (p. 16-17
et 22), qui sont du 2 ' siècle avant Jésus-Christ, ceux des Paraboles d ’Hénoch (p. 19), qu’il
date encore du premier siècle avant Jésus-Christ, car il ne pouvait en 1975 connaître l’ouvrage
de M ilik paru en 1976, ceux des Psaumes de Salomon (p. 23), où Dieu est présente comme
un roi gouvernant politiquement le monde, et ceux de textes rabbiniques postérieurs au
Christianisme (p. 24)...
37. S ch w eitzer veut dire : est-ce que cette espérance eschatologique s’appuyait sur les
prophètes de la Bible ou sur des révélations postérieures 7
38. Plus loin la traduction anglaise contient des aveux significatifs (p. 365-366) : « \jn
littérature rabbinique ne peut guère nous aider à comprendre le monde de pensée dans lequel
Jésus a vécu... Quelle est, après tout, l ’Eschatologie juive ? C ’est une Eschatologie avec une
grande lacune au milieu, parce que la période principale, avec les documents qui s’y rapportent,
a été laissée de côté. Le véritable historien décrira l’Eschatologie du Baptiste, celle de Jésus
et celle de Paul de façon à expliquer l’Eschatologie juive ». Mais la seconde édition allemande
est profondément remaniée (p. 364-371) et ces phrases ne s ’y trouvent plus.
166 TRIOM PHE d ’u n e ERREUR

d ’assurance que tous ceux qu’il critique»^® ; et R.H. C h a r l e s : « Les études


de ScHW fiTZER sur l ’eschatologie m ontrent q u ’il n ’a aucune connaissance
des documents originaux et à peine des travaux de première main faits sur
ces documents ; et T. W. M a n s o n : L ’Eschatologie radicale de S c h w h t z e r
« dépend d ’un usage absolument non-critique des Evangiles, surtout du
prem ier» (conférence de 1949, publiée dans Studies..., p. 8).
En Allemagne, c'est un concert de réprobation : H .J . H o l t z m a n n ,
ancien professeur de S c h v v e it z e r , lequel lui avait dédié son premier livre,
parle de « la malheureuse aventure imputée à Jésus par la fantaisie eschatolo-
gique de Sctrw E iT Z E R ». J ü l ic h e r l’appelle un «historien poète», présente
son œuvre comme « un roman ahurissant d ’originalité» ou comme « le fruit
d ’une imagination débordante et d ’une forte volonté de persuasion», lui
reproche « une violation des lois et règles de la recherche historique (qui) ne
peut guère être poussée plus loin », et résume ainsi sa pensée : « une critique
qui veut prononcer un jugem ent sur des événements d ’un passé si lointain,
sans avoir auparavant tout fait pour connaître à fond la tradition sur ces
événements, ne saurait prétendre être réfutée ; c ’est une critique dogmatique,
non historique ». P. W e r n l e va encore plus loin. : « Il manque ici jusqu’à
l’ABC de la connaissance des règles de la critique historique», c ’est une
« destruction et une violation effroyable des sources, comme nous n ’en avions
plus vue depuis des dizaines d ’années »"^^. Plus étonnant encore ; H. G r o o s ,
qui cherche à présenter équitablement «les grandeurs et les limites de
ScHW EiTZER» dans un gros ouvrage de 841 p a g e s r a p p o r t e de semblables
appréciations et reconnaît « incontestablement » que de tels jugements sont
« tout à fait justifiés » (p. 137) ; il ajoute même que « pour un théologien
qui se pique de science et qui a tant d ’esprit critique, (sa) position (est)
pleinement incompréhensible et presque incroyable» 137).
C ’est seulement plus tard, sous l ’influence de la Formgeschichte'^'*, que
ScHWEiTZER sera suivi par des disciples enthousiastes, comme Friedrich H e il e r ,
qui voit en lui « le Copernic de la théologie moderne » (p. 3), comme Emil
B r u n n e r , g . A u l é n et Walter N ig g : en 1937, par exemple, ce dernier saluera
l ’Histoire des Recherches sur la Vie de Jésus comme « u n des livres les plus
im portants qui aient jam ais été écrits» (citation par H. G r o o s , p. 7 8 -8 0 ).
Mieux encore : en 1941 M artin W e r n e r adm irera en S c h w e it z e r « le
dénouement d ’un complexe historique, dans lequel par un minimum de pures
hypothèses un maximum de traditions synoptiques peut être mis en ordre
de façon convenable» ; il ira même jusqu’à dire : « L a construction de

39. G . S eaver , qui donne les références pour ces auteurs, omet d ’en donner une pour
ririan d ais et pour R obertson .
40. Texte et référence chez T .F. G l a s s o n , p. 296.
41. Les références à ces a u te u rs so n t fournies p a r K ümmel , p. 64-65.
42. Béda R i g a u x apprécie en ces termes l’ouvrage de H. G r o o s ; « Sa présentation de
A. SCHWErrzER est en tout cas ce que nous possédons de mieux et de plus équilibré » (p. 17,
note 42).
43. Et peut-être aussi sous l’influence d ’une très juste adm iration pour les talents
musicaux de ScH W ïrrzE R et pour son merveilleux dévouement à l ’hôpital de Lambaréné
en Afrique Equatoriale.
A. SCHWEITZER 167

l’Eschatologie conséquente est historiquement si brillamment prouvée et


justifiée q u ’elle doit être reconnue comme la solution définitive du problème
du Jésus historique et du Christianisme prim itif» {citations de H. G r o o s ,
p. 247).
A l’opposé, F.T. G l a sso n , se dem andant si l’influence de S c h w e it z e r
avait été un bienfait ou un fléau, répondait ainsi : « Pas un seul des documents
q u ’il invoque n ’est valable. C ’est un mystère que la façon étonnante par
laquelle cette théorie sans fondement a dominé l ’interprétation des Evangiles
pendant 70 ans » (p. 294). Et plus loin : « Quiconque examinera soigneusement
cette littérature (intertestamentaire) verra q u ’en somme (l’interprétation de
S c h w e it z e r ) est un travestissement des faits... Toute cette tendance a eu, à
mon avis, un lamentable effet sur la science du Nouveau Testament » (p. 299).
U n juge aussi bienveillant que B. R i g a u x reconnaît de son côté : « L ’idée
qui s’est imposée à S c i w e i t z e r touchant l ’Eschatologie de Jésus a sans
doute emprisonné son héros dans les limites étroites d ’une création pureménl
subjective» (p. 17).

« *

D) Excuses en faveur de Schweitzer

Mais alors, si l’œuvre théologique de S c h w e it z e r est affectée par de


telles erreurs fo n d a m e n ta le s c o m m e n t expliquer qu’elle ait suscité des
admirateurs, parfois enthousiastes, et q u ’elle ait exercé une vaste influence,
qui est encore bien vivante de nos jours ? Invoquer les aveuglements de la
mode et de l’instinct grégaire n ’est pas suffisant, car il faudrait aussi expliquer
que cette mode de l ’eschatologie radicale ait pu être lancée par des disciples,
dont on ne doit pas suspecter la bonne foi. Q u’est-ce qui a empêché tant
d ’esprits lucides d ’apercevoir les sophismes de S c h w e it z e r ?■**
A utant q u ’on puisse en juger, trois facteurs (en plus des évidentes
qualités littéraires de l’exposé) ont contribué à endormir la vigilance de bien
des esprits critiques.
a) La méthode de S c h w e it z e r est radicalement inacceptable, parce qu’elle
récuse comme Inauthentiques les textes qui la gênent et q u ’elle ne retient que
les textes qui parlent en sa faveur. Mais, hélas, ce vice de méthode a été fort
répandu au début de ce siècle et il n ’est pas encore définitivement exclu des
recherches théologiques. S c h w e it z e r ne se prive d ’ailleurs pas de le signaler
souvent dans les travaux q u ’il combat. Beaucoup d ’esprits donc, qui n ’ont
pas une form ation historique suffisante, sont tellement habitués à voir traiter
avec désinvolture les paroles des Evangiles qu’ils ne pensent pas à demander
chaque fois des arguments décisifs (et qui ne soient pas d ’ordre théologique,
sous peine de cercles vicieux) pour justifier l ’élimination de telle ou telle
donnée évangélique. Sans le savoir ni le vouloir, ils sont dupes d ’une crédulité
q u ’on n ’accepterait en aucune autre science, mais q u ’on accepte trop souvent
en théologie biblique'**.

44. H. G r o g s lui reproche aussi de trop négliger la critique littéraire. Mais c ’est là un
problème qui nous mènerait trop loin (p. 138-145).
45. H. G roos se pose la m êm e question, m ais sa réponse est assez confuse (p. 250-260),
46. Est-ce parce que, plus ou moins consciemment, on refuserait de considérer cette
théologie comme une véritable science ?
168 t r io m p h e d ’u n e erreur

b) Les exposés de S c h w e i t z e r supposent une continuelle confusion entre


Règne de Dieu et Royaume de Dieu, entre Messianisme et Apocalyptique,
entre Apocalyptique et Eschatologie, entre Jugement et Fin du Monde. Le
mélange de ces différentes notions, dont il ne donne pas une définition précise,
lui permet de jongler inconsciemment avec les textes et de les interpréter
plus ou moins à sa guise. Malheureusement, les mêmes confusions sont
extrêmement fréquentes, non seulement chez les théologiens ordinaires, mais
chez les spécialistes eux-mêmes. Combien sont habitués à distinguer claire­
ment Apocalyptique, Messianisme et Eschatologie '? Ainsi, bien des sophismes
sont passés inaperçus aux yeux de S c h w e i t z e r et trop souvent ses lecteurs
n ’ont pas été capables de les relever et de les critiquer”*^''.
c) L ’a rg u m e n t f o n d a m e n ta l d e S c h w e i t z e r e s t q u e Jé s u s d e v a it p a r ta g e r
les idées des Juifs de son temps, q u i to u s a tt e n d a ie n t la d e s tr u c tio n d u m o n d e
p ré s e n t e t l ’in s ta u r a tio n d u R o y a u m e d e D ie u . C e t a r g u m e n t e s t r é p é té a v e c
u n e te lle a s s u ra n c e q u e l ’o n o u b lie d ’e n d e m a n d e r la p re u v e . D ’a ille u rs
S c h w e i t z e r re n v o ie p a rf o is g lo b a le m e n t à la litté r a tu r e in te r te s ta m e n ta ir e e t
d ’a u tr e s fo is il sp écifie, c o m m e n o u s l ’a v o n s v u , q u ’il s ’a p p u ie s u r les P s a u m e s
d e S a lo m o n , s u r l ’A p o c a ly p s e d e B a ru c h , s u r le Q u a triè m e L iv re d ’E s d ra s
e t s u r le L iv re d ’H é n o c h . B e a u c o u p d e le c te u rs , e t m ê m e d e th é o lo g ie n s ,
n ’o n t q u ’u n e c o n n a is s a n c e tr è s s o m m a ire d e c e tte li tté r a tu r e e t d e ces
o u v ra g e s . Ils a d m e tte n t d o n c s u r p a ro le les c o n s é q u e n c e s q u ’e n tire
S c h w e it z e r , s a n s ê tr e e n m e s u re d e le s v é rifie r. S c h w e it z e r lu i-m ê m e , p lu s
p e n s e u r q u ’h is to rie n , n e s e m b le p a s n o n p lu s les a v o ir v érifié e s d e p rè s e t l ’o n
a l ’im p re s s io n q u ’il f a it c o n fia n c e , les y e u x fe rm é s , a u x a ff irm a tio n s q u ’il a
e n te n d u f o r m u le r a u t o u r d e lu i, p e n d a n t ses é tu d e s à S tr a s b o u rg . Mais n o u s
avons vu q u e ces a ff irm a tio n s , à tr a v e r s R eu ss e t S t r a u s s , r e p o s a ie n t e n
d é fin itiv e s u r d e u x c ita tio n s s a n s p o rté e d é m o n s tr a tiv e p ré s e n té e s p a r
R e im a r u s (c i-d e ssu s, p . 139) e t n o u s a v o n s c o n s ta té q u ’a u c u n d e s q u a tr e
o u v ra g e s a llé g u é s p a r la s u ite n e c o n s titu e u n e p re u v e v a la b le (c i-d e ssu s,
p . 160-165). M aintenant q u e les m a n u s c rits d e la Mer M orte n o u s o n t d o c u ­
m e n té s d e fa ç o n in e s p é ré e s u r la p é r io d e in te rte s ta m e n ta ire , n o u s d é c o u v ro n s
q u e les c o n te m p o r a in s d e J é s u s n ’a tte n d a ie n t n u lle m e n t u n e F in d u M o n d e
e t u n R o y a u m e d e D ie u te ls q u e les im a g in a it S c h w e it z e r (e t a v a n t lu i J o h a n -
n e s W eiss ). Mais, a u d é b u t d e ce siècle, e t j u s q u ’à u n e d a te a sse z ré c e n te ,
p re s q u e to u s le s th é o lo g ie n s , à p a r t q u e lq u e s s p é c ia liste s , p o u v a ie n t d e b o n n e
fo i im a g in e r q u e la m e n ta lité « e s c h a to lo g iq u e » q u ’ils s u p p o s a ie n t a v a it
ex is té v r a im e n t e n P a le s tin e v e rs le d é b u t d e l ’è re c h ré tie n n e .
En somme, nos prédécesseurs sont tout à fait excusables d ’avoir admis
cette erreur. C ’est nous qui ne serions plus excusables si nous persistions
à la soutenir"^®.

47. Que penserait-on d ’un mathématicien qui dirait : « Treize fait partie de la seconde
dizaine ; dix-sept fait aussi partie de cette seconde dizaine ; donc 13 = 17 » ? P ourtant certains
arguments d ’une pseudo-théologie sont construits sur ce type.
48. Comme il est convenu p. 137, cette étude ne considère que les répercussions de
l ’Eschatologie sur la pensée d ’A. ScHWErrZER ; sur d ’autres points l’appréciation d e \ T a i t
évidemment être plus favorable.
CHAPITRE XIX

Logique d’une erreur :


Rudolf Bultmann
Rudolf B u l t m a n n * fut à M arburg un fervent disciple de Johannes W eiss ,
comme il le rappelle en 1939 dans un article consacré à la mémoire de son
maître^. Plus tard, dans des conférences faites aux Etats-Unis en 1951 et
publiées en 1958, il expose à merveille sa dépendance envers Johannes W eiss
et A. ScHWEiTZER :
« En 1892 parut l’ouvrage de Johannes W eiss , La prédication de Jésus
sur le Royaume de Dieu. Ce livre, qui fit date, réfuta l ’interprétation générale­
ment admise jusqu’alors. W eiss m ontra que le Royaume de Dieu n ’est pas
immanent au monde, q u ’il ne se développe pas sous la forme d ’un élément
du devenir historique, mais qu’il est eschatologique, c’est-à-dire que le
Royaume de Dieu se situe au-delà de l ’ordre historique. Ce n ’est pas l’effort
de l’homme, mais seule l ’action surnaturelle de Dieu qui le fera apparaître.
Dieu mettra subitement fin au monde et à l’histoire, et II apportera un monde
nouveau, le monde de l ’étemelle félicité.
« Loin d ’être une invention propre à Jésus, cette représentation du
Royaume de Dieu était familière à certains cercles juifs qui attendaient la fin de
ce monde. C ’est dans la littérature apocalyptique juive que l ’on trouve la
description du drame eschatologique ; le livre de Daniel est le plus ancien
témoignage que nous possédions. La prédication de Jésus s’écarte des descrip­
tions typiquement apocalyptiques du drame final et de la félicité du temps
nouveau à venir, dans la mesure où Jésus s’abstient d ’en faire des descriptions
détaillées. Il se borna à affirmer que le Royaume de Dieu allait venir et que
les hommes devaient se préparer à affronter le jugement à venir. Par ailleurs,
il partageait l ’attente eschatologique de ses contemporains. Aussi enseigna-t-il

1. L a liste des œuvres de R, B ultm ann est donnée par A. F ridrichsen jusqu’en 1943
et par Erich D inkiæ r dans Exegetica, p. 483-507, jusqu’en 1967. Une copieuse bibliographie
sur B ultm ann est rassemblée par G . B ornkamm , p. 173-184. Enfin une liste aussi complète
que possible des études sur B ultm ann est donnée par M anfred K w ir a n .
2. « Johannes W ess zum Gedâchtnis »,
170 LOGIQUE d ’u n e ERREUR

cette prière à ses disciples : Que Ton nom soit sanctifié, que Ton règne vienne,
que Ta volonté soit fa ite sur la terre comme au ciel (M t 6, 9b-10).
« Jésus s’attendait à ce que son espérance se réalisât bientôt, dans l ’avenir
immédiat ; il dit que le crépuscule (sic) de ce temps pouvait déjà être observé
dans les signes et les miracles q u ’il accomplissait, notam m ent dans l ’exorci­
sation q u ’il faisait lui-même des démons. Jésus se représenta l ’avènement
du Royaume de Dieu comme un violent drame cosmique. Le Fils de l’Homme
devait venir sur les nuées du ciel, puis les morts ressusciteraient et le jo u r du
jugem ent se lèverait ; c ’est alors que commencerait pour les justes le temps
de la félicité, tandis que les damnés seraient livrés aux peines infernales.
« Lorsque je commençai mes études de théologie, aussi bien les théologiens
que les laïcs étaient alors bouleversés et effrayés par les théories de
Johannes W e iss . Je me rappelle ce que disait mon maître Julius K a f t a n ,
alors professeur de dogmatique à Berlin : « S i Johannes W eiss a raison, si
vraiment l ’idée du Royaume de Dieu est eschatologique, il est alors impossible
d ’en faire usage en dogm atique». Les années suivantes, les théologiens,
Julius K a f t a n y compris, furent de plus en plus convaincus que W eiss avait
raison. Puis-je me permettre de mentionner ici Albert S c h w e it z e r , qui
poussa cette théorie à l’extrême ; il soutint que non seulement la prédication
et la conscience que Jésus avait de lui-même furent dominées par une attente
eschatologique, mais aussi sa vie quotidienne elle-même : cette attente
devenait ainsi l ’équivalent d ’un dogme eschatologique prépondérant.
« A ujourd’hui, personne ne doute que la conception de Jésus du
Royaume de Dieu est eschatologique, — tout au moins dans la théologie
européenne, et, pour autant que je puisse m ’en rendre compte, parmi les
spécialistes américains du Nouveau Testament. Il apparaît même avec toujours
plus d ’évidence que l ’attente et l’espérance eschatologiques constituent le
noyau de la prédication néotestam entaire» (Jésus-Christ et la mythologie,
p. 187-188).
B u l t m a n n connaissait fort bien les œuvres de J. W eiss et d ’A. S c h w e it z e r ,
puisque, dès 1908, il recensa la traduction du Nouveau Testament de J. W eiss
(M onatsschrift, p. 156) et, en 1910, un autre opuscule du même auteur
(Christlichfr Welt, col. 861). Puis, en 1914, un an après la parution de la
« Geschichte der Leben-Jesu-Forschung » d ’A, S c h w e it z e r , il recensa égale­
ment avec les plus grands éloges ce « livre extraordinaire », dont il adm irait
la puissance de choc (Christliche Welt, col. 643-644).
B u l t m a n n , qui est un philosophe et un théologien^, est aussi un spécialiste
d ’exégèse'^ et son premier ouvrage im portant a été « L ’Histoire de la

3. D ans son « Essai pour Comprendre B ultm ann », Karl B arth se demande si
B ultma -Nn est un rationaliste (p. 176-177), ou un apologète (p. 177-178), ou un historien
(p. 178-180), ou un philosophe (p. 180-181), ou un théologien luthérien (p. 181-184).
4. Voici comment Karl B arth juge l’exégèse de B ultmann : « B ultmann est un exégète.
Mais je ne pense pas qu’on puisse discuter avec lui au niveau de l’exégèse, parce q u ’il est en
môme temps un systématicien dont l’envergure est telle q u ’il semble q u ’il n ’existe pas un seul
texte biblique q u ’il ne traite sans q u ’apparaissent au premier plan certains axiomes de sa
pensée — si bien que tout est finalement lié à la validité de ces axiomes » (Dogmatique,
vol. III, tom e u, 2* partie, p. 130).
R . BULTM AKN XT^l

Tradition Synoptique» en 1921*. C ’est là q u ’il étudie la valeur des textes sur
lesquels repose son édifice théologique®.
Selon des critères d ’une extrême subtilité (et subjectivité), B u l t m a n n
distingue dans les Evangiles Synoptiques : a) une ancienne tradition juive, qui
peut être antérieure à Jésus ; b) un noyau prim itif qui remonte à Jésus ;
c) des formations de la communauté primitive, palestinienne ; d) des forma­
tions de la communauté hellénistique ; e) le travail rédactionnel de Marc,
ou de la Source Commune à M atthieu et Luc, ou de M atthieu, ou de Luc.
Cette méthode, appliquée aux textes synoptiques recensés ci-dessus,
p. 23-63, donne les résultats suivants’ ;
a) Peuvent provenir de la tradition juive : M atthieu 13,24.47.52 ; 25,34.
b) Ancienne sentence reprise par la tradition chrétienne ; M arc 9,47.
c) Remontent à Jésus lui-même® : Marc 10,14-15 ; M atthieu 19,12 ; Luc 9,62 ;
13,20 : 17,20-21^ ; la source de M atthieu 12,28 (et de Luc 11,20)^® ; peut-être
M atthieu 21,31
d) Fait historique devenu ensuite une légende messianique : M arc 11,10.
e) Proviennent de la communauté primitive : M atthieu 11,12-13 ( = Luc
16,16) ; Luc 1,33 ; peut-être Marc 4,26.
/ ) Résulte des discussions entre la communauté palestinienne et la communauté
hellénistique : M atthieu 5,19.
g) Provient de la communauté hellénistique : M arc 14,25,
h) Form ations de la communauté : M arc 9,1 ; 10,25 ; la source de M atthieu
5,3 (et de Luc 6,20) ; la source de M atthieu 10,7 (et de Luc 9,2) ; la source
de M atthieu 11,11 (et de Luc 7,28) ; M atthieu 16,19^^ ; 25,1 ; Luc 4,43 ; 8,1 ;
9 ,1 1 ; 14,15; 22,29-30.

5. Traduction française par A. M a l e t .


6. Q u’on ne dise surtout pas que ce sont là des opinions de jeunesse, que B ultmann
aurait corrigées par la suite : après la première édition dcl'H isto ire de la Tradition Synoptique,
parue en 1921, B ultm ann n ’a modifié dans la seconde, en 1931, que « des éléments de détail »
(préface), puis il l’a rééditée sans changement ju sq u ’à la fin de sa vie (8 ' édition en 1970);
à partir de 1958 il l’a complétée par un Erganzungsheft, qui s’est accru jusqu’en 1971, mais
ce supplément, qui rapporte les avis, souvent contradictoires, des autres savants, ne discute
pas les positions personnelles de B ultm ann lui-inême. Son traducteur, A. M alet , affirme
dans sa présentation de « Foi et Compréhension », vol. II, p. 7 : « Sa penste ( = de B ultmann )
— du moins à partir de 1924 — est pour ainsi dire tout d ’une pièce et son étalement dans le
temps ne fait q u ’en souligner la rigueur peu commune ». Même les découvertes de Qumrân
n ’ont pas modifié sensiblement les positions de B ultm ann .
7. Les formules employées pour caractériser chaque catégorie sont inspirées par
B ultm ann lui-même (sauf la dernière).
8. « Ce n ’est que dan.s un petit nombre de cas que l ’on peut attribuer avec quelque
assurance un logion à Jésus » (Histoire de la T radition Synoptique, p. 137).
9. Voir ci-dessus, p. 60, n. 10, comment B ultmann élude ce texte.
I: 10. « (Cette parole) peut, à mon sens, prétendre au plus haut degré d ’authenticité que
nous sommes en mesure d ’avoir touchant une parole de Jésus : elle est pleine du puissant
sentiment eschatologique qui doit avoir caractérisé l’apparition de Jésus » (même ouvrage,
p. 206).
11, A propos de M atthieu 21,31 : « ...dont il n ’est peut-être pas besoin de mettre en
question le caractère originel » (même ouvrage, p. 224)... « Les applications de ...Matthieu
21,31 peuvent très bien être primitives, à ceci près toutefois que le jugement devra être réservé,
étant donné la tendance de la tradition à ajouter de telles applications » (même ouvrage,
p. 233).
172 LOGIQUE D UNE ERREUR

/■) Additions secondaires : M arc 1,14-15 ; 4,11 ; la source de M atthieu 6,33 (et
de Luc 12,31) ; M atthieu 12,38.41.43 ; 13,33.44-45 ; Luc 12,32.
j ) Légende biographique : Luc 22,16.
k) Aucun rapport à la personne de Jésus : M atthieu 8,11-12 ( = Luc 13,28-29).
/) Sens originel devenu méconnaissable : M atthieu 20,1.
m) Passage dont on ne peut pas établir l’ancienneté ; M arc 15,43.
n) Travail rédactionnel de M arc : 10,23-24 ; 12,34.
o) Travail rédactionnel de la Source Commune : M atthieu 23,13.
p) Travail rédactionnel de M atthieu : 4,23 ; 5,10.20 ; 7,21 ; 9,35 ; 18,1.3-4.
g) Travail rédactionnel de Luc ; 9,60 ; 18,29 ; 19,11 ; 23,42.
r) Textes sur lesquels B u l t m a n n ne se prononce pas ; M arc 4,30 ; la source
de Matthieu 6,10 (et Luc 11,2)” ; M atthieu 18,23 ; 20,21 ; 21,43 ; 24,14.
Sans examiner ici la valeur de la méthode de B u l t m a n n et la justesse des
postulats sur lesquels elle repose constatons du moins que cette pulvérisa­
tion des Evangiles aboutit, au sujet du Règne et du Royaume de Dieu, à des
conclusions qui contredisent racücalement les constatations qui semblent se
dégager des textes eux-mêmes (voir ci-dessus, p. 83-85).
Alors que B u l t m a n n n ’attribue à Jésus que cinq ou six mentions du
R è ^ e ou du Royaume de Dieu, nous avons vu au contraire que cette notion
était peu f r é q u e n t e d a n s le judaïsme contemporain de Jésus et peu en
harmonie avec la pensée hellénistique (p. 86-88) ; par ailleurs nous avons
remarqué q u ’elle apparaît avec une insistance notable chez Marc, dans la
Source Commune, chez M atthieu et chez Luc (p. 84).
Pour expliquer cette convergence, on est tout naturellement conduit à
supposer que c ’est Jésus lui-même qui a mis cette idée au centre de son
message. Mais, si l ’on adm et les vues de B u l t m a n n , comment expliquer que
ce soient les communautés chrétiennes, d ’origine palestinienne ou hellénis­
tique, qui aient propagé d ’elles-mêmes une conception qui n ’était ni pales­
tinienne ni hellénistique ? Le découpage proposé par B u l t m a n n selon des
méthodes qui se veulent purement rationnelles aboutit ainsi à une reconstitu­
tion non-rationnelle. Mais n ’insistons pas sur ce point, car nous n ’avons ni à
ratifier ni à critiquer l’œuvre de B u l t m a n n , mais seulement à voir quelle
influence l ’eschatologie a exercée sur sa pensée^®.
1) B u l t m a n n accepte docilement les positions de Johannes W eiss et
d ’Albert S c h w e it z e r sans les soumettre à un examen scientifique. Il considère
comme prouvé, et même comme évident, que le Royaume de Dieu n ’arrivera

12. L ’opinion de B ultm ann sur ce texte capital est rapportée ci-dessus, p. 49, n. 12.
13. C ’est-à-dire le « N otre Père »,
14. Cet examen critique a déjà été fait bien des fois (voir par exemple la liste des travaux
signalés par R. M arlé , p. 132, note 65); en français on pourra se reporter, p ar exemple, à
l ’ouvrage de B. de Solages . La plus amicale, la plus autorisée (et la plus sévère) des critiques
est celle de K arl B a rth dans son « Essai pour comprendre B ultm ann ».
15. B ultm ann le reconnaît d ’ailleurs très loyalement : « Il est remarquable que le concept
de basileia tou théou n ’était encore (au temps de Paul) employé que rarem ent » (Tteologie
des Neuen Testaments, p. 79).
16. J. S mart étudie en détail la form ation de la pensée de B ultm ann et l ’opposition
de plus en plus grande entre lui et K arl B arth .

m
R. BULTMANN 173

q u ’à la Fin du M o n d e C e point est pour lui tellement certain q u ’il en tire


argument pour rejeter tout ce qui le remettrait en question. Ainsi (selon la
méthode critiquée p. 60, n. 10) il repousse l’interprétation obvie de Luc 17,20-21,
pour ne pas être conduit à reconnaître q u ’une « réalité spirituelle», constituée
p ar « la personne de Jésus et de ses disciples », était déjà présente parmi les
interlocuteurs de Jésus. Ainsi (voir les deux textes cités p. 49, n. 12) il déclare
inauthentique M atthieu 16,17-19, parce q u ’autrem ent « l’ekklêsia perd son
radical sens eschatologique ». Pour Bultmann l’identification du Règne
ou du Royaume de Dieu avec « l ’Eschatologie» est un postulat q u ’il ne
discute jamais. Dès la p. 3 de sa Théologie des Neuen Testaments, il afiirme
de façon péremptoire ; « Le Règne de Dieu est un concept eschatologique » ;
ailleurs il dit : « A ujourd’hui, on reconnaît généralement que le règne de Dieu,
annoncé p ar Jésus-Christ, est eschatologique. Il ne reste q u ’une question
controversée : Jésus a-t-il pensé que ce règne était im m inent» (Histoire et
Eschatologie, p. 30).
Déjà en 1917, dans un article sur « la signification de l ’Eschatologie
pour la religion du Nouveiiu Testam ent», il pose comme point de départ
de son argumentation ; « tout le mouvement du christianisme prim itif peut
être compris et exposé comme un mouvement eschatologique» (p. 76). En
somme les positions de B u ltm an n sur l’Eschatologie ne résultent pas d ’une
étude scientifique du Nouveau Testament, mais simplement de l ’adoption
naïve d ’un concept à la mode dans son milieu de formation^®.
2) B u ltm a n n n 'û pas distingué clairement entre le Règne et le Royaume
de Dieu^^. Bien q u ’il montre parfois qu’il n ’ignore pas la différence entre
« royauté », « règne » et « royaume », il traduit généralement « basileia tou
théou» par « Règne de D ieu», et il n ’emploie que rarement « Royaume de
Dieu ». Ainsi il en arrive à négliger l ’aspect spatial et temporel du « Royaume »
pour ne retenir que l’aspect immatériel et intemporel du « Règne ».
Lui, qui sait fort bien le grec et dont les argumentations philologiques
sont souvent très subtiles, il ne paraît pas s’apercevoir q u ’il fausse la signi­
fication de « basileia » en minimisant une de ses significations, de sorte qu’il
prive ce terme de son réalisme concret. L ’oubli du «R oyaum e» et l ’abus
du « R ègne» facilitent une présentation unilatérale, où le subjectif l ’emporte
trop sur l ’objectif.
3) B u ltm an n , qui emploie souvent le m ot « paradoxe », se met lui-même
dans une position paradoxale. D ’un côté il affirme que nous ne savons à peu près
rien sur Jésus^°, et d ’un autre côté il suppose q u ’il connaît si bien sa pensée

17. « Cette conception fondamentalement future et eschatologique de la prédication


de Jésus paraît tellement évidente à R. B ultm ann q u ’il n ’allègue aucune preuve et n ’apporte
aucune réticence » : W .G. K ümmel dans N aherwartung, p. 457 (dans une Festchrift en
l ’honneur de B ultmann !). — « Le danger est que ce q u ’on intitule « Vie de Jésus » aboutisse
à être en fait un rom an psychologique sur un grand nombre de membres anonymes de l’Eglise
primitive » (T .W . M anson , parlant de ScirWEirzER et de B ultm ann , dans Studies..., p. 7).
18. D ans une lettre à Karl B arth du 21 avril 1925, Bultmann annonce q u ’il a l’intention
de faire une étude sur « Eschatologie et Apocalyptique dans le Christianisme Primitif »
(Briefwechsel, p. 44). A-t-il réalisé celte intention ?
19. N ous pouvons ici négliger la notion de « Royauté », qui ne fait pas problème.
20. « Nous ne pouvons à peu près plus rien savoir de la vie et de la personnalité de Jésus »
(Erforschung der Synoptikem Evangelien, p. 11) ; « Jamais, pour un seul m ot de Jésus, on ne
peut apporter la preuve précise de son authenticité » (même ouvrage, p. 36).
174 LOGIQUE d ’u n e ERREUR

q u ’il peut affirmer sereinement que Jésus avait sur tel ou tel point telle ou
telle position, que les communautés palestiniennes puis hellénistiques ont ff
ensuite modifiée de telle ou telle façon. En fait, B u l t m a n n raisonne de façon ^
purement artificielle, au nom de sa logique personnelle, comme si les per­
sonnages de l ’antiquité orientale s’étaient toujours conformés aux théories /;
des théologiens modernes. -
Ce vice de méthode affecte tout le « système » construit par B u l t m a n n .
Lui qui est tellement sceptique sur la personne et la pensée de Jésus, il devrait,
logiquement, s’abstenir de toute conclusion précise sur sa théologie. Les '
mêmes arguments q u ’il utilise pour refuser d ’attribuer à Jésus la prédication
du Règne (ou : du Royaume) de Dieu devraient l ’empêcher de dénier la
possibilité de cette même prédication. Autrement dit, si nous ne pouvons plus
savoir ce que Jésus a prêché, nous ne pouvons pas plus savoir ce q u ’il n ’a pas
prêché (à moins de remplacer l ’histoire par une théologie préconçue). /
4) B u l t m a n n , à la suite de Johannes W eiss et d ’Albert S c h w e it z e r ,
admet comme évident que le Règne (ou : le Royaume) de Dieu sera non
pas la Fin du Monde actuel, mais Vinstawation d ’un autre monde, d ’une
tout autre nature. Certes, une telle opinion est en harmonie avec les textes
comme M atthieu 25,31-46 ou I Corinthiens 6,9-10 ; 15,24.50 et II Timothée
4,18, qui assimilent le Royaume de Dieu à la Vie étemelle ; cette opinion ne a:
doit donc pas être considérée comme fausse sur ce point-là. Mais d ’autres textes,
comme les paraboles de la croissance (M arc 4,26-29 + 30-32 ; M atthieu |
13,24-30-1-33) ou comme M atthieu 18,1 ; 19,12 ; 21,31-32 ; Luc 12,32 ; |
17,20-21 m ontrent clairement que le Royaume de Dieu est présent sur cette ■ Vï
terre. A moins de récuser ces textes (comme B u l t m a n n le peut facilement
grâce à son exégèse, mais comme ne le peuvent pas ceux qui refusent d ’éliminer
un texte théologique pour des motifs théologiques), on doit chercher une
solution qui convienne aux deux aspects à la fois ; Royaume de Dieu
présent sur la terre et dans l ’histoire, d ’une part, et, d ’autre part, Royaume de
Dieu présent au-delà de la terre et de l ’histoire. C ’est d ’ailleurs pour cela
q u ’on est obligé de voir dans le Royaume de Dieu l’Eglise, qui est à la fois
terrestre et céleste. Mais reléguer le Royaume de Dieu après la Fin du Monde
et dans un autre monde, c ’est violenter certains textes bibliques, tout comme
on en violenterait d ’autres si on le reléguait seulement dans la phase finale
de l ’histoire de ce monde, lors de la Parousie et du Jugement Général.
5) Allant encore plus loin dans la même ligne, B u l t m a n n en arrive à ne
plus voir dans le Règne-Royaume de Dieu (ou dans l ’Eschatologie à laquelle
il s’identifie) q u ’une réalité suprahistorique, éternelle et divine qui, par définition,
s’oppose à tout ce qui est terrestre et humain. « La prédication eschatologique
regarde le temps présent à la lumière du futur ; elle dit aux hommes que le
monde actuel, le monde de la nature et de l ’histoire, celui dans lequel nous
vivons et établissons nos projets, n ’est pas le seul, mais q u ’il est temporel, éphé­
mère et, finalement, aussi vide q u ’irréel au regard de l ’éternité» (B u l t m a n n :
Jésus-Christ et la Mythologie, p. 195). Cette notion extra-historique de

21. B ultmann a senti cette difficulté, car il aflRrme dans sa Théologie des Neucn
Testaments, mais sans fournir aucun argument : « Même les paraboles du Senevé et du
Levain ne parlent pas d ’un développement progressif du Royaume de Dieu » (p. 7). Pourquoi ?
R. BULTMANN 175

l ’Eschatologie amène B ultmann à réfléchir plusieurs fois sur la relation


réciproque de l ’Eschatologie et de l ’histoire : déjà en 1926 « Religion histo­
rique et supra-historique dans le C hristianism e»; puis en 1951 «Jésus-
Christ et la M ythologie» ; puis en 1953 «H istoire et Eschatologie dans le
Nouveau Testam ent» ; puis en 1955 «H istoire et Eschatologie». Chaque
fois il revient sur les mêmes idées avec une remarquable constance : « Le
paradoxe de l ’histoire et de l ’eschatologie consiste en ce que l’événement
eschatologique se produit dans l’histoire et se reproduit partout dans la
prédication. Cela signifie que l ’eschatologie entendue dans son sens authenti­
quement chrétien n ’est pas le terme à venir de l ’histoire mais que l ’histoire
est absorbée par l’eschatologie» (En 1953, Foi et Compréhension, vol. H,
p. 127). « Je suis d ’accord avec lui ( = H. BuTTERnELo) lorsqu'il dit : « Chaque
instant est eschatologique ». Je préférerais pourtant dire : chaque instant
peut être eschatologique... Lorsque la foi chrétienne conçoit le présent comme
un présent eschatologique, elle réalise la signification de l ’histoire» (En
1955, Histoire et Eschatologie, p. 132). D ’où la formule si fréquente sous
la plume de B ultmann : « Le « maintenant » eschatologique ». Comme le
reconnaît R. M arlé , « eschatologique » signifie chez B ultmann « à la fois
dans le temps et au-delà du temps » (p. 154).
C ’est pour cela d ’ailleurs que des savants comme N .A . D a h l et J. K ô r n e r
ont centré leurs travaux sur les rapports de l’Histoire et de l ’Eschatologie
chez B u l t m a n n .
6) Ainsi l’Eschatologie de B u l t m a n n dépasse l’ordre historique et devient
proprement métaphysique. Il la retrouve alors chez les philosophes comme
K a n t , H e g e l et M a r x (Histoire et Eschatologie, p. 58-60) et il peut conclure :
« L e «m anifeste» communiste de 1848 est... une eschatologie sécularisée»
(p. 60).
Cette nouvelle déformation ne doit pas nous étonner, car B u l t m a n n est
toujours resté un philosophe et l ’on a souvent l ’impression que c’est sa
philosophie qui oriente inconsciemment son exégèse^ Son amitié avec son
collègue M artin H e id e g g e r (auquel il dédie en 1933 le premier volume de
Glauben und Verstehen) l’a considérablement influencé et un climat existen­
tialiste imprègne depuis lors tous ses ouvrages. Mais par la simple tournure
de son esprit, son premier article sur l ’Eschatologie, en 1917, était déjà
nettement philosophique : « La signification de l ’Eschatologie pour la religion
du Nouveau Testament »^^.
Q u’il suffise de citer sa définition de l’Eschatologie : «Définissons...
l ’eschatologie. L ’eschatologie est l’au-delà par opposition à l ’ici-bas, l’éternité
par contraste avec le temps, le tout autre que le monde et que l ’homme, en
un m ot Dieu lui-même et les choses de Dieu. Mais elle n ’est vraiment telle
que quand on la pense sur le plan de / ’ « historicité ». Elle ne désigne pas une
transcendance qui ne serait q u ’une surnature ou une surhistoire, un Was de
type supérieur. Le Dieu eschatologique n ’est pas l ’Etre invisible et spirituel
dont parlaient les Grecs, ni le Dieu de la théologie chrétienne classique, ni

22. G.W . B ucha n an déclare dans la préface de son gros ouvrage : « Plus on discutait
l’Eschatologie de B ultm ann , plus je devenais convaincu q u ’elle n ’était pas biblique ».
23. Toutefois, B ultm ann n ’a pas réédité cette œuvre de jeunesse dans les recueils
« Verstehen und Glauben » et « Exegetica ».
176 LOGIQUE d ’u n e ERREUR

celui de la théologie contemporaine, qui en définit l’altérité par la catégorie


du suprahistorique... Il doit être pensé comme le Tu... Il est le Tout-Autre
qui n ’est tel que parce q u ’il est notre Selbstverstândnis, c ’est-à-dire notre
Seigneur... L ’eschatologie exprime l’altérité la plus radicale, celle de Dieu,
qui est constituée, non par son eu soi, mais par sa seigneurie ».
7) Cette eschatologie, devenue philosophie, devient aussi, évidemment,
théologie. Sa notion s’est tellement étendue q u ’elle peut s’identifier à presque
tout^'^. Et de fait, B u l t m a n n la conçoit comme source de toute la théologie
chrétienne. Lorsqu’on 1960 et 1962 E. K a s e m a n n affirma que l 'Apocalyptique^ *
était « la mère de toute la théologie chrétienne », son ancien maître, B u l t m a n n ,
répliqua que la mère de toute la théologie chrétienne n ’était pas l’Apocalypti­
que, mais l ’Eschatologie (Ist die Apokalyptik..., p. 64 et 69).
Pour qui parcourt les multiples publications de B u l t m a n n , cette
confusion entre Théologie et Eschatologie se retrouve un peu partout et l ’on
pourrait accumuler les citations. B u l t m a n n en arrive jusqu’à voir dans le
chrétien « u n être eschatologique» (Kerygma und Mythos, p. 31). Aussi
J. K ôrn ' e r commence son ouvrage par une « remarque préalable » qui a
pour titre : « La position centrale de l ’Eschatologique dans la théologie de
B u l t m a n n », et il conclut le même ouvrage en constatant « l ’absorption de
toute la Théologie par l ’Eschatologie» (p. 141).
8) En particulier, l'Eglise devient logiquement pour B u l t m a n n une
réalité eschatologique.
Je n ’ai pas cherché à quelle date cette identification apparaît sous sa
plume, mais, à partir de 1951, elle devient habituelle.
En 1951, dans « Jésus-Christ et la M ythologie» : « L ’Eglise constitue
la communauté eschatologique des élus, des saints, qui sont déjà justifiés et
qui vivent parce qu’ils sont en Christ » (p. 202)... « Après Paul, Jean a démy-
thologisé d ’une manière radicale l ’eschatologie. Pour Jean, la venue et le
départ de Jésus constituent l ’événement eschatologique» (p. 203)... « L a
parole de Dieu et l’Eglise sont étroitement solidaires... Puisque la parole
n ’est parole de Dieu que comme l’événement, l ’Eglise n ’est vraiment l’Eglise
que comme un événement qui se produit à chaque instant... Car l’Eglise est
la communauté eschatologique des saints » (p. 242).
En 1955, dans Histoire et Eschatologie: « O n peut penser q u ’elle
(= l ’Eglise) est un phénomène eschatologique» (p. 49).
La même année en 1955, B u l t m a n n publie un article qu’il intitule :
« Les changements de la compréhension de soi de l’Eglise dans l ’histoire du
Christianisme prim itif» ; « Que la Communauté primitive se reconnaît comme

24. « B l'ltmann appelle en effet « eschatologique » un événement temporel et constatable


historiquement qui possède en même tempw une signification supra-naturelle que seul le
croyant peut reconnaître : c ’est le cas de la mort de Jésus sur la croix, de la foi des premiers
disciples, de leur prédication, de la communauté, des sacrements et de l’imitation du Christ »
(Karl Ba r th , Dogmatique, vol. III, tome 2, 2 ' partie, p. 128). On trouvera de plus longs
développements dans M arlé , p. 128-130 et 159-167.
25. E. K asemann , comme beaucoup d ’auteurs, surtout allemands, prend l ’Apocalyptique
non pas pour un genre littéraire, mais pour un conglomérat théologique assez imprécis.
Voir à ce sujet : « Q u’est-ce que l 'Apocalyptique ? Son emploi à Qum rân » dans la Revue
de Q um rân, n° 37, vol. 10, fasc. 1 (1979), p. 3-33.
R . BULTM ANN 177

la Communauté de la fin des temps signifie que son caractère propre ne


trouvait pas son expression dans la forme synagogale. Ce caractère étant un
phénomène eschatologique, il ne pouvait aucunement se traduire dans des
ordonnances... car la Communauté primitive est par essence m e grandeur
de l ’Au-delà » (p. 155)... « La Communauté en tant que grandeur eschatologique
de l ’A u-delà» (p. 156)... « L a «transcendance» de la Communauté eschato­
logique s’entendait d ’abord simplement ou essentiellement de son appartenance
à un futur qui serait bientôt le présent» (p. 158).
En 1957, dans une réflexion sur sa propre pensée intitulée « A mon
sujet », il déclare ; « Ce paradoxe consiste en ce que l ’événement eschatologi­
que est devenu un événement dans l ’histoire par la vie et la m ort de Jésus et
qu’il devient sans cesse événement dans la prédication de l’Eglise, cette dernière
étant également, en tant q u ’elle s’adonne à la prédication, un phénomène
historique et à la fois l’événement eschatologique... La prédication elle-même
est un événement eschatologique au même titre que l ’Eglise» (p. 217-218).
En 1962 A. M a l e t publie une étude sur B u l t m a n n o ù il va jusqu’à dire :
« L ’Eglise n ’est q u ’un autre nom de Dieu et du Christ, en tant q u ’elle est
une grandeur eschatologique» (p. 183 au début du chap. X ; «T radition,
Eglise, Sacrement»). O r cet ouvrage est précédé d ’une lettre de deux pages
où B u l ™ a n n félicite l ’auteur ; « Je puis assurer que vous l’avez fait ( = exposer
l’intention de mon œuvre théologique) avec une intelligence totale et comme
il m ’a rarement été donné de le voir... Spécialement im portante est la façon...
dont vous présentez l ’historicisation de l ’eschatologie et l’essence de l’Eglise
comme un phénomène eschatologique ».
9) Par un nouveau paradoxe, à force de déformer la notion de Royaume
de Dieu, B u l t m a n n rejoint presque les données du Nouveau Testament.
Son Règne-Royaume de Dieu, en passant par l ’Eschatologie, est ainsi devenu
une réalité immatérielle et intemporelle, qui se trouve réalisée temporellement
et localement dans Jésus et dans ceux qui s’ouvrent à sa prédication. Or,
c ’est précisément la définition, obtenue par une tout autre méthode, soit du
Royaume de Dieu soit de l ’Eglise (voir ci-dessus, p. 130).
En ce qui concerne le Règne de Dieu et la Justification, B u l t m a n n , malgré
un vocabulaire différent, adopte en somme une position voisine de celle qui a
été dégagée plus haut (p. 120-127) : « Pour Jean comme pour Paul, le pardon
du péché, c ’est l ’annonce d ’une nouvelle existence instaurée chez le croyant par
l’action eschatologique de D ieu» ( M a r l é , p. 126). Ce que B u l t m a n n
appelle « l’action eschatologique de D ieu», n ’est-ce pas ce que nous appelons
« le Règne de Dieu » ?
Si le Règne-Royaume de Dieu est eschatologique et si l’Eglise elle aussi
est eschatologique, on n ’est pas loin de les rapprocher l’un de l ’autre. Certes
B u l t m a n n ne le fait pas^*. Du moins il a tellement distendu leur notion,
par leur projection en Eschatologie, q u ’elles se rejoignent presque : « Elle
( = la Royauté de Dieu) est purement et simplement eschatologique, ce que
le Nouveau Testament exprime quand il la voit accomplie dans l’Eglise.

26. Et il a raison de ne pas le faire ; puisque pour lui l’Eschatologie est une notion plus
vaste que l ’Eglise ou que le Règne-Royaume de Dieu, elle ne |» u t servir à les identifier;
autrem ent, cela constituerait un raisonnenaent du type de celui-ci : La laine est blanche ; la
neige est blanche ; donc la laine est la neige !
178 LOGIQUE d ’u n e ERREUR

L ’Eglise en effet - il faut le redire — n ’est pas une grandeur historique, elle
est transcendante au monde. C ’est le Christ ressuscité... qui en est le R oi»
(A. M alet, p. 243). Si la Royauté de Dieu est accomplie dans l ’Eglise,
n ’est-ce pas que l ’Eglise est le Royaume de Dieu ?
«
* *

Cependant, ne félicitons pas trop B u l t m a n n de ces conclusions inespérées,


car elles sont obtenues à partir des erreurs de J. WErss et d ’A. S c h w e it z e r ,
qu’il a suivies si logiquement q u ’elles en arrivent presque à contredire leur
point de départ. Comment oublier que B u l t m a n n a puissamment contribué
à propager une notion d ’Eschatologie dont les méfaits contaminent l ’ensemble
de son œuvre
Bien entendu, B u l t m a n n ne fut pas le seul à épouser les théories de
J. W eiss et de S c h w e it z e r . Dès 1922 P. A l t h a u s publiait une « Ebauche
de l ’Eschatologie chrétienne», dont la 6 ' édition, en 1956, était présentée
comme un «M anuel d ’Eschatologie». Lui aussi suppose a priori que
« l ’arrivée du Royaume sera la fin de notre monde et de notre histoire» (6'
édition : p. 231, 250, 319, 325, 340, etc.) ; lui aussi affirme que l ’Eschatologie
est le point de convergence de toutes les branches de la théologie systématique
(3* éd. : p. X). B u l t m a n n n ’est que le membre le plus caractéristique de
toute une école eschatologique (qui a même inclus, pendant quelque temps,
Karl B a r t h ).
Son immense influence (non seulement en Allemagne, mais aussi en France
et dans les pays anglo-saxons) n ’a pas besoin d ’être décrite ; ses nombreux
et fervents disciples ont vulgarisé avec ardeur les positions de leur maître.
Certes, diverses oppositions se sont aussi manifestées, qui ont provoqué
d ’ardentes discussions. Nous n ’avons pas à les résumer ici, mais on pourra
les étudier, par exemple, chez F. H o l m s t r ô m et M. W e r n e r . De même on
trouvera chez R.F. B e r k e y , entre autres, le résumé du combat entre l ’Escha-
tolog'e « conséquente » de J. W eiss , S c h w e it z e r et B u l t m a n n et l ’Eschatologie
«réalisée» de D o d d et ses disciples (voir chapitre suivant)^®.

27. Selon la bibliographie de K w ir a n , l’œuvre de B ultmann a inspiré 75 travaux sur


l’Eschatologie, 18 sur l’Eglise et 4 sur le Royaume de Dieu (... alors que le Nouveau Testament
parle très souvent du Royaume, a.*5sez souvent de l’Eglise et jam ais de l’Eschatologie)!
28. Je venais de terminer la rédaction de ce chapitre quand m ’est parvenu l’ouvrage de
G.W. B uchanan « Révélation and Redemption », où l ’auteur explique dans sa préface que
plus il a étudié l’Eschatologie de B u ltm ann , plus il a constaté q u ’elle n ’était pas biblique,
q u ’ensuite il a découvert que les Eschatologic.s de J. W eiss, ScHWErrzER, A lthaus et D odd
étaient tout aussi peu bibliques et q u ’il s’est aperçu que l ’Ancien Testament, les Manuscrits
de la Mer M orte et la littérature inter-testamentairc ne contenaient pas non plus de véri­
table Eschatologie.
•k -'
t.- CHAPITRE XX

t. Retournement d’une erreur :


f
ê?;
%
Charles-Harold Dodd
È Pendant que Johanncs W eiss , S c h w e it z e r et B u l t m a n n faisaient
triom pher « l ’Eschatologie Conséquente », qui renvoie à la Fin du M onde la
réalisation du Royaume de Dieu, leur influence étouffait un autre courant
théologique, tout à fait opposé, qui insistait au contraire sur la réalisation
de l ’Eschatologie dans la vie même et dans l’action de Jésus.
Déjà Fr. S c h l e ie r m a c h e r (1768-1834) et Christian-Hermann W eisse
(1801-1866) avaient proposé d ’interpréter en fonction de la Résurrection de
Jésus les paroles qui semblaient annoncer son Retour, la Parousie, vers la
Fin du Monde. Ainsi les perspectives « eschatologiques » n ’avaient plus
d'im portance ^
Vers 1863, A. R é v il l e , résumant en français un ouvrage hollandais de
ScuoL TE N , niait franchement ce futur retour de Jésus, qui aurait, selon lui,
reporté à la Fin du Monde la fondation du Royaume de Dieu, alors que les
Evangiles la présentent comme déjà réalisée: « Comment donc aurait-il
( = Jésus) enseigné q u ’il reviendrait fonder le royaume messianique d ’une
manière visible et extérieure ?... Jésus, là et ailleurs, ne reporte pas le royaume
de Dieu dans l ’avenir qui suivra sa m ort et son retour visible ; ce royaume est
pour lui une société... qui, préparée par la Loi et les prophètes, va être instituée
immédiatement par l ’effet de sa venue dans le monde et a même déjà reçu
un commencement de réalisation. Ce royaume n ’est donc pas réservé au monde
futur ; il commence déjà dans celui-ci » (p. 106)... « N ous devons nous demander
si, historiquement, l ’on peut attribuer à Jésus de pareilles espérances... Avouons
que cette substitution de notions fantastiques aux notions les plus saines dans
l’esprit d ’un Jésus est tout ce q u ’on peut concevoir de plus inimaginable. Mais,
historiquement, c ’est faux » (p. 108)... « En résumé, le Christ historique a cru
au triom phe du royaume de Dieu et à la durée de son œuvre, mais non à son
retour visible pour juger les vivants et les morts » (p. 109).
Vers la même date, en 1864, un autre membre de « l’Ecole de Strasbourg »,
Timothée C o l a n i , reprenait les mêmes théories dans un ouvrage qui eut grand

1. W. W e iffe n b a c h , p. 376-389.
180 RETOURNEMENT D ’UNE ERREUR

succès, puisqu’il fut réédité la même année. Convaincu (sans doute par R év il l e )
que la Parousie n ’est pas admissible, il expose franchement ses positions :
« Ce ne peut être évidemment q u ’avec un sentiment de réserve, de défiance
même que nous abordons les textes sur la parousie » (p. 113)^... « Des cinq
paroles que nous venons d ’étudier (Matthieu 10,23; 19,28; 23,39
( = Luc 13,35); 26,29 ( = M arc 14,25 et Luc 22,18); 26,64 ( = M arc 14,62
et Luc 22,69)), il y en a une qui examinée de près s’est trouvée ne rien contenir
d ’apocalyptique, trois qui étant en contradiction flagrante avec d ’autres
paroles incontestables ont dû être déclarées inauthentiques, une enfin, la
dernière, qui nous a paru invraisemblable à un très-haut degré » ( T ' édition :
p. 137 ; 2 ' édition ; p. 198)... « Comment attribuer à Jésus l ’espoir de revenir
ainsi sur les nuées pour ouvrir les assises finales du genre humain ?... Jésus
aurait pu, je le suppose, emprunter les idées fantastiques de son entourage,
il n ’a pu les outrer à ce point... C ’est d ’après sa doctrine, c ’est d ’après lui
que seront jugés et chaque homme individuellement et les peuples et l’humanité
entière. Cette manière de voir (je le dis avant tout examen des textes) [sic !],
il a fort bien pu l’exprimer sous une image en l’adaptant, par exemple, à la
notion d ’un jugement solennel qui doit terminer l ’histoire. Mais, je le répète, il
n ’a pas pu s’attendre à revenir sur les nuées du ciel pour présider à ce jugement »
(1 " édition : p. 107 ; 2 ' édition : p. 155-156)... « Nous le disons donc sans aucune
hésitation ; non Jésus n ’a pas espéré revenir du ciel pour achever son œuvre.
En m ourant il l’avait achevée complètement, telle q u ’il l ’avait conçue. C ’était
désormais à l’Esprit invisible de donner la croissance au grain déposé dans la
terre » (1 " édition : p. 148 ; 2 ' édition : p. 215).
En 1873, W. W e if f e n b a c h , qui cite divers auteurs à l ’appui de sa thèse,
conclut un examen méticuleux des Evangiles Synoptiques (p. 69-372) en affir­
m ant que Jésus imaginait pour un avenir très prochain son retour personnel
parmi les siens (p. 359), mais que rien ne prouve que ce retour marque la fin
du Royaume de Dieu ou la Fin du Monde (p. 365). C ’est l ’Eglise primitive
qui a mal compris ses paroles et imaginé une Parousie associée au Jugement
Général et à la destruction du monde (p. 370).
En somme, alors que S t r a u s s , R eu ss et R e n a n voient dans la Parousie
une erreur de Jésus, R é v il l e , C o l a n i et W e if f e n b a c h reportent cette erreur
sur les disciples, qui ont mal compris leur maître. Dans un cas comme dans
l ’autre, le Royaume de Dieu est une réalité présente et n ’a plus de portée
« eschatologique ».
Mais J. W eiss , S c h w e it z e r et B u l t m a n n soutinrent le contraire avec
une telle énergie que ce courant théologique sombra dans un oubli presque
total. Ce n ’est donc pas sous son influence que se placent C.H. D odd et ses amis.
En effet, malgré le succès, en Allemagne, de l ’Eschatologie Conséquente,
certains savants anglais ne se laissèrent pas impressionner et reprirent l ’examen
des textes. On ne sait pas très bien s’il faut attribuer à Edwyn H o s k y n s , à
T.W. M a n s o n ou à C.H. D o d d l’initiative de cette réaction, mais c ’est surtout
Dodd^ qui en est devenu le champion officiel.

2. La 2 ' édition retouche cette phrase : « U ne dernière remarque justifiera le sentiment


de réserve, de défiance même que nous inspirent les discours eschatologiques prêtés à Jésus »
(p. 164).
3. On trouvera son curriculum vitae et sa bibliographie ü u sq u ’en 1954) dans la Festschrift
D odd , p. xi-xviii.
C .H . D ODD 181

Pour ces savants, les nombreux textes évangéliques qui présentent le


Royaume de Dieu comme une réalité appartenant au présent, et même déjà
au passé, ne doivent absolument pas être escamotés pour confiner le Royaume
de Dieu dans un avenir plus ou moins lointain"^. Par une étude sérieuse et
précise des textes, surtout des Paraboles’, ils m ontrent de façon incontestable
que le Royaume de Dieu, selon les paroles mêmes de Jésus, est déjà arrivé,
q u ’il existe déjà sur terre, qu’il est déjà proposé à tous les hommes. D o d d a
beau jeu de prouver que les tenants de l ’Eschatologie Conséquente négligent
ou violent des textes clairs, uniquement parce que ces textes ne sont pas
conformes à leurs théories.
Après un si bon départ, on s ’attendrait à ce que D o d d admette sans
problème que d ’autres textes placent le Royaume de Dieu dans l’avenir et
l ’associent aux événements de la Fin du Monde. Ainsi le Royaume de Dieu
est une réalité déjà présente lors de la vie de Jésus, mais il sera aussi une réalité
parousiaque, tout comme il est à la fois une réalité terrestre et céleste. Et,
s ’il ne voulait pas laisser ses lecteurs dans l ’indécision, D o d d aurait dû être
conduit logiquement à reconnaître dans ce Royaume de Dieu la seule réalité
qui possède exactement les mêmes caractéristiques : l ’Eglise®.
Hélas ! L ’influence de la théologie allemande avait été trop forte en Angle­
terre et D o d d n ’avait pas eu assez d ’esprit critique pour en déceler les faiblesses.
Il croyait donc à l’Eschatologic^. Et alors se posait à lui un faux problème :
puisque le Royaume de Dieu est essentiellement eschatologique, comment
peut-on dire que ce Royaume de Dieu est déjà arrivé au temps de Jésus, comme
l’affirment des textes inéluctables ?
Hélas ! Même un savant comme D o d d n ’a pas vu que c ’était la notion
d ’Eschatologie q u ’il fallait rejeter comme non-scientifique et q u ’alors ce
pseudo-problème s’évanouissait. Pour maintenir le rêve de Johannes W eiss
qui associait Royaume de Dieu et Fin du Monde, donc Royaume de Dieu
et Eschatologie, D o d d s’est lancé dans une incroyable aventure théologique.
Puisqu’il s ’imaginait tenu d ’affirmer à la fois que le Royaume de Dieu existait
déjà au temps de Jésus et que ce Royaume de Dieu était eschatologique, il
crut pouvoir s’en tirer en inventant une « Eschatologie Réalisée »®. Selon ce
nouveau système, c'est la vie même de Jésus qui est la véritable Fin du Monde,

4. A.M. H u n t e r fait rem arquer que, sur 27 passages de Marc et de la Source Commune,
18 envisagent le Royaume de Dieu comme présent (p. 72).
5. Un des principaux ouvrages de D odd concerne « Les Paraboles du Royaume ».
6. T.W . M anson va presque jusque là : dans une conférence de 1943, reproduite dans la
Festschrift L io htfoot , il affirme que « l’Eglise a existé presque aussitôt que le niinistère de
Jésus a commencé » (p. 24) ; et dans une conférence de 1948, rééditée dans ses Studies in the
Gospels and Epistles, il reconnaît que « le ministère de Jésus n ’est pas un prélude au Royaume
de Dieu, il est le Royaume de Dieu » (p. 9-10).
7. En 1925 C.R. Bowen reconnaissait cependant (p. 2) que l ’Eschatologie laissait en
lui un certain sentiment de mauvaise conscience. Mais il demandait de réagir en acceptant
l ’Eschatologie « avec joie et enthousiasme » (p. 3).
8. E. H oskyns avait d ’abord parlé de « fulfilledEschatology » ( = Eschatologie
accomplie), d ’autres ont proposé « inaugurated Eschatology », mais ces formules n ’ont
pas été retenues.
182 RETOURNEMENT D ’U N E ERREUR

c ’est sa venue en Palestine « sous Ponce Pilate » qui est la véritable Parousie®,
c ’est sa Résurrection qui a été prise pour l ’annonce d ’une Résurrection
Générale. Chaque texte qui semble associer le Royaume de Dieu et l ’un ou
l’autre des événements « eschatologiques » doit être interprété symbolique­
ment^*^ ou doit être considéré comme une méprise des communautés
chrétiennes primitives, qui ont projeté dans l ’avenir ce que Jéstis avait dit du
présent.
Ainsi D odd croyait résolu son faux problème, mais à quel prix ? D ’abord
il inventait une formule inadmissible, qui ne reposait que sur les multiples
équivoques du terme Eschatologie : « l’Eschatologie Réalisée » ; pour qui donne
aux mots leur véritable sens, cette formule ne peut convenir q u ’à l ’instant
précis où se produira la Fin du Monde. Puis il traitait les textes avec la même
désinvolture que les tenants de l ’Eschatologie Conséquente; alors que ceux-ci
éliminaient d ’une façon ou d ’une autre les textes qui n ’étaient pas conformes
à leurs théories, parce qu’ils présentaient le Royaume de Dieu comme déjà
antérieur à la Fin du Monde, D odd sc voyait obligé d ’éliminer les textes qui
contredisaient sa théorie, parce q u ’ils parlaient d ’un Royaume de Dieu futur,
incluant les événements de la Fin du Monde. Surtout, D odd était logiquement
conduit à nier (ou, ce qui revient presque au même, à interpréter symbolique­
ment) des réalités qui sont clairement affirmées dans les Ecritures et qui
constituent des éléments de la foi chrétienne : la Parousie, ou seconde venue
de Jésus, la Résurrection Générale et le Jugement Dernier.
D o d d est ainsi la victime des méfaits de l ’Eschatologie : il avait bien
commencé une recherche scientifique sérieuse, il allait rétablir, contre les
fantaisies des eschatologistes allemands et français, la véritable notion de
Royaume de Dieu ; mais il a été aveuglé par une funeste Eschatologie, qui l ’a
conduit à tomber dans les pièges q u ’il dénonçait si justem ent chez les autres.
Cet exposé, très schématique, est centré uniquement sur D o d d , mais
en fait tout un groupe de théologiens anglais ou américains, dont il était le
plus célèbre, a partagé et développé les mêmes théories*', parfois au prix

9. Profitons de l ’occasion pour protester contre une erreur qui s’est insinuée jusque
dans la Dogmatique de Karl B a r th (3‘ volume, 2 ' tom e, 2 ' partie, p. 202) : « Le décret adopté
en 1944 par la « Congrégation du Saint-Office » est très significatif à cet égard : la croyance
au retour visible du Christ, est-il spécifié, ne peut pas « être enseignée comme certaine » !
On tient donc pour « incertain » ce qui constitue précisément ta certitude la plus grande du
N ouveau Testament, sur la base de la résurrection du Christ ! Que reste-t-il dès lors de l ’espé­
rance chrétienne ! »... La même erreur est répétée par O. C u llm a n n dans « Christ et le
temps », p. 104, note 1. — En fait, un décret du Saint-OtRce, en date du 21 juillet 1944, publié
dans les Acta Apostolicae Scdis, vol. XXXVI, n“ 7, 28 juillet 1944, p. 212, dit q u ’on ne peut
pas enseigner en sûreté de conscience ( = « tuto ») le millénarisme mitigé et le décret précise
que ce système affirme un Règne visible du Christ siu" la terre avant le Jugement Dernier...
S ’il avait pris la peine de recourir aux sources, Karl B a r t h se serait certainement épargné
cette attaque injuste contre l’Eglise Catholique, car lui non plus n'était évidemment pas
millénariste et lui non plus n ’adm ettait évidemment pas un Règne politique du Christ avant
la Fin du Monde.
10. Vers la fin de sa vie, en 1970, dans « Le Fondateur du Christianisme », C.H. D odd
admet que le Royaume de Dieu « demeure aussi une espérance », mais il voit la réalisation
de cette espérance dans le Règne de Dieu, qui « ne peut se limiter à aucun présent temporel »
(p. 122).
11. Par exemple; C.T. C raio , Floyd F ilson , T.F. G lasson , A .M , H u n ter ,
A.T. C a d o iw , J.A.T. R obinson , R .F . B erkey , N orm an P err in , B.M . N ola n . La pensée
de J.A .T. R obinson est en outre présentée par R . M c B rien .
C .H . D O D D 183

d ’efforts considérables pour effriter les preuves bibliques de la Parousie. De


très nombreux auteurs, même hors d ’Angleterre, ont accepté, défendu et
propagé cette Eschatologie Réalisée, alors qu'il aurait été si simple de parler
du « Royaume de Dieu déjà commencé ». En fait, les cercles théologiques se
trouvent actuellement divisés entre partisans de l’Eschatologie Conséquente
et partisans de l ’Eschatologie Réalisée. Pour échapper à la contradiction
interne qui discrédite la formule « Eschatologie Réalisée », il aurait fallu
renoncer à parler d ’Eschatologie. Mais comment avoir une telle audace dans
une ambiance théologique comme celle du x x ‘ siècle ?
Les savants allemands ne pouvaient manquer, eux aussi, d ’être frappés
par le nombre, la force et la clarté des passages du Nouveau Testament qui
parlent du Royaume de Dieu au présent ou même au passé. Trois surtout,
Rudolf O t t o , Werner-Georg Kü>tmel et Joachim Jeremias, auxquels on peut
joindre le Français Henri Ci.avier, réagirent contre les excès de l’Eschatologie
Conséquente et raisonnèrent en partie comme Dodd*^. Mais ils comprirent
que les deux aspects, présent et futur, du Royaume de Dieu ne s’opposent pas
nécessairement l ’un à l’autre et qu’ils peuvent se rejoindre dans la notion d ’un
Royaume de Dieu en train de se réaliser. D ’où la formule « Eschatologie en
train de se réaliser », proposée par J. Jeremias. Tout cela est presque juste.
En particulier, ces auteurs ont le grand mérite de ne pas refuser la Parousie,
la Résurrection Générale, et le Jugement Dernier, tels q u ’ils sont annoncés
dans le Nouveau Testament. Ils entrevoient même que le Royaume du Christ
et l ’Eglise se ressemblent considérablement^^. Mais ils établissent une curieuse
distinction (voir ci-dessous, p. 192-193) entre Royaume de Dieu et Royaume du
Christ et surtout ils ont cru devoir maintenir la dangereuse notion d ’Eschato-
logie. Puisqu’ils semblent bien adm ettre un Royaume de Dieu en train de se
réaliser, pourquoi ne le disent-ils pas clairement et pourquoi parlent-ils encore
d ’une « Eschatologie en train de se réaliser » ?.

12. Joachiin J eremias est aussi un spécialiste des Paraboles, tout comme D o d d .
13. Par exemple R udolf O tto , p. 116 dans la 1 " édition et p. 122 dans la 2 ‘.
CHAPITRE XXI

Libération d’une erreur :


Karl Barth
Karl B a r t h (1886-1968) est le principal auteur* qui, après être tombé
dans le piège de l’Eschatologie, ait réussi à s’en dégager. Comme il est m ort
avant d ’avoir rédigé la section de sa « Dogmatique » qui devait être consacrée
à l ’Eschatologie, nous ne connaissons pas l’état définitif de sa pensée, mais
les jalons que nous pouvons établir sont par eux-mêmes instructifs^.
Les premiers articles de K. B a r t h et la première édition de son commentaire
sur l ’épître aux Romains (en 1919) ne s’intéressent pas vraiment à l’Eschatologie
(S t a d t l a n d , p. 51). Mais, en 1922, la seconde édition profondément remaniée
sous l’influence d ’OvERBECK^, contient la phrase devenue célèbre: « Un
christianisme qui n'est pas rigoureusement et absolument* eschatologie n'a
rigoureusement et absolument* rien de commun avec le Christ » (p. 301). Ailleurs
K. B a r t h disait : « Le royaume de Dieu n ’a pas « point »* sur terre, pas même
dans ses plus petites particules, mais il a été annoncé ; il n ’est pas « venu »,
pas même sous sa forme la plus sublime, mais il est proche » (p. 101)... « L’Eglise
c’est le lieu... où l’on attend, d ’une manière suprêmement immédiate, le
royaume de Dieu » (p. 319).
Mais en 1940, (Dogmatique, 2' volume, 1" tome, 2 ' partie) K. Barth
se critiquait lui-même avec une admirable loyauté : après avoir cité le passage
qui contenait la phrase sur « rigoureusement et absolument eschatologie (sic) »,
il ajoutait ironiquement : « Well roared, lion®... Que nous n ’étions pas sûrs
de notre affaire, c ’est ce que trahissent précisément les passages de mon exégèse
où j ’ai dû traiter d ’une manière positive de l ’avenir divin et de l’espérance

1. La bibliographie des œuvres de B arth est donnée à la fin de « Réponse », Festschrift


pour ses 70 ans. La bibliographie des œuvres de B arth et sur B arth est donnée par
M. K w ir a n . Ses rapports avec B ultm ann sont bien analysés par J.D . S m art .
2. Pour K . B a rth , voir surtout son Epître aux Romains (2 ' édition), sa « Dogmatique »
et son recueil sur l’Eglise. Son Eschatologie est étudiée par T. S ta d tland , et son Ecclésiologie
par E.W. W endebourg et C. O ’G rady .
3. Sur cet ami de N ietzsche , voir C.A. B ernoulli et le recueil Overbeckiana.
4. En allemand : « ganz und gar und restlos ».
5. D u verbe « poindre » !
6. Transposition française ; « Beau rugissement de lion ! ».
K. BARTH 185

comme telle. Chacun put voir que si j ’étais capable de parler de « l ’au-delà »
du royaume de Dieu comme il faut, j ’étais beaucoup moins au clair en ce qui
concerne sa venue » (p. 390)... « En renouant comme elle l’a fait avec l ’escha­
tologie, elle ( = notre théologie) a pris l ’aspect d ’une réaction exagérée, c ’est-
à-dire arbitraire. Si, en face de l’immanentisme d ’hier, il était nécessaire et
juste de rappeler avec une nouvelle force que Dieu vient, il ne convenait pas
de ne voir la doctrine chrétienne que sous cet angle eschatologique... On
devrait éviter, en théologie, de forcer la vérité dans un sens ou dans un autre,
malgré tout l’intérêt que cela peut présenter... La doctrine du Dieu vivant
ne tolère pas nos marottes ! Et c’est pourquoi on trouve chez les partisans du
renouveau eschatologique tant d ’idées-force qui, après avoir exercé une certaine
influence, ont provoqué la lassitude, et que l ’on a dû abandonner l’une après
l’autre pour ne pas sombrer dans la stérilité » (p. 391)"^.
En plus de cet exposé fondamenUil, nous voyons évoluer la pensée de
K. Barth dans le déroulement de sa Dogmatique.
En 1938 (1'^ volume, 2 ' tome, 3 ' partie) : « Elle ( = l’Eglise) devient ainsi
dans le monde le signe du royaume de Dieu qui s’est approché de nous »
(p. 305)».
En 1940 (2 ' vol., 1"' tome, 2 ' partie, qui vient déjà d ’être cité tout
à l ’heure) ; « Dans les Synoptiques, le royaume de Dieu n ’est pas une réalité
indépendante mais apparaît toujours comme une grandeur absolument lice
à la venue du Messie, à sa Parole, à ses actions et à la foi en lui. On ne saurait
séparer ce royaume de celui qui en est le roi » (p. 23)... « Jésus-Christ est
lui-même le royaume de Dieu qui vient et qui reste encore caché, et l’essence
de ce royaume n ’est rien d ’autre que sa propre essence » (p. 361).
En 1942 (2 ' vol., 2 ' tome, 1 " partie): « Jésus-Christ est lui-même le
royaume de Dieu » (p. 187)... « Le service de l’Eglise, forme achevée du peuple
de Dieu, consiste à attester... la venue du royaume de Dieu » (p. 267)... « Par
elle ( = la « paradosis » de Jésus par Dieu) l ’homme a été purifié de son péché
et l’accès au royaume de Dieu lui a été ouvert... Par elle l ’Eglise a été et reste
fondée » (p. 492).
En 1942 encore (2® vol., 2* tome, 2 ' partie): « 11 ne s’agit pas de trois
choses, mais de trois fois la même chose. Le royaume est le nouvel homme en
Jésus. Jésus est lui-même le royaume du nouvel homme. Le nouvel homme est
Jésus, porteur et héraut du royaume » (p. 185)... « Ce que les disciples de Jésus
et, en eux, l ’Eglise emportent de la montagne où le Seigneur leur a parlé, c ’est
le royaume et le nouvel homme eux-mêmes » (p. 187).
En 1948 (3* vol., 2 ' tome, T partie) : « Il est non moins vrai que parce
que Jésus (le porteur de l’Evangile de Dieu) est venu, ce même royaume est
venu lui aussi, d ’une manière cachée mais efficace, et qu’il a coïncidé avec
l ’accomplissement du temps » (p. 147)... « Une eschatologie « conséquente »...
une telle eschatologie n ’a rien à voir avec celle du christianisme du Nouveau
Testament^ » (p. 155),.. « Comment le passé de Jésus serait-il moins im portant

7. Les pages 387 à 393 seraient à citer en entier. Les théories de S cu w E rrzn R et de ses
« épigones » y sont qualifiées de « malheur exégétique » (p. 392).
8. Alors, K. B a r t h se trouve donc au niveau du subterfuge mentionné ci-dessous,
p. 193-194.
9. Ainsi donc K. B a r t h contredit exactement sa fameuse formule de 1922 (ci-dessus,
p. 184).
186 UBÉRATION d ’u n e ERREUR

que le présent apostolique ?... C ’est dans ce passé, en effet, que le royaume de
Dieu vient et se trouve proclamé... Il s’agit du temps où le fondement de la
communauté a été posé » (p. 162)... « Jésus lui-même est le royaume de Dieu,
comme il l’a déjà été et le sera, et c’est en lui que se trouvent toutes les trans­
formations, tous les biens, toutes les perfections et toutes les joies de ce royaume.
A strictement parler, il n ’y a pas de « choses dernières », nous voulons dire :
de choses dernières dans l’abstrait, existant en dehors et à côté de lui, le dernier »
(p. 179)... (A la fin d ’une réfutation de l ’Eschatologie Conséquente) : « 11 faut
avoir introduit cette opinion dans le Nouveau Testament, qui la contredit
explicitement et implicitement, pour considérer q u ’elle est essentielle à l ’intelli­
gence de la manière dont la communauté primitive concevait le présent. Et il
faut avoir été très peu touché par la puissance consolatrice du Saint-Esprit,
pour ne plus pouvoir se sortir de l’impasse dans laquelle on s’est égaré ici »
(p. 201)^°... « Sa vie (de Jésus) a été la présence du royaume de Dieu » (p. 276).
En 1951 (3 ' vol., 4 ' tome, 2 ' partie): « Elle ( = l’Eglise) est constituée
par le royaume de Dieu qui s’est approché, et non pas par quelque empire
historique » (p. 180)... « Elle ( = la communauté chrétienne) vit dans la mesure
où elle remplit sa tâche au service du royaume de Dieu » (p. ISO)... « Nous
présupposons que la communauté chrétienne ou l ’Eglise est le peuple effective­
ment constitué par son Seigneur Jésus-Christ, c ’est-à-dire par le royaume qui
vient et dont elle tient sa tâche » (p. 180-181)... « La communauté chrétienne...
n ’est-elle pas une œuvre du Saint-Esprit ? Elle n ’a aucune raison d ’être en
dehors du royaume de Dieu... Elle atteste le royaume de Dieu par le simple
fait q u ’elle existe toujours à nouveau » (p. 182-183)... « Celui qui s’y décide
( = à entrer dans la communauté chrétienne) annonce q u ’il a reconnu le
royaume de Dieu... S’adjoindre à ceux qui confessent, eux aussi, q u ’ils ont
reconnu le royaume de Dieu » (p. 183)... La communauté chrétienne comme
telle n ’a pas d ’autre raison d ’existence que le royaume de Dieu et sa révélation...
La foi repose sur la vision du royaume de Dieu » (p. 184).
En 1953 (4 ' vol., 1''' tom e; 17' vol. en français): « Il ne reste plus à
l ’homme q u ’un seul lieu où il puisse se tenir : le royaume où Dieu et lui-même
vivent dans une paix mutuelle... En Jésus-Christ nous nous trouvons déjà
dans l ’empire^ ^ auquel nous appartenons » (p. 103)... « En Jésus-Christ
l ’homme a déjà été introduit dans le royaume de la paix avec Dieu » (p. 104)...
« En lui ( = Jésus-Christ) le royaume de Dieu dans toute sa gloire est déjà
venu et s’est imposé » (p. 152)... « Dès le début ( = de la tradition néotestamen­
taire), et nonobstant les différences de mentalité et de terminologie qui existent,
le Père céleste, son royaume venu sur la terre et la personne de Jésus de Nazareth
sont des grandeurs qui, loin d ’être simplement juxtaposés, de se recouper çà

10. B a r t h n ’est pas tout-à-fait le seul, même en Allemagne, pour être sorti de cette
impasse: H . S c h u s t e r a publié s u r ce sujet un article lucide et courageux, où il reproche à
ScH W E rrzE R et à son disciple M artin W e r n e r d ’avoir majoré les tendances eschatologiques
au début de l’ère chrétienne (p. 5-7), d ’avoir négligé l’aspect « présent » du Royaume de Dieu
(p. 7-8), d ’avoir confondu Règne et Royaume de Dieu (p. 8-9), d ’avoir malmené les textes
bibliques (p. 9-19), d ’avoir remplacé la réalité historique par une construction purement
artificielle (p. 10 et 19-25). Mais S c h u s t e r ne va pas jusqu’à rapprocher le Royaume de Dieu
et l ’Eglise.
11. Pourquoi le traducteur n ’a-t-il pas dit « dans le Royaume » ? L ’allemand (p. 107)
porte bel et bien « Reich ».
K. BARTH 187

et là ou de s’opposer, coïncident pratiquement et en fait » (p. 169)... « (Jésus)


le Fils du Père céleste, le roi de son royaume » (p. 171)... « Dans sa personne
humaine, il ( = Jésus-Christ) est le royaume de Dieu descendu sur la terre. Le
royaume de Dieu (c’est-à-dire la puissance de Dieu que Jésus-Christ exerce
comme Seigneur et sa gloire q u ’il possède comme ro i)‘ * est réellement présent
et actif en lui... parce q u ’il est simplement mais pleinement le premier et
l ’authentique sujet de ce royaume » (p. 219).
En 1955 (4 ' vol., 2“ tome) : « Son royaume ( = de Dieu), sa souveraineté,
sa royauté sont, concrètement, le royaume, la souveraineté et la royauté de
cet homme ( = Jésus) » (p. 163)... « Il ( = Jésus) a été en sa propre personne
ce q u ’il a prêché en paroles et en actes ; le royaume de Dieu qui s'est approché »
(p. 171)... « Le royaume de Dieu — ou plus exactement sa royauté — peut
aussi bien s’appeler le royaume de Jésus-Christ que celui de Dieu » (p. 208)* ^...
« 11 faut en dire autant à propos de la notion centrale du Nouveau Testament :
le royaume de Dieu. Le « royaume de Dieu » désigne la seigneurie dressée
P: dans le monde en Jésus-Christ, le règne de Dieu qui s ’exerce en lui. C ’est
pourquoi l ’on n ’a pas le droit de récuser la thèse suivante, souvent combattue
j’i; trop vite et trop légèrement dans la théologie protestante ; le royaume de Dieu
S" est la communauté » (p. 49)... La communauté n ’est pas le royaume de Dieu,
ÿ M ais, dans sa forme d ’existence terrestre et historique, mais tel qu’il est annoncé
et cru par des pécheurs parmi d ’autres, qui deviennent des saints de Dieu au
mom ent où ils reconnaissent q u ’il a commencé, le royaume de Dieu est la
comm unauté » (p. 50)... « En tant q u ’il se manifeste lui-même dans la période
I; entre sa première et sa dernière révélation, le royaume de Dieu est la commu-
ÿ: nauté » (p. 50)... « Il n ’y a jam ais ni nulle part une identité existant in abstracto
entre Jésus-Christ et la communauté ; mais c ’est Dieu qui, par la puissance
du Saint-Esprit, crée l ’événement de l'identité réelle entre le seul Saint, entre
le royaume de Dieu parfaitement présent en lui d ’une part, et la communauté
des saints sur la terre d ’autre part, laquelle est aussi en soi une communauté
de pécheurs » (p. 50)... « A côté de sa signification absolue, christologique
et eschatologique, le royaume de Dieu possède aussi une signification dérivée,
relative et historique, laquelle permet de dire q u ’il est effectivement VEglise »
(p. 51-52).
Ces multiples citations étaient nécessaires pour ne pas fausser la pensée
profonde de K. B a r t h . P ar leur convergence elles m ontrent que de 1940 à
1959 (et sans doute jusqu’à sa mort) il maintient avec persévérance que Jésus
est le Royaume de Dieu et q u ’il continue de l ’être dans la communauté q u ’il
rassemble et q u ’il sanctifie. Certes, K. B a r t h préfère parler de « communauté »
plutôt que d ’Eglise et, s’il adm et que le Royaume de Dieu soit cette
communauté, il précise avec soin que la réciproque n ’est pas vraie et que la
communauté n ’est pas le Royaume de Dieu (car les deux termes n ’ont pas la
même extension). Toutefois, malgré ces diverses restrictions, il finit par recon­
naître qu’en un certain sens « le royaume de Dieu... est effectivement l’Eglise ».

12. D onc le Royaume de D ieu est ici confondu avec le Règne et avec la Royauté !
13. Les citations précédentes se trouvent en français dans le 20* volum e; les citations
suivantes dans le 21' volume.
188 LIBÉRATION D ’UNE ERREUR

Alors on est loin de toute Eschatologie. En fait, K. B a r t h , qui en 1922


proclamait que ce qui n ’est pas « rigoureusement et absolument » eschatolo-
gique n ’est pas « rigoureusement et absolument » chrétien, parle ensuite de
moins en moins d ’Eschatologie'"*. Si l’on se réfère aux bons index de la tra­
duction française on remarque que 7 passages se rapportent à elle dans le
volume 16, 8 dans le volume 17, 1 dans le volume 18, 2 dans le volume 19,
puis aucun dans les vol. 20,21, 22, 23,24,25 et 2 6 alors que tous s’intéressent
plusieurs fois au Royaume de Dieu et à la communauté (ou à l’Eglise).
Parce q u ’il s’affranchissait de l’Eschatologie^®, K . B a r t h a découvert
le Royaume de Dieu sous une lumière nouvelle et il a, d ’une certaine façon,
reconnu en lui l'Eglise. Une telle évolution est toute à l’honneur de celui que
l ’on considère souvent comme le plus grand théologien du xx* siècle.
Ainsi K. B a r t h a presque abouti à une synthèse proche de celle du
Cardinal J o u r n e t . On peut imaginer que les deux théologiens suisses, l’un
calviniste et l ’autre catholique, se seraient même rejoints tout-à-fait, si B a r t h
avait mieux distingué entre Royauté, Règne et Royaume et s’il n ’avait pas
projeté dans un débat sur la nature de l’Eglise son refus des structures de l’Eglise
catholique^’ .

14. De même, dans une mise au point faite en 1938 (« Parergon », p. 268-275) Karl B a r t h
dit encore que « le caractère eschatologique de tout le message chrétien... forme le centre de
sa théologie », mais il ajoute q u ’une attente eschatologique abstraite, sans influence sur le
présent et occupée seulement d ’un Dieu transcendant, n ’existe que dans la tête de beaucoup
de ses lecteurs, non dans la sienne (p. 275). Puis, dans deux autres mises au point faites en
1948 (« Parergon », p. 275-282) et en 1958 (« How my mind has changed »), il ne parle plus
de l’Eschatologie.
15. Ce volume 26 parle bien d ’eschaton, mais pas d ’eschatologie. La nuance est
significative !
16. L ’évolution de K arl B a r t h a déconcerté S t a d t l a n d , qui est un eschatologiste
convaincu. Après avoir exposé la pensée de K. B a r t h entre 1920 et 1931, il est bien obligé
de constater q u ’ensuite elle s ’est profondément modifiée, dans un sens qui l’étonne. Il regrette
que finalement pour B a r t h l’Eschatologie ne soit plus que « l ’enseignement sur les fins
dernières » (p. 145) (...ce qui est le seul sens acceptable!), q u’il cherche à sortir de ce q u ’il
ose appeler « le rêve pan-eschatologique » (p. 171), que chez lui « la dimension de l ’avenir
eschatologique manque presque complètement » (p. 181-182). Plus loin S t a d t l a n d se
demande si l ’on peut encore parier d ’une Eschatologie chez B a r t h (p. 188) et il avoue être
un disciple qui ne comprend plus son maître (p. 188). Mieux encore, après avoir reproduit
l’opinion de H ans Urs v o n B a l t h a s a r ; « B a r t h a explicitement rétracté les exagérations
eschatologiques de (sa) première période », S t a d t l a n d ajoute naïvem ent: « Comment
peut-on exagérer en Eschatologie ? » (p. 172, note 470).
17. Cette confusion apparaît clairement dans la Dogmatique, 3* vol., 2* tome, 2 ' partie,
p. 201-203 ; une phrase de ce développement a été citée au chap. 20, p. 182, note 9 (sur le
S. Office et la Parousie).
CHAPITRE XXII

Bilan d’une erreur


Pour ne pas compliquer les discussions théologiques par des susceptibilités
personnelles, renonçons à poursuivre jusqu’à ce jour l’examen des résultats
de la crise eschatologique. D ’ailleurs, en ces trente dernières années, aucun
fait majeur, sauf la saine réaction de Karl B a r t h , n ’est venu modifier les
positions que l ’on peut déjà considérer comme « traditionnelles ». On continue à
répéter, souvent avec diverses atténuations^, les thèses favorables à l’Escha­
tologie Conséquente ou à l ’Eschatologie Réalisée. On continue à confondre
le Règne et le Royaume de Dieu (avec de plus en plus de préférence pour le
Règne au détriment du Royaume). On continue à parler d ’Eschatologie
dans les sens les plus divers et les plus contradictoires (malgré quelques voix
qui commencent à s’élever pour protester contre ces abus). On continue
(sauf de rares exceptions) à refuser toute assimilation de l’Eglise avec le
Royaume de Dieu, sans jam ais fournir d ’argument valable. Bref, on tourne
en rond, malgré une abondance d ’articles ou d ’ouvrages scientifiques.
Le temps est donc venu, semble-t-il, de dresser le bilan de presque un
siècle de travail théologique dans ce secteur déterminé.

A) Avantage

U n avantage évident résulte de tant d ’efforts infatigables. Soit le Règne


ou le Royaume de Dieu soit les événements de la Fin du Monde ont enfin
conquis dans la théologie la place q u ’ils méritent. On se demande comment
les docteurs du Moyen-Age ou les controversistes de la Renaissance ont pu
fouiller les Evangiles sans voir l’importance attribuée à la Royauté, au Règne
et au Royaume de Dieu et sans vivre explicitement dans l’espérance de la
Parousie. Peut-être est-ce tout simplement parce q u ’ils étaient tous d ’accord
sur ces points, qui n ’offraient matière à aucune contestation. Heureusement,
la contestation a fini par s’élever et nous n ’aurions maintenant plus aucune
excuse si nous négligions ces données essentielles du Nouveau Testament.
Depuis que R it s c h l a centré sa pensée sur le Royaume de Dieu et depuis

1. Ainsi C.H. D o d d , en 1970, dans son dernier ouvrage; « Le Fondateur du Christia­


nisme » édulcore au maximum ses théories personnelles et n ’utilise même plus la formule
« Eschatologie Réalisée » (p. 122-125).
190 BILAN d ’u n e erreur

que Johannes W eiss , son gendre, a centré la sienne sur la Fin du Monde,
personne ne peut plus ignorer que ces deux thèmes doivent figurer dans toute
synthèse théologique, et à une place d ’honneur.
En outre, bien sûr, l’attention consacrée à ces thèmes majeurs a inspiré
bien des recherches connexes qui ont éclairé l ’exégèse, la patristique, l ’histoire
et la dogmatique. Un effort n ’est jamais vain.

B) Inconvénients

Hélas, la partie positive de ce bilan est presque étouffée par ime énorme
partie négative, q u ’on ne peut évoquer q u ’avec une immense tristesse. Com­
ment aurait progressé la théologie au x x ' siècle, si elle n ’avait pas été empoi­
sonnée par l’Eschatologie ? Malheureusement, elle a été empoisonnée et nous
devons inventorier les dégâts.

a) La réputation de la théologie biblique


C ’est un fait que pendant presque un siècle des théologiens ont travaillé
avec des concepts imprécis, ambigus et instables, et ils n ’ont même pas entendu
les quelques protestations q u ’ils ont provoquées. C ’est un fait que des
théologiens ont employé des méthodes irrecevables, en récusant pour des
motifs subjectifs (ou : faussement objectifs) les textes qui ne s’accordaient
pas à leur théorie ; et chacim ne condamnait ces procédés que chez ses
adversaires, nullement chez ses amis. C ’est un fait que des théologiens ont
projeté leurs fantasmes personnels sur la littérature juive intertestamentaire, et
même sur les documents de Qunirân, pour leur faire d.ire ce que manifestement
ils ne diseat pas ; la voix des quelques spécialistes qui ont protesté a été
couverte par les clameurs des non-spécialistes^.
Quelle science pourrait impunément commettre tant de fautes contre
les lois essentielles de la méthode scientifique, sans être déconsidérée ? Si
l’exégèse et la théologie veulent retrouver leur « respectabilité », elles doivent
absolument adopter une méthode vraiment scientifique.

b) L ’Eschatologie Conséquente
Cette formule est à elle seule une énigme. Car enfin ! Le Nouveau Testa­
ment ne parle jam ais d ’Eschatologie ; il parle de temps en temps de la Fin
du M onde (et des événements connexes) ; il parle souvent di’un Royaume de
Dieu, qui existait déjà au temps de Jésus, qui existera encore lors de la Fin
du M onde et qui existera même encore par la suite. Comment a-t-on pu
tirer de là une « Eschatologie Conséquente », c’est-à-dire une théorie qui veut
expliquer par l ’attente de la Fin du Monde toute la pensée et l ’activité de

2. Je me permets de rappeler que si j ’ai entrepris cet ouvrage, c ’est pour soulager ma
conscience contre un danger de complicité. Combien de fois n ’ai-je pas entendu évoquer
« l’ardente fièvre eschatologique qui brûlait les gens de Qumrân » ? Or, manifestement,
on ne parle pas de Royaume de Dieu ni de Fin du M onde, encore moins d ’Eschatologie,
dans les textes de Qumrân actuellement publiés. C ’est alors que j ’ai découvert les ravages
créés par l ’illusion eschatologique même chez des savants réputés. Et j ’ai eu peur d ’être
complice si je me taisais. Pendant des années j ’ai lutté contre m a conscience pour ne pas
écrire ce livre. Finalement, j ’ai dû céder à ma conscience.
INCONVÉNIENTS 191

Jésus ? D ’abord, sans penser à mal, on employait le terme d ’Eschatologie


pour désigner en bref l’étude des événements relatifs à la Fin du Monde.
Puis, par abus de langage, on a transporté ce terme sur le plan objectif et on
lui a fait désigner la Fin du Monde. Par une véritable hallucination collective
(si grande est la puissance de la « mode », même en théologie !) on a gonflé
les textes sur le Royaume de Dieu à la Fin du M onde pour leur faire dire que
ce Royaume existerait uniquement à la Fin du Monde. Puis on a escamoté,
d ’une façon ou d ’une autre, les textes, nombreux, qui présentent le Royaume
de Dieu sous un autre aspect. Alors on pouvait reléguer dans l’Eschatologie
une bonne partie de l’enseignement de Jésus...
Une autre conséquence, qui n ’a pas été perçue ni voulue par l ’ensemble
des partisans de ce système, mais qui a été formulée très clairement par L o is y
et par quelques autres, c ’est q u ’on peut alors, en parfaite logique, continuer
ainsi le raisonnement ; « Jésus, en prêchant le Royaume de Dieu comme
imminent^, a prouvé q u ’il attendait la Fin du Monde pour un avenir
immédiat. Or cette Fin du M onde n ’est pas arrivée. Donc Jésus s’est trompé.
Donc Jésus n ’est pas Dieu...».

c) L ’Eschatologie Réalisée
Cette fois on ne met plus en cause les « illusions » de Jésus. Mais on
les attribue à ses disciples. Ce sont eux qui se sont trompés sur le sens des
paroles de leur Maître et qui ont pris pour la prédiction d ’un futur Retour
de Jésus à la Fin du M onde ( = Parousie) de simples métaphores bibliques,
qui décrivaient à l ’avance la chute de Jérusalem"^ ou l’emprise du Règne
de Dieu (en confondant Règne et Royaume) sur les âmes des croyants. Mais
pour aboutir à ce résultat, il faut utiliser les méthodes chirurgicales de
l’Eschatologie Conséquente et il faut am puter le Nouveau Testament des
textes sur lesquels elle s’appuyait pour absorber le présent dans le futur, puisque
cette fois c ’est le futur qui est absorbé dans le présent.
L’illogisme fondamental de cette théorie apparaît dans le titre même
qui la désigne : Eschatologie Réalisée. Elle ne peut avoir un sens que si l’on
ne donne plus à Eschatologie le sens d ’Eschatologie. Alors pourquoi s’être
encombré de ce fardeau et ne pas parler simplement de la réalisation du
Royaume de Dieu ?

d) L’esprit critique
En un siècle qui s’honore d ’avoir développé l’esprit critique, la théologie
a donné un exemple de véritable esprit non-critique. Car les fautes de raison­
nement relevées dans cet ouvrage, les déformations de textes, les pétitions
de principe ou les cercles vicieux, tout cela a été pratiqué au grand jo u r par les
théologiens les plus illustres ou les plus influents... sans provoquer d ’énergiques
réfutations. Le monde théologique s’est comporté, sur ce point, comme s’il
avait été anesthésié par une « mode » toute puissante. A ma connaissance,

3. Il faudrait dire ; « et même comme présent ».


4. Si l’on prenait cet argument au sérieux, il faudrait en conclure que cette chute de
Jérusalem n ’avait pas encore eu lieu quand a été mis par écrit le N ouveau Testament ! On
rejoindrait ainsi un des argum ents essentiels de J.A.T. R o b in s o n (Redating...).
192 BILAN d ’u n e erreur

personne ne s’est étonné de voir évoquer si souvent une Eschatologie dont le


Nouveau Testament ne parle jamais ; personne ne s’est inquiété de connaître
la date de naissance de ce concept*, ni d ’étudier ses diverses déformations.
Si l’on voulait relever tous les auteurs qui, d ’une façon ou d ’une autre, répètent
« le Règne de Dieu c ’est le Royaume de Dieu » ou bien « le Royaume de Dieu
c ’est le Règne de Dieu », on devrait les citer presque tous, à commencer par
H a r n a c k : « Das Reich Gottes ist Gottesherrschaft, gewiss » (p. 35). Même
les travaux les plus méticuleux (ceux de B u l t m a n n ) ont été réalisés à partir
de vagues notions courantes, sans vérification sérieuse. Tout cela est d ’autant
plus étonnant que tant de cours d ’université, tant de thèses de doctorat, tant
d ’articles de revues ont été consacrés à l ’Eschatologie ! L’Eschatologie est
devenue une sorte de mythe, qui a gagné même les meilleurs esprits.

e) Les subterfuges
Comme nous l ’avons vu (p. 98-102) l’identification entre l’Eglise et le
Royaume de Dieu, qui a été paisiblement affirmée jusqu’au xviii' siècle,
semble à peu près inéluctable. En fait, cette équivalence® aurait pu être admise
sans problème par les diverses écoles théologiques, puisqu’elle est reconnue
p ar S. A u g u s t in , par L u t h e r , par C a l v in et par des papes. Le problème
de la structure de l ’Eglise, sur lequel s’opposent les Catholiques et les
Protestants, est un problème tout différent dont nous n ’avons pas à traiter
ici’ .
Or, à cause des préjugés eschatologiques, bien des auteurs paraissent
avoir honte de reconnaître cette identification, contre laquelle joue une sorte
de réflexe conditionné. Comme pourtant les textes du Nouveau Testament
lui sont manifestement favorables, on a trouvé des subterfuges pour esquiver
tout de même ime conclusion aussi gênante.
1) Premier subterfuge : distinguer entre le Royaume du Christ (qui pourrait
être l ’Eglise) et le Royaume de Dieu (qui reste confiné dans son Eschatologie).
Les auteurs (dont tel de premier plan) qui recourent à cette distinction® recon-

5. J ’ai dû faire raoi-mômc cette enquête dans « Les D angers de l’Eschatologie », p. 365-
370, et « Correction d ’une erreur... » (à paraître).
6. Avec la réserve, bien sûr, exprimée par Ch. J o u r n e t (vol. II, p. 92) ; s’il n ’y a pas de
distinction réelle entre l’Eglise et le Royaume, n ’en subsiste pas moins une distinction
conceptuelle : la même réalité est saisie avec ces deux termes sous des aspects différents (voir
ci-dessus, p. 101).
7. Certains protestants affirment parfois que l’identification de l’Eglise et du Royaume
de Dieu est une thèse catholique. C ’est faire peu d ’honneur aux générations de Protestants
(voir l’étude de G. S c h r e n k ) qui ont soutenu cette thèse, et c ’est faire trop d ’honneur aux
Catholiques modernes, qui souvent n ’osent plus la soutenir (voir ci-dessus, chap. 13). En
fait, cette identification appartient au trésor commun des Catholiques et des fto testan ts
et elle pourrait constituer un point d ’accord œcuménique.
8. Johannes W ass (Predigt..., p. 9-10) et D o d d (New Testam ent Studies, p. 54) ont
déjà imaginé cette distinction. Elle se trouve même déjà chez les Réformateurs, selon
T o r r a n c e (p. 22-29; 75-89; 122-125; 131-134; 147-164), mais alors elle a pour but
de remédier à la confusion fondamentale entre Royauté, Règne et Royaume. La distinction
faite par S. A u g u s t in (voir J o u r n e t , vol. II, p. 64) a un tout autre sens, car elle n ’oppose
pas Royaume du Christ à Royaume de D i e u , mais Eglise militante à Eglise triom phante.
Sur la distinction (ou plutôt : la non-distinction) entre Royauté de Dieu et Royauté du Christ,
voir ci-dessus, p. 92-94.
SUBTERFUGES 193

naissent par le fait même que l’Eglise s’identifie au R oyaum e’ , ce qui est
très im portant ; c’est seulement parce q u ’ils se croient (bien à tort) obligés
de reléguer le Royaume de Dieu dans l’Eschatologie q u ’ils imaginent cette
échappatoire. Certes le Nouveau Testament parle tantôt du Royaume du
Christ (M atthieu 13,41 ; Col. 1,13 ; II Pierre 1,11) et tantôt du Royaume de
Dieu (partout ailleurs), mais l ’équivalence de ces deux réalités est établie par
Ephésiens 5,5 : « tout fornicatcur... n ’a pas de participation au Royaume du
Christ et de D ieu»^°. D ’ailleurs personne n ’aurait sans doute inventé cette
distinction^^, s’il n ’y avait pas été contraint, comme certain le confesse loyale­
ment, par le besoin de sauvegarder « l’Eschatologie du Royaume de Dieu ».
Et ceux qui, bon gré mal gré, y recourent ne semblent pas s ’apercevoir q u ’ils
malmènent ainsi les textes sur la présence de pécheurs dans le Royaume de
Dieu (voir ci-dessus, p. 97 et 98), puisque, eux, ils transfèrent ces pécheurs
du Royaume de Dieu au Royaume du Christ.
2) Deuxième subterfuge: faire de l ’Eglise le «sacrem ent du Royaume».
Chez les Catholiques français, cette théorie est devenue une véritable mode,
bien que personne, à ma connaissance, n ’ait cherché à la justifier. Comment le
pourrait-on d ’ailleurs ? C ar cette formule, qui n ’est pas biblique, déforme
curieusement les données du Concile Vatican II : dès ses premiers mots
la constitution dogmatique Lumen Gemium disait : « L ’Eglise étant, dans
le Christ, en quelque sorte le sacrement, c ’est-à-dire à la fois le signe et le
moyen, de l ’union intime avec Dieu et de l’unité de tout le genre humain... »
(chap. 1, n “ 1)^^. Et plus loin : « (Dieu) a fait l’Eglise... sacrement visible de
cette unité salutaire» (chap. 2, n “ 9)... « L ’Eglise, sacrement universel du
salut» (chap. 7, n° 48)*^. Jamais le Concile ne dit que l’Eglise est le sacrement
du R o y a u m e ^ P o u rq u o i a-t-on falsifié en « sacrement du R oyaum e», ce qui
est en réalité « sacrement de l’union à Dieu, sacrement de l’unité des hommes
et sacrement du salut» ? Pire encore : cette malencontreuse formule laisse
supposer que l ’Eglise ne serait que la partie visible et terrestre d ’un Royaume
de Dieu invisible et céleste, mais alors que faire des pécheurs qui doivent sub­
sister dans ce Royaume de Dieu, selon les Evangiles (voir ci-dessus, p. 97 et 98) ?

9. Certains membres de ce groupe traduisent systématiquement par « Règne », même


quand le sens demande « Royaume ».
10. U n savant exégète se permet quelque part d ’ironiser sur des missionnaires, qui,
au Concile Vatican I, raisonnaient comme si le Royaume du Christ avait été le Royaume
de Dieu. N ’en déplaise à ce savant, ces bons missionnaires avaient pour eux Ephésiens 5,5,
ils rejoignaient par avance Karl B arth (Dogmatique, 4 ' vol., 2 ' tome, 1 " partie ( = vol. 20
en français), p. 208-209) et ils annonçaient même la Constitution Lumen Gemium de Vatican II
(voir ci-dessus, p. 117).
11. K arl B arth repousse vigoureusement cette distinction, comme on a pu le voir
ci-dessus, p. 185-187.
12. Cette phrase est reprise du discours de Paul VI à l’ouverture de la 2 ' session du
Concile.
13. Voici les autres textes conciliaires qui reviennent sur cette idée: « L ’admirable
sacrement de l ’Eglise tout entière »... « L ’Eglise, sacrement de l’unité » (Constitution sur la
Liturgie, chap. 1, n“ 5 et 26)... En outre les formules de Lumen Gentium sont reprises par
Gaudium et Spes, 1” part., chap. 4, n° 42, par. 3 et n° 45, par. 1 puis par le Décret sur l ’activité
missionnaire, chap. 1, n “ 1 et n° 5.
14. Et l’on n ’oubliera pas les textes cités p. 117, où cette constitution Lumen Gemium
suppose l ’identification de l ’Eglise et du Royaume.
194 BILAN d ’u n e erreur

La même idée bizarre avait déjà séduit T. C o l a n i dans la Revue de


Théologie et de Philosophie Chrétienne, vol. 4, janvier-juin 1852, p. 125 et
G l o e g e (p. 265). Elle est reprise par L a d d , en 1966, p. 265.
Par contre ne soulève aucune objection la formule allemande « Kirche
als U rsakram ent» (titre d ’un ouvrage d ’O. S e m m e l r o t h ), car elle est si
vague q u ’elle peut être juste, puisqu’elle n ’indique pas de quoi l’Eglise est
sacrement ; mais le traducteur français à jugé bon de préciser : « L’Eglise
sacrement de ia Rédem ption». C ’est admissible. Mais l ’Eglise n ’est pas pour
cela sacrement du Royaume.

f ) Les négations
Ces subterfuges n ’étant guère défendables, ceux qui tiennent malgré
tout à reléguer le Royaume de Dieu dans l ’Eschatologie doivent maintenir
que l ’Eglise ne peut pas être le Royaume de Dieu. Aucun texte biblique ne
peut leur fournir d ’argument. Alors, sans donner aucune preuve, beaucoup
se contentent d ’affirmer avec indignation : « Bien entendu, l’Eglise n ’est pas
le Royaume ». Tel autre avoue ingénument : « The Kingdom of God,
according to accepted doctrine (sic !), cannot be identified with the Church »
(N olan , p. 292)... Tel autre fait même suivre sa négation d ’une remarque qui
la contredit : « Le Royaume de Dieu ne peut pas être identifié avec l’Eglise,
quoique le Règne de Dieu suppose un peuple qui vive sous ce Règne»...
Tel autre, dans un chapitre sur « le Royaume et l’Eglise » développe sa pensée
en cinq points ; 1) « L ’Eglise n ’est pas le Royaum e». 2) « Le Royaume crée
l’Eglise». 3) « L ’Eglise témoigne du Royaum e». 4) « L ’Eglise est l’instrument
du Royaume ». 5) « L ’Eglise est la gardienne du Royaume ». Comme dit
cet auteur, « to u t dépend de la définition du Royaum e». Hélas !... Tel autre
essaie de s ’en tirer par un rideau de brouillard, en accumulant des phrases
qui ne veulent rien dire. Ainsi dans une étude sur l ’Eglise peuple de Dieu
l’auteur m ontre q u ’il connaît l ’un des arguments en faveur de l’équation
Eglise = Royaume : « Quand on compare, grâce à une concordance, le
vocabulaire des Synoptiques et celui des lettres de Saint Paul ou des Actes des
Apôtres, on voit que le terme « Royaume », fréquent chez les premiers,
est plus rare dans les autres écrits, et que le terme « Eglise », abondamm ent
employé par ceux-ci, ne se rencontre que deux fois chez ceux-là. On en retient
l’impression que l’Eglise a pris la place du Royaume, au moins pour ce qui est
de sa présence actuelle en ce monde ». Mais l’auteur ne veut pas céder à une
telle impression, aussi il continue : « Ce n ’est pourtant pas exact ». On suppose
donc q u ’il doit avoir des motifs sérieux pour rejeter sa première (et judicieuse)
impression. On s’attend à trouver dans la suite une argumentation exégétique
ou théologique irréfutable. Et voici ce q u ’on lit ; « A la place du
Royaume, que prêchait Jésus, selon les Synoptiques, l’Eglise de Saint Paul et
des Actes ne prêche pas l’Eglise, mais Jésus Seigneur et Sauveur, m ort pour nos
péchés, ressuscité par notre salut. Sur ce point, l’Evangile selon saint Jean
témoigne du même changement. Les annonces de l ’Eglise, avec mention du
Royaume, q u ’on peut lire, explicites ou implicites, dans les Evangiles, mon­
trent l ’Eglise ordonnée au Royaume, où il faut entrer, et q u ’il faut accueillir
de Dieu, plutôt q u ’elle n ’est identifiée à lui (cf. M t 16,18-19 ; M t 21,43 ;
Le 12,32). Mais l ’Eglise ne peut pas proclamer le Royaume sans proclamer
Jésus-Christ, justem ent parce q u ’elle n ’est pas Jésus-Christ, et parce que Jésus-
Christ est devenu plus que Jamais, dans la Croix et la Résurrection, le signe
par excellence de la proximité du Royaume... D ’autre part, l ’Eglise ne peut
NÉGATIONS. SILENCES 195

pas proclamer le Royaume et en faire connaître les signes, si elle n ’est pas
soumise et unie à Jésus-Christ, qui demeure, par le don de l’Esprit Saint,
l’Apôtre du Père dans le monde. Le temps de l’Eglise, ouvert dans la proximité
du Royaume comme le temps original de la prédication et de la conversion,
devient ainsi le temps et l ’espace d ’un Royaume du Christ Seigneur, déjà
vainqueur de la m ort et des « Puissances ». Les chrétiens des premières géné­
rations ont pu se représenter ce Royaume à la manière du Royaume messiani­
que, précédant le Royaume définitif, q u ’on trouve annoncé dans certains
écrits juifs de cette époque (cf. Ap. 20,1-6)». Si l’on essaie de préciser les
arguments contenus dans ces phrases, que trouve-t-on ? Aucun argument
exégétique, car de vagues références (indiquées seulement par de vagues
« c f» ) à M atth. 16,18-19 ; 21-43 ; Luc 12,32 ; Apocalypse 20,1-6 ne consti­
tuent pas un argument. Aucun argument théologique, philosophique ou
historique. Seulement des affirmations sans valeur démonstrative ; « L’Eglise...
ne prêche pas l’Eglise, mais Jésus-Christ» (mais quelle opposition y a-t-il
entre l ’Eglise et J é s u s ? ) ; «les annonces de l’Eglise m ontrent l’Eglise
ordonnée au Royaume » (mais précisément l ’auteur devrait prouver que cette
relation ne peut pas et ne doit pas aller jusqu’à l ’identification) ; « l ’Eglise ne
peut pas proclamer le Royaume sans proclamer Jésus-Christ» (bien sûr,
mais cela ne prouve pas q u ’elle n ’est pas ce Royaume) ; « le temps de
l ’Eglise... devient ainsi le temps et l’espace d ’un Royaume du Christ Seigneur »
(c’est encore plus vrai si l’Eglise est le Royaume)... Serait-on injuste en
soupçonnant que l’auteur, qui entrevoit bien que l ’Eglise est le Royaume,
cherche, sans les trouver, des arguments pour se convaincre, et nous convain­
cre, que cette vérité est une erreur ?

g) Les silences
D ’autres auteurs semblent écartelés : d ’un côté ils comprennent bien que
ces subterfuges ou ces négations sans preuve ne sont pas des procédés
scientifiques, mais d ’un autre côté ils ne peuvent s’enhardir jusqu’à mettre
en cause l’Eschatologie ou jusqu’à reconnaître l’identité de l ’Eglise et du
Royaume. Alors, que faire ? Ne parvenant pas à résoudre ce problème, ils
l’esquivent. On trouve ainsi d ’excellents ouvrages sur l’Eglise où n ’est jamais
traitée clairement sa relation avec le Royaume. J ’en ai vérifié deux d ’assez
près : les auteurs (qui sont des Catholiques très représentatifs) supposent en
permanence une intime relation entre l ’Eglise et le Royaume, mais pas une
fois ils n ’osent soit affirmer soit nier leur identification.
Ainsi, dans un article de 1961 consacré à la définition de l’Eglise, un
grand théologien (catholique lui aussi) n ’envisage même pas la notion de
Royaume de Dieu, malgré deux brèves allusions au Règne de Dieu (p. 236
et 252).
De même, un article tout récent (en 1974) s’exprime ainsi : « Nous avons
toute raison de croire que Jésus voyait dans ce Royaume vécu (sic) par lui
et ses disciples l ’embryon (sic) de la future Eglise... Sans affirmer une identi­
fication sans réserve de l’Eglise avec le Royaume de Dieu, il semble possible
de voir dans la croissance de l ’Eglise l ’expension du Royaume prédite et voulue
par Jésus» (p. 199)... L ’Eglise dans laquelle le Royaume de Dieu grandira
(plus haut, le Royaume était l’embryon de l’Eglise !) est ainsi définie comme
le lieu de la metanoia spirituelle (p. 200)... Nous espérons avoir montré que ce
que les évangiles Synoptiques nous disent sur le Royaume est instructif
(oh, combien !) également pour cette autre réalité appelée Eglise» (p. 203).
196 BILAN D UNE ERREUR

Plus symptomatique encore ! Une thèse de doctorat, soutenue en 1975,


sur « le concept d ’Eglise dans la récente théologie romaine-catholique », ne
mentionne q u ’une seule fois le Royaume de Dieu dans le passage suivant :
« La plus im portante direction, en laquelle l ’Eglise dépassait ses évidentes
dimensions, était eschatologique ; ici la notion dom inante est celle d ’Eglise et
de Royaume de Dieu » (p. 55). Pour ce jeune docteur, qui est lui-même catho­
lique, rapprocher Eglise et Royaume de Dieu est une exagération si évidente
q u ’il ne prend pas la peine de la réfuter !
Q u’on en soit là, en 1975, dans un travail présenté comme scientifique
devant un jury scientifique, voilà qui donne à réfléchir ! L ’eschatologisme a
bel et bien pénétré dans un vaste secteur de la théologie ; il a imposé une
mode qui ne s’appuie sur aucun argument valable ; beaucoup de savants
(même parmi les meilleurs) se sont laissé influencer par cette mode ; ils
n ’abordent plus le Nouveau Testament avec un regard neuf et limpide, mais
avec des lunettes déformantes.
CHAPITRE XXIII

Objections et Conclusions
Les lecteurs de cet ouvrage ont certainement senti naître en eux un certain
nom bre d ’objections, qui ont affaibli, retardé, ou même empêché leur adhésion
plénière. Q u’ils se rassurent ! Les mêmes objections se sont présentées à moi.
Si j ’ai continué de tenir la plume, c ’est parce que j ’espère pouvoir m ontrer
que ces objections ne sont pas décisives, q u ’elles peuvent même, après m ûr
examen, se retourner en faveur des conclusions imposées par d ’autres argu­
ments et pour d ’autres motifs.

a) Première objection :
Puisque Jésus et ses contemporains parlaient habituellement l'araméen,
qui ne distingue pas entre Royauté, Règne et Royaume, ils ne pouvaient guère
avoir ces notions et ils ne pouvaient guère les utiliser dans une construction
théologique.
Oui. Mais les documents de Qum rân et de M urabba’ât* nous montrent
que l ’hébreu n ’était pas ignoré, même p ar les gens du peuple, et donc q u ’il
pouvait continuer à influencer leurs structures mentales. Et surtout l’absence
d ’un vocabulaire adéquat n ’empêche pas l’existence de concepts plus ou moins
précis: bien que les Français aient du mal à distinguer clairement entre
« dürfen » et « kônnen », entre « sollen » et « müssen », entre « tun » et
« machen », ils possèdent tout de même les idées correspondantes ; de même,
bien q u ’ils rendent « girl » et « daughter » l ’un et l ’autre par « fille », ils sont
to u t de même capables de com prendre la différence entre ces termes ; bien
q u ’ils n ’aient pas encore créé un m ot spécial pour dire « cheap » ou « reliable »,
ils n ’ignorent to u t de même pas complètement ces notions. U n vocabulaire
plus précis facilite certes l ’acquisition et l ’emploi d ’un concept, mais un
vocabulaire moins précis n ’empêche pas absolument de parvenir à ce concept.
Surtout, la pensée chrétienne a bien dû se contenter pendant un siècle du
vocabulaire de l ’Ancien Testament et des religions hellénistiques, même si
elle voulait verser du vin nouveau dans des outres vieilles. Au début du christia-

1. M urabba’ât est le nom d ’un autre wadi du Désert de Juda, près duquel on a découvert
des grottes contenant les squelettes, les objets usuels et les papiers personnels de maquisards
juifs de la Seconde Révolte (132-135 après Jésus-Christ). O r ces gens, qui n ’appartenaient
pas nécessairement à l ’élite intellectuelle, avaient près d ’eux 8 contrats en hébreu et 17 en
atam éen, mais les 7 lettres q u ’ils conservaient étaient toutes en hébreu.
198 OBJECTIONS

nisme la difficulté n ’était pas plus grande sur ce point que sur tant d ’autres.
Ce sont les théologiens postérieurs qui auraient dû mieux clarifier leur
vocabulaire.
b) Deuxième objection :
Affirmer que le Royaume de Dieu c ’est l’Eglise et que le Règne de Dieu
c ’est la Justification, c ’est rejoindre Luther et Calvin et, à travers eux, la
théologie patristique et médiévale. N ’est-ce donc pas sombrer dans im honteux
conservatisme ?
Certes, les conclusions obtenues sont étonnam m ent traditionnelles. Mais
elles résultent d ’arguments nouveaux : la distinction entre Royauté, Règne et
Royaume n ’a pas, semble-t-il, été proposée de façon claire par les Pères de
l ’E ^ise ou les théologiens du Moyen-Age; les remarquables progrès de la
science moderne dans la connaissance de la période intertestamentaire
commencent seulement à porter leurs fruits et iis n ’ont sans doute pas fini de
rajeunir d ’autres vieux problèmes. Je me permets d ’ailleurs de l’affirmer:
ce n ’est pas parce que je désirais voler au secours de thèses actuellement
déconsidérées que j ’ai pensé à invoquer de tels arguments. C ’est parce que mes
propres travaux m ’ont amené à constater peu à peu la fausseté des positions
à la mode, que je me suis décidé, après bien des hésitations, à dénoncer le
mirage de l ’Eschatologie. Le conservatisme consisterait plutôt à plier le genou
devant l’eschatologisme envahissant!
c) Troisième objection :
L’exégèse moderne fait une grande place à la critique littéraire, c ’est-à-dire
à la distinction des multiples sources ou des multiples retouches qui ont abouti
à la production de notre actuel Nouveau Testament. N ’est-ce pas une méthode
regrettable d ’avoir constamment négligé les lumières de cette science?
Q u’on ne prenne pas mon silence pour un refus ou un mépris ! Si telle
traduction française anonyme, malgré les habitudes des autres collaborateurs,
distingue ainsi les sources et les documents de deux livres bibliques, c ’est
parce que j ’ai lutté, seul contre tous, pour l'exiger. Dans le cas qui nous
occupe, la situation est toute différente. Trop souvent, la critique littéraire
du Nouveau Testament est faite à partir d ’une théologie préconçue et c ’est
en fonction de cette théologie q u ’on décide que tel ou tel passage n ’a pu être
rédigé q u ’à telle période. Cette critique-là doit être refusée absolument. Comme
nous l’avons vu (p. 83-85), la convergence de Marc, de la Source Commune,
de M atthieu, de Luc, de Paul m ontre clairement que la notion de basileia tou
théou provient de Jésus lui-même^ ; nous savons que c ’était une notion rela­
tivement rare chez ses contemporains et q u ’elle a été plutôt négligée dans les
milieux grecs de l ’Eglise prim itive: c ’est en fonction de ces données q u ’il
aurait fallu faire la critique littéraire et non pas inversement. D ’ailleurs,
inutile de se battre sur ce point : les textes qui parlent de cette basileia tou théou
sont si nombreux q u ’on ne peut vraiment pas les récuser tous ou les considérer
tous comme tardifs. Même B u l t m a n n , q u ’on peut considérer comme le
champion de la critique littéraire, n ’est pas parvenu (et n ’a sans doute pas
cherché) à les disqualifier tous.

2. B.D. C h i l t o n , dans un ouvrage tout récent consacré à la critique littéraire des princi­
pales paroles de Jésus sur la basileia tou théou, aboutit à la conclusion q u ’elles « peuvent
être identifiées comme provenant du Seigneur » (p. 293).
OBJECTIONS 199

d) Quatrième objection :
L ’argum entation de ce livre est singulièrement étriquée. N ’est-ce pas se
mettre des œillères que de retenir seulement les textes qui contiennent tel ou
tel m ot ? Ne devrait-on pas tenir compte aussi de tous les textes où ce mot
n ’est pas exprimé formellement, où cependant la notion équivalente se trouve
implicitement ?
L ’objection est valable et je me la suis faite à moi-même en permanence.
Mais, si le faux concept d ’Eschatologie a réussi à s’imposer, alors q u ’il n ’existe
pas dans le Nouveau Testament, c ’est précisément parce q u ’on est parti de
notions vagues et mal définies, q u ’on a cru (de bonne foi) les reconnaître un
peu partout et q u ’on a bâti sur elles une théologie partiellement imaginaire.
Pour lutter contre cet abus, il fallait étudier uniquement les textes qui
contiennent certainement une notion, puisqu’ils l ’expriment formellement,
de façon à ne pas risquer de projeter sur les textes des idées préconçues et
purement subjectives. Certes, le Nouveau Testament contient sans doute des
passages qui concernent la Royauté, le Règne ou le Royaume de Dieu, sans
mentionner la basileia tou théou. Mais on ne peut pas partir de ces textes
imprécis pour étudier ces notions. C ’est seulement quand ces notions seront
élaborées scientifiquement q u ’on pourra rechercher les autres passages où
elles sont contenues implicitement. Et alors il faudra commencer par prouver
que chaque texte contient réellement ces notions et q u ’on ne cède pas
inconsciemment à quelque tendance arbitraire. A d ’autres de réaliser cette
enquête élargie et de compléter ce travail. Pour un début, il fallait s’en tenir
aux textes sûrs.

e) Cinquième objection :
La partie historique de cet ouvrage est notoirement insuffisante : bien des
auteurs, qui auraient mérité une étude spéciale, sont passés sous silence ; bien
des articles et même bien des ouvrages im portants semblent ignorés.
C ’est exact, je le reconnais. Je me permets cependant de plaider une
circonstance atténuante : les bibliothèques de Paris ne m ’ont pas permis de
faire m ieux; mes amis d ’Allemagne, d ’Angleterre ou des Etats-Unis savent
combien de photocopies je leur ai demandées ; je ne pouvais pas davantage
abuser de leur obligeance.
Mais surtout je ne considère nullement cet ouvrage comme définitif. Il
faudra le reprendre eiitièrement, pour mieux en vérifier chaque détail. Les
divers auteurs étudiés ne le sont q u ’à titre de jalons représentatifs, et ils ne
suffisent évidemment pas pour un tableau historique complet. Je ne pouvais
que donner le coup d ’envoi et signaler l’urgence d ’une remise en ordre fonda­
mentale. A mes successeurs de faire mieux et de corriger tout ce qui le mérite.
Comme on dit en rugby, ceci n ’est q u ’un « essai » ; à d ’autres de le
« transformer ».

/ ) Sixième objection :
Refuser l ’Eschatologie, n ’est-ce pas com prom ettre la « théologie de
l ’espérance » q u ’à si bien étudiée Jürgen M o l t m a n n ?
Cette théologie de l'espérance est plus que bienfaisante, elle est juste ; ou
plutôt : elle serait juste si elle était placée dans un cadre exact. Bien que
200 œ N C L U siO N S

M oltm ann critique les positions de S c h w e it z e r ^, de B a r t h '^ et de


BuLTmKN’, il reste un eschatologiste convaincu et il suppose en permanence
que le Royaume de Dieu ne viendra q u ’à la Fin du Monde. Ainsi il sépare
radicalement le présent de l ’avenir et même du passé : jadis Jésus a prêché
l’Evangile puis est m ort et ressuscité ; m aintenant nous vivons dans un monde
terriblement im parfait; plus tard le Royaume de Dieu réalisera toutes les
promesses de l ’Ecriture. Tout cela est vrai. Mais le lien entre ces trois états
n ’est pas clairement mis en lumière. Si le Royaume de Dieu (dont M o l t m a n n
parle trop peu) n ’était pas repoussé dans un avenir eschatologique, s’il était
au contraire considéré dans toute sa réalité, en accord avec les « paraboles
de la croissance », s’il était reconnu comme fondé par le Christ, propagé
laborieusement avec l ’Eglise, couronné triomphalement à la Parousie, avant
de déboucher dans la Vie Etemelle, alors le passé, le présent et l ’avenir
apparaîtraient comme trois étapes de la formation du même Royaume. Alors
la confiance (pour le présent) et l ’espérance (pour l ’avenir) reposeraient sur
une base ferme ; le présent, malgré l ’ivraie qui risque d ’étoufier le bon grain,
serait le fruit, en cours de formation, de la semence apportée par Jésus, et le
même présent serait l ’épi mûrissant pour la moisson, qui sera coupée à la fin
des temps et engrangée dans les « demeures étemelles ». C ’est l ’action de Dieu
dans le passé qui s’épanouit dans le présent et c ’est l ’action de Dieu dans le
présent qui s’épanouira dans l ’avenir. N ’est-ce pas ainsi q u ’on obtient une
vraie « théologie de l ’espérance » ? Mais pour cela il faut renoncer à l’Eschato­
logie, qui mutile le Royaume...

if «

Si l’on veut bien accepter comme suffisantes les réponses à ces diverses
objections, j ’ose espérer q u ’alors on adm ettra volontiers, jusqu’à preuve du
contraire, les principaux résultats de ce travail :
1) Le terme Eschatologie n ’est admissible que dans sa signification normale :
étude des fins dernières ; si on lui fait signifier ces fins dernières elles-mêmes,
on commet un illogisme.
2) Quiconque parle d ’Eschatologie (même dans le sens admissible) doit
reconnaître que sa pensée ne part pas du Nouveau Testament mais q u ’elle
impose à ce Nouveau Testament un concept non-biblique.
3) Surtout si l ’on parle une langue peu sensible à certaines nuances, on devrait
avoir grand soin de ne pas confondre Royauté, Règne et Royaume de Dieu
et d ’employer un vocabulaire aussi précis que possible.
4) Les Français devraient définitivement renoncer à traduire Jean 18,36 par
« M on Royaume n ’est pas de ce monde » (ce qui équivaut en fait à « M on
Royaume n ’est pas dans ce monde »), puisque le sens est clairement : « Ma
Royauté ne vient pas de ce monde ».

3. « La découverte de l ’eschatologie et son infécondité », p. 35-40.


4. « Eschatologie transcendantale... Théologie de la subjectivité transcendantale de
Dieu », p. 44-59.
5. « Eschatologie transcendantale... Théologie de la subjectivité transcendantale de
l ’homme », p. 44-50 et 59-72.
CONCLUSIONS 201

5) Rejeter le Royaume de Dieu uniquem ent dans l ’Au-Delà (après la m ort


individuelle ou après la Résurrection Générale) c ’est contredire l ’enseignement
de l ’Ecriture (voir ci-dessus, p. 98).
6) Rejeter le Royaume de Dieu uniquement à la Fin du Monde, c ’est encore
contredire l ’enseignement de l’Ecriture (voir ci-dessus, p. 95-97).
7) Limiter le Royaume de Dieu en niant la Parousie, la Résurrection Générale
et le Jugement Dernier, c ’est toujours contredire l ’enseignement de FEcriture.
8) Comme disait déjà H. C l a v ie r en 1932, on doit s’attendre à « un tel boule­
versement de l’eschatologisme habituel q u ’il vaudra mieux utiliser un autre
vocabulaire et q u ’il faudra, sans doute, revenir, avec un singulier enrichissement
de la pensée religieuse, au point d ’où l’on était parti, pour un nouveau départ »
(« Notion de Dieu », p. 55).
9) Comme disait James M. R o b in s o n en 1960, est remise en question « la
signification centrale de l’eschatologie, que ces 50 dernières années ont
considérée comme le fondement sur lequel était basée la prédication de Jésus »
(p. 19)^
10) Ceux qui refusent d ’adm ettre que l ’Eglise soit le Royaume de Dieu,
devraient prendre la peine de dire clairement pour quels motifs ils refusent
cette identification.
11) Ni les Catholiques ni les Protestants n ’ont à craindre ou à souhaiter cette
identification, car elle ne concerne pas la structure de l ’Eglise, mais seulement
sa nature profonde’ .
12) L ’assimilation de l’Eglise au Royaume de Dieu ne contredit nullement,
mais confirme heureusement, les autres formules néotestamentaires qui
présentent l ’Eglise comme Peuple de Dieu, Epouse du Christ ou Corps du
Christ.
13) Le refus de l’eschatologisme ne perturbe nullement la théologie, mais
il permet au contraire d ’obtenir une synthèse logique et harmonieuse : le Règne
de Dieu dans les âmes est la Justification ; le Royaume de Dieu, qui est Jésus
avec les membres de son Eglise, a commencé au Baptême de Jésus ; il grandit
depuis lors et renferme non seulement des «justes », mais aussi des « pécheurs » ;
il englobera la Parousie, la Résurrection Générale, le Jugement Dernier,
l’Offrande au Père ; il s’épanouira dans la Vie Eternelle.
*
♦ ♦
En somme, la fidélité à l ’Ecriture impose de mettre en pleine lumière la
Royauté, le Règne et le Royaume de Dieu, et donc pour cela de renoncer au
mirage de l ’Eschatologie.

6. O. CuLLMANN dit aussi: « N ous considérons comme une tâche essentielle de la


théologie moderne de trouver une solution au problème cschatologique » (La pensée
eschatologique..., p. 353).
7. Dans une conférence de 1927, publiée par Zwischen den Zeiten (vol. 5, 1927, p. 365-
378) et traduite dans « l’Eglise », Karl B a r th affirme que la meilleure amorce d ’un rapproche­
ment des Eglises se trouve dans trois mots du Catéchisme Romain ( = Catéchisme du Concile
de T rente); « Fide solum intelligimus ( = nous ne comprenons que par la foi) y est-il dit
au sujet de la réalité divine de l’Eglise. On peut tranquillement affirmer que si nous étions
d ’accord sur le sens de ces trois mots il n ’y aurait pas de séparation des Eglises... A partir
de là, en effet, on pourrait s’entendre sur tout le reste ; je dis bien tout le reste : la papauté,
les sacrements, le dogme et les rites » (p. 47-48).
PREMIER APPENDICE

Exemple d’exégèse « scientifique »

Pour q u ’on ne m ’accuse pas d ’avoir noirci le tableau en reprochant à


divers auteurs leurs méthodes exégétiques, je me permets de reproduire quelques
pages écrites dans un ouvrage célèbre par un exégète de grand renom, qui a
exercé une influence considérable ; L o is y .
II commence par énoncer d'excellents principes, q u ’il avait sans doute
l’intention d ’appliquer: « Si l’on veut déterminer historiquement l ’essence
de l ’Evangile, les règles d ’une saine critique ne permettent pas q u ’on soit
résolu d ’avance à considérer comme non essentiel ce que l ’on est porté mainte­
nant à juger incertain ou inacceptable. Ce qui a été essentiel à l ’Evangile de
Jésus est ce qui tient la première place et la plus considérable, dans son enseigne­
ment authentique, les idées pour lesquelles il a lutté et pour lesquelles il est
m ort, non celle-là seulement que l’on croit encore vivante aujourd’hui. De
même, si l ’on veut définir l ’essence du christianisme primitif, on devra chercher
quelle était la préoccupation dom inante des premiers chrétiens, et ce dont
vivait leur religion. En appliquant le même procédé d ’analyse à toutes les
époques, et en com parant les résultats, on pourra vérifier si le christianisme
est resté fidèle à la loi de son origine, si ce qui fait aujourd’hui la base du
catholicisme est ce qui soutenait l’Eglise du moyen âge, celle des premiers
siècles, et si cette base est substantiellement identique à l ’Evangile de Jésus,
ou bien si la clarté de l’Evangile s’est bientôt obscurcie, pour n ’être dégagée
de ses ténèbres q u ’au x v i' siècle ou même de nos jours. Si des traits communs
se sont conservés et développés depuis l ’origine jusqu’à notre temps dans
l’Eglise, ce sont ces traits qui constituent l’essence du christianisme. Du moins,
l’historien n ’en peut pas connaître d ’autres ; il n ’a pas le droit d ’employer
une autre méthode que celle q u ’il appliquerait à une religion quelconque. Pour
fixer l ’essence de l’islamisme, on ne prendra pas, dans l ’enseignement du
Prophète et dans la tradition musulmane, ce que l’on peut juger vrai et fécond,
mais ce qui, pour Mahomet et ses sectateurs, importe le plus en fait de croyance,
de morale et de culte. Autrement, avec un peu de bonne volonté, l ’on découvri­
rait que l’essence du Coran est la même que celle de l’Evangile, la foi au Dieu
clément et miséricordieux...
« L ’essence de l ’Evangile ne peut être établie que sur une discussion
critique des textes évangéliques, et en partant des textes les plus sûrs et les plus
clairs, non de ceux dont l ’authenticité ou le sens peuvent être douteux. On
irait contre les principes les plus élémentaires de la critique en échafaudant
une théorie générale du christianisme sur un petit nombre de textes médiocre­
ment garantis, et en négligeant la masse des textes incontestés et leur significa­
204 A PPEN D IC E

tion très nette. Avec une telle méthode, on offrirait au public une synthèse
doctrinale plus ou moins spécieuse, mais non l’essence du christianisme
d ’après l ’Evangile » (L ’Evangile et l ’Eglise, 5 ' édition, Introduction, p. xiv
à xix).
Dans le cours de la discussion, L o is y est bien obligé d ’examiner
Luc 17,20-21. Voici comment il le fait: « On a, pour appuyer l’idée d ’un
royaume purement intérieur et déjà présent, un texte du troisième Evangile,
dont l ’authenticité n ’est pas très sûre, ni le sens très clair. Interrogé, par les
pharisiens sur le temps où viendrait le royaume de Dieu, Jésus leur répond :
« La venue du royaume de Dieu n ’est pas matière d ’observation. L ’on ne dira
pas : Il est ici, o u : Il est là. Car le royaume de Dieu est en vous*. « Cette
déclaration ne se lit que dans Luc, et elle fait partie d ’un préambule que l’auteur
a rédigé pour un discours eschatologique^ dont la substance a été retenue par
M atthieu^. Il y a beaucoup de chances pour que ce discours seul appartienne
à la source commune des deux Evangiles, et que la parole citée vierme de Luc
ou de sa tradition particulière. L ’ensemble de cette introduction est dans le
style de l’évangéliste, qui crée volontiers la mise en scène des discours q u ’il
reproduit ; et l ’idée du royaume présent ne s’accorde pas bien avec le discours
même, qui concerne l ’avènement du Fils de l ’homme, à moins que l ’assertion ;
« Le royaume de Dieu est en vous », ne doive s’entendre comme une prophétie
qui signifierait : « Le royaume de Dieu est tout près de se manifester parmi
vous ». Le travail rédactionnel s’accuse en ce que l ’on dit du royaume : « 11 est
ici, ou là », ce qui ne convient q u ’au Messie, et s ’applique en effet à lui deux
versets plus loin » (L’Evangile e t l ’Eglise, p. 51-53). — En somme L o is y accuse
ce texte d ’être « rédactionnel » et de moindre valeur, selon une méthode décrite
ci-dessus (p. 90-91) et il commence par insinuer que « l ’authenticité n ’(en)
est pas très sûre ni le sens très clair », mais sans prouver d ’aussi graves soupçons.
Puis il continue : « Si la parole a été réellement prononcée par Jésus et
adressée aux pharisiens comme le dit l’évangéliste, elle ne peut pas signifier
que le royaume de Dieu soit en eux, c ’est-à-dire dans leurs âmes ; car ces
pharisiens ne croient pas à l ’Evangile et n ’ont point de part au royaume. 11 y
aurait bien de la subtilité à sous-entendre une restriction, comme si Jésus
voulait dire : « L e royaume de Dieu est tel, qu’il doit se réaliser en vous, pourvu
que vous le vouliez et que vous en soyez dignes ». Le sens le plus naturel serait :
« Le royaume de Dieu est au milieu de vous », et c ’est peut-être ainsi que le
comprend le rédacteur, si toutefois il n ’a pas voulu dire simplement que le
royaume surviendra sans q u ’on s ’y attende, et sans q u ’on ait le temp
d ’annoncer q u ’il est apparu en tel ou tel endroit » (L ’Evangile et l ’Eglise,
p. 53). — Cette fois L o is y , pour se dispenser d ’accepter le sens «le plus naturel»,
prétend que ce malheureux texte n ’a pas un sens acceptable.
Le terrain étant ainsi préparé et ce texte suffisamment discrédité, il pour­
suit son argumentation : « Pour être autorisé à soutenir que Jésus a entendu
cette parole dans un sens différent, il faudrait avoir d ’autres textes, de sens
et d ’authenticité indiscutables, où s’exprimerait le caractère intérieur et actuel

1. Luc, 17, 20-21.


2. Luc, 17, 22-37.
3. M atth, 24, 23. 26-27. 37-39. 17-18. 40-41. 28.
APPENDICE ^U 3

du royaume. Mais il est évident que ces textes font entièrement défaut, et l’on
irait contre les principes les plus élémentaires de la critique en sacrifiant le
reste de l’Evangile à l’interprétation douteuse d ’un seul passage » (L ’Evangile
et l’Eglise, p. 53-54). — Ici nous sommes en pleine contre-vérité. « autres
textes, de sens et d ’authenticité indiscutables, où s’exprimerait le caractère
intérieur et actuel du royaume » existent bel et bien : nous en avons relevé une
dizaine rien que dans les Evangiles, aux pages 96-97, et même une dizaine
d ’autres décrivent ce royaume avec des verbes au passé. Et L o isy spécule sur la
naïveté du lecteur quand il en appelle aux « principes les plus élémentaires
(pourquoi ce pluriel ?) de la critique », q u ’il ne voudrait pas violer « en sacrifiant
le reste de l ’Evangile à l’interprétation douteuse d ’un seul passage ». La
critique demande, non pas de sacrifier un texte à d ’autres, mais de les respecter
tous, les uns et les autres. En réalité ce passage n ’est pas seul et son interpréta­
tion, discutable en ce qui concerne la nature du royaume, ne l’est nullement
en ce qui concerne son actualité.
Alors, L o is y peut conclure avec une belle condescendance ; « Dans les
conditions les plus favorables, et l’authenticité de la parole étant admise, on
devrait dire que Jésus parle de la présence du royaume dans son commencement,
et de sa préparation par l ’Evangile » (L ’Evangile et l’Eglise, p. 54). — Quel
lecteur aura remarqué q u ’il a subrepticement dévié la discussion'! Dans ce
passage L o is y polémique contre H a r n a c k , qui interprète le Royaume de Dieu
d ’une façon purement intérieure. Or, dès le début, il n ’a pas dit seulement
« un royaume purement intérieur » il a ajouté « et déjà présent », ce qui n ’est
d ’ailleurs pas inexact. Puis, dans la discussion, il invoque « l ’idée du royaume
présent » et laisse au second plan l ’intériorité. Vers la fin il m entionne encore
les deux notions : « le caractère intérieur et actuel du royaume ». Mais dans
la conclusion il ne parle plus que « de la présence du royaume dans son
commencement et de sa préparation par l ’Evangile ». La discussion sur l ’inté­
riorité du royaume de Dieu aboutit aussi à un plaidoyer contre sa présence...
Hélas, on pourrait signaler des exemples tout aussi édifiants sous la plume
des exégètes et des théologiens de notre temps, même dans les ouvrages qui se
vendent le mieux. Les lecteurs seraient-ils dupes de tels procédés ?
DEUXIÈME APPENDICE

Comment on suppose
au point de départ
ce qu’il faudrait démontrer

A. VON G a l l publie en 1926 un ouvrage de 480 pages (plus les tables


et les index) intitulé « Basileia tou Théou », auquel il donne comme sous-titre
« E tu d e d ’histoire religieuse sur l ’Eschatologie avant l’Eglise». Comme il
inclut dans cette étude les ouvrages du Nouveau Testament, il suppose donc
a priori que l'Eglise existait seulement après le Nouveau Testament. Bien
entendu, après une telle supposition, on n ’est pas tenté de rapprocher le
Royaume de Dieu et l ’Eglise !
Voici le début de son introduction : « L ’idée du Royaume de Dieu a
toujours joué dans l ’histoire de l’Eglise et de la Théologie un rôle plus
ou moins décisif. L’Eglise a reçu cette idée du Christianisme primitif, avant
tout des écritures du Nouveau Testament. La prédication de Jésus et les
intuitions de Paul étaient pour elle normatives. Et certes le Royaume de
Dieu était un concept eschatologique, c ’est-à-dire un bien qui se réalise
seulement au temps de la fin, qui n ’est pas encore accessible dans le présent
et qui signifie seulement une préparation à cette fin. Le caractère exclusive­
ment eschatologique du Royaume de Dieu influence non seulement la prédi­
cation de Jésus et de Paul, mais aussi l’Eglise ancienne. A u g u s t in le premier a
assimilé le Royaume de Dieu, la « civitas Dei », à l ’Eglise, mais sans abandon­
ner sa relation eschatologique» (p. 1). — Après de telles affirmations (qui
ne sont pas justifiées dans la suite de l’ouvrage), à quoi bon une recherche
théologique ?
Et pourtant, au dernier chapitre de son ouvrage, l ’auteur se voit contraint
à un aveu significatif ; « 11 est remarquable comme la Basileia tou Théou est
peu mentionnée dans la littérature de la période hellénistique et romaine ‘
commp quelque chose d ’imminent, introduisant à la fin du monde » (p. 468).

1. Pour être complet, l ’auteur devrait ajouter q u ’elle est encore moins mentionnée
auparavant !
APPENDICE 207

Mais cela ne l ’empêche pas d ’affirmer ensuite : « Pourtant la Basileia tou


Théou, même si elle n ’est pas mentionnée aussi souvent que nous pourrions
le penser^, est le concept central de toutes les espérances du Judaïsme de
notre période (p. 468-469).
Que pensent les logiciens d ’une telle argumentation ?

II

B l a c k m a n en 1936 dans son article « Eglise et Royaume de Dieu :


nécessité d ’une discrimination » exprime clairement sa pensée : « A moins
d ’être Catholiques Romains, nous ne sommes pas tentés d ’identifier Eglise
et Royaum e» (p. 373)'^. Et pourtant il avait écrit trois pages auparavant ;
« (Cette) identification n ’est pas propre aux Catholiques Romains, on la
trouve aussi, parmi les modernes savants protestants, chez F a ir b a ir n et
D e n n e y ... Parmi les Réformateurs, C a l v in en particulier a considéré l ’Eglise
comme le Royaume de D ieu» (p. 370)’ . Les explications ne brillent pas par
leur clarté : « Mais le Royaume et l ’Eglise ne sont pas exactement au même
niveau. Le Royaume a un aspect présent aussi bien que futur ; mais ce
double sens n ’est pas établi explicitement pour l ’Eglise. Le Royaume de
Dieu est surtout une réalité future, un idéal ; l ’Eglise a commencé comme un
fait présent. Certes le Royaume en est venu à désigner aussi en un certain
sens une réalité présente, et de même l ’idée d ’Eglise s’est étendue jusqu’à
inclure pas seulement une société présente, empirique, militante, de chrétiens
dans ce monde, mais aussi la compagnie future, glorieuse et triomphante
des Chrétiens au ciel. Mais essentiellement Eglise et Royaume sont à distinguer
comme le présent et le futur®. Selon le Nouveau Testament l ’Eglise est la
communauté de ceux qui par leur union avec le Christ sont déjà capables
d ’entrer dans le Royaume de Dieu’ .... Quoique dans l’enseignement de
Jésus le Royaume de Dieu est présent aussi bien que futur, les Chrétiens ont
eu par la suite tendance à le considérer comme seulement futur®. Pour eux
son aspect présent était leur appartenance à l’Eglise, mais cela était alors

2. Quel joli euphémisme ! Et pourquoi serions nous portés à le penser ?


3. Rappelons que pour v o n G a l l cette période inclut le Nouveau Testament mais pas
l’Eglise.
4. Bien avant 1936 une grande partie des Catholiques Romains ne maintenaient plus
l’identité entre le Royaume de Dieu et l’Eglise.
5. Cette identification est-elle, oui ou non, propre aux Catholiques Romains ? Si oui,
c ’est considérer C a l v in comme un Catholique Romain. Si non, pourquoi ce coup de grifle
(dans la pensée de l’auteur) contre les Catholiques Romains ?
6. Pourquoi cette opposition entre Eglise (du présent) et Royaume (du futur), puisque
l ’auteur vient de reconnaître que l’Eglise inclut aussi l’avenir et que le Royaume inclut aussi
le présent ? Q u’est-ce qui justifie cette opposition ? Q u’on produise des argum ents 1
7. Jam ais le Nouveau Testament ne dit cela. L 'auteur donne une excellente définition
de l’Eglise quand il la décrit comme « la communauté de ceux qui (sont en) union avec le
Christ ». Mais pourquoi ajoute-t-il »... (de ceux qui) sont déjà capables d ’entier dans le
Royaume de Dieu » ? Il se garde bien, d ’ailleurs, d ’alléguer aucune référence précise.
8. Puisque pour Jésus « le Royaume de Dieu est présent aussi bien que futur », pourquoi
les Chrétiens ont-ils faussé son enseignement ? Si leur terminologie a évolué au point de ne
plus correspondre à la pensée de Jésus, pourquoi maintenir cette terminologie et renoncer
à la pensée de Jésus ?
208 A PPEND ICE

regardé comme leur préparation pour ce Royaume®, et le Royaume lui-même


se trouve dans le futur, comme objet d ’espérance et de prière^®. Autre dis­
tinction : le Royaume est dans l ’autre monde, l’Eglise dans ce monde-ci^
On ne nie pas que, pour ainsi dire, chacun empiète sur le terrain de l ’autre.
Le Royaume peut être regardé comme pénétrant dans l ’ordre du monde
présent et l ’Eglise comme continuant son existence dans un ordre de réalité
plus élevé, dans le cicl*^. On peut toutefois objecter q u ’il n ’y a pas d ’autre
Eglise au sens strict que celle de ce monde^^. Nous exprimons un fait et un
fait im portant quand nous parlons de l ’Eglise triom phante en opposition
avec l ’Eglise militante, mais cela implique une transformation du sens du
m ot « Eglise Par Eglise triom phante on désigne la compagnie plénicre
des saints, la réalisation ultime d ’une société divine, qui doit se manifester à la
fin des temps, quand sera terminée la guerre contre tout ce qui s ’oppose à
la volonté divine. Mais pour ceci le terme propre est « Royaume de Dieu »
et le terme Eglise est incorrect^*. Car l ’Eglise est proprem ent la société de
ceux qui dans ce monde font la volonté de Dieu et qui attendent son
Royaume » ‘
Tout cet exposé repose sur l ’affirmation d ’un principe, qui est précisément
la conclusion de la démonstration.

9. Pourquoi ? Si l ’aspect présent d u Royaume était l’appartenance à l ’Eglise, alors


Royaume égalait Eglise !
10. Pourquoi, tout d ’un coup, le Royaume, auquel les Chrétiens participaient, devient-il
aiasi « objet d ’espérance et de prière » ?
11. Q u’est-ce qui, dans le Nouveau Testament, justifie cette distinction ?
12. De quel droit a-t-on délimité le terrain du Royaume et de l’Eglise, puisqu’on
reconnaît q u ’ils empiètent l ’un sur l’autre ?
13. Pourquoi ? Quel texte justifie cette affirmation ? où se trouve le « sens strict » du
m ot « Eglise » 7
14. Oui. si l’on pose comme principe que l’Eglise ne doit pas inclure « l’Eglise
triom phante ». Mais d ’où vient ce principe ? Puisque le Christ est la tête de l’Eglise (Eph. 5,23)
et que l’Eglise est le corps du C hrist (Col. 1,18.24), pourquoi le Christ ressuscité perdrait-il
subitement son corps ?
15. Pourquoi ?
16. Comm ent concilier cela avec les nombreux textes qui présentent le Royaume de
D ieu comme une réalité présente ou même passée ?
TROISIÈME APPENDICE

Exemple de blocage inconscient

T o b a c (p. 216-217) : « I I est indéniable que, dans bien des passages,


cette même justification est décrite par Paul comme actuellement existante,
voire même comme passée (par exemple, I Cor. 6,11 «vous avez été justi­
fiés ; Rom. 3,24 « étant justifiés » ; 5,19 « ayant été justifiés » ; 8,30 « ceux
q u ’il a prédestinés, il les a aussi appelés et ceux qu’il a appelés, il les a aussi
justifiés ; or ceux q u ’il a justifiés, il les a aussi glorifiés » ; Tite 3,7 « ayant
été justifiés par sa grâce »). Faut-il en conclure, avec certains critiques, que
Paul connaît une double justification, l’une accomplie, l’autre future, ou au
moins que la justification revêt chez lui un double aspect, l ’un présent, l ’autre
eschatologique Le problème ainsi posé, il ne peut guère être question, nous
semble-t-il, que de divergences formelles et verbales^. Nous croyons toutefois
que la justification conserve partout dans S. Paul sa portée messianique et
eschatologique... ».
Alors que les textes, de façon « indéniable», affirment que la Justification
peut aussi être un fait passé, pourquoi croire que « partout » elle ait « une
portée messianique et eschatologique»? Pourquoi associer « messianique » à
« eschatologique » ?
Bloquer ainsi le futur, le Messianisme et l ’Eschatologie, c’est admettre
implicitement que, pour S. Paul, le Messie n ’était pas encore venu (car, lorsque
Tobac écrivait, l ’Eschatologie Réalisée n ’avait pas encore été inventée).
Tobac a-t-il réfléchi à la portée de ses paroles ?

1. L ’auteur donne certains de ce.s textes seulement en grec, je les ai traduits en français.
2. Pourquoi ne pas dire tout simplement que pour Paul la justification peut exister
dans le passé, tout comme dans le présent ou l ’avenir? Pourquoi parler seulement d ’un
« double aspect, l’un présent, l’autre eschatologique » ? Que devient le passé, reconnu comme
« indéniable » dans les textes cités ? E t pourquoi remplacer « futur » par « eschatologique » ?
3. La différence entre le passé, le présent et l’avenir est-elle seulement « formelle » et
« verbale » ?
QUATRIÈME APPENDICE

Comment on sollicite
inconsciemment les textes

Un théologien célèbre s’exprime ainsi, p. 4 9 -5 0 ; « Saint T h o m a s ...


(donne) sa vraie place à l ’Eglise ; il m ontre dans la Somme (1“ 2*', q. 103, a. 3)
comment elle se situe entre la Synagogue et le Royaume de Dieu. Synagogue =
période d ’attente, de prophétie, de préparation ; Royaume = période de
consommation, de jouissance, de plénitude. L ’Eglise va se situer entre les
deux et nous trouverons, dans ce fait que l ’Eglise est dans une situation
d ’entre-deux, une explication des traits dualistes... : grâce et moyens de grâce,
institution et communauté, hiérarchie et vie de sainteté. Nous allons avoir
ainsi une clé extrêmement simple pour expliquer ces antinomies ».
Si l ’on a la curiosité de se reporter à la Somme Théologique, Prima
Secundae, question 103, article 3, q u ’y trouve-t-on ? Dans un article intitulé
« Les cérémonies de la loi ancienne furent-elles abrogées à l’avènement du
Christ ?», S. T h o m a s d ’A q u in raisonne ainsi : « On a dit plus haut que tous
les préceptes cérémoniels de la loi ancienne se rapportaient au culte de Dieu.
Mais le culte extérieur doit s’adapter au culte intérieur, fait de foi, d ’espérance
et de charité ; par suite, si le culte intérieur change, le culte extérieur doit
suivre ce changement. On peut donc distinguer trois états de culte intérieur :
1“ Dans l’un, la foi et l’espérance portent conjointement sur les biens du ciel
et sur ce qui nous y introduit, le tout considéré comme à venir ; tel fut l’état de
la foi et de l ’espérance sous la loi ancienne. — 2“ Dans un autre état du culte
intérieur, on croit et on espère les biens du ciel comme réalités à venir, mais
comme présentes ou passées les réalités qui nous y introduisent ; tel est l ’état
de loi nouvelle. — 3“ Dans le troisième état tout est tenu comme présent,
il n ’y a plus d ’au-delà à croire ni de futur à espérer ; tel est l’état des
bienheureux.
« Dans l ’état des bienheureux, le culte divin ne com portera rien de
figuratif, mais sera tout « d ’action de grâces et chant de louange », selon
l ’expression d ’Isaïe (51,3). Ce qui fait dire à S. Jean décrivant dans l ’Apoca­
lypse (21,22) la cité des bienheureux : « J e n ’y vis point de temple, car le
Seigneur Dieu tout-puissant est son temple, ainsi que l’Agneau». Pour une
raison analogue, les cérémonies du premier état, préfigurant le second et le
troisième états, durent disparaître à l ’avènement du second et d ’autres céré­
monies introduites, qui fussent en rapport avec le culte de cet âge nouveau
pour lequel les biens du ciel sont encore à venir, mais où sont présents les
APPEND ICE 211
bienfaits de Dieu qui nous y introduisent.» (Traduction de R. M u l a r d ,
p. 200-201).
Chacun peut constater que dans ce passage S. T h o m a s ne parle ni de
l'Eglise ni du Royaume de Dieu. La distinction qu’il fait entre les trois états
du culte intérieur n ’a aucun rapport avec le Royaume de Dieu ni avec l’Eglise.
Comme ces dernières notions sont assez rares sous sa plume (il ne consacre
aucun article à l’Eglise et aucun au Royaume de Dieu dans sa volumineuse
Somme Théologjque), on ne peut même pas supposer q u ’elles soient plus
ou moins implicitement dans sa pensée.
Alors comment expliquer une telle méprise ? L ’auteur était tellement
persuadé que l’Eglise concerne la terre et que le Royaume concerne le ciel,
q u ’il a projeté ses idées personnelles dans le texte de S. T h o m a s '. Malheureu­
sement il fait de cette méprise la « clé » de son argumentation.

1. L ’auteur dit même un peu plus loin, avec une bonne foi évidente: « Cette vue, que
Saint T h o m a s donne si clairement... ».
CINQUIÈME APPENDICE

Comment sont présentés


les textes du Qumrân

Dans une étude sur le messianisme à Qumrân, un spécialiste s’exprime


ainsi :
« Nous insistons sur ce point : dans ce travail il s’agit fondamentalement
des représentations messianiques et non pas, plus généralement, des représen­
tations eschatologiques de la Communauté de Qumrân. Nous considérons
donc simplement une partie précise de leur attente de l ’avenir... ».
« Quand nous parlons du Messie, nous entendons une figure de Sauveur
eschatologique. Certes, mSyh ne signifie originairement que « Consacré ».
Dans ce sens non-eschatologique mSyhym se rencontre trois fois dans les textes
de Qumrân pour désigner les prophètes de l ’Ancien Testament (Document
de Damas 111,12 et VI,1 ; Règle de la Guerre XI,7). Ailleurs, dans les textes
de Qumrân, m Syh se présente seulement au sens d ’une figure eschatologique.
« Quand nous parlons d ’Eschatologie, nous entendons « indiquer une
certaine attente concernant la fin dans laquelle sont laissées de côté la destruc­
tion et la rénovation du cosmos, mais qui se maintient dans le cadre de
l ’histoire » (avec Th.C. V r ie z r n , Prophecy and Eschatology, Leiden, 1953,
p. 202). Si, avec H ô l s c iie r (Die Ursprünge der jüdischen Eschatologie, 1925,
p. 3), nous limitions la notion d ’Eschatologie aux représentations « de ce grand
drame de la fin des temps, qui termine la période présente et qui commence
une nouvelle période de salut », alors il n ’y aurait presque plus ou peut-être
plus du tout à parler d ’Eschatologie soit dans l’Ancien Testament soit dans les
textes de Qumrân.
« En ayant soin de parler de l’Eschatologie au sens indique ci-dessus,
on inclut la définition de H ô l s c h e r . Si l ’on veut distinguer les deux aspects
à l ’intérieur de l ’Eschatologie, on parle plutôt, comme J. K l a u s n e r (The
Messianic Idea in Israël, London, 1956, p. 408 et suivantes), de « l ’âge
messianique » et du « monde à venir », quoique je ne voudrais pas, avec
K l a u s n e r , limiter le concept d ’Eschatologie au « monde à venir » dans le sens
transcendental du h ' w l m h b ’ (p. 414 et 448). Comme dans l’Ancien Testament,
les images eschatologiques du futur me paraissent à Qumrân se développer
encore dans le cadre de ce monde. En gros il s’agit d ’une combinaison de
l ’Eschatologie nationale et de l ’Eschatologie universelle (pour cette distinction,
voir C. S t e u e r n a g e l , Die Strukturlinien der Entwicklung der jüdischen
Eschatologie, Festschrift A. B e r t h o l e t , Tübingen, 1950, p. 479-487). Je
APPEND ICE 213

n ’essaie pas de décider si dans les textes de Qum rân une limite est déjà posée
au temps messianique par l’Eon à venir. L ’incendie du monde, dont parlent
les Hymnes 111,26 et la suite, pourrait aussi être une image de l’anéantissement
des impies. Les pieux qumrâniens ont certainement eu une Eschatologie
individuelle : les âmes bienheureuses ^ continuent à vivre en communauté
avec les anges au Ciel (Hymnes 111,21 et la suite ; passim). Cette Eschatologie
est ainsi déjà prolongée dans le transcendant. Mais malheureusement on ne
peut pas décider avec certitude si l ’Eschatologie nationale et l ’Eschatologie
individuelle étaient déjà combinées à l’intérieur de la secte dans l ’attente de
la résurrection à la fin des temps (pour cette distinction à l ’intérieur de l’Escha­
tologie, voir ici aussi C. S t e u e r n a g e l ).
« Quand nous parlons de la fm des temps, nous entendons les derniers
moments de ces « temps mauvais ». Ainsi pour nous la fin des temps correspond
d ’une certaine façon à l’époque eschatologique, en tant que la fin des temps
coïncide comme fin de ces temps mauvais avec le début de la nouvelle ère
(messianique).
« Par « figure d ’un Sauveur eschatologique », c’est-à-dire par le Messie,
nous n ’entendons pas forcément une figure royale de la fin des temps. 11 n ’est
pas conforme à la logique de limiter a priori le nom m§yh (au sens eschatolo­
gique) au roi eschatologique, comme on le fait souvent (autrement : Gressmann,
Der Messias, et S ta e rk , Soter I). Avant tout, S. M o w in ck el identifie le Messie
uniquement avec le roi de la fin des temps (He that cometh, Oxford, 1956, p. 99).
Mais précisément les textes de Qumrân m ontrent q u ’il peut être subordonné
à une plus importante figure d ’un Sauveur humain »...
Ce spécialiste reconnaît donc que les textes de Qumrân ne parlent « presque
plus ou peut-être plus du tout » (ainsi d ’ailleurs que l ’Ancien Testament)
« d ’un grand drame de la fin des temps » qui inclue « la destruction et la rénova­
tion du cosmos » (sauf peut-être les Hymnes 111,26, mais qui peuvent aussi
être considérés comme une image poétique).
1) Pourtant il affirme (sans preuve) que les gens de Qum rân « ont certainement
eu une Eschatologie individuelle ». Il définit le Messie comme un « Sauveur
eschatologique ».
2) Il impose à ses lecteurs une notion de l ’Eschatologie hautement fantaisiste :
« une certaine attente de la fin » qui exclut cette fin elle-même.
3) II définit à priori le Messie comme un « Sauveur eschatologique », alors
q u ’il vient « d ’insister » sur la différence « fondamentale » entre Messianisme
et Eschatologie.
Tout cela est-il logique ?
Pourquoi veut-on à tout prix qu’il y ait une Eschatologie à Qumrân ?

1. Cette interprétation des Hymnçs est loin d ’être certaine ; dans le passage cité i) n ’est
pas question des « âmes bienheureuses ».
SIXIÈME APPENDICE

Déclarations de Diverses Eglises


sur les rapports entre le Royaume
de Dieu et l’Eglise

Sur la demande de la Commission Théologique de la Conférence Mondiale


« Foi et Ordre », plusieurs églises ont exprimé leur position sur les rapports
entre le Royaume de Dieu et l’Eglise et leurs déclarations sont éditées dans
« The N ature o f the Church » (en 1952). On y remarque avec joie que souvent
ces rapports sont appréciés de façon très positive, et que parfois ils aboutissent
presque à l’identification. En suivant l’ordre de cet ouvrage, voici des extraits
de ces documents.
1) L ’Eglise de Rome, présentée par R. Newton F lew ‘ : « Le Royaume
de Dieu est présent et aussi transcendant. Selon la volonté du Christ, tous les
hommes doivent être membres du Royaume de Dieu sur la terre, de façon
à pouvoir ensuite participer au Royaume des cieux » (p. 23).
2) Les Eglises Luthériennes de Scandinavie, présentées par K.E.
S k y d s g a a r d : « Le Christ est le centre du plan de salut de Dieu. Il est le
Royaume lui-même, l ’autobasileia, comme disait O r ig è n e ... La venue du
Christ dans le monde, sa vie, ses paroles, ses actes, sa mort, sa résurrection,
son ascension sont des événements salvifiques du Royaume de Dieu. Mais
l’œuvre du salut par Dieu n ’est pas terminée par cela. Entre la venue du Christ
dans la plénitude des temps et l’établissement final du Royaume s’étend la
période de l’Eglise militante » (p. 72).
3) L ’Eglise Réformée (Presbytérienne) d ’Ecosse, présentée par
G.D. H e k d Èr s o n : « La Confession de Westminster identifie en un endroit
l ’Eglise et le Royaume (article XXV, 2). Cela se rapporte explicitement aux
paraboles de M atthieu 13 et en ce sens l’identification est acceptée par D ic k s o n ,
WooD et d ’autres théologiens écossais traditionnels. H o w a t dit (Conccrning
Christ and the Church, p. 40) : « L ’Eglise est dans un sens très réel le vrai
Royaume du Christ ». Pourtant, en général, l’Eglise a été regardée comme une
conception plus étroite que le Royaume, et en fait l ’instrument du Royaume »
(p. 96-97).

1. Le rédacteur précise loyalement q u ’il n ’appartient pas à l’Eglise Catholique Romaine


et q u ’il n ’est pas m andaté po u r parler au nom de cette Eglise.
APPEND ICE 215

4) Autres Eglises Réformées (Presbytériennes) d ’Europe, présentées par


B. VAN DER S p r e n k e l , J. C o u r v o is ie r et G.D. H e n d e r s o n : « Il y a des endroits
dans l ’Ecriture où l'Eglise et le Royaume de Dieu peuvent être tenus pour
identiques et, bien entendu, le Christ est m aintenant Roi ; mais les E lises
Réformées sont d ’accord q u ’ordinairement le Royaume doit être compris
plutôt en un sens eschatologique et l’Eglise comme l ’instrument par lequel
la fin sera obtenue » (p. 112-113).
5) L'Eglise Vieille-Catholique, présentée par Andréas R in k e l . Après
avoir cité le « Catéchisme de Foi et de Morale » utilisé dans l ’Eglise Vieille-
Catholique des Pays-Bas : « Le Royaume de Dieu se manifeste en une forme
terrestre par l’Eglise du Christ » (p. 150), le présentateur continue: « Notre
théologie garde « Royaume de Dieu » et « Eglise » en étroite relation. Ils ne
sont pas identiques et ne le deviendront pas dans cet éon. Mais le Royaume
de Dieu n ’est pas purement une réalité eschatologique qui — comme il arrive
souvent quand on insiste trop sur la notion eschatologique — fait de l’Eglise
une conception pauvre et vide, et le Seigneur de l’Eglise pas beaucoup plus
q u ’un second Jean-Baptiste » (p. 152).
6) Déclaration approuvée à Bradford en 1937 par la Conférence Métho­
diste Britannique : « L’intention (de Dieu) est de préparer la voie pour le but
et la consommation de toute l’histoire, la venue finale du Règne ou du Royaume
de Dieu, qui a déjà été manifeste dans l’activité rédemptrice du Christ » (p. 204).
7) Le Comité Théologique Américain, présenté par Clarence T. C ra ig :
« Une des plus importantes différences dans l ’histoire du Christianisme a
porté sur la relation entre le Royaume de Dieu et l ’Eglise. Dans les premiers
temps, quand dominait l’attente du millennium, l ’Eglise se regardait comme
un avant-goût du Royaume en quête de sa consommation. Au Moyen-Age
l ’Eglise croyait q u ’elle représentait l’actuel règne du Christ... A ses origines,
le Protestantisme insistait sur l ’éternel souveraineté de Dieu, quoique la
« théocratie » était plus caractéristique du Calvinisme que du Luthéranisme.
Dans le Christianisme américain, le rapport a été renversé... on présente surtout
l’Eglise comme le principal instrument de Dieu pour établir son Règne dans
l ’ordre social » (p. 248).
8) L'Eglise Evangélique et Réformée, présentée par George W . R ic h a r d s ;
« L ’Eglise n ’est pas l’équivalent du Royaume de Dieu. Elle est l’institution
(agency) fondée par Dieu pour la préservation et la propagation de l ’Evangile
du Royaume... Le Royaume de Dieu implique le complet Règne de Dieu, sa
consommation marque la fin des temps » (p. 258)... « Le Royaume de Dieu
est plus q u ’un événement à venir quand le Christ retournera visiblement
pour inaugurer le Règne Messianique ; il est une réalité présente partout où
son Esprit gouverne la vie des hommes » (p. 264).
9) L'Eglise Luthérienne, présentée par Eric H. W a h lstro m : « Les Luthé­
riens n ’emploient pas aussi largement que d ’autres la notion de Royaume de
Dieu. Ils parlent du « Royaume de Dieu de la grâce » du « Royaume de Dieu
dans la gloire » plutôt que simplement du « Royaume ». Ainsi le Royaume
est compris par rapport à la grâce et Dieu établit son Royaume par son activité
rédemptrice. C ’est le Règne de Dieu sur ces personnes qui dans la pénitence
et la foi et par la grâce seule vivent en communion avec Dieu par Jésus-Christ...
Celui qui est par grâce un membre de l’Eglise du Christ est aussi un citoyen
du Royaume. Mais l’Eglise est aussi institution (agency) de Dieu pour établir
le Royaume dans le monde » (p. 271 ).
216 A PPEND ICE

10) Les Eglises Chrétiennes Congrégationnalistes, présentées par


Walter M. H o r t o n : « Le Royaume de Dieu — le inonde comme it serait s’il
était livré à l ’am our de Dieu — existe déjà dans le cœur des vrais chrétiens
et l’Eglise se dévoue à son extension. L ’Eglise est donc non seulement une fin
en soi, mais aussi l’école préparatoire du Royaume, chargée... de la réalisation
finale du Royaume ici sur terre et dans le monde étemel » (p. 277-278).
11) Les Eglises Baptisîes, présentées par W.O. C a r v e r : « (L ’Eglise)
était destinée à être et elle existe comme l’institution (agency) travaillant au
Royaume de Dieu sur terre et à son Evangile » (p. 289)... « Le Christ a fondé
l ’Eglise dans le sens... q u ’il a préparé un groupe hmité pour constituer la
première unité organique de cette série d ’Eglises par lesquelles la parole de
Dieu et la prom otion du Royaume de Dieu seraient poursuivies en son nom »
(p. 290).
12) UEglise des Frères, présentée par W arren W. Slabaugh : « Par
rapport à l’Eglise et au Royaume de Dieu, l’Eglise est tout à la fois la fin et le
moyen. Les valeurs spirituelles du Royaume commencent à être réalisées
dans l ’Eglise et en retour l’Eglise est le moyen vers la réalisation du Royaume
dans son ultime plénitude » (p. 301).
12)) L'Eglise Presbytérienne, présentée par Frederick W. L o e t s c h e r :
« L ’Eglise est à la fois l ’organe et l ’objet du Royaume de Dieu, considéré non
pas comme son étemel pouvoir mais comme son règne de grâce dans la vie
humaine. En tout temps l’Eglise est le Royaume de Dieu dans la mesure où
ses membres reconnaissent la Souveraineté de Dieu dans le Christ ; en retour
le Règne de Dieu dans son éternel Royaume tend à l ’accomplissement du
nombre de ses élus, qui constitueront l ’Eglise Triom phante et qui ainsi seront
participants du Royaume de gloire » (p. 323).
14) L'Eglise Méthodiste, présentée par Harris Franklin R a l l : « Le
Royaume de Dieu est le Règne de Dieu sur la terre et la consommation de ce
Règne dans l’étemel Royaume. Le Royaume de Dieu est un concept plus
restreint. L ’Eglise doit être une réalisation du Règne de Dieu à travers la
société chrétienne et un instrum ent pour l ’extension du Règne de Dieu sur
la terre » (p. 334).
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w
TABLE DES TEXTES BIBLIQUES
(sans tenir compte des simples références)

Matthieu Matthieu
3,1-2: p. 24
18.23-25 : p. 50-51
3.2 : p. 25 n. 8
19,12: p 51
4,17 : p. 24
19,14 : p 32
4,23 : p. 43
19.23-24 : p. 32-33
5.3 + 10: p. 36-37
20,1-16: p. 51
5,12: p. 36 n. 5
20,20-28 : p. 51-52
5,19: p. 110-111
21,31 : p 171 n. 11
5,19-20 : p. 43-44
21.31-32 : p. 52-53
6,10: p. 38
21,43 : p . 53
6,13 : p. 44 n. 1
22,2-14: p. 54
6.31-33 : p. 39-40
23,13 : p . 39
7,21 : p. 44
24,14: p,. 43, 54
8,11-12: p. 40-41
25,1-13: p. 51-55
9,35 : p. 43
25.31-46 :p . 55
10.5-7 : p. 24
26,29 : p . 33-34
10.5-8 : p. 37-38
26,45-46 : p. 25 n. 8
11,11 : p. 37, 148
11,12: p. 25 n. 8
11,12-13: p. 41-42
12,27-28 : p. 38-39 Marc
12,28: p. 24, 25 n. 8, 171 n. 10
13.3-11 + 18-23: p. 26-28 1.14-15: p. 23-26
13,18-19: p. 111 I,15: p. 117-118
13,24-30 + 36-43 : p. 44-46 4,3-11 + 13-20: p. 26-28
13.31-32: p. 29-30 4,11 : p. 24 n. 7
13,33: p. 40 4,26-29 : p. 28-29
13,37: p. 28 4.30-32 : p. 29-30
13,44: p. 46 4.30-34: p. 110
13,45-46 : p. 46 9,1 : p. 30-31, 121
13,47: p. 111 9,43-47: p. 31-32
13,47-50: p. 47 10.14-15: p. 32
13,51-52: p. 47 10,23-25 : p. 32-33
16.17-19: p. 47-49, 100. 106. 108. 112. 10,35-45: p. 51-52
16,28 : p. 30-31 II,1 0 : p. 24 n. 7, 33, 121
18.1.3-4: p. 49-50 12,34: p. 33
18,8-9: p. 31 14,25: p. 33-34
18.17-18: p. 106 15,43: p. 24 n. 7, 34, 121
238 TA B L E D E S TEX TES B IB LIQ U ES

Luc Actes
1,31-33: p. 56-57 1,3: p. 66
I,33 : p. 121 1,6-7 : p. 66-67
4,43: p. 57 8,12: p. 67
6,20 : p. 36-37 14,21-22 : p. 67-68
6 ,2 3 :p . 3 6 n . 5 19,8: p. 68
6.24-25 : p. 36 n. 7 20,25-28 : p. 68, 100
7,28 : p. 37 28,23 : p. 68-69
8,1 : p. 57 28,30-31 : p. 69
8,5-10 + 11-15: p. 26-28
9.2: p. 24, 37-38
9.11 : p. 57
9,27: p. 30-31 5,20-21 : p. 123
9,60: p. 57 14,14-18 : p. 73-74
9,62 : p. 57
^®’9 'P - 2 4 I Corinthiens
10.11 : p. 24
II ,2 : p. 38 3 ,6 :p . 2 8 n . 19
11.19-20 : p. 38-39 4,19-21 : p. 71-72
11,20: p. 24, 171n. 10 6,9-10: p. 72
11,52: p. 39 15,22-27: p. 72-73
12,29-31 : p. 39-40 15,50: p. 73
12,32: p. 57-58
13,18-19: p. 29-30 Galates
13.20-21 : p. 40
13.28-29 ; p. 40-41 4,3-5 : p. 124
14,15: p. 58 5,19-21: p. 74
16,16: p. 41-42
17.20-21 : p. 58-60, 148, 204-205 Ephésiens
18.16-17: p. 32
18.24-25 : p. 32-33 2,3-5.10 : p. 123-124
18,29 : p. 60-61 5,5 : p. 75, 101, 193
19.11 : p. 61, 121
21,31 : p. 24 Colossiens
22,16 : p. 61-62
22.16-18 : p. 33-34 • P-
22.29-30 : p. 62-63 1,13: p. 101
23,42: p. 63 1,18-20 : p. 123
23,51: p. 34 4,10-11: p. 75

I Th
Jean 2,12: p. 70-71

3.3-5 : p. 64 „ ^ .
14,23 : p. 122-123 " Thessaloniciens
18,36; p. 65, 200 1,3-5: p. 71
T A B L E D E S TEX TES B IB LIQ U E S 2 39

II Timothéc II Pierre
4,1 : p. 75-76 1,10-11 : p. 78
4,18: p. 76

Hébreux Apocalypse
1,2: p. 135
1,8: p. 77 1,6: p. 79-80
12,26-28 : p. 77-78 I,9 : p. 80
5,9-10: p. 81
Jacques II,1 5 : p. 81-82
2,5 : p. 78 12,10: p. 82

il'
TABLE DES AUTEURS CITÉS

Aalen S. : p. 14 n. 2, 116 Bohlin D.T. : p. 126


Adam K. : p. 109 Boniface VIII : p. 128 n. 15
Aland K. : p. 24 n. 3, 37 n. 10, Bonsirven J. : p. 13 n. 1, 14 n. 2,
44 n. 1, 52 n. 14, 63, 92 18n. 36, 31 n. 25, 32 n. 28, 83 n. 2,
Alfaric P. : p. 142 n. 9, 144 n. 12, 115 et n. 32
163 n. 28 Bomkamm G. : p. 169 n. 1
Allen P.M.S. : p. 59 n. 8 Bossuet : p. 105
Althaus P .: p. 101 n. 13, 110, 178 et Bouyer L. : p. 22 n. 45
n. 28 Bowen C.R. : p. 181 n. 7
Aphraate : p. 103 Brandt : p. 157
Archam bault : p. 48 n. 8 Braumann G. : p. 41 n. 16
Atzberger L. : p. 90 n. 35, 102 Braun F.M . : p. 112, 118 n. 37
Athénagoras : p. 115 n. 31 Bretschneider K.G. : p. 134
Augustin S aint: p. 103-104, 111, 192 Brière Y. de la : p. 109, 125
et n. 8, 206 Bruce A.B. : p. 105, 163 n. 28
Aulén G. : p. 166 Brunner E. : p. 166
Bucer M. :p . 31 n. 25, 104, 105
Baldensperger W. : p. 147 n. 1 Buchanan G.W. : p. 175 n. 22,
Baltasar H .Urs von; p. 188 n. 16 178 n. 28
Bardy G. : p. 90, 102 Buchheim K. : p. 62 n. 12, 114
Barr J. : p. 136 Bultmann R. : p. 45 n. 2, 49 n. 12,
Barth K. ; p. 170 n. 3-4, 172 n. 14, 16, 60 n. 10, 169-178, 179,180,184 n. 1,
173 n. 18, 176 n. 24, 178, 182 n. 9, 192, 198, 200
184-188, 189, 193 n. 10-11, 200, Burkitt F.C. ; p. 165
201 n. 7
Barth M. : p. 31 n. 25 Cadbury : p. 69 n. 7
Barthélémy-Rickenbacher : p. 15 n. 8 Cadoux A T . : p. 31 n. 25, 182 n. 11
Bartholmèss C. : p. 141 Caird G.B. : p. 135 n. 4
Baum garten; p. 31 n. 25 Calliste : p. 103
Beaumont P. de : p. 52 n. 15 Calvin J. : p. 99 n. 7, 104 et n. 21,
Bède le Vénérable : p. 31 n. 25 105, 119, 128 n. 15, 207 et n. 5
Benoit-Boismard : p. 37 n. 10 Campbell J.Y. : p. 25
Berkey R.F. ; p. 25, 178, 182 n. 11 Carmignac J. : p. 7-8, 17 n. 30, 20
Bernoulli C.A. : p. 184 n. 3 n. 42, 27 n. 13, 28 n. 15, 29 n. 21,
Bertholet A. ; p. 213 38 n. 11, 44 n. 1, 133, 135 n. 6.
Besson M. : p. 112 144 n. 11, 176 n. 25, 190 n. 2,
Bevan E. : p. 111 192 n. 5
Black M. ; p. 25, 63, 163 n. 30 Carver W.O. : p. 216
Blackman E.C. : p. 101 n. 13, 207 Cazelles H. ; p. 134 n. 1
Blanc J.-P. : p. 151 n. 7 Cerfaux L. : p. 113-114, 129 n. 18
Bleek : p. 31 n. 25 Charles R.H. ; p. 86 et n. 16, 87 et
Boehmer J. ; p. 85 n. 8, 88 n. 25 n. 22, 161 n. 16, 19, 20, 163 n. 25,
Bogaert P. ; p. 161 n. 17 166
TA B LE D ES A U T E U R S 241

Charlesworth J.H. : p. 163 n. 30 D upont J. : p. 28 n. 18, 36 n. 4, n. 6,


Chilton B.D. : p. 24 n. 7, 31 n. 25, 40 n. 14, 58 n. 3, 68 n. 3
40 n. 14, 41 n. 16, 58 n. 2, 94 n. 3,
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Crespy G. ; p. 136 n. 8 Fridrichsen A. ; p. 169 n. 1
Cullmann O. ; p. 49 n. 12, 136 n. 8, Frossard A. : p. 52 n. 15
182 n. 9, 201 n. 6
Cyprien Saint : p. 128 et n. 14
Gaechter P. : p. 49
Gall A. von : p. 94 n. 4, 206, 207 n. 3
Dahl N.A. : p. 26 n. 9, 136 et n. 9, 175 Gamaliel : p. 18
Dalm an G. : p. 14 n. 2, 18 n. 36, 19, Gander G. : p. 48 n. 6
41 n. 15, 48 n. 7, 58 n. 5, 88 n. 25 Garrone G. : p. 117 n. 36
Dantine W. : p. 13 n. 1, 93 Gérold T. : p. 140 n. 4
Davenport G.L. : p. 86 Glasson T. F. : p. 60 n. 10, 113, 118,
Deiss : p. 37 n. 10 161, 166 n. 40, 167, 182 n. 11
De Jonge M. : p. 136 Gloege G. : p. 118 n. 37,128 n. 16,194
Delling G. ; p. 136 Glose ordinaire : p. 31 n. 25
Denis A.M . : p. 87 et n. 22, 160 n. 14, Godet : p. 31 n. 25
161 n. 17 Gollinger H. : p. 119
Denney J. : p. 102 n. 14, 106, 129 Gore C ; p. 108, 128 n. 16
n. 17, 207 G raf: p. 151
Denziger H. : p. 128 n. 14-15 Grandm aison L. de : p. 48 n. 6
Dickson : p. 214 G rant F.C. : p. 115
Dieckmann H. : p. 14 n. 2, 48 n. 6, Gràsser E. : p. 60 n. 10
109, 128 n. 16 Grégoire le G rand S. : p. 31 n. 25,
Dinkler E. : p. 49 n. 12, 169 n. 1 103, 104 et n. 16
Dockx S. : p. 70, 75 Grelot P. : p. 160 n. 14, 161 n. 17,
Dodd C.H. : p. 25, 30 n. 23, 45 n. 2, 162 n. 24, 163 n. 32
46, 97 n. 3, 178 et n. 28, 179-183, Gressmann : p. 213
189 n. 1, 192 n. 8 Griffiths J.G. : p. 59 n. 9
Doresse J. : p. 89 n. 33 G roos H .: p. 166 et n. 42, 167 et
Drey J.S. von : p. 105 n. 44, 45
Dublanchy E. ; p. 128 n. 16 Grundm ann W. : p. 34 n. 31
Duncan : p. 31, n. 25 Gry L. : p. 161 n. 18
242 T A B L E D ES A U T E U R S

Haenchen E. : p. 68 Jülicher A. : p. 26 n. 9,45 n. 2, 53 n. 18,


Harnack A. von ; p. 154 et n. 27, 157, 166
155, 192, 205 Justin Saint : p. 48 n. 8
H artl H. : p. 59 n. 8
Hasseveldt R. ; p. 116 Kabisch R. ; p. 157 n. 4
Heckel J. : p. 13 n. 1 K aftan J. : p. 170
Hegel : p. 175 Kahmann J. : p. 48 n. 6
Heidegger M. : p. 175 K a n t: p. 148 n. 6, 175
Heiler F. : p. 166 Kàsemann E. : p. 126, 176 et n. 25
Heintz C.H. : p. 141 Klausner J. : p. 212
Henderson G.D. : p. 214-215 Klein H. : p. 141 n. 7
Hennecke E. : p. 89 n. 29 Klostermann A. : p. 31 n. 25, 103
Hering J. : p. 41 n. 15, 58 n. 5 Kmosko : p. 162 et n. 22
Héris C.V. : p. 126 Knibb M.A. : p. 163 n. 30
Hilgenfeld ; p. 164 Kochk : p. 88 n. 24, 94 n. 3
Hippolyte de Rome : p. 103 K ôm er J. : p. 175-176
Hirscher J.B. : p. 105 Kosmala H. : p. 135 n. 5
Hoepffner J. : p. 141 Kovâcs L. ; p. 102, 104
Hoffmann A.G. p. 163 n. 28 K rupp M. : p. 139 n. 2
Hoffmann P. p. 48 n. 6 Kuenen ; p. 151
Hofman : p. 31 n. 25 K uhn K.G. : p. 14 n. 2, 19 n. 38,
Holmstrôm F. ; p. 106, 178 20, 83 n. 2, 88, 139 n. 1
Hôlscher ; p. 212 Kümmel W.G. : p. 25, 45 n. 2,
Holtzmann H.J. : p. 156, 166 157 n. 4, 165, 166 n. 41, 173 n. 17,
Horton W.M. ; p. 216 183
Hoskyns E.C. : p. 180, 181 n. 8 Künzi M. : p. 31 n. 25
Houtin A. : p. 151 Kwiran M. : p. 169 n. 1, 178 n. 27,
Howat : p. 214 184 n. 1
H uby: p. 31 n. 25
Huck A. : p. 37 n. 10
H ulteârd A. ; p. 86 n. 18, 20, 87 et Ladd G.E. : p. 48 n. 6, 49 n. 12, 117,
n. 21, 135 n. 5, 7 194
Hunter A.M. : p. 181 n. 4, 182 n. 11 Lagrange M.J. : p. 31 n, 25, 63,
Hupfeld : p. 151 64 n. 2, 136
H utton W.R. : p. 25 Lake K. : p. 108
Landau E. : p. 19
Larfeld W. ; p. 37 n. 10
Ignace d ’Antioche ; p. 89 Lattke M. : p. 165 n. 36
Innocent III : p. 128 n. 15 Laurence : p. 163 n. 28
Irénée Saint: p. 103 Leclercq J. : p. 94, 102
Legg : p. 44 et n. 1, 48 n. 9, 52 n. 15
, Jackson F.J. Foakes : p. 108 Le Maistre de Sacy; p. 22 n. 45,
Jacquier E. : p. 68 52 n. 15
Jean-Paul II : p. 118 Lessing : p. 138
Jeremias J. : p. 26 n. 9, 40 n. 14, Lestapis S. de : p. 70, 75
45 n. 2, 88 n. 26, 183 et n. 12 Liénart : p. 52 n. 15
Josèphe (Flavius); p. 21, 88, 139 Lightfoot R.H. : p. 25, 181 n. 6
Joüon P. : p. 14 et n. 2, 15, 25, Lindblom J. : p. 135 n. 6
58 n. 6, 79 n. 2 Linton O. : p. 48 n. 6, 118 n. 37
Journet C. : p. 100 n. 9, 101, 104 n. 19, Loader W .R.G. : p. 73 n. 9
114, 128 n. 16, 188, 192 et n. 6, 8, Loetscher F.W. : p. 216
196 Lohmeyer : p. 31 n. 25
T A B L E D ES A U T E U R S 243
Loisy A. : p. 13 n. 1, 60 n. 10, 107, M urray : p. 163 n. 28
116,134, 147, 151-156, 191,203-205 M usculus: p. 31 n. 25
L u b a c H .d e : p. 111, 128 n. 16 Mussner F. : p. 59 n. 8
Luther M, : p. 22 n. 45, 104 n. 20, 105,
114, 124 et n. 7, 125, 192
Nestle : p. 24 n. 3, 44 et n. 1, 63
New m an: p. 151 n. 13
Maisonneuve L. : p. 107 Nicolas M. : p. 144
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M anson T.W. ; p. 35 n, 3, 48 n. 6, Nietzsche : p. 184 n. 3
59 n. 8, 166, 173 n. 17, 180, 181 n. 6 Nigg W. : p. 166
M aritain J. : p. 128 Nikiprowetzky V. : p. 87 n. 22
Marié R. : p. 172 n. 14, 175, 176 n. 24, N oack B. : p. 59 n. 8
177 Nolan B.M. : p. 182 n. 11, 194
M artin F .: p. 86 et n. 16, 164 et Nôsgen: p. 31 n. 25
n. 33-34
M arx K. : p. 175
M atter J. : p. 141 Oberthür F. : p. 134
McBrien R. : p. 119, 182 n. 11 O ’Grady C. : p. 184 n. 2
McCown : p. 136 Olivétan : p. 22 n. 45
M earns C.L. : p. 163 n. 30 O rigène: p. 103, 127-128, 214
M eignan; p. 153 Orr J. : p. 107
Meijering E.P. : p. 147 n. 2 Ostervald ; p. 52 n. 15
Meinertz ; p. 31 n. 25 Otto R. ; p. 59 n. 8, 60 n. 10, 183
Mélanchthon : p. 104 et n. 13
M énard E. : p. 119 Osty : p. 52 n. 15
Ménégoz : p. 156 Overbeck: p. 184
M enoud P.H. : p. 41 n. 16
M erk A. : p. 24 n. 3, 44 et n. 1, 63
Mersch E. : p. 126 Paulus : p. 31 n. 25
Metzger B.M. ; p. 24 n. 3, 5, 38 n. 11, Pautrel R. : p. 135 n. 5
44 n. 1, 52 n. 14, 63, 64 n. 2, Pègues T. : p. 104 n. 18
74 n. 19, 79 n. 1, 81 n. 5, 7 Pélage II : p. 128 n. 14
Michaelis J.D. : p. 31 n. 25 Pellican : p. 31 n. 25
Michel A. : p. 109 Perrin N. : p. 59 n. 8, 182 n. 11
Michel H .J.: p. 118 Pesch W. : p. 58 n. 2
Michel Otto : p. 112 Philon d ’Alexandrie : p. 87
Migne : p. 48 n. 8, 103-104, 128 Pie XI : p. 125
Milik J.T .: p. 18 n. 32-34, 86 n. 15, Pie X II: p. 113
160 n. 13, 163 n. 29, 31, 164 n. 35, Pirot J. : p. 26 n. 9, 53 n. 18
165 n. 36 Pommier J. ; p. 144 n. 12
Minear P.S. : p. 115 Poulat E. : p. 151 et n. 7
M oltm ann J. : p. 199-200 Preuss H.D. ; p. 94
Montcheuil Y. de : p. 100 n. 9, 101, Pryke J. : p. 24 n. 7
113
Montefiore C.G. : p. 110
M oore W.E. ; p. 41 n. 16 R aban Maure : p. 31 n. 25
M orus : p. 31 n. 25 Rail H.F. : p. 216
Mowinckel S. : p. 213 Rasco E. : p. 25
Mozley J.K . : p. 103 Ratzinger J. : p. 128 n. 16
M ulard : p. 211 Reimarus H. S. : p. 138-139, 144-147,
Münster ; p. 31 n. 25 168
2 44 T A B L E D ES A U T E U R S

Renan E .: p. 142-146, 147, 151 et Selwyn E.G. ; p. 110


n. 8, 11, 152 et n. 14-16, 20-21, Semmelroth O. : p. 126, 194
153 e tn .2 2 , 155, 158 n. 7, 163 n. 28, Sickenberger : p. 31 n. 25
180 Simpson M.A. : p. 25
Rengstorf K.H. : p. 21, 88 Sixte V .; p. 52 n. 15
Resch : p. 151 Skydsgaard K.E. : p. 214
Reuss E. : p. 52 n. 15, 96 n. I, 134, Slabaugh W.W. : p. 216
140-142, 144-147, 151-153, 156, SIedd A. : p. 59 n. 8
157 n. 4, 168, 180 Smart J.D. ; p. 172 n. 16, 184 n. 1
Réville A. : p. 142 et n. 8, 144, 179-180 Sneed R. : p. 59 n. 8
Richards G.W. : p. 215 Soden H. von: p. 44 n. 1, 63
Rief J. : p. 105 Solages B. de: p. 172 n. 14
Rigaux B. : p. 166 n. 42, 167 Sommerlath E. : p. 111
Rinkel A .: p. 215 Spicq C. : p. 77
Ritschl A. : p. 147 n. 2, 148 n. 4, 6, Spitta F. : p. 157 n. 4
150, 155, 189 Staab : p. 31 n. 25
Robert : p. 134 n. 2 Stadtiand T. : p. 184 et n. 2, 188 n. 16
Roberts C.H. ; p. 59 n. 9 Staehelin E. : p. 102
Robertson J.M . : p. 165 Staerk W. ; p. 135 n. 5, 213
Robinson J.M . : p. 200 Stanley D.M. : p. 115
Robinson J.A.T. : p. 23 n. 2, 64 n. 1, Staples P. : p. 25
70, 75, 78, 182 n. 11, 191 n. 4 Steuernagel C. : p. 212-213
Robinson T ^ H . : p. 31 n. 25 Strack-Biilerbeck : p. 18 n. 36, 19,
Rosenm üller: p. 31 n. 25 83 n. 2
Rüstow A. : p. 59 n. 8 Strauss D.F. : p. 139-140, 142, 144
et n. 12, 146-147, 168, 180
Strobel A. : p. 59 n. 8
Sabatier A. : p. 156 Strugnell J. : p. 86 n. 12
Sanday W. : p. 165
Sartiaux F. ; p 151, 153 n. 26
Schaeder D. : p 110 Taylor : p. 31 n. 25
Scheeben M.J. ; p. 125 Tertullien : p. 48 n. 8
Schell H. : p. 105 Testuz M. : p. 86, 127 n. 12
Schleiermacher F. : p. 147, 179 Thomas : p. 125
Schérer E. : p. 134, 141 Thomas d ’Aquin Saint: p. 104, 124,
Schmidt H.W. : p. 136 n. 8 210, 211 et n. 1
Schmidt K.L. : p. 14 n. 2, 48 n. 6, 8, Tillich P. : p. 111
10, 49 n. 12, 87, 118 n. 37 Tischendorf: p. 44 n. 1, 52 n. 15, 63
Schnackenburg R. : p. 13 n. 1, 14 n. 2, Tobac E. : p. 125, 209
59 n. 8 Torrance T.F. : p. 104, 192 n. 8
Schoettgen : p. 31 n. 25 Traub H. : p. 20
Scholer D.M. : p. 89 n. 30 Trocmé E. : p. 151 n. 11, 156 n. 2,
Scholten: p. 179 158 n. 7
Schrenk G. : p. 102, 104, 192 n. 7 Tyndale : p. 22 n. 45
Schürer E. : p. 19 Tyrrell G. : p. 165
Schuster H. : p. 186 n. 10
Schweitzer A. : p 134, 147 n 1, 156- Vaganay L. : p. 162 n. 21, 163
168, 169-170, 172, 173 n 17, 174, Van der Sprenkel B. : p. 215
178 et n 28, 179-180, 185 n 7, Vannutelli : p. 37 n. 10
186 n 10, 200 Venard L. : p. 126
Scott E.F. ; p. 107 Vidal-Naquet P. ; p. 65 n. 4
Scaver G. : p. 165, 166 n. 39 Vigouroux : p. 151 n. 8
TABLE DES AUTELnRS 245

Viteau J. : p. 160 n. 14, 161 Weisse C H . : p. 179


Vitti A .: p. 111 Wellhausen J. : p. 151
Vollrath W. : p. 102-103 Wendebourg E.W. : p. 184 n. 2
V o lz P .: p. 134 n. 3, 162 n. 21 Wendiand H.D ; p 100 n 12, 118
Vosté J.M . : p. 26 n. 9, 53 n. 18 n. 37, 125
Vriezen Th.C. : p. 212 Warner M. : p. 166, 178, 186 n. 10
Wemle P. : p. 107, 166
W ahlstrom E.H. : p. 215 Wescott-Hort : p. 44 n. 1, 63
W alterE . :p . 113 Whitehouse W.A. : p. 136
Wanke G. : p. 137 Wikgren : p. 63
W arschauer J. : p. 13 n. 1 Wordsworth-White : p. 52 n. 15
Weber : p. 52 n. 15 W ood : p. 214
Weiflfenbach W. : p. 179 n. 1, 180 Wright A. : p. 37 n. 10
Weiss B. : p. 147
W e is s J .:p . 134, 147-150, 152, 153 Yehôshua' ben Qorhah : p. 18
n. 25, 154-156, 157 n. 4, 159 et n. 9, Yehoudâh Han-Nâsî : p. 18
165 n. 36, 168, 169 et n. 2, 170, 172,
174, 178 et n. 28, 179-181, 190, Zeller D. : p. 40 n. 14
192 n. 8 Ziegler T. : p. 19 n. 39, 157 n. 4
TABLE DES SUJETS EFFLEURÉS

Abréviations : p. 9
Allégorie : p. 26 n. 9
Ancien Testament : p. 94
Apocalypse d ’Esdras: p. 162-163
Apocalypse Grecque de Baruch : p. 48 n. 8, 87
Apocalypse Syriaque de Baruch : p. 87, 161-162
Apocalyptique: p. 135, 168, 176
Aram éen: p. 16, 21, 85, 197-198
Ascension d ’fsaîe : p. 89
Assomption de Moïse : p. 87

B’hryt Hymym : p. 135


Basiieia; p. 13, 21-22, 22 n. 45
Basileia tou théou ; Fixité : p. 83-84, Répartition : p. 84. Emploi : p. 84-85.
Dans l’Ancien Testament : p. 85. Dans la littérature intertestamentaire :
p. 86-88.
Basileuein : p. 21
Basileus : p. 21

Cieux ( = D ieu): p. 19-20


Critique littéraire: p. 171-172, 198
Croissance du Royaume de Dieu : p. 97

Didaché : p. 88
Distinction conceptuelle entre Eglise et Royaume de D ieu: p. 101, 105-106,
114, 116
Divinité de Jésus : p. 191
Docteur de Justice : p. 3, 8
Doxologie du Notre Père : p. 44 n. 1

Education Catholique : p. 119 n. 39


Eglise Militante et Triom phante: p. 99-100, 102, 110, 112
Eglise = Royaume de Dieu ; p. 95-119, 124 n. 7
Êngikén : p. 24-26
Eschatologie Conséquente; p. 158-160, 190-191
Eschatologie (définitions): p. 134-136, 141
Eschatologie (histoire): p. 133-134
Eschatologie Réalisée: p. 181-183, 191
Eschatos : p. 134-135
Esdras (4 ' Livre) voir Apocalypse d ’Esdras
Espérance: p. 199-200
Evangile de Pierre : p. 89
Evangile de Thomas : p. 89
Evangile des Ebionites : p. 89
TA B LE D E S SU JET S 247

Evangile des Nazaréens : p. 89


Evangile selon les Hébreux : p. 89
Fautes de Raisonnement : p. 144-145, 190-192
Fin du M onde Imminente : p. 149, 154-155, 160-165, 168-170
Formgeschichte : p. 171-172

Hébreu (emploi) : p. 20-21


Hénoch (Livres) : p. 163-165
Herrschaft : p. 13
Histoire: p. 135-136, 175-177
Hors de l’Eglise point de salut : p. 127-129

Interpolé (texte) ; p. 90, 101


Intertestamentaire (littérature) : p. 86-88, 160-165

Jubilés (Livre) : p. 86
Jugement D ernier: p. 133
Justification: p. 120-127, 177
Justification par la Foi : p. 127

Kingdom : p. 13
Kingship : p. 13
Kônigswürde : p. 13

Majuscules : p. 9
M âlak : p. 94
Malkou : p. 16
M alkout : p. 14-19
M amlâkâh : p. 15-18
Manuscrits de la M er Morte, voir à Qumrân
Mèlèk : p. 94
M eloukâh: p. 14, 16-18
Mer Morte, voir à Qumrân
Messianisme: p. 135, 141, 148-149, 168, 209
Millénarisme : p. 182
M onde N ouveau: p. 149, 174
Morale Intérim aire: p. 160
M ythe: p. 140, 176

Notre Père : p. 7, 44 n. 1

Objet de la Foi : p. 127


Odes de Salomon : p. 48 n. 8, 89
Œcuménisme : p. 118-119, 130, 201, 214-216
Offrande au Père : p. 133
Oracles Sibyllins : p. 87
Orthodoxe (Eglise) : p. 115, 130 n. 20

Paraboles : p. 26 n. 9
Paraboles d ’H énoch: p. 163-164
Parousie: p. 133, 179-183
Passé prophétique : p. 58, 74-75
248 T A B L E D E S SU JETS

Patristique : p. 90, 94, 102-104, 198


Pécheurs dans le Royaume de Dieu : p. 97-98, 119 n. 38
Prédestinationisme : p. 159-160
Protestations contre l ’Eschatologie: p. 136
Psaumes de Salomon : p. 87, 160-161

Quelle, voir à Source Commune


Qumrân : p. 3, 7-8, 16-18, 20-21, 86, 141 n. 6, 145, 163-164, 197, 212-213

Râz ; p. 26 n. 11
Rabbinique (littérature) : p. 88
Rédactionnel (style) : p. 24 n. 7
Rédactionnel (texte): p. 90-91, 101
Règne (sens) ; p. 13
Règne de Dieu à la Fin du M onde : p. 121
Règne de Dieu : dans le passé : p. 120; dans le présent: p. 120-121; dans
l’avenir immédiat : p. 121
Règne de Dieu et du Christ : p. 121
Règne Politique du Messie : p. 149
Reich : p. 13
Résurrection Générale : p. 133
Royaume (sens) : p. 13
Royaume de Dieu : dans le passé : p. 95-96 ; dans le présent : p. 96 ; dans I;
l’avenir immédiat : p. 96-97 ; à la Fin du Monde : p. 97 I
Royaume de Dieu et du Christ : p. 98, 101-102, 192-193 ft
Royaume de Dieu = Eglise : p. 95-119, 187-188
Royaume de Dieu et Vie Eternelle : p. 97-98, 102
Royaume de Dieu = Jésus : p. 103, 185-187, 214
Royaume de Dieu uniquement à la Fin du Monde : p. 137-178
Royauté (sens) : p. 13 W

Sacrement du Royaum e: p. 193-194


Saint-Office : p. 182
Source Commune à M atthieu et à Luc : p. 35-42
Strasbourg (Ecole) ; p. 134, 140-142, 144
Substrat Sémitique: p. 19-21, 25 n. 8, 26 n. 11, 27 n. 13, 28 n. 15, 29 n. 21, 31,
33 n. 30, 37 n. 8, 40 n. 13, 41 n. 15, 48 n. 7, 50 n. 13, 58 n. 5, 61 n. 11.
62 n. 14, 63 n. 15, 79
Synoptique (problème) : p. 23, 35, 43, 56

Tardif (Texte) : p. 91, 101


Targum sur les Prophètes : p. 94, 139
Testaments des Douze Patriarches ; p. 86-87
Textes Récusés : p. 144-145, 148, 157-158, 165-167, 181, 204-205
Théologie Chrétienne Primitive : p. 88-90
Triage des Textes: p. 138-139, 144-145
Triomphalisme de l’Eglise Catholique : p. 119 n. 38

Vatican II : p. 193
Verbes (temps en Hébreu) : p. 28 n. 15

Yaiqout Shim'oni : p. 139


TABLE DES M ATIÈRES

(que les Allemands et les Anglais aiment trouver au début des ouvrages, comme
un menu, et que les Français placent à la fin ).

Préface .......................................................................................................... 7
Déclarations préliminaires .................................................................... 9

Première partie : Royauté, Règne et Royaume de Dieu ... 11

Chap. I : Sens des Mots ................................................................ 13


A) Dans l’Ancien T estam e n t........................................................ 14
B) A Qumrân ................................................................................. 16
C) Dans la M is h n â h ....................................................................... 18
D) Dans l’Evangile de M a tth ie u .................................................. 19
Chap. II : Dans l’Evangile de M a r c .............................................. 23
Chap. III : Dans la Source Commune à M atthieu et à Luc . . . . 35
Chap. IV : Les Textes propres à Matthieu ................................... 43
Chap. V : Les Textes propres à L u c .............................................. 56
Chap. VI : Dans l ’Evangile de J e a n ................................................ 64
Chap. VII : Dans les Actes des A p ô tre s .......................................... 66
Chap. VIII : Dans les Epîtres de S. Paul .......................................... 70
Chap. IX : Les Epîtres non Pauliniennes ...................................... 77
Chap. X : Dans l’Apocalypse ........................................................ 79
Chap. XI : Vue d ’ensemble .............................................................. 83
Chap. XII : Royauté de Dieu et Royauté du C h ris t...................... 92
Chap. X III : Le Royaume de Dieu et l’E g lise.................................. 95
A) Caractéristiques du Royaume de D ie u .................................. 95
B) Identification du Royaume de Dieu ...................................... 98
C) Cette identification à travers les âges .................................... 102
Chap. XIV : Règne de Dieu et Justification .................................. 120
A) Caractéristiques du Règne de D ie u ........................................ 120
B) Réflexions sur ce Règne de D ie u ............................................. 122
C) « Hors de l’Eglise point de salut » ........................................ 127
Conclusions de la Première Partie ........................................................ 130
250 TABLE DES MATIÈRES

Seconde partie sans Eschatologie 131

Chap. XV : Les méfaits de l ’Eschatologie ..................................... 133


Chap. XVI : Form ation d ’une e r r e u r ................................................ 138
A) R eim aru s....................................................................................... 138
B) S tra u s s ...... .................................................................................... 139
C) R e u s s ............................................................................................. 140
D) Renan ........................................................................................... 142
Chap. XVII : Succès d ’une e r r e u r ........................................................ 147
A) Johannes Weiss ........................................................................... 147
B) Alfred L o is y ................................................................................. 151
Chap. XVIII : Triomphe d ’une erreur : Albert Schweitzer ............. 156
A) Le système de Schw eitzer.......................................................... 157
B) Que penser du système de Schweitzer ................................... 160
C) Jugement par les contemporains de Schweitzer ................... 165
D) Excuses en faveur de Schw eitzer.............................................. 167
Chap. XIX : Logique d ’une erreur : Rudolf B u ltm an n ................. 169
Chap. XX : Retournement d ’une erreur : C.H. D o d d ................. 179
Chap. XXI : Libération d ’une erreur : Karl B a r th ......................... 184
Chap. XXII : Bilan d ’une e r r e u r .......................................................... 189
A) Avantages ..................................................................................... 189
B) Inconvénients ............................................................................... 190
Chap. XXIII : Objections et Conclusions ............................................ 197
Appendices :
I : Exemple d ’exégèse « scientifique » ........................................ 203
II : Comment on suppose au point de départ ce qu’il faudrait
d ém o n trer................................................................................... 206
III ; Exemple de blocage in co n scien t............................................ 209
IV ; Comment on sollicite inconsciemment les te x te s ............... 210
V ; Comment sont présentés les textes de Qumrân ................. 212
VI : Déclarations de diverses Eglises sur les rapports entre le
Royaume de Dieu et l’E glise.................................................. 214
B ibliographie................................................................................................ 217
Table des Textes bibliques étu d ié s .......................................................... 237
Table des Auteurs cités ............................................................................. 240
Table des Sujets effleurés........................................................................... 246
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