Vous êtes sur la page 1sur 12

LA FIGURE DU PRÉCURSEUR DANS LA

TRADITION LITURGIQUE ORTHODOXE


Archimandrite Job (Getcha)1

Dernier des prophètes et premier parmi les apôtres2, Jean le Baptiste


fait l’objet d’une vénération particulière dans l’Eglise orthodoxe en tant
que prophète, baptiste et précurseur, occupant la première place après la
Mère de Dieu dans l’assemblée des saints. C’est pourquoi on le voit avec
celle-ci de part et d’autre du Sauveur sur l’icône de la Deisis3. Dans la
célébration eucharistique, le Précurseur est toujours commémoré
immédiatement après la Mère de Dieu dans l’office de préparation des
dons (prothèse) ainsi que dans la commémoration des saints à la fin de
l’anaphore. S’il en est ainsi, c’est que, selon le témoignage du Christ, Jean
le Baptiste est „le plus grand d’entre ceux qui sont nés d’une femme” (Mt
11,11).
Le culte du Précurseur est donc, dans la tradition liturgique
orthodoxe, analogique à celui de la Mère de Dieu, ce dernier étant calqué
sur celui du Seigneur. C’est pourquoi nous nous proposons de traiter la
figure du Précurseur à travers la tradition liturgique byzantine qui
demeure la meilleure expression de la théologie de l’Eglise orthodoxe.

La commémoration liturgique du Précurseur


Dans le cycle liturgique annuel de l’Eglise orthodoxe, saint Jean
Baptiste est fêté à six reprises: la conception (23 septembre), la nativité
(24 juin), la décollation (29 août), la première et deuxième invention du
chef (24 février), la troisième invention du chef (25 mai) et la synaxe (7
janvier).

1
Archimandrite Job (Getcha), Recteur de l'Institut de Théologie Orthodoxe Saint-
Serge, Paris.
2
Expression attribuée à saint André de Crète: doxastikon des stichères de la litie
pour le 24 juin.
3
L. Ouspensky-V. Lossky, The meaning of icons, Crestwood, NY, 1982, p. 104.
46 Archimandrite Job (Getcha)

Le cycle du Précurseur
La fête de la nativité du Précurseur précède de six mois la fête de la
Nativité du Christ, puisque l’évangile selon Luc précise que
l’annonciation à Marie eut lieu alors que sa cousine Elisabeth était
enceinte de six mois (Lc 1,26). La nativité du Christ ayant été fixée à
Rome au 25 décembre pour remplacer la fête païenne du solstice d’hiver,
la nativité de Jean le Baptiste fut dès lors fixée au 24 juin, jour du solstice
d’été. Ce jour de l’année, à partir duquel la longueur du jour commence à
diminuer, était le plus approprié pour commémorer la naissance du
précurseur du Christ qui, selon l’évangéliste Jean, disait de lui-même: „Il
faut que lui grandisse, et que moi, je décroisse” (Jn 3,30). Ce lien étroit
qui existe entre les fêtes despotiques de l’Annonciation et de la Nativité
du Christ d’une part, et des fêtes de la conception et de la nativité du
précurseur d’autre part, est déjà souligné dans la Chronique pascale
datant de l’époque de l’empereur Héraclius (630)4. La fête de la
conception du Précurseur qui précède donc la fête de sa nativité de neuf
mois fut devancée au 23 septembre pour christianiser la fête de la
célébration de l’empereur Auguste qui marquait jadis le début de l’année
civile et par la suite le début de l’année ecclésiastique. Cette fête entraîna
le début de la lecture dans la liturgie byzantine du cycle de l’évangile de
Luc qui seul relate la conception et la naissance de Jean le Baptiste (Lc
1)5.
La fête de la décollation de Jean Baptiste commémorant le martyre
relaté par les synoptiques (Mt 14,1-12; Mc 6,17-29; Lc 3,19-20) a été
fixée au 29 août en lien avec la dédicace d’une église érigée pour abriter
les reliques du saint à Sébaste (Samarie) au temps de l’empereur
Constantin. Il est intéressant de noter que les fêtes de la conception (23
septembre) et de la décollation (29 août) du Précurseur englobent l’année

4
L. Dindorf, Chronicon paschale, Bonn, 1832. Bd. 1, p. 371-372.
5
J. Getcha, „Le système des lectures bibliques du rite byzantin”, La liturgie,
interprète del’Écriture. I. Les lectures bibliques pour les dimanches et fêtes. Conférences
Saint-Serge. 48e Semaine d’Études Liturgiques, Rome, 2002, p. 44.
LA FIGURE DU PRÉCURSEUR… 47

liturgique byzantine allant de septembre à août, tout comme le font les


fêtes mariales de la nativité (8 septembre) et de la dormition (15 août).

Fêtes en l’honneur des reliques du Précurseur


Le culte des reliques de saint Jean Baptiste a par ailleurs été à
l’origine de l’introduction dans l’année liturgique byzantine des fêtes de
la première et deuxième invention du chef du Précurseur (24 février), et
celle de la troisième invention (25 mai), de même que celle de sa synaxe
(7 janvier). Au 4e siècle, on vénérait le tombeau du Précurseur, avec ceux
des prophètes Elisée et Abdias, à Samarie. Il fut violé sous Julien
l’Apostat (361) et ses ossements furent dispersés. Des fragments furent
sauvés et transmis à saint Athanase d’Alexandrie. Les ménologes slaves
rapportent une tradition inconnue des synaxaires byzantins selon laquelle
Jeanne, femme de Chouza, intendant d’Hérode, fit déterrer la tête du
Précurseur et l’emporta secrètement au Mont des Oliviers où elle fut
retrouvée plus tard par un noble devenu moine. Selon Syméon
Métaphraste, elle fut retrouvée au palais d’Hérode par deux moines venus
d’Orient en pèlerinage à Jérusalem sur l’indication du Précurseur qui leur
serait apparu pendant la nuit. Ce serait la première invention du chef qui
serait parvenu finalement à un arien nommé Eustathe qui menait une vie
ascétique dans une grotte. Cet arien ayant été chassé par les orthodoxes, la
tête du précurseur resta cachée dans cette grotte jusqu’à ce qu’elle fut
retrouvée une seconde fois par un moine nommé Marcel, sous le règne de
l’empereur Marcien (450-457), qui la déposa dans l’église principale de la
ville d’Emèse, ce qui donna lieu à l’institution de la fête de la première et
deuxième invention. Vers 810, à l’époque des invasions musulmanes, le
chef du Précurseur fut transporté à Comane, où il fut enfoui dans la terre
pendant la crise iconoclaste. Il fut retrouvé par la suite une troisième fois
dans un vase d’argent enfoui sous terre vers 850 à l’initiative du
patriarche Ignace de Constantinople qui avait eu une vision pendant la
prière. Le chef fut alors transféré solennellement à Constantinople, où il
fut déposé dans la chapelle impériale sous le règne de l’empereur Michel
48 Archimandrite Job (Getcha)

III (842-867) et de sa mère Théodora, ce qui donna lieu à l’institution de


la fête de la troisième invention.
Selon certains historiens byzantins (Sozomène, Chronicon Pascale,
Pseudo-Codinos), le chef du Précurseur fut retrouvé par deux moines et
transféré par eux en Cilicie. L’ayant appris, l’empereur Valens (364-375)
ordonna qu’on la ramène à Constantinople. Alors qu’on la ramenait, le
char qui la transportait fut immobilisé à Bithynie où on la laissa sous la
garde d’une moniale professant l’hérésie pneumatomaque et ayant sous
son autorité une communauté de moines. Après le décès de celle-ci, un
prêtre orthodoxe nommé Vincent aurait pris soin de la relique jusqu’à ce
que l’empereur Théodose le Grand vint la prendre et la déposa, le 17
février 392, dans la somptueuse église du quartier de l’Hebdomon qu’il
avait fait construire pour la recevoir.
La fête de la Synaxe de Jean Baptiste le lendemain de la
Théophanie (7 janvier) aurait été instituée en lien avec le transfert de la
main droite du Précurseur d’Antioche, où elle aurait été transportée de
Jérusalem par l’évangéliste Luc, à Constantinople, sous le règne de
Constantin VII Porphyrogénète et Romain II Lécapène (956-957). La
réception de la sainte relique eut lieu précisélent le soir de la fête de la
Théophanie.
La partie faciale du chef du Précurseur, conservée jadis à
Constantinople au monastère de Saint-Georges des Manganes, fut dérobée
par les Croisés lors du pillage de Constantinople en 1204 et est conservée
aujourd’hui dans le trésor de la cathédrale d’Amiens. La main droite du
Précurseur est vénérée aujourd’hui au monastère de Dionysiou au Mont
Athos, alors que la main gauche est conservée au musée de Topkapi à
Istanbul, l’ancien palais des sultans.

Le Précurseur dans l’Octoèque


Dans son cycle liturgique hebdomadaire, l’Eglise orthodoxe célèbre
le Précurseur tous les mardis. L’Octoèque contient pour chacun des huit
tons un office pour le Précurseur aux vêpres du lundi soir et aux matines
du mardi. Ces canons furent élaborés au IXe siècle par les hymnographes
LA FIGURE DU PRÉCURSEUR… 49

stoudites Joseph l’hymnographe et Théodore le marqué, métropolite de


Nicée. Nous savons que l’église principale du Stoudion était dédiée au
Précurseur et avait pendant longtemps abrité la précieuse relique du Chef
de saint Jean Baptiste. Le Précurseur jouissait donc d’une vénération toute
particulière de la part des moines stoudites, comme l’atteste par exemple
la version slave du Typikon d’Alexis le Stoudite. Ce typikon prévoyait de
chanter le tropaire apolytikion à saint Jean le Précurseur aux vêpres du
dimanche du Publicain et du Pharisien, le dimanche du Fils Prodigue, et
dans le cas de l’occurrence d’une grande fête avec un dimanche. A cette
dernière particularité était liée également la célébration solennelle de
toutes les fêtes du Précurseur: la Décollation, le 29 août, avec une avant et
après-fête et l’existence d’un dimanche après la Décollation du
Précurseur; la Nativité de saint Jean, le 24 juin, avec une avant et après-
fête (l’avant-fête coïncidant avec la fête de la dédicace de l’église de saint
Jean le Précurseur); la fête solennelle de l’invention du Chef du
Précurseur (avec lecture de l’évangile aux matines); la fête solennelle, le 7
janvier, de la translation de la main de saint Jean le Précurseur d’Antioche
à Constantinople (en 956).

La théologie des offices liturgiques en l’honneur du Précurseur


C’est en nous penchant de plus près sur les textes liturgiques pour
ces solennités en l’honneur du Précurseur que nous pourrons juger de la
place de la figure du Précurseur dans la théologie orthodoxe. Nous
proposons d’analyser quelques expressions relevées de manière non
exhaustive dans l’hymnographie byzantine de ces fêtes.
L’Ange du Christ
L’hymnographie byzantine parle également du Précurseur comme
de „l’Ange du Christ” ou de „l’Ange de Dieu”6. Ces deux expressions
synonymes jouant sur le terme grec „a[ggeloH” signifiant à la fois ange et

6
Canon du 23 septembre attribué à saint Jean Damascène: ode 4, tropaire 1;
Grandes vêpres du 24 juin, 3e stichère du lucernaire; Canon du 29 août attribué à Jean
Damascène, ode 7, tropaire 3; Canon du 25 mai, ode 9, tropaire 3; Octoèque ton 6, 2e
canon des matines du mardi, ode 1, tropaire 1.
50 Archimandrite Job (Getcha)

messager, font écho à la prophétie de Malachie, reprise par dans


l’évangile de Matthieu, où le Seigneur affirme: „J’enverrai mon messager
(mon ange7) devant ta face, qui préparera ta voie devant toi” (Mal 3,1; Mt
11,10). Selon les paroles du Christ lui-même, c’est de Jean le Baptiste
qu’il s’agissait dans cette prophétie (Mt 11,10).
Cette prophétie interprétée par le Christ a non seulement inspiré les
hymnographes pour les offices liturgiques en l’honneur du Précurseur,
mais aussi les iconographes byzantins qui ont souvent représenté, à partir
du XIIIe siècle, Jean le Baptiste avec des ailes8. Comme le soulignent L.
Ouspensky et V. Lossky, cette représentation correspond non seulement à
la fonction de messager qu’avait le Précurseur pour préparer la voie du
Seigneur, mais aussi à son modèle de vie ascétique9. Saint Germain de
Constantinople s’interroge en effet dans une hymne qui lui est attribuée
dans l’office du 29 août: „Comment t’appellerons-nous, ô prophète ?
Ange, apôtre ou martyr ? Ange, car tu as mené une vie incorporelle.
Apôtre, car tu as enseigné aux nations. Martyr, car ta tête fut retranchée
pour le Christ”10. Vivant dans le désert et se nourrissant de miel sauvage
et de sauterelle (Mt 3,1.4), Jean le Baptiste vécut comme „un ange
terrestre et un homme céleste”11 et fit de lui un prototype de la vie
monastique. En effet, comme le dit saint Sophrone de Jérusalem dans un
éloge du Précurseur, Jean le Baptiste inaugurait pour les hommes la
possibilité de vivre comme des anges dans la chair par la virginité,
l’ascèse et la contemplation12. Ce n’est donc pas surprenant que

7
Il est significatif que les traductions slaves traduisent le terme grec „a[ggeloH”
par „ange” (аггел), et non „messager” (посланец).
8
Une telle représentation apparaît pour la première fois en Serbie sur une fresque
d’Arilgie. Cf.: N. Okounev, Seminarium Kondakovianum VIII (1936), pl. IX, 2; L.
Ouspensky-V. Lossky, The meaning of icons, p. 106.
9
Ibidem, p. 106.
10
Grandes vêpres du 29 août, 1ère stichère de la litie.
11
Grandes vêpres du 24 juin, doxastikon de la litie, attribué à André de Crète.
Cette expression sera reprise par la suite dans l’hymnographie des saints moines: voir
par exemple aux grandes vêpres du 17 janvier (fête de saint Antoine le grand) la 3e
stichère du lucernaire.
12
Sophrone de Jérusalem, Eloge du Précurseur 19 (PG 87, 3352).
LA FIGURE DU PRÉCURSEUR… 51

l’hymnographie byzantine loue Antoine le Grand, le „père des moines”,


d’avoir imité le genre de vie d’Elie et d’avoir suivi les pas du
Précurseur13.
L’hymnographie nous dit encore qu’il est „l’ange annonçant la
venue de l’Ange du Grand Conseil”14. L’Ange du Grand Conseil est le
nom messianique donné par Isaïe à l’Emmanuel, au Dieu qui est avec
nous, c’est-à-dire au Christ (Is 9,6 dans la Septante). Il s’agit ici d’un jeu
de mot entre deux anges, le premier n’étant que le messager du second.
On retrouve donc le même sens que dans l’expression: „l’ange du Christ”.
Le Nouvel Elie
Les textes liturgiques nous présentent le Précurseur comme le
„Nouvel Elie”15. En effet, le peuple Hébreu attendait le retour d’Elie
avant la venue du Messie, selon la prophétie de Malachie: „Voici que je
vais vous envoyer Elie, le prophète, avant que ne vienne le jour du
Seigneur, jour grand et redoutable” (Ml 3,23). Cela explique que certains,
au dire des apôtres, avaient cru le reconnaître dans la personne du Christ
(Mt 16,14; Mc 6,15; 8,28; Lc 9,8.19). C’est en ce sens qu’il est
significatif qu’Elie fut aux côtés du Christ lors de la transfiguration (Mt
17,3). Par ailleurs, les Pères de l’Eglise ont souvent identifié les deux
témoins de l’Apocalypse qui doivent revenir sur terre pour annoncer la
seconde du Christ comme étant Elie et Enoch (Rév 11, 3-10).
Dès lors, nous comprenons que l’ange ayant annoncé la conception
du Précurseur ait justement précisé que ce dernier devançait le Messie
„dans l’esprit et la puissance d’Elie” (Lc 1, 17). Dans l’évangile de
Matthieu, le Christ nous dit lui-même que Jean le Baptiste „est Elie qui
doit revenir” (Mt 11,14) et par ailleurs, qu’Elie est déjà revenu (Mt 17,10-
12). Ainsi donc, les hymnographes suivent ici l’interprétation donné par le
Christ dans l’évangile de Matthieu.

13
Tropaire du 17 janvier (fête de saint Antoine le grand).
14
Octoèque ton 1, 2e canon des matines du mardi, ode 8, tropaire 2.
15
Canon du 7 janvier attribué à Théophane, ode 7, tropaire 2.
52 Archimandrite Job (Getcha)

L’image d’Elie, tout comme celle de l’ange, a contribué à faire du


Précurseur un prototype de la vie monastique qui est avant tout une vie de
repentir.
Le Prédicateur du repentir
Les hymnographes désignent encore le Précurseur comme étant le
prédicateur du repentir16. Ils suivent ici de nouveau l’évangile selon
Matthieu où il est dit que le Précurseur prêchait dans le désert de Juda,
clamant: „Repentez-vous, car le Royaume des cieux est proche” (Mt 3, 2).
C’est ainsi que Jean le Baptiste se révèle véritablement comme le
précurseur du Sauveur qui commencera sa prédication par ces mêmes
mots (Mt 4,17).
Plus loin, dans le même passage, l’évangéliste Matthieu relate cette
prédication sur le repentir de Jean le Baptiste: „La hache est déjà prête à
couper les arbres à la racine: tout arbre qui ne produit pas de bon fruit va
être coupé et jeté au feu” (Mt 3,10). Par ces mots apocalyptiques, le
Précurseur annonce l’approche du jugement (Jn 12,31). Ce sont d’ailleurs
ces paroles du Précurseur qui ont inspiré les iconographes byzantins à
représenter sur les icônes de Jean le Baptiste une hache posée sur un
arbre17.
Ces mêmes paroles seront elles aussi reprises par la suite par le
Christ (Mt 7,19). Ce fait témoigne une fois de plus du lien intime qui unit
le ministère du Précurseur à l’économie divine. Comme l’a souligné le
père Serge Boulgakov dans un des seuls livres qu’un théologien
orthodoxe ait consacré à la figure du Précurseur, „La vie et la prédication,
l’œuvre du Précurseur, entrent dans le ministère de notre Seigneur Jésus-
Christ en tant que son prologue, en tant que partie intégrante et

16
Kondakion du 24 février; 2e tropaire-cathisme après la 3e ode du canon du 25
e
mai; 2 canon des matines du 24 juin, attribué à André de Crète, ode 4, tropaire 1 et ode
5, tropaire 4; Grandes vêpres du 29 août, 1ère stichère des apostiches; Octoèque ton 1, 2e
canon des matines du mardi, ode 6, tropaire 1; Octoèque ton 4, 2e canon des matines du
mardi, ode 6, tropaire 2; Octoèque ton 8, 2e canon des matines du mardi, ode 1, tropaire
1.
17
L. Ouspensky-V. Lossky, The meaning of icons, p. 106.
LA FIGURE DU PRÉCURSEUR… 53

inséparable, tout comme y entre, bien que dans un sens tout particulier, la
vie et l’accomplissement de la Mère de Dieu”18.
Le luminaire de la Lumière
L’hymnographie byzantine parle du Précurseur comme du
„luminaire du Soleil”, du „luminaire de la Lumière”, du „luminaire du
Christ”, du „luminaire du Seigneur”19 ou encore comme de
„l’annonciateur de la Lumière”20. Toutes ces expressions sont synonymes
dans la mesure où le Christ, le Seigneur, est identifié au Soleil et à la
Lumière. L’identification du Christ au „Soleil de justice”, comme le
chante l’hymnographie byzantine de la Nativité du Christ21, provient de la
prophétie messianique de Michée 3,20 qui annonce que „le Soleil de
Justice brillera avec le salut dans ses rayons”. Dans l’évangile johannique,
le Christ se présente lui-même comme étant la „lumière du monde” (Jn
8,12). Il est la „lumière véritable” (Jn 1,9).
Jean l’évangéliste précise qu’en tant que Précurseur, Jean le
Baptiste est venu „pour témoigner de la Lumière” (Jn 1,7). „Celui-ci
n’était pas la lumière”, précise-t-il dans son prologue, „mais témoignait de
la lumière” (Jn 1,8). Ainsi inspiré de la théologie johannique, les
hymnographes byzantins identifient donc le Précurseur au luminaire de la
Lumière, mais là de nouveau, ils demeurent fidèles à la théologie
johannique. En effet, le Christ lui-même parle de Jean le Baptiste en Jn
5,35 comme „d’un luminaire qui brûlait et qui éclairait”.
18
С. БУЛГАКОВ, Друг Жениха, Paris, 1927, p. 66.
19
Tropaire apolytikion du 23 septembre; Canon du 23 septembre attribué à saint
Jean Damascène: ode 1, tropaire 3; ode 6, théotokion; Grandes vêpres du 24 juin, 2e
stichère du lucernaire et doxastikon; Canon du 24 juin attribué à saint Jean Damascène,
ode 5, tropaire 2; Canon du 24 juin attribué à saint André de Crète, ode 5, tropaire 4;
Ibidem, ode 6, tropaire 4; Grandes vêpres du 7 janvier, doxastikon du lucernaire; Canon
du 29 août attribué à Jean Damascène, ode 7, tropaire 3; Canon du 29 août attribué à
André de Crète, ode 9, tropaire 3; 1ère stichère aux apostiches des vêpres du 25 mai;
Canon du 25 mai, ode 7, tropaire 1; Octoèque ton 1, 2e canon des matines du mardi, ode
9, tropaire 1; Octoèque ton 3, 2e canon des matines du mardi, ode 7, tropaire 1; Octoèque
ton 5, vêpres du lundi, 5e stichère du lucernaire; Octoèque ton 7, 2e canon des matines du
mardi, ode 4, tropaire 2 et ode 6, tropaire 3.
20
Octoèque ton 8, 2e canon des matines du mardi, ode 7, tropaire 2.
21
Tropaire du 25 décembre.
54 Archimandrite Job (Getcha)

Ce thème du luminaire et du soleil est ancien, puisque, comme nous


l’avons vu plus haut, il avait d’abord conduit l’Eglise de Rome à fixer,
dès le IVe siècle, la fête de la Nativité du Christ au 25 décembre pour
remplacer la fête que le culte solaire avait fixé au solstice d’hiver. Dès
lors, la nativité de Jean le Baptiste fut fixée au 24 juin, non seulement
parce qu’il était de six mois son aîné, mais parce que ce était le solstice
d’été, à partir duquel la longueur du jour commence à diminuer. L’Eglise
suivait une fois de plus le témoignage du Baptiste, relaté par l’évangéliste
Jean: „Il faut que lui grandisse, et que moi, je dois décroisse” (Jn 3,30).
La Voix du Verbe
Les hymnographes parlent du Précurseur comme de la Voix ou du
Héraut du Verbe22. Il joue ici dans le champ sémantique de la parole pour
établir de nouveau en relation le Précurseur avec le Christ, présenté dans
le prologue du quatrième évangile comme le Verbe de Dieu (Jn 1,1). Dans
ce même évangile, le Précurseur se présente comme étant „La voix criant
dans le désert: préparez la voie du Seigneur”, reprenant ici la prophétie
d’Isaïe (Is 40,3; Jn 1,23).
Cette appellation d’origine johannique montre bien qu’étant appelé
par Dieu à devenir la Voix du Verbe, le Précurseur délia ainsi la langue de
son père qui avait été liée par son manque de foi (Lc 1,64) et mit fin aux
figures et aux ombres de l’Ancienne Alliance en préparant l’avènement de
la Nouvelle Alliance.

22
Petites vêpres du 24 juin, 1ère stichère du lucernaire; Grandes vêpres du 24 juin,
2 stichère du lucernaire; doxastikon des stichères de la litie pour le 24 juin; 2e stichère
e

des apostiches aux vêpres du 24 juin; Canon du 29 août attribué à André de Crète, ode 9,
tropaire 3; 1ère stichère aux apostiches des vêpres du 25 mai; Canon du 25 mai, ode 1,
tropaire 1; Octoèque ton 1, 2e canon des matines du mardi, ode 1, tropaire 1; Octoèque
ton 2, 2e canon des matines du mardi, ode 6, tropaire 1; Octoèque ton 3, 2e canon des
matines du mardi, ode 3, tropaire 1 et ode 4, tropaire 1; Octoèque ton 7, 2e canon des
matines du mardi, ode 7, tropaire 1; Octoèque ton 8, 2e canon des matines du mardi, ode
9, tropaire 2.
LA FIGURE DU PRÉCURSEUR… 55

L’ami de l’Epoux
Les hymnographes byzantins présentent aussi le Précurseur comme
„l’ami de l’Epoux”23. Cette expression qui a inspiré le titre d’un livre
consacré au Précurseur d’un grand théologien russe du XXe siècle, le père
Serge Boulgakov24, provient de l’évangile de Jean où Jean le Baptiste dit:
„Vous-mêmes portez témoignage que j’ai dit: ‘Je ne suis pas le Christ’,
mais que j’ai été envoyé devant lui. Celui à qui appartient l’épouse est
l’époux; mais l’ami de l’époux qui se tient près de lui et l’écoute se réjouit
grandement d’entendre la voix de l’époux” (Jn 3,28-29). Ce passage
évoque les noces du Christ-Epoux et de l’Eglise-Epouse, préfigurées dans
le Cantique des cantiques, qui sont chantées dans le psaume 44,
auxquelles fait allusion l’apôtre Paul (Ep 5,32) et dont parle le 19e
chapitre de l’apocalypse (Rév 19,7.9). Le thème des noces n’est pas
fortuit dans le quatrième évangile, puisque c’est aux noces de Cana que
fut révélé le premier signe de Jésus dans lequel fut manifestée sa gloire et
par lequel ses disciples crurent en lui (Jn 2,11).
Le père Serge Boulgakov a vu dans ce passage qu’il désigne comme
„l’hymne du Précurseur” le troisième et dernier témoignage de Jean le
Baptiste25. „Il ne s’agit pas un cantique des cantiques sur l’amour de
l’épouse envers son époux, mais l’hymne de son ami. Il ne s’agit pas
d’une humilité s’amoindrissant, mais d’une humilité triomphant d’une
joie victorieuse, il s’agit du triomphe du Précurseur”26. Comme l’explique
le père Serge Boulgakov, l’ami de l’époux était la personne la plus proche
de l’époux en qui ce dernier avait placé toute sa confiance. C’est l’ami de
l’époux qui cherche et trouve l’épouse et qui l’amène et la présente à
l’époux. Ainsi donc, le Précurseur est présenté dans le quatrième évangile
comme l’ami le plus intime du Sauveur, comme celui qui prépare

23
Canon du 23 septembre attribué à saint Jean Damascène: ode 8, tropaire 1;
Petites vêpres du 24 juin, 2e stichère du lucernaire; Grandes vêpres du 24 juin, 7e stichère
du lucernaire; 1ère stichère aux apostiches des vêpres du 25 mai; Octoèque ton 1, 2e
canon des matines du mardi, ode 9, tropaire 2.
24
С. БУЛГАКОВ, Друг Жениха, Paris, 1927.
25
Les deux premiers étant: Jn 1,15 et Jn 1,27-29.
26
БУЛГАКОВ, Друг Жениха, p. 111.
56 Archimandrite Job (Getcha)

l’humanité au salut et qui la présente au Sauveur27. C’est donc par la


mission du Précurseur qu’est présentée l’Eglise en tant qu’Epouse au
Christ-Epoux (2 Co 11,2).

Conclusion
Ce rapide survol de l’hymnographie byzantine des fêtes du
Précurseur nous a permis de constater la place importante qu’occupe „le
plus grand de ceux nés d’une femme” dans la tradition liturgique de
l’Eglise orthodoxe. Il nous a fait apprécier la proximité qu’a
l’hymnographie avec les textes bibliques dont se sont abondamment
nourris les Pères-hymnographes de même que la tradition
hymnographique. Il n’est donc pas surprenant que le Précurseur et ses
reliques furent l’objet d’une vénération fervente à Byzance et dans tous
les pays chrétiens de tradition byzantine.

27
Ibidem, p. 112.

Vous aimerez peut-être aussi