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Archimandrite Job (Getcha), Recteur de l'Institut de Théologie Orthodoxe Saint-
Serge, Paris.
2
Expression attribuée à saint André de Crète: doxastikon des stichères de la litie
pour le 24 juin.
3
L. Ouspensky-V. Lossky, The meaning of icons, Crestwood, NY, 1982, p. 104.
46 Archimandrite Job (Getcha)
Le cycle du Précurseur
La fête de la nativité du Précurseur précède de six mois la fête de la
Nativité du Christ, puisque l’évangile selon Luc précise que
l’annonciation à Marie eut lieu alors que sa cousine Elisabeth était
enceinte de six mois (Lc 1,26). La nativité du Christ ayant été fixée à
Rome au 25 décembre pour remplacer la fête païenne du solstice d’hiver,
la nativité de Jean le Baptiste fut dès lors fixée au 24 juin, jour du solstice
d’été. Ce jour de l’année, à partir duquel la longueur du jour commence à
diminuer, était le plus approprié pour commémorer la naissance du
précurseur du Christ qui, selon l’évangéliste Jean, disait de lui-même: „Il
faut que lui grandisse, et que moi, je décroisse” (Jn 3,30). Ce lien étroit
qui existe entre les fêtes despotiques de l’Annonciation et de la Nativité
du Christ d’une part, et des fêtes de la conception et de la nativité du
précurseur d’autre part, est déjà souligné dans la Chronique pascale
datant de l’époque de l’empereur Héraclius (630)4. La fête de la
conception du Précurseur qui précède donc la fête de sa nativité de neuf
mois fut devancée au 23 septembre pour christianiser la fête de la
célébration de l’empereur Auguste qui marquait jadis le début de l’année
civile et par la suite le début de l’année ecclésiastique. Cette fête entraîna
le début de la lecture dans la liturgie byzantine du cycle de l’évangile de
Luc qui seul relate la conception et la naissance de Jean le Baptiste (Lc
1)5.
La fête de la décollation de Jean Baptiste commémorant le martyre
relaté par les synoptiques (Mt 14,1-12; Mc 6,17-29; Lc 3,19-20) a été
fixée au 29 août en lien avec la dédicace d’une église érigée pour abriter
les reliques du saint à Sébaste (Samarie) au temps de l’empereur
Constantin. Il est intéressant de noter que les fêtes de la conception (23
septembre) et de la décollation (29 août) du Précurseur englobent l’année
4
L. Dindorf, Chronicon paschale, Bonn, 1832. Bd. 1, p. 371-372.
5
J. Getcha, „Le système des lectures bibliques du rite byzantin”, La liturgie,
interprète del’Écriture. I. Les lectures bibliques pour les dimanches et fêtes. Conférences
Saint-Serge. 48e Semaine d’Études Liturgiques, Rome, 2002, p. 44.
LA FIGURE DU PRÉCURSEUR… 47
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Canon du 23 septembre attribué à saint Jean Damascène: ode 4, tropaire 1;
Grandes vêpres du 24 juin, 3e stichère du lucernaire; Canon du 29 août attribué à Jean
Damascène, ode 7, tropaire 3; Canon du 25 mai, ode 9, tropaire 3; Octoèque ton 6, 2e
canon des matines du mardi, ode 1, tropaire 1.
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Il est significatif que les traductions slaves traduisent le terme grec „a[ggeloH”
par „ange” (аггел), et non „messager” (посланец).
8
Une telle représentation apparaît pour la première fois en Serbie sur une fresque
d’Arilgie. Cf.: N. Okounev, Seminarium Kondakovianum VIII (1936), pl. IX, 2; L.
Ouspensky-V. Lossky, The meaning of icons, p. 106.
9
Ibidem, p. 106.
10
Grandes vêpres du 29 août, 1ère stichère de la litie.
11
Grandes vêpres du 24 juin, doxastikon de la litie, attribué à André de Crète.
Cette expression sera reprise par la suite dans l’hymnographie des saints moines: voir
par exemple aux grandes vêpres du 17 janvier (fête de saint Antoine le grand) la 3e
stichère du lucernaire.
12
Sophrone de Jérusalem, Eloge du Précurseur 19 (PG 87, 3352).
LA FIGURE DU PRÉCURSEUR… 51
13
Tropaire du 17 janvier (fête de saint Antoine le grand).
14
Octoèque ton 1, 2e canon des matines du mardi, ode 8, tropaire 2.
15
Canon du 7 janvier attribué à Théophane, ode 7, tropaire 2.
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Kondakion du 24 février; 2e tropaire-cathisme après la 3e ode du canon du 25
e
mai; 2 canon des matines du 24 juin, attribué à André de Crète, ode 4, tropaire 1 et ode
5, tropaire 4; Grandes vêpres du 29 août, 1ère stichère des apostiches; Octoèque ton 1, 2e
canon des matines du mardi, ode 6, tropaire 1; Octoèque ton 4, 2e canon des matines du
mardi, ode 6, tropaire 2; Octoèque ton 8, 2e canon des matines du mardi, ode 1, tropaire
1.
17
L. Ouspensky-V. Lossky, The meaning of icons, p. 106.
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inséparable, tout comme y entre, bien que dans un sens tout particulier, la
vie et l’accomplissement de la Mère de Dieu”18.
Le luminaire de la Lumière
L’hymnographie byzantine parle du Précurseur comme du
„luminaire du Soleil”, du „luminaire de la Lumière”, du „luminaire du
Christ”, du „luminaire du Seigneur”19 ou encore comme de
„l’annonciateur de la Lumière”20. Toutes ces expressions sont synonymes
dans la mesure où le Christ, le Seigneur, est identifié au Soleil et à la
Lumière. L’identification du Christ au „Soleil de justice”, comme le
chante l’hymnographie byzantine de la Nativité du Christ21, provient de la
prophétie messianique de Michée 3,20 qui annonce que „le Soleil de
Justice brillera avec le salut dans ses rayons”. Dans l’évangile johannique,
le Christ se présente lui-même comme étant la „lumière du monde” (Jn
8,12). Il est la „lumière véritable” (Jn 1,9).
Jean l’évangéliste précise qu’en tant que Précurseur, Jean le
Baptiste est venu „pour témoigner de la Lumière” (Jn 1,7). „Celui-ci
n’était pas la lumière”, précise-t-il dans son prologue, „mais témoignait de
la lumière” (Jn 1,8). Ainsi inspiré de la théologie johannique, les
hymnographes byzantins identifient donc le Précurseur au luminaire de la
Lumière, mais là de nouveau, ils demeurent fidèles à la théologie
johannique. En effet, le Christ lui-même parle de Jean le Baptiste en Jn
5,35 comme „d’un luminaire qui brûlait et qui éclairait”.
18
С. БУЛГАКОВ, Друг Жениха, Paris, 1927, p. 66.
19
Tropaire apolytikion du 23 septembre; Canon du 23 septembre attribué à saint
Jean Damascène: ode 1, tropaire 3; ode 6, théotokion; Grandes vêpres du 24 juin, 2e
stichère du lucernaire et doxastikon; Canon du 24 juin attribué à saint Jean Damascène,
ode 5, tropaire 2; Canon du 24 juin attribué à saint André de Crète, ode 5, tropaire 4;
Ibidem, ode 6, tropaire 4; Grandes vêpres du 7 janvier, doxastikon du lucernaire; Canon
du 29 août attribué à Jean Damascène, ode 7, tropaire 3; Canon du 29 août attribué à
André de Crète, ode 9, tropaire 3; 1ère stichère aux apostiches des vêpres du 25 mai;
Canon du 25 mai, ode 7, tropaire 1; Octoèque ton 1, 2e canon des matines du mardi, ode
9, tropaire 1; Octoèque ton 3, 2e canon des matines du mardi, ode 7, tropaire 1; Octoèque
ton 5, vêpres du lundi, 5e stichère du lucernaire; Octoèque ton 7, 2e canon des matines du
mardi, ode 4, tropaire 2 et ode 6, tropaire 3.
20
Octoèque ton 8, 2e canon des matines du mardi, ode 7, tropaire 2.
21
Tropaire du 25 décembre.
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22
Petites vêpres du 24 juin, 1ère stichère du lucernaire; Grandes vêpres du 24 juin,
2 stichère du lucernaire; doxastikon des stichères de la litie pour le 24 juin; 2e stichère
e
des apostiches aux vêpres du 24 juin; Canon du 29 août attribué à André de Crète, ode 9,
tropaire 3; 1ère stichère aux apostiches des vêpres du 25 mai; Canon du 25 mai, ode 1,
tropaire 1; Octoèque ton 1, 2e canon des matines du mardi, ode 1, tropaire 1; Octoèque
ton 2, 2e canon des matines du mardi, ode 6, tropaire 1; Octoèque ton 3, 2e canon des
matines du mardi, ode 3, tropaire 1 et ode 4, tropaire 1; Octoèque ton 7, 2e canon des
matines du mardi, ode 7, tropaire 1; Octoèque ton 8, 2e canon des matines du mardi, ode
9, tropaire 2.
LA FIGURE DU PRÉCURSEUR… 55
L’ami de l’Epoux
Les hymnographes byzantins présentent aussi le Précurseur comme
„l’ami de l’Epoux”23. Cette expression qui a inspiré le titre d’un livre
consacré au Précurseur d’un grand théologien russe du XXe siècle, le père
Serge Boulgakov24, provient de l’évangile de Jean où Jean le Baptiste dit:
„Vous-mêmes portez témoignage que j’ai dit: ‘Je ne suis pas le Christ’,
mais que j’ai été envoyé devant lui. Celui à qui appartient l’épouse est
l’époux; mais l’ami de l’époux qui se tient près de lui et l’écoute se réjouit
grandement d’entendre la voix de l’époux” (Jn 3,28-29). Ce passage
évoque les noces du Christ-Epoux et de l’Eglise-Epouse, préfigurées dans
le Cantique des cantiques, qui sont chantées dans le psaume 44,
auxquelles fait allusion l’apôtre Paul (Ep 5,32) et dont parle le 19e
chapitre de l’apocalypse (Rév 19,7.9). Le thème des noces n’est pas
fortuit dans le quatrième évangile, puisque c’est aux noces de Cana que
fut révélé le premier signe de Jésus dans lequel fut manifestée sa gloire et
par lequel ses disciples crurent en lui (Jn 2,11).
Le père Serge Boulgakov a vu dans ce passage qu’il désigne comme
„l’hymne du Précurseur” le troisième et dernier témoignage de Jean le
Baptiste25. „Il ne s’agit pas un cantique des cantiques sur l’amour de
l’épouse envers son époux, mais l’hymne de son ami. Il ne s’agit pas
d’une humilité s’amoindrissant, mais d’une humilité triomphant d’une
joie victorieuse, il s’agit du triomphe du Précurseur”26. Comme l’explique
le père Serge Boulgakov, l’ami de l’époux était la personne la plus proche
de l’époux en qui ce dernier avait placé toute sa confiance. C’est l’ami de
l’époux qui cherche et trouve l’épouse et qui l’amène et la présente à
l’époux. Ainsi donc, le Précurseur est présenté dans le quatrième évangile
comme l’ami le plus intime du Sauveur, comme celui qui prépare
23
Canon du 23 septembre attribué à saint Jean Damascène: ode 8, tropaire 1;
Petites vêpres du 24 juin, 2e stichère du lucernaire; Grandes vêpres du 24 juin, 7e stichère
du lucernaire; 1ère stichère aux apostiches des vêpres du 25 mai; Octoèque ton 1, 2e
canon des matines du mardi, ode 9, tropaire 2.
24
С. БУЛГАКОВ, Друг Жениха, Paris, 1927.
25
Les deux premiers étant: Jn 1,15 et Jn 1,27-29.
26
БУЛГАКОВ, Друг Жениха, p. 111.
56 Archimandrite Job (Getcha)
Conclusion
Ce rapide survol de l’hymnographie byzantine des fêtes du
Précurseur nous a permis de constater la place importante qu’occupe „le
plus grand de ceux nés d’une femme” dans la tradition liturgique de
l’Eglise orthodoxe. Il nous a fait apprécier la proximité qu’a
l’hymnographie avec les textes bibliques dont se sont abondamment
nourris les Pères-hymnographes de même que la tradition
hymnographique. Il n’est donc pas surprenant que le Précurseur et ses
reliques furent l’objet d’une vénération fervente à Byzance et dans tous
les pays chrétiens de tradition byzantine.
27
Ibidem, p. 112.