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N° 83 - décembre 2018

Mikhtav 83

Table des matières


Fête de la Transfiguration à Stânceni, un sapin de
Stânceni raconte ................................................................3
Colloque des 5-6 août
P. Cornel Dîrle, « L’approche » à l’Horeb, au Carmel et au
Thabor ...................................................................................6
P. Tarciziu Şerban, Les enjeux de la Transfiguration,
Lecture exégétique d’un événement préfiguratif ...................10
P. Radu Gârbacea, L’image d’Élie dans quelques
homélies patristiques grecques du iv e et du v e siècles à la
Transfiguration ..................................................................20
Sr Éliane Poirot ocd , Élie et Moïse dans les commentaires
carolingiens de la Transfiguration du Christ .......................29
Sr Cristiana Dobner ocd, La présence de Moshè Rabbenu et
Eliyahu hanavi dans la spiritualité carmélitaine ...............56
Nouvelles ...........................................................................75
Ad memoriam :
Mère Marie Sudres, Fr. Pierre Bolet........................84

Monastère Saint-Élie Schitul Sfânta Cruce


5, rue du Floquet Str. Gudea nr. 281
F - 21500 Saint-Rémy RO - 547575 Stânceni Jud. MS
Tél. 03 80 92 21 13 Tél. (004) 02 65 71 99 14
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2
Conférence

Élie et Moïse dans les commentaires


carolingiens de la Transfiguration du Christ
sr Éliane Poirot ocd

A près un rappel des


origines de la fête
liturgique
Transfiguration en Occident, nous
de

présenterons les textes de l’époque


la

carolingienne relatifs à cet épisode de la


vie du Christ. C’est un sujet qui semble
avoir été délaissé1. Nous soulignerons
les interprétations de la présence d’Élie
et de Moïse à la Transfiguration du Christ, le comment et le
pourquoi de leur apparition et de leur disparition2.
1 H. J. Sieben, dans son article sur les commentaires spirituels
latins de la Transfiguration, passe directement du Commentaire sur Luc
de Bède à Pierre de Blois († 1111/12), sans aucune mention de l’époque
carolingienne (DS 15, 1991, p. 1155). De même M. Coune écrit dans
Grâce de la Transfiguration d’après les Pères d’Occident, Bellefontaine 1990,
p. 13 : « En passant par-dessus quelques auteurs de seconde zone, tel
Hamon [sic] d’Auxerre au ixe siècle, nous faisons un bond du viiie siècle
jusqu’au xiie siècle », et son recueil de textes sur la Transfiguration
passe d’Ambroise Autpert à Pierre le Vénérable.
2 Cf. Mt 17,3 et Mt 17,8.

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Mikhtav 83

I.La fête liturgique de la Transfiguration du Christ en


Occident

La fête de la Transfiguration était connue à Jérusalem


au début du viie siècle et sans doute avant3. Elle ne figure
pas encore dans le lectionnaire arménien de Jérusalem du
ve siècle4, mais dans le grand lectionnaire géorgien5.
En Occident, la fête de la Transfiguration apparaît plus
tardivement, au ixe siècle, à l’époque carolingienne. Dans
le martyrologe métrique de Wandalbert6, bénédictin de
Prüm (813-v. 870), au diocèse de Trèves, elle est fixée au
6 août, comme en Orient, et dans le calendrier d’Heiric
d’Auxerre, au 8 août7. Le martyrologe de Wandalbert étant
paru en 848, alors qu’Heiric n’avait que sept ans, s’il y a
dépendance, ce ne peut être que dans le sens Wandalbert-
Heiric. Mais il peut s’agir de sources communes et non de
dépendance8.
La fête de la Transfiguration n’est pas indiquée dans le
martyrologe de Raban Maur9, composé entre 840 et 854,
ni dans le martyrologe d’Adon de Vienne vers 85510, ni dans
3 Cf. N. Egender, « La fête de la Transfiguration dans la liturgie
byzantine », dans Connaissance des Pères de l’Église 135, 2014, p. 2-3.
4 A. Renoux, Le Codex arménien Jérusalem 121, PO 35, n° 163 et
PO 36, n° 168.
5 M. Tarchnischvili, Le Grand Lectionnaire de l’Église de
Jérusalem (v e- viiie s.), CSCO 205/Iber 14, Louvain 1960, p. 25.
6 E. Dümmler, dans  Monumensta Germaniae Historica,  Poetae
latini aevi carolini, t. 2, Wandalberti Prumiensis Carmina. Martyrologium,
Berlin 1884, p. 591.
7 B. de Gaillier, « Le calendrier d’Héric d’Auxerre du
manuscrit de Melk 412 », AB 77, 1959, p. 419.
8 J. Dubois, Le Martyrologe d’Usuard, SH 40, Bruxelles 1965, p.
58.
9 Raban, Martyrologium, CCM 44, éd. J.  McCulloh, Turnhout
1979.
10 J. Dubois et G. Renaud, Le martyrologe d’Adon, CNRS, Paris

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le martyrologe d’Usuard11, rédigé en 865, dédié à Charles


le Chauve12. Et pourtant Usuard s’est servi du martyrologe
de Wandalbert, ce qui peut signifier que cette fête n’était
pas encore très répandue. Sedulius († v. 859), dans son
Commentaire sur Matthieu, mentionne que la Transfiguration
du Sauveur eut lieu le 7 des Ides d’août, c’est-à-dire le 7
août13.
Un évêque espagnol, Eldefonsus, en 845, en parle comme
l’une des grandes solennités de l’année14. Les sacramentaires
de Vich15 et de Ripoll16 (xie s.), en Catalogne, contiennent
la messe de la Transfiguration du Christ, le 8 des Ides
d’août, c’est-à-dire le 6 août. « Cette fête était célébrée non
seulement dans quelques églises d’Espagne, mais encore
dans beaucoup de diocèses de France et d’Italie17. »
En 1132, Pierre le Vénérable introduisit dans l’ordre de
Cluny la fête de la Transfiguration, pour laquelle il composa
un office et un long sermon. Celle-ci ne se généralisa dans
l’Église latine qu’en 1457, sur décision du Pape Calixte
III, pour commémorer la victoire des armées chrétiennes,

1984.
11 J. Dubois, Le Martyrologe d’Usuard, SH 40, Bruxelles 1965.
12 Contrairement à ce qui est écrit par J. Gribomont, dans AB
75,1957, p. 119, et repris par B. de Gaiffier, dans AB 77, 1959, p. 419 !
13 Sedulius Scottus, Mt 17,8, Kommentar zur Evangelium nach
Matthäus 11,2 bis Schluss Anhang, Register, coll. Aus der Geschichte der
Lateinischen Bibel 19, éd. B. Löfstedt, Freiburg 1991, p. 418.
14 Cf. Ouvrages posthumes de D. Jean Mabillon et de D. Thierri Ruinart,
t. 1, Paris 1724, p. 192 ; Opusculum de pane eucharistico, PL 106,886 (éd.
1864). Cf. B. Heurtebize, « Ildefonse », DTC 7, 1922, col. 743-744.
15 El Sacramentario de Vich, éd. A. Olivar, Monumenta Hispaniae
sacra. Serie liturgica IV, Barcelone 1953, p. 74-76 (messe de la vigile et du
jour de la Transfiguration du Christ).
16 Sacramentarium Rivipullense, éd. A. Olivar, Monumenta
Hispaniae Sacra. Serie liturgica VII, Madrid-Barcelone 1964, p. 165.
17 J. B. Ferreres, « La Transfiguration de Notre Seigneur.
Histoire de sa fête et de sa messe », dans Ephemerides theologicae
lovanienses 5, Louvain-Bruges 1928, p. 636.

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sous la conduite du hongrois Jean Hunyadi, contre les


Ottomans, lors du siège de Belgrade en 145618. Calixte III
était originaire du diocèse de Lerida, proche de celui de
Vich, aussi devait-il certainement connaître la célébration
de la fête de la Transfiguration attestée dans ce diocèse de
Catalogne dès le xe siècle.

II. Lieux scripturaires carolingiens relatifs à la


Transfiguration du Christ

Homélies sur la Transfiguration


Alors qu’une cinquantaine d’homélies grecques et
byzantines consacrées à la Transfiguration nous sont
parvenues19, il y en a très peu dans la patristique latine20 :
un sermon de Jérôme sur Marc 9,1-821, le Tractatus 54A

18 E. Vansteenberghe, « Calliste III », DHGE 11, 1949, col.


443. Selon nombre de ceux qui retracent l’histoire de la fête de la
Transfiguration (par ex. A. G. Martimort, L’Église en prière, t. 4, 1983,
p. 113 ; P. Rouillard, Les fêtes chrétiennes en Occident, Paris 2003, p.
127), la victoire aurait été remportée le 6 août 1456, mais selon les
historiens, ce fut le 22 juillet, nous avons une lettre d’un frère mineur
écrite six jours après la victoire, le 28 juillet : R. Lechat, « Lettres de
Jean de Tagliacozzo sur le siège de Belgrade et la mort de S. Jean de
Capistran », AB 39, 1921, p. 139-151 ;-R. Aubenas et R. Ricard, L’Église
et la Renaissance, coll. Histoire de l’Église Fliche et Martin, t. 15, p. 41, donne
le 14 juillet 1456 qui marque une première victoire. Mais la nouvelle
serait parvenue à Rome le 6 août.
19 Cf. BHG, Appendix VII, De transfiguratione n° 1974 à 2000.
20 Relevé de textes patristiques latins sur la Transfiguration,
dans R. de Feraudy, L’icône de la Transfiguration, SO 23, Bellefontaine
1978, p. 119-120.
21 Mc 9,1-8 = Vulg 8,39-9,7. Jérôme, Tractatus in Marci Evangelium,
CSL 78, éd. G. Morin, 1958, p. 477-484 ; trad. J.-L. Gourdain, SC 494,
2005, p.150-173.

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de Chromace d’Aquilée22, les homélies 7823, 7924 et 79A 25


d’Augustin et une homélie de Léon le Grand26.
Pour les dernières années de l’époque précarolingienne,
nous avons une homélie sur la Transfiguration d’Ambroise
Autpert († 784), abbé de Saint-Vincent du Volturme (abbaye
bénédictine italienne du viiie s.). L’homéliaire de Raban
Maur composé à la demande de l’empereur Lothaire27 ne
contient pas de mention de la Transfiguration.
La lecture du récit de la Transfiguration selon Matthieu
était prescrite pour le samedi après le premier dimanche
de carême (Quadragésime), appelé aussi dimanche
Invocavit28. Aussi pour ce jour-là, nous trouvons une homélie
d’Haymon d’Auxerre qui commente Mt 17,1-929 ainsi

22 Chromace, Trac 54A, CSL 9A Suppl., éd. R. Étaix et J.


Lemarié, 1977, p. 628-636.
23 PL 38,490-493. Trad. M. Coune, Grâce de la Transfiguration,
Bellefontaine 1990, p. 80-84. Elle est citée au n° 556 du Catéchisme de
l’Église catholique.
24 PL 38,493.
25 79 A = Lambot 17, PLS 2,808-809.
26 Léon, Trac 51, CSL 138 A, éd. A. Chavasse, 1973, p. 296-303 ;
trad. R. Dolle, SC 74, 1961, p. 14-21. Elle est citée par Raban Maur
(CCM 174A, p. 479, l. 31-32), mais cela n’est mentionné ni par l’éditeur
du Commentaire sur Matthieu de Raban, ni par S. Cantelli Berarducci
dans Hrabani Mauri opera exegetica repertorium fontium, Turnhout 2006,
car elle suit l’édition de Migne qui a omis cette citation. Sédulius
Scottus en cite aussi deux autres passages. Ce sermon 51 de Léon est
la lecture indiquée dans le Lectionarium Placentinum du xiie siècle pour
le samedi après le dimanche de Quadragésime (éd. B. M. Jensen,
Lectionarium Placentinum temporale. Pars hiemalis, vol. 1, coll. Millenio
Medievale 108 Testi 26, Firenze 2016, p. 240-242).
27 Cf. R. Étaix, « L’homéliaire composé par Raban Maur pour
l’empereur Lothaire », Recherches augustiniennes, vol. 19, 1984, p. 211-
240.
28 Invocavit : début de l’Introït du premier dimanche de Carême.
29 Haymon d’Auxerre, Homiliae I,22, PL 118,221D-226B. I,22
(Hom XXXIV dans PL) correspond à la numérotation donnée par H.
Barré dans sa reconstitution de l’homéliaire authentique d’Haymon.

33
Mikhtav 83

qu’une homélie d’Heiric d’Auxerre30. En outre une phrase


d’une autre homélie de carême d’Heiric souligne que la
parole du Père au baptême de Jésus est la même que celle
à la Transfiguration devant trois disciples, mais la présence
d’Élie et de Moïse n’est pas mentionnée31.
De nombreux homéliaires latins du ixe au xiie siècle
ont utilisé comme commentaire de la lecture Mt 17,1-9,
soit en Carême, soit pour la fête de la Transfiguration, le
texte latin, inc. De regionibus messis gaudium, transmis sous
le nom de saint Ephrem (CPL 1150), qui est la traduction,
peut-être pas très ancienne (ixe s.) d’une homélie grecque
(CPG 3939), dont on connaît au moins soixante manuscrits,
et qui aurait pour auteur Isaac d’Antioche, monophysite de
la seconde moitié du ve siècle32.
Commentaires des évangiles synoptiques
Le récit de la Transfiguration est relaté dans les évangiles
de Matthieu, Marc et Luc ; l’apôtre Pierre la mentionne dans
sa seconde épître33. Dans les commentaires des synoptiques,
on peut ainsi glaner maintes réflexions sur cet épisode. Dans
la patristique latine, nous pouvons relever les passages sur la
Transfiguration dans le Commentaire sur Matthieu d’Hilaire
de Poitiers34, le plus ancien de la tradition latine, rédigé
en 353, dans celui de Jérôme écrit à Bethléem en hâte en
398, après trois mois de maladie, à la demande d’Eusèbe
30 Heiric, Hom 34, CCM 116, p. 291-301.
31 Heiric, Hom 39, Homiliae per circulum anni, éd. R. Quadri,
CCM 116A, 1992, p. 340, l. 85-86.
32 Cf.  DS 7, col. 2910-11. D’après J.-P. Bouhot que je remercie
pour m’avoir signalé cette homélie, le plus ancien ms. latin est Berne,
Bibl. de la Bourgeoisie 318 (ixe s., Reims), f. 125v-130, dont le texte diffère
peu de celui de l’édition dans Florilegium Casinense III (1877), p. 28-31.
33 Élie à la Transfiguration : Mt 17,3-4 ; Mc 9,4-5 ; Lc 9,30-33 ; 2 P
1,16-18.
34 Hilaire, Sur Matthieu, t. II (livres III et IV), éd. et trad. J.
Doignon, SC 258, Paris 1979, p. 60-67.

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de Crémone35, ou dans le Commentaire sur Luc d’Ambroise36.


Bède (672/673-735) ayant fourni un commentaire
sur Luc et sur Marc, les commentateurs carolingiens ont
largement préféré se pencher sur l’évangile de Matthieu et,
après le manque de commentaires depuis ceux d’Hilaire et
de Jérôme, leur époque est riche de neuf commentaires de
cet évangile.
Celui de Claude de Turin est encore inédit37, ainsi que
le commentaire sur les évangiles de Wigbod, conservé
dans deux manuscrits du ixe siècle (München, Clm 14854 et
Karlsruhe, Aug. Perg. 255). Les commentaires de cet auteur
mal connu marquent le début de l’exégèse carolingienne38.
Ceux de Raban (780-856) et de son élève Otfrid de
Wissembourg (790-870), de Paschase Radbert (v. 786-865),
de Sedulius Scotus, de Christian de Stavelot bénéficient
d’une édition critique39.
35 Jérôme, Commentariorum in Matheum libri IV, CSL 77, éd. D.
Hurst, M. Adrien, 1969, p. 146-150 ; Commentaire sur S. Matthieu, t. II,
trad. É. Bonnard, SC 259, Paris 1979, p. 27-37.
36 Ambroise, Traité sur l’Évangile de S. Luc, t. II, éd. et trad. G.
Tissot, SC 52 bis, Paris 1976, p. 10-16.
37 Signalons la thèse non éditée de B. A. McMenomy, The
Matthew Commentary of Claudius, Bishop of Turin. A Critical Edition of the
Sections Pertaining to Matthew 1-4, University of California at Los Angeles
1993.
38 Cf. M. M. Gorman, « The epitome of Wigbod’s Commentaries
on Genesis and the Gospels », RB 118,2008, p. 5-45.
39 Raban Maur, Expositio in Matthaeum, CCM 174-174A, éd. B.
Löfstedt, Turnhout 2000.
Otfrid de Wissembourg, Glossae in Matthaeum, CCM 200, éd. C.
Grifoni, Turnhout 2003.
Paschase Radbert, Expositio in Matheo libri XII (V-VIII), CCM 56
A, éd. B. Paulus, Turnhout 1984.
Sedulius Scottus, Kommentar zur Evangelium nach Matthäus 11,2
bis Schluss Anhang, Register, coll. Aus der Geschichte der Lateinischen Bibel
19, éd. B. Löfstedt, Freiburg 1991.
Christianus dictus Stabulensis, Expositio super librum
generationis, éd. R. B. C. Huygens, CCM 224, Turnhout 2008.

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Mikhtav 83

De même celui du Ps. Alcuin40 : ce texte connu par un


seul manuscrit (München, Clm 14311, fol. 9r-148v) a été
faussement attribué à Alcuin. D’après l’éditeur du texte,
l’analyse de la langue et de l’orthographe ne permet pas
de déterminer fermement l’origine du manuscrit qui date
de la seconde moitié du ixe siècle. La grande Expositio in
evangelium Matthaei de Paschase a été qualifiée par Henri
de Lubac « de chef d’œuvre de l’exégèse carolingienne »41,
alors que Beryl Smaley écrit du commentaire de Christian
de Stavelot : « Un petit ouvrage sans ambition, écrit pour
des commençants42 » !
Un Commentaire sur Matthieu, encore inédit, a circulé
sous plusieurs formes : version intégrale, version abrégée,
extraits. Son attribution à Haymon d’Auxerre à laquelle
conclut M. Gorman ne fait pas l’unanimité43. Il a été
faussement attribué à Remi d’Auxerre44.
Notons deux commentaires45 de l’évangile de Marc :
celui de Wigbod, inédit, celui d’Haymon d’Auxerre dont
seulement quelques pages sont éditées46. Sur l’évangile

40 In Matthaeum, CCCM 159, éd. B. Löfstedt, Turnhout 2003.


41 H. de Lubac, Exégèse médiévale, t. 3, Paris 1993, p. 201.
42 B. Smalley, The Study of the Bible in the Middle Ages, University
of Notre Dame Press, Indiana 1964, p. 43.
43 Cf. CLMA Haimo 22.3.
44 Cf. C. Jeudy, « L’œuvre de Remi d’Auxerre. État de la
question », dans L’école carolingienne d’Auxerre, Paris 1991, p. 377-378 ;
45 Dans le tableau p. 462 de Haymon d’Auxerre, exégète carolingien,
coll. Haut Moyen Âge 16, Turnhout 2013, S.  Shimahara indique deux
autres commentaires de Marc et de Luc : Sedulius Scottus et Otfrid.
Pour Sedulius, il s’agit des brèves explications de PL 103,237-290 :
CLH 428 Explanatiuncula in argumentum secundum Matthaeum, Marcum,
Lucam, Pour Otfrid, il s’agit de ses gloses dont seules celles de Matthieu
sont éditées à ce jour. Je remercie Sumi Shimahara de ces précisions et
de ses conseils (courriel du 19/2/2018).
46 M. Gorman, « The Commentary on the Gospel of Mark
by Haimo of Auxerre in Vat. Lat. 651 », dans Miscellanea Bibliothecae
Apostolicae Vaticanae 13, STT 433, Vatican 2006, p. 195-239. Cet article

36
Mikhtav 83

de Luc, il n’y a que celui de Wigbod, inédit. Les gloses sur


Marc, Luc et Jean d’Otfrid ne sont pas encore éditées.
Traduction de textes grecs relatifs à la Transfiguration
Grâce à sa traduction des Ambigua ad Iohannem47,
Jean Scot communiqua à l’Occident latin la richesse
des interprétations de Maxime le Confesseur sur la
Transfiguration48 et il les utilisa dans son œuvre majeure,
le Periphyseon 49.
Autres écrits
Quelques passages relatifs à la Transfiguration peuvent
encore être relevés dans divers autres ouvrages.
Haymon d’Auxerre (v. 810-875), dans le Commentaire sur
Malachie :
Lors de la Transfiguration du Seigneur, Moïse et
Élie sont aussi apparus sur la montagne, parlant avec
lui, parce que tant la Loi que tout l’ensemble des
prophètes ont annoncé la venue du Christ 50.
De même dans son Commentaire de l’Apocalypse 51 ; et dans
son Commentaire sur Zacharie, les deux oliviers sont :
Moïse et Élie, qui apparurent sur la montagne avec
le Seigneur transfiguré et qui parlaient de ce qu’il
comporte une édition partielle du Commentaire de Marc : Mc1,1-2,14 et
16,1-20, p. 211-235.
47 Maximi Confessoris Ambigua ad Iohannem iuxta Iohannis Scotti
Eriugenae latinam interpretationem, éd. E. Jeauneau, CSG 18, 1988.
48 Les passages qui concernent Élie : Jean Scot, Amb VI,12-13.15-
17.31, l. 310-349 ; 366-428 ; 1056-1173 ; 1226-1257. éd. C. M. Lawson,
1989
49 Periphyseon III, CCM 163, éd. E. A. Jeauneau, 1999, p. 62 (PL
122, 662). Periphyseon V, CCM 165, éd. E. A. Jeauneau, 2003, p. 193-195
(PL 122,998-1000) ; trad. française F. Bertin, De la division de la nature.
Periphyseon, Livre V, PUF, Paris 2009, p. 197-200.
50 PL 117,294.
51 PL 117,1172.

37
Mikhtav 83

allait souffrir à Jérusalem52.


Dans le commentaire d’Habacuc, pour les deux animaux
(Ha 3,2, LXX) :
nombreux comprennent Moïse et Élie entre
lesquels le Seigneur apparut transfiguré sur la
montagne53.
Dans son Commentaire de la Règle de saint Benoît, Hildemar
de Corbie (†  850) cite Isidore de Séville qui reprend
Augustin54 :
Le premier de ces jeûnes est celui du carême.
Celui-ci commence dans l’Ancien Testament avec le
jeûne de Moïse (cf. Ex 34,28) et d’Élie (cf. 3 R 19,8)
et dans l’Évangile parce que le Seigneur a jeûné
autant de jours (cf. Mt 4,2), montrant que l’Évangile
ne diffère pas de la Loi et des Prophètes. En effet la
Loi est personnifiée en Moïse, les prophètes en Élie.
Entre eux, le Christ est apparu dans la gloire sur
la montagne pour mettre plus en évidence ce que
l’Apôtre dit de lui : ayant l’attestation de la Loi et des
Prophètes (Rm 3,21)55.
Le Synode de Worms en 868, auquel a participé Louis
le Germanique, a écrit une déclaration signée par tous
les participants : De fide sanctae Trinitatis contra Graecorum
haeresim. Pour justifier le jeûne du Carême, il cite ce même

52 PL 117,233.
53 PL 117,188. Et encore dans Ep II Co, PL 117,618 ; Apoc, PL
117,947 ; 1172.
54 Hildemar de Corbie, Commentaire de la Règle de saint Benoît,
édition princeps de R. Mittermüller, Ratisbonne 1880, légèrement
révisée et complétée sur http://hildemar.org/.
55 Isidore de Séville, De ecclesiasticis officiis I,37, CSL 113, éd. C.
M. Lawson, 1989, p. 43. C’est une reprise d’Augustin, Ep 55,15,28. Ce
passage est omis dans l’édition de R. Mittermüller.

38
Mikhtav 83

passage de la lettre d’Augustin56.


En dehors du commentaire de Mt 17,3, Raban se réfère
à cet épisode dans douze passages, dont quatre font le
lien entre les quarante jours de jeûne de Moïse, d’Élie
et du Seigneur et la Transfiguration57 et plusieurs citent
explicitement Rm 3,21, par exemple dans le De institutione
clericorum II,20 :
Le premier jeûne de quarante jours est celui
qui a commencé d’après les anciennes écritures
par le jeûne de Moïse et d’Élie et dans l’Évangile,
car le Seigneur a jeûné un même nombre de jours,
montrant que l’Évangile ne s’écarte pas de la Loi et
des prophètes. En effet dans la personne de Moïse, la
Loi, dans la personne d’Élie, les prophètes, sont reçus
au milieu desquels le Christ est apparu glorieux sur
une montagne pour que se distingue plus clairement
ce que dit l’apôtre à ce sujet, ayant le témoignage de
la Loi et des prophètes58.
De même Paschase Radbert, outre son commentaire

56 PL 119,1207 ; citation d’Augustin, Ep 55,15, Ad inquisitiones


Ianuarii, Liber secundus, CSEL 34.2, 1898, p. 200.
57 Raban, Commentariorum in Genesim, PL 107,551AB : citation
d’Isidore, Gn Qu 14 ; Commentariorum in Exodum, PL 108,237D :
citation d’Isidore, Ex Qu 41 ; Enarrationum in librum Numerorum II,9,
PL 10,664CD : citation d’Origène, Num Hom 7,2 ; Commentariorum
in Ezechielem, PL 110,1000AB : citation de Jérôme, Ez 641 ; Canticum
Habacuc, PL 112,1113D : citation de Bède, Ha ; Expositio in Matthaeum
I,16, CCM 174, p. 93 ; In epistulam ad Romanos, PL 111,1312A : citation
d’Origène, Rm 2,5,881 ; De institutione clericorum II,20 : citation de
Bède, Lc I,2939sq : ibid. III,22 : citation d’Isidore de Séville, Eccl Off
1,37,2-5 ; De consanguineorum nuptiis, PL 110,1088D-1089A (Epistula 31
MGH V,456) ; De universo I,2, III,2 et IV,1, PL 111,36A, 72A et 77B ; In
honorem sanctae Crucis, CCM 100, p. 147.
58 Rm 3,21. Raban, De institutione clericorum 3,22. Isidore de
Séville, Eccl Off 1,37,2-5, CSL 113,43-44. Augustin, Ep 55,15,28, CSEL
34.2, p. 200-201.

39
Mikhtav 83

de Mt 17,3 dans son Expositio in Mattheo, mentionne la


présence de Moïse et d’Élie à la Transfiguration dans le De
benedictionibus patriarcharum Iacob et Moyse 59.
En s’inspirant du Commentaire sur le Cantique des cantiques
d’Apponius (écrit entre 420-430), Angelôme de Luxeuil
interprète ainsi le verset de Ct 1,13 :
mon bien-aimé est un sachet de myrrhe qui repose
entre mes seins » : Moïse, le donateur de la Loi, et Élie,
le prophète hors de pair (eximius prophetarum), sont les
deux seins de l’Église au milieu desquels Jésus s’est
transfiguré sur la montagne, s’est manifesté dans sa
gloire à venir et repose60.
Énumérons encore d’autres auteurs : Ambroise Autpert,
en dehors de son homélie sur la Transfiguration, se réfère
aussi à cet épisode dans son Commentaire de l’Apocalypse 61.
Florus de Lyon († v. 860), dans un poème sur l’évangile
de Matthieu62.
Paulin d’Aquilée (730/740-802), dans le Sacrosyllabus
contra Elipandum 63, ainsi que dans son Contra Felicem 64.
Alcuin (v. 735-804), dans trois ouvrages65.
Candide, moine de Fulda († 845), dans son Opusculum

59 De benedictionibus patriarcharum Iacob et Moyse I,1769, éd. B.


Paulus, CCM 96, 1993, p. 61.
60 Angelôme de Luxeuil, Commentaire sur le Cantique des
cantiques, PL 115,582. Cf. Apponius, Commentaire sur le Cantique III,14,
éd. B. de Vregille, L. Neyrand, SC 420, 1997, p. 304-305. Bède, CSL
119B, p. 206.
61 CCM 27, Livre I,1,7a.
62 MGH, II,513 (PL 119,262).
63 MGH, Concilia aevi Karolini I, éd. A. Werminghoff, 1906, p.
134 ; PL 989,157.
64 Contra Felicem III,2, éd. D. Norberg, CCM 95, 1990, p. 86.
65 Adversus Felicem Urgellitanum, PL 101,219 ; dans Adversus
Elipandum III,5, PL 101,274 ; Liber contre Felicis haeresim, PL 101,90.

40
Mikhtav 83

de passione Domini 66.


Agobard de Lyon (769-840), dans Adversus dogma Felicis
ad Ludovicum 67.
Dans son Expositio in quatuor evangelia 68, un auteur
inconnu (Walafrid Strabon ?) commente en un paragraphe
Mt 17,1-8.

III. Sources des commentaires carolingiens sur


Mt 17,3 12

• Le commentaire de Raban sur Mt 17,3-12 (p. 475-


481) est composé de divers extraits de Jérôme et de
Bède.
• Le commentaire d’Otfrid sur Mt 17,3-12 (p. 226-
228) est totalement copié de celui du Ps.-Bède, dont
les sources sont identiques à celle de Raban.
• Le commentaire de Sedulius Scottus sur Mt 17,3-
12 (p. 414-420) est composé d’extraits de Bède, de
Jérôme, d’Augustin et d’Adamnan.
• Le riche commentaire de Paschase Radbert sur
Mt 17,3-12 (Livre VIII, l. 1266-1625) est inspiré
d’Origène, de Jérôme, d’Ambroise, d’Hilaire, d’un
commentaire anonyme non édité et de réflexions
personnelles.
• On peut déceler dans le commentaire du Ps.-Alcuin
sur Mt 17,3-12 (p. 148-149) un passage de Chromace,
d’Augustin et de Jérôme.
• Le commentaire de Christian de Stavelot sur
Mt 17,3-12 (p. 329-332) utilise quelques passages de
66 PL 106,74.
67 Éd. L. Van Acker, CCM 52, 1981, p. 109.
68 PL 114,882.

41
Mikhtav 83

Bède, de Jérôme, de Grégoire d’Elvire et de Grégoire


le Grand.
• L’homélie d’Heiric sur Mt 17,1-9 dépend de Raban,
de Jérôme et du Ps.-Bède.
Le tableau des sources des commentaires carolingiens
sur la Transfiguration montre un seul passage d’Augustin
(l’homélie 79 A par le Ps.-Alcuin), un extrait du Commentaire
sur Ézéchiel de Grégoire le Grand chez le Ps.-Alcuin et chez
Christian de Stavelot.
L’influence primordiale du Commentaire sur Matthieu de
Jérôme sur les commentateurs carolingiens de ce même
évangile, en particulier pour ce qui concerne l’épisode
de la Transfiguration, est notable. Dans la préface de son
commentaire, Christian de Stavelot écrit qu’il connaît
bien le commentaire de Jérôme, mais qu’il souhaite le
compléter69. Raban Maur s’appuie lui aussi sur la préface de
Jérôme qui a été obligé d’écrire en hâte et qui comptait le
compléter a posteriori, mais qui n’a pu le faire, pour rédiger
son commentaire en utilisant celui de Jérôme et d’autres
auteurs70. De même Paschase Radbert justifie son propre
travail à partir de la préface de Jérôme71. Cela permet de
confirmer la remarque de C. Spicq qui a constaté du viiie
au xiie siècle une « influence de plus en plus prépondérante
de saint Jérôme au détriment de celle de saint Augustin et
surtout de saint Grégoire »72.

69 Christian de Stavelot, Mt, p. 51-52.


70 Raban, Mt, CCM 174, p. 2.
71 Paschase Radbert, Mt, p. 5-7.
72 C. Spicq, Esquisse d’une histoire de l’exégèse latine au Moyen Âge,
Paris 1944, p. 59.

42
Sources des commentaires carolingiens sur Mt 17,3-12
Mt RABAN MAUR OTFRID SEDULIUS PASCHASE PS.-ALCUIN CHRISTIAN HEIRIC
CCCM 174A CCCM 200 SCOTTUS RADBERT CCCM 159 STAVELOT CCCM 116
= Ps.-Bède AGLB 19 CCCM 56A CCCM 224, p. Hom I,34
329-332
17,3 Bède Hom I,24 Bède Hom I,24 Bède Lc Origène Mt Com Bède Mc Raban Mt

Jérôme Mt Christian

Orléans BM 65 Grég. d’Elvire


Trac
Ambroise Lc

Paschase

17,4 Bède Hom I,24 Bède Hom I,24 Bède Mc ; Hom I,24 ; Origène Mt Augustin Hom Heiric
79A

Bède Mc ; Hom I,24 Orléans BM 65

Bède Mc Jérôme Mt

Bède Hom I,24 Ambroise Lc

Paschase Ps.-Bède Mt

17,5 Bède Mc III Bède Lc et Mc Bède Mc Raban

Bède Hom 1,24

Jérôme Mt Jérôme Mt

Bède Mc Orléans BM 65 Heiric


17,6 Léon Trac 51, Jérôme Mt Jérôme Mt Paschase Cf. Grégoire Gr Grégoire Gr Ez Raban
Ez
Jérôme Mt Bède Mc ou Lc Origène Mt

17,7 Jérôme Mt Jérôme Mt Jérôme Mt Jérôme Mt Jérôme Mt

Raban Léon Trac 51,7

Ps.-Bède Mt Léon Trac 51,3

17,8 Jérôme Mt Jérôme Mt Bède Mc Cf. Jérôme Mt Cf. Jérôme Mt Cf. Jérôme Mt

Ps.-Augustin Mir Ambroise Lc

Sedulius Paschase

Adomnan 2,27,3.1-2
Commemoratorium
17,9 Jérôme Mt Jérôme Mt Bède Mc/ Jérôme Mt Hilaire Mt Heiric

Jérôme Mt

Bède Hom I,24 Origène Mt Heiric

17,10 Jérôme Mt Jérôme Mt Jérôme Mt Jérôme Mt xxxxxxxxxxxx

Orléans BM 65 xxxxxxxxxxxx

Origène Mt xxxxxxxxxxxx

17,11 Bède Mc cf. Bède Mc Bède Mc Jérôme Mt xxxxxxxxxxxx

Augustin Qu Ev 1,21 Orléans BM 65 xxxxxxxxxxxx

17,12 Jérôme Mt Jérôme Mt Jérôme Mt Hilaire Mt Grég. Gr. Moralia xxxxxxxxxxxx


Mikhtav 83

IV. L’apparition de Moïse et d’Élie à la Transfiguration


(Mt 17,3 ; Mc 9,4 ; Lc 9,30-31)

1. D’où viennent-ils ?
Le Ps.-Alcuin et Paschase présentent Moïse comme
venant des enfers et Élie, des airs, ce qu’a fait Chromace
d’Aquilée, tant dans son Commentaire sur Matthieu que dans
son homélie sur saint Jean l’évangéliste73. À la localisation,
le Ps.-Alcuin ajoute une interprétation spirituelle :
On doit se demander d’où vient Moïse et d’où
vient Élie. Moïse de l’enfer, Élie, de l’air. Par Moïse,
on peut comprendre les corps des enfers, et par Élie,
on comprend ceux qui méditent les choses célestes74.
2. Moïse et Élie ou Élie avec Moïse ?
Selon Marc 9,4, Élie apparut avec Moïse. Marc place
ainsi Élie avant Moïse75, alors que Matthieu et Luc mettent
l’ordre chronologique, Moïse et Élie apparurent. Ce détail

73 Chromace, Tract 54A, CSL 9ASuppl., p. 631 ; Serm 22,2, CSL


9A, 1974, p. 101.
74 Ps.-Alcuin, Mt, Anonymi In Matthaeum, CCM 159, éd. B.
Löfstedt, 2003 : Hoc inquirendum, Moyses unde venit et Elias unde. Moyses
de inferno, Elias de aere. Per Moysen corpora infernalium possunt intellegi, per
Eliam vero intelleguntur illi, qui caelestia meditantur (p. 148).
75 Le Traité sur la résurrection (NH 1,4) fait de même : « Si tu te
souviens avoir lu dans l’Évangile qu’Élie est apparu ainsi que Moïse
avec lui, ne suppose pas que la résurrection est une illusion », dans
Écrits gnostiques. La bibliothèque de Nag Hammadi, Gallimard, Paris 2007,
p. 106. Selon A. Feuillet, dans « Les perspectives propres à chaque
évangéliste dans les récits de la Transfiguration », Biblica 39, 1958, p.
284 : Élie est cité avant Moïse parce « qu’il représente le dernier des
prophètes, le Baptiste, qui réalise l’attente du retour d’Élie et dont le
martyre faisait présager le sort douloureux réservé par les hommes à
Jésus, serviteur de YHWH. Tel est en effet le sens des propos tenus par
Jésus sur Élie aussitôt après la Transfiguration »

43
Mikhtav 83

ne semble pas commenté par les Pères, ni par les auteurs


carolingiens76, mais quelques exégètes modernes se sont
attardés sur cette différence et y voient une réfutation de
la personnification de la Loi par Moïse et des prophètes
par Élie, inlassablement répétée depuis Origène77. Elle est
moins fréquente chez les Pères grecs et inexistante chez les
Pères orientaux78. Elle est reprise par Christian, Otfrid,
Paschase.
3. Luc, selon une expression qui lui est chère79, parle
de deux hommes : Deux hommes parlaient avec lui. C’étaient
Moïse et Élie, qui apparus dans la gloire parlaient de son départ.
Seul Luc mentionne que Moïse et Élie sont apparus dans la
gloire et donne le sujet de leur conversation avec Jésus. Aussi
même dans les commentaires carolingiens de l’évangile
de Matthieu, il est souvent fait appel à l’évangile de Luc
(explicitement par Raban, Otfrid, Paschase Radbert,
Heiric, ou implicitement par Sedulius).
Bède donne quasi le même texte pour l’arrivée de Moïse
et d’Élie dans son commentaire sur Luc et dans celui sur
Marc. Il est repris littéralement par Sedulius, alors que
Raban reprend, littéralement lui aussi, l’homélie 24 de
76 Il est analysé par des exégètes modernes qui ne suivent pas
l’explication d’Origène : H. Troadec, Évangile selon saint Marc, Paris
1963, p. 163 ; R.  Schnackenburg, L’évangile selon Marc, vol. 2, Paris
1973, p. 40. Cf. aussi P. Dabeck, « ‘Siehe, es erscheinen Moses und
Elias’ (Mt 17,3) », Biblica 23, 1942, p. 175-189.
77 Cf. Origène, Mt Com XII,38, Origenes Matthäuserklärung, I. Die
griechisch erhaltenen Tomoi, GCS 40, éd. E. Klostermann et E. Benz,
Leipzig 1935-1937, p. 155 ; Mt Cat 361, Origenes Matthäuserklärung, III.
Fragmente und Indices, GCS 41.1, éd. E. Klostermann et E. Benz,
Leipzig 1941, p. 154 ; Mat Cat 365, p. 157 ; Cels 6,68, Contre Celse, Livres
5-6, SC 147, éd. M. Borret, Paris 1969.
78 Cf. É. Poirot, Élie, archétype du moine. Pour un ressourcement
prophétique du monachisme, coll. Spiritualité orientale 65, Bellefontaine
1995, p. 138-141.
79 Cf. Lc 9,32 ; 24,3.

44
Mikhtav 83

Bède :
De quelle manière ils sont apparus et de quoi ils se
sont-ils entretenus avec lui, Luc l’écrit plus clairement :
C’étaient Moïse et Élie, dit-il, apparus avec gloire, et ils
parlaient du départ qu’il allait accomplir à Jérusalem 80.
Donc Moïse et Élie se sont entretenus avec le Seigneur
sur la montagne et parlaient de sa passion et de sa
résurrection, qui, accomplies dans le Seigneur, d’une
part sont découvertes maintenant à quelques sages et
d’autre part le seront plus clairement dans le futur à
tous les élus.
Le commentaire de Paschase Radbert sur Mt 17,3, plus
développé, combine des passages d’Origène, de Jérôme,
d’Ambroise et d’un commentaire sur les évangiles, anonyme,
contenu dans le manuscrit Orléans, BM, Ms 65, ixe siècle,
non édité. Il n’en existe que des éditions fragmentaires.
« Selon les dernières études, il fut rédigé au viiie siècle par
un clerc originaire d’Irlande.81 »
Il sait donc parfaitement pourquoi ces deux
seulement sont apparus avec lui, en gloire, sur
la montagne, celui qui comprend que la loi est
spirituelle 82 et que la loi prend sens par Moïse83, ainsi
que sont manifestes par Élie les prédictions de tous
les prophètes, dont absolument aucun fidèle ne doute
qu’elles n’annoncent le Christ84.

80 Lc 9,30.
81 CLMA, t. 2, ALC 65, p. 471-473.
82 Rm 7,14.
83 Cf. Jn 1,17.
84 Paschase Radbert, Expositio in Matheo libri XII (V-VIII), CCM
56 A, éd. B. Paulus, 1984, p. 836.

45
Mikhtav 83

V. Sens de la présence d’Élie et de Moïse à la


Transfiguration

Pourquoi Moïse et Élie apparaissent-ils auprès de Jésus


transfiguré ?
1. Les textes montrent l’accord entre la Loi, les prophètes
et l’Évangile, comme l’avait bien montré Tertullien85 contre
la thèse de Marcion qui voyait dans la Transfiguration
le rejet par Jésus du Dieu de l’Ancien Testament. Raban
Maur reprend une interprétation spirituelle de Jérôme qui
provient d’Origène :
Levant alors les yeux, ils ne virent plus que Jésus seul 86.
Si Moïse et Élie étaient restés avec le Seigneur, il aurait
semblé incertain à qui précisément la voix du Père
rendait témoignage. Donc ils voient Jésus debout, la
nuée dissipée, Moïse et Élie disparus, parce que, après
qu’est évanouie l’ombre de la Loi et des prophètes, qui
avait recouvert les apôtres de son voile, on retrouve
l’une et l’autre dans l’Évangile87.
2. Un point commun entre Jésus, Moïse et Élie est leur
jeûne de quarante jours. Ce fait est très souvent relevé
chez les Pères88 et plusieurs le mettent en lien avec la
Transfiguration : Tertullien89, Jérôme90, Augustin à sept
85 Tertullien, Marc 4,22,12, Adversus Marcionem, CSL 1, éd. A.
Kroymann, 1954.
86 Mt 17,8.
87 Raban, Mt 17,8, Expositio in Matthaeum, CCM 174-174A, éd. B.
Löfstedt, 2000, p. 480 ; Jérôme, Mt 17,8, p. 150 ; Origène, Mt Com
XII,43, p. 168.
88 Cf. Archétype, tableau p. 223-236.
89 Tertullien, Ieiun 6,7.
90 Jérôme, Iovin II,15 : « Notre Seigneur et Sauveur, transfiguré
sur la montagne montre avec lui, dans la gloire Moïse et Élie (…) à
cause de leur communion dans les jeûnes (ob ieiuniorum consortia) ».

46
Mikhtav 83

reprises91, Ambroise Autpert92, Hildemar, moine de Corbie


(† v. 850)93. Celui-ci cite Isidore de Séville qui reprend
Augustin.
Dans le De Institutione clericorum, rédigé en 819 sur ordre
l’abbé Eigil, mais non dans son Commentaire de Matthieu, écrit
postérieurement (821-822), Raban fait à deux reprises94 le
lien entre les jeûnes de quarante jours de Moïse, Élie et
Jésus. En II,20, il cite Isidore, De ecclesiasticis officiis I,37 et en
III,22, Augustin, De doctrina christiana 2,16,25.
Paschase Radbert rappelle aussi ce jeûne commun
aux trois, en outre il fait une remarque originale qui lui
appartient :
Bien que ces deux soient unis au Seigneur par un
jeûne de quarante jours, cependant le Seigneur est le
seul pour lequel on lit qu’il ait jeûné sans le secours
d’un autre, quoique les deux aient jeûné dans le
désert95.
3. Pour Raban, qui reprend le texte de Bède, sont
compris « en Moïse, qui est mort et enseveli, ceux qui au
jugement ressusciteront de la mort ; et en Élie qui n’a pas
encore acquitté la dette de la mort, ceux qui seront trouvés
vivants dans la chair à la venue du Juge ». La même idée est
exprimée par Otfrid avec les termes du commentaire du
Ps.-Bède.
4. Jean Scot traduit les dix explications données par
91 Augustin, Doct 2,16,25 ; Ep 55,15,28 ; Io Hom 17,4 ; Ps Enar
110,1 ; Serm 125,9 ; Serm 210,7,9 ; Serm 252,10,10.
92 Ambroise Autpert, Homelia de Transfiguratione Domini 9, CCM
27B, éd. R. Weber, Turnhout 1979, p. 1011.
93 Hildemar de Corbie, Commentaire de la Règle de saint Benoît,
49,3.
94 Raban, Inst II,20 et III,22.
95 Moïse est avec le Seigneur pendant son jeûne : Ex 34,28 ; Élie
a été réconforté par un ange avant son jeûne de quarante jours : 3 R
19,5-8. Jeûne de Jésus : Mt 4,1-2.

47
Mikhtav 83

Maxime le Confesseur96 :
1. Identification de Moïse à la Loi, d’Élie aux prophètes.
2. Moïse, la sagesse, Élie, la bonté
3. Moïse, la connaissance, Élie, l’éducation
4. Moïse, l’action, Élie, la contemplation
5. Moïse, le mariage, Élie, le célibat97
6. Moïse, la mort, Élie, la vie
7. Personne n’est mort auprès de Dieu, excepté celui
qui s’est fait lui-même mourir par le péché
8. Le Verbe, principe et fin de la Loi et des prophètes
9. Moïse, le temps, Élie, la nature
10. Moïse, la création sensible, Élie, la création spirituelle.
En dehors de la première, de la cinquième et de la
sixième, les sept autres explications sont propres à Maxime.

VI. Sens de la disparition de Moïse et d’Élie (Mt 17,8 ;


Mc 9,8 ; Lc 9,36)

Les trois récits évangéliques attestent le fait que quand


la voix eut retenti, Jésus se trouva seul, mais n’en donnent pas
d’explication. Les Pères de l’Église ont cherché à l’expliquer
et à leur suite les exégètes carolingiens.
Saint Jérôme, tant dans son homélie sur Marc que dans
son Commentaire sur Matthieu, commente ainsi la disparition
de Moïse et d’Élie :
Celui-ci est mon Fils bien-aimé, écoutez-le. Pierre aurait
pu se dire : Il parle de Moïse ou d’Élie. Mais pour
qu’ils n’aient aucun doute, pendant que parle le Père,
96 Jean Scot, Amb, 31, l. 1056-1173.
97 Cf. Tertullien, Monog 8,7 ; Ambroise, Virg 1,3,12 ; Jérôme,
Iovin 2,15.

48
Mikhtav 83

les deux autres disparaissent, et le Christ reste seul98.


Raban Maur reprend exactement le texte du Commentaire
sur Matthieu de Jérôme :
Si Moïse et Élie étaient restés avec le Seigneur,
il aurait semblé incertain à qui précisément la voix
du Père rendait témoignage. Donc ils voient Jésus
debout, la nuée dissipée, Moïse et Élie disparus, parce
que, après qu’est évanouie l’ombre de la Loi et des
prophètes, qui avait recouvert les apôtres de son voile,
on retrouve l’une et l’autre dans l’Évangile99.
Quant à Heiric d’Auxerre, il paraphrase ce même texte.
Sedulius Scottus, Ps.-Alcuin et Christian de Stavelot
rapportent ce motif d’une manière sobre. Sédulius reprend
le commentaire de Bède en Marc 9,8 :
Au moment où le Fils allait être désigné, aussitôt
les serviteurs sont partis pour qu’on ne pense pas que
la voix du Père a été émise pour eux.
Ps.-Alcuin :
Ils ne virent plus que Jésus seul, afin de ne pas penser
que cette voix a été émise pour un autre que pour
Jésus seul.
À côté de ce sens littéral, tous sauf le Ps.-Alcuin, ajoutent
un sens spirituel. Sédulius Scotus l’introduit par aliter,
« autrement »100. Christian de Stavelot et Heiric l’appellent
sens symbolique, typice :
Christian : Symboliquement après l’apparition du
Christ, l’ombre de la loi ou l’oracle prophétique ne
98 Jérôme, Mc, SC 494, p.171.
99 Si Moïse …Évangile = Jérôme, Mt 17,8, p. 149,308-150,313. Cf.
Origène, Mt Com 12,43, p. 168.
100 Cf. Sedulius Scottus, dans la citation de Bède, Lc 9,30 et de
Bède, Mc 9,8.

49
Mikhtav 83

furent plus nécessaires.


Heiric : Symboliquement, la nuée déjà enlevée, le
Christ est reconnu, Moïse et Élie ayant disparus, parce
que l’ombre de la loi et des prophètes s’étant retirée,
la grâce de l’Évangile est découverte par une lumière
étincelante.
Pour Paschase Radbert aussi, le départ de Moïse et d’Élie
évite le doute au sujet de qui le Père a parlé, et en outre :
Comme la loi et la prophétie ont été achevées en
lui, c’est pourquoi aussi Jésus est resté seul, quand ils
se furent retirés, parce qu’il y eut la Loi et les prophètes
jusqu’à Jean101.
Il ajoute :
Il n’y a qu’eux deux qui enseignent tous les
mystères sur son départ et tout ce qu’il a accompli.
Bien qu’ils paraissent s’être retirés, parce qu’ils
n’ont plus de nouvelle prédiction, cependant encore
aujourd’hui Moïse nous enseigne à propos de ceci
et Élie à propos de cela, c’est-à-dire que la prophétie
continue de parler. En effet nous voyons aujourd’hui
dans une gloire plus grande que les fils d’Israël
Moïse glorifié avec le Christ sur la montagne, nous le
vénérons désormais non avec le visage voilé, mais avec
la face dévoilée 102. Nous ne trouvons Moïse ni Élie sans
le Christ et le Christ n’est pas annoncé sans ces deux
témoins103.
Et encore :
Elle soustrait donc Moïse et Élie et les dissimule,
et bien qu’elle les entoure et les dissimule, cependant
101 Mt 11,13. Paschase Radbert, p. 837.
102 1 Co 3,18. Depuis « eux deux qui enseignent... » Paschase
s’inspire d’Ambroise, Lc 7, 11.
103 Paschase Radbert, p. 837.

50
Mikhtav 83

Moïse et Élie ne laissent aucun son sortir de la nuée


dans laquelle ils sont cachés, mais seul le Père parle
à travers la nuée et seule la nuée lumineuse laisse
passer la voix du Père. Ainsi assurément la grâce du
Nouveau Testament couvre la loi et la prophétie, et
elle les conserve et les garde, mais elle les recouvre et
les couvre dans la lettre. Elle les conserve en esprit ;
elle les recouvre par les allégories et les figures et les
garde dans les mystères104.
Quant à Jean Scot, nourri de sa traduction des Ambigua
de Maxime le Confesseur, il résume magnifiquement dans
le Periphyseon, d’où sont venus Moïse et Élie et où ils se sont
retirés :
Et garde-toi d’imaginer qu’Élie vivant encore dans
son corps vint d’un quelconque paradis localisé, ou
que Moïse vint d’une résidence quelconque des âmes
ou vint en assumant un corps pour assister le Christ,
et qu’une fois achevé le mystère de la Transfiguration
Élie et Moïse s’en retournèrent aux endroits d’où
ils venaient. Tu dois croire et comprendre sans le
moindre doute et avec foi qu’Élie et Moïse ne vinrent
pas d’ailleurs que de Celui avec lequel ils apparurent
sur la montagne et dans lequel ils résidaient avant
d’apparaître, et qu’ils ne quittèrent pas lorsqu’ils
apparurent, et dans lequel ils retournèrent une
fois le mystère de la Transfiguration achevé, ils ne
retournèrent pas à un autre endroit, mais continuèrent
à subsister dans Celui dans lequel et avec lequel ils ne
font qu’un. Ce fait est très ouvertement signifié par
les trois disciples choisis pour être initiés aux arcanes
de la Transfiguration, qui levant les yeux, ne virent plus
personne, que Jésus seul105.
104 Paschase Radbert, p. 842-843.
105 Jean Scot, Periphyseon, Livre V, CCM 165, p. 195, l. 6320-6332.

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Conclusion
À la suite d’Origène, pour les exégètes carolingiens,
Moïse et Élie personnifient la Loi et les prophètes. Leur
venue auprès de Jésus transfiguré permet de réfléchir à la
place de la Loi et des prophètes par rapport à l’Évangile.
Raban, Otfrid, Sédulius, Christian Stavelot et Heiric
d’Auxerre, à la suite de Bède, soulignent aussi que Moïse
est mort, alors qu’Élie est vivant. Leur présence à la
Transfiguration annonce que morts et vivants seront ravis
en même temps sur les nuées à la rencontre du Seigneur et
qu’ils seront toujours avec lui.
Selon l’exégèse de Jérôme, qui dépend de celle d’Origène,
quand la voix du Père retentit, Moïse et Élie disparaissent
afin qu’il soit clair que c’est à Jésus qu’elle rend témoignage.
Tous les exégètes carolingiens reprennent ce sens littéral
hiéronymien, soit textuellement soit en le résumant.
Certains auteurs mettent l’accent sur l’ombre de la loi et
des prophètes, qui se retire devant la lumière de l’Évangile
(Heiric), mais d’autres soulignent leur lien indissoluble
(Raban).
Ce rapide parcours montre combien à l’époque
carolingienne l’étude de la Bible était inséparable de celle
des Pères. Les auteurs carolingiens s’appuient dans leurs
commentaires de la Transfiguration essentiellement sur
le Commentaire de Matthieu de Jérôme et sur ceux de Bède.
Chaque verset biblique peut recevoir des interprétations
multiples. Paschase Radbert, dont le commentaire n’est pas
une simple anthologie de textes, et Jean Scot, qui ouvre
l’exégèse latine à la pensée grecque, sont sans doute les
deux plus originaux commentateurs du ixe siècle106.

106 B. Smalley, The Study of the Bible in the Middle Ages, University
of Notre Dame Press, Indiana 1964, p. 38.

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Appendice
Quelques lieux iconographiques carolingiens de la
Transfiguration

1. Londres, Musée Victoria et Albert, Ivoire fait à Metz,


vers 870-880 (Image 1)
L’art des ivoiriers était très prospère à l’époque
carolingienne et les sculpteurs carolingiens ont créé de
belles couvertures de livres en ivoire. Cet ivoire provient
sans doute de la couverture d’un livre, l’autre côté de la
couverture étant un ivoire représentant la guérison du
lépreux et celle de l’aveugle. Il appartient à l’école de Metz.
La position centrale du Christ est au même niveau que
celle de Moïse et d’Élie, mais seul le Christ est auréolé et la
main du Père surplombe sa tête. Sa main droite est dirigée
vers Élie, alors qu’il regarde vers Moïse qui semble lui
parler, tenant la Loi dans son bras gauche. D’autre part on
notera la verticalité du Christ par rapport aux silhouettes
courbées de Moïse et d’Élie, qui traduisent leur situation
de serviteurs devant le Maître. Élie a la prééminence, car
il est situé à la droite de Jésus. Les deux plans, céleste et
terrestre, sont bien séparés par une ligne, et cependant
la mandorle du Christ, qui est symbole du Paradis, de la
lumière inaccessible où Dieu habite, descend dans le plan
terrestre. Les attitudes des trois apôtres correspondent à
leur tempérament. Pierre, à la droite du Christ, c’est-à-dire
en bas à gauche, prêt à se lever, est en train de s’adresser
au Christ avec la main droite levée. Jean, au milieu, est
prosterné, dans sa contemplation mystique. Jacques est
renversé par l’éclat de la lumière divine.

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2. Mosaïque du ixe siècle, église des saints Nérée et


Achille, Rome (Image 2)
L’église des saints martyrs Nérée et Achille est une église
de Rome, proche des thermes de Caracalla. La mosaïque
de l’arc de l’abside date du ixe siècle. Elle représente
l’Annonciation, la Transfiguration et la Mère de Dieu.
Élie est à la droite du Christ, Moïse, à sa gauche. Les trois
disciples, agenouillés, ont les mains couvertes en signe de
respect. La prééminence du Christ est nettement marquée
par sa position centrale, par la mandorle qui l’entoure, par
sa taille plus grande que celle de Moïse et d’Élie. Ceux-
ci sont même plus petits que les apôtres et ils ne sont pas
auréolés, alors que Pierre, Jacques et Jean le sont.

3. Psautier d’Utrecht, vers 830-835, Utrecht, BU, fol.


83v
Cette miniature illustre le Cantique d’Isaïe (Is 12,1-6) :
Vous puiserez avec joie aux sources du Sauveur. Le Christ dans
une mandorle porte un nimbe crucifère et une croix avec
un long manche. C’est une figure du Ressuscité. Hilaire,
Ambroise, Léon le Grand avaient insisté sur le lien entre
la Transfiguration et la Résurrection107. Le Christ se tient
au milieu d’Élie et de Moïse, situés plus bas que lui. « C’est
l’exemple le plus ancien d’une disposition hiérarchisée que
l’on retrouve fréquemment dans les images occidentales de
la Transfiguration et qui déroge à la règle suivie jusqu’alors,
qui plaçait les trois personnages sur un même niveau108 ».
Ce psautier, célèbre par ses 166 illustrations, a fait l’objet
de la thèse de doctorat d’État à Paris-Sorbonne de Suzy

107 Cf. M.-A. Vannier, « La Transfiguration chez les Pères


d’Occident », dans La Vie spirituelle, t. 142, n° 682, 1988, p. 653-663.
108 F. Boespflug, Les théophanies bibliques dans l’art médiéval
d’Occident et d’Orient, Genève 2012, p. 320

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Dufrenne en 1972109.
Ces trois représentations de la Transfiguration du Christ
figurent toutes le moment où Moïse et Élie sont visibles
auprès du Christ situé au milieu d’eux, et non le moment
où Jésus est seul.

109 S. Dufrenne, Les Illustrations du Psautier d’Utrecht. Sources et


apport carolingien, éd. Ophrys, Paris 1978.

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Image 1
© Musée Victoria & Albert, Londres

Image 2
(Source : Wikimedia commons)

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