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La tradition manuscrite

du De fide de Bachiarius

Ba plus ancienne, mention du nom de Bachiarius est celle de la notice


de Gennade de Marseille dans son De uiris illustribus, vers 467-468.
Bachiarius, homme de philosophie chrétienne, dépouillé et dégagé de tout
dans le désir d’être libre pour Dieu, a même choisi la pérégrination pour garder
intacte sa résolution. Il a, dit-on, publié d’agréables opuscules, mais je n’en
ai lu qu’un seul, le livre Sur la foi, dans lequel il donne apaisement au Pontife
de la Ville à l’encontre des critiques et des diffamateurs de sa pérégrination,
et montre qu’il s’est imposé cette pérégrination non par crainte des hommes
mais à cause de Dieu, de sorte qu’en quittant son pays et sa parenté il devienne
cohéritier du patriarche Abraham1.
^ ’information de Gennade provient de deux sources : une tradition
orale (dicitur) selon laquelle Bachiarius serait l’auteur de plusieurs grata
opuscula ; en second lieu la lecture du Defide, dans lequel l’auteur défend
sa vie de pérégrin auprès du Pontife de la Ville2 et en précise la signi­
fication. Une définition générale de ce mode de vie ascétique sert à
présenter Bachiarius, un chrétien (uir philosophiae3 christianae) que sa
x. Gbnnadb, De uiris ill., c. 24, éd. Richardson, Texte und Untersuchungen,
14, 1, Leipzig, 1896, p. 71 : <1Bachiarius, uir christianae philosophise nudus et
expedites uacare Deo disponens etiam peregrinationem pro conseruanda propositi
integritate elegit. Edidisse dicitur grata opuscula, sed ego ex illis unum tantum
De fide librum legi, in quo satisfacit pontifici urbis aduersum quaerulos et infa-
matores peregrinationis suae et indicat se non timoré hominum, sed Dei causa
peregrinationem suscepisse, ut exiens de terra et cognatione sua coheres fieret
Abrahae patriarchae. »
2. Cette expression permet à Gennade de désigner l’autorité, — l'évêque de
Rome, semble-t-il—, à laquelle Bachiarius a voulu présenter des explications, mais
non pas le destinataire du De fide, dont le nom n’est pas mentionné.
3. Philosophia désigne non seulement la spéculation pure mais aussi un art
de vivre; cf. A.-M. MaijnGrEY, « Philosophia ». Étude d'un groupe de mots dans
la littérature grecque, des Présocratiques au IV s siècle après J.-C., Paris, 1961,
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volonté (proposition*) d’absolu dépouillement a fait devenir un perpétuel


voyageur (etiam peregrinationem... elegii). La pérégrination ascétique,
au ve siècle, était distincte de la vie monastique45, même si elle pouvait y
conduire : aussi est-il inexact, du moins d'après le De fide et la notice de
Gennade qui en dépend, de donner à Bacliiarius le nom de moine, puisqu’il
se fait connaître comme peregrinus.
Le texte du De fide, découvert par L.-A. Muratori dans un manuscrit
de Milan, Biblioteca Ambrosiana 0.212. sup., vne-viiie siècle, a été édité
pour la première fois en 1698 et souvent réimprimé depuis cette date6.
J. Madoz, en 1941, révéla l’existence d'une seconde recension de cet
ouvrage7. Plus récemment, A. Mundô a démontré que cette seconde
recension était l’œuvre de Gennade de Marseille8. Pour juger de la valeur
de ces deux hypothèses et classer un nouveau témoin du De fide, nous
commencerons par présenter différentes études concernant la tradition
manuscrite du Liber ecclesiasticorum dogmatum de Gennade de Marseille,
avec lequel l’écrit de Bachiarius semble avoir des liens particuliers.

Le ' Liber ecclesiasticorum dogmatum ’


Le Liber ecclesiasticorum dogmatum {= Dogm.), transmis par de très
nombreux manuscrits, présente une grande variété de formes textuelles,
ïjdité sous le nom d’Augustin, de Gennade et d’Isidore de Séville, il
est certain que son véritable auteur est Gennade de Marseille, mais quelle
forme de texte est authentique ? Pour résoudre, au moins provisoirement,
ce problème, C.H. Turner9 a proposé une nouvelle édition de cet opuscule
sur la base du manuscrit le plus ancien, Milan, Biblioteca Ambrosiana
0.212. sup., viie-viiie siècle, dont le témoignage a été complété par la
consultation de six autres exemplaires. Le nouveau texte constitue,
semble-t-il, une recension antérieure à celles que fournissent les diverses
éditions, dont il diffère nettement : en effet, il omet plusieurs noms

4. Proposition : D’après A. Mandouze, Saint Augustin. L ’aventure de la raison et de


la grâce, Paris, 1968, p. 166, note 6, «ce ternie implique que, à l’issue de sa quête
d’un genus ou d’un modus uitae, celui qui opte pour la vie ascétique se fixe un
« programme de perfection » correspondant à une véritable « profession religieuse »
soutenue par une règle, règle au moins pratique sinon toujours explicitée dans
un texte » ; cf. J. Campos, El « propositum » monâstico en la tradiciôn patristica,
in Misceldnea patristica (Mélanges P. Angel C. Vega), La Ciudad de Bios, 1968,
n° 3-4, p. 117-129.
5. Cf. J. Deceercq, Aux sources de la spiritualité occidentale. Étapes et constantes,
Paris, 1964, p. 35-90 : Monachisme et pérégrination.
6. P.L., 20, 1019-1036 ; Clauis, n° 568.
7. J. Madoz, Una nueva redacciân del « Libellus de fide » de Baquiario, in Revista
espaüola de Teologia, t. 1, 1940-41, p. 457-488.
8. A. M. Mundô, Estudis sobre el « De fide » de Baquiari, in Studia monastica,
t. 7. *965, p. 247-303.
9. C. H. Turner, The « Liber ecclesiasticorum dogmatum »attributed to Gennadius,
in J,T,S., t. 7, 1906, p. 78-99 ; cf. ibid., t, 8, 1907, p. 103-114,
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propres d’hérétiques et surtout il ne fait pas mention, dans le premier


chapitre, de la double procession de l’Esprit-Saint. Dom G. Morin10
précisa que cette recension primitive était l’œuvre même de Gennade,
composée vers 470, et que la seconde recension « qui se distingue de la
première par une plus grande précision de certains points de dogme,
par exemple, la procession du Saint Esprit, par l’addition de divers noms
propres, mais aussi par l'omission des deux derniers chapitres (...), serait
le résultat de retouches accomplies par une main étrangère, vraisemblable­
ment peu de temps après la mort de l’auteur. »
Ces conclusions, enregistrées par la Clauis Pairum latinorum11, laissent
place à nombre d’incertitudes. Turner avait répertorié 68 manuscrits
du Liber dogm., dont il existe probablement plusieurs centaines de
copies, mais son édition repose sur sept témoins seulement et parti­
culièrement sur un seul, qui est aussi le plus ancien ; son antiquité même
invite à la défiance, car le tournant du vne-vme siècle n’est pas spéciale­
ment favorable à la bonne transmission des textes ; d’ailleurs, on s'accorde
pour reconnaître la qualité médiocre de la copie du manuscrit de Milan.
Il est donc légitime de douter de l’authenticité d’un texte qui repose
sur une base manuscrite infime et dont les caractéristiques proviennent
peut-être de simples, fautes de copistes. De plus, les indices sur lesquels
Turner se fonde pour affirmer l’antériorité, en comparaison des autres
éditions, de la recension qu’il a publiée, sont faibles : la transcription
des noms propres, en effet, est souvent défectueuse, si bien que l’on
omet des termes devenus incompréhensibles ; de même, la différence
entre l’affirmation d’une seule ou d’une double procession de l’Esprit-
Saint repose sur une variante (-)- et Filio ou cum Filio), dont il serait néces­
saire d’examiner un grand nombre de témoins, pour déterminer la forme
originale.
D’omission des deux derniers chapitres n’affecte qu’une partie des
témoins de la seconde recension, mais aussi quelques uns de la pre­
mière ; parfois le dernier chapitre uniquement est omis12. En réalité,
le contenu de ces deux chapitres est à l’origine de leur instabilité dans
la tradition manuscrite : l’un avait perdu son intérêt aux yeux des copistes
du moyen âge, parce qu’il traite de la date de Pâques, qui ne posait

10. G. Morin, Le « Liber dogmatum » de Gennade de Marseille et problèmes qui


s'y rattachent, in Rev. Bén., t. 24, 1907, p. 445-455.
11. Clauis Patrum latinorum (Sacris Erudiri, 3), ed. altéra, Steenbrugis, 1961,
nn. 95S et 958a ; toutefois la référence marginale : P.L., 42, 1211 (édition du
Liber dogm. sous Je nord de saint Augustin) devrait être rapportée à l’article 958a,
car il s’agit de l’une des formes de la seconde recension.
12. Par exemple, dans le manusccrit de Troyes, Bibl. Mun. 1979, début du xi°
siècle, qui conserve une forme dérivée de la première recension du Liber dogm.
(= C1), le dernier chapitre seul est omis, mais l’essentiel de son contenu a été trans­
crit à la fin du c. 52 qui se présente sous cette forme : « Nullus sanctus et iustus caret
peccato : nec tamen ex hoc desinit esse iustus (...) quia in ueritate habent quod
plangant. Animam ad imaginem Dei creatam libéré con/itemur : imaginem.in aeter-
nitaie, similitudinetn in moribus inueniri. »
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plus les problèmes qu’elle avait soulevés dans l’antiquité ; l’autre contient
une allusion aux contemporains de Gennade, qu’il était inutile de repro­
duire. Voici ces textes d’après l’édition Turner.
c. 53. Fascha, id est Domînicae resuxrectionis sollemnitas, ante transgressum
uemalis aequinoctii et sextaedecimae13 lunae initium non potest celebrari, eo
tamen [in] mense natae.
c. 54. Propter nouellos legislatores, qui ideo animam tantum ad imaginem Dei
creatam dicunt ut quia Deus incorporeus recte creditur etiam anima incorporea
esse credatur, libéré confitemur imaginem in aetemitate similitudinem in mori-
bus inueniri.
Les additions caractéristiques de la. seconde recension du Liber dogm.
se rapportent à l’origine de l’âme ; nous en transcrivons le texte d’après
l’édition Turner.
c. 14. Animas hominum non esse ab initio inter ceteras intellectuales naturas
nec insemel creatas, sicut Origenes fingit ; neque cum corporibus per coitum
seminantur, sicut Luciferiani et Cirillus et aliqui latip.on.un praesumentes
adfirmant, quasi naturae consequentia seruiente, sed dicimus corpus tantum
per coniugii copulam seminari, creationem uero animae solum creatorem om­
nium nosse. A dd. : Dei uero iudido coagulari (uel animari) in uulua et conpingi
adque formari, ac formato iam corpore animam creari et infimdi, ut uiuat in
utero homo ex anima constans et corpore et (uel ut) egrediatur uiuus ex utero
plenus btunana substantia.
c. 17 b = Add. : Anima humana non cum carne moritur, quia nec cum came,
u t superius diximus, seminatur, sed formato in uentre matris corpore Dei
iudicio creari et infnndi, ut uiuat homo intus in utero et sic procédât natiuitate in
mundo.

Ces développements sont anciens, mais ne proviennent pas de Gennade qui


se refusait à pénétrer le mystère de l’origine de l’âme en affirmant : «Nous
disons (...) que seul le Créateur de toutes choses connaît la création de
l’âme»; ils peuvent donc servir à caractériser la seconde recension du
Liber dogm., dont une analyse détaillée ferait sans doute apparaître
d’autres retouches de moindre importance.

• 13. Les manuscrits de Troyes, Bibl. Mun. 1165, IXe siècle, et 1979, que nous
avons examinés, fournissent la variante : quintaedecimae lunae, qui représente
probablement le texte authentique. Un effet, le Rev. P. W. Puller a fait remarquer
à Turner (J.T .S. , t. 8, 1907, p. 103) que l'expression sextaedecimae lunae initium
correspondait à l'usage romain, en citant Duchesne, Origines du culte chrétien,
éd. 3, p. 238 : « Les Romains n’admettaient pas que le dimanche de Pâques pût
tomber, dans le mois lunaire, avant le 16 de ce mois, tandis qu'à Alexandrie ou
pouvait avoir Pâques dès le 15. » Puller tirait argument de cette remarque pour
affirmer que l’auteur du Liber dogm. était un latin. Mais si la variante quintaedecimae
fait allusion à un usage oriental, elle pourrait être primitive, car on ne saurait
expliquer son introduction par les copistes du moyen âge pour remplacer l’allusion
Al’usage romain, alors que les traces d’influence orientale sont nombreuses dans les
œuvres de Gennade,
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A. Mundô14, sur la base des travaux de Turner et de Morin, a tenté


par des recherches personnelles de classer provisoirement les diverses
recensions de l'opuscule de Gennade. Ta recension A est caractérisée par
l’absence des additions concernant l’origine de l’âme ; elle comporte deux
variétés qui se distinguent par la variante du chapitre premier sur l’unique
ou la double procession de l’Fsprit-Saint.
A1 : Forme originale du texte de Gennade (vers 469/470).
C. 1 : Spiritum Sanctum eo quod sit ex Pâtre procedens, Patri et
Filio coaeternus. Pater ergo principale nomen deitatis.
Ms. : Milan, Bibl. Ambrosiana 0.212. sup.
Ed. : Turner,
A2 : Forme revisée, par Gennade lui-même (après 470),
C. 1 : Spiritum Sanctum eo quod sit ex Pâtre et Filio (ou : cum Filio)
procedens, Patri et Filio coaeternus. Pater ergo principium deitatis.
Ms. : Nombreux et anciens.
Ed. : Turner.
Ta distinction de ces deux variétés du texte de Gennade paraît abusive ;
pour être acceptable, il faudrait qu’au moins un manuscrit, indépendant
de celui de Milan, atteste la variante propre à ce dernier, qui l’oppose
à tous les autres exemplaires15 et qui peut être une simple faute de copiste.
Même en présence de plusieurs témoins il pourrait encore s’agir de correc­
tions intentionnelles, identiques et cependant indépendantes, car la
procession de l’Ksprit-Saint a fait l’objet de nombreuses discussions
favorables à la falsification des textes anciens.
Ta recension B est caractérisée par la présence des additions concernant
l’origine de l’âme ; elle comporte deux ou trois variétés qui se distinguent
selon les différentes manières dont se termine l’ouvrage.
B1 : État original de la seconde recension (début du vie s.).
Finale : Comporte les chapitres 53 et 54.
Ms. : Nombreux.
Ed. : P.L., 42, 1213-1222 (Pseudo-Augustin).
B2 et B3 : Formes remaniées de la seconde recension (vie s. ?).
Finale : Manquent les chapitres 53 et 54, parfois remplacés par
un chapitre anti-pélagien.
Ms. : Nombreux.

14. A. Mundô, art. cit., p. 284-287. , :


15. Les recensions B et C du Liber dogm. fournissent, pour le chapitre premier,
un texte semblable à celui de A2.
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Ba présence ou l'absence des deux derniers chapitres, leur remaniement ou


leur remplacement ne permettent pas, semble-t-il, de déterminer avec
certitude les variétés de la recension B, car nous avons déjà remarqué
que le contenu de ces chapitres est à l’origine de leur instabilité : aussi
bien manquent-ils parfois dans des manuscrits de la recension A.
ha recension C est caractérisée par deux longues interpolations : 30 cha­
pitres extraits d’une ancienne collection canonique et 3 chapitres qui
proviennent de saint Augustin et de saint Grégoire, introduits respective­
ment entre les chapitres 20 et 21, 28 et 2g de la recension B1. Cette forme
de texte a été publiée, sous le nom d’Isidore de Séville16 et sous le nom
de Gennade17, mais elle n’est, jusqu’à présent, attestée par aucun manus­
crit. A. Mundô a cependant identifié un manuscrit (Vatican, Reg. lat.
194, XIe s.) contenant ces interpolations mais insérées dans un exemplaire
de la recension A2, si bien qu’il a laissé ce témoin en dehors de la classifi­
cation qu'il propose, alors qu’une influence d'un manuscrit de cette
sorte sur la recension C, qui apparaît dans certaines éditions du xvne
siècle, est beaucoup plus vraisemblable qu’une dépendance en sens in­
verse. Nous proposons donc de distinguer deux variétés dans la recension C.
C1 : État original d’une recension du Liber dogm., effectuée au IXe siècle,
comme nous le montrerons plus loin.
Caractéristiques : Be texte de base est celui de la recension A, dont on
a supprimé plusieurs chapitres traitant de la nature corporelle de
l'âme, de la grâce et de la liberté, de la nature angélique ; les inter­
polations forment deux groupes de 30 et de 3 chapitres.
Ms. : Vatican, Bibl. Apostolica, Reg. lat. 194, xie s. ; Troyes,
Bibl. Mun. 1979, début xie siècle.
C2 : Texte artificiel, constitué probablement par un éditeur du xvne
siècle, en introduisant dans une copie de B1 les interpolations de C1.
Une hypothèse de Mundô permet de préciser l’origine de C1. Be Liber
Ecclesiae Lugdunensis aduersus Ioannis Scoli Erigenae erroneas definitiones,
composé sans doute par Florus de Byon vers 855, fait mention de l’opus­
cule de Gennade en ces termes18 :
Invenitur in libello cuius titulus est Dogmatum Ecclesiasticorum, quaedam
talis definitio. Sed omnino, u t diximus sicut et alia normulla in eodem libello,
Pelagiani errons est. E t ideo quicmnque eum propter alia quaedam utilia legit,
cum huiusmodi ibi sensus inuenerit, meminerit sollicite Apostoli dicentis :
Omnia probate, quodbonumesttenete (I Th 5, 21).

16. P.L., 83, 1227-1244.


17. P.L., 58, 979-1000.
18. P.L., 119, 115 C, lig. 6-13. 1/ auteur fait allusion à Liber dogm., c. 20, qui
précisément est supprimé dans les deux manuscrits de la recension C1.
L E n D E F ID E » D E B A C H IA R IU S 79

L’auteur lyonnais, tout en marquant son estime pour le Liber dogm.,


fait quelques réserves à l’égard de certains passages teintés de péla­
gianisme. Or, dans C1, les interpolations sont nettement anti-pélagiennes
et les chapitres supprimés dans le texte original de Gennade se rapportent
à des questions largement débattues vers le milieu du ixe siècle. Sans
attribuer à Florus lui-même la recension C1 du Liber dogm., c’est dans
son entourage qu’elle semble avoir vu le jour.
En résumé, la recension A est celle de l’œuvre originale de Gennade,
composée vers 470 ; la recension B résulte d’une révision postérieure
à Gennade ; la recension C est un remaniement, probablement d’origine
lyonnaise, vers le milieu du ixe siècle. Les variétés que présente la tradition
manuscrite de chaque recension proviennent de corrections intentionnelles
et surtout de fautes accidentelles, sans constituer de nouvelles rédactions
de l’ouvrage de Gennade.

Les manuscrits du ‘ De fide ’ de Bachiarius


La tradition manuscrite19 du De fide de Bachiarius est pauvre, mais
dans trois cas sur quatre cet opuscule est transmis à la suite du Liber
dogm. de Gennade.
M = Milan, Biblioteca Ambrosiana 0.212. sup. Ce manuscrit de 18 folios,
en parchemin, a probablement été écrit à Bobbio vers la fin du vne ou
le début du vnie siècle.
ff. iv-8 : Gennade de Marseille, Liber dogm., recension A (A1 selon
Mundô), éditée par Turner.
ff. 8-14 : I n nomine item nostrae sanctae Trinitatis Bachiarii incipit
fid Es — Omne quod fuit, ipsum quod erit, et non est omne recens sub sole
... I !... cui gloria in saecula saeculorum finit amen Deo gratia.
B achiarius, De fide ; P.L., 20, 1019-1036 (ex hoc codice).

R = Barcelone, Archivo de la Corona de Aragon, Ripoll 151. Ce manuscrit


de 168 folios, en parchemin, a été écrit vers le milieu du XIe siècle à Ripoll.
ff. I47v-i53 : I ncipit libellus sancti bacciari presbiteri. D e eide —
Omne quod fuit, ipsud est quod erit, et non est omne recens sub sole ... / /...
cui cum Pâtre et Spiritu Sancto honor et gloria est in secula seculorum.
Amen.
Bachiarius, De fide ; éd. J. Madoz. in Revista espanola de Teologia, 1,
1941, p. 463-474-
V = Vatican, Biblioteca Apostolica, Reg. lat. 194. Ce manuscrit de
1 + 141 folios, en parchemin, appartient au xie siècle, « fortasse uero

19. Nous résumons l’exposé de A. Mundô, art. cit., p. 258-269.


8o J E A N -P A U L BOUHOT

dimidium alterum », selon Wilmart ; il provient de l’église Saint-Pierre-


aux-Monts de Châlons-sur-Marne20.
£f. i25-i38v : I ncipit definitio ecceësiasticorum dogmatum — I. Cre-
dimus ununi esse Deum ... / /... UXXVIIII Animani ad imaginexn Dei
creatam libéré confitemur : iinaginem in aeternitate, similitudinem in
moribus inueniri.
Gennade, Liber eccl. dogm. ; recension C1.
ff i38T-i40v : (Continuation de l’ouvrage précédent). UXXX. Car-
nis quoque nostrae resurrectionem fatemur integram .../ /... secundum
Apostolum qui »
B achiarius, De fide, seconde partie ; éd. A. Mai, Patrum noua, bibliotheca,
t. I, I, Romae, 1852, p. 532-534 ; cf. G. Morin, in Bulletin d'anc. litt. et
d’archéol. chrétiennes, 1914, p. 125, note 7.
T = Troyes, Bibliothèque Municipale 1979. Ce manuscrit, écrit au début du
xie siècle, provient de Saint-Bénigne de Dijon. Nous l’avons décrit dans
un précédent travail21, mais nous devons au Père G. Folliet l’identification
du texte de Bachiarius.
ff. I3V~30 : Definitio ecclesiasticorum dogmatum — Credhnus ununi esse
Deum ... Animam ad imaginem Dei creatam ... in moribus inueniri.
Pascha ... / /... eodem tamen mense natae.
GënnadE, Liber eccl. dogm. ; recension C1.
ff- 3 0 " 3 5 : I tem expositio fidei breuis et utieis — Credimus Deum
quod fuit et erat, est et erit, numquam aliud semper idem ... / /... excubent
suffragia orationum tuarum ad Ihesum Christum dominuin, cui cum
Pâtre et Spiritu Sancto honor et gloria in saecula saeculorum. Amen.
Bachiarius, De fide, sauf le début.

Des deux manuscrits T et V dépendent d’un même modèle et fournissent


un texte semblable des livres de Gennade et de Bachiarius, bien que
celui de V ait été abrégé.
Trois citations anciennes du traité de Bachiarius viennent compléter le
témoignage des manuscrits.
1. Un florilège, conservé dans le manuscrit de Munich, Clm. 52, écrit
entre 830 et 840 à Saint-Emmeran de Ratisbonne22, contient un fragment
20. On notera que W icmarT, Codices reginenses latini, t. I, 1937, P- 465. met
l’origine de ce manuscrit en rapport avec Eyon ou Cluny : « Propter singularem
scribendi rationem in oriental! simulque australi parte Galliarum opus confectum
esse libenter existimarem ; nam, nisi omnia me fallunt, Italica quaedam aura
hic uiget, quae ceterum in Cluniacensis ordinis domibus aut I/ugduni diu percipitur. »
21. J.-P. Bouhot, Extraits du « De Corpore et Sanguine Domini » de Pascase
Radbert sous le nom d’Augustin, in Recherches augustiniennes, 12, 1977, p. 1x9-173
voir p. 169-173. .............
22. Copie de manuscrit dans le Clm. 14253, ix° siècle.
L E «D E F I D E » D E B A C H IA R IU S 81

du De fide de Bachiarius, (correspondant à P.L., 20, 1035 A, lig. 7-14),


qui présente, selon Mundô, une remarquable affinité avec le texte du
manuscrit M.
2. L’Inuectio canonica in Amalarium officiographum, composée proba­
blement vers 835-838 par l’un des adversaires lyonnais d’Amalaire,
— peut-être Florus —-, cite sans indiquer le nom de l’auteur, un fragment
du De fide, (correspondant à P.L., 20, 1034 A, lig. 2 - B, lig. 13), dont
Mundé souligne la parenté avec le manuscrit V. Par conséquent, le De
fide était connu à Ayon au temps de Florus, sous la forme qu’il possède,
lorsqu’il suit la recension C1 du Liber de Gennade, dont l’origine lyonnaise,
comme nous l’avons indiqué, paraît probable.
3. Fa Confessiofidei {P.L., 101, 1027-1098), attribuée à Alcuin et restituée
à juste titre à Jean de Fécamp (f 22 février 1078), contient dans ses
troisième et quatrième parties de nombreuses citations anonymes, em­
pruntées au Liber dogm. (recension C1) de Gennade et au De fide de
Bachiarius, et identifiées pour la première fois par J. Madoz23. Mais, le
manuscrit T, qui provient de Saint-Bénigne de Dijon, où Jean fut moine
avant d’être abbé de Fécamp, semble être la source directement utilisée
par l’auteur de la Confessio fidei.
Histoire du texte du «.De fide»
Fn 1941, J. Madoz publia l’opuscule de Bachiarius d’après les deux
manuscrits R et V, jusqu'alors inconnus ou inutilisés, dont le texte présente
de telles différences avec celui du manuscrit M, que l’éditeur pensa être
en présence d’une seconde rédaction du De fide, postérieure à la mort de
saint Augustin (430). Deux points surtout attirèrent son attention :
comparé à M, le texte nouveau introduit la mention du Filioque et sup­
prime un passage contre le traducianisme. Dom M. Cappuyns24 se montra
très réservé vis-à-vis de cette hypothèse, en écrivant :
Oserons-nous avouer, cependant, que les cas de divergence mis en vedette par le
P. M. ainsi qu’une analyse rapide de son apparat critique sont loin de nous

23. J. Madoz, La nueva redaction del « Libellas de fide » de Baquiario utilizada


en la « Confessio fidei » del Ps. Alcuino, in Estudios eclesiâsticos, t. 17, 1943, p. 201-
211.
24. Bulletin de théologie antienne et médiévale, t. 5, p. 213, n° 620. — Le manuscrit
M possède en propre ce passage contre le traducianisme (P.L., 20,1031 A, lig. 8 - B,
lig. 4) : « Sed nec illi assertion! tradimus nianus, qua quidam superfluo delectantur,
ut credant animas ex transfusione generari, quia contradicit huic suspicion! beatus
Dauid dicendo : Scitote quoniam Dominas if se est Deus ; ipse fecit nos, et non ipsi
nos (Ps. 99, 3) ; et alibi : Qui finxit singillatim corda eorum (Ps. 32, 15). Ubi hic
transfusio inueniet locum, ubi aut singillatim corda finguntur, aut dicitur : ipse
fecit nos, et non ipsi nos ? Qui ergo ex transfusione dicunt animas generari, id asserere
dicuntur, quia ipsi nos faciamus. Sed hoc praescientia prophetalis obiurgat dicendo :
Ipse fecit nos, et non ipsi nos. » Ce texte développe l'affirmation créatianiste de
Bachiarius, comme les deux additions de la recension B du Liber dogm. amplifient
les affirmations de Gennade sur le même sujet.
82 J E A N -P A U L BO U H O T

convaincre ? X,a plupart des divergences s’expliquent fort bien par des erreurs de
copistes (omissions, interversions, introduction de gloses, et même l’inter­
calation du filioque dans un manuscrit du xie s.). Comme vraiment signi­
ficative, il n’y a que l’omission, dans les deux manuscrits Ripoll et Reginensis,
de l’article contre le traducianisme. Mais, alors que le P. M. regarde cette
omission comme le fait d’un remanieur, ami de saint Augustin, nous sommes
fortement tenté de croire que le texte de Bachiarius ne le contenait pas. Dans
ce cas le texte des deux nouveaux manuscrits serait l’authentique et l’autre,
celui de l’Ambrosianus, pourrait n’être qu’un témoin isolé, où un ennemi
de saint Augustin ou un défenseur quelconque de la nouvelle orthodoxie créa-
tianiste exprimerait son aversion pour le traducianisme.

A la suite de Macloz, A. Mundô a longuement comparé le texte du


De fide dans le manuscrit M d’une part et dans les manuscrits R et V
d’autre part, pour démontrer que l’existence des deux recensions ne
fait aucun doute et que l’ouvrage original de Bachiarius est transmis
par M. Mais qui est l’auteur de la seconde recension ? Guidé par la tradi­
tion manuscrite qui transmet le De fide à la suite du Liber dogm. Mundô a
voulu prouver que Gennade lui-même avait révisé vers 476 le traité
de Bachiarius. D’argumentation repose presque entièrement sur l’addition
Filioque dans le manuscrit R. D’une part, en effet, la recension A1 du
Liber de Gennade, comme le manuscrit M du De fide de Bachiarius ne
font mention que d’une seule procession de l’Esprit-Saint, tandis que la
recension A2 du Liber dogm. comme le manuscrit R du De fide, — le
texte manque dans V •—, affirment la double procession ; d’autre part, le
manuscrit M du De fide est précisément le témoin de la recension A1
du Liber dogm., et le manuscrit Vmontre qu’un texte du De fide semblable
à celui de R, était précédé d'une recension du Liber de Gennade — que
nous avons appelée C:L—-, dérivée de A2. Cette argumentation explique
pourquoi Mundô, le premier, a distingué les recensions A1 et A2 du
Liber dogm. et s’est refusé à classer le manuscrit V dans la recension C.
Selon Mundô, Gennade lui-même aurait transcrit à la suite de son
Liber dogm. le De fide de Bachiarius (cf. ms. M), puis aurait publié à nou­
veau les deux opuscules avec quelques corrections. Mais est-il vrai­
semblable que Gennade ait ajouté à son propre travail un écrit qui faisait
double emploi avec le sien et qui était dépourvu de toute autorité ?
Surtout, est-il possible que l’abondante tradition manuscrite du Liber
dogm. ait conservé si peu de traces d’une liaison entre deux ouvrages
qui aurait été établie à deux reprises par l’auteur lui-même ? La laborieuse
hypothèse de Mundô s’écroule, lorsque le manuscrit T permet de cons­
tater que l’addition Filioque est propre à R : nous transcrivons le texte
du De fide d’après le manuscrit T et nous notons les variantes des manus­
crits M et R, puisque V fait défaut.
DE Eide (texte de T) : Filius Patris ante saecula genitus ex Pâtre, non
potest alium genitum habere consortem, ut credatur unigenitus, et duo
3 geniti non dicantur. Pater enim unus ingenitus ; Filius unus est genitus ;
Spiritus Sanctus, a Pâtre procedens, Patri et Filio coaetemus, unus est
L E « D E F ID E » D E B A C H IA R IU S 83

Spiritus, quoniatn unum opus et unita in Patre et Pilio et Spiritu Sancto


6 uoluntatis operatio est. Pater ingenitus, Filius genitus, Spiritus Sanctus
a Patre procedens, Patri et Filio coaetemus, sed* ille nascitur, hie procedit,
sicut in euangelio beati Iohannis legitur : Spiritus qui a Patre procedit,
9 ipse uobis annuntiabit omnia (Jn. 15, 26).

I ex] a M 3 est orn It 4 Patre add Fiiioque It 4-7 unus est...


Filio coaetemus om R 4-5 unus est Spiritus om M 5 unita] una M

On sait que T est extrêmement proche de V, et que tous deux appar­


tiennent à la même tradition textuelle que R bien qu'ils confirment
parfois les leçons de M. Dans le passage que nous venons de citer, il
est évident que M et R ont un texte défectueux, dont T permet de combler
les lacunes : c’est donc à ce dernier qu’il faut faire confiance et admettre
que l’addition Filioque est une correction propre à R, qu’il n’est pas
étonnant de rencontrer dans un manuscrit du XIe siècle.
Des études de Madoz et de Mundô sont minutieuses, mais les résultats
ne sont pas convaincants, et même, semble-t-il, complètement erronés.
Dans les deux cas, l’analyse s’exerce sur des variantes à témoin unique :
comment croire, par exemple, que les manuscrits M et R aient chacun
conservé très exactement deux recensions anciennes d’un même texte ?
Da signification des variantes et leur datation sont déterminées en fonction
d’une évolution des doctrines dont on connaît la .ligne générale, mais
non les détails qui laissent place aux exceptions : ainsi Cappuyns a-t-il
pu retourner l’argumentation de Madoz au sujet du fragment anti-tradu-
cianiste dans le manuscrit M du De fide. logiquement, l’établissement
du texte doit précéder l’interprétation théologique des variantes. Dans le
cas du De fide, le problème est relativement simple ; les données sont les
suivantes :
1. De manuscrit M est un témoin isolé des textes de Gennade et de
Bachiarius.
2. Dans trois cas sur quatre le De fide est transmis à la suite du Liber
dogm,, ce qui indique que les manuscrits M, T et V ont un ancêtre
commun.
3. Da liaison entre le Liber dogm. et le De fide est relativement tardive,
sinon elle serait mieux représentée dans l’abondante tradition manus­
crite de l’opuscule de Gennade.
4. De modèle de T et de V est une forme dérivée du modèle de M, comme
la recension C1 du Liber dogm. est dérivée de la recension A.
5. De manuscrit R est indépendant de M, T, V.
6. Sauf M, T, V, les manuscrits du Liber dogm. (recensions A et B) ne
transmettent pas le De fide.
84 J E A N -P A U L BO VH O T

Un schéma simple présente ces données de façon visuelle.


Bachiarius
4 00 De fide

ha tradition manuscrite du De fide se divise en deux branches : l’une


est représentée par le manuscrit R, l’autre par les manuscrits M, T, V ;
la seconde branche se divise à son tour en deux rameaux, d’une part
M, d’autre part T. V. Des variantes qui opposent M à R, T, V sont des
corrections ou des fautes propres à ce manuscrit. Si l’on veut encore
parler de deux recensions du De fide, le texte original de Bachiarius
serait assez proche de celui qu’a publié Madoz, mais il faudrait corriger
les fautes propres à R, tandis que la seconde forme, conservée dans le
manuscrit M, proviendrait d’un copiste de Bobbio vers la fin du VIIe siècle.

Jean-Paul Bouhot

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