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CAHIERS DE LA VILLA « KÉRYLOS », N° 33

BEAULIEU-SUR-MER (ALPES-MARITIMES)

COLLOQUE

LA REDÉCOUVERTE
DU LEVANT

ACTES

Jacques Jouanna
et Nicolas Grimal éd.

PARIS
ACADÉMIE DES
INSCRIPTIONS ET BELLES-LETTRES
2023
Cahiers de la villa « Kérylos », no 33. La redécouverte du Levant, p. 1-22.

LEVANT OU TERRE SAINTE ?


LA RELATION COMPLIQUÉE
ENTRE ARCHÉOLOGIE ET BIBLE

La formation des textes qui, plus tard, deviendront des textes


« bibliques » est vivement discutée dans la recherche scientifique où
hypothèses et datations diverses se côtoient. Il existe, cependant, un
consensus sur le fait que la Bible n’est pas tombée du ciel et qu’il faut
situer la rédaction des différents textes de la Bible hébraïque dans des
contextes socio-historiques de la fin du IIe millénaire et de la totalité du
Ier millénaire av. l’ère chrétienne.
Traditionnellement, l’exégèse dite « historico-critique »1 a utilisé
une panoplie importante de méthodes et d’approches pour cerner au
mieux les différentes étapes de la formation des textes bibliques :
philologique (comparaison des différents manuscrits et versions),
diachronique (recherches d’indices logiques ou linguistiques indiquant
des révisions ou des ajouts), historique (mise en relation d’un
texte biblique avec des inscriptions, annales et autres documents),
comparatiste (mise en relation des textes bibliques avec des récits
mythiques du Levant, de la Mésopotamie, de l’Égypte et de la Grèce
antiques), etc.
Traditionnellement, cette approche historico-critique, surtout en
Europe, fut majoritairement textuelle et s’intéressait peu à l’archéologie
du Levant. « L’archéologie biblique » fut souvent soupçonnée d’être
au service d’une lecture naïve, voire fondamentaliste de la Bible. Et

1. Cette exégèse part du postulat que les textes bibliques ont été rédigés par des
scribes dans des contextes historiques spécifiques pour une audience de leur temps. Elle
s’oppose aux exégèses religieuses traditionnelles qui partent du postulat d’une révélation
divine ou d’une inspiration des Écritures qui seraient, par conséquent, transhistoriques
ou intemporelles. Pour l’origine de l’exégèse historico-critique, voir infra.
2 THOMAS RÖMER

l’on se moquait des archéologues ayant la truelle dans une main et la


Bible dans l’autre. Jusqu’à nos jours, un certain nombre d’ouvrages,
destinés au grand public, insistent sur l’historicité des récits bibliques
en convoquant l’archéologie. L’idée sous-jacente est que « la Bible
dit vrai » (Und die Bibel hat doch recht2). Et l’on fait souvent appel
à l’archéologie : « L’archéologie a prouvé que… » De leur côté, les
archéologues avaient du mal à comprendre des biblistes qui découpaient
les textes en petits morceaux et les dataient à des époques bien plus
tardives que celles des événements ou des personnages dont ils parlent.

Les origines de l’archéologie biblique


Commençons avec un peu d’histoire. Contrairement au judaïsme
qui s’est constitué comme une religion et une identité de diaspora,
le christianisme est devenu assez rapidement, après la conversion de
Constantin Ier, une religion légitimée par un empire. Selon une légende
forgée aux alentours de 350, Hélène, la mère de Constantin, aurait
découvert, lors d’un pèlerinage en Palestine en 326, la croix de Jésus
et celles des deux malfaiteurs crucifiés avec lui. Le calvaire, selon
cette légende, correspond alors à l’endroit où l’on avait fait détruire
un temple de Vénus. À la suite de cette « découverte », on y construit
la basilique du Saint-Sépulcre. La découverte de la croix servira alors
de légitimation à la récupération d’un lieu « païen », qui devient ainsi
témoin et preuve de la véracité du récit fondateur du christianisme.
On observe, ensuite, une certaine frénésie à identifier des lieux
mentionnés dans la Bible, dans l’Ancien et dans le Nouveau Testament,
et à y trouver des vestiges ou reliques afin d’enraciner la religion
chrétienne dans une matérialité. On se met alors à voyager en Terre
sainte et à identifier des lieux bibliques pour permettre des pèlerinages.
C’est de cette époque que date l’identification du mont Sinaï avec le
djebel Moussa au sud de la péninsule du Sinaï, bien que les auteurs
bibliques l’aient sans doute localisé ailleurs. Les premières indications
d’auteurs juifs (Flavius Josèphe, Démétrios le Chronographe), comme
d’ailleurs aussi l’apôtre Paul (Ga 4, 25) localisent le Sinaï (et le pays de

2. Il s’agit du titre de l’ouvrage du journaliste W. Keller, Und die Bibel hat doch
recht: Forscher beweisen die Wahrheit des Alten Testaments, Düsseldorf, 1955. Pour
la traduction française, La Bible arrachée aux sables, Paris, 2005.
LEVANT OU TERRE SAINTE ? RELATION ENTRE ARCHÉOLOGIE ET BIBLE 3

Madiân) à l’est du golfe d’Aqaba. Lorsque cette région n’appartient plus


à l’empire romain, le mont Sinaï est alors déplacé au djebel Moussa.
Cette tradition est attestée dès le ive siècle et, notamment, chez Égérie,
une religieuse, qui vers la fin du ive siècle entreprit quatre voyages
depuis Jérusalem qui la conduisirent jusqu’à la péninsule sinaïtique
mais aussi jusqu’à Harrân en Mésopotamie3.
Ces descriptions deviennent un guide de voyage pour des pèlerinages
fortement encouragés par l’Église catholique. Ainsi, ces pèlerinages et
le trafic des reliques furent utilisés pour prouver « l’histoire du salut »
chrétien.

La mise en place d’une archéologie biblique au xixe siècle


À partir du xixe siècle, les pèlerinages se transforment en
expéditions archéologiques. Un des derniers récits de pèlerinage et de
légitimation du christianisme est l’Itinéraire de Paris à Jérusalem de
Chateaubriand4, qui relate un voyage des années 1806 et 1807 entrepris,
selon lui, « la Bible et l’Évangile en main » pour donner un fondement
matériel à son livre le Génie du Christianisme5. Il revendique ainsi une
continuité depuis Abraham et décrit Jérusalem et le premier temple
disparu comme la preuve de la messianité de Jésus de Nazareth :
« Je restai les yeux fixés sur Jérusalem, mesurant la hauteur de ses
murs, recevant à la fois tous les souvenirs de l’histoire, depuis Abraham
jusqu’à Godefroy de Bouillon, pensant au monde entier changé par la
mission du Fils de l’Homme, et cherchant vainement ce temple dont il ne
reste pas pierre sur pierre. »
Un autre pèlerin, Louis Félicien de Saulcy, fait, en 1850, un voyage
en Palestine et découvre à Jérusalem un tombeau, situé à 800 m au
nord des murailles de la vieille ville qu’il identifie au tombeau des rois
de Juda6. Il y retourne quelques années plus tard avec une équipe pour

3. Égérie, Journal de voyage (Itinéraire) et Lettre sur la Bienheureuse, P. Maraval


trad. et éd., Paris, Sources chrétiennes, 296, 1982.
4. L’édition originale de 1811 a été rééditée : F.-R. de Chateaubriand, Itinéraire
de Paris à Jérusalem, Paris, 2006.
5. Le livre date de 1802. On le trouve en deux volumes réédités : F.-R. de
Chateaubriand, Génie du Christianisme, Paris, 2018.
6. Le récit des fouilles et son voyage est raconté dans son ouvrage : L. F. de
Saulcy, Voyage en Terre Sainte, Paris, 1865.
4 THOMAS RÖMER

entreprendre de vraies fouilles. Bien qu’il ait été très vite démontré
qu’il s’agissait d’une installation non-achevée du ier siècle de l’ère
chrétienne, les fouilles de de Saulcy avaient contribué à renforcer la
passion pour la découverte des monuments.
Un événement décisif pour l’histoire de l’archéologie dans le
Levant fut la découverte de la stèle du roi moabite Mésha7. La stèle
de Mésha est une stèle de basalte noir d’une hauteur de plus de 1 m,
découverte en 1868 à Dhiban, en Jordanie, par un missionnaire alsacien
du nom de Frederick A. Klein. Avant que la stèle ne soit cassée par des
Bédouins pour des raisons qui ne sont pas tout à fait claires, Charles
Simon Clermont-Ganneau avait pu commander un estampage, qui
servit de base à sa reconstitution. La stèle qui se trouve aujourd’hui au
musée du Louvre contient une inscription à la première personne du
roi moabite Mésha (ixe s. av. l’ère chrétienne). Le texte de trente-quatre
lignes, soit l’inscription la plus longue découverte jusqu’à présent pour
cette époque dans le Levant, se présente comme un remerciement du roi
adressé à son dieu tutélaire Kemosh. Elle relate les victoires de Mésha
au cours de sa révolte contre le royaume d’Israël après la mort du roi
Akhab. Après la reconstitution de la stèle de Mésha et la publication
de son inscription, de nombreux articles et thèses, notamment en
Allemagne, furent consacrés à la démonstration que cette stèle était
un faux. L’argument principal de cette thèse consistait dans le fait que
le récit de Mésha fait apparaître une théologie très proche de certains
textes bibliques, selon laquelle la défaite militaire d’Israël est le résultat
de la colère de Yhwh qui sanctionne le peuple, voire le roi, pour ne pas
avoir respecté ses commandements.
Ainsi, « l’histoire deutéronomiste8 » explique la destruction de
Jérusalem et l’exil babylonien comme le résultat de la colère de Yhwh.
De cette façon, on trouve en 2 Rois 24, 20 :

7. Sur l’histoire de la stèle, la traduction et les débats actuels, lire Nouvelles


Recherches autour de la Stèle de Mésha. Neue Forschungen zur Mescha-Stele,
H. Niehr et Th. Römer éd., Wiesbaden, 2021.
8. L’histoire deutéronomiste est une hypothèse postulée pour la première fois en
1943 par Martin Noth (Überlieferungsgeschichtliche Studien, Darmstadt, 1967, 3e éd.)
et reprise, souvent d’une manière modifiée, depuis. L’affinité stylistique et théologique
entre les textes allant du Deutéronome à 2 Rois (Dt, Jos, Jg, 1-2 S, 1-2 R) est expliquée
par une même entreprise rédactionnelle cherchant à établir une grande histoire d’Israël
selon la théologie d’un même milieu producteur.
LEVANT OU TERRE SAINTE ? RELATION ENTRE ARCHÉOLOGIE ET BIBLE 5

« C’est à cause de la colère de Yhwh (’p) que ceci arriva à Jérusalem


et à Juda, au point qu’il les rejeta loin de sa face. »
De même, Mésha explique dans sa stèle :
« Omri fut roi d’Israël et opprima Moab pendant de longs jours, car
Kemosh était irrité (t’np) contre son pays (l. 4 et 5). »
Ainsi, le fait que le roi israélite Omri ait remporté une victoire
militaire et annexé une partie du pays de Moab est expliqué comme
la conséquence de la colère de Kemosh. Il s’ensuit que la théologie
de la colère du dieu tutélaire n’est pas une invention des auteurs
bibliques, mais qu’elle est répandue dans le Levant, voire dans tout
le Proche-Orient ancien. Cette hypothèse est préférable à celle de
postuler un faux inspiré de la Bible qui aurait été le premier et seul
texte à exprimer une telle théologie.
On trouve également dans la stèle la première attestation claire du
tétragramme, du nom du dieu d’Israël, ce qui confirme la vénération
de Yhwh comme dieu tutélaire dans le royaume d’Israël sous la
dynastie des Omrides. Bien que l’authenticité de la stèle ne soit plus
mise en question, l’intérêt autour de cette stèle donna des idées à des
faussaires qui pensaient faire de l’argent avec des inscriptions dites
moabitica, comme d’ailleurs avec un manuscrit de la forme primitive
du Deutéronome, qui, les unes et l’autre, furent identifiés comme des
faux par Clermont-Ganneau9. L’intérêt pour des documents pouvant
être mis en rapport avec la Bible s’est malheureusement, jusqu’à
aujourd’hui, accompagné de l’apparition de nombreux faux, comme
l’inscription du roi Joas qui fut portée à la connaissance du public en
2003 par un collectionneur israélien. Cette inscription est composée
pour plus des trois quarts à partir de phrases tirées de textes bibliques
qui mentionnent les constructions de ce roi et contient de nombreux
anachronismes de sorte qu’elle fut déclarée comme étant un faux
par l’autorité des antiquités d’Israël10. Mais le débat sur certains de

9. Ch. Clermont-Ganneau, « The Shapira Collection », Palestine Exploration


Fund Quarterly Statement 5, 1874, p. 114-124 et 201-207.
10. E. Greenstein, « The So-Called Jehoash Inscription: A Post Mortem », The
Ancient Near East Today IV/2, 2016. URL : https://www.asor.org/anetoday/2016/02/the-
so-called-jehoash-inscription-a-post-mortem/. Curieusement, les analyses chimiques et
géologiques ont donné des résultats contradictoires suivant les équipes de recherche. Une
première publication en 2004 plaidait pour le faux et une autre en 2012 ne voyait aucune
6 THOMAS RÖMER

ces documents continue. Encore tout récemment, un bibliste du nom


d’Idan Dershowitz a essayé de défendre l’authenticité d’une forme
antérieure du Deutéronome, mise sur le marché par le marchand
d’antiquités Moïse Wilhelm Shapira qui avait également mis en vente
certains moabitica11.
Revenons au xixe siècle. L’intérêt européen pour l’archéologie se
reflète, entre autres, par la création, en 1864, du Palestine Exploration
Fund au Royaume-Uni et, en 1877, du Deutscher Palästina-Verein
en Allemagne, dont le but était la « recherche scientifique au sujet de
l’histoire et de la culture de la Palestine ». Il s’agit de « recherches qui
se concentrent tout particulièrement sur son passé biblique ». Quant
à la France, l’École biblique et archéologique française de Jérusalem
fut fondée en 1890 sous le nom d’École pratique d’Études bibliques
par Marie-Joseph Lagrange, membre de l’ordre des Prêcheurs. En
1920, elle prit son nom actuel, à la suite de sa reconnaissance comme
École archéologique française par l’Académie des Inscriptions et
Belles-Lettres.
Depuis sa création, l’École biblique mène, de front et de manière
complémentaire, des recherches archéologiques en Israël, en Palestine
et dans les pays voisins, et l’exégèse des textes bibliques. Dans le cadre
de la crise moderniste, le père Lagrange, suspecté de modernisme,
accepta de ne pas publier certains de ses travaux (très influencés par
Julius Wellhausen)12. En 1909 le pape crée l’Institut pontifical de Rome
et le confie aux jésuites dans le but de concurrencer l’École biblique
de Jérusalem.

anomalie suggérant un faux. Y. Goren, A. Ayalon, M. Bar-Matthews, B. Schilman,


« Authenticity Examination of the Jehoash Inscription », Tel Aviv 31/1, 2004, p. 3-16 ;
A. Rosenfeld, H. R. Feldman, Y. Kronfeld, E. K. Wolfgang, « The Jehoash Inscription
Tablet – After the Verdict », The Bible and Interpretation, 2012.
11. I. Dershowitz, « The Valediction of Moses: New Evidence on the Shapira
Deuteronomy Fragments », Zeitschrift für die alttestamentliche Wissenschaft 133/1,
2021, p. 1-22, et The Valediction of Moses. A proto-Biblical Book, Tübingen, 2021.
Pour une réfutation de l’authenticité cf. R. Hendel, « Notes on the Orthography of
the Shapira Manuscripts: The Forger’s Marks », Zeitschrift für die alttestamenntliche
Wissenschaft 133/2, 2021, p. 225-230, et M. Richelle, « The Shapira Strips in Light of
Paleography: Six Impossible Things Before Breakfast, » Semitica 63, 2021, p. 243-94.
12. À son sujet, on peut lire B. Montages, Marie-Joseph Lagrange. – Une
biographie critique, Paris, 2005.
LEVANT OU TERRE SAINTE ? RELATION ENTRE ARCHÉOLOGIE ET BIBLE 7

À la suite de la découverte des premiers Manuscrits de la mer


Morte, le Père Roland de Vaux, alors directeur de l’École biblique, est
désigné par le département des Antiquités jordaniennes pour fouiller le
site de Qumrân de 1951 à 1956.

La Bible et l’archéologie de l’Égypte et de la Mésopotamie


Le déchiffrement des hiéroglyphes par Champollion en 1822
permettait un accès aux nombreuses inscriptions égyptiennes. Puisque
selon la Bible, Israël s’était constitué après sa sortie d'Égypte sous
la conduite de Moïse, on cherchait des traces dans ces inscriptions.
Deux communications parues dans les Comptes rendus des Séances de
l’Académie des Inscriptions et Belles-Lettres, en 1869, « Les Hébreux
et Moïse sur les monuments égyptiens » par Emmanuel de Rougé13
et, en 1873, « Sur les circonstances de l’histoire d’Égypte qui ont pu
favoriser l’exode du peuple hébreu » par Gaston Maspero14 témoignent
de l’intérêt par l’égyptologie, discipline naissante, d’utiliser les
nouvelles connaissances pour reconstituer le contexte historique
biblique.
La naissance de l’assyriologie se situe à la même époque que celle
de l’égyptologie. La découverte des premiers textes mésopotamiens,
notamment un fragment de l’épopée de Gilgamesh qui contient une
version du déluge très proche du récit biblique dans le livre de la Genèse
crée, en Allemagne, un énorme débat : « der Babel-Bibel Streit » ( « La
dispute : Babylone ou la Bible »). La publication de ce texte et des
conférences15 données à Berlin par l’assyriologue Friedrich Delitzsch
en présence de l’empereur Guillaume II mettent en question le statut
inspiré du texte biblique. Selon Delitzsch, l’Ancien Testament et ses

13. E. de Rougé, « Les Hébreux et Moïse sur les monuments égyptiens », Comptes
rendus des Séances de l’Académie des Inscriptions et Belles-Lettres, 1869, p. 18-22.
14 G. Maspero, « Lettre à M. G. d’Eichthal sur les circonstances de l’histoire
d’Égypte qui ont pu favoriser l’exode du peuple hébreu », Comptes rendus des Séances
de l’Académie des Inscriptions et Belles-Lettres, 1873, p. 36-57.
15. Une première conférence eut lieu en 1902 et une deuxième en 1903. Trois
ouvrages sont publiés. F. Delitzsch, Babel und Bibel, Leipzig, 1902 ; Babel und Bibel.
Ein Rückblick und Ausblick, Stuttgart, 1904 ; Babel und Bibel.Dritter (Schluss-)
Vortrag, Stuttgart, 1905. Pour une présentation historique : R. G. Lehmann, Friedrich
Delitzsch und der Babel-Bibel-Streit, Göttingen 1994.
8 THOMAS RÖMER

concepts sont des copies de la religion babylonienne et sans intérêt


pour la foi chrétienne.
L’empereur (chef de l’église protestante allemande) affirme le
statut de l’Ancien Testament en tant que témoin de la révélation, mais
la question du lien des textes bibliques avec les grands textes des
civilisations voisines est posée.

L’exégèse dite « historico-critique »


À la même époque s’impose dans des facultés de théologie des
pays protestants l’analyse dite historico-critique des textes bibliques, et
la conscience d’une évolution religieuse longue et complexe. La figure
emblématique de cette position est Julius Wellhausen qui affirme (avec
bien d’autres) que l’Hexateuque (Genèse à Josué) se compose de différents
documents, indépendants à l’origine, puis fusionnés par des rédacteurs en
un seul document16. Cette hypothèse est connue sous le nom de « théorie
documentaire ». Dans le cadre de l’approche historico-critique, les récits
des Patriarches et de l’Exode ne sont pas des récits historiques, mais des
légendes, comme le dira notamment l’exégète Hermann Gunkel, à qui
l’on doit la « critique des formes » (Formgeschichte) s’intéressant au
Sitz im Leben des textes, c’est-à-dire à la fonction des textes dans leurs
contextes socio-historiques de production17.
Wellhausen insiste sur le fait que la Bible comme le Coran gardent
des vestiges des conceptions religieuses pré-monothéistes, « païennes ».
Wellhausen publie un livre sur les vestiges du paganisme arabe, et
considère de la même manière que le judaïsme se trouve au bout d’une
évolution. La religion israélite est sortie du paganisme seulement au
bout d’une longue évolution, dira-t-il18.

16. À l’origine, il s’agit de publications parues dans les Jahrbücher für deutsche
Theologie entre 1876 et 1878, puis regroupées en un seul livre. L’ouvrage a été réédité :
J. Wellhausen, Die Composition des Hexateuchs und der historischen Bücher des Alten
Testaments, Berlin, 1963.
17. Parmi ses œuvres influentes, on peut citer son commentaire de la Genèse
(Genesis, Götttingen, 1901), celui des Psaumes (Ausgewählte Psalmen, Götttingen,
1904) et un livre sur les légendes de l’Ancien Testament (Das Märchen im Alten
Testament, Tübingen, 1917).
18. « Die israelitische Religion hat sich aus dem Heidentum erst allmählich
emporgearbeitet. », tiré de J. Wellhausen, Israelitische und Jüdische Geschichte,
Berlin 1914, 7e éd. (éd. originale, 1894).
LEVANT OU TERRE SAINTE ? RELATION ENTRE ARCHÉOLOGIE ET BIBLE 9

Archéologie et sionisme
Jusque-là, le lien entre archéologie et « mémoire collective »
était exploité surtout par le christianisme. Cela allait changer avec la
naissance du sionisme qui revendiquait, comme le christianisme, une
continuité et une légitimation via l’archéologie.
Contrairement à l’exégèse historique-critique germanique,
l’archéologie sera au service d’une affirmation de l’historicité des
récits bibliques. La naissance du sionisme dans la deuxième moitié du
xixe siècle s’accompagne de l’idée d’une continuité du peuple juif en
Palestine depuis les temps bibliques. La Jewish Palestine Exploration
Society (aujourd’hui Israel Exploration Society) est fondée en 1913
avec le but d’intégrer l’archéologie dans le projet sioniste. De 1921
à 1928 ont lieu des fouilles de Tibériade et de la synagogue de Beth
Alpha qui se trouve proche de Beth-Shéan. Cette synagogue date
du ve ou vie siècle et contient, entre autres, une représentation de
l’Aqédah, de la ligature d’Isaac. Benjamin Mazar fouilla en 1932 le
site de Beth-Shéarim, découvrant un grand cimetière juif datant des
premiers siècles de l’ère chrétienne et contenant des tombeaux de
nombreux juifs de la Diaspora.
Après la création de l’État d’Israël en 1948, l’archéologie participe
à la création du récit fondateur du jeune État qui se dote, dès sa
fondation, d’un département national des Antiquités. L’archéologie
devient l’une des sources de la construction identitaire qui insiste sur
la continuité depuis la conquête jusqu’au temps présent. Contrairement
à l’approche critique des études bibliques qui marque alors la plupart
des universités germaniques et anglo-saxonnes, la Bible et, surtout, les
récits fondateurs de l’Hexateuque, (re)deviennent des textes historiques
permettant l’affirmation d’une continuité historique depuis les temps
des Patriarches.
Il existait d’ailleurs un lien fort entre l’armée et l’archéologie
israélienne Moshe Dayan, chef d’État-Major de Tsahal19, de 1955 à
1958, entreprend des fouilles clandestines, notamment à Hébron. Sa
collection personnelle, qui comportait un nombre important de faux,
fut vendue après sa mort, par sa femme, à l’État d’Israël, en 1986, pour
un million de dollars, vente très critiquée à l’époque.

19. Acronyme pour l’armée de défense d’Israël.


10 THOMAS RÖMER

Yigal Yadin, après une carrière militaire (il fut chef d’État-Major
adjoint lors de la guerre de 1948), entreprit des fouilles, notamment
à Qumrân, Megiddo et Guèzèr où il pensait avoir trouvé une porte
de ville de l’époque de Salomon. Les fouilles à Hatsor visaient à
confirmer l’historicité de la conquête relatée dans le livre de Josué,
dans la continuité de l’« archéologie biblique ». Selon Katell Berthelot,
David Ben Gourion aurait été le premier à rapprocher la conquête du
pays par Josué et la guerre d’indépendance de 194820. Les fouilles que
Yadin entreprit à Masada en 1963-1965, à la suite d’autres, renforcèrent
l’importance de ce site comme symbole de la résistance juive. Des
funérailles nationales furent célébrées pour des squelettes retrouvés
dans une grotte et à l’intérieur du palais hérodien, que Yadin identifia
aux derniers combattants juifs de Masada. La construction de parcs
nationaux à Masada, Megiddo, et bien d’autres endroits, fut d’abord
guidée par l’idée de matérialiser une continuité avec la terre depuis
le temps des Patriarches et de la conquête. L’intérêt et la passion pour
l’archéologie sont restés très vifs en Israël jusqu’à aujourd’hui, de sorte
que le journaliste Amos Elon l’a comparée à un « sport national »21.
Après la guerre des Six Jours (1967), des archéologues israéliens
ont pu travailler dans des territoires occupés, à la suite de la victoire
israélienne. Ainsi, fut fouillé le site de Kuntillet Ajrud dans la péninsule
du Sinaï, situé à une cinquantaine de kilomètres au sud de Kadesh-Barnéa,
non loin de l’ancienne route reliant Gaza à Eilat. En 1975-1976, des
fouilles de l’Université de Tel Aviv sous la direction de Ze’ev Meshel
y ont découvert des installations que l’on a voulu interpréter comme un
sanctuaire ou une école22. L’hypothèse la plus probable est qu’il s’agit
d’un caravansérail qui peut être daté du début du viiie siècle av. l’ère
chrétienne. On y découvrit des textes qui mentionnent un « Yhwh de

20. K. Berthelot, « L’Israël moderne et les guerres de l’Antiquité, de Josué à


Masada », Anabases 1, 2005, p. 119-137.
21. « It is almost a national sport. Not a passive spectator sport but the thrilling,
active pastime of many thousands of people, as perhaps fishing in the Canadian Lake
Country or hunting in the French Massif Central. » A. Elon, The Israelis: Founders
and Sons, Londres, 1983, éd. rév. (éd. originale, 1971).
22. La première brève présentation du site à la suite des fouilles se trouve dans
Z. Meshel, « Kuntillet Ajrud, 1975-1976 », Israel Exploration Journal 1, 1977,
p. 52-53. Le rapport final a été publié seulement en 2012 : Z. Meshel, L. Freud,
Kuntillet ʻAjrud (Ḥorvat Teman): an Iron Age II Religious Site on the Judah-Sinai
Border, Jérusalem, 2012.
LEVANT OU TERRE SAINTE ? RELATION ENTRE ARCHÉOLOGIE ET BIBLE 11

Samarie » et un « Yhwh de Téman », une région en Édom. Ces textes


rendent plausible le fait que Yhwh ait eu un temple à Samarie, la capitale
du royaume d’Israël, et que Yhwh ait été, apparemment, aussi vénéré
en Édom, voire qu’il y ait été également considéré comme une divinité
« nationale ». Des textes associant Yhwh à une Ashéra firent naître un
débat sur une parèdre de Yhwh, débat qui continue jusqu’à nos jours,
bien que ces textes soient, à mon avis, assez clairs.
PB 2 : 1-2. Amaryahu dit : 3. « Dis à mon Seigneur : 4. ‟Est-ce que tu
vas bien ? 5-8. Je te bénis (ou : je t’ai béni) par Yhwh de Téman et par son
Ashérah. Qu’il (c’est-à-dire Yhwh) (te) bénisse et te garde.” »
PA 1. Dit ʾ[….] (NP 1)… : « Dis à Yehalleʾ[lel ?] (NP 2), Yoasa (NP 3)
et ... (NP 4?) : Je vous bénis (ou : je vous ai bénis) 2. par Yhwh de Samarie
et par son Ashérah. »
PB 3 : …[Je le bénis (je l’ai béni)] par Yhwh de Téman et par son
Ashérah… Tout ce qu’il demandera à quelqu’un, qu’il (c’est-à-dire
Yhwh) l’accorde… et Yhwh lui donne selon son dessein…
Ces découvertes archéologiques se trouvaient en contradiction
avec la présentation biblique du dieu Yhwh.
Des fouilles menées de 1982 à 2004 par un archéologue israélien,
Ytzhak Magen, sur le mont Garizim, près de Naplouse, ont permis
de trouver les traces d’un temple samaritain, construit au ve siècle
av. l’ère chrétienne, c’est-à-dire contemporain du Second Temple
de Jérusalem23. Cette découverte contredit également la présentation
biblique des livres d’Esdras et de Néhémie et aussi les Antiquités juives
de Flavius Josèphe.
De telles découvertes qui se trouvent en tension, voire en
contradiction, avec les affirmations bibliques, furent à l’origine d’un
débat sur le rôle et la fonction d’une archéologie biblique.

La mise en question de la vision traditionnelle de l’archéologie


En 2001 parut le livre The Bible Unearthed d’Israël Finkelstein et
de Neil Asher Silberman24, traduit en français en 2002 sous le titre : La

23. Y. Magen, Mount Gerizim Excavations, II. A Temple City, Jérusalem, 2008.
24. I. Finkelstein, N. A. Silberman, The Bible Unearthed: Archaeology’s New Vision
of Ancient Isreal and the Origin of Sacred Texts, New York, 2001 ; traduction française :
La Bible dévoilée : Les nouvelles révélations de l’archéologie, Montrouge, 2002.
12 THOMAS RÖMER

Bible dévoilée. Ce livre, devenu un best-seller, offre une synthèse des


travaux et découvertes archéologiques entre les années 1970 et 2000,
qui marquent l’abandon par certains archéologues de l’archéologie
biblique dans sa forme traditionnelle et la mise en question de
l’historicité des textes fondateurs de la Bible, notamment des récits sur
les Patriarches, l’Exode, la conquête et les premiers rois Saül, David
et Salomon. Finkelstein avait, en effet, proposé, dans ses travaux
antérieurs, une « chronologie basse » quant à la stratification de certains
sites archéologiques, d’où il résultait que certaines constructions
grandioses à Megiddo ou Hatsor, attribuées au roi Salomon, seraient,
en fait, à dater du ixe siècle av. l’ère chrétienne, sous le règne d’Omri
ou l’un de ses successeurs. De même, la présentation biblique d’un
Israël envahissant le pays de l’extérieur, comme le présente le livre de
Josué, ne correspond pas aux données archéologiques. Il s’agit d’un
processus lent et diffus dans le cadre de bouleversements globaux
à la fin du Bronze récent. L’entité politique « Israël » naît dans les
montagnes à partir des populations autochtones qui voulaient échapper
au contrôle des cités-États de la plaine. L’opposition que l’on trouve
dans la Bible entre Israélites et Cananéens n’est donc nullement une
opposition ethnique, mais une construction idéologique au service
d’une idéologie ségrégationniste.
Israël Finkelstein et Neil Asher Silberman attribuent aussi la
première mise par écrit de nombreuses traditions bibliques à l’époque
du règne du roi Josias, dont les scribes et prêtres auraient produit une
première bibliothèque en y intégrant certaines traditions du royaume
du Nord, Israël, comme l’Exode et des récits sur Saül, arrivées en
Juda après la prise du royaume d’Israël par les Assyriens en 722 av.
l’ère chrétienne. Ce livre provoqua des réactions vives dans le public,
certains accusant Finkelstein et Silberman de « révisionnisme », mais
aussi chez les archéologues et les biblistes. Évidemment, il s’agit
d’hypothèses, l’archéologie n’étant pas une « science exacte », si une
telle science existe vraiment. L’archéologie est, comme l’histoire, une
reconstruction à partir des données matérielles que l’on peut souvent
expliquer de différentes manières. Ce livre est un témoin majeur de
l’aboutissement de l’émancipation de l’archéologie du Levant d’une
récupération théologique ou politique.
Il existe jusqu’aujourd’hui plusieurs postures dans la rencontre
entre l’archéologie des pays de la Bible et la recherche biblique, et le
LEVANT OU TERRE SAINTE ? RELATION ENTRE ARCHÉOLOGIE ET BIBLE 13

débat continue, comme le montre la discussion autour de l’historicité


de la figure du roi David et des vestiges archéologiques de son règne.
Ainsi lorsque l’on a découvert à Tel Dan, au nord d’Israël, aux
sources du Jourdain, en 1983 et 1984, des fragments d’une stèle de
victoire d’un roi araméen contenant la probable mention de la « maison
de David », certains en ont conclu que cette inscription prouverait
définitivement l’historicité du roi David. Or, si cette lecture est juste,
elle prouve seulement qu’au viiie siècle av. l’ère chrétienne le royaume
de Juda pouvait être appelé « maison de David », en référence à son
fondateur, tout comme Israël est appelé « maison d’Omri » dans des
textes assyriens. Mais toujours est-il que, si la traduction est correcte,
il s’agirait de la plus ancienne mention de David sur un document en
dehors de la Bible. David, comme Moïse, est sans doute une figure
historique, mais celle-ci ne correspond pas au portrait biblique. Le débat
sur David continue également autour des traces archéologiques du palais
de David. Alors que la regrettée Eilat Mazar pensait avoir trouvé des
restes du palais de David lors de ses fouilles dans la « cité de David »25,
d’autres archéologues, comme Finkelstein, Koch et Lipschits, datent les
strates en question entre les viiie et iie siècle av. l’ère chrétienne et pensent
que la cité de David ne peut être l’emplacement historique d’un possible
palais de David26.
À l’heure actuelle, l’exploitation touristique de la cité de David
repose le problème d’une utilisation politique du site en face du village
palestinien de Silwan. Se pose dès lors la question de savoir ce que
l’archéologie peut ou doit faire en regard des recherches bibliques.

L’apport d’une archéologie biblique autonome


La première chose que les découvertes archéologiques récentes, en
Israël notamment, peuvent faire est d’opérer un déplacement de notre
vision de l’histoire d’Israël et de Juda. La Bible reste, certes, une source
importante pour l’historien, mais elle offre une vision de l’histoire qui
est pour les époques de la monarchie et de la période dite post-exilique

25. Ce terme correspond à la zone au sud du mont du Temple qui est la partie de
la ville la plus anciennement habitée par rapport aux zones à l’ouest et au sud-ouest
du mont du Temple.
26. I. Finkelstein, I. Koch, O. Lipschits, « The Mound on the Mount: A Solution
to the ‟Problem with Jerusalem” », Journal of Hebrew Scriptures 11, 2011 (article 12).
14 THOMAS RÖMER

centrée sur la ville de Jérusalem. Or, certaines découvertes nous


obligent à mettre en question cette perspective.
Ainsi les fouilles à Ramat Rahel, à quelques kilomètres au sud de
Jérusalem, ont mis au jour un complexe administratif impressionnant
avec un jardin royal qui a probablement servi de siège à l’administration
perse et, sans doute, déjà à l’administration assyrienne, de sorte que l’on
peut penser que Ramat Rahel a remplacé Jérusalem comme le centre
économique et politique de Juda, alors qu’il n’est guère mentionné
dans la Bible (l’identification avec des sites mentionnés dans la Bible
est toujours sujette à débat (Beth-Hakerem, Netofah, MMŠT)27. On
comprend alors pourquoi les auteurs bibliques étaient discrets par
rapport à un site face à Jérusalem où se trouvait apparemment le
« vrai » pouvoir de la province de Yehud28 à l’époque perse.
Depuis 2012-2013, on a découvert lors de l’agrandissement de
l’autoroute Tel Aviv-Jérusalem un temple d’une taille impressionnante
à proximité de la ville moderne de Moza, à une dizaine de kilomètres
de Jérusalem qui correspond peut-être à celle mentionnée dans le livre
de Josué (Jos 18). Les fouilles sur ce site, qui continuent actuellement
sous la direction de Shua Kisilevitz et Oded Lipschits, ont montré que
ce sanctuaire était apparemment en activité entre le ixe et le vie siècle
av. l’ère chrétienne, et ceci à proximité immédiate de Jérusalem29. De
nombreuses figurines montrent, par ailleurs, que le culte qui y était
pratiqué n’était pas aniconique. L’importance de ce temple explique
également pourquoi il n’est pas mentionné par les auteurs bibliques.
L’archéologie peut également nous amener à revoir les contextes
historiques de certains récits bibliques. C’est, par exemple, le cas des
« veaux d’or » mentionnés dans le récit de 1 Rois 12. Selon le récit
biblique, le roi Jéroboam Ier, qui aurait fait scission avec la dynastie
davidique à la mort de Salomon, aurait fait construire deux sanctuaires,

27. En dehors des rapports de fouilles destinés à un public spécialisé, on trouve


une synthèse plus accessible des fouilles de Ramat Rahel dans O. Lipschits, Y. Gadot,
B. Arubas, M. Oeming, What Are the Stones Whispering? Ramat Rahel: 3000 Years of
Forgotten History, Winona Lake, 2017.
28. Cette appellation correspond au nom de la région autour de Jérusalem durant
l’époque perse. « Yehud » est une transcription de l’araméen ‫ יהוד‬alors que Juda
renvoie au terme hébraïque ‫יהודה‬, terme utilisé pour parler du royaume de Juda.
29. S. Kisilevitz, « The Iron IIA Judahite Temple at Tel Moza », Tel Aviv 42/2,
2015, p. 147-164.
LEVANT OU TERRE SAINTE ? RELATION ENTRE ARCHÉOLOGIE ET BIBLE 15

l’un à Dan, l’autre à Bethel, pour marquer les frontières septentrionale


et méridionale de son royaume :
« 28 Le roi Jéroboam eut l’idée de faire deux veaux d’or et dit au
peuple : “Vous êtes trop souvent montés à Jérusalem ; voici tes dieux,
Israël, qui t’ont fait monter du pays d’Égypte.” 29 Il plaça l’un à Béthel,
et l’autre, il l’installa à Dan, 30 c’est en cela que consista le péché. Le
peuple marcha en procession devant l’un des veaux jusqu’à Dan » (1 R
12, 28-30).
Cette affirmation pose un problème, car selon les investigations
archéologiques, la région de Dan a été sous contrôle araméen jusqu’à
la fin du ixe siècle av. l’ère chrétienne30 : le vrai fondateur de ces
sanctuaires aurait donc été le roi Jéroboam II (environ 781-742) sous
le règne duquel Israël connut son extension maximale. Le récit de
1 Rois 12 est donc une rétroprojection de l’époque de Jéroboam II
aux origines du Royaume du Nord dans le but de montrer que les rois
du Nord avaient péché dès les origines en établissant des sanctuaires
yahvistes en concurrence avec Jérusalem. Contrairement au sanctuaire
de Béthel, fréquemment mentionné dans la Bible, les textes bibliques
restent très discrets sur le sanctuaire de Dan. Sur le plan archéologique,
Dan fut apparemment agrandi à l’époque de Jéroboam II. Amos 8,14
indique l’existence de ce sanctuaire en parlant d’un « dieu de Dan »,
(ʾĕlōhê Dan) ; ce culte est encore attesté au iie siècle av. l’ère chrétienne
dans une inscription bilingue grecque et araméenne : « ΘΕΩΙ ΤΩΙ ΕΝ
ΔΑΝΟΙΣ » (« Au dieu qui est parmi les Danites »). Le texte de 1 Rois
12 refléterait alors une réalité non pas du xe, mais du viiie siècle av.
l’ère chrétienne, du temps de Jéroboam II. N’ayant pas de documents
historiques concernant la figure de Jéroboam Ier, il est possible que ce roi
soit une construction littéraire des auteurs bibliques, Jéroboam II serait
alors le seul « Jéroboam historique ». Ce roi est peut-être également
à mettre en lien avec les fouilles de Qiryath-Yéarim par lesquelles je
voudrais terminer cette réflexion sur Bible et archéologie.

30. E. Arie, « Reconsidering the Iron Age II Strata at Tel Dan: Archaeological and
Historical Implications », Tel Aviv 35, p. 6-64.
16 THOMAS RÖMER

L’exemple des fouilles de Qiryath-Yéarim


L’histoire de l’arche
Il ne fait aucun doute que le site de Qiryath-Yéarim est lié à la
tradition la plus ancienne sur l’arche de Yhwh que des rédacteurs
postérieurs ont transformée en « arche d’alliance ». Ce site est
mentionné en 1 Samuel 7, 1 comme lieu où l’arche fut gardée après
son retour du pays des Philistins :
« Les hommes de Qiryath-Yéarim vinrent et firent monter l’arche de
Yhwh. Ils l’apportèrent dans la maison d’Abinadab sur la colline et ils ont
consacré son fils Éléazar pour garder l’arche de Yhwh. »
L’histoire de l’arche se trouve dans les chapitres de 1 Samuel 4,
1-7, 1 et de 2 Samuel 6. Selon Leonhard Rost, cette histoire avait
été transmise d’une manière indépendante avant d’être insérée dans
l’histoire du prophète Samuel et de l’ascension de David31. Ce récit
raconte comment l’arche qui se trouvait d’abord dans le sanctuaire de
Silo a été capturée par les Philistins lors d’une guerre avec les Israélites.
Au pays des Philistins, l’arche provoque tellement de malheurs et
de plaies que les Philistins décident de la renvoyer. Curieusement,
l’arche ne retourne pas à Silo, mais d’abord à Beth-Shemesh où elle
n’est pas traitée d’une manière adéquate. C’est alors que les gens de
Qiryath-Yéarim viennent la chercher en consacrant un prêtre à son
service. Elle reste là-bas jusqu’à ce que David vienne la récupérer pour
l’apporter à Jérusalem.
Quant à l’ouverture de l’histoire, on constate de nombreuses
différences entre le texte massorétique et le texte grec, ce qui montre
qu’elle a été réécrite tardivement. La mention de Samuel n'apparaît
que dans le texte massorétique pour faire le lien avec l’histoire du
prophète, ce qui plaide pour un ajout secondaire. En outre, l’arche n’est
mentionnée en 1 S 1-3 qu’une seule fois en 2, 3 où il est dit que Samuel
dormait près de l’arche. C’est sans doute un rédacteur qui a inséré cette
remarque pour établir à nouveau un lien entre l’histoire de Samuel et
celle de l’arche. Peut-être voulait-il même suggérer que Dieu appelait
Samuel depuis l’arche. De toute façon, il est évident que la figure de
Samuel n’a pas été liée originellement à l’histoire de l’arche.

31. R. Leonhard, Die Überlieferung von der Thronnachfolge Davids, Stuttgart, 1926.
LEVANT OU TERRE SAINTE ? RELATION ENTRE ARCHÉOLOGIE ET BIBLE 17

La fonction originelle de l’arche est indiquée par la recherche de


cette dernière par les Israélites à Silo pour s’assurer de la présence de
Yhwh dans la guerre. La perte de l’arche, son installation dans le temple
de Dagon et sa restitution peuvent être comparées à la déportation de
statues divines par les Néo-Assyriens, comme l’a déjà suggéré Mathias
Delcor32. Une inscription de Sargon II, le « Prisme de Nimrud », rédigée
en 706 mentionne « les dieux en qui ils ont placé leur confiance » parmi
le butin tiré de la destruction de Samarie. Cette inscription peut être
comparée avec deux bas-reliefs néo-assyriens sur lesquels les soldats
de Sargon et de Sennachérib transportent parmi leurs prises de guerre
les statues des dieux. Après l’installation dans le temple de Dagon,
la statue de celui-ci tombe dans une position qui peut évoquer une
prosternation devant Yhwh voire l’arche. La deuxième fois, il ne reste
à Dagon que son tronc. Sa tête et ses mains étaient coupées, et roulées
vers le seuil ; cela évoque des représentations de soldats assyriens qui
cassent des statues de divinités des ennemis. Cette puissance de l’arche
provoque son transfert à Gath, puis à Ekron. L’auteur semble avoir des
connaissances assez précises quant à ces villes philistines qui sont les
voisines d’Israël et de Juda. Dans ces villes, l’arche se manifeste par
des plaies qui ne sont pas sans évoquer les plaies d’Égypte. D’ailleurs,
des rédacteurs postérieurs ont renforcé ce lien en faisant clairement
allusion à la tradition de l’Exode, comme p. ex. en 1 S 6, lorsque les
prêtres et devins philistins évoquent l’endurcissement du roi d’Égypte
face aux plaies :
« 1 S 6, 6. Et pourquoi rendriez-vous votre cœur lourd, comme
l’Égypte et Pharaon ont rendu lourd leur cœur. N’est-ce pas : Il (=Yhwh)
s’est joué d’eux, et ils les ont laissés partir, et ils s’en sont allés. »
Les Philistins, reconnaissant la puissance de l’arche, veulent s’en
débarrasser et la mettent sur un chariot neuf tiré par des vaches qui
allaitent et n’ont pas porté de joug, ce qui souligne le caractère rituel du
procédé. Les vaches amènent le chariot à Beth-Shemesh qui se trouve
en territoire judéen, non loin de la frontière avec le territoire philistin.
Ainsi, l’arche passe maintenant d’un sanctuaire du Nord (Silo) vers
une ville judéenne. C’était une ville apparemment disputée entre
les Philistins et les Judéens. Comme les gouverneurs des Philistins

32. M. Delcor, « Jahweh et Dagon (ou le Jahwisme face à la religion des Philistins,
d’après 1 Sam. V) », Vetus Testamentum 14/2, 1964, p. 136-154.
18 THOMAS RÖMER

n’entrent pas dans cette ville, cela démontre qu’ils acceptent que cette
ville n’est pas sous leur contrôle. Mais en même temps, le récit fait
de Beth-Shemesh un lieu inadapté pour accueillir l’arche. À nouveau,
le récit met en scène un fléau dû à l’arche, mais frappant cette fois-ci
une ville judéenne et entraînant un nouveau transfert. Selon le texte
massorétique, les hommes de Beth-Shemesh auraient regardé l’arche, ce
qui sous-entend probablement qu’ils ont ouvert l’arche pour regarder à
l’intérieur. Par conséquent, ils ont dû voir dans l’arche la représentation
de Yhwh, ce qui aurait provoqué sa colère. Le comportement de
certains habitants de Beth-Shemesh a donc disqualifié le lieu pour
accueillir l’arche de Yhwh, Yhwh qui est ici qualifié de « saint ». Cette
sainteté de Yhwh demande à être gérée par un « personnel » adéquat
et dans un lieu adéquat. Le verset 2 S 7, 1 conclut l’histoire primitive
en relatant la consécration d’Éléazar comme prêtre. Puisque Yhwh est
saint (qadoš), il faut sanctifier (qiddeš) quelqu’un comme prêtre. L’idée
est que la garde de l’arche échoit à une nouvelle famille sacerdotale à
Qiryath-Yéarim.

Les fouilles de Qirayth-Yéarim33


Qiryath-Yéarim correspond au site actuel de Deir el-‘Azar, qui
garde peut-être encore le nom du prêtre Éléazar qui selon 1 S 7, 1 fut
consacré pour être au service de l’arche de Yhwh. Ce site se trouve
à proximité immédiate du village d’Abu Gosh, dont le nom ancien
Qaryat al-‘Inab, conserve l’élément « Qiryat » (village). La théorie de
Rost, selon laquelle le récit du transfert de l’arche à Jérusalem en 2 S
6 était la fin originelle de l’histoire de l’arche, a été contestée par un
certain nombre d’exégètes. Il est, en effet, difficile de lire le récit du
transfert de l’arche comme étant la suite originelle du séjour de l’arche

33. Les analyses présentées dans ce passage sont tirées essentiellement de différents
articles publiés par le présent auteur, notamment Th. Römer, I. Finkelstein, « The
Historical and Archaeological Background behind the Old Israelite Ark Narrative »,
Biblica 101/2, 2020, p. 161-185 ; I. Finkelstein, Th. Römer, C. Nicolle, « Les fouilles
archéologiques à Qiriath Yéarim et le récit de l’arche d’alliance », Comptes rendus des
Séances de l’Académie des Inscriptions et Belles-Lettres, 2018, p. 983-1000 ; Th. Römer,
I. Finkelstein, « Kiriath-jearim, Kiriath-baal/Baalah, Gibeah: A Geographical-History
Challenge » in Writing, Rewriting and Overwriting in the Books of Deuteronomy and
the Former Prophets, Essays in Honour of Cynthia Edenburg, I. Koch, O. Sergi et
Th. Römer éd., Leuven, 2019, p. 211-222 ; Th. Römer, « L’arche de Yhwh : de la guerre
à l’alliance », Études théologiques et religieuses 94/1, 2019, p. 95-108.
LEVANT OU TERRE SAINTE ? RELATION ENTRE ARCHÉOLOGIE ET BIBLE 19

à Qiryath-Yéarim, puisque la figure de David n’est nullement introduite


en 1 S 4-6, chapitres qui ne font aucune allusion à Jérusalem comme
étant la destination finale de l’arche. On aurait d’ailleurs pu s’attendre
à une « préparation » du lecteur si l’histoire avait été d’emblée le hieros
logos de l’arche à Jérusalem. On peut donc émettre l’hypothèse que
la fin originelle de l’histoire se trouvait en 1 S 7, 1 et que ce récit a
été composé pour légitimer le site de Qiryath-Yéarim comme étant le
nouvel emplacement de l’arche après la destruction de Silo.
Ce site, aujourd’hui occupé par la basilique « Notre-Dame-de-
l’Arche-d’alliance », abrite également un couvent de sœurs de la
congrégation de « Saint-Joseph-de-l’apparition ». Ce sanctuaire est
la fondation de Marie-Jeanne Rumèbe (1850-1927) qui, après son
entrée au couvent, s’appelle sœur Joséphine et travaille en Terre sainte
dans des hospices. Cette église, construite sur les restes d’une église
byzantine du ive ou ve siècle, pourrait être bâtie sur les restes d’un
sanctuaire encore plus ancien et préchrétien, peut-être en lien avec
le séjour de l’arche à cet endroit. La superficie du site est estimée à
4-5 hectares, faisant de lui l’un des plus vastes sites de l’âge du Bronze
et de l’âge du Fer dans les hautes terres du Levant méridional. La plus
intéressante composante du site est sans doute sa topographie. Le
sommet de la colline est exceptionnellement plat et, vu de loin, semble
avoir été « surélevé ». Les massives terrasses qui entourent le sommet
de la colline semblent délimiter une plateforme surélevée, de forme
rectangulaire, édifiée au sommet de la colline. L’établissement d’une
telle plateforme monumentale dut requérir la construction de murs de
soutènement massifs et l’entreprise d’une opération de comblement de
grande ampleur.
Deux saisons de fouilles ont été menées conjointement en 2017
et 2019 par l’Université de Tel Aviv et le Collège de France, avec la
participation de la faculté de théologie et de sciences des religions de
l’Université de Lausanne et de la faculté de théologie de l’Université de
Genève34. Ces fouilles ont montré l’importance du site lors de l’âge de Fer

34. Pour les résultats préliminaires de ces deux fouilles, lire I. Finkelstein,
Th. Römer, C. Nicolle, Z. C. Dunseth, A. Kleiman, J. Mas, N. Porat, « Excavations
at Kiriath-Jearim Near Jerusalem, 2017: Preliminary Report », Semitica 60, 2018,
p. 31-83 ; I. Finkelstein, Th. Römer, C. Nicolle, Z. C. Dunseth, A. Kleiman, J. Mas,
N. Porat, N. Walzer, « Excavations at Kiriath-jearim 2019: Preliminary Report », Tel
Aviv 48, 2021, p. 41-71.
20 THOMAS RÖMER

(abondants restes de poterie). Elles ont permis la découverte d’un mur


massif d’une largeur d’environ 3 m et qui, sur le terre-plein supérieur, est
construit directement sur la roche-mère. Les fouilles ont donc pu confirmer
l’hypothèse d’une intervention humaine dans la forme du sommet.
Il n’est pas facile de dater la construction de ces murs et, par conséquent,
de la plateforme. Une datation archéologique fondée sur des
assemblages céramiques n’est pas possible. Les murs de soutènement
ont été rénovés deux fois – à la période hellénistique tardive et au
début de la période romaine – et, de fait, les couches situées sur la face
interne des murs ont produit une poterie mélangée. Devant la difficulté
à dater ces murs sur des critères stratigraphiques et céramiques et en
l’absence d’échantillons propres à la datation par radiocarbone, nous
avons opté pour la datation par Luminescence Stimulée Optiquement
(OSL en anglais). Cette méthode mesure le temps écoulé depuis le
moment où les grains de quartz contenus dans les sédiments ont cessé
d’être exposés au rayonnement du soleil. Selon les résultats obtenus,
la date de construction des murs de soutènement pour l’édification de
la plateforme est probablement le début du Fer IIB, dans la première
moitié du viiie siècle av. l’ère chrétienne. Pour ce qui est de l’identité
du constructeur, on remarque qu’aucune plateforme surélevée de ce
type n’est connue ailleurs en Juda, mais que des exemples se trouvent
dans le Royaume du Nord et dans des constructions néo-assyriennes.
Il reste alors deux possibilités historiques : une entreprise assyrienne
ou une construction israélite. Si on opte pour l’hypothèse assyrienne,
cela n’a pu être le cas qu’après la campagne de Sennachérib en 701 av.
l’ère chrétienne. Toutefois, les dates des échantillons OSL ainsi que
la poterie sont un peu trop anciennes pour soutenir cette hypothèse.
Il faut donc favoriser l’hypothèse d’une construction israélite de la
plateforme surélevée de Qiryath-Yéarim. Le meilleur candidat pour
cette construction est alors le roi Jéroboam, appelé par les historiens
Jéroboam II. Il a pu faire aménager la colline sur la frontière entre Israël
et Juda pour permettre la construction d’un complexe administratif
du Nord dans l’intention de contrôler le royaume vassal du Sud et sa
capitale Jérusalem. Ce centre administratif a pu accueillir un temple –
celui dont il est question dans le récit de l’arche d’alliance.
Comme nous retenons l’hypothèse selon laquelle la première
histoire de l’arche (1 S 4, 1-7, 1) a été composée pour légitimer le
site de Qiryath-Yéarim comme étant le nouvel emplacement de l’arche
après la destruction de Silo, se pose alors la question de savoir qui a
LEVANT OU TERRE SAINTE ? RELATION ENTRE ARCHÉOLOGIE ET BIBLE 21

écrit le transfert de l’arche à Jérusalem par David (2 S 6). La réponse


à cette question est liée au moment où l’arche est vraiment arrivée au
temple de Jérusalem. L’hypothèse la plus probable, selon nous, est que
l’arche n’est entrée dans le temple de Jérusalem que durant l’époque
du roi Josias (environ 640-609 av. l’ère chrétienne) ; cela voudrait
dire que ce sont les scribes de Josias qui ont composé l’histoire de
2 S 6 et, aussi, celle de l’emplacement de l’arche dans le Temple en
1 Rois 6-8. Si Josias, dans le cadre de sa réforme (cf. 2 R 23), a fait
venir l’arche à Jérusalem, cela explique aussi que les livres des Rois ne
racontent rien sur l’arche (à part l’affirmation que Salomon l’a placée
dans le Temple) parce que celle-ci n’y est arrivée que 50 ans avant la
destruction du Temple. Il semble que Josias ait pu annexer Benjamin35,
et, par la suite, dans le cadre de sa politique de centralisation, rapatrier
un symbole yahwiste important à Jérusalem, sans cependant détruire le
site de Qiryath-Yéarim. Les fouilles ont, en effet, permis de découvrir,
un quartier d’une ville en dehors des murs qui a, sans doute, fonctionné
encore aux viie et vie siècles av. l’ère chrétienne (cf. Jr 26, 20 : « Il y eut
un autre homme qui prophétisait au nom de Yhwh : Ouriyahou, fils de
Shemayahou de Qiryath-Yéarim. Il proféra contre cette ville et contre
ce pays des oracles semblables à ceux de Jérémie »).
Pour conclure, nous voyons que les fouilles de Qiryath-Yéarim,
mises en rapport avec des enquêtes exégétiques, permettent une
nouvelle interprétation de l’histoire de l’arche et de l’histoire des
royaumes d’Israël et de Juda. Comme d’autres sites dont nous avons
parlé, Qiryath-Yéarim a été quelque peu occulté par les auteurs
bibliques à cause de leurs options théologiques.

Synthèse
Pour résumer cette enquête sur les relations entre recherches
bibliques et enquêtes archéologiques, on peut dire que la relation entre
archéologie et sciences bibliques a souvent été compliquée. Pendant
longtemps, il y eut un « divorce » entre l’archéologie « biblique » et
les recherches littéraires, « historico-critiques », débat marqué par
une méfiance et une certaine ignorance mutuelle. Il est cependant

35. Un territoire au nord de Juda.


22 THOMAS RÖMER

nécessaire, surtout dans le contexte actuel, de combiner les études


scientifiques de la Bible et les recherches archéologiques scientifiques.
Il faut néanmoins aussi garder une certaine indépendance des
études bibliques et des fouilles archéologiques. Nadav Na’aman a
publié en 2010 un article avec le titre provocateur « Does Archaeology
Really Deserve the Status of a “High Court” in Biblical Historical
Research ? »36 La réponse à cette question est évidemment non ;
mais on pourrait aussi retourner la question rhétorique : les sciences
bibliques n’ont pas à dicter aux archéologues leur interprétation des
données matérielles.
Toutefois, les archéologues fouillant en « Terre Sainte » devraient
être au courant des théories historiques des sciences bibliques
et vice-versa. D’ailleurs, les deux disciplines ont des méthodes
similaires : les résultats des analyses stratigraphiques ou diachroniques
doivent être placés dans une reconstruction historique, même si celle-ci
restera toujours hypothétique et à parfaire, voire à modifier au vu de
découvertes nouvelles.

Thomas Römer

36. « Est-ce que l’archéologie devrait avoir le statut d’une “cour suprême” dans
les recherches bibliques ? » ; N. Na’aman, « Does Archaeology Really Deserve the
Status of a “High Court” in Biblical Historical Research ? », in Between Evidence
and Ideology: Essays on the History of Ancient Israel read at the Joint Meeting of the
Society for Old Testament Study and the Oud Testamentisch Werkgezelschap Lincoln,
July 2009, B. Becking et L. Grabbe éd., Leiden, 2011, p. 165-183.

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