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L'ENVIRONNEMENT CULTUEL DU DÉFUNT

DURANT LA PÉRIODE PALÉOCHRÉTIENNE

L'environnement cultuel du défunt, abstraction faite d'une


ritualisation progressive, est demeuré d'une remarquable stabi-
lité dans ses linéaments essentiels, à travers les siècles - à une
exception près: le banquet funéraire, lequel sortit d'usage à la
fin de l'époque paléochrétienne pour ne plus se survivre que dans
les convivia célébrés les jours anniversaires des martyrs et des
saints.
L'enquête se limitera à la période paléochrétienne, par con-
séquent à l'époque antérieure à l'apparition du plus ancien Ordo
detunetorum qui nous soit connu '. Les deux césures que nous
proposons et qui délimitent chronologiquement notre sujet, tout
en étant de nature différente, ne paraissent pas contestables.
Le terminus ante quem non nous est imposé ici par l'état
de notre documentation, et doit se situer vers les années 200/250.
Avant cette date, en effet, nous n'avons gardé la trace d'aucune
sépulture chrétienne, tombes apostoliques et tombes des martyrs
non exceptées, ni d'aucune catacombe, privée ou communautaire 2.

1 ORDO XLIX: Ordo qualiter agatur in obsequium de/unetarum (rédaction


primitive 700/750) (ANDRIEU, Drdines, IV, p. 529/530, d'après le Vat. Otto-
bon. 312). - Un autre OYdo defunctol'um, de peu antérieur à l'Ordo XLIX
d'Andrieu, a été découvert par D. SICARD dans un exemplaire du (1 Gélasien
du VIlle s.~, le Beral. PhilliPs 1667, f. 173 v-174, sous le titre Incipit de mi-
gratione animae. Voir A. CHAVASSE, Le Sacramentaire Gélasien (Vat. Reg. 316),
Paris, 1958, p. 57-71 (sur la patrie d'origine de l'Ordo de/unetorum); H. FRANK,
Der iilteste erhaltene Ordo defunctorum der romischen Liturgie und sein Fortle-
ben in Totenagenden des frühen Mitttlallers, dans Archiv fUr Liturgiewissen-
scha/t, VII, 2, 360-379 (archétype du VlefVIIe s.). D. SICARD, Le Viatique:
perspectives nouvelles?, dans La Maison-Dieu 113 (1973) 105.
2 P. STYGER, Die romischen Katakomben, Berlin, 1933; Die ramischen
J.\1iirtyrergrüfte, Berlin, 1935; A.M. SCHNEIDER, Die allesten Denkmiiler der
rOmisehen Kirche, dans Festsehrift d. Akademie d. Wissenschaften i. Gottingen.
II. Phil.-Hist. Klasse, 1951, p. 166-198; P. TESTINI, Le eatacombe e gli an-
tiehi eimiteri in Roma (Roma cristiana II), Balogna, 1966. - Sur les tombes
apostoliques, comme preuve de ce qui a été avancé dans le texte, voir parmi
une bibliographie immense, Th. KLAUSER, Die riimische Petrustmdition im
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Aucun indice non plus d'une activité liturgique quelconque re-


lative au défunt, aucune inscription funéraire. aucune peinture
cimétériale, aucun sarcophage chrétien 3. Hippolyte de Rome, qui
parle des lieux de sépulture, ne fait nulle allusion à un rite litur-
gique s'y rapportant 4. Tertullien à qui nous devons l'essentiel
de nos connaissances sur l'Au-delà paléochrétien, ne rapporte
nulle part des usages funéraires spécifiquement chrétiens; il se
contente de mettre en garde les chrétiens contre les coutumes
païennes et de leur recommander les prières et la célébration
eucharistique fi. Aristide (v. 138/147), un demi siècle avant Tertul-

Lichte der neuen Ausgrabungen unler der Peterskirche. K6lnjOpiadeu, 1956;


D.WM. O'CONNOR, Peter in Rome. The Liteyary, Liturgical and Archeological
Evidence, New-York-London. 1969; J. TOYNBEE et J.W. PERKINS, The Shrine
Dt St. Peter and the Vatican Excavations, London-New-York-Toronto, 1956.
- Il ne semble pas que les tombes chrétiennes antérieures à. 200 environ soient
à chercher dans d'éventuels cimetières souterrains qui seraient situés en-deçà
des murs d'Aurélien. Les chrétiens. dont les communautés, avant le lUe siècle,
étaient numériquement de peu d'importance, se faisaient inhumer comme les
contemporains païens suivant les dispositions de la législation romaine, très
libérale en droit funéraire, sans signe de distinction extérieur quelconque.
S Le passage souvent cité du Martyrium Po/ycarpi (156), XVIII, 3:

(t Nos collegimus ut aurum gemmamque pretiosam et seputturae ossa mandavi-

mus. Conventus itaque a/acriter tactus, ut praecepit Dominus, ad diem nata-


lemque martyrii)) comme témoignage d'un culte des martyrs, dès le milieu
du ne s., -n'est pas ad rem. Il est pratiquement certain que le texte a été inter-
polé ou remanié; cf. H. V. CAMPENHAUSEN, Bearbeitungen und Int3rpolatio-
nen des Polycarpsmartyriums (Sitz.-Ber. Heidelberg. Phil.-Hist. Kl., 1957,
fasc. 3), 1957, p. 29-33. Le te'rminus a quo proposé par H. Delehaye (pas de
culte des martyrs avant 250 environ) doit être maintenu; H. DELEHAYE,
Origines du culte des martyrs, 2e éd.! 1933, p. 263; cf. TH. KLAUSER, Christli-
cker Martyrerkult, heidnischer Heroenkult, und spiitjüdische Heiligenvet'ehrung
(Arbeitsgem. f. Forschung. d. Landes Nordrhein-Westfalen. Creisteswiss. 91)
1960, p. 30.
41 Tradition Apostolique 40 (BOTTE, p. 87) passage conservé seulement

en version sahidique: « On n'imposera pas une lourde charge pour enterrer


dans les cimetières, car c'est la chose de tous les pauvres. Cependant on paiera
le salaire de l'ouvrier à celui qui a fait la fosse et le prix des briques. Quant
à ceux qui se trouvent en cet endroit et en ont le soin, l'évêque les nourrira
au moyen de ce qui est donné à l'Eglise, afin que ceux qui viennent en ces
lieux n'aient pas une,lourde charge)). - Dans la mesure où ce texte suggère
l'existence de cimetières gérés par les communautés chrétiennes, il est lar-
gement postérieur à l'aube du Ille s. Rappelons que pour ce passage, le texte
latin (Fragments de HAULER), le plus ancien conservé, nous fait défaut.
Il Vers 197/220, Tertullien (De res. carnis l et de Testimonio animae IV),

à en juger par la manière dont il parle du repas funéraire chez les païens, semble
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lien et Hippolyte, semble même ignorer une intercession quelconque


pour les trépassés '.
La deuxième césure, constituant le terminHs post qu,em nOn
est fournie par l'oeuvre de Grégoire l (t604). A cette époque,
en effet, la vision sur l'Au-delà, commune à toute notre période
et qni doit nécessairement sous-tendre toute l'interprétation des
rites funéraires, cède la place à une représentation toute diffé-
rente '. Selon l'eschatologie antérieure au début du VIle siècle,
on le sait, {( l'âme 1) du défunt, ou mieux son (' double », son effigie,
après la mort, séjourne dans un lieu d'attente, à l'état d'ombre,
dans l'exspectative du jugement unique et final devant intervenir
à la fin des temps. Le relrigeri·um interim, dans le sens général
d'état intermédiaire et provisoire, se décompose en deux loca:
le refrigerium au sens strict, lieu de relative libération et de re-
pos, le torment'lun, d'autre part, où se retrouvent dans un dé-
nuement complet les plus malheureux et les pécheurs. Ni le tor-
mentum ni le refrigerium ne sont des endroits de séjour définitifs;

ne pas connaître, en Afrique, l'existence de repas funéraires chrétiens. Il re-


commande les prières et probablement l'Eucharistie pour les défunts; TER-
TULLIEN, De corona 3: (( Oblationes pro defunctis, pro nataliciis annua die
facimus~; De monogamia 10: t: Enimvero et pro anima eius orat et refrige-
rium interim adpostulat ei et in prima resurrectione consortium et offert an-
nuis diebus dormitionis eius~. - Sur ces textes de Tertullien, voir note 54.
- Sur l'ensemble des problèmes soulevés ici, voir F. WIELAND, Mensa und
Conjessio (Veroffentlichungen aus dem Kirchenhist. Seminar München II, 11).
München, 1906 (avec ré_:;erves sur la chronologie et l'exégèse de certains textes).
6 ARISTIDE (v. 138/147). Apologie XV, (GOODSPEED 21; GEFFCKEN 2):
(1 Et si un juste de leur communauté vient à. m Jtlrir, ils se réjouissent et ren-

de~lt grâces ;\ Dieu; ils suivent en cortège son cadavre comme celui d'un vo-
yageur qui se rend d'un endroit à un autre. Si un enfant naît, ils louent Dieu
et s'il meurt en bas-âge, ils louent Dieu encore davantage parce qu'il a passé
sans péché dans ce monde. Et si un des leurs trépasse dans l'impiété et les
péchés, ils pleurent sur lui et gémissent comme sur quelqu'un qui recevra sa
punition l). - Cf. aussi CLÉMENT D'ALEXANDRIE, Strom. VII, 12 (PG. 9,508 B).
? Pour qui ne serait pas sensible à cette mutation dans les représenta-

tions eschatologiques, il est une autre césure, d'ordre littéraire, en faveur


du terminus post quem non proposée. En effet, les travaux de M. ANDRIEU,
A. CHAVASSE, D. SICARD et H. FRANK, indiqués à la note 1, situent les plus
anciens ordines delunctoy·um, paléographiquement accessibles, vers 700/750.
Les modèles qui ont servi aux rédacteurs, que nous ne possédons plus et qui
semblent venir du Sud de la Gaule, ne peuvent être antérieurs, en toute hy-
pothèse, aux années jouxtant le début du VIle siècle (cf. FRANK, op. cil.,
p. 379).
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au jugement à la fin des temps, et là seulement, il sera statué


sur le sort des uns et des autres. Le chrétien mort dans les tour-
ments, en raison même de la notion du martyr, possédé du Christ
(TERTULLIEN, De pud. XXII, 6: Christus in martyre est) échappe
au refrigerium pour rejoindre immédiatement, après la passion,
la béatitude éternelle '.
Entre les deux termes ainsi définis, l'enquête tendra à re-
cueillir l'ensemble des gestes, des actes et des attitudes dont
1es chrétiens entourent leurs défunts. De cet environnement
« cultuel» bien des éléments sont connus de tous, qu'il suffira
de rappeler ici, pour reporter ensuite l'attention sur le rythme
des commémoraisons après la mort et sur les rapports entre le
refrigerium-banquet funéraire et l'Eucharistie célébrée près de
la tombe.

A. Composantes générales du culte funéraire (funus).


Pas d'usages funéraires chrétiens ou de culte des morts (ou
de culte de martyrs) sans connexion immédiate avec une tombe,
localisée topographiquement; pas d'usages funéraires non plus

B Sur les représentations de l'Au-delà à la période paléochrétienne, voir

surtout A. STUIBER, Refrigerium interim. Die Vorstellungen vom Zwischen-


zustand (TheoPhaneia 11), Bonn, 1957 (ouvrage fondamental, avec biblio-
graphie antérieure pratiquement exhaustive); A.M. SCHNEIDER, Refrigerium.
J. Nach literarischen Quellen und Inschriften, Freiburg/Br., 1928; H. FINE,
Die Terminologie der jenseitsvorstellungen (Theophaneia 12), Bonn, 1958;
J. N TEDIKA, L'évocation de l'A u-delà dans la prière POUy les morts (Recher-
ches africaines de théologie 2), Paris-Louvain, 1971. - Sur la situation dif-
férente du défunt ordinaire et du martyr dans l'Au-delà, voir, entre autres
textes cités dans le dossier établi par A. Stuiber, TERTULLIEN, De anima 55:
(l Agnosce itaque differentiam ethnici et fidelis in morte, si pro deo occum-

bas, ut paracletus mouet, non in mollibus febribus et in 1ectulis, sed in mar-


tyriis, si crucem tuam tollis et sequaris Dominum, ut ipse praecepit. Tota
paradisi clavis tuus sanguis est ... Et quomodo Iohanni in spiritu paradisi regio
revelata quae subicitur altari, nullas animas apud se praeter martyrum osten-
dit? ». Textes parallèles, TERTULLIEN, Scorp. X, 12; De resurrectione mortuo-
rum 43. - Sur les représentations gnostiques de l'Au-delà radicalement diffé-
rentes, à la période paléochrétienne, de celles de l'Eglise officielle (mais non
sans affinités avec les représentations dominant après la fin de la période an-
tique), voir A. STUIBER, op cit., p. 88-89 (Die gnostischen Ansichten über den
Zustand nach dem Tode). - Sur les rapports entre l'Hadès chrétien et l'Hadès
païen, voir F. CUMONT, Lux perpetua, Paris, 1949 (avec les précieuses Notes
complémentaires ajoutées par L. CANET, p. 387-461).
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sans rapport immédiat avec un défunt ou des défunts bien indi-


vidualisés - sauf l'exception, semble-t-il, que constitue la célé-
bration pétrinienne du 22 février (le Natale Petri de cathedra,
en rapport avec la Cara cognatio) 9. D'une certaine manière, en
effet, l'âme du défunt habitait, au moins pendant un certain
laps de temps, près de la tombe ou rôdait dans les environs im-
médiats 10.
Tout nous invite à penser que les chrétiens, comme leurs
contemporains païens, ont mis un soin extrême à entourer le
défunt de rites multiples et précis, Surtout, à titre personnel,
s'ils en avaient les moyens, ou par l'intermédiaire des collèges
funératices, ils s'assuraient un emplacement pour leur tombe
(mausolée, cubiculum, arcosol, loculus, forma), ou du moins une
place dans les sepulcra familiaria ou haereditaria et, si possible,
dans leur patrie, près des amis et familiers pouvant assurer les
soins requis par leur existence outre-tombe, en accord avec une
législation civile très précise sur ce point, mais très libérale aussi
pour tous ", L'idée de rester insepuitus était tout aussi insuppor-
table aux chrétiens qu'aux païens et la phrase d'Augustin, selon
laquelle l'inhumation (ou non) était sans importance pour une
survie apaisée dans l'Au-delà provisoire, semble bien ne pas cor-
respondre à la sensibilité générale de son époque 12,
Ces usages trouvent leur origine immédiate dans les rites
d'inhumation gréco-romains et juifs, tels qu'ils se pratiquaient

9 Sur ce dernier point, voir TH. KLAUSER, Der Ursprung des Festes Petri

St-uhlteier am 22. Februar, dans Die Cathedra im Totenk-ult (Liturgiegeschicht-


liche Quellen und Forschungen 21), MünsterjWestf., 1927, p. 152-183.
10 Encore le concile d'Elvire (v. 306) c. 34 (LAUCHERT 19): (l Cereos per
diem placuit in coemeterio non accendi, inquietandi enim sanctorum sPiri-
tus non sunt ».
11 Voir une synthèse sur le droit funéraire romain chez E. FERRINI, De

iure sepulcrorum apud Romanos, Bologne, 1883: J. FAYOUT, Du ius sepulcri


en droit romain, Paris, 1884; G. PONZATARO, Il diritto di sepolct'o mUa sua
evoluzione storica, Turin, 1895.
12 AUGUSTIN, De cura pro mortuis, Il, 4 (PL. 40,594): (l Multa itaque

corpora christianorum terra non texit, sed nullum eorum quisquam a caelo
et terra separavit quam totam implet praesentia sui, qui novit unde resusci-
tet quod creavit ». Le soin que mettent les chrétiens, pourvus des moyens
nécessaires, de préparer de leur vivant la tombe dans laquelle ils reposeront,
leur souci de marquer le lieu de sépulture par des inscriptions funéraires ou
par des signes distinctifs, toute la complexité des usages iunéraires enfin,
vont à l'encontre du détachement exprimé par Augustin.

25
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dans les différents pays ou régions dans lesquels vivaient les chré-
tiens, rites élagués des éléments soit mythologiques soit érotiques
qui pouvaient s'y rencontrer 13. L'adaptation aux coutumes lo-
cales, en matière funéraire, était expressément recommandée 14.
En voici une rapide synthèse 15.
La parenté immédiate et les amis s'occupent directement
de la toilette du défunt, de son exposition sur le lit mortuaire
et du transfert du cadavre à la tombe. En règle générale cependant,
un corps spécialisé, les funerarii, les pollinctores, les vesPillones
se chargent de cette besogne, fournissent les instruments néces-
saires, et font office de porteurs. Les fossores, fossarii ou copiatae
ouvrent la tombe, taillent les loculi ou les arcosols, procurent
les sarcophages, aménagent les cubicula ou les mausolées de di-
verses catégories. Les collegia funeraticia (si les ressources per-
sonnelles du défunt ou de sa famille ne suffisent pas) acquièrent
le ius ad sepulchrum, à moins que des familles amies n'accueil-
lent le cadavre dans leurs propres mausolées; ils veillent au respect
des lois fondamentales relatives à l'inhumation, en particulier
ils s'assurent que la tombe est bien constituée par un locus purus,
c.à.d. un locus neque sacer, neque sanctus, neque religiosus, et qu'elle
se situe en dehors des murs ou des enceintes des localités.

13 C'est ainsi que les inscriptions funéraires chrétiennes tout en expri-

mant souvent la tendresse, l'amour et l'admiration pour le conjoint ou la


conjointe, ne contiennent jamais ni allusions mythologiques, ni acclamations
érotiques (du type: (1 miscite Lyaeum / et patate procul redimiti tempora
flore / et venereos coïtus formosis ne denegate puellis »), ni remarques désa-
busées (du type: (c non fui, fui, non sum, non curo »). - Sur les inscriptions
chrétiennes voir C.M. KAUFMANN, Handbuch der altchristlichen EPigraPhik,
FreiburgfBr., 1917 et les exemples donnés dans E. DIEHL, lnscriptiones la~
tinae ckristianae veferes, 3 vo1., Berlin, 1923-1931.
14 AUGUSTIN, In lohan. tract. 120,4 (cc. 36,662): « Ha quippe, nisi fal-
lor, admonuit in huiusmodi officiis quae mortuis exhibentur, morem cuiusque
gentis esse servandum; Conjess. IX, 12,32: « eum ecce corpus elatum est (le
corps de Monique) ... cum offeretur pro ea sacrificium pretii nostri, iam iuxta
sepuIchrum posito cadavere, sicut illic fieri solet (à Ostie) 1). - Les usages
antiques, juifs et gréco~romains, sont décrits par L. KOEP-E. STOMMEL~J.
KOLLWITZ, dans le Reallexikon jür Antike und Ckristentum, II (1954), 194-207.
15 TH. KLAUSER, Die Cathedra im Totenkult der keidnischen und christli-

chen Antike (Liturgiegeschichtliche Quellen und Forschungen 21), Münster/


Westf., 1927, p. 126~141 et Reallexikon für Antike und Chrisfentum, II, 1954,
208-219 (s.v. Bestattung, christlich). Nous y renvoyons le lecteur pour les
références aux sources.
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1. PréParatifs au domicile du défunt.


Généralement le dies obitus du chrétien est aussi son dies
depositionis. Nos documents s'accordent, en effet, à de légères
variantes près, pour nous faire penser que chronologiquement
le défunt est inhumé dans les vingt-quatre heures qui suivent
le décès 16. Le mode de la depositio est l'inhumation; aucun indice
(inscription funéraire, urne funéraire, columbarium chrétien) ne
nOUS permet de croire que les chrétiens aient adopté la crémation;
celle-ci est exclue non pour des raisons philosophiques ou dogma-
tiques, mais, semble-t-il, à cause de la persistance de l'usage juif 17.
Les proches ferment pieusement les yeux du défunt. Des
cris et des lamentations éclatent: ils tendent à apaiser le défunt

16 Sur ce point. voir FR. J. DOLGER, Die Totenmesse, dans Ichthys, Il,

1922, p. 556-558 et surtout E. FREISTEDT, Altchristliche Totengediichtnisstage


und 1'hre Beziehung zum jenseitsglauben und Totenkultus der Antike (Liturgie-
geschichtliche Quellcn und Forschungen 24), Münster/Westf., 1928, p. 36--46.
17 Le fait que les chrétiens n'aient adopté comme sépulture que l'inhu-

mation, à l'exclusion de la crémation, est d'autant plus étrange que la lé-


gende du phénix, l'oiseau qui renaît de ses cendres, leur était connue et que
le phénix lui-même figure en de nombreux exemplaires sur les fresques des
çatacombes. Il est vrai, la légende du phénix se laissant volontairement brû-
ler, a été transformée en légende du phénix qui se décompose dans un nid-
tombeau. - Histoire vulgate d'après le Physiologus (LAUCHERT 237): «L'oi-
seau dit phénix est originaire de l'Inde. Il vit 500 ans et arrivé à ce terme,
il se rend dans la forêt du Liban, les ailes chargées d'aromates, gagne de là
Héliopolis en Egypte et se brûle lui-même sur l'autel du sacrifice. Le lende-
main, le prêtre trouve dans les cendres un ver auquel il pousse des ailes et le
troisième jour, l'oiseau ressuscité regagne son pays d'origine ». - Légende
« christianisée », chez CLÉMENT ROMAIN, EpUre aux Corinthiens, XXV-MXVI:
« Considérons l'étrange prodige qui s'opère dans les contrées de l'Orient c.à.d.
en Arabie. On y voit un oiseau qu'on appelle phénix. Il est le seul de son es-
pèce et vit cinq cents ans. A l'approche de sa fin, il se construit avec de l'en_
cens, de la myrrhe et autres aromates, un nid où il pénètre. son temps ac-
compli, pour y mourir. De sa chair en putréfaction naît un ver qui se nourrit
de la pourriture de l'oiseau mort et se couvre de plumes; puis devenu fort,
il soulève le nid où reposent les os de son ancêtre et, avec ce fardeau, il passe
d'Arabie en Egypte, jusqu'à la ville d'Héliopolis. Là en plein jour, aux yeux
de tous, il va en volant, le déposer sur l'autel du Soleil; après quoi il prend
son vol pour le retour. Alors les prêtres consultant leurs annales, constatent
qu'il est venu après cinq cents ans révolus. Trouverons-nous donc étrange
et étonnant que le Créateur de l'Univers fasse revivre ceux qui l'ont servi
saintement et avec confiance d'une foi parfaite, alors qu'il nous fait voir dans
un oiseau la magnificence de sa promesse? (HEMMER-LE]AY, Les Pères apos-
toliques, II, Paris, 1926. p. 57-59) •.
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en lui démontrant les regrets et la douleur qu'éprouvent ses amis.


Les assistants déchirent leurs vêtements, les femmes dénouent
leurs cheveux, l'on se frappe la tête contre le sol. Ces manifesta-
tions ne seront pas trop bruyantes pour ne pas troubler le repos
du trépassé ou pour ne pas l'inciter à revenir. On l'appelle par son
nom (conclamatio) et l'on chante des psaumes. Pendant ce temps,
a lieu la toilette du défunt par ablutions; son corps est parfumé,
avec de la myrrhe principalement, mais l'embaumement est rare 18.
Le défunt est habillé, soit d'une manière très simple avec une
toile de lin enroulée de bandelettes, soit plus richement avec une
tunique blanche ou avec les habits officiels, s'il s'agit d'un person-
nage important.
Le couronuement du défunt d'abord réprouvé (TERTULLIEN,
de cor. 10,13; CLÉMENT D'ALEXANDRIE, Paed. II, 73,1; MINUCIUS
FELIX, Octavius 38,3) passe très vite dans les usages chrétiens
(EUSÈBE, R.E. VI, 5,6; GRÉGOIRE T, Dial. 4,47: une couronne
blanche descend sur Merulus, en signe de sa mort prochaine) ".

2. Exposition du défunt sur le lit d'apparat (Prothesis).

La forme du lit funéraire (feretrum, kline) est celle du lit


antique, pieds tournés, avec les oreillers en position verticale
et des coussins rouges ou violets. Le lit d'apparat est utilisé plu-
sieurs fois; il est plus ou moins somptueux suivant la fortune
de la famille. L'exposition a lieu au domicile du défunt; plus tard
seulement, la prothesis se fait dans une église ou un oratoire,
en imitation, semble-t-il, des coutumes monastiques. Des lumières
sont allumées près du lit d'apparat; on y brûle de l'encens.
Le plus souvent, le défunt reste exposé sur le feretmm un
seul jour, le jour de mort étant aussi le jour de l'inhumation,
comme il a été dit. Quand le décès intervient le soir, la déposition
est reportée au jour suivant; dans ce cas, le défunt est veillé du-
rant la nuit. Cependant, l'exposition funéraire se prolonge par-

18 Sur les momies chrétiermes, voir A. DE WAAL, Totenbestattung, dans


RealencycloPiidie der christlichen Altertümer (F.X. KRAUS). II, 878.
19 La couronne est mise en rapport avec la victoria du martyr; la pompa

ou cortège iunêraire, surtout quand il s'agit d'un martyr, devient cortège


triomphal. Comme telle, la couronne figure aussi sur les sarcophages dits de
la Passion, de la période constantinienne.
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fois durant trois ou quatre jours, probablement pour permettre


aux proches de participer aux funérailles 20.

3. Le cortège ou convoi funéraire (pompa ou Exsequiae).


Le cortège funéraire vers le lieu d'inhumation se met en route
le jour, probablement avant le lever du soleil; l'inhumation du-
rant la nuit semble avoir été, chez les chrétiens, réservée aux
pauvres et aux suppliciés 21. L'empereur Julien avait essayé,
sans succès semble-t-l, de faire généraliser les funérailles noctur-
nes: « Ideoque quoniam et dolor in exsequiis secretum amat et
diem functis nihil interest, utrum per noctes aut per dies efferan-
tur, liberari convenit populi totius aspectus, ut dolor esse in fu-
neribus, non pompa exsequiarum nec ostentatio videatur» 22.
Le défunt est porté (très rarement véhiculé) sur son lit fu-
néraire, souvent recouvert d'un drap, plus ou moins précieux,
la tête restant découverte. Au VIe siècle, nous apprenons que
des draps liturgiques sont employés à cet effet ". Lors de la trans-
lation de corps de martyrs, le drap est déchiré en lambeaux pour
constituer des phylactères. Il arrive que le défunt soit porté dans
un cercueil de bois, mais sur ce fait les attestations sont beaucoup
moins nombreuses que sur la translation sur feretrum 24. L'usage
ne se généralise que plus tard, vers le Xe siècle 25.

~o Ainsi JÉRÔME, Epist. 108,29. - Voir aussi note 16 (dies obitus et dies
depositionis) .
21 Acta proconsularia Cypriani V, 6: (l Ita beatus Cyprianus passus est ...

Inde pey noctem sublatum (corpus eius) cum cereis et scolacibus ... cum voto
et triumpho magno deductum est ~.
22 C. Theodos. IX, 17,5 (février 363). - Ce texte n'a pas été repris dans
le Code de Justinien. - Il n'y a pas de différence à faire, semble-t-il, entre
/unus et e:çsequiae, à la période paléochrétienne; dans la langue classique,
/unus désigne les funérailles au sens général; le cortège ou convoi se dit pro-
prement e:çsequiae. Fun~ra, au pluriel, est fréquent, les funérailles compor-
tant plusieurs éléments.
23 Concile de Clermont (535) c. 3: ( Ne paliis vel ministeriis divinis de-

functorum corpora obvolvantur~; c. 7: (1 Ne opertorio dominici corporis sa-


cerdotis unquam corpus, dum ad tumulum evehitur, obtegatur~.
2~ Constantin est porté dans un cercueil doré (EUSÈBE, De vita Constan.t.
IV, 66,1). - Voir aussi GRÉGOIRE DE TOURS, De gloria con/css. 104. - Dans
tous les cas, le cercueil ne sert qu'au transfert, non pour l'inhumation.
2& Voir le Ménologe (ou mieux: Synaxaire) de Basile II Boulgarochtone

(tl025).
390 CYRILLE VOGEL

Le cortège suit le lit de parade. Les participants, plus ou moins


nombreux, revêtent des habits sombres; la couleur blanche est
ici éprouvée comme choquante 26,
Malgré l'opposition constante des écrivains ecclésiastiques,
les amis du défunt déchirent leurs habits, se tordent les mains,
se griffent le visage. Les femmes marchent les cheveux dénoués,
les hommes avec la tête voilée. Des psaumes sont chantés par
l'ensemble des fidèles ou par des choeurs de femmes, qui relaient
les pleureuses antiques. Il n'est pas rare que l'on porte des torches
ou des cierges 27.

4. La séPulture (depositio).
Le mode de sépulture des fidèles, durant l'antiquité paléo-
chrétienne, a toujours été l'inhumation et non la crémation,
comme nous l'avons rappelé plus haut ".
Auprès de la tombe ou dans les environs immédiats ", le
feretrum est posé à terre. Comme ils l'avaient fait lors de la mise
sur le lit d'apparat, parents et amis donnent un baiser au dé-
funt, sur le front ou sur les lèvres. Pour les personnages impor-
tants, un orateur prononce la laudatio funebris. Le défunt est
oint, et l'assistance lui adresse un dernier adieu et des acclama-
tions 30. Il est placé dans la tombe sur un lit de lauriers oU d'her-

25 Sauf pour l'empereur, dont le blanc est la couleur de deuil.


27 La pompa ou convoi funéraire antique se survit dans la procession
de translation des reliques pour la dédicace d'une église nouvelle; voir, p.ex.,
Ordines XLI, XLII et XLIII (ANDRIEU, Ordines, IV, p. 309-413).
Ba Cf. note 17. - II faut rappeler ici que l'inhumation n'est pas 'une par-
ticularité des funérailles chrétiennes. Ce mode de sépulture a toujours été
pratiqué par les païens (il est même traditionnel dans certaines familles) et,
au début du Ille S., l'inhumation, dans tout le monde antique l'emporte sur
la crémation; cette situation est documentée par le fait qu'à partir de la fin
du Ile s. les sarcophages, encore rares au le s., commencent à se multiplier.
- La coexistence entre crémation et inhumation se vérifie dans la Nécro-
pole de Porto (Isola sacra) et dans la Nécropole vaticane, sous la basilique
de Sain t-Pierre.
29 Il faut se souvenir que durant la période paléochrétienne les cime-

tières chrétiens, en surface ou souterrains, n'ont jamais été que des lieux d'in_
humation; les seuls actes cultuels qui s'y déroulaient étaient des actes rela-
tifs à la sépulture. Ce fait est définitivement acquis; cf. TH. KLAUSER, Die
cathedra im Totenkult, p. 123-126.
sa Sur ces acclamations funéraires, conservées par les inscriptions funé-
raires, voir C.M. KAUFMANN, Bandbuck der altchristlicken EPigraPhik, Frei-
L'ENVIRONNEMENT CULTUEL DU DÉFUNT... 391

bes odorantes; l'on répand sur lui de la chaux vive, surtout quand
l'inhumation a lieu dans une catacombe. La tombe creusée en
terre est refermée, le couvercle du sarcophage scellé, le loculus fermé
par des dalles soigneusement jointes et obturées. Certains indices
nous permettent de supposer que dans la tombe le défunt est
tourné vers l'Est; cette orientation funéraire n'a pas de rapport
immédiat avec l'orientation cultuelle dans la prière.
La tombe est recouverte de fleurs ou de guirlandes, de roses,
de violettes. Une médaille, un verre doré, une lampe à huile signalent
et identifient la tombe des plus humbles; les plus fortunés ont pris
soin de faire apposer sur la tombe une inscription funéraire men-
tionnant, avec le nom et les acclamations, le jour et le mois de la
depositio (rarement l'année) en vue de la célébration des anni-
versaires.
Avant de se quitter, les participants se réunissent à proxi-
mité de la tombe, quand les lieux le permettent, ou dans les
environs immédiats, parfois dans un lieu couvert approprié, pour
prendre en commun le repas funéraire (refrigerium). La présence
de l'évêque ou d'un presbytre, signalée dès l'aube du Ille siècle,
reste facultative durant toute la période paléochrétienne, sauf
quand l'Eucharistie est célébrée auprès du lieu de la depositin,
seule ou indépendamment du refrigerium 81.
Le cérémonial funéraire complexe qui vient d'être brièvement
retracé ne s'achève pas avec le jour de la depositio; il est renouvelé,
pour ce qui concerne la partie en connexion immédiate avec
la tombe [banquet funéraire et (ou) Eucharistie inclusivement],
le troisième, le septième (ou neuvième), le trentième (ou quaran-
tième) jour. Il est renouvelé aussi au jour anniversaire de la de-
positio, de même lors des rosalia, des dies violarum ou violationis,
ainsi qu'au moment des caristia (charistia) funéraires.
Dès lors, trois questions fondamentales nous sont posées.

burgjBr., 1917 et P. TESTINI, Al'cheologia cristiana, Roma, 1958, p. 329-542


(avec renvois aux grandes collections et recueils de tituli). - Sur l'onction
du mort, voir DENYS L'ARÉOPAGITE, Eccl. hierarckia, VII, 2. Cette onction
se survit, dans l'Eglise arménielUle, pour le prêtre défunt; cf. F. HEILER, Ur-
kirche und Ostkirche, p. 522.
SI La présence d'un presbytre est attestée dès l'aube du Ille siècle,
mais elle demeure facultative, à mains que ne sait célébrée l'Eucharistie; TER-
TULLIEN, De anima 51 (CSEL 29,383): «Scia feminam ... cum in pace darmis-
set et marante adhuc sepultura, interim oratiane presbyteri componeretur &.
392 CYRILLE VOGEL

Quelle peut être la signification des faits et gestes qui environnent


le défunt, non seulement jusqu'à son inhumation, mais au-delà
du dies depositionis et ceci théoriquement jusqu'à la fin des temps
c.à.d., en pratique, jusqu'au moment où le défunt aura disparu
de la mémoire des vivants? Et d'une manière plus précise, quelle
est la raison d'être du rythme ternaire, septénaire et trigésimal
(quadragésimal) des commémoraisons post obit ..m? Et enfin, que
signifient l'Eucharistie et le banquet funéraire célébrés pour le
défunt?

B. Signification de l'environnement cultuel du défunt


(Eucharistie et relrigerium exceptés).

Faute d'un terme plus adéquat et plus pratique, il a été


question d'environnement c.. /tuel pour qualifier l'ensemble des
faits, gestes et attitudes qui viennent d'être décrits. En fait -
en dehors de l'Encharistie et du banquet funéraire - il s'agit
moins d'un culte et d'un rituel que de coutumes et d'usages,
dont les survivants entourent la dépouille d'un être qui leur fut
cher; les termes « liturgie)} et «( culte)} sont ÏITlpropres. S'il est
bien vrai, en effet, que sur les trois critères requis pour qu'une
actio puisse être réputée cultuelle, deux sont réunis ici (la stéréo-
typie, l'attitude ad instar deprecantis à l'endroit de la divinité),
le troisième est absent, ou peut l'être, à savoir la participation
de la hiérarchie ou des représentants de la communauté religieuse
en tant que telle, sauf s'il y a célébration eucharistique laquelle
peut ne pas être célébrée, lors des funérailles ou lors des jours an-
niversaires.
Ce n'est donc que dans un sens très large que les usages
funéraires paléochrétiens peuvent être qualifiés de «liturgiques ».
La première trace que nous ayons d'un culte funéraire au sens
strict, à nous en tenir à la tradition manuscrite, est un ordo de-
I,mctorum du VIIelVIIle siècle ".
Pour les contemporains quelle signification pouvait avoir
l'environnement cultuel - en exceptant, pour le moment, la cé-
lébration eucharistique et le refrigeriwn-banquet. s'ils avaient
lieu? Respect pour la dépouille d'un être humain bénéficiant
de la rédemption et qui ressuscitera; bien sûr. Consolation pour

32 Voir plus haut note 1.


L'ENVIRONNEMENT CULTUEL DU DÉFUNT". 393

les vivants pour qui les soins dont amis et voisins entourent le
défunt sont autant de marques de sympathie et de déférence;
Augustin l'a dit à son ami Paulin de Nole, d'une manière un peu
désabusée sa.
Probablement aussi. ne serait-ce que d'une manière inconsci-
ente ou instinctive, un cérémonial destiné à «( sécuriser» les vivants,
à dissiper leur culpabilité à l'endroit du défunt et à diminuer,
par un faste même dérisoire, leur propre anxiété devant la mort.
Cependant, semble-t-il, il y a plus. Aux rites funéraires re-
vient une fonction apotropaïque, assez ambiguë du reste: paci-
fier le défunt, se le concilier, mais s'en défendre aussi, afin d'éviter
son retour. Cette fonction défensive est précieuse et souhaitable
surtout quand le défunt est un ahore, un biothanate (mieux:
biaiothanate), un enfant mort au moment de l'accouchement.
Les extraordinaires superstitions auxquelles chacun des nombreux
usages funéraires ont donné lieu après la période paléochrétienne,
depuis la toilette du défunt jusqu'au cortège vers le lieu d'inhuma-
tion, suffiraient pour étayer l'eXplication proposée 84.
Une hypothèse explicative, à laquelle on songe tout naturel-
lement, doit être écartée, l'hypothèse selon laquelle les rites fu-
néraires seraient des adjuvants dans la lutte que mènerait « l'âme )
du défunt avec les démons aériens après la mort. Il est bien vrai
qu'au moment du trépas, pendant l'agonie du fidèle, comme pen-
dant la passion du martyr, les démons se déchaînent contre le
chrétien 35.

38 AUGUSTIN, De cura pro mortuis, III, 2/3 (CSEL 41,627): «Curatio fu-

neris, conditio sepulturae, pompa exsequiarum, magis sunt vivorum solatio


quam subsidia mortuorum f).
34 Sur les «ahores f) et les «( biothanates (biaiothanates) 1) ainsi que les

insepulti, voir F.J. DëLGER, Antike Parallelen zum leidenden Dinokrates, dans
Antike und Ckr-istentum, II, 1930, p. 1-40; FR. CUMONT, Lux Perpetua, Paris,
1949, p. 303-340; J.H. \V'ASZINK, Biothanati, dans Reallexikon filr Antike und
Christentum, II, 1954, 391-394; Sur les superstitions médiévales, voir les élé-
ments bibliographiques recueillis par A. DaR RER, Totenbriiucke. IV. Religio se
Volkskunde, dans Lexikon fiir Theologie und Kirche, 10, 1965, 266-269, et en
particulier les renseignements fournis par H. BACHTOLD-STAUBLI, HandwÔ1'-
terbuck des deutschen Aberglaubens, VIII, 1936/1937 (pratiquement le yo-
lume entier).
35 Ainsi dans la Passio PerpetHae et Felicilatis IV, 10 (vision de l'échelle);

X, 4-14 (la lutte dans l'amphithéâtre est une lutte contre le démon): (! et in-
394 CYRILLE VOGEL

Mais aider l'agonisant à s'en défendre relève de la Commendatio


ani-lnae, et non d'un rite ou d'un ensemble de rites funéraires.
Au contraire - et tous les renseignements dont nous disposons
à ce propos sont unanimes - après la mort, comme après la pas-
sion du martyr, un grand silence se fait ". A vrai dire, les sources
dont nous disposons sur les activités des démons après la mort
du chrétien sont ténues, et elles concernent sourtout les martyrs
dont la situation est spéciale en raison du privilège eschatologique
dont ils jouissent; les textes confirment cependant ce qui vient
d'être avancé. Pour Justin, qui admet, à propos du Psaume 22
(21) (<< Mon Dieu, mon Dieu, pourquoi m'as-tu abandonné J>),
verset 21-22 (<< Délivre de l'épée mon âme, de la patte du chien
mon unique, etc. },), qu'avant la mort salvifique du Christ les
âmes des défunts pouvaient tomber sous l'emprise des démons,
il n'en va plus de même après la mort du Sauveur; la puissance
démoniaque est brisée 37. Tertullien ignore tout d'une activité

tellexi me non ad bestias, sed contra diabolum esse pugnaturum 1), Cf. FR. J.
DOLGER, Der Kamp! mit dem Agypter, dans Antike und Christentum, 1932,
p. 177-188; A. STUIBER, Refrigerium interim, p. 81-88 (Die Wirksamkeit von
Diimonen beim Sterben).
36 Ce qui est dit, vaut pour le défunt ordinaire comme pour le martyr,

bien qu'il faille reconnaitre que nos textes, rares, se rapportent en premier
lieu au fidèle souffrant dans les supplices. Le peu d'intérêt que l'antiquité
paléochrétienne a attaché à une prétendue lutte de l'âme des défunts avec
les démons après la mort, tranche avec l'influence capitale reconnue aux ma-
chinations démoniaques pendant la vie du chrétien: voir A. STUIBER, op. cit.,
p. 82/83 contre J. QUASTEN, Der gute Hirt, dans Miscellanea G. Mercati, l
(Studi e Testi 121), Città deI Vaticano, 1946, p. 1-273. - Texte fondamental
dans la Passio Perpetuae et Felicitatis, XI (vision de Saturus): «et coepimus
terri a quattuor angelis in orientem (aucune indication sur une lutte quelcon-
que avec des esprits aériens) &. La psychomachie post mortem avec les dé-
mons, inexistante dans la vision paléochrétienne, est à distinguer de la re-
présentation populaire d'une lutte entre anges et démons (et non entre âme
du défunt et démons), dont le cadavre du défunt est l'enjeu (p.ex.: lutte entre
s. Michel et les démons pour le corps de Moïse); cf. F. ANDRES, Die Engellehre
der griechiscken Apologeten des 2. Jh., Paderborn 1914, et les articles corres-
pondants chez BÂCHTOLD-STÂUBLI.
3r JUSTIN, Dialogue, 105,3-5 (GOODSPEED 221-222): «Et quand (le psal-

miste) demande que son âme soit sauvée de l'épée, de la gueule du lion, de
la patte du chien, c'était une prière pour que personne ne s'empare de notre
âme; pour que, quand nous parvenons à l'issue de la vie, nous demandions
les mêmes choses à Dieu qui a le pouvoir de repousser tout impudent mau-
vais ange et de l'empêcher de prendre notre âme ... C'est Dieu qui nous en-
L'ENVIRONNEMENT CULTUEL DU DÉFUNT ... 395

diabolique, que ce soit pendant l'agonie ou après le décès; il ne


connaît que l'angel'us evocator animar·um dont le visage, bienveillant
ou courroucé, permet à l'agonisant de deviner si, après la mort,
il devra rejoindre, dans l'Hadès, le refrigerium ou le torment",n as.
Enfin, une dernière particularité de l'Au-delà dans la vision
paléochrétienne vient confirmer ce qui a été dit: l'Hadès chrétien
où descendent les «âmes » n'est pas habité par des esprits malé-
fiques, mais uniquement par les ombres des défunts et les anges,
gardiens de l'endroit ". Si démons aériens il y a, ils se situent dans
une région au-dessus de la surface terrestre alors que, comme
on sait, l'Hadès paléochrétien est localisé à l'intérieur du cosmos 40.
De ces rares textes - lesquels épuisent, en fait, tout ce que
les sources nous apprennent - il résulte que l'environnement
cultuel du défunt (refrigerium-repas et Eucharistie toujours excep-
tés) relève davantage de la pietas au sens large et d'une activité
apotropaique ambiguë, que d'une entreprise destinée à faciliter
le cheminement de l'âme dans l'Au-delà.

c. Les commémoraisons funéraires.


Le cérémonial dont les chrétiens entourent leur mort ne se
termine pas, nous l'avons dit, avec le jour de l'inhumation. En

seigne ... à l'issue de la vie, de demander que nos âmes ne tombent pas au pou-
voir de quelque puissance comme celle-là (qui s'est manifestée à propos de
Samuel; cf. l Sam. 28) )}. - Le dossier dans A. STUIBER, op. cit., p. 81-88.
38 TERTULLIEN, De anima 53,5~6 (cc II, 860/861): «Tune et enuntiat

et videt, tune exsultat aut trepidat (l'agonisant), prout paraturam deversorii


sui sentit, de ipsius statim angeli faeie, cvocatoris animarum, Mereurii poe-
tarum 1). - Dans son commentaire du De anima, J.H. WASZINK (Q.S.F. TER-
TULLlANI, De anima, Amsterdam, 1947, p. 546/547) constate lui aussi qu'avant
le Ive s., il n'y a pas, dans la littérature chrétienne, de traces d'une activité
démoniaque quelconque au moment de la mort.
S9 Ceci résulte d'un Fragment Contra gentes ou de Universo attribué à

Hippolyte de Rome; cf. B. BOTTE, Note sur l'auteur du, «De Universo)) at-
tribué à saint Hippolyte, dans Recherches de théologie anâenne et médiévale,
18, 1951, p. 5-18 (contre l'attribution à Josippe, prêtre romain, proposée
par P. NAUTIN, HiPpolyte et JosiPpe, Paris, 1947, p. 98/99). - Le texte est
édité par K. HOLL, Fragmente vornicanischer Kirchenviiter aus den Sacra Pa~
rallela, Fragm. 353 ( de Universo) 137-143 (TU NF. V, 2), Leipzig, 1899. Les
Sacra Parallela (dans lesquels est conservé le Fragment) est un ouvrage ascé-
tique attribué à Jean Damascène.
40 Voir PAULy-WISSOWA, RE Supplem.entum, III, 267-322 (s.v. Daimon)
et KITTEL, Theol. Worterbuch, Il, 6~8, n. 59.
396 CYRILLE VOGEL

dehors des époques de l'année traditionnellement réservées dans


le monde antique aux commémoraisons funéraires, et qui sont
les mêmes pour tous les défunts, certains jours, en rapport direct
avec le dies depositionis, sont consacrés à célébrer la mémoire
du disparu, et ceci toujours auprès de la tombe ou dans les environs
immédiats 41. Ce sont, variables avec les régions, le troisième,
le septième (ou le neuvième), le trentième (ou le quarantième)
jour. L'on sait que ces rythmes ternaire, septénaire (ou novenaire),
trigésimal (ou quadragésimal) ont leurs correspondants exacts
dans le monde antique et dans le judaïsme ",
L'on peut s'interroger sur l'origine de ces rythmes: le sym-
bolisme en est évident, et ils se retrouvent ailleurs que dans les
calendriers funéraires chrétiens ou païens, Les explications hlsto-
ricisantes ou mythologiques sont forgées a posteriori, de même
que les exclusives prononcées contre l'une ou l'autre date 43, Il
paraît plus conforme à la vérité d'en rechercher l'origine dans
certaines représentations ayant trait à la physiologie humaine,
A la fin du siècle dernier, K. Krumbacher a fait état, dans un
contexte différent, d'un certain nombre de documents anonymes,
en langue grecque, du plus haut intérêt 44, Les jours de commé-
moraison funéraire y sont mis en relation aussi bien avec la for-

41 Il faut répéter que les tombes, les cimetières en surface ou sous terre,

n'ont été à l'époque paléochrétienne que des lieux d'inhumation (et non des
lieux de culte communautaire); les seules actions liturgiques qui s'y soient
déroulées relèvent exclusivement du culte funéraire; voir FR. WIELAND, Mensa
und Conlessio (Verofientlichungen aus dem Kirchenhistorischen Seminar Mlin-
chen II, 11), München, 1906; TH. KLAUSER, Die cathedra im Totenkult (LQF 21),
::\HinsterjWestf., 1927, p. 123-126.
4:1 E. FREISTEDT, Altchristliche Totengediichtnisstage und ihre Beziehung

mm jenseitsglauben lmd Totenkult der Antike (LQF 24), MünsterjWestf., 1928.


43 Il en va ainsi de l'explication rapportée par PHOTIOS, Bibliothèque,

cod. CLXXI (éd. BEKKER, p. 118; PG. 103,499; éd. R. HENRY, PHOTIUS, Bi-
bliothèque, II, Paris, 1960, p. 166), qu'il attribue à un prêtre nommé Eustra-
tios, selon laquelle le 3e jour a été choisi en raison de la résurrection du Sei-
gneur, le ge jour, parce que le Christ est apparu ce jour-là à ses disciples pour
la première fois, et le 40 e jour parce que le jour de la Pentecôte, le Seigneur
s'est manifesté pour la seconde fois. Il en va de même de l'explication don-
née par Goar (Eucllologion, éd. de Venise, 1730, p. 434 n. 3): le 3e jour est le
jour de la résurrection du Christ, le ge jour rappelle les neuf choeurs des anges,
le 40 e jour, la durée du deuil des Israélites pour la mort de Moïse.
44 K. KRU~rBACHER, Studien zu den Legenden des hl. Theodosios (Nachtrag

%ur Sitzung der philos.-phil. Classe vom 7. Mai 1892, dans Sitz.-Ber. der k.
bayr. Akad. d. lViss) , Mtinchen, 1892, p. 341-355.
L'ENVIRONNEMENT CULTUEL DU DÉFUNT... 397

mation de l'embryon humain qu'avec la décomposition du ca-


davre. Voici ces documents qui, à ma connaissance, n'ont pas été
traduits jusqu'à ce jour.

1. Texte vulgate de l'exPlication physiologiq1te des commémoraisons


funéraires (éd. K. KRUMBACHER, p. 345-347, d'après 18
manuscrits).
«De l'origine de l'homme et de la raison d'être de la commémoraison
du 3., 9. et 40° jour.
La semence introduite dans la matrice, au troisième jour, se change en
sang et le coeur commence à s'ébaucher. Le neuvûme jour, le spermE se so-
lidifie en chair et se coagule en moelle. Le quarantième jour, se forme l'appa-
rence définitive de l'être humain. De même en est-il des mois, en correspon-
dance avec les jours. Le troisième mois, l'embryon se meut dans le sein de
sa mère; le neuvième mois, il est accompli et s'efforce de naitre.
L'embryon devient femelle ou mâle suivant l'intensité de la chaleur
du sperme. Si la coagulation se fait rapidement, l'embryon devient mâle,
si le flux spermatique se solidifie plus tardivement, l'embryon devient fe-
melle. Plus lentement le sperme se coagule, plus lentement il se façonne. C'est
pourquoi, en cas d'avortement, l'embryon mâle, même à moins de quarante
jours, est expulsé entièrement formé, alors que l'embryon femelle, même
après quarante jours, ressemble à une masse de chair informe. [Il existe une
herbe qui fait engendrer des garçons ou des filles; un garçon ou une fille naît
si l'on en boit une décoction avant (les rapports sexuels)l
Parlons maintenant de la décomposition de l'être humain. Quand l'hom-
me meurt, le troisième jour il s'altère et son apparence extérieure s'efface.
Le neuvième iour tout le corps de décompose, à l'exception du coeur. Le qua-
rantième iour le coeur se défait avec tout le reste. C'est pourquoi nous célé-
bl'ons le t1'oisième, le neuvième et le quarantième jour des défunts)).

2. Texte contenant "ne exPlication physiologiq1te et eschatologique


(éd. K. KRUMBACHER, p. 348-350, d'après le Parisinus graec.
1140 A, f. 82'-v).
«De la conception de l'homme, de sa constitution, sa naissance, ainsi
que de sa mort et de son apparition devant le trOne de Dieu.
Quand un homme et une femme ont des rapports sexuels, la matrice
de la femme s'ouvre et reçoit le flux spermatique. A peine celui-ci a-t-il pé-
nétré dans la matrice, celle-ci se ferme et préserve soigneusement le sperme
iusqu'au troisième foltr. Au troisième jour, le sang coulant de la femme se
mélange au sperme de l'homme, et il se forme une sorte de masse de chair,
laquelle reste ainsi jusqu'au neuvième jour. AH neuvième four (cet embryon)
se recouvre d'une pellicule et demeure ainsi jusqu'au quarantième jOUL Le
quarantième iowr se constitue une forme de foetus et ce foetus reçoit l'âme
(est animé).
398 CYRILLE VOGEL

De même, au tr~sième mois, l'enfant se meut dans le sein de sa mère;


au neuvième mois l'enfant naît, et le quarantième jour après sa naissance il
est porté au temple et il est sanctifié.
Semblablement, après son trépas, au troisième four de sa mort, les vis-
cères de l'être humain, son v3ntre et ses intestins se liquéfient: c'est ce que
l'on appelle la dissolution. Au neuvième jour se décompose la chair comme
un levain corrompu: c'est ce qu'on appelle la corruption. Le quarantième jour,
le corps se disjoint, articulation après articulation: c'est la décomposition.
Il y a donc trois états après la mort: la dissolution, la corruption et la dé-
composition.
De même, l'âme après la mort jusqu'au hoisième jour demeure en terre.
Le troisième jour, les anges l'emportent vers le haut. Le neuvième jour in-
tervient la séparation de l'âme d'avec les esprits aériens (littéralement: les
controlcurs de l'air) et les anges. Le quarantième jour après la mort, l'âme
est conduite devant le trône divin, où elle reçoit la sentence de demeurer dans
un lieu retiré jusqu'à la résurrection générale. Considère donc que les étapes
du cheminement humain ont lieu le 3e, le ge et le 40 e jour.
C'est pourquoi nous plaçons nos commémoraisons des défunts aux mêmes
fours (lt aux mêmes mois, selon les phases successwes du devenir humain.
Il faut encore savoir ceci: si l'homme fait preuve de beaucoup de cha-
leur dans les rapports charnels et que la femme conçoit, l'enfant à naître sera
un garçon. S'il fait preuve d'une chaleur moindre et reste plus froid, l'enfant
conçu sera une fille, en raison précisément de cette froideur de l'homme pen-
dant les caresses. Si d'autre part, la semence de l'homme est plus abondante
que le sang de la femme, l'enfant suivra la lignée du père; dans le cas con-
traire, il suivra la lignée maternelle. C'est ainsi en tout )).

3. Texte sans référence immédiate aux commémoraisons fu-néraires


(éd. K. KRUMBACHER, p. 352-353 d'après le Parisinus graec.
2610, avec les variantes de trois autres manuscrits).
(! De la naissance et de la mort ... (Début du texte inintelligible).

On dit que le sperme pénétrant dans la matrice se transforme le troi-


s~:ème jour en sang et qu'ensuite se forme le coeur; celui-ci, le premier à se
constituer, est aussi, à ce que l'on dit, le dernier à se décomposer. Le prin-
cipe des nombres est le nombre "trois": c'est le plus extraordinaire, et l'hom-
me dans sa formation originelle en dérive.
Le neuvième four la chair se constitue et la moelle se concentre. Le qua-
rantième lour, la figure définitive est acquise et l'on peut qualifier l'embryon
d'homme achevé.
Le troisième mois, l'embryon reçoit l'âme dans le sein de la mère. Le
neuvième mois le foetus e3t constitué entièrement et tend à quitter le sein
maternel.
Si l'enfant est du sexe féminin, il est mieux qu'il naisse au début du
dixième mois (c.à.d. neut mois accomPlis), car le chiffre "neuf" est le chiffre
de la femme et de la lune, alors que le dixième mois est sans conteste pos-
sible celui du mâle.
Laissons pour un moment ce qui vient d'être dit, et demandons aux
médecins pourquoi l'enfant à naître sera garçon au fille. Il naîtra garçon ou
L'ENVIRONNEMENT CULTUEL DU DÉFUNT ... 399

fille selon le degré de chaleur: si la chaleur du sperme l'emporte, il se coagule


rapidement et ce sera un garçon qui sera constitué très rapidement. S'il y a
moins de chaleur au moment du flux spennatique, ce sera une fille, car coa-
gulé moins vite, l'embryon est constitué plus lentement. C'est tellement vrai
que si des garçons, après un avortement, viennent au monde avant quarante
jours, ils sont entièrement formés, alors que les filles, dans les mêmes con-
ditions, ne sont qu'une masse de chair informe.
(Antigonos dit qu'il y a des plantes favorisant la naissance soit de filles
soit de garçons si l'on en absorbe, avant les rapports intimes, dans du vin,
la valeur de trois oboles).
Tout ceci à propos de la conception et de la grossesse. Après la nais-
sance, le troisième jour on enlève les langes du nourrisson; le neuvième jour
l'enfant prend force et résistance; le quarantième jour, il apprend à sourire
et à reconnaître sa mère).

Aucun des manuscrits contenant les textes traduits ci-dessus


ne sont antérieurs au XIe/XIIe s. Cependant, il paraît certain
qu'ils sont en rapport étroit avec un passage de J.L. LYDUS (v.
550), De mensibus IV, 26 (éd. R. WÜNSCH, p. 84) qui, à son tour,
semble se faire l'écho de doctrines physiologiques largement an-
térieures au christianisme 45. Dans tous les cas, les rythmes que
prétendent expliquer nos textes sont beaucoup plus anciens que
les documents eux-mêmes,
L'explication physiologique et eschatologique telle que la
proposent nos documents ne vaut évidemment que pour le rythme

~5 On aura remarqué que le second document dont il été fait état pluS
haut, connecte au commentaire physiologique des anniversaires une expli-
cation eschatologique: cette explication qui n'est pas celle de l'Eglise o:'licielle
à la période paléochrétienne, a été répandue dans les milieux proches du gnos-
ticisme; ainsi dans les Acta Philippi (2 e moitié du lIe s.) 137 (éd. BONNET,
AAA II, 2, p. 69): (l Tu mourras d'une manière sainte et, conduit par mes saints
anges, tu parviendras avec eux au paradis ... Mais tu seras exclu du paradis
pour quarante jours, tu seras terrorisé par le glaive de feu et tu gémiras, parce
que tu as fait du mal à tes ennemis. Après ces quarante jours, je t'enverrai
l'archange Michel, lequel domptera l'épée à l'entrée du paradis, et tu con-
templeras les justes qui ont vécu dans l'innocence, et alors toi aussi tu tom-
beras à genoux devant la magnificence de mon Père dans les cieux D. - En
Orient, comme en Occident, à partir du haut moyen âge, l'idée d'un juge-
ment particulier après la mort se fait jour; ainsi dans le Nomocanon de l\'!A-
NUEL MALAXaS (compilé en 1561. mais faisant état de documents plus an-
ciens): «Le quarantième jour, l'âme s'en va adorer (Dieu) et elle reçoit sa place
conformément à la vie qu'elle a menée sur cette terre, jusqu'à la seconde pa-
rousie de notre Seigneur Jésus Christ» (texte communiqué par M. SP. TROÏA-
NOS et Mme. A. SIFONIOU~KARAPA, Académie d'Athènes, qui préparent une
édition critique du Nomocanon).
400 CYRILLE VOGEL

oriental (3 e, ge et 40 e jour). Elle ne vaut pas, d'une manière aussi


précise, pour la tradition occidentale quasi unanime, exception
faite de l'Eglise milanaise 46. En Occident, au neuvième jour cé-
lébré pour les commémoraisons, et malgré le novemdiale funéraire
de la Rome antique, fut systématiquement opposé le septième
jour avec une justification scripturaire a posteriori 47, Il en va
de même pour le trentième jour dont la justification en opposi-
tion au dies q'Uadragesimus est encore plus laborieuse 48. Le Sacra-
mentaire gélasien ancien (Vat. Reg. 316) (milieu du VIlle s.
dans sa rédaction actuelle) a aidé puissament à la diffusion sur
toute la partie occidentale de l'Eglise du rythme ternaire, septénaire
et trigésimal 49 .

D. L'Eucharistie célébrée près de la tombe


et le banquet funéraire.
Sans en avoir la certitude absolue, nous pouvons admettre
que probablement l'Eucharistie majeure a été célébrée à proximité
de la tombe dès le milieu du Ile siècle, et semble-t-il, le troisième
jour après l'inhumation, ainsi que le jour anniversaire, plutôt que
le iour même de la depositio 50. Les témoignages explicites, relatifs

46 AMBROISE, De obitu Theodosii aratia (PL. 16,1386). - La situation


dans les Eglises d'Occident est la suivante: Eglises romaine, «gallicane» et
anglo-saxonne: 3e, 7e et 30 e jour. - Eglise milanaise: le, ... ?, 40 e four. - Eglise
wisigothique: ... ?, ... ?, 50 e jour. - Eglise d'Afrique: 3e, 7e, ... ? jour.
47 AUGUSTIN, Quaestiones in Heptateuchum 1. 172 (CSEL XXVIII, 3,
p. 91 1.3-15) avec référence à Genèse 50,10 et Ecclésiastique 22,12. - Cepen-
dant, se rappeler ici la coutume romaine lors de la mort d'un pape, de cé-
lébrer l'officium de/unctorum durant neut jours consécutifs (PlI papae X,
Vacante 5ede, du 25.12.1904 = CIe c. 632).
48 GRÉGOIRE DE TOURS, Dialogi, IV, 54-55 (PL. 77,418); Vitae Patrum,

XV, 5 (MGR 5s. t'er. mer., l, 724) et la recension latine (plus ancienne que
la recension grecque) de la Passio Bartholomaei 9 (éd. BONNET, AAA, II, 1,
p. 149). - Sur l'ensemble de la question, voir Du CANGE, Glossarium, 5.V.
5eptenarium et Trigenarium, ainsi que A. FRANZ, Die Messe im deutscken
Mittelalter, Freiburg/Br., 1902, p. 243.
411 Liber sacramentorum Romanae Aeclesiae (Vat. Reg. 316), III, 105
(éd. MüHLBERG, 246): (1 In depositione defuncti tertii, septimi, trigesimi die-
rum vel annualem ». - Voir A. CHAVASSE, op. cit., p. 69 et S8., qui ne se pro-
nonce pas sur l'origine romaine ou franque de la section.
50 Les témoignages les plus anciens sont les suivants: 1) TERTULLIEN,

De exhortatione castitatis Il: « ... pro cuius spiritu postulas, pro qua oblationes
annuas reddis. Stabis ergo ad dominum cum tut uxoribus quot in oratione
L'ENVIRONNEMENT CULTUEL DU DÉFUNT ... 401

à une Eucharistie funéraire, ne deviendront nombreux et précis


qu'à partir du IVe siècle 51.
Le troisième jour prend dans tous les textes paléochrétiens
un relief plus grand que le jour de la déposition ". L'explication
de cette particularité est à chercher, semble-t-il, dans le fait que
durant les trois jours qui suivent le décès, l'âme, qui toujours
" rôde ,) à proximité de la tombe, est rattachée d'une manière
toute particulière au lieu de l'inhumation. La mort ne devient

commemoras et ofIers pro duabus et commendabis illas duas per sacerdotem ).


Tertullien ne mentionne que le dies annualis (l'anniversaire), sans allusion
au dies depositionis ou au dies tertius. - 2) Acta Iohannis (v. 150/180) (éd.
BONNET, AAA II, 1, p. 186): «Le jour suivant, Jean, Andronikos et les frères
arrivent à l'aube auprès ùe la tombe - car c'était le troisième jour de l'inhu-
mation de Drusiana - pour la Iract-io panis». - 3) Un témoignage indirect
se lit dans une lettre de Cyprien, d'lns laquelle l'évêque interdit de célébrer
l'Eucharistie pour les fidèles ayant nommé un clerc comme tuteur; CYPRIEN,
Epist. l, 2 (CSEL III, 2, p. 466): «Ne qui frater excedens, ad tutelam vel cu-
l'am clericum nominaret, ac si quis fecisset, non ofIcretur nec pro eo sacri-
ficium pro dormitione eius celebraretur. Neque enim apud altare Dei mere-
tur nominari in sacerdotum prece, qui ab altari sacerdotes et ministros vo-
luit avocari ». - Cyprien est un témoin pour la célébration eucharistique
pour les défunts, sans référence précise à un jour. - 4) Martyrium Polyca·y-
pi 18: «Nos collegimus ut aurum gemmamque pretiosam et sepulturae ossa
mandavimus. Conventus itaque alacriter factus ut praecepit Dominus ad
diem natalemque martyrii ». Ce passage est interpolé et ne vaut donc pas
comme témoignage d'une Eucharistie (?) célébrée dès le milieu du Ile s. pour
les défunts; voir note 3. - Sur l'ensemble de ces témoignages, voir FR.-J.
DÔLGER, Die Totenmesse, dans Ichtys, II, Münsterl'Nestf., 1922, :r. 555-569
(où des indicatiolls sont données sur la faveur dont jouissaient les Acta 10-
hannis dans les communautés de l'Eglise officielle (ibid., p. 567 n. 3).
51 Ainsi AUGUSTIN, Confessiones, IX, 12: «~am neque in eius precibus,

quas tibi fudimus, quum tibi offeretur pro ea (Monica) sacrificium pretii nos tri,
iam iuxta sepulcrum posito cadavere, priusquam deponeretur (inhumation),
sicut illic (Ostia) fieri solet, llec in eis precibus flevi». - Cf. FR.- J. DÔLGER,
op. cil., p. 567 n. 4.
52 Le « troisième jour» est une dénomination cultuelle laqueJle a des

parallèles nombreux dans l'antiquité; p.ex.: ARISTOPHANE, Lysistrata, vers


614: «C'est-il que tu vas nous accuser de ne pas t'avoir bien "exposé" (com-
me on fait d'un mort)? Du moins après-demain, de bon matin, recevras-tu
de nous les offrandes du troisûme jour, bien préparées ». - PALLADIUS, His-
to-ria Lausiaca 21 (BUTTLER 68): « le troisième jour du défunt ,L - Constitu-
tions apostoliques, VIII, 42 (FUNK l, 552): « le troisième jour des trépassés o.
- Sur le «troisième jour de la résurrection du Christ ) et les correspondances
avec le troisième jour du défunt, voir FR.- J. DOLGER, Das Todesgediichtn1:ss
Jesu und die antike Memoria moytuorum, dans ICHTHYS, II, 1922, p. 549-555.
402 CYRILLE VOGEL

effective qu'à partir du troisième jour achevé (résurrection de


Lazare, résurrection du Christ). L'on se souviendra ici des indi-
cations physiologiques figurant dans les textes édités par K.
Krumbacher et des remarques faites tant par les auteurs profa-
nes que par les écrivains ecclésiastiques 53.
Tertullien nous apprend que la commémoraison funéraire
(avec célébration de l'Eucharistie très vraisemblablement) se
fait aussi le jour anniversaire lequel, contrairement à l'usage
païen est le jour anniversaire de la mort (et de la depositio), et
non celui de la naissance 54.
Le déroulement de l'Eucharistie funéraire est semblable à
celui de l'Eucharistie dominicale, sauf que l'on y prononçait le
nom du défunt 55. La célébration n'est donc funéraire qu'en raison
du lieu où elle est célébrée et l'on sait les conséquences durables
qui ont résulté de la connexion entre tombe et Eucharistie, quand

53 Voir plus haut la traduction des textes édités par K. KRUMBACHER.


54 TERTULLIEN, De corona 3: « Oblationes pro defunctis, pro nataliciis,
annua die facimus!'l, phrase qui doit se traduire ainsi: «Nous faisons des obla-
tions pour les défunts, le jour anniversaire (de la mort), au lieu du jour an-
niversaire de la naissance» et non: « Nous faisons des oblations pour les dé-
funts (pour les martyrs) nous célébrons le jour anniversaire (de leur martyre) ».
En effet, les natalicia ne sont pas les jours anniversaires des martyrs seule-
ment, par opposition aux simples chrétiens. ~ Le dies annua chez Tertullien
est certainement l'anniversaire du jour de la mort; cf. De monogamia 10:
(1 Enimvero et pro anima eius orat et refrigerium interim adpostulat ei et

in prima resurrectione consortium et offert annuis diebus dormitionis eius».


Texte parallèle chez AMBROISE, De excessu fratris Satyri II, 5 (PL. 16)1316 C):
(1 Nos quoque ipsi natales dies defunctorum obliviscimur et cum quo obie-

runt diem cclebri solemnitati renovamur». ~ L'élimination du jour de la


naissance est voulue.
55 CYPRIEN, Epist. l, 2: «Neque enim apud altare Dei mcretur nomi-
nari in sacerdotum prece (frater excedens) ». - C'est certainement à l'occa-
sion de la célébration eucharistique près de la tombe, le défunt reposant en-
core sur le feretrum, que la communion lui est donnée (malgré l'interdic-
tion formulée contre cette pratique par la hiérarchie). Concile d'Hippone (393)
c. 4: «( Illud autem, quoniam praesentibus corporibus nonnulli audeant sa-
crificia celebrare et partern Corporis sancti cum exanimi cadavere commu-
nicare, arbitror prohibendum (éd. MUNIER, cc 149,21) ». Ce canon semble
interdire à la fois la communion donnée au mort et la célébration de l'Eu-
charistie praesente corpore. - Concile d'Auxerre (578/590) c. 12: «Non licet
mortuis nec eucharistiam nec osculum tradi, nec velo vel pallis corpora eorum
involvi (BRUNS, Canones, II, 238) ».
L'ENVIRONNEMENT CULTUEL DU DÉFUNT ... 403

la tombe était celle d'un martyr ". Comme toute Eucharistie,


l'Eucharistie près de la tombe est présidée par un liturge (évêque
ou presbytre) ordonné, même si les participants sont en petit
nombre. Mais contrairement à ce qui a lieu quand la prex eucha-
ristica est célébrée près d'une tombe de martyr, le liturge ne repré-
sente pas la communauté en tant que telle. Enfin, il faut remarquer
que le déroulement des funérailles ne requiert pas nécessairement
l'insertion d'une célébration eucharistique; celle-ci demeure tou-
jours facultative.
Quelle pouvait être la signification que les chrétiens attri-
buaient à l'Eucharistie « funéraire », avant que ne se modifient,
dans le sens moderne, les représentations de l'Au-delà? Un sou-
lagement pour le défunt analogue à celui que procurait le banquet
funéraire, certes; mais l'Eucharistie tendait aussi à exprimer la
{( communion)} de tous les fidèles, vivants ou morts, dans un
rappel eschatologique inhérent à toute Eucharistie et tout par-
ticulièrement ressenti ici 57. Si intercession pour le défunt il y a,
c'est, à l'époque où nous sommes, dans le sens d'une prière en fa-
veur d'un plus grand bien-être à l'intérieur de l'Hadès provisoire ".

Le banquet funéraire (refrigerium-repas) suit, selon toute


vraisemblance, la célébration eucharistique, quand celle-ci a lieu ".

56 Sur la connexion entre la mensa eucharistique et la tombe du mar-

tyr, voir TH. KLAUSER, Altar III (christlich) , dans Reallexikon für Antike
und Christentum, 1, 1950, 334-354; J. BRAUN, Der christlù;he Altar in seiner
geschichtlichen Entwicklung, 2 vol., München, 1924; A.M. SCHNEIDER, Men-
sae oleorum oder Totenspeisetische, dans Ramische Quartalschrift, 35, 1927,
p. 287-301. - La connexion se traduit encore maintenant par l'inclusion
de reliques dans la table d'autel.
57 Les seuls travaux, à ma connaissance, traitant de la finalité escha-

tologique de l'Eucharistie pour les défunts en dehors de tout souci paréné-


tique, sont ceux de FR. J. DOLGER, Das Todesgediichtnis Jesu und die antike
Memoria mortuorum et Die Tutenmesse, dans Ichtys, II, MünsterjWestf., 1922,
p. 549-569.
68 La célébration eucha.ristique des anniversaires des martyrs (à partir

de 250) se distingue radicalement, quant à la signification, de la célébration


eucharistique pour le défunt ordinaire. Jouissant de la béatitude immédia-
tement après sa passion, le martyr, en raison de ce privilège eschatologique,
échappe à l'Hadès chrétien provisoire. L'Eucharistie célébrée en sa mémoire
ne saurait être qu'une commémoraison de joie, et non une déprécation ten-
dant à lui procurer le transfert du to-rmentum au refrigerium.
" Canons d'Hippolyte (336/340) c. 33 (éd. COQUIN, PO, 31. 137/138):
(1 S'il Y a une réunion qu'on fait pour ceux qui sont morts, qu'ils reçoivent
404 CYRILLE VOGEL

Ce 'relrigerimn, qui a un analogue à peu près parfait (les accla-


mations mythologiques et érotiques exceptées) dans le monde
païen, vient s'insérer assez tôt (à Rome vers 250; en Afrique
au cours du IIIe s., après Tertullien) dans l'ensemble des actions
funéraires. A l'opposé de la célébration eucharistique, le relri-
geri'/lm ne requiert pas la présence d'un membre de la hiérarchie 60.
Le dossie,- littéraire sur le banquet funéraire chrétien est assez
mince; les pièces qui y figurent concernent l'Afrique, la région
de Milan, Nola, Verona et la Syrie; la ville de Rome en est absente 61.

d'abord les mystères avant de s'asseoir. Que ce ne soit pas le dimanche. Après
l'offrande (eucharistique), qu'on leur donne le pain d'exorcisme avant qu'ils
ne s'assoient ... Qu'ils mangent et boivent en suffisance, non jusqu'à l'ébriété,
mais tranquillement, en hommage à Dieu ». - Sur le refrigerium-repas funé-
raire, par différenciation avec le ycfrigerium-repos, voir A.M. SCHNEIDER,
Refrigerium. J. Nach literarischen Quellen und Inschritten, FreiburgfBr., 1928;
A. STUIBER, RetrigeYium interim (Théophaneia 11), Bonn. 1957, p. 105-120
(Der Zwischenzustand im DiCkte der Grabinschrilten). H. FINE, Die Termino-
logie der jenseitsvorstellungen, p. 150-196. - Sur le déroulement du repas
funéraire et les problèmes connexes, voir TH. KLAUSER, Die Cathedra im To-
tenkult der heidnischen und christlichen Antike (LQF 21), MlinsterjWestf., 1927;
TH. KLAUSER, Das altchr·istliche Totenmahl nach dem heutigen Stande der For-
schung, dans Theologie und Glaube, 20, 1928, p. 599-608, travaux d'impor-
tance fondamentale, complétés et mis au point par A. STUIBER, op. cit., p.
120 et ss. (Bildliche Darstellungen ais Niederschlag des Totenkultes): A. PAR-
ROT, Le refrigerium dans l'Au-delà, Paris, 1937; J. DOIGNON, Relrigerium et
catéchèse à Vérone au IVe siècle, dans Hommages à Marcel Renard, II (Lato-
mus 102), Bruxelles, 1969, p. 220-239.
60 Le refrigerium chrétien dans son déroulement est identique au re-

Irigerium pratiqué par les païens de la même époque, sauf élimination des
éléments mythologiques ou érotiques, sauf aussi le choix ou le rejet de cer-
tains aliments rhure de sanglier (sinciput) p. ex.]. La reprise chrétienne en
a été facilitée par la référence possible à Tobie IV, 13: « Sois prodigue de pain
et de vin sur le tombeau des justes, mais non pour le pécheur» et la lecture
erronée de Rom. XII, 13: « Soyez solidaires des mémoires des saints 1) au lieu
de «Soyez solidaires des besoins des saints (<< mneiais fi au lieu de « chreiais f)) ~.
- Voir note 70.
61 Ces documents littéraires se répartissent comme suit: a) Afrique:
Tertullien ignore encore les refrigeria chrétiens, comme il ressort du De testi-
monia animae 4 et du De resur. carnis 1. AUGUSTIN, Confessia'nes VI, 2: « ... cum
ad memorias sanctorum, sicut in Africa, solebat, pultes et panem et mcrum
(Monica) attulü;set ... canistrum cum solemnibus epulis praegustandis atque
largiendis (aliments en prégustation sur la tombe et en libation, pour le dé-
funt), pluS etiam quam unum pocillum pro sua palato satis sobrio tempera-
tum ... non ponebat ». - b) Italie du Nord: AMBROISE, De Helia et ieiunio 17:
... calices ad sepulcra martyrum deferunt atquc illic in vesperam bibunt ... 0
L'ENVIRONNEMENT CULTUEL DU DÉFUNT". 405

Plus importante que la documentation littéraire se présente


ICI la documentation archéologique, iconographique et épigra-
phique. Dès le milieu du Ille siècle, des refrigeria ont été célébrés
à la mémoire des apôtres Pierre et Paul sur la via Appia, à Rome ".
D'autres inscriptions ou graffiti ne laissent aucun doute sur la
faveur dont jouissaient auprès des chrétiens les refrigeria et sur
l'extension de ceux-ci 63,
Selon les recherches les plus récentes, lesquelles concordent
entre elles, les repas sacrés figurant sur les fresques cimétériales

stultitia hominum, qui ebrietatem sacrificum ponunt. - ZÉNON DE VERONE,


Tract, VI, 15: (! , . .foetcrosis prandia cadaveribus sacrificant mortuorum Il.
- c) Campanie: PAULIN DE NOLE, De FeliGis nativitate carmen IX, 5.56: « ... Sim-
plicitas pietate cadit, male credula sanctos / perfusis, halante mero, gaudere
sepulcris Il. - d) Orient (Syrie? Constantinople?): Constitutions Apostoliques,
VIII, 44,1: ~ (Vous les presbytres et diacres) invités aux commémoraisons
des morts, mangez avec modération et dans la crainte de Dieu, pour que vous
puissiez faire vos prières pour les trépassés ». - La ville de Rome et la Gaule
sont absentes du dossier littéraire.
62 Mcmoria Apostolorum (actuelle catacombe de Saint-Sébastien), sur

la via Appia, graffiti de la triclia (local pour refrigeria): PETRO ET PAULO /


TOMIUS COELIUS / REFRIGERIUM FECI; AT PAULO / ET PET (ra) / REFRI(geravi);
P. STYGER, Il monumento apostolico della via Appia, dans Dissertazioni Pont.
Accad. archeol" II, 13, Rome, 1918, p. 59 et 61, pl. II. La date de la triclia
est désormais fixée grâce à la lecture du graffito suivant proposée par R. Ma-
richal: Celeri (nus) / V Idus Aug(usta.<;) Saecul(ari) II / et Donatio II cos (=260);
cf. R. MARICHAL, La date des graffiti de la triGlia de Saint-Sébastien, dans Ar-
chéologie paléochrétienne et culte chrétien (Revue des Sciences religieuses), 36,
1962. pp. 11H54.
53 Graffito de la catacombe de Priscilla (G.B. DE ROSSI, Bullettino, 1890,

tav. 6): In pace / l Idus Febr. / conss. Gratiani III et Equiti (= 374/375) Flo-
rentius Fortunatus et 1 (Fe)lix ad calice benimus (= ad calicem venimus).
- Terni, Cimetière (DIEHL 1565 B): Mallins Tigrinus / ob refrigerium c(aris
suis) / domum acternalem / vivus fundavit. - Rome, Cimetière de Saint-
Pamphile (SCHNEIDER 32): Fecit... merentibus in refrigerium. - Verre doré
du Vatican (DIEHL 2304): Hilaris vivas cum tuis feliciter. Semper rcfrigeris /
ïn pace dei. - Satafis (Maurétanie), Inscription de l'année 299 [A{nno) pr(ovin-
ciae CCLX)] (DIEHL 1570): Memoriae Aeliae Secundulae / Funeri mu(l)ta
quid(e)m condigna iam misimus omnes / Insuper ar(a)equ (c) deposit(a)e Se-
cundulae matri / Lapideam placuit nobis atponere mensam / in qua magna
eius memorantes plurima facta / Deum cibi ponuntnr calicesq(ue) e(t) coper-
tae / - Autres inscriptions chez DIEHL ILCV (s.v. refrigeriuffi, refrigerare);
A.:VL SCHNEIDER, RefYigeYium, p. 19-23; 27-33; PARROT, Le refrigerium, p.
131-171. - Sur les rapports entre les termes refriget'ium et refrigerare dans
les inscriptions et en liturgie, voir A.M. SCHNEIDER, p, 25-27. - Les équiva-
lents grecs de refrigerium-repos et de refrigerium-repas ont été peu étudiés;
406 CYRILLE VOGEL

doivent tous être interprétés comme des représentations de


banquets funéraires; certaines de ces peintures remontent à la
seconde moitié du Ille siècle, la plupart appartiennent au Ive
siècle; toutes constituent des documents irremplaçables pour nos
connaissances sur le déroulement concret de ces banquets 64.
L'étroitesse des galeries ou des cubicula des catacombes ne
se prêtai et guère à la réunion funéraire à proximité immédiate
de la tombe. Des lieux de culte en surface, et sur la même aire
cimétériale, accueillaient les parents et amis du défunt; certains
de res lieux, de l'époque préconstantinienne, nous sont conservés:
la triclia sur la via Appia, près de la M emaria apastalarum (actuelle
catacombe de Saint-Sébastien), où les visiteurs, à proximité des
tombes apostoliques, trouvaient un endroit couvert, un banc
de pierre pour s'asseoir, une citerne d'eau; ils y ont laissé des graf-
fiti en souvenir du refrigerium qu'ils y ont célébré 65. Des construc-
tions à fonction similaire ont été aménagées au Caemeterium
Mai"s, sur la via Nomentana (cubic"lum 33). à Domitille, sur
la via Ardeatina (dans l'atri,,m) et dans la catacombe de Priscille,
sur la via Salaria (le local appelé Cappella graeca) ".

quelques indications chez A.M. SCHNEIDER, Refrigerium, p. 23-25 et A. STUI-


BER, Refrigerium interim, p. 105-120. - Ont leur place ici tous les appels
aux défunts de boire avec les convives du banquet funéraire, tels que «pie.
zeses» {= bois et tu vivras = A ta santé!}; cf. DIEHL, ILCV S.V. pi{n)e, refri-
gera, etc.
64 Documentation iconographique essentielle: Callixte (via Appia): WIL-
PERT, Die Malereien der ](atakomben, Rom-FreiburgjBr., 1903 (= w), XG, 2;
XXVII, 2; XLI, 1, 3 et 4; Priscilla (via Salaria): w. XX, 1; Domitilla (via
Ardeatina: w. VII, 4; Pierre-et-Marcellin (via Labicana): w. LXII, 2; LXV, 3;
CXXXIII, 2; CLVII, 1 et 2; CLXVII; CLXXXIV. - Commentaire de ces
représentations du refrigerium chez A. STUIBER, Refrigerium interim, p. 120-
136 (Bildliche Darstellungen aIs Niederschlag des Totenkultes).
65 Documentation fondamentale sur la Triclia de la Memoria Aposto-

lorum (via Appia) chez P. STYGER, Il monumento apostolico della via Appia,
dans Dissertazioni della Pontificia Accademia di Archeologia, II, 13, Rome,
1918 p. 48-89, pl. I-XXV; A.v. GERKAN, Die christlichen Anlagen unte,. San
Sebastiano, dans H. LIETZMAN, Petrus und Paulus in Rom, 2 e éd., Berlin-
Leipzig, 1927, p. 248-301; sur la date des graffiti, voir R. MARICHAL, La date
des graffiti de la Tricha de Saint-Sébastien, dans Archéologie paléochrétienne
et culte chrétien (Revue des Sciences religieuses, 36), 1962, p. 111-154.
66 Documentation sur les lieux de refrigeria ci-dessus indiqués, dans

TH. KLAUSER, Die Cathedra im Totenkult (s.v. Coemeterium Maius, Domi-


tillae, Priscillae) et dans P. TESTINI, Le catacombe e gli antichi cimiteri cri-
stiani in Roma (Roma cristiana II), Bologna, 1966.
L'ENVIRONNEMENT CULTUEL DU DÉFUNT ... 407

En regroupant les données fournies par les textes littéraires


et la documentation archéologique, il est possible de reconsti-
tuer, avec une approximation suffisante, l'organisation du ban-
quet funéraire chrétien,
Le repas est toujours organisé le plus près possible de la tombe;
il se répète à intervalles réguliers et fixes (aux jours commémo-
ratifs indiqués plus haut), ou selon la dévotion des amis et parents,
à partir du jour de la depositio ou plus probablement, à partir
du 3" jour de cette depositio, le plus souvent le soir ou à la nuit
tombante 67.
Le nombre des participants varie suivant la notoriété, la
richesse et la piété de la famille du défunt; les anniversaires des
martyrs, où la hiérarchie est présente, donnent lieu à des refrigeria
plus importants ",
Le refrigerium étant un repas sacré, les païens en sont exclus
ou, du moins, devraient l'être ", Les aliments et boissons que
l'on apportait de la maison, avec les coupes, sont très simples,
mais semble-t-il d'un type particulier: pain, vin, eau, bouillie
de farine ou de grains et, compte tenu des indications données
par les fresques cimétériales, le poisson; viandes et légumes, ainsi
que les fruits en sont exclus 7o, Rien ne permet cependant de dire

61 AMBROISE, De Helia et ieiunio 17: (c ••• calices ad sepulcra deferunt


atque ilUc in vesperam bibunt)). - Inscription funéraire de Aelia Secundula
(an. 299, Satafis, en Maurétanie): (t .•• dum sera redimus hora (DIEHL 1570) l).
Cet usage est conforme à l'usage antique; cf. FR. J. DOLGER, Ichthys, II, p. 13.
08 La célébration des anniversaires des martyrs a une signification ra-

dicalement différente de celle qui a lieu pour les simples fidèles. Cependant,
le déroulement cultuel tant de l'Eucharistie que du refrigerium est, dans les
deux cas, le même. Le culte des martyrs est issu du (t culte)) des morts en
général.
89 Cyprien reçoit les doléances des évêques d'Espagne rassemblés à Léon,

Astorga et Merida, à propos d'un nommé Martialis; il répond, en 254. Cy-


PRIEN, Ep. LXVII, 6: (t .•• Martialis quoque praeter gentilium turpia et lu-
culenta convivia in collegio diu frequentata, et filios in eodem collegio exte-
rarum gentium more apud profana sepulcra depositos et alienigenis conse-
pultos ... *. Cyprien réprouve le fait qu'un chrétien ait fait enterrer ses fils
avec les païens, par l'intermédiaire d'un collège funératice. A fortiori, les
banquets funéraires avec les non chrétiens sont-ils interdits.
10 Le poisson comme aliment sacré des refrigeria ne figure pas dans les

textes littéraires, ni dans les inscriptions faisant directement allusion au ban-


quet funéraire; par contre, il se trouve dans toutes les représentations figu-
rées de ce banquet (fresques et bas-reliefs des sarcophages), ainsi que sur
408 CYRILLE VOGEL

qu'en connexion avec les libations proprelnent funéraires, les


repas aient tous gardé leur caractère frugal et austère 71, Parents
et amis mangent et boivent à proximité de la tombe, quand ceIIe-
ci est en surface et commodément accessible ou, le plus souvent,
dans des lieux construits ad hoc dans l'aire cimétériale quand il
s'agit de tombes souterraines, l'exiguité des cubiwla des cata-
combes ne permettant guère un groupement de plus de cinq
personnes, et ceci pour un temps très court, Le rejrigerù,m pouvait
se réduire à une gorgée de vin ou à une bouchée de pain que l'on
consommait debout", Selon l'usage habituel cependant, les con-
vives s'asseyaient sur des sièges, fixes (taillés dans le tuf) ou
amovibles, ou s'étendaient sur des bancs en forme de sigma oncial
(d'où le terme de repas «sigmatiques 1) donnés aux banquets
funéraires), recouverts de matelas et de coussins 73.

nombre d'inscriptions funéraires (épitaphes de Licinia Amias, d'Aberkios


et de Pectorios, en particulier); cf. C. '/OGEL, Le repas sacré au poisson chez
les chrétiens, dans Eucharisties d'Orient et d'Occident, I (Lex orandi 46), Paris,
1970, p. 83-116 (reprise de la Revue des Sciences religieuses, 40. 1966, p. 1-26).
Contre l'interprétation avancée dans cet article, J. ENGEMANN, Fisch, dans
Reallexikon /ür Antike zmd Christentum, VII, 1969, 1021-1097. - L~n assez
étrange graffita en cursive, en provenance de la triclia près de la Memoria
Apostolorum sur la via Appia, indique que les convives rassemblés en ce lieu
ont consommé des « abricots, du miel, des airelles (ou myrtilles ?), des arti-
chauts, du poisson, des poulets, un cochon de lait, des gâteaux, des sardi-
nes fi (P. STYGER, op. cit., pl. XXIV). - R. Marichal, qui a soumis à un exa-
men paléographique ce curieux menu, date le graffito des années 235/260
(donc de la même période que l'ensemble des graffiti de la même triclia). L'écri-
ture est plus soignée que celle des restes des inscriptions; le document est
incisé sur le bord du parapet de la triclia. M. Marichal en déduit qu'il s'agit
probablement de la «( carte fi du tenancier de la triclia, laquelle aurait été aussi
un restaurant champêtre (comme l'avait déjà soutenu A.v. GERKAN, op. cit.).
Cf. M. MARICHAL, La «( carte» de la triclia de Sa-int-Sébastien, dans la Revue
des Sciences religieuses, 36, 1962, p. 150-154.
?l Les expressions « ebrietas, epulac, halante mero, luxllriosa convivia,

luxuriosissime bibere) dans nos documents semblent indiquer le contraire.


- Voir note 80.
72 Tel est le cas pour Monique (AUGUSTIN, Con/ess. VI, 2): « ... pocillum
pro sua palatio satis sobrio temperatum fi. - Cf. les illustrations reproduites
par TH. KLAUSER, Die Cathedra, pl. XIX, 1 et 2 à propos d'Ull certain Cristor
et Eutropos.
73 Le fait de se tenir debout ou de s'allonger peut être un geste rituel;

cf. TH. KLAUSER, Die Cathedra im Tolenkult, p. 2-13 et TH. OHM, Die Gebets-
Gebiirden der Volker und !las Christentum, Leülen, 1948.
L'ENVIRONNEMENT CULTUEL DU DÉFUNT ... 409

Le défunt est censé prendre part au retrigerium qui lui est


destiné 74. Comme le montrent clairement les fresques et les bas-
reliefs des sarcophages, une place lui est assignée à l'extrémité
de la table sigmatique. Souvent quand les lieux s'y prêtent, une
cathedra funéraire votive matérialise sa présence; une vingtaine
de ces cathedrae, parce qu'elles ont été taillées dans le tuf volca-
nique des cimetières souterrains, nous sont conservées; les sièges
amovibles ont disparu 75.
Le défunt est explicitement convoqué au banquet; les formules
d'invitation nous sont conservées en de très nombreuses variantes,
sur les dalles funéraires, sur les verres dorés ou sur les fresques
cimétériales; ainsi, par exemple, avant la campatatio: (C Pie, zeses »)
(bois, et tu vivras = à ta santé!), ave, vale, bene retrigera (= bon
appétit!). retrigeret tibi De"s, in retrigerio, esto in retrigerio, re-
frigera C'lMJ1. sPirita sancta 76.
Certaines de ces acclamations contenant les termes refri-
geriu11Z et refrigerare peuvent s'interprêter dans le sens d'un souhait
de bien-être dans l'Au-delà, mais la plupart du temps elles ont un
sens très réaliste. surtout quand elles s'accompagnent d'expressions
relatives au service du vin: Agape da calda! Irene misce mihi! 77.
Sont à rapprocher de ces appels, les acclamations: pax tecum,
in pace, in bono lesquelles s'entendent à la fois du refrigerium-
repos et du refrigerium-repas 78.

74 A propos des banquets funéraires qu'il réprouve: TERTULLIEN, De


testimonio animae 4 (CSEL 20,139): «( in convivio eorum (i.e. defunctorum)
quasi praesentibus et conrecumbentibus 1). - Le défunt figure sur de nom-
breuses fresques cimétériales chrétiennes, ou est censé être présent en rai-
son du geste de la compotatio (bras tendant une coupe vers le convive).
15 TH. KLAUSER, Die Cathedra im Totenkult der heidnischen und christli-

chen Antike (LQF 21), MünsterjWestf., 1927. _ L'étroitesse de ces sièges cons-
titue la preuve évidente qu'ils n'ont pas pu servir à des usages pratiques,
ni à des fonctions liturgiques (siège épiscopal!).
76 Documentation dans E. DIEHL, Inscriptiones latinae chYistianae vete-

res, 3 vol., Berlin, 1925-1931. - Voir aussi, P. PAOLUCCJ, Relyigen:um, Ca-


merino, 1923, p. 112 et A,:\'r. SCHNEIDER, Refrigerium. J. Nach literarischen
Quellen und Jnschrilten, Freiburg/Br., 1928. - Les acclamations chrétien-
nes dont il est question ici, correspondent aux convocations ùes morts païen-
nes: «Toi, un te!, lève-toi, mange et bois et restaure-toi bien (EpIPHANE, An-
coratus, 86,·5; GCS l,lOG) ,).
17 Sur ces fresques et les inscriptions qui y fi;;urent, ,"oir A. STUIHER,

Refrigerium i'nterim, p. 134-136.


16 En pluS des ouvrage;:, déjà cités de E. Diehl et de C.l\L I\:aufman n ,

voir DACL l, 1924, 239-265 s.v. Acclamations) et DACL, VTT, 1926, 670 et ss.
410 CYRILLE VOGEL

Jacques de Serugh (t521), nous livre, vers la fin de la période


paléochrétienne, ses réflexions sur la conclamatio morfuor'u,m, bien
qu'en fait de banquet, il paraît songer davantage à l'Eucharistie
qu'au rejrigerium:
«Organise un banquet et y invite tes morts, afin qu'ils viennent à l'obla-
tion qui pour toutes les âmes est un réconfort et un soutien ... N'appelle pas
le mort auprès de la tombe, car il ne t'entend pas; pour le moment, en effet,
il est absent. Cherche-le plutôt dans la maison de la miséricorde (c.à.d. le lieu
de culte) où se réunissent les âmes de tous les défunts, car c'est le lieu où ils
puisent à la vic pour s'en réconforter (JACQUES DE SERUGH, Poème sur la
messe des défunts, v. 80 et 55.: BKV 6, 30B}» 79,

La part du défunt est posée sur la table de la triclia ou sur


la tombe, quand il s'agit d'éléments solides, ou versée sur la tombe
ou dans le sarcophage par le moyen d'un tuyau de libation, quand
il s'agit de vin 80.
Le banquet funéraire - et les libations symboliques au dé-
funt n'y font pas obstacle - est un véritable repas de satura-
tion, ou il peut l'être, joyeux, détendu, où les excés ne sont pas

(Inscriptions grecques chrétiennes. Le formulaire) et 773 et ss. (Inscriptions


latines chrétiennes. La mo-rt). Les deux articles relatifs à l'épigraphie chré-
tienne (formulaire grec par L. JALABERT et R. MOUTERDE, formulaire latin
par H. LECLERCQ) comptent parmi les meilleurs existant à ce jour.
79 Textes parallèles: ORIGÈNE, De la prière, 31,5 (GCS Origenes II, 399):

«les âmes plus rapidement que les vivants arrivent dans les lieux de culte ».
- En un mouvement inverse, GRÉGOIRE l, Dialogues II (vita s. Benedicti 23).
à propos de religieuses excommuniées mais inhumées dans l'église. A l'appel
du diacre: «Si quis non communicat det locum », les âmes des religieuses en-
terrées quittent l'église: « nutrix earum quae pro eis oblationem Domino de-
ferre consueverat, eas de sepulcris suis progredi et exire de ecclesia videbat ».
Cf. FR. J. DOLGER, Ichthys, II, p. 562 n. 2.
80 AUGUSTIN, De moribus Ecclesiae 34 (PL. 32,1342): «luxuriosissime
super mortuos bibere et epulas cadaveribus exhibere &; De civit. Dei, VIII, 27:
(l epulas suas eo (defuncto) deferre 1); Contra Faustum, XX, 21 (PL. 42,384):
defunctorurn umbras vino placare et dapibus 1); Confess. VI, 2: « !taque curn
ad memoriam sanctorum, sicut in Africa solebat, (Monica) pultes et panern
et merum attulisset)); Sermo XIII, 4 (PL. 46,857): « currcre ad memorias
martyrum, benedicere calices suos de memoriis martyrum, redire saturatos )).
- PAULIN DE NOLE, De Feliciis nativit. carmen IX, 566 (PL. 6L661): (l sanctis,
perfusis, halante mero, gaudere sepulcris)). - ZÉNON DE VÉRONE, Tract.
l, 6,15 (PL. 11,3(6): «per sepulcra discurrere, foeterosis prandia cadaveribus
sacrificare rnortuorum; amore luxuriandi atque bibendi in infamibus locis,
lagenis et calicibus subito sibi martyres parire 1),
L'ENVIRONNEMENT CULTUEL DU DÉFUNT ... 411

rares 81. Il s'achève habituellement par une distribution d'aliments


ou de numéraire aux personnes pauvres 83.

Mieux que pour l'Eucharistie célébrée près de la tombe,


se laisse déceler la finalité du banquet pour les défunts. Le contexte
allègre et paisible dans lequel il se déroule (sous les tonnelles,
dans des triclia du genre des tavernes), la présence occulte, mais
réelle, du défunt, les acclamations qui le saluent, les souhaits
qui lui sont adressés ne laissent aucun doute à ce sujet: le banquet
est censé procurer au « double étiolé» du mort, à son ombre,
à son «( âme », un soulagement, un rafraîchissement entendu au
sens très réaliste d'une restauration et, si Dieu le veut, SOn trans-
fert du tormentum au lieu de paix et de repos provisoire dans
l'Hadès chrétien.
Un épisode admirable rapporté dans la Passio Perpetuae et
Felicitatis nous documente concrètement sur l'état précaire des
ombres dans l'Hadès chrétien et des effets que peuvent avoir
pour elles les commémoraisons organisées en leur faveur:
EPISODE DE DINOCRATÈS (récit de Vibia Perpetua): «Après quelques
j ours, pendant notre prière commune, en plein milieu, me vint subitement
sur les lèvres le nom de Dinocratès. ]e m'étonnais que jamais son nom ne
m'était auparavant venu à l'esprit. J'eus beaucoup de peine en me souve-
nant de son destin et je compris que j'étais reconnue digne d'intercéder pour
lui. ] e me mis à supplier pour lui et à pousser des gémissements vers le Sei-
gneur. Et voici la vision que j'eus la même nuit:
(Le tormentum). Je vois Dinocratès sortir d'un lieu ténébreux, où se
trouvaient beaucoup d'autres; il souffrait de la chaleur et il avait soif. Ses
traits mal soignés étaient pâles. La plaie sur sa figure se voyait bien, celle
qu'il avait quand il est mort. Dinocratès était mon frère, âgé de sept ans,
mort misérablement d'un cancer de la face, de sorte que son décès était un
objet d'horreur pour tous (Dinocratès était un ah01'e).

81 Voir note précédente. - Les refrigeria se survivent pendant tout


le moyen âge sous la forme de banquets et de sauteries organisées le jour des
saints patrons des églises ou des corporations, malgré l'interdiction souvent
répétée des conciles; cf. à ce propos les canons conciliaires gaulois et africains
regroupés par Ch. Munier, dans les tables de ses éditions, s.v. Convivia. -
Le refrigerium se survit aussi dans le Natale Petri de cathedra (22 février);
cf. TH. KLAUSER, op. cit., p. 152-184.
82 AUGUSTIN, De civit. Dei VIII, 27; Confess., VI, 2. - PS.-ORIGÈNE,
In lob 3 (PG. 15,517 A). Illustration dans WILPERT, op. cit., pl. LXII, 2 (les
pauvres étendent les mains, et arrivent au refrigerium munis de sacs de pro-
vision).
412 CYRILLE VOGEL

Je faisais donc des prières pour lui. Entre mon frère et moi-même, il
y avait un grand intervalle qui nous empêchait de nous rejoindre. Et dans
le lieu où se trouvait Dinocratès, il y avait une piscine remplie d'eau dont
la margelle était trop haute pour la taille de l'enfant. Dinocratès se penchait
pour boire et il ne le pouvait pas, ce dont j'éprouvais une grande douleur.
Je me réveillais et j'ai compris que mon frère souffrait, mais j'avais la cer-
titude que je pouvais l'aider et je priais pour lui tous les jours, jusqu'au mo-
ment où nous filmes transférés à la prison militaire ...
(Le refr'Ïgerium). Le jour où nous étions enchaînés, j'eus une nouvelle
vision. Je revis le lieu que j'avais vu auparavant et je vis Dinocratès, propre,
bien habillé, bien à l'aise (refrigerans). Là où était sa plaie, je vis une cica-
trice. Le puits avait '3a margelle abaissée, à la hauteur de la taille de l'en-
fant. Dinocratès puisait de l'eau sans arrêt (version grecque: l'eau coulait sans
arrêt). Sur la margelle était placée une coupe d'or remplie d'eau. Dinocratès
s'avança et but à la coupe, laquelle ne s'épuisait pas. Désaltéré, il quitta l'eau
et se mit à jouer comme font les enfants. Je me réveillai et je sus qu'il avait
cess6 de souffrir (Passio Perpetuae et Felicitatis, VII- VIII) » 8a.

Le récit de Vibia Perpetua est l'illustration parfaite de la


phrase de Tertullien: «Enimvero et pro anima eù,. orat et refri-
gerium interim adPostulat ci et in prima resurrectione (résurrection
des morts à la fin des temps) consortium, et offert annuis dieb<ls
dormitionis ei<ls (TERTULLIE:-I, De monogamia 10).

** •
Quelques lignes suffiront pour conclure. Dans l'ensemble, les
us et coutu1l1es funéraires chrétiens sont les mêmes que les usages
funéraires païens, y compris le banquet funéraire, élimination
faite des éléments mythologiques et érotiques, ainsi que du scep-
ticisme désabusé tel qu'il apparaît dans certaines inscriptions
funéraires antiques. On hésitera, pour la période paléochrétienne
et en raison des réserves faites plus haut, de qualifier ces usages
de ,< liturgiques» au sens strict. Sont spécifiquement chrétiennes,
d'abord la prière des vivants pour les morts, attestée depuis 200
au moins, dont le formulaire n'est pas conservé; ensuite la célé-
bration de l'Eucharistie, toujours facultative, en connexion to-
pographique plus ou moins étroite avec la tombe du simple fi-
dèle. Ce rapprochement local entre tombe et Eucharistie se retrouve
dans le culte des martyrs, à partir du moment où celui-ci s'est

83 Sur l'épisode de Dinocratès, voir FR. J. DOLGER, Antike Parallelen

zum leidetuien Dinocyates in der Passin Pe·rpetuae, dans Antike und Christen-
tu/nt, II, 1930, p. 1-40.
L'ENVIRONNEMENT CULTUEL DU DÉFUNT... 413

développé (v. 250), lequel, on le sait, n'est autre chose que le


culte des défunts plus solennel, liturgique au sens précis, en raison
de la présence de la communauté en tant que telle, avec l'évêque
et le clergé. Cependant, le privilège eschatologique reconnu au
martyr, en modifie radicalement le sens et le différencie du culte
des défunts en général.
Dans tous les cas, prières, Eucharistie ou refrigerium-repas
tendent seulement, durant la période envisagée ici, à réconforter
le défunt dans son existence précaire et provisoire dans l'Au-delà
et à lui procurer un lieu de repos plus amène, dans l'attente du
Jugement unique à la fin des temps.
Cyrille VOGEL (Strasbourg)

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