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S. Van Mierlo
Le présent ouvrage s’adresse surtout à l’homme de bonne volonté qui a déjà reconnu, ou
qui est disposé à reconnaître, que la création nous montre la puissance et la divinité d’un
Créateur, et qui se demande si ce Dieu inconnu se révèle d’une manière plus explicite1.
Mais nous espérons que notre étude pourra également être utile au chrétien qui désire
réexaminer, aussi objectivement que possible, le problème de la révélation. Nous examinons
pourquoi il y a de bonnes raisons de croire que la Bible est l’expression de ce que Dieu désire
nous révéler, par l’intermédiaire d’hommes spécialement choisis à cet effet.
On peut par conséquent considérer ce Livre comme une unité qui exprime la Vérité
d’une manière compréhensible pour nous, et appliquer à son étude la méthode « scientifique
», c’est-à-dire celle qu’utilisent les hommes de science pour étudier la nature. Cette méthode
comporte les caractéristiques suivantes: une foi préalable dans l’unité et dans la vérité du
système étudié, l’amour pour la vérité, l’humilité. Aucune conception a priori ne doit
intervenir pendant l’étude de cette unité. Dans le cas de la Bible, on doit donc commencer par
croire à sa véracité, et l’étudier ensuite sans idées préconçues, la prenant elle-même comme
norme. On doit expliquer la Bible par la Bible et exclure toute autre norme.
Nous constatons que la critique moderne n’a pas suivi cette méthode scientifique et
nous examinons ses arguments et ses résultats. Cet examen pourrait sembler superflu
aujourd’hui, vu les changements importants survenus dans l’attitude de beaucoup de
théologiens contemporains, qui rejettent en grande partie les anciens « résultats » des maîtres
de la critique. Cependant cette critique destructive exerce encore une certaine influence, et il
nous a paru bon de rappeler avec quelle légèreté elle a affirmé les plus grandes erreurs et où
elle peut conduire.
Nous nous efforçons de montrer que ceux qui pensent encore être obligés d’admettre
que la critique qui attaque la véracité du texte garde encore certains droits, sont amenés à des
inconséquences, et qu’il est impossible de fixer des limites à ces droits supposés. Il faut une
solution plus radicale: aucune critique destructive ne peut être tolérée parce qu’il n’y a aucune
bonne raison pour prétendre que le texte contient des erreurs. Ni la géologie, ni
l’anthropologie ne nous obligent à douter de la vérité ou de l’historicité de certains passages
de la Bible. Ces sciences confirment, au contraire, son inspiration. Ce sont toujours les faits
qui démontrent la véracité du texte et qui ont désarmé la critique. Ainsi l’archéologie a
contribué beaucoup à discréditer la critique.
Nous répondons aussi, surtout dans le dernier chapitre adressé plus particulièrement aux
chrétiens, aux objections de principe relatives à la pleine inspiration. Il est vrai qu’une
Ecriture pleinement inspirée doit constituer pour nous une autorité souveraine en matière de
foi. Mais, tout en étant autorité parce que Vérité, le contenu de la Bible ne s’impose pas
autoritairement à nous. Car ce Livre n’est, comme tout document écrit, que l’expression
symbolique des vérités qu’il nous présente. Et ce symbole seul est impuissant à nous faire
saisir la Vérité. En effet, comme il s’agit surtout de choses spirituelles, que nous ne pouvons
pas connaître — donc pas accepter par la foi — à l’aide de nos capacités naturelles, il faut une
action éclairante de l’Esprit de Dieu. Ce ne sera donc que dans la mesure où nous ne
1
Voir le chapitre « Comment atteindre l’absolu ?» dans notre ouvrage La Science, la Raison et la Foi.
Presses Universitaires de France.
Le problème de l’interprétation des Ecritures occupe une place importante dans notre
étude, car nous voulons montrer que la méthode scientifique exige une interprétation aussi
littérale que possible et que l’interprétation des passages concernant la création, le
commencement de l’humanité, le déluge, etc. peut être plus littérale que l’on ne pense
souvent. Et cela, non pas en ignorant ou en rejetant les enseignements st de la science ou en
sollicitant le texte, mais, au contraire, en faisant usage de toutes les données scientifiques
certaines et en prenant le texte aussi simplement et aussi littéralement qu’il se peut.
C’est en laissant parler le plus possible le texte même, que nous éviterons le mieux
d’introduire dans notre interprétation des conceptions humaines. Et nous pourrons ainsi
parvenir à une vue générale bien équilibrée sur la manière dont le plan divin s’est réalisé et
sur la voie du salut.
Dans notre ouvrage La Science, la Raison et la Foi, nous avons considéré un grand
nombre de questions dont l’examen montre qu’il est très raisonnable de croire à l’existence
d’un Dieu supra- personnel. Quoique inconnaissable en lui-même, Il montre son existence dès
que nous réfléchissons, car sans Lui rien ne s’explique. Il se révèle dans sa création.
Mais on doit se demander si ce Dieu, qui semble si lointain, si inaccessible, ne s’est pas
fait connaître plus intimement, s’Il ne s’est pas révélé de manière à nous donner une idée plus
précise de ce qu’Il est, de ce qu’Il veut, de ce qu’Il fait, et surtout du moyen qui pourrait nous
faire sortir de notre misère. En un mot, la question qui se pose avec insistance est : Dieu ne
nous parle-t-Il pas directement et explicitement?
Ayant reconnu, par la raison, non seulement l’existence de Dieu, mais aussi notre état
de chute, c’est-à-dire de séparation spirituelle d’avec Dieu, nous nous rendons compte que
nous nous trouvons dans un monde relatif, que nous ne pouvons avoir aucune certitude —
même concernant les choses visibles — que nos raisonnements restent toujours imparfaits.
Or, quand nous parlons de révélation, il s’agit d’une action divine. Comment pourrions-nous
en parler? Si donc nous essayons de répondre à ces questions, ce doit être dans la pleine
conscience que nous ne pouvons que balbutier. Seule la révélation même — si elle existe —
peut nous donner une certitude. L’examen de ces questions préliminaires n’a donc qu’une
valeur toute relative et ne peut servir qu’à nous donner une certaine satisfaction intellectuelle,
à éviter des obstacles et à répondre à des objections.
L’être sans raison, l’animal, fait l’expérience qu’il se trouve dans un état laissant
beaucoup à désirer; qu’il est soumis à la souffrance et à la mort. Mais sa connaissance et sa
conscience sont du domaine sensitif et non intellectif. Il en résulte qu’aux moments où ses
appétits sont momentanément satisfaits et où la souffrance physique est absente, il est
parfaitement « heureux ».
L’homme qui réfléchit peut se rendre compte, même quand il ne souffre pas
physiquement et à part toute connaissance sensitive, de l’infinie distance qui sépare son état
de la perfection. C’est sa raison même qui le fait souffrir, car il est conscient de son
ignorance, de son incapacité, du mal qui l’enveloppe et le tient en esclavage. C’est par la
raison qu’il est obligé de reconnaître d’une part l’existence du parfait et d’autre part la
tragédie de sa propre situation. Plus sa raison est active, plus il souffre.
Mais quoi qu’il fasse, il ne trouve pas de satisfaction réelle, et la pensée ne lui laisse pas
de répit, car elle ne se contente pas des résultats obtenus. Même s’il pouvait éviter toutes les
souffrances communes au grand nombre, il ne peut éviter la souffrance intime de se savoir
toujours ignorant, faible, vulnérable et d’avoir comme fin la mort inévitable. Même s’il
pouvait satisfaire à toutes ses aspirations au bonheur humain, il resterait insatisfait. Au
contraire, plus il progresse et plus il devient conscient de sa misère.
L’homme peut alors prendre deux attitudes: la première est celle qui renonce à l’essence
de son être, qui fuit ou trompe la pensée, cause principale de sa souffrance; la deuxième est
celle qui regarde la réalité en face et, loin de chercher comme fin un bien relatif, désire
atteindre la plénitude de son être, la perfection.
La première tendance est celle que choisit, plus ou moins inconsciemment, la grande
majorité des hommes. Elle se traduit de manière très variée. On cherche la distraction, soit
dans les « plaisirs » soit dans une occupation absorbante, fatigante, ou ambitieuse, pour
s’empêcher de penser à la pleine réalité. Certains cherchent à discréditer la raison et à
remplacer l’absolu par le relatif. D’autres nient l’existence du mal, s’égarent dans de fausses
considérations philosophiques, divinisent l’homme, la nation, la race, la force, etc.
D’autres encore se contentent d’une croyance qui est peut-être « bonne », mais qui n’a
rien à faire avec la vérité ou la raison. La manière de se comporter de ces hommes peut être
très bonne en elle-même. Les médecins recommandent souvent la distraction.
L’exercice de la pensée, le travail, l’ambition sont nécessaires. Les psychiatres savent
très bien que la « religion » ou une « sublimation» quelconque des appétits naturels peut
éviter des désastres. Mais tout cela ne doit pas être considéré comme fin, ni devenir un
prétexte pour échapper à la réalité. Des palliatifs peuvent même être nuisibles, quand ils
cachent les symptômes de la maladie, sans la guérir.
La deuxième tendance, qui ne veut pas éviter la pleine réalité, qui ne se contente pas
d’illusions, est la moins populaire. Deux cas peuvent alors se présenter:
1. On résiste à Dieu, et alors, confronté avec la réalité terrible de la vie, il ne resterait
que le suicide, pour celui qui voudrait être vraiment conséquent avec lui-même.
2. On se tourne vers Dieu, mais d’une manière pleinement consciente, car on sait que
Lui seul peut résoudre tous les problèmes. Devant la réalité de notre impuissance, nous
voyons que notre seule espérance est que Dieu Lui-même parle et agisse.
Nous nous rendons alors compte de la nécessité d’une révélation. Voilà donc pour ce
qui concerne la première question.
Bien entendu, nous partons maintenant des données que nous avons obtenues jusqu’à
présent, et plus spécialement de l’existence d’un Dieu supra-personnel, parfait, absolu, qui est
non seulement Vérité et Puissance, mais aussi Amour. Or, un Dieu absolu, s’Il veut créer, le
Dieu, qui est Esprit, ne pourrait-Il pas parler directement à notre esprit? Il semble, que,
normalement, ceci soit impossible. L’esprit de l’homme déchu n’a plus ses capacités normales
et ne peut plus communiquer directement avec un autre esprit3. Il nous faut l’intermédiaire des
sens et du monde physique. Mais Dieu pourrait agir d’une manière anormale sur certains
hommes de manière à les rendre capables de recevoir la Parole divine et de l’exprimer à leur
tour sous forme de mots parlés ou écrits. N’est-ce pas le cas de ceux que l’on nomme «
prophètes », ceux qui parlent pour Dieu et que l’on désignait aussi par le mot de « voyants»?
La prise de conscience de ces hommes pourrait se faire par des intuitions, des visions, des
rêves, etc.4
Comme c’est un fait d’expérience que Dieu ne se révèle pas directement à tout homme
et que nous devons cependant admettre qu’Il désire parler à tout homme, nous pouvons
supposer que Dieu s’est servi de tels prophètes. Ce serait donc dans des documents écrits par
2
Voir La Raison et la Religion, p. 54 et Le Progrès de la Conscience, p. 762.
3
Voir le chapitre XXIII
4
Voir le chapitre XX
Il semble y avoir ici une difficulté insurmontable, dont il ne faut pas sous-estimer la
portée. On comprend donc fort bien l’objection de Brunschvicg:
« Admettons que Dieu parle è l’homme; cependant l’homme ne pourra jamais savoir si
c’est réellement Dieu qui lui parle. »5
Cet argument a plus de force encore dans le cas où nous admettons notre état de chute.
En effet, notre aveuglement naturel semble devoir impliquer notre impuissance à reconnaître
la voix de Dieu.
Mais tachons de raisonner correctement. Si nous devons faire un effort par nous-mêmes
pour savoir si c’est Dieu qui parle, nous ne pouvons pas, en effet, arriver au but. Mais Dieu ne
peut-Il pas agir sur notre esprit, purifier notre « cœur », ouvrir et renouveler notre intelligence
de manière à nous permettre de reconnaître sa Parole? En somme que peut-II demander de
nous? Aucune action positive, car nous sommes par nature incapables de faire ce qu’Il désire.
La seule chose dont nous pouvons être rendus responsables, c’est de résister quand Il veut non
seulement nous parler, mais agir en nous pour nous permettre de l’entendre et de le
comprendre. Si nous avons franchement reconnu notre impuissance et si nous nous sommes
tournés vers Lui pour être aidés, cela implique que nous ne Lui résistons pas. Dès lors, la
question est résolue, car tout dépend de Dieu: non seulement Il se révèle, mais Il nous rend
capables de savoir que c’est Lui qui parle.
Dieu ne pourrait-Il pas parler de manière à se faire comprendre? Dieu ne pourrait-Il pas
se mettre en relation avec notre esprit, ouvert par Lui, même par l’intermédiaire d’une Parole
écrite, et de manière à nous donner en même temps la certitude que c’est Lui qui parle? Si
l’absolu nous touche, comment ne pas le savoir! Si la Vérité, objet propre de notre
intelligence éclairée, se présente à elle, comment ne la reconnaîtrait-elle pas! Ne serait-ce pas
là une donnée non seulement immédiate, mais absolument certaine, puisqu’elle appartient au
domaine de l’absolu?
Nous croyons que l’expérience personnelle prouve qu’il en est bien ainsi et que la seule
preuve absolue de la réalité d’une révélation divine doit être cherchée dans cette direction.
Mais nous pouvons ajouter qu’une Parole de Dieu écrite aurait sans doute encore d’autres
caractères qui démontreraient sa provenance, qu’il y aurait, à part une telle donnée de notre
intelligence intuitive, aussi des signes « extérieurs », accessibles à notre intelligence
discursive6.
Les œuvres visibles de Dieu portent son empreinte. Nous avons vu dans La Science, la
Raison et la Foi que plus nous examinons en détail les créatures et plus nous sommes
émerveillés des perfections que nous y trouvons, contrairement à ce qui a lieu dans le cas des
5
Voir La Raison et la Religion, p. 54.
6
Dans le présent ouvrage nous ne parlerons, en général, que de l’examen rationnel d’un document. Mais
l’essentiel reste l’expérience spirituelle personnelle, où Dieu parle par l’intermédiaire de ce document.
Enfin, les considérations qui nous ont conduits à l’existence de Dieu, nous présentent
aussi un certain nombre de critères pour nous aider à rechercher ce qui pourrait être d’origine
divine. Nous pourrions dire que toute révélation divine doit:
1. D’une manière générale, être raisonnable. Cependant les choses révélées ne doivent
pas entrer dans le cadre de notre réel rationnel humain, c’est-à-dire dans ce qui est
directement accessible à notre raison en l’état où nous nous trouvons; mais, tout en dépassant
ce cadre, elles doivent former un tout rationnel s’accordant aussi avec ce qui nous est
accessible sans révélation. On ne pourra permettre aucune erreur ni contradiction, aucune
fausse prophétie7.
2. D’une manière plus spéciale, s’accorder avec les conclusions auxquelles nous
sommes déjà arrivés (tout en admettant que celles-ci doivent s’exprimer peut-être avec plus de
précision): Dieu est donc l’Etre parfait et tout-puissant. Il est Amour et Vérité. L’homme est
impuissant, esclave du mal, et ne peut, par ses propres efforts, s’élever vers Dieu. C’est Dieu
qui agit, sans s’imposer. Il ne demande qu’un bon usage de la liberté qu’il accorde: la créature
ne doit pas lui résister.
3. Etre franchement supérieure, dans ses parties essentielles, à tout ce que l’homme peut
produire et aux conclusions auxquelles nous pouvons arriver par la raison. Elle doit donner
une réponse précise à nos problèmes et à nos questions, pour autant qu’ils soient vraiment
importants.
4. Etre un vrai miracle, car elle doit s’adresser à tous, donc pouvoir être comprise de
tous et cependant exprimer les choses les plus profondes. Elle devra faire usage d’un langage
courant et ne pourra cependant contenir aucune erreur réelle, aucune vraie contradiction.
Esotérique pour celui qui résiste à Dieu, ce document doit être exotérique pour celui qui aime
la vérité par-dessus tout.
On pourrait encore ajouter que si l’on peut admettre des faiblesses dans la vie de ceux
que Dieu a choisis pour produire ce document, et même des actes franchement mauvais, on ne
peut admettre que leur tendance générale et habituelle soit contraire à la doctrine qu’ils
exposent. Il faut surtout rejeter tout enseignement qui place l’homme au-dessus de Dieu ou
incite l’homme à atteindre Dieu par ses propres efforts.
Nous pourrions penser à des documents tels que: La Bible, comprenant l’Ancien et le
Nouveau « Testament ».
Le Zend-Avesta, contenant les commandements de Zoroastre au peuple iranien.
Les Vedas des Indes.
Le Tri-pitaka des Bouddhistes.
Les Rois, rassemblés et commentés par Confucius et Lao-tsze.
7
Certains considèrent cependant que la révélation peut nous être présentée par un document humain
faillible, c’est-à-dire contenant des erreurs et des contradictions. Cette question sera discutée plus loin.
Nous rappelons à ce sujet une des idées fondamentales de notre ouvrage La Science, la
Raison et la Foi, c’est-à-dire que l’obstacle principal qui s’oppose à la connaissance de la
vérité, à toute foi vivante, à toute communion réelle avec Dieu, est la conviction — consciente
ou inconsciente — que nous pouvons atteindre un vrai bien par nos propres efforts. C’est une
question de principe qui dirige toute notre vie. Cette tendance prend les formes les plus
diverses suivant le milieu dans lequel chaque homme vit. La masse cherche le bonheur dans
les plaisirs des sens, souvent faciles à réaliser, ou dans l’accomplissement, par soi-même, d’un
devoir; l’artiste prétend créer; l’homme de science s’appuie sur son intelligence, le philosophe
sur sa raison; le démagogue compte sur la puissance des masses; l’homme d’Etat cherche la
domination. Toujours, c’est l’homme qui veut arriver par lui-même à ce qu’il juge lui-même
être bien. Il se prend comme centre et comme moyen.
Nous insistons donc ici aussi, en relation avec l’idée de révélation, sur ce point
fondamental. Au fond, tout effort apologétique est vain, si l’homme résiste à la Vérité. Si tel
est le cas, seule la grâce divine peut l’amener à se rendre compte de sa tendance cachée et à se
tourner vers Dieu. Son orgueil doit faire place à l’humilité.
Le présent ouvrage, tout en privant de certaines excuses celui qui, au fond, ne veut pas
la Vérité, peut — sans prétendre être pure vérité lui-même — être surtout utile à celui qui
aime la Vérité, mais qui a été détourné d’elle. Notre but n’est autre que de montrer, d’une
manière humaine, et par conséquent faillible, où l’on peut trouver la Vérité. C’est donc un
témoignage.
La plus ancienne théorie relative au mode d’inspiration est celle des Juifs, datant
d’environ 400 ans avant Jésus-Christ, qui peut être appelée la théorie « mécanique». Pour eux
le Pentateuque, en particulier, était dicté par Dieu. L’auteur humain était donc réduit à un
instrument passif. La même conception semble encore être exprimée par certains « pères de
l’Eglise », comme Justin, qui comparent les auteurs à des instruments de musique sur lesquels
Dieu joue. Ils disent qu’en fait, on devrait plutôt parler de « scriptores » que d’auteurs.
Il serait cependant erroné de comprendre par là que les facultés naturelles de ces
hommes auraient été paralysées. Ces « pères » s’exprimaient souvent ainsi pour réagir contre
ceux qui prétendaient que le Livre était purement humain. Les anciens théologiens, comme
Irénée, Origène, Eusèbe, saint Augustin, Hiéronyme, ont d’ailleurs insisté sur le fait que ces
auteurs savaient ce qu’ils écrivaient, qu’ils utilisaient des documents ou des traditions
existants, qu’enfin leur personnalité n’était pas mise de côté.
La question fut beaucoup discutée plus tard et les opinions varièrent, soit en se
rapprochant de l’inspiration mécanique, soit en s’en écartant. La majorité admettait que,
quelle que soit la méthode d’inspiration, l’Ecriture ne pouvait contenir aucune erreur et que le
texte avait donc autorité divine. Il est vrai que certains furent moins radicaux et admirent que
certaines erreurs pouvaient s’y trouver, non pas dans ce qui se rapporte à la foi, mais dans des
parties historiques ou se rapportant au monde physique. On se rappelle, du reste, que Luther
insistait sur les faiblesses de l’Epître de Jacques et d’autres écrits et que Zwingli semblait
admettre certaines erreurs. En général, cependant, le protestantisme primitif, avec Wiclif,
Calvin, Mélanchton et Bullinger, croyait à l’inspiration plénière et à l’absence d’erreurs.
Certains s’exprimèrent de manière à faire croire qu’ils excluaient entièrement les facultés
mentales des auteurs.
La conception de l’inspiration plénière, mais non mécanique, a donc été acceptée par
beaucoup d’hommes. Non seulement par ceux auxquels on pourrait reprocher peut-être leur
manque de sens critique ou leur ignorance, mais aussi par les plus savants et les plus fidèles à
une raison éclairée. Mais il faut reconnaître aussi que leurs interprétations de certains
passages de la Bible laissaient parfois à désirer, à cause de fausses notions scientifiques qui
étaient courantes en leur temps.
En ce qui concerne l’Eglise catholique romaine, dès le XVIe siècle une attitude assez
tiède envers l’idée de l’inspiration plénière s’est fait jour. Lessius et Hamelius rejetaient
l’inspiration verbale et l’influence de Schleiermacher s’est aussi fait sentir plus tard. La vérité
formelle pouvait s’exprimer matériellement par des fables, des mythes et des légendes,
empruntés au besoin aux croyances populaires. Aussi fut-il trouvé nécessaire par le Concile
du Vatican et par l’encyclique Providentissimus Deus (1893) de préciser certaines questions,
et de nier la distinction entre l’élément formel et l’élément matériel de l’inspiration.
Mais de nouvelles distinctions subtiles furent formulées, et pour y mettre fin, Benoît XV
lança l’encyclique Spiritus Paraclitus (1920). Malgré ces lettres encycliques, il semble que
beaucoup de théologiens ont encore la tendance de se soustraire à l’idée de l’inspiration
plénière des Ecritures9.
a) Les auteurs sont à tel point sous le contrôle de Dieu, poussés par l’Esprit, que le
document ne contient aucune erreur ni contra diction, ni mythe, ni légende. Dieu est donc
l’Auteur principal de la Bible et celle-ci doit être acceptée comme autorité souveraine. C’est
la conception de l’inspiration plénière ou verbale, mais excluant l’idée de pure dictée.
b) Dieu inspire plus ou moins les auteurs, parle à leur conscience religieuse, et le
document peut donc contenir toutes sortes d’erreurs, particulièrement au point de vue
historique ou scientifique. Ce Livre étant un document humain, ne diffère des autres que par
le degré d’inspiration et non par la nature de l’inspiration.
Comme nous ne faisons qu’indiquer les trois types principaux, il va de soi qu’il existe
beaucoup de conceptions intermédiaires.
Le premier cas peut être éliminé facilement, car un examen objectif du document
montre clairement que l’on retrouve souvent la personnalité de l’auteur. La discussion se
concentre donc sur les deux derniers cas. On peut considérer des questions de principe et des
faits.
En ce qui concerne les faits, il est évident que si un examen sérieux montre positivement
des erreurs, des contradictions réelles, des imperfections, tout homme raisonnable, non
aveuglé par la crédulité ou une croyance sentimentale, doit rejeter l’idée d’inspiration
plénière. Cependant, il s’agit d’être vraiment objectif dans ses jugements et de ne pas se
laisser influencer non plus par des tendances personnelles ou par des affirmations audacieuses
de ceux qui rejettent cette méthode d’inspiration. La question n’est pas aussi simple qu’on
pourrait le penser, car pour juger le contenu nous devons d’abord interpréter le texte. Nous
reviendrons dans les chapitres suivants à ce qui se rapporte aux faits, ne considérant pour le
moment que les questions de principe.
On peut, avant tout, prétendre que la thèse de l’inspiration plénière est insoutenable
parce que, si Dieu agit sur l’homme de manière à lui faire écrire un document qui exprime
correctement la Parole de Dieu, cet homme est nécessairement réduit à un mécanisme.
A ceci on peut répondre que rien ne permet d’être aussi affirmatif. S’il est vrai que nous
ne pouvons pas comprendre comment une telle inspiration serait possible sans devenir
mécanique, cela ne veut pas dire qu’elle ne puisse pas exister du tout. Comme il s’agit d’une
action divine spéciale, il serait au contraire extraordinaire que nous puissions comprendre. La
solution pourrait être cherchée dans une réelle communion entre l’Esprit de Dieu et l’esprit de
l’auteur. Tout en ne privant pas celui-ci de son intelligence, de toutes ses caractéristiques
personnelles, tout en le laissant s’exprimer d’une manière qui soit en harmonie avec la
mentalité et les conceptions de son époque, Dieu ne peut-Il pas agir sur son esprit de telle
sorte qu’il comprenne la Parole de Dieu et l’exprime correctement, qu’il ne commette pas
d’erreur réelle quand il fait usage de documents ou de traditions et quand il parle de
phénomènes physiques? La question est donc de savoir si Dieu ne peut pas « pousser » cet
auteur à parler comme nous parlons à un enfant, quand nous lui présentons des vérités
profondes d’une manière peut-être enfantine, mais sans cependant commettre de véritables
erreurs.
Certains ont cru trouver un argument contre cette conception de l’inspiration dans le fait
que les auteurs raisonnent, montrent parfois une certaine indécision, et, d’une manière
générale, écrivent comme tout homme le ferait. Ceci montre seulement que nous n’avons pas
affaire à une dictée. Ce cas est analogue à celui des positivistes qui ne trouvent aucune
nécessité d’avoir recours à un Dieu créateur du fait que, dans la nature, ils pensent pouvoir
expliquer tout d’une manière naturelle. L’observation montre en effet comment les choses se
passent, et il n’y a là aucun mystère, mais on peut aussi se demander pourquoi les choses se
passent ainsi.
Passons maintenant à une autre objection de principe. On ne peut pas, dit-on, accepter
une autorité extérieure à l’homme, qui, en imposant des doctrines, le priverait de sa liberté. Ce
serait contraire à l’idée de liberté et d’autonomie de notre esprit, On juge que toute « religion
d’autorité » est inacceptable, qu’il faut une « religion de l’esprit »10.
Il est vrai qu’il faut protester contre l’ingérence de toute autorité humaine dans les
questions spirituelles, que ce soit un homme, un groupement ou un livre. Mais appliquer ce
principe aux Ecritures suppose déjà qu’elles ne constituent pas vraiment la Parole de Dieu
écrite, qu’elles ne sont qu’une œuvre humaine. Dès que l’on admet que la Bible est
intégralement d’inspiration divine, il ne devrait plus y avoir d’objection à l’accepter comme
autorité. En effet, si l’on admet que Dieu est l’Autorité suprême, on ne peut pas Lui dénier le
droit de s’exprimer par une parole écrite, qui, elle aussi, sera alors autorité souveraine.
Mais il se peut que cette objection de principe soit due à une confusion au sujet de la
signification du mot « autorité». On peut comprendre par là une puissance qui exerce une
contrainte irrésistible et qui est donc opposée à la liberté. Mais ce n’est pas dans ce sens que
l’on parle de l’autorité souveraine de la Bible. Dieu nous laisse toujours une certaine liberté.
Nous pouvons résister à ses désirs et à sa grâce, nous pouvons ne pas croire ou mal
comprendre sa Parole, même si nous croyons à l’inspiration plénière et à l’autorité du Livre.
Son autorité résulte de sa véracité. Nous disons que tel homme, telle doctrine, tel livre,
constitue une autorité quand nous voulons exprimer qu’il s’impose, non pas comme un
usurpateur, un tyran ou un dictateur, mais comme exprimant la vérité. Mais encore faut-il
comprendre ce Livre. S’il parle de questions physiques ou historiques, nous pourrons
comprendre à l’aide de notre raison naturelle. Ces vérités s’imposeront alors à nous et nous
serons obligés de les accepter sous peine de ne pas être raisonnables. Personne ne fait
d’objection à une telle « contrainte » quand il s’agit des mathématiques, des règles de la
grammaire ou des « lois » physiques. Mais quand la Bible parle de questions spirituelles,
notre raison ne suffit pas pour comprendre il faut de plus une action de l’Esprit de Dieu sur
notre esprit. Or nous pouvons résister à cette action éclairante et alors nous ne comprendrons
pas, nous ne saisirons pas la vérité exprimée par la lettre. Bien que le Livre soit accepté en
principe comme autorité, les vérités ne s’imposent pas, car elles ne sont pas directement
accessibles. Notre liberté reste donc entière.
10
On prétend souvent qu’il ne faut pas s’attacher à « la lettre » de l’Ecriture, qu’il faut Seulement garder «
l’esprit ». Il y a évidemment beaucoup de choses qu’il ne faut pas seulement prendre à la lettre, mais auxquelles
il s’ajoute aussi un sens spirituel. Pour combattre la conception de l’inspiration verbale, on cite souvent les
paroles de l’apôtre Paul : « Car la lettre tue, mais l’esprit vivifie» (2 Cor. 3. 6). Ceci démontrerait qu’il ne pensait
pas à un choix exact des mots, même quand il parle de l’inspiration des Ecritures. Mais on semble perdre de vue
que le verset suivant : « Or, si le ministère de la mort, gravé avec des lettres sur les pierres.. » montre que la
« lettre» dont il parle ici est la Loi de Moïse et l’Ancienne Alliance. L’ « esprit » est la Nouvelle Alliance,
mentionnée dans le verset 6 lui-même. Ce texte n’a donc aucun rapport avec les mots qu’utilise I’Ecriture, ni
avec l’interprétation littérale.
Certains11 ont rejeté même l’autorité de Dieu en tant qu’extérieure à nous, ils cherchent
la norme suprême de leurs idées et de leurs actes, non en Dieu, mais en eux-mêmes. Ils
désirent donc garder leur propre autonomie absolue et considèrent toute autre attitude comme
un asservissement, contraire à la vie de l’esprit.
Examinons d’abord la question de l’« extériorité ». Dans le domaine de l’esprit, nos
notions d’espace ne sont pas applicables12. Par le mot « extérieur » nous ne pouvons exprimer
que l’absence de communion avec un autre esprit. Or, si l’on accepte la notion de la chute de
l’homme, celui-ci est par naissance hors de communion spirituelle avec Dieu. La Parole de
Dieu vivante et la Parole de Dieu écrite sont donc dans ce sens « extérieures ». Ce n’est que si
une communion s’établit, que cette Parole qui est autorité cessera d’être « extérieure ». Notre
esprit saisira alors les vérités que la lettre exprime correctement13. L’homme de bonne volonté
qui a appris à être humble devant Dieu ne peut donc trouver aucun argument solide dans cette
idée d’extériorité de la Vérité.
En rapport avec cette question, on a dit que l’essentiel, c’est le témoignage « intérieur »
du Saint-Esprit. C’est là une profonde vérité, car le mot « intérieur » exprime justement qu’il
y a communion. L’Ecriture nous apprend que par l’action de l’Esprit, notre intelligence pourra
être « ouverte », « renouvelée », que nos « yeux » pourront être « illuminés ». Mais par cette
action divine Dieu ne nous révèle pas ce qu’Il a déjà révélé aux auteurs de la Bible. Ceux-ci
n’ont pas été inspirés pour eux-mêmes, mais pour nous tous, et nous ne sommes pas inspirés
comme eux. Car ces auteurs ont été placés par une action spéciale de Dieu dans un état qui
leur a permis d’entendre sa Parole en détail. L’action de l’Esprit sur notre esprit se borne à
nous rendre capables de comprendre et d’accepter ce qu’Il a déjà révélé. C’est donc la Bible
qui est la source et non pas notre conscience religieuse. Par notre communion, la Vérité
objective pourra devenir Vérité subjective. Le volume imprimé est une chose extérieure, mais
le contenu ne le sera plus. Dieu se révèle à nous par l’intermédiaire du Livre.
Mais celui qui a compris que l’Etre absolu est transcendant au devenir, que la Vérité
dépasse ce qui tend peut-être vers un certain aspect de la vérité, préfère une Parole de Dieu
écrite qui est autorité à toute production humaine. L’apparence d’immobilité provient de ce
que la Vérité ne change pas.
Nous répétons donc que pour l’homme qui est disposé à s’humilier devant Dieu, il n’y a
aucune objection de principe, aucun argument rationnel contre l’existence d’une Parole écrite,
pleinement inspirée par Dieu.14
Considérons maintenant, d’une manière sommaire, à quoi nous mènerait la thèse qui
veut réduire toute source de connaissance des choses spirituelles à notre conscience et à notre
expérience religieuse.
Il est clair en tout cas, que si ce Livre ne consiste qu’en un recueil de témoignages
faillibles, il n’est pas l’espèce de révélation que nous cherchons. Nous ne voulons rien
reprocher à ceux qui s’en contentent pour leur vie « religieuse », mais un tel document ne
saurait satisfaire celui qui tient aussi bien à sa raison qu’au senti ment et qui est persuadé que
Dieu a dû parler de manière à nous présenter la Vérité.
Tout ceci a été reconnu par des penseurs tels que Spinoza, William James et Höffding.
Ce dernier écrivait par exemple:
« Les théologiens modernes ont, au contraire, essayé de tracer un parallèle entre
l’expérience religieuse et l’expérience scientifique, sans reconnaître les conséquences
formidables d’une telle méthode. Cela les conduit, au moins, à reconnaître que l’individu ne
peut jamais, par le moyen de l’expérience, apprendre tout ce qu’il devrait croire, selon les
enseignements de l’Eglise. Et quelle valeur peut avoir pour des individus «l’expérience
commune de l’assemblée » si chacun n’y participe pas, ne peut pas y participer? D’ailleurs,
l’enseignement de l’Eglise comprend un grand nombre de choses, comme la création, le
jugement dernier, dont il est absolument impossible que chacun ait fait l’expérience. »15
Laissons parler les faits. Après Schleiermacher, R Sabatier et autres pionniers de cette
conception, non seulement la Bible cessa d’être une autorité souveraine dans son ensemble,
mais il resta peu de parties qui furent jugées authentiques ou dignes de confiance. On crut
trouver partout des erreurs, des contradictions, des inconsistances, des divergences dans la
représentation des événements et des institutions, des choses intrinsèquement incroyables.
Ainsi beaucoup d’éléments, que certains théologiens auraient voulu conserver, leur
échappèrent petit à petit. Tout s’effrita. La foi dans des doctrines fut remplacée par la « foi en
Christ »16 , mais ce dernier rempart, qui devait empêcher l’anéantissement complet de toute
foi chrétienne, s’avéra très faible. En effet, cette foi en Christ dépend de sa personne
historique; or, la critique impitoyable ne peut pas ménager cette question. Tout ce que les
partisans de cette conception peuvent faire, c’est, selon leurs propres aveux, d’espérer qu’ils
ne seront pas obligés un jour de douter de la naissance, de la vie sainte, de la mort et de la
résurrection du Christ17 .
Il n’est pas étonnant qu’un certain nombre de théologiens, conséquents avec eux-
mêmes, n’aient pas hésité à accepter toutes les conséquences logiques de cette attitude, et
nient franchement la divinité du Christ, ne le considérant plus que comme un homme
15
La philosophie de la religion, p. 96. L’auteur espère, pour suppléer à cette carence, qu’il sera possible
de faire des découvertes dans le domaine de la vie intérieure.
16
La foi n’avait plus d’expression précise et se réduisait le plus souvent à des états d’âme, à des
sentiments religieux subjectifs.
17
Voir Protestantisme p. 107 par A. W. BERTRAND, 1931. On sait que des théologiens tels que Drews,
Couchoud, Kalthoff et Van den Bergh van Eysinga nièrent l’historicité de « Jésus de Nazareth ». Pour une étude
très fouillée des objections à l’historicité voir History of Historisering ? par G. Hartdorlf, 1950. Des auteurs
contemporains, tel E. Brunner, sont portés à croire à son historicité, mais admettent que ceci n’est pas une
certitude (Relig. Philos. p. 81, 1927). Il y a donc conflit entre la foi et la méthode d’examen historique de cet
auteur. Pour qu’il n’y ait pas de contradiction, il doit poser des limites arbitraires à la critique (Der Mittler, p.
143, 1927).
Il est vrai, cependant, que beaucoup d’adeptes du criticisme ont, malgré tout, gardé une
foi réelle en Christ et acceptent les vérités principales. Mais nous croyons que c’est à la suite
d’une certaine inconséquence. Nous examinerons quelques cas au chapitre V.
Il résulte de tout ce qui précède que seule la conception de l’inspiration plénière pourra
nous satisfaire et qu’aucune objection de principe ne peut être maintenue à la possibilité d’une
Parole écrite exprimant correctement la vérité.
Nous examinerons dans les chapitres suivants si les faits nous obligeront à abandonner
cette conception.
Ajoutons encore quelques mots au sujet des motifs incitant à rejeter l’inspiration
plénière et à justifier le maintien de la critique, mis en avant dans les temps modernes par de
nombreux théologiens, tels que W. Herrmann, M. Rade, J. Kaftan, E. Schraeder en
Allemagne. On peut distinguer surtout deux motifs18 :
A part l’examen que nous avons déjà fait de tels motifs dans ce qui précède, nous
aurons l’occasion d’y revenir aux chapitres II et XXIII.
Il est évidemment important de savoir ce que la Bible elle-même nous dit au sujet de
l’inspiration.
Une étude de ce Livre montre qu’il n’est jamais question d’une inspiration mécanique,
ni d’une inspiration commune à tout homme, On n’y trouve nulle trace de l’idée que l’action
divine serait due à une immanence d’espèce panthéiste, ni à une « inspiration » due à la
« conscience religieuse » normale de tout homme. L’inspiration selon les Ecritures est
toujours due à une action spéciale de l’Esprit de Dieu, limitée à certaines personnes choisies,
et à certains moments. Par une telle action spéciale, Dieu présente certaines notions précises à
l’esprit de ces hommes et les pousse à choisir les mots exacts pour les exprimer, sans toutefois
les priver de leur liberté ou de leur intelligence. Les auteurs restent donc des hommes dans
18
Voir par exemple Het Probleem der Schriftkrifiek, par C. C. Berkhouwer.
Ce texte, ainsi que d’autres similaires, est particulièrement instructif quand on tient
compte du fait que la préposition « par » est la traduction du grec « dia » utilisé avec le
génitif. La signification précise est alors: « par le moyen de » (comme par exemple en
Jean 1. 3) ou « à travers » (comme Mat. 19. 24). C’est Dieu qui parle, mais par le moyen, ou
au travers, du prophète. Jamais la Bible n’utilise une telle expression pour les croyants en
général.
Mais, d’autre part, quand Dieu agit ainsi sur l’homme, Il ne change pas sa personnalité.
Le prophète peu éduqué, aussi bien que le prophète contemplatif ou intellectuel, parle pour
Dieu, mais selon la manière qui lui est propre. Certains, loin d’être réduits à des robots, furent
éduqués depuis leur enfance pour devenir porte-parole de Dieu19. Leur personnalité, leurs
facultés et leurs dons, tout fut utilisé dans l’exécution de leur fonction, et leurs écrits, sous les
formes les plus diverses (poétiques, historiques, épistolaires, prophétiques), reflètent leur vie
et leur expérience personnelle. Ils font aussi usage de certaines traditions, écrites ou non, tout
19
Voir, par exemple. Ex. 3.4; Jér. 1. 5; Actes 7.22; Gal. 1. 15.
La Bible prétend-elle être pleinement inspirée ? Il semble qu’il ne puisse y avoir aucun
doute à ce sujet. L’apôtre Paul dit:
« Toute Ecriture est inspirée de Dieu et utile... » 2 Tim. 3. 16.
Il faut noter que le mot « Ecriture » est la traduction de « graphè » qui est toujours
employé dans le Nouveau Testament pour les saintes Ecritures. Dans le verset qui précède
notre citation, il n’est, du reste, question que des « saintes lettres ». On peut donc traduire:
« Toute l’Ecriture est inspirée de Dieu. »21
La parfaite exactitude du texte original, d’un mot, d’une lettre, d’un signe, est affirmée
en maints endroits. Nous lisons par exemple:
« Afin que nous connaissions les choses que Dieu nous a données par sa grâce. Et nous
en parlons, non avec des paroles (logois) qu’enseigne la sagesse humaine, mais avec celles
qu’enseigne l’Esprit. » I Cor. 2. 12, 13.
« Retiens dans la foi et dans la charité qui est en Jésus-Christ le modèle des saines
paroles que tu as reçues de moi. » 2 Tim. 1. 13.
« Car je vous le dis en vérité, tant que le ciel et la terre ne passeront point, il ne
disparaîtra pas de la loi un seul iota ou un seul trait de lettre.» Mat. 5. 18.
Il arrive que le seul sens d’une phrase dépende du choix d’un seul mot22 et même de
l’emploi du singulier ou du pluriel23.
Et quand Jésus s’adresse à Satan, ne se réfère-t-Il pas à ce qui est écrit ? Mat. 4. 4, 7, 10.
20
Voir Luc 1. l-3; Jean 14.26.
21
Le texte grec ne comporte pas le verbe « être» en 2 Tim. 3. 16. On peut donc traduire: « Toute Ecriture
(est) inspirée de Dieu et utile... » ou « Toute Ecriture, inspirée de Dieu, (est) aussi utile.., » Comment choisir ? Il
faut d’abord fixer le sens exact du mot (graphè), traduit par « Ecriture ». Si l’on désire expliquer la Bible par la
Bible, sans norme extérieure, ce sens doit être donné par le Livre lui-même. Or partout où le mot graphè est
utilisé, il indique les Saintes Ecritures et non pas une « écriture» quelconque. Il s’ensuit que 2 Tim. 3. 16 parle
aussi de cette Ecriture seulement. Ceci est confirmé par le verset 15 qui parle des Saintes lettres. Nous pouvons
donc traduire:Toute l’Ecriture est inspirée de Dieu et utile.., » L’autre traduction montre, du reste, sa faiblesse
par le fait qu’il était inutile de dire qu’une écriture inspirée est aussi utile. K. Barth admet que l’Ecriture entière
est inspirée par Dieu, mais il explique à sa façon le sens du mot theopneustos. Voir le chapitre XXIII. Dans sa
lettre à Timothée, Paul ne parle évidemment que de l’A. T. Mais les indications de l’inspiration du N. T. ne
manquent pas. Le Seigneur a choisi ses apôtres pour être ses témoins, par l’Esprit de vérité (Jean 15. 26, 27).
Paul a reçu son évangile par révélation de Jésus-Christ (Gal. 1. 12; Eph. 3. 2-8; 1 Tim. I. Il) etc.
22
Voir les Appendices 1, 2 et 4 de notre ouvrage Les Enseignements de l’apotre Paul et p. 55 de notre
ouvrage La Voie du Salut.
23
Il n’est donc pas étonnant que, par suite de tels témoignages de 1’Ecriture, des hommes éminents
comme GAUSSEN (La Théopneustie, 1840), MERLE D’AUBIGNE (L’Autorité des Ecritures, 1850), A. DE
GASPARIN (Les Ecoles du Doute et l’Ecole de la Foi, 1853), J. ORR (The Problem of the Old Testament, 1906)
et beaucoup d’autres, aient défendu la conception de l’inspiration plénière. Mentionnons encore I. da Costa, A.
Kuyper, H. Bavinck, F. Bettex, R. Haldane, Ch. Hodge, J. Urquhart, W. E. Gladstone et de nombreux auteurs
catholiques. A présent cette conception est maintenue par plusieurs facultés de théologie et par de nombreuses
écoles bibliques.
Une révélation divine, au sens étroit, est un enseignement divin relatif à des choses qui
nous sont absolument inaccessibles par nos moyens naturels. Toutes les parties de la Bible
n’expriment donc pas une telle révélation. Certaines parties historiques, par exemple, peuvent
être connues par des moyens humains. Mais le fait que les auteurs sont poussés par l’Esprit,
nous garantit que ces parties aussi sont exemptes d’erreur. Ces parties historiques doivent être
exactes, car elles sont nécessaires comme introduction ou comme cadre pour nous permettre
de comprendre correctement la réalisation du plan divin, donc pour connaître Christ.
La Révélation par excellence est, en effet, Jésus-Christ, mais toutes les données de
l’Ecriture sont nécessaires pour nous Le faire maître. Ainsi Dieu pourra se révéler
personnellement à nous en Jésus-Christ, au moment où par la motion de l’Esprit nous
comprenons le sens exact de la Parole écrite.
On peut appeler « Parole de Dieu » l’acte même de Dieu qui se révèle. Mais pour nous
atteindre, cette Parole s’est abaissée et a pris la forme de serviteur, d’un texte imprimé: la
Parole de Dieu écrite.
La foi est en principe un simple assentiment de l’intelligence 24. S’il s’agit de vérités
historiques, tout se borne à une connaissance intellectuelle. S’il s’agit de questions
spirituelles, l’acceptation de ce qui est exprimé par la lettre n’est plus un acte qui intéresse
seulement notre intelligence, mais tout notre être y participe, car l’amour intervient. Cette foi
ne peut exister sans communion préalable avec Dieu, sans régénération.
La Bible ne dit pas que nous sommes sauvés par la foi en un texte ou même dans
l’ensemble des Ecritures. Jean 5. 39, 40 parle des juifs qui sondaient les Ecritures, pensant
avoir la « vie éternelle » en elles. Mais ce ne sont pas les Ecritures qui peuvent la donner.
Tout ce qu’elles peuvent faire, c’est rendre témoignage du Christ.
Le Livre nous présente donc l’objet principal de notre foi: Christ. Mais cet
enseignement des Ecritures, ce contenu de la foi, ne pourra être compris et saisi que par une
action de l’Esprit sur notre esprit. Ainsi la foi en Christ ne pourra se réaliser que par le
concours de la lettre et de l’Esprit. Cette foi embrassera d’autant plus, sera d’autant plus
complète, que nous connaîtrons mieux l’enseignement de la Bible25
Est-ce alors la foi elle-même qui nous sauve? L’Ecriture nous donne encore ici une
réponse précise: nous ne sommes pas sauvés à cause de la foi, mais par l’intermédiaire de la
foi26 . Notre foi en Christ est accompagnée d’une telle communion spirituelle avec le Christ
ressuscité que nous avons part à sa justice et à sa Vie27 . Et c’est cette participation à la vie
divine qui constitue essentiellement notre salut.
Mais pour arriver à cette foi en Christ, il faut Le connaître parfaitement, donc avoir une
Ecriture qui rend de Lui un témoignage complet, précis et exact dans tous les détails.
24
Voir notre ouvrage La Voie du Salut.
25
Voir notre ouvrage La Voie du Salut.
26
Le texte inspiré utilise toujours la préposition « dia » avec le génitif quand il est question du salut par la
foi (voir p. ex. Rom. 3. 25, 30; Gal. 3. 26; Eph. 2. 8), jamais avec l’accusatif qui indiquerait le sens « à cause
de ».
27
‘Voir notre ouvrage La Voie du Salut.
Il résulte de tout ceci que, si nous acceptons le texte de la Bible comme pleinement
inspiré par Dieu, cela ne veut nullement dire que nous en faisons une idole, quelque chose qui
remplace Dieu. Le document, compris par l’action de l’Esprit, nous fait rencontrer Dieu. Mais
il ne peut le faire efficacement que s’il nous inspire pleine confiance, c’est-à-dire si nous
croyons qu’il est absolument véridique, donc inspiré. Si nous admettons que le texte soit
faillible, chaque détail peut être mis en question et, si nous sommes conséquents avec nous-
mêmes, nous ne pourrons entendre qu’une partie de ce que Dieu désire nous faire savoir au
sujet de Christ. Nous n’aurons qu’une révélation partielle, une foi vague, une communion
avec Christ élémentaire. Et nous ne pourrons pas glorifier Dieu comme il convient.
D’autre part, si nous pensons pouvoir distinguer dans le texte le vrai du faux, nous
prétendons en réalité être mieux inspirés que les auteurs. Sous prétexte de n’admettre aucune
autorité, nous prétendons en somme en être une nous-mêmes, nous nous prenons comme
norme de la vérité.
Mais depuis, on a voulu classer la Bible dans la littérature humaine, et l’on a donc
prétendu qu’elle devait être soumise aussi, sans aucune restriction, à la critique habituelle. On
dit qu’il n’est pas permis de la considérer a priori comme révélation divine, car l’esprit
moderne demande que l’on applique des méthodes a posteriori, et qu’il est plus logique de
n’avoir recours à aucune intervention surnaturelle. On a l’habitude alors de diriger nos regards
vers les sciences d’observation et de nous rappeler que les progrès énormes de ces dernières
sont dus à des méthodes qui restent toujours critiques. Aussi longtemps que l’on a attribué
tout phénomène peu connu à des interventions surnaturelles, la science est restée dans
l’enfance. Dès que l’on a écarté le surnaturel, les progrès ont été rapides.
Remarquons d’abord que l’histoire montre qu’une bonne part de la critique est due à des
philosophes et à des théologiens panthéistes et rationalistes qui partaient de leur point de vue
personnel pour montrer la non-inspiration de la Bible. Dans beaucoup de cas il est clair que
l’on n’a fait que produire de frêles constructions théoriques de caractère littéraire et que la
vraie méthode scientifique, qui se base sur des faits, et reste toujours objective, n’a pas été
suivie. L’appel aux méthodes nouvelles n’était qu’un prétexte. Mais, mettant à part ces abus
flagrants, il est nécessaire de considérer de près
1. Comment l’examen de la Bible devrait être conduit, si l’on veut se conformer aux
méthodes qui ont eu tant de succès dans les sciences d’observation et qui sont conformes à la
raison.
2. Dans quelle mesure ces méthodes ont été effectivement appliquées par des
théologiens qui ne cherchaient pas systématiquement à détruire la valeur de la Bible.
Considérons d’abord la nature. Elle ne nous montre que l’extérieur des choses, car avec
nos sens et notre raison déchue nous ne connaissons pas les choses en elles-mêmes 29. Après
Newton, on doit toujours dire : « Tout se passe comme si... ». Même Bergson, qui pensait
28
Ces lignes ont été écrites à la moitié du XXe siècle. NDW.
29
Voir notre ouvrage La Science, la Raison et la Foi, chap. IX.
Nous savons que, perdant de vue cette distinction, on a souvent été trop empressé à
considérer une théorie comme exprimant la pure vérité objective. Inversement, voyant que les
théories ont généralement la vie courte, qu’elles sont brûlées après avoir été adorées, on a
parfois été trop sceptique quant au réel acquis de la science.
Et, comme résultat final, l’idée que se fait le lecteur peut différer considérablement de
celle de l’auteur.
Si la Bible est inspirée par Dieu de manière à éviter toute erreur, malgré l’intermédiaire
humain, la première cause de déformation n’existe pas. Par contre, la deuxième risque de
produire des effets beaucoup plus importants que dans le cas d’une œuvre humaine. En effet,
dans ce dernier cas l’auteur veut exprimer des idées humaines plus ou moins familières au
lecteur, et il trouve pour le faire des mots et des concepts qui s’y adaptent. Mais dans le cas de
la Bible il s’agit souvent de choses spirituelles, inconnues, difficiles à exprimer à l’aide d’un
langage qui est fait pour le monde physique. Le lecteur a donc une première difficulté à cause
de la nature des choses exprimées qui lui sont peu familières, une deuxième à cause du
langage mal adapté à ces idées, et enfin une troisième à cause de son attitude envers ces
choses, qui peuvent l’affecter beaucoup plus que celles émanant d’un homme et ne concernant
que le monde extérieur. Si les Ecritures condamnent l’homme et lui demandent, dans un sens,
de mourir, on comprend qu’il ne soit pas empressé à accepter un tel enseignement30.
Pour nous résumer, nous aurons donc d’une part la vérité même (celle exprimée par la
nature ou celle exprimée par la Bible) et d’autre part diverses interprétations qui ne rendent
pas — beaucoup s’en faut — cette vérité. Il s’ensuit qu’il peut y avoir des divergences
énormes entre les interprétations des observations de la nature d’une part et entre les
interprétations du texte biblique d’autre part. Et l’on comprend facilement qu’il puisse y avoir
encore bien plus de divergences entre certaines interprétations d’observations qui sont
données à la fois par la nature et la Bible. Dans les cas où il ne semble pas y avoir accord, on
aura la tendance, soit à rejeter l’inspiration plénière, soit à mettre en doute les conclusions
scientifiques.
Cependant, tant que la science était encore peu développée et que les Ecritures étaient
généralement acceptées comme autorité, il n’y avait pas de conflit, ou, s’il y en avait parfois,
30
Cela nous explique pourquoi il existe tant de divergences entre les interprétations de la Bible.
La haute critique biblique s’est développée quand les sciences d’observation ont
commencé à faire des progrès notables. On a pour ainsi dire été pris par surprise par les
nouvelles théories qui surgissaient et étaient pleines de promesses. Les vieilles conceptions
tombaient les unes après les autres et l’on comprend que, entraîné par ce courant, on soit
parfois allé trop loin dans les conclusions. On a parfois cru avoir atteint le fond de réalité
même du monde physique, avoir résolu l’énigme de l’univers. Or, voyant que les
interprétations de certains passages de la Bible ne s’accordaient pas avec ces conceptions, on
a condamné radicalement la véracité de ce Livre.
Avec le recul du temps, nous voyons mieux maintenant la situation réelle. On est revenu
de ces idées extrêmes que les faits se sont chargés de démentir, et le monde physique est de
nouveau considéré comme une énigme. L’interprétation qui semblait certaine est devenue
insoutenable. Le progrès de la science et de la pensée nous montre que l’on avait condamné
certaines interprétations de la Bible en se basant sur certaines interprétations de la nature ou
de l’histoire. Mais la foi dans la véracité de la Bible était ébranlée ou détruite et l’on a souvent
oublié de reconsidérer les jugements prononcés trop à la hâte.
Dans notre ouvrage La Science, la Raison et la Foi, nous avons examiné la méthode qui
est réellement appliquée par l’homme de science. Il évite autant que possible les conceptions a
priori et prend une attitude critique quand il cherche la vérité par l’examen des phénomènes
que la nature lui présente, mais il n’applique pas une telle méthode quand il s’agit de la nature
dans son ensemble. Pour lui, la nature est a priori vraie et forme une unité intelligible. Ou bien
l’idée de mettre en doute cette vérité et cette unité ne lui vient même pas, ou bien il l’écarte
instinctivement comme une absurdité, ou bien il défend son point de vue avec conviction.
Cette foi profonde des savants dans l’unité de la création, dont nous avons cité plusieurs
témoignages dans l’ouvrage que nous venons de mentionner, est telle qu’elle a frappé certains
philosophes, comme A. Whitehead, qui les prend à parti et leur reproche d’avoir gardé une
des caractéristiques fondamentales du moyen âge, d’avoir gardé cette foi naïve malgré la
révolution historique de la Renaissance, et d’être, en fait, les promoteurs d’un mouvement
anti-rationaliste31.
Le physicien ne critique donc pas la nature dans le sens qu’il pense pouvoir y trouver
une erreur ou une contradiction, il examine et compare, il essaie de comprendre, il veut arriver
à la vérité qu’il suppose exister et que seules ses propres limitations lui empêchent de voir
d’emblée. Jamais le vrai savant n’écartera certains phénomènes parce qu’ils semblent
incroyables ou être en conflit avec d’autres. Dans des cas pareils, il conclut que c’est lui-
même qui est en faute, que ses conceptions étaient trop mesquines ou trop loin de la vérité, et
il les corrige. Il prend une attitude humble envers la vérité et sacrifie, au besoin, ses propres
pensées. Il ne lui vient même pas à l’idée que des résultats contradictoires pourraient être dus
à l’existence de deux ou de plusieurs mondes physiques qui se seraient mélangés. En résumé,
31
Voir Science and the modern World, 1928, p. 15 et 16 et notre ouvrage mentionné ci-dessus, chap. VIII
et XI.
L’homme de science, s’appuyant sur sa foi initiale et sur ce qu’il a déjà acquis, propose
des interprétations, des théories, les vérifie par l’expérience, les modifie, les remplace et, par
le jeu mutuel de l’observation et du raisonnement, se rapproche de l’interprétation idéale. Sa
foi générale maintient son activité et lui fait sur monter tous les obstacles. A cause d’elle, il
fait, par son intelligence intuitive, continuellement des sauts dans l’inconnu, il a de nouvelles
idées, qui augmentent son acquis si elles sont vérifiées par une expérience bien conduite. Son
progrès est possible à cause de sa foi, de sa sympathie pour la matière dont il s’occupe, de son
amour pour la vérité et de son humilité.
Or, c’est cette foi, cet amour et ce sacrifice de soi-même, qui semblent avoir été perdus
de vue par les philosophes et les théologiens de l’école critique. Ils ont cru que la science
mettait de côté toute foi initiale et tout sentiment et que la méthode scientifique pouvait se
résumer par le schéma « étude — foi ». Ils ont donc cru que cette méthode scientifique était
en contraste avec la méthode ancienne appliquée à l’examen de la Bible, qui peut se résumer
par le schéma « foi — étude ».
Nous venons de voir qu’ils se sont trompés concernant la vraie méthode scientifique, et
en voulant suivre les procédés scientifiques, ils ont donc appliqué à tort le schéma erroné
«étude — foi » à la Bible. On ne peut pas leur reprocher d’avoir voulu appliquer une même
méthode générale aussi bien aux Ecritures qu’à la nature, mais ils auraient alors dû accepter le
schéma suivant, calqué sur celui que nous venons de donner pour l’étude du monde physique:
Si l’on désire appliquer cette méthode scientifique, il faut donc commencer par accepter
comme autorité l’ensemble des données de la Bible et ensuite les étudier et les interpréter. Ici
encore la méthode d’autorité ne doit être rejetée que dans cette dernière phase. La Bible est
une autorité en tant que Vérité, mais cette Vérité ne s’impose pas autoritairement à l’homme,
pas plus que la vérité physique, car il faut l’atteindre par une interprétation, qui nous laisse
une certaine liberté. (Voir aussi le chapitre XXIII.) La critique doit donc s’appliquer, non au
contenu, mais aux interprétations de la Bible. Or les défenseurs de la critique « moderne »,
croyant appliquer la méthode scientifique, écartent la méthode d’autorité quand il s’agit de
l’ensemble des données des Ecritures. Ils reprochent au croyant fidèle à l’Ecriture de croire
une chose parce qu’elle se trouve dans la Bible, au lieu d’écouter sa « conscience religieuse ».
Pour être conséquents avec eux-mêmes, ils devraient rejeter aussi l’autorité de la nature et
reprocher à l’homme de science de croire à un phénomène parce que la nature le lui présente.
C’est sans doute par leur « conscience scientifique » que les savants devraient arriver à leur
foi?
Mais le théologien moderne se défendra. Il dira d’abord que s’il y a du vrai dans l’idée
que l’homme de science part aussi d’une certaine foi, celle-ci est raisonnable; qu’une longue
expérience lui a montré qu’il n’y avait pas de raison pour douter de l’unité et de
l’intelligibilité de la nature, tandis que le théologien pense avoir des raisons pour ne plus avoir
de foi dans l’unité et la véracité de la Bible.
Il est donc intéressant d’examiner jusqu’à quel point la foi des savants a été mise à
l’épreuve. Quand on a le choix entre deux théories, on préfère celle qui explique le plus grand
nombre de phénomènes de la manière la plus simple, en vertu de la foi dans l’unité de la
nature. Continuellement cette foi a été justifiée parce que l’on est arrivé effectivement à
grouper beaucoup de phénomènes et à les expliquer par la même théorie. L’évolution des
systèmes astronomiques en est un bon exemple. L’ancienne théorie géocentrique conduisait à
des complications considérables et ne pouvait résister à celle de Kepler, qui expliquait tous les
phénomènes en se basant sur trois lois seulement. Mais cette dernière théorie fut à son tour
remplacée par celle de Newton, qui ramène tout à l’action de la gravité. Si l’univers ne
formait pas une unité, il aurait été impossible d’exprimer tous les mouvements des astres par
une seule formule. Aussi les hommes de science de ce temps étaient très impressionnés par de
tels résultats qu’ils considéraient en même temps comme une preuve formelle de l’existence
d’un Créateur.
Ainsi la science progressa et l’on comprit mieux les merveilles de la création. Mais
parfois on rencontra des difficultés considérables. Ainsi dans le cas des radiations, qui
occupent une place si importante dans le monde physique, on pouvait expliquer beaucoup de
phénomènes en supposant qu’elles consistaient en un flux de corpuscules, mais on se rendit
compte plus tard que cette hypothèse ne convenait pas pour d’autres phénomènes. On proposa
alors de considérer les radiations comme des phénomènes ondulatoires dans un milieu
hypothétique, l’éther. Mais ensuite on s’aperçut que cette hypothèse ne couvrait pas non plus
tous les phénomènes et l’on dut revenir à une forme de l’ancienne théorie de l’émission de
corpuscules. On se trouve donc actuellement en présence d’une situation bien embarrassante,
car l’univers physique semble donner, dans ce domaine si important, des indications
contradictoires: d’une part il semble que l’on se trouve en présence d’ondes
électromagnétiques qui se propagent dans un milieu continu, d’autre part il semble qu’il s’agit
d’un flux de corpuscules (théorie des quanta). Il y a quelques années, de Broglie, Schrödinger
Un savant sceptique, voyant là une certaine dualité, pourrait renier la foi dans l’unité de
la nature. Il pourrait prendre une attitude critique vis-à-vis de la nature même et essayer de
distinguer en elle deux mondes physiques qui se trouveraient mélangés si intimement qu’ils
donnent habituellement l’impression d’une unité. Une fois lancé dans cette voie, il trouverait
probablement d’autres «contradictions » et l’univers s’émietterait en un amas de mondes
disparates.
Mais en réalité la foi des savants se rapproche tellement d’une certitude, qu’elle résiste à
toute épreuve, et c’est à cause de cela que la science a pu progresser. Aucun sentiment
personnel n’est venu détourner le savant de la voie droite, toujours l’amour de la vérité l’a
poussé à accepter ce qui est vrai. Placé en face d’une difficulté, il reconnaît qu’elle doit être
due è sa propre incapacité33.
Il est, en effet, impressionnant de voir cette extrême prudence et cette humilité que
l’homme de science possède en général, quand il s’occupe de sa partie et ne fait pas de
métaphysique. A. Binet, en parlant de l’abus de la spéculation, disait:
« C’est surtout par la culture des sciences d’observations que nous entretenons en nous le sens
précieux de la preuve, parce que nous pouvons le contrôler è chaque instant par la vérification
expérimentale. Quand on travaille loin des faits, ce sens de la preuve s’atténue; on perd ce sentiment de
crainte et de responsabilité qu’éprouve tout observateur de voir une de ses assertions renversée par une
contre - observation décisive. On acquiert l’insupportable orgueil que je constate chez Kant, et on se
laisse aller à l’esprit de construction.34 »
Après avoir vu que le théologien ne peut pas dire que l’homme de science n’a jamais de
raison pour douter de l’unité et de la véracité de la nature, relevons l’objection de ceux qui
voudraient éliminer toute foi initiale, aussi bien quand on examine la nature que lorsqu’on
étudie la Bible. Ne peut-on pas, sans aucune idée fondamentale, sans aucun a priori,
commencer l’étude et ne conclure l’unité que plus tard ?
32
Voir notre ouvrage mentionné ci-dessus p. 128.
33
Voir notre ouvrage mentionné ci-dessus, chap. XI. Nous citons plus loin de nombreux cas où les
adeptes du criticisme ont montré une tout autre attitude. En partant d’une certaine conception, ils rencontrent
dans la Bible certaines difficultés. Au lieu d’admettre que leur conception devrait sans doute être corrigée, ils
sacrifient le texte et essaient, en vain, de le rendre conforme à leur idée. Comme illustration de cette attitude,
mentionnons les cas suivants :
1. La critique met en opposition le « jéhovisme » et l’« élohisme » Mais les prophètes défendent à la fois ces
deux tendances supposées. Au lieu de reconnaître la faiblesse de leur théorie, ces théologiens condamnent les
prophètes. Voir aussi le chap. V.
2. Luther était arrivé à une certaine conception de la justification, qui pouvait avoir une certaine valeur, mais
était peut-être sujette à révision. Or, l’épître de Jacques ne semblait pas s’accorder avec cette conception. Au lieu
de corriger cette dernière, Luther a préféré rejeter l’épître.
3. Certains n’aiment pas les enseignements et doctrines. Mais les épîtres pastorales insistent sur la saine doctrine.
On ne corrige pas sa conception, mais on condamne l’Apôtre.
4. Beaucoup se sont formé une conception générale du plan divin qui élimine la réalisation de mainte prophétie,
et particulièrement des vues eschatologiques des prophètes, des apôtres et du Seigneur Jésus-Christ. On
condamne donc ceux-ci !
34
L’âme et le corps, 1905, p. 243. Par « esprit de construction», l’auteur indique la tendance de grouper
des faits sous une même idée en dépréciant les faits. C’est bien là aussi la tendance de la critique destructive.
Mais nous irons plus loin. Nous dirons que seule une méthode qui commence par la foi
peut conduire à reconnaître la vérité.
Acceptons un moment, comme hypothèse de travail, que l’Ecriture soit vraiment Parole
de Dieu, une expression compréhensible de la Vérité. Qu’arrivera-t-il si nous l’abordons avec
scepticisme ? Tâchons de nous bien représenter la situation : d’une part la Vérité, d’autre part
des créatures faibles, faillibles, ignorantes. Nous abordons les premiers livres de la Bible avec
une ignorance complète des origines du monde, avec de vagues théories cosmogoniques, avec
quelques connaissances géologiques et avec peu de notions sûres des commencements de la
race adamique. Nous essayons de combler les grandes lacunes dans notre connaissance par
des théories dont les ruines encombrent la littérature. Déformés par notre milieu, par nos
affections, nous faisons souvent mauvais usage de notre raison.
Il semble évident que si l’on n’accepte pas comme vérité la Vérité qui, selon notre
hypothèse, se présente à nous dans la Bible, nous l’appellerons erreur dès qu’elle est en
contradiction avec une de nos opinions. Si nos connaissances fragmentaires semblent montrer
que tel personnage, comme Sargon, roi d’Assyrie, ou tel peuple, comme les Hittites, n’ont
jamais existé, nous dirons que c’est la science qui a démontré que la Bible fait erreur quand
elle parle de ce roi ou de ce peuple. Si nous ignorons que l’écriture fut pratiquée longtemps
avant Abraham, nous pourrons prétendre que Moïse n’a donc pas pu écrire le Pentateuque.
Il est vrai que les faits se chargent un jour de rectifier certaines fausses accusations,
mais il reste toujours beaucoup de questions sur lesquelles l’archéologie ou d’autres sciences
ne peuvent pas nous renseigner et, dans ces cas, on pourra continuer à croire que la Bible fait
erreur. Une fausse interprétation d’un passage peut déformer le reste, sans que l’expérience
nous vienne corriger. Ainsi tout le système doctrinal du Nouveau Testament sera détruit si la
Genèse ne contient que des mythes ou des légendes. Nier l’élection du peuple d’Israël, ou ne
pas accepter les déclarations des prophètes, fausse les conceptions au point de vue des
dispensations, de l’Eglise, du salut, etc.
La méthode du doute, appliquée à la Bible, obligera le rejet de tout ce qui n’est pas
«naturel», alors que la Vérité inspirée par Dieu peut évidemment contenir des faits
«surnaturels ».
En résumé, chaque fois que notre erreur sera en contradiction avec la Vérité, c’est cette
dernière que nous sacrifierons, et à part un certain nombre de rectifications de nos
Par contre, si nous admettons, comme hypothèse de travail, la véracité du Livre, comme
le fait l’homme de science avec la nature, nous tiendrons sérieusement compte de toutes les
données, nous ne rejetterons pas systématiquement tout ce qui nous dépasse, nous
réexaminerons nos propres conceptions provisoires et nous pourrons reconnaître la Vérité.
En réalité les deux attitudes reviennent à ceci : dans le cas du doute systématique, on se
prend comme centre, on juge tout, on résiste à Dieu; dans le cas de la foi, on ne Lui résiste pas
et Il agit en nous pour nous éclairer. La critique, telle qu’elle a souvent été comprise, est
justifiée dans le cas d’une œuvre humaine, mais ne peut pas être appliquée à ce qui pourrait
être œuvre divine. L’appliquer quand même, veut dire que l’on a décidé a priori qu’elle n’est
pas divine. Et que l’on n’objecte pas qu’en admettant a priori la véracité de la Bible, nous
pourrons être exposés à accepter l’erreur comme vérité. Appliquez la méthode de la foi à
n’importe quelle œuvre humaine, même à des livres soi-disant « sacrés », tels que les Védas,
et vous verrez qu’il vous sera impossible de maintenir l’hypothèse de travail, pas plus que
l’homme de science ne peut garder une théorie qui est contredite par les faits. L’hypothèse
fausse s’écroule sous le poids des complications, des erreurs et des contradictions qu’elle
entraîne. Nous supposons, bien entendu, que l’investigateur est pleinement raisonnable,
honnête et qualifié.
Il est évident maintenant, pour tout observateur impartial, que la critique, au moment où
elle s’est développée, ne disposait pas des connaissances voulues pour s’opposer
scientifiquement aux enseignements de la Bible. Des théories audacieuses et injustifiées ont
été proposées à la légère et ont été imposées aux étudiants en théologie par l’autorité dont
jouissait tel ou tel professeur. Mais elles ont été abandonnées les unes après les autres.
Nous verrons dans la suite que c’est surtout l’archéologie qui, en les ramenant de
constructions hypothétiques aux faits, a obligé es théoriciens à reconnaître leurs erreurs. Nous
verrons aussi que sur trois points fondamentaux: la civilisation de l’ancien peuple d’Israël sa
religion et la discrimination littéraire des « sources » de la Bible, l’opinion générale des
théologiens a complètement changé et que depuis une vingtaine d’années, l’attitude critique
s’est beaucoup modérée.
A.Définition
Le mot « critique » n’a pas nécessairement un sens péjoratif. Toute critique bien faite et
qui s’adapte au sujet qu’elle considère, est justifiée. Le côté positif et utile, que certains
théologiens réclament pour leur critique, n’est pas le monopole d’une critique destructive. En
effet, on peut très bien étudier les phénomènes linguistiques, la constitution, les problèmes
historiques, etc. sans mettre en doute l’inspiration plénière, sans admettre des erreurs et des
contradictions.
Beaucoup de théologiens, même parmi ceux qui désirent rester fidèles à la foi
chrétienne, ont cru que les résultats de la haute critique condamnent absolument l’idée
d’inspiration plénière. Il en est résulté que d’autres chrétiens, ne pouvant pas accepter une
telle conclusion, ont été amenés à s’opposer à toute idée de cri tique biblique. Pour éviter tout
malentendu, il est donc important de définir ce qu’on entend par critique biblique. Nous
examinerons ensuite si les principes et les méthodes employés peuvent se justifier.
Quant à la haute critique, elle a pour objet d’examiner qui est l’auteur, quelle est la date,
comment se présentent la structure littéraire et la composition. Elle se base sur le contenu du
document sur toute information que peut donner l’histoire, la littérature, archéologie, etc. On
peut comprendre dans la haute critique, la critique historique, qui examine la valeur historique
et la crédibilité du document. C’est la haute critique seulement qui fera l’objet de notre étude.
Avant d’examiner les principes et les méthodes de la haute critique, telle qu’elle a été
appliquée le plus souvent, nous croyons utile de donner un court aperçu historique.
La critique du texte est aussi ancienne que la Bible. Comme l’Ancien Testament était
considéré, d’une manière générale, par les Juifs comme la Parole de Dieu, beaucoup de
précautions furent prises pour en assurer une transmission correcte. Sous ce rapport l’œuvre
des Massorètes est remarquable.
Les premières traces de haute critique semblent dater du deuxième siècle, du temps de
l’Ecole d’Alexandrie. On peut aussi citer les noms de Théodoret (458), d’Ibn Ezra
(1088-1167); mais la critique ne prit une forme plus nette que par les efforts de Carlstadt
(1480-1541), Hobbes (1588-1679), Spinoza (1632-1677)36 et Jean le Clerc (1657-1736)37
C’est dans cette dernière période qu’eut lieu cette grande révolution dans la pensée, dont
l’abandon du système de cosmologie géocentrique pour le système héliocentrique de Kepler
et de Galilée fut un des symptômes. Alors se forma le mouvement de l’ « humanisme » qui
voulait se défaire des anciennes traditions et du joug ecclésiastique. Il n’est donc pas étrange
qu’un matérialiste comme Hobbes et un panthéiste comme Spinoza aient été amenés à rejeter
la base sur laquelle s’appuyaient ceux qui étaient censés représenter le christianisme et à nier
que toute la Bible fût d’inspiration divine.
La théorie de l’inspiration suivant laquelle les auteurs sont supposés être réduits à des
mécanismes, fut alors assez courante et le principe de l’interprétation littérale, mal compris et
appliqué, avait conduit les autorités religieuses à s’opposer au système de cosmologie
héliocentrique et, en général, à tout changement important dans la pensée humaine. Comme
cela arrive souvent, ceux qui réagirent avaient de bonnes raisons pour le faire, mais
dépassèrent la mesure en attaquant, non seulement les erreurs humaines commises dans
l’interprétation et l’application des enseignements de la Bible, mais le document lui-même. La
nouvelle tendance se précisa de plus en plus et l’on en vint à nier le divin. Hume (1711-1776)
et d’autres furent ainsi conduits au scepticisme complet.
La critique fit un grand pas quand le médecin français J. Astruc publia en 1753 sa
brochure Conjectures sur les mémoires originaux, dont il paraît que Moïse s’est servi pour
composer le livre de la Genèse, qui attira l’attention sur l’usage des noms Elohim et YHVH
(Jéhovah ou Yahveh) et suggéra que la Genèse était une œuvre composite, provenant de deux
documents caractérisés par l’emploi de ces deux noms.
36
Dans son livre Einleitung in das Alte Testament, CORNILL reconnaît que Spinoza a posé le problème,
marqué le but et prévu les résultats les plus importants des recherches qui, au XIXe siècle, devaient «
renouveler » l’exégèse. Et, en effet, une partie de son Traité Théologico-Politique écrit en 1665 environ, indique
les idées fondamentales que la critique a commencé à suivre 150 ans plus tard.
On sait que, pour Spinoza, la foi n’a rien de commun avec la philosophie. Le but de cette dernière est la
vérité, le but de la première l’obéissance et la piété, mais elle n’exige pas la vérité.
Etant panthéiste, Spinoza désire montrer que, dans toute l’Ecriture, on ne trouve que des conceptions
humaines, qui n’ont, en général, rien à faire avec la vérité. Il semble vouloir plier tout à la raison humaine, et nier
ce qui la dépasse. S’il garde la théologie, ce n’est donc pas comme vérité, mais comme un moyen qui permettrait
aux hommes de vivre en paix.
37
(Page 51) Voir Sentiments de quelques théologiens de Hollande, 1865.
Cependant, Moïse fut encore considéré comme l’auteur principal du Pentateuque 38. En
1805 De Wette nia que Moïse eût écrit le Deutéronome et fixa la composition au temps du
règne de Josias. Spinoza, bien qu’il acceptât Moïse comme auteur du Deutéronome, avait
supposé depuis 1665 que le Pentateuque et les livres de Josué, des Juges, de Ruth, de Samuel
et des Rois étaient édités par Esdras. D’autres accentuèrent la distinction entre les parties
« élohistes » et « jéhovistes » et firent, autant que possible, usage de toutes sortes de
phénomènes linguistiques. Le Pentateuque entier fut donc disséqué et même le livre de Josué
partagea son sort (Ewald, 1831). On parla alors de l’« Hexateuque ».
Cependant, les résultats de la critique n’étaient pas encore bien coordonnés, et il fallut
un Wellhausen (1844-1918) pour produire une théorie plus ou moins cohérente de l’histoire
d’Israël et de la composition de l’ « Hexateuque ».
Il est important de noter que les résultats les plus révolutionnaires de cette critique ne
provenaient pas de faits, mais de théories, et particulièrement de l’idée d’une évolution du
type « mécanique » (idée suggérée par les théories de l’évolution organique des êtres) et de la
philosophie rationaliste, On employait surtout des moyens littéraires, tandis que les faits
historiques et archéologiques étaient ignorés. Des hommes tels que Gunkel (1862-1932) et
Gressmann (1877-1927) furent amenés à protester contre de telles méthodes.
On croit cependant dans certains milieux encore à l’existence d’un « code P », qui serait
le document le plus récent de l’« Hexateuque », datant du temps de l’Exil, ou d’après. On
pense donc qu’il y aurait quatre documents, datant de 850 à 450 avant Jésus- Christ, et qui se
succéderaient de la manière suivante dans l’ordre chronologique: J et E, D, P. Les documents
38
Il faut bien noter que Astruc et Eichhorn insistaient fortement sur le fait que c’est Moïse qui a composé
aussi bien la Genèse que tout le Pentateuque. Ils ne pouvaient pas accepter les conceptions de Spinoza et de
Hobbes. Ils se limitaient è dire que Moïse s’était basé sur des documents existants, ce qui semble être
raisonnable. Mais leur méthode pour distinguer ces documents était inadéquate.
Depuis une vingtaine d’années la haute critique est mise au deuxième plan par beaucoup
de théologiens. K. Barth reproche aux critiques « modernes » leur méthode consistant à se
faire certaines conceptions basées sur quelques données, et à ne pas interpréter l’Ecriture par
l’Ecriture, à chercher une histoire « vraie » derrière le texte sans étudier avec attention, avec
exactitude et amour tous les textes. Selon lui leur attitude générale comportait donc: une
méfiance du contenu, une idée préconçue quant à la « valeur » des « sources », le rejet de
beaucoup de parties, des suppositions, des corrections, une nouvelle construction de la réalité,
basée sur la conviction que l’on savait tout mieux que les auteurs. Il estime que le fait que la
théologie s’est laissée entraîner dans cette voie est un scandale ecclésiastique.
Il dit que vers 1920 on découvrit de nouveau que le témoignage biblique du N. T. avait
un contenu. Mais il se demande si l’on se mettra carrément à une exégèse de la Bible entière,
de manière à arriver à une « science biblique ». Il admet cependant que certains résultats de la
critique peuvent être mis à profit. Mais la vérité historique est donnée par l’ensemble des
textes bibliques et par leurs relations; elle ne diffère pas de ce que la Bible enseigne. On
échappera ainsi à une compréhension et à une explication arbitraires de l’Ecriture. Si on lui
reproche que l’on arrive ainsi à une religion du Livre, il répond que le christianisme n’a été
une religion vivante pendant les périodes où elle n’avait pas honte d’être une religion du
Livre39.
K. Barth, avec son école, a donc fait un pas important et se rapproche de la méthode
scientifique pour l’étude des Ecritures. Mais il laisse encore la porte ouverte à la critique en
rejetant l’inspiration plénière. Il accepte, en principe, que la seule norme pour l’étude de la
Bible doit être la Bible elle-même, mais en fait il n’observe pas lui-même ce principe40.
39
Dogm. Eccl. I-2, p. 546-548.
40
Voir nos chapitres V et XXIII.
Le changement de méthode et d’état d’esprit porta ses fruits dans les sciences
d’observation, et l’on était en droit d’attendre aussi de bons résultats dans d’autres domaines.
Mais la critique biblique s’est égarée dans une impasse en appliquant mal ces nouveaux
principes. Les méthodes d’investigation qui conviennent à ce qui est humain, ne peuvent pas
s’appliquer à ce qui est — ou pourrait être — divin. Que fallait-il?
1. Une foi initiale dans l’unité, la véracité et l’intelligibilité de l’ensemble, que ce soit la
nature ou l’Ecriture.
2. Une critique des théories et des interprétations humaines.
3. Un examen, basé sur des faits, conduit sans idées préconçues, par la raison et l’amour
de la vérité.
Il nous reste à montrer qu’elle ne s’est pas basée sur des faits, mais sur des conceptions
a priori, injustifiées. Ces conceptions résultaient de la nouvelle orientation intellectuelle, qui,
réagissant contre d’anciennes erreurs, dépassa son but. En effet, l’humanisme, le rationalisme
et l’idéalisme avaient tendance à placer l’homme au centre de l’univers. Même si l’on gardait
l’idée de Dieu, on prétendait qu’Il n’est pas supra personnel ou pas connaissable. La réalité se
réduisit à l’action morale et émotive de l’homme en qui Dieu fut supposé être immanent. On
nia une intervention divine plus particulière et plus di et il n’y eut plus de différence
essentielle entre les diverses religions. L’idée d’évolution mécanique, introduite dans le
monde organique, s’étendit bientôt aux domaines de l’histoire et de la religion.
La pensée « moderne » vint donc en conflit avec l’Ecriture, qui est théocentrique, part
d’un Dieu supra personnel, Créateur, qui s’occupe de ses créatures et contient un plan de
rédemption selon lequel Dieu agit, et qui ne dépend pas des efforts exclusifs des hommes.
C’est sous ces influences que la critique élabora trois conceptions majeures relatives à:
41
‘Nous avons suivi, dam certaines parties, l’exposé de Aalders et Noordtzy. Voir Ty-kentering in de O.
T. Wesnschap et Het Probleem van het O. T.
Ces renseignement semblaient montrer que c’était un des plus anciens peuples, vivant
dans des conditions très primitives, presque complètement isolé d’autres populations, sans
relations commerciales, n’ayant pas même l’idée de mettre par écrit certains événements
historiques, et dont les sujets, excepté tout au plus quelques scribes, ne pratiquaient donc pas
l’écriture.
Comme les savants critiques trouvaient que cela était conforme à ce que l’on pouvait
attendre quand on admet l’idée d’une évolution purement humaine, ils décidèrent que les
indications de la Bible concernant ce peuple, avant son entrée en Canaan, ne pouvaient pas
être acceptées. Les patriarches n’étaient, selon eux, que des héros mythiques, et l’histoire de
leur vie des légendes. Reuss et Dillmann considéraient que la question était entendue une fois
pour toutes. Kuenen écrivait que les indications de l’Exode étaient complètement non
historiques. Wellhausen décidait que tout ce qui appartenait à la source P n’avait aucune
valeur historique. Abraham, Isaac et Jacob n’étaient pour Smith que des éponymes, des
personnifications de clans, de tribus, de groupes ethniques. Nöldeke trouvait qu’il était
évident que l’expédition des quatre rois de Gen. 14 contre les rois de la vallée du Jourdain
était non historique et Wellhausen affirma qu’elle était radicalement impossible.
Des critiques plus modérés se limitèrent à admettre qu’il avait peut-être existé une base
historique à ces récits.
Pour tous, il ne restait aucun doute que le Pentateuque ne pouvait pas avoir été écrit du
temps de Moïse, alors que le peuple était, dans l’ensemble, illettré et sans norme légale,
morale ou religieuse.
Par conséquent il devint impossible que le Décalogue fût rédigé du temps de Moïse. Il
ne pouvait être dû qu’à un peuple ayant « progressé « considérablement et qui, par un
développement culturel, avait atteint des conceptions éthiques très évoluées. Il fallait plutôt
l’attribuer aux « prophètes », qui vinrent beaucoup plus tard.
Ecoutons les oracles de la critique à ce sujet. Kuenen affirma que la religion d’Israël
n’était rien de moins et rien de plus qu’une que des religions des autres peuples. Elle
commença par le polythéisme. Wellhausen ajouta que le monothéisme était inconnu de
l’ancien peuple d’Israël. En rapport avec l’histoire de la création, il ne pouvait admettre qu’un
peuple aussi jeune pût avoir de telles abstractions théologiques.
La plupart des essais de chronologie étaient basés sur cette idée d’évolution religieuse et
culturelle. Certains se rendaient compte de la faiblesse et de l’incertitude d’un tel moyen.
D’autre part les idées rationalistes de la période où la critique prit corps, ne laissèrent
plus de place pour une révélation divine, ni pour des miracles. A cette école appartiennent
Duhm, Gunkel, Kuenen, Smend, Stade, Wellhausen et beaucoup d’autres. Dès qu’un passage
parle d’un événement qui n’est pas naturel, d’une intervention divine, c’est pour eux un signe
certain qu’il n’est pas historique. Tout ce qui ne correspond pas entièrement à leur point de
vue est réduit à l’état de mythe ou de légende.
Une troisième idée a priori est qu’il est possible à l’aide d’un examen purement
littéraire des textes actuels, de découvrir les sources variées dont on pense que la Bible est
dérivée.
La méthode d’Astruc, consistant à diviser le livre de la Genèse d’après l’emploi des
noms divins, avait donné l’impulsion initiale à cette méthode d’attaque. Plus tard, on pensa
trouver d’autres indications linguistiques qui pouvaient aider dans cette discrimination.
Cependant, petit à petit des doutes s’élevèrent parmi les critiques eux-mêmes quant à la valeur
de telles méthodes.
Depuis l’élaboration des conceptions dont nous venons de parler, beaucoup de choses se
sont passées.
D’une part la vague de rationalisme et de matérialisme a donné lieu à une réaction. La
théorie de l’évolution mécanique n’a pas été confirmée. Les théories initiales de Darwin et de
Lamarck, même révisées, sont inadéquates. Les causes de l’évolution limitée que l’on croit
pouvoir observer restent inconnues. Ainsi que nous l’avons exposé dans notre ouvrage La
Science, la Raison et la Foi, les faits ont obligé beaucoup de savants à admettre que
l’évolution est dirigée par des agents invisibles. En outre, l’idée d’évolution appliquée à la
religion est fort discutée.
Voyons donc ce que l’on pense maintenant des résultats que les critiques prétendaient
avoir définitivement établis.
Le cri des pierres s’est fait entendre. En comparaison avec les peuples dont on a
retrouvé les traces à TeIl Hassuna, Samarra, Tell Halaf, Suse, al-Ubaid, Uruk et Jemdet-Nasr,
avec les Sumériens, les Accadiens, les Cananéens, les Hittites, les Hontes, les Egyptiens, les
Amoréens et les Elamites, pour ne pas parler de beaucoup d’autres, le peuple d’Israël est
relativement peu ancien.
On a beaucoup d’indications positives qui indiquent que ces anciens peuples, et celui
d’Israël en particulier, ne restèrent pas isolés. Les Sumériens, par exemple, semblent avoir
envahi la Mésopotamie avant le déluge et s’être établis parmi les Accadiens, introduisant leur
civilisation, qui était déjà très avancée, longtemps avant le temps de Moise. Sargon fut un
grand conquérant militaire vers 2500 ans avant Jésus-Christ. Les inscriptions nous racontent
qu’il pénétra jusqu’à la Méditerranée et au nord de la Syrie. C’était alors que la race sémitique
avait une suprématie marquée, qui s’étendait même sur la Palestine et l’Egypte. Après Sargon
et les Gutiens, vint une renaissance sumérienne qui fut peut-être la plus prospère dans
l’histoire de la Mésopotamie. Puis vinrent les Amoréens et les Elamites, et enfin
Hammourabi. On se souvient que c’est lui qui rédigea le fameux code de lois trouvé à Suse, et
qui contient une foule d’ordonnances de détail, confirmant que plusieurs centaines d’années
avant Moïse la civilisation était très avancée en Babylonie. Des codes assyriens et hittites, un
peu plus récents, ont aussi été découverts. C’est à propos de ces codes que la critique même a
dû reconnaître qu’ils avaient bouleversé certaines des théories les plus importantes de
Wellhausen.
Les documents archéologiques montrent qu’il y avait des relations courantes entre
l’Egypte et la Babylonie, l’Arabie, l’Asie- mineure, la Perse, les Indes et des contrées encore
plus écartées.
On se rend compte de ce que veulent dire de tels aveux dans la bouche de la critique
même.
Il est aussi intéressant, pour montrer à quel point la critique a été menée en partant
d’idées préconçues, de noter de quelle manière elle fit usage des informations venant d’autres
sources que la Bible. Quand Bérose ou Manethon confirmaient l’Ecriture, leur témoignage
n’était pas accepté, et certains, comme E. Havet, furent même conduits à nier leur existence
littéraire. D’autre part quand Hérodote écrivait qu’il n’y avait pas de vignes en Egypte et
quand Plutarque affirmait que les rois ne buvaient du vin que depuis le temps Psammétique,
ceci fut accepté comme « vérité historique » et employé pour démontrer l’ « erreur » de Gen.
40. Et cependant les fouilles montrèrent chaque fois que la Bible avait dit la vérité.
Des théologiens, comme Gunkel, Gressmann, Merx, Kittel, Kôberle, Sellin, et d’autres,
qui avaient été séduits par Wellhausen, changèrent leur opinion. En 1908, Eerdmans déclara
s’écarter radicalement de l’école Graf-Kuenen-Wellhausen et attaquer l’hypothèse des
documents sur toute la ligne.
Moïse aurait conduit une bande mélangée de tribus et de clans, plus ou moins reliés
entre eux, vers la résidence montagneuse du dieu Yahveh que sa famille et les Kénites
invoquaient. Ce ne fut donc pas ce « dieu » qui fit un pacte avec Israël mais ce fut Moïse qui
admit le peuple d’Israël dans son propre monde religieux et demanda à chacun d’eux
d’adhérer à un pacte d’après lequel ils ne reconnaîtraient que Yahveh comme dieu. Moïse
aurait planté ainsi le germe de ce qui deviendrait plus tard la moralité splendide des
« prophètes ».
Mais ces savants n’ont jamais réussi à expliquer l’origine de ce caractère éthique de la
religion israélite. Il ne peut pas provenir de Yahveh, car dans ce cas ce « dieu » aurait été
différent des autres, et l’on ne veut absolument pas cela. Mais s’il n’est pas différent,
pourquoi Mardouk ou Kamos n’ont-ils pas réussi à devenir le Dieu suprême? Si, avec Budde
et Eerdmans, on dit que la différence réside dans le fait que ce dieu fut librement choisi, sur la
base du pacte mosaïque, on peut demander, avec K s’il est bien vrai que ce Yahveh était un
dieu de tribu (des Kénites), pourquoi Israël l’aurait adopté comme son Dieu, et si cela est
admis, comment ce « dieu » kénite a été transformé en le Dieu de Moïse, qui EST?
On n’a, en effet, ici qu’une série de suppositions qui n’ont aucun fondement solide, et la
question principale à résoudre est de savoir comment le monothéisme peut venir du
polythéisme. Nous pouvons évidemment choisir un des dieux d’un panthéon et lui donner la
suprématie, mais il ne faut pas oublier que tous ces dieux du paganisme panthéiste ne sont que
le produit de la matière « éternelle » ou ne sont que des personnifications de forces naturelles.
Entre le polythéisme et le monothéisme, il ne s’agit pas du tout d’une question de quantité,
mais de qualité. Même un dieu panthéiste unique n’a rien de commun avec le Dieu qui EST,
Créateur de l’univers.
43
Les découvertes de Ras Shamra, 1937, p. 116. Voir aussi le chapitre XX.
Une lecture, faite sans idées préconçues, montre que les Ecritures parlent aussi bien de
monothéisme que de polythéisme. La tendance naturelle du peuple d’Israël comme des autres
peuples, était vers un certain polythéisme, une idolâtrie qui préfère la créature au Créateur.
Mais on voit, d’autre part, que, par inspiration divine, certains hommes choisis réagissent
continuellement, leur montrent leurs erreurs et les avertissent des conséquences d’un mauvais
choix. Ces deux tendances continuent à exister en parallèle au cours de toute l’histoire de ce
peuple, et l’on est loin de la théorie d’après laquelle le « génie » d’Israël aurait réussi à
développer une religion éthique. Tout au contraire, le monothéisme commence dans le jardin
d’Eden et la Bible parle ensuite de la foi de certains personnages, comme Abel, Hénoch, Noé,
Abraham, Isaac, Jacob, Joseph et Moïse, dans le vrai Dieu, tandis que le peuple, dans son
ensemble, Lui résiste. L’humanité, après sa chute, est séparée de Dieu et nous voyons qu’alors
se développe un vrai poly démonisme.
Mais revenons aux idées religieuses des peuples en général. D’après les enseignements
de la Bible, nous pouvons comprendre que, séparés de Dieu et sans secours spécial, les
peuples se soient égarés et se soient soumis de plus en plus à l’esclavage du mal. Or,
l’archéologie semble confirmer maintenant que certaines des anciennes notions religieuses
sont plutôt monothéistes que poly théistes. On a par exemple retrouvé des conceptions
monothéistes chez les anciens Cananéens, et l’existence d’un Dieu suprême a été notée dans
les pays les plus divers, tels que la Chine, l’Inde et l’Amérique. Même les noms
correspondent parfois: Zeus-Jupiter-Tyr.
A mon avis, l’histoire de la plus ancienne religion des hommes révèle un rapide déclin du
monothéisme à l’extrême polythéisme et l’extension de la croyance aux esprits du mal. C’est proprement,
dans le sens le plus absolu, l’histoire de la chute de l’homme44.
Les traces de littérature que l’on a retrouvées des plus anciennes religions de l’Asie Occidentale,
confirment nettement les conclusions d’Andrew Lang et de Wilhelm Schmidt. La plus ancienne
conception de la divinité est réellement monothéiste; dans les races primitives du monde actuel, cette
conception est vague, presque impersonnelle45.
44
Field Museum Leaflet, 28.
45
Monotheism as the predecessor of Polytheism in Sumerian Religion. Ev. Quart. avril 1937.
En se basant sur ses opinions préconçues, la critique avait d’abord décidé qu’il y avait
une grande différence entre la religion de Moïse et celle des « prophètes ». La théorie Graf-
Kuenen-Wellhausen fait succéder la « loi sacerdotale» aux prophètes. Mais tout a changé
depuis, et avec Eerdmans on admet maintenant que l’ordre Loi-Prophètes, indiqué par la
Bible, est exact.
Ajoutons encore que l’on a aussi la tendance de prendre une attitude plus spirituelle en
relation avec les écrits prophétiques.
46
A. ALT, dans son ouvrage Die Ursprünge des israelitischen Rechts, a distingué nettement entre deux
types principaux de légalisation: la loi « apodictique » et la loi « casuistique ». On trouve dans le Code de
Hammourabi certaines analogies avec la loi casuistique. De telles prescriptions devaient nécessairement être
adaptées au genre de vie et aux conditions existantes. Mais des lois apodictiques on ne trouve aucune trace en
dehors d’Israël, et tout confirme que Moïse les a obtenues par inspiration divine.
Le moyen indiqué par Astruc ne lit pas long feu. Les critiques eux-mêmes, comme
Driver, admettent que le nom Elohim est employé dans des passages attribués au «
Jéhoviste », et le nom de Yahveh dans des passages « élohistes ». Kuenen reconnaît que les
auteurs peuvent avoir eu de bonnes raisons pour se servir tantôt de l’un, tantôt de l’autre nom.
Même ceux qui, comme Colenso, résistèrent d’abord à cette manière de voir, ont uni par
l’admettre et l’on reconnaît donc que le procédé d’Astruc est de peu de valeur, s’il en a. Nous
n’insisterons donc pas.
Mais on chercha d’autres moyens pour distinguer les « sources» supposées: l’emploi de
mots ou d’expressions caractéristiques, la différence de style et de conception, les répétitions,
etc.
Cependant on dut reconnaître que de telles indications sont sporadiques. Ainsi Kraütlein
n’en trouve que 17 pour P, 14 pour D, 13 pour J et E combinés, qu’il déclare ne pas pouvoir
séparer47 et il en conclut que ces indications sont de peu d’utilité. On abandonna donc de plus
en plus ces méthodes linguistiques.
Certains critiques avaient, du reste, été alarmés par l’abus de ces distinctions. J fut
divisé en J1 et J2 par Budde ; Kuenen distingua trois parties en P; D fut d’abord divisé en
deux parties, puis chacune d’elles considérée comme un mélange d’une partie « singulariste »
et d’une partie « pluraliste »; E fut aussi divisé et plusieurs rédacteurs R1 R2 R3 furent
distingués. Et ce ne sont là que les grandes divisions. Chaque critique avait sa propre
subdivision, et le résultat final prouva que l’on pouvait arriver à n’importe quelle division.
Autrement dit, ces méthodes ne pouvaient pas donner des indications sûres48.
Il est probable que Moïse a fait usage de certains documents, mais il sera toujours très
difficile, en beaucoup de cas, de s’en assurer et de les séparer. Du reste, quand on admet que
Moïse est responsable pour l’ensemble et que lui et des rédacteurs éventuels ont été poussés
par le Saint-Esprit, il est relativement peu important de distinguer ces « sources ». Il est bien
plus utile d’étudier le contenu de ce qu’il a écrit et l’on peut regretter que tant de savants de
valeur aient perdu une partie de leur temps à cette espèce de critique.
Nous voyons donc que, à part l’erreur fondamentale dans le choix de la méthode
générale, c’est-à-dire le manque de foi dans l’unité et la véracité de la Bible et la tendance à
critiquer plutôt le Livre que les interprétations humaines, les critiques se sont appuyés sur des
considérations a priori qui ont été choisies d la légère et qui n’ont pas résisté au témoignage
des faits. Nous sommes loin des résultats assurés dont on était fier et qui étaient acceptés,
disait-on, par tous les savants dignes de ce nom. On peut dire avec M. A Westphal, de l’école
critique modérée:
47
Colenso l’avait reconnu avant lui. Driver, Kuenen et Hupfeld l’ont admis aussi et ce fut la raison pour
laquelle Klostermann changea radicalement son attitude concernant l’origine du Pentateuque.
48
On a essayé d’appliquer la méthode, utilisée par la critique, dans le procès de M” F. Deeks contre H. C.
Welis, pour plagiarisme. Les arguments du Rev. W. A. Irwin pour séparer du texte ce qui serait dû à Wells, et
qui étaient basés sur les méthodes en vogue parmi les théologiens, furent rejetés trois fois par la Cour et furent
considérés comme n’ayant pas de valeur!
Il y a encore un autre aspect à cette question. Nous avons vu au chapitre I que les
théologiens « modernes » condamnent les « religions d’autorité » et ne permettent pas qu’une
autorité extérieure à l’homme s’impose. Mais ils arrivent eux-mêmes à une telle religion. Car
si toute l’Ecriture n’est pas inspirée par Dieu, si elle se compose en grande partie de
documents de valeur douteuse, rassemblés par des auteurs inconnus, comment le croyant non
spécialisé dans la critique s’y retrouvera-t-il ? Comment se rendra-t-il compte à quel moment
la Bible ne fait que rendre les opinions, purement humaines, de certains personnages anciens ?
Il faudra donc que tout homme consulte les théologiens pour savoir dans quels textes il peut
avoir confiance, comment il faut les lire. Mais comme ces hommes de la critique diffèrent
souvent entre eux, il devra encore choisir l’un d’eux. C’est donc cet élu qui deviendra une
autorité. On objecte donc contre l’autorité de Dieu, mais on accepte celle d’un homme.
Pour terminer ce chapitre nous passerons en revue quelques divergences entre les
résultats de la haute critique.
C.Quelques divergences
Les documents J et E se continuent-ils dans les livres des Juges, de Samuel et des Rois ?
Cornill, Budde, Moore et Westphal répondent oui et s’en servent pour essayer de fixer des
dates. Mais Kittel, Kautzsch, Driver, Kanig et Smith disent non, avec la même assurance.
Certains, comme F. Delitzsch et Smend disaient du Décalogue qu’il est « la plus vraie
des productions vraies » et que « personne ne peut mettre en doute » son origine mosaïque.
Mais plus tard, la défense de se servir d’images devint une raison majeure pour rejeter cette
origine. Plus tard encore on changea de nouveau et l’on admit que Moïse pouvait être l’auteur.
Un des résultats les plus certains de la critique, avant Graf, était l’unité du
Deutéronome. Cependant Cornill, Graf, Kuenen, Staerk, Steuernagel et Wellhausen le
divisaient, tandis que Delitzsch, Dettli, Dillmann, Kittel, Oettli, Westphal et d’autres
estimaient ne pas pouvoir les suivre.
Pour que cette suggestion ait une apparence de véracité, il fallut admettre que l’on avait
affaire ici à une « fraude pieuse ». On aurait donné au document, de fabrication récente, une
apparence d’antiquité et les circonstances auraient été si habilement arrangées que tout le
monde aurait été persuadé de l’authenticité du livre. C’est ce que prétendirent Cheyne,
Cornill, de Wette, Graf, Reuss, Stade, Wellhausen et d’autres. Mais il se présente alors la
difficulté suivante: comment expliquer le contenu du document qui, dans certaines parties,
49
Voir son article Critique dans le Dict. encycl. de la Bible.
L’histoire critique du « code sacerdotal » est analogue à celle du « livre de la Loi ». Ici
encore l’origine post-exilique fut niée par de Wette, Bleek et Kuenen, mais Graf changea le
courant des opinions. Le tabernacle et tout ce qui concerne le désert n’était que fiction pour
donner à la Loi un caractère mosaïque. Une histoire détaillée, allant jusqu’à la création, fut
inventée pour appuyer tout cela. Ces parties furent combinées avec J, E et D, et le tout fut
donné par Esdras au peuple et accepté par celui-ci comme la Loi de Moïse. Orr a insisté sur
les trois principales objections à cette proposition de Wellhausen :
On voit donc que partout les plus grandes difficultés surgissent dès que l’on n’accepte
pas la Bible telle qu’elle est.
Ajoutons encore qu’à part toutes nos objections précédentes aux méthodes de la
critique, il y a celle d’appliquer à l’ancienne littérature hébraïque, les méthodes développées
pour les littératures plus modernes. L’école de Wellhausen basait des arguments sur toutes
sortes de particularités et d’imperfections apparentes du style, alors que l’on a reconnu depuis
que de tels « phénomènes » sont normaux dans les langues anciennes50.
En rapport avec ceci, il est intéressant de noter les remarques suivantes du professeur E.
Naville dans La Haute critique dans le Pentateuque, 1921.
« Les critiques partent d’une conception de l’écrit qui est certaine ment fausse. L’écriture a servi
d’abord à fixer les sons, puis a rappeler ce qui avait été dit, ce qu’on avait entendu et qu’on voulait
pouvoir répéter. Il en résulte que les premiers écrits ne sont que la parole, avec ses répétitions, ses
contradictions réelles ou apparentes, souvent le manque de logique, ou le désordre dans la manière dont
les idées sont présentées. Les critiques sont toujours partis du livre dans le sens strict du mot, c’est-à-dire
l’ouvrage de l’esprit, fait pour lui-même, suivant un plan défini, et ayant en vue le lecteur. C’est là un
50
On se rend compte de plus en plus de la difficulté d’interpréter des textes anciens et de fixer des dates
de composition et des noms d’auteurs, en se basant sur des particularités littéraires. Voir à ce sujet Limits in the
Old Testament Interpretation par O. R. SELLERS, dans Journal of Near Eastern Studies, V, 1946.
W. F. ALBRIGRT dit dans son ouvrage From the Stone Age to Christianity, p. 47:
“As critical study of the Bible is more and more influenced by the rich material from the ancient Near
East, we shall see a steady risk in the respect for the historical significance of now neglected or despised
passages and details in the Old and New Testaments.”
« Un livre est soumis à des règles de composition qui sont inconnues à une rédaction comme celle
du Pentateuque. Aussi les savants, tout pénétrés de ces lois strictes qui régissent le livre et se trouvant
devant un document qui répond si mal aux exigences qu’ils croient en droit de lui imposer, n’ont cru
pouvoir résoudre cette difficulté qu’en soutenant que ce document est un pêle-mêle formé de livres dont
on a pris et mis ensemble les morceaux, comme les pierres d’une mosaïque. » p. 30.
« Si nous considérons une oeuvre comme le Pentateuque, laquelle, je ne saurais assez le répéter,
n’est pas un ou plusieurs livres composés suivant un plan défini, mais un recueil de tablettes
indépendantes, écrites pendant un demi-siècle par le même auteur, il ne sera pas difficile d’y constater des
divergences importantes, soit dans le style, soit dans ce que nous appellerions les points de vue. Pendant
sa longue carrière, Moïse s’est trouvé dans des conditions qui ont varié étonnamment : la vie de l’homme
élevé à la cour de Pharaon, qui souffrait de l’oppression infligée à ses compatriotes, était fort différente de
celle du fugitif réfugié chez Jethro, ou de celle du chef faisant sortir d’Egypte tout un peuple et lui
donnant une législation. Et quand il mettait par écrit ce qu’il avait dit, quand il rédigeait à l’usage des
générations futures ce qu’il connaissait par les sources qu’il avait à sa disposition sur les origines d’Israël,
quand il consignait les ordres de Yahveh, ce qui devait être la constitution du peuple, il est clair que son
langage devait être tout autre suivant les circonstances. Son style changeait suivant qu’il formulait des
commandements sur le ton sec et positif du législateur, lorsqu’il entonnait l’hymne de victoire après le
passage de la mer Rouge, ou lorsqu’il racontait un épisode de la vie d’Abraham ou de Joseph. En
choisissant dans le Pentateuque tous les morceaux qui ont une grande analogie de style et en les
réunissant, il n’est pas difficile d’en f aire dans chaque cas un livre, et même de donner à ce livre un ou
plusieurs auteurs. » p. 33.
« Le babylonien cunéiforme ne peut s’écrire que sur des tablettes cunéiformes. Tous les écrits
mosaïques doivent donc être sous cette forme; ce ne sont pas des livres, ce sont des recueils de tablettes
qui ont été réunies et divisées en cinq livres, probablement par Esdras, ainsi que le dit la tradition. Je crois
avoir démontré suffisamment que c’est bien ainsi que se présentent les écrits mosaïques dont il ne faut pas
oublier que la plupart, sauf peut-être les généalogies, sont la reproduction de ce qui a été dit et proclamé,
quelquefois à plusieurs reprises (comme les lois), avant d’être mis par écrit. La forme des écrits
mosaïques est absolument celle qu’imposaient les circonstances du temps. Eichhorn, à une époque où l’on
ne connaissait pas les cunéiformes, arrive à une conclusion analogue. Parlant de l’Exode, du Lévitique et
des Nombres, il dit que « leur apparence mène à l’idée que ces livres, ou du moins une partie d’entre eux,
consistent en essais détachés contemporains du voyage des Hébreux dans le désert. » p. 67.
A.Théologien type
Nous avons parlé d’une manière assez générale de la haute critique et il semble bon
maintenant d’examiner de plus près le cas du théologien chrétien. Ceci nous permettra de
préciser certains points et de montrer à quelles difficultés et contradictions la critique
imprudente peut conduire le savant croyant.
II est logique que le théologien qui ne croit pas en un Dieu supra personnel traite la
Bible comme un document humain et en retienne tout au plus un certain fond de valeur, dont
il attribue l’origine au génie de l’homme. Il est logique aussi, qu’entraîné par des idées a
priori, telle que celle d’une évolution religieuse purement humaine, il nie l’ancienneté de
certains documents.
Nous avons expliqué pourquoi, à notre avis, on ne peut atteindre la vérité qu’en partant
de la foi. N’ayant pas la foi dans un Dieu qui se révèle à l’humanité pour la sauver, notre
théologien ne peut pas envisager, même comme hypothèse de travail, que la Bible soit
inspirée dans tous ses détails. Ses études ne peuvent donc pas l’amener à apprécier la valeur
de la Bible.
Pour ce qui concerne le théologien chrétien, nous comprenons qu’il se soit rendu
compte que l’on a souvent mal interprété la Bible, que l’on n’a pas assez tenu compte du
vocabulaire oriental, des moeurs anciennes, de l’évolution dans la révélation, etc. Il est vrai
que l’on a détaché parfois les personnages de leur milieu et qu’Abraham, par exemple, a été
considéré par certains comme étant un chrétien moderne, que bien des passages ont été
expliqués d’une manière artificielle, souvent d’après un littéralisme inacceptable.
Mais, s’il fallait une révolution, il aurait dû la faire d’une manière rationnelle. Car lui au
moins pouvait mettre en pratique les principes dont nous avons parlé : foi initiale dans l’unité
et la véracité de la Bible, critique des théories et interprétations, examen basé sur les faits et
non sur des théories incertaines et des idées préconçues.
Malheureusement certains ont été trop influencés par l’autorité des critiques non
croyants. Ils ont cru que, pour éviter les anciennes erreurs, ils étaient obligés de sacrifier
l’inspiration plénière du texte et cela sans bonne raison.
Si nous considérons plus spécialement le point de vue d’un de ces théologiens croyants,
l’un des plus éminents, le Pentateuque se composerait de deux livres:
Ces deux documents auraient été réunis dans un seul « volume sacré » par Esdras,
secondé par des scribes fidèles. Le texte définitif du Pentateuque daterait cependant encore de
plus tard, de la fin du 4e siècle avant Jésus-Christ.
On nie donc que Moïse soit l’auteur du Pentateuque, pris dans son ensemble, et de
même, que la plupart des autres livres de l’Ancien Testament aient été rédigés par les auteurs
dont la Bible fait mention.
Nous voulons montrer maintenant que ce théologien, que nous choisissons comme type,
en procédant ainsi, a été acculé à des contradictions et à des difficultés insurmontables. Mais
avant cela, il nous semble utile de dire un mot au sujet de l’évolution religieuse que l’on
trouve dans la Bible. Nous parlerons plus longuement de ce progrès dans la révélation dans un
autre chapitre.
Un lecteur, non prévenu, se rend compte que la Bible décrit toujours le peuple d’Israël
comme un peuple enclin à l’idolâtrie, semblable aux autres nations, et que d’autre part Dieu
veut continuellement amener ce peuple à se tourner vers lui. Pratiquement tout l’Ancien
Testament nous montre la patience divine vis-à-vis d’un peuple rebelle, et le Nouveau
Testament nous relate comment ce peuple arrive même à crucifier son Messie.
Il ne s’agit pas ici de deux tendances présentées par deux parties antagonistes, qui
essaieraient chacune de défendre son point de vue. Nous avons là une histoire unique, qui
nous montre d’un côté la grâce et la volonté divines et de l’autre côté la résistance de la
créature orgueilleuse et sa rébellion contre Dieu. Les auteurs de la Bible prétendent exposer
fidèlement l’attitude du peuple et des hommes qui le conduisent. Ils nous rapportent leurs
actions et leurs paroles, sans cacher leurs faiblesses et sans les approuver quand ils ne
s’accordent pas avec la volonté de Dieu. Au contraire, ils condamnent même un Moïse quand
il y a lieu. Un document d’origine purement humaine aurait certainement ménagé ces grands
hommes.
Ce lecteur, tout en voyant clairement ces deux tendances, n’y trouve aucune raison pour
séparer la Bible en deux livres, qui auraient été réunis plus ou moins habilement, car partout
on voit aussi bien l’appel divin que la rébellion du peuple.
D’autre part, il se rend compte qu’il y a un progrès dans la révélation. Dieu prend
l’homme tel qu’il est et lui révèle ce qu’il peut comprendre, sous une forme adaptée à sa
mentalité. Il choisit un peuple qu’Il éduque et auquel Il se révèle de plus en plus. Il lui donne
des lois et des rites adaptés à ses besoins et à sa manière de vivre. Si l’holocauste est dans ses
habitudes, Dieu l’incorporera dans ses prescriptions rituelles, mais en y attachant une
Notre lecteur, s’il est croyant, acceptera donc sans difficulté que Dieu inspira à Moïse
de donner non seulement le fondement de la Loi et le Décalogue, mais aussi un rituel et des
prescriptions détaillées pour la vie religieuse et sociale du peuple d’Israël. Loin de lui l’idée
de voir une nécessité de séparer les textes qui parlent de l’esprit de la Loi, de ceux qui
indiquent la forme. Il sera sans doute surpris quand un théologien croyant lui dira:
« Les livres actuels du Pentateuque, où les deux traditions (jéhoviste et élohiste) sont mélangées,
nous présentent un tableau tout à fait incohérent de la religion et du culte de Moïse... Dire que toutes ces
institutions contradictoires, de fait et d’inspiration, ont existé dans la même organisation sociale et
simultanément, c’est comme si l’on disait qu’un gouvernement peut être en même temps républicain et
monarchique, qu’un même homme peut être à la fois catholique et protestant. Il faut choisir. »
Venant d’un grand savant, ces paroles peuvent évidemment intimider, et tout en ne
voyant pas du tout pourquoi il faudrait choisir, certains pourront commencer à douter de tout.
Mais le croyant peut aussi avoir l’audace de ne pas se laisser impressionner par de telles
paroles, non par ignorance ou parti pris, mais parce que l’histoire de la critique biblique
montre trop souvent que les assertions les plus formelles des plus grandes autorités, n’ont pas
résisté aux faits. L’expérience prouve que la Bible a toujours le dernier mot.
Cette idée de dualité vient des non-croyants et elle est tellement artificielle, que ceux
qui l’acceptent sont conduits à des contradictions et à des difficultés sans fin. Nous voulons en
examiner quelques-unes.
Après avoir cité en partie 2 Sam. 7 et 1 Chron. 17, notre théologien s’écrie :
« Impossible de proclamer plus hautement la spiritualité du Dieu que les « cieux des cieux ne
peuvent contenir », qui ne demande à ses fidèles qu’un sanctuaire: le coeur, et pour lequel tout le passé
témoigne qu’il n’a certes pas besoin d’une demeure somptueuse pour habiter avec son peuple et lui faire
sentir sa présence. Jéhovah n’est pas comme les autres dieux; son culte n’est pas comme les autres cultes,
et rien ne doit distraire Israël de la religion en esprit, fondement de la théocratie. »
Mais, si le lecteur lit aussi le reste des passages cités, il remarque que 2 Sam. 7. 13 et 1
Chron. 17. 11, 12 disent que cette répugnance de voir bâtir un Temple n’est que provisoire.
On ne trouve nulle part une objection contre l’idée d’un temple, comme la critique le suggère,
mais bien contre l’idée que ce soit David qui le bâtisse. D’autres textes indiquent la raison. Ce
sera un de ses fils qui sera chargé de le construire.
Comment agit alors la critique? Elle enlève les passages qui contredisent son idée
préconçue : ils seraient dus aux « prêtres ». Mais il reste que : 1) le texte pris tel qu’il est ne
s’oppose pas à l’idée d’un Temple somptueux; 2) qu’il n’y a aucune dualité et qu’il ne faut
donc pas « choisir », comme l’affirme notre auteur.
Il condamne sévèrement tout le rituel. Les holocaustes, les offrandes, les jeûnes et les
assemblées ne sont pas, d’après lui, ordonnés par Jéhovah. C’est Israël « qui, de son propre
Cependant, notre théologien ne peut pas supprimer tous les textes qui contredisent sa
thèse, et il est alors amené à se contredire lui-même. En effet, comparons le passage cité ci-
dessus aux paroles suivantes du même auteur:
«Il ne faudrait pas conclure de ces citations que les prophètes étaient opposés en principe au
Temple et aux sacrifices. Comment expliquerions-nous, s’il en était ainsi, que le Deutéronome ait poussé
ses racines dans le sol prophétique, et que Jérémie appelle de ses vœux le jour où l’on viendra de Juda et
de Benjamin, de la montagne du Midi pour amener des holocaustes et offrir des actions de grâces dans la
maison de Jéhovah? Seulement, il en est pour eux du sacrifice comme pour nous des dons en argent, qui
ne disent rien, s’ils sont une aumône, et qui disent tout s’ils expriment la charité! Ainsi, le sacrifice et tout
le culte rituel n’est agréé, n’a de sens religieux, que lorsque celui qui le célèbre a d’abord satisfait aux
exigences divines en donnant son cœur à Dieu, en se donnant lui-même pour accomplir la volonté de
Dieu. Pour qui est élaborée la législation du Deutéronome? Pour qui son temple et ses réjouissances
devant Jéhovah? Pour un peuple nouveau, qui s’est préalablement converti, et qui aime son Dieu de tout
son cœur et de toute sa force! Quand, d’après Jérémie, Jéhovah prendra-t-il plaisir aux holocaustes?
Quand Israël châtié se sera converti; quand Dieu, ému de compassion, ramènera Jacob de l’exil et traitera
avec lui l’alliance nouvelle. »
Cet auteur, étant chrétien, ne peut pas renier non plus ce qu’a fait le Seigneur Jésus-
Christ. La purification du Temple (Jean 2. 13-22) est donc appelée par lui: « l’acte jéhoviste
par excellence ». Du reste, ce Temple, qu’il dit cependant être « élohiste », est appelé «
Maison de mon Père » par le Seigneur.
La référence à la conversion d’Israël conduit notre auteur à une autre difficulté. D’après
lui l’histoire d’Israël, en tant que peuple élu, se termine avec sa dispersion en l’année 70, et
comme il ne s’est pas converti avant cette date, il ne le sera donc jamais. Il s’ensuit que les
holocaustes ne feront jamais plaisir à Jéhovah et que les visions des prophètes ne se
réaliseront pas.
La confusion de l’auteur se voit surtout quand il parle plus en détail des prophètes. On
aurait au moins pu s’attendre à ce que ces prophètes aient l’esprit « prophétique », c’est-à-dire
« jéhoviste », et à ce qu’ils aient condamné franchement le rituel et le Temple. Mais l’auteur
doit reconnaître que
« Chez Ezéchiel, le prophète parle le premier, il parle avec un incomparable éclat, mais les
préoccupations sacerdotales, d’abord entièrement réprimées, reprennent peu à peu leur empire, et la fin de
son livre est d’un prêtre. »
Voilà donc Ezéchiel divisé contre lui-même! De Jérémie notre auteur semblait accepter,
comme nous l’avons vu, qu’un jour Jéhovah prendra plaisir aux holocaustes; d’Ezéchiel il ne
peut pas accepter de « préoccupations sacerdotales ».
Dans une note, il doit admettre que les prophètes Aggée et Zacharie se préoccupaient
presque exclusivement de la reconstruction du Temple. Esaïe devient aussi un faux prophète,
car « où sont les magnifiques descriptions du retour annoncé pas le second Esaïe? » Ce
« second Esaïe » avait pourtant une doctrine « spiritualiste ».
Malachie est « tout préoccupé du rite sacerdotal ». Lui aussi est divisé contre lui-même,
car « Auprès de notes admirables et d’élans prophétiques de la plus pure inspiration, il est
d’autres passages où l’esprit lévitique perce visiblement ».
Parlant du temps où les Juifs de Babylone retournèrent sous la conduite d’Esdras, notre
auteur dit qu’ils ont hérité de deux livres, dont chacun contenait une partie de la Torah. Ceci,
tout en étant une pure théorie, est présenté comme un fait. Ces deux livres auraient été,
d’après l’auteur, d’un esprit radicalement opposé : l’un d’esprit « élohiste » aurait été la
« charte du passé », l’autre, d’esprit « jéhoviste » aurait été la « charte de l’avenir ».
Cependant, l’auteur ajoute que ces deux documents auraient parlé des mêmes temps, se
seraient réclamés de la même origine et auraient été honorés tous deux comme l’enseignement
de Moïse ! « L’intérêt d’Israël commandait que ces joyaux de sa littérature fussent réunis
ensemble dans un seul volume sacré ». Et c’est Esdras et ses scribes qui se seraient acquittés
de ce travail.
Représentons-nous bien cette situation. Voilà deux documents qui sont d’esprits aussi
opposés que possible, dont l’un condamne les pratiques de l’autre et qui cependant auraient
été acceptés tous deux comme l’enseignement de Moïse ! Esdras et les Juifs en général
n’auraient pas remarqué ces contradictions ! Et cependant elles auraient été tellement
frappantes que nos théologiens modernes prétendent pouvoir diviser le texte combiné de
manière à séparer les deux livres originaux, même aux endroits où ils auraient été intimement
mélangés!
Notons aussi que le document fabriqué par Esdras condamnerait, d’après ces
théologiens, encore et toujours les pratiques dites « élohistes », provenant des « prêtres ». Or
ce serait justement ces « prêtres » (Esdras était sacrificateur, Néh. 8. 2) qui auraient permis à
ces condamnations de leurs propres tendances, de figurer dans le livre !
D’autre part, du temps d’Esdras, il y avait aussi des « jéhovistes » qui, dans le cas où la
théorie de l’auteur aurait été vraie, se seraient certainement opposés à ces manipulations de
textes et n’auraient pas hésité à diriger l’attention sur les contradictions. Mais non, les
« jéhovistes, désorientés par les nouvelles conceptions d’Ezéchiel, ne purent ou ne surent pas
s’opposer à l’influence grandissante des scribes ». Ceux-ci continuèrent donc leur travail :
« Le siècle qui établit la victoire du prêtre sur le prophète produisit aussi une littérature conforme è
son esprit, et c’est à lui que nous devons le premier canon de la Bible juive, la torah Moïse, c’est-à-dire le
Pentateuque sous sa forme définitive. Et c’est pour cela que les sources anciennes de la religion jéhoviste
se trouvent, dans le Pentateuque actuel, noyées dans la législation sacerdotale et distribuées selon le cadre
Au milieu de cet «élohisme lévitique» il n’y a que le livre de Jonas qui se fait entendre
en faveur du « jéhovisme oublié ». Mais, encore une fois, si le livre de Jonas est d’esprit si
différent, comment ces mêmes scribes élohistes l’ont-ils ajouté aux autres parties?
II nous semble qu’un croyant non influencé par les théories de la critique moderne
trouvera avec Ezéchiel, Aggée, Zacharie, Malachie et d’autres, qu’il n’y a nulle contradiction
entre des « préoccupations sacerdotales » bien comprises et la conception « prophétique ».
D’autant plus que notre Seigneur et les apôtres n’en trouvaient pas non plus. Ce n’est qu’en se
laissant séduire par une idée préconçue que l’on arrive à faire une telle différence, que l’on
essaie de reconstituer deux livres imaginaires, que l’on est amené à l’impossibilité d’expliquer
comment on a pu vouloir réunir deux documents contradictoires et que l’on se trouve obligé
de condamner les prophètes.
Si ces prophètes sont si faillibles, comment reconnaître ce qui, dans leurs écrits, pourrait
quand même être d’inspiration divine ?
« La seule chose à retenir par notre religion mieux informée, c’est que le signe de la révélation ne
se trouve point nécessairement dans la formule qui prétend l’introduire, mais avant tout dans la valeur
spécifique de la chose formulée, dans le caractère divin de la parole inspirée, qui l’impose à notre
conscience comme l’expression même de la volonté de Dieu. »
Ce serait donc notre « conscience religieuse » qui serait la norme ! Mais que veut dire
l’auteur par la phrase « le signe de la révélation ne se trouve point nécessairement dans la
formule qui prétend l’introduire »? Il s’agit d’une question particulièrement gênante pour un
croyant critique. Les prophètes insistent souvent sur le caractère inspiré de leurs paroles, et
nous trouvons par exemple dans Ezéchiel, quand il parle du Temple et du rituel (c’est-à-dire
dans ce qui serait d’esprit « élohiste »!), des expressions comme:
« La main de l’Eternel fut sur moi, et il me transporta dans le pays d’Israël. Il m’y
transporta, dans des visions divines » Ezéchiel 40. 1 , 2.
«Il me dit: Fils de l’homme, ainsi parle le Seigneur, l’Eternel: Voici les lois au sujet de
l’autel, pour le jour où on le construira, afin d’y offrir les holocaustes et d’y répandre le
sang. » Ezéchiel 43. 18.
« Ainsi parle l’Eternel » Ez. 45. 9, 18; 46. 1, 16; 47. 13, etc.
Voilà les formules dont parle notre auteur, formules qui ne sont pas nécessairement,
d’après lui, le signe de la révélation. Autrement dit, il ne faut pas croire les prophètes quand
ils assurent que l’Eternel a parlé.
Comment expliquer alors l’usage de telles formules? Les prophètes se sont-ils trompés
quand ils ont cru entendre la voix de l’Eternel ou ont-ils menti pour donner plus de poids à
leurs paroles? Notre auteur ne suggère pas ces solutions, car le prophète serait définitivement
compromis. Il attribue ces formules au vocabulaire spécial d’Orient. Quand un prophète se
« Un lecteur familiarisé avec la littérature des religions anciennes, avec les entretiens d’Ahoura-
Mazda avec Zarathoustra, par exemple, n’aura nulle peine à s’expliquer l’origine de cette terminologie. »
Il cite ensuite une partie de l’inscription de Mésa, roi de Moab, adorateur du dieu
Kamos, dans laquelle Kamos est dit « secourir », « être irrité », « parler », etc.
L’auteur a évidemment raison de dire que la Bible n’est pas le seul document où l’on
trouve par exemple l’expression « Dieu dit », et qui fait usage d’anthropomorphismes. Mais
d’une part il semble suggérer que ce n’est pas parce que le prophète fait précéder un passage
de « Ainsi parle l’Eternel» que nous devons croire qu’il est inspiré par Dieu, et d’autre part il
hésite à mettre le prophète sur le même rang que l’écrivain païen.
« Maintenant autre chose est l’expression d’un historien racontant les exploits de son peuple, avec
la langue de son temps, et nous représentant les conceptions de ce peuple sur les rapports de la politique
et de la religion et sur le service du dieu national, — autre chose, le témoignage d’un prophète dont la
personnalité domine l’histoire, qui se dit, qui se montre l’envoyé de Jéhovah, le représentant de la religion
pure et sans tache, et qui, rapportant une révélation qu’il déclare avoir reçue par voie surnaturelle, dans
une rencontre avec son Dieu, s’écrie au péril de sa vie, devant les peuples et les rois : « Ainsi a dit
l’Eternel ! » L’historien de Jéhovah et celui de Kamos peuvent avoir des locutions communes; le peuple
de Jéhovah et celui de Kamos, des points de vue politiques approchants, ou des conceptions religieuses
qui se ressemblent par leur ignorance ou leur barbarie; mais personne ne se lève, en Moab, pour s’écrier:
«Ainsi a dit Kamos ! » et révolutionner son peuple en lui prêchant la religion véritable. »
On voit que tantôt notre auteur voudrait prendre le prophète au sérieux quand il dit
« Ainsi a dit l’Eternel», tantôt il considère cette « formule » comme insuffisante pour croire à
l’inspiration de ce qui suit. Si l’auteur veut vraiment garder la différence entre l’adorateur de
Kamos et le prophète de Jéhovah, il doit admettre aussi la valeur de la formule Ainsi parle
l’Eternel» quand elle est employée par ce prophète, et il ne devrait pas essayer d’en diminuer
la portée en parlant de vocabulaires d’Orient et d’un emprunt à la terminologie de
Zarathoustra. Du reste, les deux premières formules d’Ezéchiel que nous avons citées, ne
peuvent pas être considérées comme des figures de rhétorique. Mais notre auteur préfère les
dévaluer plutôt que de reconnaître la faiblesse de sa théorie.
En ce qui concerne l’idée que les prophètes auraient emprunté quelque chose aux
Perses, voir un des paragraphes suivants.
Nous avons déjà démontré que la critique a fait usage de plu sieurs arguments sans
valeur pour essayer de séparer les prétendus documents originaux. Nous montrerons encore
comment procède notre auteur quand il veut prouver que les généalogies de Gen. 4 et 5
indiquent deux sources différentes.
Une lecture attentive des textes, pris tels qu’ils sont présentés, montre deux généalogies,
l’une de Caïn, l’autre de Seth, qui ont toutes deux leur raison d’être, On peut les représenter
comme suit:
Or, la critique voit dans la présence de deux généalogies un argument pour conclure à
deux documents différents, qui donne raient, chacun à sa manière, la liste des ancêtres de Noé.
L’un exprimerait la « tradition prophétique », l’autre la « tradition sacerdotale ». Pour arriver
à cette conclusion on doit:
1. Dire que d’après Gen. 5, c’est Seth qui est l’aîné. Or, Gen. 5 ne dit rien de pareil. Le
seul argument est que Seth seul est nommé en Gen. 5. Mais ceci n’est pas étonnant puisque
Gen. 4 venait d’expliquer que Caïn et Abel naquirent avant Seth.
2. Supprimer le témoignage de Gen. 4. 25, 26, texte qui mentionne Seth aussi bien que
Caïn.
3. Identifier, sans raison, les deux Lémec.
Mettre Noé à la place de Jabal et de ses frères en Gen. 4.
Pour justifier cette dernière manœuvre, on dit « Dans ce foyer (la descendance d’Irad,
petit-fils de Caïn)... naquit enfin Noé. » Or, Gen. 4 ne parle pas du tout de Noé.
Il est évident qu’avec de tels procédés arbitraires on peut démontrer tout ce que l’on
veut. Nous ne nions pas que Caïn ait eu un tout autre esprit que Seth, mais de là à conclure à
deux sources, dont l’une ne parlerait que de Caïn et l’autre de Seth seulement, il y a loin. Il
n’y a aucune bonne raison pour ne pas accepter le récit dans son ensemble, et comme nous
donnant aussi bien la généalogie de Caïn que celle de Seth. S’il insiste sur la dernière et donne
plus de détails, c’est parce que de Seth procède Noé, donc Abraham et le peuple d’Israël.
L’autre généalogie a moins d’importance.
5.La révélation
Le critique croyant veut, dans une certaine mesure, maintenir le principe de la révélation
divine, mais on se demande ce qu’il en reste quand on croit que dans la Genèse
Si l’on pouvait interpréter cette phrase dans le sens que Moïse est inspiré par Dieu de
manière à retenir ce qu’il y a de vrai dans les traditions relatives à des événements historiques,
et que nous pouvons donc avoir confiance dans tous les détails du livre de la Genèse, on
pourrait comprendre et accepter. Mais quand le même auteur dit ensuite que « Le récit de la
Création, contenu dans le premier chapitre de la Genèse, provient d’un livre qui ne paraît pas
avoir été rédigé avant le retour des Israélites exilés à Babylone », on ne comprend plus. Car ce
récit serait alors d’origine « élohiste » c’est-à-dire de tendance païenne et comment parler
alors de Révélation ?
« La Chaldée, la Perse, la Grèce et Rome arrivent tour à tour au temps marqué pour collaborer au
plan divin et donner au peuple de Dieu l’impulsion féconde dont il a besoin. »
Il ne faut pas se méprendre sur la signification que l’auteur attache à ces paroles. Il ne
s’agit pas de vagues influences qui pourraient agir sur Israël, mais de doctrines bien définies,
provenant de ces nations païennes, et qui furent incorporées dans la Bible. Ainsi nous lisons:
« Nous pouvons rattacher à la pénétration du mazdéisme dans la religion hébraïque bon nombre de
doctrines par lesquelles le judaïsme a enrichi la dogmatique rudimentaire des Hébreux: le dualisme, qui
va tempérer le monothéisme strict des prophètes; la doctrine du ciel et de l’enfer, celle du génie du mal
adversaire de Dieu dans la création, des hypostases divines, des anges, légion d’êtres intermédiaires entre
la terre et le ciel; la notion de l’immortalité individuelle des justes, du Jugement final et des deux âges du
monde: le siècle présent et le siècle à venir, bref tout un ensemble de croyances où s’affirment la valeur
de l’âme humaine, la portée du combat de la vie et les réalités glorieuses de l’au-delà. Ces croyances, où
les Juifs puisèrent les principaux éléments de l’apocalyptique, ont passé du judaïsme à l’Evangile. On
s’explique bien mieux leur introduction dans le judaïsme par l’action de la pensée aryenne et perse que
par le développement de la théologie primitive des Hébreux. »
Il est évident que si l’on accepte cette thèse, nous ne pouvons plus avoir confiance dans
ces doctrines, ni dans les enseignements du Seigneur Jésus-Christ et des apôtres.
Notons bien que l’auteur sape ainsi la base du christianisme parce que sa théorie l’y
oblige. En effet, comme il croit que ce n’est pas Moïse qui a écrit la Genèse (vers 1500), mais
que « la rédaction la plus récente de ce récit (celui de la chute) date environ de neuf siècles
avant notre ère », il s’ensuit que les Védas, les Gathas de Zoroastre, le livre des morts de
l’Egypte, le Rig-Veda des Indes, les Oracles grecs, etc., précèdent cette rédaction finale et ont
pu influencer les rédacteurs. Avec une date aussi récente, on ne peut évidemment plus dire
que la révélation de ces doctrines a été donnée aux auteurs de la Bible, puisqu’elles existaient
déjà en partie chez les païens. De même pour le livre de Daniel par exemple. Il n’aurait pas
été écrit par Daniel (vers 600) mais vers les années 170-160. Il s’ensuit qu’Israël a déjà subi
depuis longtemps l’influence de la domination perse et particulièrement de l’Avesta contenant
les détails de la religion de Zoroastre et des Parsées51.
51
Voir à ce sujet W. F. ALBRIGHT dans From the Stone Age to Christianity, p. 275 à 280. Il dit: “Iranian
influences must have entered into Judaism first as a result of certain features which reminded the Jews of
corresponding elements in their religion.”
D’après la critique, ils se seraient donc trompés pour ce qui concerne les institutions
religieuses d’Israël, qui, quoique « élohistes », étaient considérées par eux comme des
commandements divins, ainsi qu’en ce qui concerne différentes doctrines.
Ils se seraient aussi trompés quand ils parlaient de l’avenir du peuple d’Israël. L’idée
suivant laquelle ce peuple est, en tant que peuple, élu pour le salut du monde est, dit-on, du
pur « élohisme », digne du « Code sacerdotal ». Tout ce que les prophètes ont écrit à ce sujet
ne serait donc que de la rêverie pieuse, de la fantaisie irréalisable. Après avoir parlé de
l’année 70, notre auteur dit: « Ainsi finit l’histoire du peuple élu. » Comme il est indéniable
que le Seigneur Jésus-Christ et les apôtres ont partagé les conceptions eschatologiques des
prophètes, ils se seraient donc aussi trompés sur cette question.
« L’auteur de ce récit dramatique manifeste, comme historien, une grande naïveté. Nulle
préoccupation ethnographique. Caïn, qui nous est présenté comme le seul homme qui soit sur la terre avec
le premier couple humain, nous est montré aussitôt redoutant les assassins, se mariant, bâtissant une ville,
engendrant des fils qui, dès la sixième génération, forgent l’airain et inventent des instruments de
musique. »
Nous verrons au chapitre XV que la Bible, qui ne donne qu’un rapide aperçu des plus
anciens temps, ne parle pas des « humains » qui ont existé avant et au moment de la création
d’Adam, et nous verrons que c’est avec ce dernier que commença, d’après l’archéologie, une
nouvelle civilisation ayant les caractéristiques indiquées par la Bible. Il n’est pas vrai que
Caïn soit présenté dans la Genèse comme le seul homme qui soit sur terre avec le premier
couple humain. Tout ce que l’on peut dire, c’est qu’elle ne parle pas tout le temps des autres.
Ce n’est qu’en prenant ce silence pour une affirmation d’absence de tout homme que l’on peut
être surpris de la mention de villes, etc. L’archéologie confirme qu’au temps dont parle la
Bible il y avait un brusque développement de la civilisation.
« On ne saurait donner une valeur historique aux chiffres de la généalogie sacerdotale, sans
contredire du même coup aux conditions de l’existence humaine et à la durée de la période
antédiluvienne, telle que la science l’a établie par des faits indiscutables. »
Nous montrerons que si l’on ne confond pas les races « pré-humaines » avec la race
adamique, les « faits indiscutables » de la science prouvent l’exactitude absolue des
indications bibliques quand on les prend telles qu’elles sont présentées. L’archéologie
enseigne, comme la Bible, que c’est environ 4000 à 5000 ans avant Jésus-Christ que
commença la civilisation proprement dite « humaine », et cela d’une manière brusque et à
l’endroit indiqué par la Bible.
Résumons ce chapitre. Le non-croyant qui réduit la Bible à des traditions, des légendes
et des pensées humaines est conséquent avec lui-même. Mais le théologien chrétien, qui
désire maintenir sa foi dans un Dieu vivant qui se révèle, et sa confiance dans des doctrines
Après avoir traité en détail le cas de ce théologien français, ajoutons encore quelques
mots à propos d’autres savants contemporains.
En ce qui concerne E. Brunner, nous avons déjà mentionné le conflit entre sa foi et la
méthode de critique historique, qui tend à enlever toute certitude à l’existence historique du
Christ.52
Il essaie de sauver la situation, en posant une limite pour la critique : elle ne doit pas
changer l’image historique de l’existence de Jésus de manière que le témoignage apostolique
ne pourrait plus être compris par la foi. Ce qui est tout à fait arbitraire.53
K. Barth admet aussi une certaine critique, parce que l’Ecriture, tout en étant inspirée
par Dieu, présente un aspect humain. Il pose comme limite d’une telle critique, qu’elle
s’abstienne de trouver dans la Bible des mythes, donc des récits sans contenu historique, car
ceci saperait la substance du témoignage biblique54. Mais pourquoi l’historien s’arrêterait-il à
cette limite ?
K. Barth a fait un grand pas en insistant sur la nécessité de n’interpréter la Bible qu’en
partant d’une seule norme : la Bible elle-même. Malheureusement il ne maintient pas ce
principe en pratique. Ainsi, par exemple, en admettant la présence de légendes. Car ce ne peut
être qu’en utilisant une norme humaine, qu’il se voit obligé d’admettre que tel récit, présenté
cependant comme historique par la Bible, n’est qu’une légende.
Ce théologien admet que Dieu est l’auteur primaire du texte, comment alors admettre la
présence de légendes ? Un texte dont Dieu est l’Auteur, même s’il a un aspect humain, doit
rendre exactement la vérité. Or une légende contient bien une certaine vérité, mais est loin de
rendre la vérité même55.
K. Barth s’écarte loin, du reste, d’une interprétation aussi littérale que possible, et ceci
fait nécessairement intervenir des normes étrangères à la Bible.
Tant que l’on est décidé à rejeter la conception de l’inspiration plénière, on se trouve
devant le problème de la limitation de la critique, et toute admission de critique est source
d’incertitude et conduit à faire usage de normes philosophiques, scientifiques ou
ecclésiastiques. Donc de normes humaines56.
52
Voir le chapitre 1, page 29, note 3.
53
Quand E. Brunner s’adresse à des croyants « simples », il écrit «Wir haben amen Maßstab nötig, um
erkennen zu können, was aus Gottes Geist ist, und was nicht. Dieser Maßstab ist die Bibel, die Urkunde, das Ur-
Wort des Heiligen Geistes, der Normalmeter, an dem alles, was Gottes Wort sein so geeicht werden muss. Was
nicht mit ihr übereinstimmt, kann Gottes Wort nicht sein.» (Unser Glaube, p. 92). Mais, malheureusement, il
applique en pratique des normes humaines. Ainsi, sur la base de sa conception historico-scientifico-
paléontologique et de doctrines ecclésiastiques, il dit par exemple que la soi-disant histoire d’Adam doit être
abandonnée définitivement (Der Mensch im Widerspruch, 1937. p. 75).
54
Dogm. Eccl. I-l, p. 345 et ss.
55
Voir aussi le chapitre XXIII.
56
‘Voir Het Probleem der Schriftkritiek par C. C. BERKHOUWER.
2. Le témoignage. Il est vrai que les Ecritures ne nous procurent pas de données
suffisantes pour écrire, par exemple, une biographie de Jésus. Car le but de la Bible n’est pas
du tout de les fournir. Mais on estime que nous pouvons accepter, dans une certaine mesure,
le témoignage des chrétiens du premier siècle (selon M. Kähler, H. E. Weber, P. Althaus, E.
Brunner, etc.)57
Mais encore une fois, où poser une limite de ce qui est historique et vrai?
On n’a donc trouvé aucune solution convenable au problème du conflit entre la méthode
de critique historique et la foi. La méthode du doute ne peut que soulever des problèmes
insolubles et empêcher toute étude scientifique du texte.
57
Voir Der sogenannte historische Jesus und der geschichtliche biblische Christus, par M. Kähler.
D’autre part, il est instructif de considérer plus en détail les déconvenues de l’école de
Tubingue. Le prestige de cette école fut sans égal sous la conduite de F. Ch. Baur. Ce dernier
se vantait d’appliquer une méthode vraiment critique. Dans son livre sur l’apôtre Paul, il dit
que maintenant la pensée s’est émancipée après un travail laborieux, ayant duré plusieurs
siècles, et qu’elle a jeté de côté ses béquilles. Ces savants parvinrent, en effet, à imposer leurs
théories d’une manière assez générale. Mais quelque temps après, il devint évident que cette
école s’était aussi bien basée sur des a priori sans valeur que les écoles « non-critiques »
précédentes. Ils avaient rejeté toutes les Epîtres de l’apôtre Paul, autres que celles aux
Romains, Corinthiens et Galates, sous prétexte qu’il y avait conflit entre Pierre et Paul. Des
savants plus sérieux, tels que Ritschl en Allemagne, Godet en Suisse, de Pressensé en France,
Lightfoot et Westcott en Angleterre, montrèrent sans peine que cette idée préconçue était
fausse. Les autres critiques furent obligés de reconnaître que Baur s’était trompé et que la
conception traditionnelle était après tout exacte. Ceci fut une démonstration éclatante du fait
que la haute critique n’est pas nécessairement une preuve de science et de savoir.
Depuis ce temps, l’authenticité de la plupart des livres du N.T. est acceptée. Nous
n’avons pas l’intention d’examiner en détail la position actuelle de la critique, qui, dans
l’ensemble, est assez conservative, mais nous ajouterons quelques considérations générales.
Des difficultés résultent du fait que certaines parties de l’A.T. (par exemple les
Prophètes) ne sont pas acceptées littéralement. Une des grandes questions du critique croyant
est de savoir comment il peut garder sa foi en Christ et cependant admettre qu’Il ne fut pas
infaillible en matière historique ou scientifique. Dans le commentaire de Peake, on lit: « Dans
ces questions, il faut admettre franchement qu’il a accepté les notions courantes de son
temps ». Il est probable que, si les critiques n’ont pas pu se rendre compte que, malgré l’usage
d’un langage courant, compréhensible à ses contemporains, le Seigneur n’a jamais enseigné
l’erreur, c’est parce qu’ils ont commencé par ne pas accepter toute l’Ecriture comme
véridique. Si l’on ne croit pas les Prophètes, il faut aussi être incrédule quant aux paroles du
Christ. Mais inversement, si l’on accepte l’enseignement de l’A.T. autant que possible à la
lettre, toute difficulté disparaît et le N.T. complète l’A.T.
La critique rencontre de même les plus grosses difficultés quand elle examine les
Epîtres de l’apôtre Paul. Elle est alors amenée à parler du progrès continuel des conceptions
chrétiennes et des tentatives de Paul de se défaire de l’eschatologie juive. Nous verrons dans
un autre chapitre dans quel sens on peut parler d’un progrès dans la révélation : non pas
comme si les écrits récents corrigeaient les Epîtres anciennes, mais dans le sens que les
premiers complètent ces dernières.
Dans le cas de Paul, il est en outre d’importance capitale de tenir compte du changement
radical dans la manière dont Dieu administre le monde depuis l’année 60, c’est-à-dire depuis
que le peuple élu d’Israël est rejeté comme tel pour un temps. Les Epîtres que Paul écrivit
après ce changement sont nécessairement différentes sous plusieurs rapports de celles qu’il
écrivit avant59. Quand on mélange les choses qui diffèrent, on doit être conduit à voir des
contradictions et des changements d’attitude inexplicables. Il est nécessaire d’étudier sans
idées préconçues les Ecritures, non pas dans le sens destructif de la critique moderne, mais
dans un sens constructif.
58
‘Citons encore le passage suivant de W. F. ALBRICHT dans From the Stone Age to Christianity, p. 298
: « However, only modem scholars who Jack both historical method and perspective can spin such a web of
speculation as that with which form-critics have surrounded the Gospel tradition. The sureness with which early
Christian leaders distinguished between normative and aberrant sayings of Jesus becomes very clear when we
analyse the so-called agrapha, or apocryphal logia, collected from extant and from recently excavated
documents... The agrapha generally express gnostic or antinomian ideas which are foreign to the Gospels. »
59
Voir à ce sujet nos ouvrages Le Plan divin et Les Enseignements de l’Apôtre Paul.
Nous trouvons aux chapitres 12 et 20 du livre de la Genèse comment Abram fit passer
sa femme pour sa sœur. On a prétendu qu’il fallait voir là deux récits du même événement,
l’un raconté par un auteur supposé qu’on appelle E, l’autre par un autre auteur J. On ne peut
pas admettre qu’Abraham ait répété cette action deux fois. Or, supposons qu’on ait raison de
croire à deux auteurs. Il y eut alors un « rédacteur» pour produire le document final. Pourquoi
celui-ci n’aurait-il pas eu les mêmes objections que nous à voir là deux faits distincts ? En
réalité, si l’on tient compte qu’en acceptant les textes tels qu’ils sont, il y a un intervalle de
vingt ans entre les deux événements, l’objection perd toute sa valeur.
De plus, nous devons penser aux mœurs de ce temps. Gen. 26 mentionne un troisième
cas de ce genre, où c’est Isaac qui trompe Abimelech et l’on a l’impression que de ce temps,
on avait souvent recours à ce stratagème, car Abimelech se méfie et dit: « Certainement, c’est
sa femme ». Abraham ne confirme-t-il pas que c’était sa manière habituelle d’agir ?
(Gen. 20.13). A notre avis nous pouvons prendre tout à la lettre quand on tient compte de tous
les éléments du problème. Nous ne nions pas que Moïse (et ceux qui l’assistaient) ait pu faire
usage de documents historiques rédigés par différentes personnes. Mais il était sans doute
assez raisonnable pour ne pas introduire dans son texte final des absurdités. Nous croyons que
l’inspiration divine lui a évité de faire ou de reproduire des erreurs.
2.Ismaélites et Madianites.
Dans l’histoire de Joseph on prétend aussi avoir une combinaison de deux récits, car,
dit-on, Joseph est vendu tantôt à des Ismaélites (Gen. 37. 27, 28; 39. 1), tantôt à des
Madianites (Gen. 37. 28, 36). Mais pourquoi les deux noms ne peuvent-ils pas désigner les
mêmes hommes et être employés par le même auteur ? La Bible elle-même nous apprend en
Juges 8. 24 que les Madianites faits prisonniers par Gédéon étaient Ismaélites (c’est-à-dire des
descendants d’Ismaël. S’il y avait eu contradiction, comment un compilateur de deux récits
aurait-il pu être assez intelligent pour les réunir en un seul et assez stupide pour garder deux
noms différents ?
Beaucoup d’autres récits doubles peuvent être pris à la lettre, soit qu’ils concernent deux
événements légèrement différents, soit qu’ils décrivent le même fait en d’autres termes.
Pourquoi n’y aurait-il pas dans l’histoire d’Israël des faits qui se répètent plus ou moins,
alors que nous voyons cela dans toute l’histoire? César a envahi deux fois la Grande-Bretagne
et chaque fois sa flotte fut endommagée par les tempêtes. Le tyran Domitien eut aussi bien
que le tyran Néron un successeur obscur pendant un an.
C’est ce que dit I Sam. 28. 6. Mais dans I Chron. 10. 14 on trouve qu’il ne consulta pas
l’Eternel. Donc, contradiction !
Il est toujours prudent, avant de critiquer le texte inspiré, de l’examiner de plus près.
Certains traducteurs ont choisi le même mot dans ces deux passages et semblent donc les
mettre en contradiction. Mais que dit le texte hébreu? Dans le premier cas, il est fait usage du
verbe shaal qui veut dire « interroger » ou «consulter», mais dans le second texte on trouve le
verbe darash qui peut avoir une tout autre signification, comme on peut le voir par Ps. 77. 3 et
Ps 119. 10 où le même verbe est employé et traduit par « chercher ». Saül interrogea l’Eternel,
sans chercher à faire sa volonté.
Tout au moins d’après 2 Sam. 24. 1. Mais 1 Chron. 21. 1 semble dire que c’est Satan
qui excita David. On explique ceci souvent en suggérant que, par figure de rhétorique, l’action
de Satan est attribuée à Dieu, qui permet cette action ou qui agit par l’intermédiaire de Satan.
On cite sans peine de nombreux exemples. Il y a cependant une meilleure explication dans le
cas présent.
Le mot hébreu « satan » n’est pas toujours un nom de personne, car mot signifie
simplement « adversaire ». On peut s’en convaincre d’après les passages suivants: Nomb. 22.
22, 32 (pour lui résister, pour s’opposer; littéralement: «en adversaire», voir note de la version
Darby); 1 Sam. 29. 4; 2 Sam. 19. 22; 1 Rois 5. 4; 1 Rois 11.14, 23, 25 (ennemi, adversaire).
Si le lecteur demande comment nous pourrons distinguer s’il est question d’un
adversaire dans le sens général ou de l’Adversaire par excellence, Satan, la réponse est facile.
Dans des textes tels que Job 1.6,7,8,9, 12;2. 1,2,3,4,6,7 et Zach.3. 1,2 où il est sans aucun
doute question de Satan, l’article est employé avant le nom, et on ne peut donc pas lire « un
adversaire », mais on doit traduire «l’Adversaire » (c’est-à-dire Satan).
Or, en 1 Chron. 21. 1 l’article n’est pas employé et c’est par erreur que les versions
écrivent Satan dans ce verset. Il dit: « Un adversaire se leva contre Israël et il excita David.»
Ici le texte ne dit pas de quel adversaire il s’agit. Mais 2 Sam. 24. 1 nous apprend que
c’est l’Eternel lui-même. On peut penser à un autre cas de ce genre:
«L’ange de l’Eternel (non pas « un ange » car il s’agit ici d’une apparition de l’Eternel
sous forme d’ange) se plaça sur le chemin en adversaire. » (Nomb. 22. 22).
En soi, cette question n’a aucune importance, mais nous la signalons en rapport avec le
principe de l’interprétation littérale. Si vous prenez ces passages à la lettre, vous devez
admettre une contradiction, donc rejeter l’inspiration plénière, dira-t-on. Nous répondons : au
contraire, c’est un cas qui démontre une fois de plus cette inspiration.
Les versions montrent une contradiction, mais il s’agit de savoir ce que dit le texte grec.
Or, ici nous trouvons en Mat. 9. 18 le verbe « teleutaô », dérivé de « telos » (fin) et qui veut
dire littéralement: finir. Il est traduit par « sur le point de mourir » dans Luc 7. 2 et n’indique
pas la mort, mais le moment où la vie va prendre fin. Ceci est donc strictement conforme à
Marc 5. 23 « est à l’extrémité ». On peut ajouter que Mat. 9. 24 confirme qu’elle n’était pas
morte.
C’est un des cas multiples où les moindres détails permettent de vérifier l’exactitude
absolue du texte original, exactitude qui ne se retrouve plus dans les versions, même celles qui
sont faites avec le plus grand soin.
Les trois exemples précédents sont relatifs à des erreurs ou à des contradictions
apparentes dues à une traduction trop peu précise.
6.Erreurs de copistes.
On peut cependant admettre qu’il y ait eu des erreurs introduites par les copistes, et cela
ne doit pas étonner quand nous nous rendons bien compte que ces anciens documents ont
passé par toutes sortes de vicissitudes. Même les copistes les plus minutieux peuvent faire des
erreurs, particulièrement quand les caractères sont compliqués et se ressemblent, quand les
mots ne contiennent pas de voyelles et ne sont pas séparés par une ponctuation, quand les
documents à recopier (pierres, papyrus, parchemin) sont endommagés, souillés ou usés, et
donc pas toujours très lisibles. Comme ces textes ont été copiés et recopiés à maintes reprises,
il est donc plutôt étonnant qu’il n’y ait que relativement peu d’erreurs de ce genre. Celles-ci
affectent évidemment surtout les noms propres et les nombres 60. Mais de telles erreurs sont
souvent évidentes et n’affectent pas sensiblement le sens d’une phrase ou le contenu d’une
doctrine. Voici quelques exemples:
2 Sam. 8. 4 et 10. 18 parlent de 700 cavaliers, tandis que I Chron. 18. 4 et 19. 18
mentionnent 7000 cavaliers.
60
Le savant linguiste R. D. Wilson de Princeton s’exprime comme suit à ce sujet : « Que les noms (des
rois d’Egypte, d’Assyrie, de Babylone,etc,) aient été transmis jusqu’à nous, après avoir été copiés si souvent et à
travers tant de siècles, d’une manière aussi parfaite, est un phénomène sans égal dans l’histoire de la littérature.
Le secrétaire d’Assurbanipal, quand il transcrivit le nom de Psammeticus, le roi d’Egypte de son temps, mit un t
pour un p au commencement, et un l pour un t au milieu. » Abulfeda, l’auteur de l’histoire arabe anté-islamique,
reproduit les noms des rois de Perse de la lignée d’Achaemenid d’une manière à peine reconnaissable et met
Bactnosar pour Nebuchadnezzar. Dans la liste des noms des compagnons d’Alexandre, donnée par le Pseudo-
Callistène, presque chaque nom est modifié de manière à être méconnaissable et la même remarque s’applique à
la plupart des noms des rois d’Egypte que l’on trouve dans les listes qui nous sont parvenues de Msnethon,
Hérodote et Diodore de Sicile, et des noms des rois d’Assyrie et de Babylonie donnés par Africanus, Castor et le
canon de Ptolémée. Voir aussi: A scientific Investigation of the Old Testament par R. D. WILSON.
Parfois les nombres sont exprimés d’une manière avec laquelle nous ne sommes pas
familiers, et qui peut donc donner lieu à un malentendu. Ainsi I Sam. 6. 19 semble parler de
50 070 hommes, mais le texte hébreu dit littéralement: « septante hommes, deux cinquante et
mille «. Certains commentateurs proposent même de lire: « 70 hommes-50 chefs ». Sir
Flinders Petrie pense qu’il faut lire: 46 familles, 500 hommes en Nomb. 1. 21.
De même en Juges 7. 3 «vingt et deux mille « peut se traduire par 22 000 ou par 2020 et
en Juges 12. 6 où « quarante et deux mille » peut s’écrire 42 000 ou 2040. Il est probable que
ce sont les plus petits nombres qu’il faut retenir.
Nous n’insistons pas sur de tels cas. Examinons encore quelques contradictions
apparentes qui ne sont dues ni à une version imparfaite, ni à une erreur de copiste et dont
plusieurs sont citées par ceux qui rejettent l’inspiration plénière.
La supposition que le nom YHVH n’était pas connu anciennement constitue un des
fondements des théories critiques et les conduit à ramener beaucoup de passages à une date
tardive ou à les considérer comme des interpolations dues à un « rédacteur ».
C’est un cas qui caractérise la méthode critique. On se base sur des conceptions
philologiques modernes pour juger un texte ancien. On part d’une certaine théorie savante et
l’on manipule le texte pour le mettre en accord avec cette théorie. Ceci est en contraste avec la
méthode logique qui consiste à prendre le texte tel qu’il est et à l’interpréter aussi simplement
que possible, en tenant compte de toutes les données du texte, ainsi que de celles de
l’archéologie et de l’histoire.
Le professeur E. Naville a insisté sur cette différence de méthode dans son ouvrage La
haute critique dans le Pentateuque, où il est dit au sujet de la question qui nous occupe:
« D’après les critiques, le nom de Yahveh veut dire le nom propre, le tétragramme, et ils ne
permettent pas qu’on donne de ce nom une autre signification. » p. 46.
« Au chapitre VI de l’Exode, les critiques donnent de l’expression « connaître le nom de Yahveh »
une explication qui est tout à fait conforme à la grammaire, mais qui jure absolument avec tout ce qui
précède. « Connaître le nom de Yahveh » ne veut pas dire (selon eux) autre chose que « connaître le nom
propre Yahveh », le tétragramme, et cette révélation en a été faite seulement au moment de l’Exode. Cette
On prétend que ce sont les « prêtres» qui imposèrent le rituel juif et que les « prophètes
n’en voulaient pas. Jér. 7. 22 : « Car je n’ai point parlé avec vos pères je ne leur ai donné
aucun ordre, le jour où je les ai fait sortir du pays d’Egypte, au sujet des holocaustes et des
sacrifices » nous donnerait à ce sujet une indication positive. Toutes les parties de l’Ecriture
qui parlent de sacrifices et de rites seraient d’origine purement humaine. Examinons ceci
sommairement.
Peu de temps après la sortie d’Egypte, nous lisons, en Ex. 15. 26: « Si tu écoutes
attentivement la voix de l’Eternel... » Trois mois après, arrivés au désert du Sinaï, nous
retrouvons à peu près les mêmes mots: «Maintenant si vous écoutez ma voix, et si vous
gardez mon alliance, vous m’appartiendrez... » (Ex. 19. 6). Il nous semble que ceci
correspond très bien avec Jér. 7. 23 : « Ecoutez ma voix, et je serai votre Dieu et vous serez
mon peuple... ». Pendant tout ce temps il n’avait pas encore été question d’holocaustes et de
sacrifices, et les paroles de Jér. 7. 22 que nous avons citées sont en accord avec ceci, car
l’Eternel ne leur avait pas parlé de cela le jour où ils étaient sortis du pays d’Egypte. Ce n’est
qu’un peu plus tard que l’Eternel en a parlé, sur le Sinaï, quand le peuple montra qu’il avait
encore besoin de ces images.
Si l’on se réfère à d’autres passages, tels que Amos 5; Michée 5 et le Ps. 50, ceux-ci ne
disent pas du tout qu’il ne faut pas de cérémonies, mais insistent seulement sur le fait qu’il
faut avant tout accomplir l’essence de la loi : « Tu aimeras l’Eternel, ton Dieu, de tout ton
Du reste, dans le chapitre 7 de Jérémie, dont on invoque le verset 22, nous trouvons au
verset 12 une référence au lieu consacré à l’Eternel à Silo, donc indirectement aux sacrifices
et offrandes qu’Il ordonna de faire dans sa demeure (1 Sam. 2. 29). Et il y a des indications en
abondance qui montrent que les « prophètes » aussi demandaient ces rites, ce qui leur a valu
le reproche de la part de la critique de ne pas être consistants avec eux-mêmes ! Des textes
comme Es. 56.6,7; 60.7; 66.23 etc.; Jér. 17. 21-27; 33. 17-18 etc. Ez. 40 et chapitres suivants,
montrent que les prophètes demandaient ces rites, pourvu qu’ils fussent accomplis dans un
esprit d’amour. Il fallait le sentiment intérieur correct et le symbole extérieur prescrit.
Ajoutons encore que l’expression « ha-Torah » (la loi) indiquait le Pentateuque entier, et
que notre Seigneur a dit: « Car, je vous le dis en vérité, tant que le ciel et la terre ne passeront
point, il ne disparaîtra pas de la loi un seul iota ou un seul trait de lettre, jusqu’à ce que tout
soit arrivé. Celui donc qui supprimera l’un de ces plus petits commandements... » Mat. 5. 18,
19.
Un cas curieux, montrant l’aveuglement que peut provoquer une idée préconçue, est
celui de la prétendue contradiction relative à l’emplacement du tabernacle. Nomb. 2 le met au
centre du camp, Ex. 33. 7 ordonne de le placer dehors. Il y a encore d’autres différences.
Un grand nombre de légères différences peuvent être notées entre ces livres. Celles-ci
s’expliquent d’abord par le caractère différent de ces livres et quelquefois par des erreurs de
copistes, comme nous l’avons montré. Nous n’insistons pas, mais nous nous bornons à
résoudre un petit problème concernant les colonnes et les chapiteaux de I Rois 7. 15-22; 2
Rois 25. 1 7 et 2 Chron. 3. 15. Les chapiteaux ont une partie de trois coudées sans ornements;
en y ajoutant une coudée de treillis et une coudée de grenades, on arrive à la mesure totale de
cinq coudées. D’autre part, il y a deux colonnes de 18 coudées, donnant un total de 36
coudées. Comment 2 Chron. 3. 15 parle-t-il alors de 35 coudées? Or, il suffit d’observer que
le texte original ne mentionne pas ici la hauteur, mais la longueur (comme le note Darby).
Ce mot longueur indique que l’on considère ici les pièces des colonnes placées à la file
par terre, avant le montage, donc sans joints. Il est naturel alors de ne pas mentionner la
longueur séparée des colonnes, mais la longueur totale. Au verset 17 le texte ajoute que
Salomon dressa les colonnes. Ce n’est qu’après qu’on peut, comme dans les autres textes,
parler de hauteur. Avec les joints, chaque colonne peut avoir 18 coudées.
1 Rois 18 parle d’une sécheresse qui prit fin la troisième année. Cependant nous lisons
dans l’épître de Jacques qu’il ne tomba point de pluie pendant trois ans et six mois (Jq. 5. 17).
Erreur ou inexactitude? Aucune des deux. En Proche-Orient les années se composent d’une
saison de pluie et d’une saison sèche. Le jour è partir duquel la pluie ne tomba pas, et qui
marqua le commencement des trois années de 1 Rois 18 était évidemment le début de la
saison des pluies. Mais avant celle ci il y avait eu la saison sèche normale, qui dura environ
six mois. Cela fait donc bien le total de trois ans et six mois de Jacques.
La différence entre les inscriptions mentionnées dans les quatre évangiles est évidente.
Mais cela ne veut pas dire qu’il y ait contradiction. On peut se rendre compte qu’elles se
complètent l’une l’autre, car il suffit de les écrire comme suit
Il y a une quarantaine d’années, ce passage semblait très douteux, et cela pour trois
raisons:
1. Il n’y avait aucune trace d’un tel enregistrement en ce temps.
2. Même s’il avait eu lieu, on ne voyait pas pourquoi les gens auraient dû se rendre dans
leur propre ville.
3. Il sembla très improbable que Quirinus fût gouverneur de Syrie à ce moment.
13.Généalogies etc.
« Et ce que M. Ed. Naville démontre en citant les coutumes primitives des Egyptiens, des
Babyloniens, M. A. Parrot le démontre en citant les coutumes primitives des Malgaches. « Tous les faits
de l’Ancien Testament, dit-il, rejetés dédaigneusement par les critiques bibliques au rang des fables, se
trouvent attestés et rendus véridiques par leur comparaison avec les us et coutumes malgaches. »
« Aux hypothèses des savants dans leurs cabinets, il faut opposer les réalités constatées par les
ethnologues. A l’abstraction des savants, il faut opposer la vie de l’histoire.» Nous ne pouvons donner
que quelques exemples à titre d’indication.
Il est assez difficile de comprendre ce qui est raconté au sujet des filles de Saül, Merab et Mical (1
Sam. 18. 17-29; 1 Sam. 25. 44; 2 Sam. 3. 15-16; 2 Sam. 21. 8). — On a beaucoup discuté, sans arriver à
faire concorder les renseignements. Les exégètes orthodoxes ont recours à une faute du copiste; et les
exégètes radicaux se réjouissent de la contradiction. Or « l’énigme se résout de la façon la plus naturelle
par l’observation des mœurs malgaches ». Tout homme a le pouvoir d’adopter des enfants, de rejeter les
siens propres, de changer leurs noms. M. A. Parrot cite une série de cas. « A l’aide de ces documents nous
pouvons nous représenter ce qui arriva dans la famille de Saül, dès que l’hostilité de ce dernier contre
David devint déclarée. Saül furieux de l’amour de sa fille pour celui qu’il considérait comme un
dangereux rival, la rejeta, au moins pour un temps (avant de lui donner un autre mari); mais, pour
compenser cette perte, il transféra le nom de Mical à sa fille aînée, qui porta le nom de sa sœur jusqu’à sa
mort » (Parrot, I. p. 57, 58).
« Dans Genèse, 9. 27-28, Cham découvre la nudité de son père. Celui-ci maudit non pas Cham,
mais son fils Canaan. N’est-ce pas étrange? — « Les mœurs des primitifs, répond M. A. Parrot, nous
aident à comprendre cela. A Madagascar, autrefois, si l’on n’osait maudire un chef puissant, on
maudissait... le bétail, les rizières de l’homme puissant ou bien quelque parent familier, quelque enfant
chéri du membre de la famille détesté... Noé maudissait indirectement son fils irrespectueux. J’ai recueilli
de nombreux cas de malédiction par « ricochet », à Madagascar » (I, p. 204, n. 1).
« L’adoption d’enfants chez les Malgaches joue un rôle dont les Européens peuvent difficilement
se faire une idée. — Il est bien peu de Malgaches, qui n’aient adopté quelqu’un ou quelqu’une de leurs
neveux, nièces, cousins ou cousines. »
« 2 Rois, 18. 1 ,2, nous raconte que Ezéchias, fils et successeur d’Achaz, avait 25 ans à la mort de
son père, survenue dans la 36e année de son âge. Alors Achaz aurait eu son fils, à l’âge de 11 ans ! — Or,
il peut être arrivé tout simplement ceci, c’est que le roi Achaz a adopté l’un de ses parents, Ezéchias, plus
jeune que lui, de onze ans, et ce parent, Ezéchias, devenu son fils, est devenu aussi son successeur. »
« De même 2 Chroniques, 22. 1, 2. Le roi Achazia est dit avoir 42 ans, à l’époque de la mort de
son père, le roi Joram, mort à 40 ans (2 Chroniques 21. 20). Encore une adoption, sans doute. »
« Il est vrai que 2 Rois 8. 26, dit que le roi Achazia avait 22 ans, alors que 2 Chroniques 22. 2 dit:
42. On pourrait donc penser que dans 2 Chroniques 22. 2, il y a une simple erreur de copiste. Mais même
cette supposition n’est pas nécessaire. Car à Madagascar on comptait autrefois les années d’un individu
non pas depuis sa naissance, mais depuis son adoption, de telle façon que Achazia n’aurait été que l’un
des fils adoptifs du roi Joram, et que le livre des Rois donnerait son âge depuis l’époque de son adoption,
et les Chroniques depuis sa naissance (I, 245, 246 et n. 1).
« Les pages consacrées aux généalogies ne sont pas moins suggestives. « Ces généalogies sont un
des grands dadas de nos critiques négatifs pour prouver que la Bible n’est qu’un tissu de légendes
contradictoires. Pour Reuss c’est un horrible brouillamini de mythes généalogiques, géographiques ou
ethnographiques. Pour la plupart des exégètes, même orthodoxes, les erreurs abondent » (I, p. 274). — Et
il est assez naturel que les savants modernes pensent ainsi dans leurs cabinets. Mais il est non moins
naturel que pensent tout autrement ceux qui, soit par leurs recherches archéologiques, ethnographiques,
soit par leurs relations missionnaires, ont vécu ou vivent avec les peuples primitifs. »
« Ainsi les noms divers attribués par les Malgaches à un seul aïeul nous mettent certainement sur
la voie pour expliquer les discordances dans certaines généalogies bibliques, comme celle que l’on Voit
dans celle du roi Saül, citée I Samuel 9. 1, et celle qui se lit 1 Chroniques 9. 35-44. »
« De plus, clans leurs généalogies, les Malgaches omettent le nom d’un ancêtre mal famé, d’un
homme mort jeune, etc. Tantôt les noms des filles sont supprimés, tantôt ils sont maintenus. — On sépare
les enfants légitimes de la femme en titre, de ceux des femmes secondaires. « J’ai la conviction que les
généalogies bibliques ont été établies d’une manière analogue à celle des généalogies malgaches. Dans
beaucoup de cas les rédacteurs ne donnent que les noms des enfants de l’épouse principale, la lignée
légitime en un mot. Enfin, ils ont omis bon nombre d’ascendants pour des raisons sans doute semblables à
Mais la Bible parle autrement. Selon elle, Dieu s’est révélé particulièrement à certains
hommes choisis pour écrire sa Parole, et tout progrès réel dans l’humanité résulterait de cette
Révélation. La Bible serait donc l’expression correcte d’une vraie Révélation qui ne pourrait
pas être comparée aux œuvres de la littérature humaine. Celle-ci ne ferait que suivre plus ou
moins l’enseignement de cette Révélation fondamentale.
D’après l’Ecriture, la méthode que Dieu a choisie pour aider l’homme à sortir de son
état de chute est celle de la liberté. Dieu ne transforme pas les enfants d’Israël d’une manière
irrésistible et contre leur volonté en des « saints ». Il les éduque patiemment et fait toujours
appel à leur raison et à leur sentiment, d’une manière qui convient à des êtres libres et
intelligents. Il leur montre par des conseils et au besoin par l’expérience — après de multiples
avertissements préalables — que tout bonheur, toute vie dans le plein sens du mot, ne peuvent
être obtenus qu’en se tournant vers Lui, source de tout bien. Que, par contre, tout péché, c’est-
à-dire tout ce qui est contraire à sa volonté — donc à ce qui est bien — a pour conséquence
inévitable le malheur, la mort, la perdition. Il montre qu’aucun progrès réel, aucun salut
véritable, ne sont possibles si les hommes s’appuient sur eux-mêmes, s’ils suivent leur propre
chemin; mais qu’en toutes choses il faut dépendre de Lui. Parfois Dieu semble leur demander
l’impossible — par exemple quand Il leur demande avant tout d’aimer leur prochain et
d’accomplir strictement toute la Loi — mais c’est en réalité pour qu’ils se rendent compte
spontanément ou par l’expérience que ce qu’Il demande, et qui est nécessaire pour leur salut,
est impossible à atteindre par leurs propres efforts. Ils doivent apprendre à toujours avoir
librement recours à la grâce divine pour accomplir la volonté divine. Dieu ne leur demande
donc pas qu’ils fassent par leurs propres moyens ce qu’Il prescrit.
L’action divine s’exerce d’une manière dynamique et intérieure, qui ne change pas
brusquement la nature des créatures. Dieu agit dans la nature, mais elle garde son caractère
naturel. Il commande aux anges, mais ils restent des anges. Il agit dans les êtres libres mais
sans les priver de leur liberté. Ces êtres doivent apprendre à vouloir librement ce que Dieu
veut, à Le laisser agir en eux, sans résistance de leur part. En résumé, Dieu n’annihile pas la
Quand l’Eternel choisit Abram, Il le prend tel qu’il est, et lui parle d’une manière qu’il
puisse comprendre. Quand les conditions sont devenues telles qu’une révélation plus détaillée
et plus claire peut être donnée utilement, Dieu s’adresse à Moïse et lui donne beaucoup
d’instructions et d’institutions, sous une forme adaptée aux conditions de ce temps et à la
mentalité de ce peuple. Ainsi ce peuple peut être conduit, en partie par des symboles, à une
conception plus profonde de sa faiblesse, de son péché, et à rechercher dans une plus large
mesure la grâce divine. Plus tard, quand le temps est venu, Dieu lui envoie des prophètes —
des hommes qui parlent en son nom — pour le rappeler à l’ordre et pour lui donner de
nouvelles indications. Enfin le Fils, le Jahveh de l’Ancien Testament, prend la forme de
serviteur et manifeste la plénitude de l’amour divin. En principe tout est accompli pour le
salut du monde. Dieu agit ensuite par l’intermédiaire des douze Apôtres de la circoncision et
achève sa Révélation par le moyen de l’Apôtre des gentils : Paul.
Voilà donc comment on peut parler d’un progrès dans la Révélation. Loin d’avoir ici
une évolution humaine qui épure les conceptions religieuses par l’effort des hommes, la Bible
entière ne dit qu’une seule chose, mais en des termes variables, qui s’adaptent au progrès
spirituel résultant de l’acceptation de ce qui a été révélé. Le Livre est si peu le produit de
l’homme religieux, que l’on y trouve partout le plus radical antagonisme entre ce que Dieu
désire et ce que l’homme veut. Les prophètes sont massacrés, le Fils est crucifié, l’apôtre Paul
est abandonné de la majorité des chrétiens.
On pourrait comparer le système d’éducation que Dieu a choisi pour l’humanité à celui
que nous appliquons aux enfants. Le nouveau-né est traité plutôt comme un petit animal que
comme un être intelligent, et personne ne nous reprochera de nous adapter aux conditions
d’existence du bébé. Quand, plus tard, nous l’initions aux mystères du temps, de l’espace, de
la pesanteur, de la parole, etc., nous employons des mots et des méthodes qui seraient
ridicules si nous les appliquions à un homme adulte. Nous ne songeons pas à parler à l’enfant
un langage scientifique abstrait, exposant nos connaissances du monde physique d’une
manière aussi correcte que possible, car nous savons que cela ne servirait à rien. Ce n’est pas
une expression pure de la vérité ou un raisonnement philosophique qu’il lui faut, mais des
images, des représentations, des idées simplifiées. Nos expressions ne seront peut-être pas
stricte ment conformes à la vérité, mais nous ne lui enseignons cependant pas l’erreur.
Il en est de même à l’école. Dans les premières classes on simplifie les choses, et
personne ne critiquera l’instituteur parce qu’il parle autrement que dans les classes
supérieures.
Dans des cas de ce genre, nous comprenons parfaitement qu’il serait absurde de
reprocher aux parents ou aux instituteurs leur méthode et de dire que l’éducation et
l’enseignement ont en réalité leur source dans l’enfant et ne viennent pas des grandes
personnes, que tout cela ne fait que refléter les conceptions primitives de la jeunesse,
conceptions qui évoluent avec l’âge. Tout ce que les parents et le personnel enseignant ont dit
depuis le début est vrai. Ils n’ont pas commencé par enseigner des erreurs, pour arriver
Point n’est besoin de corriger les premiers enseignements, il suffit de les préciser et de
les développer. Des images on peut passer à la vérité sous une forme plus abstraite. C’est à
peu près ainsi que l’on peut concevoir la méthode employée par Dieu pour amener l’humanité
au salut. La révélation est progressive, parce qu’adaptée aux conditions existantes. Les
révélations successives ne sont pas contradictoires ou de plus en plus vraies, mais elles sont
complémentaires et de plus en plus explicites. Nous ne devons pas nous étonner de la manière
dont l’Eternel parlait à Moïse ou des prescriptions rituelles, car nous ne devons pas juger les
choses de ce temps d’après nos idées actuelles occidentales. Nous devons nous déplacer dans
les temps anciens.
Suivant ce point de vue, l’Ecriture ne serait donc pas le produit de l’humanité, et par
conséquent faillible, surtout dans les anciennes parties, ce serait la Vérité présentée sous une
forme qui serait adaptée à l’état de l’humanité et des croyants. Elle ne serait pas produite par
la « conscience religieuse » normale de l’homme, mais parlerait à cette conscience. Comme le
Fils, Parole vivante, s’est abaissé pour sauver l’homme, la Parole écrite se serait abaissée pour
enseigner, convaincre, corriger et instruire61.
61
Notons que ce parallèle entre l’humanité du Seigneur et celle de la Bible, implique l’absence de toute
erreur dans cette dernière. En effet, le Seigneur, quoique homme, était sans péché De même la Bible, quoique
expression humaine du divin, ne contient pas d’erreur.
Considérons d’abord la Bible dans son ensemble. Nous croyons que l’on admet qu’elle
a été un des facteurs importants dans l’éducation morale d’une grande partie de l’humanité.
La foi en Christ particulièrement a produit un bouleversement complet dans la manière de
penser et de vivre de l’Occident. Que l’on pense par exemple à l’état de choses du temps de
l’empire romain, à l’esclavage, et par ailleurs à l’effet qu’ont eu les doctrines bibliques pour
modifier ces conditions de vie. Ce qu’il y avait de bon dans le mouvement de l’humanisme et
dans les principes de la révolution française a eu son origine dans la Bible qui insiste sur la
dignité de l’homme, la valeur de sa vie, l’égalité devant Dieu, la fraternité comme moyen de
jouir de la liberté. On a même prétendu que le progrès scientifique n’aurait pas été possible
sans le christianisme. En effet la science exige que l’individu se sacrifie à la vérité, et il y a
donc là un principe qui est à la base du christianisme62.
On peut remarquer que, d’une manière générale, les pays qui honorent la Bible sont
ceux qui défendent l’idée de liberté et de fraternité plutôt que celle de la force et de
l’oppression. Sans ce Livre, on voit l’humanité dégénérer dans l’indiscipline ou s’enorgueillir
dans la puissance. Dans les deux cas il y a tendance vers l’immoralité. Au contraire, là où
l’influence de la Bible se manifeste encore, il y a tendance vers une discipline librement
acceptée, favorable au maintien de la paix et d’une vie saine. Ce n’est certes pas une
obéissance aux prescriptions des Ecritures qui aurait amené les crises terribles que l’humanité
a traversées.
Supposons maintenant que l’on puisse trouver dans la Bible quelques passages dont la
moralité semble suspecte. Allons-nous condamner, sans examen approfondi, ce Livre qui a
fait un bien immense, tel qu’aucun système religieux, éthique ou philosophique n’a pu
exercer?
Il n’est pas juste, du reste, de reprocher à la Bible l’immoralité que l’on trouve dans les
pays « chrétiens », ni les guerres « religieuses » ou d’autres troubles de toute espèce qui
proviennent justement du fait que l’on ne suit pas les enseignements de ce Livre. Que l’on se
demande plutôt ce que serait le monde sans l’influence de la Bible.
Si l’on ne s’en tient pas à certains cas spéciaux, ni aux indications données
particulièrement à une partie de l’humanité à peine sortie de l’enfance, la Bible nous présente
non seulement une morale très élevée, mais nous demande la perfection. Et comme nous ne
62
M. A. Lalande pense que les deux règles (l’amour pour Dieu et pour le prochain) correspondent
exactement aux deux grands principes de toutes les morales philosophiques. Voir à ce sujet la note 1, page 118.
Citons encore les paroles suivantes de M. Lalande « Au contraire, entre des égaux, et par le fait de leur
égalité, devient possible ce sentiment plus qu’humain — je répète à dessein l’expression d’Aristote — qui
permet à l’être de découvrir dans son semblable un autre lui-même, qui l’affranchit de l’individualité en lui
faisant voir, par moments, que deux individus peuvent se rapprocher et presque se confondre. Mais l’antiquité ne
concevait ce sentiment comme possible qu’entre quelques sages. L’esprit chrétien et moderne l’a
magnifiquement étendu à tous les hommes. » La Dissolution, p. 486.
Quand nous avons compris que Dieu adapte son action et sa révélation à la position de
l’humanité ou de certaines personnes à un moment donné, nous ne risquons plus de juger
certains pas sages d’après nos conceptions actuelles. A partir du sixième chapitre de la Genèse
nous trouvons l’humanité, qui s’était écartée de Dieu, dans un état de corruption et de
barbarie. En quelques siècles la norme morale était tombée à tel point que nous lisons « que la
méchanceté des hommes était grande sur la terre, et que toutes les pensées de leur cœur se
portaient chaque jour uniquement vers le mal. » (Gen. 6. 5). Dans un tel milieu, quelques
individus furent relativement « justes », quoique, jugés d’après les normes révélées plus tard,
ils eussent souvent une conduite déplorable. C’est sur ces personnages que Dieu agit plus
particulièrement, soit en se manifestant à eux sous la forme de l’ « Ange de l’Eternel » ou de
Jahveh, soit d’une manière invisible en influençant leur esprit ou leur conscience. Dieu les
prend tels qu’ils sont, sans forcer leur personnalité, mais en offrant sa grâce pour les conduire.
Il leur donne des leçons, manifeste parfois sa puissance, leur montre les conséquences de leur
désobéissance, et se révèle toujours un Dieu de patience et d’amour.
Nous pouvons trouver beaucoup à redire à la vie de ces patriarches. Mais cela n’a rien à
faire avec l’existence de Dieu, l’inspiration de la Bible ou sa moralité. Ce livre nous présente
ces héros tels qu’ils sont avec toutes leurs faiblesses et tous leurs péchés, contrairement à ce
que l’on trouve d’habitude dans les légendes. Il est du reste évident qu’ils ne sont pas
présentés à nous comme des modèles à suivre.
Si l’on dit que les lois que Dieu aurait données ne sont pas de moralité parfaite, on peut
encore répondre ici que ces lois étaient adaptées à la situation de ceux auxquels elles
s’adressaient. Autrement elles n’auraient pas été comprises, n’auraient pas pu être suivies et
n’auraient donc pas été efficaces.
Quand on a pris soin d’étudier la Bible, on se rend compte qu’il ne peut donc pas être
question que le Dieu de l’A. T. ne soit pas le même que celui du N. T. ou qu’Il ait changé. Si
la grâce divine est mise plus en évidence dans le N. T., c’est parce qu’en partie l’humanité a
évolué sous l’action divine, que certains sont plus enclins à accepter cette grâce, que le temps
est venu pour donner une révélation plus profonde. C’est surtout parce que Dieu même, sous
forme humaine, en Christ, est venu sur terre pour prouver son amour et pour accomplir
l’oeuvre du salut.
Une étude de la Bible montre donc que la Bible représente Dieu à la fois comme étant
juste et saint, et comme étant plein de grâce et d’amour. Il réunit la puissance et l’amour, fait
disparaître les antinomies apparentes. Ceci en contraste avec ce que fait l’homme qui propose,
soit une « méthode forte », soit une méthode de faiblesse, qui l’une et l’autre doivent faire
faillite. Nous voyons ainsi que Dieu livre Israël entre les mains de ses ennemis quand ce
peuple ne cesse de se détourner de Lui, malgré tous ses efforts pour l’amener à faire un
meilleur usage de sa liberté et de sa raison; mais Il suscite des sauveurs pour délivrer le peuple
dès qu’il se repent. Au lieu de critiquer Dieu aussi bien quand Il est juste que quand il est
64
En ce qui concerne l’esclavage, n’oublions pas que le Seigneur Jésus-Christ lui- même ne fit rien pour
l’éliminer. Dieu ne commence pas par des réformes sociales, car les maux dans la société seront éliminés
automatiquement quand l’homme lui-même sera changé et aura appris à aimer son prochain. Il ne sert pas à
grand chose d’enlever par des mesures draconiennes les symptômes d’une maladie, sans guérir la maladie cite
même, c’est-à-dire sans enlever la cause du mal.
Il est cependant raisonnable d’atténuer certains maux, en attendant la guérison, autant que la nature
humaine le permet. Nous voyons en effet que la Loi imposait à Israël de traiter les esclaves d’une manière plus
humaine qu’on n’avait coutume de le faire (Ex. 21. 27; Deut. 23. 15, 16). Les esclaves pouvaient même être
libérés (Ex. 21. 2).
65
On peut faire l’objection que le mot « prochain » dans Lév. 19. 18 indique un enfant du peuple d’Israël.
Mais il ne faut pas oublier que ce commandement d’aimer, était d’application plus large, ainsi que le montre le
verset 34 du même chapitre « Vous traiterez l’étranger en séjour parmi vous comme un indigène; vous l’aimerez
comme vous-même. » Le passage de Luc 10. 25-37, qui élargit aussi le sens de « prochain », n’est donc pas une
nouveauté du N. T.
Du temps d’Abraham (2000 ans avant Jésus-Christ) les offrandes humaines étaient la
règle dans l’humanité dégénérée. Si Jahveh, pour éprouver la foi d’Abraham, lui demande de
sacrifier son fils, c’était une demande qui était compréhensible parce qu’elle se conformait
aux coutumes du moment. Mais ceci ne veut pas dire que Dieu approuve cette pratique et
désire réellement la mort d’Isaac. Ce n’était qu’une épreuve, car quand Abraham témoigne
par ses actes qu’il n’hésite pas à obéir aveuglément, même en ce cas extrême, et sachant que
Dieu peut ressusciter les morts, l’Eternel arrête sa main et lui montre la victime qu’Il avait
préparée d’avance, victime représentant le Christ.
Considérons un autre cas. On a protesté contre les sanctions sévères prises contre la
sorcellerie et l’occultisme. Si dans notre système personnel il n’y a pas de place pour des
esprits malfaisants, ou si, au contraire, nous considérons comme normal de nous entretenir
avec eux, de telles protestations peuvent se comprendre. Mais si l’on accepte l’enseignement
de la Bible dans son ensemble, il faut prendre très au sérieux une interférence possible de
puissances occultes malfaisantes. Ces mesures draconiennes peuvent alors être justifiées si
elles sont prises à la suite d’un ordre divin, c’est-à-dire quand il y a vraiment danger. De
pareilles mesures, prises par les hommes de leur propre initiative, peuvent être injustifiées.
Voir aussi l’Appendice 7.
Certains psaumes ont aussi donné lieu à de la critique, On a dit qu’ils montrent un esprit
de vengeance et de passion. Mais ces psaumes ont été écrits par David qui n’était cependant
pas un homme violent, On peut comprendre ces passages comme un avertissement
prophétique du fait qu’un jugement juste, donc sévère, touchera ceux qui, dans l’avenir, au
temps messianique, continueront à s’élever contre Dieu et, pleinement conscients de ce qu’ils
feront, refuseront la grâce divine. De tels jugements sont confirmés par le N. T.
Enfin, la dernière objection que nous relèverons, est celle qui se rapporte à la
destruction des Cananéens, ordonnée par Jahveh. Rappelons-nous les circonstances. Le pays
de Canaan avait été promis à Abraham et à sa postérité, mais il était occupé par diverses
66
‘W F. ALBRIGHT dit à ce Sujet, dans From the Stone Age to Christianity, p. 214:
« It was fortunate for the future of monotheism that the Israelites of the Conquest were a wild folk,
endowed with primitive energy and ruthless will to exist, since the resulting decimation of the Canaanites
prevented the complete fusion of the two kindred folk which would almost inevitably have depressed Yahwistic
standards to a point where recovery was impossible. Thus the Canaanites, with their orgiastic natureworship,
their cult of fertility in the form of serpent symbols and sensuous nudity, and their gross mythology, were
replaced by Israel, with its pastoral simplicity and purity of life, its lofty monotheism, and its severe code of
ethics. »
Nous examinerons de plus près cette question, après avoir montré que le témoignage
unanime de la Bible est que Moïse est l’homme responsable pour les cinq premiers livres, pris
dans leur ensemble.
Disons aussi un mot de l’unité du Pentateuque. On sait que les juifs appellent depuis
longtemps l’ensemble du Pentateuque la Torah et qu’ils insistent sur l’unité et la perfection en
parlant des « cinq cinquièmes de la Loi ». Cette opinion concernant l’unité fut partagée par
notre Seigneur, par les ap6tres et par la grande majorité des chrétiens. Comme nous l’avons
dit, les Samaritains aussi, 500 ans avant Jésus-Christ, considéraient ces cinq livres comme un
ensemble écrit par Moïse et les textes que nous avons cités font remonter cette conviction
presque au temps de Moïse. Un tel témoignage ne peut pas être écarté à la légère. Car, il ne
suffit pas d’y trouver des différences de style et d’autres phénomènes littéraires.
Du reste, cette histoire cohérente ne finit pas avec le Pentateuque et nombreux sont les
savants qui, tout en étant entraînés plus ou moins dans le sillon de la critique moderne, ont
reconnu que valeur permanente de l’Ancien Testament réside dans le fait qu’il expose un plan
divin pour le salut du monde (Kautzsch, Dillmann, Driver, Frommel, etc.).
II peut encore être instructif d’examiner le peu de valeur de certains arguments qui ont
été proposés en faveur de l’idée que Moïse ne fut pas l’auteur et que le document fut rédigé
après lui.
On cite évidemment le dernier chapitre du Pentateuque (Deut. 34), qui nous parle de la
mort de Moïse. Le fait qu’une personne ait ajouté quelques notes à l’oeuvre de Moïse, ne
démontre rien contre l’ensemble.
La critique a dit que Gen. 14. 14, parlant de la ville de Dan, a dû être écrit après l’entrée
en Canaan et après que les enfants de Dan attaquèrent la ville Léshem qu’ils rebaptisèrent du
nom de Dan (Jos. 19. 47; Juges 18. 29). On répond à ceci qu’il y avait d’autres villes qui
s’appelaient Dan (2 Sam. 24. 6) et que Gen. 14. 14 ne parle pas nécessairement de celle de
Jos. 19. 47. Même si nous acceptons qu’il s’agisse de la même ville, ceci ne prouverait pas
encore que le livre de la Genèse fut rédigé à une date tardive, car n’importe quel copiste a pu
substituer le nouveau nom Dan à l’ancien nom Léshem pour faciliter la compréhension du
texte.
De Gen. 36. 31, où nous lisons: « Avant qu’un roi régnât sur les enfants d’Israël » on a
déduit que ceci a dû être écrit à un moment où Israël avait un roi. Il faudrait alors reculer la
date par exemple au temps de Saül, c’est-à-dire 500 ans après l’exode. Mais l’argument est
bien faible. Gen. 17. 6; 35. 11 prophétisait la venue d’un roi et il n’est donc pas étrange que
Gen. 36. 31 parle d’un roi. Mais il est aussi possible que l’on ait affaire à une insertion tardive
d’un copiste. On peut faire des réflexions analogues au sujet d’Ex. 16. 35.
67
A ce propos nous citons le passage suivant de E. DOUMERGUE, p. 76 de son ouvrage Moise et la
Genèse: « Et si Moïse n’avait pas écrit la Genèse, ni un mot de la loi, comme le prétendent les critiques
modernes, les Hébreux n’auraient eu aucun document pour leur rappeler leurs origines : ils n’auraient pas eu de
livres religieux, de livres sacrés, ce qui était la base des religions de l’Orient. A l’époque de Moïse, on voit
l’importance que les peuples de la Mésopotamie donnaient aux livres religieux par la quantité des textes de ce
genre, qui ont été retrouvés […] Ainsi quand Moïse écrivait la Genèse, il ne faisait que suivre l’exemple des
écrivains de sa race et de son temps. Il n’est pas étonnant que Morse ait rédigé les tablettes de la Genèse; ce qui
serait étonnant, ce serait qu’il ne les eût pas rédigées. »
On s’est aussi arrêté à des expressions comme : « Moïse lui-même était très considéré
» (Ex. 11. 3) et « Moïse était un homme fort patient » (Nomb. 12. 3). Si Moïse écrit la vérité,
il peut dire cela de lui-même. Il peut aussi employer la troisième personne en parlant de lui-
même. Nos auteurs contemporains le font parfois aussi.
En résumé, il n’existe aucune raison sérieuse qui nous obligerait d’accepter une date
récente. Voyons maintenant quelques arguments en faveur de l’antiquité du Pentateuque.
Il faut au moins accepter la date de 500 ans avant Jésus-Christ, car les Samaritains le
possédaient à ce moment, c’est-à-dire quand ils se sont séparés entièrement d’Israël. Mais ils
devaient le connaître depuis longtemps, car ce n’est pas au moment où l’on quitte un peuple
ennemi que l’on accepte sa littérature comme divinement inspirée.
De plus, on trouve déjà dans les plus anciens livres historiques, tels que Josué, Juges, I
Samuel, des allusions à l’arche, à la tente d’assignation, au vœu nazarite, aux offrandes et à
d’autres prescriptions et règles. Un certain nombre de phénomènes littéraires, comme les
archaïsmes, confirment aussi l’antiquité.
On connaît les études de R. D. Wilson, qui montrent par exemple que les rois des divers
pays, dont les noms sont mentionnés dans l’A. T., sont cités dans l’ordre convenable et en
synchronisme avec les indications de l’histoire. Le fait que les auteurs aient écrit ces noms
avec une exactitude remarquable, montre leur soin et leur savoir et indique qu’ils avaient
accès aux documents originaux. Wilson montre comment les mots étrangers que l’on trouve
dans l’A. T. donnent un moyen pour dater ces écrits, et qu’inversement l’absence de mots
étrangers dans les passages où l’on serait en droit de les chercher s’ils étaient de date récente,
prouvent que les propositions de la critique sont inacceptables. L’absence de mots perses dans
le prétendu « code sacerdotal » montre qu’il fut écrit avant l’année 500. Wilson ne se contente
pas de défendre l’antiquité du Pentateuque, mais il attaque vigoureusement certains critiques
et prouve que leurs conclusions sont basées sur une ignorance des faits.
Plus récemment, une étude détaillée de A. S. Yahuda nous apprend que la Genèse
contient un certain nombre de réminiscences provenant du Sumérien et de l’Accadien du
temps des patriarches, mais que, dans l’ensemble, la conception générale aussi bien que les
expressions utilisées montrent ses affinités avec l et que ce document a dû être rédigé dans ce
pays. De même, des particularités du livre de l’Exode indiquent qu’il a été écrit sur place, car
un rédacteur plus récent n’aurait pas réussi à y incorporer des détails aussi exacts.
Si donc l’antiquité et l’unité de ces cinq livres sont confirmées par les faits, il n’y a pas
de raison pour chercher un autre auteur que Moïse.
Il est tout à fait normal qu’un homme, choisi par Dieu pour écrire une partie de sa
Parole, fasse usage, pour les parties historiques, de ce qui est transmis par les ancêtres qui ont
été témoins des faits et qu’il incorpore dans son récit des documents qui donnent des
informations sûres. Dans le N. T. nous avons le cas bien connu de Luc, qui écrit:
« Plusieurs ayant entrepris de composer un récit des événements qui se sont accomplis
parmi nous, suivant ce que nous ont transmis ceux qui ont été les témoins oculaires dès le
commencement et sont devenus des ministres de la parole, il m’a aussi semblé bon, après
avoir fait des recherches exactes sur toutes ces choses depuis leur origine, de te les exposer
par écrit d’une manière suivie. » (Luc 1. 1-3).
Comme Moïse naquit environ 300 ans après Sem et 100 ans après Jacob, même la
tradition orale des plus anciens pouvait lui parvenir assez correctement. Mais il disposait sans
doute de nombreux documents écrits dont certains pouvaient dater d’avant le déluge. En effet,
on sait à présent par les fouilles que l’écriture était pratiquée au 4 millénaire avant Jésus-
Christ.
Dans le livre de la Genèse nous trouvons divers passages qui commencent par une liste
de générations, tels que:
Gen. 5. 1 - 6. 8: « C’est ici le livre des générations d’Adam» (Darby).
Gen. 6. 9 - 9. 29: « Ce sont ici les générations de Noé. »
68
A propos de l’histoire de Joseph, cet auteur, qui connaissait si bien l’Egypte, écrivait: « Le caractère
égyptien de l’histoire de Joseph est accusé du commencement à la fin. J’espère avoir montré par les détails ci-
contre, que l’auteur de cette biographie n’a pu l’écrire qu’en Egypte, parmi des gens connaissant eux aussi
l’Egypte, ayant gardé, en même temps que le corps de Joseph, un souvenir vivant de lui, souvenir retracé avec
tout le coloria égyptien. Mettant de côté les arguments philologiques qui, comme nous l’avons dit, sont sans
valeur pour un texte qui n’est pas dans la langue originale, on ne peut pas comprendre comment un récit si bien
suivi, en conformité si absolue avec l’époque et la contrée où il se passe, peut être attribué à quatre auteurs
différents, vivant à des époques diverses, plusieurs siècles après et dans une contrée éloignée. » (Cité par E.
DOUMERGUE dans Moïse et la Genèse, p. 106). Le fameux archéologue Sir Flinders Petrie est du même avis.
Voir p. ex. son ouvrage Palestine and Israël.
Il est possible que Moïse ait fait rédiger le Lévitique et le Deutéronome par d’autres
scribes que ceux des trois autres livres, et qu’il y ait donc une certaine vérité dans la division
générale que fait la critique. Mais ceci reste à établir par des savants qui auront réussi à se
défaire des anciennes idées préconçues.
Dans la Genèse on peut encore citer le chant de Lémec (Gen. 4. 23, 24) comme
fragment inséré dans le récit.
Dans le livre des Nombres, on peut distinguer facilement plusieurs passages incorporés
par Moïse dans son récit. On a ainsi
Nb. 21. 14: « Le livre des guerres de l’Eternel.»
Nb. 21. 17, 18: « Le cantique du puits. »
Nb. 21. 27-30: « Ce que disaient les poètes. »
Nb. 23. 7-10: « Le premier oracle de Balaam. »
Nb. 23. 18-24: « Le deuxième oracle de Balaam.»
Nb. 24. 3-9: « Le troisième oracle de Balaam. »
Nb. 24. 15-24: « Le quatrième oracle de Balaam. »
La première lui aurait fourni le texte de Gen. 1. 1 à Gen. 2. 4, qu’il faudrait lire : « Voilà
les origines des cieux et de la terre. » Dans cette partie Dieu est appelé Elohim, le Dieu de
toute la nature.
Pour les tablettes suivantes et la suite de la Genèse, nous citons le passage suivant de E.
Doumergue:
« La troisième tablette parle de Noé; la quatrième du déluge; la cinquième des fils de
Noe’; la sixième de la tour de Babel. […]Avec cette tablette finit ce que l’on peut appeler la
69
Voir Moise et la Genèse p. 86-89. Le doyen de la faculté libre de théologie protestante de Montauban se
basait sur les travaux du Prof. E. Naville.
Nous avons d’abord reconnu la nécessité, la probabilité et la possibilité que Dieu se soit
révélé. Ensuite, nous avons été amenés à chercher l’expression de cette révélation sous forme
écrite, et la question principale qui se posait alors était d’examiner si la Bible pouvait être
considérée comme un document qui nous fait connaître cette Révélation.
Si la Bible est inspirée divinement, son inspiration doit être « organique », car le texte
montre que les auteurs gardent leurs caractéristiques personnelles.
Nous avons vu qu’aucune objection de principe ne peut être faite. Mais ce point de vue,
qui fut accepté très généralement dans le passé, est-il encore défendable depuis le
bouleversement des idées des XVIIe et XVIIIe siècles?
La Bible a été soumise à la haute critique, ayant pour objet d’examiner qui est l’auteur,
comment se présente la structure littéraire et la composition, dans quelle mesure le contenu est
historique et véridique. On ne peut pas élever d’objections contre le principe d’appliquer aussi
à la Bible une critique objective, scientifique, qui ne peut que faire ressortir la vérité. Mais, en
fait, la critique, telle qu’elle a été appliquée, a été conduite, soit par des hommes qui ne
croyaient pas en un Dieu personnel — ce qui élimine d’emblée toute idée d’inspiration
réellement divine — soit par des croyants qui, tout en prétendant suivre une méthode
conforme aux idées nouvelles, ont appliqué une méthode différente, qui ne pouvait pas
permettre de reconnaître la pleine inspiration de la Bible, même si elle est vraiment Parole de
Dieu.
Quelle est la méthode scientifique qui a donné des résultats si extraordinaires dans les
sciences d’observation? L’homme de science part de la foi dans l’unité et la véracité de la
nature, et n’est arrêté par aucune difficulté qui pourrait sembler s’opposer à cette foi. Toute
contradiction ou imperfection qu’il semble observer, est pour lui un signe que c’est lui-même
qui s’est écarté du bon chemin. Il arrive ainsi à construire un système logique, une
interprétation cohérente des phénomènes de la nature. Tous les résultats bien vérifiés tendent
à justifier et à confirmer sa foi initiale. Sans cette foi, il n’aurait pas réussi à découvrir la
vérité.
Cette méthode n’a pas été appliquée par la critique dans le cas de la Bible. Au contraire,
on est parti de l’a priori que la Bible n’est pas inspirée pleinement et est comparable à
d’autres œuvres humaines.
Le théologien croyant, qui s’est laissé séduire par cette critique, est conduit à de
sérieuses difficultés et à de multiples contra dictions. Pour être conséquent avec lui-même, il
devrait se borner à ne garder qu’une foi très vague. Dès que l’on admet une critique qui
attaque le texte, on ne peut plus limiter ses dégâts, les problèmes s’accumulent et l’étude de la
Bible est entravée.
Nous avons vu ensuite que mainte objection contre l’inspiration plénière est facile à
écarter.
Notre conclusion est donc, que telle qu’elle a été conduite, la haute critique n’a pas
réussi à démontrer que la Bible n’est pas pleinement inspirée. Pour un homme qui cherche la
Vérité à tout prix, qui ne veut ni être crédule, ni se laisser influencer par l’incrédulité
systématique ou par des résultats obtenus en appliquant des méthodes inadéquates, la Bible
garde encore et toujours sa pleine valeur.
En réalité, la critique biblique n’a pas donné un résultat pure ment négatif. Un examen
attentif montre que, chaque fois que l’on a essayé de défendre une idée contraire à celle
indiquée par la Bible, chaque fois que l’on n’a pas accepté le contenu tel qu’il est présenté, on
a été conduit à des contradictions et à des difficultés. De plus, tout progrès dans la
connaissance de l’histoire ancienne a confirmé, contre toute attente, l’exactitude du texte.
Nous examinerons ce dernier point encore plus en détail dans les chapitres suivants.
Il y a donc là un résultat qui est loin d’être négligeable. Même si, par notre raison, nous
ne pouvons pas encore conclure avec certitude à l’inspiration plénière, la critique des
incrédules aussi bien que celle des croyants a montré que la Bible est un document
extraordinaire, qui diffère de toute œuvre humaine, qui résiste à toute attaque, qui sort
victorieusement de toute épreuve, qui apparaît d’autant plus vrai que nos connaissances sont
exactes.
Mais jusqu’à présent nous avons discuté surtout des principes et des théories. Il s’agit de
considérer plus en détail si les faits confirment ou non la véracité absolue de la Bible. Nous
aurons donc à confronter les données certaines de la science avec les affirmations de ce Livre.
Il semble que nous ayons ici un moyen facile de décider du principe de l’inspiration plénière:
il suffit d’une seule erreur, bien constatée, pour faire écrouler ce principe. C’est un examen
crucial.
Cependant, cet examen n’est pas aussi facile à faire qu’on pour rait penser, car nous
devons non seulement être certains de la donnée géologique, biologique ou archéologique,
mais nous devons aussi interpréter correctement le texte de la Bible. Il est entendu que
certaines données scientifiques peuvent maintenant être considérées comme étant
pratiquement exactes, mais il faut rester très prudent en cette question et éliminer toutes les
théories qui n’ont pas été confirmées par un examen très soigneux des faits. Très souvent des
théories semblaient démontrer l’erreur de la Bible, mais par la suite on trouvait que c’étaient
les théories qui étaient en défaut. De même, certains faits, mal observés, furent en
contradiction avec les enseignements de l’Ecriture, mais durent être révisés.
S’il s’agit d’une Parole divine, on doit s’attendre à y trouver maint passage difficile à
interpréter correctement. Mais dans notre cas, il ne s’agit pas de ceux-là. Ce sont plutôt les
parties historiques qui nous intéressent pour le moment, et celles-ci ne semblent pas devoir
offrir de difficultés particulières. Cependant il faut tenir compte de la possibilité qu’un récit
d’aspect historique soit présenté d’une manière plus ou moins symbolique et ne doive pas être
pris strictement à la lettre.
Nous devons donc examiner dans quelle mesure il faut comprendre les textes
littéralement et si une interprétation aussi littérale que possible ne montre pas des erreurs
manifestes.
Certaines personnes seront tentées de répondre immédiatement que tout le monde sait
que la Bible contient une foule d’indications qui, prises à la lettre, sont nettement démenties
par la science, qu’il est évident qu’il y a des erreurs flagrantes. Cependant, quand nous
pensons à la déformation des esprits, à la vague de matérialisme dont on constate encore les
effets, à la faillite de tant d’affirmations autoritaires passées provenant d’hommes de science
distingués et de théologiens éminents, nous pouvons nous méfier de ce qui semble « évident
«. En effet, nous trouvons « évident » ce qui s’accorde avec nos conceptions générales. Mais
celles-ci changent, et ce qui était évident hier, ne l’est plus aujourd’hui.
Nous pouvons nous imaginer que maint lecteur nous interrompra ici en s’écriant :
« Mais comment ! vous n’allez pas prétendre qu’il n’y a vraiment pas d’erreurs flagrantes
dans les conceptions cosmologiques juives de l’Ancien Testament, que l’univers a été créé en
six jours, que l’humanité a commencé il y a 6000 ans, que le déluge est un fait historique et
qu’il a couvert toute la terre, qu’il n’existait qu’une seule langue avant l’histoire ou la légende
de la tour de Babel, que Josué a arrêté le soleil, que les trois compagnons de Daniel sont sortis
indemnes d’une fournaise, pour ne rien dire des milliers de petits détails qui ne résistent pas à
un examen sérieux! »
Nous demanderons alors si ces lecteurs ont examiné eux-mêmes ces questions avec
toute la compétence et la loyauté voulues, en partant de l’hypothèse de travail, que la Bible ne
contient aucune erreur. Evidemment ils ne l’ont pas fait, parce que leur éducation et
l’influence générale du milieu dans lequel ils ont vécu ont été telles qu’il leur semble a priori
absurde d’entreprendre un tel travail.
Insistons sur le fait que nous ne proposons pas de croire ce qui n’est pas vrai ou de
forcer des textes pour leur faire dire ce que l’on désire. Nous voulons nous tenir strictement à
la froide raison et garder l’interprétation la plus simple, la plus littérale possible. Mais nous
demandons aussi au lecteur un effort immense: c’est d’oublier toute idée préconçue, de
procéder d’une manière vraiment scientifique et objective. Nous demandons surtout l’amour
de la vérité. Ce ne sera que si vraiment, après un effort comparable celui que font les
physiciens quand ils étudient la nature, nous rencontrons des passages dans le texte original,
dont toute interprétation acceptable est en contradiction avec un fait scientifique ou historique
Jamais nous ne prenons absolument à la lettre ce qui nous est dit ou écrit. Pourquoi le
ferions-nous avec ce que Dieu nous fait connaître? Même si l’on accepte l’idée d’inspiration
plénière, on n’est pas tenu de prendre tout strictement à la lettre quand on se tient au principe
de l’interprétation littérale.
C’est ce qu’on veut dire quand on recommande de garder une telle interprétation autant
que possible. Mais cette dernière expression est assez vague et peut donner lieu à équivoque.
Il s’agit donc de la définir, car ceux qui s’opposent à ce genre d’interprétation peuvent dire
qu’eux aussi n’ont exclu le sens littéral que lorsqu’on ne pouvait pas faire autrement.
Pour préciser, nous donnerons tout d’abord quelques indications générales et nous
examinerons ensuite un certain nombre de cas plus particuliers.
Avant tout, le sens littéral ne devrait être abandonné que si nous avons vraiment une
bonne raison de le faire et seulement après nous être convaincus que nous ne sommes pas
entraînés par une idée préconçue, que nous ne sommes pas influencés par d’autres personnes,
que nous tenons compte des limites de nos connaissances, que nous sommes loyaux envers le
texte. En résumé il s’agit, tout en étant parfaitement raisonnable, d’être humble. Tout examen
de la Parole de Dieu devrait être fait en pleine conscience de ce que nous sommes vis-à-vis de
Dieu, de la valeur et de l’importance du document, en un mot dans un esprit de prière. D’autre
part nous ne devons jamais sacrifier la raison au sentiment. Le seul sentiment que nous
pouvons permettre, qui, qui est nécessaire, c’est l’amour pour la Vérité.
Dans plusieurs cas il est évident que nous ne pouvons pas accepter un sens absolument
littéral
1. D’abord quand la Bible elle-même nous donne l’indication qu’un passage doit être
considéré comme allégorique.
Ainsi, nous ne comprenons pas la parabole du semeur comme si nous avions là un
événement historique. Ce qui est à prendre littéralement c’est la leçon contenue dans la
parabole, non pas les détails qui servent à nous la donner. De telles paraboles ou allégories
peuvent être basées sur des faits de la vie courante ou même sur des croyances populaires et
des faits imaginaires qui ne sont donc pas nécessairement l’expression de la vérité pure. Une
parabole ne doit jamais être utilisée pour défendre autre chose que la leçon qu’elle est destinée
à illustrer. Les détails ne sont pas à prendre comme étant nécessairement et absolument
véridiques, à moins qu’ils soient confirmés par d’autres passages qui ne sont pas allégoriques.
Ainsi dans la parabole de Mat. 13. 31, 32, il ne faut pas prendre comme vérité que le
grain de moutarde est la plus petite semence qui existe dans le monde entier, ni qu’elle
devient littéralement un arbre. Dans la parabole on s’accorde certaines libertés parce que le
but n’est pas d’enseigner les détails, mais la leçon qui y est contenue, et cela d’une manière
qui frappe l’esprit.
De la parabole du Samaritain, il ne faut pas conclure que Dieu nous recommande de
soigner les plaies en y versant de l’huile et du vin (Luc 10. 34). C’était là sans doute un usage
assez courant, qui pouvait d’ailleurs être relativement bon en ce temps, mais le but de ce
2. Ensuite il faut considérer un assez grand nombre de passages que l’on ne peut pas
prendre d’une manière absolument littérale parce qu’il s’agit de circonstances ou de
conditions d’existence qui diffèrent complètement des conditions physiques auxquelles nous
sommes habitués. Nos mots et nos idées sont adaptés à la création visible, dans son état
présent, mais nous devons admettre au moins la possibilité que, dans le passé et dans l’avenir,
cette création a été et sera dans un autre état. De plus, le monde invisible est radicalement
différent de tout ce que nous connaissons. Nos mots et nos concepts ne sont donc pas
strictement applicables à ces autres conditions, et quand l’Ecriture essaie de nous en donner
une certaine idée (comme par exemple en Ez. 28; Es. 14; Apoc. 21 et 22), il ne faut pas
prendre ces expressions absolument à la lettre. Les faits réels, mais extraordinaires, sont
exprimés par des mots ordinaires. Ces faits doivent être acceptés littéralement, mais les
expressions ne doivent pas toujours l’être.
Dans de pareils cas, il ne faut donc ni un littéralisme absolu, ni une conception
purement symbolique. Les choses enseignées sont des réalités, mais elles sont exprimées à
l’aide de signes qui n’y sont pas parfaitement adaptés. Ceci n’est pas dû à une faiblesse de
l’auteur, mais à la nôtre. Nous ne pourrions rien comprendre si la Bible ne faisait pas usage de
mots et de conceptions qui sont à notre portée, nous devrions être assez intelligents pour nous
en rendre compte.
Le « serpent » de Gen. 3 n’est pas la créature à laquelle nous donnons ce nom70, La
nouvelle Jérusalem d’Apocalypse 21 et 22 n’est pas une ville ordinaire. La « grande chaîne ê
dont Satan sera lié, sera littéralement une chaîne pour lier littéralement une personne
spirituelle, mais ce ne sera pas une chaîne en métal.
Nous devons dans des cas pareils prendre à la lettre les êtres, les objets, les faits et les
conditions dont il est question, mais non pas d’une manière strictement littérale les
expressions qui servent à les décrire.
Ici encore on voit la marge qui existe entre une interprétation absolument littérale qui
donne facilement prise à critique, et une interprétation purement symbolique qui ne retient
que de vagues symbolismes, mais aucune réalité.
70
‘Il ne faut pas oublier que le mot traduit par « animal » désigne un « être vivant». Ezéch. 1. 5-14; 10. 20
et Apoc 4. 6-9 parlent aussi d’êtres vivants particuliers, difficiles à décrire avec nos mots habituels, et non pas
d’animaux. Le verbe correspondant au nom « nakash » (serpent) a Souvent un sens défavorable: deviner,
enchanter, c’est-à-dire exercer une puissance occulte. Le verset 24 parle de chérubins, donc d’autres êtres
spirituels. Ezéch. 28. 12-17 semble indiquer que Satan était un chérubin précipité sur la terre, et comme ce qui
est dit de ce « serpent », en Genèse 3, s’applique évidemment à Satan, il ne semble pas qu’il faut voir ici un «
serpent » littéral, mais Satan même sous une forme éblouissante et enchanteresse. Par jeu de mots, Satan est
appelé plus tard aussi « serpent » (2 Cor. 11. 3 et Apoc. 20), comme Néron est appelé « lion » (2 Tim. 4. 17) et
Hérode « renard » (Luc 13. 32).
Allégorie. Une chose est représentée par une autre. Exemple: Car il est écrit
qu’Abraham eut deux fils, un de la femme esclave, et un de la femme libre. Mais celui de
l’esclave naquit selon la chair, et celui de la femme libre naquit en vertu de la promesse. Ces
choses sont allégoriques; car ces femmes sont deux alliances. » (Gal. 4. 22-24). Remarquons
que 1e sens allégorique n’empêche pas en même temps le fait historique d’être réel.
Antimoria. Un élément de phrase est employé à la place d’un autre. Exemple: «Que le
sec paraisse» (Gen. 1. 9). L’adjectif est mis à la place du nom terre. Gen. 23. 6 parle du «
prince de Dieu» pour désigner un prince puissant.
Catachrèse. Un mot n’est pas employé dans son sens propre. Exemple: « rendre odieux
» en Ex. 5. 21 est littéralement « mis en mauvaise odeur aux yeux de ». Voir la version Darby.
Ironie. Exemple: « Voici, l’homme est devenu comme l’un de nous. » Gen. 3. 22.
Ellipse. Un ou plusieurs mots sont omis. Exemple: Il n’y a pas de verbe dans l’original
de « Jusques à quand aimerez-vous la vanité » Ps. 4. 3. Voir la version Darby. En Mat. 25. 9
le texte grec lit : « Mais les prudents répondirent, disant : ... de peur qu’il n’y en ait pas assez
pour nous. » Voir la version Darby, qui, en accord avec les autres versions, insère le mot «
non » à l’endroit où nous avons mis les points.
Hendiadys. Deux mots reliés par une conjonction sont employés pour exprimer une idée
complexe. Exemple: « Si un homme ne naît d’eau et d’esprit » (Jean 3. 5) se réfère non pas à
deux choses, mais à l’eau spirituelle, ou « eau vive », de Jean 4. 10. C’est la puissance du
Saint-Esprit (Jean 7. 38, 39), car le mot « esprit » indique souvent, non pas la personne du
Saint-Esprit, mais la puissance qu’Il donne (comparer Luc 24. 49 et Act. 1. 4, 5).
Prolepse. Une anticipation. Exemple: « Tu as mis toutes choses sous ses pieds.» (Hebr.
2. 8). On considère les choses en dehors du temps.
Synecdoque. Une partie est mise pour le tout ou le tout pour la partie. Exemple: « Tu
mangeras du pain) » (Gen. 3. 19).
Type ou Figure. La réalité est figurée ou préfigurée. Exemple: « Adam... lequel est la
figure de celui qui devait venir » (Rom. 5. 14).
Ces quelques exemples montrent combien il est nécessaire de tenir compte de ces
figures de rhétorique et enseignent clairement qu’une interprétation « littérale» ne doit pas
prendre tout strictement à la lettre. Le point important est que l’on doit garder le sens littéral
profond exprimé par la figure. Les faits restent ce qu’ils sont et les figures, loin de les réduire
en fumée, attirent encore plus notre attention sur la réalité de ces faits. Notre bon sens, la
connaissance générale de l’Ecriture et l’aide du Saint-Esprit nous guideront dans leur
compréhension.
Cependant, avant de voir dans une expression un peu spéciale une figure de rhétorique,
il faut avoir de bonnes raisons pour le faire, et inversement on ne doit pas prétendre à la légère
qu’une figure n’est pas employée. Un cas bien connu où tout dépend de savoir si l’on est en
présence d’une figure ou non, se rencontre dans Mat. 26. 26. On sait que les mots « ceci (le
pain) est mon corps » ont été interprétés très diversement. Pour certains, le pain est
littéralement le corps du Seigneur (transsubstantiation des Eglises romaine et grecque), pour
d’autres, on a ici une métaphore, le pain représentant le corps, pour d’autres encore, une
conception intermédiaire est adoptée (Luthériens).
Au sujet de la figure « type », nous pensons qu’il est bon d’en dire un mot de plus. Ceux
qui rejettent l’interprétation littérale ont recours à cette figure quand ils prétendent que le
peuple d’Israël n’était qu’un type de l’Eglise, que nous devons donc appliquer à cette dernière
71
Il est du reste très important de tenir compte du fait que le langage de la Bible est souvent
complètement différent du nôtre. Ainsi E. Doumergue dit à ce sujet :« Il faut se rappeler que dans le langage
primitif, les mots abstraits n’existent qu’en très petit nombre; les idées sont exprimées par quelque chose qui
tombe sous les sens, par un mot, qui doit être pris au figuré. Et nous voyons de l’anthropomorphisme, là où il n’y
a qu’une métaphore, exprimant une idée abstraite. » (Voir p. 86 de Moïse et la Genèse.)
Ainsi Gen. 3. 8 dit « La voix de Jahveh se promenait », dont le sens est: « la voix de Jahveh retentissait ici
et là dans le jardin ».
Nous pouvons admettre que, dans une certaine mesure, le peuple d’Israël est un type et
on pourrait se référer à ce sujet à I Cor. 10. 6, 1 I, mais encore faudra-t-il préciser de quoi ou
de qui il est question ici. Nous n’examinerons pas ce sujet à présent, nous voulons nous
borner à dire que si Israël est un type, il faut donc que ce type soit complet. Or, on admet
seulement que le passé d’Israël est typique, mais on ne lui donne pas d’avenir. On s’arrête à la
r de ce peuple, qui, dit-on, n’a plus d’avenir en tant que peuple. Le type serait donc partiel et
quelqu’un pourrait prétendre que, sur cette base, il se pourrait que l’Eglise soit aussi rejetée un
jour. Mais si, au contraire, cette Eglise arrive à son but, le type doit aussi y arriver. Le type
doit être parallèle avec l’antitype sur toute son étendue.
Loin donc de « spiritualiser » les prophéties adressées à Israël, on devrait garder une
double interprétation, l’une littérale s’appli quant à Israël, l’autre symbolique s’appliquant à
l’Eglise. Il n’est pas logique de limiter l’interprétation littérale au passé seulement d’appliquer
les bénédictions futures à l’Eglise, tandis qu’on laisse les malédictions à Israël.
A propos du peuple d’Israël nous pouvons ajouter que beaucoup de parties de l’Ancien
Testament sont de nature poétique et prophétique et que celles-ci doivent être comprises d’une
manière un peu différente des parties historiques ou doctrinales de l’Ecriture. Mais encore ne
sommes-nous pas libres de traiter ces premières de purs symboles. Il s’agit au contraire de
réalités qui sont décrites d’une manière un peu particulière. Nous pouvons même trouver dans
ces descriptions beaucoup de choses qui doivent être prises plus à la lettre qu’on ne pourrait le
croire à première vue. Un examen attentif montre qu’elles correspondent souvent à d’autres
données littérales de l’Ecriture ou à des faits scientifiques. Ainsi Job dit: « Il suspend la terre
sur le néant » Job 26. 7. On pouvait prendre cela dans l’ancien temps pour une expression
poétique un peu osée, mais nous savons maintenant que cela correspond très bien avec la
réalité. On a dit que les auteurs de la Bible ont cru que la terre était un disque plat, recouvert
d’une voûte massive72. Si cela est vrai (ce qui reste à démontrer), ils ont pu croire aussi
qu’Esaïe prenait des libertés poétiques quand il parlait du « cercle de la terre» (Es. 40. 22). Or
rien n’est plus littéral, car vue d’en haut, la terre est limitée par un cercle.
En général, il n’est pas toujours facile de voir si un passage doit être compris au sens
strictement littéral ou non73. Les exemples ci-dessus et d’autres qui suivent, montrent que les
conceptions scientifiques du moment peuvent influencer beaucoup les exégètes. Tantôt on
prend comme figure de rhétorique ou comme expression poétique ce qui est littéralement vrai;
tantôt, comme dans le cas de la controverse Copernic-Kepler-Galilée, on prend ce qui est
figuré comme vérité littérale.
4. Une des conditions à laquelle doit satisfaire l’expression d’une révélation divine,
c’est qu’un tel document doit s’adresser à tous les hommes de tous les temps, et pouvoir être
compris par tous tout en exprimant les choses les plus profondes; que ce document doit donc
faire usage d’un langage courant et ne contenir, cependant, aucune erreur réelle, aucune vraie
contradiction.
La révélation que nous cherchons ne concerne pas spécialement la nature. Nous
pouvons supposer que Dieu nous laisse rechercher dans celle-ci les vérités que nous pourrons
y trouver avec nos moyens propres. Cette révélation devrait traiter avant tout de ce qui nous
72
Voir aussi le chapitre XIII « La Cosmologie juive ».
73
Nous le montrerons encore plus loin.
On peut se demander alors, pour que le document puisse être considéré comme
pleinement inspiré, si ces questions doivent être présentées d’une manière objective, telles
qu’elles sont, dans leur pleine réalité. Pour fixer les idées, prenons l’exemple classique qui se
rapporte à notre système solaire. Les auteurs que Dieu a poussés à écrire peuvent-ils dire que
le soleil se lève, ou doivent-ils décrire le phénomène comme Dieu le voit ? La réponse semble
évidente. Il n’y a aucune objection à dire que le soleil se lève, car il n’y a pas d’erreur en
parlant ainsi, pourvu que l’on ne prétende pas parler objectivement. On peut même dire qu’il
faut une expression subjective, parce que c’est le seul moyen d’être compris par tout homme
de bonne volonté, vivant à n’importe quelle époque, donc quel que soit l’état de la science.
Nous savons, du reste, que les savants emploient encore maintenant un tel langage subjectif
dans la vie courante, et même dans leurs traités, aux endroits où il n’est pas question de
l’étude objective.
Comme les auteurs des différentes parties de la Bible s’adressaient avant tout aux
personnes de leur temps, ils ont adopté la manière de s’exprimer de ce temps. Certaines de ces
expressions sont peut-être moins bien adaptées aux conceptions d’autres personnes, vivant en
d’autres lieux ou temps, par exemple à cause d’un progrès dans les connaissances
scientifiques, mais personne n’a le droit de condamner pour cela ces écrits comme indignes
d’une Parole divine. Un homme raisonnable comprendra toujours et se rendra compte que, si
les choses avaient été exprimées d’une manière mieux adaptée aux conceptions modernes, nos
ancêtres n’auraient pas pu comprendre. De plus, les générations futures auraient quand même
pu se plaindre que ces expressions ne fussent pas scientifiques à leur point de vue. Enfin, si
ces phénomènes avaient été décrits d’une manière absolument objective de façon à rendre la
vérité pure, personne n’aurait pu comprendre.
Dans ce chapitre nous avons donc examiné les limitations logiques de l’interprétation
littérale et nous avons précisé ce que l’on veut dire quand on propose d’interpréter un texte
aussi littéralement que possible.
Nous procédons maintenant l’examen de quelques cas typiques, qui sont souvent
considérés comme preuves évidentes que la Bible contient des erreurs.
Il ne serait pas difficile, en appliquant une telle méthode aux écrits des critiques eux-
mêmes, d’établir que leurs idées concernant le cosmos, sont aussi relativement primitives. Ne
parlent-ils pas d’un soleil qui se lève et se couche, du vent qui souffle (comme une personne)
etc.? Ne disent-ils pas que les « écluses du ciel » semblent s’ouvrir et ne font-ils pas allusion
aux « quatre coins de la terre? »
L’ancienne conception du firmament peut très bien correspondre avec la nôtre, car il ne
s’agit après tout que d’une étendue très ténue, quoique très solide, ce dernier mot étant
compris, non pas dans le sens de rigide ou de massif, mais dans le sens de stable. Nous lisons
en effet que dans ce firmament se trouvent des demeures (Amos 9. 6) et que les oiseaux y
volent. Ce n’est donc pas simplement une voûte matérielle, mais un espace, et il est alors tout
à fait arbi traire de prétendre que Gen. 1. 7 indique qu’une voûte rigide retient les eaux
supérieures quand ce texte parle d’eaux qui sont au-dessus de cette étendue. Cela peut aussi
bien s’entendre des nuages (formés d’eau) qui planent au-dessus de l’espace que, nous aussi,
nous nommons le ciel, celui où volent les oiseaux.
Pourquoi veut-on absolument que ces anciens aient eu l’idée de réservoirs d’eau placés
en haut, quand le livre de Job nous parle d’une manière si correcte de la formation de la pluie
« Il attire à lui les gouttes d’eau, Il les réduit en vapeur et forme la pluie; les nuages la laissent
couler...» Job 36. 27, 28 (voir aussi Juges 5. 4; Ps. 77. 17, etc.).
Par ce dernier exemple on voit que l’Ecriture elle-même nous empêche souvent de
prendre strictement à la lettre ce qui n’est qu’une figure de style. Il faut toujours consulter le
contexte et d’autres passages qui peuvent nous éclairer. Citons encore quelques cas de ce
genre.
Pourrons-nous déduire de Ps. 104. 2, 3 qu’il y a dans le ciel des chambres formées avec
des poutres en bois (voir la version Darby), des chars constitués par des nuages et que le vent
a des ailes ?
Qui prendra les colonnes de Job. 26. 11 comme des objets matériels quand le même
verset dit que ces colonnes « s’étonnent »? Il faut vraiment du parti pris pour chercher là les
conceptions réelles des juifs.
Il nous semble que tout homme devrait être vivement impressionné par le fait que la
Bible diffère radicalement à ce point de vue des documents des autres nations que
l’archéologie nous fait connaître.
D’une manière générale on peut dire que si les auteurs du Livre avaient eu nos
connaissances, ils auraient pu écrire comme ils l’ont fait. Ceci est très important et ne peut
être dit d’aucun autre document ancien. Nous ne savons pas ce que Moïse et d’autres
écrivains inspirés connaissaient du monde physique. Nous pouvons supposer que Dieu ne leur
révéla rien à ce sujet et que leurs idées personnelles étaient moins exactes que les nôtres, mais
ceci fait encore mieux ressortir que ce qu’ils ont écrit est inspiré par Dieu. Car autrement,
surtout en cosmologie et cosmogonie, leurs écrits auraient présenté des erreurs et des
contradictions, des récits fantastiques et de nature polythéiste comme chez tous les païens, au
lieu d’être rédigés d’une manière simple et sobre. Moïse n’aurait pas parlé d’un Dieu qui EST,
de la création de la lumière, de la matière et de la vie et n’aurait pas décrit la restauration du
monde après un chaos, en faisant appel à une série d’images qui représentent, sous forme
succincte et saisissante, les phases caractéristiques par lesquelles la terre a passé dans les
temps géologiques. Examinons ces questions.
Viennent ensuite les six « jours » de Gen. 1. 3 à 31 où Dieu agît par son Esprit et rétablit
un certain ordre. De là une « évolution créatrice », dirigée par Dieu, qui aboutit, le sixième
« jour » à l’homme75. Les 4000 ans indiqués par le texte hébreu (environ 5500 ans dans la
version des Septante) couvrent la période qui va d’Adam à Christ. On voit donc qu’en fait rien
ne permet de fixer le moment de la création de la terre. D’après nos connaissances actuelles,
elle semble exister depuis environ 3300 millions d’années. Rien dans la Parole ne nous
empêche d’accepter (toujours avec une certaine réserve) de telles indications. Mais la question
qui nous occupe pour le moment, est de savoir ce qu’il faut entendre par les six jours de la
restauration, après le chaos.
Il est assez curieux de remarquer que les anciens exégètes considéraient ces passages de
la Genèse comme une description poétique et allégorique et qu’il ne fallait pas prendre à la
lettre. Dans ce sens les six jours ne représentaient pas un temps, car, disait-on, Dieu créa tout
simultanément.
Plus tard on en vint à considérer différentes interprétations plus littérales, et on prit les
jours, soit comme des périodes de douze ou de vingt-quatre heures, soit comme des périodes
de très longue durée ou de durée indéterminée. Des théologiens comme Delitzsch, Godet,
Palmieri, Zôckler, etc. prenaient les jours pour de longues périodes.
De telles divergences sont assez faciles à comprendre, car même pour nous, le mot
« jour » indique, tantôt les heures pendant les quelles il fait clair, tantôt une période de vingt-
quatre heures, tantôt un moment ou une durée indéterminée (comme dans l’expression « au
74
Les récits païens commencent par un chaos. Tel est celui des Sumériens où ce chaos est représenté par
Tiamat, vaincu par Mardouk. Plus tard des Grecs, comme Hésiode, et Ovide, parlent aussi d’un chaos. La Bible,
au contraire, commence par la création des cieux et de la terre. Ceux qui ont la tendance de rendre le récit
biblique conforme aux traditions humaines, aimeraient lire à peu près ceci : « Au commencement de la création
des cieux et de la terre, quand celle-ci était informe et vide... ». Or, le mot hébreu traduit ainsi par « quand », est
le même que celui qui est traduit ensuite continuellement par « et », montrant qu’il y a une succession de faits.
Pourquoi lirait-on « quand » au deuxième verset seulement? La forme du verbe dans les deux premiers versets
est, du reste, différente de celle du verbe dans les versets suivants. Au lieu de lire « était » dans le deuxième
verset, on peut traduire « est devenu » ou « devient ». En Gen. 2. 7 on a traduit « devint ».
Es. 45. 18 confirme que Dieu n’a pas créé un chaos: « Qui ne l’a pas créé vide » (Darby). Une telle
interprétation s été donnée déjà par Origène (De Princ. III, 5, 4) et par Episcopius et Limborch. En 1781 Dathe
traduisait: « Mais ensuite la terre devint informe et vide. »
75
Voir l’appendice 2 « A propos de l’Evolution ».
Particulièrement quand il s’agit de Dieu, il faut se rappeler les paroles de Job: « Tes
jours sont-ils comme les jours de l’homme? » (Job 10. 5). Il est question aussi dans la Bible
de jours de grâce, de visitation, du salut, du jugement, et particulièrement du jour du Seigneur.
2 Pi. 3. 8 nous dit que, devant le Seigneur, un jour est comme mille ans. — Tout le monde est
donc d’accord pour dire que le mot yom n’indique pas nécessairement un jour de 24 heures.
Comment devons-nous alors comprendre ce mot quand il est question des jours de la «
création »? Il est prudent de ne pas fixer la signification de ces jours à l’aide de conceptions
qui n’ont cours qu’après la création de l’homme, d’autant plus que les premiers « jours » le
soleil n’était pas encore visible et que nos périodes de lumière et d’obscurité n’existaient donc
pas encore, à supposer qu’il y eut quelqu’un pour les voir. Il ne faut pas non plus oublier que
nous ne sommes pas libres de donner au mot jour une signification à notre choix, mais qu’au
contraire c’est le texte qui en donne une : « Dieu appela la lumière jour ». En prenant ceci
littéralement, le mot jour aurait donc la signification de « clarté » (comme quand nous disons
« il fait jour »). Le fait qu’il est parlé de soir et de matin (c’est-à-dire de commencement et de
fin, comme nous le verrons plus loin) précise qu’il s’agit de périodes de lumière 77, Il s’agit
maintenant d’estimer la durée de ces périodes. Examinons le pour et le contre des deux
interprétations suivant lesquelles il s’agirait de périodes de quelques heures ou de périodes de
durée considérable.
En faveur des périodes courtes, on a dit que l’Ecriture entend parler de jours de vingt-
quatre heures chaque fois que le mot est employé avec un nombre. Ceci est vrai pour les
passages de la Bible qui viennent après ceux que nous considérons ici, mais cela ne prouve
pas qu’il en est de même des « jours » de la Genèse, qui sont des jours uniques.
On a dit aussi que l’Ecriture ne semble pas faire de différence entre ces jours et nos
jours de vingt-quatre heures, car elle les mentionne dans le même passage qui parle des jours
de la semaine (Ex. 20. 1 1; 31. 15, 17). Cette opinion est trop radicale. Tout ce qu’on peut
affirmer, c’est que notre semaine est divisée d’après les sept jours de la « création ». De là on
ne peut pas conclure que chaque partie de la semaine est équivalente à une période de lumière
de Gen. 1. Au contraire, on possède une indication très nette qu’on ne peut pas identifier les
durées. Il est dit, en effet, que le septième jour, Jéhovah cessa de créer 78. Or ce jour n’est pas
76
A ce sujet, E. Doumergue écrit ce qui suit, se référant à E. Naville « L’ancien égyptien n’avait pas
l’idée abstraite de période. Une période, c’était ce qui était compris entre un commencement et une fin. Et la
métaphore la plus simple était celle du jour, compris entre le lever et le coucher du soleil. En égyptien, le mot
« jour » indique une période. Ainsi, le Livre des morts appelle « jours la vie d’un homme, c’est-à-dire la période
comprise entre la naissance et la mort; « le jour de ma vie», c’est la durée. Ceux qui sont « dans leur jour » sont
les vivants, et « sortir du jour », c’est sortir de la vie. C’est dans ce sens égyptien que Moïse prend le mot « jour
», pour une période dont rien n’indique la durée. » Voir Moïse et la Genèse, p. 100.
77
Bien entendu, il ne s’agit pas de la lumière solaire. D’après Gen. 1. 2, 3 on peut comprendre qu’il s’agit
du résultat de l’action divine sur le chaos, en opposition avec les ténèbres provenant de l’esprit du mal. I Jean 1.5
dit que Dieu est lumière, Ps. 104. 2 que Dieu s’enveloppe de lumière comme d’un manteau, et Apoc. 21. 23 que
la gloire de Dieu éclaire la nouvelle Jérusalem. Les « jours » seraient donc des périodes d’activité divine.
78
Le mot hébreu shabat, comme le mot grec katapauo (Héb. 4. 4), indique une cessation et non un repos.
L’Eternel cessa de créer, non d’agir (Jean 5. 17).
L’argument principal pour assimiler les six jours à ceux de notre semaine, est
probablement la mention de soirs et matins. Quand nous lisons les mots « soir » et « matin »
nous pensons immédiate ment au soir et au matin d’une de nos journées et nous en concluons
que les six jours correspondent à nos jours. Or, en hébreu comme dans d’autres langues, le
sens de « soir » et de «matin» est beaucoup plus large. Le mot soir n’implique pas l’obscurité
et le mot matin n’implique pas la lumière physique. Ainsi en Ps. 90. 14 (voir version Darby)
le mot hébreu « boker » indique le commencement de notre vie, en opposition avec le reste
( « tous nos jours »). Il en est de même en Eccl. 11. 6 où le mot « soir » indique la fin de la
vie. Es. 1 7. 11 (version Darby) ne parle pas non plus d’un matin d’un de nos jours, mais du
commencement d’une période.
Un tel examen nous montre que pour « matin » il convient de lire ici « commencement»
et pour « soir » « fin ». Quand les mots employés dans l’original s’appliquent réellement à un
jour de vingt-quatre heures, on traduira « matin » et « soir ». Les mots « matin » et « soir »
des versions, loin de déterminer ce qu’on doit entendre par « jour », ont été mis par les
traducteurs parce qu’ils ont cru a priori qu’il s’agissait de jours de vingt-quatre heures.
On a cru trouver deux arguments contre les longues périodes en invoquant des
considérations géologiques ou paléontologiques.
Gen. 1. 26 récapitulerait tous les animaux créés pendant les six jours. S’il s’agissait de
longues périodes géologiques, les espèces fossiles, déjà disparues au temps d’Adam, auraient
été créées pendant ces six jours, et il n’aurait pas été possible alors de dire que la domination
sur toutes ces créatures avait été donnée à Adam. Mais pourquoi veut-on que tous les animaux
créés depuis le commencement se trouvent mentionnés en Gen. 1. 26? Nous n’y trouvons que
les poissons de la mer, les oiseaux du ciel, le bétail, toute la terre et tous les reptiles qui
rampent sur la terre. Ceci ne concerne que les êtres vivants du sixième jour et les oiseaux du
cinquième. Les espèces disparues, comme les « grands animaux des eaux » (Darby), c’est-à-
dire les monstres marins79 dont nous pouvons voir les restes dans nos musées, et certains des
êtres vivants qui se meuvent et « dont les eaux fourmillent » (Darby), ne sont justement pas
mentionnés au verset 26. Nous y rencontrons le mot « poisson », qui n’avait pas encore été
employé dans les versets précédents, et qui comprend sans doute les animaux que nous
désignons nous- mêmes par ce mot et qui vivent encore de notre temps.
En réalité nous avons donc ici un argument en faveur des longues périodes, car il serait
absurde de ne plus trouver, le sixième jour, les monstres marins et autres espèces créées le
cinquième jour, si ce dernier n’était que de vingt-quatre heures.
Une autre objection serait que les fossiles montrent que la mort, donc le mal, existait
quand ces êtres vécurent. Si ces êtres ont été créés pendant les six jours et non avant, comme
on le suggère dans le cas de courtes périodes, comment Dieu pouvait-Il dire que tout était
« bon »? Nous répondons que les créatures sortant de la main de l’Eternel étaient bonnes,
mais que le milieu dans lequel elles vivaient était déjà soumis au mal à cause d’une
défaillance antécédente d’autres créatures.
79
Voir plus loin
Rappelons en quelques mots ce qu’on entend par ces périodes glaciaires. Un assez grand
nombre de phénomènes géologiques ne laissent aucun doute que, dans le passé, à plusieurs
reprises, une partie de la terre fut couverte de glace. Une opinion assez répandue attribue ces
périodes à des abaissements considérables de la température. C’est là une erreur. En effet, une
telle baisse n’explique pas du tout d’où serait venue cette glace, et il serait difficile de trouver
une bonne raison pour que la température se soit abaissée beaucoup. L’explication la plus
rationnelle est que le climat fut particulièrement humide pendant ces périodes pluies
abondantes dans les régions de faible altitude, neiges abondantes sur les montagnes élevées.
La neige accumulée sur ces hauteurs en quantité considérable se serait transformée en glace,
qui se serait écoulée lentement vers les parties basses. C’est le phénomène habituel des
glaciers, tel qu’on l’observe encore maintenant en petit. Pendant les périodes glaciaires,
l’abondance de neige aurait été telle que la glace aurait couvert une grande partie de l’Europe
et n’aurait laissé intacts que les endroits relativement éloignés des glaciers, comme l’Espagne,
du sud de la France et l’Italie. La température générale aurait été plus basse que maintenant du
fait que de si grandes étendues étaient couvertes de glace, mais dans les régions non envahies,
cette baisse n’aurait été que de quelques degrés.
Pour notre sujet, il est important de connaître approximative ment les dates de ces
périodes et particulièrement de la dernière. Or, il se fait que nous avons des indications très
exactes, car le retrait annuel de la glace a laissé en certains endroits des marques qui ont
permis de compter pour ainsi dire ces années. On accepte donc généralement les estimations
de De Geer qui détermina que la glace s’est retirée de la région de Stockholm il y a environ
9000 ans. Dans les régions plus méridionales la glace était fondue bien avant cette date et le
centre de cette dernière période glaciaire semble dater d’environ 20 000 ans avant Jésus-
Christ.
1Ma. : Algues
Mais où placer alors ce chaos? Il faut nécessairement le reculer dans le temps, et cette
fois de plus de mille millions d’années pour retrouver sur terre de telles conditions. Dans ce
cas les six « jours » On ne peut échapper à cette conclusion qu’en rejetant complète qui
séparent le chaos et Adam sont donc aussi de très longue durée.
Nous avons vu que les nombres mentionnés dans les textes qui nous sont parvenus, sont
parfois sujets à caution à cause des vicissitudes de transmission et de traduction du texte
original80. Le texte hébreu indique pour la date de la création d’Adam environ 4000 ans avant
Jésus-Christ, tandis que la version des Septante donne environ 5500 ans (voir l’Appendice 4).
De là à 1 000 000 000 il y a loin. Pour échapper à de telles difficultés on a essayé de nier que
la Bible donnait une date, même approximative, pour la création d’Adam. On a suggéré qu’il
ne suffisait pas d’additionner les nombres d’années indiqués dans les générations parce qu’il
pouvait y avoir des intervalles. Or, tout le monde admet à présent qu’Abraham naquit environ
2000 ans avant Jésus-Christ et s’il y a des lacunes, elles doivent donc se trouver dans les listes
généalogiques d’Adam à Abraham.
La question cruciale est donc de savoir si ces listes sont complètes ou non. Certains
pensent que de nombreuses générations peuvent manquer puisque d’autres listes, telles que
celles d’Esdras 7 et de Mat. 1, ne sont pas complètes. A première vue il y a là un argument
sérieux. Mais comparons ces dernières listes à celles qui rejoignent Adam à Abraham. Nous
lisons par exemple:
« Esdras, fils de Seraja, fils d’Azaria, fils de Hiikija... »
« Abraham engendra Isaac; Isaac engendra Jacob; Jacob engendra Juda...»
On a dit, avec raison, que l’expression « fils » n’indique pas toujours un fils proprement
dit et que « engendra » peut se référer à quelqu’un d’autre qu’au fils direct. Personne ne peut
donc se baser sur de telles listes pour établir une chronologie parfaitement exacte. Mais ces
remarques s’appliquent-elles aussi à la généalogie des patriarches? Ici nous lisons
« Adam, âgé de cent trente ans, engendra un fils... Seth...Seth, âgé de cent cinq ans,
engendra Enosh... Enosh, âgé de quatre-vingt-dix ans, engendra Kénan... » etc. et la liste se
termine par Sem. Nous lisons ensuite:
80
Voir nos remarques à ce sujet dans le chapitre VII.
Ceci étant établi, nous pouvons nous entendre avec ceux qui, malgré tout, pensent à
l’impression laissée par une «simple» lecture des textes qui parlent des six jours et des soirs et
matins. Même si ces jours sont, strictement pris, de longues périodes, ne pouvons-nous pas
retenir dans un certain sens l’idée de nos jours de vingt-quatre heures? C’est-à-dire n’y a-t-il
pas une solution mixte qui donne aussi bien satisfaction au lecteur « simple » qu’à
l’intellectuel le plus pointilleux? Nous croyons qu’une telle solution est donnée par le passage
suivant de F. Godet:
« Si Dieu a voulu faire contempler à Moïse en abrégé les phases principales à travers lesquelles
s’était développée l’œuvre créatrice, le meilleur moyen de lui en donner l’intuition n’était-il pas de lui
faire contempler chaque période dans un tableau unique représentant en une scène grandiose le point
auquel l’œuvre était alors arrivée ? Chacun de ces tableaux était pour l’oeil de Moïse un jour; mais dans
ce seul jour étaient représentés tous les jours analogues de cette même période. L’intervalle qui séparait
ce tableau du suivant était une nuit; et dans cette nuit étaient figurées toutes les nuits de la même période,
pendant lesquelles se préparait lentement la période suivante. Ainsi passèrent devant lui ces six tableaux
représentant les phases les plus caractéristiques de l’œuvre entière. Ces phases, il nous en a conservé le
souvenir, mais sans en avoir pénétré lui-même le sens détaillé, pas plus que les prophètes ne pouvaient
comprendre distinctement les intuitions qu’éveillait en eux l’Esprit divin (1 Pi. 1. 10-12). Il n’a bien
compris dans chaque tableau que l’idée centrale, seule pratiquement nécessaire: Jéhovah, l’Etre unique,
auteur de chaque partie de l’œuvre et de l’œuvre entière. […] Nous comprenons aussi, par la nature de ce
mode d’enseignement, que ce ne furent que les traits saillants de chaque période, qui purent entrer dans
les tableaux et frapper les regards du Voyant. Cette vie végétale et animale, par exemple, qui se
développa dès les premiers jours au fond des mers, lui resta inconnue. Ce ne fut que lorsque la vie
végétale fit cette puissante et colossale explosion dont les terrains houillers rendent témoignage, qu’il la
discerna. Car elle devint alors le trait essentiel du tableau. Il en fut de même de l’apparition des grands
animaux marins et de celle des oiseaux, dans les âges suivants, et ainsi encore de l’apparition des animaux
terrestres et de l’homme dans la dernière période. Nous sommes en face d’une œuvre de peinture, et non
d’un travail de naturaliste et d’érudit. En nous plaçant à ce point de vue nous voyons s’évanouir les
difficultés qui nous empêchaient de trouver dans ce récit ce que tant de raisons nous poussent à y
reconnaître: le produit d’une révélation82. »
Nous devons maintenant examiner si les indications de la Bible, relatives aux six jours,
sont en accord avec les phénomènes géologiques des anciens temps.
81
Nous ne pouvons donc pas accepter la théorie défendue par MM. Salet et Lafont dans leur ouvrage
L’Evolution régressive.
82
Etudes bibliques (3e éd. p. 125 et 126).
83
Il n’y a évidemment pas de concordance absolue avec le classement des périodes géologiques tel qu’il a
été adopté par les savants modernes. La question est de savoir s’il y a une bonne concordance entre les faits
principaux acceptés à présent et les indications très sommaires de la Bible.
Nous devons commencer par accorder aux non-concordistes que certaines de leurs
objections sont justifiées. Il n’y a certes pas une correspondance complète entre les deux
séries de données. Ainsi, par exemple, il n’y a aucun doute qu’il y avait des animaux (dont
parle le cinquième jour) avant les « arbres » (du troisième jour) et que beaucoup d’animaux
que nous classons parmi les reptiles (sixième jour) existaient avant les oiseaux (cinquième
jour).
Mais avant de tirer de ces divergences des conclusions radicales, soyons bien conscients
de ce que nous faisons. Nous comparons une science, qui a pour but spécial de nous informer
sur tous les détails géologiques et paléontologiques, è un document qui a pour but de nous
indiquer la voie du salut et qui, comme introduction à l’histoire de l’humanité, nous donne un
rapide aperçu des anciens temps. Cette esquisse, couvrant des centaines de millions d’années,
occupe à peine une page et il n’est certainement pas raisonnable d’y chercher des détails.
Nous devons nous attendre, si ce document est bien fait, à y trouver les traits saillants
seulement. Or, sous ce rapport rien n’a surpassé le premier chapitre de la Genèse. Tout le
monde a admiré la simplicité grandiose avec laquelle l’auteur décrit dans les grandes lignes ce
qui s’est passé.
Si l’on tient compte de cette simple remarque, nous voyons que les objections ci-dessus
n’ont pas la valeur qu’elles auraient eue si l’on avait comparé deux traités de paléontologie.
Avant de confronter et de critiquer, il faut se placer dans une position correcte pour le faire.
Voyons donc à quelle conclusion nous arrivons quand nous négligeons les détails.
Commençons par les temps relativement récents qui correspondent au sixième jour.
Quels sont les faits caractéristiques dont parle la paléontologie pendant l’ère tertiaire et
quaternaire? C’est l’apparition des mammifères et de l’homme 84. C’est de cette ère aussi que
datent les reptiles qui existent encore de nos jours. Que dit l’Ecriture ?
« Que la terre produise des animaux vivants selon leur espèce, du bétail des reptiles 85 et
des animaux terrestres, selon leur espèce.» Ensuite vient l’homme.
Quels sont les faits caractéristiques de l’ère secondaire? L’apparition d’animaux tels que
les Dinosauriens, les Plésiosaures, les Ichtyosaures, monstres vivant dans les mers, et des
oiseaux. Or, au cinquième jour, l’Ecriture nous parle d’une abondance d’animaux dans les
mers et d’oiseaux. Notons que le texte hébreu ne dit pas, comme les versions, qu’il y avait de
« grands poissons », mais qu’il fait plutôt allusion à des monstres marins. Sans connaître
l’hébreu, on peut s’en convaincre, soit en consultant une version plus littérale, comme celle de
Darby qui met « grands animaux des eaux », soit en se référant aux autres aux autres endroits
ou le même mot hébreu est employé : Ex. 7. 9 (serpent, dans les versions), Ps. 74. 13
(monstres), Lam. 4. 3 (chacals).
84
Il y avait des mammifères au Secondaire, mais ils étaient de petite taille et ne formaient pas un trait
caractéristique.
85
Ce nom ne comprend pas tous les animaux que nous appelons des reptiles, et dont certains existaient
déjà dans l’ère Primaire.
On connaît très peu l’ère archéenne, la plus ancienne. On suppose que la vapeur d’eau
était d’abord toute contenue dans l’atmosphère et qu’elle s’est ensuite condensée en partie sur
la terre. Il y avait donc un « ciel » entre l’eau liquide couvrant la terre et l’eau évaporée
formant les nuages. Plus tard les mouvements de la croûte terrestre auraient formé les
montagnes qui dépassaient ie niveau de l’eau. C’est à cela que peut correspondre le fait
saillant du deuxième jour:
« Et Dieu fit l’étendue et il sépara les eaux qui sont au-dessous de l’étendue d’avec les
eaux qui sont au-dessus de l’étendue... Dieu appela l’étendue ciel. »
Que devons-nous conclure? Que l’idée de longues périodes n’est pas seulement
indispensable si l’on ne veut pas nier les faits d’observation, mais fournit une correspondance
remarquable entre les données de la Bible et celles de la géologie. De plus, une fois cette
concordance admise, on ne peut l’expliquer que par l’inspiration. Comment un homme aurait-
il, même avec sa « conscience religieuse », pu donner un aperçu si correct des faits saillants et
caractéristiques des anciennes ères? Qu’aurait-il pu produire, sinon des fables comme celles
des Babyloniens ?
Nous croyons que de telles conclusions nous récompensent amplement de la peine que
nous avons prise pour étudier ces questions. On se rendra compte aussi jusqu’à quel point un
examen sérieux de la question des six jours justifie le principe de l’interprétation littérale et en
montre les limites rationnelles. C’est l’idée préconçue et la tradition humaine qui peuvent
causer des difficultés. Pour les résoudre ou les éviter, il faut retourner à la Parole de Dieu,
expliquée par elle-même.
86
Par « fruits », il ne faut pas entendre des poires ou des pommes. L’Ecriture emploie le même mot pour
les « fruits » de la terre (Gen. 4. 3), du corps (Deut. 28. 4), du travail (Ps. 104. 13), de la bouche (Prov. 18. 20)
etc. Le mot indique en général ce qui est produit par quelque chose. Dans le cas présent, il peut s’appliquer aux
spores des Lycopodes, aux semences des fougères géantes (Emplectopteris), aux noix des Ptéridospermes. etc.
II s’ensuit que l’interprétation des textes bibliques dépend, pour ce qui concerne cette
manière de créer, des connaissances que nous avons acquises par l’observation des choses
visibles, c’est-à-dire de notre « science ». Il ne serait donc pas logique de nous tenir à
certaines interprétations proposées dans le passé, alors que l’anthropologie (l’histoire naturelle
de l’homme) et l’archéologie (la science des monuments et des arts anciens) ne s’étaient pas
encore développées.
Il est bien entendu que toute science humaine est partielle et provisoire et ne peut pas
prétendre avoir plus de poids que ce qui nous est révélé, mais nous devons tenir compte de ce
que les faits bien observés peuvent nous enseigner quand nous voulons mieux comprendre
cette révélation. Nous pouvons rester sceptiques quand il s’agit de certaines théories
scientifiques qui ne sont pas suffisamment basées sur des faits, mais nous ne pouvons pas nier
ce qui est bien établi.
Il est très important de bien se rappeler que s’il est vrai que le texte original est
d’inspiration divine, notre connaissance de ce texte n’est que le résultat d’une interprétation.
Nous devons donc être prudents et ne pouvons pas rejeter systématiquement toute nouvelle
interprétation, pensant — peut-être inconsciemment — qu’elle ne s’accorde pas avec la Vérité
révélée, alors qu’elle ne s’oppose qu’à une certaine interprétation de cette Vérité.
Le premier texte ne parle que d’une manière très générale de la création de l’humanité
au sixième « jour ». Cependant nous y trouvons l’indication très importante que, bien que
l’homme soit tout autant une « âme vivante » que l’animal, il se distingue de ce dernier par le
fait qu’il fut créé à l’image de Dieu. C’est donc un être intelligent, raisonnable et libre.
Examinons donc quel sens l’Ecriture attache, en d’autres endroits, au mot hébreu traduit
par «former ». Le verbe yazar est encore employé par exemple en Jér. 1. 4, 5 : « La parole de
l’Eternel me fut adressée en ces mots : Avant que je t’eusse formé dans le ventre de ta mère,
je te connaissais...» et en Es. 43. 1, 7 : « Celui qui t’a formé, ô Israël... Tous ceux que j’ai
formés et que j’ai faits. » Nous voyons ainsi que la génération normale d’un individu et la
formation d’un peuple sont désignés par ce verbe, et ce serait une erreur de vouloir le réserver
seulement à la formation d’un objet en argile, comme le fait le potier.
Il y a encore une indication plus positive en rapport avec la formation des animaux.
L’expression : «L’Eternel Dieu forma de la terre tous les animaux des champs» (Gen. 2. 19)
pourrait aussi faire penser à la formation de statuettes en argile, mais Gen. 1. 24 doit nous
éviter de faire cette erreur, car ce texte nous dit : « Que la terre produise des animaux
vivants. »
Le caractère métaphorique de ces expressions est montré aussi par Gen. 3. 19 où
l’Eternel dit à Adam, bien vivant : « Tu es poussière. » Et plus tard, l’apôtre Paul écrit : «Le
premier homme, tiré de la terre, est terrestre » (1 Cor. 15. 47), en contraste avec la provenance
céleste du Seigneur Jésus-Christ.
En interprétant les textes considérés d’après les indications que la Bible elle-même nous
donne, leur enseignement essentiel peut se résumer ainsi :
1. Que l’homme n’est pas venu à l’existence par hasard. Dieu est la cause première de
sa formation.
2. Etant formé à l’image de Dieu, il diffère radicalement de l’animal.
3. En ce qui concerne son corps, il est d’origine terrestre.
Il est clair que ces textes n’ont pas pour objet de nous apprendre par quel processus
physiologique Dieu a créé l’homme.
Ajoutons encore qu’une telle interprétation n’est pas nouvelle et il n’est pas sans intérêt
de citer les paroles suivantes de saint Grégoire au sujet de la formation de l’homme:
Dans le chapitre précédent nous avons expliqué pourquoi la Bible nous oblige à
accepter une date relativement récente pour la création d’Adam. L’examen des données de la
science va nous donner l’occasion de vérifier s’il y a dans ce cas une erreur flagrante du texte.
87
De Anima et Ressurrectione. Migne P. G. 46, coI. 59. Cité par E. C. Messenger p. 135 de son livre
Evolution and Theology.
En se basant sur les indications fournies par les restes d’êtres vivants, trouvés dans les
différentes couches géologiques, on pense que, parmi les vertébrés, une évolution s’est
produite, allant des poissons aux amphibiens, puis aux reptiles et finalement aux mammifères.
Une branche des reptiles aurait produit les Dinosauriens, disparus, et les oiseaux. Il existait
déjà des petits proto mammifères au Secondaire, mais ce ne fut qu’au Tertiaire que les vrais
mammifères commencèrent à se développer. Il y eut d’abord des Insectivores, puis des
Carnivores et des Herbivores.
D’un des ordres, celui des « Primates », appartenant à la classe des mammifères,
seraient venus les singes, le Gibbon, l’Orang Outang, le Chimpanzé, le Gorille et aussi les
« Hominidés » dont nous indiquons ci-dessous quelques genres et espèces :
Pithecanthropus erectus (Trinil, Java)
Pithêcanthropus pekinensis (Chine)
Africanthropus njaransensis (Lac Njara, Afrique orientale)
Eoanthropus dawsoni (Piltdown, Angleterre)
Homo heidelbergensis (Mauer, Allemagne)
Homo neanderthalensjs (Europe, Afrique, Proche-Orient)
Homo rhodesiensis (Broken Hill, Rhodésie)
Homo soloensis (Ngandong, Java)
Homo sapiens
Ces Hominidés faisaient du feu et se servaient d’outils, mais leurs squelettes diffèrent
beaucoup des nôtres, excepté ceux de l’Homo sapiens. On a retrouvé beaucoup d’ossements
de cette dernière espèce, datant du Paléolithique supérieur. Les non-sapiens ne se rencontrent
plus après le Paléolithique inférieur. On distingue deux types d’Homo sapiens : l’un,
représenté en partie par les Cro Magnons, aurait eu une stature élevée et une tête large, l’autre
type, comprenant par exemple les « hommes » de Combe-Capelle, de Brno aurait existé un
peu avant. On a aussi trouvé des restes à Grimaldi (près de Monte-Carlo), à Chancelade
(France), à Ober cassel (Allemagne), à Wadjak (Java), en Afrique du Sud, etc.
L’Homo sapiens se distingue des types précédents par la minceur de son crâne et de son
ossature faciale, par sa tête en dôme, son front haut et son menton. Tout en se rapprochant de
l’homme moderne, ses os n’ont pas encore la même finesse.
Disons maintenant un mot des pierres taillées et autres restes de l’industrie et de l’art
des Hominidés. Il semble que, à part peut-être certaines exceptions, on n’ait pas trouvé
On trouve au Néolithique des outils de pierre polie, plus efficaces pour le travail du
bois. Mais ce qui devait révolutionner le monde, c’était la domestication des animaux et la
culture des plantes.
De tout temps le nombre des Hominidés fut assez restreint probablement à cause des
conditions climatiques défavorables, des dangers auxquels ils étaient exposés et surtout à
cause de la quantité très restreinte de nourriture : gibier, poisson, racines. Mais au Néolithique
tout changea et les auteurs qui ont étudié cette question s’accordent à parler d’une
révolution88. La race nouvelle commença à domestiquer des animaux, qui lui fournirent de la
viande et du lait, à planter, à cultiver et à améliorer par sélection des céréales, des racines et
des arbres. De plus, ces hommes commencèrent à fabriquer des abris et des maisons. La
population pouvait donc s’accroître très rapidement et la vie en commun s’organiser, ayant
comme conséquence l’apparition de l’industrie de la poterie et du tissage.
Ainsi que nous le verrons encore plus loin, ce développement brusque s’est produit dans
le Proche-Orient et l’accroissement de la population fut tel qu’un départ en masse eut bientôt
lieu vers l’Europe et l’Afrique du Nord. Il est possible que des anciens Hominidés existaient
encore, mais qu’ils disparurent bientôt par extinction et par mélange.
88
Dans Les origines humaines, E. LE Roy dit à ce sujet: « De la révolution néolithique, on doit placer le
centre et le principe dans l’invention de l’agriculture. Fait capital aux multiples conséquences, qui décida de tout
l’avenir humain », p. 293. V. CORDON CHILDE écrit dans son ouvrage Man makes himself, p. 74: «The first
revolution that transformed human economy, gave man control over his own food supply. Man began to plant,
cultivate and improve by selection edible grasses, roots and trees.»
Les nombreuses fouilles ont confirmé que cette grande révolution néolithique s’est
produite en Proche-Orient. On n’y a trouvé que très peu de traces des anciennes races. Citons
à ce propos surtout les restes découverts au Mont Carmel, qui semblent dater du Paléolithique
moyen et ont un caractère plus ou moins néanderthalien.
Il faut mentionner que les mêmes types de poterie ne se pré sentent pas nécessairement
tout à fait simultanément en divers endroits. Notre tableau ne fournit donc pour un lieu donné
que des indications chronologiques approximatives89.
Partout les premières traces de civilisation se trouvaient sur le sol vierge, indiquant ainsi
le brusque début de cette civilisation en ces endroits. Les traces trouvées autre part, semblent
indiquer qu’elle s’est ensuite étendue rapidement vers l’Europe, l’Inde et l’Afrique.
Ainsi que nous l’avons déjà mentionné, ces fouilles ont montré que ces premiers
représentants de notre race avaient des animaux domestiques (chien, mouton, chèvre, bétail,
cochon) et faisaient de la culture (froment, orge, fruits, lin, etc.). La pierre fut encore utilisée
pour la confection des armes et des outils, comme elle l’est encore aujourd’hui par les
aborigènes de la Tasmanie et de l’Australie. Ces pierres étaient aiguisées et polies.
Notre tableau montre que les premières traces d’habitation au Sud de la Mésopotamie
ne datent que de la moitié du quatrième millénaire avant Jésus-Christ. Le golfe Persique
s’étendait en effet très loin à la fin de l’ère néolithique (d’au moins 150 km. plus loin que de
nos jours) et ce ne fut qu’assez longtemps après que le sol devint habitable.
Les poteries peintes de Suse et de Teli Halaf sont particulièrement remarquables.
La céramique de Suse est faite avec une argile très fine et pure. Elle était cuite à une
température d’environ 900° et a un aspect un peu jaunâtre. Les potiers employaient un tour
pour la fabriquer. Les décorations sont faites avec une peinture noire, qui a pris une teinte un
peu brun violet. Les dessins ont souvent un caractère géométrique (croix, rosaces, etc.), mais
des plantes, des animaux et des figures humaines sont aussi représentés. Ainsi qu’on peut le
voir sur la Fig. 8 les animaux sont stylisés. Sur le vase se trouvent, en haut, une rangée
d’oiseaux avec de très longs cous, au-dessous des chiens courent, et en bas se trouve un
bouquetin aux cornes énormes.
89
L’étude de la céramique est d’une grande aide en archéologie, mais elle ne doit pas être isolée de
l’étude des autres produits de culture. Le cadre de notre ouvrage ne nous permet pas de donner des détails.
90
‘Z. LECAISNE dans Mémoires de la Délégation française en Perse, tome XIII, p. 163.
Après avoir noté ces quelques indications fournies par l’anthropologie et par
l’archéologie, nous sommes en mesure de mieux comprendre ce que la Bible indique au sujet
du commencement de l’humanité.
Quand il est question de l’humanité dans un sens très large (Gen. 1. 27) on ne trouve
qu’une indication assez vague: l’homme fut créé le « sixième jour », ce qui correspond,
d’après les concordances géologiques dont nous avons parlé, au Quaternaire.
Cette indication correspond donc très bien à l’enseignement de l’anthropologie qui nous
parle de l’existence des Hominidés pendant cette période et qui précise que ces êtres n’avaient
pas seulement une grande ressemblance avec l’homme moderne, mais qu’ils se distinguaient
nettement de la bête par leur intelligence.
Nous pouvons donc conclure que si nous acceptons les indications de la Bible aussi
littéralement que possible, il y a un accord parfait avec les indications certaines de la science.
II semble que tout homme devrait être impressionné par l’exactitude des indications d’un
Livre qui a été écrit il y a plus de 3000 ans.
91
Voir From the Stone Age to Christianity. p. 127.
Comme les animaux, Adam était une « âme vivante » et participait donc aux mondes de
la matière, de la vie « végétative» et de la vie sensitive ou animale. Mais il était aussi créé à
l’Image de Dieu et ceci implique une participation à la vie spirituelle. Il avait donc des
facultés supérieures que nous pouvons indiquer par le terme « esprit »92.
Mais les Hominidés aussi dépassaient l’animal, car ils faisaient du feu, connaissaient
l’outil, enterraient leurs morts et savaient dessiner et peindre. On peut donc les classer parmi
le genre humain pris dans une acception très large.
En quoi Adam se distinguait-il alors des Hominidés et même de l’Homo sapiens ? Sans
doute par le fait que, pendant la première période de sa vie il existait pleinement comme
image de Dieu, c’est-à-dire que son esprit avait sa puissance normale, dominant la matière,
l’espace et le temps. Plus tard, après la chute, il avait perdu cette puissance et était dominé par
le monde physique. Un esprit intact connaît directement et pleinement sans l’aide des sens et
communique directement avec d’autres esprits. Mais l’homme déchu a besoin des données
sensitives pour connaître et communiquer.
La Bible nous dit en effet que Dieu « parlait » directement à Adam, ce qui indique une
communion spirituelle consciente d’Esprit à esprit. Adam pouvait d’autre part donner des
noms aux divers animaux. Or, pour les anciens, le nom était l’expression de l’être. Connaître
le nom, c’était connaître l’être parfaitement. Pour donner un nom il fallait donc une faculté de
connaître toute spéciale, dépassant le sensitif et propre à l’intellectif.
Dans le paragraphe A ci-dessus nous avons dit que la Bible ne nous apprend pas
comment, ou par quel processus physiologique, Dieu créa Adam. L’anthropologie nous
montre qu’il existait déjà des êtres fort semblables à lui. On peut donc conclure que l’activité
créatrice de Dieu produisant, suivant les conditions générales de l’entourage, des séries
d’êtres se rapprochant de plus en plus d’un but final, arrivait à ce but quand fut formé Adam.
Un évolutionniste dirait qu’il ne fallait qu’une mutation pour passer de l’Homo sapiens à
l’homme moderne. Mais de telles « mutations » constituant un progrès très net sont
« dirigées » par le Dieu créateur.
92
‘Voir le chapitre Les quatre mondes dans notre ouvrage La Science, la Raison et la Foi. (Presses
universitaires de France).
Les Adamites apprirent sans doute à ceux des Hominidés qui existaient encore, à
pratiquer aussi l’élevage et l’agriculture. La population pouvait donc augmenter rapidement,
nécessitant la construction d’abris, de maisons et la formation de villages et de cités. Nous ne
devons donc pas nous étonner quand nous lisons qu’Hénoch, fils de Caïn, « bâtit une ville
» (Gen. 4. 1 7). Quelques centaines d’années s’étaient déjà passées et, tenant compte de la
longévité de ces hommes et des conditions de vie relativement favorables, les agglomérations
devaient rapidement prendre l’importance d’une « ville ».
Cette distinction est, du reste, encore marquée clairement par l’Ecriture elle-même, car
avant de parler d’Adam, Gen. 2. 5 mentionne une des principales caractéristiques des temps
pré- néolithiques il n’y avait pas une humanité qui cultivait le soi.
De tout ceci il apparaît de toute évidence que nous n’avons pas deux récits de la création
en général, comme le suggère la critique moderne, mais que Gen. 2 se réfère seulement à la
création d’un individu particulier, placé dans des conditions d’existence spéciales. Loin
d’avoir ici un mélange de « documents », préparé par un « éditeur » malhabile, nous avons un
texte inspiré, d’une précision historique merveilleuse.
93
Si l’on objectait que la mention du fer en Gen. 4. 22 semble prématurée, puisque l’ « âge du fer » ne
commence que vers 1200 avant Jésus on peut répondre que ce n’est, en effet, que plus tard que l’usage du fer
devint très répandu, mais qu’on a trouvé des objets en fer en Egypte, datant du troisième millénaire et en
Mésopotamie, datant du quatrième millénaire.
La Bible nous informe qu’Adam fut placé par Dieu dans le « jardin d’Eden »,
spécialement préparé pour lui. Eden se trouve « du côté de l’Orient », c’est-à-dire à l’est de
l’endroit où le récit fut écrit. La mention de l’Euphrate et du Tigre (Hiddekel) indique
clairement qu’il s’agit de la région mésopotamienne. Quand Adam fut chassé du jardin,
l’Eternel mit des chérubins à l’orient (Gen. 3.24) et nous pouvons en conclure que c’est vers
l’est, donc vers le plateau iranien qu’Adam se dirigea. Ceci est confirmé par Gen. 4. 16 qui dit
que Caïn habita dans la terre de Nod, à l’Orient d’Eden. D’après la Bible ce serait donc
probablement en Iran que commença notre humanité et ce serait de là que les nouvelles
populations passèrent d’abord en Mésopotamie, puis vers la Méditerranée et se répandirent en
Europe et en Afrique.
L’archéologie est arrivée aux mêmes conclusions générales94.
94
1 La civilisation prédynastique d’Egypte n’est pas aussi ancienne qu’on l’a cru. Beaucoup
d’égyptologues acceptent maintenant la date approximative de 3000 ans avant Jésus-Christ pour le
commencement de la première dynastie. En ce qui concerne la Chine, W. F. ALBRIGHT dit p. 5 de son ouvrage
From the Stone Age to Christianity “Comparative archaeological investigations have shown with increasing
clearness that nearly ail basic elements of Chinese civilization penetrated from the West at different periods, so
that the eminent Sinologist, C. W. Bishop, can justly call Chinese culture « a civilization by osmosis »”. Et, à la
page 6 “Archaeological research bas thus established beyond doubt that there is no focus of civilization in the
earth that can begin to compete in antiquity and activity with the basin of the Eastern Mediterranean and the
region immediately to the east of it — Breasted’s Fertile Crescent. Other civilizations of the Old World were all
derived from this cultural centre or were strongly influenced by it; only the New World was entirely
independent.”
Nous avons, d’une manière assez sommaire, examiné d’abord comment, en expliquant
la Bible par la Bible, on arrive à la conclusion que l’on ne doit pas y chercher comment Dieu
créa l’homme, mais qu’il reste un large champ libre à la science pour nous enseigner à ce
sujet.
Nous avons vu ensuite que, loin d’avoir affaire à des mythes ou des légendes, ces récits,
quoique présentés d’une manière simple, accessible aux hommes de bonne volonté de tout
temps, ont une grande valeur historique. En ce qui concerne le début de l’humanité
proprement dite, il y a une concordance parfaite entre les données de l’Ecriture et celles des
sciences95.
95
Il semble que l’on pense en général, même les théologiens de l’école critique plus ou moins modérée,
qu’il est impossible de faire accorder les renseignements fournis par la Bible au sujet du commencement de
l’humanité avec les données scientifiques. Cette opinion résulte du fait que l’on pense que l’Ecriture nous donne
deux récits de la création, l’un au premier chapitre, l’autre au deuxième chapitre de la Genèse. Comme le texte
indique qu’Adam fut créé 4000 à 5000 ans avant Jésus-Christ — et qu’il est impossible d’interpréter le document
de manière à lui faire dire qu’il s’agit en réalité de centaines de milliers d’années — il y a une contradiction
flagrante avec le fait que des êtres « humains » existèrent depuis le commencement de l’époque paléolithique.
La conclusion du R. P. Bvzv S. C. J. dans Mélanges Podechard (Lyon 1945, p. 26) est que le
« concordisme » est définitivement éliminé, et que des vérités révélées nous « sont proposées sous les agréables
apparences d’un genre littéraire oriental ».
M. J. CHAINE, professeur aux Facultés catholiques de Lyon, écrit dans son ouvrage Le Livre de la
Genèse (1948, p. 99) : « Puisque dans les chapitres 4 et 5 de la Genèse. Il n’y a ni réalité dans les noms, ni
géographie, ni chronologie exactes, que reste-t-il comme histoire? Il reste quelques souvenirs...».
A la page 90, note 2, nous nous sommes déjà référés aux opinions du professeur E. Brunner au sujet de
l’histoire d’Adam.
Cependant ces théologiens prétendent accepter la notion de l’inspiration divine. On dit alors que la
science et la foi s’accordent, à condition de les bien distinguer et de ne demander à chacune que ce qui relève de
sa compétence; que les données de la Bible ne se présentent pas sous la forme précise d’un document de science
ou d’histoire au sens où nous l’entendons aujourd’hui, mais plutôt sous la forme de récits qui portent la marque
des conceptions sémitiques. Tout cela est très vrai, mais de telles considérations ne résolvent pas le cas présent.
Nous avons en Gen. 5 une généalogie bien définie qui indique clairement qu’Adam fut créé 4000 à 5000 ans
avant Jésus-Christ. Dans un tel cas on est donc obligé de se demander s’il y a accord avec les données de la
science. S’il n’y a pas concordance, il faut ou bien reconnaître franchement que le principe de l’inspiration
divine est insoutenable, ou bien nier l’exactitude des données de la science.
Tout le monde sait que, dans de nombreux pays, il existe de très anciennes traditions
parlant d’un déluge, c’est-à-dire d’une catastrophe dépassant infiniment en envergure les
inondations habituelles. Il est facile de voir qu’il s’agit de légendes, donc de récits défigurés
se basant sur un fait historique. Mais quand on examine ces narrations, on est frappé par le fait
qu’elles ont, en commun avec le récit biblique, des points très caractéristiques.
Ainsi la tradition mexicaine mentionne la construction d’un énorme bateau, et dit que
des oiseaux furent lâchés. Un colibri retourna, portant dans son bec une branche de verdure.
Les Hindous parlent de sept personnes sauvées du déluge par Vaiva-Saorenta. Il y avait
donc en tout huit personnes comme dans le récit biblique.
Le Noé chinois, Yao, est le dixième « roi » depuis la création. Cette information
correspond bien avec les indications d’une tablette en argile (Weld-Bundell 62) trouvée près
d’Ur dans le sud de la Mésopotamie, et avec celles de l’Ecriture.
On n’attacha d’abord pas beaucoup d’importance aux noms de ces dix rois ayant régné
de la création au déluge, mais plus tard on trouva dans d’autres documents qu’un de ces rois,
Enmenduranna, était un personnage historique. Dans la généalogie de la Bible, c’est Hénoch
qui correspond à Enmenduranna.
Un autre trait commun est la longueur de la vie des rois qui ont régné avant le déluge.
Certaines indications semblent extravagantes, mais peuvent résulter du fait que les indications
numériques primitives ont été mal interprétées. Selon la Bible, la durée de vie des patriarches
se chiffrait par centaines d’années, comme indiqué dans l’Appendice 4.
Notons encore que d’après les anciennes traditions, l’écriture était connue avant le
déluge et l’on cite parfois Hénoch comme son inventeur. Cette indication accueillie longtemps
avec beaucoup de scepticisme, semble maintenant se confirmer par les découvertes
archéologiques.
Le récit babylonien du déluge est contenu dans l’épopée de Guilgamès que l’on a
trouvée sur douze tablettes en argile de la bibliothèque d’Assurbanipal. Indiquons quelques
points saillants de cette narration.
Ce récit fait partie de la littérature suméro-akkadienne. Les fouilles ont montré qu’après
le retrait des eaux du Golfe Persique, une civilisation sumérienne florissante s’était établie
dans le sud de la Mésopotamie. Mais un autre peuple, les Akkadiens, venant probablement de
la Haute-Syrie, s’y installa et adopta la civilisation locale. La langue akkadienne fut encore
utilisée pour l’usage courant.
On remarque que la longueur du bateau est exactement la même dans le récit biblique
que dans celui de Guilgamès. Mais les rapports entre les trois dimensions de l’arche de Noé
sont bien plus normaux et se rapprochent de ceux d’un navire moderne, comme le Lusitania.
La ressemblance entre le récit babylonien et celui de la Bible est frappante et l’on est
d’accord pour reconnaître que les deux doivent avoir eu comme point de départ un même fait
historique.
Il existe cependant entre ces deux narrations des différences considérables. L’épopée de
Guilgamès est de caractère fantastique et polythéiste, tandis que le récit de la Bible est simple,
moral et monothéiste. Le premier est nettement légendaire, le second, qui donne des détails
numériques et circonstanciés, laisse une impression plus scientifique et historique.
On sait que le Tigre et l’Euphrate ont des crues assez fréquentes, dues à la fonte des
neiges des montagnes d’Arménie et qui commencent souvent vers le mois de mars, pour se
terminer vers le mois de septembre. Des montées très violentes se produisent alors, l’eau
arrache des blocs des montagnes et les cours d’eaux sont souvent déplacés après le retrait des
eaux. Mais ces inondations étaient acceptées comme des phénomènes normaux. L’épopée de
Guilgamès se réfère à un événement tout à fait extraordinaire, attribué à une intervention
divine. Ce déluge a dû avoir des proportions inusitées, couvrant une énorme étendue et ayant
fortement impressionné les habitants qui survécurent. On comprend alors que les récits
déformés de ce cataclysme se soient propagés au loin et aient donné lieu à diverses traditions.
Mais, si ce déluge est un fait historique, on devait s’attendre à en trouver des traces. On
se rappelle que, dans le passé, les géologues ont été amenés à appeler « Diluvium » des
couches terrestres contenant des restes d’animaux et d’autres traces d’un événement
catastrophique ayant touché une grande partie du monde. Mais les connaissances actuelles ne
permettent plus de maintenir que ces traces furent laissées par le déluge. Car tous ces restes
Au fur et à mesure que les archéologues purent dater avec assez de précision les
couches examinées en Mésopotamie, et attribuer les traces de culture aux temps des
différentes dynasties, indiquées sur les tablettes ou sur les monuments, ils commencèrent à
parler de civilisations anté et post-diluviennes. Ainsi, la poterie du type Jemdet-Nasr96 fut
attribuée au temps de la première dynastie de Kish, et comme celle-ci régnait, d’après les
listes des rois sumériens, après le déluge, on supposa que cette céramique était post-
diluvienne.
La ville d’Ur se trouvait sur une île à ce moment et, étant encombrée par places de
détritus jetés par les habitants, il est assez naturel que, lors du déluge, des courants d’eau,
causés par les irrégularités du terrain, aient formé des dépôts, tantôt d’argile, tantôt de sable.
On avait ici une confirmation éclatante des suppositions antérieures et les preuves d’une
inondation exceptionnelle.
Le professeur Langdon trouva un peu plus tard des couches d’argile à Kish, mais la plus
épaisse n’avait que 0,5 m. et devait être d’une date plus récente. Elle couvrait des poteries du
type Jemdet-Nasr.
A Ninive une épaisse couche stérile sépare deux civilisations, comme montré sur notre
Tableau III et indique donc que le pays ne fut pas habité pendant une assez longue période. Le
dépôt d’argile d’Ur et la couche stérile de Ninive sont de la même époque 97. Notre tableau
96
Voir notre Tableau III.
97
Le Dr Stekelis a trouvé à Sha’ar en Palestine (dans le triangle formé par le Yarmouk, le Jourdain et le
lac de Tibériade) une couche de terre noire ne contenant aucun objet d’intérêt archéologique et située entre une
couche contenant les traces d’une civilisation néolithique et une autre couche datant du début de la période du
bronze. Le lac de Tibériade se trouve environ 200 m. au-dessous du niveau de la mer, A noter que cette contrée
A quelle époque cette catastrophe s’est-elle produite? En ce qui concerne la Bible, nous
rappelons qu’il faut dater le déluge vers 2350 à 3230 ans avant Jésus-Christ. Quant aux
archéologues, ils ont quelque peu varié leurs estimations, mais au fur et à mesure que les
résultats des fouilles furent plus nombreux et permirent de faire des comparaisons et des
recoupements, on arriva à des chiffres qui ne pouvaient plus s’écarter beaucoup de la vérité.
Ces estimations s’étendent de 4000 à 3000 ans avant Jésus-Christ. Comme les deux sources
d’information, la Bible et l’archéologie, donnent un nombre du même ordre de grandeur, la
concordance est aussi parfaite qu’on peut la désirer, vu l’incertitude de part et d’autre de
quelques centaines d’années.
D’après ce que nous avons vu ci-dessus, les résultats des fouilles semblent indiquer que
le déluge a couvert, grosso modo, la Mésopotamie, c’est-à-dire les régions parcourues par
l’Euphrate et le Tigre. Au nord l’inondation a pu s’arrêter aux montagnes d’Arménie et à l’est
à celles d’Iran.
Quant à la Bible, une lecture superficielle donne l’impression que le déluge a couvert
toute la terre. Cette interprétation fut assez courante anciennement, quand il ne semblait pas y
avoir de raison très importante pour penser autrement. Mais une connaissance plus précise des
réalités physiques a obligé les exégètes à reconsidérer les textes originaux et à examiner si la
notion d’universalité du déluge ne résulte pas du fait que le narrateur du récit regarde les
phénomènes d’une manière très subjective. En effet, on ne s’était pas assez rendu compte
dans le passé que les auteurs de la Bible, même quand ils écrivent sous la poussée de l’Esprit
de Dieu, se servent toujours, en ce qui concerne les phénomènes physiques, d’un langage
subjectif, c’est-à-dire qu’ils parlent des faits d’après leur propre point de vue. Dans le chapitre
XII nous avons insisté sur la nécessité d’un tel langage afin que tout homme de bonne
volonté, vivant à n’importe quelle époque, pût comprendre le texte.
En lisant ces écrits, il est donc nécessaire de bien tenir compte de cette particularité et il
est clair que l’interprétation dépendra du degré de connaissance des questions physiques que
les exégètes auront acquis. L’exemple classique en cette matière est celui des mouvements
relatifs du soleil et de la terre. Anciennement on comprenait que la Bible enseignait que la
terre était immobile, mais quand les connaissances cosmologiques furent plus parfaites, on se
rendit compte que la Bible utilise les expressions subjectives courantes. Personne ne prend
plus l’expression : « le soleil se lève » comme enseignant une vérité objective.
faisait partie plus tard du royaume de Basan, dont Og, le dernier des Rephaïm, était le roi (Deut. 3. 11; Jos. 12. 4,
5).Il ne faut pas s’étonner de ce que des traces de ce déluge n’aient pas été trouvées en beaucoup d’autres
endroits, car les dépôts d’argile et de sable dépendent beaucoup de la configuration du terrain. A Ur même, le
dépôt d’argile est loin d’être uniforme, et manque même complètement en certains emplacements!
En rapport avec la différence apparente entre les époques des dépôts d’Ur et de Suse, nous rappelons que
les céramiques de type plus ou moins semblable (Comme celle de la couche II d’Ur et de la couche I de Suse) ne
sont pas nécessairement de la même époque.
En procédant à un tel examen, nous ne devons pas oublier que les traductions se
ressentent des conceptions personnelles de leur auteur et de l’interprétation habituellement
acceptée à l’époque où la traduction se fait. Quels que soient donc les mérites d’une certaine
version, il est souvent nécessaire de se référer au texte original pour trouver le sens exact d’un
passage.
Dans le cas présent, le lecteur des versions usuelles peut avoir l’impression que le
déluge était universel, parce que le mot terre, qui est souvent employé, peut être compris dans
le sens de globe terrestre. Il est donc utile de préciser la signification des mots hébreux
traduits par « terre », c’est-à-dire adamah et erez. Pour saisir leur signification, il suffit de lire
un certain nombre de passages qui les contiennent.
On trouve adamah par exemple en Gen. 2. 9 et 3. 23. Le sens littéral est sans aucun
doute « sol », comme Darby l’indique du reste dans ses notes.
Quant à erez, la même méthode nous montre que ce mot peut désigner toute la terre,
mais peut aussi n’en indiquer qu’une petite partie. Cela est si évident que les traducteurs ont
été obligés de traduire ce mot par « pays » en Gen. 2. 11, 12, 13 etc.
Dans les autres passages de ces deux chapitres, on trouve le mot erez. Nous pouvons
toujours comprendre qu’il s’agit du « pays » où ces événements particuliers se sont déroulés.
Mais peut-être pense-t-on trouver l’idée d’universalité dans l’expression suivante:
Or, l’expression « sous le ciel» précise la position dans le sens vertical, mais ne dit rien
de l’étendue. II s’agit de tous les animaux vivant sur le sol.
Le seul texte qui pourrait nous faire hésiter est Gen. 7. 19 « Toutes les hautes montagnes
qui sont sous le ciel furent couvertes. »
Les autres passages de la Bible, qui parlent du déluge, ne nous imposent pas non plus
l’idée d’universalité. Nous mentionnons particulièrement Luc 17.27-29, car ce texte est
parfois cité pour appuyer la thèse de l’universalité « Les hommes mangeaient, buvaient, se
mariaient et mariaient leurs enfants, jusqu’au jour où Noé entra dans l’arche; le déluge vint,
les fit tous périr. »
On déduit parfois de ce texte que tous les hommes, existant à ce moment, ont péri. Or,
l’expression « les hommes » n’indique pas nécessairement tous les hommes. Il peut s’agir des
hommes d’un certain pays. En effet, nous trouvons exactement les mêmes expressions « les
hommes » et « les fit tous périr» dans les versets suivants, qui se rapportent à un événement
très limité en envergure:
«Ce qui arriva du temps de Lot arrivera pareillement. Les hommes mangeaient,
buvaient, achetaient, vendaient, plantaient, bâtissaient; mais le jour où Lot sortit de Sodome,
une pluie de feu et de soufre tomba du ciel, et les fit tous périr. »
98
Il est bon de noter que les montagnes mentionnées en Gen. 7. 19, 20 ne sont pas les mêmes que celles
de Gen. 8. 4 où l’arche s’arrêta. Le bateau avait, en effet, suivi pendant ces nombreux mois, un trajet d’environ
300 km. allant du sud de la Mésopotamie vers les montagnes d’Arménie. Les montagnes de Gen. 7. 19, 20. c’est-
à-dire celles du pays d’Ur, étaient relativement basses et pouvaient être couvertes aisément.
Il résulte de tout ceci que dans aucun cas l’Ecriture ne nous dit que les eaux du déluge
ont couvert tout le globe terrestre. Il nous reste à montrer que le récit même nous prouve qu’il
a un caractère subjectif, donc que le narrateur raconte les événements comme il les voit se
passer, sans penser à des pays lointains.
Noé lâcha un corbeau et une colombe « pour voir si les eaux avaient diminué à la
surface de la terre » Gen. 8. 6-12.
Et quand la colombe revint, il en conclut qu’il « y avait des eaux à la surface de toute la
terre ».
Or, nous savons très bien que le pigeon n’aurait pas pu explorer toute la surface du
globe. Si Noé tire, d’un voyage relativement court, la conclusion qu’il y avait encore des eaux
à la surface de toute la terre, cela indique évidemment que par « toute la terre » il entend le
pays environnant que le pigeon avait pu explorer.
De même, quand Noé envoie l’oiseau la deuxième fois et quand celui-ci revient le soir
avec une feuille d’olivier, Noé en déduit que « les eaux avaient diminué sur la terre ».
Dans ce cas encore nous ne pouvons pas supposer que Noé voulait entendre par là que
l’information donnée par la colombe concernait aussi l’Europe, l’Amérique et l’Asie.
Pour terminer ce long examen, remarquons encore que l’usage de l’expression « car il y
avait des eaux à la surface de toute la terre » en Gen. 8. 9 démontre qu’il ne s’agit pas de toute
la surface du globe, puisque d’après le verset 5, les sommets des montagnes n’étaient plus
couverts d’eau depuis au moins quarante jours.
Quand on interprète donc l’Ecriture par l’Ecriture, il n’y a aucun doute que le déluge n’a
pas été une catastrophe universelle.
Voyons maintenant à quelles difficultés on est conduit quand on accepte partout un sens
objectif, universel :
1. Noé aurait dû connaître, savoir localiser, capturer et transporter un couple de tous les
animaux existant sur toute la surface terrestre, donc aussi ceux d’Amérique, d’Australie et des
autres contrées que nous ne connaissons que depuis relativement peu de temps ou qui sont
encore inexplorées aujourd’hui. N’oublions pas que l’on connaît plus de 500 000 espèces
d’insectes et quelque 2 000 000 d’espèces d’animaux, répandus partout, dont un grand
nombre ne se trouve que dans des régions très limitées et qui ne peuvent vivre que dans des
conditions très spéciales. Il aurait fallu une armée d’explorateurs et une flotte considérable,
opérant pendant de très nombreuses années, pour arriver à bout d’une telle tache.
2. Tous ces animaux auraient dû être transportés et casés dans des conditions qui leur
convenaient et être nourris d’une manière spéciale pendant ce transport et leur séjour de dix
mois dans l’arche. Noé aurait dû avoir des centaines d’aides pour les soigner.
3. Les dimensions du bateau auraient été insuffisantes pour les loger convenablement.
4. Il aurait fallu une masse d’eau considérable pour couvrir toute la terre jusqu’aux
sommets des plus hautes montagnes (près de 9000 m. d’altitude). D’où serait-elle venue et
comment serait-elle partie?
A. La Bible ne nous oblige pas à croire à un déluge universel, mais suggère elle-même
que ce récit est de caractère subjectif.
B. Si nous voulons maintenir que toute la surface du globe fut couverte d’eau et que des
couples de toutes les espèces animales furent introduits dans l’arche, nous nous heurtons à des
difficultés insurmontables.
C. On ne retrouve pas de traces d’un déluge universel à la date indiquée par la Bible,
mais bien d’une inondation catastrophique dont les Babyloniens ont parlé et dont l’histoire
déformée est passée aussi chez d’autres peuples. Pour un cataclysme affectant presque toute la
terre, il faudrait remonter au moins aux époques glaciaires et si l’on prétend qu’il correspond
au déluge, il faut aussi rejeter l’inspiration plénière de la chronologie biblique99.
Il ne faut jamais sacrifier les Ecritures aux théories ou raisonnements humains, mais il
ne faut pas non plus sacrifier la raison et les faits d’observation pour soutenir une
interprétation que la Bible ne nous impose pas et qui, elle-même, n’est qu’une théorie
humaine. La bonne interprétation laisse l’inspiration intacte et évite tout conflit avec les faits.
99
Dans l’Appendice 6 nous montrerons, en outre, qu’au point de vue de l’existence des races humaines, la
notion d’un déluge universel causerait aussi des difficultés insurmontables.
Dans cette magnifique capitale, centre d’un grand empire servant le « dieu » Mardouk,
se trouvaient le temple Esagila et la tour pyramidale (ziqqurat) nommée Etemenanka, c’est-à-
dire: « la maison du fondement du ciel et de la terre ». La ville fut détruite complètement par
Sennachérib en 689 et reconstruite, sur un plan plus grandiose encore par Nabu-Kudur-
Utsur II (Nebucadnetsar) une cinquantaine d’années plus tard. Elle occupait alors une
superficie d’environ 13 km et fut donc la plus grande ville du monde de ce temps.
En ce qui concerne la tour, ou ziqqurat, de cette ville, nous avons comme sources
principales de renseignements les écrits d’Hérodote (Ve siècle avant Jésus-Christ), qui visita
le monument, les fouilles de Koldewey de 1913 et la tablette « Esagila ».
Cette tour, dont il ne reste actuellement que fort peu de chose, consistait en un noyau de
briques d’argile séchées au soleil et d’un revêtement en briques cuites. Elle avait une base
carrée d’environ 91 m. de côté et une hauteur de même dimension. Les 7 ou 8 étages allaient
en diminuant de surface, donnant à l’ensemble l’aspect d’une pyramide à degrés. Il existait
probablement une rampe extérieure (comme à la ziqqurat d’Ur) facilitant l’accès aux étages.
Au sommet se trouvait un petit temple où le dieu local Mardouk était censé se manifester. Les
archéologues supposent que la tour, qui date du temps de Nebucadnetsar, était bâtie sur les
restes de l’ancienne ziqqurat.
L’histoire et les données des fouilles sont donc d’accord à témoigner que la « tour de
Babel » dont parle la Bible n’est pas un mythe. Les indications de Gen. 11. 3, 4: « Allons!
Faisons des briques, et cuisons-les au feu. Et la brique leur servit de pierre, et le bitume leur
servit de ciment. Ils dirent encore: Allons! Bâtissons-nous une ville et une tour dont le
sommet touche au ciel... » sont d’une exactitude impressionnante. On a trouvé des restes de
ziqqurat à Birs-Nimrud, Eridu, Uruk, Ur, Larsa, Tell Brak, etc., datant du quatrième
millénaire et d’après le déluge. Chaque ville avait sa tour, qui ne faisait pas nécessairement
partie du temple.
L’expression « dont le sommet touche au ciel » est à comprendre, soit comme une
hyperbole, c’est-à-dire une exagération évidente, soit à cause du temple, placé au sommet, où
devait se manifester le dieu. On a pensé que le peuple dont parle Gen. 11. 2, venant de
l’orient, d’un pays montagneux où il avait l’habitude d’adorer ses dieux sur un « haut-lieu » et
arrivant dans la plaine du pays de Shinar (Mésopotamie), y a construit une montagne
artificielle servant de « haut-lieu ».
Gen. 10. 10 nous informe que c’est Nimrod, arrière-petit-fils de Noé, qui régna d’abord
sur Babel et c’est donc probablement lui qui a construit la tour primitive. Or le nom
« Nimrod » signifie « rebellons ». Plus tard on disait de Nimrod qu’il fut « un vaillant
chasseur devant l’Eternel » (Gen. 10. 9), mais il faut noter que le mot « chasseur » peut
indiquer le chef actif d’un groupe d’hommes attaquant les populations voisines, et que le mot
hébreu traduit par « devant » peut signifier qu’il s’opposait à l’Eternel. Voyons, en effet, le
témoignage des anciens à ce sujet.
Gen. 11. 4 confirme que Babel et sa tour furent construites pour former un centre de
ralliement pour ces peuplades et pour éviter leur dispersion. Cette action était en opposition
avec la volonté divine et l’Eternel intervint de manière à les désunir. Leur rébellion envers le
vrai Dieu se révèle aussi par ce que nous avons montré ci-dessus au sujet de leur idolâtrie. Le
nom de Babylone peut signifier: « la porte des dieux ».
Il est évident que l’expression « toute la terre » en Gen. 11. 1 ne doit pas être interprétée
dans un sens universel. Il s’agit d’un groupe de Noachides, dont parlait le chapitre précédent,
qui venait probablement du plateau iranien et s’était rendu en Mésopotamie. Parmi eux se
trouvaient les fils d’Héber (Gen. 10. 21), nom qui signifie « ceux de l’autre côté (du fleuve) ».
Ce fut apparemment du temps de Péleg (nom dérivant du verbe « diviser »), qui était de la
cinquième génération depuis Noé que ce groupe fut dispersé (Gen. 10. 25).
Faut-il entendre par là que les habitants de Babel cessèrent brusquement de comprendre
une langue unique et commencèrent à en parler d’autres? Ceci paraît assez invraisemblable et,
même en parlant des langues différentes, ils auraient encore pu se comprendre. Pourquoi
fallait-il leur donner différentes langues pour les amener à cesser leur rébellion et à se
disperser ? N’y a-t-il pas une interprétation qui rend le tout plus compréhensible et plus
logique, sans prendre la moindre liberté avec le texte inspiré ?
Nous croyons, en effet, que tout s’éclaircit quand on tient compte de la signification
exacte des mots qui se trouvent dans le texte original. Nous montrons dans l’Appendice 9
100
Antiquités, Chap. IV, 2.
101
Un Targum est une version libre, plus ou moins paraphrasée. Ceux de Jonathan et de Jérusalem sont
écrits en araméen.
On voit que l’on obtient ainsi un ensemble harmonieux, des faits qui s’enchaînent
logiquement et qui n’offrent aucune difficulté. Or, nous n’avons pas sollicité le texte pour
arriver à ce résultat, au contraire, nous avons pris les mots de l’original aussi littéralement que
possible102.
102
On a exprimé l’idée que les faits qui se sont produits à la Pentecôte, parmi les disciples du Christ, sont
l’inverse de ce qui s’est produit à Babylone. Ce serait un argument de plus en faveur de notre point de vue. A
Babylone il y avait plusieurs langues, mais les hommes se comprenaient, car ils avaient la même pensée, jusqu’à
ce que Dieu fit cesser cet état de choses. A la Pentecôte il y eut de nouveau une seule pensée, malgré les
différentes langues, et ils se comprenaient. Dans les deux cas, il y a donc plusieurs langues. La différence entre
les deux cas, c’est que la pensée des Noachides s’opposait à la volonté divine, et celle des chrétiens s’y
accordait. La critique destructive, s’appuyant sur le fait qu’une confusion de langues ne cause pas
nécessairement une dispersion, a pensé devoir conclure que Gen. 11 est composé de deux traditions distinctes,
mélangées par un rédacteur inconnu. On remarque une fois de plus sur quelles bases fragiles ou erronées cette
critique s’appuie. Voir à ce sujet la critique de la thèse Gunkel-Lods p. 29 à 31 de Ziggurats et Tour de Babel par
A. Parrot (1949).
Tâchons maintenant de considérer les choses d’une manière plus objective. Que fallait-il
à Josué pour atteindre l’ennemi? De préférence quelque chose qui faciliterait la tâche de notre
héros, mais non celle des poursuivis. Une prolongation de la journée ne lui aurait pas donné
103
La durée d’une journée dépend de la rotation de la terre autour de son axe. Pour que le jour Soit plus
long, cette vitesse de rotation doit être plus petite. Le rayon de la terre à l’équateur est de l’ordre de 6000 km. et
la vitesse d’un point à l’équateur est donc de 1500 km. par heure, c’est-à-dire plus grande que celle de la plupart
des avions. D’autre part, la masse de la terre est de 6 000 000 000 000 000 000 000 de tonnes. Toute cette masse
n’a pas la vitesse d’un point de l’équateur, mais on peut se rendre compte qu’un changement appréciable de la
vitesse aurait des conséquences catastrophiques. Il y aurait, de plus, des répercussions graves sur tout le système
solaire. Un changement dans l’inclinaison de l’axe terrestre n’expliquerait pas une prolongation de 12 heures
environ dans la durée de la journée, et serait aussi très peu probable. Dans son livre sensationnel Worlds in
Collision I. VELIKOVSKY insiste sur l’historicité d’une longue journée due à un cataclysme produit par une
comète. Mais nous ne pouvons pas prendre ce livre très au sérieux.
Du reste, la Bible ne dit pas positivement que Dieu arrêta le soleil, mais qu’Il
« combattait pour Israël », ce qui indique plutôt une action intérieure chez les combattants, car
arrêter le soleil n’est pas combattre.
Nous ajouterons encore que les astronomes ont confirmé que les détails relatifs à la
position des astres, qui sont donnés dans ce récit, sont en accord avec ce qui a pu se passer
historiquement et qu’il est rare de ne pas trouver d’erreurs dans les récits humains qui donnent
de tels détails, Ils disent que l’on a l’impression que le récit a été rédigé fidèlement par un
témoin de l’action104.
104
Voir The Astronomy of the Bible, par MAUNDER.
Il n’est pas étonnant que même des croyants se soient demandé si l’on doit croire ce
récit à la lettre, s’il ne s’agit pas ici d’un passage poétique et symbolique, comme le seraient
les autres récits du livre de Daniel.
A notre avis on peut très bien attacher un sens symbolique à ces récits, mais on aurait
tort de croire qu’ils ne sont pas historiques et ne doivent donc pas être acceptés littéralement.
Un matérialiste pourrait alors nous reprocher d’être irrationnel, car, dirait-il, vous admettez
que le feu brûle et vous admettez d’autre part comme vrai un récit où le feu ne brûle pas.
D’autres pourraient surtout être gênés par la particularité que même des habits n’auraient pas
brûlé. Evidemment, nous ne pouvons pas comprendre comment un homme puisse séjourner
dans une telle fournaise sans être atteint; nous ne pouvons pas l’expliquer à l’aide de nos
connaissances scientifiques actuelles. Mais que savons-nous du monde physique et de
l’influence de l’esprit sur ce monde ? Notre science est connaissance partielle et superficielle.
II est commode de nous représenter la chaleur comme étant due à des vibrations qui se
communiquent aux corpuscules des corps chauffés. Habituellement il se produit un effet
chimique (p. ex. une oxydation, c’est-à-dire une combustion) et un effet physique (p. ex. une
fusion ou une évaporation) et il en résulte pour les corps organiques une transformation
incompatible avec la vie. Mais un tel effet ne peut-il pas être empêché ou modifié? Supposons
que, par une action de l’esprit, on puisse changer la longueur d’onde des vibrations
calorifiques, il en résulterait par exemple des ondes hertziennes qui traverseraient la matière
sans lui faire de mal. Ne connaissant pas tout, nous ne pouvons, en tout cas, pas dire que le
feu doit nécessairement brûler toujours. Tout ce que l’on peut dire, c’est que cela ne
concorderait pas avec nos connaissances partielles et provisoires et qu’il faudrait avoir de
bonnes raisons pour l’admettre.
On nous objectera que cette histoire de Daniel est bien vieille et qu’il est impossible
d’en vérifier la véracité, qu’il y a donc plus d’arguments pour la rejeter que pour l’accepter.
Nous serions d’accord, si ce récit se trouvait dans un livre humain, mais si nous avons de
bonnes raisons pour croire que la Bible est un Livre à part, inspiré par Dieu, la situation
change.
Cependant on insistera encore et l’on dira que, même inspiré, ce récit est tellement
invraisemblable qu’il est préférable de le considérer comme un simple poème, sans prétention
à la réalité. Il en serait autrement, ajoutera-t-on, si vous pouviez nous citer un cas de ce genre
qui se serait passé de nos jours.
Nous concluons de tout ceci que nous avons de bonnes raisons pour accepter le récit de
Daniel à la lettre. Ajoutons encore deux remarques. Un homme qui nie systématiquement ce
qui dépasse sa connaissance et sa raison humaine, est aussi naïf et crédule que celui qui
accepte n’importe quoi sans critique sévère. Un crédule peut accepter un fait extraordinaire à
cause de son ignorance, mais un savant peut accepter ce même fait parce qu’il se rend compte
des limites de sa connaissance.
105
Voir Les Hommes Salamandres par O. LEROY, 1931.
1. En Es. 20. 1 nous lisons que Sargon, roi d’Assyrie vint assiéger Asdod. Or ce roi était
inconnu de l’histoire. La critique en concluait qu’il n’avait jamais existé et que la Bible faisait
erreur. Cependant les fouilles montrèrent plus tard qu’il avait vraiment existé et qu’il était fils
de Shalmaneser et père de Sennachérib.
2. D’après l’histoire, Nabonide fut le dernier roi de Babylone et ne se trouva pas dans la
ville quand elle fut prise par Cyrus. Mais ceci ne s’accorde pas avec le récit de Daniel, qui dit
que Belschatsar fut le dernier roi (Dan. 5. 1) et qu’il fut tué dans la ville (Dan. 5. 30). En 1854
Sir H. C. Rawlinson découvrit des inscriptions donnant l’explication Belschatsar était le fils
de Nabonide et régnait avec lui pendant que ce dernier était hors de Babylone pour combattre
Cyrus. Ceci explique aussi pourquoi Daniel obtint, non pas la deuxième, mais la troisième
place dans le gouvernement (Dan. 5. 29).
3. Les savants étaient persuadés que Luc était mal informé quand il appela Sergius
Paulus « proconsul » (Act. 13. 7), car Chypre était une province impériale qui devait être
gouvernée par un « propraetor ». Et cependant, ici encore, l’exactitude des Ecritures fut
confirmée, car le titre de proconsul a été trouvé sur une pièce de monnaie de la province de
Chypre datant de 52 ans après Jésus- Christ et, sur une pierre découverte à Soli, en Chypre, se
trouve le nom de Paulus avec son titre de proconsul.
Des critiques tels que Meyer, Stade et Gressmann nièrent l’existence des Amorites.
D’autres ne croyaient pas aux Hittites. Les anciennes inscriptions, mises à jour, montrèrent au
contraire que ces peuples ont existé et ont même joué un très grand rôle dans l’histoire
ancienne, ainsi que la Bible l’affirme.
Après avoir reconnu l’existence des Hittites, on nia l’exactitude de l’Ecriture qui les
retrouve au sud de la Palestine. Les dessins de Karnak montrèrent que, parmi les habitants
d’Ashkelon, certains portaient des tresses de cheveux caractéristiques de ce peuple. On trouva
aussi des anneaux d’argent hittites à Bethpelet.
L’existence de Melchisedec fut niée. L’édit de Cyrus ne pouvait pas être écrit de la
manière dont Esdras l’indique. Sargon ne pouvait pas avoir envoyé Tartan contre Ashod (Es.
20). Nebucadnetsar ne pouvait pas avoir envoyé ses armées en Egypte, comme raconté par
Jérémie et Ezéchiel. On pourrait continuer cette énumération d’objections, qui toujours
s’avérèrent comme étant dues à l’ignorance des critiques.
Nous rappellerons encore que les tablettes découvertes à Ras Shamra ont définitivement
établi que l’écriture alphabétique existait en Palestine longtemps avant Moïse et que celui-ci a
donc bien pu écrire les premiers livres de la Bible, contrairement aux affirmations
imprudentes de la critique. On doit même reconnaître que ce Livre est parfaitement véridique
et de grande valeur historique, et que les récits ont dû être écrits sur place par des témoins.
Nous n’insisterons pas plus longtemps sur les résultats des fouilles. Il faut consulter les
livres qui ont été spécialement préparés à ce sujet. C’est un fait indéniable que les milliers de
données, importantes ou de détail, ont toujours confirmé l’exactitude absolue des Ecritures106.
Nous avons ici un phénomène sans précédent, et dont on ne saurait surestimer l’importance.
On ne le retrouve dans aucun document d’origine purement humaine. Il n’est pas étonnant que
les archéologues aient maintenant une très grande confiance dans les données bibliques et se
laissent guider par elles dans leurs recherches. Il n’est pas surprenant non plus que la critique
elle-même ait été impressionnée par les résultats des fouilles.
106
Voir à ce sujet W. F. ALBRIGHT dans From the Stone Age to Christianity, p. 43, 47, 179, 194 et 208.
M. A. PARROT, dans son article sur les tablettes de Mari dans la Rev. d’Hist. et de Phil. religieuses,
No 1, 1950, pense que l’école qui se réclame de Wellhausen est contrainte par l’archéologie de rectifier
quelques-unes de ses positions. Il ajoute : « Or voici que les documents de Mari ressuscitent la période
patriarcale et que les archives cunéiformes et les récits bibliques, loin de se contredire ou de s’opposer,
s’accordent en des points très précis ».
Comment le prophète sait-il ce qu’il doit dire? Nomb. 12. 6 nous indique un des moyens
employés: « Lorsqu’il y aura parmi vous un prophète, c’est dans une vision que moi,
l’Eternel, je me révélerai à lui, c’est dans un songe que je lui parlerai. »
Le mot prophète a souvent été pris dans un sens plus étroit: un homme qui prédit, sans
doute parce que les prophéties (dans le sens large) contiennent souvent des prédictions. Quand
Dieu inspirait des hommes comme Osée, Esaïe, Jérémie, Daniel, Ezéchiel, c’était souvent
pour attirer l’attention du peuple d’Israël sur des événements futurs et sur les conséquences de
son attitude. La critique destructive, surtout au moment de son apogée, n’a pas épargné les
prophètes. Kuenen et Wellhausen nièrent toute prédiction et essayèrent d’expliquer tout d’une
manière naturelle. Cependant, eux aussi, furent obligés de reconnaître, par exemple, le « fait
merveilleux » de la mer Rouge et la « catastrophe inexpliquée » qui délivra Jérusalem des
mains de Sennachérib, comme l’avait prédit Esaïe (Es. 37. 26-36). Ils n’essayèrent pas de nier
qu’Amos avait prédit la chute et la déportation d’Israël en un temps où rien ne pouvait le faire
prévoir, et n’eurent aucune explication à offrir pour une quantité d’autres prédictions qui ont
été accomplies.
A présent que la critique, vaincue par les faits, est devenue plus modeste, on reconnaît
plus facilement l’existence de la prédiction dans les prophéties et l’on admet l’impuissance du
rationalisme étroit à expliquer l’histoire humaine.
Parfois on a prétendu que les prophètes d’Israël n’avaient rien de particulier, puisqu’on
trouve partout des prophètes, sur tout parmi les anciens peuples. Or, il ne fallait pas attendre
les résultats des fouilles pour connaître leur existence. La Bible en parle souvent, mais elle dit
que ce sont de faux prophètes, donc des hommes qui ne parlent pas à la place de Dieu. La
Bible nous met donc continuellement en garde contre de tels prophètes et contre l’occultisme
en général. Ces faux prophètes sont démasqués tôt ou tard par le fait que les événements
démentent, ne fût-ce qu’en quelque détail, l’exactitude de leurs prédictions 107. Souvent ils
agissent dans un but égoïste, pour acquérir un gain ou de la puissance. Leurs paroles sont, en
partie au moins, en contradiction avec ce que Dieu révèle et désire.
107
‘Deut. 18. 21, 22. Ceci n’est arrivé pour aucun prophète de Dieu.
Il est, du reste, clair que les prophètes ne sont pas le produit d’une lente évolution
spirituelle du peuple d’Israël. Ils viennent malgré toutes les corruptions de ce peuple, oui, à
cause d’elles, c’est-à-dire pour y remédier. Leur enseignement n’est pas seulement meilleur,
mais est complètement différent, et cela à tel point que, sans exception, ils sont persécutés par
leur propre peuple et hésitent parfois à parler.
Une des caractéristiques des prophètes de Dieu est que leurs déclarations ne sont pas
isolées, mais qu’elles font partie d’une unité prophétique qui a elle-même sa place dans la
plus grande unité formée par les enseignements de la Bible. Tous les prophètes sont des
collaborateurs pour l’exécution d’un plan unique: la rédemption du monde.
108
Voir par exemple La Divination et La Magie par G. CONTENAU.
109
Voir p. ex. G. C. Joyce dans Peake’s Commentary, p. 249, un livre «classique » de critique moderne
modérée. Voir aussi A. WESTPHAL dans son article « Prophète » du Dict, enc. de la Bible.
Les avertissements prophétiques adressés à Israël et qui ont déjà été accomplis, sont
également très nombreux. Lev. 26 et Deut. 28 donnent une liste des calamités qui toucheraient
les Juifs s’ils restaient désobéissants. Leur dispersion, les persécutions auxquelles ils seraient
soumis et cependant leur maintien en existence, ont été prédits. Jér. 25. 11, 12 prévoit les
septante ans de captivité. Daniel prédit la date exacte de la venue du Messie (9. 25, 26) et
l’avènement des empires médo-perse, grec, et romain (Dan. 7).
Les prophéties relatives à Ninive (Soph. 2. 13-15), à Babylone (Es. 13), à l’Egypte
(Ez. 29), et à beaucoup d’autres cités (Zach. 9) ont été accomplies littéralement.
Un exemple particulièrement frappant est celui de Tyr 110. Quand on lit la prophétie
d’Ez. 26. 3-14, on peut se rendre compte que tous les détails ont été fidèlement accomplis.
Nebucadnetsar marcha sur Tyr, l’assiégea, mais il lui fallut treize ans avant qu’elle ne tombât.
Les habitants riches avaient emmené leurs trésors vers une île située à environ un kilomètre en
mer. Ainsi Nebucadnetsar ne trouva pas les richesses dont il avait compté s’emparer. Dans sa
rage, il détruisit la ville complètement et passa tous les habitants par les armes. Après son
départ, on n’essaya pas de reconstruire la ville; elle fut laissée en ruines. Seule, l’île demeura
habitée et prospéra. Ainsi la première partie de la prophétie fut accomplie: « Les nations..
.détruiront les murs de Tyr, elles abattront ses tours... Il tuera ton peuple...»
De même Sidon fut détruite (Ez. 28. 20-23), mais seulement en partie et, d’accord avec
la prophétie, continua à exister. Inutile de parler des destructions de Jérusalem et du Temple.
La Pales tine entière restera dans un état de désolation jusqu’au moment de la restauration du
peuple d’Israël dans son pays, restauration que nous voyons commencer et qui sera sans doute
complète dans peu de temps.
Evidemment la critique a dit que souvent la prophétie fut écrite après l’événement. Mais
nous connaissons le sort de ces théories. Et, même en ne tenant pas compte des cas discutés, il
reste de très nombreux cas où la prédiction précédait certainement l’accomplissement. A part
ce qui est relatif à Jésus-Christ, il y a les cas d’Amos 5. 27; Mich. 3. 12; 4. 10; Jér. 25. 11, 12;
Es. 6. 11-13; 39. 5-7; les prédictions de Daniel relatives aux septante semaines d’années et
aux quatre empires; celles concernant diverses nations et villes; la dispersion, la persécution et
la préservation d’Israël; la destruction de Jérusalem, etc.
On a souvent fait remarquer que les prophètes voyaient l’avenir sans tenir compte de
certains intervalles qui pouvaient séparer diverses phases de l’accomplissement et que toute
prophétie se rapporte au peuple d’Israël, parce que ce peuple est choisi par Dieu pour
l’exécution de son plan de rédemption. Les autres peuples ne sont mentionnés que d’une
manière accessoire, en rapport avec Israël. Quand ce peuple est banni de son pays, comme au
temps de la déportation vers Babylone, il y a pour ainsi dire une interruption dans l’histoire.
Les années ne sont pas comptées par la chronologie biblique pendant de pareilles périodes111.
Ainsi dans la prophétie de Daniel relative aux septante semaines d’années, il y a un intervalle
entre les soixante-neuf premières semaines (conduisant à la mort du Messie et la destruction
de Jérusalem) et la septantième année qui doit commencer après le rétablissement du peuple
d’Israël en Palestine. Une telle interruption se trouve encore dans l’accomplissement partiel
de nombreuses prophéties, dont la partie finale doit encore se réaliser. Un exemple typique est
celui d’Es. 61. 1-3 dont le Seigneur Jésus-Christ cite le commencement en Luc 4. 16-21 et
s’arrête au milieu du verset 2 :
« Pour publier une année de grêce du Seigneur...»
En effet, le reste:
« ... et un jour de vengeance de notre Dieu »
fait partie de ce qui doit encore se réaliser, conformément à beaucoup d’autres
prophéties, comme celles de Mat. 24 et de l’Apocalypse.
Ce principe d’une interruption dans la manière dont Dieu administre le monde quand
Israël cesse d’être le peuple élu, donc dans la manière « normale », selon laquelle le plan de
Dieu se déroule, est d’une très grande importance pour la compréhension exacte de la Bible.
Car nous nous trouvons actuellement dans une de ces périodes d’interruption, et c’est pour
cela que notre « administration » (ou « dispensation ») présente un caractère qui diffère tant
des périodes pendant lesquelles Israël reste le peuple élu. Cela nous explique pourquoi Dieu
semble se taire maintenant, pourquoi les miracles publics et impressionnants des temps
apostoliques ont cessé et pourquoi il existe plusieurs autres différences notoires sur lesquelles
nous n’insistons pas ici112.
111
Ceci donne la solution de plusieurs difficultés chronologiques.
112
Voir aussi notre ouvrage Le Plan divin.
D’une manière générale, pour une interprétation aussi exacte que possible des
prophéties, il faut tenir compte de tous les enseignements de la Bible et non pas considérer un
texte isolé d’un point de vue particulier.
Enfin, n’oublions pas que la tache des prophètes n’était pas uniquement de prédire, mais
de parler pour Dieu, de rappeler à Israël ses devoirs et ses privilèges et d’avertir ce peuple des
suites d’une rébellion irrationnelle contre Dieu. Les prophètes insistèrent avant tout sur une
vie en accord avec la vocation divine et sur l’in suffisance de la seule observance des formes
extérieures de la religion. Même si les prophéties ne nous concernent pas directement, c’est-à-
dire ne sont pas adressées à nous, elles peuvent être très utiles pour notre enseignement.
Si l’on voulait objecter que la métapsychique nous démontre que les « prémonitions »,
donc la prévision de choses futures, ne sont pas rares chez les voyants ou les « métagnomes »,
et que la prophétie n’est donc nullement un signe d’inspiration divine, nous pouvons répondre
comme suit:
Nous concluons donc que le fait de fournir certaines prémonitions exactes ne veut pas
dire qu’il y ait inspiration divine réelle, mais que l’inspiration des Ecritures est prouvée par
l’infaillibilité et le caractère spécial de leurs prophéties.
b. Tout en faisant usage d’un langage humain compréhensible par tous, la Bible est
exempte d’erreurs et de contradictions. La critique a contribué à démontrer la véracité de ce
Livre en le mettant à l’épreuve. En s’appuyant sur de fausses théories on a pu croire un
moment que la Bible pouvait être classée parmi les documents purement humains. Mais les
faits se sont chargés d’anéantir ces théories. L’archéologie, en particulier, montre
journellement l’absolue véracité de tous les détails historiques. Comment ne pas être
impressionné par une telle vérification, qui montre en même temps la futilité des théories
humaines ?
En relation avec ce qui précède, citons le passage suivant de L. Gaussen:
« Examinez toutes les fausses théologies des anciens et des modernes; lisez, dans Homère ou dans
Hésiode, les codes religieux des Grecs; étudiez ceux des Bouddhistes, ceux des Brahmines, ceux des
Mahométans: vous n’y trouverez pas seulement des systèmes repoussants sur la Divinité; mais vous y
rencontrerez, sur le monde matériel, les erreurs les plus grossières. Leur théologie vous révoltera, sans
doute; mais aussi leur philosophie naturelle et leur astronomie, toujours liées è leur religion, supposeront
les notions les plus absurdes.
Lisez, dans le Schaster, dans le Pouran, dans les quatre livres du Vedham ou de la loi des Hindous,
leur choquante cosmogonie. La lune est à 50 000 lieues plus haut que le soleil; elle brille par elle-même,
elle anime notre corps. La nuit se forme par la descente du soleil derrière la montagne Someyra, située au
milieu de la terre et haute de plusieurs milliers de lieues. Notre terre est plate et triangulaire, composée de
sept étages qui ont chacun son degré de beauté, ses habitants et sa mer. La première est de miel, l’autre de
sucre, l’autre de beurre, l’autre de vin et enfin toute la masse est portée sur les têtes d’innombrables
éléphants qui, en se secouant, causent ici-bas les tremblements de terre. — En un mot, ils ont mis toute
l’histoire de leurs dieux dans les rapports les plus fantastiques à la fois, et les plus nécessaires avec le
monde physique et tous les phénomènes de l’univers...
Lisez encore les philosophes de l’antiquité grecque et romaine, Aristote, Sénèque, Pline,
Plutarque, Cicéron. Que de sentences n’y trouverez-vous pas, dont une seule suffirait pour compromettre
toutes nos doctrines de l’inspiration, si elle se pouvait rencontrer dans un livre quelconque de la Sainte
Ecriture ?
Lisez le Coran de Mahomet, faisant créer les montagnes « pour empêcher la terre de se mouvoir, et
pour la faire tenir comme par des ancres et des cordages ».
Que dis-je? Lisez même la cosmogonie de Buffon, ou quelques-unes des ironies de Voltaire sur la
doctrine du déluge, ou sur les animaux fossiles d’un monde primitif. Nous irons bien plus loin. Lisez
encore, nous ne disons pas les absurdes raisonnements des païens, de Lucrèce, de Pline ou de Plutarque,
contre la théorie des antipodes, mais les Pères mêmes de l’Eglise chrétienne...113»
113
Théopneustie, ou Pleine inspiration des Saintes Ecritures par L. GAUSSEN, 1840, p. 161.
d. Il y a de très nombreux cas où la Bible donne sans aucune erreur des informations,
inconnues de l’homme, concernant le passé (par exemple les âges géologiques et le
commencement de l’humanité), le présent et l’avenir. Elle exprime des pensées aux quelles la
philosophie n’est arrivée qu’assez tardivement et donne la solution des antinomies que
rencontre notre raison obscurcie.
e. Ce livre a exercé une influence énorme sur l’humanité, dans le sens du bien. Non
seulement au point de vue spirituel et moral, mais au point de vue de la littérature, des arts et
des sciences. C’est la Bible qui a émancipé une partie de l’humanité, qui a inspiré l’élite
pendant de nombreux siècles, qui a été le réconfort moral de milliards d’hommes.
Sa diffusion a pris des proportions énormes, aussi bien au point de vue du nombre
d’exemplaires imprimés, qu’au point de vue des centaines de langues et d’idiomes dans
lesquels elle a été traduite.
Si l’humanité dans son ensemble est cependant restée dans le mal, c’est parce que les
hommes se sont le plus souvent détournés des enseignements qui ne s’imposent pas aux
consciences.
Ce qui précède se rapporte surtout à des signes « extérieurs », qui peuvent être reconnus
par notre intelligence discursive et qui suffisent amplement pour nous donner une certitude
pratique d’avoir affaire à une Révélation divine. Mais il y a, en outre, le contenu spirituel de
la Bible, qui peut parler directement à notre conscience. Celui qui aime vraiment la Vérité, la
reconnaîtra par communion de son esprit avec l’Esprit de Dieu. En contact avec l’absolu, nous
pouvons avoir la certitude absolue que nous avons en mains la Parole de Dieu écrite,
expression véridique de tout ce qui se rapporte à la Parole vivante.
115
Voir la Companion Bible de Bullinger et les ouvrages de Ch. H. Welch.
L’esprit de l’homme. L’homme se distingue de l’animal par son esprit qui lui permet de
penser, d’avoir des intuitions et de raisonner.
Cet esprit fait de lui une « personne », ayant donc une certaine liberté, c’est-à-dire
pouvant résister dans une certaine mesure à des influences qui ne proviennent pas de lui-
même. Son esprit lui permet de connaître la création et même Dieu116.
Les notions sensitives d’espace et de temps ne peuvent pas s’appliquer au domaine de
l’esprit.
Espace. Ainsi, l’esprit de l’homme ne peut pas être localisé, par exemple, dans son
corps ou son cerveau. Il n’y a pas de séparation spatiale entre esprits. On est présent en esprit
près de la personne sur laquelle on fixe son attention. La présence est une communion
spirituelle117.
Temps. L’esprit n’est pas dominé par le temps. La mémoire intellective nous permet
d’être présent dans le passé. Un homme non soumis aux conséquences de la chute, ayant un
esprit intact jouissant de sa pleine puissance, pourrait être présent dans l’avenir, c’est-à-dire
avoir une perception spirituelle de faits qui se produiront dans l’avenir. Les prophètes furent
mis dans cet état par l’Esprit de Dieu118.
Nous pouvons avoir une communion spirituelle très réelle avec une expérience
spirituelle d’une autre personne, expérience qui s’est peut-être manifestée physiquement dans
le passé.
Parole symbolique. Ces mots sont des symboles rudimentaires qui servent à traduire sa
pensée. Quand une autre personne aura appris plus ou moins la signification de ces symboles,
elle pourra comprendre cette parole écrite. Les ondes lumineuses, agissant sur son système
visuel, se traduiront en influx nerveux atteignant les neurones cérébraux, et les sensations
ainsi produites pourront être interprétées par son esprit.
Compréhension par raison. Supposons d’abord qu’il s’agisse d’un sujet bien connu,
sans contenu affectif, accessible à la raison « raisonnante», par exemple les mathématiques. Il
n’existe aucun élément affectif ni entre les deux personnes, ni de la part de l’auditeur pour le
contenu de la parole. Il suffit alors de symboles auditifs ou visuels pour que la raison de
l’auditeur ou du lecteur remonte à l’idée de l’auteur.
Compréhension par croyance. Mais s’il s’agit d’un sujet qui ne peut pas être saisi par la
raison ni connu par la perception, mais qui doit être accepté par une croyance, que l’auteur
désire faire comprendre dans l’intérêt de celui qui écoute et dans lequel l’affection intervient,
les choses alors se compliquent. L’auteur aime l’auditeur, lui veut du bien. L’auditeur a une
certaine confiance dans l’auteur. Nous pouvons supposer que, de ce fait, il existe entre eux
une certaine communion spirituelle qui permet à l’auditeur d’interpréter correctement la
parole parlée et de croire ce qu’elle exprime.
Autorité et liberté. Il est important de se rendre compte que dans le cas où une vérité
peut être saisie par la raison, elle s’impose à nous d’une manière autoritaire. Et nous sommes
obligés de l’accepter, sous peine de ne pas être raisonnables. Mais une vérité qui est
nécessairement objet de croyance, parce qu’elle ne peut pas être perçue, ne s’impose pas.
Nous sommes libres de l’accepter ou non. Ou plut6t, nous ne comprendrons cette vérité que
dans la mesure où nous serons librement disposés à l’accepter. Une des caractéristiques de la
croyance (et de la foi) c’est la liberté.
Les conceptions que nous venons d’esquisser nous sont four nies par l’expérience
humaine et par la réflexion. Elles nous montrent la différence entre la parole en tant qu’acte
intellectif et la parole écrite. Cette dernière n’est qu’un symbole, mais un symbole nécessaire.
Pour saisir correctement et en détail le contenu de la pensée, ce symbole doit du reste être un
symbole parfait.
119
On parle alors de « transmission de pensée », quoique dans le domaine de l’esprit il n’y a pas de
transmission proprement dite, mais une communion. Voir La Science, la Raison et la Foi, p. 75 et App. 3.
La révélation en Jésus-Christ. Dieu, dans son essence, est inconnaissable. Mais ce Dieu
d’amour s’est révélé à nous en Jésus- Christ. C’est la Parole de Dieu par excellence, par la
médiation de laquelle Dieu désire nous amener au salut, c’est-à-dire à une pleine communion
spirituelle, une identification à Lui-même.
L’homme « naturel ». En effet, par la chute, l’homme tel qu’il naît, n’est pas en
communion avec Dieu, ce qui implique qu’il ne saurait connaître les choses de l’Esprit de
Dieu (Jean 3. 3; 1 Cor. 2. 14). Mais l’homme est encore supérieur à l’animal, car il a toujours
son esprit. Il a encore un reste de raison qui peut lui permettre de connaître des choses non
spirituelles. Cependant cette connaissance n’est pas directe, mais doit être acquise par
l’intermédiaire des sens. De la création, seules les choses qui affectent ses sens (au besoin «
prolongés » par des instruments) lui sont accessibles. C’est par des symboles sensitifs que son
esprit pourra s’efforcer d’obtenir une connaissance (nécessairement assez superficielle) du
monde120.
L’homme régénéré, l’enfant de Dieu. Mais s’il ne résiste pas à la grâce divine et se
« tourne » vers (épi) ce Dieu vivant (Act. 14. 15), l’Esprit pourra le régénérer, établir une
première communion permanente entre l’Esprit de Dieu et son esprit. Il était « mort »,
maintenant il naît de nouveau (ou « d’en haut »). Mais il n’est qu’un enfant de Dieu, un petit
enfant (nèpios, non pas huios).
Cette naissance spirituelle étant obtenue, Dieu ne pourra-t-Il pas se faire comprendre
d’une manière plus explicite que par le symbole de la création? Mais comment? Quoique
régénéré, l’homme a encore besoin de symboles accessibles à ses sens. Normalement, il ne
sait pas comprendre Dieu directement.
Les Prophètes. La Bible nous indique la solution de ce problème. Dieu a placé certains
hommes dans un état tel qu’ils pouvaient recevoir directement la Parole de Dieu. Dieu pouvait
se révéler leur esprit. Ce sont les Prophètes et les Apôtres, ceux que Dieu a élus pour parler à
sa place et d’une manière accessible à l’homme, Dieu est ainsi l’auteur primaire, eux les
auteurs secondaires. Les Ecritures nous apprennent que Dieu parle par ou à travers ces
120
Voir La Science, la Raison et la Foi, chap. VII.
121
Car si l’homme naturel ne peut pas avoir la conception d’un tel Dieu, l’Apôtre ne pouvait pas dire que
cet homme est inexcusable s’il ne le glorifie pas comme Dieu.
122
‘Voir aussi La Voie du Salut, chap. IX.
Paul accomplit la Parole. Par les révélations spéciales que l’apôtre Paul a reçues, nous
apprenons comment l’enfant de Dieu peut devenir fils (huios), être justifié. Et Paul accomplit
la Parole écrite (Col. 1. 25) en faisant connaître le grand secret, caché de tout temps en Dieu.
Par cette révélation complète, couvrant toute la voie du salut, la foi peut atteindre de pius en
plus non seulement Dieu en tant que Créateur, mais aussi en tant que Sauveur (Le Seigneur
Jésus-Christ) et en tant que Christ-Jésus glorifié124. La communion spirituelle avec Dieu, en
Jésus-Christ, pourra ainsi devenir de plus en plus complète.
Nous avons donc maintenant dans la Bible, la révélation totale, la Parole de Dieu écrite
complète.
L’autorité de la Parole. Que résulte-t-il de tout ceci ? Que la Bible forme une unité qui
doit être prise dans son ensemble et qui doit s’interpréter elle-même. Que l’on ne peut pas la
juger par la raison humaine, par la science, la philosophie ou la tradition ecclésiastique. Que
toutes nos idées et conceptions devront être continuellement retouchées en nous référant à
cette Parole, en la prenant comme norme. Cette Parole écrite représente ce qui a été révélé une
fois pour toutes aux Prophètes et aux Apôtres, à travers lesquels Dieu nous parle. Elle doit
être notre seule autorité absolue si nous voulons être raisonnables et ne pas résister à Dieu.
Le symbole. Mais cependant ce document écrit n’est qu’un symbole, qui par lui-même
est impuissant. C’est une expression symbolique, dans notre langage, de la Parole vivante, et
seule celle-ci est puissante. Ce n’est pas le document que nous devons adorer comme une
idole. La Parole écrite n’est qu’un objet.
Comme le dit K. Barth, on n’a pas la Parole de Dieu en saisissant la Bible, mais en se
laissant saisir par elle, et nous ne connaissons la Parole de Dieu que dans la mesure où nous
connaissons la puissance de Dieu. C’est Dieu qui doit nous donner la capacité de connaître sa
Parole par l’action du Saint-Esprit.
La lettre médiatrice. Mais ceci étant bien compris, il reste que Dieu ne parle pas
directement à notre esprit, nous ne sommes pas inspirés par Lui comme les prophètes. Il se
sert de la lettre comme médiatrice è cause de la faiblesse de notre esprit. Cette lettre est
absolument nécessaire pour que nous puissions comprendre en détail tout ce que Dieu désire
nous faire connaître pour notre salut et pour sa gloire.
Quand 2 Tim. 3. 14-17 parle de « toute Ecriture inspirée », il s’agit bien des « saintes
lettres » du verset 15125. Ce passage ne dit pas que ce sont les auteurs qui sont inspirés, mais
123
Voir p. ex. Mat. 1. 22 et 2. 5, en notant que la préposition dia est utilisée au génitif et veut donc dire « à
travers » ou « par l’intermédiaire » .
124
Voir La Voie du Salut et l’appendice 1 du présent ouvrage.
125
Ceci est admis par K. Barth, p. 559 de sa Dogmatique Eccl. I-2. ii écrit : „alle, die ganze Schrift, ist —
wörtlich : « gottesgeistlich» d.h. von Gottes Geist eingegeben. erfüllt, beherrsch“. Paul ne parle évidemment que
de l’A. T. Pour le N. T., voir le chap. I.
Chaque mot, chaque lettre du texte original a sa valeur, et une étude scientifique faite
avec tout le respect dû à la Parole écrite, confirme cette assertion à tout instant. On trouve
dans la Bible une précision frappante du choix des mots, que l’on ne retrouve plus dans les
versions127. Comme dans la création, plus on observe les détails et plus on découvre cette
perfection, contrairement à ce qui a lieu pour les oeuvres humaines.
L’interprétation. Est-ce à dire qu’il faut aussi une interprétation strictement littérale ?
Evidemment non, puisque les auteurs secondaires sont des hommes qui se sont exprimés dans
un langage humain de manière è pouvoir être compris aussi bien par leurs contemporains que
par tous les hommes de tous les temps. On y trouve des figures de rhétorique, des allégories et
des paraboles, des expressions subjectives et inadéquates parce que le langage humain ne peut
pas exprimer parfaitement des vérités qui nous dépassent trop128.
Légendes ? Ici se pose une question importante: ces hommes inspirés ne pouvaient-ils
pas faire usage de pensées, de légendes, de mythes même, qui, quoique n’exprimant pas la
vérité ou ne concernant pas un fait historique, pouvaient néanmoins servir à nous faire
comprendre une vérité ? Ainsi, les passages relatifs à la « création » des six jours et à
l’histoire d’Adam ne sont-ils pas du domaine de la légende ou du mythe, quoique porteurs
d’une vérité profonde ?
Influence de la sagesse humaine. Même les théologiens qui acceptent l’Ecriture comme
norme ont subi l’influence d’idées « rationalistes » et « pseudo-scientifiques ». Ils sont ainsi
amenés, en se basant sur la science humaine, à juger que tel récit de la Bible doit être légende
ou mythe. Ils ne sont plus conséquents avec eux- mêmes, car en principe ils désirent écarter
toute norme extérieure au texte biblique et en pratique ils ont recours à une norme humaine129.
Interprétation littérale. C’est un des objets de notre ouvrage présent de montrer que
l’acceptation littérale peut être poussée beaucoup plus loin que l’on ne le croit généralement,
et cela non pas en venant en conflit avec des données sûres de la science ou des arguments de
valeur de la raison, mais justement en faisant usage de telles données.
126
Nous ne pouvons donc pas accepter la distinction que fait K. Barth entre « Verbalinspiration » et
«Verbalinspiriertheit » dans sa Dogm. Eccl. I-2 p. 575. Il admet l’inspiration verbale dans le sens que ce sont les
témoins bibliques qui sont «verbalinspiriert », mais il nie que Paul veut dire que l’Ecriture même soit inspirée
verbalement, en se référant à 2 Cor. 3 et 1 Cor. 2 (contraste entre la « lettre » et « l’esprit »). Or, la « lettre » de 2
Cor. 3. 6 n’indique évidemment pas les mots de 1’Ecriture, mais la lettre inscrite sur des tables de pierre (v. 3)
c’est-à-dire la Loi. Paul oppose l’Ancienne Alliance de la Loi à la Nouvelle Alliance de grâce (v. 6) et non pas la
lettre de l’Ecriture à son «esprit ».
127
Nous en avons donné un exemple dans les Appendices 1, 2 et 4 de notre ouvrage Les Enseignements
de l’Apôtre Paul et p. 55 de notre ouvrage La Voie du Salut.
128
Voir le chap. XII.
129
K. Barth n’admet pas de mythes, mais bien des légendes, donc des récits qui ne sont pas vraiment
historiques. Voir Dogm. Eccl. I-l, p. 345 à 347 et I-2, p. 564. Aussi Grundfragen, p. 27, 28. O. Cullmann voit
dans l’histoire de la création, telle que la Bible nous la présente, un mythe : « Les auteurs des premiers écrits
chrétiens sont dépourvus du sens historique ». Il pense que la Bible nous offre une représentation de l’univers, et
que celle-ci est périmée. Il dit que « nous distinguons entre l’histoire et le mythe ». Voir p. 66 de Christ et le
temps. Nous avons essayé de montrer au chap. XIII que la Bible ne nous offre pas de représentation de l’univers.
Une norme qui rend exactement la vérité. — L’action de l’Esprit. Si l’Ecriture est notre
norme, toutes ses données doivent être exactes. Si cette expression écrite de la révélation
contenait des erreurs132 il nous serait impossible de remonter à la Parole de Dieu même. Car
l’action de l’Esprit qui est indispensable pour nous faire comprendre la lettre, ne corrige pas
ces erreurs. Cette action divine en nous est globale et consiste à éclairer notre intelligence, à
nous rendre capables de comprendre correctement ce qui est écrit. Il est vrai que le texte qui
nous est parvenu présente certains défauts. Mais ceux-ci sont de moindre importance et
peuvent être réparés par le reste du texte même. La Parole de Dieu a pris une forme humaine
pour notre salut. Ceci s’applique aussi bien à notre Seigneur qu’à la Parole écrite.
La forme de serviteur. Le Fils de Dieu est devenu semblable aux hommes, Il a pris la
forme de serviteur. Mais le chrétien croit qu’Il était cependant sans péché. Selon ce parallèle,
la Parole de Dieu se présente à nous sous forme écrite et doit cependant ne contenir aucune
erreur ni contradiction.
Si les auteurs secondaires ont reproduit certaines conceptions humaines qui ne peuvent
pas être prises à la lettre, la Parole elle-même nous permet de nous en rendre compte133.
Certains auteurs se sont servis de cette notion de forme de serviteur de l’Ecriture pour
conclure à sa possibilité d’imperfection parce qu’humaine, laissant ainsi un certain champ
libre à la critique. S’ils ne savent pas admettre ni comprendre qu’une Ecriture produite par des
hommes puisse être sans défaut, pourquoi admettent-ils que Jésus était sans péché? Pour
l’homme «naturel » c’est un scandale, mais pour le chrétien ?
Un oracle, un objet. Mais on croit avoir une bonne raison pour rejeter l’inspiration
plénière du texte. Nous serions ainsi placés devant un « oracle », un ensemble de textes qui
s’imposeraient à nous d’une manière autoritaire134. Or, on dit avec raison que le caractère de la
foi exige une certaine liberté, On ne veut donc pas d’un « Pape en papier » (Lessing). L’école
130
P. 41 de La condition du philosophe chrétien, par R. MEHL, Editions Delachaux et Niestlé.
131
P. 70 de Christ et le temps par O. CULLMANN. Editions Delachaux et Niestlé. Il faut noter que ces
premiers chrétiens sont les apôtres.
132
Comme l’admet O. CULLMANN dans Christ et le temps, p. 61, ces premiers chrétiens étaient en droit
d’attendre la fin prochaine de l’âge présent. Ce n’était pas « erreur de perspective » qui s’explique
« psychologiquement ». Mais pour le comprendre il faut faire usage de toutes les données de la Parole écrite. On
peut se rendre compte alors que le temps présent est pour ainsi dire une interruption dans la réalisation du plan
divin, à cause du rejet temporaire du peuple d’Israël en tant que peuple élu. Voir notre ouvrage Le Plan divin.
133
Ainsi la notion du «Sein d’Abraham » présentée dans une parabole.
134
Parmi les auteurs qui ont insisté sur cette question, on se souvient que A. Sabatier occupe une place
prépondérante. Voir Les religions d’autorité et la religion de l’esprit, 1904. Il n’admet aucune autorité
« extérieure » à l’homme, même pas que la raison humaine se subordonne à la Raison divine et s’humilie devant
elle. II proclame l’autonomie de la conscience religieuse.
C’est le symbole qui est un « objet ». — Le symbole compris par l’Esprit. Pour répondre
d’abord à la dernière objection, il suffit de voir que même si le texte ne comporte aucune
erreur réelle, aucune contradiction, aucune légende, il ne constitue qu’un symbole de la Parole
de Dieu en tant qu’acte divin. Ce livre, on peut le saisir. Mais comme ce symbole traduit
surtout des questions spi rituelles, il ne peut pas être interprété, compris, saisi en tant que
Parole active, par quiconque. Il faut que l’Esprit de Dieu agisse dans le lecteur régénéré pour
lui permettre de comprendre la pro fonde signification de ce symbole. Selon une image peut-
être un peu osée, nous pourrions dire que la Parole de Dieu s’est scindée en deux « parties »,
afin de se faire comprendre par des hommes qui ne peuvent pas être atteints directement
d’Esprit à esprit d’une part un symbole qui rend parfaitement la vérité, mais qui est
impuissant; d’autre part une action globale puissante, mais qui elle-même ne fournit aucune
indication de détail, comme elle le faisait anormalement chez les prophètes. Il faut donc
absolument ces deux « parties ê pour obtenir le résultat voulu: un texte qui fournit avec
exactitude et précision tous les détails et une puissance qui nous permet de l’interpréter
correctement. On ne peut sous- estimer ni l’un ni l’autre.
Un livre ésotérique. La Bible est donc en grande partie un document ésotérique. Le sens
profond des choses spirituelles est caché et ne peut être saisi que par une action éclairante et
souveraine du Saint-Esprit.
La vérité ne s’impose pas. — La foi. Si l’on considère ce problème sous cet angle, on
voit également la réponse à l’objection relative à l’autorité du texte. La lettre est une autorité
en tant qu’elle est l’expression symbolique de la Vérité. Mais cette vérité ne s’impose pas
autoritairement, parce que le texte doit être interprété et que nous n’acceptons par la foi que
l’interprétation que nous lui donnons. Ce n’est que si nous sommes librement disposés, sous
la motion de l’Esprit de Dieu, à accepter l’interprétation correcte, que cette interprétation se
présentera à nous. Nous croyons un fait, un enseignement, parce qu’il se trouve dans la Bible,
mais ce fait ou cet enseignement n’est pas nécessairement connu parfaite ment même par
celui qui croit que le texte est pleinement inspiré135.
La liberté. Notre liberté, dans ce cas, consiste dans le fait que nous pouvons résister à
l’action de l’Esprit136, à la grâce divine, qui tend à nous éclairer de manière à bien
comprendre. Et, en outre, nous pouvons être assez déraisonnables pour ne pas accepter la
Vérité, même quand elle se présente vaguement à nous. Le fait de croire à la théopneustie
générale ne s’oppose donc pas à une foi vivante, qui ne peut pas être imposée.
Confusion. On a insisté, avec raison, sur le fait que le caractère de la foi exige la liberté,
mais on a eu tort de voir là un argument décisif contre l’inspiration plénière. Car pour que
l’argument soit valable, il faut supposer que toutes les vérités, que le texte exprime, puissent
être saisies directement par nous, avec tout au plus l’intervention de notre raison. Toutes ces
vérités spirituelles s’imposeraient alors à nous. Comme ceci est inadmissible, on offre alors la
135
Il y a un certain parallèle avec la science physique. Les savants se rendent compte maintenant que la
science s’occupe de la corrélation rationnelle d’observations, plutôt que de la découverte de vérités absolues
concernant le monde extérieur. Voir La Science, la Raison et la Foi, chap. IX.
136
Voir p. ex. Job 21. 14; 24. 13; Actes 7.51; Héb. 10. 26-29; 2 Tim. 3.8. On peut résister au désir
(thelèma) de Dieu, mais pas à une décision ou volonté (boulèma) de Dieu. Voir La Voie du Salut, chap. V.
La solution biblique. Cet ésotérisme de la lettre est enseigné par la Bible elle-même.
Ainsi, par exemple, les paroles si importantes d’Esaïe 6. 9, 10 (citées en deux endroits par
notre Seigneur et une fois par Paul) sont très instructives « Vous entendrez et vous ne
comprendrez point; vous verrez, et vous ne saisirez point. Rends insensible le coeur de ce
peuple, endurcis ses oreilles, et bouche-lui les yeux, pour qu’il ne voie point de ses yeux,
n’entende point de ses oreilles, ne comprenne point de son coeur... »
C’est par le « coeur » qu’il faut comprendre le symbole.
N’est-ce pas, du reste, l’expérience du chrétien qui étudie la Parole écrite? Il aura lu dix
fois un texte sans bien le comprendre, et brusquement le sens lui apparaît.
Et l’apôtre Paul ne prie-t-il pas
«afin que le Dieu de notre Seigneur Jésus-Christ, le Père de gloire, vous donne un esprit
de sagesse et de révélation, dans sa connaissance (epignosei), et qu’il illumine les yeux de
votre coeur, pour que vous sachiez (eidenai)... » Eph. 1. 1 7, 18.
La notion d’espace pas applicable à l’esprit. On s’est révolté contre l’idée d’une
autorité purement « extérieure » et cela avec plus ou moins de raison. Mais c’est la notion d’
« extérieur » qu’il faudrait préciser. Pour l’homme régénéré, Dieu n’est plus « extérieur ». Il y
137
Ce « témoignage intérieur » ne dit rien quant à la vérité de la lettre, mais nous permet de comprendre
ce qui est écrit. Comment faire un effort pour comprendre, si l’on n’a pas avant tout la certitude que le texte
exprime la vérité ?
Pas de mythes ou légendes. Car si l’on parle de mythes et de légendes, c’est que l’on
juge que certains récits de la Bible ne peuvent pas être historiques à cause de certaines
données de la science ou d’une autre norme humaine. Or nous pensons que si l’on tient
compte des données quasi certaines de la science, de faits d’observation, et non de théories
incertaines, ces indications, loin de nous obliger de nier l’historicité, la confirment.
C.Conclusion
Le résultat principal de cette étude est que, si l’on croit è l’existence d’un Dieu
suprapersonnel, on peut arriver aux conclusions suivantes:
138
K. Barth reconnaît que l’exégèse doit être libre de tout préjugé ecclésiastique et scientifique (p. 109
Dogm. Eccl. I-l) et que l’Eglise « dépend d’une autorité extérieure à elle-même, autorité concrète et historique,
qui se présente à elle sous la forme du témoignage des apôtres et des prophètes «. (D’après le Résumé analytique
de la Dogmatique ecclésiastique de Karl Barth. p. 31. Editions Delachaux et Niestlé.) Voir aussi Dogm. Eccl. p.
105, 106. Ce point de vue est accepté aussi par R. MEHL dans La condition du philosophe chrétien, p. 105.
Editions Delachaux et Niestlé.
Ces conclusions résultent d’une étude faite en toute humilité et sous le contrôle de la
raison et de l’amour pour la Vérité. Le lecteur a pu se rendre compte par les quelques
exemples que nous avons donnés, que le texte même de la Bible montre sa véracité quand on
le prend comme il nous est donné. Nous n’avons jamais essayé d’éviter une difficulté en
sollicitant le texte. Pour la résoudre, il suffit habituellement, quand il s’agit d’une question qui
ne dépasse pas notre raison humaine — c’est-à-dire qui ne se rapporte pas aux choses divines
qui nous surpassent — de regarder de près le texte dans son ensemble. La Bible explique la
Bible. Autrement dit, elle forme une unité harmonieuse, qui est également en accord avec tout
ce que nous pouvons connaître à l’aide de nos propres observations. Il est très remarquable
que ce sont justement les vrais progrès de la pensée et les résultats acquis de la science qui, en
nous permettant de mieux interpréter, mettent en relief la valeur de l’Ecriture. Plus on
examine la Bible dans les détails, et plus on remarque cette perfection qui, comme dans le cas
de la création visible, montre qu’elle est œuvre divine.
Pour reconnaître ce caractère divin des Ecritures, il faut avoir le courage de réexaminer,
sans idées préconçues, un grand nombre de questions et d’abandonner certaines conceptions
humaines. Si nous condamnons ce Livre en nous basant sur un principe ou sur une
interprétation erronée qui nous vient soit de l’antiquité, soit d’études religieuses,
philosophiques ou critiques plus récentes, c’est nous-mêmes qui serons la victime de cette
fausse condamnation.
Dans le présent ouvrage, aussi bien que dans la Science, la Raison et la Foi, nous nous
sommes toujours basé sur la raison, parce que tout ce qui est divin est raisonnable. Mais nous
n’avons pas rejeté ce qui dépasse notre raison. Nous n’avons admis qu’un seul sentiment:
l’amour pour la Vérité. Nous sommes ainsi arrivés à la certitude pratique de l’existence d’un
Dieu suprapersonnel et d’une Parole de Dieu écrite, pleinement inspirée. Or, si ce sont là des
réalités, et non pas seulement des mots, quel événement formidable ! Quelle place ce Dieu et
cette Parole ne devront-ils pas prendre désormais dans notre vie ! Ce document, nous devons
alors l’étudier sous la conduite du Saint-Esprit et tâcher de comprendre ainsi les choses
spirituelles que Dieu veut nous faire connaître. Nous pourrons alors entendre et comprendre la
Parole de Dieu elle-même. Quelle transformation de nous-mêmes n ‘en devrait-il pas résulter!
Après que la raison a exploré le terrain et nous a dirigés vers la Vérité, nous pouvons nous
abandonner au sentiment, sans danger d’être entraînés par des rêveries religieuses sans réalité
ou par de fausses conceptions.
On comprend que tant de croyants, surtout dans le passé, aient étudié le texte de la Bible
avec beaucoup d’application et aient essayé de réunir les indications principales sous forme de
dogmes et de doctrines, ou d’une théologie biblique systématique. On a, sans doute, eu
souvent le tort de substituer ce produit du travail humain à la Parole même, de s’imaginer que
l’on était arrivé à la perfection, alors que i’on aurait dû agir comme en matière de science et
continuer à épurer les conceptions humaines en ayant toujours de nouveau recours à la
Révélation. Mais on ne peut pas rejeter en principe toute doctrine ou toute théologie sous
prétexte qu’elle n’est qu’une « lettre » morte. La « lettre » (comme les doctrines qui rendent
Loin de pouvoir mépriser la « lettre », celle-ci est indispensable pour nous enseigner, et
ce n’est qu’après l’avoir approfondie et acceptée par l’action de l’Esprit de Dieu, que nous
pouvons la dépasser par notre expérience personnelle subjective, par une communion
spirituelle avec le divin. Ainsi la « lettre » est le moyen pour arriver à 1’« esprit »139.
On a dit que tout document écrit, toute doctrine, ne peut être qu’un symbole. Mais on ne
doit pas oublier que notre langage, les données de la science, tout ce que nous connaissons, ne
sont aussi que des symboles, car dans notre état actuel nous n’atteignons pas la réalité même,
directement. Et l’on peut ajouter que cette Révélation se distingue de tout autre écrit par le fait
qu’elle constitue un symbole concret et exact de la Vérité, un document dans lequel nous
pouvons avoir pleine confiance, tout en restant raisonnables.
Nous devons donc nous approprier ces données et, par la grâce divine, vivre ces
doctrines. Le Livre n’est plus considéré alors comme un livre, comme une idole, mais devient
vraiment Parole divine.
Nous avons vu quelle importance il faut attacher au choix d’un principe d’interprétation
adéquat. Dès que le croyant, qui aime la Vérité, est convaincu de la valeur du principe
d’interpréter l’Ecriture aussi littéralement que possible, appliquant la méthode
« scientifique », il a devant lui pour ainsi dire une nouvelle Bible, plus facile à comprendre et
qui lui parle avec autorité, mais sans contrainte. Elle devient alors vraiment « utile pour
enseigner, pour convaincre, pour corriger, pour instruire dans la justice, afin que l’homme de
Dieu soit accompli et propre à toute bonne œuvre ».
Quoique le sujet de cette étude soit limité, nous croyons que, à part l’acquisition d’un
principe correct d’étude et d’interprétation, nous pouvons en tirer d’autres bénéfices. Une
partie se rapporte au livre de la Genèse. Or c’est là que se trouve le fondement de tout
139
Voir à ce sujet la note 1, page 24.
140
Une étude, tenant compte de toutes les données des Ecritures, peut nous conduire à obtenir une
connaissance précise du plan divin et de sa réalisation historique, des enseignements s’adressant spécialement à
nous et de la voie personnelle du salut. Nous avons présenté les résultats de telles études dans nos ouvrages : Le
Plan divin, Les Enseignements de l’Apôtre Paul, La Voie du Salut.
Cette étude pourra aussi contribuer à nous rendre d’une manière générale une confiance
dans la Bible, quelque peu ébranlée peut-être par des affirmations d’hommes éminents qui ont
été considérés comme des autorités, du fait de l’absence d’erreurs et de contradictions dans le
texte original, donc de l’inspiration plénière. Nous pourrons apprendre à nous faire une
conviction personnelle par une étude du texte sans négliger aucun détail, aidés par l’action
directe de l’Esprit de Dieu en nous, sans dépendre entièrement des hommes, Nous pourrons
nous habituer ainsi à écouter parler Dieu, par le moyen de sa Parole écrite.
Enfin, nous avons peut-être supprimé certains obstacles aux intellectuels de bonne
volonté qui ont été impressionnés à tort par certaines interprétations traditionnelles erronées.
Croyant que ce Livre est en contradiction avec des faits d’observation et voulant rester
raisonnables, ils ont peut-être rejeté tout le document. Ils peuvent être conduits à reprendre en
mains la Parole écrite, à y trouver la solution de tous nos problèmes, et surtout à ne plus rester
dans une situation anormale : séparés spirituellement de Dieu.
Il est important de bien voir clairement quels rapports existent entre la Bible et notre foi.
Les théologiens qui s’opposent à l’idée de l’inspiration plénière des Ecritures, disent
que c’est une erreur fondamentale de croire une chose simplement parce qu’elle se trouve
dans la Bible. Ils pensent que cette attitude est peut-être très orthodoxe, mais n’est pas
spirituelle. Ils considèrent qu’il est inadmissible et même néfaste de défendre le principe de
l’inspiration plénière pour deux raisons au moins :
1. Parce que — selon eux — il n’y a aucun doute que la Bible contient de vraies erreurs
d’ordre historique et scientifique et que l’on s’expose encore tout le temps à de nouvelles
controverses avec la science.
2. Parce qu’une Bible sans erreurs serait considérée comme une idole et qu’elle
exercerait une autorité inadmissible sur notre esprit. Nous accepterions alors ses
enseignements comme vrais d’une manière mécanique, sans foi personnelle se rapportant au
Seigneur Jésus-Christ qui constitue la vraie révélation divine. La Bible ne serait alors qu’un
recueil de doctrines, donc une « lettre» morte. Nous aurions alors affaire à une religion
d’autorité qui dit ce qu’il faut croire et dont on accepte en bloc l’enseignement, sans passer
par une expérience personnelle.
Nous ne considérerons pas ici le premier point. Nous sommes persuadés que le texte,
bien interprété, n’est en contradiction avec aucune connaissance scientifique certaine. Tout ce
que l’on peut dire, c’est que certaines interprétations du texte ne concordent pas avec les faits
scientifiques et que certaines théories scientifiques, non confirmées par les faits, sont en
contradiction avec le texte. Nous avons donné dans cet ouvrage des exemples qui peuvent
montrer le bien-fondé de notre point de vue à ce sujet.
Pour ce qui concerne la deuxième raison, il est inutile de discuter si l’on ne spécifie pas
clairement de quoi l’on parle. Avant tout, il faut préciser la notion de foi. C’est d’une
différence dans la conception de la foi que résulte en grande partie la division entre les
groupes de croyants, et particulièrement entre le catholicisme et le protestantisme. Nous avons
exposé certaines considérations au sujet de la foi dans notre ouvrage La Voie du Salut et nous
prions le lecteur de s’y référer pour les détails. Nous nous bornons ici à rappeler une solution
qui s’accorde avec les arguments positifs mis en avant par les diverses écoles et qui semble
échapper aux critiques justifiées.
Nous admettons que la foi en général peut être définie comme étant un assentiment de
l’intelligence relatif à une réalité qui échappe à notre perception (2 Cor. 5. 7). Elle est donc
opposée à une connaissance basée sur des sensations. On peut, cependant, restreindre le sens
du mot foi, en ne l’appliquant qu’à une acceptation de la vérité absolue, mais nous n’insistons
pas pour le moment sur ce point.
Cependant, on a dit que la foi chrétienne est aussi fidélité, confiance et amour, et non
pas simplement un assentiment intellectuel. C’est ici qu’il s’agit de bien distinguer.
Certaines choses ne concernent que notre intelligence et n’intéressent pas nos affections.
Ainsi, une vérité mathématique, physique ou historique nous laissera le plus souvent
indifférents. Si une personne, en laquelle nous avons confiance, nous propose de croire
Mais quand il s’agit d’une chose qui nous affecte favorablement, et plus encore d’une
personne qui agit par amour pour nous, notre foi doit être accompagnée d’amour, parce que
l’objet intéresse aussi bien nos facultés d’aimer que nos facultés de penser. La foi même reste
un simple assentiment de notre intelligence, mais cette foi ne reste pas isolée. Il s’y ajoute
nécessairement de l’amour, elle est inséparable de l’amour. Cette foi n’est possible que si
l’amour (donc aussi la fidélité, la confiance, etc.) l’accompagne, car sans cet amour, la foi ne
comporterait que l’assentiment à des faits qui ne nous affectent pas ou qui seraient dénaturés
par d’autres considérations141.
Faisons un pas de plus. L’assentiment de notre intelligence comporte d’autant plus, que
notre connaissance est plus étendue ou plus précise. On ne peut donner son assentiment que
pour ce qui est connu. Ainsi que nous l’avons exposé dans La Voie du Salut, la Bible utilise
différentes prépositions qui indiquent dans quelle mesure l’ « objet » de la foi est connu et
jusqu’où s’étend par conséquent la foi. Ainsi nous lisons de la foi vers (pros dans le texte
grec), sur ou à (epi), jusqu’en (eis), en (en). La foi vers un objet ne comporte que
l’assentiment à une connaissance lointaine et vague de l’objet. La foi à (epi avec l’accusatif)
suppose une connaissance meilleure, parce qu’il y a tendance à se rapprocher de l’objet. La
foi jusqu’en se rapporte à une connaissance beaucoup plus complète et précise : on a atteint
l’objet. La foi en est en relation avec une connaissance qui pénètre l’objet, c’est-à-dire qui est
aussi complète que possible.
D’autre part, quand la foi se rapporte à Dieu, Il peut être considéré sous divers aspects,
par exemple comme Créateur, comme Rédempteur ou comme Christ-Jésus glorifié. De là
résulte que la foi relative à Dieu comporte un grand nombre de distinctions dont nous ne
retiendrons que quelques-unes dans ce qui suit. Si l’on ne précise pas dans les discussions de
quelle foi il est parlé, on n’arrive pas à s’entendre.
La foi à Dieu, en tant que Créateur, est un assentiment intellectuel qui peut nous laisser
indifférents, car il s’agit alors d’un Dieu encore lointain, connu seulement par la nature.
L’examen du monde physique devrait conduire à cette foi, car tout ce qui nous entoure
constitue une révélation de la puissance et de la gloire de Dieu, et si nous voulons être
raisonnables, nous devons donner notre assentiment à ce fait. Tout homme, sain d’esprit, est
capable, sans action spéciale de Dieu, d’arriver à cette foi. Mais Dieu s’est révélé d’une
manière plus intime, comme un Dieu qui veut aider sa créature, qui veut la sauver. Il lui a
donné la «loi », c’est-à-dire ce qui s’accorde avec sa volonté, ce qui est juste et bon. Le
fondement de cette loi est l’amour. Le Dieu créateur, lointain, doit devenir pour nous un Dieu
proche, que nous aimons. Mais comment l’homme séparé spirituellement de Dieu,
naturellement égocentrique, donc en quelque sorte ennemi de Dieu, pourra-t-il de lui-même
aimer Dieu, qui prétend être le Centre de tout et constituer une Autorité absolue? C’est
impossible, Aussi Dieu ne demande-t-Il de l’homme que ce qu’il peut faire, c’est-à-dire rien
141
Supposons que l’on dise à A que B l’a sauvé au péril de sa vie et par pur amour pour lui. Si A croit
réellement cela, il doit aussi aimer B. S’il n’est pas disposé à l’aimer, il ne croira pas non plus exactement ce qui
lui est proposé. Il ne croira qu’une partie ou il déformera ce qui lui a été dit. Il supposera par exemple que B a
fait cela dans un but intéressé ou par une certaine nécessité, donc pas par pur amour. Ou encore, que lui, A,
n’avait pas en réalité besoin de l’aide de B.
Nous n’avons fait que toucher cette question en tant qu’elle peut nous faire mieux
comprendre la relation entre la Bible et notre foi. Nous ajoutons seulement, pour préciser
encore un autre aspect de la foi, que l’amour nous unit à la personne aimée, nous met en
communion avec elle. Quand nous avons la foi en Christ Jésus, celle-ci est accompagnée d’un
amour qui réalise une communion spirituelle avec Lui. Cette communion se rapporte à sa
mort : on meurt en esprit avec Lui au péché et l’on est, par conséquent, justifié. La
justification ne résulte pas simplement de ce que le Christ est mort pour nous, mais du fait que
nous avons, en esprit, réellement part à sa mort, donc que nous subissons nous-mêmes la
peine du péché. La foi seule justifie, parce que la foi dont il s’agit ici n’est pas seule, mais est
accompagnée d’amour et conduit ainsi à une communion réelle avec le Sauveur. Ce ne sont
pas les œuvres qui justifient, mais les œuvres accompagnent la foi qui justifie. Ce n’est pas
par la foi même que nous sommes justifiés, ou à cause de la foi (grec « dia » avec l’accusatif),
mais par le moyen de la foi («dia » avec le génitif), parce que cette foi nous conduit à avoir
part au châtiment.
Revenons maintenant à la Bible. Chacune des indications qu’elle nous donne, prise
séparément, peut former un objet pour la foi, c’est-à-dire chaque connaissance partielle peut
obtenir notre assentiment. Les indications purement historiques et physiques ne nous affectent
pas. D’autres au contraire peuvent entraîner notre amour. Notre foi sera accompagnée
d’amour ou ne le sera pas suivant le cas. Plus il s’agit d’une question spirituelle qui nous
touche personnelle ment et plus notre amour sera mis en cause, et plus aussi on pourra parler
d’une communion spirituelle et d’un témoignage du Saint-Esprit, car nous ne saisirons
pleinement la signification de la « lettre » que par l’Esprit agissant sur notre esprit. On pourra
dire que Dieu même nous parle et se révèle à nous. Mais Il ne le fait qu’à travers la lettre qui
nous donne les éléments nécessaires pour comprendre ce que Dieu désire nous communiquer.
Sans cette lettre, la foi ne peut exister. De plus, pour que notre connaissance soit exacte et que
notre foi se rapporte à la pleine réalité, il faut que cette « lettre » rende exactement la vérité.
La Bible est l’expression d’une révélation qui, sous une forme accessible aux facultés
humaines éclairées par l’Esprit, par des « doctrines » bien définies comprises par l’action
divine en nous, nous fait connaître Dieu. Toute indication, même celle qui, à première vue,
peut sembler insignifiante quand elle est considérée isolément, contribue à nous faire mieux
connaître Dieu, qui se révèle en son Fils. Si nous éliminons certaines parties de la Bible, notre
Comme tout se tient dans la Bible, le doute relatif à un passage entraînera le doute à un
autre passage, l’objet sera donc très mal connu et la foi ne pourra être que très vague. Dieu
peut, malgré tout, nous parler, mais cette parole sera entendue sans précision, car chaque fois
que nous voudrons préciser, il faudra croire à la vérité de la lettre, ce qu’en principe nous ne
voulons pas faire.
Si l’on objecte : « Vous croyez donc certaines choses parce qu’elles se trouvent dans la
Bible, et non par une foi vivante, par une révélation directe de Dieu », nous répondrons que
c’est parce qu’en principe nous avons confiance dans le caractère inspiré de la Bible, que nous
sommes conduits à l’examiner de très près, à étudier tout ce qu’elle nous expose et à nous
former une vue d’en semble qui nous fait connaître avec précision le Seigneur. Nous
ajouterons qu’ainsi nous passons d’une foi globale, se rapportant à la vérité de l’Ecriture, à la
foi vivante. Cette foi, qui couvre tout ce que la Bible nous dit du Seigneur, est accompagnée
d’un amour qui produit une communion spirituelle d’autant plus parfaite que nous Le
connaissons mieux142.
Dans le cas où nous n’avons pas cette confiance, nous sommes portés facilement à
rejeter ceci, puis cela, et comme tout se tient, il ne reste qu’une ruine143. Nous garderons peut-
142
Pourquoi la Bible insiste-t-elle plus souvent sur la foi que sur l’amour ? Ce n’est pas parce que l’amour
est moins important, car au contraire, c’est l’amour (la charité) qui prime tout. C’est sans doute parce que la foi
dont il s’agit est accompagnée nécessairement d’amour, tandis qu’un amour sans connaissance, donc sans foi,
n’est pas possible. Nous ne pouvons aimer activement que dans la mesure où nous connaissons. Si l’on objecte
que des personnes « simples » ont cependant souvent une foi profonde, nous en conviendrons. Car souvent ces
personnes acceptent justement tout ce que la Bible dit et peuvent donc avoir une connaissance étendue de la
Parole et de leur Seigneur. Ou, au moins, seraient-elles disposées à avoir cette connaissance si l’occasion leur en
était fournie. Leur foi peut être profonde (en puissance), même quand elle n’est, par défaut de connaissance,
qu’une potentialité et non encore une actualité.
143
Les défenseurs de la critique moderne considèrent aussi la Bible comme composée de parties qui ne
nous affectent pas (histoire, science, etc.) et d’autres parties qui peuvent toucher notre coeur, Ils pensent que les
données de la première catégorie peuvent être erronées sans qu’en soit diminuée la valeur de la Bible. Or, ce sont
justement ces enseignements qui seraient le plus facilement acceptés par tout homme parce qu’ils ne le touchent
Si nous croyons un détail parce qu’il se trouve dans la Bible, cette foi préliminaire se
rapportant à ce détail est peut-être pure ment intellectuelle, c’est-à-dire non accompagnée
d’amour. Il peut en être ainsi de tout ce qui se rapporte à des faits historiques, même quand ils
se rapportent à Jésus: sa naissance, sa vie, sa résurrection. Mais ce détail n’est pas seul. Il fait
partie d’un tout et nous aide à mieux connaître l’ensemble. Et alors nous ne le croirons plus
simple ment parce qu’il se trouve dans la Bible, mais parce qu’il fait partie d’un ensemble qui
est l’objet d’une foi vivante. Ce détail est alors partie intégrante de ce que Dieu nous révèle
pour ainsi dire personnellement, de la Parole de Dieu. La Bible est dans sa totalité Parole de
Dieu d’une manière potentielle. Elle le devient aussi actuellement et subjectivement pour nous
quand nous l’examinons, la comprenons par le témoignage du Saint-Esprit, l’acceptons et
réalisons ainsi, par la grâce divine, notre communion avec Dieu. Si nous sommes enclins à
douter de chaque détail qui ne nous affecte pas, nous ne pourrons pas obtenir la vue
d’ensemble qui est l’objet de notre foi vivante, ou nous n’aurons qu’un ensemble déformé et
une foi imparfaite.
L’histologiste qui dissèque un être vivant ne trouve qu’un amas de cellules mortes144. La
Bible peut, dans un sens, être considérée comme un simple recueil de mots, de phrases, de
doctrines. Or, de même que cet être vivant n’aurait pas été complet sans un de ses détails, sans
une de ses cellules, et que nous ne connaîtrions pas vrai ment l’être vivant dans sa totalité sans
connaître ses éléments, de même la Bible ne peut pas devenir pour nous la Parole de Dieu
complète si nous négligeons ce que nous croyons n’être que des détails et qui, détachés du
reste, ne sont que des phrases, des « lettres » mortes. L’Ecriture n’est pas simplement une
somme de phrases et de mots, un document inerte, mais peut devenir pour nous un organisme
vivant, qui n’est pas complet sans une de ces phrases et sans un de ces mots.
On nous dit que peu importe qu’Adam n’ait pas existé réelle ment il y a 6000 ans,
qu’Abraham soit un mythe, que Moïse ne soit pas responsable de la rédaction du Pentateuque,
etc., que tout cela ne touche pas notre foi en Christ. Nous admettons que des faits historiques
de ce genre, considérés seuls, nous importent peu, mais nous prétendons qu’il faut les accepter
tels qu’ils sont présentés par la Bible pour avoir une connaissance complète et correcte du
Seigneur, donc pour nous permettre logiquement d’avoir une foi profonde et précise en Christ,
se rapportant à tout ce qui est révélé de Lui. 0 mieux, que toute la Bible est nécessaire pour
nous permettre de Le connaître intégralement tel qu’Il se révèle et pour avoir une communion
totale avec lui.
pas intimement, tandis que ce qui l’affecte risque d’être rejeté parce que cela met en question sa valeur
personnelle et son autonomie : L’homme naturel cherche une excuse pour ne pas écouter les vérités que Dieu lui
présente. Or, si l’on admet que ce qui ne nous affecte pas est incertain ou erroné, quelle bonne excuse pour
mettre en doute le reste, pour nier que c’est Dieu qui parle dans les autres passages I L’histoire montre que
l’athéisme et l’antichristianisme ont essayé avant tout de trouver des erreurs historiques et scientifiques dans la
Bible. Leurs adeptes savaient que de cette manière son autorité serait complètement sapée. Pourquoi croire un
auteur dans les passages dont nous ne pouvons pas vérifier la vérité, l’inspiration, alors qu’il se trompe dans ce
que nous pouvons vérifier ? Mais, au contraire, quand nous croyons qu’un texte est dans chaque détail digne de
confiance, nous tiendrons sérieusement compte même de ce qui nous affecte désagréablement, Par une réflexion
sincère nous pourrons alors arriver à l’accepter aussi. Qui tiendra compte des reproches (justifiés) d’un menteur?
Qui négligera les remontrances d’un homme sérieux?
144
Si le biologiste commençait par dire que cet ongle, ce doigt, ce membre, cet organe n’est qu’une chose
accessoire et ne constitue pas l’animal, il ne conserverait à la fin peut-être que le coeur, Il pourrait dire alors que
c’est là, en somme, le principal, et qu’en éliminant le reste, il n’a rien perdu d’essentiel. C’est ce que la critique
destructive fait avec la Bible.
On pourrait comprendre que des théologiens croyants puissent admettre que dans
certaines questions la Bible peut faire erreur sans que l’essentiel soit touché, si les faits nous
obligeaient à admettre de telles erreurs. Mais c’est justement ce que nous nions. Sceptique par
éducation, initié aux sciences, nous avions cru au début pouvoir trouver partout erreur et
contradiction. Or c’est la véracité des parties vérifiables du texte qui nous a donné une con
fiance générale et nous a montré que ce Livre diffère de tout livre humain. Même dans ces
parties historiques et scientifiques nous avons reconnu que c’est Dieu qui a inspiré le texte,
soit en révélant ce qui ne peut être connu par l’homme, soit en agissant sur l’auteur pour qu’il
écrive sans commettre d’erreurs réelles.
Les uns pensaient plutôt à un acte instantané, magique, les autres à un processus se
déroulant dans le temps. Quand on consulte les écrits des « pères de l’Eglise », on est surpris
de trouver qu’ils sont, en fait, évolutionnistes, et même transformistes parfois très radicaux 145,
Ainsi saint Grégoire (331-396) disait que Dieu avait créé tout virtuellement dans une première
impulsion, mais que les choses individuelles ne sont venues à l’existence « actuelle » que plus
tard, au cours du temps. De même, saint Augustin (354-430) était d’avis que toutes choses se
sont développées dans le temps, comme un arbre qui provient d’une semence.
Il disait que les eaux et la terre ont produit des êtres vivants. Nous ne devons pas oublier
que l’idée d’une transformation de la matière inerte en organismes vivants était alors très
courante, puisqu’on croyait à la génération spontanée. Les théologiens n’y voyaient aucun
inconvénient si l’on acceptait que Dieu avait mis dans la nature une puissance « spermatique»
qui pouvait agir et développer des êtres vivants au moment propice.
Mais ce qui nous intéresse surtout, c’est que ces anciens chrétiens se réclamaient de la
Bible pour défendre ce point de vue transformiste. Ce Livre ne dit-il pas, en effet:
« que la terre produise de la verdure »,
« que les eaux produisent en abondance des animaux vivants »,
« que la terre produise des animaux vivants »?
Et quand l’Ecriture dit: « Dieu créa », ils comprirent cela, non pas comme si Dieu
intervenait directement à ce moment précis, d’une manière miraculeuse, mais dans le sens que
Dieu était la cause première qui faisait usage, dans le temps, de causes secondes pour agir
dans la création. Ils comparaient l’expression « Dieu créa» aux passages où il est dit que Dieu
« fit pleuvoir » (Gen. 2. 5; 19. 24), « détruisit des villes », « envoya des animaux» (Lév. 26.
22), etc.
Ils insistaient même sur l’idée que rien dans la Bible ne nous permet de prétendre qu’il
fallait nécessairement une intervention spéciale de Dieu pour produire la végétation, les
animaux, et même l’homme.
Ces « Pères » auraient évidemment été fort étonnés s’ils avaient pu savoir que, mille ans
plus tard, des hommes prétendraient faire une trouvaille extraordinaire en parlant d’évolution,
et plus étonnés encore si l’on avait dit que certains essaieraient de tirer de cette théorie des
preuves contre l’existence de Dieu.
Les anciennes discussions portaient donc sur la manière dont Dieu a créé, le fait de la
création n’étant pas en cause. Plus tard, Voltaire pouvait encore dire : « Les athées n’ont
jamais répondu à cette difficulté, qu’une horloge prouve un horloger ». La raison disait que
145
‘Pour des détails, voir Le Darwinisme par H. de DORLODOT, 1921 et Evolution and Theology. par E.
C. MESSENGER, 1931. Voir aussi Le Transformisme, par P. M. PERIER, 1938. Au chapitre XV nous avons
cité l’affirmation remarquable de Saint Grégoire : (‘Sa nourriture et sa croissance, il (l’homme) l’obtient de la
vie végétale.., son organisation sensitive, il l’obtient des brutes. Mais la pensée et la raison sont
incommunicables. (De Anima et Resurrectione, MIGNE P. C. 46, col. 59.)
Il est évident que des conflits regrettables devaient se produire, car, à part un petit
groupe de chercheurs de vérité, deux masses, poussées plus par le sentiment que par la raison,
se heurtaient ceux qui voulaient à tout prix défendre la notion traditionnelle d’un Dieu
créateur et ceux qui, au fond de leur cœur, ne voulaient pas entendre parler d’un Etre
infiniment supérieur à l’homme.
Le succès rapide de « la théorie de l’évolution» a été attribué par ses défenseurs mêmes
au fait que Darwin aurait découvert une omission sérieuse dans l’argument qui concluait à
l’existence d’un Créateur, en se fondant sur l’ordre et la finalité dans la nature. Yves Delage
écrivait qu’ « on est ou n’est pas transformiste, non pour des raisons tirées de l’histoire
naturelle, mais en raison de ses opinions philosophiques »146.
Ceux qui avaient une certaine répugnance à accepter l’idée d’un Dieu créateur, saisirent
donc une occasion qui semblait être très favorable et prirent leurs désirs pour des réalités.
146
La structure du protoplasma et l’hérédité. 1ère partie, livre III, Introduction.
L’homme qui aime la vérité pourra donc se rendre compte que la science et la
philosophie contemporaines, loin d’être en faveur d’une théorie matérialiste, nous conduisent
à une conception spiritualiste : l’inférieur vient du supérieur et la création, évolutive ou non,
nécessite un Créateur. La recherche scientifique, en précisant, a donc renforcé l’ancien
argument qui, en raison de l’ordre et de la finalité dans l’univers, conclut à l’existence d’un
Créateur puissant, intelligent et glorieux. Le fait de la création et d’une cause première divine
s’imposant ainsi, l’observation pourra préciser comment les êtres évoluent.
147
L’Origine des espèces, p. 124 et 125.
148
Voir p. ex. parmi beaucoup d’autres auteurs : La genèse des espèces animales par L. CUENOT La
destinée humaine par CH. NICOLLE et L’avenir de l’esprit par LECOMTE DE NOUY.
149
Pour plus de détails concernant toutes ces questions, voir notre ouvrage La Science, la Raison et la Foi,
1948, Presses universitaires de France.
Depuis, on possède dans les phénomènes radio-actifs une espèce de montre géologique,
car la désintégration de ces matières instables en éléments stables se fait avec une vitesse
connue, et l’examen du produit indique le temps qui s’est écoulé depuis la formation d’un
terrain donné.
Il est important de noter que ces vitesses de désintégration sont indépendantes des
influences physiques et chimiques, et il n’y a pas de bonne raison pour croire qu’elles aient pu
être différentes dans un passé lointain. On a une confirmation de la constance de ces
phénomènes par les « halos pléochroïques », trouvés dans les anciennes roches et qui sont dus
aux phénomènes radioactifs. Le diamètre de ces halos anciens correspond à celui des halos
produits actuellement.
Les plus anciennes couches ayant fourni des animaux fossiles, datent du Cambrien. Ces
êtres ont déjà un degré de développement comparativement élevé.
150
Voir Nature. 25 1947. Aujourd’hui (2004) cette durée a encore été allongée. NDW.
D’Adam au déluge.
Du déluge à Abraham
151
Abraham avait 75 ans quand son père Térakh mourut, à l’âge de 205 ans (Gen. 11.32 et 12.4).
5.Les préadamites
Si l’on accepte de classer parmi l’humanité (dans un sens large) les êtres divers
ressemblant à l’homme moderne, c’est-à-dire les Hominidés et, plus particulièrement, l’Homo
Sapiens, ces êtres seraient donc des Préadamites.
L’idée de l’existence des Préadamites semble être très ancienne. Don Calmet s’y réfère
dans son Dictionnaire de la Bible et mentionne que Clément d’Alexandrie en parlait dans son
livre sur les Hypotyposes. Julien l’Apostat y croyait. Des auteurs mahométans les
mentionnent et il paraît qu’en Orient cette idée est assez courante. Les livres juifs en parlent
souvent.
Certains théologiens, comme F. Diekamp152, ont admis que des hommes, au vrai sens du
mot, aient existé avant Adam. On sait aussi que La Peyrère a beaucoup insisté sur les
Préadamites153, mais sa manière de voir particulière, selon laquelle les Juifs seuls seraient les
descendants d’Adam (les Gentils venant des Préadamites), est inacceptable.
Mais ce qui nous intéresse surtout ici, c’est de savoir ce que la Bible enseigne à ce sujet.
Comme elle résume en une page tout ce qui, dans la création, précède Adam, et qu’elle
n’est pas un traité d’anthropologie, il n’est pas étonnant de ne pas y trouver des références
explicites à des Chelléens, des Néanderthaliens ou des Cro-Magnons. Toute l’attention est
concentrée sur Adam et sa progéniture, c’est-à-dire sur l’homme proprement dit.
Cependant la Bible ne dit rien qui serait contraire à l’existence de Préadamites. On peut
même aller plus loin et soutenir, comme nous l’avons fait au chapitre XV, que Gen. I 26, 27
se réfère à l’humanité, au sens large, comprenant les Préadamites.
Nous rencontrons toute une série de telles élections. En effet, parmi les Adamites, c’est
surtout le groupe des Sethites qui est distingué, puis c’est Noé et sa famille, Sem et les
152
Theol. Dogmat. Vol. II, p. 125. Voir aussi Geschichte der Beziehungen zwischen Theologie und
Naturwissenschaft par ZÔCKLER.
153
Voir son ouvrage Prae-Adamitae. A. et J. Bouyssonie semblent considérer les Préadamites comme des
super-animaux. Dict. de Théol. catholique, fasc. CX-CXI, col. 2533. Voir aussi P. M. PERIER dans Le
Transformisme, p. 313.
La distinction entre les Préadamites et les Adamites n’est donc pas seulement très
scripturaire et utile, mais présente encore les avantages suivants:
3. On écarte facilement certaines critiques non justifiées. En effet, ce que nous avons
exposé semble montrer que des théologiens ont peut-être été un peu trop empressés de dire
que ces récits de la Genèse sont naïfs, ne montrent aucune préoccupation ethnographique et ne
peuvent pas être historiques. Avec notre manière de voir, de telles idées sont complètement
éliminées.
Mais si cette interprétation est excellente à bien des points de vue, n’est-elle pas en
contradiction avec le sens d’autres passages de la Bible ? Par exemple avec Act. 17. 26? Voici
la traduction de ce texte, telle qu’on la trouve dans différentes versions
Or, l’expérience prouve que si l’on prend l’inspiration divine au sérieux, il est toujours
dangereux de s’écarter des mots choisis par l’Esprit. Très souvent on risque de substituer à un
enseignement positif important, une interprétation humaine qui laisse à désirer. Le texte
inspiré n’utilise jamais de mots en vain.
Avant donc de conclure à un pléonasme dans le texte que nous examinons, il faut bien
s’assurer qu’il n’y a pas une autre explication. A priori nous devons supposer que l’addition
de «des hommes » dans ce cas unique, doit avoir une signification.
Eh bien! le lecteur se rendra compte que si l’on accepte notre conception relative aux
races humaines, cette addition de «des hommes » se justifie entièrement. Car, pour nous,
toutes les nations ne proviennent pas d’Adam, pas d’un seul. Seules les nations des hommes
Dans les autres textes où il est question de « toutes les nations » aucune restriction n’est
nécessaire, mais ici, où il est question des nations qui proviennent d’Adam, il faut préciser.
On voit donc, que, loin d’être une objection, ce texte confirme notre thèse quand on
garde les mots inspirés.
Nous pensons que l’apôtre laisse hors de considération les non-Adamites et ne parle que
des vrais hommes, et du monde de ces hommes. Il ne s’occupe pas pour le moment de savoir
comment le péché est entré dans le monde préadamique, dont la Bible parle si peu.
Dans ces textes on ne trouve pas la restriction (« des hommes ») que nous avons
rencontrée en Act. 1 7. 26.
Nous examinerons dans l’Appendice suivant si des races non-adamiques ont continué à
exister ou si toutes les races post diluviennes proviennent de Noé.
154
Il se fait que nous ne sommes pas en contradiction avec les termes de la lettre encyclique Humani
Generis de Pie XII (1950) à ce sujet. Nous y trouvons : « Les fidèles ne peuvent pas embrasser une doctrine dont
les tenants soutiennent, ou bien qu’il y a eu sur terre, après Adam, de vrais hommes qui ne descendent pas de lui
par génération naturelle comme du premier père de tous, ou bien qu’Adam désigne l’ensemble de ces multiples
premiers pères» (p. 18). On remarquera te terme « vrais hommes ». Rappelons aussi les paroles suivantes de
Bergson « Ajoutons, comme nous l’avons déjà fait remarquer, que le saut brusque qui a donné l’espèce humaine
a pu être tenté sur plus d’un point de l’espace et du temps avec un succès incomplet, aboutissant ainsi à des
« hommes » qu’on peut appeler de ce nom si l’on veut, mais qui ne sont pas nécessairement nos ancêtres». (Les
Deux Sources de la Morale et de la Religion, 58e ed . p. 291, note.)
Il est certain qu’avant la date que la Bible indique pour la création d’Adam (4000 à
5500 avant Jésus-Christ) il existait sur terre des êtres ressemblant à l’homme moderne. Il est
intéressant d’examiner s’il y a des indications qui sembleraient montrer que certains de ces
êtres existaient encore après le déluge, ou même de notre temps.
Rappelons que l’idée de la survivance des Préadamites était courante parmi les Juifs155.
Le rabbi Abran était convaincu que le Turc Jafar Johan, vivant en 770, était un Préadamite.
En principe, rien ne s’oppose à ce que ces Préadamites aient continué à exister au moins
jusqu’au déluge. Mais ceux qui croient à l’universalité de cette catastrophe, soit en étendue,
soit dans le sens qu’elle aurait — même étant locale — exterminé toute l’humanité, ne
peuvent pas accepter que ces êtres aient existé après. Toutes les races actuelles proviendraient
donc, selon eux, de Noé.
Examinons si la Bible ne parle pas, après le déluge, d’hommes qui proviennent des
antédiluviens.
En premier lieu, il faut mentionner Méthushélah. Il est vrai que, d’après la chronologie
du texte hébreu, il est mort juste avant le déluge156 mais d’après le texte des Septante,
Méthushélah vivait encore environ 14 ans après le commencement de cette grande inondation.
N’oublions pas que cette version fut employée par notre Seigneur et par les apôtres, et il va de
soi que les auteurs, les copistes et ceux qui se servaient de ce texte n’avaient aucune objection
à cette survivance de Méthushélah. Ce qui implique que pour eux le déluge n’a pas détruit
tous les hommes, à part Noé et sa famille.
Ce n’est que beaucoup plus tard que cette survivance de Méthushélah fut considérée
comme un problème difficile à résoudre, et Jérôme dit que c’était une question qui avait attiré
beaucoup l’attention des églises. Eusèbe dit qu’on ignore où Méthushélah pu se cacher
pendant le déluge, et saint Augustin s’est aussi occupé de cette question157.
Voyons ensuite si la Bible ne mentionne plus les descendants des deux grandes lignées
antédiluviennes, c’est-à-dire de Caïn et de Seth.
Nous trouvons en Gen. 15.19-21 une liste de peuples qui ne descendent pas
nécessairement tous de Noé. Examinons particulièrement les Kéniens.
Le nom Kénien correspond à l’hébreu kain, qui, sans la ponctuation massorétique (non
inspirée), s’écrit km. Or le nom Caïn de Gen. 4. 1 s’écrit exactement de même. II s’ensuit que
pour l’original inspiré les Kéniens sont des Caïnites, donc des descendants de Caïn.
Nous retrouvons des Caïnites en Nomb. 24. 21, 22 qui suit de près le verset 1 7 où nous
lisons : -
« Un astre sort de Jacob, Un sceptre s’élève d’Israël. Il perce les flancs de Moab, et il
abat tous les enfants de Seth. »
155
Voir à ce sujet le Dict. de la Bible de DON CALMET, le Dict. de Théol. Cath. fasc. CX-CXI, col.
2799 parle Prof. AMANN et L’Histoire des Juifs, t. 4; L 6, c 6 de BASNAGE.
156
Voir l’Appendice 4.
157
Cité de Dieu, XV. 11.
1. Dans le texte que nous venons de citer, loin d’indiquer des hommes fidèles à Dieu, il
est dit qu’ils seront abattus.
2. Les Sethites semblent avoir habité le pays de Moab, donc une région très limitée. En
effet, il y a sans doute, dans le verset cité, un parallèle entre Jacob et Seth d’une part et entre
leur lieu d’habitation : le pays d’Israël et celui de Moab, d’autre part.
Suivons maintenant les traces de quelques Caïnites. Mentionnons d’abord Héber (Juges
4. 11), fils de Hobab (beau-père de Moïse) qui était le fils de Réuel, le Madiariite (Nomb. 10.
29). Celui-ci est fils de Basmath et d’Esafl. Basmath est fille d’Ismaël (Gen. 36. 1-4) et ce
dernier est fils d’Agar et d’Abraham (Gen. 16. 11). Agar était égyptienne (Gen. 16. 1). C’est
donc par Agar que Héber est Caïnite. Le déluge ne s’est pas étendu jusqu’à l’Egypte et les
descendants de Caïn ont pu y subsister.
Il y a ensuite Amalek (Nomb. 24. 20) le premier qui combattit Israël. II est le fils
d’Eliphaz et de Thimna (Gen. 36. 12). Suivons les généalogies de ces deux derniers. Eliphaz
est fils d’Esaii et d’Ada (Gen. 36. 10). Cette dernière est la fille d’Elon le Héthien (ou Hittite)
(Gen. 36. 2). Elle porte le même nom que la femme de Lémec (Gen. 4. 19) fils de Caïn. Les
Héthiens sont nommés d’après Heth, le fils de Canaan (Gen. 10. 15), mais peuvent être de
sang caïnite par sa femme qui n’est pas nommée. Ce peuple vivait en Syrie et en Palestine et
ne fut donc pas touché par le déluge.
Quant à Thimna, la mère d’Amalek, elle est soeur de Lothan (Gen. 36. 22) fils de Séir,
le Horien (Gen. 36. 20). Séir est aussi le nom d’une montagne (Gen. 36. 9) où habitaient les
Horiens (Gen. 14. 6), qui sont nommés avec les Rephaïm, les Zuzim, les Emim (Gen. 14. 5)
dont nous dirons un mot plus loin. Cette contrée ne fut pas atteinte par le déluge.
Les descendants de Caïn ne sont pas souvent mentionnés, comme ne le sont beaucoup
d’autres. Ce n’est que dans les cas où ils viennent en contact avec Abraham ou sa lignée.
Considérons maintenant de plus près les anciens habitants de Canaan. Ils occupaient 1e
pays promis à Abraham et à Israël (Gen. 12. 6). On y trouve par exemple les Rephaïm (Gen.
14. 5; 1 Chron. 20. 4), les Zuzim ou Zamzummim (Gen. 14. 5; Deut. 2. 20), les Emim (Gen.
14. 5; Deut. 2. 10), les Horiens (Gen. 14. 6; 36. 20; Deut. 2. 12), les Caïnites (Gen. 15. 19;
Juges 4. 11; etc.).
Les Rephaïm ont particulièrement attiré l’attention des archéologues et de ceux qui
étudient la Bible158. Le nom provient de Rapha leur père. En hébreu, le verbe correspondant
signifie: guérir. C’étaient vraisemblablement les premiers « guérisseurs » pratiquant
l’occultisme. Les Grecs ont traduit Rephaïm par Katach lonioi et désignaient par là des «
esprits » de morts, qui sont supposés influencer la nature en général et le climat en particulier.
Une inscription phénicienne sur le sarcophage du roi Tabmit Z 8 de Sidon, se réfère à de tels
esprits.
158
Voir p. ex. le livre Rephaïm par P. KARCE, 1917 et Géographie de la Palestine. par ABEL.. 1933.
Parlons maintenant des Anakim. Ils sont aussi de haute taille (Deut. 2. 10, 21) et sont
nommés d’après Anak, dont le père est Arba (Jos. 14. 15; 15. 13). Les trois fils d’Anak se
nomment Ahiman, Schéschaï et Talmaï (Nomb. 13. 22; Jos. 15. 14).
Qu’étaient ces Anakim ? Ils ne sont pas nommés, pas plus que les autres races dont nous
parlons maintenant, parmi les enfants de Sem, Cham ou Japhet. Nomb. 13. 33 nous donne une
indication: « Et nous avons vu les géants, enfants d’Anak, de la race des géants. » Une
traduction plus littérale, comme la version anglaise, serait: « Et nous y avons vu les Nephilim,
(et les) enfants d’Anak, (qui proviennent) des Nephilim. » Nous devons donc examiner ce que
sont ces Nephilim. Le nom semble être en rapport avec le verbe « naphal » (tomber). Ils sont
mentionnés en premier lieu en Gen. 6. 4.
« Les Nephilim (texte hébreu) étaient sur la terre en ces temps-là, et aussi après... » (voir
version Darby).
On lit dans ce qui précède que les « fils de Dieu » prirent pour femmes les filles
d’Adam, et Gen. 6. 4 montre que les Nephilim provenaient de cette union. Nous devons
encore faire un pas de plus et examiner ce que furent ces « fils de Dieu ».
Le texte hébreu lit « fils d’Elohim », une expression qui n’est jamais employée pour
désigner des hommes160, mais s’applique toujours à des anges161 Nous devons nous placer ici
au point de vue de ceux auxquels ces paroles furent adressées en premier lieu. Il est certain
que les Juifs qui lisaient Gen. 6. 4 ne pouvaient comprendre par « fils d’Elohim » que des
anges. Ceci est encore confirmé par le Livre d’Henoch auquel se réfère Jude 14 et qui, par ce
fait, mérite donc toute notre attention. Jude 6 et 7 nous parlent d’anges qui n’ont pas gardé
leur dignité, mais qui ont abandonné « leur propre demeure ». Le mot grec pour « demeure »
est le même que celui traduit par « domicile » en 2 Cor. 5. 2 et se réfère à la sphère céleste.
Les mots « vices contre nature » sont la traduction d’une expression qui signifie littéralement
« venir vers une chair différente ».
Il résulte de tout ceci, combiné avec Gen. 6. 2, que ces « fils d’Elohim » étaient des
anges déchus de leur dignité première, qui ont quitté les sphères célestes (ou en ont été
159
Le Livre des Jubilés (29. 9, 10), en parlant du départ d’Abram de la Mésopotamie, et de son pacte avec
Laban, mentionne les Rephaïm; et dit que ce sont des géants ayant jusqu’à 3 m. de haut.
160
La Bible parle parfois des « fils de Jéhovah » (et non pas d’Elohim), pour indiquer des Israélites: Dent.
14. 1; Es. 43. 3-6.
161
Voir Job 1.6; 2. 1; 38.7; Ps. 29. 1; 89..7; Dan. 3.25,28. La version des Septante écrit, du reste, « anges
de Dieu » au lieu de « fils de Dieu ». Après Jules Africain, saint Augustin pensait que les « fils de Dieu » étaient
des descendants de Seth et les «filles des hommes » des descendantes de Caïn. Voir Chronographia, 2 et De
Civitate Dei, 15,23.
C’est sans doute à ces mêmes anges (ou à d’autres du même genre) appelés « esprits
» (voir Ps. 104, 4 Darby; Héb. 1. 7, 14), que se réfèrent I Pi. 3. 19, 20 et 2 Pi. 2. 4, 5. Ces
esprits ont été mis « en prison » dans les abîmes de ténèbres jusqu’au jour du jugement, et le
Seigneur, après sa résurrection, est allé leur proclamer sa victoire. 11 faut, en effet, noter que
le mot « esprit » ne désigne jamais un homme, excepté après la résurrection, quand son corps
est gouverné entièrement par l’esprit. Les hommes morts ne sont pas, du reste, en prison, mais
dans le Hadès. En 1 Pi. 3. 19 le mot « prêcher » n’est pas la traduction de « evangelizo
» (annoncer une bonne nouvelle), mais de « kèrusso », c’est-à-dire proclamer, comme un
héraut.
Les livres anciens des Juifs, tels que ceux des Jubile’s, de Sirach, de la Sapience, des
Macchabées, de Baruch, etc., parlent de la sentence de Dieu sur ces anges162.
On sait d’autre part que dans les mythologies babyloniennes et grecques il est aussi
question des « dieux « qui descendent sur terre et qui ont des rapports avec les femmes. Là
aussi on nous parle de héros qui furent fameux dans l’antiquité (Gen. 6. 4). Nous ne devons
pas prendre pour vérité pure ce que nous racontent ces mythologies, mais il semble qu’elles se
soient basées sur les faits historiques dont parle la Bible. Les tablettes babyloniennes de la
création et du déluge, le Livre des Morts égyptien, la mythologie grecque, et les autres fables
païennes peuvent être la corruption et la perversion de vérités primitives.
Ajoutons encore que les Arabes et le Koran parlent d’une race géante «Ad» (7. 63, 67;
26. 123; 41. 14; 89. 5). Ils étaient orgueilleux et furent exterminés.
Au point de vue généalogique, les informations que la Bible nous donne au sujet des
Nephilim, des Rephaïm, des Anakim et autres, peuvent se résumer sous la forme du
diagramme suivant:
La mauvaise influence des anges rebelles et de leur progéniture se faisait sans doute
sentir sur les Adamites, surtout sur les Caïnites, et aura provoqué dans la Mésopotamie les
conditions d’avant le déluge. Nous lisons en effet, en Gen. 6. 5:
« L’Eternel vit que la méchanceté des hommes était grande sur la terre, et que toutes les
pensées de leur coeur se portaient chaque jour uniquement vers le mal. »
162
‘Voir aussi Die Sagen der Juden, I, par M. Josef BIN GORION et Etudes par M. J. LAGRANGE.
Dans les versions, le nom Rephaïm est parfois traduit par « morts », « ombres » ou
« trépassés ». Voici une liste des textes
1. La version Segond contient le mot Rephaïm: Gen. 14. 5; 15. 20; Deut. 2. 11, 20; 3.
11, 13; J 12. 4; 13. 12; 15. 8; 17. 15; 18. 16; 2 Sam. 5.18,22; 23. 13; 1 Chron. 11. 15; 14.9;
Es. 17. 5.
2. La version Segond contient « issu de Rapha », et Darby « né du géant»: I Chron. 20.
6.
3. La version Segond donne « ombres s, Darby traduit « tré passés»: Job 26. 5; Es. 14.9;
26. 14, 19.
4. La version Segond met « morts » : Ps. 88. 11 (2 e fois); Prov. 2. 18; 9. 18 (1ère fois);
21. 16.
Es. 26. 13-19 est un texte obscur, qui mérite un examen parti culier. En traduisant un
peu plus littéralement, on peut lire « ... d’autres maîtres que toi ont dominé sur nous... morts,
ils ne revivront pas, les Rephaïm (en effet) ne se relèveront pas... et la terre jettera dehors les
Rephaïm. »
Ce passage semble se référer à l’influence des races diaboliques sur l’humanité, et faire
un contraste entre la résurrection des hommes et la non-résurrection de ces êtres. Tandis que
les anges déchus (les « esprits» de 1 Pi. 3. 19, 20 et de 2 Pi. 2. 4) sont en « prison » jusqu’au
jour du jugement.
Ces Rephaïm étaient grands en stature et en iniquité, mais ils étaient probablement
doués de peu d’intelligence. Ils pouvaient exécuter des travaux extraordinaires, et il n’est pas
étonnant que les Philistins, les Amorites et d’autres peuplades cananéennes les aient engagés
dans leurs armées et pour des travaux nécessitant une grande puissance musculaire. La cité
géante de Basan et un certain nombre d’autres monuments, aux pierres énormes, peuvent
avoir été construits par eux.
On leur attribue aussi les fameux monuments mégalithiques 163. Ceux-ci, bâtis avec de
grosses pierres, nommées Dolmen, Cromlech, Menhir, etc., se trouvent un peu partout, mais
surtout en Europe, en Afrique et dans le Proche-Orient. Parmi les plus fameux sont ceux de
Carnac en Bretagne.
Ces monuments sont assez nombreux en Palestine, dans une région qui s’étend du nord-
ouest à l’est du lac de Tibériade. D’une manière générale, on les trouve surtout en des endroits
tels que Basan, Gilead (Deut. 3. 1-14), Ammon (Deut. 2. 20), la vallée des Rephaïm entre
Jérusalem et Bethléem (Jos. 15. 8), etc. que la Bible mentionne en rapport avec les Rephaïm.
Partout dans le monde ces monuments sont, selon les traditions, attribués à des géants164
Certaines pierres isolées, verticales, sont probablement en rapport avec le culte du phallus et
163
Voir le livre Rephaïm par le Dr. P. KARGE.
On se souvient en outre des cultes d’Ashtoreth (le principe femelle de la vie) et de Baal
(le principe de la génération). Les kadesh (prostitués et prostituées, Deut. 23. 17) étaient en
rapport avec ces cultes. Enfin, les mœurs de Sodome et Gomorrhe doivent aussi être
attribuées aux populations sataniques qui s’y trouvaient.
L’ordre naturel est évidemment 1-2-3. En pratique les trois types ne se séparent pas
d’une manière très nette. L’écriture alphabétique constituait un progrès considérable,
permettant de s’exprimer avec plus de précision et de facilité. Cependant ce type ne fut pas
adopté facilement. Les Chinois ont encore en partie l’écriture idéographique, de même que les
Indiens d’Amérique (Mayas et Aztèques) et certaines races dispersées dans d’autres pays.
Aux temps anciens, l’écriture alphabétique ne fut pas utilisée en Egypte166 ni en Mésopotamie.
Il y a deux manières d’écrire les signes : à l’aide de traits droits ou à l’aide de lignes
tracées. Dans les deux cas on commence par faire des dessins (écriture pictographique), qui
furent simplifiés ensuite.
Dans des contrées comme la Mésopotamie où l’écriture se faisait sur des tablettes
d’argile, il n’était pas pratique de tracer des lignes et l’on préféra donc produire des
impressions à l’aide d’un stylet. Ces impressions avaient la forme d’un coin (cuneus) et
l’écriture est donc appelée « cunéiforme ».
164
Voir aussi Les Monuments mégalithiques de Palestine dans les Archives de l’institut de Paléontologie
humaine, 1935 par Stékélis. Il attribue ces monuments aux Chassuliens, peuple qui vivait quelque 4000 ans avant
Jésus-Christ. Voir aussi Cultes, Mythes et Religions, par REINACH.
165
Voir aussi Ezéch. 16. 17.
166
Certains signes représentent des lettres ou des mots courts, mais il n’y a pas d’écriture alphabétique
proprement dite.
En Egypte et ailleurs, où l’on écrivait sur des matériaux tels que le papyrus ou le
parchemin, le dessin était plus facile à exécuter que sur l’argile, et l’écriture fut donc du type
hiéroglyphique. Les premiers documents semblent dater du temps des derniers rois de la Ve
dynastie d’Egypte et sont postérieurs aux tablettes d’Uruk.
A Karkemish on a trouvé des hiéroglyphes hittites qui diffèrent absolument des signes
égyptiens. Ils se lisent alternativement de gauche à droite et de droite à gauche. Plus tard, les
Hittites adoptèrent l’écriture cunéiforme.
L’Ecriture choisit ses mots avec grande précision et l’on pourrait citer de nombreux
exemples de difficultés qui s’évanouissent, de contradictions apparentes qui disparaissent, de
passages obscurs qui deviennent clairs et beaucoup plus significatifs quand on distingue bien
les mots utilisés par le texte original.
On se rend compte qu’il n’est pas question d’une certaine langue. Dans certains versets,
deux des mots sont mis en contraste:
« Le peuple au langage (saphah) obscur qu’on n’entend pas, à la langue (lashon) qu’on
ne comprend pas » Es. 33. 19.
C’est la pensée qui est obscure et qu’on ne saisit pas avec l’entendement.
«Ce n’est point vers de nombreux peuples ayant un langage (saphah) obscur, une langue
(lashon) inintelligible, dont tu ne comprends pas les discours (dabar)
Pour résumer, saphah se réfère aux pensées et aux sentiments, qui peuvent être exprimés
par des discours (ou des « mots ») dans n’importe quelle langue (lashon).
On pourrait croire à première vue que le texte suivant semble ne pas s’accorder avec
cette règle « Il y aura cinq villes au pays d’Egypte qui parleront la langue (saphah) de
Canaan. »
Quelle est, du reste, l’idée principale d’Es. 19. 18 ? C’est que les Egyptiens connaîtront
l’Eternel, bâtiront un autel (y. 19), crieront à l’Eternel (v. 20), feront des sacrifices et des
voeux à l’Eternel (y. 21). Il est donc bien plus raisonnable de lire le verset dans le sens que les
cinq villes d’Egypte exprimeront les mêmes sentiments que Canaan, c’est-à-dire la même
adoration envers l’Eternel. A ceci correspond Soph. 3. 9 : « Je donnerai aux peuples des lèvres
pures, afin qu’ils invoquent tous le nom de l’Eternel, pour le servir d’un commun accord.» On
voit qu’il serait puéril et pas du tout en rapport avec l’importance du sujet, de lire que cinq
villes parleront l’hébreu. La deuxième moitié d’Es. 19. 18 complète du reste le sens que nous
indiquons, en ajoutant; « et qui jureront par l’Eternel des armées.»
Comme c’est le mot saphah qui est employé en Gen. 11. 1, 6, 7, 9, nous pouvons
conclure de cette étude qu’il ne s’agit pas dans ce chapitre de langues, mais de pensées, de
sentiments ou de dispositions.