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Revient-il à l'État de décider de ce qui est juste ?

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INTÉRÊT DU SUJET • Si l’État décidait seul de ce qui est juste, nous n’aurions qu’à lui obéir et ne
serions plus responsables de rien. Mais cette décision est d’abord l’acte d’un individu
raisonnable et autonome. Ce sujet classique invite à réfléchir sur le rapport de la conscience
avec la loi.

 
LES CLÉS DU SUJET

Définir les termes du sujet

Revenir […] de décider

■ Lorsqu’il « revient » à quelqu’un de faire quelque chose, cela signifie que c’est son rôle et sa
prérogative (droit attaché à une fonction).

■ Décider est l’acte par lequel on pose et éventuellement on impose sa volonté.


Politiquement, ce verbe renvoie à la notion de « pouvoir ».

État

■ Du latin status, «  position  », «  situation  », un État est un ensemble d’institutions


(politiques, administratives, judiciaires, policières, etc.) avec un gouvernement autonome et
un territoire indépendant.

■ Mais l’État peut prendre plusieurs formes (république, despotisme, etc.) : il doit lui-même
être légitime pour décider de ce qui est juste.

Juste

■ Du latin jus, « droit », ce qui est juste désigne d’abord ce qui est conforme au droit. Mais on
distingue le «  droit positif  », c’est-à-dire les lois décidées par l’État, et le «  droit naturel  »,
ensemble de normes indépendantes de l’existence de l’État.
■ Ce qui est juste s’entend aussi en un sens moral : on doit distinguer ce qui est légal de ce
qui est légitime.

Dégager la problématique

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Construire un plan

Tableau de 3 lignes, 2 colonnes ;Corps du tableau de 3 lignes ;Ligne 1 : 1. L’État décide de


ce qui est juste; L’État a pour fonction d’énoncer des normes de justice valables pour tous
(lois).L’État doit aussi rendre la justice, donc caractériser certains actes comme injustes et
les sanctionner en tant que tels.; Ligne 2 : 2. L’État doit lui-même se conformer à la justice;
Seul un État républicain a la légitimité de décider de ce qui est juste, car c’est le peuple qui y
est souverain.Le pouvoir doit s’exercer dans certaines limites, au-delà desquelles l’État
devient tyrannique voire totalitaire.; Ligne 3 : 3. La conscience décide de ce qui est juste; La
notion de droit naturel invite à conserver un œil critique sur la justice légale, qui n’est jamais
parfaite.La conscience est un meilleur juge que la loi pour décider de ce qui est juste.;

Les titres en couleurs et les indications entre crochets servent à guider la lecture mais ne
doivent en aucun cas figurer sur la copie.

Introduction

[Reformulation du sujet] L’État est un ensemble d’institutions (politiques, judiciaires, policières,


etc.) permettant de mettre fin à la violence et de faire régner le droit. Pour autant, revient-il à
l’État de décider de ce qui est juste ? [Définition des termes du sujet] Décider n’est pas le fait
d’une institution, mais plutôt d’une conscience, puisque c’est un acte qui implique la raison et la
volonté. Certes, ce qui est juste désigne étymologiquement ce qui est conforme au droit (en
latin jus). Mais la justice, qui a aussi une dimension morale, ne se réduit pas à la légalité.
[Problématique] Il serait paradoxal de définir la justice comme une prérogative exclusive de
l’État alors même que nous jugeons certaines lois injustes. [Annonce du plan] Nous verrons
donc d’abord en quoi l’État définit ce qui est juste. Mais nous réfléchirons ensuite aux conditions
qu’il doit remplir pour nourrir cette prétention. Nous verrons enfin que la conscience est un juge
indépassable pour évaluer ce qui est juste.

1. L’État décide de ce qui est juste

A. L’État énonce des lois


■ Énoncer des lois est la prérogative de l’État : celles-ci valent pour tous les citoyens,
indépendamment de leurs évaluations personnelles de ce qui est juste et de ce qui ne l’est pas.
C’est parce qu’elles ont une valeur universelle que les lois permettent la coexistence des
individus.

■ Dans le Léviathan, Hobbes définit le souverain comme celui qui décide, et les sujets comme
ceux qui ont l’obligation de lui obéir. En l’absence d’État, rien n’est juste ou injuste : les hommes
sont dans un « état de nature » où chacun est entièrement juge des actions à accomplir en vue
d’assurer sa conservation. Il en résulte un chaos auquel on ne met fin que par un « contrat
social » réservant au souverain l’évaluation de ce qui est juste.

CITATION

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« Là où il n’existe aucune puissance commune, il n’y a pas de loi. Là où il n’y a pas de loi, rien
n’est injuste » (Hobbes, Léviathan).

B. L’État rend la justice

■ Décider de ce qui est juste implique aussi de qualifier certaines actions : c’est là encore l’État
qui s’en charge par la voie de l’institution judiciaire, chargée de vérifier l’application des lois et
de prononcer des sanctions à l’encontre des individus qui les ont transgressées. Si la punition
était laissée à l’appréciation subjective de chacun, elle donnerait lieu à la vengeance, qui est
toujours arbitraire et disproportionnée, comme le rappelle Hegel.

■ Pour décider objectivement, il faut remplir quatre conditions énoncées par Ricœur dans Le
Juste : 1) établir une puissance commune qui se réserve l’usage légitime de la violence ;
2) disposer d’un corpus de lois écrites énonçant les délits et les peines correspondantes ;
3) avoir des tribunaux où les parties se confrontent selon des procédures réglées ; 4) mandater
des juges pour représenter la puissance publique et prononcer la « parole de justice ».

[Transition] Il revient à l’État, puissance objective et universelle, de formuler des normes de


justice et d’en vérifier l’application. Mais certaines conditions sont requises pour que l’État
exerce légitimement cette prérogative.

2. L’État doit lui-même se conformer à la justice

A. L’État doit être légitime


■ L’État doit se conformer à certains principes de justice. On ne peut, par exemple, accepter
qu’un homme seul impose sa volonté à tout un peuple, comme c’est le cas dans la monarchie
absolue. Un tel pouvoir où un seul est le maître et tous les autres sont ses esclaves (despotisme)
n’a aucune légitimité : étant injuste par sa nature même, il n’est pas fondé à dire ce qui est juste.

■ Il faut que les institutions soient représentatives, car le pouvoir est fondé sur le consentement
et non sur la force : Rousseau en conclut que le souverain ne peut être que le peuple lui-même.
Dans un régime républicain, la loi ne s’applique et n’est rendue que parce qu’elle vient de tous et
s’applique à tous.

CITATION

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« Tout gouvernement légitime est républicain » (Rousseau, Du Contrat social).

B. Le pouvoir ne doit pas s’exercer de n’importe quelle façon

■ L’autre condition tient à la manière dont le pouvoir est exercé : qu’en serait-il, par exemple, si
celui qui possède le pouvoir législatif disposait aussi du pouvoir judiciaire ? Il serait tenté,
répond Montesquieu, de faire des lois lui permettant de punir ou d’écarter des adversaires. Ainsi
instrumentalisée, la justice serait anéantie. C’est pourquoi il faut « distribuer les pouvoirs » :
seul un pouvoir peut empêcher les excès d’un autre pouvoir.

■ Montesquieu invite en outre à distinguer, parmi les normes de justice, les « lois » et les
« mœurs ». Instituées par l’État, les « lois » proviennent de la décision du souverain. Mais les
« mœurs » relèvent davantage du caractère de la nation, c’est-à-dire de la culture. S’immiscer
dans la vie privée des individus serait de même un « abus de pouvoir » manifeste. Au xxe siècle,
on a vu comment les systèmes totalitaires ont réduit les individus à des pièces
interchangeables de la grande machinerie étatique.

DÉFINITION

Le système totalitaire supprime la participation aux affaires publiques, mais cherche aussi à
détruire le jugement autonome et à envahir la vie privée.

[Transition] Pour fonder sa prétention à dire ce qui est juste, l’État doit lui-même respecter
certains principes de justice. Dès lors, n’est-ce pas à la conscience qu’il revient de penser ces
principes ?

3. La conscience décide de ce qui est juste

A. L’idée du droit naturel

■ On distingue le droit positif et le droit naturel. Le premier relève du fait : il s’agit des lois
écrites décidées par un État particulier, valables en tel lieu et à tel moment. Le second n’est
qu’une idée : une justice idéale, universelle et parfaite, que les hommes n’ont pas faite et qu’ils
ne peuvent pas défaire.

■ Les Anciens décrivaient le droit naturel comme un ensemble de normes émanant des dieux
(par exemple Sophocle ) ou d’un ordre naturel (par exemple Aristote, Cicéron). Les Modernes se
réfèrent plutôt à la nature de l’homme, comme dans la Déclaration des droits de l’homme et du
citoyen. Mais dans tous les cas, le droit naturel fonctionne, selon l’expression de Rawls, comme
un « étalon », c’est-à-dire une mesure de référence pour juger le droit positif. Ainsi, les lois
établies par l’État ne décident pas de ce qui est juste, mais doivent s’inspirer de cet idéal de
justice.

À NOTER

Dans Antigone de Sophocle, l’héroïne éponyme conteste la décision du roi Créon au nom des
lois divines, « non écrites […] mais intangibles ».

B. La conscience est meilleur juge que la loi

■ Il serait dangereux de réduire ce qui est juste à ce que décide l’État, car même de bonnes lois
sont parfois inadaptées à des situations très particulières. C’est pourquoi Aristote dit qu’un juge
« équitable » doit parfois corriger le « juste selon la loi ».

■ L’autre danger est l’obéissance aveugle, car tout ce qui est légal n’est pas pour autant légitime.
C’est à la conscience qu’il revient de décider de ce qui est juste : nous pouvons ainsi refuser
d’obéir à un État injuste et nous engager dans une action de désobéissance civile. « On ne doit
pas cultiver le même respect pour la loi et pour le bien », prévient Thoreau  : en matière de
justice, la conscience est un meilleur juge que la loi.

CITATION

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« Le citoyen doit-il jamais un instant abdiquer sa conscience au législateur ? À quoi bon la
conscience individuelle alors ? Je crois que nous devrions être hommes d’abord et sujets
ensuite » (Thoreau, La Désobéissance civile).

Conclusion

Il revient pour partie à l’État de décider ce qui est juste, en énonçant des lois ou en prononçant
des peines. Mais dans cet exercice, il importe avant tout que les décisions s’inspirent d’un idéal
de justice qui n’est réductible à aucune institution. Aussi revient-il à la conscience individuelle
de penser cet idéal et de garder un œil critique sur les lois.

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