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La démocratie à venir
tion, à savoir qu'elles font partie -elles, c'est-à-dire la supposition comme la prise _
de la structure du projet démocratique, que les principes démocratiques ne se suffisent
pas à eux-mêmes sans étourdissement et sans soupçon, de même qu'il est démocra-
tique de soupçonner la démocratie et d'être pris dans ce soupçon,
Dans les conditions d'un principe politique final et du principe corrélatif du
soupçon, deux hypothèses s'imposent à nous dans un premier temps. Il n'empêche
que ces deux hypothèses sont peut-être à même d'apporter un certain éclairage sur un
des phénomènes les plus virulents du démocratisme. Et si dles ne le font pas comme
hypothèses scientifiques - sociologiques, historiques,. politologiques ou politico-éco-
nomiques - mais comme esquisses d'hypothèses possibles et comme esquisses de
figures explicatives qui s'imposent, elles ont peut-être l'avantage de provoquer le
soupçon démocratique, le soupçon obligé avec sa foi dans le savoir et dans la science,
et d'offrir l'occasion à ce que, dans l'ère démocratique, on appeUe discussion. Car,à
l'égard de la démocratie, les affirmations scientifiques sont ou sans importance et ino-
pérantes dans leur principe, ou à la disposition de la discussion démocratique, possé-
dant dès lors, et seulement dès lors, le statut de suppositions qui à tout moment
peuvent être invalidées. Les remarques suivantes ont été écrites dans la perspective de
leur possible invalidation, mais eUes entraînent avec elles, dans la perspective de
l'incertitude quant à leur validité, les questions sur la structure historique des thèses,
hypothèses et axiomes, les questions sur la structure de la foi, des dogmes et des opi-
nions, et finalement comme questions sur les prémisses de la discussion; autrement
dit, elles mettent en discussion la discussion elle-même.
La pœmière supposition a trait au finali~~e d~ concept de démocratie. Depuis
A
Hérodote, où le terme apparalt pour la premlere fOlS, on suppose que le plethos archon
recouvre une des deux possibilités extrêmes de la constitution de la polis, l'autre étant
celle de la m.onarc~ie: et qu,e les deux ~e trouven~ m~diatisées, s~p~rées, ~t reliées par
le comprom1s de lolIgarchIe. Cette tClade constnuuonneHe, dlfferenclee et fondée
théoriquement par Platon et ~ist?te,. qui gar.d~ jusqu'au ,XX' siècle valeur de repère
approximatif pour, le cadre des InstItutions polm~ues, represente, ce:-tes, un triple pas
allant du plus petit au plus grand nombre - de 1Un de la monarchie au nombre res-
treint de l'oligarchie jusqu'auprand nombre de la ,démocratie - mais ses deux posi-
tions ,extr,êmes sont. ç~nsées S accor~e; p~ur e~cel~,dre chac~ne les unités les plus
extrêmes. La démocratIe ,e~t ceue ~~lte qm ~~cemt a .p~t ennere tous les citoyens en
droit de prendre des déclSlons polmques, saISIssant 3JnSl en elle une totalité que .
_. C' 1 1· ., la . tlen
ne saurait lexcé der. Pour lceron aUSSI, al cwztas popu ris sera: « Illa autemest citJit.
'
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Esquisse d'une confirmee sur la démocratie
rintéri,eur de la polis on ne rencontre que des animaux, des dieux et des idiots; et que
c'est à eux que s'adresse toute tentative d'une constitution politique.) Les femmes, les
enfants, ceux qui ne possèdent rien et les « étrangers », tenus à J'écart des instances de
décision et de délibération, n'ont été déclarés politiquement aptes depuis le XVIJ siècle
C
que de manière lente ,et partieUe, de sorte que ce n'est que depuis très peu de temps,
historiquement, que l'exigence de totalité du princip'e démocratique s'est approchée
du moins, s~ns tomefois l'atteindre, de son accomplissement. Cette seule circonstance
historique rend non seulement abstraite, rhistoricité, la transformabilitéet la possible
expansion du plethos démocratique, et peut-être la possible refonte de l'idée de démo-
cratie en général; eHe montre clairement, au-delà de cela, que le problème de la
démocratie dans son ensemble se situe précisément dans la notion et la chose de la
totalité, dans la flexibilité de sa définition, dans le possible déplacement de ses fron-
üères et dans son rapport précaire à quelque unité possible. Les systèmes démocra-
tiques sont donc, en premier lieu, des systèmes quantitatifs de toutes les personnes
privilégiées qui, par des relations numériques, se règJerii: sur l'Un de la monarchie et
qui trouvent leur modèle dans la présence personnelle de ['Un régnant, c'est-à-dire du
monarque. Le demos, tout comme la politie, doit être une unité, un Un,. s'il veut
exercer efficacement, en qualité de corps politique, son autarkia. Lautarcie est monar-
chique là aussi où r,ègne r autos du demos ou de la politie. Ce qui règne n'est donc
jamais le peuple, mais un seul peuple, et dans ce seul peuple règnent non pas des inté-
rêts économiques ou hédonistes, mais la mêmeté et ['identité, c'est-à-dire l'autos de ce
peuple même. C'est l'Un, dans sa mêmeté, qui règne, et par cette mêmeté son bien
- ce qui est le bien - est défini comme l'Un qui détermine l'unité du peuple.
Seulement: où les frontières de l'unité ne sont pas fixes, mais déplaçables et peut-être
à l'infini extensibles" la nmion du demos et de sa mêmeté devient précaire, tout
comme deviennent précaires la notion et le fait de son règne.
La dispute entre Platon et les sophistes sur ce qui conduit à l'Unité - qui est d'abord
unité de la loi: la question de savoir si c'est la physis ou la techne - s'est réglée par le
théorème d'Aristote sur l'autotechnidté de la physis. À l'époque des guerres de religion
le problème est tranché chez Hobbes par l'Imposition d'un Un. Celle-ci fonde l'unité
,du Common-wealth, l'unité du souverain, qu'il s'agisse, abstraitement, du Bien-
commun ou, concrètement, du Parlement ou du .roi. EUe vise à mettre fin à la lutte
de la cupidité et des intérêts des singuliers, de la guerre et de ses oonséquenœs mor-
telles. Seul l'Un de la souv'eraÎneté s'oppose à la mort, ,et l'unité du Common-wealth
seule peut faire déboucher la guerre sur une situation de pacification. Pour Hobbes,
le fond de toute souveraineté empirique et capable d'action est, comme pour Bodin
avant lui et pour Rousseau par la suite, le peuple. Mais Hobbes reconnaît plus nette-
ment que ces prédécesseurs et successeurs en philosophie politique qu'un peuple ne
p,eut devenir un peuple sur sa propre décision que lorsqu'il disposait déjlà auparavant
d'une unité à pouvoir de décision. Il résout ce problème d'une multiplicité, qui n'est
pas une multiplicité, par un hysteron proteron. La multiplicité à partir de laquelle se
crée l'unité n'est obtenue qu'après ,coup. « A Multitude olmen, are made One Person,
when they are by one man, or one Person, Represented; so tha.t it be done with the consent
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La démocratie il venir
ofevery one ofthat Multitude in particular. For it is the Unity ofthe Representer, not the
Unity of the Represented, that maketh the Person One. And it is the Representer that
bareth the Person, and but one Person : And Unity, cannot otherwise be understood in
Multitude l , » Seule l'unité du représentant produit l'unité du représenté et fait de la
multiplicité des singularités qui s'affrontent mortellement une multiplicité sous le pro-
sopon de la personne une du Léviathan, du Common-wealth, du souverain,. qu'il soit
le peuple qui se gouverne lui-même démocratiquement ou le monarque. Cette
« personne» est - comme masque, visière, vicaire, tenant-lieu, acteur - dépourvue de
la moindre substance, eHe est sans contenu ni essence, c'est une fonction purement
numérique qui conduit ce qu'eUe représente non seulement à l'unité, mais, simulta-
nément,. à l'être et qui l'y maintient. Seule la représentation fait du peuple un peuple,
et seul le règne de la représentation par l'Un fait du peuple un corps politique à même
de régner. Depuis, toute démocratie se présente comme monodémocratie ou démo-
nocratie et comme cratie d'une manas. Le commun est toujours l'Un. Mais la monas
est,. comme un imposé - imposed One - non pas la reproduction d'une unité donnée
par nature: ce qui, pour Hobbes, est seul {( naturel » est exclusivement ce que détruit
la nature. Comme unité posée et imposée, la corporation politique est essentiellement
axiome - une estimation, une foi, un dogme, la position d'un fond et l'imposition
fondamentale de tout ordre politique et de tout exercice de pouvoir souverain. La
démocratie est monocratie; la monas est axiome; la monarchie populaire du
Common-wealth de Hobbes est l'esquisse axiomatique de ce que communauté, peuple
ou règne veut dire.
C'est au plus tard depuis cette première .codification de la société d'État moderne
chez Hobbes que la politique n'est plus un règne à partir de faits « empiriques ». Elle
est aussi peu fondée dans ce qui est donné en soi que la nature est un simple phéno-
mène dans la Philosophiae naturalis principia mathematica de Newton, publiée une
trentaine d'années après le Léviathan; elle est construite, tout comme dans les Discorsi
de Galilée, publiés treize ans avant l'œuvre de Hobbes,. sur un mente concipere~ une
es'quisse mathématique qui va au-delà des phénomènes pour les cerner dans un Un
qui assure son unité afin de garantir de pouvoir être reconnus et manipulés 2, runité
de la cl?r.nmuna~té ou.du 'peuple - et ~~ec cett~ unité œ~u.i-ci même -est un principe
de déCISIOn et cl organIsation de l~ poltt~que, ~ est sa pOsltIon, non sa présupposition.
Plus exactement: le ~arq~age ~!Omatlque d u~ Un est la pré-supposition préalable
à accomplir pour qu Il y alt pohtlq~e, La fonction de cet Un est la production d'un
troisi~me pouvoir à même de réun~r. ~ur ~n s~l neutre de~: ou pl~sieurs Pouvoirs
con:Alct~~ls, d~ suspendre l,a guerre ~lvl~e, ~ empecher le frat:l~lde et d assurer une pro-
tection ~lenvel1~ante à l~ VIe de, pa~t1s rlvahsant entre eux. SI Ion. pouvait comprendre
encore 1autarkta athénIenne d ArIstote comme forme de la pratique autosuffisant.e et
du Bien suprême (agathon), le One Person du souverain de Hobbes ne saurait plus pré-
1. Thomas H~bbes, Uvia.than, ~chard Tuck (éd.), ~a~brid.ge :;niversity Press, 1996, ch. 16, . 114
2. POUIl' ce qlll est du mente canezpere comme geste d axIOmatISation fondatrice des sciences c P .
raines, on se référera à Heidegger, Die Frage nach dem Ding, Tübingen, Niemeyer, 1962, B, l,o;te mpo-
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---~-----------_._-- - ---------------~. . . . .!""""""--.. . . . . . . . ." " " :
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À la différence de ce que Max Weber et son école jusque chez Carl Schmitt ont
affirmé, la politique de neutr~is.ation ?es États dès l~ ~ébU1t du xv- siècle, et en parti-
culier depuis les guerres de relIgIon, n est pas une polItIque de sécularisation mais une
politique de théologisation. Comme l'époque des guerres de religion est en mêm
temps cene des premières grandes pous~ées démocratiques dont les effets se feron~
sentir longtemps après, on peut être encllll à penser que la théologisation struetu . Il
. .. d ' re e
de la politique correspon claIt au pnncipe u protestantisme - au principe d'un D'
des individus croyants et, cl ans cette mesure, d,un·D'leu neutre - et que c'est œu
cette raison qu,el'1e a revetu d"
"1a Clorme d e l a,emocransatwu. . pour
Ainsi naît le premier soupçon - l'hypothèse que nous avions annoncée d'entr 1 _'
380
- r-~~-·~·
1
!
Esquisse d'une conférence sur la démocratie
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La démocratie à venir
1. G. W. F. Hegel, Cours sur la'philos~ph~e, de la religion, tr. fr, J, Gibelin, Paris, Vrin, 1959 .
a.brégé CPR), Les références renVOient à l édition allemande: Vorlesungen über die Philo 'Ph' j~ésOtl:nals
1,- dans GesammelteWtrke, t, 16, Francrort-sur-
- 1: LM'e- . am, Suh rl.\amp,
1. __ - so le uer Religt.Q'12
1969, p. 236-237, .
2· Tr fr, J, Gibelin, Paris, Vrin, 1963 (désormaiS abrégé CPH) , Les références ten .
,t.'/o h' J r
, ,
allemande; Vorl.csungen ~ber aie
J
Pm . sop te aer 'Jesch'tehte, dans Gesllmmelte Werke, t. 12,
VOlent à l'éd'
F. . 1tion
Le-Main, Suhrkamp, 197.0, p. 71. tancfort-SUt_
382
-Q. i- -5 l i ::s
- l
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La démocratie à venir
sol sur lequel sera bâtie la communauté. Ce n' est q~ avec le protestantisme tel que le
pense Hegel que la foi en la société organisée par l'Eglise - et ainsi en l'aune - devient
la foi en Dieu dans le Soi propre - et ainsi foi, en premier, tout court: forme absolue
du savoir (de soi) sans corrélation d'objet. La société protestante est la société des
croyants, c'est-à-dire de ceux qui ne croient pas en la société. Car croire ne veut pas
dire croire en quelque chose, en un objet, en une règle, en une loi, une doctrine ou
une institution, puisque tout ce qu'il y a dans la position d'un objet, d'un vis-à-vis Ou
d'une représentation, ne peut, comme objet, être que l'objet d'un savoir et donc
jamais du savoir absolu,. du savoir de, soi ou de la foi. La foi trouve son fondement en
elle - ce qui veut dire qu'il n'y a pas fondement dans le sens d'une causa ou d'une
aition en dehors d'elle-même, surtout pas de motif qui pourrait arbitrairement être
remplacé par un autre. Celui qui croit ne peut en nommer la moindre raison ni en
appeler aux autres, car chaque autre devrait d'abord être cru . Celui qui croit ne croit
pas en un fait, mais accomplit - et fait - la foi. Et ce n'est que dans cet accomplisse-
ment seul qu'il est seul et uniquement lui-même, celui ayant foi en soi, le fidèle
même. La foi ,est insubstituable, indépassable, absolument certaine et temporeUement
indéterminée. Dans tous les sens, la foi est donc la relation absolue à soi non comme
à un objet, mais comme événement. C'est pourquoi on peut dire que la foi est la rela-
tion ab-solue par-dessus tout: la reladon de rab-solution de toutes les dates, de tOUt
ce qui est donné et établi, de tout objectif, pré-posé et pré-sen té, de tOut pré- et la
relation de la résorption de tout ce qui est donné dans la dissolution de l'absolution.
Comme foi absolue,. donc, eUe est non pas foi en un Dieu qui existerait encore en
dehors d'elle - on ne peur pas croiœ en Dieu: mais dans la foi le croyant est près de
Dieu, avec Dieu et - cOI?ble du blasp~ème et fond et .raison de toute religion _ lui-
même Dieu même: ce DIeu absolu qUI est le seul et umque, le monotheos, qui ne sau-
rait être dupliqué, représenté, imité, pas ~ême désigné comme Un sans devenir fétiche
ou idole. La communauté des croyants n est donc pas seulement la communauté de
ceux ~ui ne, croient pas en la communauté, mais éga1 7ment de ceux qui ne croient pas
en DIeu: c est la communauté des croyants dans Dzeu, donc une communauté da
la foi, et ainsi communauté dans le principe de singularisation absolue, de l'absol ut
singulière du Soi.
iC:
La démocratie serait donc en ,effet une démonocratie et une, m~nothéocatie. Elle ne
serait pas seulement une parmi de n?mbre~ses autres constItutIons théo-politi
l
que Hegeconnalt A - pas ' tle pamarca
Ia« t heocra e»l-"JUIve -.de l' « autorité l' al
ques
., d 1 /' . b
pas la « religion ~ art}) e a po ~s ?recque qUl~~pose sa su. stance pa~ de belles formes
eg e»,
et fêtes p~ur fin.Ir dans la~omedl~, pas ~a r~hg!on cat~o~lque des dIspositions et des
doo-mes d autoflté -, .la .democratle seraIt 1umque relIgIOn monothéiste app 'é
" l é V· " l' . .
dans la mesure où e le ne pr. sente pas 1 UnICIte et unué de Dieu comme ropn 1 e
. ,. 1 . I l ' "
chose de donné ou'd e present, qm es morce erau, méllS ou elle les accompl' que que
.
l'Un universel des smgu' 1arnes., et done des so l'nudes. La démocratie. serait 1tcomme
essence une pratique religieuse, rigoureusement monothéiste et essentielle en son
testante. EUe seraIt . l a rea
'1'lté prosalque
.. d
e l "
a pnere permanente des EfTO sin ment1 pro-
.
.. l' '1' cl d' 1 M .
indlvldua lsés a a resse - eux-mernes commee eSSle venu et sans cesse
A 6 gu ansés
. ')
. venant et
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Esquisse d'une conférence sur la démocratie
rassemblent, le drapeau de l'esprit libre qui est chez lui, et ce dans la vérité, et qui n'est
chez lui qu'en elle ». Cette dernière bannière, cet eschaton de la liberté de subjectivité
substantielle,. Hegel le désigne comme « le drapeau que nous portons et sous lequel »
- nous tous - « nous servons. Le temps ,entre ce moment et notre époque» - nous id
et maintenant, depuis Luther et jusqu'à la fin du xvme siècle, et jusqu'au début du
:xxr siècle -« n'a pas eu et n'a pas d'autre œuvre à accomplir que celle de déployer la
form,e de ce principe dans le monde du fait que la réconciliation en saï, et la vérité
aussi, devient objective, dans la forme.» (CHP, 12, p.496.) Par rétablissement à
r échelle du monde ,et de son histoire et par l'étatisation du principe de subjectivité,
une forme d'État est créée - c'est ainsi que r on peut entendre cette phrase - et ne
cesse d'avoir à être créée, faisant de chaque bouddhiste, de chaque musulman, de
chaque juif, de chaque catholique et de chaque athéiste séjournant au sein de sa circons-
cription mondiale et historique, un démocrate structurel et ainsi un protestant. Le fait
que les « peuples se rassemblent » sous la bannière protestante, eschatalogique-chré-
tienne, de la pure intériorité de la foi, ne signifie rien d'autre que ceci : que le principe
luthérien est devenu historiquement le nouveau, et mondialement, le dernier prindpe
aussi bien de la religion que de la pensée que de la politique; que par ce principe
absolu, pour la première fois, ait été atteint le ( rassemblement» global des peuples en
l'unité d'un monde des mondes des peuples; que par ce devenir d'un mond.e et de
cette « mondialisation » la « mondialatinisation )~, dont parle Jacques Derrida dans
son saisissant {( Foi et Savoir })" a fini de s'accomplir,. de s',effacer et de se relever par une
« mondialuthérisation » laqueUe, pour sa part - car elle est la « dernière bannière» - ne
doit plus pouvoir être complétée, effacée et relevée. Quiconque entre dans ce premier
jlour de l'histoire mondiale et saisit le principe de la Réforme et des révolutions lui
succédant, est entré - qu'il l'ait intentionné ou non, qu'a rappelle d'un terme ou d'un
autre - dans le monde du protestantisme et dans le rassemblement des démocrates.
Hegel insiste: une fois entré, on ne saurait plus en sortir, car c'est le seul monde et le
seul rassemblement, c'est le premier comme le dernier, le rassemblement archi-escha-
tologique, le rassemblement dans la libert,é du Soi universel. Or celui qui en fait partie
- ce qui signifie: celui qui fait partie du rassemblement de ceux qui n,e font partie
d'aucun rassemblement - est pris par lui. Pris par soi. Il est sous l'emprise du rass,em-
blement du Soi et a parti pris parce qu'il ne saurait lui échapper - du moins pas à son
prindpe -, pris paroequ'il sait seulement où il en est avec lui-même et le Soi de tous
les autres, mais non pas où cela pourrait le conduire aU.trement, vers quel ailleurs, quel
au-delà. Il est,. par cette constitution dernière, au début.
Certes, œtte démocratie, la démocratie moderne, ceUe des individus qui trouvent
dans leur Soi le principe de la communauté et de J'universalité, existe depuis la
La démocratie Il venir
Réforme. Mais ceci ne signifie pas pour Hegel que l'histoire est finie, cela signifie que
l'histoire de la démocratisation débute. A sa réalisation objective s'opposent, selon son
estimation, essentiellement deux « ruptures ». C'est la résistance de ces « ruptures»
contre le progrès dans la réalité de la liberté qui permet de saisir avec plus de précision
la structure interne de la démocratie christique. Car dès lors que ces « ruptures» pas-
sent par la démocratie, dIes passent par le Soi conçu de façon théanthropologique et
. par l'axiome dans lequel il se définit: ce som des « ruptures» dans r axiome de la foi.
dans l'axiome de r axiome qui fonde le système des opérations et des organisations
démocratiques. Hegel écrit dans les Cours sur la philosophie de l'histoire à propos de la
plus récente phase de la démocratisation qu'il connaisse, à savoir son propre présent:.
« D'une part il reste toujours cette rupture du côté du principe catholique, d'autre
part celle de la volonté subjective. » (CPH, ]2, p. 534.)
Première rupture. Elle commence par le fait que le principe de J'individualité de la
foi rompt avec la législation ecclésiastique et ainsi avec l'autorisation divine des rois
qui lui est attachée. Le sens en éclate tout particulièrement en Angleterre avec le sou-
lèveme~t des grotestant~ c~ntr~ la roy~uté cath~lique. Ta~dis q~e le roi revendique
le priVilège d etre « révelatlOn ImmédIate de DIeu », les Insurges protestants affir-
ment: qu'un tel privilège ne saurait être l'exclusive de quiconque - ni des prêtres ni
des laïques -, mais que chaque individu, par la force de sa foi, dispose d'une autori-
sation divine . « En Angleterre s'est ainsi soulevée une s,ecte protestante qui affirme
que lui ait ,été révélée la manière dont Hfaut régner; après cette révélation par leur
Seigneur, ils ont excité le sentiment d'outrage et décapité leur roi. » (cPR, 16, p. 238-
39.) Le décapitation de Charles 1er est un fait historique, mais par là même également
un fait st~uc~urd du démoc,ratisI?e protestant: ce d~moc:atis~e ne s'affirme pas
comme prmCIpe de tous les smgulIers sans ramener le smgulIer smgulier à l'échelle de
tous les autres, à l'échelle du Soi. Partout, où un singulier revendique quelque privi-
lège à l'égard de. tous l~s ,autres et pr~tend être plus q~' e~x, le, sing~lier singulier,
au nom de la smgulante- He~el l appelle ~e ~(particulIer »,celm séparé de la
généralité -, doit être rendu pareIl aux autres, Il faut l'amputer littéralement de ses
r
prérogatives e. t as~imil~r à la mesure ~o~~une, ,la mesure de la communauté: il
faut le décapIter. :Légalité de tous les mdIvidus n est redevable pas seulement à 1
mort de l'individu inégal, elle se définit par cette mort d'un Soi inégal. Avec r é~
cution du monarque se trouve exécutée la particularité afin d'établir la comm ex
~
rabilité du démocrate et 1" axIOme.d e son unit. .é ~ ensu-
.
n en résulte trois énoncés liés ent.re eux :
- Est démocrate qui décapite le monarque.
- Le démocrate est le monarque décapité.
- SeuIle sui-régicide est démocratique.
De là découle le quatrième énoncé:
- La démocratie est l'esprit du monarque décapité, sa tête sous le bras (N
cherchons pas a' dé~ termmer,·
. à ce stacl' '"
e, SI « espnt E
» slgnIl1e ·ous ne
ICI - SUiVant la d' . ~.
• ' .
1. Carl Schmitt, Politische Theologie Il, Berlin, Dunker & Humblot, 1970, p. 116.
La démocratie à venir
souverain disparu et culte de l'attente d'un souverain à venir, Plus exactement encore:
deuil et mélancolie de ce qui est encore là et qui est déjà à-venir; et t>attente de ce qui
est de nouveau là et qui disparaît déjà, deuil fantomal et attente fantomale donc de la
souveraineté, I.:esprit de la démocratie, déchiré entre ces deux exuêmes et constituant
lui-même la déchirure entre eux, est une maladie mentale, la dernière; inguérissable,
universelle et sans contraire - Hegel parle alors des lndependantists anglais et des paysans
de Münster autour de Thomas Münzer comme de « fanatiques» (CPH, 12, p, 516) Itout
en devant reeonnaitre en eux les acteurs décisifs de l'esprit du monde, La démocratie
est, de par sa structure, un inter-règne, du point de vue historique, située entre deux
monarchies, quant à sa constitution un compromis bureaucratique entre anarchie et
dictature - Hegel qualifie les multiples États allemands issus de la paix de Westphalie
d'« anarchie constituée}} (CPH, 12,. p. 518). Dans ce sens, sa théorie, depuis Milton et
Locke, depuis Montesquieu et Tocqueville, est restée jusqu'à nos jours une théorie du
partage et de l'équilibre des pouvoirs, une théorie d'un espace intermédiaire, de
l'équilibre entre des extrêmes, de la médiation et de l'équilibrage entre des partis en
guerre ou d'intérêts opposés - théorie de l'inter-règne entre une mort et une autre. Le
motif en est évident: fondée dans la relation entre la foi de l'individu et de son uni-
versalité, entre Dieu et sa mort:, entre la souveraineté du for intérieur et de la souve-
raineté de eÉtat (de son for extérieur), la démocratie constitue la forme politique non
pas, déjà, de la synthèse de pouvoirs qui s'entrechoquent, mais, dans un premier
temps; la forme de sa neutralisation vague e,t toujours corruptible. Il faut que la démo-
cratie puisse être un neutre avant de pOUVOIr être un uterque et un unum, Or eUe n'est
ni l'un ni l'autre ni un troisième, Hegel la décrit donc comme un étourdissement
entre ses extrêmes. Il se peut que :et étou~dissement, ~britant parfois la terreur la plus
brutale, ce tremblement de la demoeratle dans son Inter-règne, soit la seule forme
dans laquen~ le rè~ne de l'Un ~uisse se réaliser tout comme peut s'y réaJ:iser sa singu-
lière souveraIneté Intenable et msupportable entre deux souverains.
Les« fanatiques» anglais, écrit-il, « voulaient gouverner l'État directement à part'
de la crainte de Dieu, tout comme les soldats pareillement fanatisés dev"';ent If
l e d
battre sur le champ de bataille par a rorce· e leurs prières, Mais - poursuit-il_
"" com-
chef militaire possède désormais le pouvoir et tient ainsi le gouvernement ent un
m~ins ; car!l, fi"dut ré~ner, dans l'·É - et C
, tat; , romwe Il savaI.:, ce que eétait, Il s'est re ses
donc
faIt souveram et a faIt voler ene~lats c~ Parlement ~n pn re » (CPH, 12, p. 516-517)
7
Suite à la mort de CromweU et a la pnse de pOUVOlf de l ancienne dynastie l '
" é' b· 1 d cl
vement d e l ml rlonte aseu e e nouveau ans t extreme extérieur de ri
'1 1;' " -, e moU-
'd'
, . C ' " ' d l R' l '
divine du catha l.IClsme. e nest qu a parur e a evo unon française _ 1 - tateté mme .1'
c ail cl "1 ' " d
mem de la Relorme 'eman e - qu 1 est a meme e reconquérir le pou . M·' -,
1 e camp e-
s'y J' oue la même scène comme par une contrainte de répétition: «Le ~mr.' aIS Il
liberté de la volonté s, est.Imposé 1:lace au d" rOlt eXistant, [",] C'est le so pnnclpe de la'
a conduit à la guillotine le monarque dont la volonté subjective était upÇéo~ é[. . ,] qUI
' ,
conscience rel19.1euse cath 0 l'Iq.ue. [.'"] 'T'lan( que 1e so lel'1 brillait
. dan , lpr C1Sment
'1 [ la
n'avait pas vu que l'homme s'é" tait mis sur 1'" s e CIeé'" ] 'On
a tete, c est-à-dire sur 1·
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Esquisse d'une conférence sur la démocratie
tiques, des neutres, des libéraux ou des moralistes. Tout cela au nom et sous la pro-
tection de la démocratie.
Le système hégélien de la monarchie constitultionnelle héréditaire cher,che à
affirmer les droits de la singularité contre de telles instrumentalisations par le ratio
économique et idéo-économique et à mettre fin ainsi à la. ({ farce ». Mais,. dans les faits,
il Hvre en même temps la formule de rétourdissement structurel des systèmes, démo-
cratiques. Le célèbre passage, maintes fois commenté, de la Philosophie du droit carac-
térise le monarque comme un individu concr,et, une personne naturelle et raison-
389
La démocratie à venir
nable, qui n'ajoute aux décisions parlementaires que son « oui» décisif, son « je veux »,
avant d'y apposer sa signature: « Comme monarque il suffit d'une personne qui dise
"oui"et qui mette les points sur les i, car la pointe doit être telle que la particularité
du caractère n'est pas ce qui est significatif. » (§ 280, ajout.) Le monarque est cet indi-
vidu, abstraction faite de tous les autres déterminants; il est ainsi singularité immédiate.
En tant que td, il est volonté et existence sans fond, fondé en lui seul, libre de toutes
les déterminations et desseins particuliers et, partant, chose générale, en Un nature et
esprit purs. Il est - car toutes les déterminations mentionnées s'y accordent - la foi
en personne. Comme position se fondant en elle seule, exempte de toute détermina-
tion extérieure, unité resserrée en un {( Ce », le monarque est l'axiome politiquement
concrétisé, l'axiome de l'axiomaticité de la foi qui est, en elle, Un et affirmation
simple et indivisible. En lui, l'État de tous les individus peut trouver son unité. En
lui le prindpe démocratique, disant que le gouvernant doit être un avec le gouverné,
est réalisé. Le monarque - ce singulier - est le démocrate idéal Grâce à lui, la démocra-
tie a atteint sa pointe et à l'extrémité de cette pointe qui disparaît, son existence réelle.
Mais, en même temps, il n'est qu'existence formelle. Sa d.écision - et toute l'existence
de sa volonté n'est rien d'autre que décision - n'est jamais que dire « oui et amen ») son
comenu dépend des décisions du Parlement, des Conseils, des Assemblées, des pressure
groups, des intérêts et d~s visées. des p~.rtis: ca~tes e~ classes: Le dém~crate monarchiste
met les p~~nts sur les t -" et bien q~ Il n y ~I.t pOint dei z san,s pOint --: le point qu'il
met, et qu Il est, ne peut eue un pOInt que s Il est sépare du t, quand Il est la tête ab-
solue, détachée, tranchée,. décapitée du roi. En anglais : the axiom axed.
ridée de l'État hégélien est ceUe d'une démocratie de monarques - après la révolu-
don anglo-protestante et après oelle, française,. calviniste-rationaliste - de monarques
acéphales donc, de ,mon!lrques sans n:o~archle, de .monarques esprits et survivants.
Tous, l~s citoyens d un Etat et, e~ ~f1,n:lpe du m,oms, de tous les Éta~s ~u monde,
se reJ01gnent dans ce ~orps du rO~l dIVIse ~ar, une Infi.me COupure - mats Ils se dislo-
quent égale~,ent en lm. Car le, P,Oint. du r?l ~ est ~as sl~pl~~ent u.n « oui» à r adresse
de tous, à 1adresse de la totallte et mfime hb~rte des mdIvidus ; Il est également
« oui » à tou.tet donc le jouet et organon des dIverses majorités et donc d'une infi ~~
d'inJ'ustices scandaleuses. Marx, .dans le commentaire de sa Critique du droit de l.~lt
de Hegel, a affirmé, à rn~n sens àraIson,
"
bal progos d e ce passage : « La démocrati.e.c:.tat
est
la vérité de la monarchie », et, me seme-t-lM, à tort: « La monarchie n) t l
.. ' 1 .» Peut-etre
vérité de 1a cl. émocratie ". ne d ' Ile pas }'"etre; or elle l'es pas, a
evrt1tt-e
est
déplaise aux défenseurs de la conception marxienne du demos qui e~t proc1h , n en
de celle de Rousseau: l,e prmcIpe " . cle 1a monarch'le et ce1m. de la démocrat' e enCo.re
inséparables; 1a f:al'Il e 1es traverse tous. d·eux) eIle traverse 1a mêmeté univ . le Il so.nt.
, ffi·· 1.' . cl . .
leur est commune et s a rrne comme rc:Slstance u pnnclpe catholique cl
. - erS'f e qUI
1 .
II > ffi d fi 'lI d " . ans e pnn-
dpe pfotesta~t - ee SI afi· rme d?nc ~o~me 1 alfoee td~ut prmclpe, Carle démocrate
monar'que n est que a 'Orme - un 01 et a rme une volonté san b·' -
S 0. Jet, sans
1. Karl Marx, Critique .du. droit de l'État de Hegel, dans Siegfried Landshut (éd.), Die Früh '
Stuttgart, Krôner Verlag. 1953, p, 482, schrifien,
390
Esquisse d'une confirence sur la démocratie
contenu ni intérêt; il ne peut donc être que le lieu vide de la guerre civile; et comme
tout Heu, comme tout corps, il peut, à tout moment, devenir une arme dans cette
guerre. C'est cela, me semble-t-il, la ~( rupture» qui part du « principe catholique)} de
('hétéronomie et qui traverse également le système de la démocratie spéculative dans
lequel eUe était censée être relevée. Or si le principe de l'État démocratique riest un
principe de liaison que du fait d'être simultanément celui d'une déliaison - donc de
la déliaison de la liaison du principe même - alors la démocraltie est toujours une
forme, bien que souvent latente,. de la dépolitisation et de la désétatisation, et ainsi
simultanément de la dédémocratisation. La démocratie - ses ennemis durant les
siècles passés n'avaient pas tort - est une anarchisation. Elle ne peut l'être que par le
possible excès et la possible récession du Soi en lequel eUe se fonde.
Seconde ruptune. Hegel l'appelle la «volonté subjective}) et la définit comme la
« partialité principale », « que la volonté générale doit également être générale empiri-
quement, c'est-à-dire que les individus règnent en tant que tels ou participent au
gouvernement: » (CPH, 12, p. 534). Ce que Hegel appelle libéralisme, et qu'il désigne
comme une notion formeHe ou abstraite de la liberté, mise donc exactement sur le
principe qui a déclenché la Réforme protestante et la Révolution française et qui se
situe à la base comme au sommet de la monarchie constitutionnelle hégélienne. La
conséquence de ce principe est, selon Hegel, désastreuse: « La volonté du grand
nombre renverse le ministère, et: l'opposition s,e remet en place; or celle-ci, étant alors
gouvernement, se trouve opposée au grand nombre. Mnsi le va-et-vient et le trouble
perdurent. » (CPH, 12, p. 534-535.) Le trouble est celui de la guerre civile planétaire
permanente. Il résulte de la relation des Uns à eux-mêmes comme plurid, donc de la
rdation arithmétique-démographique sur laquelle se basent tous les systèmes poli-
tiques représentatifs. [universel ne peut se reconnaître, d.ans la mesure où il fait abs-
traction ,de toutes les particularités, que dans l'Un et reconnaître avec lui son identité
substantieUe, parce que cet Un est, de son côté, essentiellement une abstraction. Le
pluriel, ,en revanche, est tous les autres - c'est pourquoi la relation de l'Un à la multi-
plicité ri est pas une relation qu'il entretiendrait avec lui, mais une rdation int,er-
rompue, cassée - relation d'une irrelation et donc annulation de la relation même. Il
n'y a p'as de relation de la représentation qui ne serait pas celle d'une violence mor-
teUe. Hegel n'admet aucune remise en cause de ce fait de la politique démocratique :
« Die ~nigen s,oUen die Vie/en vertreten, aber oft zertreten sie sie nur. (Le petit nombre
doit représenter la grande foule, mais le plus souvent il ne fait que la fou]er du pied.) »
(CPH, 12, p. 530.) Il en va de même pour oe qui est de la domination de la majorité
sur la minorité. Hegel l'appelle « inconséquence », de même qu'il appelle le système
de représ,entation « inconséquence colossale ». Dans les deux, il voit la « collision des
volontés subjectives ». Cette collision n'est possible que parce que ces volontés ne sont
pas le simple pluriel d'une volonté, mais composées par l'universabilité ,et la résistance
à l'universalisation - donc composées de ce qui s'oppose à la composition. La collision
démocratique d,es volontés est la collision de la volonté avec sa résistance contre eHe,
la coUision donc de ce qui ne se laisse pas réduire à une volonté ou à une volonté,. et
donc pas davantage à la structure fondamentale de la subjectivité. Le principe des
391
La démocratie à venir
392
Esquisse d'une conférence sur la démocratie
lui-mème de façon efficiente sans être confirmé par ce mouvement: lui-même, il est
cett,e structure extrême de la pensée elle-même dans laquelle il se présent,e comme
pure résistance contre soi, comme auto-résistance et, par là, comme impénétrable à
lui-même. Sa protestabilité est protest-stabiHté : stabilité de la protestation contre
toute protestation qui pourrait se tourner contre elle-même,. impénétrabilité d'une
pro-testation pour toute autre, impossible annulation du soupçon. La protestabilité
est improtestabJe. Elle est ['inébranlable de l'ébranlement même,. et ce qui est en-
traîné dans son mouvement - convictions, opinions" points de vue, intérêts - devient
élément d'un conflit insoluhle et régulièrement destructeur.
Le tremblement cartésien de la protestabilité, dans lequd tous les prédicats et tous
les contenus sombrent et .où le mouvement du tremblement seul se maintient comme
fondamentum inconcussum" est la forme de la démocratie. Elle n'a pas de détermina-
tion dont eUe ne pourrait se défaire, puisqu'elle est, ouverte à toutes et indifférente à
['égard de tOlltes, seulement la forme de possibles déterminations.
La « collision de volontés subjectives» qui caractérise,. selon Hegel, le système de la
démocratie, est la coHision de ceux qui se tiennent à l'ipséité de la volonté et à la
m,êm,eté de toutes les volontés, mais en même temps à la particularité de sa volonté
propre, « subjective ». Elle est donc collision dans la volonté même comme instance
aussi bien de sa généralisation comme de sa résistance, de sa pro-testation comme de
son improtestable, de sa puissance légiférante comme de son immédiateté anarchique.
Dans la volonté, c'est touj.ours quelque chose de particulier qui proteste contre sa
propr:e généralité: c'est toujours l'autre qui proteste, et cet autre n'est jamais à ,eollp
sûr réductible à un Soi,. à une volont,é ou à un savoir~de-soi. Démocratique n'est donc
pas seulement la protestation du grand nombre contre le petit nombre qui gouverne
le premier, démocratique n'est pas seulement la protestation de la minorité contre la
majorité et ainsi contre les différents détenteurs du pouvoir; démocratique est, dans
le principe, la protestation de tout un chacun contre l'autre - et quand bien même cet
autre est lui-même. La foi du Soi intérieur du protestantisme à partir de laquelle, pour
Hegel, partent les mouvements démocratiques de la modernité et dom la structure est
le fond de toutes les constitutions démocratiques, cette foi des individus de posséder
en eux-mêmes la vérité et de faire de cette vérité isolée le critère de toutes les décisions
de la société, cette foi qui ne connaît aucun autre que le sien propre et qlli" par consé-
quent,exclut tout autre autre, s'avère être durant la seconde grande révolution démo-
cratique, la Révolution française, comme un résidu catholique provocant 1'« absolue
méfiance» et la protestation absolue. Le régime de la vertu et de la Gesinnung, de
{' opinion républicaine, suit la même loi que le régime de la foi: tout comme celle-d
se fonde exclusivement ,en elle-même et n'admet aucune donnée extérieure, de même
l'opinion démocratique « ne peut être reconnue et jugée que par l'opinion ». Là où
règnent, en conséquence, la foi, l'opinion, la vertu comme principe des ,décisions
démocratiques, règne également le Verdacht, le soupçon, disant qu'il ne s'agit peut-être
pas de la bonne foi, de la bonne opinion et de la bonne vertu. Dès que le soupçon les
frappe, eUes sont condamnées et exclues de la société. ( La vertu subjective, qui ne
règne qu'à partir de ['opinion, apporte avec elle la plus terrible des tyranni,es, écrit
393
La démocratie à venir
Hegel. Elle exerce son pouvoir sans forme juridique et sa peine est tout aussi simple
- c'est la mort, » (CPH, 12, p, 532-533,) Le principe de l'intériorité subjective de la foi
ou de la pensée, qui se dérobe à tout contrôle de la part de la communauté, trouve sa
s,cule communauté dans le soupçon universel, voire dans la mort. Ce sont le soupçon
et la mort qui définissent la politique des démocrates pour lesquels la démocratie,
comme c'est le cas pour Robespierre, est une affaire sérieuse,
Le soupçon et la terr:eur du soupçon, cette furie de l'abstraction, est la forme de la
généralité démocratique. Elle a dominé la naissance de la démocratie dans la révolu-
tion et, devenue latente, elle dicte toujours la loi des sociétés démocratiques, Certes
« à raison », certes pour l'établissement et le maintien de ce qu'est le droit, certes
pour la préservation du droit, de celui ~ de soi comme de celui des autres, certes pour
soutenir la légalité et pour stabiliser l'Etat de loi et la sécurité qu'il garantit, et certes
pour s'.assu~er de soi-mêm~ et d~s ,autres" de son « statut » ~o:c~o~éc?no~ique propre
et celUI ~e 1autre, de son « IdentIte psychIque », ~e ses possl~lhtes cl ~ctlOn politiques
et techmques, Pour tout cela, le soupçon essentIellement democratlque, essentielle-
ment démocratique de droit, tel que l'exercent quotidiennement, heure par heure.
tous les organes ?e la législation, de la juridiction e~ d~ pouvoir exécutif, jusques e~
y compris la pohce, pour tout .cela ce so~pçon ,~st ~n.dlspensable. Même le rapport
des démocrates entre eux, toUjours SOUCIeux cl eqUIhbre et de compromis, évitant
tout soupçon, se gardant de lui, témoigne de la présence de la police intériorisée . et
la politesse du comportement civilisé peut également témoigner de la violence'du
soupçon censé, être neutrali,sé par eUe, L~ pO,litique démocratique, j~sque dans ses
gestes les plus mfimes - et mnmes peut-etre 1ustement pour cela -, Jusque dans les
réfle.xio~ns ,qui l'on: po.ur ~bjet, ~~t régl~e sur un,e techni~ue policière du soupçon.
Qu'Il s agIsse des mstltutlons. d educatIon ou de formatIon, des bureaux ou d
cl cl 1
usines, des comités, es parns ou .es par ements, tout c~mme à l'époque de la ter-
_es
reur, c'est le soupçon et la mort qUI menacent, la mort dne sociale, psychique m .
toujours la mort sous le l ,.
prInCipe d.t.cmocratlque
' d 'un contro"l e nnale ' pais
des individus
d'autres individus qui feignent être une communauté qui n'est à même d'être op:
rante que dans les structures du soupçon, de la méfiance, de la condamnation ou du
mépris. ' "
(Concernant cette démocratIe de la« collISIon de volontés subjectives» cett
munauté chrétienne. cl e 1a coliT'.
tuston d e vo1ontés su b' .,
'}ccmantes ,
pour lesquelles 1e Com-
munio dans 1e ChrIst ' est clevenue 1a c lOrme c l ' . politico-pol'.','_a C01n-
e commUlllcatton
excellence, Maurwe . B1anch ot a l ' .dans son récit
p ace . La Folz'du .Jour 1IClere
fi .par _
e
, . d 'l' d 1 Il .. l ' "-
b1blIque des : eux au ffilleu esque s est e trolSleme, ans un COntexte qu' ormule
d a .
à dicter 1,ordre.. cl'
u Jour:« N'1 l' un, nt,. 1 ' · certes, n"etait
autre . le commissaire idCOntInuel'
d 1 '1" .
Mais étant: deux, à cause e ce aIS etaient trOIS .. , .» Et son ami Emman 1 Lé'lee '
1 e po
de commenter : ~( Il suffit d'être deu:' pour déjà servir le pouvoir, Faire un ~:it VInas
c'est déjà rédiger un rapport de pohce 2, ») , parler
394
Esquisse d'une conférence sur la démocratie
1. Phiinomenologie des Geistes, dans Gesammelte Wér.ke, t. 3, Francfort~sur-le-Main, Suhrkamp,. ~970, p. 437.
2. En français dans le tex1te.
395
La démocratie à venir
396
$&-
II
N OTES POUR PRÉCISER ET DÉVELOPPER L'ESQUISSE
POUR UNE CONFÉRENCE SUR LA DÉMOCRATIE
D'où nous vient ce penchant à écrire des esquisses? Une esquisse n'est pas un frag-
ment, c'est un travail préalable, un premier « jet», un premier examen des possibilités
de composition, d'accentuation, d'arrangement des lignes de force, des surfaces, des
couleurs,. comportant souvent plusieurs détails traités avec plus de précision, son-
dages, soundings. Or l'esquisse possède une structure particulière qui la rend indépen-
dante de sa fonction. EUe est non seulement le travail préalable et le premier jet d'une
œuvre élaborée, elle est non seulement un « seuil préliminaire », comme disent les his-
toriens des textes et de l'art qui rêvent sur leurs marches qui montent et descendent.
raft de l'esquisse est l'art du détachement (y compris de sa fonction pour une œuvre
à venir) ; du partage des ,eaux, des surfaces, de r espace; de rabandon à un phéno-
mène; de détachements pour des occupations-tests dans des zones danger,euses ; l'art
de l'attention mobile, donc égal,ement de la retenue. Elle permet les p,erspectives
doubles, les accents doubles et triples, les estompages, les biffures, les réserves de par-
ties auxquelles, dans un autre contexte, on ne saurait renoncer. En tout cela l'esquisse
est ce que 1'« œuvre» « élaborée» n'est pas: c',est une première attaque avec des
espaces de retrait,e ouverts. Schize mobile. Chaque trait, dans le champ esquissé,
indique qu'il pourrait tout aussi bien être autre. Art de la contingence: contact de
l'être autre.
resquisse est la forme d'ouverture d'une forme - donc à peine forme, seulement
ouverture de forme. Elle est le début d'une forme, adformativ:e, a!formative, où eUe
touche de simpl,es possibilités de forme, sans les fixer, sans les arrêter, les .ef:fleurant
furtivement comme on effleure quelqu'un du regard, comme par hasard ou intention-
nellement on effieur,e une robe ou un thème.
397
La démocratie à venir
Même là où. elle est brouillon, elle doit, dans ce sens précis, être claire: quelque
chose qui reste lointain doit en sortir, doit y pousser, doit s'y extraire. Quelque chose
doit s'y annoncer. [esquisse est l'oreille, la nasse, le filet dans lequel cette annonce se
prend sans pour autant être prise.
Le phénomène déjoue l'esquisse; l'esquisse, le phénomène.
Nulle esqujsse qui ne serait pas fraîche. Cette fraîcheur est le signe que quelque
chose s'y annonce dont la maturité est à venir. Dans l'esquisse, quelque chose S'ouvre
ou affleure.
C'est pourquoi eUe possède tous les traits de la vélocité, Sa rapidité doit corres-
pondre au rapt avec lequel le phénomène furtif pourrait de nouveau s'éloigner.
A supposer que ... Un exercice d'analyse conJecturale. A SUpposer que la démo-
cratie soit constituée comme une teUe esquisse?
Si le principe organisationnel de la démocratie correspondait au principe de forme
de l'esquisse, les alternati:ves ,d'une ~onstitution .d??~ée devr~~~t jouer à chaque fois
jusque dans cette constitution; d autres possIbllItes de declslon et de législation
devraient, selon leur option, laiss,er des traces ou s'y annoncer. Une décision devrait
être prise de sorte à en permettre une autre.
Ceci ne doit pas être confondu avec la politique des compromis des partis; ces der-
niers sont des instruments organis~tionnels déjà figés; ils n'indiquent plus qu'ils SOnt
issus jadis, eux aussi, de compromIS. Le modèle structurel ne serait pas le compromis
généralisé - mais qu'est-œ qu'un compromis? - entre des puissances déJ'à définie
' . é .
mais œ compromIs qUl r serve un espace aux « pUIssanCes» non définies.
s,
Une démocrati~ ~dvocatique qu! défe~drai,t, ~r~mièreme~1t, le droit de vote et une
vox de chaque indiVIdu ~qu~lles q~ en S01e~t 1ongme, la n~t1~n, la foi, donc, plus pré-
cisément, la langue), qUI defendratt, deUXIeme.ment, ,et qUl s eng.agerait pour l'élargis_
sement du droit de vote de tous ceux qm ne 1Ont pas, ou qui ne r Ont
partiellement, auxquels • 1.'1 a ete
" retIre,
., accordsous é resel'Ves
' ou qUI, en ont été pr'que é
' . al cl d d d' '1 h" .
(femmes, pnsonmers, m a es,.. eman e~rs ,asl e, ores, Jeunes, etc.), qui se ferait IV s
troisièmement, le porte-parole de ceux qUl n o~t p~s :nco~e, qui n'ont plus ou pas d~
voix (enfants, morts, ammaux, la ({ nature» ammee, manlmée), qui défendrait
trièm~ment, ce qui ne saurait être ~éfendu ;. qui n' occul~erait pas par s?n pour-~~~:~
ce qUI est sans langue, ce pour qum et en faveur de qUOI elle parle; qUI ouvr' .
seulement un espace aux desempar '· és, maIS . au dé.'Semparement lui-même. IraIt non
Cette démocratie advocatique et ultra-advocatique serait toujours le parti cl 1 .
ral!ité de toutes les possibilités de puissances singulières (on ne saura.it pas d e ladPl~~
on en exdura1t meme 1es plus extremes,
• 1\ " a, .moIns
. qu,eIles ne menacent cett, e que
. 1 _, rOlt
même) et elle serait égal ement 1e parti. de.p " .
ImpUIssance. EUe serait une dé. e P urahté
' - .,
• _.' ..II' . - moCratle qUI
risque de se défaIre progr,esswement ue. s.a pUIssance - et qUi se devrait d, d'
niser la résistance 1a pus l e lerme contre toute. '
tentative de toute possib'l'. oned Ors:n:a
1 ~--
sance, qui chercherait .,a col '
onIser.son VI' c l'
e ,crOlSS~t de puissance, 1 Ite e pU IS-
puissance et ses tentatives de surpuissance n'est pas seulement la prestation d'une cer-
taine constitution, coUectivité ou association, ni la prestation d'un «Nous, les
démocrates» vague et effrayant. EUe est la fonction de cette incapacité de détermina-
tion qui caractérise la structure même de la démocratie. Si démocratie signifie règne
de tous dans leur singularité, elle doit être pensée - c'est-à-dire mise en pratique -
dans l'incapacité d'être déterminée par autre chose, elle doit être pensée comme ce qui
en soi est déterminé autrement et, en conséquence, comme le Soi qui est autre en soi
et qui est alltrement qu'être: événement de la transcendance de la totalité dans raus
ces éléments, altération en tant que telle. Comme sa détermination ne possède pas de
fond qui lui soit: intérieur ou extérieur, elle est ce qui est inapte à la détermination -
indifférente à la souveraineté. Elle n'est pas un datum ni un .dabile, mais simple audire
et par là imprenable et inacceptable. [état d'exception. Cet état d'exception, qui
serait la véritable démocratie, n'a pas encore eu lieu. Ce qui règne est l'état d'exception
qui chaque jour, de nouveau, est instauré par les puissances de l'axiomatisation, de la
normalisation et de la capitalisation (Benjamin contre Schmitt).)
Le Keuner de Brecht dans l'histoire « Mesures contre le pouvoir» : Keuner comme
Keiner, comme Personne, outù, Ulysse, et Keuner comme koinos,. chose en général. La
chose en général est Personne, un rien-de-déterminé qui se laisse travers'er par toutes
les déterminations et par (Ous les pouvoirs. Il ,est le laisser même.
À la question de savoir ce qu'est la démocratie personne ne souhaite entendre la
réponse de ce qu' eHeest peut-êue, de ce qu'eUe pourrait devenir ou de ce qu'elle
devrait être. Les questions sur l'essence ,exigent des réponses sur l'essence. Or si l'on
ne comprlend pas la démocratie comme un « édifice dur comme fer» (Weber), mais
,comme un médium dans lequel!' « identité des domÎnanrset des dominés» peut se
réaliser, eUe doit, premièrement, être entendue comme historique et,. piaftant, ina-
chevée, deuxièmement comme ouverte aux exigences de dominés qui, en raison de
blocages historiques et de résistances aux changements de détermination structu-
raux, ne participent pas encore au pouvoir, troisièmement comme ouverte aux exi-
gences de ceux dont on ne peut qu'attendre qu'ils revendiquent quelque exigence à
l'égard du pouvoir (les enfants, les générations à venir,. etc ..) et dont les exigences,
par principe non empiriques et d'aucune manière majeures, demandent néanmoins
- et de nouveau, ,eu égard à la démocratie comme forme d'organisation historique et
dOl1 c à venir - qu'on les écoute. Tout constat sur ce qu'est la démocratie doit donc
englober celui de ce qu'eUe a /té, de ce qu'elle aura à être et de œ qu'elle pourra être.
(La politique démocratique est une politique conjecturale.) La démocratie serait
ainsi dénnie comme le médium qui est également déterminé par l'indéterminé et cie
qui est seulement déterminable - et qui, ft partir de sa simple détermina.bilité, se
trouve régulièrement dé-déterminé. Son actualité serait déterminée à p'artir de ses
possibilités - passées comme à venir - de se soucier de l'épanouissement de ces pos-
sibHités et de l'ouverture d'autres possibilités. La détermination de l'essence de la
démocratie résiderait dans la détermination de sa possibilité. Or, oomme ceUe-ci
implique, à son extrémité, la possibilité de l'indéterminabilité (c'est-à-dirle de
l'avenir) et ainsi la possibilité de l'inaptitude au pouvoir, la démocratie advocatique
399
La démocratie à venir
Une politique qui implique l'apotis - : plitique, (Il ne s'agit pas du pôle, il s'agit du
pli en lui (Leibniz),)
13 du Lévitique: li S'il s'est entièrement, mué ,en blanc il est pur. » Il est questio~
d'un malade d~nt la peau est recouve~t~ dune lepre blanche, On se garderait bien de
mettre en parallèle les deux phrases citees. Lorsque le royaume en son entier se ,
, d' l "h sera
tourné vers l'hérésie - c est ce que ft la premlere p 'rase - à ce moment-là, après c l
donc, VIen' d ll'aelM ' La deuxt·'ème prase
essle. h n'/evoque aucune succession danse lea
temps; eUe ne permet pas de comprendre la pureté comme ajout et adden.d: . cl
blanc du corps en son entier, . malS 'd'1t que 1a purete/ - et done le messianique _um é. 'du
" ~ r SI e
dans cette blancheur. Le MeSSle ne vient pas apres, eventuellement pour gué' 1
1
400
Esquisse d'une conférence sur la démocratie
Lorsque Wittgenstein écrit que« Dieu ne se révèle (offinbart) pas dans le monde 1 }l)
il ne parle pas de la transcendance de Dieu qui exclurait une telle révélation. Il parle
de l'être révélé du monde. Le Monde ne connaît pas d'instance qui ne ferait pas partie
de lui, et donc aucune qui serait à même de produire un énoncé (méta-linguistique,
méta-mondial) sur lui, qui pourrait ,être censé en lui. rêne révélé du monde est sans
phrase. n se montre mais il ne montre pas quelque chose. Comme il ne montre donc
que soi, pas même le montrer, cet être révélé n'est pas une langue déterminée ou un
agrégat de langues. Il est sa linguisticité. On ne p,eut parler de cela, parce que tout dis-
cours de cela serait la ponrsuite du discours en cela. Chaque phrase de la langue qui
p,eut être prononcée habite le silence de cda. rêtre révélé du monde est linguisticité
sans phrase, lingua rasa.
Cratère. Kratér : « récipient pour le mélange », « coupe)} (cf Mallarmé - Rien, cette
écume, vierge vers / À ne désigner que la coupe (Salut).
401
La démocratie à venir
402
Esquisse d'une confirmee sur la démocratie
403
La.démocratie il venir
s'agit d'une invitation, elle doit ainsi laisser à: celui qui est invité la liberté d'être
déclinée. (Ceci à propos de la « méthode », encore, de 1'« esquisse }).)
Henry D. Thoreau: 1 please myself with imagining a Stau at last which can afford to
/Je just to aiL men, and to treat the individual with respect as a neighbor; which even would
not think it in consistent with its own repose, ifa few were to live alooffrom it, not meddling
with it, nor embraced by it, who fo/lfilled ail the duties ofneighbors and fillow-men l,
La pensée du voisinage, qui fonde les idées de Thoreau sur l'état et la désobéissance
civile, rattache tous les éléments et les institutions de la société constituée à un espace.
Quiconque se souvient des discussions qui, dans les textes majeurs de Platon et d'Aris-
tote, sont consacrées à la situation de la polis, mesurera aisément l'écart qui existe
entre les réflexions d'un des grands penseurs de la démocratie américaine et les théo-
ries des philosophes classiques, La polis grecque occupe une frontière et se concentre
dans toutes ses fonctions en un seul point, elle est le polos, le pôle, l'axe dans lequel
et: autour duquel tourne le monde de ses citoyens. L'espace de la polis est cet espace
concentrique (ou sphérique) dont les points se rattachent à la préservation de la vie
commune en son centre et qui se définissent par ce centre. Le mythe fondateur ro-
main, td que nous l'a transmis Livius, fait débuter urhis et orhis avec le tracé d'une
frontière, avec la séparation du dedans et du dehors ainsi qu'avec l'orientation de
tous les intérêts ~~publicains s~~ un centre de.déc.ision ~éfiniss~~t l'espace politique
et monopol-pohuque, La polmque, en particulIer ladIte polmque expansionniste
d'un empire, consi~t~ en la,.ré1u~tio~ de resp~~e en un p~int. (Elle est donc, à pro-
portions égales, polmque d IdealISatiOn et polItIque de pUlssance.)
r.;espace de Thoreau n'est pas, dans le sens classique, un espace politique. Il ne favo-
rise pas dava~ta~e ce qui, si je vois juste, ~st a~pelé, du moins. dans le domaine poli-
tique « polarIsatIOn}). Lorsque Thoreau Imagme un État qm peut se permettre de
traiter l'individu avec le respect dû à un voisin - comme son voisin - et qui permet à
ce dernier de vivre loin (alooJJ. de !ui sa~~ en ét.le ent~ur~ (no~ embraced), il songe non
p~s ~ ~n rapport de suh?rdmat1~n, cl mdusl~n, . d onenta~lOn ~t de définition de
l'Individu par un État qUI le represente et qUI lUI confère a partir de là seulem
comme individu, de la présence; il pense à un rapport de coordination, de la pren~~
mité et de la communauté des individus, ainsi qu'entre des individus et l'État. OXI
'J'
pas à la riuuctlon po!'zttque
, ue J!'espace, malS. a, l' extensIon "le vers l'espace. Le voisin
' C!.VI . non
est pour lui la proximi~é de ceux '1;~i ~abitent ensemble, sans q~e leur place leur ait ~~~
assignée par ~n pOUVOIr centr~, I:elo!gnement, rendu Impos~slb"e dans la contraction
Politique de 1espace
.
en un pOInt, ne s ouvre que dans la proXimIté des voisins EIl'
, l 'b'l' , d ' ' ' · . .Ile est
le sp.atium qUI leur a~;nage a poss~ lite· etre ens~mble comm~ .individus. Dans
l'élOIgnement envers hl tat et nal°n prt;venu~\ -1 n~nd~n:d- par sa p~htJque sans avoir à
s'en mêler et sans trou er son c me ,repose/) es In IVI us ne Sont Jamais les' d' 'cl
In IVl Us
1. Henry D, Thoreau, « Civil Disobedience 11, dans Owen Thomas (éd.), Walden and Civil .
dience, New York, Norton & Co, 1966, p. 243, Dzsohe_
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Esquisse d'une conférence sur la démocratie
de l'État ou des individus par lui, non pas des sujets, mais voisins de l'État qui est, de
son côté, voisins parmi d'autre voisins.
La société, depuis la proximité de l'éloignement que le voisinage permet, ne
concentre pas en quelque Soi souverain dans lequel la généralité des volontés indivi-
duelles pourrait être représentée, mais se tient à distance du Soi, du général, de la
représentation: eUe n'est une société que moyennant la distance de leur proximité et
donc à partir d'elle, d'un près et d'un avec qui doivent précéder toute représentation
et qui fom d'elle, ,en conséquence, une société irreprésentable. La société qui est amé-
nagée de manière paratactique, parce qu'elle est son para, son ad, son à même, son près
et son à côté, et ainsi l'espace de sa proximité même, peut être appelée, autrement que
dans le sens hégélien, la société an sich - à même de soi. Elle est la proximité de son
Là et ainsi sa propre possibilité. Son ousia est para-ousia l, son essence, son ad-sance
. (An-wesm). Sa forme sort de l'anamorphé de l'affirmation. Si Thoreau peut rattacher
à elle l'idée de justice et des duties of neighbors and fellow-men, c'est que la proximité
qu'il pense (eggytes) est l'éthicité même: la possibilité d'être ensemble et chez soi,
auprès de soi.
(Cet espace de la proximité est voisin du pur blanc dont il est question dans le
Sanhédrin; et également voisin du proche dont parlent ~es vers de HolderHn « Proche
est 1 Et difficile à saisir le Dieu ».)
Charles OIson a dédié les premières phrases de son livre sur Moby Dick, la baleine
blanche de Melville, Call me Ishmael à respace : f( 1 take SPACE ta be the central fort to
man born in America, [rom Folsom cave to now. 1 spell it large because it co mes large here.
Large, and without mercy. » Cet espace, l'espace de l'ethos américain et d'une nouvdle
possibilité de ce que nous appelons encore démocratie, est impitoyable - inappelable,
improtestable -, parce qu'il ne fait qu'ouvrir la possibilité des appels, des témoignages
et des protestations. Cet espace est en train de se dore.
Benjamin, dans son « Fragment théologico-politique 1 », exclut toute possibilité
d'une tendance téléologique vers une théocratie - mais il admet en même temps la
possibilité d'un mouvement en revers qui serait « la plus silencieus,e approche» (leiseste
Nahen) du Messie. Pas de Messie, donc, sa prèsance, pas la sienne.
1. Cf. Werner Harnacher, «Peut~être la question », dans P. Lacoue~Labarthe et J.-L. Nancy (dir.), Les
Fins de l'homme, Paris, Galilée, 1981.
2. W. Benjamin, « Fragment théologico~politique)l, Gesammelte Schriften lI, Francfort-sul'-l,e-Main,
Suhrkamp, 1977. p. 204.