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Les rituels pratiqués par les anciens Grecs forment un ensemble complexe de pratiques répondant à diverses
finalités, mais avant tout motivées par l'entretien de la relation d'échanges avec le monde divin. Ils ont en
général lieu dans des sanctuaires, espaces sacrés où se trouvent les éléments essentiels à la conduite du
culte, en premier lieu l'autel sacrificiel. Des temples sont souvent — mais pas systématiquement — érigés
dans les sanctuaires pour servir de résidence à la divinité, dont la présence est marquée par une statue de
culte. D'autres constructions liées au culte divin peuvent s'y ajouter. Le sacrifice animal est le plus important
des rites des cités grecques, aboutissant au partage des restes de l'animal entre hommes et dieux, et aussi
entre ceux qui participent au rituel, affirmant ainsi la cohésion des communautés des cités. Il s'accompagne
de rites de purification, de prières formulant les demandes adressées aux dieux, et d'autres offrandes, non
sanglantes, qui peuvent être pratiquées de façon isolée ou conjointement aux autres, alimentaires ou non,
comme les ex-voto, parmi lesquels se trouvent des œuvres d'art de premier ordre. Les fêtes religieuses, qui
sont un temps fort de la vie des communautés, combinent plusieurs de ces rites, souvent sous un aspect plus
spectaculaire que d'ordinaire. Les concours, qu'ils soient athlétiques, poétiques, théâtraux ou autres, ont lieu
lors de ces festivités. La divination, notamment l'oracle, est un élément majeur de communication avec le
monde divin. Les Grecs pratiquent également des cultes électifs, plus personnels, à caractère initiatique,
notamment les mystères, qui servent notamment à répondre à leur espérance en un meilleur sort après la
mort. Cette finalité se retrouve également lors des rites funéraires, mais d'une manière générale la piété des
Grecs ne semble pas particulièrement portée vers les préoccupations liées à la mort, mais plutôt sur les
bienfaits qu'ils peuvent obtenir des dieux de leur vivant.
Développée pendant environ un millénaire dans tout le monde grec, la religion grecque antique se présente
sous des traits divers suivant les lieux et les époques. La religion grecque antique se déroule en général dans
le contexte de la cité grecque (polis), qui détermine plusieurs de ses aspects : les particularités locales sont
très affirmées, chaque cité ayant son panthéon de divinités, ses sanctuaires et rites, parfois sa propre
mythologie. On peut donc parler d'une religion athénienne, d'une religion spartiate, etc. La religion est très
imbriquée dans le cadre politique et social de la cité, qui l'organise et en fait un élément fort de son identité,
et c'est pour cela qu'il est souvent difficile de tracer les contours du fait religieux dans le monde grec.
Néanmoins, au-delà de ces particularismes, la religion grecque antique présente des éléments d'unité,
puisque les divinités vénérées par les cités sont généralement issues d'un fond commun à tout le monde
grec, les rituels répondent à des croyances, gestes et principes similaires, les sanctuaires sont organisés de la
même manière. Des sanctuaires et cultes panhelléniques (Olympie et Delphes notamment) constituent dès
les temps archaïques des éléments d'unité du monde grec dont le fondement est religieux. Les cultes sont
donc un élément marquant de la culture grecque antique, et de l'identité des Grecs, que ce soit au niveau de
leurs différentes communautés ou pour les distinguer des autres peuples.
Définitions et contours
La religion grecque antique est donc un objet d'études qui est une reconstitution moderne, qui a émergé
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dans le milieu scientifique à partir de la fin du xixe siècle . En sachant que la définition de ce qu'est la
religion est en général considérée comme impossible, ou du moins qu'il n'existe pas de consensus à son
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sujet : aussi ce qui est considéré comme « religieux » peut varier d'un spécialiste à l'autre . Par exemple,
V. Pirenne-Delforge définit la religion en tant que concept comme « un ensemble de représentations et de
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pratiques qui inscrivent l'humain dans une dimension qui le dépasse et reste inconnaissable . » P. Veyne y
voit de son côté un « faux concept », « agrégat de croyances et de pratiques très diverses qui varient d'une
religion historique à l'autre, un fourre-tout » qui peut potentiellement comprendre une très grande variété
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d'éléments .
La Grèce antique correspond aux civilisations s'étant développées en Grèce continentale, dans et autour de
la mer Égée durant l'Antiquité. Les Grecs antiques ayant fondé des cités et royaumes au-delà de leur région
d'origine, en Asie Mineure, en Sicile et en Italie, sur le pourtour de la mer Noire, en Afrique du Nord et en
Asie occidentale, les historiens préfèrent souvent parler de « monde grec » pour désigner cet ensemble et ne
pas mettre à l'écart ces régions participant souvent activement à la civilisation grecque. Le cadre
chronologique est potentiellement très vaste : il peut remonter aussi loin que le début de la civilisation
minoenne au début du IIe millénaire av. J.-C., et se prolonger jusqu'à l'époque de l'apparition de l'Empire
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byzantin durant l'Antiquité tardive . En pratique, les études sur la religion grecque se concentrent
essentiellement sur les époques archaïque et classique, en gros de
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700 à 300 av. J.-C. . Cela est expliqué par le fait que la religion de
cette période se présente comme relativement cohérente dans le
monde grec, du moins celui des cités (c'est la période de la
« religion de la polis »), sur cette période malgré les éléments de
15, 16, 17
diversité . Il y a de plus dans ces études un fort tropisme
athénien, en raison du poids prépondérant de cette cité dans les
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sources . L'époque hellénistique présente de nombreux
éléments de continuité avec les phases antérieures, mais est souvent
vue comme présentant trop de spécificités, nécessitant un traitement
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à part . Au plus loin, la religion grecque antique se prolonge
jusqu'au triomphe du christianisme qui marque la fin des cultes Localisation des principales régions
19 et cités de la Grèce antique
polythéistes .
(périodes archaïque, classique et
Se remarque également une tendance dans les études sur la religion hellénistique).
grecque à « combiner des sources de différents endroits (Italie du
Sud et Sicile, Grèce continentale, îles de la mer Égée, Asie
Mineure) et périodes (du septième siècle avant notre ère au troisième siècle de notre ère) afin de compiler
une image composite de l'activité rituelle. Cette méthodologie nivelle les différences qui ont dû exister aux
différentes époques et lieux ; car les formes de l'activité religieuse, que ce soit dans les systèmes polythéistes
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ou monothéistes, ne sont jamais statiques » (M. Flower) . De ce fait, la grande diversité du monde grec
antique fait que par bien des aspects il est difficile de parler d'une religion grecque générale. En particulier
les rituels, les panthéons, les mythes connaissent des variations d'un lieu à un autre. Les spécificités locales
(les caractères « topiques » des dieux et des cultes) sont une donnée majeure de l'univers religieux de la
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Grèce antique, qui disparaît pourtant derrière les généralisations . D'un autre côté, les anciens Grecs
semblent avoir reconnu le fait que les cultes étaient un élément qui les liait malgré les nombreuses divisions
qui les traversaient. Cela ressort en particulier d'un passage d'Hérodote souvent cité comme révélateur du
sentiment d'appartenance à une culture grecque : « le corps hellénique étant d’un même sang, parlant la
même langue, ayant les mêmes dieux, les mêmes temples, les mêmes sacrifices, les mêmes usages, les
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mêmes mœurs . » En effet, malgré leur diversité les traditions religieuses des anciens Grecs avaient
« une sorte d'« air de famille » », et tout cela atteste du fait que « la tension entre le général et le particulier
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est inhérente au système polythéiste » (V. Pirenne-Delforge) . F. Graf propose de comprendre cette
problématique à la lumière de l'exemple des rapports entre la langue « commune » et les dialectes grecs
antiques : il y a une unité de base (une religion « panhellénique »), qui connaît une multiplicité
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d'expressions selon les lieux (des religions « locales ») .
Quant au caractère « antique » de cette religion, il implique que les réalités des anciens Grecs soient
difficiles à approcher pour un esprit moderne, et cela se ressent particulièrement dans le domaine du
religieux. Les différences tant dans les mentalités que dans les pratiques par rapport aux religions modernes,
ou du moins celles des périodes suivantes, surtout à partir du triomphe du monothéisme, sont souvent vues
comme un obstacle à la compréhension et à la reconstitution de la religion grecque antique. Les études
récentes ont en particulier mis en avant la nécessité de se pencher plus précisément sur le fait que cette
religion est un polythéisme, notion difficile à appréhender pour les esprits modernes, et également
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d'identifier les spécificités du polythéisme des anciens Grecs . Cette religion a en fin de compte « quelque
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chose d'exotique » , un « dépaysement » est nécessaire pour l'approcher . Selon J. Kindt : « la religion
grecque n'a pas les caractéristiques définissant la plupart des religions modernes. Il n'y avait pas église
officielle, pas de dogme et (à quelques exceptions près) pas de sacerdoce dans le sens d'un groupe de
personnes spécialement formées et engagées fournissant des services religieux. Les savants classicistes ont
souvent souligné le « caractère étranger » des croyances et pratiques religieuses grecques. C'est une autre
façon de dire que les concepts analytiques modernes dérivés des grandes religions monothéistes de notre
temps sont insuffisants pour « donner du sens » à la religion grecque. L'étude de la religion grecque
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nécessite son propre cadre d'interprétation . »
Historiographie
Il est possible de faire remonter l'étude de la religion grecque antique aussi haut qu'au temps des ouvrages
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des auteurs chrétiens antiques critiquant le paganisme, ses faux dieux et ses rites scandaleux . C'est du
reste à partir de la catégorie plus large du « paganisme antique » que se fait la construction progressive de la
« religion grecque » (antique) en tant qu'objet d'étude spécifique dans les milieux académiques européens,
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entre la Renaissance et le xixe siècle . Les approches romantiques du xixe siècle reposent sur l'idée que la
religion est une allégorie de la nature, et les mythes renvoient à des sagas nationales des peuples grecs,
approche délaissée par la suite. L'étude des mythes, et des croyances auxquelles ils renverraient, occupent
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le premier plan durant ces périodes . Il faut attendre la fin du xixe siècle pour que la religion devienne un
objet d'étude à part entière pour les savants, avec l'intégration de l'analyse des rituels. Cela se produit dans
le contexte plus large d'un développement d'une histoire des religions antiques, notamment à la suite
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d'Albrecht Dieterich .
Se développent alors des recherches combinant des approches évolutionnistes, anthropologiques, dans la
lignée de personnalités aussi différentes que les anthropologues James George Frazer et William Robertson
Smith, ou le sociologue Émile Durkheim, la psychanalyse de Sigmund Freud jouant aussi un rôle marquant
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à cette époque . Dans le monde anglo-saxon, l'école des « ritualistes de Cambridge », autour de Jane
Harrison, met comme son nom l'indique l'emphase sur les rituels, dans une approche évolutionniste qui les
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pousse à essayer de reconstituer la religion grecque primitive . Le suédois Martin P. Nilsson est ensuite
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la grande figure de l'étude de la religion et des mythes grecs antiques, jusqu'aux années 1960 . En
France, une approche plus politique dérive de Fustel de Coulanges, et Louis Gernet développe une
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approche anthropologique novatrice , qui démontre les rapports entre la religion et la société grecques,
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approche qui s'est imposée depuis .
Les interprétations des rituels connaissent un nouveau développement dans les années 1970 et 1980 dans la
mouvance des travaux de l'allemand Walter Burkert, dont l'influence est considérable, notamment son
approche du sacrifice dans Homo necans (1972), puis sa somme Griechische Religion der archaischen und
klassischen Epoche (1977) qui s'impose pour longtemps comme l'étude de référence sur la religion
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grecque . En France se forme une autre approche autour de Jean-Pierre Vernant et Marcel Detienne,
surnommée « école de Paris », ces deux auteurs proposant une approche concurrente du rite sacrificiel dans
La cuisine du sacrifice en pays grec (1979). Ce courant s'appuie sur une approche structuraliste, qui conduit
39, 40, 36, 41
à proposer de nouvelles interprétations des mythes et des panthéons grecs .
Les années 1980-1990 voient la mise en place progressive d'un nouveau paradigme dominant. Dérivé des
approches précédentes, il met la cité grecque, polis, au centre de ses travaux, et est souvent désigné comme
la « religion de la polis » (« polis religion ») à la suite de C. Sourvinou-Inwood. Cette tendance ressort
également d'un des manuels de référence sur la religion grecque, La religion grecque de Louise Bruit-
Zaidman et Pauline Schmitt-Pantel (1989), qui s'inscrit dans l'approche de l'école de Paris. Ces différents
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travaux accordent à leur tour une grande importance aux différents rituels accomplis dans les cités .
Parallèlement, d'autres recherches se sont intéressées aux notions et à la pensée religieuses (Jean Rudhardt
43
notamment) .
Parmi les tendances en cours au début du xxie siècle av. J.-C., se trouvent les études sur le genre,
notamment la place des femmes dans la religion, un regain d'intérêt pour la magie, en plus d'approches
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renouvelant les études sur le sacrifice, les mythes et les dieux . Une autre posture vise à remettre au
premier plan les analyses sur les croyances et la théologie, proposant notamment un renouveau de l'étude
42 46
42, 46
des concepts religieux antiques, et des rites tels que le sacrifice et la prière . Dans les pays anglo-
saxons, les questions de transferts culturels entre le monde grec et les régions voisines du monde antique, et
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les comparaisons entre leurs religions connaissent également un nouveau développement . L'approche de
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la religion grecque antique par les sciences cognitives a également été tentée . Les nouvelles sources
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offertes par l'archéologie et l'épigraphie permettent d'éclairer ces recherches .
Sources
Les sources littéraires constituent la catégorie la plus importante par la quantité d'informations qu'elles
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apportent . On n'y trouve pas de texte sacré, mais plusieurs d'entre eux font une grande place à la religion.
Cela inclut la poésie épique archaïque (Homère, Hésiode), les poètes lyriques tel que Pindare, l'histoire
avec Hérodote, la tragédie et la comédie athéniennes, les écrits des philosophes (Platon, Aristote
notamment), les discours des orateurs attiques, la littérature exégétique d'époque hellénistique comme la
Bibliothèque du Pseudo-Apollodore, et des écrits d'auteurs grecs d'époque romaine, notamment Plutarque
et Pausanias dont la Périégèse est une source inestimable pour connaître les sanctuaires et les rites de la
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Grèce antique .
Évolutions historiques
La religion est souvent considérée comme un des domaines dans lesquels les continuités entre les
différentes phases de l'histoire de la civilisation grecque antique sont les plus évidentes. Du reste, l'évolution
de la religion dans le temps est complexe à étudier : le changement se produit sur un temps assez long, avec
des modalités différentes selon les lieux, les sources sont rares et permettent surtout d'appréhender les
évolutions à Athènes, et les études des chercheurs ont plus tendance à s'intéresser aux structures qu'aux
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évolutions , ce qui fait que les descriptions de la religion grecque antique présentent souvent un tableau
statique autour des périodes archaïque et classique et même à l'intérieur de celles-ci, malgré le fait que des
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changements s'y produisent . Les questionnements sur les continuités et changements religieux renvoient
à celles sur les évolutions culturelles, les dynamiques internes aux sociétés et aussi les transferts culturels
entre les différentes régions du monde grec et du monde antique, qui sont souvent bien plus complexes
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qu'une simple relation à sens unique entre une source d'influence et un récepteur passif .
C'est durant la seconde moitié du viiie siècle av. J.-C. que sont forgés (manifestement à partir de matériaux
plus anciens) les poèmes épiques d'Homère (Iliade et Odyssée), puis peu après ceux d'Hésiode
(Théogonie), qui sont d'une importance cruciale pour l'histoire religieuse grecque antique puisqu'ils donnent
la vision dominante des dieux grecs à apparence humaine, leur organisation et de leurs caractères, leurs
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rapports avec les hommes, et l'idée d'un destin qui s'impose à tous . Les poèmes homériques décrivent de
nombreux rituels religieux : sacrifices, offrandes, hymnes, prières, libations, serment, danses, divination,
fêtes, cérémonies funéraires, etc. Bien qu'on discute quant à savoir dans quelle mesure ces textes décrivent
une réalité de leur époque de composition ou bien en présentent des versions romancées voire imaginaires,
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ils sont une source majeure pour la connaissance de la religion grecque antique . Ils sont restés une
référence et un modèle durant toute l'Antiquité grecque, sans pour autant avoir un statut de textes sacrés
puisqu'ils sont constamment discutés et critiqués, et que des versions alternatives à leurs récits sont
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proposées .
En tout cas, à la lumière de ces textes fondateurs et des découvertes archéologiques, il apparaît que la
plupart des traits caractéristiques de la religion grecque antique (panthéon, rites, fêtes, lieux de culte) sont en
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place vers 700 av. J.-C. ou peu après .
La religion grecque des cités de l'époque classique (v. 480-323 av. J.-C.) est généralement placée au cœur
des études sur la religion grecque antique et son histoire, l'époque archaïque (v. 776-480 av. J.-C.) qui la
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précède jouant un rôle formatif .
La religion de ces deux périodes a pu être définie comme la religion des cités grecques ou « religion de la
polis ». C'est sous cette forme historique que la religion grecque antique est décrite la plupart du temps, ce
qui résulte en bonne partie de l'abondance de la documentation, qu'elle soit littéraire, épigraphique,
artistique ou architecturale. Le changement renvoie au fait que les structures politiques sont bien différentes
de celles d'avant. L'autre caractéristique qui la singularise par rapport aux époques précédentes est
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architecturale : le temple, qui prend une importance majeure dans les sanctuaires , modèle qui doit peut-
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être quelque chose aux influences extérieures (égyptienne et/ou proche-orientale) . La religion et le
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cadre sociopolitique de la polis sont intimement liés . Selon les mots de C. Sourvinou-Inwood, la cité-État
« articulait la religion et était
elle-même articulée par
celle-ci (...) Le rituel
renforce la solidarité de
groupe et ce processus est
d'une importance
fondamentale dans
l'établissement et la
perpétuation des identités
civiques et culturelles, ainsi Le théâtre et le temple d'Apollon de
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que religieuses » . Delphes.
Les causes derrières ces évolutions sont débattues. Dans le contexte athénien, on a souvent voulu les relier
aux conséquences de la guerre du Péloponnèse (431-404) sur l'univers mental, le conflit créant une
« crise » puisqu'il aurait affaibli la cohésion du corps social et entraîné la défiance envers les dieux patrons
traditionnels. Mais même si cela était admissible, ce qui est contesté, cela ne vaudrait que pour ce cadre
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géographique .
Les périodes hellénistique et romaine ont souvent été vues comme des phases de déclin de la religion
traditionnelle, ouvrant la voie à des nouvelles tendances, plus individualistes, comblant mieux les attentes
des populations : les cultes à mystères et orientaux, vus comme des reflets d'un âge d'anxiété, de tourments,
le culte impérial, l'essor du
culte de la « Bonne
Fortune », ou bien de
l'ouverture au monde et du
cosmopolitisme qu'auraient Le grand autel de Pergame, début du
engendrées les conquêtes e
ii siècle av. J.-C., reconstitué au
d'Alexandre. Mais en réalité musée de Pergame à Berlin.
le modèle de la polis n'a pas
connu de crise durant ces
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périodes, puisqu'il reste central et dynamique . De ce fait c'est
plutôt l'impression de continuité qui peut ressortir par rapport à
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l'époque classique . Ils n'empêche que les évolutions propres
de la religion des cités à ces époques justifient qu'elles soient traitées
à part, dans le cadre d'un « long âge hellénistique » (A. Chaniotis),
dans les régions de la partie orientale de la Méditerranée de l'époque
hellénistique et du Haut Empire romain (jusqu'aux Antonins
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inclus) .
La christianisation passe en effet par une réappropriation de l'espace, par la construction d'églises, de
cimetières, de lieux de culte aux saints et aux martyrs. Elle voit aussi l'affirmation de nouvelles figures qui
prennent une grande place dans la société, l'évêque et le moine, alors que l'empereur se dote d'une fonction
de garant de l'orthodoxie. Elle concurrence directement des pratiques polythéistes, comme l'indique le fait
que le rôle des dieux guérisseurs est repris par les miracles des saints et moines itinérants, ces derniers
rivalisant aussi avec les devins et magiciens populaires en milieu rural. Malgré quelques épisodes de
violence, la coexistence entre différentes religions semble être dans l'ensemble plutôt pacifique. Les temples
sont en général déconsacrés, abandonnés et ensuite utilisés comme carrières de pierre. Puis le christianisme
s'impose définitivement par la christianisation progressive de tous les aspects de la vie quotidienne et privée
(naissance, mariage, mort, calendrier liturgique), et le développement d'images religieuses chrétiennes une
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fois que celles célébrant les divinités polythéistes ont été expulsées des espaces publics .
La fin des cultes polythéistes est difficile à tracer après la disparition des cultes publics. Des rituels aux
relents « païens » sont encore dénoncés par des écrivains chrétiens durant l'époque byzantine, mais il n'est
pas assuré qu'il s'agisse de continuités des cultes et croyances polythéistes, car il pourrait s'agir de pratiques
populaires ne trouvant pas grâce aux yeux de l'élite et dénoncées comme non-chrétiennes pour les
121
condamner .
Leurs croyances se passent de dogme et d'une orthodoxie, et de textes sacrés : « plutôt que de présupposer
un corpus de vérité révélée, le culte grec reflétait l'expression cumulative des conceptions des Grecs sur
l'ordre général de l'existence et leur besoin d'interagir avec les êtres divins qui avaient créé et contrôlaient
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cet ordre . » L'absence d'une orthodoxie n'empêche donc pas qu'un ensemble de croyances soient
partagées par les anciens Grecs, mais le problème reste de bien les identifier car elles sont rarement
exposées dans des textes. S'exprimant sur le rituel majeur du culte grec, M. Detienne explique que « le
système sacrificiel échappe très largement à la pensée claire et explicite ; il relève d'un savoir partagé dont
les Grecs n'éprouvent le besoin de formuler les différents termes qu'à travers les exégèses déployées dans
les milieux marginaux où s'élèvent et se font entendre les voies de la protestation », qui permettent de
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dessiner en filigrane les contours de ce « système secret et implicite . » Selon J. Rudhardt, s'exprimant
sur la vision de la divinité dans les textes, il est impossible de donner une image précise des croyances de la
période, et ce n'est pas souhaitable : « les Grecs n'ont pas élaboré de théologie ; nous ne devons pas faire à
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leur place ce que leur sagesse a toujours refusé . » Un aspect des croyances antiques (et modernes) mis
en avant par certains spécialistes du sujet est qu'il ne faut pas forcément y rechercher un ensemble
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monolithique et cohérent : P. Veyne a rappelé la banalité de la pluralité des croyances , tandis que H.
126
Versnel a travaillé sur les « inconsistances », contradictions et ambiguïtés, dans la religion antique .
Les mythes sont une source essentielle pour approcher les conceptions religieuses antiques, mais pas les
seuls, puisque la pensée religieuse se trouve dans des textes littéraires, des discours d'orateurs, des
inscriptions telles que les lois sacrées, etc. Il est souvent reconnu qu'il existe des formes de croyances de
« faible intensité » dans la mentalité grecque antique, bien qu'il soit difficile voire impossible d'y trouver
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une forme de croyance similaire à celles des religions monothéistes car elles sont trop différentes . Mais
comme ailleurs il faut envisager que la piété soit d'une intensité différente suivant les personnes et que les
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rapports aux dieux et aux cultes soient très divers .
Il est courant d'opposer les pratiques et les croyances religieuses. Dans les études sur la religion grecque,
l'absence de dogme et de croyances faisant autorité est couramment tenue comme un indicateur du fait que
les pratiques, les rites, priment sur les croyances, voire que raisonner en partant des questionnements sur la
foi et la piété reviendrait à transposer une pensée moderne sur celle des Anciens. Cela explique la place
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secondaire qu'occupent les croyances dans de nombreuses études . Une tendance récente cherche à les
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remettre en avant afin de mieux comprendre les « théologies » de la Grèce antique . En tout état de
cause, quand bien même les rites sont le point de départ de la réflexion, les questionnements sur les
croyances sont au moins essentiels pour comprendre comment les anciens Grecs donnent du sens aux
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131
rituels qu'ils accomplissent . En allant plus loin, les deux sont intimement liés : « la croyance et la
pratique peuvent en théorie être séparées ; mais elles peuvent aussi être liées causalement. La croyance
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renseigne sur la pratique tout autant que la pratique renseigne sur la croyance . »
Divinités et héros
Pour simplifier, il peut être dit que « les dieux sont les mortels sans
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leurs limites » (R. Parker) . Ces divinités ne sont pas présentées
comme étant fondamentalement aimantes envers les hommes, elles
peuvent être des facteurs d'ordre comme de désordre, sont souvent
amorales dans les mythes, et n'ont pas un sens de la justice à toute
135
épreuve . Les anciens Grecs les conçoivent donc comme des
êtres leur ressemblant, aussi bien par le physique que par le
comportement et les attitudes, mais plus grands, plus beaux qu'eux,
136
et surtout immortels . La différence entre dieux et hommes ne Statuette d’Athéna du Varvakeion,
s'explique pas par des critères moraux : « les dieux ne valent pas copie d'époque romaine de la statue
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mieux que les hommes, ils sont juste plus puissants » (P. Veyne) . chryséléphantine du Parthénon faite
par Phidias. Musée national
archéologique d'Athènes.
Identités, fonctions et organisation
Quand il s'agit de définir ce qui singularise une divinité grecques par rapport à une autre, l'approche
traditionnelle les voit comme des personnes. W. Burkert considère que quatre facteurs au moins forgent
pour chaque divinité une personnalité qui la distingue des autres : « (1) le culte local enraciné dans le temps
et l'espace, avec son programme rituel et son atmosphère bien à lui, (2) le nom divin, (3) les mythes qu'on
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rapporte à propos de cet être ainsi nommé et (4) enfin l'iconographie, avant tout la statue de culte . »
Les dieux sont distingués les uns des autres par leur nom (le théonyme, nom de divinité), à savoir pour les
plus connues Zeus, Héra, Athéna, Dionysos, etc. Cela ne suffit néanmoins pas à différencier la multitude de
divinités vénérées dans les différentes régions grecques, aussi on accole en général à ce nom une épithète,
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l'épiclèse . En effet un même dieu, généralement un des grands dieux qui est vénéré en plusieurs endroits
du monde grec, peut se présenter sous différents aspects, qui sont distingués par d'autres éléments
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140, 141, 142
d'identification, notamment un lieu de culte et une fonction . Le premier élément renvoie au
localisme très prononcé dans la religion grecque : il y a un Zeus d'Olympie et un Zeus de Dodone, un
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Apollon de Délos et un Apollon Pythien de Delphes, etc. . Le second élément reflète le fait que les dieux
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grecs personnifient des puissances et des qualités spécifiques . La pensée religieuse grecque « distingue
divers types de pouvoirs surnaturels avec leur dynamique propre, leur mode d’action, leurs domaines et
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leurs limites . » Ainsi Apollon Agyieus protège les rues, Zeus Herkéios protège le foyer, Athéna Hygeia
protège la santé, Zeus Kéraunos est son aspect lié à la foudre, Héra est vénérée à Stymphale sous ses
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aspects de Pais « jeune fille », Teleia « épouse » et Khéra « veuve » , etc.
Cela renvoie à la tension entre le général et le particulier qui caractérise le polythéisme. En pratique les
dieux grecs rendent un culte à un de ses aspects de chacune des divinités, car chaque sanctuaire abrite le
culte d'une divinité distincte. Mais cela n'empêche pas pour autant de déceler des similarités formant un
noyau commun, donc une forme d'unité entre les divinités partageant un même nom divin : tous les Zeus
qui font l'objet d'un culte ne sont pas identiques, mais on reconnaîtra derrière chacun d'un un même dieu
141, 145
appelé Zeus qui est commun à tous les Grecs (« panhellénique ») . L'assimilation par syncrétisme de
divinités similaires dans une même divinité panhellénique est une tendance visible dans la religion grecque
antique, cependant elle n'est pas systématique : ainsi la déesse crétoise Britomartis est à la fois considérée
comme elle-même mais aussi comme une variante locale d'Artémis tout en préservant son nom, les divinités
Damia et Auxesia sont semblables à Déméter et Koré, mais pas assez pour être assimilées à ces dernières et
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préservent leur identité .
L'école de Paris (structuraliste) considère la « puissance » comme le fondement de l'identité d'une divinité.
146
Cela s'oppose à la vision plus répandue qui l'envisage comme une « personne » ; J. Bremmer considère
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néanmoins que les deux possibilités ne s'excluent pas . Cette approche met en lumière différents
éléments concernant la nature des divinités grecques, comme leur polyvalence : il n'y a pas de répartition
rigide des rôles, les manifestations d'une même divinité pouvant être multiples, sans pour autant les rendre
interchangeables ; ils dépendent de leurs relations avec les autres divinités dans un contexte précis (le
panthéon local). Ainsi Aphrodite, qui est généralement présentée comme la divinité de l'amour et du
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mariage, a plutôt des aspects guerriers et politiques dans certaines de ses manifestations . Il convient
149
alors de tenir compte en permanence à la fois de leur unité et de leur diversité .
Ces panthéons renvoient au fait que les dieux sont intimement liés à la vie civique et à l'identité des cités
grecques : une cité a son propre panthéon, sa divinité tutélaire (« poliade »), entretient les sanctuaires et les
prêtres et prêtresses de ses divinités, organise leurs cultes et les fêtes les honorant, fournit des offrandes, et
fait en sorte d'éviter en son sein toute situation d'impureté et d'impiété vis-à-vis des dieux, qui rejaillirait de
155
façon néfaste sur toute la communauté . Un citoyen continue à honorer les dieux de sa cité d'origine
quand il est à l'étranger (c'est-à-dire une autre cité grecque ou un pays extérieur au monde grec), car ils font
partie de son identité, tout en respectant les divinités locales, car elles sont puissantes au lieu où il se
156
trouve .
Une opposition traditionnelle dans la recherche met d'un côté les divinités olympiennes ou célestes
157
(« ouraniennes »), et de l’autre, les divinités chthoniennes, liées à la terre et au monde infernal . Elle
ressort dans certains textes antiques, par exemple Isocrate (Philippe, 117). Suivant une opinion ancienne,
cette opposition se traduirait par le fait que les premiers reçoivent des sacrifices sur des autels élevés, et les
seconds sur des autels enterrés, mais les travaux récents ont démontré que cette division en deux types de
158
sacrifices n'était pas pertinente . Plus généralement, l'opposition entre les deux pôles céleste et chthonien,
rarement évoquée dans la littérature grecque antique, n'est qu'une opposition parmi d'autres qui sont
susceptibles de traverser le monde divin grec. Son importance ne doit donc pas être surestimée, et elle serait
159, 160, 161, 162
même inexistante selon certains chercheurs .
Le polythéisme est un système ouvert : il ne nie pas l'existence des divinités étrangères, ou du moins
extérieures à la cité, et ne dénonce pas leurs cultes comme erronés. Les Grecs constatent certes que les
autres peuples ont leurs propres règles et usages religieux, ils les observent souvent avec curiosité, mais
sans les dénoncer et ils considèrent qu'en fin de compte tous les peuples, eux compris, s'adressent aux
163
mêmes dieux . Cela crée une certaine prédisposition à l'éclectisme et à l'assimilation : quand ils sont
confrontés à une divinité inconnue vénérée par un peuple étranger, l'attitude la plus courante des anciens
164, 156
Grecs est de l'identifier à une de leurs divinités, et dans certains cas d'adopter son culte . Cette
possibilité d'introduction de nouveaux dieux, d'origine grecque ou non, dans une cité, indique la capacité
d'évolution de la religion civique, qui n'est pas figée. Elle répond aussi à des attentes religieuses, renvoie à
des connexions établies entre les régions impliquées, des processus de transferts culturels, aussi
d'hybridation puisque les divinités non-grecques sont généralement hellénisées, en particulier dans leurs
165
représentations, tout en gardant des éléments qui font que leur origine persiste dans l'esprit des fidèles .
Mais selon J. Rudhardt le phénomène est limité et relève de l'exceptionnel : l'importation d'un culte étranger
dans une cité semble souvent difficile, on ne cherche pas non plus à exporter des cultes vers d'autres
166
régions et encore moins à les imposer .
Cette liste peut comprendre des légères variantes, car si le nombre de douze dieux est figé, la composition
varie légèrement, Hadès, le dieu des Enfers (bien qu'il ne réside pas sur l'Olympe), ou Hestia, la déesse des
145, 152
foyers, pouvant prendre la place d'Arès et/ou de Dionysos . Perséphone, la « jeune fille », Korè, fille
de Déméter et compagne d’Hadès, est une autre divinité grecque majeure.
Viennent ensuite un ensemble de divinités souvent caractérisées comme « mineures ». Beaucoup sont
145
spécifiques à des régions ou lieux, comme Despoina en Arcadie ou Daeira à Éleusis . Elles peuvent être
connues dans plusieurs régions de la Grèce, mais n'ont pas une personnalité divine particulièrement
affirmée, par exemple Ilithyie la déesse de l'accouchement, Hécate qui est associée aux chemins, à la Lune,
167
Prométhée, créateur et bienfaiteur des hommes, Pan le dieu-bouc associé à la nature, etc. . Les divinités
liées à la nature et au cosmos comprennent Gaïa (Gê), la Terre et déesse primordiale, des dieux des vents
tels que Borée, Hélios le Soleil et Séléné la Lune, Nyx la Nuit. Les Nymphes associées aux rivières et aux
168
sources ont une place importante dans les cultes locaux . Plusieurs groupes de divinités reçoivent un
culte, parfois associées à un grand dieu : les Nymphes, les Muses, les Charites, les Cabires, les
Érinyes/Euménides (les « Furies ») ; le cercle de Dionysos comprend les Ménades et les Satyres ; d'autres
169
groupes tels que les Titans et les Géants appartiennent aux récits mythologiques D'autres types de
divinités sont les abstractions personnifiées et divinisées : Eros l'Amour, Thémis l'Ordre, Métis la Sagesse,
Diké la Justice, Niké la Victoire, Tychè la Fortune, Eiréné la Paix, Némésis l'Indignation, Eris la Discorde,
170
etc.
Des figures à la charnière de la figure du héros et de la divinité ont reçu des cultes dont la popularité n'avait
pas grand-chose à envier à celle des divinités olympiennes : Héraclès le plus grand et prestigieux des héros
grecs, à la fois héros et dieu ; les Dioscures, les « jumeaux divins » Castor et Polykeudes (Pollux en latin) ;
171
Asclépios le héros et dieu-guérisseur .
Enfin les Grecs antiques ont accueilli à plusieurs reprises des divinités étrangères, que ce soit dans un culte
officiel, civique, ou en dehors, au sein des associations cultuelles : Adonis le dieu mourant venu de Syrie, la
déesse-mère phrygienne, Méter/Cybèle, la déesse thrace Bendis, et aux époques hellénistique et romaine les
172, 145
dieux égyptiens Ammon (assimilé à Zeus), Isis et Sarapis (un aspect d'Osiris hellénisé) .
Les daimones
Le terme daimon peut désigner une divinité chez des auteurs anciens, mais il en vient à désigner par la suite
une classe d'êtres (ou puissances) divins surnaturels, étranges, aux contours flous à la différence des dieux
et héros, tantôt bénéfiques, tantôt malfaisants. Seul le Bon démon, Agathos Daimon semble avoir reçu une
individualité, un culte et une iconographie. Hésiode donne au terme le sens de « dieu protecteur », sorte
d'ange gardien. Les philosophes confèrent d'autres sens à ces êtres, amenés à être déterminants pour la
postérité de la figure du « démon » : une sorte de soi divin, assigné à une personne, un « démon intérieur ».
Se développe chez les Platoniciens (à la suite de Platon et Xénocrate) et les Stoïciens l'idée de bons et
mauvais daimones. Ce type de figure semi-divine se popularise notamment avec l'affirmation du
173, 174, 175
monothéisme (les aspects des « bons démons » se retrouvant chez les anges chrétiens) .
Héros et héroïnes
Le héros est un humain défunt, auquel un culte est rendu parce qu'il
est considéré qu'il a acquis après sa mort une puissance particulière.
C'est une sorte de catégorie intermédiaire entre les hommes et les
dieux (on parle parfois de « demi-dieu »). Ce type de culte semble
se développer durant les âges obscurs, à partir du xe siècle av. J.-C.,
autour de tombeaux plus anciens, et prend tout son essor au
e
viii siècle av. J.-C., manifestement en lien avec les changements
sociopolitiques de la période. Ils peuvent concerner des
personnages dont l'existence n'est pas assurée, comme les
personnages des mythes et épopées (Thésée à Athènes, Cadmos à
Thèbes, Ajax à Salamine), ou des humains qui ont bien existé. Dans
certains cas, le héros n'est pas identifié par un nom personnel mais
une appellation, et les héroïnes sont souvent honorées en groupe
et/ou en association à un héros, même s'il en existe qui sont
vénérées de façon indépendante (Iphigénie, Aglaure). En pratique
ces cultes sont très divers, rendus dans un lieu de culte spécifique
appelé hérôon, certains s'approchant des cultes rendus aux défunts,
d'autres s'apparentant à des cultes rendus aux dieux (voire similaires
dans le cas de figures majeures comme Héraclès), même s'ils ont la
plupart du temps moins d'éclat. Ces cultes ont un caractère local très
affirmé, peu de héros étant vénéré dans plusieurs endroits. En
général, ils concernent des figures vues comme fondatrices,
Héraclès et son fils Télèphe, copie
civilisatrices et/ou protectrices pour la cité et ont un rôle majeur
romaine d'un original grec. Musée du
dans l'identité civique. Certains héros ont en revanche un rôle Louvre.
176, 177, 178
néfaste et il faut s'en prévenir par des rites protecteurs .
L'habitude de rendre des cultes à des humains se développe durant l'époque classique. Le général spartiate
Lysandre a été le premier à recevoir un culte de son vivant à Samos en 403. Cette pratique se répand au
e
iv siècle av. J.-C., et devient une des caractéristiques des cultes grecs des époques hellénistique et romaine.
Les cités choisissent d'honorer un individu, de son vivant ou après sa mort (auquel cas leur culte rejoint
celui des héros), en plaçant une stèle à son nom ou bien sa statue dans un temple, par exemple celles de
Callisthène et d'Aristote mises dans le temple d'Apollon à Delphes en 334 et 332. Les honneurs cultuels
sont attribués par des cités à des bienfaiteurs (les évergètes) de premier ordre, parfois de façon collective,
donc des individus jugés comme particulièrement remarquables et méritants, le plus souvent parce qu'ils ont
considérablement financé la vie de la cité et/ou lui ont rendu de grands services par leurs actions
179
diplomatiques ou militaires .
Mythes
La mythologie grecque est, « en gros et pour l’essentiel, un ensemble de récits qui concernent les dieux et
les héros, c’est-à-dire les deux types de personnages auxquels les cités antiques adressaient un culte » (J.-P.
184
Vernant) , ou un concept qui prend le sens courant d'« histoire traditionnelle à portée sociale mettant en
scène dans un temps transcendant des personnages aux qualités surnaturelles et par conséquent fabuleuses »
185
(selon P. Calame, qui se détache de cette approche) .
Ils sont documentés sous des formes diverses. Les poésies épiques de l’époque archaïque, à savoir la
Théogonie d’Hésiode, et l’Iliade et l’Odyssée d’Homère sont les archétypes, dont la popularité ne s’est
jamais démentie. Les hymnes homériques sont également une source importante sur les mythes grecs
archaïques. La poésie lyrique archaïque (Pindare) fait aussi référence à des récits mythologiques. Les
tragédies athéniennes (Eschyle, Sophocle, Euripide) ont puisé leur inspiration dans des récits
mythologiques. Les poètes hellénistiques ont ensuite écrit des récits mythologiques, notamment les
Argonautiques d’Apollonios de Rhodes, et à l’époque tardive Nonnos de Panopolis produit à son tour une
œuvre mythologique de grande ampleur, les Dionysiaques. Les historiens (notamment Hérodote) relatent
aussi des mythes. La Périégèse de Pausanias comprend également de nombreux récits mythologiques. À
partir de l’époque hellénistique, des mythographes compilent des informations sur les mythes, afin que leurs
lecteurs acquièrent les connaissances de base sur ces récits qui occupent une place importante dans la
culture de l’élite (la Bibliothèque du Pseudo-Apollodore). Enfin les mythes platoniciens sont un cas à part,
des inventions qui reprennent les structures et fonctions des mythes traditionnels, pour exposer la
186
philosophie de Platon .
Quelle est la fonction d’un mythe ? Plusieurs définitions et approches ont été proposées, notamment celles
190
qui mettent en avant leur portée très large, voire intemporelle et transcendante . Pour G. Dumézil, c’est
un récit dont le but est « d'exprimer dramatiquement l’idéologie dont vit la société (...) de justifier enfin les
191
règles et les pratiques traditionnelles sans quoi tout en elle se disperserait . » W. Burkert a proposé d’y
voir « un conte traditionnel qui, par ailleurs, fait par certains aspects référence à des choses qui ont de
192
l’importance pour la collectivité », ce que J. Bremmer a reformulé en « conte traditionnel ayant une
pertinence sociale », ce qui implique qu’ils suivent des schémas traditionnels, même s’ils sont une création
(ou une reformulation) récente, qu’ils ont une fonction collective, étant récités en public, et « peuvent être
193
transférés d’une société à une autre . »
Les finalités plus précises des mythes sont débattues : ils servent manifestement à divertir leur auditoire ; ils
ont aussi un rôle politique puisqu’ils peuvent fournir un récit affirmant l’identité d’un peuple ou d’une cité
et être reformulés au gré des évolutions politiques ; certains donnent aussi l'origine de rituels ; certains de
leurs personnages et passages peuvent servir de modèles de comportements, de références invoquées dans
194
des discussions. En bref, ils « contribuaient à former la mentalité grecque » . Leurs usages dépassent
donc le domaine de la religion, surtout si celle-ci est essentiellement rapportée à ses aspects cultuels, mais il
195
n'en demeure pas moins que les mythes ont une place incontournable dans l'univers religieux grec . Leur
caractère plastique, le fait qu’ils soient ouverts, enrichis et évoluent, certains étant attestés sous différentes
variantes, s’adaptant à différences contextes, a ouvert la voie à de nombreux types d’interprétations par les
spécialistes modernes : allégoriques, ritualistes, psychologiques, structuralistes, etc., qui se renouvellent sans
196
cesse . P. Calame en particulier considère que les approches habituelles ont un caractère artificiel,
puisque les récits mythologiques ne sont pas une catégorie antique mais une construction moderne. Ces
textes, qui sont pour l'essentiel des poésies avec un auteur replacé dans une époque précise, n'ont pas
l'aspect intemporel que leur donnent beaucoup d'études modernes. Il faut alors insister plus sur le contexte
d'élaboration des œuvres contenant des récits désignés comme des mythe, qui leur donnent leur sens : ils
« ne peuvent avoir d'existence en dehors des mises en discours et des compositions poétiques qui les
portent à leur public ». Ce sont donc des récits qui ne sont jamais vraiment stabilisés et dont la formulation
197
et l'interprétation sont susceptibles de changer même dans l'Antiquité .
La piété
198
La notion de piété se retrouve en grec ancien dans le terme eusebia . Il s'agit avant tout d'honorer les
dieux, ce à quoi renvoie le terme timê, l'« honneur », ou la « part d'honneur » à laquelle un dieu a droit, qui
est avant tout le culte qui lui est destiné. Cela ne renvoie donc pas à des notions telles que la dévotion, la
199
foi, l'amour . Les formes que prend la piété, les rituels, peuvent être diverses, tant que cela est en mesure
d'honorer et de réjouir (chairein) les dieux comme le veut la tradition : banquet sacrificiel, libation, objet
200
luxueux, prise de guerre, monument, louange, chant, danse, etc. .
Il est souvent relevé que la piété grecque s'inscrit dans
« Demande aussi leurs faveurs par des libations
une logique d'échanges avec le divin, de don et de
203 et des offrandes, et quand tu te couches et
contre-don ou de réciprocité, sans pour autant que
quand revient la sainte lumière, afin qu'ils te
les relations entre les divinités et les humains ne soient
204 gardent une âme et un cœur favorable. »
paritaires : les offrandes sont faites aux dieux pour
entrer dans une relation bénéfique avec ces êtres
La piété quotidienne pour obtenir les faveurs
surpuissants, de jouir de leur bienveillance, de leur
divines, extrait de Les Travaux et les Jours
protection, obtenir leurs faveurs et leur témoigner de la 201
d'Hésiode (v. 338-340) .
reconnaissance pour cela. Socrate dans l’Euthyphron de
Platon résume la vision courante de la piété comme
celle d'un « art commercial » (emporikè tekhnè), « une
espèce de troc que les dieux et les hommes feraient les
205 « Recevoir, c'est tout ce que nous devons faire,
uns avec les autres . » Cette relation à double sens
par Zeus. Ainsi d'ailleurs font les dieux. Tu le
renvoie à la notion difficilement traduisible de charis. Il
verras aux mains des statues : car, quand nous
ne faut pas forcément l'entendre au sens d'une relation
les prions de nous accorder leurs faveurs, elles
transactionnelle ponctuelle (do ut des), mais plutôt dans sont là debout qui tendent le creux de la main,
celui d'une relation durable qui s'entretient non dans la pensée de donner, mais pour
206, 207
continuellement, une réciprocité généralisée . recevoir. »
Pourquoi un individu ou un groupe fait le choix de s'adresser à une divinité plutôt qu'à une autre ? Le
polythéisme offre une pluralité de choix, et il est improbable qu'un individu ait rendu un culte à tous les
dieux vénérés dans son horizon quotidien, en raison du nombre élevé de cultes disponibles, même dans le
213
seul cadre local . Les questions oraculaires concernent souvent la désignation du dieu à honorer, mais il
n'était pas nécessaire d'y avoir constamment recours parce que ce genre de choix devait être bien intégré et
214
suivre des habitudes . Plusieurs éléments entrent en ligne de compte, parmi lesquels les puissances
spécifiques de la divinité invoquée, son accessibilité, et les intentions du fidèle. Les compétences et attributs
de la divinité sont évidemment une donnée majeure, en fonction de la faveur attendue. C'est
particulièrement évident dans le cas des divinités guérisseuses, sollicitées en cas de problème de santé.
Divers éléments doivent aider à faire le choix parmi ceux possibles dans un groupe de divinités ayant des
attributs similaires : des raisons pratiques comme la proximité d'un lieu de culte, donc la composition du
panthéon local, aussi des aspects de la divinité qui renvoient plus précisément à son mode d'intervention et
215
qui aident à la distinguer d'une autre qui aurait des compétences voisines .
La piété grecque est également couverte par la notion de
« La piété ne se situe pas dans les dépenses
rectitude religieuse, hosiotes, qui renvoie au fait d'agir
extravagantes, mais dans le fait de ne rien
en conformité avec les lois sacrées et les traditions de la
218 changer aux coutumes que nos ancêtres nous
communauté . Le respect des rites traditionnels,
ont transmises. »
adoptés par un groupe et établis depuis des temps
immémoriaux, est en effet un élément majeur de la piété 216
216 La piété d'après Isocrate .
grecque antique . Il est considéré que les rites ont une
origine divine, de même que les secrets des cultes à
219
mystères , les dieux en sont les garants et ils ne
peuvent être modifiés qu'avec leur approbation
220 « La piété consiste à savoir prier et sacrifier en
(communiquée par le biais de la divination) .
disant et en faisant ce qui est agréable aux
Mais la piété ne peut être réduite à une simple dieux : elle assure le salut des familles et des
États. »
observation scrupuleuse des pratiques rituelles
ancestrales. « Être eusébès [pieux] c’est croire en
La piété d'après le devin Euthyphron, dans le
l’efficacité du système symbolique mis en place par la 217
dialogue éponyme de Platon (14b) .
cité pour gérer les rapports entre les hommes et les
dieux et c’est aussi y participer de la façon la plus active
possible. » On attend du citoyen d'une cité qu'il
participe aux rites civiques, avec le reste de la
communauté, et qu'il accomplisse les rites les plus courants, comme ceux rendus à ses ancêtres. La piété se
voit aussi dans la générosité envers les sanctuaires et les dieux, plus prononcée chez ceux qui en ont les
moyens. Au niveau de la cité (ou d'un autre groupe), elle se voit dans l'entretien et la protection des
221
sanctuaires et des biens des divinités du panthéon officiel, l'accomplissement des festivités . Mais ce n'est
pas qu'une question de dépense : une idée répandue est que les dieux préfèrent un sacrifice modeste d'un
222
homme pieux plutôt qu'un sacrifice somptueux d'un homme impie .
L'impiété, asebeia, est donc avant tout une absence de respect à l'égard des rites d'une cité. Elle se
manifeste de différentes manières qui révèlent en filigrane les contours de la piété : atteinte aux biens sacrés,
introduction de nouveaux cultes dérogeant aux traditions ancestrales, non respect des rituels traditionnels
destinés aux dieux vénérés par la cité, et aussi certaines opinions vues comme impies, notamment quand
223
elles portent atteinte au groupe (mais cela ne concerne pas l'incroyance qui est tolérée) . Un acte impie
n'est pas un acte qui manquerait de foi, notion absente de la mentalité grecque, mais celui qui manquerait de
218
raison, de respect envers les dieux et les traditions . Dans ce contexte, le fait que les pratiques religieuses,
de même que certaines croyances, ne soient pas identiques pour tous, notamment en raison de l'existence de
224
traditions locales, n'est pas pensé en termes d'hérésie ou d'orthodoxie .
Le concept de « sacré » est couvert par plusieurs termes en grec ancien, en sachant qu'aucun ne correspond
strictement à la notion moderne qui repose sur l'opposition entre sacré et profane, pas vraiment pertinente
225, 226
pour l'Antiquité grecque :
Hieros désigne quelque chose consacré à un dieu, et hiera ce qui est connecté au culte,
donc aux rituels comme aux matériaux religieux (y compris les édifices et ce qui est
sacrifié). Cet aspect sacré est le garant de leur efficacité rituelle : sans cela ce ne seraient
que des objets banals du quotidien, et c'est le fait qu'ils soient consacrés à une divinité qui
227, 226
leur donne cette nature spéciale ;
Hosios connote l'idée de permission, il désigne une tradition voire une loi religieuse, à
laquelle il faut se conformer, un comportement ou une action qu'il est approprié de faire
envers les dieux, et même dans les relations humaines. Il est souvent associé à dikaios,
227, 228
« juste », et son opposé, anosios, est un comportement sacrilège .
Hagios « désigne un degré de pureté rituelle qui implique le retrait hors de l’ordre
courant », impliquant une notion d'interdit, tenu à l'écart de la souillure, et s'applique
4, 229
surtout à des édifices sacrés .
La notion de pureté est une autre des conceptions « Quant aux Lacédémoniens, eux aussi ils se
centrales dans les relations entre hommes et dieux, qui sont rendus coupables d’un tel sacrilège vis-à-vis
s'articule constamment avec celle de sacré (notamment de Poseidon, en mettant à mort des hommes qui
hagios). « Elle recoupe en partie celle d’une dichotomie s’étaient réfugiés dans le sanctuaire du dieu, à
du divin entre pôle bienfaisant et pôle malfaisant, elle Ténare. Comme à Héliké, le dieu frappe par un
tremblement de terre, si violent et si prolongé,
constitue un des fondements des règles de vie en
qu’aucune maison ne resta debout dans
société, elle figure enfin au premier rang des
231 Lacédémone. »
prescriptions rituelles » (P. Brulé) . Le fait d'être
« pur » (hagnos, katharos) se définit par rapport à son
Les Spartiates punis d'un sacrilège, d'après
opposé, l'état d'impureté ou de souillure (miasma, 230
Pausanias (VII, 25, 1-5) .
agos). Celui-ci s'identifie en particulier par les interdits
d'accès à des espaces sacrés figurant dans les lois
sacrées : le deuil ou le contact avec un mort, être
enceinte ou avoir été en contact avec une femme enceinte, avoir ses règles, allaiter, avoir eu une relation
sexuelle, en particulier dans le cadre de la prostitution, le port d'un certain type de vêtement, être un
étranger à la cité, etc. Le fait de souiller un sanctuaire par un meurtre, ou de ne pas respecter la protection
garantie par le dieu à ceux qui s'y réfugient, sont vus comme des sacrilèges majeurs. Les conditions sont
232
donc potentiellement très variées . Quoi qu'il en soit ce n'est pas un état absolu : on devient impur, et on
peut cesser de l'être, tout dépend du contexte. Le sang devient impur s'il est répandu sur le sol, ou sur le
cadavre d'une victime de meurtre. Il y a aussi une possibilité de contagion, par exemple un meurtre rejaillit
233, 234
sur toute la communauté de celui qui l'a commis . Le passage d'un certain laps de temps ou un acte
235
purificateur (katharsis : rituel, punition) permettent d'éliminer la souillure .
Le sacré et la pureté sont liés à la notion de piété, même s'il est souvent compliqué de tracer une continuité
entre eux : un comportement qualifié d’hosios implique de la piété, quelqu'un de pieux respecte les règles
de pureté ne serait-ce que parce qu'elles sont cruciales pour les rituels. Ces notions ne se limitent pas à des
aspects matériels, comportementaux, mais elles ont aussi des implications morales, qui sont notamment
visibles dans les discours des philosophes : pour Platon, un homme bon est « pur » katharos, un homme
236
méchant est impur .
Les textes et images provenant de la Grèce antique concernant l'existence après la mort reflètent la
coexistence d'une diversité de croyances, entre les inscriptions funéraires, les épopées homériques, la
poésie, les croyances des cultes à mystères, les pensées des philosophes.
Depuis Homère se trouve l'idée que l'être humain a une « âme », psychè, qui se sépare de son corps au
237 238
moment de sa mort . Cette dernière est personnifiée par Thanatos, qui est l'agent de la mort . La
séparation entre les vivants et les morts se manifeste par le fait que les seconds vivent aux Enfers, envisagé
comme un monde souterrain (ou parfois situé très loin à l'ouest) vers lequel leur âme se rend après leur
mort, guidée par Hermès Psychopompe, le « guide des âmes ». On y pénètre en franchissant le Styx sur la
barque de Charon, contre le paiement d'une obole, puis en traversant les portes d'Hadès gardées par
Cerbère. Ce monde est placé sous la direction du dieu Hadès, accompagné de sa parèdre Perséphone. Les
Enfers comprennent différentes parties vers lesquelles sont dirigées les défunts en fonction de leurs mérites :
les héros et les plus vertueux vont aux Îles des Bienheureux ou aux Champs-Élysées, où ils poursuivent
leur existence dans la félicité, alors que les mauvais s'enfoncent vers le Tartare, lieu sinistre dont on ne peut
239, 240
s'échapper .
Chez Homère la vision dominante de la vie après la mort (qui ressemble fortement à celle des textes
241
mésopotamiens et levantins ) est morne, lugubre : il n'y a rien à en attendre de bon, aussi ses héros
préfèrent l'immortalité par la gloire qui fait qu'on chantera leurs louanges bien après leur mort. Mais parfois
il envisage d'autres possibilités : ceux qui ont les faveurs des dieux bénéficient d'une vie agréable, alors que
ceux qui ont suscité leur ire sont châtiés éternellement (tels Sisyphe et Tantale). D'autres descriptions du sort
des défunts dans l'au-delà présentent une vision différente, dans laquelle ils semblent avoir des conditions
d'existence semblables à celles qu'ils ont connues de leur vivant : les vases les représentent accomplissant
des loisirs aristocratiques (banquets, chasses, jeux, etc.), ils sont parfois décrits comme engagés dans des
disputes juridiques (les Enfers ont leurs juges : Minos, Rhadamante et Éaque), des inscriptions présentent
l'idée de festivités et de danses perpétuelles dans l'au-delà. Se retrouve souvent l'idée que les bons sont
récompensés et les mauvais châtiés, parfois à l'issue d'un jugement après la mort, en tout cas avec une idée
de compensation des actes accomplis de leur vivant (notamment leur piété) et d'une préservation de leurs
souvenirs dans l'au-delà. Les lamelles « orphiques » mises au jour dans des tombes indiquent que les
défunts ont accompli des rites à destination de Perséphone et Dionysos qui visent à faciliter leur passage
242
vers l'au-delà, mais ne disent pas grand-chose de leur condition d'existence après . Les croyances
« orphiques » ou « bacchiques » et celles liées aux mystères d'Éleusis semblent envisager la possibilité d'un
243
sort favorable après la mort, grâce à la pratique de leurs rites . Ce n'est pas une forme de salut à
proprement parler, plutôt « une vie d'outre-tombe privilégiée, matériellement plus heureuse que celle des
244
autres, grâce à la protection du dieu dont on était l'initié . » De son côté Platon développe dans plusieurs
de ses textes une mythologie de la mort, par exemple le mythe d'Er qui conclut La République, où se
retrouve l'idée de jugement après la mort, et aussi celles, plus inhabituelles, de la réincarnation
245
(métempsycose, dont l'origine est souvent attribuée à Pythagore) et donc de l'immortalité de l'âme . Selon
P. Veyne, la majorité de la population se fait une idée plutôt vague de l'au-delà, une sorte de « sommeil
246
éternel, c'est-à-dire une demi-vie », qui est du domaine de l'inconnu .
Les vivants doivent composer avec la mort de leurs proches, qui entraîne une rupture radicale dans la vie de
la maisonnée et provoque une souillure : les membres de la maisonnée d'un mort et plus largement tous
ceux et tout ce qui est en contact avec lui est impur, et cela ne peut se dissiper qu'au bout d'un certain temps,
par des rites de purification concernant aussi bien les proches du défunt que la maison et ses biens, tandis
247, 248
que ceux qui entrent en contact avec eux doivent aussi se purifier car la pollution se transmet . Les
morts préservent leur personnalité dans l'au-delà et des moyens d'action sur les vivants, et c'est pour cela
qu'il faut les honorer et les satisfaire. Un homme pieux a pour devoir d'honorer les morts de sa famille, leur
assurer une sépulture correcte et des rites funéraires appropriés pour assurer son passage vers le monde
infernal, puis de conduire des offrandes aux ancêtres au moins une fois par an. La cité a plus largement un
même type de responsabilité envers ses défunts, et aussi celui d'honorer les plus remarquables de ses morts
dans le cadre des cultes héroïques. Trois types de morts sont particulièrement redoutés : ceux qui n'ont pas
été inhumés, ceux qui sont morts de façon prématurée, et ceux qui ont connu une mort violente. Ils peuvent
devenir des fantômes malfaisants tourmentant les vivants, qui donnent lieu à des histoires de maisons
hantées. Certains héros malfaisants sont très proches de ce type de spectre vengeur. Les vivants peuvent
aussi chercher à entrer en contact avec les trépassés par le biais de la nécromancie, ou s'en servir comme
249
agents de rituels magiques .
La Grèce antique a-t-elle connu des courants religieux ou des sortes de sectes dont les idées et pratiques
s'opposent à la religion dominante ? Cette question a donné lieu à la fin du xixe siècle et au début du
e
xx siècle à diverses reconstitutions par les chercheurs de « religions » qui fonctionneraient comme des
sortes d'hétérodoxies dans le contexte de la religion antique, voire seraient par plusieurs aspects
annonciatrices de l'émergence du christianisme : « religions à mystères », « religions orientales »,
« orphisme ». Ces courants, marqués par des aspects initiatiques et eschatologiques, ont suscité une grande
attention de la part des chercheurs, quitte à leur donner une place plus importante dans les publications
250
250
scientifiques qu'ils n'en avaient dans l'Antiquité . Les découvertes de nouveaux textes et de nouvelles
analyses ont permis de préciser la connaissance de ces cultes ou tendances religieuses. Mais toutes les
interrogations sur leurs croyances et rites n'ont pas été levées, tant s'en faut.
Le pythagorisme est un courant apparu en Italie du Sud au vie siècle av. J.-C. autour de Pythagore, qui est à
la fois un philosophe, un mathématicien, un maître voire une sorte de fondateur de secte, son courant étant
prolongé par ses disciples. Le pythagorisme est documenté par des sources indirectes, surtout Platon et
Aristote. Présentant des similitudes avec l'orphisme, il apparaît comme « un étrange mélange où la
symbolique des nombres et le savoir arithmétique côtoient les doctrines sur l'immortalité et l'au-delà, ainsi
261
que les règles de vie ascétique . » De fait, les règles de vie et de vertu semblent y supplanter les rites. La
croyance en la réincarnation (métempsycose) passe pour être une innovation propagée par ce courant. Le
pythagorisme rencontre un certain succès en Italie du Sud, avant de subir une forme de persécution qui se
traduit par le massacre de plusieurs de ses membres lors d'épisodes de violence au ve siècle av. J.-C. Il ne
survit que de façon marginale avant d'être revivifié sous de nouvelles formes à l'époque romaine, avec le
262, 263
« néopythagorisme », plus vu comme une philosophie que comme une religion .
La philosophie grecque antique est une forme de pensée individuelle, généralement présentée comme une
succession de théories et arguments élaborés par des philosophes, mais c'est aussi et avant tout un mode de
264
vie, une culture de soi , « une quête de sagesse, d'un progrès qui est tout à la fois intellectuel, moral et
265
spirituel, d'une vie plénière et plus authentique que favorise une recherche lucide du vrai . » Les rapports
entre philosophie et religion s'abordent donc aussi bien par l'étude des spéculations de ces penseurs que par
264, 266
leur manière de vivre (et de mourir), leurs pratiques, en lien avec la religion . Bien qu'elle ne soit
qu'une des facettes de la pensée philosophique de la Grèce antique, la réflexion sur la religion y occupe une
place importante. Selon G. Most, « la pensée philosophique antique n'avait pas trouvé de meilleure manière
que la théologie pour réfléchir sur ses propres limites et aspirations. En réfléchissant sur dieu, l'homme
267
antique réfléchit sur lui-même . »
Les philosophes ont tout d'abord produit un ensemble d'écrits, qui comportent de nombreux témoignages
sur les croyances et pratiques religieuses de leur temps, qui en font donc des sources incontournables pour
268
l'étude de la religion grecque antique . Ils ne se sont cependant pas contentés d'être des témoins passifs,
et ont produit de nombreuses réflexions sur la religion, introduisant des points de vue radicalement
269
nouveaux débordant des cadres traditionnels et les bousculant souvent . Il est anachronique d'y
270
rechercher le triomphe de la raison sur le mythe que l'on met souvent au crédit de la Grèce classique .
Plutôt que d'y voir une forme d'opposition entre la philosophie et le religieux à la manière de ce qui a pu se
produire à l'époque moderne, il s'agit plutôt de tentatives de réformes, voire d'institution de religions
nouvelles, autour d'une réflexion théologique, avec une approche personnelle très prononcée, bien que les
aspects communautaires ne soient pas laissés de côté. Il s'agit d'entreprises visant à renforcer la religiosité et
271, 272
à la rendre plus acceptable au regard des spéculations philosophiques . Cette volonté de compléter la
religion se voit en particulier sur trois questionnements sur lesquels les philosophes se sont longuement
arrêtés, alors qu'ils sont plutôt relégués au second plan dans la pensée religieuse traditionnelle exposée
précédemment : le commencement du monde et la cosmologie ; le devenir après la mort ; la morale et
273
l'éthique . Les critiques des philosophes se sont à plusieurs reprises portées contre les mythes
traditionnels (surtout dans leur formulation par Homère et Hésiode), vus comme trompeurs sur la nature des
dieux (chez Xénophane, Épicure) ou comme de mauvaises sources d'enseignement pour les jeunes (chez le
274
Platon de La République) . La nouvelle vision du monde et d'un divin à l'origine de tout et pas forcément
soucieux de chaque être humain que proposent les philosophes s’accommode en particulier mal avec la
réciprocité impliquée par la charis, concept fondamental de la religion ordinaire. En revanche la piété
eusebia reste vue comme un devoir incontournable, à condition d'être exercée de façon appropriée, en
275
introduisant une approche morale .
Des philosophes ont pu proposer des pratiques sociales, un mode de vie religieux. Le philosophe peut être
perçu comme un « homme divin » (theios aner, expression employée notamment par les Platoniciens et
Stoïciens), un sage dont la vie se veut exemplaire, une sorte de figure religieuse. Les écoles philosophiques
institutionnalisées qui perdurent sur plusieurs générations (l'Académie platonicienne, le Lycée aristotélicien,
le Jardin épicurien, le Portique stoïcien) empruntent beaucoup d'éléments aux cultes traditionnels,
notamment ceux des héros, voire aux associations cultuelles telles que les thiases : la figure du fondateur
structure la communauté, en particulier après sa mort, l'école est souvent située au voisinage de son lieu de
276
décès, la date de son anniversaire est souvent commémorée et marquée par des rituels .
Enfin, concernant l'influence de la pensée religieuse des philosophes, d'un côté « il est douteux que la
religion du plus grand nombre, c'est-à-dire celle des non-philosophes, ait été influencée de manière
substantielle par des spéculations philosophiques concernant le divin à l'époque classique ou même
hellénistique. » Mais d'un autre côté il apparaît que la pensée des philosophes grecs antiques perdure après
ces périodes, en premier lieu parce que celle de certains d'entre eux a exercé une forte influence sur le
christianisme antique et médiéval, puis parce qu'elle est la base de la philosophie encore enseignée et
pratiquée de nos jours, alors que les pratiques religieuses grecques antiques ont pour la plupart été
277, 278
abandonnées ou que leurs traces dans les religions actuelles sont peu visibles .
Sanctuaires
Localisations
Des facteurs religieux président aussi à la localisation des sanctuaires urbains. Ainsi le dieu des artisans
Héphaïstos a un lieu de culte dans le quartier des forgerons d'Athènes, tandis que la protectrice de la ville,
284
Athéna, a son principal lieu de culte sur l'Acropole, une citadelle fortifiée . Les considérations
proprement religieuses présidant au choix de localiser un sanctuaire en ville ou à la campagne reste souvent
mal comprises. Les sanctuaires de Poséidon, Héra, Dionysos et Artémis ont tendance à se trouver en dehors
285
des espaces urbains, ce qui s'explique aisément pour la dernière parce qu'elle est liée au monde sauvage .
En tout cas un aspect essentiel de ses localisations est leur permanence : un sanctuaire occupe un lieu de
façon traditionnelle, il est très difficile de le déplacer et il est en principe entretenu et reconstruit à un
286
emplacement identique, y compris après des catastrophes . Ce sens aigu de la localité explique aussi
pourquoi chaque lieu de culte a sa propre divinité, ou du moins sa propre version de celle-ci (identifiée par
son épiclèse topique : Apollon de Delphes ou de Délos, Héra d'Argos, etc.), ses propres règles rituelles
143
avec son propre prêtre pour les faire respecter .
Le poids de la cité dans la religion grecque implique aussi que les
sanctuaires soient souvent localisés en fonction des intérêts de la
communauté, en plus des considérations liées à la nature de la
divinité vénérée. Ils sont disséminés dans ses différentes
composantes (chef-lieu, villages, campagne, confins). Les
sanctuaires les plus importants d'une communauté ne se trouvent
pas forcément dans son chef-lieu. Les lieux de culte urbains
comprennent des grands sanctuaires qui fonctionnent comme un
pôle de la vie de la communauté. Au seuil de l'espace urbain,
proche des murailles, se trouvent des sanctuaires à fonction Restitution de l'acropole de Lindos
protectrice et marquant la séparation entre ville et campagne. Plus (Rhodes), dominée par un sanctuaire
loin se trouvent des sanctuaires dans un espace accessible aisément d'Athéna.
287
à pied . Les sanctuaires extra-urbains et ruraux à proprement
parler, plus éloignés du chef-lieu, ont un rôle important dans
l'appropriation du territoire civique par la communauté des citoyens, aspect mis en avant par F. de Polignac
74, 288
qui leur attribue un rôle crucial lors du processus de constitution des cités . Ils peuvent être placés sur
des axes de circulation importants. Ceux situés aux confins servent notamment à affirmer les prétentions
territoriales face aux voisins et rivaux. Cette catégorie comprend de nombreux sanctuaires majeurs, par
exemple celui d'Isthmia à Corinthe. Cependant de nombreux sanctuaires ruraux placés sur des sites naturels
spécifiques sont modestes, à l'image de celui consacré à Zeus sur le mont Hymette en Attique, composé
289
d'un enclos encadrant un autel, proches du sommet . Les territoires du monde grec sont donc émaillés de
lieux de culte, qui jouent sans doute un rôle crucial dans la relation des anciens Grecs avec leur
290, 291
environnement .
Les grands lieux de culte panhelléniques (Delphes, Olympie) ou ethniques restent en revanche en dehors
du cadre civique, maintenant une forme de neutralité politique, qui leur permet de jouer le rôle de lieux de
292, 293
rencontre entre acteurs politiques . Par le nombre de constructions qu'on y trouve, les sanctuaires de
294
Delphes et d'Olympie sont de véritables « villes » .
Fonctions
Les sanctuaires sont avant tout les lieux où les Grecs et Grecques se rendent pour accomplir des offrandes
295, 296
et faire des prières à une divinité . Certains sanctuaires ont des fonctions plus spécifiques, avant tout
ceux consacrés aux divinités liées à la guérison, comme Asclépios, qui servent de lieux de cure, et les
grands sanctuaires oraculaires comme Delphes et Dodone où on se rend pour obtenir des messages
297
divins .
Mais les sanctuaires sont bien plus que des lieux de culte, car ils remplissent un ensemble de fonctions
sociales, politiques et économiques. Ce sont des lieux de réunion pour les communautés, notamment à
l'échelle de la cité, en particulier lors des grandes fêtes religieuses. Leur importance pour la vie politique va
au-delà de ces cérémonies religieuses, puisqu'ils servent par exemple de lieux d'inscription ou de dépôts des
lois, comme à Gortyne, manière de leur conférer une sanction divine. Ce sont aussi des lieux de refuge en
raison de leur aspect sacré qui les rend en principe inviolables. Les grands sanctuaires disposent de
richesses importantes, dont des domaines fonciers qu'ils peuvent exploiter ou mettre en location, et des
richesses financières à partir desquelles ils peuvent développer une activité bancaire, ou bien servir de
298
réserve pour leur cité en cas de difficulté .
L'autel
Le téménos
Si certains espaces sont par essence sacrés à l'initiative d'une puissance divine, les hommes en définissent
eux-mêmes, en délimitant des espaces religieux autour d'un autel, désignés par le terme de téménos. Ce mot
est dérivé de temnein « découper », car « ce sont des espaces que l’homme a « découpés » dans l’espace
309
profane pour en faire des sanctuaires . ». Historiquement, la mise en place de ces espaces semble lié à la
constitution des nouvelles entités politiques au viiie siècle av. J.-C., à commencer par la cité : ces espaces
sont délimités de manière qu'ils servent d'espaces de réunion pour la communauté, de façon à attribuer aux
310
dieux un lieu dont ils sont les possesseurs dans l'espace civique . Leur apparition peut être reliée à celle
d'un autre espace crucial pour les cités et lui aussi délimité et investi de sacralité, l'agora, qui peut également
311, 312
être traitée comme un téménos .
Le téménos peut être délimité physiquement, par des bornes (horoi) ou par le péribole, enceinte sacrée qui
312
prend la forme d'un mur de pierre continu dans certains sanctuaires, parfois simplement une clôture .
Une autre manière de marquer les limites de cet espace sont les périrrhantéria, des vasques de pierre
apparaissant au viie siècle av. J.-C. au moins, qui recueillent l'eau sacrée servant aux visiteurs du sanctuaire
à se purifier quand ils y entrent. Elles prennent ensuite la forme de grandes tables avec une cuvette en leur
centre. Des stèles portant des « lois sacrées », inscriptions sur les conditions d'accès et les règles à respecter
313
à l'intérieur du temple, marquent aussi les limites du téménos .
Le temple a pour fonction d'abriter la statue d'une divinité qui est vénérée dans le sanctuaire : c'est la
304
demeure du dieu, où il réside car sa statue y assure sa présence . Ce n'est pas un lieu accessible aux
fidèles : le lieu de réunion lors des sacrifices est localisé autour de l'autel, à ciel ouvert, souvent devant le
319
temple de manière que la statue divine puisse observer le sacrifice qui lui est offert . Le temple sert aussi
d'entrepôt pour une partie du trésor de la divinité, généralement ce qu'il y a de plus précieux, et parfois aussi
320
pour les archives de la cité . Ce type d'édifice n'est pas indispensable au culte, et tous les sanctuaires n'en
304
ont pas . Il peut être vu comme une offrande à la divinité, ce qui explique le soin qu'on attache à sa
321
construction et son décor .
Les temples apparaissent assez tard dans la civilisation grecque, et se diffusent au viiie siècle av. J.-C. Les
plus anciens ont une seule pièce, puis le plan-type du temple grec se met en place au viie siècle av. J.-C. :
c'est un édifice rectangulaire, constitué d'un portique d'entrée (opisthodomos), de la salle principale
contenant la statue divine (naos), et éventuellement d'une pièce à l'arrière (pronaos), servant notamment
pour le trésor divin. Les temples grecs sont généralement bâtis en pierre, entourés de colonnes formant des
allées couvertes les entourant (péristyles). Leur décor répond plus ou moins aux ordres architecturaux qui se
322, 323
développent pour ce type d'édifice (dorique, ionique et corinthien) . À défaut d'être indispensables
304
au culte, ces édifices sont primordiaux dans le développement de l'architecture et de l'art grecs , et leur
construction mobilise les efforts des cités pour lesquelles ils fonctionnent comme une sorte de
324
« vitrine » .
Plan et représentation Les types de colonnes antiques Le Parthénon, temple
du naos du temple (Grèce et autres régions) et la d'Athéna à Athènes.
d'Apollon à Bassae. description des parties d'une colonne.
L'image divine
L'apparition des représentations divines sous forme de statues de forme humaine (anthropomorphes) se
produit dans le monde grec en même temps que celle des temples destinés à les abriter, au
e
viii siècle av. J.-C. Dès lors la statue de la divinité tutélaire du temple est placée dans la pièce principale de
l'édifice, sa « demeure » (naos), dans l'axe central de façon qu'elle puisse, une fois les portes du temple
ouvertes, être vue de l'extérieur et observer les cultes qui lui sont rendus. Son installation est marquée par
des rituels importants, et elle est ensuite entretenue et purifiée régulièrement. Les spécialistes débattent
quant à savoir dans quelle mesure cette image était vue comme la divinité elle-même, si elle « habite » la
325
statue, en tout cas la croyance courante est qu'elle réside dans le temple grâce à la présence de sa statue .
Elle n'est pas plus que le temple indispensable pour le culte, et fonctionne plus comme un « décor », ce qui
326
explique là aussi le soin apporté à sa réalisation . Très peu de statues divines ont été préservées, mais
certaines sont connues par des copies qui en ont été faites. Parmi les plus fameuses se trouve la
monumentale statue chryséléphantine de Zeus à Olympie, sculptée par Phidias, une des « sept merveilles du
327
monde » .
Enfin, certains sanctuaires ont des reliques, qui y ont été vouées, des objets investis d'un aspect sacré voire
de pouvoirs. Ils sont souvent liés aux cultes héroïques, et on peut faire rentrer les tombeaux de héros dans
cette catégorie, si on l'entend au sens large. Les reliques grecques antiques sont souvent des ossements de
héros, comme ceux attribués à Thésée qui ont été déplacés de Skyros à Athènes en 476. Mais il peut aussi
s'agir de choses associées à des personnages héroïques (souvent des armes) ou divins : ainsi parmi ces
reliques prétendues se trouvent l’œuf de Léda à Sparte, le sceptre d'Agamemnon à Chéronée, un moulage
d'un sein d'Hélène à Lindos, ou encore le bouclier du général messénien Aristomène à Lébadée, qui aurait
aidé au triomphe des Thébains à Leuctres, lesquels ont ensuite fait ériger un trophée où le suspendre. Les
légendes sur les reliques connaissent un essor à l'époque hellénistique, et appuient le développement de
332, 333
leurs cultes .
De ce fait, la place d'autres logiques sociales de pratiques de la religion est problématique à déceler et
discutée : il est difficile de parler de religion « populaire » car il n'y a pas vraiment de coupure significative
entre la religion des élites et celle du reste de la population ; les religions personnelle et/ou individuelle,
termes qui s'opposeraient au civique, officiel (mais pas forcément une opposition public/privé), sont plus
étudiées car elles reflèteraient les préoccupations réelles des individus, leur religion « intérieure », face à
celle imposée et donc plus conformiste des cultes civiques ; elle ressortirait notamment des associations
338, 339
religieuses et cultes électifs . Mais il est compliqué de les isoler clairement, car elles se déroulent
340
quand même sous le regard de la collectivité .
La question des rapports entre la religion et la société renvoie aussi aux questions de l'influence de l'une sur
l'autre : est-ce que la religion joue un rôle actif, créatif, comme cela est souvent supposé dans le processus
de constitution de la cité, peut-elle être un facteur de changement social, ou bien est-elle essentiellement le
38
reflet des évolutions socio-politiques, se fondant plus dans la société qu'elle ne la façonne ?
En l'absence d'institution religieuse séparée, ce sont les communautés de la société grecque antique qui
prennent en charge les cultes, et avant tout la plus importante d'entre elles, la cité polis. Mais dans les
grandes lignes la religion a une place similaire dans les autres entités autour desquelles s'organisent la vie
des Grecs anciens : les ethnè, les subdivisions de la cité (dèmes, phratries et phylai à Athènes), également
les associations cultuelles. Elle joue partout un rôle dans l'identité du groupe, assure sa cohésion, mais
révèle aussi ses tensions internes et les négociations permanentes pour assurer tant bien que mal l'équilibre
341
en leur sein, et les différentes possibilités d'articulations entre les individus, les identités et les groupes .
Les caractères de la vie religieuse de la cité ont été mis en avant par de nombreuses études. Chaque cité a
une divinité protectrice, la divinité « poliade », par exemple Poséidon à Corinthe, Héra à Argos, etc.
Chaque grand moment de la vie d'une cité est ponctué par des rites religieux. Ainsi la fondation de
nouvelles cités durant la colonisation grecque de l'époque archaïque est validée par un oracle, le transfert du
feu sacré depuis la cité fondatrice, des sacrifices et prières lors de l'édification de la ville principale. Les
réunions des assemblées de citoyens sont également marquées par des sacrifices. Les magistrats de la cité
occupent les principales fonctions religieuses, accomplissent des sacrifices et offrandes au nom de celle-ci,
et ne doivent pas être atteints par des interdits religieux. La cité édicte une bonne partie des « lois sacrées »
régulant les activités des sanctuaires, finance les cultes principaux et les prêtrises qui les supervisent, et à
Athènes le trésor civique est entreposé dans le temple principal, le Parthénon. Le fait que le centre de la vie
politique de la cité, l'agora, soit aussi un espace sacré avec des lieux de sacrifice, incarne bien cette
imbrication entre religieux et politique. L'action religieuse des cités se voit aussi dans leurs rapports avec les
sanctuaires panhelléniques : les cités demandent des oracles à Delphes, et font des offrandes aux dieux de
342
ces sanctuaires . Chaque cité a son propre calendrier liturgique, elle organise des fêtes civiques et
concours qui sont de grands moments de rassemblement, notamment lors des processions, affirmant la
343
cohésion de la communauté .
Durant l'époque hellénistique, les rois jouent un rôle central dans le culte, parce qu'ils sont des bienfaiteurs
importants et que leur administration organise les cultes dans leur royaume. De plus leur personne prend
une dimension divine, qui se voit par l'identification de plusieurs souverains à Dionysos et par la mise en
place un culte royal, en particulier celui des Lagides d'Égypte, qui concerne aussi des reines (Arsinoé II
348
notamment) et prend pied dans les cités . Ces dernières préservent largement leur autonomie en matière
religieuse, mais elles doivent prendre en considération l'existence de ce niveau supérieur auquel elle rend
des hommages souvent intéressés, situation qui se prolonge durant la période de domination romaine avec
347
le culte impérial .
L’oikos
L’oikos, ou « maisonnée », « foyer », est l'unité de base des sociétés grecques antiques, formée de
personnes et de biens, autour d'une famille, de son patrimoine et de son activité, comprenant donc aussi des
serviteurs et esclaves. C'est le cadre d'un ensemble de cultes prenant place dans la maison, dédiés en
particulier à : Zeus Herkéios, protecteur de la maison et garant de l'hospitalité, qui a son autel dans la cour
de la résidence ; Zeus Ktésios qui protège les biens matériels de la maison, dont le domaine est dans les
espaces de stockage ; Hestia la déesse des foyers ; Apollon Agyieus le protecteur des portes et rues. Les
rituels accomplis dans ce cadre, par le père de famille et chef de maisonnée, sorte de prêtre dans sa maison,
349, 350
sont en général simples, surtout des prières et libations . Il a aussi la charge de s'occuper des tombes
351
des défunts de la famille, et d'y accomplir des offrandes annuelles .
Les associations cultuelles (ou « privées ») sont « des groupes qui se donnent comme finalité explicite le
352
culte des héros, des dieux ou des morts . » Elles ont un rôle religieux, mais aussi politique, et permettent
de créer et consolider des liens sociaux entre leurs participants. Elles sont surtout connues pour Athènes, où
elles se divisent en plusieurs catégories, entre lesquelles les distinctions sont souvent floues : le génos, sorte
de clan, où le sacerdoce est exercé par une famille ayant fondé le groupe ; la thiase, terme qui peut avoir
plusieurs sens, dont celui d'association cultuelle ; les associations d'orgéons, qui s'occupent des cultes
d'héros et d'héroïnes ou de divinités étrangères ; l'éranos qui est guidé par l'idée de réciprocité et d'entraide
353
et a donc un rôle social fort ; le mot koinon peut aussi désigner ce type de groupe .
Il est courant d'y voir une approche plus personnelle de la religion, puisqu'il s'agit souvent de cultes électifs,
dont les participants choisissent l'objet de leur dévotion. Ces associations permettent ainsi une pratique plus
active et intense de la religion, en dehors des cadres communautaires dont elles permettraient de s'affranchir.
Les rites impliquent souvent une initiation, notamment dans les cultes dionysiaques. Mais l'opposition avec
les rites civiques ne doit pas être portée trop loin, car ces associations privées honorent des dieux admis par
la cité, impliquent parfois des prêtres et prêtresses desservants des temples, et n'ont pas grand-chose de
354
contre-culturel, puisqu'ils impliquent jusqu'aux élites des cités . Ces associations semblent plutôt servir à
355
tisser du lien social au sein des groupes établis qu'à affirmer des identités alternatives .
Le prêtre hiereus / la prêtresse hiereia est responsable d'un sanctuaire spécifique, et non d'un dieu ou d'une
361
cité en particulier. C'est un homme si la divinité vénérée est une déesse, une femme si c'est un dieu .
Dans le cas athénien, ce sont à l'origine des charges héréditaires transmises au sein d'une famille éminente,
ce type de fonction étant plutôt dévolu à des aristocrates. Par la suite, dans le système démocratique, les
nouvelles prêtrises sont attribuées par élection ou par tirage au sort. Ailleurs, notamment en Asie Mineure
hellénistique, certaines prêtrises sont vendues. La charge peut être attribuée pour une seule année, ou à vie.
Il n'est généralement pas attendu que le prêtre/la prêtresse ait une formation préalable, il/elle apprend sa
fonction en l'exerçant. Sa fonction principale est de s'occuper du sanctuaire et des propriétés sacrées, de
leurs finances, leur purification, surveiller les visiteurs et assurer le respect de la loi sacrée. Le prêtre dirige
des sacrifices, mais il n'en a pas le monopole puisqu'au niveau civique les magistrats ayant des attributions
religieuses peuvent le faire, et n'importe quel citoyen à titre privé. En quelque sorte il y joue un rôle de
362, 363
maître des cérémonies .
Il existe également des spécialistes religieux non officiels, désignés couramment par le terme mantis,
souvent traduit par « devin » ou « prophète ». Ils se caractérisent par leur expertise en matière religieuse, et
un minimum de charisme personnel. La plupart d'entre eux exercent de façon itinérante contre rétribution,
mais certains sont employés par des sanctuaires, la Pythie et les Sybilles des sanctuaires oraculaires pouvant
être désignées comme des manteis, ou bien dans des armées où la divination occupe une place importante.
Un mantis est en fait souvent plus qu'un expert de la divination, puisqu'il peut aussi accomplir des rites de
guérison, de purification ou autre, mais on ne sait pas bien s'il en existe qui se spécialisent dans une
discipline particulière. Ils peuvent aussi bien être sollicités par des gens du commun que des rois. D'autres
experts de la divination, les chresmologoi, sont spécialisés dans la collecte et l'interprétation d'oracles. Les
textes antiques emploient divers autres termes pour désigner des spécialistes religieux, généralement sous
un jour défavorable, le magos « mage », goes/goeties « sorcier/sorcière », agyrtes « prêtre mendiant », aussi
362
le/la pharmakeus/pharmakis qui fournit des remèdes et incantations de guérison .
Rites et pratiques
Un rituel est, dans une définition
minimale, « une activité symbolique
dans un contexte religieux »,
« composée de plusieurs actes simples,
364
les rites » (F. Graf) ou bien, en plus
développé, « un ensemble de gestes
accomplis par ou au nom d’un individu
ou d’une communauté, qui servent à
organiser l’espace et le temps, à définir
les rapports entre les hommes et les Procession en vue du sacrifice d'un agneau aux Charites. Peinture
dieux, à mettre en place les catégories sur bois, Corinthie, vers 540-530 av. J.-C., Musée national
humaines et les liens qui les unissent » archéologique d'Athènes.
(L. Bruit Zaidman et P. Schmitt
365
Pantel) . Les anciens Grecs ne
connaissaient pas ce concept, le terme le plus proche existant dans leur langue étant telétê, surtout employé
pour des rituels exceptionnels, notamment les cultes à mystères. D'autres termes au sens plus large peuvent
366
désigner des rites : hiéra « choses sacrées » et therapeia « service (des dieux) » .
Des rituels peuvent être accomplis pour plusieurs raisons, et il est souvent impossible de les réduire à une
seule finalité, quoi qu'une fonction globale puisse être distinguée, celle de servir de moyen de
communication et d'échanges entre hommes et dieux. Tout manquement aux rituels est une faute commise
envers les dieux, car ils en sont les garants, et ils ne peuvent être modifiés qu'avec leur accord, donc à la
suite d'une consultation oraculaire. Le déroulement des rites accomplis dans les sanctuaires est fixé par les
220
« lois sacrées » qui sont inscrites à leur entrée .
L'étude des rituels occupe une place majeure dans les recherches sur la religion de la Grèce ancienne.
Celle-ci a pu être qualifiée de religion « ritualiste », parce que l'observance de ces rites y est considérée
comme fondamentale pour la piété d'un groupe et d'un individu, par opposition à l'absence de dogme qui
structurerait cette religion, sans pour autant exclure la pensée religieuse et le fait que les rituels renvoient
365
365
aux rapports entre les hommes et l'univers et les dieux . En tout état de cause, même dans cette approche
cela ne revient pas à douter de la profondeur de la piété des anciens Grecs. Cela renvoie plus largement aux
367
discussions sur les rapports entre pratiques et croyances religieuses déjà évoquées .
Purification
Sacrifices et offrandes
La piété grecque se manifeste par des actes visant à plaire aux dieux
et à attirer sur les humains les grâces divines, suivant la logique de
203 206, 207
don et de contre-don impliquée par la notion de charis .
De ce fait les rites de don aux dieux sont une composante
373
essentielle des rituels grecs . Le sacrifice animal, qui est le rituel
le plus important dans les cultes des cités grecques, est ainsi avant
tout pensé dans le cadre des rapports entre dieux et hommes, car la
bête immolée est partagée entre eux et sert aussi de médiateur entre
Jeune fille déposant des branches 374, 375
les deux . La notion d'« offrande » permet aussi de désigner
sur un autel, cratère à fond blanc, v. 376, 377
470-760 av. J.-C. Altes Museum.
ces actes . Les offrandes peuvent intervenir en diverses
occasions : lors de rituels courants des temples, notamment les fêtes,
ou bien n'importe quand selon la demande formulée aux dieux ou
ce qu'il y a à célébrer et commémorer, dans un sanctuaire, dans le cadre domestique, aussi lors de
l'ouverture de réunions politiques, dans le cadre de rites matrimoniaux ou funéraires, etc.
La forme de sacrifice la plus importante dans le monde grec est « la mise à mort et la consommation d'un
animal domestique offert au dieu. » C'est la « quintessence de l'acte sacré chez les Grecs » selon W.
379
Burkert . Sa forme classique apparaît en particulier chez Homère (Odyssée III 430-463 pour la
380
380
description la plus développée) . Elle se déroule en
381 « Le 10 [du mois de Karnéios] à Héra Argéia
général durant une fête . Le rituel sacrificiel à
Eléia Basiléia, une jeune génisse sélectionnée ;
proprement parler se déroule en trois grandes étapes : la
qu'on la sélectionne en ne l'achetant pas moins
préparation, quand l'animal est conduit devant l'autel et
de 50 drachmes ; le prêtre sacrifiera et fournira
qu'est prononcée la prière formulant la demande faite au
les hiéra (choses sacrées employées dans le
dieu qui reçoit le sacrifice ; la mise à mort, en égorgeant
rituel) ; en gerè (part d'honneur réservée au
l'animal avec un couteau ; le partage de la viande
prêtre) il prendra la peau et une patte ; les
sacrificielle, les dieux recevant les parties grasses, tandis
viandes pourront être emportées au dehors ; les
que le premier cercle des participants au sacrifice se viscères seront mis dans la peau et on les offrira
partagent les organes internes, splanchna, directement en sacrifice, sur le foyer dans le temple, ainsi
rôtis à la broche sur l'autel, puis le reste de la viande, qu'un gâteau long d'un demi-hémiecte de
grillé ou bouilli, est partagé lors du banquet froment ; que ces offrandes ne soient pas
382, 383
sacrificiel . emportées hors du temple. »
Mais il existe une grande variété de formes de sacrifices aux côtés de celle qui est la plus répandue et
étudiée. Par exemple, Pausanias décrit un rituel sacrificiel ayant lieu de son temps pour Artémis à Patras
durant lequel les participants jettent dans le feu des animaux, qui sont donc consumés sans être
384, 385
consommés .
Le rite sacrificiel a suscité de nombreuses interprétations : pour l'école de Paris (M. Detienne, J.-P. Vernant),
c'est plutôt un acte marquant la séparation entre humains et divinités, par le partage des restes de l'animal
immolé, tout en établissant un lien entre les deux ; pour W. Burkert, partant des analyses de K. Meuli, le
sacrifice dériverait de pratiques de chasseurs cherchant à évacuer la culpabilité entraînée par le fait de tuer.
Bien d'autres possibilités d'interprétation de la signification du sacrifice existent, et de nouvelles approches
comme l'analyse des ossements d'animaux sacrifiés retrouvés dans les sanctuaires permettent de faire
386, 387
progresser les connaissances sur ce sujet vaste et complexe .
Les offrandes odoriférantes sont également importantes, l'encens en particulier occupant une place
390, 391
importante dans les offrandes .
Ces « petites » offrandes sont certes bien moins étudiées que le sacrifice sanglant, mais leur place dans les
rites est loin d'être négligeable. Elles peuvent constituer un rite d'offrande indépendant, et occupent sans
doute une place majeure dans la dévotion quotidienne. Ce sont aussi les gestes rituels qui survivent à la
392
disparition des cultes polythéistes, qui s'accompagne de la fin du sacrifice animal .
Les offrandes votives faites aux divinités à la suite d'un vœu, dans la dynamique de don/contre-don,
entreposées dans leurs sanctuaires (anathémata), se distinguent des autres types de sacrifices par leur
caractère permanent, non périssable. Elles visent aussi à préserver le souvenir du geste d'offrande, et sont
souvent accompagnées d'une inscription de dédicace, ou bien consignées dans les inventaires des
sanctuaires qui gardent la trace de la piété du donateur. Les fouilles archéologiques ont permis la mise au
jour d'une très grande quantité d’ex-voto en tout genre, qui s'entassent dans les sanctuaires dont ils
constituent un élément caractéristique, jusqu'à causer leur encombrement. Ils témoignent aussi bien d'une
piété personnelle que d'une piété officielle. Certaines offrandes renvoient plus directement à l'objet de la
demande : les sanctuaires des dieux guérisseurs ont ainsi livré des figurines représentant les membres
malades des donateurs qui demandent ou ont obtenu la guérison, ainsi que des stèles comportant les
393, 394, 329
histoires de personne ayant été guéries . À l'époque hellénistique, les rois deviennent les
395 396
principaux donateurs , puis les généraux romains reprennent ce rôle à leur compte , avant les
empereurs. Durant ces mêmes époques se développe également l'évergétisme privé des notables qui se
397
porte en partie vers les sanctuaires .
Les rituels étant pensés comme des réjouissances visant à satisfaire les divinités en leur présentant autant de
belles choses que possible, ils peuvent être accompagnés de chants (hymnes, péans), de musique et de
370, 398
danses qui, dans un contexte rituel, sont pensées comme des offrandes .
Les fêtes
Les fêtes religieuses sont des rituels complexes, qui se produisent périodiquement et suspendent le rythme
399
quotidien. Elles sont généralement désignées par le terme heortai (sg. heortê), « associé à la bonne
400
chère, à la bonne compagnie et au divertissement ».
Une fête se produit à des intervalles réguliers, généralement une fois dans l'année. Les calendriers antiques
sont avant tout des calendriers cultuels, détaillant le déroulement des rituels, marqués par les fêtes, les plus
importantes donnant souvent leur nom au mois durant lequel elles se déroulent, par exemple à Athènes le
401, 402
mois d'Anthesterion durant lequel se déroulent les Anthestéries . Les fêtes constituent une coupure
dans le rythme quotidien, un moment à part, durant lequel le sacré est au premier plan dans la vie de la cité.
403
On arrête de travailler pour jouer son rôle dans le déroulement des festivités .
Un autre élément caractéristique des grandes fêtes religieuses grecques est le déroulement d'un concours,
agon : concours musicaux, poétiques et théâtraux sont très importants, organisés sous les auspices
408
d'Apollon et de Dionysos, notamment lors des Grandes Dionysies athéniennes ; concours sportifs dont
les plus fameux sont les « Jeux olympiques » à Olympie, les « Jeux pythiques » à Delphes, les « Jeux
isthmiques » à l'Isthme de Corinthe, et les Jeux de Némée. D'autres concours sportifs ont lieu dans d'autres
409, 410, 411
cités, mais ils sont moins réputés . Durant l'époque hellénistique et l'époque romaine, les
412
concours se multiplient et deviennent une caractéristique de l'hellénisme, adoptée par les Romains .
Oracles et divination
La divination (mantikè) consiste en l'interprétation de signes envoyés par les dieux, à travers lesquels ils
413
« offrent aux hommes directives et directions, parfois sous forme cryptée . » Son but n'est pas
414
simplement la prédiction du futur, mais « la clarification d'un point spécifique, présent, futur ou passé . »
Elle peut être suscitée volontairement par des humains, par le biais
d'un rituel sollicitant l'avis de la divinité, ou bien être délivrée
219
spontanément par celle-ci . Il est courant de distinguer deux
formes principales de divination : la divination inductive, reposant
sur l'interprétation des signes envoyés par les dieux, et la divination
inspirée, dans laquelle le message est transmis par le biais d'un
415
médium, un prophète ou (plus souvent) une prophétesse .
La divination est assez peu documentée pour l'époque hellénistique, alors qu'elle l'est un peu plus pour
l'époque romaine, notamment parce qu'elle intéresse les auteurs de la seconde sophistique. Des questions
plus théologiques et philosophiques, sur la nature des divinités par exemple, sont posées dans les grands
centres oraculaires d'Asie Mineure. L'astrologie connaît une vogue. La christianisation se traduit par la
fermeture des grands centres oraculaires, et l'évolution des pratiques ; les Chrétiens adoptent par exemple la
420
pratique de l'incubation .
Cultes à mystères
421
Les cultes à mystères (mysteria « secret » ; on trouve aussi teletê ou orgia pour désigner ces rites ) sont
rendus à des divinités et sont caractérisés comme leur nom l'indique par le secret. En effet, ils sont destinés
à n'être connus que de ceux qui ont reçu une initiation, qui doivent ensuite garder le secret sur leur contenu,
ce qu'ils semblent avoir fait d'une manière générale, puisque leur déroulement n'est pas documenté ou très
422
peu . Ils ont souvent été présentés comme des antithèses des rites publics civiques, mais en fait il s'agit
plus d'un développement particulier qui prend place dans le cadre religieux aux côtés des cultes
423, 424
publics . À l'issue d'une initiation qui semble pensée comme un parcours riche en émotions, « le
bénéfice attendu est le bonheur (olbos) qu'apporte l'expérience religieuse d'une rencontre avec le divin, et,
424
pour certains des mystères concernés, un statut privilégié dans l'autre monde, après la mort . »
L'exemple le mieux connu (et qui semble avoir servi de modèle du genre dans l'Antiquité) est celui des
mystères d'Éleusis, dans la cité d'Athènes, destinés à Déméter et à sa fille Korè (Perséphone), et reposant
sur un récit mythologique concernant l'enlèvement de la première par le dieu infernal Hadès, et l'errance de
sa mère jusqu'à
« Bienheureux ceux des mortels qui ne
sa réunion avec
descendent pas aux Enfers sans avoir vu ces
sa fille. Les rites
mystères ; eux seuls là-bas, vivent ; les autres
des mystères
n'y ont que des maux »
d’Éleusis
débutent par une
La promesse d'un sort meilleur après la mort pour
procession des
les initiés aux mystères d'Éleusis, d'après
initiés, puis se 421
l’Hymne homérique à Déméter .
poursuivent par
un sacrifice
public à
Athènes, avant que le cortège ne se dirige vers Éleusis où se
déroulent des rites publics et secrets. Ils ont un caractère agraire, qui
tient notamment à la nature de Déméter, déesse du grain, mais ils
Tablette de Ninnion : Déméter et
sont aussi liés au monde des morts, manifestement par le biais de
Korè accueillant une procession des
Korè. Les initiés aux mystères d’Éleusis espèrent manifestement
425, 426, 427
mystères. Milieu du voir leur sort dans l'au-delà être favorable .
e
iv siècle av. J.-C., musée national
Les autres cultes à mystères majeurs de l'époque classique sont ceux
archéologique d'Athènes.
dédiés aux divinités appelées Cabires (ou Grand Dieux), qui ont
lieu à Samothrace, et semblent plutôt destinés à assurer la protection
428, 429
en mer . Durant l'époque hellénistique et l'époque romaine se développent les cultes à mystères
d'Andania, en Messénie, établis en 92/1 av. J.-C., destinés à un groupe de divinités comprenant Déméter,
430, 431
Hagne (la variante locale de Korè), Apollon Karneios et les Grands Dieux .
L'expression de mystères prise dans son acception la plus large peut inclure d'autres types de rites secrets,
notamment des cultes ayant un caractère mystique, mettant les pratiquants en relation directe avec la
divinité, tels les cultes à Dionysos (bacchique) et à Cybèle, ou encore des cultes plus ésotériques,
comprenant une mythologie propre, avec l'orphisme, voire aux époques tardives les courants gnostiques et
250
l'hermétisme .
Magie
La magie, mageia, doit son nom aux « mages » perses décrits dans des textes grecs, et elle sert en général à
qualifier durant l'époque classique les pratiques vues comme douteuses des « sorciers/sorcières »
goes/goeties, considérés comme des charlatans, et des rites dénoncés parce qu'ils se passent en dehors du
432, 433, 434
cadre de la religion de la cité et peuvent menacer son ordre . En revanche durant l'époque
433
hellénistique le terme désigne un savoir occulte mêlant rites et incantations complexes . Durant les
époques tardives la magie connaît une forme de réappréciation dans les cercles néoplatoniciens et
433
l'hermétisme . Puis à partir du ive siècle elle fait l'objet d'une législation répressive, et est souvent
assimilée à de la superstition ou de la mauvaise religion, ce qui permet de la dénoncer et de s'en servir pour
435
discréditer ses adversaires .
Les objectifs de pratiques magiques peuvent être divisés en deux catégories. Un premier type vise à
protéger une personne, et/ou à la guérir d'un mal qui la touche, notamment d'une maladie, notamment avec
des amulettes, et aussi des rituels de purification, d'exorcisme, ou encore la demande d'intervention des
436
dieux guérisseurs . L'autre type vise à faire du mal à une autre personne, pour le bénéfice de celui qui en
est à l'origine. Il est surtout documenté dans le monde grec par les textes de « ligatures », katadesmoi
(souvent désignées par le terme latin équivalent, defixio ou défixion), comprenant des formules magiques de
434
sortilèges ont pour but de « lier » un autre individu, à le placer sous contrôle , et concernent avant tout
des affaires juridiques (priver de la parole un adversaire lors d'un procès), le sport (blesser un rival), et
l'amour/érotisme (qu'il s'agisse d'attirer un être aimé en le plaçant
437
sous son contrôle ou d'éloigner un rival) . Des « papyrus
magiques » d'époque tardive, écrits en grec et provenant d’Égypte,
comprennent des formules complexes, avec des invocations de
divinité et démons, et témoignent d'influences des pratiques
magiques égyptiennes et proche-orientales (juives,
438, 435
mésopotamiennes) .
Rites de passage
Lamelle de plomb portant une
La vie sociale grecque est marquée par un ensemble de rites qui inscription de sortilège,
439 e
iv siècle av. J.-C.. Musée
sont désignés comme des « rites de passage » . Ils mêlent aspects
individuels, domestiques et publics, communautaires, illustrant une archéologique du Céramique.
nouvelle fois la difficulté qu'il y a à tracer une démarcation entre
public et privé dans la religion grecque antique. Ce sont
concrètement « les pratiques rituelles et les croyances qui ont trait à la naissance, à l’entrée dans le monde
440
adulte, au mariage et à la mort » (L. Bruit Zaidman et P. Schmitt Pantel) .
La naissance est marquée par plusieurs gestes et rites marquant l'entrée de la nouvelle-née ou du nouveau-
né dans la communauté. Ainsi le cinquième ou le septième jour après la naissance on célèbre les
Amphidromies, durant lesquelles le bébé est promené autour du foyer, en lien avec la déesse associée à ce
lieu, Hestia. Des rites de purification ont lieu, notamment pour la mère qui est frappée d'impureté après son
accouchement. On procède également à des offrandes aux divinités liées à la naissance et à la protection
441
des jeunes enfants : Ilithyie, Artémis et Déméter Kourotrophe .
Un autre ensemble de rites marque le passage de l'enfance à l'âge adulte. On peut parler dans la
terminologie moderne de rites de puberté, ou bien de rites d'initiation (à ne pas confondre dans ce cas avec
les cultes à mystères, ce dernier mot ayant le sens d'« initiation »). Ces rites sont bien documentés pour
Sparte, par les chœurs de jeunes filles d'un côté et l'entraînement militaire des jeunes hommes de l'autre. À
Athènes et dans le cités de tradition ionienne, c'est la fête des Apatouries qui marque l'entrée de nouveaux
membres dans la communauté des citoyens. L'éphébie, service militaire des jeunes hommes devenant
citoyens adultes athéniens, est également marqué par des rituels, mais il n'y a pas de rite initiatique à
442, 443, 444
proprement parler pour les jeunes filles de citoyens athéniens .
445
Le mariage (gamos) est marqué par divers rituels, surtout connus pour Athènes .
Il en résulte notamment des variations locales importantes, et il est souvent reconnu qu'il est difficile de
parler d'une religion grecque unique, malgré le fond religieux commun incontestable qui unit les régions de
culture grecque, et qu'il est possible de parler de « religions grecques » au pluriel. Mais en dehors du cas
athénien les religions locales ne sont pas suffisamment bien documentées pour pouvoir être reconstituées de
449
façon consistante, quoi qu'on soit en mesure d'identifier un peu partout des spécificités locales . Les
études régionales/locales se sont cependant développées progressivement et permettent de mieux apprécier
la diversité de l'univers religieux du monde grec antique au-delà d'Athènes qui constitue en général le
contexte principal des études sur la religion grecque, ou encore de se dégager des approches généralisantes
qui sont par bien des aspects insatisfaisantes (comme les études de l'univers divin en procédant d'un dieu à
l'autre). Il est aussi possible de se placer à l'échelle des cités, des régions ou des royaumes, donc de tenter
d'analyser une religion spartiate, une religion macédonienne, etc., quoi que la perspective d'une écriture
450
d'une géographie de la religion grecque antique soit encore très lointaine .
Sparte
La religion de Sparte à l'époque classique est relativement bien documentée par rapport à celle des autres
cités contemporaines, évidemment exception faite de sa grande rivale athénienne, et a fait l'objet de
plusieurs études qui ont permis de mettre en avant ses aspects principaux, dont ses spécificités et ses
451
similitudes par rapport aux religions pratiquées ailleurs .
Parmi les divinités attestées à Sparte pour l'époque classique, un premier groupe qui peut être distingué
préside aux rites initiatiques : Hélène (originellement une déesse à Sparte, son statut d'héroïne semblant être
une évolution tardive) qui est la protectrice des jeunes filles et de leur mariage ; la déesse Orthia, qui préside
des rites de passage à l'âge adulte, notamment un rituel de flagellation des jeunes hommes (diamastigosis) ;
Apollon semble patronner des relations homosexuelles initiatiques. Les divinités associées aux activités
pacifiques sont Zeus, dont les deux formes principales sont Zeus Lakédaimon, « Lacédémonien », et Zeus
Ouranos, « Céleste », et Athéna qui lui est souvent associée, aussi Apollon et les Dioscures, Castor et
Polydeukès. Enfin comme attendu pour cette cité martiale les divinités liées à la guerre sont un autre groupe
important, auxquels des sacrifices sont faits durant les campagnes militaires : Zeus Agêtor (« Conducteur de
l'armée »), Artémis Agrotera, divinité de la chasse et des espaces giboyeux, sans doute aussi liée aux
champs de bataille, à laquelle on sacrifiait avant une bataille ; les troupes en campagne avaient aussi
l'habitude de sacrifier aux divinités des lieux où elles combattaient et de s'assurer par la divination de leur
452 453
assentiment à l'engagement du combat ; Aphrodite est vénérée à Sparte sous sa forme guerrière . Le
territoire spartiate comprend également un important sanctuaire dédié à Poséidon sur le cap Ténare, et ce
454
Poséidon Tainaros a aussi un temple à Sparte . Les Spartiates ont divinisé des abstractions d'états du
corps (pathèmata) qu'il importe selon eux de contrôler, dont le choix est révélateur de l'éthique spartiate
valorisant la maîtrise de soi : la Peur, la Pudeur (ou Retenue), le Sommeil, la Mort, le Rire, l'Amour, la
455, 456
Faim .
Représe Plaque en Relief Grotte du sanctuaire
ntation plomb représentant de Poséidon du cap
de la représenta deux héros Ténare, identifiée
déesse nt une ou divinités avec la grotte sacrée
Orthia en déesse chthonienne évoquée dans des
maîtress ailée, peut- s. textes antiques, qui y
e
e des être vi siècle voient une entrée vers
457
animaux, Artémis- av. J.-C. les Enfers .
sur un Orthia. Musée
ex-voto Metropolita archéologiq
d'ivoire. n Museum. ue de
Musée Sparte.
national
archéolo
gique
d'Athène
s.
Comme bien d'autres cités les Spartiates vénèrent des héros, dont les cultes sont surtout attestés pour
l'époque romaine, ce qui rend incertain le tableau pour l'époque classique. Xénophon évoque le fait que les
458
rois de la cité reçoivent des honneurs héroïques à titre posthume . Ce dernier point met en lumière une
caractéristique spartiate : la place de ses deux rois, institution originale de la cité, qui sont les principaux
459
acteurs du culte, et même les seuls prêtres attestés à Sparte pour l'époque classique . Ce sont des figures
charismatiques, dont les funérailles sont un moment important de réunion de la communauté spartiate, et
460, 461
leur héroïsation participe à légitimer du système politique et social . D'une manière générale, les
Spartiates accordent une grande considération à leurs morts, qu'ils soient héroïsés ou pas. Ils sont classés en
fonction de leurs mérites qui leur donne droit à des funérailles plus ou moins importantes, et sont vus
462
comme des figures protectrices à honorer .
Le calendrier rituel spartiate est dominé par trois fêtes principales, toutes en l'honneur d'Apollon, surtout
connues par des descriptions postérieures à l'époque classique, bien qu'attestées pour celle-ci : les
Hyacinthies qui marquent le renouvellement du monde, en principe à l'équinoxe de printemps ; les
Gymnopédies, commémoration de batailles, en juillet-août ; les Karneia, rituel de fertilité commémorant
l'arrivée dans le Péloponnèse des Doriens et des premiers rois Héraclides, ancêtres légendaires des
463, 464
Spartiates .
Les cultes de l'époque romaine sont documentés par des inscriptions ainsi que la description laissée par
465
Pausanias le Périégète . Cette dernière indique que le territoire spartiate est alors couvert de sanctuaires,
aussi bien dans le chef-lieu que dans ses confins, ce qui est manifestement le produit d'un processus
466
pluriséculaire visant à renforcer la protection surnaturelle de la cité . Sparte joue sur son prestige passé et
attire de nombreux touristes, qui viennent notamment assister aux grandes fêtes traditionnelles (Karneia,
Gymnopédies, Hyacinthies), et elle célèbre ses généraux des guerres médiques, Léonidas et Pausanias, lors
des Leonidea. Divers cultes aux aspects héroïques ayant pour objet des figures illustres de l'histoire spartiate
467
sont attestés, peut-être des inventions de l'époque participant à susciter l'intérêt touristique pour la cité .
Le culte d'Orthia, qui est alors assimilée à Artémis, semble toujours populaire, le rite de flagellation
suscitant l'intérêt des visiteurs, mais les inscriptions parlent plus de ceux de Zeus, des Dioscures, de
Déméter d’Éleusis vénérée sur le Taygète, et surtout du culte impérial. Les familles de notables contrôlent
les charges de prêtrise et financent les cultes, ce qui est une caractéristique générale de la vie des cités
grecques à cette période. Des fêtes avec des concours athlétiques, musicaux et poétiques apparaissent
également : les Kaisarea, sans doute en l'honneur d'Auguste, puis les Ourania en l'honneur de Zeus
468
Ouranos, aussi les Olympia Commodea en l'honneur de Commode .
Arcadie
L'Arcadie, région située au centre du Péloponnèse, est divisée entre plusieurs cités qui ont une importance
politique secondaire dans l'histoire grecque, et peut-être vue comme un bon exemple des aspects ordinaires
de la religion grecque en dehors des principaux centres politiques et religieux. Les fouilles archéologiques
et surtout la description laissée au iie siècle par Pausanias sur ses cultes et mythes fournissent des
469
informations appréciables qui ont fait l'objet de plusieurs études, avant tout par M. Jost .
Les différentes sous-régions et cités d'Arcadie présentent à leur niveau leurs propres particularités
religieuses, avant tout visibles dans la composition de leur panthéon, comprenant divers aspects des
divinités panhelléniques, de concert avec des divinités arcadiennes qui leur sont plus ou moins assimilées.
L'Arcadie présente de nombreuses épithètes de divinités panhelléniques inconnus ailleurs qui brouillent les
questions autour de leurs origines. Plusieurs aspects de Zeus se retrouvent ainsi, en plus de celui du mont
Lycée, Aléa-Athéna est la divinité protectrice de Tégée, Poséidon Hippios (associé au cheval) est le dieu
tutélaire de Mantinée, Mégalopolis vénére des « Grandes Déesses » (Megalai Theai) qui semblent une
474
création locale, on trouve aussi diverses variantes d'Artémis, Apollon, Déméter, Dionysos, etc. . Les
évolutions de l'époque romaine se voient par exemple à Mantinée par la présence des cultes d'Aphrodite
475
Symmachia, qui symbolise la victoire d'Auguste à Actium, et d'Antinoüs, l'amant d'Hadrien divinisé .
Asclépios a plusieurs lieux de culte en Arcadie, dont un à Gortyne. Le temple le mieux préservé de la
région est situé à son extrémité occidentale, à Bassae, et il est dédié à Apollon, mais selon Pausanias le plus
476
vaste était celui d'Aléa-Athéna à Tégée . Les fouilles archéologiques ont par ailleurs permis de retrouver
beaucoup de lieux de culte d'Arcadie ignorés par cet auteur, parce qu'il ne les a pas visités ou bien parce
477
qu'ils n'existent plus à son époque .
Parmi les principaux mythes arcadiens, le plus connu dans l'Antiquité, où il circulait sous différentes
formes, met en scène le roi arcadien mythique Lykaon, dans plusieurs cas agissant de concert avec ses fils,
vouant un bébé en sacrifice à Zeus Lykaios, suscitant la vengeance du dieu, ce qui se manifeste en général
par la transformation du roi en loup, aussi le foudroiement de ses fils. Un autre mythe arcadien met en scène
Déméter et Poséidon, et se déroule à Thelpousa : le dieu poursuit la déesse de ses assiduités, celle-ci se
transforme en jument pour se cacher, mais le dieu se rend compte de la supercherie et se transforme en
cheval et parvient à ses fins, suscitant la colère de la déesse. Cela expliquerait pourquoi Poséidon est vénéré
en Arcadie sous son aspect équestre (Hippios) et Déméter sous un aspect furieux et destructeur (Erinys),
478
avant de retrouver le calme (Lousia) et son rôle de déesse de la fertilité .
Délos
L'île de Délos dans les Cyclades est un des plus importants sanctuaires de la Grèce ancienne,
particulièrement bien connu grâce aux fouilles qui y ont été conduites par des équipes françaises, qui y ont
dégagé de nombreux bâtiments et collecté une grande quantité d'inscriptions documentant la vie
480
religieuse .
La mythologie donne une place particulière à l'île de
« Délos, si tu voulais être la demeure de mon fils,
Délos, personnifiée : alors qu'elle est errante (comme
Phoibos Apollon, et l'y laisser fonder un temple
d'autres îles mythologiques), elle est la seule terre à
prospère ? Personne d'autre ne touchera jamais
accueillir Léto, mère d'Apollon et Artémis, pour qu'elle
tes bords, ni ne t'honorera de sa présence. Tu ne
y accouche. Héra, en effet, encore une fois trompée par
seras pas non plus, je pense, riche en bœufs ni
son époux, Zeus, père des jumeaux de Léto, avait
en moutons ; tu ne porteras point de vigne, ni ne
interdit à toute terre d'accepter sa « rivale ». Devenue le
verras grandir des plantes sans nombre. Mais si
berceau des deux dieux, on accorda à Délos
481 tu possèdes le temple de l'Archer Apollon, le
l'immobilité et l'île devint sacrée . Pour la rendre monde entier se rassemblera ici pour mener des
exempte de toute souillure, l'on décréta qu'il était interdit hécatombes à tes autels ; sans cesse une
d'y naître ou d'y mourir. Cela explique que la nécropole énorme fumée jaillira des chairs grasses ; c'est
des Déliens se trouve sur l'île voisine de Rhénée. par le bras d'autrui que tu nourriras tes habitants,
puisqu'il n'y a pas de fertilité sur ton sol. »
L'île est avant tout le sanctuaire du dieu Apollon, qui n'a
pas d'oracle ici à la différence de ses autres lieux de Léto convainc Délos de la laisser accoucher sur
cultes majeurs. Son aspect local semble plutôt lié à la 479
l'île, Hymne homérique à Apollon (v. 51-60) .
Grâce, sa statue de culte portant dans sa main les
Charites (les « trois Grâces »). Sa mère et sa sœur y sont
également vénérées, et ensemble ils forment la triade
482
apollinienne qui domine le panthéon local ; Héra a aussi un sanctuaire, sans doute parce qu'il valait
mieux l'apaiser après l'affront commis. La mythologie locale présente des figures spécifiques, dont le rôle
est cependant très secondaire dans le culte : les Vierges hyperboréennes qui ont apporté des offrandes à
Apollon depuis le pays mythique septentrional d'Hyperborée ; Anios, fils et prêtre d'Apollon, considéré
483
comme une figure fondatrice (archégète) .
Comme pour d'autres grands sanctuaires grecs, il a été supposé que Délos soit un lieu de culte important
dès l'époque mycénienne, mais cela reste à démontrer. Il prend assurément de l'importance durant l'époque
archaïque, servant de lieu de culte ethnique des Ioniens (fonction qu'a également le Panionion du cap
Mycale), où sont en particulier actives les cités de Naxos, Kéos et Andros, et également Athènes. Les
rapports avec cette cité sont très importants dans l'histoire de Délos. Le rite majeur à ces époques est celui
des offrandes hyperboréennes, reproduisant le mythe évoqué ci-dessus, qui voit des offrandes être
484
apportées à travers la Grèce jusqu'à Délos .
La vie religieuse de Délos est surtout documentée pour l'époque hellénistique, à partir de la fin du
e
iv siècle av. J.-C., du point de vue architectural comme épigraphique. Les inscriptions comprennent des
dédicaces comme ailleurs, mais aussi des documents administratifs, les « comptes » ou « inventaires » de
Délos, fournissant des informations précieuses sur les activités financées par le temple d'Apollon. Ses
gestionnaires, les hiéropes, administrent les biens du temple, en tirent des revenus, et entretiennent les cultes
de plusieurs sanctuaires. Ses inscriptions cessent quand l'île passe sous contrôle athénien après 167. Le
paysage religieux de l'île s'est alors considérablement diversifié. Il a intégré d'autres dieux grecs : Zeus,
Hermès, Aphrodite, Déméter, Dionysos, etc. Le plus original est l'importance des cultes aux divinités
étrangères, qui renvoie au caractère cosmopolite qu'a acquis l'île à cette période, car elle est aussi un port
commercial de premier plan. Sont ainsi attestés les égyptiens Isis et Sarapis, l'arabe Sîn, les syriens Hadad et
Atargatis, Poséidon (Baal) de Bérytos, le Dieu Très Haut juif (YHWH), les Lares Compitales d'Italie. L'île
comprend de ce fait de nombreux sanctuaires à cette période, de formes et tailles diverses, ceux des
divinités étrangères ayant des éléments architecturaux trahissant leurs origines. Le temple d'Apollon est le
plus vaste, et le point focal de l'organisation du peuplement de l'île. Les différentes divinités font l'objet de
fêtes périodiques. Les Apollonia commémorent le dieu tutélaire de l'île, avec des concours gymniques. De
riches particuliers, dont des rois, fondent également des fêtes supplémentaires qu'ils financent. L'analyse du
nombre d'offrandes indique le déclin de certains cultes anciens (à Léto, à Héra), et l'essor de nouveaux (aux
divinités égyptiennes). Les fouilles des maisons ont également permis de trouver des témoignages des
485
dévotions privées (dédicaces, reliefs votifs, amulettes) .
Vue aérienne du site Vue du sanctuaire Le temple d'Artémis à
de Délos. d'Apollon. Délos.
Délos est mise à sac à deux reprises, en 88 et 69 av. J.-C., ce qui cause un exode de la majorité de sa
population et son déclin. Le sanctuaire d'Apollon reste actif mais son culte semble très limité jusqu'à la
486
christianisation de l'île .
Alexandrie
Dès la fondation de la ville en 331 av. J.-C., les Grecs prévoient des
temples pour leurs dieux, qui sont donc implantés en territoire
égyptien. Dionysos occupe la place principale durant l'époque des
rois lagides qui sont plusieurs à s'identifier à lui. Déméter rencontre
également un important succès ; elle est honorée lors d'une fête
appelée Thesmophories sur l'exemple athénien, et le quartier où elle
est vénérée a reçu le nom d’Éleusis. Aphrodite prend de
l'importance quand elle est associée aux reines, à commencer par
Arsinoé II. Les Dioscures et Poséidon (qui protègent les marins), Buste de Sarapis. Musée national
Zeus (dont la statue se trouve au sommet du Phare d'Alexandrie) et d'Alexandrie.
Pan sont également populaires. Un sanctuaire célèbre d'Alexandrie
est dédié aux Muses : le Mouseion (Musée), surtout connu parce
que c'est parmi son domaine que se trouve la Bibliothèque d'Alexandrie. Parmi les divinités autochtones,
Isis reçoit un culte important tant de la part des Grecs que des Égyptiens. L'hybridation religieuse se voit
surtout dans l'émergence du culte de Sarapis, un dieu d'origine égyptienne, aspect d'Osiris, qui est repensé
dans le moule grec, prenant l'aspect de Zeus ou Asclépios, accompagné de Cerbère. Il devient un dieu
guérisseur important, dans son sanctuaire de Canope, et aussi un dieu oraculaire à Oxyrhynque. Il est sans
doute une sorte de divinité tutélaire de facto d'Alexandrie à l'époque hellénistique, mais il ne reçoit
officiellement ce statut qu'à l'époque romaine. Son culte est initialement surtout pratiqué par des Grecs, puis
487, 488
il se diffuse dans toute l’Égypte .
Les cultes alexandrins sont également marqués par le développement des cultes royaux. Alexandre le
Grand reçoit d'abord un culte, probablement centré autour de son tombeau, en tant que fondateur de la
ville ; mais cela renvoie à des formes traditionnelles grecques de cultes aux défunts remarquables.
Alexandre reçoit également un culte d'État, associant Grecs et indigènes égyptiens dans tout le royaume
489
lagide, qui pose les bases du culte royal des Lagides à partir de Ptolémée II . Celui-ci instaure d'abord
une grande fête, les Ptolémaia, en l'honneur de son défunt père, avec des concours qui ont pour but de
supplanter ceux d'Olympie. Puis il divinise ses parents au titre des Theoi Sôtères (« Dieux Sauveurs ») afin
de consolider la dynastie et de recueillir la piété des sujets grecs du royaume. Arsinoé II, la sœur-épouse de
Ptolémée II, devient ensuite l'objet d'un culte spécifique au titre de Philadelphos (« Qui aime son
490
frère ») . Par la suite les rois lagides se font diviniser de leur vivant, conjointement à leurs reines, qui sont
souvent leurs sœurs. Cela leur permet aussi de se présenter aux yeux des Égyptiens comme un pendant du
couple divin Osiris-Isis (qui sont également frère et sœur). Les rois et reines lagides reçoivent un culte royal
de type égyptien dans les temples autochtones en plus d'un culte royal caractéristique de la religion
491, 492
hellénistique. Certains rois lagides s'identifient à Dionysos qu'ils présentent comme leur ancêtre .
La religion égyptienne traditionnelle a également sa place à Alexandrie, les rois lagides n'ayant jamais tenté
de créer une religion syncrétique, ou d'helléniser la religion égyptienne. La question de savoir dans quelle
mesure les Grecs adoptent les cultes égyptiens et dans quelle mesure les Égyptiens adoptent les cultes grecs
est difficile à repérer, mais il est généralement postulé que les Égyptiens n'ont pas été particulièrement
hellénisés et ont opposé une forme de résistance à la culture de l'élite dirigeante. Les représentations des
divinités égyptiennes témoignent néanmoins d'influences gréco-romaines, qui doivent dans plusieurs cas
renvoyer à des évolutions dans la conception de la divinité. C'est en particulier le cas d'Isis, la plus
populaire des divinités égyptiennes durant cette période aussi bien auprès des autochtones que des Grecs,
qui se présente sous différents aspects la rapprochant par exemple d'Aphrodite ou de Tychè, et prend un
caractère universel. Néanmoins la présence de représentations divines dans un style artistique grec n'indique
pas forcément une hellénisation de la religion. Les croyances et pratiques funéraires restent globalement
stables, la momification se diffuse et est adoptée par des Grecs à Alexandrie. Les cultes polythéistes
déclinent à compter du ive siècle, face à l'essor du christianisme, ce qui se marque par des épisodes violents
493
de destructions de temples, notamment celui de Sarapis à Alexandrie en 391/2 . Mais d'une manière
générale la coexistence semble se faire sans heurts, et des échanges et substitutions ont lieu puisque les
dieux guérisseurs comme Sarapis sont remplacés par les saints hommes chrétiens qui ont une fonction
494
semblable .
Notes et références
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16. Naiden 2013, p. 389.
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18. Brulé 2004, p. 416-418.
19. Bremmer 2012, p. 142.
20. « A second problem is a tendency, in even the best modern scholarship, to combine
evidence from different places (South Italy and Sicily, mainland Greece, the Aegean islands,
Asia Minor) and time periods (the seventh century BCE through the third century CE) in order
to compile a composite picture of ritual activity. This methodology levels the differences that
must have existed in various times and places; since the forms of religious activity, whether
in polytheistic or monotheistic systems, are never static. » : (en) Michael A. Flower,
« Religious Expertise », dans Eidinow et Kindt 2015, p. 294.
21. Brulé 2004, p. 414-416.
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24. Pirenne-Delforge 2018, p. 53.
25. « the Greeks themselves were convinced of an underlying unity founded, in Herodotus’
famous words, by Hesiod and Homer, as they were convinced of a basic linguistic unity of
Greekness despite the many local dialects – the dialectics of a common Hellenic language
and its multiple dialectal expressions might well be a useful model on which to understand
the tension between Panhellenic and local religion. » : (en) Fritz Graf, « Gods in Greek
Inscriptions: Some Methodological Questions », dans Bremmer et Erskine 2010, p. 56-57.
26. (en) Albert Henrichs, « What is a Greek God? », dans Bremmer et Erskine 2010, p. 22-29.
27. Pirenne-Delforge 2018, p. 43.
28. Bruit Zaidman et Schmitt Pantel 2017, p. 9-10.
29. « Greek religion lacks the defining features of most modern religions. It had no official church,
no dogma, and (apart from a few exceptions) no priesthood in the sense of a specially trained
and entided group of people providing religious services. Classical scholars have frequendy
stressed the 'alien quality' of Greek religious beliefs and practices. This is another way of
saying that modern analytical concepts derived from the great monotheistic religions of our
times are inadequate to 'make sense' of Greek religion. The study of Greek religion requires
its own interpretative framework. » : Kindt 2009, p. 364-365.
30. Naiden 2013, p. 388.
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(DOI 10.4000/kernos.2485 (https://dx.doi.org/10.4000/kernos.2485), lire en ligne (http://journa
ls.openedition.org/kernos/2485)).
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70. Mossé et Schnapp-Gourbeillon 2020, p. 104.
71. Étienne, Müller et Prost 2014, p. 57.
72. Étienne, Müller et Prost 2014, p. 57-59 et 77-82.
73. Mossé et Schnapp-Gourbeillon 2020, p. 100-104.
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Voir aussi
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