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LA CIRCONCISION DANS LE MONDE JUDEEN AUX EPOQUES GRECQUE ET ROMAINE.

HISTOIRE D’UN CONFLIT INTERNE AU JUDAÏSME•.


PRESENTATION ET PROLONGEMENT D’UN OUVRAGE1

Simon C. Mimouni
École pratique des Hautes études – Section des sciences religieuses, Paris

« L’interprétation infinie »
Umberto Ecco

L’époque grecque et romaine, fort bien documentée, a été une période charnière pour
le judaïsme et rien ne le montre mieux que l’évolution du rite de la circoncision.
Le dossier de la circoncision est assez vaste, c’est pourquoi on s’est limité dans cet
ouvrage à la question telle qu’elle semble avoir été posée dans le monde judéen aux époques
grecque et romaine – non sans analyser auparavant le texte principal, fondateur du rite de la
circoncision, à savoir le récit de Gn 17, texte par lequel est censée avoir été scellée l’alliance
de la divinité avec Abraham – les autres récits bibliques relevant de ce dossier étant : Ex 4,
24-25 ; Gn 34, 14 ; Jos 5, 2. De fait, on a consacré une étude au seul texte de Ex 4, 24-25 dont
l’intérêt pour cette recherche n’est pas négligeable étant donné qu’il y est question de Moïse,
figure emblématique de la Loi, la Torah, et de ses commandements parmi lesquels figure la
circoncision.
Dans ce livre, je commente et je confronte pour la première fois l’ensemble des
sources sur cette question, « juives », « chrétiennes », « païennes ». Ces dernières, abordées
dans le dernier chapitre du livre (VI), contiennent certainement la clef permettant de
comprendre pourquoi la circoncision prend à cette époque un caractère identitaire qu’elle n’a,
semble-t-il pas, par le passé.
Cette recherche a donc porté sur la circoncision dans le judaïsme de toutes les
tendances, y compris celle représentée par les chrétiens, entre le IIe siècle avant notre ère et le
IIe siècle de notre ère – une période importante, si ce n’est fondatrice, tant pour le judaïsme
que pour le christianisme. Elle ne touche cependant pas la question de la circoncision dans le
christianisme en tant que religiosité en dehors du judaïsme : autrement dit, la polémique
antijudaïque, qui se développe de manière virulente autour de ce rite dans la littérature
apologétique et polémique des IIIe et IVe siècles, n’a pas été traitée, ou seulement de manière
incidente.
Pour comprendre les problématiques qui se posent aux Judéens à l’époque considérée,
il convient de savoir que vers la fin du IVe siècle avant notre ère, avec l’arrivée des Grecs en
Orient, l’attitude à l’égard du rite de la circoncision a changé de manière considérable. Les
Grecs, qui acceptent la nudité en public, refusent de manière radicale la circoncision, car leur
sensibilité considère comme répugnant non pas le fait de montrer le pénis mais celui de
découvrir le gland. Les Romains, à l’égal des Grecs, manifesteront à leur tour cette même
répugnance à l’égard de la circoncision qui, pour eux, est tout aussi horrible que ridicule. Par

• C’est sur l’invitation du Professeur Mauro Pesce que cette conférence a été donnée à
Bologne le 19 mai 2009 dans le cadre de son séminaire doctoral de recherche. Je voudrais profiter de
l’occasion pour le remercier chaleureusement pour son accueil amical.
1 S.C. MIMOUNI, La circoncision dans le monde judéen aux époques grecque et romaine. Histoire d’un
conflit interne au judaïsme, Paris-Louvain, 2007.

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conséquent, des pressions culturelles diverses se sont manifestées aux époques grecque et
romaine à l’égard de la circoncision qui est alors considérée de manière extrêmement négative
dans la civilisation hellénistique de langue grecque ou de langue latine. Les Judéens, qui sont
apparemment les seuls parmi les Orientaux à résister aux pressions sociales du milieu
ambiant, se voient ainsi exclus des nombreuses manifestations officielles à cause de leur
circoncision : ils sont alors fréquemment ridiculisés et ostracisés des lieux publics d’un certain
nombre d’institutions municipales comme le gymnase grec ou le bain romain.
Par ailleurs, la circoncision, dans le dernier quart du Ier siècle de notre ère, devient un
indicateur identitaire clair et fort pour désigner, auprès des autorités romaines, les Judéens qui
doivent acquitter l’impôt spécial les visant systématiquement après l’échec de la première
révolte judéenne de 66-74 – il s’agit du fiscus judaicus.
Les Judéens, à partir du IIe siècle avant notre ère, ont apporté un certain nombre de
réponses, une certaine défense apologétique, face à l’attitude des Grecs et plus tard des
Romains concernant la circoncision. Certains, n’ayant pas reçu une éducation grecque ou
romaine, ont défendu le rite de la circoncision, au point qu’elle est devenue progressivement
la plus importante, voire la plus fondamentale des croyances et pratiques judéennes. D’autres,
ayant reçu pourtant une éducation grecque ou romaine, ont défendu le rite de la circoncision
en essayant d’apporter une explication qui puisse être acceptable pour la sensibilité du monde
ambiant. D’autres encore, ayant reçu aussi une éducation grecque ou romaine, ont plus ou
moins abandonné la circoncision, en se fondant sur une interprétation allégorisante – mais ils
n’ont pas abandonné les autres croyances et pratiques judéennes. D’autres, enfin,
mentionnons-les pour mémoire, ont abandonné la circoncision ainsi que toutes les autres
croyances et pratiques judéennes pour adhérer aux religiosités traditionnelles de l’Antiquité.
Dans le mouvement chrétien des deux premiers siècles, on retrouve à la fois les
défenseurs de la circoncision et ses opposants. Par rapport à la circoncision, les chrétiens ont
manifesté pas moins de cinq positions sensiblement divergentes et contradictoires : (1) la
circoncision est nécessaire (c’est celle de Jacques le Juste) ; (2) la circoncision n’est pas
nécessaire (c’est celle de Paul) ; (3) la circoncision est nécessaire pour les Judéens, mais pas
pour ceux qui sont originaires des autres nations (c’est celle de Luc) ; (4) la circoncision est
abolie (c’est celle de Ep 2, 11-22 et des auteurs de l’Evangile selon Thomas 53, de l’Epître de
Barnabé 9, 1-9 et de l’Epître à Diognète 4, 1.4) ; (5) la circoncision est positive (c’est celle
des auteurs des Odes de Salomon 11, 1-5 et de l’Evangile selon Philippe 82, 26-29).
On ne peut manquer déjà de le souligner, il est peu de dire que la circoncision a divisé
les premiers disciples de Jésus de Nazareth : au point que les chrétiens non circoncis, dès la
fin du Ier siècle avec l’auteur des Actes des Apôtres (10, 45 ; 11, 2), ont désigné les chrétiens
circoncis comme étant « ceux de la circoncision », ☺,
d’après une expression qui apparaît pour la première fois dans les lettres de Paul de Tarse
dans Ga 2, 12 en référence aux partisans de Jacques le Juste et dans Rm 4, 12 en référence aux
descendants d’Abraham l’ancêtre éponyme du rite (voir aussi Tt 1, 10 où l’expression désigne
des chrétiens d’origine judéenne).
Au IIe siècle, Justin de Néapolis, dans son Dialogue avec Tryphon, en 1, 3, est le plus
ancien auteur chrétien à employer l’expression « hébreu de la circoncision »,
☺, qui désigne, sans aucune ambiguïté,
les chrétiens d’origine judéenne circoncis et hébréophones – l’appellation ☺
se trouvant elle aussi dans les lettres de Paul, en 2 Co 11, 22 et en Ph 3, 5, pour pointer des
opposants judaïsants à sa mission auprès des Grecs, de même qu’en Ac 6, 1 mais dans un
contexte différent.
Le dernier chapitre de mon ouvrage, qui porte sur les sources « païenne » relatives à la
circoncision qui sont bien connues, contient certainement la clef permettant de comprendre

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pourquoi ce rituel prend à cette époque un caractère identitaire qu’il n’a, semble-t-il pas, dans
le passé. Les écrits gréco-romains manifestent, on le sait, un profond dégoût à l’égard de la
circoncision, perçue comme une mutilation du corps. Certes, je distingue, parmi ces écrits,
ceux qui traitent de la circoncision sous l’angle ethnographique et ceux qui ont une approche
plus idéologique, mais dans les deux cas, on trouve des réactions négatives dont l’intensité
peut varier. Strabon lie la circoncision au déclin des Judéens. Celse souligne qu’elle n’est pas
propre aux Judéens et qu’elle ne peut donc justifier leur prétention à être plus saints que les
autres peuples. Les auteurs classiques manient volontiers l’ironie et la dérision comme l’ont
fait Naevius, Horace, Perse, Pétrone, Martial, Juvénal. Tacite est le plus virulent de tous car il
associe la circoncision au particularisme des Judéens et à leur lascivité. Il est probable que
l’empereur Hadrien ait interdit la circoncision, après l’avoir assimilée à la castration qui est
déjà pénalisée : la date exacte de cette interdiction, sa durée et son amplitude géographique
(interdiction universelle ?) restent cependant discutées. Certains auteurs (Hérodote et Diodore
de Sicile par exemple) ont une approche plus neutre de la circoncision. En dépit du fait que
les sources gréco-romaines attribuent à la circoncision une origine égyptienne ou éthiopienne,
elle est nettement perçue comme le signe distinctif des judéens.
Comme on a eu l’occasion de le constater tout au long de cette étude, l’usage et le sens
de la circoncision dans le « judaïsme » ancien sont extrêmement divers selon les écrits : on y
trouve, en effet, non seulement une grande diversité d’opinions en faveur de la circoncision,
mais aussi en opposition avec cette pratique – du moins dès la pénétration réelle de
l’hellénisme en Orient.
Bref, il est certain que la pénétration de la culture hellénistique en Orient est à
l’origine des conflits qui ont éclaté dans la société judéenne du IIe siècle avant notre ère au IIe
siècle de notre ère : la circoncision devenant alors un des emblèmes identitaires des Judéens
de Palestine s’opposant à cette offensive politico-religieuse – ce qui n’a pas été
nécessairement le cas avant l’arrivée d’Alexandre le Grand et de ses successeurs, voire peut-
être durant tout le IIIe siècle avant notre ère.
A cet effet, il convient de remarquer que deux personnages historiques importants, au
nom de la défense des valeurs de l’hellénisme, se sont fait remarquer à cause de leur
opposition, qualifiée de virulente dans la tradition judéenne, à l’égard de la circoncision : le
premier est le roi syrien Antiochus IV Epiphane, qui a tenté d’interdire la circoncision en
Judée – ce qui a provoqué l’insurrection macchabéenne ; le second est l’empereur romain
Hadrien, qui a ordonné que la circoncision soit considérée à l’égal de la castration et
condamnée comme telle – ce qui a provoqué la seconde révolte judéenne contre Rome. Il est
évidemment possible de penser que ces interdictions sont les conséquences et non les causes
des troubles survenus en Judée.

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De manière systématique, tout au long de mon ouvrage, comme un certain nombre de


chercheurs le proposent depuis un certain temps, j’ai utilisé de préférence le terme « Judéen »
au terme « juif ». Pour l’époque envisagée, le premier, qui vient de l’hébreu, de l’araméen, du
grec et du latin, paraît plus conforme que le second : il présente notamment l’avantage de ne
pas être anachronique. Cette appellation veut signifier simplement que l’idée d’une identité
liée à l’origine géographique (personne originaire de Judée et aux lois en vigueur dans cette
région) a précédé celle d’un statut essentiellement religieux qui n’a été perçu comme tel que
bien plus tard.

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Toutefois, les chercheurs, qui refusent d’utiliser, parfois avec une verve relevant de
l’ignorance la plus abyssale, la terminologie nouvelle de plus en plus proposée, devraient se
demander, avant de se prononcer, ce qu’est le peuple « juif », et le faire peut-être après avoir
lu l’ouvrage de Shlomo Sand 2, car il ne sert strictement à rien de proclamer, comme un
leitmotiv, que « Jésus est juif » si l’on continue à penser le peuple, d’où il est issu, comme à
l’époque où l’on a proclamé que « Jésus n’est pas juif » – il y a une contradiction sur laquelle
on devrait s’interroger avec perspicacité.
Par ailleurs, dans mon ouvrage, j’ai utilisé les expressions « chrétien d’origine
judéenne » ou « judéo-chrétien » et « chrétien d’origine grecque » ou « pagano-chrétien »
avec une valeur purement désignative pour indiquer une extraction ou une provenance
ethnique, mais sans aucun contenu doctrinal.

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Je voudrais dire encore un mot sur Gn 17 qui est, de l’avis des exégètes, le récit le plus
ancien concernant Abraham.
Comme on le sait, il y est présenté comme un ancêtre partagé par plusieurs héritiers,
un père pluriethnique (« Tu deviendras le père d’une multitude de peuples »).
Les cercles responsables de cette tradition pourraient avoir choisi ce personnage – qui
a été peut-être la figure tutélaire d’Hébron, métropole fréquentée par des groupes très divers –
pour en faire le père commun des peuplades de cette région.
Les Judéens, au sein de ces groupes, conservent une mission particulière, de type
sacerdotal, ce qui pourrait refléter l’idéal politique des prêtres à une certaine époque – sans
doute au tout début de l’époque perse, vers 530 avant notre ère.
Ce n’est que plus tard, avec la transformation de cet idéal, qu’Abraham deviendra un
ancêtre ethnique, voire un conquérant.
Je voudrais ajouter que le lien entre les Judéens et les Iduméens a toujours été assez
réel/fort et qu’il conviendrait de ne pas le minorer malgré les fractures politiques qui
surviennent entre la Judée et l’Edom. Dans ces conditions, en faisant un saut dans le temps, il
n’est pas étonnant de voir succéder à une dynastie judéenne (celle des Hasmonéens) une
dynastie iduméenne (celle des Hérodiens) – le lien entre ces deux dynasties est plutôt
biologique que religieux, car si la première est d’origine sacerdotale, la seconde ne l’est pas :
pas plus que ne l’a été la dynastie davidique, elle-même originaire de la région d’Hébron.
On revient alors à la configuration de l’éternel conflit entre ceux qui ont quitté le pays
et qui veulent y revenir et ceux qui ne l’ont pas quitté et qui veulent le conserver pour eux
seuls.
De toute façon, il faut partir du principe que tous les récits des origines sont par
définition mythiques et qu’il n’existe pas de religions sans mythes – y compris pour celles qui
se veulent non mythiques en se situant alors dans l’histoire, et confondant ainsi histoire et
temps. Quoi qu’il en soit, cela ne doit pas empêcher l’historien de s’intéresser aux milieux
producteurs de ces mythes dont il doit essayer de cerner leur Sitz im Leben culturel et
politique, voire leur contexte historique.

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2 S. SAND, Comment le peuple juif fut inventé ? Paris, 2008.

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Depuis, la publication de notre ouvrage en 2007-2008, dont la préparation a été
achevée en 2006 mais dont l’élaboration a duré de 2002 à 2005, la recherche sur la
circoncision dans l’Antiquité tardive ne cesse de progresser – et ce dans toutes les directions.
Proche de cette question, un dossier à thème a été publié, dans la revue Henoch, en
2008, sous la direction de Ra´anan S. Boustan et d’Annette Y. Reed, sur la fonction du sang
dans la mise en place discursive des frontières sociétales entre ce qu’ils appellent l’identité
juive et l’identité chrétienne dans l’Antiquité tardive 3. Un dossier extrêmement intéressant
auquel ont participé, outre les deux responsables 4, des chercheurs comme Charlotte E.
Fontrobert (sur le sang et la Loi dans la littérature rabbinique) 5 et Martha Himmelfarb (sur la
circoncision et le sacrifice d’Isaac chez Origène, la Mekhilta et Genèse Rabbah) 6, à partir de
la littérature rabbinique, Jennifer A. Glancy (sur la Loi et le sang chez Tertullien en ce qui
concerne la nativité) 7 et Andrew S. Jacobs (sur le sang et la circoncision de Jésus dans les
lectures chrétiennes de Ex 4, 24-26)8 à partir de la littérature patristique. Ces critiques
montrent, de manière tout aussi nouvelle qu’éloquente, comment, dès le IV e siècle, le sang,
notamment avec le renversement du sens de la circoncision, a été utilisé comme symbole de la
distinction – y compris dans la littérature hérésiologique dirigée contre les opposants à
l’orthodoxie en pleine formation.
Le thème du sang comme composante plus ou moins essentielle dans le marquage
identitaire et différentiel d’ordre religieux, tant dans le judaïsme que dans le christianisme, est
de plus en plus étudié aux Etats-Unis, comme on peut le constater avec les travaux de
Lawrence A. Hoffman9, Shaye J.D. Cohen10 et de David Biale11 : les deux premiers portent
sur la circoncision tandis que le dernier est beaucoup plus étendu car portant sur le symbole
du sang dans la distinction entre judaïsme et christianisme sur la longue durée – voir aussi
l’ouvrage collectif édité par Edward W. Mark12. L’approche de ces travaux utilise plutôt la
perspective anthropologique, mais sans négliger pour autant les textes qui en constituent le
fondement.
David Biale, pour sa part, dans son ouvrage, s’est efforcé de montrer quelles ont été
les tentatives parallèles pour répondre à deux problèmes qui ont été communs au judaïsme et

3 R.S. BOUSTAN – A.Y. REED (ÉD.), « Blood and the Boundaries of Jewish and Christian Identities
in Late Antiquity », dans Henoch 30 (2008), p. 229-364.
4 R.S. BOUSTAN – A.Y. REED, « Blood and Atonement in the Pseudo-Clementines and The Story
of the Ten Martyrs: the Problem of Selectivity in the Study of “Judaism” and “Christianity” », dans
Henoch 30 (2008), p. 333-364.
5 C.E. FONTROBERT, « Blood and Law : Uterine Fluids and Rabbinic Maps of Identity », dans
Henoch 30 (2008), p. 243-266.
6 M. HIMMELFARB, « The Ordeals of Abraham : Circumcision and the Aqedah in Origen, the
Mekhilta, dans Genesis Rabbah », dans Henoch 30 (2008), p. 289-310.
7 J.A. GLANCY, « The Law of the Opened Body : Tertullian on the Nativity », dans Henoch 30
(2008), p. 267-288.
8 A.S. JACOBS, « Blood will out Jesus’ Circumcision and Early Christian Reading of Exodus 4:24-
26 », dans Henoch 30 (2008), p. 311-332.
9 L.A. HOFFMAN, Covenant of Blood. Circumcision and Gender in Rabbinic Judaism ,
Chicago/Illinois-Londres, 1996.
10 S.J.D. COHEN, Why Aren’t Jewish Women Circumcised ? Gender and Covenant in Judaism ,
Berkeley-Los Angeles/Californie, 2005.
11 D. BIALE, Blood and Belief : The Circulation of a Symbol between Jews and Christians ,
Berkeley/Californie, 2007 (= Le sang et la foi. Circulation d’un symbole entre juifs et chrétiens, Paris,
2009).
12 E.W. MARK (ÉD.), The Covenant of Circumcision : New Perspectives on an Ancient Jewish
Rite, Hanover/Hampshire-Londres, 2003.

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au christianisme : d’une part, comment construire une religion sans sacrifice alors que les
origines de chacune de ces traditions renvoient à l’effusion de sang ritualisé ; d’autre part,
comment y parvenir dans un monde « païen » où soit le sacrifice représente encore la forme
dominante du culte, soit sa trace est encore fraiche.
La circoncision, évidemment, rite de sang s’il en est, n’est pas restée étrangère à ce
débat tant dans le judaïsme que dans le christianisme.
David Biale souligne avec raison que les deux traditions ont élaboré des idées
scandaleuses à propos de l’initiation, non pas dans l’eau mais dans le sang : une idée dont
elles ont débattu. Ainsi, il est amené à considérer que l’idée du baptême dans le sang est liée à
la manière dont le martyre est devenu un substitut du sacrifice animal servant de moyen pour
affirmer sa croyance et obtenir la rédemption divine.
Il y a aussi des articles publiés ici ou là et qui touchent directement ou indirectement à
la question : notons au passage, celui de Shaye J.D. Cohen et celui de Seth Schwartz. Le
premier, qui est une reprise développée du chapitre d’un livre publié en 2005 dont il a été déjà
question plus haut, aborde le problème de l’alliance entre Israël et son dieu et l’admission des
femmes, sans évidemment la circoncision mais grâce à certains aménagements liturgiques 13.
Le second, sans apporter de renouvellements, aborde une question qui est en partie liée à la
circoncision, à savoir celle de la conversion au judaïsme dans l’Antiquité 14.

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On le voit d’une manière ou d’une autre, la question de la circoncision dans


l’Antiquité classique et tardive a été au centre des débats interjudéens dans un premier temps,
entre Judéens chrétiens et Judéens pharisiens dans un deuxième temps, enfin entre juifs et
chrétiens dans un troisième temps.
La circoncision est certes devenue un marqueur identitaire, mais elle n’a jamais été
réellement abrogée ou sublimée : elle est cependant devenue un signe d’appartenance au
judaïsme, surtout à partir du moment où le christianisme l’a considérée comme allégorisée.
Cela n’a nullement empêché la tradition chrétienne contre le judaïsme d’incorporer
dans sa rhétorique polémique, pour montrer que la Loi n’est pas nécessaire, le thème de la
circoncision que nombres de saints « prémosaïques » n’ont pas observée, ce qui ne les a pas
empêché d’être justifiés – voir Justin, Dialogue avec Tryphon 19 ; Tertullien, Contre les
Judéens II.

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Toute cette question de la circoncision devra maintenant être appréciée selon une
prémisse avancée par nombres de chercheurs, à savoir que pendant les quatre premiers siècles
au moins, le judaïsme et le christianisme se sont développés en étroite interaction – dialoguant
et polémiquant l’un avec l’autre.

13 S.J.D. COHEN, « ‘Your covenant that you have sealed in our flesh’: Women, Covenant, and
Circumcision », dans S.J.D. COHEN – J.J. SCHWARTZ (ÉD.), Studies in Josephus and the Varieties of
Ancient Judaism. Louis H. Feldman Jubilee Volume, Leyde-Boston, 2007, p. 29-42.
14 S. SCHWARTZ, « Conversion to Judaism in the Second Temple Period: A Functional
Approach », dans S.J.D. COHEN – J.J. SCHWARTZ (ÉD.), Studies in Josephus and the Varieties of Ancient
Judaism. Louis H. Feldman Jubilee Volume, Leyde-Boston, 2007, p. 223-236.

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Ainsi, outre Daniel Boyarin en 2004 15, déjà mentionné, selon Alan Segal en 1986 16,
Marc G. Hirschman en 199617 et Israel J. Yuval en 200618, ce qu’il est convenu d’appeler la
« séparation » s’est déroulée sur une longue période temporelle et la métaphore familiale
appropriée en ce qui concerne les deux traditions n’est pas celle de la relation « mère-fille »,
mais plutôt celle de deux sœurs, et peut-être même de sœurs jumelles. On peut même pousser
la métaphore plus loin encore et soutenir qu’il s’est agi de jumelles « homozygotes » : un
unique embryon qui s’est ensuite séparé en deux. La plus ancienne n’a pas engendré la plus
récente, mais toutes deux se sont plutôt bien développées côte à côte après la destruction du
Temple de Jérusalem et jusqu’à la christianisation de l’Empire romain.
Bref, actuellement, les chercheurs s’accordent à reconnaître que les frontières entre le
judaïsme et le christianisme sont des plus floues et que leurs identités ne sont pas claires, sans
doute jusqu’au IVe siècle, malgré les efforts des « Sages » pharisiens et des « Pères »
chrétiens pour définir l’orthodoxie par opposition à ce qu’ils considèrent l’hérésie.
Ces nouvelles perspectives vont nécessairement obliger à des révisions déchirantes
d’une histoire du judaïsme et du christianisme dans l’Antiquité qui conduiront à montrer que
les sœurs jumelles ne sont devenues des « ennemies » que pour pouvoir s’imposer à leurs
fidèles respectifs et surtout à leurs prosélytes.
Seule une réécriture de l’histoire à quatre mains pourrait permettre éventuellement de
sortir de la haine dans laquelle les fidèles du judaïsme et du christianisme se sont enfoncés
depuis des siècles pour un leadership tout aussi mythique que le sont leurs origines 19.

15 D. BOYARIN, Borders Lines : The Partition of Judaeo-Christianity, Philadelphie/Pennsylvanie,


2004.
16 A. SEGAL, Rebecca’s Children : Judaism and Christianity in the Roman World,
Cambridge/Massachusetts-Londres, 1986.
17 M.G. HIRSCHMAN, A Rivalry of Genius : Jewish and Christian Biblical Interpretation in Late
Antiquity, Albany/New York, 1996.
18 I.J. YUVAL, Two Nations in your Womb : Perceptions of Jews and Christians in Late Antiquity
and the Middles Ages, Berkeley/Californie, 2006.
19 A ce sujet, voir aussi S.C. MIMOUNI, « Les origines du christianisme : nouveaux paradigmes
ou paradigmes paradoxaux ? Bibliographie sélectionnée et raisonnée », dans Revue biblique 115
(2008), p. 360-382.

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