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RECENSION
Le judaïsme ancien, du VIe siècle avant notre ère au IIIe siècle de notre ère.
Des prêtres aux rabbins (Coll. Nouvelle Clio ; l’histoire et ses problèmes),
par Simon Claude MIMOUNI. 15 x 22 ; IX-960 p. Paris, Presses universitaires
de France, 2012. — Br. 49 / (ISBN 978-2-13-056396-9).
1
Simon Claude MIMOUNI et Pierre MARAVAL, Le christianisme des origines à Con-
stantin (Coll. Nouvelle Clio), Paris, P. U. F., 2006 ; cf. RB 117 (2010), p. 306.
d’autre présentent les corpus les plus importants : Philon, Josèphe, recueils rab-
biniques fondateurs, autour de la Mishna.
II – Introductions (47 p.)
Il s’agit d’une vue d’ensemble des cultures au sein desquels le judaïsme
s’est formé, ce qui inclut les systèmes politiques et les circuits économiques.
Cette genèse s’étend sur trois périodes principales, qualifiées traditionnellement
de perse (559-333), hellénistique (jusqu’en 63), et enfin romaine. La première,
dominée par les grandes figures de Cyrus et de Darius Ier, est surtout connue
par les historiens grecs ; l’immense empire de la dynastie achéménide, mosaïque
de peuples et de coutumes, s’affaiblit par querelles intestines, et finalement
tombe devant Alexandre le Grand (356-323).
Celui-ci, héritier des philosophes, juge nécessaire d’helléniser le monde pour
l’unifier. Il n’ose s’en prendre à Rome, et s’élance en 334 vers l’Asie Mineure,
bat Darius III à Issos, près d’Antioche, puis prend soin de conquérir la côte
méditerranéenne jusqu’à l’Égypte, où il fonde Alexandrie en 331. Ses arrières
assurés, il s’enfonce à l’est jusqu’aux Indes ; il meurt en 323, avant d’avoir sta-
bilisé ses conquêtes, mais la langue grecque s’est répandue pour longtemps :
c’est le début de la période hellénistique, héritière des Grecs, mais aussi des
civilisations égyptienne, araméenne et iranienne. La tradition rabbinique vénère
Alexandre, à cause de son hommage (supposé) au grand prêtre de Jérusalem,
mais 1 M 1,1 rappelle que ce maître du monde n’était qu’un simple mortel. Ses
généraux se disputent l’héritage, et finalement trois royaumes émergent en 301,
après plusieurs guerres : le plus modeste est la Macédoine, avec Antigone, mais
elle sera conquise en 168 par Rome, qui va s’imposer de plus en plus en Méditer-
ranée orientale. Le plus vaste, de l’Anatolie à la Mésopotamie, revient à Séleu-
cos Ier, fondateur de la dynastie séleucide. Enfin l’ensemble formé par la Cyré-
naïque, l’Égypte et la Syrie Palestine devient le royaume de Ptolémée Ier Lagos,
fondateur de la riche dynastie lagide ; Ptolémée II fonde vers 285 la bibliothèque
d’Alexandrie, avec un propos de science universelle. Après plusieurs guerres, la
Palestine tombe durablement dans l’orbite séleucide en 200, conquise par Antio-
chos III. Cependant, les dynasties lagide et séleucide, toujours rivales, s’affai-
blissent par querelles intestines.
Les Romains, après la chute de Carthage en 145, ont les mains libres pour
neutraliser toute velléité de restauration d’une puissance hellénistique sur la
Méditerranée ; en 142, ils reconnaissent officiellement et soutiennent Simon,
le grand prêtre de Jérusalem, car la Judée peut former un barrage efficace
entre Syrie et Égypte. Plus tard, à la suite d’une campagne énergique de Pom-
pée, ils créeront en 64 une province de Syrie incluant la Palestine ; enfin,
Octave devenu Auguste s’emparera de l’Égypte en 30, après la défaite d’An-
toine et Cléopâtre à Actium. En 40, à la suite d’une guerre civile qui a permis
à l’ennemi parthe de contrôler Jérusalem, Hérode le Grand obtient du Sénat
la royauté sur une Judée agrandie jusqu’à la Galilée. Après un règne brillant
jusqu’en -4, ses héritiers font pâle figure, sous domination romaine. Les catas-
trophes de 70 et 135 ôtent pour longtemps tout espoir d’autonomie territoriale
judéenne.
à des pharisiens du temps d’Hérode, mais le titre « rabbin » n’est guère visible
avant 70. En 115-117, sous Trajan, se développa une vaste révolte juive, sévè-
rement réprimée. Elle s’étendit de la Cyrénaïque à la Mésopotamie, y compris
Chypre ; il n’est pas certain que la Judée y ait participé, mais en tout cas elle
fut alors transformée en province consulaire, avec un doublement de la garni-
son romaine. Tout un messianisme zélote ne cessait de couver ; il se réveilla
en force en 132, peut-être en lien avec la refondation de Jérusalem par Hadrien
en Ælia Capitolina, ville impériale. Le chef des révoltés, Simon b. Kosba, fut
reconnu comme messie par certains, et surnommé Bar Kokhba « fils de l’Étoile »
(cf. Nb 24,17) ; il ébaucha un état et frappa monnaie. Ce mouvement, entière-
ment rejeté par la tradition rabbinique, fut écrasé en 135, et les circoncis furent
bannis de Judée.
Le mouvement rabbinique se transporta alors en Galilée, minoritaire au
début, mais se considérant comme représentatif, avec patriarcat et Sanhédrin.
Au IIIe siècle sont publiées les traditions des diverses écoles, qui apparem-
ment sont immédiatement reçues en Babylonie, mais rien n’en transpire dans
le monde de langue grecque ; il en résultera deux commentaires jumeaux et
massifs, les talmuds « de Jérusalem » (en fait de Galilée) et « de Babylone »,
édités plusieurs siècles plus tard. Des synagogues vont se multiplier jusqu’au
IVe siècle, plus ou moins fidèles aux préceptes rabbiniques. Quant à la constel-
lation issue de Jésus, elle se scinde entre le monde méditerranéen autour du
Nouveau Testament, et un ensemble de petits groupes dits improprement « judéo-
chrétiens » (nazoréens, ébionites, etc.) ; on en retrouvera des traces dans le
Coran.
Entre la Judée et la Galilée figure la Samarie, du nom de la capitale du
royaume du nord (Israël), fondée par Omri (1 R 16,24), mais les Samaritains
traditionnels sont les descendants des anciens Israélites du nord, centrés sur
Sichem et le mont Garizim, lieu de leur temple yahwiste. À partir du retour
d’exil, leurs relations avec Judéens puis Galiléens sont houleuses, jusqu’à un
divorce définitif lors de la destruction de leur temple par Jean Hyrcan.
IV – Le judaïsme en Diaspora (255 p.)
Après l’exil de 587, peu de Judéens sont revenus de Babylonie. (Philon
et Josèphe attestent que de leur temps encore c’était le principal centre de la
Diaspora, donc chez l’ennemi des Romains, d’où leur méfiance.) Par la suite,
de nombreux Judéens ont été déportés ou transplantés par les rois hellénis-
tiques, en Égypte, Syrie, Anatolie. À l’époque romaine, beaucoup ont émigré
ou ont été vendus comme esclaves, et dès le premier siècle on en rencontre
dans toutes les villes, le plus souvent avec statuts et privilèges ; une évaluation
a suggéré que sous Claude l’Empire comprenait environ 10% de Juifs, ce qui
n’allait pas sans tensions. Le philosophe Philon d’Alexandrie attachait du prix
à cette diffusion, tout en insistant sur l’importance des pèlerinages à Jérusalem,
la métropole. Il tient à ce que la loi de Moïse se diffuse, mais il ne s’attache pas
à la conversion formelle ; pour lui, le « prosélyte » reste un sympathisant incir-
concis. C’est ainsi que la prédication chrétienne primitive a touché des commu-
nautés où se mêlaient Juifs et craignant-Dieu.
Grâce à ses vastes enquêtes, la plupart portant sur les périodes commençant
avec l’Empire romain, l’A. montre bien que le judaïsme rabbinique, d’origine
2
Cela représente un gain considérable sur la perspective de la somme documentaire
d’Emil SCHÜRER, Geschiche des jüdischen Volkes im Zeitalter Jesu Christi, Helsingfors,
Hinrichs, 41901-1909, qui en présentant le judaïsme rabbinique jugeait implicitement
qu’étant le mieux documenté il représentait adéquatement les réalités du temps de Jésus ;
cette source d’erreurs s’est maintenue dans la remarquable version anglaise moderne,
pourtant largement mise à jour, de Geza VERMES et al. (eds.), The History of the Jewish
People in the Age of Jesus Christ (175 B.C. – A.D. 135), Edinburgh, T. & T. Clark,
1974-1987.
3
Suivant une coutume récente, l’A. préfère « Judéen » à « Juif » pour les époques
anciennes, mais il n’est pas sûr que cela clarifie les choses, cf. David M. MILLER, « The
Meaning of Ioudaios and its Relationship to Other Group Labels in Ancient ‘Judaism’ »,
CBR 9 (2011), p. 98-126.
4
Cf. les efforts infructueux de James C. VANDERKAM, From Jeshua to Caiaphas.
High Priests after the Exile, Minneapolis, Fortress Press, 2004, qui s’efforce de tirer le
maximum de Josèphe.
5
Cf. Étienne NODET, Samaritains, Juifs, Temples, Gabalda, 2010.
6
Cf. Yitzak MAGEN, « The Dating of the First Phase of the Samaritan Temple on
Mount Gerizim in Light of the Archaeological Evidence », dans : Oded LIPSCHITS,
Gary N. KNOPPERS & Rainer ALBERTZ (eds.), Judah and the Judeans in the Fourth
Century B. C. E., Winona Lake, Eisenbrauns, 2007, p. 157-212.
7
L’importance des Samaritains reste sous-estimée dans les synthèses les plus récentes,
par exemple Peter SCHÄFER, Geschichte der Juden in der Antike, Tübingen, Mohr-Siebeck,
2
2010, p. 3-10.
8
Cf. Élie J. BIKERMAN, « Viri magnae congregationis », RB 55 (1948), p. 397-402.
de Néhémie, parti exclusif devenu dominant, d’où le refus des Juifs d’Égypte,
indiqué plus haut, ainsi qu’une grande méfiance des Samaritains (AJ 12:258-
261).
Ce n’est que plus tard, vers 150, que la rupture fut consommée. Josèphe
rapporte un procès à Alexandrie, sous le même Ptolémée VI (AJ 13:74-79).
C’était une attaque des Samaritains contre les Juifs. Ils demandaient au roi
d’arbitrer un conflit : Qui avait le véritable temple selon le Pentateuque ? Les
Juifs gagnèrent, mais les arguments invoqués – succession des grands prêtres et
réputation du temple de Jérusalem – n’étaient nullement bibliques9. La décision
du roi fut politique, ce qui sauva le temple de Jérusalem, car sa position était
très précaire. De fait, Dt 11,29 prescrit aux Israélites, dès leur entrée en Terre
promise, de placer la bénédiction sur le Garizim et la malédiction sur l’Ébal, les
deux montagnes encadrant Sichem, et c’est réalisé en Jos 8,30-35. Cependant,
malgré cette précision topographique, le « lieu que YHWH a choisi pour y éta-
blir son nom10 », du code deutéronomique qui suit (Dt 12,5), n’est pas nommé,
ce qui suggère une certaine flexibilité11, voire le refus de trancher entre deux
temples parallèles. Ces circonstances expliquent pourquoi Jean Hyrcan, s’effor-
çant d’agrandir la Judée au nord et au sud, prit soin de détruire le temple du
Garizim dès qu’il le put, peu après 129 selon Josèphe, mais plutôt vers 112-111
selon l’interprétation de monnaies recueillies sur divers sites12 ; on voit bien
pourquoi il n’a pas cherché à ramener les Samaritains dans le giron juif. Cela
confirme qu’en 124, date de la lettre aux Juifs d’Égypte citée plus haut, la posi-
tion de Jérusalem était encore précaire, ce que 1-2 Maccabées puis Josèphe
s’efforcent de dissimuler.
3. Pharisiens, sadducéens, esséniens. Les trois maillons faibles des explica-
tion usuelles, que reprend l’A., sont liés : d’abord, l’idée que les sadducéens,
fidèles à l’Écriture stricte, seraient un parti sacerdotal resté fidèle à la dynastie
prémaccabéenne, supposée sadocide ; ensuite, la thèse que les pharisiens auraient
développé après eux des traditions orales prolongeant l’écrit ; enfin, une opinion
9
Pour plus de détails, cf. Étienne NODET, « Alexandrie, Ben Sira, Prophètes, Écrits »,
RB 119 (2012), p. 110-118.
10
Ainsi Adrian SCHENKER, « Le Seigneur choisira-t-il le lieu de son nom ou l’a-t-il
choisi ? L’apport de la Bible grecque ancienne à l’histoire du texte samaritain et mas-
sorétique », dans : Anssi VOITILA & Jutta M. JOKIRANTA (éds.), Scripture in Transition :
Essays on Septuagint, Hebrew Bible, and Dead Sea Scrolls in Honour of Raija Sollamo
(JSJ Supplements, 126), Leiden, Brill, 2008, p. 339-351, qui conclut par la critique tex-
tuelle que la forme au futur est judéenne, de manière à aboutir à Jérusalem, comme
le montre la révélation de Dieu à Salomon (1 R 8,16). La forme au passé est attestée en
Ne 1,9.
11
Cette indétermination du lieu est reconnue par Josèphe (AJ 4:203), ainsi que par
la tradition rabbinique, qui affirme que le lieu du culte peut être changé « si un prophète
le décide » (Sifré Num. §70 sur Dt 12,13-14) ; mais ni l’un ni l’autre n’envisagent le
Garizim.
12
Ce qui correspond à un affaiblissement majeur de la tutelle séleucide, dû à une guerre
civile entre Antiochos VIII et Antiochos IX, vers 113-112, cf. Reinhard PUMMER, The
Samaritans in Flavius Josephus (Texts and Studies in Ancient Judaism, 129), Tübingen,
Mohr-Siebeck, 2009, p. 281-320.
13
Cf. Joseph SIEVERS, « Josephus, First Maccabees, Sparta, the Three Haireseis –
and Cicero », JSJ 32 (2001), p. 241-251.
14
Justin TAYLOR, Pythagoreans and Essenes. Structural Parallels (Coll. REJ, 32),
Paris – Louvain, Peeters, 2004. Sur les différentes formes sociales des esséniens, cf. John
J. COLLINS, Beyond the Qumran Community : The Sectarian Movement of the Dead Sea
Scrolls, Grand Rapids, Eerdmans, 2009.
15
Pour plus de détails, cf. Étienne NODET, « Sadducéens, sadocides, esséniens »,
RB 119 (2012), p. 186-212.
16
Saul LIEBERMAN, « The Discipline in the So-Called Dead Sea Manual of Discipline »,
JBL 71 (1952), p. 199-206, s’appuyant sur m.Demaï 2:3 et d’autres sources associées.
Il s’étonne que la tradition rabbinique soit aussi proche d’un mouvement aussi mar-
ginal. Laurence L. SCHIFFMAN, « The Dead Sea Scrolls and the Early History of Jewish
Liturgy », dans : Lee I. LEVINE (ed.), The Synagogue in Late Antiquity, Philadelphia,
ASOR, 1987, p. 33-48, observant de fortes analogies liturgiques, veut croire que les
textes de la mer Morte attestent la coutume juive ordinaire, reprise ensuite par la tradi-
tion rabbinique.
17
Cf. Étienne NODET, « Rabbi », RB 118 (2011), p. 123-129 ; ID., « Le baptême des
prosélytes, rite d’origine essénienne », RB 116 (2009), p. 82-110.
18
Cf. Abot de-Rabbi Natan A, 4 ; ces récits sont transmis sous plusieurs versions,
présentées et commentées par Jacob NEUSNER, A Life of Yohanan ben Zakkai, Ca. 1-80 C. E.
(Studia Post-Biblica, 6), Leiden, Brill, 21970, p. 152-156.
19
En particulier, il aurait pu tirer meilleur profit de la vaste synthèse de Oskar
SKARSAUNE & Reidar HVALVIK (eds), Jewish Believers in Jesus. The Early Centuries,
Peabody, Hendrickson Publishers, 2007 ; cf. RB 118 (2011), p. 443-454. De même, les
Pères apostoliques auraient pu être davantage exploités.
20
Selon AJ 13:319, citant des géographes, Aristobule annexa vers 104 « une partie
du territoire des Ituréens, et les circoncit de force », et SCHÜRER-VERMES I :141 et
562, II :8, en déduit à tort qu’il s’agit des Galiléens, qui par ailleurs ne peuvent être
les descendants des anciens Israélites du nord, car ils seraient alors samaritains.