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Francis BARBEY

De la démission d’un prêtre


togolais et de sa proximité
avec le culte vaudou
Une affaire en débat dans l’Église en
Afrique à la lumière de la synodalité

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À tous les prêtres d’Afrique,
véritables fantassins de l’évangélisation du
Continent.

21 février 2022

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« Ce dont l’Église a besoin, c’est non des
adulateurs qui exaltent le statu quo, mais des
hommes dont l’humilité et l’obéissance ne le
cèdent en rien à leur passion pour la vérité ; des
hommes qui affrontent tout malentendu et
attaquent en portant témoignage ; bref des
hommes qui aiment l’Église davantage que le
confort et le développement de leur destinée
personnelle ».
Cardinal Joseph RATZINGER

« Dans une société stable, la critique et la mise


en cause ont une fonction primordiale :
provoquer le changement en récusant la bonne
conscience et le confort moral ».

Michel PONIATOWSKI

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Pour introduire

Ces dernières semaines, l’actualité médiatique


en Afrique a fait état de la lettre de démission
d’un prêtre catholique romain du diocèse
d’Aného au Togo. L’émotion et les débats suscités
par une telle actualité ont été réels sur les
réseaux sociaux numériques et dans les réseaux
sociaux physiques.
Si ça n’était qu’une question de se retirer de
l’ordre presbytéral, cela ne constituerait pas un
événement à la fois social et médiatique, c’est-à-
dire quelque chose qui arrive et dont le caractère
inhabituel fait qu’il étonne profondément. Mais il
semble que ce prêtre démissionnaire soit parti
pour se rapprocher du culte vaudou dont il serait
devenu un adepte éclairé.
Ce qui est profondément surprenant, et qui
donne de questionner cette actualité, c’est le
passage d’un Ordre sacré, qui imprime dans
l’âme du prêtre un caractère indélébile et qui lui
définit une personnalité sacerdotale (Jean-Paul
II, Jeudi saint, 1979), à l’adhésion à un culte qui
a certes sa vérité, mais qui n’est pas destiné,
comme le dirait Jean-Paul II, à accomplir le
renouveau qui donne de « connaître le vrai Dieu,
tel qu’il a voulu se révéler aux hommes par les
prophètes et par son Fils bien-aimé » (Jean-Paul
II, Lomé, août 1985).

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Voilà pourquoi cette démission et la
conversion au vaudou advenue, ainsi que les
différentes déclarations (officielle, amicale et
personnelle) autour de ce départ appellent à
plusieurs considérations dont je souhaite, ici,
aborder quelques-unes, afin de contribuer au
débat qui s’impose au clergé africain et à toute
l’Église qui est en Afrique, en cette période
synodale où le Pape invite à prendre la parole
avec courage, dans la liberté, la vérité et la
charité. Le Pape appelle à cette prise de parole
courageuse afin que tous puissent contribuer à
la guérison des maladies qui blessent le
témoignage de l’Église sur tous les continents.

Lecture dénotative du message de l’évêque


du diocèse d’Aného
Le 02 février 2022, l’évêque du diocèse
d’Aného a écrit un message aux fidèles de son
diocèse qui a pour titre : "Message aux fidèles du
diocèse, au sujet de notre frère, Joseph
BASSITOME, qui fut prêtre du presbyterium du
diocèse d’Aného ».
Ce message, qui est apparu assez rapidement
sur plusieurs réseaux sociaux, est divisé en trois
parties. La première situe les faits qui partent
des rumeurs sur les pratiques païennes du
prêtre, la démarche de l’évêque auprès du
concerné pour l’inviter à la conversion et la lettre

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de démission que l’accusé lui aurait adressée. La
deuxième est une méditation du mystère du mal
et de la liberté humaine dans laquelle l’évêque
fait ressortir le reniement de Pierre, l’incrédulité
de Thomas et la trahison de Judas. Il évoque
également le persécuteur Paul qui se convertit
par la grâce de Dieu. La troisième partie part de
la conversion de Pierre et de Paul, sous l’autorité
desquels l’Église d’Aného est placée, et appelle au
courage de la foi. Dans ce sens, l’évêque invite à
la prière, au discernement et à la sérénité. Il
achève le message par une invitation à la
méditation de Mt 16, 24-26 où la Croix devient le
chemin de la marche du chrétien à la suite du
Christ.
À la suite de ce message officiel, les
internautes ont pu lire un témoignage lié au
même sujet, écrit par le Père Joseph Baoula du
diocèse de Kara au Togo.

Lecture dénotative du témoignage du Père


Joseph Baoula
Le Père Joseph Baoula intitule son témoignage
comme suit : « Témoignage du Père Joseph
Baoula au sujet de son confrère Joseph
Bassitome du diocèse d’Aného ». Le témoignage
est adressé aux « confrères dans le sacerdoce
ministériel, aux frères et sœurs en Christ et aux
hommes et femme de bonne volonté ». Il est

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divisé en cinq parties. La première évoque
longuement les faits, en partant des années de
formation qu’ils ont partagées, le Père Joseph
Bassitome et lui. Il y décrit un ensemble de
situations que le Père Joseph Bassitome aurait
vécues durant sa formation et tout au long de
son ministère, non sans évoquer les qualités
intellectuelles du concerné et sa proximité avec
les valeurs contenues dans les traditions
africaines. Il admet aussi quelques confusions,
de la part de l’accusé, dans l’application des
valeurs découvertes dans les traditions africaines
qu’il a étudiées, non sans évoquer la mauvaise
gestion de la crise avec la hiérarchie. Dans cette
première partie, le Père Joseph Baoula rapporte
également la forme des entretiens que l’évêque
d’Aného aurait eus avec « l’accusé ». Il y traduit
ouvertement le mal-être du Père Joseph
Bassitome et s’étonne des choix de l’évêque en
vue de la conversion souhaitée de ce dernier.
Dans la deuxième partie, le Père Joseph
Baoula pose la question de savoir si Joseph
Bassitome a fait scandale à l’Église. Il y discute le
fait scandaleux et se demande si la manière de
gérer le prétendu scandale ne serait pas plus
scandaleuse. La troisième partie est écrite
comme le constat personnel « à partir de ce qui
est arrivé à Joseph Bassitome ». Le Père Joseph
Baoula y évoque la situation de tant d’autres
prêtres qui souffrent, à des degrés divers, et

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pointe du doigt dans le corps sacerdotal « la
xénophobie doublée de l’ethnicisme, la haine,
l’envie, la jalousie, le mauvais œil, les
hypocrisies, la duplicité, le goût des grandeurs,
l’orgueil de certains Évêques et autres choses
semblables ». La quatrième partie est un « appel
au sujet de Bassitome Joseph ». Dans cette
partie, il sollicite la prière de tous pour les
prêtres. Dans la cinquième et dernière partie, le
Père Joseph Baoula résume son témoignage au
sujet de Bassitome Joseph dans un poème
d’action de grâce, de questionnement et
d’espérance.
Le témoignage du Père Joseph Baoula a été
suivi, sur les médias sociaux, de la « réaction »
du Père Joseph Bassitome qui s’adresse aux
« Chers tous en humanité ».

Lecture dénotative de la réaction écrite du


Père Joseph Bassitome
La « réaction » est organisée autour de sept
paragraphes. Dans le premier, le Père Joseph
Bassitome réfère ses lecteurs au témoignage du
Père Joseph Baoula au sujet de sa démission.
Dans le deuxième, il évoque la sollicitude du Père
Joseph Baoula à son égard et l’en remercie. Dans
le troisième paragraphe, il loue les mérites du
Père Joseph Baoula et exprime des craintes pour
lui à cause de sa liberté de parole et le soutien

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qu’il lui apporte. Dans le quatrième chapitre, il
assume son amitié avec le Père Joseph Baoula et
affirme néanmoins sa liberté vis-à-vis de lui.
Dans le cinquième paragraphe, il témoigne de sa
prière et de son amitié avec le Père Joseph
Baoula. Dans le sixième paragraphe, il exprime
ouvertement ses craintes pour la suite du
ministère de son ami et l’encourage à tenir bon
« à la grâce du Christ ». Dans le dernier
paragraphe, il adresse directement des
encouragements à Joseph Baoula à la suite du
Christ, non sans lui souhaiter la protection des
saints de tous les villages. Le dernier paragraphe
s’achève par un appel aux hommes et aux
femmes de bonne volonté pour la lutte contre le
Mal.
La lecture dénotative de ces trois textes va être
suivie de la lecture connotative et critique d’une
situation qui est factuellement togolaise, mais
qui interpelle l’Église qui est en Afrique et qu’il
faudrait lire dans le sens de la marche synodale
entreprise par l’Église universelle.

Lecture connotative des trois textes


Deux niveaux de lecture seront privilégiés ici :
la forme des documents et le fond.

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Sur la forme
Le premier niveau montre trois textes, dont le
premier, celui de l’évêque et le troisième, celui du
Père démissionnaire, ont à peu près la même
longueur. Celui du Père Joseph Baoula, du
diocèse de Kara, est plus long.
Le texte de l’évêque d’Aného est un
« message ». Le message épiscopal, dans l’Église
catholique, est une forme d’adresse utilisée par
la hiérarchie pour parler aux prêtres, religieux,
religieuses, aux chrétiens laïcs et aux hommes et
femmes de bonne volonté. Le message est suscité
par un ou plusieurs évènements qui nécessitent
que la hiérarchie s’exprime ouvertement pour
informer, expliquer, encourager ou parfois pour
dénoncer. La forme est écrite et envoyée aux
communautés chrétiennes ainsi qu’aux moyens
de communication sociale pour que le contenu
soit largement diffusé.
Le message de l’évêque d’Aného est écrit sur
du papier avec ses armoiries, signé, avec un
sceau qui l’authentifie. Il s’agit donc d’un
message officiel venant de la plus haute autorité
catholique de la région d’Aného. L’angle de
lecture du message est commandé par le statut
du sujet émettant qui est l’ordinaire du lieu. Tout
cela véhicule l’idée du « sérieux » de la démarche
et de vérité qui serait contenue dans le message.
La forme du message de l’évêque d’Aného est un

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peu, comme dirait Victor Hugo, le fond qui
remonte (déjà) à la surface.
Le document du Père Joseph Baoula est un
témoignage « au sujet de son confrère Joseph
Bassitome du diocèse d’Aného ». Un témoin, c’est
celui qui a vu et entendu. Il s’agit donc d’un
sachant. C’est pourquoi le Père Joseph Baoula
livre beaucoup de détails que le message de
l’évêque d’Aného n’aborde pas. La posture
explicative, justificative et dénonciatrice du Père
Joseph Baoula propose un angle de lecture qui
appelle le lecteur à élargir sa compréhension des
choses sur « l’affaire Bassitome ».
Le texte du Père Joseph Bassitome, le
démissionnaire, est une « réaction », comme pour
dire qu’il est suscité par un événement qui est le
message de son ami, le Père Joseph Baoula.
Cette « réaction » est destinée aux hommes et aux
femmes jusqu’aux limites du monde, puisqu’elle
s’adresse aux « chers tous en humanité ». Cela
suggère clairement qu’il sait bien que cette
affaire qui le concerne a dépassé les limites du
diocèse d’Aného et les frontières de son pays le
Togo. Il ne s’agit nullement pourtant d’une
autojustification à laquelle on aurait pu
s’attendre. C’est pourquoi il ne cherche ni à
convaincre ni à pleurnicher.

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Sur le fond
- Le message épiscopal est d’abord
informatif et situe les responsabilités par rapport
à ce qui est arrivé, à savoir la démission du Père
Joseph Bassitome. Il n’y a aucune difficulté,
ensuite, à saisir que le sujet émettant qui est
l’évêque tente de faire croire qu’il aurait fait de
son mieux pour que la situation, telle qu’elle est
décrite, n’arrive pas. C’est pourquoi il énumère
les rencontres et évoque la présence de témoins
dont on ne peut pas douter de la sincérité : le
TRP Vicaire général et le TRP Vicaire épiscopal,
c’est-à-dire des prêtres de la hiérarchie
diocésaine, ses plus proches collaborateurs, des
gens de confiance.
Il mentionne avoir fait la première démarche
vis-à-vis du Père Joseph Bassitome à l’occasion
de l’édition 2021 de la journée de sanctification
des prêtres dans son diocèse. Autrement dit, il
veillerait personnellement à ce que ses prêtres
soient des modèles de sainteté. Ce qui permet de
montrer que le risque d’égarement est très
minime, sauf pour celui qui veut aller à sa perte,
comme le Père Joseph Bassitome qui renonce au
sacerdoce.
Il apparaît clairement dans le message
épiscopal que l’évêque n’est pas responsable de
ce qui est arrivé au Père Joseph Bassitome. Il
aurait tout fait bien, c’est-à-dire que son rôle

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d’évêque serait inattaquable dans ce cas. Le seul
responsable serait donc le Père Joseph
Bassitome lui-même qui lui aurait remis sa
démission en lieu et place d’accepter l’isolement
de conversion qu’il lui proposait dans un
monastère, après qu’il ait eu toutes les preuves
que ce prêtre s’était paganisé.
L’évêque fait appel à l’Évangile, d’une façon
très précise, pour bien montrer de quel côté se
trouve la faute, c’est-à-dire celui du Père Joseph
Bassitome. Pierre a trahi et Paul a persécuté !
Mais les deux se sont convertis et sont devenus
les deux piliers de l’Église. Judas, lui, est allé à
sa perte. L’appel insistant à prier pour le Père
Joseph Bassitome montre qu’il est plus du côté
de Judas que de Pierre et de Paul. L’appel à la
sérénité traduit aussi sans aucun doute la
préoccupation pastorale de l’évêque pour le
Peuple de Dieu. Clairement, le choix est fait :
l’évêque est plus sensible à protéger la foi des 99
brebis qui n’ont pas besoin de conversion…

- Le message du Père Joseph Baoula est


clair : pour lui, le message de l’évêque d’Aného
ne suffit pas à cerner l’ensemble de la situation
du Père Joseph Bassitome. Il y voit une injustice
informationnelle qu’il souhaite réparer. L’opinion
doit être saisie de ce qui s’est réellement passé.

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Le message du Père Joseph Baoula se veut,
non point complémentaire de celui de l’évêque,
mais lui fait suite pour mieux renseigner
l’opinion sur les vrais motifs du départ de celui
qui est présenté comme son ami, et pour pousser
un coup de gueule contre le manque de charité
entre les prêtres. Il met en lumière et dénonce le
mal-être de plusieurs prêtres africains dans les
rapports hiérarchiques toxiques.
Il évoque des souvenirs de son ami, entre
autres son intelligence et son trop grand intérêt
pour les réalités africaines et leurs valeurs. Tout
cela pour bien montrer que son départ est une
conséquence de plusieurs choses qui se sont
accumulées depuis le séminaire jusque dans sa
vie de prêtre, et non le début brusque d’une
aventure solitaire qui serait vouée à la géhenne
de feu. Si le Père Joseph Baoula donne un
fondement historique au départ de son ami, c’est
pour lui trouver des circonstances atténuantes
dans l’opinion et le soustraire du rejet en
identifiant les vraies causes et les « faiblesses »
hiérarchiques qui ont facilité ce départ.
Le Père Joseph Baoula considère donc comme
insuffisants et inefficaces les moyens mis en
œuvre et décrits par l’évêque d’Aného dans son
message, pour la conversion du pécheur Joseph
Bassitome.

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La posture de l’ordinaire du lieu apparaît au
Père Joseph Baoula comme celle d’un médecin
qui cherche à soigner les symptômes d’une
pathologie sans se préoccuper de traiter l’origine.
Comme l’évêque, le Père Joseph Baoula appelle à
prier pour son ami, mais pas pour les mêmes
raisons. Pour l’évêque, il s’agit de faire entendre
raison à un pécheur afin qu’il se convertisse.
Pour le Père Joseph Baoula, il s’agit de prier pour
que Dieu protège son ami, mais aussi pour que
les prêtres et les évêques se convertissent, eux
qu’oppose entre eux « la fumée du diable qui
engendre la xénophobie doublée de l’ethnicisme,
la haine, l’envie, la jalousie, le mauvais œil, les
hypocrisies, la duplicité, le goût des grandeurs,
l’orgueil de certains Évêques et autres choses
semblables ».
On peut noter le caractère émotionnel du
message au travers du poème qui le termine. Un
ami « pleure » la « mort sacerdotale » de son ami
et dit beaucoup de choses dans ses pleurs. Des
choses qui questionnent à la fois l’entourage et le
« mort » et qui donnent de ne pas seulement
reprocher au mort de « s’être suicidé », mais de se
poser la question de savoir ce que l’entourage n’a
pas fait et qu’il aurait dû faire pour éviter que le
« suicide » se produise.
L’injustice que dénonce le Père Joseph
Bassitome à l’égard de son ami, il l’évoque dans
un cadre plus large qui dépasse le diocèse

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d’Aného. Son regard est porté précisément sur
cette Église particulière, mais s’étend à toute
l’Église de son pays et d’Afrique dont on sait, de
plus en plus, avec le développement des moyens
de communication numériques, que beaucoup de
prêtres vivent un mal-être du fait de rapports
hiérarchiques toxiques, des jalousies et des
médisances qui minent le corps presbytéral.

- La « réaction » du Père démissionnaire,


Joseph Bassitome, est consécutive au message
de son ami, le Père Joseph Baoula du diocèse de
Kara. C’est un clin d’œil de remerciements
publics qu’il fait à son ami, qui semble avoir dit
des choses que lui-même n’a point osé dire. De
toute façon qui l’aurait cru s’il les avait dites ? La
lettre de l’évêque apparaît comme très officielle
pour être contredite dans l’opinion chrétienne
d’Aného et du Togo, par les propos d’un petit
prêtre, de surcroît présenté comme un traître, un
impur, un pécheur. Voilà qu’après la publication
du message de son ami Joseph Baoula, le Père
Joseph Bassitome se sent ne plus être seul face
aux mauvaises langues, aux dénonciateurs, aux
comploteurs qui crient « à mort, à mort ».
Le Père Joseph Bassitome tente tout de même
une « provocation », en souhaitant la protection
des saints ancêtres à son ami, pour bien montrer
qu’il assume librement son choix de proximité

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spirituelle avec les cultures africaines. Mais on
sent bien un homme fragilisé, qui est « parti sans
partir ». Le Père Joseph Bassitome n’accuse
personne et n’a pas l’intention de se justifier. Il
se contente bien de l’intervention de son ami
pour qui il s’inquiète tout de même. Une
inquiétude qui vient du fait de l’intolérance qu’il
a lui-même vécue et qui laisse à penser que dans
certaines Églises, en Afrique, on ne tolère pas
ceux des prêtres qui prennent courageusement la
parole et qui s’expriment librement sur « ce qui
ne va pas » : sur la méchanceté entre prêtres, sur
l’autoritarisme débridé de certains évêques et
leur conception tribale de l’autorité pastorale, sur
les plans diaboliques des comploteurs et des
dénonciateurs qui aspirent à des postes, sur
l’orgueil des parvenus qui prennent leur position
dans l’Église pour une réussite sociale.
Oui, le Père Joseph craint pour son ami, parce
qu’en Afrique, dans certaines Églises, un « bon
prêtre » c’est celui qui ne dit mot de ses
souffrances, surtout si celles-ci viennent d’un
exercice dévoyé de l’autorité, dans la mesure où
le chef a toujours raison. Il est toujours du bon
côté. Un chef ne se trompe jamais ! Tout ce qu’il
dit est vrai et tout ce qu’il fait est juste. Certains
évêques sont assimilés à ce type de chefs et n’ont
aucun scrupule à l’assumer dans une Église
pour qui le Seigneur Jésus s’est fait Serviteur.
L’évêque est donc perçu comme le « chef » du

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diocèse, le « patron » des prêtres, dans le sens de
décider de la qualité de leur vie sacerdotale ou de
leur « mort sacerdotale ».
C’est ce qui explique qu’en vérité, le message
de son évêque a scellé le sort du Père Joseph
Bassitome devant l’opinion chrétienne du diocèse
d’Aného en particulier et devant l’opinion
chrétienne de l’Église en Afrique en général : il
est un traître, un impur, un possédé, un pécheur
qui refuse de se convertir.
C’est tout cela qui fait que le Père Joseph
Bassitome n’a pas osé écrire pour parler lui-
même de sa situation, après que l’évêque ait
écrit. Il lui aurait en effet été impossible de se
dédouaner aux yeux des chrétiens, en se
justifiant de tout ce dont on l’accuse, par le
développement d’arguments contraires à ceux de
l’évêque. La lettre de son ami Joseph Baoula
apparaît ainsi à ses yeux comme providentielle,
un peu comme un signe des « saints ancêtres »
qui veillent sur lui et qui vont mener son combat
pour rétablir la vérité dans l’opinion.

Analyse critique à partir des trois textes


Dans cette analyse, je voudrais commencer
par ce qui apparaît comme le cœur du problème
dans la lettre de l’évêque d’Aného, à savoir la
proximité spirituelle d’un prêtre catholique avec
le culte vaudou.

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Africanité et christianité
Dans son message de soutien à son ami, le
Père Joseph Baoula reconnaît que depuis le
séminaire, Joseph Bassitome avait un grand
penchant pour les traditions africaines dont il
voulait découvrir les valeurs. Au début, cela
semblait partir d’un bon sentiment : connaître
les cultures africaines pour mieux annoncer
l’Évangile du Christ aux Africains. Mais le Père
Joseph semble être allé un peu trop en eau
profonde sur ces questions, au point qu’il a pu
s’installer dans sa compréhension des choses
une compatibilité de l’Évangile avec certaines
pratiques liées à nos cultures, alors qu’il n’en est
rien.
Il faut remarquer que cet intérêt pour les
cultures et valeurs africaines n’est pas propre à
Joseph Bassitome. Beaucoup de jeunes prêtres
africains affirment ouvertement leur fort désir de
découvrir et de connaître le patrimoine culturel
de l’Afrique pour une meilleure inculturation de
la foi chrétienne. Ce qui est une démarche à
encourager. Mais dans bien des cas, leurs appuis
intellectuels sont plus idéologiques que
théologiques. Il y a comme une résurgence d’un
panafricanisme religieux et théologique des
années 1960, avec pour particularité, cette fois-
ci, de considérer que certaines valeurs africaines
n’ont rien à envier à l’Évangile du Christ, du

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point de vue de leur puissance
d’accomplissement humain et spirituel.
L’approche idéologique de la question est très
prégnante dans l’esprit des jeunes, et certains
disent l’aborder dans le sens d’une théologie qui
serait africaine ou qui devrait en tout cas le
devenir, au lieu que les réalités africaines soient
plutôt de nouveaux lieux théologiques
C’est pourtant une grave erreur de croire que
des valeurs culturelles qui sont par nature
humaines et relatives aient la même portée
humaine et spirituelle que l’Évangile du Christ.
Malheureusement, les ambiguïtés entretenues
par certains théologiens africains sur ces
questions laissent à penser qu’il est possible de
réinterpréter la doctrine catholique à l’aide d’une
nouvelle rhétorique, ou même « d’ajouter à la
théologie classique un appendice sur les rites et
les mythes locaux » (Certeau, 2005). L’Évangile
ne peut avoir de contrefaçon, parce que Jésus est
le Chemin, la Vérité et la Vie (Jn 14,6). Toutes les
valeurs humaines ont leur revers, sauf Jésus qui
n’en a pas (Balthasar, 2002). Ce qui donne de
comprendre que le fondement de toute
inculturation est la christianisation de notre
africanité, dans le sens de reconnaître dans le
mystère du Christ l’accomplissement de toutes
les recherches de Dieu et la clé de l’interprétation
de l’histoire des hommes (Balthasar, 2016). Il
appartient aux évêques africains d’ouvrir des

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espaces de débats, dans les rencontres
diocésaines avec les prêtres afin de permettre à
ceux-ci de s’exprimer sur des questions
complexes qui, si elles sont mal posées, peuvent
avoir un impact négatif sur leur ministère. Il ne
s’agit pas de se contenter des opinions des uns et
des autres, de leurs préférences idéologiques,
mais de provoquer de vraies argumentations en
vue de noter ensemble ce qui doit être enseigné.
Il faut veiller à ce que les opinions des prêtres ne
dénaturent pas la doctrine de l’Église et ce qui
doit être enseigné. Cela doit se faire dans le cadre
de la parole libérée où personne ne doit être jugé
pour ce qu’il dit, mais où chacun doit être aidé
afin de comprendre, par exemple, la différence
entre christianisme africanisé et africanité
christianisé. Entendons-nous bien : la question
de l’évangélisation consiste essentiellement à
« refaire l’histoire » par une « valorisation
nouvelle » de tout notre patrimoine historique et
humain à l’intérieur duquel Jésus prend place à
nos côtés pour le réinventer. Cette présence
refondatrice du Ressuscité nous fait croire qu’il
ne s’agit pas de renier notre passé pour nous
attacher à ce qui vient d’ailleurs, ni même de
« ramener la vérité catholique à des conceptions
ethniques et particulières ». Mais elle nous
permet, face au travail à faire sur notre réalité
propre, d’expérimenter l’œuvre de l’Esprit en
nous qui vient soutenir, comme le souligne
Michel de Certeau, le mouvement spirituel qui se

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dessine en nous et qui nous donne de pouvoir le
distinguer de ses contrefaçons.
Cela dit, la question qui émerge de la situation
du Père Joseph Bassitome est de savoir jusqu’à
quel point un prêtre peut aller dans son
adhésion aux traditions culturelles et qui soit un
non-retour ? Le message de l’évêque n’indique
pas que le Père Joseph Bassitome ait été
suspendu pour pratiques païennes dans le cadre
de son ministère. C’est la preuve que même s’il
est reconnu coupable de pratiques païennes,
l’évêque n’a pas estimé qu’il pouvait être
suspendu a divinis comme prévu par le canon
1333 du Code du droit canon de l’Église
catholique. La gravité de sa faute a donc été
relativisée par l’évêque lui-même. Ce qui peut
être considéré comme un point positif qui aurait
dû aider à maintenir le dialogue.

Départ du Père Bassitome : un non-événement ?


Ce qui étonne dès le début du message de
l’évêque, c’est que l’intitulé exclut Joseph
Bassitome du presbyterium du Diocèse d’Aného.
Il parle de lui comme un frère « qui fut prêtre du
presbyterium du Diocèse d’Aného ». La demande
de démission d’un prêtre suffit-elle à le
considérer comme ne faisant plus partie d’un
presbyterium ? Lorsqu’on est incardiné, restant
sauves les raisons contraires d’excardination ou

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de reconduction à l’état laïc, n’est-on pas
membre de droit d’un presbyterium ? Jusqu’à ce
que « la démarche complexe de sa sortie de l’état
clérical » ait abouti, le Père Joseph Bassitome
n’est-il pas prêtre catholique du diocèse
d’Aného ? Ces questions me semblent
importantes, parce qu’elles permettent d’évaluer
profondément la posture de l’évêque du lieu dans
cette affaire et de comprendre son sentiment
personnel vis-à-vis du Père Joseph Bassitome.
Dans son message, l’évêque n’informe pas le
Peuple de Dieu de ce qu’il a mis dans la balance,
lorsque le Père Joseph Bassitome lui a dit qu’il
renonce au sacerdoce et qu’il lui a « remis la
lettre écrite de sa main allant dans ce sens ». N’y
aurait-il pas une autre démarche à tenir pour un
évêque, lorsque « son » prêtre lui annonce son
départ du sacerdoce pour des raisons qui, au
départ, n’avaient pas nécessité de sanction selon
le droit canon ? Le départ souhaité par un prêtre
du ministère presbytéral n’est-il pas une raison
suffisante pour qu’un évêque se mobilise à l’en
dissuader en faisant appel à une forme de
créativité pastorale qui dédramatise les choses
pour mieux les gérer ? La posture institutionnelle
tenue par l’évêque, et qui semble être fondée sur
une science épiscopale, est-elle à ce point
inflexible qu’elle ne puisse céder la place à une
vraie éthique et à une spiritualité de l’altérité ?
L’Église en Afrique serait-elle plus

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constantinienne que Mystère de la présence
miséricordieuse du Christ au milieu de nous ?
Pour le Pape François, défenseur acharné des
pauvres et des sans défenses, le cléricalisme est
à la base de l’abus de pouvoir et de conscience.
Ce cléricalisme crée plusieurs formes de rigidité
qui n’ont rien à voir avec l’Évangile. Au contraire,
et en général, chaque forme de rigidité a des
choses à cacher, qui peuvent être les propres
tourments existentiels de la personne rigide,
c’est-à-dire de « graves problèmes, de profonds
déséquilibres et des problèmes moraux ».
Autrement dit, c’est l’absence d’intériorité et un
rapport douteux avec la Parole de Dieu qui
poussent à la rigidité.
Si Jésus avait été de ce type de rigidité, le
salut ne serait probablement jamais advenu pour
notre humanité pécheresse. Et si la miséricorde
ne se moquait pas du jugement (Jc 2, 13), nous
serions tous comme un « troupeau parqué pour
les enfers que la mort mène paître (Ps 48, 15).
Aucune crise, comme le rappelle Hannah
Arendt, ne se règle par les préjugés. Non
seulement une telle attitude rend la crise plus
aiguë, mais encore elle nous fait passer à côté de
cette expérience de la réalité et de cette occasion
de réfléchir qu’elle fournit (Arendt, 1972). Il faut
avoir le courage de se saisir humblement des
crises comme d’une possibilité de réinventer le

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lien social et de mettre le futur à l’abri des
conflits. Concrètement, comment l’Église en
Afrique peut-elle inspirer la pratique politique,
par la promotion du dialogue et de la paix entre
acteurs politiques, si certains évêques agissent
vis-à-vis de leurs prêtres exactement comme la
plupart des présidents en Afrique le font vis-à-vis
de leurs opposants, en leur infligeant au
minimum une violence psychologique avec
d’énormes conséquences ?
La lettre de démission écrite de sa main est-
elle un signe de non-retour pour un prêtre au
point que l’évêque à qui il la remet ne puisse
baisser le ton et l’inviter à discuter de nouveau
pour dissiper les incompréhensions et relancer la
collaboration ? La science épiscopale serait-elle à
ce point surhumaine pour ne pas comprendre
qu’un prêtre peut se sentir blessé par son
supérieur hiérarchique et par le rejet et les
jugements à l’emporte-pièce de ses confrères ?
De toute évidence, l’évêque ici n’est pas dans la
relation et ne cultive pas de lien, mais se
complaît dans un rapport hiérarchique rigide qui
vire au rapport de force. Il est en face d’un
pécheur et c’est à ce pécheur de se convertir.
Selon le message de l’évêque, c’est au cours de
leur avant-dernière rencontre que le Père Joseph
Bassitome aurait été informé de la décision de
l’envoyer dans un monastère pour « un temps de
ressourcement spirituel en vue de sa

25
conversion ». Et c’est au rendez-vous suivant que
le prêtre lui aurait remis sa lettre de démission.
Ce qu’il faut chercher à comprendre ici, c’est de
savoir si la démission n’est pas la conséquence
de la rencontre précédente. Et là,
providentiellement, c’est le Père Joseph Baoula,
l’ami du démissionnaire, qui élargit notre
compréhension des choses : « en discussion avec
son évêque au sujet de ses pratiques, les choses
ont vraiment tourné très mal pour des raisons
que voici : son Évêque lui a demandé s’il est
encore prêtre, question que mon ami n’a pas du
tout digérée ; son évêque lui révèle qu’on lui a dit
de le punir au haut niveau, recommandation
qu’il n’a pas digérée ; on le taxe tout de suite
d’être possédé et impur et qu’il faut qu’il se fasse
aider pour sa purification et sa conversion. Les
choses ont vraiment mal tourné à ce niveau.
Bassitome Joseph perd tout espoir en son
Évêque et en ses confrères prêtres ».
Cette information est importante, parce qu’elle
porte à croire que la posture de l’évêque vis-à-vis
de ce prêtre ait été autoritaire (au sens de
manquer d’autorité pastorale), le présentant
comme un pécheur, un impur et non comme une
brebis égarée. La différence est nette, et les textes
de l’Évangile que l’évêque convoque dans son
message l’expriment clairement. Le regard qui est
porté sur le prêtre pécheur consiste à l’obliger à
la conversion. Le monastère de Dzogbégan

26
apparaît alors pour l’évêque comme le lieu idéal
de conversion pour le Père Joseph Bassitome.
Soit ! Mais la question de fond ici est de savoir
comment un prêtre diocésain se convertit dans
un monastère.

Monastère, lieu de conversion pour prêtres


séculiers ?
Bien sûr que le monachisme est un pan
important du patrimoine spirituel de l’Église. Il
n’y a aucun doute là-dessus. Mais dans le cas
qui nous préoccupe, quel serait le programme en
vue de la conversion du Père Joseph Bassitome à
Dzogbégan ? En priant les psaumes avec les
moines et en allant se reposer dans son lit entre
les heures de prière ? Mais les psaumes, on les
prie également ailleurs. Au nom de quoi le
monastère serait-il alors plus convenable pour la
conversion d’un prêtre que la maison de
l’évêque ? Avec l’évêque et chez lui, les choses
auraient été bien plus différentes. Ça ne serait
plus une affaire de rumeurs, de vidéo, ni de
dénonciateurs. Les dialogues auraient été longs,
profonds et francs. L’évêque aurait appris à
découvrir et à connaître (enfin) son prêtre à qui
l’on reproche beaucoup de choses, à l’entendre, à
plaisanter avec lui pour le détendre et à lui
donner de sages conseils. Mais plus que tout, en
séjournant avec lui, dans sa résidence, le prêtre

27
bénéficierait de la propre sainteté de son évêque
afin de repartir sur de bonnes bases.
Ce qui est curieux dans le choix du monastère,
comme lieu de conversion et de sanctification du
Père Joseph Bassitome, c’est que l’évêque lui-
même indique dans son message qu’il existe
dans son diocèse une journée annuelle de
sanctification des prêtres. On suppose qu’il s’agit
d’organiser des exercices spirituels et de rappeler
aux prêtres l’exigence de sainteté attachée à leur
vie de chrétiens et de pasteurs. Quelle est la
logique d’avoir ce type de rencontre dans le
diocèse et d’envoyer un prêtre du même diocèse
dans un monastère pour sa conversion ?
L’évêque douterait-il de la pertinence et de
l’efficacité de ses propres initiatives de
conversion et de sanctification de ses prêtres ?
Sinon, il aurait été plus simple que les journées
de sanctification des prêtres de ce diocèse se
passent chaque fois dans un monastère pour
bien montrer à ceux-ci qu’ils ne peuvent se
convertir et se sanctifier que dans un monastère.
C’est vrai que dans l’histoire de l’Église, l’on a
toujours procédé ainsi : envoyer les prêtres
diocésains pécheurs dans les monastères pour
leur conversion. Mais la même histoire montre
que parmi les Saints que nous honorons, il n’y a
pas un seul prêtre séculier qui soit passé par ce
chemin. Autrement dit, on n’a jamais évalué les
effets réels de ce que les prêtres diocésains

28
considèrent comme une punition. Mais comme
on a toujours fait ainsi alors hop ! on envoie de
soi-disant pestiférés au bagne en leur faisant
croire qu’ils vont en revenir complètement
transformés. C’est le signe que la réalité humaine
du prêtre qui est appelée à se sanctifier et à
s’accomplir dans le Mystère du Christ est
complètement ignorée. L’incarnation passe alors
pour être juste, pour certains, un fait banal
d’histoire. Sinon, c’est impossible de croire en ce
Mystère et de mépriser « l’humain » dans
l’homme, sans chercher à le saisir dans sa réalité
profonde en vue de le faire croître en Dieu. Être
prêtre séculier est une vocation et définit un
statut sacerdotal. Être prêtre régulier est une
autre vocation. Chacune des deux vocations a
ses lieux de sanctification. Il faut pouvoir les
identifier et les promouvoir.

L’humain, lieu de la manifestation de Dieu


Sans l’humanité du Christ qui nous ramène à
la vérité de notre propre humanité et nous donne
de réaliser ses défaillances et ses imperfections, il
n’existe pas de croissance en Dieu. Étant donné
que Jésus est « l’Archétype éternel de l’homme »
(Clément, 1972), c’est dans son humanité, dans
la réalité concrète et visible de sa Parole de
réconfort et de compassion, de ses mains pour
nous enlacer, de son regard d’affection sur nous,

29
de ses pieds pour marcher vers nous, de son
cœur pour nous aimer, que nous trouvons le
chemin humain de notre propre humanité et de
sa croissance. C’est ce qui justifie la miséricorde
et la main tendue de Jésus aux pécheurs et qui
rend son message universel.
Être homme est un métier, comme l’a si bien
écrit Benoît Kouakou (Kouakou, 2021). Cela
suppose un apprentissage et des
accompagnateurs. Dans l’histoire de l’Église, un
Saint comme Jean Bosco a bien compris et joué
ce rôle d’accompagnateur de jeunes qui, pour
certains, étaient des cas très difficiles et sans
aucun doute voués à l’échec et à la rue. Être
accompagnateur de jeunes, qu’ils soient prêtres
ou autres choses, nécessite de ne pas les réduire
à ce que nous voulons, à notre tempérament,
mais à ce qu’ils doivent être selon l’appel propre
à chacun. Tous les Saints éducateurs nous ont
appris qu’on éduque et qu’on forme les jeunes en
valorisant leur potentiel de créativité et
d’inventivité. C’est ce qui leur permet d’avoir
confiance en eux-mêmes et de prendre
progressivement conscience de ce qui ne les
valorise pas et qui doit être évité.
C’est parce qu’être homme est également un
appel, une vocation, que Dieu est devenu Homme
pour nous apprendre à répondre à notre vocation
d’homme. Mépriser l’humain de l’homme sous
prétexte de ses limites et de ses faiblesses, c’est

30
l’empêcher de répondre à sa vocation d’homme
en Jésus. C’est pourquoi un pasteur qui ne
reconnaît pas l’humain de l’homme et ne le
respecte pas dans sa singularité et même dans
ses égarements ne peut le conduire à Jésus. On
ne sauve pas un prêtre en piétinant son humain.
On ne le sanctifie pas en niant son humain. S’il
est vrai que l’humanité du Christ restaure notre
dignité humaine, c’est dire que personne ne peut
s’arroger le droit d’inhumaniser son frère sinon
alors c’est Jésus lui-même, qui est devenu
Homme, qui est ainsi inhumanisé. La vocation de
l’évêque, ce n’est pas d’envoyer de force ses
prêtres au Ciel. Mais d’y aller avec eux ! Lui
aussi est d’abord chrétien. Ainsi Saint Augustin
a pu dire « pour vous, je suis évêque, avec vous,
je suis chrétien ». Et Saint Augustin le dit pour
inviter les évêques à être pasteurs « pour le
Christ et dans le Christ ».
Mais plus que tout, il faut considérer ici que le
chrétien qui est « appelé » comme évêque ou
comme prêtre est doublement appelé, c’est
pourquoi sa vie comporte une double exigence :
d’une part, comme chrétien, il doit vivre de la foi
(Rm 1, 7), c’est-à-dire qu’il doit se souvenir qu’il
s’appelle chrétien à la suite du Christ. Ainsi, « sa
nature se maintient ou s’évanouit selon son
rapport à la nature du Christ » (Balthasar, 2002).
D’autre part, c’est l’intériorisation du fait que
l’image que Jésus renvoie à travers les Évangiles

31
est une image de bonté infinie, de compassion,
et d’humilité qui donne du sens au ministère du
prêtre et de l’évêque. C’est cela qui est célébré
dans l’Eucharistie, puisque dans celle-ci Jésus
se donne à nous comme Gratuité, c’est-à-dire
comme pureté de l’amour. C’est à travers ce don
sans pareil qu’il réalise lui-même notre
communion avec lui et avec toute l’humanité.
L’accueil du ministère presbytéral et épiscopal ne
peut pas contourner une telle réalité.
Il nous faut donc, comme appelés à un
ministère particulier, rejeter cette espèce de
« conviction inspirée » de protéger la pureté de
l’Église et d’abattre tous les hors-la-loi, où
finalement et peut-être à notre propre insu, c’est
nous-mêmes qui sommes mis en valeur par la
prise de hauteur de notre « moi ». Ceci traduit
bien le fond orgueilleux et vaniteux qui éclaire
malheureusement quelquefois notre ministère et
dont nous devons prendre conscience pour en
sortir rapidement. Car tout ceci, selon Maurice
Zundel, nous fait ramener à la mesure de notre
tempérament, de nos ambitions, de nos
ressentiments, en un mot de notre subjectivité
passionnelle la Parole de Dieu qui veut et qui
devrait justement nous soustraire de ce type de
comportement.

32
Monastère : solution facile ?
Disons-le tout net, cette façon de se
débarrasser des prêtres pécheurs, en leur
imposant une vie de moine (qui est un Appel
spécifique tout aussi valeureux) est scandaleuse,
parce qu’antiévangélique, dans la mesure où elle
participe de la recherche de solutions faciles et
inefficaces pour un prêtre séculier. A-t-on déjà
vu un moine qui fait scandale dans sa
communauté être envoyé dans une paroisse pour
sa conversion et sa sanctification ? Alors que la
paroisse est bien un lieu de conversion et de
sanctification, puisque le sacrifice eucharistique
qui sauve y est également célébré !
La conversion qui nous est demandée, à nous
tous, est fondée sur l’amour, sinon elle reste
inefficace. Lorsque Jésus soustrait la pécheresse
à la lapidation et à la colère de ceux qui jugent
les autres (Jn 8, 1-11), c’est pour rappeler que
tous les hommes sont pécheurs, mais qu’en plus,
la miséricorde de Dieu est sans mesure pour eux.
Comme le dit le théologien orthodoxe Olivier
Clément, « l’amour répond à l’amour. Cette
conscience d’être aimé et cette réponse qu’elle
déclenche sont le seul critère du repentir »
(Clément, 1972). Il ne s’agit donc pas pour le
pécheur de faire du retournement un sentiment
moral de culpabilité et de s’engager à respecter la
loi, parce que la loi « ne peut pas produire la vie »
(Gal 3, 21). La conversion consiste à laisser Dieu

33
prendre place dans nos vies, pour faire jaillir en
nous la source d’eau vive qui nous désaltère, afin
que nous n’ayons plus jamais soif des désirs qui
nous déshonorent, des désirs qui nous
déshumanisent, des désirs de vengeance, de
délation, de domination, et de tous les autres
désirs qui tourmentent chacun de nous et dont
nous savons qu’ils ne peuvent que nous procurer
des joies éphémères.
Dans un monde qui a besoin de témoins de la
fraternité vraie, il faut passer à autre chose :
entre évêques et prêtres et entre prêtres, il faut
passer des rapports toxiques à la relation, c’est-
à-dire au lien qui rapproche. Nous n’avons pas
été appelés à donner notre vie pour le même
mystère d’amour à la suite du Christ et ne pas
être capables d’être patients et tolérants vis-à-vis
de nos frères dans le sacerdoce ministériel. Il
faut à chacun une vraie introspection pour
prendre la mesure de sa responsabilité en vue du
témoignage commun. Parce que cela devient
intenable que des prêtres soient réduits à souffrir
ouvertement ou en silence de leur relation avec
l’évêque ou entre eux. Dans la culture de bonnes
relations, la responsabilité de l’évêque est plus
grande devant Dieu, car c’est lui d’abord qui est
envoyé pour paître le troupeau. Son cœur de
pasteur n’est pas destiné à être bon pour les
laïcs et autoritaire pour les prêtres qui sont les
premiers collaborateurs que Dieu lui a donnés.

34
« À ceci, tous reconnaîtront que vous êtes mes
disciples : si vous avez de l’amour les uns pour
les autres » (Jn 13, 35). Si l’évêque est bon
pasteur à la suite de Jésus, c’est à la fois pour
les fidèles laïcs, pour les prêtres et pour
l’ensemble des consacrés.
Il ne s’agit pas de prêcher pour l’évêque un
paternalisme. Non, il s’agit plutôt pour l’évêque,
comme le disait le Pape François à des évêques
sud-américains, d’apprendre à identifier le
charisme que Dieu a mis en chacun de ses
prêtres pour le mettre au service de l’Église. C’est
pourquoi la vie dans une même communauté
avec le prêtre pécheur peut permettre à son
évêque de le mettre en confiance et de lui (re)dire
ce que Dieu attend de lui, de l’encourager à
déployer le charisme identifié pour le
développement de la charge qui lui a été confiée
pour le bien de l’Église. Ce n’est pas l’autorité
autoritaire qui convertit l'homme à la Parole de
Dieu. Il rend plutôt les gens lâches et hypocrites.
Seul l’amour convertit au Christ et à son
mystère. Comme le disait si bien Olivier Clément,
« les mots qui montent d’un cœur purifié peuvent
ensemencer un autre cœur » (Clément, 1972).
Combien, en effet, sont-ils les prêtres africains
qui n’ont plus confiance en leur évêque pour les
traitements qu’on leur fait subir, et qui sont
réduits à se taire et à pleurer en silence pour ne
pas aggraver leur sort ? Combien sont-ils les

35
prêtres sans recours et sans secours que l’on
n’écoute jamais, mais sur qui les autres ont
toujours des choses à dire ? Et combien sont-ils
les prêtres qui sont malades ou morts de mort
provoquée par les frustrations, les
infantilisations, la critique facile ? Il y a divers
témoignages confidentiels de prêtres qui
assimilent la maladie ou la mort de certains
confrères à ces causes dont on fait officiellement
rarement cas. Le problème de la souffrance de
plusieurs prêtres est réel et il faut s’en inquiéter.
Rome devrait s’en mêler !
Il existe dans quelques contextes une autre
catégorie visible de prêtres souffrants, constituée
de ceux qui ont commis une faute, au temps de
Mathusalem, c’est-à-dire le grand-père de Noé.
Ceux-ci attendent toujours qu’on leur renouvelle
la confiance de l’Église-famille de Dieu. Jusqu’à
quand doivent-ils attendre ? Nul ne le sait. Peut-
être jusqu’à ce qu’ils ne puissent plus pouvoir
faire ce pour quoi ils ont été appelés et ordonnés.
Et qu’un jour, comme cela est déjà arrivé, au
cours de l’homélie de leurs obsèques, leurs
confrères puissent entendre dire, éberlués, qu’ils
furent de très bons prêtres !
On entend aussi dire par des témoignages qu’il
y aurait des évêques qui ont rompu le dialogue
avec certains de leurs prêtres « trop pécheurs ».
Et il se trouve parmi ces évêques, certains à faire
des messages aux hommes politiques de leur

36
pays pour les inviter au dialogue avec leur
opposition en vue de construire la paix, ou qui,
au cours de leurs homélies, prennent à parti
ceux des hommes politiques qui ne veulent pas
faire la paix avec leurs opposants ! De son temps,
Jésus connaissait déjà ce type de personnage.
Voici ce qu’il leur disait : « Quoi ! tu regardes la
paille dans l’œil de ton frère ; et la poutre qui est
dans ton œil, tu ne la remarques pas ? » (Mt 7,
3).
C’est à se demander parfois si nous sommes
vraiment disciples du Christ. Comment se fait-il
que dans une Église qui se targue d’être famille
de Dieu, donc qui prêche la miséricorde, certains
puissent se convaincre que leur « anti-charisme »
est de ne pas faire miséricorde aux autres, de les
diffamer et de les faire toujours pleurer ?
Comment peut-on se prévaloir de représenter
Jésus, d’agir et de parler en son nom et de
promouvoir dans le même temps des pratiques
antiévangéliques vis-à-vis des frères ? À cette
allure, ce n’est pas le Père Joseph Bassitome seul
qui devrait être envoyé dans un monastère, si
nous admettons tous que c’est l’unique lieu de
conversion. C’est une bonne partie du clergé
africain qui devrait y aller pour y rester comme
moine, puisque chacun sait ce qu’il reproche à
l’autre, même à ceux qui ont le jugement facile et
qui se targuent d’être des modèles.

37
Il nous faut, en tout cas, arrêter de détourner
l’Évangile au profit de nos sentiments et de notre
vision personnelle des choses. Ce détournement
du prescrit ne peut que prétendre, aux yeux du
monde, que Jésus n’est pas ressuscité, que sa
Parole n’est pas vivante et que son amour est
vain. Préparons-nous à rendre compte à Dieu de
ces contre-témoignages.
La réaction du Père Joseph Baoula est à
saluer, parce qu’elle nous permet d’élargir notre
lecture de la situation. Sans elle, nous serions
réduits à maudire le Père Joseph Bassitome et à
médire de lui d’être parti du sacerdoce. Mais plus
que tout, sa réaction rejoint l’un des dix pôles
thématiques du document préparatoire du
synode : prendre la parole dans l’intention de
parler avec liberté, vérité et charité ou même
d’avoir un style de communication libre et
authentique, sans duplicités ni
opportunismes.
Devant les cas flagrants de souffrances
infligées à des prêtres, il n’est plus possible pour
les autres prêtres de regarder les choses se faire
passivement. C’est le Pape François qui disait
que la non-dénonciation de l’abus de pouvoir
dans l’Église le fait prospérer. Le même Pape
François invitait dernièrement les religieuses « à
se battre lorsque, parfois, elles sont traitées
injustement. Y compris au sein de l’Église, quand
leur service, si noble, est réduit à de la servitude.

38
Parfois même par des hommes d’Église ». C’est
un appel à guérir de ce qui s’apparente ici au
syndrome de Stockholm.
Il faut sortir de la peur et du conformisme qui
consiste à ne pas se sentir concerné par la
souffrance des autres… avant que notre tour
arrive. Il faut exiger que les prêtres, véritables
fantassins de l’évangélisation, signes de la
tendresse de Dieu pour le monde, soient
entendus et traités comme des collaborateurs
dont la présence permet au ministère épiscopal
de se déployer généreusement dans l’action
pastorale. Il faut veiller à mettre fin à la
tribalisation de l’Église en Afrique par la prière et
la dénonciation. Nous devons tous nous
mobiliser contre une conception tribale de
l’exercice de l’autorité pastorale et la réduction de
l’Église à la loi des groupes tribaux et ethniques
qui se répandent de plus en plus, et que dénonce
le Père Joseph Baoula comme l’une des causes
de la souffrance de son ami dans le diocèse
d’Aného.
La lettre aux Éphésiens parle des Apôtres,
mais aussi des prophètes, des évangélisateurs,
des pasteurs et de ceux qui enseignent, comme
des dons que Dieu a faits à son Église. Et « à
chacun d’entre nous, la grâce a été donnée selon
la mesure du don fait par le Christ » (Ep 4, 7). Il
découle de cela le fait qu’aucun ministère n’est
ordonné à promouvoir un ego ni à offrir des

39
privilèges sociaux. Chaque ministère, dans ce
qu’il représente comme appel du Christ, doit être
compris et assumé comme un service. Comme
l’affirme Saint Paul, « de cette manière, les fidèles
sont organisés pour que les tâches du ministère
soient accomplies et que se construise le corps
du Christ, jusqu’à ce que nous parvenions tous
ensemble à l’unité dans la foi et la pleine
connaissance du Fils de Dieu » (Ep 4, 13). C’est
donc, manifestement, lorsque la pleine
connaissance du Fils de Dieu n’est plus une
priorité pour notre vie de foi que l’autoritarisme
peut être exalté, que le tribalisme peut
s’autojustifier et que les crises deviennent
possibles dans nos communautés pastorales.
Quelquefois on entend dire de ceux qui, par
leurs pratiques antiévangéliques, prennent
l’Église du Christ en otage que de toute façon
nous sommes en Afrique. Nous aurions nos
façons de faire entre Africains. Autrement dit, la
position de responsabilité serait un signe
d’impeccabilité. Mais enfin ! Oui que nous
sommes en Afrique. Mais désormais, nous
sommes d’Église. Et être d’Église, c’est-à-dire
être chrétien est une singularité. Il s’agit d’une
identité qui définit un style de vie propre aux
chrétiens appelés à illuminer le monde pour que
les hommes aient la vie et qu’ils l’aient en
abondance (Jn 10, 10). Nous n’avons donc pas
d’autre modèle à imiter que celui de Jésus qui

40
nous donne de faire de l’amour notre seul
orgueil.
La démarche synodale entreprise par l’Église
universelle est sans doute une chance pour
l’Église qui est en Afrique, afin de se repenser
vraiment comme famille de Dieu, car il y a
urgence. Il ne s’agit plus de promouvoir des
théories idéologiques, de ressasser de grands
concepts théologiques, mais de montrer
pratiquement en quoi la famille de Dieu que nous
sommes est un mystère prophétique pour le
monde dans lequel nous vivons et que nous
sommes appelés à transformer.

Pour que demain soit un jour nouveau dans le


Seigneur
Après la lecture des trois textes dont je
reconnais qu’ils ne rapportent pas toutes les
informations liées au départ du Père Joseph
Bassitome, je reste tout de même persuadé qu’il
n’est pas parti parce qu’il aurait découvert que
les valeurs africaines lui parlent plus que le
mystère du Christ auquel il est configuré par le
sacrement de l’Ordre. Sacrement qui, comme le
dit Jean-Paul II, a imprimé dans son âme le
signe d’un caractère indélébile et lui a défini une
personnalité sacerdotale. Le Père Joseph
Bassitome, d’après le message de son ami, aurait
donné lui-même les raisons de son départ : « il a

41
dit qu’il part pour être épanoui et pour être
heureux ; qu’il part pour éviter d’être crispé ;
pour ne pas vivre dans la peur inavouée ; qu’il
part pour être libre ». Au fond, il part chercher
ailleurs ce que l’Église-famille de Dieu dans son
diocèse aurait dû lui donner au nom du Christ et
qu’elle lui a refusé : la paix et la sérénité.
Le départ du Père Joseph Bassitome apparaît
ainsi comme une défiance, pour dénoncer son
sort, lui qui s’estime sans recours et sans
secours. Et les images de lui qui ont circulé sur
le net, habillé en adepte du vaudou, me semblent
participer de cette démarche de communication
de défiance qui mêle son image de prêtre
catholique à des pratiques que, justement,
l’Église catholique désapprouve. On n’a pas
besoin d’avoir été là le jour de la Pentecôte à
Jérusalem pour le comprendre ! Le Père Joseph
Bassitome a profité d’un rapport de force cultivé
par l’évêque, pour montrer son agacement
matérialisé par une lettre de démission dont le
sens est d’empêcher l’évêque de continuer à
l’attrister. Mais la défiance ici n’est pas de l’ordre
d’une confrontation préméditée qu’il souhaite
avec l’Église et ceux qui incarnent l’autorité. Il
s’agit plutôt de l’expression d’une détresse qui a
besoin d’être entendue.
C’est pourquoi, et contrairement à ce que l’on
pourrait croire, sur les réseaux sociaux
numériques et dans les réseaux sociaux

42
physiques, le Père Joseph Bassitome passe pour
être une victime de l’Église catholique, de
l’intolérance et du manque de charité de ceux qui
disent parler au nom du Christ et qui sont
attachés à des règles figées qui traquent les
pécheurs au lieu de les appeler avec charité à la
conversion.
On peut s’étonner que le Père Joseph
Bassitome n’ait pas pu supporter davantage la
souffrance, lui dont le ministère est fondé sur le
scandale de la Croix. On pourrait même l'accuser
de désobéissance. En général, dans l’Église, en
Afrique surtout, c’est par ce terme qu’on tente de
désavouer ceux qui ne plaisent pas en haut lieu.
Encore faut-il, comme l’indique la Congrégation
romaine pour les Instituts de Vie consacrée et les
sociétés de vie apostoliques, se « rappeler
qu'avant d'invoquer l'obéissance (nécessaire), on
doit pratiquer la charité (indispensable) ». Le
Pape François ajoutait dernièrement, parlant de
l’obéissance du prêtre à l’évêque, que celle-ci est
« l’écoute de la volonté de Dieu, discernée
précisément dans une relation », dans un lien.
Dans cette logique, l’obéissance reste presque
impossible à discerner dans un rapport de force,
qui est un rapport de conflit entre un dominant
et un dominé.
Si cela est vrai que le Père Joseph Bassitomé
se sentait en insécurité dans le corps sacerdotal,
sans recours et sans secours, et que sa santé en

43
avait pris un coup, comme nous informe son ami
de Kara, sans l’approuver, on peut comprendre
son départ. Mais comme déjà noté, il s’agit d’un
départ qui appelle à jeter un regard sur sa
situation et sur celle de tous les prêtres qui
souffrent de la ténacité des préjugés et de la
toxicité des rapports hiérarchiques.
Dans l’espérance, je crois que la situation du
Père Joseph Bassitome peut être rattrapée. Mais
à condition de le considérer comme une brebis
égarée et non comme un pestiféré. Nous sommes
dans une marche synodale qui nous ouvre à la
grâce de l’humilité. Comme le dit si bien le
cardinal Cantalamessa, il ne s’agit pas de se
sentir humble, mais de le devenir. Dans ce sens,
il revient en premier à l’évêque d’Aného de
convoquer l’Évangile, comme il l’a déjà fait dans
son message, mais pour lire d’autres passages
que ceux mis en avant. Jn 10, 11-15 et Mt 18,
12-18 sont susceptibles d’éclairer ce qu’il devrait
faire à présent.

Moi, je suis le bon pasteur, le vrai berger, qui


donne sa vie pour ses brebis.
Le berger mercenaire n’est pas le pasteur, les
brebis ne sont pas à lui : s’il voit venir le loup, il
abandonne les brebis et s’enfuit ; le loup s’en
empare et les disperse.

44
Ce berger n’est qu’un mercenaire, et les brebis
ne comptent pas vraiment pour lui.
Moi, je suis le bon pasteur ; je connais mes
brebis, et mes brebis me connaissent,
comme le Père me connaît, et que je connais le
Père ; et je donne ma vie pour mes brebis (Jn 10,
11-.15).
Dans le premier texte, l’autorité pastorale est
exercée pour protéger les brebis des loups (et des
idéologies). Être bon pasteur exige d’aimer les
brebis au point d’être capable de donner sa vie
pour elles. Donner sa vie peut se résumer en
une chose ici : arrêter de ramener l’exercice de
l’autorité dans l’Église au tempérament et à
l’amour propre. Ce qui est mis en avant, ce n’est
pas la qualité de la brebis, mais bien la bonté du
berger. Être bon à l’égard des autres est
exactement le témoignage le plus authentique
que Jésus le bon pasteur nous a laissé, « lui qui
est passé en faisant le bien » et qui est allé au
supplice de la Croix en donnant sa vie pour
nous, pour que nous ayons la vie.

Quel est votre avis ? Si un homme possède cent


brebis et que l’une d’entre elles s’égare, ne va-t-il
pas laisser les quatre-vingt-dix-neuf autres dans
la montagne pour partir à la recherche de la
brebis égarée ?

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Et, s’il arrive à la retrouver, amen, je vous le
dis : il se réjouit pour elle plus que pour les quatre-
vingt-dix-neuf qui ne se sont pas égarées.
Ainsi, votre Père qui est aux cieux ne veut pas
qu’un seul de ces petits soit perdu.
(Mt 18, 12-14).
Le second texte rappelle qu’il n’est jamais tard
pour un pasteur, pour aller à la recherche d’une
brebis égarée. Plus que tout, le texte nous
rappelle que le Christ n’est pas venu pour les
bien portants, mais bien pour les malades, les
pécheurs et les paumés, c’est-à-dire les hommes
et les femmes qui sont moqués et rejetés à cause
de ce qu’ils sont. Dans la logique du Christ,
l’autorité pastorale est pure générosité et rejoint
par là le sens étymologique du terme qui vient de
augere et qui veut dire « augmenter » et dont le
substantif auctor signifie « auteur », c’est-à-dire
celui qui fonde. Qui plus que Jésus est capable
par son autorité de « fonder » et « d’augmenter »,
dans le sens de la « re-création », une personne
blessée par la vie et les outrages ? En vérité,
comme le dit la Congrégation romaine pour les
Instituts de Vie consacrée et les sociétés de vie
apostoliques, et qui est valable pour nous tous,
« l’autorité est appelée à promouvoir la dignité de
la personne, prêtant attention à chaque membre
de la communauté et à son cheminement de
croissance, faisant don à chacun de sa propre

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estime et de sa propre considération positive,
nourrissant envers tous une affection sincère,
gardant avec discrétion les confidences reçues ».

Pour conclure
Au regard de l’analyse des textes, le départ du
Père Joseph Bassitome apparaît finalement
comme la conséquence d’une autorité défaillante,
une autorité qui n’a pas su « l’augmenter » ni le
« fonder » et ce, au regard de l’autorité même du
Christ, bon pasteur. Il n’y a pas à en rougir. La
faiblesse est humaine. Et la grâce de Dieu est là
pour nous relever. L’autorité défaillante peut
donc être rétablie dans le Seigneur, à condition
de le vouloir et de le rechercher par une vie
centrée sur la volonté de Dieu et non sur notre
propre volonté. Comme l’écrit Saint Paul à
Timothée, l’exercice de l’autorité inspiré de Dieu
doit aider (tous les prêtres en Afrique), à « mener
notre vie dans la tranquillité et le calme, en toute
piété et dignité » (1Tm 2, 1-2).
Les prêtres, en Afrique, ont soif d’amitié,
comme celle que Jésus évoque au soir du Jeudi
Saint. Une amitié de confiance, de respect
mutuel, d’attention mutuelle, qui valorise les
charismes, et qui ne remet nullement en cause
les niveaux de responsabilité et leur sens
théologique. Une telle attente n’est pas

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antiévangélique, mais bien évangélique (Jn 15,
15).
En communication sociale, lorsque le dialogue
est rompu entre acteurs et partenaires sociaux,
entre « amis », il faut pouvoir susciter de
nouvelles médiations susceptibles de renouer le
lien fragilisé. Dans le sens de Jn 10, 11-15, en
cette période de marche synodale, le défi pastoral
dans le diocèse d’Aného (et ailleurs où c’est le
même cas), devrait être d’utiliser toutes les
médiations possibles, y compris celle du Pape
François, comme ce fut déjà le cas pour quelques
prêtres dans le monde, pour tendre humblement
la main au Père Joseph Bassitome avec
bienveillance et amitié, lui qui est « parti sans
partir », et sur qui ne pèse aucune sanction selon
le droit canon. Il demeure notre frère. Nous
avons en partage avec lui le sacrement de
l’Ordre. C’est largement suffisant pour nous
mettre en chemin… vers lui, afin qu’aucun de
ces petits que le Père nous a donnés ne soit
perdu (Mt 18, 12).
Puisse Dieu nous venir en aide.

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Prière à Notre Dame du Sacerdoce
Vierge Marie,
Mère du Christ Prêtre,
Mère des Prêtres du monde entier,
Vous aimez tout particulièrement les prêtres,
parce qu’ils sont les images vivantes
de Votre fils unique.

Vous avez aidé Jésus par toute Votre vie


terrestre,
et vous l’aidez encore dans le Ciel.
Nous vous en supplions, priez pour les Prêtres,
Priez le Père des cieux
pour qu’il envoie des ouvriers à sa moisson.

Priez pour que nous ayons toujours des Prêtres


et des Évêques,
qui nous donnent les sacrements,
nous expliquent l’Évangile du Christ,
Et nous enseignent à devenir de vrais enfants de
Dieu.

Vierge Marie, demandez vous-même à Dieu le


Père,
Les prêtres et les évêques dont nous avons tant
besoin,
Et puisque votre cœur a tout pouvoir sur lui,
Obtenez-nous, ô Marie,
des prêtres et des évêques qui soient des saints.
Amen.

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Francis BARBEY
Prêtre du diocèse de San Pedro-en-Côte d’Ivoire
Spécialiste des Sciences de la communication
sociale
Auteur d’une vingtaine d’ouvrages dont : L’Église-
famille de Dieu en Afrique à l’épreuve de la
xénophobie, du tribalisme et de l’autoritarisme ;
Communication pastorale en Afrique ; Éloge de la
foi chrétienne ; L’Église et la modernité ; Frères en
Dieu et en humanité ; Et si Dieu aimait les Noirs ?
L’Église et la politique en Afrique.

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