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INTRODUCTION GENERALE

CONTEXTE D’ETUDE ET MOTIVATION

Défendre la résurrection devrait être une épreuve herculéenne à laquelle se serait


adonné l’évangéliste Jean. Les contemporains de Jésus et particulièrement ses disciples ne
s’imaginent pas le Messie tant attendu, roi des Juifs et libérateur du peuple encore sous
domination étrangère, leur annoncer sa souffrance, sa mort et sa résurrection. Jean 20 s’inscrit
dans ce contexte de la résurrection de Jésus-Christ, avec ses multiples apparitions aux
disciples et ses implications telles que le témoignage, l’incrédulité et la foi. Toutefois,
l’évangéliste Jean met un accent tout particulier sur l’un des disciples de Jésus-Christ, à qui il
fait porter tout le poids de l’hésitation, aussi bien des autres disciples que du reste du peuple
juif, à croire en la résurrection de leur maître.

En effet, Thomas Didyme est l’un des personnages les plus redoutés dans l’histoire de
la Bible et du christianisme. Un surnom lui colle à la peau : Thomas l’incrédule ! Sans doute,
l’évangéliste a une opinion contraire de Thomas. Devant les menaces de l’autorité romaine de
cette époque, la crainte des Juifs et surtout la montée exponentielle des pensées
philosophiques grecques, l’attitude de Thomas devrait lever toute équivoque quant à la réalité
de la résurrection de Jésus le Crucifié. Jésus le Crucifié est vraiment ressuscité grâce à
l’expérience sensorielle de Thomas. Les apôtres peuvent enfin croire et témoigner.

Cependant, en dépit des nombreux témoignages, notre incompréhension persiste. Cette


incompréhension n’est pas une ignorance du caractère messianique de Jésus, mais plutôt une
incapacité de comprendre la nécessité de sa résurrection. Elle se révèle également comme une
impatience à voir notre situation, en tant que chrétien africain s’améliorer après des siècles de
christianisme.

Dans notre communauté ecclésiale, la péricope de Jean 20 crée la confusion dans les
esprits des paroissiens. Selon certains responsables laïcs et même ecclésiastiques, Thomas
l’apôtre crée trop de problèmes dans les églises locales. De plus en plus, les paroissiens
exigent des Pasteurs des miracles, des prophéties et des témoignages pendant le déroulement
des cultes dominicaux avant de croire. Devant le refus de certains ecclésiastiques, nous
remarquons que certaines églises dites institutionnelles, c’est-à-dire celles héritières
d’anciennes traditions1, victimes de leur léthargie, se vident de plus en plus de leurs membres
au profit des églises dites de « Réveil ». C’est le cas de l’Eglise Protestante Méthodiste de
Côte d’Ivoire qui se dépeuple de jour en jour. Selon les statistiques du dernier recensement de
1
M.S. DOSSOU, La Nouvelle Afrique de Jésus-Christ, Sherpa, Yaoundé, 2002, p. 116.

1
l’Agence Missionnaire Ivoirienne (2016-2019), les chrétiens protestants occupent 7% du
territoire ivoirien. Ce pourcentage est nettement inférieur à celui de 2000-2010 qui est de 18%
(voir Annexe 1).

Cette situation nous a amené à réfléchir, dans les années antérieures de notre formation
théologique sur « Le doute comme un chemin vers la foi authentique » (Mémoire de
Licence). Malheureusement, elle n’a pas évolué. Lors de nos différentes assemblées d’églises
en 2015, devant la menace des églises dites de « Réveil », les chrétiens ont insisté sur la
nécessité d’une étude approfondie sur la péricope de Jean 20 et particulièrement sur l’attitude
de Thomas. Telle est notre motivation pour une étude exégétique de Jean 20.

CHOIX DU SUJET

L’annonce de l’Evangile est une parole efficace qui, lorsqu’elle est proclamée dans les
règles de l’art, peut susciter d’avantage la foi, procurer le salut et apporter aux individus une
fondation solide en vue de leur édification. En effet, le problème posé par la contextualisation
de l’annonce de l’Évangile en général et en particulier dans les églises en Afrique ne date pas
d’aujourd’hui. Il a fait l’objet d’études nombreuses et variées. Mais la majorité des recherches
ont été effectuées en dehors du continent africain. Or ce problème prend de nos jours une
actualité particulière qui impose un nouvel examen, surtout en milieu africain. C’est ici que se
justifie l’urgence de notre engagement dans ce travail heuristique à travers l’analyse de
l’Evangile de Jean. Au fond, le récit postpascal de Jean (Jn 20), principalement l’apparition de
Jésus à ses disciples (Jn 20,19-29) pose un problème exégétique et demeure une grande
préoccupation pour l’Eglise contemporaine, surtout africaine ; d’où le choix de notre sujet
intitulé : « La figure postpascale de thomas en Jean 20 : un modele de croissance
spirituelle pour l’émancipation du chretien africain d’aujourd’hui. » Tout au long de nos
analyses, nous tenterons de démontrer comment Thomas a bouleversé la compréhension des
chrétiens de son époque du phénomène de « résurrection » supposée par les ennemis de Jésus
être une ressuscitation2.

DELIMITATION CONCEPTUELLE DU SUJET

Il s’agit dans ce paragraphe de définir le cadre conceptuel de notre sujet. A la fin des
diverses significations que donnent les dictionnaires et des auteurs qui les ont déjà utilisés
dans leurs œuvres, nous retenons celles qui conviennent le mieux à notre sujet.

 Figure

2
L’une des explications les plus à la mode autrefois parmi les incrédules a été celle de la léthargie ou de la mort
apparente de Jésus encore appelée ressuscitation.

2
Etymologiquement, le mot « figure » vient de l’hébreu tabhnit qui veut dire le
contour d’un objet, le plan ou le modèle (1Chr 28,11) et du grec tu,poj (tupos) qui est la
marque produite par un coup, une image (idole) ou un exemple à suivre. Au sens large, la
tradition chrétienne désigne par figures les grands personnages bibliques, principalement de
l’Ancien Testament : Moïse, David, Isaïe ou Jérémie 3. Mais dans un sens restreint, les Pères
de l’Eglise retiennent comme définition la préfiguration du Christ lui-même, puis, par
extension, de l’Eglise4.

Selon le Nouveau Dictionnaire Biblique, au sens figuré, il est employé pour l’image
ou le type. Mais au sens propre, le mot figure est synonyme d’aspect 5. Or, l’aspect d’une
chose ou d’une personne, c’est son apparence ou les faces diverses par lesquelles cette
personne ou cette chose se présente. Dans le cas particulier d’une personne, nous pouvons
parler de son visage. Selon B. GILLIERON6, qui aborde presque dans le même sens que le
Nouveau Dictionnaire Biblique, le mot figure est une marque produite par des coups, en
particulier par des clous plantés (Jn 20,25), une empreinte, une image gravée ou taillée, un
exemple à suivre ou à imiter, et par extension, il se dit : D’un personnage ou d’un événement
de l’AT considéré comme le modèle, le type, la figure représentant par anticipation un
personnage ou un événement du NT7.

Nous retiendrons que dans le cadre de cette étude, le terme « figure » doit être compris
comme les différentes apparences ou attitudes que présente le disciple Thomas dans Jean 20
(Jn 20,24-29) qui pourrait être la préfiguration de l’Eglise dans l’Afrique actuelle.

 Postpascal (e)

L’adjectif postpascal est composé des mots « post » qui est un diminutif de «
postérieur » signifiant qui vient après et « pascal » qui veut dire relatif à la pâque juive ou à
la fête de Pâques. Il détermine donc tout événement, fait ou personne qui vient après la
Pâques. S. M. SCHNEIDERS, dans l’introduction à son article Toucher Jésus le Ressuscité :
Marie de Magdala et Thomas le Jumeau en Jean 20, précise très clairement, en se référant à
M. BORG (1994, 15-17), que :

Je préfère utiliser les termes «prépascal» et «postpascal» pour désigner


respectivement la vie de Jésus avant et après la résurrection. Le terme
traditionnel «Jésus terrestre» peut établir une dichotomie théologiquement
problématique entre le «Jésus de l’histoire» et le «Christ de la foi», et
3
THEO, Nouvelle encyclopédie catholique, Droguet-Ardant/Fayard, Paris, 1989, p. 776.
4
Ibid., p. 776.
5
Nouveau Dictionnaire Biblique, Emmaüs, Saint-Légier, 2002, p.488.
6
B. GILLIERON, Dictionnaire Biblique, Moulin, Aubonne, 1985, p. 82
7
Ibid., p. 82

3
implicitement nier la présence continue de Jésus ressuscité dans l’expérience
historique de ses disciples terrestres contemporains.8

Pour nous également, suivant S. M. SCHNEIDERS, le terme « postpascal » détermine


la figure de Thomas après la résurrection de Jésus (Jn 20,25 ; 28).

 Modèle

Selon le Dictionnaire Encyclopédique de la Bible 9, dans le Nouveau Testament, le


terme « modèle » (tupos) est toujours l’exemple à imiter, et il s’agit de personnes humaines,
soit les apôtres et disciples (2 Thess 3,9 ; Phil 3,17, 1Tim 4,12, Tite 2,7 ; 1P 5,3), soit les
fidèles (1Thess 1,7). Pour B. GILLIERON, ce terme renvoie au concept d’« imitation ». Il
explique que ce dernier, c’est-à-dire « imitation » :

Était courant dans l’antiquité aussi bien chez les éducateurs païens que chez les
rabbins juifs ; l’éducation avait alors pour but d’amener le disciple à s’inspirer
du comportement de son maître ; repris surtout dans les écrits pauliniens, ce
thème sert à exhorter les croyants à prendre exemple sur leurs devanciers pour
conformer leur propre existence à l’Evangile de JC10.

Quant au Dictionnaire Larousse, il le définit comme ce qui est donné pour servir de
référence, de type. Personne ou objet possédant certaines qualités ou caractéristiques propres
à en faire le type d'une catégorie. Ce qui est donné pour être reproduit. Personne citée ou
choisie à titre d'exemple pour qu'on s'inspire de sa conduite. Dans le texte de Jean 20, Thomas
ne reste pas insensible à la réprimande de son Maître (Jn 20,27), il l’accepte et confesse sa foi
(Jn 20,28). La figure postpascale de Thomas comme un modèle reste un léitmotiv d’une foi en
marche. Cette démarche pourrait être pour le chrétien africain un modèle.

 Croissance

Le mot croissance dérive du verbe grec aukô, aukanô, qui signifie augmenter en
nombre, en volume, en étendue, d’où croître, pousser, se développer, se dit d’une graine (Mt
13,30.32), d’une plante qui parvient à maturité (Mt 6,28 ; 1Co 3,6), d’un enfant qui grandit et
d’un homme qui a ou qui prend de l’importance11. D’une manière générale, la croissance est le
développement progressif d’un être vivant. On retrouve ce sens dans le Nouveau Dictionnaire
Biblique qui en donne plusieurs exemples tirés des épîtres pauliniennes et certains écrits
tardifs du Nouveau Testament :

8
S. M. SCHNEIDERS, Toucher Jésus le Ressuscité : marie de Magdala et Thomas le Jumeau en Jean 20,
Théologiques, vol. 15, n° 2, 2007, In http://id.erudit.org/iderudit/017777ar, p.164.
9
A. WESTPHAL, Dictionnaire Encyclopédique de la Bible : Les choses, les hommes, les faits, les doctrines, «
Je sers », Paris, 1932, Tome 2.
10
B. GILLIERON, Op. Cit., p. 105.
11
B. GILLIERON, Op. Cit., p. 48.

4
Dans les épîtres de Paul, Dieu seul peut faire croître l’Eglise (1Co 3,5-11),
non seulement dans le sens d’une augmentation numérique, mais aussi de
progrès vers la maturité (2Co 9,6-11), et cela par le moyen des ministères
d’édification, sous la direction de Jésus-Christ (Eph 2,20 ; 4,15ss ; Col 2,19).
Le croyant individuel doit croître dans sa foi (2Co 10,15 ; 2Thess 1,3 ; 1Pi
3,18) tandis que sa foi est renouvelée par la Parole qu’est le Christ (Rm
14,1 ; 1Thess 3,10). L’obéissance du croyant dans la communion de la
communauté chrétienne fait croître sa foi (Ph 1,25ss)12.

La démarche de Thomas qui part du « voire pour croire » au « croire » détermine sa


croissance dans la foi. Le chrétien africain peut s’en inspirer pour devenir adulte dans la foi13.

 Spirituel(le)

Du grec pneumatikoj (pneumatikos), l’adjectif « spirituel » est le nom principal, donné


au sens mystique ou typique de l’Ecriture Sainte. Il a été utilisé pour la première fois dans le
Nouveau Testament par l’apôtre Paul, en référence à la nourriture des Hébreux au désert
(manne) qui étaient des tupoi (1Co 10,3-6). Il déclarait que ces événements historiques du
séjour des Hébreux au désert avaient une signification spirituelle, désignant des faits
analogues qui se produisent dans l’Eglise14. Le terme spirituel déterminait aussi les dons
reçus par les chrétiens de Rome (Rm 1,11 ; 7,14). Le terme « spirituel » dans cette étude doit
être compris dans son sens strict, c’est-à-dire ce qui est de la nature de l’esprit ou qui a rapport
à l’esprit.

 Emancipation

L’émancipation est l’action de se libérer ou de s'affranchir d'un lien, d'une entrave,


d'un état de dépendance, d'une domination, d'un préjugé. C’est l’exemple de l'émancipation de
la femme. Ce terme est presqu’inexistant dans la Bible qui emploie plutôt les synonymes qui
sont libération, liberté et affranchissement. Ainsi, comme le soutient B. GILLIERON :

Dans le N.T., la liberté est comprise non comme l’autonomie morale ou


politique de l’homme, mais comme sa libération par JC de tout ce qui
l’empêche d’appartenir à Dieu : c’est pourquoi, parce qu’il a été libéré, le
croyant est devenu l’esclave de Dieu (Rm 6,22) 15.

L’émancipation doit être comprise dans notre exposé comme étant la libération du
chrétien de l’emprise des fausses doctrines qui l’empêche de s’épanouir dans sa vie de foi.

 Chrétien

12
Nouveau Dictionnaire Biblique, Op. Cit., p. 305.
13
B. GILLIERON, Op. Cit., p. 48.
14
F. VIGOUROUX, Dictionnaire de la Bible, Letouzey et Ane, Paris, 1912, p. 1958.
15
B. GILLIERON, Op. Cit., p. 120.

5
Le mot « chrétien » désigne le titre porté par tous ceux qui sont « disciples de
JésusChrist. »16 Les premiers disciples se nommaient eux-mêmes les frères, les fidèles, les
saints, les élus. C’est à Antioche qu’ils furent appelés, pour la première fois, chrétiens. Les
païens et les Juifs les appelaient Nazaréens et Galiléens (Ac. 11 :26 ; 26 :28). Sous son
extension, le mot « chrétien » comprend donc tous les hommes qui sont baptisés et qui croient
au Christ. L’écriture primitive dans les manuscrits grecs était crhstianoi (krêstianoï) ou
creistianoi (kréistianoï) qui a donné le mot cristianoj signifiant « qui professe la religion du
Christ, chrétien »17 ; d’où les transcriptions latines chrestos et christianus pour désigner celui
« qui appartient à l’une des religions issues de la prédication du Christ. »18

De nos jours, est appelé chrétien celui qui, ayant cru au Christ, a reçu le baptême.
C’est un homme éclairé par l’action de la grâce divine. On le voit bien dans Jean 20, Thomas,
transformé par la présence de Jésus-Christ, glorifie désormais le Ressuscité qui s’est révélé à
lui et se confie entièrement (Jn 20,28).

REVUE DE LITTERATURE

En abordant la question du doute et de la foi, nous sommes conscient que nous ne


travaillons pas sur un terrain neutre. Nous avons recensé des divers commentaires de
théologiens dont J. CALVIN19, F. VOUGA20, G. ZEVINI21, J. ZUMSTEIN22 qui ont été
effectués sur notre péricope. La majorité des exégètes ne met pas en relief la part fort
appréciable de Thomas dans l’événement de la résurrection et ses interpellations pour le
christianisme contemporain. Ils se contentent juste de démontrer son incrédulité dans le récit
postpascal de Jean.

C’est le cas de S. Augustin qui après sa conversion s’est souvent référé à la parole
d'Esaïe 7, 9 : Si vous ne croyez pas, vous ne comprendrez pas, pour bâtir sa réflexion sur la
foi. En effet, chez S. Augustin, la foi ou la croyance, c’est-à-dire le substantif fides et le
verbe credere sont équivalents. Cette foi est nécessaire à la compréhension de la vérité.
Adhésion personnelle et consentement reconnu, elle est assentiment aux vérités révélées par
l'Ecriture. C’est pourquoi allègue-t-il que : Même croire n'est pas autre chose que penser en
donnant son assentiment [...]. Quiconque croit pense, et en croyant il pense et en pensant il

16
F. REISDORF-REECE, Encyclopédie biblique, France, CLC, 2011, p. 101.
17
Ibid., p. 2155
18
Ibid., p. 224.
19
J. CALVIN, Commentaire sur le Nouveau Testament, Evangile selon Jean, Texte établi par M.
REVEILLAUD, Labor et Fides, Genève, 1968, Tome II.
20
F. VOUGA, Le cadre historique et l’intention théologique de Jean, Beauchesne, Paris, 1977.
21
G. ZEVINI, Commentaire spirituel de l’Evangile de Jean, Médiapôle, France, 1995.
22
J. ZUMSTEIN, L’apprentissage de la foi. A la découverte de l’Evangile de Jean et de ses lecteurs, Moulin,
Aubonne, 1993.

6
croit [...]. Si elle n'est pas pensée, la foi n'est rien 23. La foi diffère cependant de la
connaissance au sens le plus élevé, car elle doit être complétée par la caritas, don et grâce
divine. 

Si avec S. AUGUSTIN la foi signifie « croire pour comprendre ou comprendre pour


croire », il n’en demeure pas moins qu’elle fait intervenir toujours l’idée du questionnement
dans la recherche de la vérité. Notre sujet trouve ici son prolongement dans la pensée
augustinienne qui sonne comme une esquisse de réponse à la question du rapport entre la foi
et le doute.

S. M. SCHNEIDERS dans Toucher Jésus le Ressuscité : Marie de Magdala et Thomas


le Jumeau en Jean 20, s’intéresse au rôle que joue la corporéité de Jésus dans sa relation avec
les disciples après la résurrection. A travers l’étude de Jean 20, notamment les
commandements contradictoires que Jésus adresse à Marie de Magdala et à Thomas, il
propose de comprendre que la résurrection n’est pas physique mais qu’elle est corporelle. Le
corps du Ressuscité continuerait ainsi de médiatiser sa relation aux disciples, d’une façon qui
est à la fois en continuité et en discontinuité avec la manière dont il le faisait durant sa carrière
pré-pascale24. Il nous faut apprécier cette réflexion de S. SCHNEIDERS dans ce sens que
Thomas veut avoir part lui aussi à sa propre expérience de la résurrection et non en se fiant au
témoignage des autres. L’invitation de Thomas à toucher n’est pas du domaine matériel ou
physique (qui ne peut pas causer ou fonder la foi), mais une invitation qui relève du domaine
de la compréhension spirituelle de la résurrection. Thomas devrait sans doute voir et accepter
ce que la crucifixion signifie vraiment, afin de s’approprier ce que le côté ouvert de Jésus
offre réellement.

Dans son ouvrage, Foi et doute d’un chrétien ordinaire25, J. HEE souligne qu’entre
ceux « qui croient au ciel » et « ceux qui n'y croient pas », nombre de malentendus et de
controverses pourraient bien provenir non seulement de l'ignorance ou de l'indifférence, mais
bien davantage encore de l'écart entre ce que l'on croit et ce que l'on sait. Avant d'envisager
pourquoi et comment croire en Dieu, il conviendrait donc d'analyser de façon critique les
présupposés scientifiques, anthropologiques, métaphysiques qui ont présidé à l'élaboration du
christianisme notamment, et de les confronter aux connaissances actuelles. Pour J. HEE, la foi
en un Dieu unique a une histoire, et contrairement à ce qu'affirment souvent les religions
monothéistes, tout n'a sans doute pas été dit, ou plutôt, paradoxalement, trop a peut-être été dit
sur Dieu ! Une meilleure approche de la création ne permettrait-elle pas de mieux connaître
23
S. AUGUSTIN, Essai sur la prédestination des saints, 2, 5.
24
Sandra M. SCHNEIDERS, Loc. Cit.
25
J. HEE, Foi et doute d’un chrétien ordinaire, Les presses du Midi, Paris, 2016, Tome 1.

7
sinon le Créateur du moins son éventuel « projet » dans lequel l'Homme pourrait trouver sa
place et discerner sa responsabilité ?26 Contrairement à ce que pense J. HEE, la foi en un Dieu
unique ne devrait pas poser de problème à un chrétien. La résurrection de Jésus demeure une
vérité indéniable pour tout chrétien. Or, en matière de résurrection, ce qui prime c’est le
croire. C’est pourquoi, il faut envisager le doute en tant qu’il ne s’intéresse pas à une remise
en cause de l’existence de Dieu, mais il s’interroge sur comment le chrétien vit sa foi en ce
Dieu unique.

Selon J. ELLUL dans La foi au prix du doute : «encore quarante jours…» 27


l’événement de la foi se distingue radicalement du fait de croire. La croyance, sûre d’elle-
même, bavarde et grégaire, fait de Dieu un objet de dévotion. La foi, elle, suppose le doute, un
Dieu personnel qui parle, un cœur qui écoute et qui se manifeste à travers l’inconnu. Jacques
Ellul interpelle les incroyants mais il critique aussi les croyants. Méfiant envers un certain
angélisme œcuménique, il récuse la mode aveugle du bouddhisme en Occident et n’épargne
pas certaines rigidités de l’islam. Car seule la foi épurée peut, selon lui, sauver la révélation de
la religion. Une réflexion tonique et courageuse qui est aussi comme un bréviaire de
l’espérance.28 Avec J. ELLUL, notre réflexion pourrait trouver un écho favorable, car il nous
faut véritablement arriver à faire cette nuance entre la foi et la croyance. Au fond, une foi vive
devrait passée par un examen de certification que lui impose le doute. Bien évidemment, l’on
ne devrait pas occulter l’intervention de l’Esprit de Dieu dans le vécu du chrétien. Ceci permet
peut-être d’éviter le fanatisme ou l’intégrisme de certaines religions.

De nombreux autres auteurs ont traité, d’une manière ou d’une autre, le sujet sous
plusieurs autres aspects. Touefois, nous n’avons pas encore connaissance d’études
approfondies faites sur ce disciple incompris qui a joué un grand rôle dans la propagande de la
Bonne Nouvelle, en dehors de sa Galilée natale. Partant de ce constat, nous avons choisi de
réfléchir sur un aspect tout particulier du paradigme « doute-foi » dans le cadre de l’église
contemporaine, en nous servant de l’exemple de Thomas, disciple de Jésus, tel que présenté
dans le récit de Jean 20.

PROBLEMATIQUE

Faire connaitre le message de la Bonne Nouvelle du royaume de Dieu qu’est


l’Évangile à toute personne, est l’ordre du Christ et doit demeurer une priorité pour le chrétien
africain d’aujourd’hui. Ainsi, le sujet de notre recherche s’inscrit dans les préoccupations

26
https://books.google.cm/books?id=geDD0toeawC&dq=doute+et+foi&hl=fr&sa=X&redir_esc=y.
27
J. ELLUL, La foi au prix du doute : «encore quarante jours…», Hachette, Paris, 1980, p.110.
28
Ibid., p.111.

8
courantes de plusieurs communautés chrétiennes soucieuses de l’édification de leurs fidèles.
En effet, ce sujet implique comme problématique la préfiguration de l’image de Thomas dans
l’Eglise primitive qui peut avoir nécessairement ses répercussions dans l’Eglise
contemporaine en Afrique. En effet, l’on assiste aujourd’hui à la naissance de nombreux
courants religieux. Chacun de ces courants y va avec ses enseignements. Malheureusement,
ces enseignements ne contribuent pas tous à l’édification des chrétiens.

De plus en plus, certains chrétiens en Afrique réclament des miracles dans leur vie
avant de croire malgré tous les témoignages révélés par les Saintes Ecritures. Ils deviennent
ainsi des chrétiens facilement manipulables et dont la foi reste manutentionnée au grand
bonheur de certains responsables religieux. Dans cet élan, ils sont fascinés et attirés par des
enseignements prometteurs auxquels ils croient avec force. Nous assistons à un exode de
certains chrétiens vers les églises « faiseurs » de miracles. Ces chrétiens abandonnant leurs
communautés d’origine. Malheureusement, il y a un risque, celui de la mise en veilleuse de la
résurrection de Jésus-Christ comme fondement de la foi au profit d’un discours qui fait de
plus en plus place à la personne du prédicateur.

QUESTIONS DE RECHERCHE

 Question principale

En quoi la figure postpascale de Thomas peut-elle être un modèle de croissance


spirituelle pour le chrétien africain d’aujourd’hui ?

 Questions secondaires

 La figure de Thomas telle que présentée en Jean 20 peut-elle aider le chrétien africain
à grandir dans la foi ?

 Quel rapport établir entre la figure de Thomas et le chrétien africain d’aujourd’hui ?

 Quelles pistes d’orientation pour aider le chrétien africain à grandir dans la foi à la
lumière de la figure de Thomas en Jean 20 ?

HYPOTHESES

 Hypothèse principale

La démarche de Thomas en Jean 20 pourrait aider le chrétien africain à grandir dans la foi.

 Hypothèses spécifiques

9
 La figure de Thomas en Jean 20 servirait de modèle de croyance dans les Eglises en
Afrique aujourd’hui.

 Le « voir pour croire » tel que présenté en Jean 20 pourrait être un aspect de la
croyance africaine.

 Le doute et la confession-cri de Thomas sont des éléments essentiels pour la


compréhension de la foi chrétienne en Afrique.

OBJECTIFS

 Objectif principal

Etudier les déterminants qui poussent Thomas en Jean 20 à voir avant de croire.

 Objectifs spécifiques

 Amener les chrétiens africains à percevoir, à l’aide d’une démarche scientifique29,


comment le doute participe à la bonne santé de la foi du chrétien.

 Montrer le vrai visage de Thomas dans le récit de Jean 20.

 Etablir le rapport entre le Thomas postpascal et le chrétien africain d’aujourd’hui.

INTERETS DU SUJET

Notre sujet revêt un triple intérêt. D’abord, pour le Nouveau Testament, cette étude
permettra de reconsidérer l’attitude de Thomas taxé d’incrédule par certains critiques. Notre
devoir de chrétien et de chercheur est de mettre au service de nos coreligionnaires et toutes
autres personnes désireuses, une réflexion qui, pour rigoureuse qu’elle se propose d’être, n’en
est pas moins, au service de la foi chrétienne et de la recherche scientifique. Notre travail
veut offrir au monde scientifique et spécifiquement aux chercheurs en Nouveau Testament de
nouvelles pistes de réflexion qui pourraient aider à la compréhension de la relation entre la foi
et le doute dans le contexte africain d’aujourd’hui.

Ensuite, il est une interpellation de l’Eglise africaine contemporaine sur la nécessaire


appropriation des méthodes exégétiques comme un moyen fiable d’interprétation d’un texte
biblique. Enfin, au plan sociologique, il favoriserait la création de communautés solidement
enracinées dans la connaissance de la foi chrétienne et difficilement influençables par les
nouvelles et les nombreuses fausses doctrines véhiculées ici et là dans nos sociétés actuelles.

29
Il s’agit bien évidemment de la nécessité de l’exégèse comprise, ici, comme un acte d’interprétation et
d’appropriation des textes bibliques pour une saine compréhension de l’idée d’inspiration des saintes Ecritures.

10
METHODOLOGIE DE TRAVAIL

Pour ce travail, nous avons utilisé, de prime à bord, les démarches de l’exégèse
historico-critique30. Dans cette démarche, deux opérations sont nécessaires : une opération sur
la forme qui a consisté en l’analyse grammaticale et sémantique des mots grecs contenus dans
tout le texte de Jean 20, et une autre sur le fond par le biais de la critique textuelle. A la suite
de ces deux opérations, nous avons adopté un texte grec qui soit plus proche du texte grec
original. Ce dernier a été traduit en français dynamique. La méthode historico-critique a
permis également une lecture du message biblique, laquelle lecture ne s’est pas concentré sur
le message spirituel du texte de Jean 20, mais plutôt sur le message primitif, c’est-à-dire ce
que l’écrivain biblique a voulu dire. De plus, à travers la méthode historico-critique, le présent
travail met l’accent sur l’interprétation et l’appropriation de Jean 20 pour une saine
compréhension de la figure postpascale de Thomas. De cette lecture historico-critique, se sont
dégagées des pistes théologiques et herméneutiques.

Ensuite, nous avons fait usage des techniques d’enquête documentaires basées sur
l’observation indirecte à travers les documents dans certaines bibliothèques (UPAC, UCAC,
UPAO, UCAO, Bibliothèques nationales, N’Goya, et autres) notamment dans les ouvrages
spécifiques, des thèses, des articles, des sites internet ou intranet, et des matériaux
électroniques. Outre la lecture exégétique et la recherche documentaire, nous avons fait
recours à la méthode inductive. Cette démarche nous a permis de partir du particulier qui est
le texte de Jean 20, pour arriver au général, c’est-à-dire l’enseignement qu’il donne. Pour les
travaux sur le terrain, nous avons élaboré un guide d’entretien de type questionnaire écrit.
Nous avons disposé de 24 questions qui tournent autour de la figure postpascale de Thomas
en rapport avec le chrétien africain. Ainsi, nous avons utilisé l’entretien individuel avec les
responsables religieux, les enseignants, des hommes et des femmes.

Quant à la structuration du questionnaire, nous avons disposé de 13 questions


relativement faciles sur le doute. Sur le plan pratique, parlant de l’échantillonnage, nous avons
distribué 150 questionnaires à des jeunes, des femmes, à des étudiants pasteurs, et à certains
chrétiens de l’Eglise Protestante Méthodiste de Côte d’Ivoire. Lors de la collecte des
données, nous avons recueilli 61 questionnaires sur les 150 questionnaires distribués, soit un
pourcentage de 40,66%. Les conclusions ont donné lieu à des constats et des critiques liées à
la compréhension de la figure postpascale de Thomas à la lumière de l’étude exégétique du
texte, préalablement élaborée, pour une contextualisation du thème en milieu africain. De
30
Méthode de l’exégèse diachronique, qui se veut scientifique et dont les débuts remontent au XVIIè siècle avec
les auteurs tels que B. SPINOZA, R. SIMON. Deux opérations sont nécessaires dans la méthode historico-
critique : une opération sur la forme et une autre sur le fond par le biais de la critique textuelle.

11
cette méthodologie, nous sommes arrivé aux résultats que nous présentons ci-dessous selon la
subdivision du travail.

PLAN DU TRAVAIL

Encadrée par une introduction et une conclusion générales, notre étude est structurée
en trois parties composées de deux chapitres chacune. En début de chaque partie et chaque
chapitre, nous avons une introduction au terme de laquelle une conclusion est faite en guise de
transition à la partie et au chapitre qui suivent. La première partie est consacrée à l’étude
exégétique de Jean 20. Le chapitre premier est une présentation de l’évangile de Jean et du
personnage de Thomas. Il donne une vue globale sur cet évangile qui est le texte de base et
Thomas, l’un des objets de notre recherche. Le deuxième chapitre concerne l’analyse
exégétique proprement dite. Il est ici question de procéder aux critiques textuelle et littéraire
de Jean 20 en utilisant le texte grec de la 28è édition du Novum Testamentum.

La deuxième partie est intitulée : Du doute à la foi : un principe libérateur en Jean 20.
Le chapitre troisième, consacré à la réflexion théologique et herméneutique de Jean 20,
propose un commentaire du texte qui tient compte d’un certain ordre chronologique qui
permet de dégager les grands axes théologiques et de poser les bases d’une herméneutique du
texte. Le chapitre quatrième pose le doute comme principe libérateur, à partir de l’analyse de
quelques évidences dans le Nouveau Testament, et établit un rapport entre la foi et le doute.
La troisième partie présente la figure postpascale de Thomas en Jean 20 comme un modèle de
croissance spirituelle pour le chrétien africain. Le chapitre cinquième parle de la résurrection
de Jésus comme le phénomène déclencheur du doute et de la foi. Il se veut un exposé sur le
phénomène de la résurrection de Jésus et sa compréhension dans la croyance africaine afin
d’esquisser une interprétation de certains enjeux majeurs pour l’Eglise africaine
d’aujourd’hui. Le chapitre sixième suggère des perspectives pour une croissance spirituelle du
chrétien africain d’aujourd’hui à la lumière de la figure postpascale de Thomas en Jean 20 qui
peuvent aider le chrétien à progresser dans sa marche de foi au quotidien.

12
PREMIERE PARTIE :
ETUDE EXEGETIQUE
DE JEAN 20

INTRODUCTION PARTIELLE

La première partie de ce travail présente respectivement l’Evangile de Jean, texte de


base dans lequel notre péricope est extraite, et le disciple Thomas, personnage autour duquel
ladite réflexion est bâtie. La présentation s’ouvre sur une approche exégétique.

En effet, par l’exégèse, nous allons faire ressortir dans le texte tout ce qu’il contient
comme les pensées, les attitudes, les présupposés et tout ce qui a été exprimé par le rédacteur
de Jean 20 dans son contexte linguistique, culturel, historique, religieux, politique à travers la
13
méthode historico-critique. Cet exercice consiste à repérer les versets qui posent des
problèmes textuels et à les discuter avec les différentes variantes qui sont proposées, sur les
plans verbal, externe et interne. Ensuite, ayant adopté un texte final produit de la critique
textuelle, nous allons l’analyser, au niveau grammatical et lexicologique, avant de proposer
une traduction afin de procéder à la critique ou analyse littéraire de notre texte de base.

Cette première partie veut répondre aux questions cruciales telles que la réalité de la
résurrection de Jésus, l’incrimination de Thomas et autres qui se dégagent du texte de Jean 20.
L’objectif visé est celui d’amener les chrétiens africains à interpréter le message biblique à
partir d’une démarche scientifique.

CHAPITRE PREMIER :
PRESENTATION DE L’EVANGILE DE JEAN ET DU PERSONNAGE
DE THOMAS

Ce chapitre consacré à la présentation de notre évangile de base, le quatrième évangile


et du personnage de Thomas nous permet de défricher le terrain sur lequel notre travail
heuristique est bâti. Presque tous les aspects du quatrième évangile et du disciple Thomas sont
abordés dans cet exposé.

14
I.1.1. APERÇU INTRODUCTIF DE L’EVANGILE DE JEAN :
L’EVANGILE ET SES DESTINATAIRES

Dans cette première section de la présentation de notre évangile de base, nous


présenterons respectivement les rapports entre Jean31 et les évangiles synoptiques, son arrière-
plan religieux et ses destinataires.

I.1.1.1. Jean et les Synoptiques

Il y a une forte tendance de certains exégètes à affirmer que l’auteur du quatrième


évangile connaîtrait bien les Synoptiques, et qu’il les aurait utilisés comme ses sources. Sur la
question des sources, nous y reviendrons dans les derniers paragraphes de ce chapitre. Les
traits caractéristiques d’un rapprochement entre le quatrième évangile et les Synoptiques
semblent ne pas être très consistants pour affirmer la thèse précitée. Nous pouvons le
remarquer dans la mise en commun des trois premiers évangiles sous l’appellation de
Synoptiques, c’est-à-dire qui regarde dans la même vision. C’est ce qui fait dire à P. NSECKE
que : L’évangile de Jean ne fasse pas partie des synoptiques, cela montre qu’il affiche une
autonomie certaine par rapport à ces derniers. Pourtant, la tradition de cet évangile est tout
aussi ancienne32.

Toutefois, s’il est établi, du moins de fait, que Jean et les Synoptiques ont des
différences très importantes, il n’en demeure pas moins qu’ils donnent l’impression d’avoir
utilisé les mêmes matériaux pour leurs compositions. Nous montrerons dans un premier volet
en quoi sont-ils différents et dans un second volet en quoi peut-on les rapprocher.

Les différences entre les Synoptiques et Jean sont très importantes. Selon F. BASSIN :
Ce qui frappe surtout le lecteur, ce sont les différences manifestes entre les évangiles
synoptiques et le quatrième évangile 33. Cette confirmation nous amène donc à étudier ces
différences qui pourraient se situer au niveau géographique, au niveau chronologique et au
niveau du contenu. Du point de vue géographique, le ministère terrestre de Jésus s’est déployé
dans le quatrième évangile à Jérusalem (2,13 ; 5,1 ; 7,10 ; 10,22) où il a effectué plusieurs
missions en compagnie de ses disciples. Jean évoque encore une mission de Jésus qui quitte la
Galilée pour la Judée (Jn 2,13-4,3). Quant aux Synoptiques, il concentre toutes les activités de

31
Nous signalons que dans le cadre de cette étude, nous emploierons le terme Jean, non pour désigner l’auteur du
quatrième évangile, mais l’évangile lui-même.
32
P. NSECKE, La place de Jean 21 dans le quatrième évangile et la pertinence de la figure de Pierre, Thèse de
Doctorat, FTPSR/UPAC, Yaoundé, 2009, p. 1, Inédit.
33
F. BASSIN, F. HORTON, A. KUEN, Introduction au Nouveau Testament : Evangiles et Actes, Emmaüs,
Saint-Légier, 1990, p. 26.

15
Jésus en Galilée, sa ville natale, avant son départ à Jérusalem pour subir l’épreuve finale.
Chronologiquement, trois voyages de Jésus à Jérusalem pour participer à la fête de Pâques
sont énumérés dans Jean (2,13 ; 5,1 ; 11,55) tandis que les Synoptiques parlent d’une seule
participation de Jésus à cette fête (Mt 26,17-29 ; Mc 14,12-31 ; Lc 22,17-23). La différence
entre les Synoptiques et Jean dans le nombre de fois où Jésus est monté à Jérusalem a peut-
être eu des répercussions sur la durée du ministère terrestre de Jésus. NSECKE répond pour sa
part que :

Les synoptiques présentent un ministère public d’environ un an se déroulant


principalement autour du lac de Galilée et s’achevant, de manière tragique,
lors de l’unique montée de Jésus à Jérusalem à l’occasion de la Pâque. Par
contre, le ministère du Jésus johannique dure trois ans, avec quatre pâques à
Jérusalem34.

Cette différence chronologique a impacté l’ordre de certains événements rapportés par


les Synoptiques et Jean. Nous pouvons relevés deux épisodes qui sont frappants :

Jean ne situe pas au même moment que les autres évangiles le récit de la
purification du temple (Jn 2, 13-22), ou celui de l’onction à Béthanie (Jn 12,1-
8)… En ce qui concerne l’épisode des vendeurs chassés du temple, on peut
admettre à la rigueur qu’il y ait eu deux événements assez semblables, l’un au
début, l’autre à la fin du ministère de Jésus. Autrement dit, il faut supposer
que le récit a été déplacé dans l’une ou l’autre tradition, ce qui est assurément
le cas de l’épisode de l’onction35.

Il est clair que la différence temporelle est très accentuée entre les Synoptiques et Jean.
Qu’en est-il alors du contenu ? Du point de vue du contenu, l’évangile selon Jean renferme
plus de discours, d’entretiens entre Jésus et ses auditeurs que d’actions. Nous pouvons noter
par exemple le fameux discours d’adieu qui part du chapitre 13 jusqu’au chapitre 17. De ces
discours, J. ZUMSTEIN révèle que ce sont :

De larges complexes argumentatifs assez homogènes, avec une grande unité


de contenu. Il s’agit de discours christologiques qui culminent dans les
célèbres déclarations en « Je suis » (ego eimi) et dont l’intention est de
formuler la signification de la venue du Révélateur dans le monde 36.

Les actions qui sont communes aux Synoptiques et à Jean sont très peu (exemple de
l’action contre le Temple). En outre, au nombre des nombreux miracles de Jésus rapportés par
les Synoptiques dont seize (16) chez Matthieu, quinze (15) chez Marc et dix-huit (18) chez
Luc, Jean ne retient que sept (07) miracles qu’il qualifie d’ailleurs de signes. Mais F.
BASSIN va encore plus loin pour réduire le nombre de miracles opérés par Jésus dans le

34
P. NSECKE, Op. Cit., p. 9.
35
F. BASSIN, F. HORTON, A. KUEN, Ibid., p. 27.
36
J. ZUMSTEIN, « L’évangile selon Jean », dans Daniel Marguerat, (dr), Introduction au Nouveau Testament,
son histoire, son écriture, sa théologie, Labor et Fides, Genève, 2001, p. 346.

16
quatrième évangile lorsqu’il affirme que : Des vingt-neuf miracles rapportés dans les trois
premiers évangiles, Jean n’en a retenu que deux : celui des pains et la marche sur les eaux 37.
Dans ce même élan, il soutient également que :

La liste est longue, d’une part des passages synoptiques qui ne figurent pas
dans le quatrième évangile, et d’autre part des textes de celui-ci sans
parallèles en Matthieu, Marc ou Luc. Même dans les passages plus ou moins
parallèles (correspondant à Jn 1,23.26-27 ; 4,46-54 ; 6,1-13.16-21.2225.67-
69 ; 12,1-8.12-19 ; 13,21-30.36-38 ; 18,1-11.15-18.26-27.28 ; 19,16.17-
30.42 ; 20,13-23), Jean conserve sa manière propre. On relève en particulier
l’absence presque totale d’enseignements eschatologiques dans le quatrième
évangile38.

Malgré ces différences de tailles relevées aussi bien dans le cadre géographique,
temporel que du point de vue du contenu, il existe tout de même quelques ressemblances entre
les Synoptiques et Jean. Quelques récits parallèles, tels que ceux de la guérison du paralytique
de Béthesda (Jn 5,8 ; Mc 2,9), la multiplication des pains (Jn 6,1-21 ; Mc 6,30-52), et
l’onction à Béthanie (Jn 12,1-8 ; Mc 14,3-9), constituent le lot de ressemblances entre les
Synoptiques et Jean. Cependant, certains exégètes ont pensé que Jn s’est inspiré de la tradition
synoptique en général, et de Marc en particulier. F.-M. BRAUN fait allusion à quelques
citations communes à Jean et aux Synoptiques :

Abstraction faite de XII, 13 et XVI, 22, qui ne sont pas données formellement
comme des écritures, mais qu’il fallait néanmoins mentionner, nous venons
d’analyser dix-neuf citations johanniques proprement dites. Etant donné qu’à
plusieurs endroits, elles comprennent plus d’un texte, ce nombre devrait être
légèrement majoré. Comparativement aux Synoptiques, il demeure malgré
tout fort bas : la liste établie par Westcott et Hort totalise cent une références
bibliques au compte de Matthieu, cinquante-six à celui de Marc, quatre-
vingt-six à celui de Luc. De plus, les citations johanniques ne se rencontrent
qu’exceptionnellement avec les autres : cinq seulement leur sont communes. 39

La comparaison dont parle F.-M. BRAUN concerne les passages de l’Ancien


Testament contenus dans les quatre évangiles. A bien le suivre, on se rend à l’évidence que
Jean révèle une certaine spécificité qui le différencie des Synoptiques. Il compte dix-neuf (19)
citations en propre en références aux Ecritures et cinq seulement en commun avec eux. Ce
point de vue, d’une indépendance de Jean vis-à-vis de la tradition synoptique, est également
défendu par P. GARDNER, F.C. GRANT, C.H. DODD et d’autres chercheurs. Ceux-ci
pensent que les indications de dépendance sont très minimes et pauvres ; les parallèles
peuvent avoir d’autres explications, et les différences dans la matière commune sont plus

37
F. BASSIN, F. HORTON, A. KUEN, Op. Cit., p. 27.
38
Idem.
39
BRAUN F.-M. Jean le théologien : les grandes traditions d’Israël et l’accord des Ecritures selon le quatrième
évangile, Librairie Lecoffre / J. GABALDA et Cie, Editeurs, Paris, 1964, p. 23.

17
significatives que les ressemblances. Ils concluent qu’il n’existe pas de conflit réel entre les
différentes compositions, car les parallèles signifient que Jean et les synoptiques auraient
connu la même source. Au total, les ressemblances, dont il est question ici, ne concernent
qu’une petite partie de toute l’œuvre de Jean, mais aussi aux souvenirs de deux témoins
oculaires et auriculaires des mêmes événements.

Nous ne saurions trancher définitivement cette question de rapport entre Jean et les
Synoptiques, puisque les recherches se poursuivent et les critiques s’activent pour trouver une
solution qui pourrait concilier les différentes positions. Que dire de l’arrière-plan du
quatrième évangile ?

I.1.1.2. L’arrière-plan religieux de Jean

Tout écrit, qu’il soit profane ou religieux, naît dans un milieu précis et à un moment
donné de la vie d’un peuple. Il tient naturellement aussi compte des aspirations de ce peuple.
En effet, le quatrième évangile à l’instar des autres écrits du Nouveau Testament ne déroge
pas à cette règle. La plupart des chercheurs sont unanimes, en considérant le langage
johannique si particulier et des accointances ou parallèles avec d’autres milieux religieux,
pour établir un arrière-plan du quatrième évangile à trois niveaux : le christianisme primitif, le
judaïsme palestinien et les courants philosophico-religieux.

De prime à bord, le christianisme primitif est considéré comme le premier milieu qui a
nourri le langage johannique et son univers de représentations. Jean aurait été inspiré par la
matière narrative (récits de miracles et histoire de la Passation), les « logias » intégrés dans
les dialogues et les discours (par exemple les paroles en « Je suis »), les titres christologiques
ou l’hymne au « logos » (1,1-18) 40. Ensuite, certains chercheurs, comme E. COTHENET, ont
découvert dans le quatrième évangile un lien étroit avec le judaïsme palestinien en partant de
la crise qui a eu lieu dans la synagogue (Jn 9,22 ; 12,42 ; 16,2). De ce fait :

Certains passages de l’évangile trahissent une étonnante connaissance de la


géographie palestinienne : 4,6 (Sychar) ; 5,2 (Béthesda) ; 18,1 (Cédron). Les
fêtes et les pèlerinages qui en découlent (2,13 ; 6,4 ; 7,2 ; 8,37 ; 10,22 ;
18,28 ; 19,31.42). Les prescriptions de la Torah, en particulier l’observance
du Sabbat (5,9-10 ; 7,2224 ; 9,14.16), sont au nombre des convictions
supposées connues, de même que l’espérance juive (par ex. 1,20ss ;
7,27.42)41.

40
E. COTHENET et al, Les écrits de saint Jean et l’épître aux hébreux (Nouveau Testament 5), Desclée, Paris,
1984, p. 65, in www.googlebooks.org, consulté le 31/01/2018 à 09h20.
41
Ibid., pp. 65-66.

18
Malgré son imbrication avec le judaïsme palestinien, le quatrième évangile garde tout
de même une certaine distance avec ce dernier. La théologie johannique s’intéresse plus au «
logos » devenu chair qui constitue l’élément central de sa christologie. Enfin, au nombre des
nombreux courants philosophico-religieux qui seraient en rapport avec l’évangile de Jean dont
l’hermétisme42, le mandéisme43 et le gnosticisme44, nous n’étudierons que le dernier qui
semblerait être plus proche du quatrième évangile. Les recherches récentes sur les sources de
Jean ont donné lieu à une forte supposition de l’influence gnostique dans le quatrième
évangile. Jean aurait puisé certains éléments comme la lumière dans le gnosticisme pour
construire son œuvre. Mais les preuves d’une telle prétention sont restées introuvables,
d’autant plus que les idées proto-gnostiques développées au premier siècle avaient
relativement peu d’audience, leur connaissance étant très limitée.

Néanmoins, s’il est établi que Jean ait connu la pensée gnostique de son époque, il
n’en demeure pas moins que Jean retourne contre la gnose les termes de la gnose…
L’originalité de Jean c’est, en dernière analyse, de défendre la tradition par les armes de
ceux qui l’attaquent45. Qui sont ceux qui l’attaquent ? L’évangile de Jean serait-il adressé à
ces adversaires ? Qui en sont véritablement les destinataires ?

I.1.1.3. Les destinataires

Le quatrième évangile demeure une véritable énigme pour les chercheurs en étude du
Nouveau Testament presque dans tous ses différents aspects. Si une piste a été au moins
dégagée pour retrouver le milieu johannique, cela n’est toujours pas le cas de ses destinataires.
En effet, contrairement aux Synoptiques pour lesquels les destinataires sont perçus à la lecture
simple des écrits, les chercheurs, dans le cas de Jean, ont procédé parfois à une lecture
interprétative de certains passages ou parfois à des suppositions en tenant compte de l’arrière-
plan religieux. Néanmoins, malgré la controverse qui a pris place chez les critiques, nous
distinguons deux catégories de destinataires : les non-croyants et les croyants.

42
De Hermetica, l’hermétisme est « un ensemble de traités philosophiques et religieux attribués à Hermès
Trismegistes. Il présente un homme double, mortel dans son corps et immortel dans son être essentiel ; le salut
est atteint après la mort par un dépouillement progressif de la nature sensuelle et par l’acquisition de la
connaissance (gnôsis » (F. BASSIN, F. HORTON, A. KUEN, Op. Cit., p.308).
43
De l’araméen manda qui signifie « connaissance », le mandéisme est le contenu de l’enseignement d’une secte
proche-orientale qui prend naissance comme une secte juive baptiste. Il prône un ensemble de croyances et de
rites à la fois baptiste et gnostique. On y retrouve les dualismes lumières-ténèbres (gnose) et bien-mal
(manichéen).
44
Mouvement et doctrine religieux ésotériques des premiers siècles de l’Eglise orthodoxe dont les membres
auraient eu la connaissance du sens profond de la religion et qui a constitué un défi majeur pour le christianisme.
45
P.-H. MENOUD, L’évangile de Jean, d’après les recherches récentes, Delachaux & Niestlé, Neuchâtel/Paris,
1943, p. 67.

19
Les non-croyants repérables dans le quatrième évangile sont ceux qui ne se
reconnaissent pas en Jésus comme leur Seigneur et qui refusent de croire en lui. Nous
pouvons classer dans ce groupe le monde, les Juifs et les partisans de Jean-Baptiste. En ce qui
concerne le monde :

Puisque le verset « Dieu a tant aimé le monde qu’il a donné son propre Fils »
(3,16) est parfaitement connu, la première impression est celle d’une attitude
envers le monde… On a avancé qu’il y a chez Jean identité pratique entre le
monde et les Juifs… Néanmoins le monde est un concept plus large car il
inclut Juifs et gentils sans distinction46.

Le monde dans la pensée johannique est illustrée par l’ensemble de tous les hommes
qui rejettent la lumière et acceptent de vivre dans les ténèbres. La référence aux Juifs n’est pas
trop perceptible dans le quatrième évangile. C’est sans doute la raison qui amène R. E.
BROWN a plutôt penché du côté des autorités synagogales :

Alors qu’on rencontre parfois dans l’Evangile des références non hostiles
aux Juifs, celles aux « chefs des prêtres et scribes » le sont régulièrement.
Sous cette expression, l’écrivain johannique s’attaque probablement aux
autorités synagogales qui avaient suivi les consignes de Jamnia en mettant à
exécution l’expulsion des « déviationnistes »47.

Quant aux partisans de Jean-Baptiste, il est préférable que nous partions d’un certain
nombre de versets qui ne favorisent pas Jean-Baptiste, leur leader :

Jn 1,9 : « Il n’était pas la lumière, mais il devait rendre témoignage à la lumière »

Jn 1,15 : « Jean lui rend témoignage et proclame : Voici celui dont j’ai dit : après moi
vient un homme qui m’a devancé, parce que, avant moi, il était »

Jn 1,25 : « Si tu n’es ni le Christ, ni Elie, ni le prophète »

Jn 3,29-30 : « Celui qui a l’épouse est l’époux ; quant à l’ami de l’époux, il se tient là,
il l’écoute et la voix de l’époux le comble de joie. Telle est ma joie, elle est parfaite. Il faut
qu’il grandisse et que moi, je diminue »

Jean veut démontrer à travers ces versets la prééminence de Jésus sur Jean-Baptiste et
appelle les disciples de ce dernier à croire en Jésus. Comme le remarque R.E. BROWN :

Aucun Evangile synoptique ne présente une attitude aussi circonspecte visà-


vis de Jean-Baptiste ni une telle série de négations. Bien plus, nous avons un
autre témoignage de disciples de Jean-Baptiste qui n’ont pas immédiatement
suivi Jésus. La scène commune à Matthieu (11,2-16) et à Luc (7,18-23), où
Jean-Baptiste envoie quelques-uns de ses disciples demander à Jésus : « Es-

46
R.E. BROWN, La communauté du disciple bien-aimé, (Traduit de l’Anglais par F.M. GODEFROID), Cerf,
Paris, 1990, p. 69. (Lectio Divina).
47
Ibid., p. 73.

20
tu celui qui doit venir ? » suggère qu’il y eut des difficultés au sujet de Jésus
parmi les partisans de Jean-Baptiste48.

Les croyants sont certainement ceux qui pensent croire en Jésus, mais dont la foi est
encore au stade embryonnaire puisque l’une des intentions théologiques de Jean est celle de
convaincre les croyants de devenir chrétiens49, mais aussi les chrétiens de la communauté
johannique eux-mêmes. Dans son interprétation de l’expression « Afin que vous croyiez »
(grec : i[na pisteu,ÎsÐhte), F. HORTON, citant E. COTHENET, observe que :

Le subjonctif présent (hina pisteuête) est attesté par d’anciens témoins


alexandrins, et il concorde mieux avec les habitudes littéraires de Jean qui
construit d’ordinaire hina avec le subjonctif présent (3,15.16 ; 6,40 ; etc.).
En ce cas, il s’agit d’une continuité et d’un progrès dans la foi : l’évangile
s’adresse à des chrétiens déjà initiés50.

En définitive, l’évangile de Jn offre de nombreuses hypothèses pour déterminer ses


destinataires. Ces hypothèses confirment l’existence de deux catégories de personnes
auxquelles l’évangile est destiné à savoir les croyants et les non-croyants. Nous pouvons
conclure avec P. NSECKE, citant P. PACOUTA, que :

Jean s’adresse en premier lieu à des croyants, venus des horizons les plus
divers, qui ont besoin d’être raffermis dans leur foi… Néanmoins, l’évangile
vise aussi des non-chrétiens : Juifs comme Nicodème, Samaritains comme la
femme et les hommes du chapitre 4, païens comme les Grecs que Philippe
amène à Jésus51.

Comme nous le constatons, presque tous les acteurs de l’évangile sont pris pour cible
possible à laquelle l’évangile est destiné. Néanmoins, la question reste ouverte puisqu’aucune
solution définitive n’est trouvée. Faudrait-il peut-être pencher du côté du milieu de production
et de la composition pour avoir une lueur d’espoir ?

I.1.2. MILIEU DE PRODUCTION ET COMPOSITION LITTERAIRE

Dans quel milieu Jean a-t-il été produit ? Quelles sont les dispositions pratiques en
termes de littérature que le rédacteur a prises ?

48
Ibid, p. 77.
49
Ibid, p.68.
50
F. BASSIN, F. HORTON, A. KUEN, Op. Cit., p. 316.
51
P. PACOUTA, Et la parole s’est faite chair : Lectures du quatrième Evangile, L’Harmattan,
Paris/Budapest/Torino, 2005, p. 32, Cité par NSECKE, Op. Cit., p. 20.

21
I.1.2.1. Milieu de production

Dans cette section consacrée au milieu de production, nous évoquerons succinctement


et de manière consécutive les questions du but, de la date et lieu de composition, de l’auteur,
de la communauté et de l’école johannique.

I.1.2.1.1. But, date et lieu de composition de l’évangile

Le but visé par l’auteur du quatrième évangile a déjà été âprement discuté par les
critiques. En outre, dans notre quête de trouver les destinataires de cet évangile, nous avons
identifié son intention qui est clairement précisée dans Jean 20,30-31 : « Assurément Jésus fit,
devant les disciples, de nombreux autres signes qui ne sont pas écrits dans ce livre. Mais,
ceux-ci ont été écrits pour que vous croyiez que Jésus est le Christ, le Fils de Dieu, et pour
qu’en croyant, vous ayez la vie en son nom. » L’auteur de l’évangile selon Jean ne cherche
pas à convaincre son auditoire par la multiplicité des signes ou miracles comme l’ont fait les
Synoptiques. Il donne à comprendre que ce peu de signes contenus dans l’évangile est
suffisant pour proclamer que Jésus est le Christ, Fils de Dieu. En outre, l’histoire et
l’expérience confirment que cet évangile a accompli les deux fonctions : amener les
incrédules à un premier engagement de foi (la conversion), et fortifier, nourrir, la foi de ceux
qui sont déjà chrétiens52.

Par ailleurs, certains chercheurs ont privilégié d’autres buts en dehors de celui que
déclare l’écrivain johannique qui se résument pour l’essentiel en la composition d’une œuvre
complémentaire aux Synoptiques, le combat contre le gnosticisme et la correction d’une
certaine vénération de Jean-Baptiste. Si le but déclaré par l’auteur du quatrième évangile
semble être déterminé, du moins en partie, la date et le lieu de composition présentent encore
des difficultés.

En effet, la tradition ecclésiastique a longtemps pensé que l’évangile est apparu dans la
deuxième moitié du second siècle. Les soutiens de cette hypothèse soulignent l’attestation
tardive de l’évangile selon Jn et certains vont jusqu’à proposer la période de 120-140 pour la
rédaction. Mais aujourd’hui, avec les découvertes récentes, cette théorie semble ne plus tenir
et les chercheurs se tournent vers la découverte à Londres des fragments d’un évangile
inconnu53 au printemps 1935, provenant de la vallée du Nil. P.-H. MENOUD confirme que :

52
F. BASSIN, F. HORTON, A. KUEN, Op. Cit., p. 316.
53
H. IDRIS BELL and T.-C. SKEAT, Fragments of unknown gospel and other early Christian papyri, London,
1935 ; seconde édition, avec quelques modifications de détails dans les lectures et les conclusions des éditeurs
sous le titre : The new gospel fragments, 1935, cité par Philipe – H. MENOUD, L’évangile de Jean, d’après les
recherches récentes, Delachaux & Niestlé, Neuchâtel/Paris, 1943, p. 5.

22
Les paléographes ont unanimement daté ces papyrus de la première moitié du deuxième
siècle. Or, ces fragments contiennent des citations textuelles de l’évangile de Jean. Celui-ci
est donc plus ancien que le nouvel apocryphe54.

C’est dans cette logique que s’est inscrit A. KUEN pour garantir que : Des fragments
de papyrus contenant des versets de Jean ont été découverts en Basse-Egypte. L’un d’eux a
été daté des années 125 à 150. L’Evangile était donc déjà connu et répandu dans ce pays au
début du IIème siècle55. De ce qui précède, nous retenons que les spéculations laissent la place
progressivement à une vision plus claire de la date de rédaction du corpus johannique. P.-H.
MENOUD demeure encore plus optimiste. Pour lui, les nouveaux papyrus, publiés en 1935,
prouvent que le quatrième évangile était connu et répandu aux environs de l’an 100 56. Cette
assertion rejoint celle de O. CULLMANN qui prétend que :

S’il est juste de voir en l’auteur un témoin oculaire, au moins pour certains
événements – ce qu’on ne peut dire d’aucun des synoptiques – je suis plutôt
enclin maintenant, contrairement à mon opinion passée, à considérer la
rédaction initiale de l’évangile comme au moins aussi ancienne, et même
probablement plus ancienne, que celle du plus vieux des évangiles
synoptiques57.

Les hypothèses énumérées ci-dessus, malgré leur plausibilité ne nous permettent pas
de déterminer une date exacte du quatrième évangile, même si nous penchons pour la thèse
selon laquelle l’Evangile aurait été écrit une soixantaine d’années environ après les faits et
que l’auteur serait de ce fait d’un âge très avancé.

Cette incertitude s’avère encore plus importante pour ce qui est du lieu de composition
du quatrième évangile. Les indications de la Judée et de la Samarie ne sont pas à écarter des
hypothèses, en dépit du fait que la plupart des critiques proposent des régions en dehors de la
Palestine de Jésus. Il s’agit notamment de la Syrie, de la Transjordanie, de l’Egypte
(Alexandrie) et de l’Asie Mineure (Turquie actuelle). La radicalité avec laquelle F. HORTON
tranche le problème du lieu de composition ne peut pas laisser le lecteur indifférent. Après
avoir démontré l’unanimité entière de la tradition ancienne de l’Eglise, il conclut que :

Quoi qu’il en soit, l’origine éphésienne s’accorde surtout avec le témoignage


de la tradition ; ni la matière de l’évangile ni celle de l’Apocalypse ne
contredisent celle-ci... Les amateurs de « solutions de rechange » n’ont pas
réussi à fonder leurs arguments sur des indications convaincantes. C’est
pourquoi nous continuons à accepter Ephèse comme lieu probable de

54
P.-H. MENOUD, Op. Cit., p. 5.
55
A. KUEN. Soixante-six en un : Introduction aux livres de la Bible, Emmaüs, Saint Légier, 1998, p. 178.
56
P.-H. MENOUD, Op. Cit., p. 66.
57
O. CULLMANN, Le milieu johannique : étude sur l’origine de l’évangile de Jean, Delachaux & Niestle,
Neuchâtel/Paris, 1975, p. 140.

23
rédaction en tenant compte du témoignage de la tradition qui nous paraît
déterminant58.

Est-ce la fin des recherches sur le lieu de composition de l’évangile selon Jean ?
Suivant F. HORTON, nous serons tenté de répondre par l’affirmative. Toutefois, cette
conclusion paraîtrait hâtive car, fondamentalement, chacune de ces thèses peut s’appuyer sur
des arguments qui ne sont pas dépourvus de valeur ; et l’incertitude qui en résulte s’exprime
dans les différentes tentatives de les combiner entre elles, en supposant que l’auteur aurait eu
plusieurs résidences59. Tel est également notre avis qui laisse les recherches ouvertes. Si les
critiques éprouvent tant de difficultés dans la recherche sur le quatrième évangile, ne sera-t-il
parce que l’identité de l’auteur réel de cet écrit demeure également une difficulté ?

I.1.2.1.2. L’auteur du quatrième évangile

C’est vraisemblablement que, répandu sous le titre d’« évangile selon Jean » dans la
seconde moitié du deuxième siècle, la tradition chrétienne a attribué cette œuvre à l'apôtre
Jean, fils de Zébédée. Ce point de vue a été toujours défendu par certains érudits chrétiens tels
que les premiers Pères de l’Eglise dans ce qu’E. COTHENET, cité par F. BASSIN et autres,
appelle « le dossier traditionnel », qui contient les attestations externes relatives à l’auteur 60.
Mais avant de prendre une quelconque position, force est de regarder dans l’évangile afin de
déceler quelques pistes qui infirment ou confirment la thèse de la tradition.

Les débuts du deuxième siècle ont été marqué par l’utilisation du quatrième évangile
appelé « évangile spirituel » qui aurait influencé la majorité des Pères de l’Eglise. Ainsi, pour
Clément d’Alexandrie (env. 155-216), il ne fait aucun doute que le quatrième évangile soit
composé par l’apôtre Jean. Il reconnaît cet évangile comme le dernier des quatre, et il ajoute
qu’en tenant compte du caractère des synoptiques, « poussé par ses disciples et divinement
inspiré par l’Esprit, il (Jean) fit un évangile spirituel » (H.E.6. 14.5-7)61.

Les défenseurs du point de vue de la tradition, soulignent même que le meilleur


témoignage sur l’auteur du quatrième est celui d’Irénée de Lyon, disciple de Polycarpe de
Smyrne :

Dans son ouvrage « Contre les hérésies », écrit aux environs de 185, il
nomme explicitement l’apôtre Jean comme auteur de cet évangile. Après
avoir parlé de la rédaction des synoptiques, il ajoute : Puis Jean, le disciple

58
F. BASSIN, F. HORTON, A. KUEN, Op. Cit., pp. 347 et 348.
59
O. CULLMANN, Op. Cit., p. 142.
60
F. BASSIN, F. HORTON, A. KUEN, Op. Cit., p. 323.
61
Ibid, p. 324.

24
du Seigneur, celui-là qui avait reposé sur sa poitrine, publia lui aussi
l’évangile, tandis qu’il séjournait à Ephèse, en Asie (Adv. Haer 3.1.1.) 62

Point n’est besoin d’analyser tous les témoignages des Pères de l’Eglise et même celui
du canon de Muratori (170-200) qui affirme clairement que le quatrième évangile est de Jean,
l’un des disciples de Jésus. Ces preuves peuvent être complétées par des indications propres à
l’évangile. Les chapitres 19,35 et 21,24 précisent que celui qui l’a vu en a rendu témoignage
et son témoignage est vrai, et que c’est ce disciple qui rend témoignage de ces choses et qui
les a écrites. Ce qui revient à dire que le témoin oculaire et l’auteur étaient une seule et même
personne. En tenant toujours compte des preuves internes, nous pouvons adopter une autre
démarche :

Nous avons la démonstration classique de Wescott en faveur de


l’identification traditionnelle de l’auteur. Il procède par cercles
concentriques de la circonférence au centre et montre que l’évangéliste était
a. juif, b. juif de Palestine, c. témoin oculaire, d. apôtre, et enfin e. l’apôtre
Jean63.

Or, ni le nom de l'auteur, ni celui de l'apôtre Jean n'apparaissent dans le quatrième


évangile. Aucun texte du livre, du chapitre 1 au chapitre 20, ne fait mention du nom de
l’auteur. Le problème se pose de savoir : à qui faut-il attribuer l’évangile ?

L’existence d’une contre attestation de l’auteur qui serait Jean paraît évidente, en nous
référant premièrement au supposé martyre précoce des deux fils de Zébédée, Jacques et Jean
(avant ou après 70), et à la prophétie de Jésus à leur endroit dans Mc 10,35-45.
Deuxièmement, le silence d’Ignace d’Antioche, en route pour Rome et le martyre écrit une
lettre aux Ephésiens en faisant mention de Paul et ignore Jean reste également une preuve
externe contraire à celle de la tradition. Troisièmement, la thèse traditionnelle qui confère à
Jean la paternité du quatrième évangile est une erreur d’identité, pense-t-on car Irénée aurait
confondu Jean l’apôtre à un autre Jean, le presbytre dont ferait mention Polycarpe. Il est donc
étrange que Polycarpe, qui semble être familier de presque tous les autres livres du Nouveau
Testament, ne semble faire aucune allusion au texte du quatrième évangile64.

Pour la plupart des chercheurs modernes, l'auteur (les auteurs) est un inconnu,
contemporain ou non de Jésus, relevant de la tradition du « disciple bien-aimé », un esprit né
et formé sur le terrain du judaïsme65 ou un certain presbytre nommé Jean, qui serait également
l’auteur des épîtres. Cet auteur inconnu appartiendrait, suivant une hypothèse largement
62
Idem.
63
C.H. DODD, La tradition historique du quatrième évangile, Cerf, Paris, (Lectio Divina ; Trad. De l’Anglais
par Maurice et Simone Montabrut, 1987, p. 28.
64
CH. DODD, Op. Cit., p. 28.

25
partagée par les chercheurs, à une école de théologiens johanniques dont les contours et
l'histoire constituent des objets de débats. P.-H. MENOUD écarte l’attribution d’une partie ou
de l’ensemble de l’œuvre à Jean le presbytre qui n’est connu que grâce à Papias qui fait
mention brève de son nom dans l’un de ses écrits :

Plusieurs fois au cours d’une dispute séculaire, les adversaires de la


tradition ont cru la partie gagnée. Jamais cependant ils n’ont pu apporter la
preuve décisive que l’apôtre Jean ne pouvait être l’auteur des livres qui
portent son nom. On peut dire sans trop s’avancer que les défenseurs de
l’authenticité johannique occupent aujourd’hui des positions plus favorables
qu’au début du siècle, par exemple. Car les recherches récentes tendent à
écarter les obstacles que la critique a dressés sur la voie de l’identification
du « Bien-aimé » avec le fils de Zébédée66.

En dépit de ces affirmations, le débat de l’identification du quatrième évangile, qui a


focalisé l’attention de tous les exégètes, reste un champ ouvert, même si aujourd’hui, il est
mis au second plan. Découvrons plutôt quelles sont la communauté et l’école johannique dont
parlent les critiques modernes.

I.1.2.1.3. La communauté et l’école johanniques

La communauté johannique a fait l’objet de plusieurs travaux. Il en ressort de


nombreuses composantes qui constituent le milieu johannique. Nous avons déjà énuméré
certaines composantes dans le paragraphe concernant ce milieu. Ici, nous nous bornerons à
citer les étapes qui constituent l’histoire de la communauté johannique, en partant du IIe
siècle pour remonter par paliers successifs vers ses origines67. La communauté johannique a,
en effet, traversé au moins cinq périodes principales : La première période est celle de la
réception de la littérature johannique dans le christianisme du IIe siècle ; la deuxième période
est celle des épîtres johanniques et de la réception de l’évangile ; la troisième période
concerne la rédaction finale de l’évangile ; la quatrième période concerne la rédaction de
l’évangile selon Jean et la cinquième période se situe avant la rédaction de l’évangile.

Ces cinq périodes ont été meublées par le vécu des diverses composantes de ladite
communauté qui se sont constituées, comme le souligne P. NSECKE, citant P.
LETOURNEAU :

A l’origine de la communauté, un groupe de Juifs voient en Jésus le Messie


davidique attendu et expriment leur foi selon une basse christologie… Cette

65
P.-H. MENOUD. Jésus-Christ et la foi ; Recherches néotestamentaires, Delachaux & Niestle, Neuchâtel/Paris,
1975, p. 175
66
P.-H. MENOUD, Op. Cit., p. 67.
67
J.-D. KAESTLI, D. MARGUERAT, H. KOESTER et al. La communauté johannique et son histoire.
Trajectoire de l’évangile de Jean aux deux premiers siècles, Labor et Fides, Genève, 1990, p. 359.

26
conception rudimentaire va se modifier lorsqu’un groupe de Juifs opposés au
temple et ayant fait plusieurs convertis en Samarie se joignent à la
communauté. Cette nouvelle orientation catalyse l’émergence d’une haute
christologie de la préexistence, ce qui provoque un vif débat avec les Juifs
orthodoxes qui reprochent à la communauté d’abandonner le monothéisme…
La controverse aboutit finalement à l’exclusion de la communauté hors de la
synagogue, c’est-à-dire du judaïsme. [Avec la dispersion et la conversion de
nombreux non juifs], la conception du salut adopte une perspective
universelle et la christologie atteint sa définition la plus complète grâce au
concept de l’Envoyé, le Fils égal au Père et faisant un avec lui 68.

Quant à l’école johannique, selon toute vraisemblance, elle serait partiellement issue
de la communauté de Jean-Baptiste, particulièrement ceux de ses membres qui entrent en
ligne de compte pour la rédaction de l’évangile 69. Nous n’objecterons pas cette affirmation
d’O. CULLMANN, car l’objectif poursuivi dans ce paragraphe est de signaler l’existence
d’un groupe de personnes qui serait à l’origine de la rédaction du quatrième évangile. Au
fond, la remarque faite sur l’existence d’une diversité d’auteurs du quatrième évangile, nous
amène à supposer, par conséquent l’existence de plusieurs rédacteurs au nombre desquels
figureraient un groupe d’hommes animés par une même ambition. Ce groupe appelé école
johannique travaillerait sous l’autorité du disciple bien-aimé. O. CULLMANN précise que :
Comme ce dernier se situe plutôt en marge du christianisme remontant aux douze et
représenté par la tradition synoptique, il n’est pas surprenant que les noms de ses membres
aient été moins connus70. Qu’il soit de Jean, le fils de Zébédée, de Jean le presbytre ou d’une
école des disciples de Jean-Baptiste, le quatrième évangile obéit à une rigueur littéraire.

I.1.2.2. Composition littéraire

Le quatrième évangile a été composé en tenant compte de plusieurs paramètres


littéraires. Nous citons quelques-uns qui sont traités dans ce paragraphe. Il s’agit notamment
de l’intégrité littéraire, du langage et du style, des sources, de la structure et du plan.

I.1.2.2.1. L’intégrité littéraire de Jean

Face aux nombreuses et très diversifiées interprétations que subit le quatrième


évangile, nous sommes amenés à nous demander si Jean peut constituer une unité littéraire. O.
CULLMANN parle plutôt d’anomalies constatées à l’intérieur de l’évangile qu’il énonce
comme suit :

68
P. LETOURNEAU, « Les écrits johanniques », dans O. MAINVILLE, (dir), Ecrits et milieu du Nouveau
Testament, Médiaspaul, Montréal, 1999, p. 176, Cité par P. NSECKE, Op. Cit., p. 30.
69
O. CULLMANN, Op. Cit., p. 93.
70
Ibid, p. 114.

27
Des versets ou même des chapitres entiers dont la succession n’est pas
logique, certaines singularités dans le style et le vocabulaire de quelques
passages, des divergences dans des concepts et des points de vue
théologiques. Par ailleurs, l’appréciation historique est aussi fort diverse :
certaines indications de l’évangile paraissent provenir de très anciennes
traditions, qui pour une part sont même meilleures, du point de vue
historique, que celles des synoptiques71.

Cette analyse montre très nettement qu’il existe des incohérences qui rendent
complexe l’attestation d’une unité littéraire de Jean. Néanmoins, nous allons rassembler, dans
cette section, certaines hypothèses qui pourraient militer pour une recomposition de l’unité de
l’évangile :

. Le quatrième évangile étant la résultante de distinctes éditions et rédactions, les


narrateurs ne peuvent donc pas s’inscrire dans une logique de progression linéaire. Chacun
d’eux a écrit selon ces aspirations et celles de sa communauté sans tenir compte de l’autre. Ce
qui donnerait lieu aux doubles interprétations dans certains passages.

. Les sources de l’évangile étant diverses, on suppose que certaines sources plus ou
moins bien assimilées auraient été incorporées à l’évangile 72. Dans ce cas, la permanence et
l’existence des nombreuses répétitions et contradictions pourraient se justifier.

. Un échange accidentel des feuillets aurait créé à certains endroits un désordre ; il


serait cependant possible de retrouver la succession originelle, et d’éliminer les difficultés73.

. Enfin, les auteurs se seraient appliqués, chacun à sa manière de décrire le héros de


l’évangile, Jésus de Nazareth depuis son arkê jusqu’à sa montée glorieuse vers le Père. Ce
cheminement nous indique que Jn peut constituer une unité littéraire car en aucun passage
l’identité de Jésus n’a changé : il est le Verbe préexistant, la Parole faite chair.

I.1.2.2.2. Langage et style

Les travaux recoupés des chercheurs en johannisme montrent qu’il y a une diversité de
points de vue sur le langage et le style du quatrième évangile. Par exemple, R. BULTMANN
part des diverses sources et rédactions, et suppose que la source des Semeia et l’histoire de la
Passion auraient été écrites dans un grec fortement teinté de sémitismes, tandis que la langue
originelle des discours de révélation aurait été l’araméen 74. Quant à A. SCHLATTER et K.
BEYER, ils relèvent, en comparant respectivement l’évangile selon Jean aux Midrasch et aux
71
O. CULLMANN, Op. Cit., p. 12.
72
Idem.
73
O. CULLMANN, Op. Cit., p.12.
74
Ibid., p. 43.

28
textes de Qumran, des hébraïsmes. C. F. BURNEY estime pour sa part que le quatrième
évangile est une traduction directe de l’araméen.

Les observations philologiques concernant les accents araméens ou hébraïques (1,12 ;


2,23 ; 3,18 ; 3,21 ; 20,16) montreraient que dans la Palestine ancienne, cette langue était en
usage. Jean l’a sans doute utilisé à un certain moment dans ces écrits pour se faire comprendre
de tous. Le langage johannique est singulier, avec un vocabulaire propre à l’évangile qu’on ne
retrouve guère chez les Synoptiques. Nous notons par exemple les terminologies « aimer », «
connaître », « témoigner », « juger », « le Père », « la vie », « le monde ». C’est cette logique
qui fait peut-être dire à F. HORTON que :

Le quatrième évangile est à la fois simple et profond. La clarté de son langage


le rend attrayant et intelligible au débutant dans la foi chrétienne, en même
temps que ses profondeurs restent insondables pour les croyants les plus
avancés après des années de méditation75.

Certaines expressions sont employées souvent dans un dualisme tel que nous le
retrouvons dans « la lumière et les ténèbres », « amour et haine », « vérité et mensonge ».
Pour comprendre tous ces couples de concepts antithétiques, il suffit de partir du principe
selon lequel ce ne sont que des expressions métaphoriques 76. P. LETOURNEAU explique
que:

Le dualisme johannique est essentiellement l’expression de ce choix qui


opère une séparation bien tranchée dans l’humanité ; il n’y a que deux
options : croire ou refuser de croire. Ce dernier couple antithétique engendre
tous les autres. Celui qui croit est engendré dans le monde d’en haut, il
marche dans la lumière, il se soumet à la royauté du Fils de l’homme, il a
déjà la vie éternelle, il fait la vérité ou le bien. Celui qui ne croit pas reste
prisonnier du monde d’en bas, il avance dans les ténèbres, il obéit au Prince
de ce monde, il se place lui-même sous le verdict de condamnation et va à la
perdition, il préfère le mensonge et fait le mal77.

De plus, le quatrième évangile se caractérise par son style rythmique fait de


parallélismes tel que nous pouvons l’apercevoir dans la poésie hébraïque. L’exemple le plus
frappant est le Prologue dans lequel certains exégètes ont pu déceler le rythme qui se traduit
par des lignes de longueur relativement comparable constituant chacune un accord. On y
trouve également un ton solennel dans les discours de Jésus, inspiré probablement par les
récits prophétiques de l’Ancien Testament, qui atteste que le Jésus johannique a une source
divine.

75
F. BASSIN, F. HORTON, A. KUEN, Op. Cit., p. 294.
76
P. NSECKE, Op. Cit., p. 39.
77
Idem.

29
O. CULLMANN mentionne l’emploi d’expressions à double sens qui est très
caractéristique et correspond exactement à la perspective particulière de l’évangile de Jean
qui englobe dans un même regard la vie de Jésus et l’œuvre du Christ présent dans l’Eglise 78.
L’emploi du parfait est très fréquent et les récits sont le plus souvent alternés par l’aoriste et le
présent historique. La parataxe « kai… kai » (et… et) qui coordonne les phrases est une
spécificité johannique qui permet d’éviter la construction de conjonctions de coordination
parfois très longues et complexes.

En outre, certains procédés sont très frappants dans le quatrième évangile. Nous avons
le discours, le dialogue, les portraits personnels, le prologue. Le discours étant le procédé
littéraire le plus usité dans les écrits antiques, les hagiographes du Nouveau Testament et
particulièrement Jean ne pouvaient pas s’en départir. A. JAUBERT affirme que ce procédé est
très présent dans les écrits johanniques :

Tous les spécialistes – quels qu’ils soient – sont d’accord pour penser que ces
discours portent la marque de l’auteur de l’évangile. Ils ne sont pas la
transcription des paroles littérales de Jésus, encore qu’ils puissent intégrer des
logia (ou paroles) anciens. En particulier le discours après la Cène ou discours
des adieux apparait comme une composition qui groupe plusieurs ensembles 79.

Parfois Jésus utilise le discours pour interpréter les signes ou appliquer ces signes (ch.
6). Mais ces discours peuvent prendre aussi la forme de controverses, dans l’optique de porter,
comme l’indique F. HORTON, de nouvelles révélations sur la personne et l’œuvre de Jésus,
et constituent eux aussi un appel à la foi 80. Tout comme le discours, le dialogue est aussi un
procédé littéraire bien connu de l’antiquité comme des modernes. Les critiques citent comme
références les dialogues de Jésus avec Nicodème (Jn 3,1-21) et avec la femme samaritaine (Jn
4,5-42). La difficulté à comprendre très aisément ces discours fait dire à A. JAUBERT que :
Les dialogues johanniques se rapprochent très probablement des formes habituelles dont se
servait la philosophie populaire de l’époque. Ils utilisent des procédés facilement repérables,
comme par exemple le malentendu81. Nous retrouvons dans cet évangile des portraits vivants
et saisissants82 des acteurs qui se distinguent à travers leurs propos teintés de foi ou
d’incrédulité. F. HORTON en dresse une liste :

Pierre l’impulsif, Thomas le prudent, Judas le traitre, Nicodème le chercheur


honnête, Pilate, homme mondain et faible, Caïphe, homme sans scrupule, la
78
O. CULLMANN, Op. Cit., p. 46.
79
A. JAUBERT, Lecture de l’Evangile selon saint Jean, in Cahiers Evangile Service Biblique Evangile et
Vie/Cerf, Paris, Cahiers Evangile, N° 17, 1976, p. 11.
80
F. BASSIN, F. HORTON, A. KUEN, Op. Cit., p. 297.
81
A. JAUBERT, Loc. Cit., p. 12.
82
F. BASSIN, F. HORTON, A. KUEN, Op. Cit., p. 299.

30
femme samaritaine, pécheresse ouverte à la révélation de Jésus, l’aveugle-né
qui devient un témoin courageux, le paralytique désespéré de la piscine,
l’officier du roi qui agit sur une simple parole de Jésus 83.

Quant au prologue, il est un titre typiquement johannique et unique dans toute la


littérature biblique. L’Evangile johannique est la perle du Nouveau Testament et le Prologue
est la perle de l’Evangile selon Jean, pour paraphraser R. E. Brown. Ainsi le Prologue est-il
reconnu comme le plus important des textes christologiques. Son orientation est théologique
et, en passant du général au particulier, il annonce par anticipation les thèmes qui seront
développés dans l’évangile84.

Le problème de la composition du quatrième évangile demeure un fait indéniable. En


effet, l’œuvre qui, à première vue, frappe par son unité de langue et de pensée, serait
retouchée. Dans la forme, on constate des différences notables entre les parties narratives et
les discours. P.-H. MENOUD pense que les derniers versets du chapitre 20 constituent la
conclusion de l’évangile et perçoit mal le fait que l’auteur en propose une autre au chapitre 21
et s’interroge :

Est-ce quelque rédacteur ou éditeur qui a ajouté cet épilogue à l’œuvre de


l’évangéliste ? Il faut attribuer à une seconde main le verset XXI, 24, qui
parle objectivement de l’auteur, de l’évangéliste. Mais alors, ce verset serait-
il la seule addition ou bien l’auteur de XXI, 24 est-il intervenu dans le corps
de l’évangile ?85

Pour lui, la question trouve son sens parce qu’il existe un manque de liaison entre les
deux épisodes, ce qui constitue, à n’en point douter, des contradictions formelles. P.-H.
MENOUD cite également quelques exemples flagrants :

Jésus baptise (Jn. 3,26) et il ne baptise pas (Jn. 4,2). La foule déclare à Jésus
que personne ne songe à le faire périr (Jn. 7,20), et tel est pourtant le dessein
des Jérusalémites (Jn. 7,25). Pierre demande à Jésus : « Seigneur, où vastu ?
» (Jn. 13, 36), et plus tard Jésus dit à ses disciples : « Aucun de vous ne m’a
demandé : où vas-tu ? » (Jn. 16,5).86

Cette démonstration trouve un écho favorable dans l’œuvre gigantesque de M.E.


BOISMARD et A. LAMOUILLE87, dans laquelle le théologien expose les additions, les
doublets, les textes déplacés contenus dans le quatrième évangile. C’est dans cet esprit que

83
Idem.
84
Idem.
85
P.-H. MENOUD, Op. Cit., p. 10.
86
P.-H. MENOUD, Op. Cit., p. 11.
87
M. E. BOIMARD, et A. LAMOUILLE, L’évangile de Jean, Cerf, Paris, 1977.

31
l’hypothèse des sources a été élaborée par les exégètes afin de déterminer les petites unités
littéraires qui ont permis à la composition de l’évangile selon Jean.

I.1.2.2.3. Les sources, structure et plan

L’Evangile selon Jean, tout comme les précédents évangiles (Marc, Matthieu et Luc),
rapporte la vie et les paroles de Jésus de Nazareth dans le but de transmettre la foi chrétienne.
Cet évangile soulève un très grand nombre de problèmes qui alimentent les plumes de la
critique néotestamentaire moderne. En parlant de ces sources deux hypothèses peuvent être
émises : l’hypothèse de la source unique et l’hypothèse de plusieurs sources.

Pour mieux comprendre l’hypothèse de la source unique, nous allons procéder à


l’étude des analyses de quelques exégètes. En effet, la problématique de la recherche des
sources de Jean, longtemps abandonnée, a été rouverte par S. HIRSCH et R. BULTMANN.

Dans deux de ses ouvrages88 parus en 1936, S. HIRSCH défend la thèse des
compléments qui suppose l’existence d’Evangile primitif vers l’an 100. Selon toute
vraisemblance, cet Evangile primitif serait composé au moyen de plusieurs sources et serait
l’œuvre de Jean le disciple de Jésus. S. HIRSCH pense même que cette œuvre a été recopiée
maladroitement par le rédacteur avec de multiples additions et changements. Ce qui aurait
causé la perte de toute sa noblesse. Cette hypothèse nous paraît trop simpliste lorsque nous
considérons toute la difficulté de la fixation de la date de rédaction de l’évangile de Jean et
l’identification de son auteur qui constituent une tâche herculéenne, laquelle n’a pas encore
trouvé son dénouement. Ce constat a amené F.-M. BRAUN à affirmer que Hirsch se
contentait d’imaginer une pluralité de sources ; BULTMANN entend les identifier89.

Le théologien allemand R. BULTMANN va plus loin que son collègue S. HIRSCH


dans son investigation, mais les grandes lignes qu’ils tracent, en sont presqu’identiques. A
partir du travail du rédacteur du quatrième évangile qu’il juge suffisamment complexe, il
suggère l'existence de trois sources principales basée sur la tradition :

1. Une collection de discours, d’origine vraisemblablement araméenne, où Jésus


se révèle comme l’envoyé de Dieu (Offenbarungsreden). Cette première source, dont les

88
S. HIRSCH, Das vierte Evangelium in seimer ursprünglichen Gestalt verdeutscht und erklärt (Le quatrième
Evangile en sa forme originale) et Studien zum vierten Evangelium (Etudes sur le quatrième Evangile),
Tübingen, 1936.
89
F.-M. BRAUN, Jean le théologien et son Evangile dans l’Eglise ancienne, Librairie Lecoffre, Paris, 1959, p.
10.

32
Odes de Salomon peuvent nous donner quelque idée 90, est caractérisée par le style rythmé, les
antithèses et les morceaux commençant par la formule : Je suis : ,Ego ei,mi.91

2. Une source contenant les miracles ou signes accomplis par Jésus (Shmeia-
Quelle). Nous trouvons la conclusion de cette source dans Jn 20, 30-31.

3. Un groupe de récits dont les sources diverses seraient parallèles aux


évangiles synoptiques, mais indépendantes d’eux. Il s’agit entre autres des récits de la
Passion et de la Résurrection.

Les travaux de S. HIRSCH et de R. BULTMANN, aussi impressionnants qu’ils soient,


ne font toujours pas l’unanimité dans les cercles de la critique moderne. Cet état de choses a
conduit certains exégètes à rechercher des morceaux de compositions du quatrième évangile
dans son arrière-plan religieux. Nous tenterons, ici, d’étudier quelques sources évoquées.

Dans un premier volet, les critiques pensent que Jean se serait appuyé sur la tradition
synoptique pour écrire son œuvre. Cette hypothèse est attestée par M. E. BOISMARD 92 et ses
collaborateurs jérusalémites. M. E. BOISMARD part d’une analyse dans laquelle il propose
quatre sources à l’origine de Jean : un « Document C » (= Jn 1) qui constituait un évangile
complet allant du ministère de Jean-Baptiste jusqu’aux récits d’apparition du Christ ressuscité
et qui ne contenait aucun des grands discours prononcés par Jésus. Le document Jean II qui se
présente comme l’auteur proprement dit du quatrième évangile a rédigé son œuvre en deux
étapes : Jn II-A qui est un complément du Document C avec des « signes » et des discours de
Jésus en ajout et écrit en Palestine. L’auteur de Jean II-A aurait eu recours à la tradition
synoptique ; Jean II-B, écrit en Asie Mineure, est une réorganisation de l’évangile en fonction
de la controverse avec la synagogue, il y a intégré le cycle des fêtes de l’année juive en
mettant l’accent sur les trois fêtes de la Pâque, et il s’est alors servi également des évangiles
synoptiques existants, avant tout de l’évangile de Luc 93. Un troisième auteur post-johannique a
opéré des modifications dans la disposition et des additions dans Jean II-A et Jean II-B.

Malheureusement cette hypothèse a buté contre la farouche opposition de la très


grande majorité des chercheurs qui maintient l’indépendance totale du quatrième par rapport
aux évangiles synoptiques. SOLAGES, porte-parole de cette opinion avance comme raison le

90
P.-H. MENOUD, Op. Cit., p. 15.
91
Ibid., p. 10.
92
M.E. BOISMARD et A. LAMOUILLE. Synopse des quatre évangiles en français, Tome 3 : L’Evangile de
Jean, Cerf, Paris, 1967, Tome III.
93
J.-D. KAESTLI, D. MARGUERAT, H. KOESTER et al, Op. Cit., p. 18.

33
fait que Jean n’aurait pas eu recours aux évangiles synoptiques parce qu’il pouvait, en tant
qu’apôtre et témoin oculaire, raconter de son propre chef 94 les événements qu’il a vécus.

Cette thèse paraît trop simpliste parce qu’on peut être témoin d’un fait et être ébloui
par le témoignage d’autres témoins du même fait si certains aspects nous échappe. Pour nous,
il est vraisemblable, en pesant le pour et le contre des divers arguments évoqués que le
quatrième évangile soit influencé par les Synoptiques. Mais ces dernières ne constituent pas la
principale et seule source de Jean. D’autres sources sont évoquées comme l’utilisation de
l’Ancien Testament par Jean95.

Dans ce second volet, F. HORTON détermine vingt-sept (27) citations explicites de


l’Ancien Testament qui figureraient dans le quatrième évangile. Cette conception pourrait se
comprendre par le fait que Jean lui-même est un Juif « enraciné » dans sa propre culture. La
pensée vétérotestamentaire dans laquelle s’inscrit son œuvre donne un avant-goût des
controverses doctrinales qui auront lieu entre le judaïsme et le christianisme primitif, Jésus
ayant donné le coup d’envoi dans le dialogue qu’il a engagé entre lui et les dirigeants juifs à
Jérusalem. F. HORTON, en citant E. COTHENET, dira :

Dans tous les cas, l’évangéliste semble lire l’Ecriture à partir de la tradition
juive, ou du moins suivant une méthode semblable à celle des homélies
synagogales : l’unité de l’Ecriture lui permet d’expliquer ses textes les uns
par les autres, en prenant pour clef de lecture la personne de Jésus en qui
l’Ecriture s’accomplit96.

Il conclut donc que Jean s’est inspiré de la Torah (principalement les livres d’Exode et
de Deutéronome), des prophètes (dont Esaïe) et des Psaumes.

Dans le troisième volet, l’hypothèse du paulinisme, comme source de Jean, a été


proposée par certains penseurs. F. HORTON commente cette situation par le fait que la
théologie de Jean représenterait un développement ultérieur de l’enseignement de Paul, tout
comme ce dernier serait une élaboration de la doctrine de Jésus 97. Ainsi, pourrait-on
apprécier la place de l’épître aux Hébreux entre Paul et Jean, ce qui ferait, selon lui, de Jean le
dernier maillon de la chaîne du développement de la théologie du christianisme primitif 98. Là
encore, nous ne sommes pas encore dans la vérité même si nous avons la certitude que
certaines expressions sont communes aux deux théologies. Chaque apôtre ayant sa manière
propre à lui de présenter le Christ et, suivant sa propre expérience, apporte sa contribution

94
Ibid., p. 21.
95
F. BASSIN, F. HORTON, A. KUEN, Op. Cit., p. 307.
96
F. BASSIN, F. HORTON, A. KUEN, Op. Cit., p. 307.
97
Ibid., p. 308.
98
Idem.

34
d’une manière spécifique à la théologie chrétienne, en vue de remettre la foi des croyants sur
les rails.

Quant au quatrième volet, qui concerne le philonisme 99, beaucoup de spécialistes ont
pensé que Jean a été influencé par PHILON. Le point commun entre le quatrième évangile et
la philosophie philonienne est sans doute le Logos. Jean s’en serait servi à la manière de
PHILON, pour parler d’un médiateur entre Dieu et les hommes 100 ; par conséquent, la
conception johannique du Logos devait être comprise à la lumière de ce qu’en dit PHILON
d’Alexandrie. Aujourd’hui, cette conception a évolué. Les spécialistes plongent la racine du
Logos dans la littérature sapientale de l’Ancien Testament. Certains d’entre eux, comme E.
COTHENET par exemple, exposent des différences essentielles101 entre Jean et PHILON. De
ce qui précède, nous disons avec réserve que le philonisme n’est pas une source de Jean.

Peut-être qu’il serait intéressant de regarder du côté de la critique des traditions pour
déterminer la vraie source de Jean. Notons dans cet élan que Jean et les évangiles synoptiques
ont presque les mêmes points de vue sur Jésus, quand bien même leurs convenances laissent
entrevoir qu’il existerait « deux » Jésus dont l’un serait différent de l’autre.

En réalité, nous nous trouvons en présence de deux courants exégétiques qui,


à partir d’une source commune – je prends le mot en sa plus large
conception – témoignent de deux esprits : l’un plus porter à majorer les
affinités avec le judaïsme ; l’autre dominé par le souci de faire apparaître la
transcendante nouveauté de l’évangile102.

Cette réflexion semble intéressante et apaisante, car il s’agit de distinguer une source
commune qui a servi à la rédaction des évangiles de Marc, Matthieu, Luc et Jean, chacun

99
Le philonisme est une philosophie développée par Philon, célèbre philosophe juif de langue grecque pour qui,
la divinité de la Loi juive est la base et le critère de toute vraie philosophie. Il soutenait que l'ensemble du
Pentateuque, qu'il s'agisse des parties historiques ou légales, peut être expliqué allégoriquement, et livrer ainsi sa
signification la plus profonde et la plus vraie. Il concevait Dieu comme un être dénué d'attributs, meilleur que la
vertu et la connaissance, meilleur que le beau et le bien, un être tellement au-dessus du monde qu'il en affirme
l'inconnaissabilité. Mais l'homme a un pouvoir d'ouverture au divin grâce au logos, dont il participe. Les devoirs
de l'homme consistent dans la vénération de Dieu, dans l'amour du prochain et la droiture envers autrui. Les
hommes sont immortels en raison de leur nature céleste, mais, de même qu'il existe des degrés dans la nature
divine, il existe aussi des degrés dans l'immortalité. La simple vie après la mort, commune à toute l'humanité,
diffère de l'existence future des âmes parfaites, qui connaissent le paradis de l'unité avec Dieu. Cf. Microsoft ®
Encarta 2009, document consulté le 23/02/2015 à 16h41.
100
Ibid., p. 308.
101
« Si PHILON emploie à profusion le terme de Logos (1300 fois), il n’a pas à son sujet de doctrine vraiment
unifiée. Cela vient de ce qu’il dépend à la fois de la tradition biblique sur la Parole de Dieu (de ce point de vue,
le Logos fait office de révélateur) et de la philosophie grecque, spécialement stoïcienne, qui voit dans le Logos la
force unificatrice de l’univers. Mais chez Jean, les perspectives cosmologiques sont évoquées avec la même
sobriété que dans Gn. 1,1. L’intérêt se porte immédiatement sur l’histoire du salut avec le rôle prophétique du
Logos, aboutissant à son incarnation. Dans ces conditions, il n’apparaît guère nécessaire de faire intervenir
Philon pour la médiation johannique… ». COTHENET. Le quatrième Evangile, in Introduction à la Bible,
Desclée, Paris, 1977, p. 202s.
102
F.-M. BRAUN, Op. Cit., p. 43.

35
conservant un style qui le détermine et le différencie de l’autre. Par conséquent, si l’on peut
parler d’une tradition synoptique homogène, il y a aussi une tradition johannique 103. La
question des sources johanniques demeure l’épine dorsale de la critique moderne à cause de
sa complexité. Il faut donc observer une certaine prudence afin de ne pas tirer une conclusion
trop hâtive qui pourrait compromettre l’avancée des recherches. Fort heureusement, la
recherche des sources n’a pas influencé la structure de l’évangile.

En effet, il est généralement admis une structure traditionnelle proposée par les
exégètes qui déterminent un Prologue et un Epilogue auxquels sont ajoutés des introductions,
des liaisons et des commentaires. Cependant, en tenant compte des observations faites ci-
dessus et partant du principe que plusieurs rédacteurs aient composé le quatrième évangile de
manière successive, nous pouvons proposer la charpente suivante en quatre grandes parties :

Le chapitre 1 qui est consacré au témoignage est scindé en deux sous-parties.


D’abord, le Prologue (1-18), considéré comme une introduction au quatrième évangile, est un
hymne au Logos, le Verbe incarné, qui plante tout le décor du quatrième évangile. C’est dans
ce Prologue que l’auteur évoque les raisons de sa composition qui auront des répercussions
sur son but visé : Assurer la filiale divinité de Jésus. Puis, nous avons les divers témoignages
(19-51) sur la personne de Jésus, figure centrale de l’œuvre, dans lesquels il est désigné
comme le porteur de l’esprit (32-33), le Fils de Dieu (34-49), l’Agneau de (35), le Messie
(41), celui dont parlent Moïse et les prophètes (45), un véritable Israélite (47), le roi d’Israël
(49) et celui par qui la révélation de Dieu est apporté au monde (51) 104. Ensuite, nous avons
le livre des signes qui part du chapitre 2 au chapitre 12 qui met en évidence l’accent que
Jean place sur les images et les signes, et sur leur signification105.

Les chapitres 13 à 17 constituent la troisième grande partie de l’œuvre et contiennent


le grand discours d’adieux de Jésus à ses disciples, ce que F. BASSIN appelle le « discours
de la Chambre haute106 ». Enfin, la quatrième partie intitulée Livre de la passation ou du
couronnement qui part du chapitre 18 au chapitre 21 dans lesquels Jean décrit l’arrestation
et la crucifixion, la résurrection et les diverses apparitions et qui inclut la conclusion ou
l’épilogue du livre. Cette structure nous permet d’adopter un plan de notre évangile.

103
Ibid, p. 44.
104
B. NEWMAN. « Remarques relatives au sujet, à la structure et aux caractéristiques littéraires de l’évangile de
Jean », Cahiers de Traduction Biblique 5 (1985), p. 13.
105
F. BASSIN, F. HORTON, A. KUEN, Op. Cit., p. 292.
106
Ibid., p. 293.

36
Au nombre des divers plans proposés par les spécialistes de Jean, nous présentons, ici,
une charpente en tenant compte de la structure ci-dessus et la proposition de C.H. DODD,
repris par F. BASSIN107 :

Chapitre 1 : Témoignage

Prologue (1,1-18)

Divers témoignages (1,19-51)


Chapitre 2-12 : Livre des signes

Le nouveau commencement (2,1-4,42)

La Parole qui donne la vie (4,46-5,47)

Le Pain de vie (chapitre 6)

Lumière et vie – manifestées et rejetées (chapitres 7 et 8)

Le jugement par la Lumière (chapitres 9 et 10)

La victoire de la Vie sur la mort (chapitre 11)

La Vie au travers de la mort : la signification de la croix (chapitre 12)

Chapitres 13 à 17 : le discours d’adieux aux siens

Le lavement des pieds et son sens (13,1-20)

L’annonce de la trahison de Judas (13,21-30)

Le premier discours d’adieu (13,31-14,31)

Le second discours d’adieu (chapitres 15 et 16)

La prière sacerdotale (17,1-26)

Chapitres 18 à 21 : le livre de la Passation ou du couronnement

De l’arrestation à la crucifixion de Jésus (chapitres 18-19)

De la résurrection et des premières apparitions de Jésus (chapitre 20)

De la dernière apparition et Epilogue du livre (chapitre 21)


107
Idem.

37
En résumé, en dépit des difficultés qui le caractérisent, le quatrième évangile présente
une apparence simple et est d’une grande finesse. Aussi, plusieurs autres traits stylistiques,
que nous n’avons pas pu énoncer dans ce paragraphe, le distinguent. La fin de cette session
nous ouvre sur celle qui concerne l’apôtre Thomas, personnage aussi énigmatique que le livre
qui le décrit.

I.1.3. PRESENTATION DU PERSONNAGE DE THOMAS

Parler du disciple Thomas, revient à rechercher les données et les sources de Thomas.
Or, ces sources s’avèrent rarissimes. C’est pourquoi, dans le cadre de cette étude, nous nous
appuierons sur les textes bibliques et apocryphes relatifs au disciple, et également nous nous
référerons à certains documents et sites internet qui se sont déjà essayé à cet exercice «
herculéen » en répondant à la question : Qui est Thomas ?

I.1.3.1. Le Thomas de l’histoire

Nous allons traiter respectivement, ici, la date et le lieu de naissance, la famille,


l’enfance et l’adolescence de Thomas dans un premier volet. Le second volet est relatif à son
éducation, sa formation, son métier, sa vocation et ses écrits. Le troisième volet s’intéresse à
la description de Thomas faite par la tradition ecclésiastique.

I.1.3.1.1. Date et lieu de naissance, Famille, enfance et adolescence

Date et lieu de naissance de Thomas

Le problème de la date de naissance de Thomas se pose avec acuité, à l’instar des


autres disciples de Jésus le Christ. Nous n’avons aucune information sur la date de naissance
précise de Thomas. Toutefois, selon certaines sources qui procéderaient des écrits apocryphes,
il aurait vécu, comme ce serait le cas pour la majorité des disciples de Jésus, au moins une
soixantaine d’années après la mort du Seigneur108. Partant de cette hypothèse, la seule
possibilité qui s’offrirait à nous pour déterminer l’âge probable de Thomas, nous donnerait à
croire que, dans le cas où Jésus serait mort à l’âge de trente (30) ans ou trente-trois (33) ans,
l’âge de Thomas vacillerait entre quatre-vingt-dix (90) et cent (100) ans.

En ce qui concerne le lieu de naissance de Thomas, deux hypothèses s’affrontent.


Nous avons une première liste des douze apôtres établie par Epiphane de Salamine. Dans cette
liste, Thomas figure à la septième place parmi les douze disciples. Elle fait mention également

108
COLLECTIF, Ecrits apocryphes chrétiens, Gallimard, Paris, Vol II, 2005, p. 473.

38
de ce que : Thomas, selon la tradition, était de la ville de Palnéas en Galilée 109. Dans la
seconde liste dite gréco-romaine, il est écrit : Thomas, surnommé Jude, de Nazareth110. Qu’il
soit de Palnéas ou de Nazareth, nous avons tout au moins un indicateur commun. Ces deux
villes appartiennent à la région de Galilée111. Thomas serait donc un Galiléen, d’où sa
probable proximité avec Jésus, qui lui aurait valu la rédaction de son évangile, qu’il estime
lui-même, être la révélation de paroles cachées à lui confiées par son Maître. De ce qui
précède, pouvons-nous prétendre que Thomas et Jésus appartiennent-ils à la même famille ?

Famille, enfance et adolescence de Thomas

Nous ne possédons aucune monographie sur Thomas pour déterminer sa famille. Les
écrits néotestamentaires, les apocryphes et même la tradition ecclésiastique sont muets sur le
sujet. Tout ce que nous savons, c’est qu’il se surnomme Didyme (Jn 20,24) et Didyme Jude
selon l’évangile qui porte son nom (sentence 1). Pourtant, d’après les évangiles, un certain
disciple dénommé Jude serait le frère du Seigneur (Epître de Jude, verset 1). S’agirait-il de
Thomas appelé encore Jude ou d’un autre Jude112 ? L’on ne peut pas l’affirmer.

En effet, nous avons des noms qui sont portés par deux ou trois apôtres dans le même
cercle des disciples de Jésus. C’est le cas par exemple des noms comme Simon, Judas, Jude,
et autres. En dépit de ce que nous disons, posons-nous la question de savoir, pourquoi est-ce à
Thomas que Jésus révèle ses paroles cachées ? Existerait-il un lien de parenté entre les deux
personnages ? Notre intention n’est pas de trouver une famille d’accueil ou d’adoption à
Thomas. Nous voulons, dans cette démarche, aider justement à faire avancer les recherches
déjà entamées en ouvrant certaines pistes de réflexions.

Considérons l’idée selon laquelle Thomas est originaire de Galilée. Partant, il a dû


faire toute son enfance et son adolescence dans cette région à laquelle appartient également
son Maître, Jésus de Nazareth. C’est peut-être dans cette localité que les deux hommes se sont

109
Ibid., p. 474.
110
Ibid., p. 468.
111
Dans l'Antiquité, les frontières de la région de Galilée étaient peu marquées ; au début de l'ère chrétienne, elle
devint une province romaine unissant alors toute la Palestine septentrionale de l'époque, à l'ouest du Jourdain, et
le lac de Tibériade. La région, principalement montagneuse, est divisée en deux zones : la haute Galilée, dans le
nord, et la basse Galilée, dans le sud. En haute Galilée, le mont Meiron culmine à 1 208 m ; le relief est moins
élevé dans le sud. La région entière est bien irriguée ; les versants des montagnes sont couverts d'arbustes et les
vastes plaines servent à la culture céréalière. La haute Galilée fut longtemps célèbre pour ses oliveraies et ses
vignes. Jésus s’en était inspiré dans ses paraboles (Mt 20,8 ; 21,28 ; Mc 12,8 ; 14,25 ; Lc 20,9 ; 22,18). Dans
l'Antiquité, cette région était densément peuplée de Syriens, de Phéniciens, d'Arabes, de Grecs et d'Hébreux. On
situe parfois la jeunesse de Jésus en Galilée, à Nazareth. Source : Microsoft ® Encarta ® 2009. © 1993-2008
Microsoft Corporation, 07-01-2016, 10h03.
112
Voici quelques versets bibliques dans lesquels nous retrouvons des personnages appelés Jude : Mt 13,55 et
Mc 6,3 (Jude, frère de Jésus, Jacques, Simon et Joseph) ; Lc 6,16 (Jude, fils de Jacques) ; Jn 14,22 (Jude, non pas
l’Iscariote) ; Act 15,22 (Jude appelé Barsabas).

39
rencontrés. C’est aussi probablement là que Jésus l’a appelé à sa suite comme c’est le cas d’un
certain nombre de ses disciples.

Nous n’avons pas encore d’informations très fiables pour affirmer notre hypothèse.
Nous savons tout au moins que Thomas jouissait d’une certaine autorité parmi les disciples
(Jn 11,16). Serait-ce le fait qu’il soit « ami d’enfance ou frère » de Jésus ? Sa conviction de
voir avant de croire n’émanerait-elle pas de ce lien d’amitié d’enfance si étroit et si intime
avec Jésus ? Faudrait-il peut-être regarder du côté de la tradition de Thomas lui-même pour
résoudre cette énigme ? C’est à cet exercice que s’est adonné F. VOUGA qui pense que :

L’Evangile de Thomas s’appuie sur l’autorité de Didyme Judas Thomas

(NHC II, 2) et le livre de Thomas l’Athlète sur celle de Judas Thomas (NHC
II, 7 138,2). Thomas serait alors Judas le jumeau. Mais par cette
identification, le problème n’est que déplacé : quel est ce Judas ? Si l’on fait
abstraction de Judas Iscariote, dont il ne peut être ici question, le
christianisme primitif connaît deux figures portant le nom de Judas. La
première est celle d’un disciple de Jésus (Mc 6,16 ; Jn 14,22 ; Ac 1,13) qui
ne semble avoir joué aucun rôle particulier dans l’histoire du christianisme
primitif. La seconde est celle du frère de Jésus (Mc 6,3) sous l’autorité de
laquelle l’Epître pseudépigraphe de Jude a été écrite (Jud 1) et qui est bien
connue de la tradition ecclésiastique113.

En nous appuyant sur la tradition de Thomas pour nous situer sur la filiation probable
de Thomas, nous nous rendons compte qu’à la lumière de l’affirmation de F. VOUGA, la
deuxième hypothèse semble nous donner une piste à explorer. Nous pouvons supposer alors
que :

S’il est vrai que Thomas doive bien être identifié avec Judas Thomas, c’est-à-
dire Judas, frère de Jacques (Jud 1 ; on retrouve la même association de
Judas avec Jacques en EvTh 13) et le frère du Seigneur (Mc 6,3), alors
s’impose la reconstruction suivante : de la même manière que le « judéo-
christianisme » s’est développé sous l’autorité et en lien avec le nom de
Jacques, le frère du Seigneur, un christianisme sapiental s’est développé en
Palestine, en Syrie et en Mésopotamie sous l’autorité et en lien avec le nom
d’un autre frère du Seigneur, à savoir Judas le jumeau114.

Nous pouvons être tenté, suite à cette réflexion de F. VOUGA, de confirmer la


filiation biologique de Thomas, allant même jusqu’à assimiler son enfance et son adolescence
à celles de Jésus. Mais aussi, l’on peut prendre comme point de départ d’identification de la
famille de Thomas l’expression énigmatique « le jumeau ». Il est vrai que Jésus avait des
frères et sœurs : N’est-ce pas lui le charpentier, le fils de Marie, et le frère de Jacques, de
Joses, de Jude et de Simon ? Et ses sœurs ne vivent-elles pas ici parmi nous ? (Mc 6,3).

113
F. VOUGA, Les premiers pas du christianisme, les écrits, les acteurs, les débats, Labor et Fides, Genève,
1997, p. 75.
114
Idem.

40
Néanmoins, il ne faut pas perdre aussi de vue que Jésus avait une conception
hautement plus spirituelle que biologique de la famille : La mère et les frères de Jésus
arrivèrent alors ; ils se tinrent en dehors de la maison et lui envoyèrent quelqu’un pour
l’appeler. Un grand nombre de personnes étaient assises autour de Jésus et on lui dit : «
Ecoute, ta mère, tes frères et tes sœurs sont dehors et ils te demandent. » Jésus répondit : «
Qui est ma mère et qui sont mes frères ? » Puis il regarda les gens assis en cercle autour de lui
et dit : « Voyez : ma mère et mes frères sont ici. Car celui qui fait la volonté de Dieu est mon
frère, ma sœur ou ma mère. » (Mc 3,31-35). Dans son article intitulé « Evangile de Thomas »,
SHANTIDAS affirme : Il faut prendre avec précaution l’expression et imaginer qu’il s’agit
d’un proche affectif de Jésus semblable à lui de par une initiation et des buts communs115.

En tenant compte des éléments analysés plus haut, nous pensons pour notre part que le
débat sur la filiation de Jésus n’est pas à l’ordre du jour dans cette étude. Il s’agit plutôt de
trouver un point de chute à Thomas, objet de notre étude. Par conséquent, au vu des pistes
développées par F. VOUGA, les informations que nous donnent les évangiles et les écrits
apocryphes, nous pouvons, non pas dans l’intention d’obstruer les pistes de nouvelles
recherches en cours, dire que Thomas appartient probablement à la famille biologique du
Seigneur Jésus. Intéressons-nous maintenant à son éducation, à sa formation, à son métier et à
ses écrits.

I.1.3.1.2. Education, formation, métier, vocation et écrits de Thomas


Education, formation et métier de Thomas

Il faut tout de suite noter que nous n’avons pas encore reçu ou découvert des
informations sur l’éducation et la formation de Thomas. Toutefois, la tradition ecclésiastique
fait un clin d’œil sur son supposé métier. En effet, il est représenté portant une lance, pour
évoquer la façon dont il a été tué et une équerre symbolisant sa fonction d'architecte. Cette
fonction d'architecte ferait référence à la construction du palais du roi indo-parthe du Taxila
Gondopharès, qui selon les Actes de Thomas a obtenu de Jésus qu'il lui envoie Thomas116.

 Vocation de Thomas

La vocation de Thomas ne s’est pas opérée de manière toute particulière. Elle s’est
faite dans le choix collectif de ceux des disciples qui suivaient Jésus, et, à qui il a donné le
nom d’apôtres (Lc 6,12-16), c’est-à-dire des hommes que Jésus envoie pour annoncer son
message de salut. Les apôtres sont donc les envoyés (de Dieu), les messagers de la Bonne

115
SHANTIDAS, Evangile de Thomas, in www.asitra.org-c2002, consulté le 09 février à 11 heures 10.
116
http://fr.wikipedia.org/wiki/thomas, consulté le 08-01-2017 à 10 heures.

41
Nouvelle. L’évangile selon Mc précise que c’est dans la montagne que Jésus appelle ceux
qu’il voulait, au nombre desquels figure Thomas qu’il établit pour être avec lui et pour
l’envoyer prêcher avec le pouvoir de chasser tous les démons, à l’instar des onze autres (Mc
3,13-19).

 Les écrits de Thomas

Plusieurs écrits apocryphes portent le nom de Thomas, disciple de Jésus. Il s’agit d’un
évangile, des Actes et une Apocalypse. De ces trois écrits, seul l’évangile lui est attribué à
cause de son ancienneté. Certains chercheurs pensent aussi qu’il serait l’auteur des Actes
d’Etienne. Pour l’heure, nous nous intéresserons à ses trois écrits.

L’évangile selon Thomas 117

D’après les recherches archéologiques, le XXe siècle a été le témoin d’une grande
découverte. C’est en 1945 que, dans une jarre de plus d'un mètre de haut, caché dans un
cimetière païen de Nag Hammadi118 (Égypte), les archéologues ont retrouvé un exemplaire
complet en copte de l’évangile de Thomas, datant du IVe siècle 119. Aux côtés du codex sur
lequel figurait cet évangile, se trouvaient onze autres codex en papyrus datant du IVe siècle
rassemblant cinquante-deux écrits120 que les hérésiologues chrétiens antiques qualifiaient de
gnostiques. Comme les couvertures de certains des écrits étaient formées de papyrus
documentaires dont certains étaient datés, il a été possible de déterminer précisément après
quelle date ces manuscrits ont été cachés121. Les textes retrouvés dans cette amphore figuraient
sur la liste d'un décret de l'évêque Athanase d'Alexandrie qui ordonnait leur destruction. On
estime donc qu'ils ont été cachés là à la fin du IVe siècle pour tenter de les sauver de la
destruction après ce décret confirmé par la suite par le Code théodosien (Théodose Ier).122

C'est un recueil de « paroles secrètes » de Jésus dont on ne connaissait auparavant que


quelques logia grâce à des fragments en grec datant du IIe siècle notamment ceux retrouvés
dans des fouilles à Oxyrhynque. Ces fragments sont considérés comme provenant du probable
original grec de la version complète en copte, retrouvé à Nag-Hammadi. Le texte commence
par : « Voici les paroles du secret, Jésus le Vivant les a dites, Didyme Jude Thomas les a
transcrites. » On pense que Thomas est l’auteur de cet évangile puisqu’il a transcrit lui-même
par sa propre plume les paroles secrètes de Jésus. Le deuxième logion, réputé comme
117
J.-Y. LELOUP, L'Évangile de Thomas, Albin Michel, Paris, 1986.
118
F. AMSLER, L’évangile inconnu, la Source des paroles de Jésus, Labor et Fidès, Genève, 2001, p. 19.
119
Ibid., p. 19.
120
http://fr.wikipedia.org/wiki/thomas_(ap%3%b4tre)#cite_note-Arnaud_47-24, consulté le 08-01-2016 à 10h02.
121
http://fr.wikipedia.org/wiki/thomas_(ap%3%b4tre)#cite_note-Golb_26, conculté le 08-09-2016 à 12h00.
122
http://fr.wikipedia.org/wiki/thomas, consulté le 18-01-2018 à 15h32.

42
résumant la démarche gnostique et invitant à la recherche et au doute, se trouverait aussi dans
l'Évangile des Hébreux (totalement perdu), d'après les citations qu'en donnent les Pères de
l'Église comme par exemple Clément d'Alexandrie (IIe siècle)123.

 Les Actes de Thomas

Les Actes de Thomas sont essentiellement connus grâce à une recension grecque et
une recension syriaque ; ces deux formes textuelles divergent sur des points importants
comme des détails et semblent toutes deux résulter de remaniements du texte original
(probablement syriaque) aujourd’hui perdu. Dans ces circonstances, les variantes entre les
deux recensions sont délicates à interpréter124.

Les Actes de Thomas pourraient avoir été rédigés en Syrie orientale vers le début du
IIIe siècle. Ils retracent les activités missionnaires entreprises par Thomas en Inde jusqu’à sa
mort, probablement martyrisé à coups d’épées dans le dos. J.-M. PRIEUR en donne un
excellent aperçu :

Vendu comme esclave, Thomas est emmené en Inde où il accomplit diverses


guérisons et résurrections. A la cour de Misdée, Thomas convertit à
l’encratisme Mygdonia, au désespoir de son mari Charis, un confident du
roi. Jeté en prison, et mystérieusement délivré, il baptise Mygdonia, puis
Charis et les siens (extrait suivant). Après avoir réussi à convertir d’autres
membres de la cour, Thomas est finalement martyrisé à coups de lances, et
ses répliques sont transférées à Edesse (Turquie) 125

 L’apocalypse de Thomas

L’Apocalypse de Thomas est un ensemble de successions d’événements qui


marqueraient la fin des temps et le dernier jugement. Ces événements sont consignés dans un
texte sous le titre d’Apocalypse de Thomas qui ne figure dans aucun des manuscrits
conservés126. Elle est transmise sous la forme de deux recensions : une recension longue et
une recension brève. Nous avons eu accès au début de la recension longue qui se présente
comme suit : Ecoute, Thomas, les événements qui doivent se produire dans les tout derniers
temps127.

Les chercheurs situent la rédaction du texte au milieu ou dans la deuxième moitié du


123
http://fr.wikipedia.org/wiki/thomas_(ap%3%b4tre)#cite_note-J-Y-Leloup-23, conculté le 13-04-2016 à
12h45.
124
R. GOUNELLE, Actes apocryphes des apôtres et actes des apôtres canoniques : Etat de la recherche et
perspectives nouvelles (II), Revue d’histoire et de philosophie religieuses 2004, Tome 84 n° 4, p. 421.
125
J.-M. PRIEUR, Apocryphes chrétiens, Un regard inattendu sur le christianisme ancien, Moulin, Aubonne,
1995, pp. 70 et 71.
126
COLLECTIF, Ecrits apocryphes chrétiens, Op. Cit., p. 1021.
127
Idem.

43
Ve siècle. Thomas ne serait donc pas l’auteur de cet écrit. Nous ne savons non plus les motifs
réels du rédacteur de cet apocryphe.

 Thomas décrit par les traditions ecclésiastiques128

Selon la tradition de l’église locale d’Edesse, dont les chercheurs parlent de l’existence
d’une multiplicité de textes antiques et même d’inscriptions lithiques à Éphèse et dans la ville
de Philippe en Macédoine, Abgar V, roi d'Édesse aurait écrit à Jésus pour l'inviter à prêcher
dans son royaume129. Celui-ci aurait répondu que pour le moment il ne pouvait pas s'y rendre,
mais aurait promis d'envoyer un de ses disciples. Après la crucifixion de Jésus, Thomas aurait
envoyé Addaï (appelé aussi Thaddée ou Juda thaddée par Jérôme de Stridon) un des disciples
de Jésus, au roi Abgar. C’est ce disciple de l'apôtre Thomas, appelée Addaï, venu de Banyas
en Palestine, vers 37 qui aurait fondé la communauté d'Édesse. Dans sa mission
d’évangélisation, Addaï aurait guérit et converti le roi ainsi qu’un bon nombre de ses sujets.
Après quoi, il aurait poursuivi son chemin vers Adiabène, après avoir confié l'église d'Édesse
à Addée. Ce dernier aurait été martyrisé sous Sanatruk Ier 130 et les rois d'Édesse seraient alors
revenus au paganisme.

Ces informations, telles qu’elles proviennent de la tradition de l’Eglise et relayées par


certains chercheurs, doivent être considérées avec beaucoup de réserves car elles sont
discutables du point de vue de leurs sources et de leur authenticité. Considérant donc son
contenu avec beaucoup de précautions, nous avons énuméré ces informations juste pour les
besoins de la cause afin de mieux saisir la portée et l’importance que revêt le rôle de Thomas
dans l’église primitive.

I.1.3.1.3. La mission apostolique de Thomas dans l’Eglise primitive

Selon les Actes apocryphes qui portent son nom, Thomas serait un évangélisateur
dévoué pour l’implantation du christianisme en Asie. A cet effet, il aurait effectué trois
voyages missionnaires successivement au Taxila, au Kérala et en Chine.

 La mission de Thomas au Taxila131

128
http://fr.wikipedia.org/wiki/thomas, Loc. Cit.
129
Loc. Cit.
130
Sanatruk Ier était le roi d’une ville appelée Osrohène et a régné de 91-109 ap. J.-C.
131
http://fr.wikipedia.org/wiki/thomas, Loc. Cit. (Cf. liste de documents cités en lien avec le site internet :
Samuel Hugh Moffett, A History of Christianity in Asia, Vol. 1 Orbis Books, New-York, 2003, p. 29 ; Arthur
Llewellyn Basham, Papers on the Date of Kaniṣka [archive], éd. E. J. Brill, Leiden, 1968, p. 284 ; Encyclopædia
Iranica, article Gondophares [archive] ; Jason Neelis, Passages to India: Saka and Kusana migrations routes in
historical contexts [archive], p. 63).

44
Selon le texte des Actes de Thomas, pendant syriaque (dialecte de l'araméen) des
Actes des apôtres mais absent du corpus du Nouveau Testament et déclaré apocryphe au VIe
siècle, l’apôtre Thomas a d'abord quitté Antioche vers l'an 37 pour aller évangéliser Ninive en
compagnie de Barthélémy ou bar Tolmaï (fils de Tolmaï). Il crée des églises dans le nord de
l'espace perse, dominé à l'époque par les Parthes, l'Adiabène et l'Arménie. Il fait ensuite la
même chose dans le Gandhara (Taxila), où son roi Gondopharès Ier, accueille favorablement
sa prédication, en dépit d'un conflit sur la façon de payer les ouvriers qui travaillent sous les
ordres de Thomas à la construction d'un palais royal. Jusqu'en 1834, date à laquelle on a
découvert des pièces frappées à son nom à Calcutta le roi Gondopharès Ier n'était mentionné
que dans le texte apocryphe chrétien appelé « Les Actes de Thomas ». Les traditions des
Chrétiens de saint Thomas datent son arrivée à Cranganore au Kerala à la fin de l’an 52.

 La mission de Thomas au Kérala132

Un second voyage mène Thomas en Inde du Sud par bateau. Il arrive à Cranganore au
Kerala à la fin de l’an 52, où l'araméen était parlé et où vivait une communauté juive. Il tente
de l'évangéliser, mais aurait eu plus de succès auprès des autochtones, et baptise de
nombreuses personnes de la haute caste et de la famille royale, qui forment alors le noyau de
la première communauté chrétienne en Inde. De 52 à 63, il fonde au total sept Églises au
Kérala ainsi qu'au Tamil Nadu et au Sri Lanka, alors appelé Tabropane.

 L’hypothèse de la Chine133

En 2008, P. PERRIER qui s'intéresse particulièrement à l'oralité dans les évangiles,


émet l'hypothèse d'une présence de Thomas en Chine. Celle-ci n'a toutefois reçu aucun accueil
critique de chercheurs. Cette hypothèse est fondée sur l'analyse de la frise de Kong Wang
Shan, une frise d'une vingtaine de mètres de large datant du Ie siècle et initialement considérée
comme bouddhiste, de même que sur une littérature chinoise qu'il qualifie d'abondante.

En définitive, force est de noter que ces hypothèses nous ont plus ou moins permis de
comprendre l’intérêt que porte les Indiens et les Chinois au disciple Thomas, intérêt marqué

132
http://fr.wikipedia.org/wiki/thomas_(ap%3%b4tre)#cite_note_1992.2c_p.93-5, consulté le 08-01-2016 à
10h02.
133
L'apôtre Thomas et le christianisme en Asie, avec la participation d'Ilaria RAMELLI, Pierre PERRIER et Jean
CHARBONNIER, Éditions AED, p. 80, In Saint Thomas, http://fr.wikipedia.org/wiki/thomas, consulté le 28-06-
2017 à 10h30.

45
par les nombreux édifices construits en son honneur dont le plus prestigieux était la Basilique
de Saint Thomas en Ortona (Abruzzo) où ses reliques avaient été transférées.

 La mort de Thomas

Plusieurs hypothèses sont émises, en ce qui concerne la mort de Thomas, mais nous en
retenons trois à cause de leur proximité :

a. Thomas s’est endormi après son martyre dans la ville indienne de Calamine où il fut
glorieusement enterré.134

b. Thomas est mort en Inde Calamitide, écorché vif.135

c. Arrivé en Inde en 52, il y serait mort, martyre, aux environs des années 70, sur la
colline qui s'appelle aujourd'hui Mont Saint-Thomas, près de Mylapore. Il aurait été
tué d'un coup de lance dans le dos. Son tombeau se trouve dans la crypte de la
basilique Saint-Thomas de Chennai.136

Vu ces trois hypothèses, l’on peut déduire que Thomas est mort martyre et enterré en
Inde. Au total, les hypothèses émisees sur le Thomas de la tradition, aussi vraisemblables
qu’elles paraissent, semblent être tout de même corroborées par F. VOUGA qui atteste que :
Eusèbe (III/1/1) lui attribue la mission en Iran ; la légende affirme qu’il serait allé jusqu’aux
Indes et qu’un marchand aurait amené ses reliques à Edessa ; elles y seraient restées dans
une châsse d’argent jusqu’à ce qu’on leur bâtisse un temple 137. Toutefois, une vraie
connaissance de ce disciple, semble-t-il, n’est possible que dans les évangiles qui mentionnent
son nom.

I.1.3.2. Le Thomas des évangiles

Thomas fait partie de l’ensemble des douze apôtres appelés par le Seigneur Jésus, et
qui l’ont accompagné dans sa mission terrestre. On retrouve son nom dans les quatre listes
que nous font lire les évangiles synoptiques, principalement dans Mc 3,16-19 (avec Jacques,
fils d’Alphée), Mt 10,2-4 (avec Matthieu) et Lc 6,14-16 (avec Matthieu). Nous retrouvons
également la mention de son nom dans les Actes des Apôtres, l’un des écrits
historiographiques reconnus et datés du Nouveau Testament (Ac 1,13 ; avec Philippe).

134
COLLECTIF, Op. Cit., p. 474.
135
COLLECTIF, Op. Cit., p. 474.
136
http://fr.wikipedia.org/wiki/thomas, Loc. Cit.
137
F. VOUGA, Le cadre historique et l’intention théologique de Jean, Beauchesne, Paris, 1977, p. 86.

46
Toutes les informations que nous pouvons avoir de Thomas, disciple de Jésus, nous
proviennent de l’évangile selon Jean. En effet, le quatrième évangile donne la traduction
grecque de son nom : Didumoj (Didyme ; Jn 20,24), qui a le même sens que l’araméen
Thômah qui signifie « jumeau ». Didyme, selon F. GODET : Était sans doute le nom par
lequel on désignait le plus ordinairement cet apôtre dans les églises de l’Asie Mineure au
milieu desquelles écrivait Jean ; c’est ainsi que s’explique la répétition de cette traduction :
Jn 11,16; 20,24 ; 21,2.138

L’évangile rapporte aussi quelques propos tenus par Thomas devant les autres
disciples, en présence tout comme en absence de son Maître (Jn 11,16 ; 14,15 ; 20,25 ; 20,28).
Il fait partie, avec Simon Pierre, Nathanaël, les fils de Zébédée et deux autres disciples du
groupe auquel le ressuscité est apparu en Galilée (Jn 21,2). Les recherches onomastiques ont
essayé de démontrer que Thomas ne semble pas être un nom avant le IIe siècle, il est donc
probable que le prénom Thomas vienne du personnage historique des débuts du christianisme.

Par ailleurs, l’un des disciples de Jésus serait l’auteur de l’évangile selon Thomas et
des Actes apocryphes de Thomas. La tradition lui attribue aussi une Apocalypse apocryphe et
une autre d’Etienne. Mais, l’origine réelle de ces écrits ne nous est pas renseignée. Sur ce
point, nos recherches sont restées vaines. En ce qui concerne l’évangile, il commence par la
phrase suivante, sous forme d’une présentation de l’auteur : « outoi oi. logoi oi. kruptoi ouj
elalhsen ,Ihsouj o. zwn kai egrafen autouj Didumoj ,Ioudaj Qwmaj » traduit par : « Voici les
paroles cachées que Jésus le vivant a dites et les a écrites Didyme Jude Thomas. » Le
rédacteur serait donc Thomas, puisqu’il se nomme lui-même dans les toutes premières lignes
de l’évangile et affirme avoir reçu les paroles cachées de Jésus que ce dernier lui a révélées
directement. Ceci le qualifierait donc de disciple de Jésus, témoin oculaire de la vie terrestre
de son Maître. Nous sommes d’accord pour dire avec R. KASSER que : Il s’agirait donc
d’une révélation de paroles extrêmement secrètes, faites par Jésus à un disciple privilégié, qui
les a transcrites.139

Thomas n’est donc pas un homme ordinaire, suiveur de Jésus. Il ferait partie, si nous
nous en tenons à l’affirmation de R. KASSER, du cercle restreint des disciples plus proches
du Maître. Dans cet esprit, sa confession-cri, au huitième jour de la résurrection de Jésus, ne
devrait pas surprendre les lecteurs et auditeurs de l’évangile selon Jean dans lequel il occupe
une place de choix.

138
F. GODET, Commentaire sur l’évangile de saint Jean, Imprimerie Nouvelle L.-A. Monnier, Neuchâtel, 1970,
p. 130.
139
R. KASSER, L’évangile selon Thomas, Delachaux & Niestlé, Neuchâtel, 1961, p. 27.

47
I.1.3.3. Quelques remarques

Une première observation nous conduit à nous interroger sur l’attitude de Thomas. Ce
disciple serait-il un zélote ? Du grec zhlwthj, ce terme désigne un membre du parti zélote (Lc
6,15 ; Ac 1,13). Ce sont des Juifs qui :

Témoignaient d’un attachement indéfectible à la liberté et ils prétendaient


qu’on ne peut témoigner d’attachement à un maître mortel et qu’il ne fallait
obéir qu’à Dieu. Ils ne manifestaient aucune crainte devant la mort et rien ne
pouvait les contraindre à traiter un homme comme s’il était Dieu.140

Reconnaître l'autorité de l'empereur romain païen signifierait renier l'autorité de Dieu


et se soumettre à l'esclavage. L’analyse de notre péricope a montré que Thomas s’est opposé à
l’empereur Dioclétien, en reconnaissant le Christ comme son « Seigneur et Dieu ». Ce zèle
justifierait-il son absence lorsque Jésus apparaissait aux dix disciples ?

Une deuxième observation nous laisse comprendre que Thomas, le prétendu sceptique
ou incrédule, a fait une œuvre utile en annonçant la Bonne Nouvelle de Jésus-Christ aux
Indiens, et probablement aux Chinois. Ces régions de l’Asie demeurent encore évangélisées
aujourd’hui malgré une opposition farouche des islamistes et la concurrence d’autres religions
orientales. Par ailleurs, nous sommes en droit de nous demander pourquoi les écrits de
Thomas, principalement l’évangile n’est pas retenu parmi les livres inspirés. Pourtant, toutes
les actions menées par ce disciple sont toutes, sans exception, faites pour la gloire de Dieu.

Retenons, pour conclure d’une part, que le quatrième évangile demeure encore un
terrain à fouiller à cause des différentes opinions contradictoires qui se sont développées
parmi les chercheurs johanniques. Car les résultats auxquels nous sommes parvenus ne
permettent de déterminer aussi bien l’auteur, la date et le lieu de rédaction de l’évangile, les
destinataires que les sources qui ont servi à sa composition. Au demeurant, les désaccords
montrent la richesse que cet évangile renferme et l’appétit qu’il aiguise encore pour des
recherches néotestamentaires. En définitive, Thomas demeure ce personnage énigmatique
dont les contours restent encore difficiles à cerner malgré l’avancée des recherches dans ce
sens. En dépit de toutes ces difficultés, les diverses investigations sur le quatrième évangile et
le personnage de Thomas, nous ne pourrons le nier, nous donne de la matière pour aborder
sereinement le second chapitre de la première partie de notre réflexion qui est l’exégèse de
Jean 20.

140
B. JAY, Le monde du Nouveau Testament, CLE, Yaoundé, 1978, pp. 123-124.

48
CHAPITRE DEUXIEME :
ETUDE EXEGETIQUE DE JEAN 20

A l’instar des autres sciences, l’exégèse biblique requiert une démarche. Ainsi,
l’exégèse du Nouveau Testament propose deux méthodes pour dégager le sens d’un texte :
l’exégèse diachronique141 et l’exégèse synchronique142. Pour cette étude, nous utiliserons
l’exégèse diachronique qui est cette démarche qui part de l’origine d’un texte pour retracer
son évolution tout en prenant soin de ressortir les altérations volontaires ou non dont le texte
a été victime et dont la finalité est de chercher à retrouver d’après les textes et récits, la
réalité des faits tels qu’ils se sont passés143. Sa méthode par excellence est la méthode
historico-critique qui va nous servir à exploiter le texte de Jean 20. Pour vérifier l’authenticité
de notre texte, nous procéderons à la critique textuelle qui est :

Une science particulière qui s’est beaucoup développée depuis environ deux
siècles. La critique verbale ne permet guère qu’un tri préliminaire, la critique
externe ne permet pas, à elle seule, de rétablir le texte primitif. Mais c’est
déjà essentiel qu’elle autorise un tri entre les variantes anciennes et les
variantes tardives. Elle prépare ainsi le terrain à la critique interne, à qui
revient le dernier mot. Ce n’est pas à dire, pour autant, que la valeur
respective des témoins soit négligeable. Grâce à la critique externe on
commence à connaître le caractère des grandes recensions, des III e/IVe
siècles : condition importante pour juger de la qualité d’une variante ; on
commence à distinguer plusieurs types de textes. Au demeurant, on ne saurait
trop le dire, la critique interne est impuissante en beaucoup de cas. Elle
démontre que telle variante est une correction, mais c’est peut-être la
141
L’adjectif « diachronique » est composé de deux mots grecs : dia (à travers, au moyen de, avec, pendant) et
cronoj (temps chronologique, période de temps).
142
L’adjectif « synchronique » est une combinaison du préfixe « sun », une préposition qui veut dire avec, en
compagnie de, par, au moyen et également de cronoj.
143
K. A. HOUNSA, Cours d’introduction à l’exégèse du N.T., UPAO, Porto-Novo, 2012-2013, Inédit.

49
correction d’une faute. Elle établit que telle autre est une addition, mais c’est
peut-être une omission réparée144

Cette science permet de dégager une traduction du passage objet de notre étude. Dans
le paragraphe concernant l’analyse littéraire, seuls les aspects qui entrent dans l’intérêt de
notre travail qui sont concernés. Il s’agit de : la délimitation, la structure, l’étude des
contextes, la critique des sources, la critique rédactionnelle et la critique du genre ou de la
forme littéraire. Nous aborderons ici le texte d’une façon diachronique.

I.2.1. CRITIQUE TEXTUELLE

La critique textuelle, selon CHAPPUIS-JUILLARD, est : Un travail préliminaire à


toute recherche en exégèse, consiste à dépister les altérations qui auraient pu se produire
dans un texte qui nous est parvenu sous différentes formes, dans de multiples copies. 145 Nous
comprenons par-là que la critique textuelle précède toute activité en exégèse. Pour ce faire,
nous allons vérifier l’authenticité du texte de Jean 20, en procédant simultanément à la
lecture de l’apparat critique et à la discussion des leçons. Cette démarche de la méthode
historico-critique vise à reconstituer le texte original d’un écrit, par la comparaison et
l’examen des différentes variantes manuscrites par lesquelles le texte nous est parvenu. 146 Par
cet exercice, il nous faut sortir un texte qui soit plus proche de l’original. Le texte retenu sera
analysé et traduit pour servir à la suite de notre étude.

I.2.1.1. Lecture de l’apparat critique, discussion des leçons et texte adopté

I.2.1.1.1. Lecture de l’apparat critique et discussion des leçons

Quels sont les critères qui nous permettent d’établir un texte qui soit proche de
l’original ? Selon D. MARGUERAT, J. ZUMSTEIN et Autres, on distingue
traditionnellement trois types d’opération critiques : la critique verbale, la critique externe et
la critique interne. Les trois opérations peuvent théoriquement se succéder…147

C’est donc à partir de ces trois critères ou opérations précités que nous analysons notre
texte. Notre péricope comprend trente et un versets dont vingt-six (26) sont signalés
présentant diverses autres variantes. L’apparat critique signale pour ces vingt-six versets,

144
Loc. Cit.
145
I. CHAPPUIS-JUILLARD, Initiation à l’exégèse du Nouveau Testament, Centrale universitaires des
polycopies, Genève, 1996, p. 9.
146
D. MARGUERAT, J. ZUMSTEIN, et Autres, Introduction au Nouveau Testament, son histoire, son écriture,
sa théologie, Labor et Fides, Genève, 4e édition, 2008, p. 500.
147
Ibid., pp. 489-490.

50
cinquante et neuf problèmes que nous lisons dans le texte grec de la 28 ème édition du Nouveau
Testament Nestlé-Aland148. Notre lecture de l’apparat critique se fera verset par verset, sur la
base des vingt-six versets contenant les problèmes signalés.

Verset 1 : Nous avons deux problèmes.


Premier problème : Le mot Mari,a (Marie) est remplacé par Maria,m (Marie ou
Mariam). La variante est soutenue par les codex , A, L, W,149 les minuscules 1,
probablement 33, 565, 579,150 le lectionnaire l 844 et syh. Nous supposons que tous les autres
témoins non mentionnés dans l’apparat critique soutiennent le texte édité.

Au niveau de la critique verbale, l’analyse grammaticale indique clairement que le


substantif Mari,a est au nominatif alors que Maria,m est au vocatif. Les mots Ma,a et
Maa, sont tous des substantifs féminins qui signifient Marie151. Dans le Nouveau
Testament, M, est plus usuel que M, même si dans notre péricope d’étude, les
deux termes sont utilisés par l’écrivain biblique (v11 et v16). Il s’agit simplement d’une
option des auteurs de la variante proposée. Les deux termes ayant la même signification,
l’auteur met sans doute en exergue sa maîtrise des différentes facettes de l’identité de celle
(disciple) qui a rencontré les anges et le Maître au tombeau. En outre, dans les évangiles
synoptiques, Matthieu utilise Maria,m (Mt 28,1) là où Marc et Luc utilisent Mari,a. Dans ce
cas d’espèce, nous pouvons penser par conséquent à une variante harmonisante 152. Le copiste
voudrait que nous lisions dans l’ensemble de la péricope Maria,m au lieu de Mari,a. Nous
gardons le texte édité comme proche de l’original.

Au plan de la critique externe, l’on constate que les témoins du texte édité sont plus
nombreux et plus anciens que ceux de la variante. Ce remplacement n’a aucune influence sur
la compréhension du texte. Nous conservons le texte édité comme proche de l’orignal.

Deuxième problème : Le groupe de mots apo thj quraj (loin de la porte) est ajouté au
texte. Cette variante est attestée par , W, probablement des minuscules et certaines versions
latine, syriaque et bohaïrique. L’ensemble des manuscrits qui ne sont pas indiqués par

148
NESTLE-ALAND, Novum Testamentum Graece, Deutsche Bibelgesellschaft, Stuttgart, 28 ème Edition, 2012,
pp. 371-374.
149
‫ א‬ou 01 (codex Sinaïticus), manuscrit majuscule du IVè siècle.

150
1, 33, 565 et 579 sont des témoins minuscules ; l’âge des minuscules varie entre les IXè et XVè s
151
M. CARREZ - F. MOREL, Dictionnaire Grec-Français du Nouveau Testament, Labor et Fides / Société
Biblique Française, Genève / Paris, Copyright © 1999, p. 124.
152
« Il s’agit d’une tendance souvent inconsciente du scribe qui connaît par cœur le texte le plus répandu,
généralement l’évangile de Matthieu, et qui aligne sur lui les autres évangiles. » D. MARGUERAT, J.
ZUMSTEIN, et Autres, Op. Cit., p. 492.

51
l’apparat critique soutiennent probablement le texte édité. Au plan verbal, Cet ajout peut-être
une interpolation153. Le copiste voudrait simplifier, clarifier le texte pour le rendre plus
compréhensible. Au plan de la critique externe, le nombre de témoins du texte édité est
supérieur à celui de la variante. Le texte édité contient probablement des témoins constants de
premier ordre dont l’âge des textes est plus ancien que celui des variantes. Le texte édité peut
être considéré comme proche de l’orignal.

Au plan interne, on note que l’ajout du groupe de mots apo thj quraj rend le texte long.
On aura comme texte : ble,pei to.n li,qon hvrme,non apo thj quraj evktou/ mnhmei,ou (elle
voit que la pierre a été enlevée loin de la porte du tombeau) au lieu de ble,pei to.n li,qon
hvrme,non evktou/ mnhmei,ou (elle voit que la pierre a été enlevée du tombeau) comme
inscrit dans le texte édité. Or, en matière de critique textuelle, la règle est de préférer la leçon
brève et la plus difficile qui est la plus probable ; ce d’autant que les scribes ont toujours
tendance à préciser, à expliquer pour faciliter la lecture 154. Par conséquent, nous conservons
le texte édité comme proche de l’original.

Verset 2 : Le seul problème posé par ce verset et indiqué dans l’apparat critique est
l’ajout de to.n (le) à Si,mon (Simon). Cette leçon est soutenue par deux témoins qui sont  et
209155. Au point de vue de la critique verbale, on note que le mot to.n est un article défini à
l’accusatif, et au masculin singulier. Il permet de déterminer le cas du mot qu’il suit.
Cependant, dans le cas d’espèce, nous avons la préposition proj qui gouverne l’accusatif et
donc indique déjà le cas du nom Si,mon. C’est pourquoi, même si de manière générale, le
vocabulaire grec admet l’article défini devant un nom propre, il n’en demeure pas moins que
cette règle devienne l’exception dans certains cas de figures.

Par ailleurs, ce sont seulement deux témoins qui soutiennent la variante ; tout le reste
soutient le texte édité. L’ajout de to.n n’a aucune influence sur la compréhension du texte. Au
contraire, il le rend plus long. Nous préférons donc la leçon du texte édité.

Verset 3/4 : La fin du verset 3 et le début du verset 4 présentent ensemble un seul


problème qui est le remplacement du groupe verbal kai. h;rconto eivj to. mnhmei/onÅ
e;trecon de. (Et ils venaient au tombeau. Mais ils couraient) par le groupe verbal kai e;trecon
(Et ils couraient). La variante est soutenue par le seul témoin *156, tandis que tous les autres

153
Introduction, par erreur, de bonne foi (en cherchant à « améliorer » le texte) ou par fraude, d’un mot, d’une
phrase, d’un passage qui n’en fait pas partie et qui en change le sens.
154
D. MARGUERAT, J. ZUMSTEIN, et Autres, Op. Cit., p. 491.
155
Minuscule datant du VIIe s.
156
Codex Sinaïticus de première main.

52
témoins non cités attestent la leçon du texte édité. Du point de vue de la critique verbale, la
leçon kai e;trecon est une variante involontaire. Le copiste a simplifié le texte pour le rendre
plus compréhensible au lecteur. Nous optons pour le texte édité.

Du point de vue de la critique externe, on se rend compte que les témoins du texte
édité sont plus nombreux et probablement plus anciens que celui de la variante, même s’il est
de première main, c’est-à-dire un témoin de premier ordre. Et, du point de vue de la critique
interne157, nous remarquons que la leçon de la variante (kai e;trecon) est brève. S’il est juste
de préférer la leçon brève en matière de critique textuelle, il n’en demeure pas moins que le
copiste ait une tendance à simplifier le texte. Il facilite ainsi l’accessibilité au texte en
occultant une bonne partie. Cette tentative n’assure pas la cohésion du texte. En effet, la
précision de la destination de la course des deux disciples est très importante. Le témoignage
de Marie concernant le tombeau vide a motivé la réaction de ces deux disciples qui, sans
doute, veulent vérifier la véracité de ce témoignage. Partant, la leçon du texte édité (kai.
h;rconto eivj to. mnhmei/onÅ e;trecon de), bien qu’elle soit plus longue que celle de la
variante, semble une leçon difficile. Et puisqu’il faut préférer la leçon difficile en la règle,
nous gardons le texte tel qu’il est transcrit dans la 28è édition de Nestle-Aland.

Verset 4 : Ce verset présente un seul problème.

Il s’agit de l’omission du groupe de mots kai. o` a;lloj maqhth.j (Et l’autre disciple).
Ici également nous n’avons que le seul manuscrit * qui soutient cette leçon. Les arguments
précédemment avancés en faveur de la leçon du texte édité sont aussi valables pour ce verset.
De plus, la forme verbale pro e,dramen employée à la troisième personne du singulier de
l’aoriste actif de l’indicatif (Il courut plus que) est mise ici pour l’autre disciple. L’omettre
créerait une confusion dans la compréhension du texte. En définitive, nous optons pour la
leçon du texte édité.

Verset 5 : Il pose deux problèmes.

Premier problème : Il s’agit de la transposition du groupe nominal kei,mena ta.


o,qo,nia (sont posées les bandelettes). Ce problème présente une variante à double leçon.
Dans la première leçon, nous lisons ta. o,qo,nia kei,mena (les bandelettes sont posées). Elle
est attestée par certains manuscrits. Dans la seconde leçon, le codex Ψ seul propose l’ajout de
kei,mona à la transposition en lieu et place de kei,mena. Au niveau de la critique verbale,
nous remarquons que le groupe verbal ta. o,qo,nia kei,mena proposé par la variante peut être
157
La critique interne est cet exercice qui consiste à apprécier d’après le texte et le contexte la valeur intrinsèque
des variantes.

53
une reprise de la fin du verset 6 (ta. o,qo,nia kei,mena). Si tel est le cas, il s’agirait donc d’une
variante intentionnelle du copiste qui voudrait apporter une correction stylistique. Le
changement d’ordre des mots n’influence pas la compréhension du texte, surtout que la
grammaire grecque admet généralement l’inversion du sujet. Nous gardons le texte édité.

Au plan externe, les témoins du texte édité non indiqué dans l’apparat critique sont
plus nombreux que ceux de la variante (11). Au plan interne, il faut mentionner le fait que
pour la seule variante nous avons deux leçons différentes. Par conséquent, la leçon du texte
édité peut être considérée comme la variante-source qui est le point de départ supposé des
deux autres leçons. Nous gardons, alors, le texte édité considéré comme proche de l’original.

Deuxième problème : L’ajout de la particule ge, qui signifie certes, assurément, du


moins, précède la particule mentoi (réellement, actuellement, assurément, sans doute,
cependant, toutefois). Cette leçon est attestée par L, Ψ, 0299, 1, 33, 565, 579, l 844et l 2211.

Au plan de la critique verbale, si nous nous référons à la règle orthographique suivant


laquelle lorsque la particule ge précède une autre particule, elle prend le sens de « si
seulement »158, cette locution étant utilisée pour parler des regrets du passé, nous notons que
cette leçon n’assure pas la cohésion du texte, d’une part ; d’autre part, nous notons que les
témoins du texte édité non mentionnés sont plus nombreux et probablement plus âgés que
ceux de la variante. Nous optons pour le texte édité.

Par ailleurs, au plan de la critique interne, la leçon de la variante mentoi ge (toutefois


du moins) paraît plus longue que la leçon mentoi du texte édité. Ceci est d’autant plus vrai
que le temps du verbe utilisé est le présent de l’indicatif (ble,pei ; il voit). Nous conservons la
leçon du texte éditée qui est la plus courte, comme étant proche de l’original.

Verset 6 : Ce verset présente un seul problème. La particule kai (et, même, aussi,
ainsi) est omise dans la variante attestée par A, Ds, K, N, G, D, Q, f1.13, 565, 579, 700, 892s,
1241, 1424, l 844, M159, lat160, syp.h161. Quant au texte édité, il est soutenu par p66 162, 2 163, B,

158
M.CARREZ - F.MOREL, Loc. Cit, p. 41.
159
M (ensemble des textes majoritaires de la Koinè).
160
Leçons attestées par la Vulgate et une partie de la tradition latine ancienne.
161
Traduction Peshitta et Harclensis de la version syriaque.
162 66
î : Papyrus datant du IIe s. Les papyrus en général font partie des plus anciens témoins. On trouve ces
supports du texte jusqu’au VIIè s, mais on ne peut remonter au-delà du II è s pour les plus anciens. Ils présentent
un texte grec, souvent très fragmentaire ; parfois ils sont bilingues : grec et copte (P6, P41). Ils proviennent
d’Egypte et sont aujourd’hui dispersés dans les bibliothèques d’Europe et des Etats-Unis.
163
2= codex Sinaïticus imparti à un deuxième correcteur.

54
L, W, Ψ, 0299, 33, l 2211, (a)164, rl, vgmss165, co166. Au plan de la critique verbale, l’omission de
kai pourrait être une correction grammaticale. C’est donc une variante intentionnelle. Le
copiste ne voudrait pas aligner deux particules successivement. Or, dans ce contexte, l’emploi
de kai est nécessaire puisqu’il précise et atteste la présence de Simon (aussi) à la tombe, aux
côtés de l’autre disciple. Par conséquent, nous conservons le texte édité supposé proche de
l’original.

Au plan de la critique externe, le nombre de témoins qui soutiennent la variante (18)


est plus important, contre douze (12) témoins pour le texte édité. Cependant, le texte édité
contient des témoins constants de premier ordre dont p66, , B, L, W, Ψ, 0299, 33 qui sont
spécifiques à l’évangile de Jean. Par conséquent, nous optons pour le texte édité.

Verset 10 : Nous notons un problème dans ce verset qui est le remplacement de
auvtou.j (eux) par eautouj (eux-mêmes). Cette variante est attestée par les témoins 2, A, Ds,
K, N, G, D, Q, Ψ, f1.13, 33, 565, 579, 700, 892s, 1241, 1424, l 844, l 2211, M. Quant au texte
édité, il est soutenu par *, B, L.

Du point de vue de la critique verbale, ce remplacement fait allusion à une erreur de


transcription, ce qui paraît plausible comme hypothèse puisque les deux mots s’écrivent de la
même façon. auvtou.j est un pronom personnel à l’accusatif, et au masculin pluriel, tandis que
eautouj est un pronom réfléchi, également, à l’accusatif, et au masculin pluriel. Mais dans une
autre, le copiste aurait voulu apporter une correction grammatique, il s’agirait donc d’une
variante intentionnelle. Ce remplacement n’assurant pas la cohésion du texte, nous préférons
le texte édité.

Du point de vue de la critique externe, l’on note que les témoins qui soutiennent la
variante (20) sont plus nombreux que ceux du texte édité (03). Cependant, le texte édité
contient des témoins constants de premier ordre dont *, B, L, qui sont spécifiques à
l’évangile de Jean. Du point de vue de la critique interne, l’action de Simon et de l’autre
disciple, ici, est orientée vers les autres disciples qui n’étaient pas au tombeau. Ainsi, en
employant eautouj, le copiste inclut les deux disciples, ce qui ne correspond pas à l’esprit du
texte. D’où la probabilité d’une leçon qui ne s’accorde pas avec le contexte. L’emploi d’un
pronom réfléchi ne saurait se justifier ici. Nous gardons le texte tel qu’il nous est parvenu.

Verset 11 : Il présente trois problèmes.


164
Manuscrit de la tradition latine ancienne.
165
Ensemble des manuscrits de la Vulgate divergeant de vg, du IXe – XIXe s.
166
co = toutes les versions coptes existantes concernant le passage.

55
Premier problème : Le mot Mari,a (Marie) est remplacé par Mariam (Marie). La
variante est soutenue par le p66e datant du IIe siècle, et d’autres témoins 167 tels que, Ψ, la
majuscule 050, les minuscules f1, 33, 565, les lectionnaires l 844, l 2211et.syh. Le texte édité
est soutenu par l’ensemble des manuscrits 168 non énumérés dans l’apparat critique. Les
arguments avancés pour le verset 1 sont aussi valables pour ce verset. Nous optons pour le
texte édité.

Deuxième problème : Il concerne la substitution de en (dans, en, dedans) à pro. (près


de, vers) transcrit par . Au plan de la critique verbale, cette substitution est une variante
intentionnelle. Le copiste veut corriger une faute grammaticale. Ici, l’emploi de pro.,
préposition gouvernant le datif, assure la cohésion du texte. Nous gardons donc le texte édité.

Au plan de la critique externe, s’il faut, en matière de critique textuelle, se méfier de


tirer une conclusion hâtive en ce qui concerne le nombre de témoins et leur âge, il n’en
demeure pas moins que cette option ait une certaine notoriété dans certains cas. Ici par
exemple, c’est le seul manuscrit  qui soutient la leçon de la variante contre tous les autres
non énumérés dans l’apparat critique et qui soutiennent le texte édité. L’emploi de la
préposition adverbiale en n’assure pas une cohésion au texte. Nous conservons le texte édité.

Au plan de la critique interne, on note que Marie de Magdala ne pouvait pas se


retrouver dans le tombeau et être en même temps dehors comme le souligne le récit. L’auteur
viserait-il la qualité du style pour ainsi donner un tour plus logique au texte grâce à la
préposition ? Ceci suppose que la leçon du texte édité paraît difficile. Nous optons dans ce cas
pour le texte édité.

Troisième problème : il est composé de deux variantes et traite du remplacement du


groupe de mot e;xw klai,ousa (dehors pleurant). Dans la première variante, *, A, it, sys.p169
ont transcrit klai,ousa (pleurant). Au niveau de la critique verbale, le copiste présente une
variante involontaire dans laquelle il veut corriger une faute en procédant à un remplacement.
Fondamentalement, ce remplacement se présente comme une ommission en vue d’harmoniser

167
-Ψ ou 044 (codex Laurensis), manuscrit oncial du Ve s.
-050, manuscrit majuscule du IXe s.
168
Toutes sortes de matières ont servi à recevoir l’écriture: la pierre, les métaux, la terre cuite, les tablettes de bois
ou d’ivoire enduites de cire, voire les tessons ou fragments de poterie (ostraka). On asurtout employé lepapyrus,
le parchemin et le papier. Aussi réserve-t-on le nom de manuscrits aux transcriptions exécutées sur ces trois
dernières substances.
169
it (= Itala) désigne l’ensemble de tous les témoins de la tradition latine ou la majorité d’entre eux.

56
les différents points de vue des autres copistes. Nous sommes, donc, en face d’une variante
harmonisante ou conformante170. Le texte édité semble proche de l’original.

Au niveau de la critique externe, il faut signaler que les témoins du texte édité sont
plus nombreux que ceux de la variante. Au niveau de la critique interne, l’absence de
l’adverbe de lieu e;xw ne rend pas compte véritablement de la situation telle qu’elle se
présente. L’indication de cette variante vient corroborer notre hypothèse selon laquelle Marie
serait près du tombeau (pro.). La proposition de klai,ousa donne à croire que l’auteur veut
concilier les diverses positions, c’est-à-dire que Marie ne se retrouve ni en ni proj, mais
« pleurant » tout simplement. Nous optons pour le texte édité.

Dans la seconde variante, Ds, K, G, Q, Ψ, f13, 700, 892s, 1241, 1424, M, q, et syh ont
transcrit klai,ousa e;xw (pleurant dehors). Le texte édité est soutenu par 2, B, L, N, W, D,
050, 1, 33, 565, et probablement 579, l 844 et l 2211, aur, probablement d, f, vg, et co. Du
point de vue de la critique verbale, d’une manière générale, les prépositions et adverbes se
placent toujours derrière le substantif ou le verbe dans le vocabulaire grec. Ce remplacement
ne change en rien le sens du texte. Nous optons pour le texte édité.

Verset 12 : dans ce verset, nous avons deux problèmes.

Premier problème : Les manuscrits *et e171 omettent le terme du,o (deux). Signalons
de prime abord que tous les manuscrits non mentionnés dans l’apparat attestent le texte édité.
Du point de vue de la critique verbale, en lisant les synoptiques, les récits parallèles nous
donnent comme résultat : Marc 16, 5 parle de neaniscon (un jeune homme), Matthieu 28, 2 de
aggeloj (un ange) et Luc 24, 4 de andrej duo (deux hommes). Cette omission est
probablement une variante intentionnelle. Les auteurs voudraient supprimer les divergences
contenues dans les quatre récits d’apparition et qui concernent le nombre de personnes ou
d’anges rencontrés par Marie de Magdala au tombeau afin de proposer une leçon qui soit
intermédiaire et acceptée de tous. Nous conservons le texte édité comme proche de l’original.

Du point de vue de la critique externe, les témoins du texte édité sont plus nombreux
et probablement plus anciens que ceux de la variante (02). Du point de vue de la critique
interne, la leçon de la variante ne s’accorde pas avec le contexte de la résurrection tel qu’il est
présenté par les auteurs synoptiques qui relèvent la présence d’au moins un personnage à

170
Ce sont des « retouches inspirées par le désir de supprimer toute divergence entre les textes similaires », cf. L.
VAGANAY, CB. HAMPHOUX, Initiation à la critique textuelle du N.T., Cerf, Paris, 1986, p. 93.
171
e = manuscrit de la tradition latine ancienne.

57
l’entrée du tombeau de Jésus. La leçon du texte édité semble la plus difficile. Nous gardons le
texte édité.

Deuxième problème : il comprend deux variantes

La première variante concerne le remplacement du groupe de mots evnleukoi/j


kaqezome,nouj (en blancs assis) par kaqezome,nouj evnleukoi/j (assis en blancs). Cette leçon
est attestée par , pbo et bo172. Au plan de la critique verbale, ce remplacement s’apparente
fort à une transposition, car l’auteur n’a fait qu’intervertir l’ordre des mots afin de rendre la
lecture et la compréhension plus simple. Au plan de la critique externe et de la critique
interne, les arguments avancés ci-dessus sont aussi valables pour cette variante. Nous optons
pour le texte de la 28ème édition.

Ds a retranché la leçon evnleukoi/j kaqezome,nouj dans la deuxième variante. Au


niveau de la critique verbale, on remarque que le témoin de la variante propose une omission.
Il s’agit sans doute d’une variante involontaire. Au niveau de la critique externe, un seul
manuscrit soutient la variante. Au niveau de la critique interne, il faut préciser que la couleur
(de la tenue) des anges mérite d’être faite, auquel cas, nous pouvons penser aux gardes qui
veillent sur le corps de Jésus, surtout que les textes parallèles ne s’y accordent pas. En
conclusion, nous retenons la leçon du texte édité comme proche de l’original.

Verset 13 : ce verset pose deux problèmes.

Premier problème : L’apparat critique signale l’omission de kai. (et, ainsi, aussi, etc.)
dans les manuscrits , lat et sys. Tous les autres témoins, en dehors de ceux de la variante
soutiennent le texte édité. Du point de vue de la critique verbale, cette omission serait une
variante involontaire. L’œil du copiste a sauté le mot ou il a jugé utile de laisser tomber la
particule. Cette appréciation ne cadre pas bien avec le style de l’écrivain biblique. En effet, en
traversant les lignes du texte grec édité, nous nous rendons compte tout de suite de la place de
choix qu’occupe la conjonction kai en début de phrase. Nous gardons le texte édité.

Du point de la critique externe, l’omission de la conjonction « et » n’assure pas la


cohésion du texte. De plus, les témoins du texte édité sont plus nombreux que ceux de la
variante. Nous conservons le texte édité.

Deuxième problème : il comprend deux variantes

172
Dialecte bohaïrique de la version copte.

58
Dans la première variante, nous avons l’ajout de tina zhteij (qui cherches-tu ?) au texte
édité. Cette leçon est attestée par A* (première main), D, 579, 1424 et sys. Au plan de la
critique verbale, les auteurs de cette variante ont tenté de clarifier le texte afin de le rendre
mieux compréhensible. Cette interpolation serait une simple glose 173 explicative. La seconde
variante ajoute kai. (et, aussi) attestée par le seul témoin B. Il s’agit d’une interpolation, c’est-
à-dire que le copiste a ajouté kai afin de clarifier ou améliorer le texte. Nous optons pour le
texte édité.

Au plan de la critique externe, les témoins du texte édité, bien que non mentionnés
sont plus nombreux et peut-être même plus âgés que ceux des deux variantes. De plus, au plan
de la critique interne, les deux variantes rendent la leçon longue, alors qu’il faut préférer la
leçon courte dans ce domaine. Nous retenons par conséquent le texte édité comme proche de
l’original.

Verset 14 : ce verset pose un problème à deux variantes.

Dans la première variante, Les témoins K, G, D, f13, 700, 892s, 1241, 1424, M et sys
transcrivent kai. tauta (et ceux-là) en remplacement de tauta (ceux-là). Dans la seconde
variante, tauta (ceux-là) est remplacée par tauta de. (ceux-là mais). Le témoin L seul soutient
cette variante. Quant au texte édité, il est soutenu par , A, B, D, N,W, Q, Ψ, f1, 33, 565, 579,
l 844,l 2211 et syh.

Au niveau de la critique externe, les témoins qui soutiennent les deux variantes sont en
nombre réduit et peut-être même moins âgés. Par contre, les témoins du texte édité sont plus
nombreux et plus anciens. Au niveau de la critique externe, les deux leçons kai .tauta et tauta
de. sont plus longues que celle du texte édité. Ainsi, à l’issue des critiques externe et interne,
nous pourrions dire que la leçon tauta paraît plus proche de l’original.

Verset 15 : un seul problème est constaté dans ce verset.

Il s’agit de l’ajout de o. (le). Cette leçon est soutenue par A, D, K, N, G, D, Q, Ψ, 050,


f1.13, 33, 565, 700, 892s, 1241, 1424, l 844, l2211 et M. Le texte édité est attesté par î66, , B,
L, W. Du point de vue de la critique verbale, le copiste en ajoutant ὁ (le), article défini
masculin singulier à ’I, veut insister sur le fait que c’est Jésus qui parle. Or même sans
cet article, le texte est compréhensible. L’ajout de o` serait probablement une interpolation,
c’est-à-dire que l’écrivain aurait introduit, par erreur et de bonne foi, l’article défini le (o`)
173
Commentaire ou explication d’un texte obscur ou jugé comme tel. A l’origine dans la marge, ou entre les
lignes, puis dans le texte.

59
dans le but d’améliorer, de clarifier le texte. Malheureusement, VIhsou/j (Jésus) est un nom
propre qui n’a pas forcément besoin d’un article, même si le vocabulaire grec l’admet. Nous
gardons le texte édité tel qu’il nous est parvenu.

Du point de vue de la critique externe, l’on remarque que les témoins du texte édité
sont plus anciens que ceux de la variante. Aussi, du point de vue de la critique interne, la
leçon du texte édité est courte et paraît plus difficile que celle de la variante. Nous
conserverons le texte de la 28ème édition, comme proche de l’original.

Verset 16 : il pose six problèmes.

Premier problème : Il s’agit de l’ajout de ὁ (le) à ’I (Jésus), par certains témoins
cités dans l’apparat critique. Le texte édité est soutenu par les témoins B, D, L, Q, Ψ, 050. Les
arguments avancés ci-dessus dans le verset 15 sont aussi valables pour cette variante, même si
du point de vue de la critique externe, les témoins de la variante sont plus nombreux et
paraissent plus âgés que ceux du texte édité. Nous optons pour le texte édité.

Deuxième problème : il s’agit du remplacement du mot Мαριάμ du texte par Мαριά.


Cette variante est soutenue par quelques témoins. Le texte édité est également soutenu par des
témoins mentionnés dans l’apparat critique. Les arguments avancés au verset 11 sont aussi
valables pour cette leçon. Par conséquent, nous conservons le texte édité.

Troisième problème : il est relatif à l’ajout de δε (mais) au texte édité. Cette variante
est soutenue par , D, N, θ, 0250, it et co. Du point de vue de la critique verbale, le mot 
(mais) est une conjonction de coordination qui marque une opposition ou une restriction. Le
copiste a voulu faire remarquer une opposition entre les propos de Jésus et la réaction de
Marie. Il s’agit d’une interpolation. Cette opposition n’influence en rien la compréhension du
texte. Du point de vue de la critique externe, la variante δε est soutenue par huit témoins (08)
alors que le texte édité est soutenu par tous les autres témoins qui ne sont pas mentionnés ici,
plus nombreux et peut-être plus anciens. Du point de vue de la critique externe, l’ajout de la
conjonction de coordination δε rend la leçon de la variante plus longue que celle du texte
édité. A l’issue des critiques verbale, externe et interne, nous gardons le texte édité.

Quatrième problème : il s’agit du remplacement de ραββουνι du texte par ραββωνι.


Cette variante est soutenue par les témoins : D, θ, latt174 et pbo. Au plan de la critique verbale,
ραββουνι est un mot araméen qui est un titre honorifique. C’est la forme renforcée de ραββι
qui signifie « mon Maître ». Les mots rαββουνι et ραββι sont indéclinables. Nous avons plutôt
174
Toute la tradition latine a pour base le même texte grec.

60
ραββoνι qui se décline en rabbounei et rabbonei. Le copiste en écrivant ραββωνι en lieu et
place de ραββονι a probablement confondu les voyelles ο et ω. Cette variante involontaire est
probablement un lapsus calami175. Par conséquent, nous préférons le texte édité.

Du point de vue de la critique externe, la leçon n’est soutenue que par quatre témoins,
tandis que tous les autres témoins plus nombreux et plus âgés, qui ne sont pas mentionnés
dans l’apparat-critique, attestent le texte édité. La leçon rαββουνι que nous retenons semble
être plus proche de l’original.

Cinquième problème: on remarque l’ajout du mot κυριε (Seigneur) transcrit par D et


probablement par it. Au plan de la critique verbale, l’ajout du mot κυριε est probablement une
interpolation. L’auteur a voulu clarifier le texte en y ajoutant χυρίε (Seigneur) à δίδάσκαλε
(enseignant). Au plan de la critique externe, nous avons deux témoins qui soutiennent cette
variante dont le second entre parenthèses, signifie qu’il y a encore des doutes à son niveau.
Cet ajout n’est donc pas nécessaire pour la compréhension du texte. Au plan de la critique
interne, on remarque que le copiste de la variante veut insister sur le fait qu’il s’agit de Jésus
et non de n’importe quel enseignant. Cet ajout rend la variante plus longue et plus claire que
la leçon du texte édité. La règle en la matière est de préférer toujours la leçon courte et
difficile. Nous conservons le texte édité comme proche de l’original.

Sixième problème : nous avons ici une variante à deux leçons. La première leçon est
l’ajout du groupe de mots και προσεδραμεν αψασθαι αυτου (et nous courions vers lui le
touchant) au texte, soutenu par 2a, θ, Ψ, f13, vgmss et sy(s).h176. Dans la seconde leçon, la
minuscule f13 propose αψeσθαι à la place de αψασθαι.

Au niveau de la critique verbale, les témoins qui soutiennent ces leçons ont voulu
clarifier le texte. On a l’impression que ces ajouts sont des commentaires ou explications
donc des formes de glose qu’il faut tout simplement écarter. Nous optons donc pour le texte
édité.

Au niveau de la critique externe ledit texte est transmis par des témoins plus anciens.
Au niveau de la critique interne, la leçon αψασθαι est brève et doit être préférée aux deux
autres leçons, car elle constitue la variante source lorsque nous les confrontons. Nous
conservons le texte édité comme plus proche de l’original.

Le verset 17 : Ce verset présente cinq problèmes.


175
Il s’agit ici d’une altération involontaire due à une faute d’orthographe. Le copiste a sans doute confondu les
deux lettres ο et ω.
176
La version syriaque sinaïtique s’écarte légèrement de la version syriaque Harclensis.

61
Premier problème : il s’agit de l’ajout de o. au texte édité. Cette variante est soutenue
par plusieurs manuscrits cités dans l’apparat critque. Le texte édité est soutenu par B, D, L et
Ψ. Du point de vue de la critique verbale, en nous référant à l’analyse faite au verset 15, on
constate que le copiste a ajouté cet article défini ὁ à VIhsou/j pour déterminer celui qui parle
réellement. Les arguments avancés dans les critiques externe et interne au verset 15 sont aussi
valables pour cette leçon. Nous gardons le texte édité comme proche de l’original.

Deuxième problème : Le groupe de mots μή άπτου μου (ne pas toucher de moi) est
remplacé par μή μου άπτου (ne pas de moi toucher). Le codex B atteste cette variante. Du
point de la vue de la critique verbale, nous sommes en présence d’une variante involontaire.
Le copiste dans sa rédaction a interverti l’ordre des mots afin de rendre la lecture plus
simplifiée. Ce remplacement est en fait une transposition qui n’a aucune incidence sur la
compréhension du texte édité que nous gardons dans sa forme initiale.

Du point de vue de la critique externe, l’ensemble de tous les témoins non mentionnés
dans l’apparat, plus nombreux et plus âgés attestent la leçon du texte édité contre un seul
témoin pour la variante. Du point de vue de la critique interne, la leçon μή ά πτου μου paraît
la plus difficile. Nous optons pour le texte édité.

Troisième problème : il s’agit de l’ajout de μου (de moi) par les témoins p66, A, K, L,
N,G, D, Q, Ψ, 050, f1.13, 33, 565, 700, 892s, 1241, 1424, l 844, l 2211 et M, lat, sy, co, Orpt177,
Eus178, Epiph179. Le texte édité est soutenu par , B, D, W, b, e, Irlat180 et Orpt. Au plan de la
critique verbale, le copiste a voulu clarifier le texte, en insistant sur le fait que Dieu est le
Père de Jésus. Il s’agit d’une interpolation. Au plan de la critique externe, cet ajout n’a aucune
influence sur la compréhension du texte. Au plan de la critique interne, il rend plutôt le texte
long. Nous optons pour le texte édité parce qu’il est difficile et bref.

Quatrième problème : ce problème a deux variantes.

Pour la première variante, le δε (mais) du texte est remplacé par ou=n (sans doute,
donc, en effet). Cette variante est soutenue par les témoins2a, D, L, 050. Dans la seconde
variante, A, samss et boms181 n’ont fait que signaler un remplacement sans toutefois faire de
propositions.

177
Supplément de la version latine du Père de l’Eglise Origène.
178
Père de l’Eglise Eusèbe de Césarée, témoin du IVe s.
179
Père de l’Eglise Epiphanie de Constantinople, du Ve s.
180
Traduction latine du Père de l’Eglise Irénée, du IVe s.
181
- samss signifie que deux ou plusieurs manuscrits sahidiques attestent la variante mentionnée.
- boms signifie qu’un manuscrit bohaïrique atteste la variante mentionnée.

62
Du point de vue de la critique verbale, l’emploi du mot ou=n (en effet) adverbe et
conjonction modifie le sens du texte. Il s’agit d’une variante intentionnelle, sans doute causée
par une faute grammaticale sur laquelle on ne saurait se baser. Du point de vue de la critique
externe, seulement cinq (05) témoins anciens soutiennent cette variante contre tous les autres
manuscrits non cités qui attestent la leçon du texte édité. La variante ou=n (en effet) n’assure
pas la cohésion du texte. Du point de vue de la critique interne, le mot ε (mais) qui marque
l’opposition convient mieux dans ce contexte. Car au lieu que Marie perde son temps à
toucher Jésus, ce dernier l’envoie plutôt vers ses frères. C’est un choix du copiste qui vient
alourdir le fond du texte et qui ne rend pas bien compte de son contexte. Après les analyses au
niveau des critiques verbale, externe et interne, nous retenons le texte édité comme plus
proche de l’original.

Cinquième problème: L’apparat critique souligne l’omission du mot μου (de moi)
dans les manuscrits *, D, W, e, bomss182 et Irlat. Le texte édité est soutenu par les autres
témoins qui ne sont pas mentionnés dans l’apparat critique.

Sur le plan de la critique verbale, nous sommes en face d’une variante involontaire qui
a une incidence sur la compréhension du texte. Sur le plan de la critique externe, la variante
n’est soutenue que par six (06) témoins donc moins nombreux que ceux du texte édité. De
plus, l’omission du mot μου n’assure pas la cohésion du texte. En effet, sur le plan de la
critique interne, il s’agit bel et bien des frères et non d’autres frères de Jésus. Ces frères
pourraient être des disciples avec lesquels il a partagé toute sa vie terrestre. La leçon du texte
édité semble la plus difficile. Nous retenons alors le texte édité comme proche de l’original à
l’issue des critiques verbale, externe et interne.

Le verset 18: Ce verset a quatre problèmes.

Premier problème : il s’agit du remplacement de Мαριάμ par Мαριά. Cette variante


est soutenue par les témoins : A, D, K, N, W, G, D, Q, Ψ, 050, f13, 700, 892s, 1241, 1424, l

2211, M, sams, pbo, bo. Le texte édité est soutenu par les témoins î66, , B, L, 1, 33, 565, l
844, syh, samss et ly183. Мαριάμ n’est que le vocatif de Мαριά. Les arguments avancés pour
soutenir le texte édité au verset 11 sont tout aussi valables ici. Nous conservons le texte édité.

Deuxième problème : il contient deux variantes.

182
Deux à quatre manuscrits sahidiques transmettent la variante indiquée.
183
Manuscrit de la tradition latine ancienne.

63
Dans la première variante, la forme άγγέλλουσα (annonçant) est remplacée par
απαγγέλλουσα184 (annonçant formellement). Elle est attestée par î66, 2, D, K, L, N, G, Q, f13,
565, 700, 892s, 1241, 1424, l 844, l 2211 et M. Dans la deuxième variante, nous avons le
remplacement de άγγέλλουσα par αναγγέλλουσα185 (déclarant, enseignant). Cette leçon est
soutenue par W, Δ, Ψ, 33. Le texte édité est soutenu par î66*, *, A, B, 078, a, d, e.

Sur le plan de la critique verbale, le verbe άγγέλλω qui signifie annoncer, faire office
de messager, porter un message ou une nouvelle, faire savoir, apporter des nouvelles de
quelqu’un, prend un sens kérygmatique. Dans ce cas précis, il est synonyme de chrussw
(proclamer, annoncer, faire savoir quelque chose à quelqu’un). Les auteurs qui proposent
απαγγέλλουσα et αναγγέλλουσα ont fait une option dans le souci d’améliorer le texte. Ce sont
des erreurs involontaires des copistes qui, au lieu d’écrire άγγέλλουσα ont préféré pour l’un
απαγγέλλουσα et pour l’autre αναγγέλλουσα. Sur le plan de la critique externe, on note parmi
les manuscrits du texte édité des témoins constants de premier ordre dont î66* et *. Nous
optons ici pour le texte édité.

Sur le plan de la critique interne, dans le texte, Marie est chargée d’aller dire aux
disciples ce que Jésus lui avait recommandé. Elle se présente comme le premier témoin de la
résurrection. Il ne s’agit ni d’un décret, ni d’un enseignement, encore moins d’une déclaration,
mais il s’agit plutôt d’un témoignage. C’était donc la première annonce officielle de la
résurrection, dans tout le Nouveau Testament, qui va donner le ton pour la proclamation,
l’évangélisation dans toute la Palestine et dans les régions environnantes. Seul Jésus, le Maître
pouvait enseigner et annoncer d’une manière formelle sa résurrection, comme ce fut le cas
dans les versets qui suivaient dans ce récit. Marie n’était qu’une simple messagère de la
Bonne Nouvelle aux disciples. Nous optons pour la leçon άγγέλλουσα qui paraît être proche
de l’original.

Troisième problème : il présente deux variantes.

Dans la première variante, les manuscrits transcrivent έώρακεν (elle a vu) en


remplacement de έώρακα (j’ai vu). Pour la deuxième variante, la leçon έώρακαμεν (nous
avons vu) se substitue à la leçon έώρακα. Elle est soutenue par la seule minuscule 33. Le texte
édité est soutenu par î66,, B, N, W, 892s, a, aur, vg, sys, samss, ly, pbo et bo.

184
W. D. MOUNCE, The Analytical Lexicon to the Greek New Testament, Zondervan Publishing House, Grand
Rapids, p. 82.
185
Ibid, p. 67.

64
Du point de vue de la critique verbale, les mots έώρακα, έώρακεν et έώρακαμεν ne
sont que des formes conjuguées du même verbe  (voir) : έώρακα du texte est à
l’indicatif parfait actif et à la première personne du singulier (j’ai vu), έώρακεν est à
l’indicatif parfait actif à la troisième personne du singulier (elle a vu) et έώρακαμεν qui est à
l’indicatif parfait actif à la première personne du pluriel (nous avons vu). Il s’agit d’une
variante involontaire. Nous optons pour le texte édité.

Du point de vue de la critique externe, Le texte édité est soutenu par les témoins parmi
lesquels se trouvent le papyrus î66 et le Codex Sinaïticus qui font partie des plus anciens
manuscrits grecs. Vu l’âge important des témoins constants de premier ordre précités, nous
conservons le texte édité.

Du point de vue de la critique interne, étant donné que c’est Marie-Madeleine qui
s’adresse aux disciples, en disant « j’ai vu » le Seigneur, nous constatons que la première
personne du singulier correspond mieux au contexte. Probablement, les copistes ont fait
allusion aux textes parallèles des évangiles synoptiques (Mt 28,8 ; Lc 24,9-10) qui
mentionnent plusieurs femmes ayant annoncé la nouvelle de la résurrection de Jésus aux
autres disciples. Nous retenons le texte édité que nous considérons plus proche de l’original.

Quatrième problème : Le groupe de mot ταύτα είπεν αύτή (cela il a dit à elle) est
remplacé par a eipen auth emhnusen autoi (elle dit elle révèle à eux). Le codex D et
probablement c, e et sys soutiennent cette variante. Du point de vue de la critique verbale, on
remarque que les témoins de la variante ont voulu clarifier le texte pour le rendre plus
compréhensible. C’est probablement une interpolation qui, en définitive, n’assure pas la
cohésion du texte. Aux plans externe et interne, les témoins de la variante paraissent moins
importants que ceux du texte édité, plus nombreux et plus âgés, et la leçon ταύτα είπεν αύτή
est plus courte. Nous optons pour le texte édité.

Verset 19 : ce verset pose trois problèmes

Premier problème : il présente trois variantes.

Dans la première variante attestée par le codex *, nous avons le remplacement du
groupe de mot th/| mia/| (la première) par mia/| (première). Dans la seconde variante, le même
groupe de mot est remplacé par miaς (premières). Cette variante est soutenue par W. Dans la
troisième variante, nous lisons th/| mia/| tw/n (la première des) en lieu et place de th/| mia/| tel
qu’elle est transcrite par les témoins de cette leçon.

65
Sur le plan de la critique verbale, l’emploi de l’article défini féminin th/| donne une
précision sur le jour auquel se rapporte le récit. Il s’agit bien évidemment du premier jour et
non de quel qu’autre jour ou des jours comme le font croire les trois variantes. Il s’agit d’une
interpolation où chaque écrivain propose une option différente de la leçon du texte édité en
vue d’améliorer ou de clarifier le lecteur. Ces différents remplacements n’influencent
aucunement pas la compréhension du texte. Nous gardons le texte édité.

Sur le plan de la critique interne, les divergences constatées entre les différentes
variantes laissent transparaitre clairement la difficulté que les rédacteurs ont pour trouver une
leçon qui se rapprocherait du texte primitif. Ainsi donc, la leçon th/| mia/| peut être considérée
comme la forme la plus ancienne des variantes, c’est-à-dire la variante source, le supposé
point de départ des autres leçons divergentes. Nous retenons la leçon th/| mia/| comme proche
du texte original.

Deuxième problème : il présente deux variantes. Dans la première variante, 1, K, N,


G, Q, f1.13, 565, 700, 892s, 1241, 1424, l 844, M, it, vgcl186, syh**187 et bo ajoutent su,nhgmenoi
(rassemblés) au texte, tandis que dans la seconde variante L,D, Ψ, 33, f et sa proposent au,tou/
su,nhgmenoi (eux-mêmes rassemblés) en ajout. Le texte édité est attesté par *, A, B, D, W,
078, lat, sys.p, ly et pbo.

Ici également, au niveau de la critique verbale, les rédacteurs des deux variantes, d’une
manière involontaire, ont essayé d’améliorer ou de clarifier le texte en ajoutant
respectivement les leçons su,nhgmenoi et au,tou/ su,nhgmenoi. au texte. Il s’agirait d’une
interpolation qui consisterait à rendre la lecture du texte plus fluide. Au niveau de la critique
interne, ces ajouts rendent le texte encore plus long. Puisqu’il faut, en matière de critique
interne préférer la leçon courte, nous gardons donc la leçon du texte édité.

Troisième problème : Il concerne l’omission de o. dans les manuscrits D et 078. Au


plan de la critique verbale, les arguments avancés aux versets 15, 16 et 17 sont aussi valables
pour cette variante. Toutefois, précisons-le très clairement, la grammaire grecque admet
l’omission de l’article défini devant un nom propre lorsque ce nom est attribut du sujet. Cela
permet de reconnaître que ce nom est attribut et non pas sujet 188. Au plan de la critique
externe, les témoins de la variante sont moins représentatifs (2) que ceux du texte édité

186
Vulgate clémentine, de fin XVIe s.
187
Indique que la leçon diverge du texte grec de base utilisé par le traducteur.
188
M. CARREZ, Grammaire grecque du Nouveau Testament, Labor et Fides, Genève, 1985, p. 21.

66
(ensemble de tous les manuscrits non cités dans l’apparat) aussi bien en nombre qu’en âge.
Dans cet esprit, nous gardons le texte édité.

Verset 20 : ce verset pose deux problèmes

Premier problème : il comprend deux variantes

La première variante, soutenue par les onciaux A et B, propose l’ajout de kai. (et) à ta.j
cei/raj (les mains). Ce qui nous donne la leçon kai. ta.j cei/raj (et les mains). Dans la deuxième
variante, le pronom auvtoi/j (à eux) est ajouté à ta.j cei/raj ; d’où la leçon auvtoi/j ta.j cei/raj (à
eux les mains). Cette leçon est attestée par K, L, N, G, D, Q, Ψ, f1.13, 33, 565, 700, 892s, 1241,
1424, l 844, M, lat et sy. Les manuscrits, D, W, 078et q soutiennent le texte édité.

Du point de vue de la critique verbale, les additions de kai. et auvtoi/j donnent un


caractère redondant au texte et n’assurent pas sa cohésion. Il est probable que ces ajouts soient
une dittographie189. Du point de vue de la critique interne, ces erreurs volontaires brisent le
sens du texte et rendent le texte plus long. Nous conservons la leçon du texte édité qui semble
être plus proche de l’original.

Deuxième problème : il propose deux variantes.

La première variante est attestée par les manuscrits î66vid 190, K, L, G, D, Q, Ψ, f13, 33,
700, 892s, 1241, 1424,M, b, c, rl 191 et sy et propose le remplacement de auvtoi/j (à eux) par
au,tou/ (de lui). Le même remplacement, indiqué dans la seconde variante, est retranché dans
N, 1, 565, l 844 et lat. Le texte édité est attesté par , A, B, D, W, 078, q.

Sur le plan de la critique verbale, auvtoi/j est un pronom personnel, au datif pluriel et
désigne ici les disciples de Jésus. Quant à au,tou/, c’est un pronom personnel, au génitif
singulier et désigne probablement Jésus lui-même. Cette précision tend à clarifier le texte,
sans toutefois influencer son sens. Sur le plan de la critique externe, les témoins des deux
variantes sont plus récents que ceux du texte édité. Le papyrus î66 qui est un témoin important
dans la liste n’est pas fiable car il propose une leçon pas tout à fait sûre. Nous conservons le
texte tel qu’il nous est parvenu.

189
Répétition fautive d’une lettre, d’une syllabe, d’un mot, d’un groupe de mots ou même d’un membre de
phrase.
190
Le mot « vid » (videtur) en exposant souligne qu’il est vraisemblable que l’auteur atteste la variante de
référence. L’indication ne peut cependant être fondée avec une entière certitude.
191 1
r est un manuscrit faisant partie de l’ensemble des témoins de la version latine ancienne.

67
Sur le plan de la critique interne, en suivant l’esprit du texte, on constate que c’est
Jésus ressuscité qui montre ses mains et son côté à ses disciples afin de dissiper toute leur
crainte. Le rédacteur de la variante voudrait insister sur le fait que les mains et le côté sont de
Jésus. Cette insistance ne s’accorde pas avec le contexte du texte. Nous optons pour la leçon
du texte édité.

Verset 21 : ce verset indique deux problèmes dans l’apparat-critique.

Premier problème : On constate l’omission de Îo.V Ihsou/j/Ð (le Jésus) dans , D, L,


W, Y, 050, l 844, lat, sys, samss, ly, pbo et bo. Le texte de la 28è édition est attestée par A, B,
K, N, G, D, Q, 078, f13, 33, 700, 892s, 1241, 1424, probablement f1 et 565, M, b, f, ff2, syp.h et
samss.192

Au plan externe, nous constatons que les témoins qui attestent le texte édité (22) sont
plus nombreux et peut-être plus anciens que ceux de la variante (13). La leçon o. VIhsou/j
provient d’un texte primitif mais les éditeurs émettent un doute. C’est sans doute cette
hypothèse qui a amené le copiste de la variante à omettre tout simplement la leçon Îo.V
Ihsou/j/Ð. Cette omission n’assure pas la cohésion du texte. Au plan interne, les copistes ont
rendu le texte facile et clair. Or, en matière de critique textuelle, il faut préférer la leçon
difficile. Nous gardons le texte tel qu’il est imprimé.

Deuxième problème : il comprend deux variantes

Pemyw (j’enverrai) remplace pempw (j’envoie) dans *, f13, c et bomss pour ce qui
concerne la première variante. Mais dans la seconde,2a, D*, L, 050 et 33 ont transcrit
apostellw (j’envoie) en lieu et place de pempw. Les témoins du texte édité sont : 2b, A, B,
D1, K, N, W, G, D, Q,Y, f1, 565, 700, 892s, 1241, 1424, l 844 et M.193 Au niveau verbal,
l’emploi du présent de l’indicatif du verbe pempw indique une action qui se passe au moment
où Jésus parle mais dont l’accomplissement est dans un futur proche. Point n’est besoin
d’utiliser le futur pemyw dans ce contexte. Il s’agit d’une variante involontaire. Nous optons
pour le texte édité.

Au niveau de la critique externe, le constat demeure que les témoins qui soutiennent le
texte édité sont plus nombreux et plus âgés que ceux des deux variantes. Ces deux

192
Le témoin f (codex Augiensis) fait partie des vieilles versions latines ou it et date du Ve au IXe s.
193
- les chiffres 1, 2, 3, etc. en exposant sur les majuscules soulignent le fait qu’ils impartissent une correction à
des groupes de correcteurs. Par exemple, A1 = imparti au premier correcteur du codex Alexandrinus.
- la lettre s en exposant signifie « et suivant ».

68
remplacements n’ont pas d’incidence sur la compréhension du texte. Ici également, nous
optons pour la leçon du texte édité.

Au niveau de la critique interne, les deux verbes pempw et apostellw ayant le sens de
« envoyer », le copiste de la seconde variante n’a fait qu’une proposition pour peut-être
montrer le caractère apostolique que revêt la mission des disciples. Nous préférons la leçon
pempw qui parait plus proche de l’original.

Verset 23 : il présente trois problèmes.

Premier et troisième problème : Le premier problème est doublé avec le troisième car
tous deux présentent les mêmes caractères comme en témoignent la mention « bis » dans
l’apparat critique. Ainsi, tinw/n (de certains) est remplacé par tino,j (à quelqu’un) dans B, a, e,
f, rl et sys.p. Du point de vue de la critique verbale, l’emploi de tinw/n, pronom au génitif
pluriel, souligne la multitude non encore déterminées de personnes à qui les péchés seront
remis par les disciples. Cette réalité ne saurait être mieux traduite par le pronom tino,j
employé au datif singulier. Nous optons pour la leçon du texte édité.

Du point de vue de la critique externe, hormis le codex B, les six autres manuscrits
sont des témoins mineurs et récents qui ne pèsent pas devant le nombre pléthorique de
témoins non cités dans l’apparat et qui attestent le texte édité. La leçon tinw/n peut être
considérée comme étant plus proche du texte original.

Deuxième problème : il présente trois variantes.

Les témoins de la première variante proposent afientai (sont remises) en remplacement


de afe,wntai (ont été remises). La deuxième variante soutenue par B * et Y proposent afiontai
(sont remises), alors que *, q, sa, 1y et pbo transcrivent afeqsetai (seront remises). Le texte
édité est attesté par 2, A, D, probablement L, 050, f 1.13, 565 et l 844. Du point de vue de la
critique verbale, l’emploi du présent à la voix passive (afientai ou afiontai) dénote d’une
action ou un état continu dans le présent. Quant au futur (afeqsetai), il détermine une action
dont on espère l’accomplissement dans l’avenir. Ainsi l’utilisation du parfait décrit-elle la
rémission des péchés qui s’est opérée avant la résurrection (action passée) et présentée aux
disciples dans son état de complétude, de permanence (action présente et future). Nous
gardons par conséquent la leçon du texte édité.

Du point de vue de la critique interne, les désaccords entre les trois différentes
variantes permettent de comprendre que les rédacteurs ont des préférences pour telle ou telle

69
autre option. En réalité, dans le contexte de la résurrection, le Seigneur Jésus ne diffère pas sa
promesse, il la réalise ipso facto pour le bonheur de ses disciples. La leçon du texte édité
s’inscrit bien dans ce contexte. Nous la gardons comme proche de l’original.

Verset 24 : ce verset pose un problème qui est l’ajout de o` (le) à VIhsou/j. Cette leçon
est soutenue par A, K, L, W, G, D, Q,Y, 050, 078,f1.13, 33, 565, 700, 892s, 1241, 1424, l 844 et
M. Quant au texte édité, il est soutenu par î5, , B et D. Les arguments avancés aux versets 15
et 17 sont tous aussi valables pour ce verset. Nous conserverons le texte édité.

Verset 25 : il comprend quatre problèmes.

Le premier problème : ce problème a deux variantes. La première variante, attestée par


les manuscrits N, f, q et sys.(p) 194 propose le remplacement du groupe nominal to.n tu,pon (la
marque) par to.n topon (la place). Du point de vue de la critique verbale, la leçon to.n topon
(la place) est une variante involontaire. En fait, le copiste a dû faire une confusion des mots
tu,pon et topon qui ont des sens différents. Le premier signifie emprunte, marque ou trace et
rend bien compte de la situation. Le second signifie lieu ou place et correspond à la situation
géographique. Dans notre péricope, il s’agit bien de la marque des clous. Nous gardons donc
le texte édité.

Du point de vue de la critique externe, il faut souligner que la non-indication des


témoins du texte montre que le problème n’a pas d’influence sur le texte original. La leçon
to.n topon n’assurant pas la cohésion du texte, nous gardons le texte édité.

Du point de vue de la critique interne, le verset concerne les cicatrices laissées par les
clous enfoncés sur le côté de Jésus-Christ et non du lieu où les cicatrices ont été faites. Il est
très probable que nous soyons en face d’un lapsus calami 195, à cause de la faute d’orthographe
introduite dans la copie du texte. Nous conservons le texte édité comme proche de l’original.

Dans la seconde variante, to.n tu,pon est remplacé par touj tupouj dansp66vid, 565, sa et
ly. Au niveau de la critique verbale, l’utilisation de l’accusatif pluriel touj tupouj (des
marques) paraît inappropriée dans ce cas de figure. L’accusatif pluriel est le cas du
complément d’objet direct. Il détermine le substantif. Nous retenons la leçon du texte édité.

194
Toutes les versions syriaques existantes concernant le passage, sauf la Peshitta qui présente des divergences
sans importance, datant du IVe – Ve s.
195
Altérations involontaires de toutes sortes dues au processus de copie. Dans le cas d’espèce, nous pensons à
une faute d’orthographe.

70
Du point de vue de la critique externe, les arguments avancés pour la première
variante sont aussi valables pour celle-ci. Du point de vue de la critique interne plus, les
divergences entre les deux variantes suppose que la variante du texte édité est la forme la plus
ancienne. Au fond, il s’agit de voir une marque et non une place et des marques. Nous
conservons, à cet effet, le texte édité.

Le deuxième problème : Transposition du groupe de mots to.n da,ktulo,n mou. Cette


leçon est soutenue par , D, L, W et 33. Du point de vue de la critique verbale, le copiste a
changé l’ordre des mots to.n da,ktulo,n mou (le doigt de moi) pour proposer to.n mou
da,ktulo,n (le de moi le doigt). Il change ainsi la place du pronom personnel mou (moi). En
grec, de façon générale, le pronom personnel est placé souvent après le substantif. Nous
pouvons croire qu’il s’agit ici d’une erreur involontaire où le copiste a voulu placer mou
(moi) avant da,ktulo,n (doigt) afin d’insister sur le fait qu’il parle bel et bien du doigt de
Thomas. Nous optons pour le texte édité

Troisième problème : il a deux variantes. 

La première variante est le remplacement du groupe de mots to.n tu,pon tw/n h[lwn (la
marque des clous) par to.n topon tw/n h[lwn (le lieu des clous). Elle est attestée par A, Q, 078
et sy(s).h. Nous avons déjà retenu la leçon to.n tu,pon comme proche de l’original dans les
arguments avancés ci-dessus. Ceux-ci militant en faveur de la leçon du texte édité, nous
optons pour le texte de la 28ème édition.

La deuxième variante est le remplacement du groupe de mots to.n tu,pon tw/n h[lwn
par th.n cei/ran autou dans *. Du point de vue de la critique verbale, il s’agirait d’une
dittographie196. Le copiste a répété de manière fautive le groupe de mots th.n cei/ran autou (la
main de lui) qui vient avant to.n tu,pon tw/n h[lwn (la marque des clous). Cette substitution,
qui s’apparente à une addition, change le sens du verset. Le texte proposé par le copiste sera
eva.nmh. i;dwevn tai/j cersi.n auvtou/ to.n tu,pon tw/n h[lwn kai. ba,lw to.n da,ktulo,n mou
eivj th.n cei/ran autou (si ne pas je vois dans les mains de lui la marque des clous et je jette le
doigt de moi dans la main de lui). Nous retenons le texte édité.

Du point de vue de la critique externe, le texte édité est attesté par 2, B, D, K, L, N,
W, G, D, Y, f1.13 et 33, 565, 700, 892s, 1241, 1424, M, pbo et bo. Ces témoins au nombre de
douze sont plus nombreux et plus vieux que les témoins des deux variantes précitées. Dans ce
texte, la leçon to.n tu,pon tw/n h[lwn (la marque des clous) du texte édité semble plus
196
Répétition fautive d’une lettre, d’une syllabe, d’un mot, d’un groupe de mots ou même d’un membre de
phrases (= une addition).

71
évidente. Pour la seule variante, nous avons deux propositions de leçons : to.n topon tw/n
h[lwn (le lieu des clous) et th.n cei/ran autou (la main de lui). Ces deux leçons montrent une
différence notable entre elles. Elles sont totalement opposées entre elles, du point de vue de
leur sens, et également, au texte édité et ne permettent donc pas sa cohésion. Nous gardons le
texte édité.

Du point de vue de la critique interne, on remarque que le doigt est jeté dans la main.
Or, dans l’esprit du texte édité, c’est plutôt dans la marque des clous que Thomas doit jeter le
doigt et non dans la main de Jésus. Car, la condition pour jeter le doigt était pour Thomas de
voir d’abord la marque des clous sur Jésus. Dans ce cas la variante sera eva.nmh. i;dw evn
tai/j cersi.n auvtou/ to.n tu,pon tw/n h[lwn kai. ba,lw to.n da,ktulo,n mou eivj to.n tu,pon tw/n
h[lwn (si ne pas je vois dans les mains de lui la marque des clous et je jette le doigt de moi
dans la marque des clous). Par conséquent, nous conservons le texte édité qui est proche de
l’original.

Quatrième problème : ce problème présente trois variantes. 

La première variante est le remplacement du groupe de mots mou th.n cei/ra (de moi la
main) par th.n cei/ra mou (la main de moi). Sur le plan de la critique verbale, la leçon th.n
cei/ra mou semble être une variante intentionnelle, ce qui suppose que les auteurs ont voulu
harmoniser le texte pour rendre la compréhension plus facile. En outre, en grec, il est souvent
permis certaines permutations dans un groupe de mots, comme c’est le cas ici. Cette
transposition n’influence pas la compréhension du texte. Nous optons pour le texte édité.

La deuxième variante est le remplacement de mou th.n cei/ra (de moi la main) par th.n
cei/ra (la main) transcrit par f1. Au niveau de la critique externe, le témoin f 1 à lui seul ne peut
pas attester de la véracité d’un texte, parce qu’il est tardif. Au niveau de la critique interne,
même si la leçon th.n cei/ra (la main) est plus courte, il n’en demeure pas moins que celle du
texte édité, plus longue, s’accorde avec le contexte de Jean 20. En effet, occulter le pronom
personnel mou (moi) ne rend pas bien compte de la pensée de l’auteur, car il s’agit bel et bien
de la main de Thomas et non celle de quelqu’un d’autre. Ici, la précision est obligatoire. Nous
conservons le texte édité comme proche de l’original.

La troisième variante est le remplacement du groupe de mots mou th.n cei/ra par mou
taj cei/raj (de moi les mains). Elle est soutenue par D et bo mss. Du point de vue de la critique
verbale, l’utilisation du pluriel (les mains) rend plus explicite la compréhension du texte et ne
suit pas la logique même du texte où cei/ra (main) est au singulier. Du point de vue de la

72
critique externe, le texte édité est soutenu par , B, L et W. Ces témoins sont plus anciens et
beaucoup privilégiés que ceux qui attestent les trois variantes. A l’issue des critiques verbale,
externe et interne, nous gardons le texte édité comme proche de l’original.

Verset 27 : Le seul problème posé par ce verset est le remplacement du mot ginou par
isqi. Le codex D est le seul témoin à attester cette leçon. Tous les autres témoins non indiqués
soutiennent le texte édité. Du point de vue de la critique verbale, le copiste voudrait qu’on lise
isqi (sois) au lieu de ginou (deviens). En consultant le dictionnaire197, les deux mots ont le
même sens et veulent dire être, devenir, naître. Cependant, il existe une nuance que nous
pouvons relever. Le verbe devenir signifie passer à un autre état et le substantif devenir
détermine un mouvement progressif par lequel les choses se transforment ; on parle alors
d’évolution. Quant au verbe être, il signifie exister, avoir une réalité. Ce problème est
probablement une interpolation, un choix du copiste qu’il n’assure pas la cohésion du texte.
Nous retenons le texte édité comme proche de l’original.

Du point de vue de la critique interne, dans le cas d’espèce, nous pouvons noter que
Thomas n’existait pas en tant qu’incrédule, un infidèle à Jésus. C’est plutôt le fait pour lui
d’avoir remis en cause la réalité de la résurrection qui voudrait le faire passer de l’état de
disciple à l’état d’incrédule. Par conséquent nous conservons le texte édité comme proche de
l’original.

Verset 28 : il présente deux problèmes.

Le premier problème concerne l’ajout du mot kai transcrit par A, C3198, K, N, G, D,


565, 700, 892s, 1241, 1424, M, q et syp.h. Le texte édité est attesté par , B, C*, D, L, W, K, Q,
Y, f1.13, 33, l 844,l 2211 et lat. du point de vue de la critique verbale, le copiste a ajouté kai (et)
afin d’améliorer le texte. Il s’agit d’une interpolation. Du point de vue externe, les témoins du
texte édité sont plus anciens, plus nombreux et privilégiés que ceux de la variante. Nous
conservons le texte édité comme proche de l’original.

Le deuxième problème est l’ajout de l’article défini o`. La leçon est soutenue par )___
et L. Du point de vue de la critique verbale, cette variante involontaire est une interpolation.
Egalement, Qwma/j (Thomas) est un nom propre qui ne nécessite pas forcément un article,
encore que le vocabulaire grec ne l’exige pas. Nous optons pour le texte édité.

197
A. BAILLY, Dictionnaire grec-français, Op. Cit., pp. 403 et 978.
198
C ou 04 (codex Ephraemi rescriptus), du Ve s. C3 = correction impartie à un second correcteur

73
Du point de vue de la critique externe, les témoins du texte édité sont plus anciens,
plus nombreux et privilégiés que ceux de la variante. Nous préférons le texte édité.

Du point de vue de la critique interne, la leçon Qwma/j paraissant la plus courte, nous
pouvons lui donner du crédit. Nous conservons le texte de la 28ème édition.

Verset 29 : ce verset pose trois problèmes. 

Premier problème : Une variante à deux leçons : Il s’agit du remplacement de le,gei (il
dit) par eipen de (il dit mais), leçon soutenue par , W, f13et samss, et par le,gei de (il dit mais).
Cette deuxième leçon est attestée par2. Les témoins du texte édité ne sont pas indiqués.
Nous pensons donc que tout le reste des témoins est en accord avec le texte édité.

Du point de vue de la critique verbale, l’emploi du présent est très remarquable car il
est consécutif à la spontanéité de la réaction de Jésus. En outre, c’est le même verbe legw
(dire) qui est utilisé ici par les témoins des deux leçons, mais à des temps différents (présent
pour le,gei et aoriste pour eipen). Le remplacement n’a aucune incidence sur la
compréhension du texte. Il s’agit probablement d’une interpolation. Nous gardons le texte
édité.

Du point de vue de la critique interne, nous remarquons deux leçons différentes pour
la seule et même variante. Ce qui montre le désaccord entre les différents témoins. La leçon
le,gei (il dit) est plus courte que les deux autres leçons et peut être considérée comme la
variante source qui est supposé être le point de départ des deux leçons divergentes. Nous
admettons le texte édité comme proche de l’original.

Deuxième problème : Omission de o`. Le papyrus î66 et B soutiennent cette variante.


Ainsi, au lieu d’avoir o` VIhsou/j (le Jésus), nous aurons VIhsou/j (Jésus). Du point de vue de
la critique verbale, de manière générale, le vocabulaire grec admet l’article défini devant un
nom propre. Nous pouvons citer en exemple le texte de Jn 20,3 : VExh/lqen ou=n o` Pe,troj199
(sortit alors le Pierre). Au niveau de la critique externe, seulement deux (02) témoins
soutiennent la variante. Cette omission n’a donc pas d’influence sur le texte. Nous gardons le
texte édité.

Dernier problème : Il s’agit de l’ajout de me (moi) au texte. Cette variante est attestée
par *, f13, 209, vgms et sy. Du point de vue de la critique interne, l’ajout de me (moi) fait
penser à une personnalisation. Or, le texte tel qu’il est édité est une affirmation générale qui

199
NESTLE-ALAND, Novum Testamentum 28ème edition, Op. Cit., p. 314.

74
concerne tous les miracles opérés par le Christ. Cet ajout ne s’accorde pas avec le contexte du
récit de Jean 20. Au contraire, il alourdit sa compréhension et de surcroît ne donne pas une
cohérence à la suite du récit. Par conséquent, nous gardons le texte de la 28 ème édition comme
proche de l’original.

Verset 30 : ce verset présente deux problèmes.

Premier problème : Il concerne l’omission de Îauvtou/Ð (de lui) dans plusieurs


manuscrits indiqués par l’apparat critique. Quant au texte édité, il est également soutenu par
d’autres témoins.

Du point de vue de la critique verbale, cette omission est une variante involontaire. En
effet, la leçon Îauvtou/Ð entre crochets signifie que les éditeurs considèrent ce texte comme
primitif, en même temps qu’ils émettent du doute. C’est peut-être cette compréhension du
texte qui a amené le copiste à omettre la leçon. Du point de vue de la critique externe, les
témoins du texte édité sont plus anciens, plus nombreux et privilégiés que ceux de la variante.
Nous gardons le texte tel qui nous est parvenu comme proche de l’original.

Second problème : L’apparat signale l’omission de tw/ (le, au) dans î66*. Tous les
autres témoins non indiqués dans l’apparat soutiennent le texte édité. Sur le plan de la critique
verbale, tw/ est un article défini au datif masculin singulier. De manière générale, le
vocabulaire grec admet l’article défini devant un nom propre, surtout pour préciser le cas.
Nous pouvons citer en exemple th/j Galilai,aj `et tou/ Zebedai,ou (Jn 21,2). Nous gardons le
texte de la 28e édition comme proche de l’original.

Verset 31 : trois problèmes sont signalés dans ce dernier verset.


Premier problème : Les témoins î66vid, *, B, Q, 892s et l 2211 proposent le
remplacement de pisteu,ÎsÐhte (vous croyiez) par pisteuhte (vous croyez).2, A, C, D, K, L,
N, W, G, D, Y, f1.13, 33, 565, 700, 892s, 1241, 1424, l 844 et M attestent le texte édité.

Au niveau de la critique verbale, les auteurs de la variante ont tendance à apporter la


correction au texte primitif en supprimant tout simplement le « s » de pisteu,ÎsÐhte jugé
douteux par les éditeurs de ce texte. Il se pourrait que nous soyons en face d’une variante
intentionnelle. Le copiste a voulu corriger grammaticalement le modèle qu’il avait sous les
yeux dans l’intention de restituer le texte dans sa teneur primitive. Nous optons pour le texte
édité.

75
Au niveau de la critique externe, les témoins du texte édité sont plus anciens, plus
nombreux et privilégiés que ceux de la variante. Au risque d’altérer le texte primitif, nous
gardons la leçon pisteu,ÎsÐhte qui semble être plus proche de l’original.

Deuxième problème : il comprend trois variantes.

Toutes les trois variantes proposent la transposition du groupe de mots evstin o`


cristo.j o` ui`o.j (est le Christ le Fils), mais chacune d’une manière différente de l’autre. Ainsi
avons-nous la première variante cristo.j ui`o.j evstin (Christ Fils est) attestée par D et
probablement par e. La seconde variante suggère o` cristo.j evstin o` ui`o.j (le Christ est le
Fils). Cette leçon est transcrite par W, b, probablement c, et f. Enfin le Père de l’Eglise Ir lat
propose evstin o` ui`o.j (est le Fils) dans la dernière variante.

Du point de vue de la critique verbale, les copistes des trois variantes ont voulu,
chacun à son niveau, améliorer le texte ou le clarifier afin de le rendre plus accessible aux
lecteurs. Ces différentes transpositions n’influencent pas le sens du texte. Du point de vue de
la critique externe, nous remarquons que les témoins du texte édité sont plus nombreux et plus
anciens que ceux des trois variantes. Nous optons pour le texte édité.

Du point de vue de la critique interne, en appliquant la maxime exégétique suivant


laquelle, en matière de critique textuelle il faut préférer la leçon difficile, nous pouvons
estimer que la leçon evstin o` cristo.j o` ui`o.j qui signifie littéralement « est le Christ le Fils »
paraît plus difficile que les autres. Nous notons trois leçons différentes pour la seule et même
variante. Ce qui montre le désaccord entre les différents témoins. La leçon evstin o` cristo.j o`
ui`o.j peut être considérée comme la variante source qui est supposé être le point de départ des
trois autres leçons divergentes. Nous admettons le texte édité comme proche de l’original.

Troisième problème : Le terme aiwnion (éternel, perpétuel, séculaire) est ajouté au


texte dans certains manuscrits. Au plan externe, les témoins du texte édité non cités sont plus
nombreux et plus âgés que ceux de la variante proposée.

Au plan verbal, cet ajout est probablement une simple glose explicative. En ajoutant
aiwnion au texte, nous aurons comme leçon i[na pisteu,ontej zwh.n aiwnion e;chte (pour que
en croyant vie éternelle vous ayez). Nous sommes donc en présence d’une variante
involontaire. Nous retenons la leçon du texte édité.

Sur le plan de la critique interne, d’une part, ce commentaire permet de mieux


comprendre le texte, cependant il le rend plus long et plus facile ; d’autre part, on se rend

76
compte que le copiste reprend, tout simplement, une expression similaire citée par Jean au
chapitre 5, verset 24 : zwh.n aiwnion ; la vie éternelle. Sans doute, voulait-il uniformiser cette
expression. En matière de critique textuelle, il faut préférer la leçon courte et difficile. Nous
optons pour la leçon du texte édité comme étant proche de l’original.

En guise de récapitulatif, la critique textuelle de Jean 20, à travers la lecture de


l’apparat critique et la discussion des leçons, nous a permis de percevoir toute la difficulté à
laquelle l’écrivain biblique a fait face lors de la transmission du texte primitif. Au vu des
résultats obtenus après nos analyses, nous gardons le texte édité, Jean 20, de la 28 e édition du
Nouveau Testament grec comme proche de l’original.

I.2.1.1.2. Texte adopté200

Après la critique textuelle, nous avons adopté le texte de la 28 e édition du N.T. grec de
Nestlé-Aland (Cf Annexe N° 2A).

I.2.1.2. Analyse grammatico-sémantique

L’analyse grammaticale concerne tous les mots du texte adopté. Elle nous permettra
de traduire le texte à partir du sens des mots grecs que nous retiendrons (Cf. Annexe 2B).

I.2.1.3. Traductions

La traduction s’est opérée en deux phases. La traduction littérale qui consiste à


reproduire le texte grec traduit directement en français après l’analyse grammaticale et
sémantique, et la traduction dite dynamique qui est une transcription dans un vocabulaire
correct en suivant toutes les règles en la matière mais sans toutefois nous éloigner du sens et
de l’esprit du texte littéralement transcrit.

Traduction littérale (Cf. Annexe 2B)

Traduction dynamique (Cf. Annexe 2C)

La suite de notre travail heuristique concerne la critique littéraire du texte que nous
avons adopté. La critique littéraire consiste à restituer à chaque texte sa vraie signification
pour éviter que ne soient commises de trop grossières erreurs. Elle est l’art de ne pas prendre

200
Avant d’établir cette péricope nous nous sommes, bien entendu, appuyé sur les remarques formulées par la
critique textuelle, dont l’objet est notamment d’étudier les sources de corruption des manuscrits et d’évaluer la
valeur des témoins.

77
le Pirée pour l’homme201. Cette définition donne lieu d’analyser de manière progressive le
texte en respectant toutes les étapes de la critique littéraire.

I.2.2. DELIMITATION, STRUCTURE ET CRITIQUE DES SOURCES

Cette première phase de l’analyse littéraire commence par la délimitation du texte, en


passant par sa structure pour enfin en critiquer les sources.

I.2.2.1. Délimitation du texte

Il s’agit de vérifier à ce niveau si le passage de Jean 20 constitue une unité autonome,


c’est-à-dire un ensemble littéraire et théologique isolable. Pour ce faire, nous allons vérifier
les liens ou rapports entre ledit passage avec ce qui précède (en amont) et ce qui suit (en aval).
Cette délimitation sera articulée en cinq étapes principales : les niveaux temporel,
topographique, des personnages, littéraire et théologique.

I.2.2.1.1. En amont : Jean 20 par rapport à ce qui précède202

 Sur le plan temporel

Le récit de la découverte du tombeau vide par Marie et les deux autres disciples
(Pierre et le disciple bien-aimé de Jésus) s’est déroulé le premier jour de la semaine203 comme
l’indique l’expression Th/| de. mia/| tw/n sabba,twn (Jn 20,1). Marie de Magdala ne quittera
pas sitôt le tombeau avant que les deux anges ne lui apparaissent, mais aussi avant qu’elle ne
rencontre Jésus. C’est donc au soir de ce même premier jour de la semaine « Ou;shj ou=n
ovyi,aj th/| h`me,ra| evkein,h |th/| mia/| sabba,twn » (Jn 20,19) que Jésus apparait aux disciples
après que Marie leur ait fait le compte rendu des événements qui se sont produits dans la
journée. Cependant, la scène qui a débuté dans la matinée pour s’achever le soir de ce même
jour (Ou;shj ou=n ovyi,aj th/| h`me,ra| evkein,h|) sera à son apothéose huit jours plus tard «
Kai. meqV h`me,raj ovktw. pa,lin », lorsque Jésus apparaît pour la deuxième fois, cette fois-ci
à Thomas, absent le premier jour, étant présent. Jean 20,1-31 est autonome, au plan temporel,
par rapport à ce qui précède.

 Sur le plan topographique

201
J. STEIMMAN. La critique devant la Bible, Monsoult, 1956, p. 8.
202
Il est question ici de limiter le récit de Jean 20 au chapitre qui le précède immédiatement (Jn 19,38-42).
203
Jean présente l’institution du dimanche, en tant que premier jour de la semaine, comme le jour où l’on doit
commémorer la résurrection du Seigneur (Ac. 20 :7 ; Ap. 1 :10).

78
Le récit de Jean 20,1-10 est une continuité de la passion du Christ dont la finalité est la
découverte du tombeau vide (Jn 20,2), symbole de sa résurrection dans la ville sainte de
Jérusalem. Ou;shj ou=n ovyi,aj th/| h`me,ra| evkein,h |th/| mia/| sabba,twn (étant donc arrivé
tard ce même jour, le premier de la semaine) signifie que l’action s’est produite dans la même
contrée. Ce sont les disciples qui, craignant la fureur des Pharisiens, se sont enfermés dans
une maison à Jérusalem. C’est dans cette même maison, avec les portes fermées, que Jésus se
présente par deux fois. Par conséquent, notre péricope est liée, au plan topographique, au récit
qui la précède.

 Sur le plan des personnages

Les personnages présents au tombeau sont Marie de Magdala, Simon-Pierre et le


disciple bien-aimé (Jn 20,1-10). Quant à notre récit, il focalise son action sur Marie de
Magdala, les anges, les autres disciples (oi` a;lloi maqhtai), Jésus, le ressuscité (Ihsou/j) et
Thomas, l’autre disciple absent lors de la première apparition de Jésus à ses disciples. Loin
d’être une affirmation, nous pouvons dire que les trois acteurs présents au tombeau figurent
dans la liste de tous les disciples lors de la seconde apparition de Jésus au v26 (Kai. meqV
h`me,raj ovktw. pa,lin h=san e;sw oi` maqhtai. auvtou/ kai .Qwma/j metV auvtw/nÅ e;rcetai
o` VIhsou/j tw/n qurw/n kekleisme,nwn kai. e;sth eivj to. me,son kai. ei=pen\). Jean 20,1-31
est donc lié, au plan du personnage, à ce qui précède.

 Sur le plan thématique

Jean 19,38-42 aborde deux thèmes qui sont étroitement liés, en l’occurrence ceux du
tombeau et de la foi. Chez les juifs, laisser un corps exposé aux animaux et à la décomposition
était l'humiliation ultime pour une personne ou un condamné (Saül, Jézabel,). Ce corps ne doit
pas être exposé la nuit et pas un sabbat car c'était exposer un objet de malédiction, c'était
souiller le pays (Dt 21,21-23). Ils lavaient les corps, le couvraient de bandes de lin enrobées
de mélange d'épices aromatiques qui transforment l'odeur nauséabonde des corps qui se
détériorent, puis enveloppe le corps dans un linceul (toile de lin Mt 27:59).

En effet, Joseph d’Arimathée et Nicodème étaient tous deux des membres influents de
la communauté juive, dont le premier était un conseiller du Sanhédrin et le second, un
pharisien. Ils avaient de ce fait une foi en Dieu et en ses promesses. En enveloppant le corps
de Jésus avec les bandes et les aromates pour le mettre dans le tombeau, appartenant à Joseph
d’Arimathée, ces deux hommes, en dépit de leur arrière-plan pharisaïque font un progrès dans
la foi manifesté par l’amour en Jésus le déclaré « criminel » crucifié.204
204
M.E. BOISMARD et A. LAMOUILLE, Op. Cit., p. 459.

79
Dans notre péricope, Jean relie également la foi des disciples à la contemplation du
tombeau vide, lequel consacre la résurrection du Jésus crucifié. Nous pouvons noter que notre
péricope est liée sur le plan thématique à ce qui le précède.

I.2.2.1.2. En aval : Jean 20 par rapport à ce qui suit205

 Sur le plan temporel

L’expression grecque tout faite meta. tau/ta qui signifie après cela, marque l’idée
d’une période qui s’est déjà écoulée entre les premiers événements de la résurrection du
Christ et sa réapparition matérialisée par l’adverbe pa,lin (de nouveau). Notre passage est
donc indépendant, sur le plan temporel, par rapport à ce qui suit.

 Sur le plan topographique

La scène s’est déroulée dans la ville de Jérusalem, plus précisément dans une maison
aux portes verrouillées où se cachaient les disciples par crainte des Juifs. Dans Jean 21,1-14,
ce sont des disciples qui, ayant retrouvé un certain courage, se rendent à la pêche. C’est alors
que Jésus leur apparait en ces lieux. Cette scène s’est passée sur les bords de la mer de
Tibériade206. Au plan topographique, notre passage est autonome par rapport à ce qui suit.

 Sur le plan des personnages

Dans Jean 20, les acteurs sont Marie de Magdala, Jésus, les anges, les disciples et
Thomas. Dans Jean 21,1-14, nous rencontrons Simon-Pierre, Thomas Didyme, Nathanaël de
Cana de Galilée, les fils de Zébédée et deux autres disciples. Sur le plan du personnage, le
passage n’est pas autonome car certains personnages se retrouvent de part et d’autre.

 Sur le plan thématique

Il est question dans Jean 20 des différentes apparitions du ressuscité respectivement à


Marie la Magdeleine (v18), aux autres disciples (v19) et à Thomas (v26). Le passage qui suit
confirme cette apparition de Jésus, le ressuscité à tous les disciples. L’auteur prend soin, ici

205
Afin d’être concis, nous nous limiterons au premier paragraphe du chapitre 21 de l’évangile selon Jean à
savoir Jean 21,1-14.
206
Située dans le nord-est d'Israël et traversée par le Jourdain, la mer de Tibériade est surtout connue à travers les
vies de Jésus-Christ et de ses disciples. Dans la Bible, elle est aussi désignée sous les noms de mer de Kinneret,
lac de Génésareth ou mer de Galilée.

80
encore, de préciser la présence de Thomas qu’on appelle Didyme, acteur principal de la
kuriosphanie.

En résumé, sur le plan temporel, Jean 20 est autonome, en amont comme en aval. Au
plan topographique, il est lié à Jean 19, mais indépendant de Jean 21,1-14. Aux niveaux du
personnage et thématique, notre passage est lié aussi bien en amont qu’en aval. Au total, Jean
20 est autonome de manière générale sur les plans temporel et topographique. Sur les plans du
personnage et théologique, notre péricope est totalement liée. Nous conservons ce texte
comme formant une unité littéraire avec ce qui précède et ce qui suit, compte tenu de son
importance théologique. Cette délimitation nous permet de structurer notre texte en douze
parties afin de déterminer la pointe du récit.

I.2.2.2. Structure de Jean 20

Il est d’usage que les chercheurs dans le domaine de l’exégèse s’appuient sur une
macrostructure établie par des spécialistes tels que R. BULTMANN, R. E. BROWN, F.
GODET, H. CONZELMANN, M. E. BOISMARD et A. LAMOUILLE et autres 207. Nous
n’ignorons pas leur apport, mais nous allons mentionner seulement quelques-unes des
propositions faites dans ce paragraphe sur lesquelles nous allons nous appuyer pour dégager
une microstructure.

BOISMARD et LAMOUILLE BULLTMANN / BROWN TOB208 / LEON-DUFOUR

Jn. 20,1-2 : Introduction au Jn. 20,1 : Introduction au Jn. 20,1-10 : Les disciples au
récit récit de l’apparition de Jésus tombeau
à Marie de Magdala

Jn. 20,3-10 : Pierre et l’autre Jn. 20,3-10 : Les deux


disciple au tombeau disciples au tombeau

Jn. 20,11-18 : Apparition du Jn. 20,11-13 : Apparition des Jn. 20,11-18 : Marie au
deux anges à Marie de tombeau
Christ à Marie de Magdala
Magdala

Jn. 20,14-18 : Apparition du


Christ

Jn. 20,19-20 : Apparition aux Jn. 20,19-20 : Apparition aux Jn. 20,19-23 : Apparition de
disciples à Jérusalem disciples à Jérusalem
Jésus aux disciples

207
M.E. BOISMARD, A. LAMOUILLE, Op. Cit., pp. 457-474.
208
TOB, Op. Cit., pp. 2535-2536.

81
Jn. 20,21-23 : Mission des Jn. 20,21-23 : Mission des
apôtres apôtres

Jn. 20,24-29 : Apparition aux Jn. 20,24-29 : Apparition aux Jn. 20,24-29 : Le témoignage
disciples et à Thomas disciples et à Thomas des disciples et la foi

Jn. 20,30-31 : Conclusion du Jn. 20,30-31 : Conclusion de Jn. 20,30-31 : Le dessein de


récit la « source des signes »
l’évangéliste

La microstructure que nous proposons s’appuie sur la macrostructure de R.


BULTMANN telle que présentée par M. E. BOISMARD et A. LAMOUILLE. Elle se base
sur les sources de ce récit209 et tient compte des personnages et des thèmes théologiques qui y
sont développés :

• Verset 1 : Introduction au récit : la visite au tombeau

La visite de Marie de Magdala au tombeau, qui constate la pierre enlevée, est


l’élément déclencheur de toute la scène de la résurrection de Jésus.

• Verset 2 : L’alerte aux disciples

Sur le plan des personnages, nous avons Marie de Magdala, Simon Pierre et le disciple
bien-aimé. Il s’en suit une déclaration de Marie à l’endroit des deux disciples qui va décider
de la suite du récit.

• Versets 3-10 : Simon Pierre et le disciple bien-aimé au tombeau

Pierre et le disciple bien-aimé se rendent à leur tour au tombeau, probablement pour


vérifier les informations reçues de Marie. Ils constatent tous deux les faits. Cependant, le
croire du disciple bien-aimé s’enflamme à la vue du linceul rangé en lieu sûr, là où Pierre
demeure passif.

• Verset 11-13 : Entretien entre Marie de Magdala et les anges

Nous constatons ici une scène un peu extraordinaire, l’échange entre Marie de
Magdala et deux anges. Néanmoins, c’est cette rencontre qui va donner un coup
d’accélérateur au récit de la résurrection de Jésus. C’est à partir de là que tout va se jouer :
leg,ei auvtoij/ o[ti h=ran to.n ku,rio,n mou( kai .ouvk oi=da pou/ e;qhkan auvto,n (v13b : Elle

209
M.E. BOISMARD, A. LAMOUILLE, Op. Cit., p. 457.

82
leur dit : Ils ont enlevé mon Seigneur et je ne sais où ils l’ont déposé). Le tombeau est
vraiment vide.

• Verset 14-18 : Apparition de Jésus à Marie de Magdala

Nous remarquons l’entrée en scène de Jésus qui engage un dialogue avec Marie de
Magdala. L’heure de la résurrection a sonné. Toute craintive et désespérée, Marie répond à
l’appel de Jésus : « Rabbouni ! » L’a-t-elle reconnu par sa voix ou est-ce un autre mystère ?
Dans tous les cas, l’essentiel de cette rencontre demeure l’envoi de Marie vers les disciples
afin de leur annoncer tout ce que le Maître lui a dit au cours de leur entretien : v18b : ewraka
ton kurion kai tauta eipen auth (J’ai vu le Seigneur et voilà ce qu’il m’a dit). Jésus réellement
est ressuscité.

• Versets 19-23 : Apparition du Ressuscité aux disciples et envoi en mission

Le soir du jour de l’annonce de la résurrection par Marie (Ou;shj ou=n ovyi,aj th/|
h`me,ra| evkein,h |th/| mia/| sabba,twn) nous fait passer à une autre étape. Jésus se manifeste
pour la toute première fois à ses disciples. Sa première action était de leur accorder la paix. La
deuxième action, suivant le don répété de la paix, est un mandat confié à ce nouveau peuple,
de même que Dieu avait mandaté Jésus. Il souffle sur eux et dit : « Recevez l’Esprit saint ».
Le verbe « souffler » (evnefu,shsen) employé ici donne un sens nouveau à la vie des disciples.
Désormais, ils sont éclairés par la puissance de l’Esprit Saint et peuvent comprendre le
mystère de la résurrection de leur Maître.

• Versets 24 et 25a : Témoignage des disciples sur la résurrection de Jésus

Thomas, absent ce jour exceptionnel de la résurrection retrouve les autres disciples.


Ceux-ci lui font le point de la journée. En effet, ce sont des disciples illuminés par l’Eprit
Saint qui rendent un vibrant témoignage de la résurrection de Jésus, avec toute la joie qui les
animait : « Nous avons vu le Seigneur ! » Par ce témoignage, les croyants sont appelés à croire
en la divinité de Jésus, Fils du Dieu vivant, Sauveur du monde.

• Verset 25b : Le « voir pour croire » de Thomas


Thomas ne peut pas comprendre que son Maître dont les rapports se sont arrêtés, en
l’espace d’une journée sur la croix de Golgotha, puisse revenir à la vie. Il se pose des
questions et veut voir, lui aussi, comme les autres disciples, afin de croire au Ressuscité. Il
reste donc dubitatif.

• Versets 26 et 27 : Seconde manifestation de Jésus aux disciples

83
Jésus se présente à tous les disciples y compris Thomas, et invite ce dernier à vérifier
qu’il est bel et bien ressuscité, à travers la marque des clous dans ses mains et son côté.

• Verset 28 : Confession de foi de Thomas

Thomas, illuminé par la présence du Ressuscité, confesse que Jésus est Seigneur et
Dieu : avpekri,qh Qwma/j kai. ei=pen auvtw/|\ o` ku,rio,j mou kai. o` qeo,j mouÅ

• Verset 29 : Enseignement sur la foi210 « vraie »

Jésus annonce une béatitude d’une portée capitale et confirme que la véritable foi
provient du « croire sans voir », gage d’un bonheur sans fin.

• Versets 30 et 31 : Conclusion du récit : le dessein de l’évangile

Ce court paragraphe qui clôture notre récit, en est la conclusion et est probablement la
conclusion de tout l’évangile selon Jn, comme en témoignent aussi de nombreux exégètes, car
il définit le but visé par l’auteur en écrivant son livre : « Ceux-ci ont été écrits pour que vous
croyiez que Jésus est le Christ, le Fils de Dieu, et pour que, en croyant, vous ayez la vie en
son nom » (Jn 20,31).

Au terme de ce paragraphe, nous constatons que les versets 25 et 28 constituent la


pointe de notre récit et détermine la figure de Thomas après la résurrection de Jésus,
caractérisée par son hésitation à croire sans avoir vu et par sa confession. La question qui se
pose est celle de savoir d’où Jean a-t-il puisé ces informations pour composer cet évangile ou
plus particulièrement ce chapitre 20 ?

I.2.2.3. Critique des sources211

La critique des sources est une recherche qui a pour but d’étudier l’unité ou le
caractère hétérogène d’un texte. Ici, l’exégète cherche les couches ou les petites unités
littéraires qui ont été utilisées pour écrire la nouvelle unité littéraire que présente le texte.
Dans le cas d’espèce, il s’agit de rechercher les différentes sources qui ont permis la rédaction
de Jean 20.

210
La foi doit être comprise ici comme une « auto-appropriation dont l’expression est une confiance inébranlable
dans les promesses de Dieu » (COLLECTIF, Encyclopédie du protestantisme, Op. Cit., p. 596.)
211
I. CHAPPUIS-JUILLARD définit la critique des sources comme une démarche par laquelle l’exégète
examine l’unité d’un texte en procédant par la recherche de petites unités littéraires qui ont aidé à la composition
de la nouvelle unité littéraire que forme un texte biblique. Pour elle, donc, le but de la critique des sources n’est
rien d’autre que retrouver dans la mesure du possible la ou les source (s) du texte.

84
Après plusieurs recherches, les exégètes sont convenus à l’hypothèse de l’existence de
deux sources. La source plus généralement admise aujourd’hui étant dite des deux sources212
qui s’appliquent aux évangiles synoptiques (Mc, Mt et Lc). Pour CHAPPUIS-JUILLARD,
cette recherche peut aussi s’appliquer, et cela a été fait, aux épîtres pauliniennes213, et à
d’autres écrits du Nouveau Testament. En ce qui concerne le quatrième évangile, cette
disposition semble ne pas y convenir. C’est d’ailleurs la raison pour laquelle, le quatrième
évangile est toujours mis en confrontation avec les Synoptiques.

Malheureusement aussi, l’hypothèse des deux sources qui, jusqu’ici, ont aidé à
l’avancée des recherches néotestamentaires, pourrait toutefois perdre sa préséance, surtout
avec la nouvelle découverte archéologique en 1945 de l’évangile selon Thomas en Egypte,
dans les environs de Nag Hammadi, datant du IVe siècle.

La découverte de l’évangile de Thomas ruine l’objection, faite à l’hypothèse


des deux sources que l’existence d’un évangile sans récit de la passion est une
impossibilité théologique…Son genre littéraire particulier – une collection de
sentences sans cadre narratif – conduit à penser qu’il est antérieur aux
évangiles et à la mise en récit des sentences214.

Pouvons-nous prétendre à l’existence d’une troisième probable source ? Si oui, alors


nous sommes en face de l’existence d’une hypothèse de trois Sources ? Ces sources ont-elles
influencé la composition du quatrième évangile ? Quelles sont les sources du quatrième
évangile ? Ce volet de notre travail heuristique ne consiste pas à rentrer dans cette réflexion
autour de l’existence des hypothèses de deux ou trois sources, mais plutôt à étudier, d’une
manière toute particulière, les sources de Jean 20.

En réalité, dans le domaine de la critique des sources, il faut toujours partir de la


généralité pour arriver à la particularité. Ici, nous n’aborderons la réflexion dans ce sens, ce
d’autant plus que dans le chapitre premier de la première partie de notre thèse, nous en avons
longuement parlé. Nous nous servirons seulement des résultats pour conduire notre réflexion.
Pour ce faire, nous regarderons de plus près les récits de la résurrection de Jésus contenus
dans les trois évangiles synoptiques (Marc, Matthieu et Luc).

212
Mc et Q=Logienquelle, avec des éléments propres à Matthieu (S Mt=Sondergut Mt) et à Luc (SLc=Sondergut
Lc).
213
I. CHAPPUIS-JUILLARD, Op. Cit., p. 20.
214
F. AMSLER. L’évangile inconnu, la Source des paroles de Jésus, Labor et Fidès, Genève, 2001, p. 20.

85
I.2.2.3.1. Marc, Matthieu et Luc, sources de Jean 20 ?

Dans le souci toujours de trouver un point de chute à l’évangile selon Jean, nous
essayerons de nous engager dans le domaine complexe de la synopse 215 afin d’apprécier à leur
juste valeur les différents récits parallèles de la résurrection de Jésus. En effet, c’est par le
biais d’une série de quatre narrations du même événement (Mc 16,1-13 ; Mt 28,1-20 ; Lc
24,1-12 ; 36-49 ; Jn 20) que nous pouvons déceler la « christophanie »216 après la résurrection
de Jésus à Jérusalem.

Après avoir mis en exergue les relations entre l’exégèse et le texte, intéressons-nous à
la critique des sources qui nous permet d’examiner cette pléthore de récits pour un même
événement aussi important qu’il soit. Car, selon certains analystes, l’auteur de Jean aurait eu
recours à de multiples documents pour la rédaction de son évangile. Ce qui naturellement rend
difficile l’indication de la source précise de Jean. Néanmoins, loin de nous laisser décourager
par une telle assertion, nous essayerons de rassembler quelques éléments tels que les
ressemblances, les dissemblances et des tableaux comparatifs que nous analyserons afin de
confirmer ou infirmer l’assertion ci-dessus citée et dégager notre point de vue sur la ou les
sources de Jean 20.

 Les ressemblances

Les quatre évangiles ont pratiquement la même idée sur ce qui s’est passé au tombeau.
Nous pouvons relever quelques événements plus ou moins identiques : Le premier évènement
se situe le premier jour de la semaine, au moins une femme nommée Marie s’était rendue au
tombeau dans Marc 16,1 ; Matthieu 28,1 ; Luc 24,1 ; Jean 20,1. Cette position est défendue
par M. E. BOISMARD et A. LAMOUILLE qui estiment que : Jn 20,1 offre un parallélisme
étroit avec le début du récit des Synoptiques concernant la venue des femmes au tombeau217.

Le deuxième évènement est l’annonce de la résurrection par une entité (ange ou jeune
homme) à Marie au tombeau : Marc 16,5 ; Matthieu 28,5 ; Luc 24,4 ; Jean 20,12. Le troisième
évènement concerne l’annonce de la résurrection de Jésus faite par Marie ou par les femmes
aux disciples: Marc 16,10 ; Matthieu 28,8 ; Luc 24,9 ; Jean 20,18. Dans le quatrième
évènement les disciples voient le Seigneur : Marc 16,14-18 ; Matthieu 28,16-20 ; Luc 24,36-
49 ; Jean 20,19-23. Enfin, nous constatons que tous les récits laissent transparaitre, d’une
215
Synopse : vient du substantif grec sunoptikoj qui veut dire « vue d’ensemble », « pleinement visible. » et/ou
du verbe sunoraw qui signifie « voir ensemble, embrasser d’un coup d’œil ».
216
Christophanie : vient du grec cristoj (Christ) et φάνερόω (manifester, révéler, montrer) ; c’est donc la
manifestation ou la révélation de Jésus-Christ.
217
M.E. BOISMARD et A. LAMOUILLE, Op. Cit., p. 453.

86
façon ou d’une autre, la notion de doute, qu’il soit individuel ou collectif, d’un disciple ou des
disciples : Marc 16,11.13 (Ceux-ci ne la crurent pas ; on ne les crut pas) ; Matthieu 28,17
(Mais quelques-uns eurent des doutes) ; Luc 24,41 (Ils ne pouvaient pas croire) ; Jean 20,25
(Je ne croirai pas). Il est probable que les quatre évangiles, Marc, Matthieu, Luc et Jean,
proviennent de la même source orale ou écrite, d’une part ; mais d’autre part, cela peut se
comprendre par le fait même qu’un évangile constitue la source des autres. Pour l’heure, nous
ne saurions trancher définitivement cette question épineuse de la critique des sources.
Intéressons-nous plutôt aux dissimilitudes des quatre récits.

 Les dissemblances

Une lecture minutieuse des quatre récits nous amène à voir que chaque auteur ajoute
un passage qui lui est propre, mais à quelques différences près des autres auteurs dans la
narration de l’évènement de la résurrection de Jésus-Christ, surtout en ce qui concerne les
évangiles synoptiques. Par exemple :

Le récit de l’apparition du Christ à Marie de Magdala est propre à Jean. La


finale inauthentique de Mc y fait toutefois allusion (Mc 16,9-10) et de
nombreux commentateurs estiment que l’apparition de Jésus aux femmes, en
Mt 28,9-10, pourrait être un écho de la même tradition218.

Notons néanmoins que ce point de vue n’est pas partagé par d’autres spécialistes qui
proposent l’existence d’une source pré-johannique à laquelle Jean aurait ajouté l’apparition
des deux anges pour harmoniser son récit avec celui des Synoptiques. Dans d’autres cas de
figure, la différence de ces évangiles avec celui de Jean est toute nette. Nous pouvons noter
par exemple Marc 16,17-20, Matthieu 28,18-20, Luc 24,13-52, Jean 20,24-31. De ces
exemples, nous pouvons dégager une spécificité du quatrième évangile.

 La « spécificité johannique »

En prenant le contre-pied des récits parallèles de la résurrection de Jésus qui peignent


Marie (de Magdala) comme l’héroïne de la scène, l’auteur de Jean fait résonner un autre son
de cloche. En effet, il nous fait découvrir un autre héro, c’est-à-dire le personnage central par
lequel la kuriosphanie219 et la théophanie220 (Mon Seigneur et mon Dieu ! Jn 20,28) vont
prendre un tout nouveau sens : Thomas Didyme. Son nom n’apparait nulle part dans les récits
synoptiques de la résurrection. La rencontre de Thomas avec le ressuscité (Jn 20,24-29) est

218
M.E. BOISMARD et A. LAMOUILLE, Op. Cit., p. 459.
219
Nous entendons par kuriosphanie, la manifestation ou la révélation (fanerh) du Seigneur (kurioj).
220
L’expression « théophanie » est composée de qeoj (Dieu) et de fanerh (manifestation ou révélation). Il s’agit
donc de la révélation de Jésus comme Dieu, confessée par Thomas.

87
une péricope tout à fait particulière à l’évangile selon Jn et inconnue des autres évangiles.
C’est de sens que M. E. BOISMARD et A. LAMOUILLE retiennent que :

La plupart des commentateurs estiment que ce récit est une composition de


l’évangéliste (Wellhausen, Spitta, Lindars, Hartmann, Brown,
Schnackenburg). Il aurait utilisé, en le dramatisant, le thème du doute qui
faisait partie, selon certains, du récit primitif de l’apparition aux disciples en
Jn 20,19-20 et Lc 24,36-43221.

A la suite de M. E. BOISMARD et A. LAMOUILLE, nous remarquons que Jean


20,26 est une reprise de Jean 20,19. Nous pourrions attribuer ce récit à Jean. Toutefois, et
pour mieux apprécier les contours de la source de Jean 20, nous dresserons deux tableaux
synoptique et structural qui mettront en relief les différents récits de la résurrection.

I.2.2.3.2. Tableaux synoptique et structural de Jean 20222


Dans ce paragraphe, nous porterons un regard synoptique sur notre péricope en
parallèle avec les récits synoptiques de la résurrection de Jésus et structural en vue d’une
étude comparative. Le décryptage du tableau synoptique est en rapport avec le tableau
structural (Cf. Annexes 3A et 3B) dont les commentaires sont ci-dessous.

I.2.2.3.3. Etude comparative


La comparaison synoptique et structurale du récit de Jean 20 avec les récits de Marc,
Matthieu et Luc fait apparaître une série de convergences et de divergences qui ne sont pas
sans conséquences pour le positionnement du lecteur.

 Convergences

Les quatre récits relatent la résurrection de Jésus à Jérusalem, ses diverses apparitions
et les différentes attitudes observées par ses disciples. Au niveau des convergences, nous
remarquons que Jean 20,11-13 peut être comparé à Marc 16,1-5, Matthieu 28,1-7 et Luc
24,17. Cette même comparaison peut se faire entre Jean 20,16-18 et Marc 16,9-10, Matthieu
28,89, Luc 24,8. On retrouve Marc 16,14 et Luc 24,14 dans Jean 20,19. Le témoignage des
disciples et leur envoi en mission dans Marc 16,13a-15, Matthieu 28,19 et Luc 34-35,
constituent un semblant de parallèles avec Jean 20,21 et 24. L’incrédulité générale des
disciples dans Marc 16,13b, Matthieu 28,17b et Luc 24,41b se résume en la personne de
Thomas dans Jean 20,25. Enfin, la réapparition de Jésus aux Onze trouve une place de choix
dans les quatre récits (Jn 20,26-24 ; Mc 16,14 ; Mt 28,14 ; Lc 24,36).

M.E. BOISMARD et A. LAMOUILLE, Op. Cit., p. 472.


221

222
Cette étude s’est appuyée sur les travaux de K. A. HOUNSA, Une relecture des Actes 9,1-31 pour l’Eglise
contemporaine, Thèse de Doctorat, FTPSR, Yaoundé, 2008, p. 65.

88
 Divergences

Les récits de Jean 20,14-15 ; 22 ; 28-31 sont absents dans Marc 16, Matthieu 28 et
Luc 24. Le moment de la réapparition de Jésus aux onze disciples (huit jours plus tard selon
Jn 20,26) n’est pas également indiqué dans les récits de la résurrection des évangiles
synoptiques. Le doute de Thomas et sa confession-cri qui suit est totalement inconnu des
synoptiques. Nous notons également une glose explicative en Jean 20,16 : « Se retournant,
elle dit en hébreu : Rabbouni !, ce qui veut dire : Maître ! » Les analyses littéraires récentes
ont montré, comme l’affirment M. E. BOISMARD et A. LAMOUILLE, que : Les expressions
« en hébreu » et « ce qui se dit : Maître » ne sont qu’une explication du titre de « Rabbouni »
qui était incompréhensible pour des lecteurs ne connaissant pas l’hébreu223.

A l’analyse de tout ce qui précède, nous constatons que Jn 20 semble être très
regardant aux dernières activités de Jésus sur la terre des hommes, surtout après sa
résurrection. Aucun événement n’échappe au rédacteur en ce qui concerne les différents
entretiens de Jésus avec Marie de Magdala et avec les onze disciples. L’essentiel des
renseignements du récit de la résurrection chez les Synoptiques se retrouvent presque dans le
quatrième évangile.

Par conséquent, Jean aurait-il recoupé les informations recueillies dans les évangiles
synoptiques pour faire sa propre composition ? Au risque de donner une réponse qui puisse
empiéter sur l’évolution actuelle des recherches sur les sources johanniques, nous pensons, au
regard des analyses que nous avons faites, que les quatre évangélistes connaissent la même
source orale ou écrite. Toutefois, précisons que les parallèles entre Jean et Luc sont très
remarquables. Jean connaissait-il Luc et l’a utilisé comme source, ce d’autant plus qu’il lui est
postérieur ? Pour notre part, Jean 20 est une originalité dont le point saillant de la
kuriosphanie demeure la rencontre avec Thomas. Et comme l’affirme si bien J. ZUMSTEIN :

La comparaison de Jn avec les évangiles synoptiques fait apparaître sa


spécificité. Malgré quelques similitudes (genre littéraire, récit de la Passion,
quelques récits et logia en communs), Jn s’impose par son originalité (plan,
thèmes majeurs, récits inconnus des synoptiques, discours christologiques).
Cette originalité signifie que Jn n’est pas un phénomène secondaire dans la
littérature néotestamentaire, mais qu’il constitue une ligne de développement
spécifique dans l’histoire du christianisme primitif.224

223
M.E. BOISMARD et A. LAMOUILLE, Op. Cit., p. 462.
224
D. MARGUERAT, J. ZUMSTEIN, et al, Op. Cit., p. 384.

89
Si les sources de Jean font de cet évangile un écrit énigmatique, intéressons-nous alors
à sa rédaction qui pourrait nous aider à retrouver quelques informations susceptibles de
déterminer certaines sources.

I.2.3. CRITIQUE REDACTIONNELLE, DU GENRE ET ETUDE DES


CONTEXTES DE JEAN 20

Cette deuxième phase de l’analyse littéraire va s’opérer sous trois angles qui sont la
critique de la rédaction, la critique du genre littéraire et l’étude des contextes.

I.2.3.1. Critique rédactionnelle

Il nous échoit d’analyser les contextes et circonstances, mais aussi de dégager les
objectifs que s’est fixé Jean, en écrivant son évangile, et les méthodes utilisées. Ce procédé
qui se veut scientifique est désigné comme la critique rédactionnelle. Il s’agit de vérifier les
contextes et les circonstances dans lesquels Jean a mis en forme le récit, d’une part, et ce qu’il
vise dans sa rédaction.

I.2.3.1.1. Contexte et circonstances de rédaction

L’objet de ce chapitre consiste à relever quelques faits qui ont marqué la rédaction de
l’Evangile. En effet, si les évangiles sont écrits pour éclairer et consolider la foi des croyants,
alors leur rédaction doit tenir compte des faits qui ont marqué ou marquent la vie des
croyants. L’un des événements marquants de la rédaction de l’évangile de Jean est la prise de
Jérusalem et surtout, de malheur en malheur, la destruction en 70 du Temple, symbole de la
présence de Dieu parmi son peuple et lieu saint par excellence.

Le Temple est sacré et permet la sanctification de Jérusalem et des Juifs. Ils montent
chaque année à Jérusalem : le pèlerinage. C’est ainsi que Jean va alors recentrer encore plus
l’histoire du Salut sur la personne de Jésus : « Dieu, en effet, a tant aimé le monde qu’il donné
son Fils, son unique, pour que tout homme qui croit en lui ne périsse pas mais ait la vie
éternelle » (Jn 3,16). Les piliers de la foi s’étant ébranlés, Jésus, Fils préexistant de Dieu, est
la Lumière venue pour éclairer le monde qui est ténèbres. Il est impératif d’écouter la Parole
de Dieu qu’il véhicule et de croire en Lui dans ce monde où pullulent les vendeurs d’illusions.

L’hostilité du Judaïsme à l’égard du message de la Bonne Nouvelle en Jésus-Christ


entraîne la rupture significative entre l’Eglise et la synagogue, ce qui implique des
contradictions doctrinales ou théologiques qui vont se muer en des conflits politiques. M.

90
SMITH, cité par A. THAYSE, expose ainsi les circonstances dans lesquelles l’Evangile a
probablement été rédigé :

Dans la mesure où l’évangile de Jean révèle le témoignage et d’une


rédaction et d’une tradition, on a une raison supplémentaire de soupçonner
qu’il est le produit d’une Eglise typiquement johannique, qui joua un rôle
dans les débuts et dans le développement de cet évangile. La rédaction d’un
document prend place dans une communauté où il est déjà apprécié et
regardé comme faisant autorité. Et en présence d’autres indices sur l’origine
du quatrième évangile dans une communauté et une tradition johanniques, il
est naturel de voir dans les rédactions suivantes l’influence continue de la
communauté.225

En définitive, Jean place donc la rédaction de son Evangile dans la suite logique de
l’Ancien Testament, en tant que Juif connaissant bien les opinions et les coutumes juives, dont
la vie religieuse est profondément enracinée (Jn 3,14 ; 5,46). En tous les cas, Jean écrit,
baigné et conditionné par les événements marquants de son temps. C’est dans ce contexte et
ses circonstances que s’inscrit la rédaction de la péricope de Jean 20 qui est une partie
importante du quatrième évangile.

I.2.3.1.2. Objectifs et méthode de rédaction

L’auteur de l’évangile selon Jean obéit à un motif urgent en écrivant cet évangile et
avec l’esprit libre. Sa pensée s’y développe sans heurt et sans revirement brutal. Le but de
l’Evangile consiste à appeler à la foi226. Les candidats à la foi sont de deux ordres. On note
d’une part les « incroyants » sans lesquels l’Evangile serait un discours démagogique, perdant
ainsi son essence missionnaire ; d’autre part, il s’adresse aux croyants avec pour le seul but
d’affermir leur foi. Dans tous les cas, il s’agit de o` eùagge,lion, la Bonne Nouvelle, que, et
croyants et incroyants sont appelés à croire : Jésus est le Christ, le Fils du Dieu vivant, et les
croyants ont la vie en son nom (Jn. 20,31). Le contenu de l’Evangile ainsi dégagé consiste à
reconnaître en Jésus, le Ressuscité, l’incarnation de Dieu, l’envoyé du Père dont la confession
donne accès à la vie éternelle.

Le chapitre 20 est écrit selon la méthode la plus courante chez les auteurs juifs non
pas en suivant la ligne d’un raisonnement mais en établissant des parallèles et des antithèses
susceptibles de frapper le lecteur. Les gloses explicatives (20,11 ; 20,16) font partie intégrante
de notre récit. Quant aux additions, elles sont plus nombreuses (20,11b-14a ; 20,15). M. E.
BOISMARD explique que l’expression traduite par « comme donc » (hôs oun) indique
toujours chez Jn un texte remanié. De même, au v. 14a, la formule « Ayant dit cela » est
d’ordinaire une cheville rédactionnelle qui permet de reprendre le fil du récit après une
225
A. THAYSE, Jean, l’évangile revisité, Cerf/Racine, Paris/Bruxelles, 2001, p. 35.
226
Ibid., p. 53.

91
insertion.227 L’auteur revient souvent sur ce qu’il a déjà dit entremêlant plusieurs thèmes (Jn
20,21 ; 26-27). La composition de ce chapitre est simple et souple tout à la fois. Elle se
compose de quatre formes différentes :

• En historien, Jean relit l’histoire d’Israël : il montre la détresse d’Israël refusant le


Christ ; il annonce son salut pour le moment où le peuple dans son ensemble le
reconnaîtra comme Seigneur et Sauveur du monde (Jn. 20).

• En statisticien, Jean dresse un constat : tous les disciples n’ont pas compris le sens du
tombeau vide. Ils sont restés sous le choc des événements de la Passion de leur Maître
(Jn 20,1-20).

• En psychologue, il montre que l’homme est divisé intérieurement entre le voir pour
croire, source d’une inconstance et le croire, véritable foi en Jésus-Christ (Jn
20,25.27).

• En philosophe, il démontre la primauté de la foi sur la raison après la résurrection de


Jésus le Christ (Jn 20,29).

• En croyant, enfin, il réfléchit à la manière dont les hommes doivent hériter le


Royaume de Dieu (Jn. 20,30-31).

Pour finir, Jean a complété sa composition par une béatitude qui est le couronnement
de tout son écrit qui s’articule autour des notions de voir et croire : Heureux ceux qui n’ayant
pas vu, ont cru (Jn 20,29). Il nous revient, maintenant que nous savons comment le texte a été
composé, d’apprécier le genre littéraire auquel il appartient.

I.2.3.2. Critique du genre littéraire228

Il est question dans cette partie de l’étude de mettre à jour l’architecture cachée229 de
notre texte. En effet, dans une société où les autorités romaines vouent une haine viscérale à la
communauté juive de son époque, sous la domination de Domitien, l’auteur de l’évangile
selon Jean prend son bâton de pèlerin pour monter au créneau. Son intention est très claire :
Affirmer la filialité divine de Jésus de Nazareth ; la foi chrétienne a encore une pertinence,

227
M.E. BOISMARD et A. LAMOUILLE, Op. Cit., p. 361.
228
La critique du genre permet d’identifier le genre littéraire auquel appartient un texte.
229
D. MARGUERAT, Y. BOURQUIN, Pour lire les récits bibliques, Paris / Genève / Montréal, Cerf / Labor et
Fides / Novalis, 1998, p. 5.

92
envers et contre tout et malgré les apparences, parce que c’est bien en Jésus que se trouve la
vérité qui rend libre, la vie, le chemin.230

En effet, s’adonner à un tel exercice n’était pas chose aisée. L’auteur de l’évangile
selon Jean devait convaincre son auditoire en démontrant que Jésus est le Fils du Dieu vivant.
Comment ? Selon J. ZUMSTEIN : L’Evangile est comparable à un conteur qui transforme
son lecteur en racontant une histoire231.

Cette définition de J. ZUMSTEIN suffit-elle pour donner un caractère évangéliaire à


notre récit ? Jean répond-t-il aux critères d’attestation d’un écrit comme un évangile ? En
faisant une lecture minutieuse des Synoptiques pris comme une référence en matière
d’évangile, nous relevons les critères suivants : un récit de la naissance, un récit des logias, un
récit de miracle, un récit de la passation et un récit de la résurrection de Jésus. Le quatrième
évangile répond à tous ces critères qui constituent d’ailleurs le contenu de tout l’évangile. De
plus, l’écrit johannique va même au-delà pour composer un récit de la glorification après sa
résurrection dans l’optique de faire comprendre au lecteur le caractère divin de Jésus.

La péricope que nous étudions (Jn 20) s’inscrit dans le grand ensemble du récit 232 de la
passion de Jésus qui trouve son couronnement dans la résurrection du Christ. L’auteur du
quatrième évangile utilise donc ce genre littéraire qui est le récit pour raconter l’évènement
postpascal. L’emploi des verbes à l’aoriste actif et au présent de l’indicatif qui sont des temps
de narration, en donne la preuve. Cependant, cette « histoire » racontée par l’évangéliste
paraît difficile à comprendre, à première vue, à cause de ses traits stylistiques. Dans ce récit,
le style et la théologie sont étroitement liés. Cependant, il est intéressant de remarquer qu’il
exprime bien son intention, son but et son contenu, en observant de plus près tout le prologue
(Jn. 1,18) et la conclusion de son évangile (Jn. 20,30-31). Le prologue explique que : Le verbe
incarné est en effet l’expression de la plénitude divine et, de ce fait, porteur de la lumière, de
la Vérité et de la Vie, pour l’ensemble des hommes.233

Au fond, ce récit se caractérise par un schéma juridique qui est un plaidoyer de


l’évangéliste. En effet, selon le Grand Larousse Encyclopédique, le plaidoyer est un discours
prononcé devant un tribunal pour défendre une cause. Par extension, thèse en faveur d’une
idée, d’un système234. Il est vrai qu’il n’est nullement question de tribunal tel qu’on le conçoit
230
J. ZUMSTEIN, L’apprentissage de foi. A la découverte de l’Evangile de Jean et de ses lecteurs, Moulin,
Aubonne, 1993, p. 113.
231
Ibid., p.58.
232
Le récit est une relation, un compte rendu oral ou écrit d’un événement. Cf. Grand Larousse Encyclopédique,
Librairie Larousse, Paris, 1964, p.54, Tome 9.
233
J. ZUMSTEIN, Op. Cit., pp. 51-52.
234
Grand Larousse Encyclopédique, Op. Cit., p.531, Tome 8.

93
dans un état ou un royaume. Mais dans cette péricope, l’auteur du quatrième évangile défend
une cause devant les adversaires de Jésus : La divinité de Jésus-Christ par le canal de sa
résurrection.

L’évidence de ce plaidoyer nous est donnée par la succession des formes verbales «
ble,pei » (elle voit), « qewrei » (il voit), « ora,w » (j’ai vu), « ewrakamen » (nous avons vu).
Egalement, les témoins à charge qui doivent attester la résurrection de Jésus-Christ sont
mentionnés dans une suite d’épisodes dont les acteurs semblent ne pas s’accorder entre eux.
Jean nous décrit ce cadre juridique dans lequel, selon Claude F. MOLLA : Les témoins cités à
la barre se succèdent : la pierre a été enlevée, le tombeau est vide, le Christ est vivant, Marie-
Madeleine l’a vu, la communauté réunie, atteste, Thomas pourtant sceptique le confirme à
son tour235. Nous concluons que Jean 20 est un récit dont la particularité est un plaidoyer.
Nous sommes en face donc d’un genre littéraire juridique.

I.2.3.3. Etude de contextes

La complexité qui existe, quant à déterminer une historicité exacte des évangiles,
demeure un problème crucial dans la recherche sur l’insertion historique de l’évangile selon
Jean et de sa communauté236. Pouvons-nous raisonnablement aborder une étude de cette
envergure sans nous intéresser au milieu dans lequel l’auteur baigne ? L’intérêt de ce
paragraphe n’est pas de proposer une étude sur les contextes dans lesquels le quatrième
évangile est né. Il s’agit plutôt de relever quelques indices qui peuvent nous aider à
comprendre notre texte afin de permettre une interprétation contextuelle.

Par ailleurs, l’hypothèse de recherche basée sur une analyse minutieuse du contenu de
l’évangile faite par F. VOUGA, nous parait intéressante. Loin d’objecter l’assertion selon
laquelle, le quatrième évangile n’offre pas de possibilités de confirmation des recherches déjà
entamées par plusieurs spécialistes dans ce domaine, et en attendant de découvrir d’autres
pistes d’identification des contextes de l’évangile, nous exposerons les quatre contextes
proposés par F. VOUGA qui se dégagent du monde de la communauté johannique de l’Asie
de la fin du premier siècle et qui sont également celles dans lesquelles le chapitre 20 de
l’évangile selon Jean a été écrit. Il s’agit des contextes politique, économique, culturel et
religieux. Nous reproduisons, ici, tel que nous l’avons reçu sans aucune autre forme de
rédaction, en dehors des titres. Notre commentaire suivra à la fin de l’exposé.

235
C.F. MOLLA. Le quatrième Evangile, Labor et Fides, Genève, 1977, p. 279.
236
F. VOUGA, Op. Cit., p. 11

94
I.2.3.3.1. Contexte politique

Au niveau politique, la date de rédaction de l’évangile selon Jean semble coïncider


avec la fin du règne de Domitien (81-96 ap. J.-C.). Ce fut une période fort troublée.

Il est bien évident que les chrétiens, jusqu’à Constantin (306-337), n’ont en
aucune manière eu leur mot à dire sur la gestion romaine. Le seul événement
politique qui a dû marquer le christianisme et avoir un certain retentissement
dans sa réflexion, c’est la guerre juive et la période de normalisation qui a
suivi : on en trouve la trace dans nombre d’écrits néotestamentaires d’après
70 qui l’interprètent le plus souvent comme le jugement divin porté sur Israël
incrédule237.

La péricope de Jean 11,48 décrit la méfiance des chefs religieux juifs à l’égard du
pouvoir romain dont il craigne les représailles en cas de troubles. L. GOBELT s’exclame dans
ce sens : Exemplaire à cet égard est l’allusion ironique de Jn 11,48 !238 Mais malgré l’état
embryonnaire de la communauté chrétienne dans cette région, le texte de Jean 11,18 montre
que le pouvoir se méfiait de la réaction de ce petit peuple. F. VOUGA précise donc que :

Alors qu’à la fin de sa vie, Domitien, le premier, exigeait de ses sujets la


pratique du culte de l’empereur pour affermir son pouvoir, pouvait-il
comprendre autrement que comme une insurrection politique le refus des
chrétiens d’adorer un autre dieu que le leur ? Tant qu’ils restèrent attachés à
la synagogue, ils furent dispensés, comme Juifs jouissant du statut de religio
licita, des pratiques civiles et religieuses contraires à leurs convictions. Une
fois exclus du Judaïsme par le synode de Jamnia et dénoncés par leurs
anciens coreligionnaires, les chrétiens n’eurent plus de protection contre la
police impériale ni contre les puissantes assemblées municipales et
provinciales qui, créées par l’empereur, constituaient d’importants foyers de
loyalisme239.

Heureusement, la situation politique n’aura pas de conséquences néfastes sur


l’économie de la ville d’Ephèse, présumée être la ville de rédaction du quatrième évangile.

I.2.3.3.2. Contexte économique

Notons encore avec F. VOUGA :

Qu’économiquement, la centralisation du pouvoir, devenu héréditaire, entre les


mains de l’empereur, la fin des guerres civiles, les réorganisations impériales
de l’administration contribuent à la prospérité de tout le bassin méditerranéen.
Les voies de communications (routes, trafic maritime) sont extrêmement bien
organisées et entretenues240.

237
Ibid., p. 12.
238
L. GOPPELT. Les origines de l’église, Christianisme et Judaïsme aux derniers premiers siècles, Paris, 1961
et G. BAUM, Les Juifs et l’Evangile, Paris, 1965 (= Lectio Divina 41).
239
F. VOUGA, Op. Cit., p. 11.
240
Ibid., pp. 11-12.

95
Mais c’est à Ephèse que revient la palme d’or au nombre des nombreuses villes
florissantes qui ont bénéficié de cette stabilité politique. Ville industrielle et portuaire, elle est
devenue le carrefour de tout le trafic commercial qui s’est déployé sur la mer Egée, reliant la
Perse pour rejoindre l’Asie Mineure en traversant la Babylonie et la Syrie pour atteindre le
monde oriental. Ephèse devient pour ainsi dire le plus grand pôle d’attraction commerciale
où gravitent tous les échanges aussi bien de personnes que d’idées ; des croisières
touristiques font rage et les agences de voyages s’y multiplient 241. Ceci a eu des répercussions
sur le contexte culturel de l’Asie Mineure.

I.2.3.3.3. Contexte culturel

Au niveau culturel, l’Asie Mineure, comme le souligne si bien VOUGA, est devenu le
lieu par excellence d’expression du syncrétisme à haute échelle. En fait, le contexte culturel a
été influencé par la stabilité politique qui favorisait le vivre ensemble et le commerce qui a
occasionné une multiplicité des échanges au cours de plusieurs siècles d’hellénisme qui ont
donné à tout le bassin méditerranéen une langue commune : le grec de la Koïnè. Les
anciennes écoles philosophiques platonicienne, aristotélicienne, épicurienne, stoïcienne et
sceptique se sont développées. La production littéraire reste maigre tandis que les
réalisations architecturales, produit du mécénat, se multiplient242.

Le développement culturel marqué par la naissance de plusieurs courants de pensées


philosophiques aura nécessairement une influence négative remarquable sur l’ensemble de
l’organisation religieuse dans cette contrée.

I.2.3.3.4. Contexte religieux

Au plan religieux243, F. VOUGA part du constat que :

Le syncrétisme – mélange ou combinaison des religions grecque, égyptienne


(Isis), syrienne, phrygienne et babylonienne – donne lieu à toutes sortes de
cultes à mystères auxquels s’adonnent les milieux cultivés de Grèce et de
Rome où les religions orientales, parmi lesquelles le Judaïsme et le
Christianisme naissant, s’implantent de plus en plus244.

Ces croyances étaient basées sur des rites secrets et des initiations qui devaient
permettre aux adeptes de rencontrer en contact direct avec leur divinité par le truchement des
241
F. VOUGA, Op. Cit., p. 12.
242
Ibid., pp. 11-12.
243
Signalons ici quelques ouvrages sur la base desquels VOUGA a mûri sa réflexion : A. D. NOCK.
Christianisme et Hellénisme, Le cerf, Paris, 1973 (=Lectio Divina 77) ; R. BULTMANN, Le christianisme
primitif dans le cadre des religions antiques, Paris, 1950 ; A.J. FESTUGIERE. Le monde gréco-romain au temps
de notre Seigneur, tome II : le milieu spirituel, Paris, 1935.
244
F. VOUGA, Op. Cit., p. 12.

96
transes245. Partant, ces rites secrets et ces initiations qui n’étaient au départ que de mystères
locaux qui s’apparentent aux rites saisonniers, vont devenir petit à petit des systèmes de
croyances beaucoup plus élaborés, qui allient, aux rites des premiers, un héritage
philosophique qui paraît maintenant insatisfaisant ; on ne se soucie en effet plus tant de la
vérité pour elle-même : on recherche une doctrine qui permette de vivre sans trop d’angoisses
et de souffrances, et assure une immoralité heureuse. C’est ainsi qu’apparaissent peu à peu les
mouvements gnostiques, mi-sagesse mi-magie. Des rites permettent à l’âme qui vient du ciel
de se purifier, de se libérer de sa prison charnelle et de remonter vers son origine246.

Les présupposés de travail tels que présentés par F. VOUGA peuvent nous permettre
de faire au moins un pas dans l’avancée de notre réflexion. De prime à bord, au niveau
politique, l’hypothèse de Domitien qui exigeait de son peuple la pratique du culte impérial
semble plausible. L’Evangile selon Jean probablement en fait l’écho, ce d’autant qu’il
donnerait à comprendre la confession-cri de Thomas (Jn 20,28) comme étant un affront à
l’empereur. Nous avons l’impression que Jean détourne les regards de sa communauté de ce
culte païen pour les ramener à l’adoration du seul vrai Dieu, celui que Thomas a confessé,
Jésus le Christ ressuscité. Ce serait sans doute à ce moment précis que commenceraient les
premières persécutions des chrétiens et leur expulsion des synagogues.

Ensuite, nous pouvons être tenté de comprendre le verset 29 comme une mise en garde
des chrétiens contre les croyances populaires qui pulluleraient dans les milieux hellénistes,
avec à leur clé la magie, cette sorte d’appât qui attirerait les chrétiens à tout moment. C’est
probablement dans cette logique qu’interviendrait la rédaction de la conclusion de Jean 20
contenue dans les versets 30 et 31. Force est de signaler à la fin de cet exposé que la péricope
étudiée s’inscrit dans le contexte très restreint de la résurrection de Jésus, meublée par ces
diverses apparations aux disciples.

I.2.3.3.5. Contexte littéraire

Le chapitre 20 du quatrième évangile s’ouvre sur des mots qui ne peuvent laisser le
lecteur indifférent. Ce sont : le premier jour de la semaine, Marie de Magdala, au tombeau, la
pierre enlevée du tombeau. Ces divers éléments nous montrent le décor dans lequel est inscrit
Jean 20 et décrit par M. E. BOISMARD et A. LAMOUILLE :

Le cycle des récits de la résurrection s’ouvre chez Jn par la venue de Marie


de Magdala au tombeau de Jésus (20,1) ; l’ayant trouvé vide, elle court

245
Etat d’exaltation et d’exhibition dans lequel se trouvaient les médiums qui étaient censés communiquer avec
les esprits.
246
F. VOUGA, Op. Cit., p. 13.

97
avertir Pierre et un autre disciple (20,2) qui viennent à leur tour constater que
le tombeau est bien vide (20,3)247.

Si nous nous en tenons au terme « récit » employé au pluriel pour déterminer la


résurrection, nous nous rendons tout de suite compte qu’il y a plusieurs épisodes qui
consacrent la résurrection de Jésus dans ce chapitre 20 avec des acteurs potentiels jouant
chacun un rôle primordial dans un passage qui lui est consacré. Dans cette perspective, nous
nous rendons à l’évidence que le contexte de Jean 20 est celui des disciples, principalement de
Marie de Magdala, Pierre, le disciple bien-aimé et Thomas. Chacun d’entre eux joue un rôle
capital dans le témoignage de la résurrection de Jésus qui doit nécessairement conduire au
«croire ».

A la fin de ce chapitre, nous retenons que la critique textuelle nous a permis d’avoir un
texte que nous pouvons considérer, avec modestie, comme étant le plus exact possible. Ainsi
avons-nous adopté Jean 20 tel qu’il se présente dans la 28 è édition du Novum Testamentum
Graece. La délimitation a relevé que notre passage d’étude ne constitue pas une unité littéraire
indépendante des autres récits (Jn 19,38-42 ; Jn 21,1-14). L’analyse littéraire a été nécessaire
pour apprécier les différents mécanismes qui ont aidé à la composition de l’évangile selon
Jean et a repéré les diverses sources. Enfin, cette analyse nous a permis d’apprécier, tout au
moins succinctement, les circonstances et les contextes dans lesquels l’évangile a été écrit et
le genre littéraire de notre passage d’étude.

CONCLUSION PARTIELLE

Les difficultés rencontrées dans le cadre de la présentation de l’évangile et la question


énigmatique de la personnalité de Thomas nous ont amené à comprendre que toutes les vérités
ne sont pas perceptibles par la raison. Cependant, Le chrétien doit être doté d’un esprit
critique. Car l’ordre des choses n’est pas absolument linéaire et une fois établi, il est plutôt
dynamique et tient compte des réalités existentielles. Il est un être doué de raison et à ce titre,
il ne peut pas accepter aussi facilement une interprétation trop simpliste des Saintes Ecritures.

247
M.E. BOISMARD et A. LAMOUILLE, Op. Cit., p. 453.

98
Il doit s’appuyer sur les mécanismes déjà existants pour pénétrer le message divin afin de
mieux le transmettre aux générations futures.

C’est à cet exercice que nous nous sommes donné à travers l’étude exégétique de Jean
20 qui relève que Thomas n’est pas un douteur-né. Son attitude s’inscrit dans un contexte de
résurrection très difficile à appréhender, à cause de l’influence de nombreux courants de
pensée. En résumé, l’étude exégétique de Jean 20 nous a donné les moyens pour asseoir les
bases d’une interprétation de notre péricope afin d’en dégager une théologie.

99
DEUXIEME PARTIE :
DU DOUTE A LA FOI : UN
PRINCIPE LIBERATEUR
EN JEAN 20

INTRODUCTION PARTIELLE

L’intérêt de cette deuxième partie relève du débat moderne sur la nécessité de la


théologie et de l’herméneutique pour la foi chrétienne. Notre démarche comprend deux
étapes : d’abord, la théologie va nous permettre de rassembler et de structurer les résultats de
l’exégèse. L’herméneutique cherche à répondre à la préoccupation suivante : Si Dieu a dit et
fait ce que le texte nous dit qu’il fit dans les circonstances mentionnées, que dirait-il ou que
ferait-il pour nous dans les circonstances actuelles ?248 Ce procédé montre la permanence de
Dieu d’âge en âge et le fait que Jésus-Christ est le même, hier, aujourd’hui et
éternellement (Héb. 13,8).
248
HOKHMA, Revue de réflexion théologique, Saint-Légier sur Vevey, N° 100 et 103, 2011 et 2013, p. 22.

100
Ensuite, la deuxième étape est une réflexion menée à partir des résultats de la réflexion
théologique et herméneutique. Cette réflexion n’est autre qu’une démarche qui part du doute à
la foi afin de s’imposer comme un principe libérateur du chrétien africain.

Ainsi le chrétien peut avoir les regards fixés dans la bonne direction et se poser des
questions appropriées pour comprendre ce que disent les écrits bibliques de la part de Dieu.
Une telle approche ne peut que le servir dans sa marche quotidienne, et permettre à sa foi
d’être totale et inflexible.

CHAPITRE TROISIEME :
THEOLOGIE ET HERMENEUTIQUE DE JEAN 20

A partir des matières que nous ont fourni respectivement les critiques textuelle,
littéraire et des sources, nous nous efforcerons d’élaborer une grille de lecture afin d’esquisser
une interprétation de notre texte de base. Mais avant le commentaire proprement dit, nous
tenterons dans ce chapitre d’analyser au niveau sémantique et syntaxique quelques notions
clés qui vont aider à esquisser une explication des différents versets, afin d’en ressortir une
théologie. C’est à partir de cette théologie que nous allons poser les bases de l’interprétation
de notre texte en vue de son actualisation.

101
II.3.1. ANALYSE SEMANTICO-SYNTAXIQUE ET VARIATION
THEMATIQUE DE JEAN 20

L’analyse sémantico-syntaxique et l’étude des variations de Jean 20 sont nécessaires


pour une bonne exploitation de ce texte.

II.3.1.1. Analyse sémantico-syntaxique de Jean 20

L’analyse sémantico-syntaxique consiste à répertorier les différentes terminologies des


mots-clés de notre péricope, à apprécier leur emploi et à déterminer leur construction.

 Voir

Le terme « voir » tient une place particulière dans l’évangile selon Jean. En effet, on
retrouve ce terme 78 fois dans tout l’évangile et 13 fois dans Jean 20. On y trouve diverses
précisions terminologiques qui sont employées pour le désigner. Il s’agit des mots oraw,
qewrein, qeasqai, blepein. F. MUSSNER nous en donne une belle illustration :

On rencontre le verbe qeasqai chez Jean, - toujours sans compter


l’Apocalypse – 9 fois (6 fois dans l’évangile et 3 fois dans 1 Jn), qewrein 25
fois (24 fois dans l’évangile et une fois dans 1 Jn), oraw 39 fois (31 fois dans
l’évangile, 8 fois dans 1 et 3 Jn), blepein 18 fois (17 fois dans l’évangile, une
fois dans 2 Jn) ; au total, les quatre verbes qui signifient « voir » se
rencontrent 81 fois ! Il ne semble pas y avoir de différences de sens entre
eux.249

Dans le cadre de notre étude, nous allons nous intéresser qu’aux trois verbes employés
dans notre péricope à savoir : blepein, qewrein, oraw.

* blepein ou blepeiw signifie voir, avoir le sens de la vue, jouir de la vue, regarder,
diriger ses regards sur ou vers250, prendre garde, tenir compte de, constater, jeter un regard,
apercevoir, découvrir, considérer, recouvrer la vue. D’une manière générale, ce verbe évoque
la vision physique, extérieure, optique. Il revient 17 fois dans l’évangile de Jean et 2 fois dans
Jean 20.

* qewrein ou Qewre,w signifie voir, observer, examiner, contempler, contempler par


l’intelligence251, constater, considérer, estimer et par extension, aller comme spectateur. Il
évoque une vision qui rentre dans le cadre de la réflexion intellectuelle et de la contemplation.

249
F. MUSSNER, Le langage de Jean et le Jésus de l’histoire, Desclée de Brouwer, Paris, 1969, p. 28.
250
A. BAILLY, Dictionnaire Grec-Français, Hachette, Paris, 1950, p. 363.
251
Ibid., p. 932.

102
Il est employé lorsqu’on envisage ou interprète un fait dans une perspective théorique. Ce mot
est employé 24 fois dans l’évangile selon Jean et 3 fois dans Jean 20.

* Ora,w signifie voir, regarder, observer, remarquer, avoir des yeux, être voyant, fixer
les yeux, porter ses regards, faire attention à, avoir les yeux fixés sur, veiller à, s’occuper de,
regarder pour chercher252, apparaître, apercevoir, prendre garde, distinguer. oraw est
employé 31 fois dans l’évangile selon Jean et 8 fois dans Jean 20. Nous constatons que le
terme oraw est le plus utilisé par Jean pour désigner le verbe voir dans son évangile et dans
notre péricope.

 Croire

Le chapitre 20 de Jean est sans doute l’un des écrits du Nouveau Testant qui constitue
un hymne à la foi. A y regarder de près, on s’aperçoit clairement comment l’auteur a de
manière graduelle composé le « croire » pour arriver à son but.

Le terme grec pisteuw qui est traduit en français par « croire » signifie compter sur
quelqu’un, avoir confiance en une parole (Jn 4,50 ; 2Th 1,10), en Dieu (Ac 27,25), ajouter foi
à une parole (Mc 13,21), se fier à253. Il signifie également lier, persuader, confier, appuyer.
Selon le Nouveau Dictionnaire Biblique, le verbe pisteuô, utilisé surtout par Jean (98 fois
dans l’évangile), est suivi par plusieurs constructions grammaticales qui donnent les
dimensions essentielles de l’acte ou l’attitude de croire 254. Dans le cas d’espèce, nous
remarquons deux emplois du verbe croire :

Premier cas : Lorsqu’il est employé seul comme c’est le cas dans Jean 20,8.25.29, croire est
si central au christianisme qu’il suffit de le mentionner sans autre explication255.

Deuxième cas : Le second croire est suivi de la conjonction oti (parce que) et est conjugué
au présent de l’indicatif. Il désigne dans ce cas un assentiment intellectuel à la vérité de ce qui
est dit ou affirmé256 comme dans Jean 20,29.

Notons que le verbe croire a été utilisé 6 fois dans Jean 20 et que rarement l’auteur du
quatrième évangile utilise rarement ou presque jamais les substantifs tels que foi, confiance et
fidélité. B. GILLIERON confirme même que chez Jn, où seul le verbe est utilisé pour en

252
Ibid., p. 1395.
253
B. GILLIERON, Op. Cit., p. 47.
254
Nouveau Dictionnaire Biblique, Op. Cit., p. 304.
255
Nouveau Dictionnaire Biblique, Op. Cit., p. 305.
256
Idem.

103
souligner le caractère dynamique (cf. *connaître), la foi est plus qu’ailleurs adhésion
personnelle au Christ257.

 Incrédule

Le terme grec a;pistoj signifie non croyant, infidèle, incrédule, incroyant, incroyable.
Il est composé du préfixe privatif a et de l’adjectif pistoj. Nous pourrions le redéfinir comme
une privation de foi, donc « a-foi ». Dans le quatrième évangile, il est utilisé une seule fois
dans Jean 20,27 pour désigner l’attitude de Thomas qui refuse de croire. Presque tous les
dictionnaires l’assimilent au doute. Dans le cas de notre étude, c’est donc le doute que nous
utiliserons pour désigner le manque de foi ou le refus de croire.

L’analyse de ces différents concepts qui reviendront tout au long de notre travail nous
permet d’aborder le chapitre explicatif de notre texte.

II.3.1.2. Variation thématique de Jean 20

Par cet exercice, nous voulons tout juste apprécier la place du Chapitre 20 dans le
quatrième évangile par l’examen des variations thématiques. De cet examen, nous voulons
retenir le thème qui pourrait être le centre de notre péricope. Généralement les critiques
admettent quatre types d’intrigues qui sont l’intrigue de résolution, l’intrigue de révélation,
l’épisode et l’intrigue unifiante. Chaque type d’intrigue a sa particularité. Dans le cadre de
cette recherche, nous optons pour l’épisode qui rend mieux compte de notre sujet.

En effet, la Pâque johannique est le tournant décisif de l’histoire du Jésus terrestre.


Cette histoire tire son apogée dans la résurrection décrite par Jean en quatre épisodes. Le récit
s’ouvre par la visite au tombeau (Jn 20,1-10) de Marie de Magdala qui constate le vide
matérialisée par la pierre du sépulcre mise de côté. Elle en informe Pierre et le disciple bien-
aimé qui courent au tombeau et apprécient à leur tour les bandelettes de Jésus. Entre
hésitation et étonnement, chacun tire sa conclusion. Cependant, entre le voir-croire du disciple
bien-aimé et le voir muet de Pierre va se déclencher l’intrigue.

L’apparition de Jésus à Marie de Magdala (Jn 20,11-18) en rajoute un peu plus au


mouvement déclenché par les deux compagnons au tombeau. Elle voit le Seigneur et annonce
sa résurrection aux autres disciples. Ceux-ci dans la crainte reçoivent la nouvelle sans se
manifester. Ils attendront l’apparition du Maître qui leur offre les preuves suffisantes de sa
résurrection pour s’en réjouir (Jn 20,19-23).

257
B. GILLIERON, Op. Cit., p. 48.

104
Pour finir, c’est l’apparition du Ressuscité à Thomas qui décèle l’intrigue. Hésitant au
départ, il voit et croit à l’arrivée. J.-M. SEVRIN dira que : L’intrigue consisterait dans
l’histoire de la réussite et de l’échec dans la reconnaissance de l’identité de Jésus ; son
moteur serait dans le conflit entre foi et non-foi comme réponses à Jésus258.

Le centre de l’intrigue dans le chapitre 20 du quatrième évangile est dans l’œuvre


accomplie par Jésus-Christ à travers sa résurrection : Il est Seigneur et Dieu. Ainsi le but de
l’évangile est-il atteint, car il s’agit pour le narrateur de montrer la filiale divinité de Jésus dès
l’entame de l’évangile.

II.3.2. COMMENTAIRE EXEGETIQUE DE JEAN 20

Cet exercice consiste à questionner le texte que nous avons retenu comme étant le plus
proche de l’original pour mieux cerner ce qui en découle, comme l’atteste si bien M.
KOUAM : Nous voudrons juste dégager ce que dit le texte, pas ce que le texte nous dit 259.
Nous nous inspirerons, pour ce faire, de divers autres travaux qui ont déjà été effectués par
certains auteurs sur Jean 20 afin d’apporter notre propre contribution.

20,1-2 : « Le premier jour de la semaine » était Dimanche, le premier jour de la


semaine après le Saint Sabbat de la semaine de la Pâque, quand les prémices étaient offertes
dans le Temple. « Marie de Magdala » était probablement l’une des nombreuses femmes qui
accompagnaient Jésus et les Apôtres. Jésus l’a délivrée de plusieurs démons en Galilée (Mc
16,9 et Lc 8,2).

Il est néanmoins curieux de constater que l’Evangile ne mentionne pas les autres
femmes et quel est l’objectif de la visite de Marie, tandis que les autres évangélistes en
donnent des précisions : les femmes étaient venues très tôt pour oindre les corps de Jésus avec
les épices (Mt 28,1 ; Mc 16,1 ; Lc 24,1). Selon L. BONNET :

Plusieurs exégètes admettent qu’elles y seraient allées ensemble, mais que


Jean ne mentionne que Marie de Magdala sur laquelle se concentre tout son
intérêt, à cause du rôle important qu’elle va remplir. L’évangéliste n’ignorait
pas, du reste, qu’elle avait des compagnes, puisqu’il l’a fait parler au pluriel
et en leur nom260.

Nous retrouvons effectivement l’utilisation du verbe oi;damen (nous savons ; Jn


20,2b), au présent de l’indicatif et à la première personne du pluriel, montre la ponctualité de

258
J.-M. SEVRIN, L’intrigue du quatrième évangile, ou la christologie mise en récit, Revue de Théologie de
Louvains N° 37, 2006, p. 474.
259
M. KOUAM, Comment comprendre les textes du Nouveau Testament, Ndoungué, 1995, Inédit.
260
L. BONNET, A. SCHROEDER, Bible annotée N.T. 2, Jean et Actes, P.E.R.L.E / Emmaüs, Saint-Légier,
2001, p. 290.

105
l’action de Marie de Magdala et la présence d’autres personnes pendant ladite action. Ce «
nous » semble inclure Marie de Magdala, Marie la mère de Jacques, Salomé, Jeanne et les
autres femmes (Mt 28,1 ; Mc 16,1 ; Lc 24,10).

« La pierre était enlevée du tombeau » : cette expression nous laisse comprendre, à la


première lecture que la pierre a été emportée pour permettre à Jésus de sortir du tombeau.

Mais en focalisant l’attention sur la pierre261, il est fort probable qu’elle a été enlevée
pour plutôt permettre aux témoins d’entrer dans la tombe. La pierre avait été déplacée si loin
du tombeau que Luc a volontairement utilisé apokulio qui signifie « rouler262 » un objet à une
grande distance de quelque chose d'autre, pas simplement à côté. Jean utilise un verbe
différent avec un sens semblable, airo, qui signifie « soulever263 » quelque chose et le
transporter au loin.

Marie de Magdala apparemment quitta le tombeau vide très tôt pour informer les
disciples. Le verbe trecei (court) au présent de l’indicatif signale l’empressement et les
émotions avec lesquels Marie rencontre « L’autre disciple que Jésus aimait » et Simon Pierre.
Le mot grec rendu par amour est filew qui a la connotation d’ « amour fraternel ».

« On a enlevé du tombeau le Seigneur » : Le narrateur emploie l’indicatif aoriste actif


qui marque une action achevée. Le tombeau était ouvert, Jésus n’était plus là. Dans la tête de
Marie, « on » semble être une allusion aux autorités juives et romaines qui auraient emporté le
corps du Christ dans un endroit.

20, 3-4 : Informés, les deux disciples se rendent au tombeau mais, « l’autre disciple
courut plus vite que Pierre et arriva le premier au tombeau » parce qu’il paraît probablement
le plus jeune des Apôtres (d’après la tradition). Mais c’est plutôt Pierre qui entre le premier au
sépulcre. J. CALVIN explique cet empressement de Pierre par le fait que de nombreuses
personnes bouillent au commencement, et à la fin perdent courage quand on en vient au
combat ; au contraire d’autres, qui semblaient être lâches et tardifs, prennent nouvelle
hardiesse quand le danger est proche.264

261
D’après nos recherches, c'était une grosse pierre circulaire, plate devant et derrière, ayant peut-être trente
centimètres d'épaisseur. Alors, comment cette énorme pierre porteuse d'un sceau romain et gardée par un peloton
d'élite a-t-elle pu être déplacée? Une portion des manuscrits Bezae de la bibliothèque de Cambridge en
Angleterre renferme une déclaration à l'effet que cette pierre était si grosse que même vingt hommes n'auraient
pas pu la déplacer.
262
M. CARREZ, F. MOREL, Dictionnaire grec-français du Nouveau Testament, Genève/Villiers-le-Bel, Labor
et Fides/Société Biblique Française, 1995, p. 40.
263
Ibid., p. 19.
264
J. CALVIN, Commentaire sur le Nouveau Testament, Evangile selon Jean, Texte établi par M.
REVEILLAUD, Labor et Fides, Genève, 1968, Tome II.

106
Néanmoins, nous pouvons voir dans ce geste également le fait que Pierre s’est toujours
présenté comme le chef de file des disciples. Il voulait être sans doute le premier à témoigner
à la suite de Marie de Magdala.

20,5-7 : « se penchant » : selon B. UTLEY, les tombeaux de cette période avaient une
entrée mesurant environ 3 à 4 pieds de hauteur ; et il fallait donc se baisser (cf. v. 11) pour
entrer dans la grotte265. Pour C. L’EPLATTENIER, c’est plutôt une reprise d’initiative de
Pierre pour entrer dans le tombeau, là où Marie n’a pas osé. Il le justifie par le fait
qu’historiquement, c’est lui aussi qui aura la priorité dans la proclamation publique de la
résurrection du crucifié (Ac 2,41ss)266.

« Pierre vit les bandelettes qui étaient posées là ». Avec qewrew, c’est un Pierre qui
contemple comment les bandelettes étaient posées sans rien comprendre. Pourtant, comme le
souligne J. CALVIN : Les linges étaient comme les dépouilles pour faire foi de la
résurrection du Fils de Dieu ; car il n’était point vraisemblable que son corps eût été dénudé
pour être transféré ailleurs267. Les bandelettes matérialisaient l’absence de Jésus dans le
tombeau et peut-être même le fait que le corps ne pouvait pas être volé. Pierre était-il toujours
dans sa logique de reniement de Jésus ?

Il est quand même étonnant que C. L’EPLATTENIER décrive Pierre comme étant le
héros du tombeau ouvert lorsqu’il allègue :

Jn, lui, semble poser Pierre essentiellement comme le témoin objectif, non
seulement du tombeau ouvert et vide, mais aussi de cet ordre étonnant qui y
règne : les reliques de l’ensevelissement de Jésus sont là, qui témoignent de la
réalité de sa mort, mais elles sont soigneusement rangées, comme pour
marquer le dépassement victorieux de cette mort 268.

Si nous sommes d’accord pour dire avec C. L’EPLATTENIER que les bandelettes,
tout comme le soutient J. CALVIN, restent une preuve tangible de la résurrection de Jésus,
nous demeurons cependant perplexe quant à l’attitude de Pierre.

20,8-9 : « Alors l’autre disciple, celui qui était venu le premier au tombeau, entra. Et il
vit et il crut » sans doute encouragé par la réaction de son condisciple. D’où provient la foi de
ce disciple bien-aimé ?

265
B. UTLEY, Les Mémoires et les Lettres du Disciple Bien- Aimé : l’Évangile selon Jean, Ière, IIème et
IIIème Épîtres de Jean, Bible Lessons International, Marshall, Texas, 2011, p. 275.
266
C. L’EPLATTENIER, L’Evangile de Jean, Labor et Fides, Genève, 1993, p. 337.
267
J. CALVIN, Ibid., p. 522.
268
C. L’EPLATTENIER, Op. Cit., pp. 377-378.

107
L. BONNET pense que ce ne sont pas les paroles de Marie de Magdala, car l’ordre
remarquable que le Seigneur avait voulu laisser dans son sépulcre (v. 6 et 7) excluait
absolument l’idée d’un enlèvement opéré à la hâte par ses ennemis 269. « Et le suaire qui était
sur sa tête, non pas avec les bandelettes, mais enveloppé et mis à l’écart, dans un seul endroit
» (v. 7) ; cette phrase conjuguée au passé composé implique que quelqu’un avait pris un soin
particulier pour plier le linge et confirme l’hypothèse précitée.

Apparemment, c’est ce qui avait attiré l’attention du disciple bien-aimé et provoqua sa


foi. Avec blepw, c’est un disciple qui voit la preuve physique et croit que Jésus est vivant. M.
E. BOISMARD dira que : Tout « signe », qui est une manifestation de gloire, a pour
conséquence de mener le disciple à la foi 270. Nous notons qu’à partir de ce moment, la foi en
la résurrection devient alors une question théologique cruciale. « Ils n’avaient pas encore
compris l’Écriture » est probablement un autre commentaire de l’auteur qui pourrait se référer
à Lc 24,25 (Hommes sans intelligence).

Raisonnablement, nous pouvons nous poser la question de savoir pourquoi ce verset


est-il placé juste après l’acte de foi du disciple bien-aimé ? C. L’EPLATTENIER pense que :

La référence à l’Ecriture, et l’emploi du verbe anhistèmi dans ce verset,


évoquent bien pour le lecteur le kéygme traditionnel (cf. 1Co 15,4). Or c’est
sans le soutien de cette compréhension, qui présuppose au préalable
précisément la foi pascale, que le disciple a su interpréter, dans un pur acte
de foi, le signe qu’il a vu271.

La question reste ouverte. Nous estimons pour notre part que ce verset a peut-être été
utilisé théologiquement pour renforcer la vérité selon laquelle l’Esprit n’était pas encore
pleinement descendu sur les disciples. Ils devaient peut-être attendre que l’Esprit leur soit
donné pour comprendre les paroles et les actions de Jésus (Jn 2,22; 14,26). Comme le soutient
J. CALVIN : Car bien que Jean dise qu’il croyait (Jean 20,8), néanmoins cette foi n’était pas
ferme, mais seulement un sentiment confus du miracle, et semblable à une extase, jusqu’à ce
qu’il fût mieux confirmé272.

20,10 : « Ils se retournèrent donc chez eux ». Cela peut signifier qu’ils étaient repartis
à Galilée (Mt 26,32 ; 28,7, 10, 16 ; Jean 21 les décrit en train de faire la pêche dans la Mer de
Galilée) ou ils étaient retournés dans leur quartier général à Jérusalem, dans la Chambre
Haute.

269
L. BONNET, A. SCHROEDER, Op. Cit., p. 291.
270
M.E. BOISMARD et A. LAMOUILLE, Op. Cit., p. 458.
271
C. L’EPLATTENIER, Op. Cit., p. 378.
272
J. CALVIN, Op. Cit., p. 524.

108
20,11-13 : Nous assistons à une Marie émotive qui s’était tenue débout dehors près du
tombeau en pleurant. L’emploi de eklaien (pleurait), qui signifie littéralement « gémissait »
(Jn 11,31), à l’imparfait implique une action qui se continue dans le passé. Cette petite scène
introduit le récit de l’apparition de Jésus à Marie de Magdala. « Elle se penche et voit deux
anges vêtus de blanc » : voici une bonté du Seigneur qui apporte une consolation certaine à
une femme en détresse.

L’adresse des anges à Marie : « Femme, lui dirent-ils, pourquoi pleures-tu ? » présente
selon C. L’EPLATTENIER un double intérêt :

D’une part, ce premier dialogue souligne en le motivant le désarroi de cette


femme, invitée à l’exprimer. D’autre part, les anges sont par définition des «
messagers » (anggellous), même si Jn n’en fait pas ici les annonciateurs de la
résurrection, ce qui prépare la belle inclusion qui englobe ce récit : au v. 18,
Marie s’en ira « annonçant » (anggelloussa) aux disciples qu’elle a vu le
Seigneur.273

20,14 : Elle ne savait pas que c’était lui. Nous pouvons évoquer des raisons possibles :
les larmes avaient rempli ses yeux ou elle regardait de l’obscurité vers la lumière, ou encore
l’apparition de Jésus était quelque peu différente (Mt 28,17 et Luc 24,16.37).

L. BONNET estime que point n’est besoin comme nous le pensons d’aborder la
question dans le sens que nous avons adopté comme le font plusieurs exégètes. Par
conséquent, il allègue que : De nombreux passages des évangiles nous montrent clairement
qu’il devait s’être produit dans la personne de Jésus un grand changement, causé par ses
souffrances, sa mort et surtout sa résurrection274.

Cette affirmation semble être judicieuse à nos yeux. Cependant, elle paraît incomplète.
En effet, nous ne pouvons pas ignorer l’aspect de Marie qui va jouer le premier rôle dans la
proclamation du Christ ressuscité. Par conséquent, nous nous fondons dans la logique de J.
CALVIN qui, répondant à la question : Pourquoi Marie n’a-t-elle pas reconnu Jésus ?, nous
laisse comprendre que l’erreur provient de l’inintelligence de Marie comme c’est le cas des
deux disciples sur la route d’Emmaüs de Luc 24,16. C’est dans cet élan qu’il affirme que :

Je pense plutôt que la faute ou le vice était en les yeux des femmes, comme il
est parlé des deux disciples en S. Luc (24 :16). Or nous ne dirons pas que le
Christ ait pris tantôt une forme, tantôt une autre, mais qu’il est en la
puissance de Dieu, qui a donné les yeux aux hommes, d’hébéter leur vue
toutes les fois qu’il lui semble bon, en sorte qu’en voyant ils ne voient pas. Et
qui plus est, nous avons en Marie un exemple commun des erreurs ou
éblouissements de l’entendement humain. Car bien que le Fils de Dieu se

273
C. L’EPLATTENIER, Op. Cit., p. 380.
274
L. BONNET, A. SCHROEDER, Op. Cit., p. 292.

109
présente devant nous, toutefois nous lui forgeons diverses formes, en sorte
qu’il n’y aura rien que notre sens ne conçoive plutôt que le vrai Christ 275.

Notre attitude, il est clair donc, en tant que croyant dépend de l’image que nous
donnons au Christ, les signes ne suffisent sans doute plus.

20,15 : Jésus lui dit : « Femme, pourquoi pleures-tu, qui cherches-tu ? ». Le Seigneur
vient au secours d’une âme (Marie) en détresse afin de lui apporter sa consolation. Souvent, il
interroge ainsi les malheureux qui le cherchent, uniquement afin d’attirer sur lui leur
attention et de les encourager à lui ouvrir leur cœur avec confiance et à lui demander tout ce
dont ils ont besoin (Jn 5,6 ; Mc 10,51)276.

Mais, elle, pensant que c’est le jardinier, lui dit : « Seigneur, si c’est toi qui l’a enlevé,
dis-moi où tu l’as déposé et moi je l’emporterai ». Jésus est ici pris pour un inconnu,
précisément le jardinier. Nous pouvons alors noter que le terme kurios n’est pas utilisé dans
son sens christologique et peut signifier monsieur, maître, propriétaire ou époux. L’emploi du
conditionnel de première classe marqué par « si » laisse supposer l’idée selon laquelle
quelqu’un aurait volé le corps de Jésus.

20,16 « Marie ! » : comment Jésus a-t-il prononcé son nom pour que Marie le
reconnaisse immédiatement comme son Maître ? Probablement d’une manière emphatique.
Mais l’emploi du vocatif « Mariam » en lieu et place de l’accusatif « Marie » est révélateur. F.
GODET cité par L. BONNET dira que :

Ce qu’il y a de plus personnel dans les manifestations humaines, c’est le son


de la voix ; c’est par ce moyen que Jésus se fait connaître à Marie. L’accent
que prend, dans sa bouche, ce nom de Marie, exprime tout ce qu’elle est pour
lui, tout ce qu’il est pour elle.277

C’est dans cet ordre d’idée qu’il conclut sa réflexion en soulignant que : Aussi est-ce
avec un tressaillement de joie que Marie, à son tour, pousse cette exclamation dans laquelle
elle met toute son âme : Rabbouni ! Maître ! Elle ne peut en rien dire davantage278.

20,17 : Jésus lui dit : « Ne me touche pas ». Cette phrase laisse supposer que Marie
dans sa joie extrême d’avoir retrouvé celui qu’elle cherchait depuis l’aube, voulait se jeter à
ses pieds. Toutefois, la justification du refus du toucher de Marie peut laisser le lecteur

275
J. CALVIN, Op. Cit., p. 526.
276
L. BONNET, A. SCHROEDER, Op. Cit., p. 293.
277
L. BONNET, A. SCHROEDER, Op. Cit., p. 293.
278
Ibid., p. 294.

110
perplexe : « car je ne suis pas encore monté près du Père ». Que pouvait renfermer cette
phrase de Jésus ?

L. BONNET, citant MEYER, signale que :

Marie, en touchant le Seigneur de ses mains, voulait s’assurer qu’il était bien
ressuscité, corporellement présent, qu’elle ne voyait pas une simple
apparition de son esprit. Et Jésus lui donnerai cette assurance : C’est bien
moi, car je ne suis pas encore monté dans la gloire du Père 279.

Cette assertion éclaire davantage sur le fait que la relation entre le croyant et Jésus le
Ressuscité est pour fondement un attachement charnel. Nous devons, à l’instar de Marie
chercher le Ressuscité dans le mystère de l’invisible amour du Père, par le regard de la foi 280.
Mais, va près de mes frères et dis-leur : « Je monte près de mon Père, votre Père, et près de
mon Dieu, votre Dieu. » Jésus passe à une autre étape décisive de sa rencontre avec Marie. Il
l’investit d’une mission qui aura nécessairement des répercussions dans la suite du récit.

20,18 : En annonçant aux disciples : « J’ai vu le Seigneur et voilà ce qu’il m’a dit. »,
Marie de Magdala se présente comme le premier témoin de la résurrection de Jésus, puisque
c’est elle qui, la première, communique la bonne et joyeuse nouvelle aux autres.

20,19 : « Se faisant donc tard ce même jour, le premier de la semaine » renvoie au


Dimanche qui était le premier jour de la semaine, car le Sabbat se célébrait le Samedi. C’est
donc un jour ouvré comme notre Lundi. B. UTLEY pense que c’est la raison pour laquelle :

Cela devint le jour de rencontre de l’Eglise pour commémorer la résurrection


de Jésus. Il a Lui-même déterminé le modèle en apparaissant dans la
Chambre Haute trois Dimanche nuits consécutives (cf. vv. 19,26; Luc
24:36ss; Actes 20:7; I Cor. 16:2). La première génération de croyants
continuèrent de se réunir les jours de Sabbat dans les synagogues locales et
au temple pendant les jours de fêtes. Cependant, les rabbins instituèrent un
“serment assorti de malédiction ” qui exigeait que les membres de la
synagogue rejettent Jésus comme le Messie (après l’an 70). C’était en ce
moment que les premiers chrétiens cessèrent d’aller à la Synagogue les jours
de Sabbat, mais continuèrent de se retrouver avec d’autres croyants les
Dimanche, le jour de la résurrection, pour commémorer la résurrection de
Jésus281.

Jean lui-même donne les preuves du verrouillage des portes : par crainte des Juifs.

279
Idem.
280
C. L’EPLATTENIER, Op. Cit., p. 382.
281
B. UTLEY, Loc. Cit., p. 280.

111
C. L’EPLATTENIER justifie la raison avancée par Jean par le fait qu’elle est fonction
des annonces de persécutions faites par Jésus (cf. 15,18-20 ; 16,1-3)282. Mais il précise que
cependant, il ne faudrait pas s’arrêter à l’aspect prodigieux d’un Jésus « passe-murailles»283.

Heureusement, « Jésus vint, se tint débout au milieu d’eux et dit : La paix soit avec
vous ! » Cette traditionnelle formule de salutation juive prendra une autre connotation
lorsqu’il s’est agi, ici, du Ressuscité. Elle dissiperait la crainte et créerait de vives émotions
parmi les disciples. Le mystère de la présence de Jésus parmi les siens, à travers les portes
verrouillées, signifierait que Jésus, vainqueur de la mort, peut nous rejoindre dans tous nos
enfermements et dans toutes nos angoisses284, pour nous apporter la paix véritable.

20,20 : « Ayant dit ceci, il leur montra ses mains et son côté. » Ce verset laisse croire
que les disciples sont restés dubitatifs à la vue de leur Maître. Ont-ils pensé à un esprit ou un
fantôme comme ce fut le cas pour Luc 24, 36-37 ? Tout porte à le croire puisque Jésus leur
montre ses cicatrices. J. CALVIN souligne, pour sa part, que : Il fallait que cette confirmation
fût ajoutée, afin qu’ils connussent entièrement que le Christ était ressuscité285.

Par conséquent, le lecteur ne peut donc rester indifférent et penser comme C.


L’EPLATTENIER que : Les disciples semblent n’avoir aucune difficulté à le reconnaître. Jn
ne fait pas état du bouleversement psychologique finement noté en Lc 24,41 286. Tout compte
fait, même si le texte reste muet sur l’attitude des disciples, il n’en demeure pas moins que le
silence des disciples, à la vue de leur Maître qui leur montre ses blessures, est évocateur.

Fort heureusement, la suite du récit confirme notre logique : « En voyant le


Seigneur, les disciples furent réjouis. » En d’autres termes, les disciples furent dans la joie à la
vue des cicatrices qui attestent que c’est bien leur Maître. Cette vive joie succéda dans leurs
cœurs aux doutes pleins d’angoisse dont ils souffraient depuis trois jours. C’était pour eux
comme le soleil se levant au sein des ténèbres et de la tempête287.

20,21-23 : Jésus reprend pour la seconde fois sa salutation pour les libérer
définitivement de toute angoisse et inquiétude, et à la suite de Marie de Magdala leur confie
leur mission : « La paix soit avec vous. Comme le Père m’a envoyé, moi aussi je vous envoie.»
C. L’EPLATTENIER explique que :

282
C. L’EPLATTENIER, Op. Cit., p. 383.
283
Ibid., p. 384. .
284
Idem.
285
J. CALVIN, Op. Cit., p. 532.
286
C. L’EPLATTENIER, Op. Cit., p. 385.
287
L. BONNET, A. SCHROEDER, Op. Cit., p. 295.

112
Cette parole actualise l’envoi en mission des disciples, plusieurs fois évoquée
dans le discours d’adieu. On retrouve là le parallélisme maintes fois exprimé
par le « comme » cher à Jn (cf. 6,57 ; 10,14s ; 15,9 ; 17,18) : il marque plus
qu’une comparaison, une participation effective à la vie que Jésus reçoit de
son Père, à son amour, à sa mission. Les disciples vont prendre le relais de
leur Maître et prolonger sa propre mission288.

Cependant, pour mener à bien cette mission, les disciples n’auront pas à compter sur
leurs propres forces. C’est pourquoi, Jésus « souffla sur eux et leur dit : Recevez l’Eprit Saint.
Si vous remettiez les péchés de certains, ils leur ont été remis. Si vous les reteniez, ils leur ont
été retenus. » Au fond, nous nous apercevons que ce passage consacre, ce que les exégètes ont
appelé, la Pentecôte johannique qui est très proche de l’effusion du Saint-Esprit dans Actes
1,8 et de la rémission des péchés dans Actes 2,38.

Aussi, dans ce même ordre d’idées J. CALVIN défend la présence prioritaire de


l’Esprit dans toute œuvre humaine, et atteste que :

Pour autant qu’il n’y a homme tant excellent soit-il, qui soit suffisant à
exercer un office si haut et difficile, à cette cause le Seigneur Jésus-Christ
garnit les Apôtres de la grâce de son Esprit. Et à la vérité, gouverner l’Eglise
de Dieu, porter l’ambassade de salut éternel, dresser le royaume de Dieu sur
la terre, et élever les hommes au ciel, ce sont des choses qui surmontent de
beaucoup toute faculté humaine289.

Il va s’en dire que sans le salutaire Esprit de la grâce de Dieu, aucune action d’un
homme ne peut atteindre le résultat escompté. L’homme ne peut pas donc s’enorgueillir de
l’accomplissement d’une mission à lui confiée par le Seigneur. Car au bout du compte, la
gloire revient à Dieu et à lui seul.

20,24 : Ce verset focalise l’attention du lecteur sur un disciple dont on parle peu dans
les évangiles. Il s’agit de Thomas, le dénommé Didyme. De nombreux commentaires ont
voulu voir dans ce nom un symbole de son caractère ; il serait celui qui est partagé en deux,
qui ne croit pas facilement. L. BONNET ne nous dit pas le contraire lorsqu’il affirme que :
Par deux traits déjà notre évangéliste nous a dépeint ce disciple avec son caractère sombre,
enclin au doute, à la critique et au découragement (11,16 ; 14,5)290.

Cependant, Di,dumoj (Didumos) ne signifie pas une personne divisée d’avec elle-
même. Ce pseudonyme veut dire « jumeau ». Or, dans sa conception classique, le « jumeau »
est une personne qui fait la paire avec une autre. Il est donc insoutenable d’affirmer que

288
C. L’EPLATTENIER, Op. Cit., p. 386.
289
J. CALVIN, Op. Cit., p. 533.
290
L. BONNET, A. SCHROEDER, Op. Cit., p. 297.

113
Thomas est un double. En outre, tous les différents autres passages de l’Evangile selon Jean
ne montrent pas cet aspect de la personne de Thomas.

Naturellement, la raison non énumérée de son absence pose d’énormes problèmes pour
la compréhension de ce passage. Ceci est d’autant plus vrai que Marie de Magdala avait
prévenu les disciples qui s’étaient rassemblés pour s’entretenir sur l’événement. Thomas
faisait-il partie ou non de l’équipe d’accueil de l’annonce de Marie ?

20,25 : Thomas, un des compagnons de Jésus, ne veut pas croire à la résurrection du


Christ sur la parole de ses condisciples. Il répond mot pour mot à leur récit enthousiaste par
une froide condition : « Si je ne vois pas…je ne croirai pas ». Il ne s’en rapportera qu’au
témoignage de ses sens. Il veut vérifier par lui-même.

La condition « ean » (si) montre de l’insistance dans la forme de son discours et dans
la répétition des mêmes termes. La critique de L. BONNET n’est pas tendre et justifiée avec
Thomas. Nous pouvons comprendre que la résurrection ne puisse se lire par la raison ou les
sens. Mais, nous ne pouvons oser affirmer comme il le constate que : En parlant ainsi, ce
disciple pensait n’obéir qu’à sa raison ; et pourtant il était très déraisonnable 291. Thomas
était en possession de toutes ses facultés. S. M. SCHNEIDERS va encore plus loin pour
souligner que : Thomas «ne doute pas» comme cela est si souvent affirmé. Il refuse: «je ne
croirai pas». Dans l’évangile de Jean, croire et refuser de croire sont toujours une question
de libre choix et non la réponse naturelle à l’évidence irréfutable ou à son manque292.

C’est pourquoi, il a voulu avoir sa part d’expérience pour rendre un témoignage


authentique de la résurrection de Jésus.

D’ailleurs, comme s’interroge C. L’EPLATTENIER : Peut-on croire sans autre signe


ceux qui s’affirment témoins oculaires d’un événement aussi incroyable ? Le message pascal
est-il recevable par ceux qui n’ont pas eu d’accès direct à la vision du Christ glorifié ? 293
Nous pouvons nous faire notre la réponse que C. L’EPLATTENIER donne à sa propre
question, car c’est justement la raison même de notre recherche :

Thomas personnifie en somme tous les auditeurs futurs de la proclamation


apostolique fondamentale. Il exprime avec une spontanéité presque grossière
la permanente tentation de réclamer des signes tangibles et probants, pour
s’engager dans l’aventure de la foi (cf. 4,48).294

291
Ibid., p. 298.
292
S. M. SCHNEIDERS, Loc. Cit., p. 179.
293
C. L’EPLATTENIER, Op. Cit., p. 387.
294
Ibid., p. 388.

114
20,26-27 : « Huit jour après », pourrait signifier que la scène se reproduit le même
jour, le premier de la semaine où vraisemblablement les disciples se sont réunis pour
commémorer la résurrection de Jésus. Il vient au milieu d’eux, les portes étant toujours
fermées, et après la traditionnelle « eirhnh umin » s’adresse directement à Thomas.

Indiquant d’une main sa seconde main percée, il l’invite à y mettre le doigt


(da,ktulo,n) ; et comme celui-ci demeure immobile, il ouvre ses deux mains et lui montre la
trace des clous en l’invitant même à jeter sa main dans son côté. Ainsi daigne-t-il consentir à
l’épreuve du toucher à laquelle Thomas attachait tant de prix, comme la seule qui permît de
distinguer un fantôme qu’on peut voir, d’un corps vivant.

Le texte ne nous dit pas que Thomas ait touché Jésus. Cependant à cette inconstance
du disciple, Jésus répond par un avertissement bien mérité : mh. gi,nou a;pistoj, ce qui signifie
« ne deviens pas infidèle. » L. BONNET, citant F. GODET, pense que : Par l’expression « ne
deviens pas », Jésus lui fait sentir dans quelle position critique il se trouve actuellement, à ce
point où se séparent les deux routes : celle de l’incrédulité décidée et celle de la foi
parfaite295.

En ce qui nous concerne nous pensons, sans doute, que Jésus exhortait Thomas à
rentrer dans le cercle des fidèles, ce qui pourrait influencer son attitude antérieure.

20,28 : Il n’y a aucun indice que Thomas ait usé de la permission. C’était plus fort que
lui. Son mouvement n’est pas de faire ce qu’on lui offre, mais de reconnaître la divinité de
Jésus, car c’est bien à lui qu’il parle. Ce qui produit une impression si profonde sur Thomas,
ce n’est pas seulement la réalité de la résurrection, qu’il doit toucher de ses mains, mais c’est
la science surnaturelle du Seigneur que ce dernier prouve en lui répétant telles quelles les
paroles qu’il pensait avoir prononcées en son absence.

Devant Jésus le vivant, et à l’écoute de cette parole qui l’a repris avec amour, Thomas
s’élève alors à une confession de foi très personnelle 296
: o` ku,rio,j mou kai .o` qeo,j mou
(mon Seigneur et mon Dieu). C’est la confession de foi de Thomas qui est d’ailleurs la
dernière de l’Evangile, et qui constitue l’un des sommets de la christologie johannique, même
si J. CALVIN estime que : Thomas se réveille à la fin, et bien tard297.

20,29 : Jésus ne rejette pas Thomas, mais accepte l’élan de ce dernier qui vient de
proclamer sa divinité et lui répond : « Tu as cru. » Thomas devait désormais être en

295
L. BONNET, A. SCHROEDER, Op. Cit., p. 298.
296
C. L’EPLATTENIER, Op. Cit., p. 389.
297
J. CALVIN, Op. Cit., p. 539.

115
possession de la foi comme l’exprime bien le parfait pepi,steukaj (tu as cru). Ici, l’utilisation
du parfait représente l’état présent de Thomas qui résulte de son action passée et qui a consisté
à douter de la résurrection du Christ : « si je ne vois pas dans ces mains la marque des clous,
si je ne jette pas mon doigt dans la marque des clous et si je ne jette pas ma main dans son
côté, je ne croirai pas » (Jn. 20 :25).

« Heureux ceux qui n’ont pas vu, et qui ont cru » ; la foi est, en effet, un acte moral de
la conscience et du cœur, indépendant des sens ; tous les objets de la foi appartiennent au
monde invisible298. Ce passage s’adresse à tous ceux qui viendront, probablement, à la suite
des disciples auxquels il ne serait même pas donné de voir l’humanité glorieuse du Christ.

20,30-31 : Ces versets qui concluent notre péricope d’étude, résonnent également
comme étant la fin de l’évangile. En effet, Jean souligne un fait très important qui saute aux
yeux du lecteur : « Assurément Jésus fit, devant les disciples, de nombreux autres signes qui
ne sont pas écrits dans ce livre. » A travers ce verset, Jean fait ressortir qu’il n’a pas eu
l’intention de présenter le récit complet d’une vie aussi remplie que celle de Jésus299. En
d’autres mots, ce petit condensé suffit très largement pour amener le chrétien à la foi comme
l’affirme aussi J. CALVIN :

S. Jean atteste donc en premier lieu qu’il en a seulement choisi certains


d’entre plusieurs. Non point que les autres ne méritassent pas bien d’être
racontés ; mais parce que ceux-ci suffisaient pour édifier la foi… De plus,
bien qu’aujourd’hui nous ne les connaissions particulièrement l’un après
l’autre, néanmoins ce n’est pas peu de chose, de savoir que l’Evangile a été
scellé par un bon nombre de miracles.300

Fondamentalement, le verset 30 nous fait passer du plaidoyer de Jean à la sentence


prononcée au verset 31 : « Mais, ceux-ci ont été écrits pour que vous croyiez que Jésus est le
Christ, le Fils de Dieu, et pour que, en croyant, vous ayez la vie en son nom. » Telle est la
raison principale du plaidoyer : montrer que Jésus est le Christ, le Fils de Dieu par qui nous
avons la vie en abondance.

Jean relève ici deux aspects importants de sa christologie : Jésus est le Christ et Jésus
est le Fils de Dieu. F. GODET abonde dans le même sens et nous indique que : Jean
caractérise Jésus, l’objet de la foi, de manière à signaler les deux phases qui avaient
constitué le développement de la sienne propre : d’abord « le Christ » ; puis « le Fils de
Dieu301. C’est donc par ce nom « Jésus » que toute âme sera sauvée. F. GODET conclut que
298
L. BONNET, A. SCHROEDER, Op. Cit., p. 298.
299
Idem.
300
J. CALVIN, Op. Cit., p. 542.
301
F. GODET, Commentaire sur l’Evangile de Saint Jean, Attingers Frères Editeurs, Neuchâtel, p. 516.

116
le but que s’est proposé Jean en composant son évangile est celui d’amener ses lecteurs à la
même foi qui le remplit lui-même302.

L’explication des différents versets de Jean 20 nous ouvre le champ pour dégager sa
théologie afin d’envisager l’herméneutique du texte.

II.3.3. THEOLOGIE ET HERMENEUTIQUE DE JEAN 20

Ce paragraphe consiste à faire ressortir respectivement la théologie et l’herméneutique


de notre péricope.

II.3.3.1. Portées théologiques de Jean 20

En abordant ce volet de notre étude, notre intention est de mettre en relief les thèmes
majeurs qui se dégagent de notre péricope. En d’autres termes, nous voulons tout simplement
réfléchir sur le discours de la foi en Jésus-Christ tel qu’il se présente dans Jean 20. Il s’agit,
d’une part, comme le souligne K. A. HOUNSA, de voir comment les premiers chrétiens ont
formulé leur foi en Dieu de Jésus-Christ, et l’ont vécue 303 ; d’autre part, d’apprécier cette
compréhension des premiers chrétiens dans notre contexte actuel.

II.3.3.1.1. Le Christ dans le quatrième évangile

La réflexion sur la christologie johannique a pour objet de répondre à la question :


« Qui est Jésus ? » dans la pensée des personnages du quatrième évangile. La réponse à sa
question permet de dégager une christologie spécifique de la péricope de Jean 20. Selon F.
BOVON, la christologie est la doctrine du Christ qui définit sa personne et sa fonction,
notamment à partir de ses titres.304 A partir de cette approche notionnelle, nous allons tenter
d’exprimer pleinement la richesse infinie qui s’est manifestée dans la personne de Jésus-
Christ305 à travers les titres qui lui sont attribués.

Les titres christologiques rapportés par le quatrième évangile sont nombreux et variés.
Sans prétention aucune de les lister tous dans cette section, nous abordons quelques-uns
d’entre eux. Le cadre herméneutique idéal dans lequel le récit de la vie du Jésus terrestre doit
être lu est donné dans le prologue de Jean (1,1-18). C’est par le truchement d’un hymne que
Jean annonce la venue de Dieu parmi les hommes (les siens).

302
Idem.
303
K. A. HOUNSA, Op. Cit., p. 7.
304
F. BOVON, Op. Cit., p. 5.
305
O. CULLMANN, Op. Cit., p. 15.

117
Le Logos (traduit par Verbe ou Parole) est le tout premier titre attribué à Jésus dans le
quatrième évangile. En dehors des écrits johanniques, on ne le rencontre nulle part ailleurs
dans le Nouveau Testament. Il désigne le Fils préexistant qui vit en unité avec le Père et qui
est le médiateur de la création306 (1,14). A ce propos, R. WINLING nous donne une très belle
approche conceptuelle de l’universalité et de la cosmologie du Logos :

Le Logos est un être céleste préexistant. Le mot archè désigne le


commencement absolu : pour le Logos, cette archè s’explique
fondamentalement par la relation à Dieu, si bien que l’on peut dire : « Il était
Dieu. » Mais le Logos ne se confond pas avec Dieu au point qu’il y aurait
identité entre les deux. Dès le verset 1, 3, l’hymne fait état du rôle du Logos
pour la création : « Tout fut fait par lui et sans lui rien ne fut » (Jn 1,3). Tout
ce qui existe a été appelé par lui à la vie (Jn 1,4). Le Logos est donc tourné
vers le cosmos. Il se manifeste par action dans le cosmos avant l’Incarnation,
à l’époque de celle-ci et après, il le fait en étant non dépendant du cosmos, vu
sa préexistence et sa prééminence de créateur. La vie qu’il donne est don de
Dieu.307

De cette assertion, nous retenons que, premièrement, le Logos situe Jésus par rapport à
Dieu. Ensuite, il est la plénitude et la vie, car rien de tout ce qui a été créé, n’a été fait sans lui.
A cela, il faut ajouter une troisième caractéristique du Logos qui est la lumière (1,9). Pour
Jean et selon le témoignage de Jean-Baptiste, le Logos est la véritable Lumière qui dissipe les
ténèbres afin d’éclairer tout être humain. C’est lui qui se révèle pour faire connaître à
l’humanité la présence de Dieu et son plan de salut.

Le second titre que Jean attribue à Jésus est celui de l’Incarné. En effet, la christologie
de l’incarnation trouve sa plus belle expression dans Jean 1,14 : « Et la parole a été faite
chair ». Ce verset souligne le processus par lequel le Logos (parole) a endossé la nature
humaine. Cette vérité est très clairement la plus importante, car elle indique que l’infini a
accepté de devenir fini ; l’Eternel s’est conformé au temps ; l’invisible est devenu visible ;
celui qui est surnaturel s’est abaissé au naturel. Dans son incarnation, en revanche, la Parole
n’a jamais cessé d’être Dieu mais elle a été faite Dieu dans une chair humaine, c’est-à-dire
que sa divinité n’a pas été amoindrie en prenant une forme humaine.

Désormais, comme le souligne si bien J. ZUMSTEIN, le Logos a un nom, Jésus de


Nazareth, et une histoire, celle qui va être racontée dans l’évangile 308. En outre, il ajoute pour
étayer sa pensée que :

306
J. ZUMSTEIN, E. CUVILLIER, et Autres, Op. Cit., p. 364.
307
R. WINLING, La Bonne Nouvelle du Salut en Jésus-Christ, Sotériologie du Nouveau Testament, Paris, Cerf,
2007, p. 312.
308
J. ZUMSTEIN, E. CUVILLIER et autres, Op. Cit., p. 365.

118
Dans la personne du Christ, Dieu se fait proximité aimante et présente au sein
de la création et de l’humanité. Jésus est la Parole de Dieu faite chair. Toute
l’histoire de l’homme Jésus, ses paroles, ses actes, sa vie, sa mort, doivent
être lus à partir de cette première affirmation309.

Le Logos incarné souligne un aspect très important de la christologie johannique et peut-


être même celle des premières communautés chrétiennes puisqu’il intègre d’autres titres de
Jésus :

- Jésus, la vraie Vie : « En lui était la vie » (1,4). Et c’est pour cette raison qu’il peut la
communiquer (4,10.14 ; 5,26 ; 10,10 ; 11,25 ; 14,6).
- Jésus, la vraie Lumière : « Cette lumière était la véritable lumière qui, en venant
dans le monde, éclaire tout homme » (1,9). Plusieurs passages du quatrième évangile
en font un large écho : « Je suis la lumière du monde » (8,12) ; « Pendant que je suis
dans le monde, je suis la lumière du monde » (9,5) ; « Je suis venu comme une lumière
dans le monde » (12,46).
- Jésus, la Vérité : « Et la parole a été faite chair, et elle a habité parmi nous, pleine de
grâce et de vérité » (1,14). En peu plus loin, Jésus lui-même affirme qu’il représente la
lumière : « Si vous demeurez dans ma parole, vous êtes vraiment mes disciples ; vous
connaîtrez la vérité et la vérité vous affranchira » (8,31-32) ; « Je suis le chemin, la
vérité et la vie » (14,6).

On remarque que le Logos désigne le Christ Sauveur tel qu’à l’origine des temps il fut
prévu dans le Fils par Dieu le Père et tel qu’il réalisa le plan divin 310. Ce plan divin a été
réalisé par Jésus, identifié à un prophète (Jn 1,21), qui n’est pas forcément rentré dans le style
des prophètes de l’Ancien Testament.

A la lecture de nombreux textes bibliques de l’Ancien Testament qui retracent les


écrits des prophètes, nous trouvons des locutions qui commencent toujours par « écoutez la
parole de l’Eternel ; l’Eternel dit ; oracle du Seigneur ; ainsi parle le Seigneur ; la parole de
l’Eternel me fut adressée » (Es. 1,10 ; 3,16 ; Jé. 13,1 ; Ez. 16,1 ; Am. 1,3 ; Nah. 1,1 ; Hab.
1,1). Jésus ne raconte pas l’histoire de sa vocation à l’exemple de Jérémie ou d’Esaïe (Es 6).
Dans sa prédication, il ne fonde pas son autorité ni dans les visions, ni dans des récits
d’extase.

Au fond, quand nous faisons allusion à l’image traditionnelle du titre de prophète, ce


dernier n’épuise pas la personne de Jésus. Cependant, à travers son activité intense et
309
Idem.
310
P. LAMARCHE, Christ Vivant, Essai sur la christologie du Nouveau Testament, Paris, Cerf, 1966, p. 135.

119
distinctive, une partie de la population juive pouvait déterminer une image nette de lui. Elle
pensait peut-être à la figure du prophète eschatologique, ce qui était juste lorsque nous
remontons aux évangiles synoptiques.

Ces images de Jésus que représentent ces personnages (Jean le Baptiste, Elie, le
prophète), nous font penser au fait que l’espérance juive a atteint son paroxysme. Pour O.
Cullmann, ils sont arrivés à la conclusion que : Puisque tous les prophètes ont annoncé, au
fond, la même vérité divine, il doit n’y avoir qu’un seul et même prophète, qui s’est
successivement incarné en différents hommes, prenant chaque fois une autre apparence311.

C’est probablement cet état de choses qui a conduit ceux qui ont participé au miracle
des pains à s’écrier : Celui-ci est vraiment le prophète qui doit venir (Jn 6,14). Si tant il est
vrai que le prophétisme ne constitue pas la base de la christologie johannique, néanmoins, il
est clair qu’aussi bien d’après les synoptiques que d’après l’évangile de Jean, une partie du
peuple exprime sa foi en Jésus en lui donnant le titre « le Prophète », ce terme recouvrant
d’ailleurs tout ce que l’espérance juive y enfermait312.

A la question précédente qui récapitule les différentes images véhiculées dans les
milieux populaires, se joint une autre de fond. Qui est réellement Jésus ? Dès l’entame de la
lecture du quatrième évangile, nous trouvons la réponse à notre question : André, frère de
Simon Pierre, était l’un des deux qui avaient entendu les paroles de Jean, et qui avait suivi
Jésus. Ce fut lui qui rencontra le premier son frère Simon, et il lui dit : Nous avons trouvé le
Messie (ce qui signifie Christ) (Jn 1,41-42).

Le Christ ou le Messie désigne d’une manière générale le personnage dont les Juifs
attendaient la venue. Cette généralisation peut répondre ou non à la réalité de ce qu’André
parlerait au nom et pour le bonheur de tous les Juifs. Car, l’eschatologie juive présentait des
formes diverses d’attente messianique. Le titre « Cristoj : Christ » est réservé à une
forme bien particulière qui s’attache à l’attente de la venue d’un descendant de David. Ce
Christ devrait être un roi, un oint qui redonnerait l’autonomie, la liberté au peuple juif qui vit
l’occupation étrangère sous toutes ses formes déjà depuis près de 500 ans et, qui inaugurerait
sur terre une ère de prospérité et de bonheur.

Le messianisme doit selon ses caractéristiques se réaliser ici-bas. Le règne à instaurer


reste typiquement politique et les bénéficiaires exclusivement les Juifs. C’est en fait cette
appréciation du « Christ » qui divisait les Juifs en divers mouvements plus ou moins fervents
311
Ibid., p. 20.
312
Ibid., p. 37.

120
(esséniens, pharisiens, sadducéens, etc.). Ils avaient leurs extrémistes (les zélotes) qui
forçaient quelque part la venue de ce messie (Mt 11, 12ss) par l’action révolutionnaire à
laquelle on assimile l’agitation politique qu’ils entretiennent quand apparaissait un homme
qui se disait le messie313.

Chez les synoptiques, comme chez Jean, le Christ exprime la réalité vivante qui est ce
Jésus que la foule suit. Principalement, on retrouve cette conception dans l’entourage
immédiat de Jésus. Mais, Jésus se méfiait de ce titre à tel point qu’il l’entourait d’un mystère
et considérait comme une tentation satanique les idées spécifiques qui s’y rattachent 314. On le
voit très clairement lors de son procès devant Pilate (Jn 18,33s).

Au-delà de cette remarque pertinente, nous semble-t-il, il faut signaler que l’emploi de
« Christ ou Messie » par l’évangile de Jean a un poids assez significatif. Par exemple, à la
femme samaritaine qui engage un dialogue sur l’attente du Messie, Jésus déclare : Je le suis,
moi qui te parle (Jn 4,25). Marthe de son côté affirme : Oui, Seigneur, je crois que tu es le
Christ, le Fils de Dieu, qui devait venir dans ce monde (Jn 11,27). R. WINLING conclut que :
Le mot « Christ » engage la foi : déclarer que Jésus est le Messie équivaut à le reconnaître
comme envoyé par Dieu pour sauver Israël ; lui refuser le titre consiste à nier sa dignité de
Messie envoyé par Dieu315.

Il faut peut-être émettre sur ce point des réserves pour montrer qu’il n’est pas d’office
une figure surnaturelle mais un sauveur humain. Jésus est bel et bien le « Christ » lorsqu’il
doit être décrit comme celui qui accomplit l’œuvre du salut qui trouvera son essence dans sa
mort et sa résurrection. L’aspect temporel de ce titre est désormais essentiellement le passé,
c’est-à-dire dans l’histoire du salut. La question de l’identité du Jésus qui était pour ses
contemporains un titre, un nom propre à donner à Jésus est devenu un mystère pour le monde
aujourd’hui qui cherche à le percevoir au travers de ses réalités sociales, culturelles,
économiques, politiques et historiques.

Enfin, les occurrences qui présentent Jésus comme « Fils de Dieu » ne sont pas aussi
nombreuses qu’on peut le penser (au plus 12 fois) dans le quatrième évangile. On retrouve
généralement les deux termes « Dieu et Fils » employés séparément dans un même verset
(3,16 ; 3,17 ; 3,36 ; etc.). Mais l’expression « Fils de Dieu » a un emploi au sens fort. C’est le
cas pour Nathanaël qui, devant l’incapacité humaine à comprendre les mystères de la foi tels
que décrits par Jésus, s’est écrié : Rabbi, tu es le Fils de Dieu, le roi d’Israël (Jn 1,49).
313
Onlinebible.org, consulté le 10/11/2018 à 09 heures 35 minutes.
314
O. CULLMANN, Op. Cit., p. 109.
315
R. WINLING, Op. Cit., p. 308.

121
Ce titre concerne directement l’expression de la foi en Jésus, Fils de Dieu. C’est pour
cela que la première épître de Jean souligne l’exigence fondamentale de cette profession de
foi pour tous ceux qui désirent bénéficier des biens du salut : Celui qui confessera que Jésus
est le Fils de Dieu, Dieu demeure en lui, et lui en Dieu (1Jn 4,15). Comme nous pouvons le
remarquer, c’est une profession de foi qui est assortie d’une promesse : Dieu demeure en celui
qui reconnaît Jésus comme Fils de Dieu. Ce dernier jouit donc de la présence permanente de
Dieu dans sa vie puisque lui-même demeure en Dieu comme cohéritier du Christ.

Jean, tout en soulignant la nécessité de reconnaître Jésus comme Fils de Dieu, offre
aussi des explications sur ce que peut signifier ce titre pour les relations entre Jésus et le Père.
Dans Jn 3,17, il est clairement écrit que : Dieu, en effet, n’a pas envoyé son Fils dans le
monde pour qu’il juge le monde, mais pour que le monde soit sauvé par lui. Dans son
commentaire de ce passage, R. WINLING montre l’amour incommensurable du Père pour le
Fils, à qui il a remis tout pouvoir (Jn 3,35). Tout comme le Père a le pouvoir de ressusciter les
morts et de donner la vie, le Fils a lui aussi le pouvoir de donner la vie à qui il veut (Jn 5,21).
Jésus est le lieu de la présence de Dieu et le Père rencontre les hommes par le truchement du
Fils (Logos) incarné.

La christologie de Jean telle que nous avons tenté de la décrire révèle un caractère
éthique centré sur l’amour de Dieu manifesté en Jésus-Christ. Cet amour s’étend à l’homme et
exige une connexion avec le prochain. D’où son insistance sur la préexistence du Verbe, sur la
compénétration de Jésus et de son Père, sur les miracles conçus comme « signes » de la
divinité de Jésus et sur la connaissance qu’il offre de son Père. Dans cette communication le
pôle du destinataire est constamment présent dans l'évangile, lorsqu'il est question de Dieu.
L'homme est sollicité pour donner ou non sa réponse, c'est-à-dire la foi.

II.3.3.1.2. Une théologie du « voir pour croire »

Les destinataires de l’Evangile de Jean semblent être découragés face aux nombreuses
difficultés qui se dressent devant eux. Ces difficultés consistaient pour la plupart en l’hostilité
du judaïsme officiel et la haine du monde. Le texte que nous avons sous les yeux se présente
comme la résultante des difficultés internes de la communauté à laquelle l’auteur s’adresse. «
Si je ne vois pas dans ses mains la marque des clous, si je ne jette pas mon doigt dans la
marque des clous et si je ne jette pas ma main dans son côté, je ne croirai pas » (Jn 20,25).
Jean aurait-il vraiment conçu le personnage de Thomas de manière à lui faire exprimer les
doutes de la communauté de ses destinataires ?

122
Tout semble être possible lorsque nous remontons dans les chapitres précédents de
l’évangile. Les menaces d’expulsion des Synagogues et de comparution devant les autorités,
se fontt encore plus visibles dans la ville de Jérusalem. Le comportement des Juifs à l’égard
des apôtres en fonction du changement de situation intervenu devenait plus inquiétant. Pour
l’évangéliste, la prophétie s’était réalisée : « On vous chassera des Synagogues ; et même
l’heure vient où quiconque vous fera mourir croira rendre un culte à Dieu » (Jn 16,2). Le
combat devait être mené âprement pour montrer, aussi bien aux Juifs qu’aux païens que le
Jésus crucifié est le Christ ressuscité.

La requête de Thomas constitue, donc, pour la communauté johannique, une assurance


tous risques. Sur ce point, notre conviction du noble combat de Thomas trouve un écho
favorable auprès d’A. THAYSE. Il affirme que :

Ce que Thomas demande (de voir dans les mains…dans son côté), n’est pas
du domaine de l’indécent. Sinon, Jésus aurait-il accédé à sa demande ?
Simplement Thomas réclame la possibilité d’avoir part à la même expérience
que les autres, et de pouvoir « ainsi » voir par lui-même ce que les autres
disaient avoir vu. L’ardeur de la prédication pastorale de Thomas sera à la
hauteur de son propre degré de certitude. Si Thomas ne veut pas être trompé,
c’est parce que lui-même ne veut pas tromper ; il veut être sûr que sa propre
annonce ne trahira pas la vérité. Thomas dit le « jumeau » est le jumeau de
tous les hommes qui veulent mettre leur intelligence au service de la foi. 316

La joie des autres disciples a été lue dans la joie de revoir leur maître. Cependant, est-
ce qu’« être dans la joie » signifie qu’on a cru ? Apparemment non ! D’abord, pour les
disciples, la seule présence de leur Maître suffisait pour atténuer leur crainte. Ensuite, s’il
nous arrive de supposer que les disciples ont cru au ressuscité, c’est bien évidemment parce
que le Christ lui-même leur a offert cette occasion de voir les stigmates de sa crucifixion. En
leur montrant « ses mains et son côté » (v20), Jésus s’identifie ainsi à celui qui a été cloué sur
la croix.

A ce groupe de disciples réunis, le Seigneur Jésus dit : « Recevez l’Esprit Saint » (Jn
20,22). La différence dans la compréhension de la résurrection du Christ se situe entre ceux
qui ont reçu l’Esprit et ceux qui ne l’ont pas reçu. Les premiers ont été illuminés par l’Esprit
pour comprendre les mystères de Dieu. Tel n’est pas le cas de Thomas.

Thomas pose, en effet, les questions que se posent les destinataires de l’Evangile selon
Jean : peut-on croire sans voir ? Toutes les évidences sont contre les croyants. Où est le

316
A. THAYSE, Op. Cit., p. 253.

123
Seigneur ? Et, s’il est vraiment le Christ, le Fils de Dieu, comment pourrions-nous encore
l’atteindre ? N’avons-nous plus qu’à mourir avec lui ?

Il est juste de faire remarquer tout de suite que Thomas n’est de loin pas le
seul disciple à douter. Pierre et Philippe l’ont également fait avant lui.
Toutefois, lorsque les disciples doutent ou ne comprennent pas Jésus, c’est
toujours au sujet de sa divinité ou de son retour vers le Père, ce qui revient
au même : si Jésus va au Père, c’est bien parce qu’il en vient et qu’il est le
Fils de Dieu317.

Par ailleurs, c’est justement cette divinité de Jésus que Jean veut faire croire et
comprendre à ses lecteurs : les signes ont été consignés dans ce Livre « pour que vous croyiez
que Jésus est le Christ, le Fils de Dieu, et pour que, en croyant, vous ayez la vie en son nom »
(Jn 20,31). Est-ce qu’après avoir entendu ces propos, l’Eglise pouvait-elle se permettre de
douter et de se décourager ? Bien évidemment, puisque les disciples mêmes ont douté après la
résurrection de Jésus (Jn 20,11-31).

Ainsi, ce doute préfigure de manière exemplaire le découragement de la communauté


Johannique. Peut-être qu’il faille des signes pour renforcer leur conviction ? Jean nous
montre à travers ce récit que les signes sont un moyen qui appelle l’homme à s’engager
personnellement à suivre Jésus en toute liberté. Car c’est par une science surhumaine que
Jésus a eu connaissance des doutes de Thomas. Aussi Thomas est-il convaincu tout autant par
cette apostrophe que par la présence même de son Maître, mort depuis dix jours.

Thomas engage un dialogue d’une portée insoupçonnable la deuxième fois que Jésus
se présente au milieu de ses apôtres. En apparaissant au milieu du cercle apostolique, alors
que les portes de la pièce sont fermées, Jésus s’adresse délibérément à Thomas et lui montre
les cicatrices de ses blessures : « Avance ici ton doigt, regarde mes mains, avance aussi ta
main et jette-la dans mon côté ; et ne deviens pas infidèle, mais croyant ! » (Jn 20,27).
Thomas ne réclame pas d’autres preuves.

L’emploi successif des quatre verbes d’action « avance, regarde, jette, deviens » à
l’impératif répond à la condition de la conviction de la résurrection de Jésus-Christ. Les
lecteurs de Jean ont vite fait de taxer Thomas de patron des chrétiens qui persévèrent dans la
foi tout en connaissant le doute. Cela est possible lorsque qu’on traduit eva.n par « même si,
quand bien même ». Le verset serait alors : « Même si je vois la marque des clous… je ne
croirai pas ». Thomas est peint, ici, comme un douteur sceptique. C’est effectivement ce que
pense presque la majorité des lecteurs et auditeurs de l’évangile.

317
A. THAYSE, Op. Cit., pp. 114-115.

124
Or, la compréhension de l’expression grecque « mh gi,nou apistoj » telle qu’elle est
traduite dans certaines versions318 bibliques, demeure polémique. D’abord, le verbe ercomai
dans son sens premier signifie « devenir » et par extension « entrer dans ». Il exprime l’idée
d’une évolution. Ensuite, apistoj composé du préfixe négatif ou privatif a et de l’adjectif pistoj
(fidèle), d’où à-fidèle, donc infidèle, traduit l’idée d’une inconstance qui se laisse constatée.
Enfin, mh (ne pas), particule de simple négation, marque une défense, un conseil de ne pas
faire quelque chose.

Certainement, Thomas, disciple influent dans le cercle des compagnons de Jésus,


aurait commencé par adopter une autre attitude qui se caractériserait par son absence et par
son refus du témoignage. Il était impératif pour le Maître de reprendre très vite l’apprenant
afin de le remettre sur les rails. L’immensité de la mission à accomplir par les disciples, après
la montée du Christ, nécessitait la présence et l’action conjuguée de tous ceux qui ont été les
témoins de la résurrection. Entre l’interpellation de Jésus et la réaction (confession-cri) de
Thomas naît une relation filiale qui va dépeindre sur la suite du récit : pisteuw ; crois !

Thomas, malheureusement n’a pas une bonne audience ! Un surnom lui colle à la peau
: « Thomas le sceptique ! » Ses doutes quant à la résurrection de Jésus tiennent peut-être
davantage au fait qu’il n’était pas présent lorsque le Seigneur s’était présenté à l’équipe des
apôtres (Jn 20,19-25). Il n’aurait pas bénéficié de cette onction qui a permis aux autres
disciples de vite accéder à la réalité de la résurrection de Jésus. N’est-il pas évident que
n’importe lequel des apôtres aurait réagi comme Thomas, s’il avait été absent ce jour
extraordinaire ?

Mais, Thomas réagit au-delà de ce qu’on pouvait penser de lui : Mon Seigneur et mon
Dieu ! La foi de Thomas prenait une vitesse de croisière. Nous avons l’impression qu’il s’est
approprié son Maître avec le double emploi de l’article « mon ». L. BONNET précise que :
Dans l’original, l’article précède chacun de ces deux noms et les distingue l’un de l’autre ;
puis ce mot : « mon », deux fois répété, donne encore plus d’intimité et d’amour à ce cri de la
foi et de l’adoration, qui s’élève du fond de Thomas319.

L’acte de foi de Thomas peut se lire désormais dans sa rencontre personnelle avec ce
Jésus le Ressuscité, son Seigneur et son Dieu à lui. Par ailleurs Jésus apprécie à sa juste valeur
la foi de son compagnon et semble l’affirmer : Tu as cru !

318
Nous avons par exemple : « cesse d’être incrédule » dans TOB, « ne sois plus incrédule » dans La Bible de
Jérusalem, « ne sois pas incrédule » dans LSG et Darby, « cesse de douter » dans BFC, « arrête de douter » dans
PDV.
319
L. BONNET, A. SCHROEDER, Op. Cit., p. 298.

125
Le défi de la foi est lancé à Thomas qui représente, ici, tout le peuple juif ou tout au
moins tous les chefs juifs hostiles aux prescriptions de Jésus. Thomas ne peut pas adhérer à
cette foi, lui qui a vu son Maître battu de verge et couronné d’épines cruelles, crucifié à
Golgotha. Il part, donc, du voir au croire qui est insuffisant et ne conduit pas à la découverte
du Christ mais au non croire. F. VOUGA le fait constater, si bien, quand il affirme que :

Les croyants vont-ils douter et renier leur foi : ils se priveraient alors de la vie
et tomberont alors avec le monde sous le jugement de la croix (Jn 16,11). Si
Jean écrit son évangile, c’est pour que ses lecteurs persévèrent dans leur foi en
Jésus, qu’ils croient qu’il est le Fils de Dieu, le Christ, et qu’en croyant, ils
aient la vie en son nom (Jn 20,30-31). La condition du disciple est donc
thématisée comme contemporanéité avec la croix, avec tout ce que cela
comporte320.

Mais, c’est également dans ce paradigme « voir pour croire » que nait l’une des plus
expressives confessions de foi, et cela de la bouche de Thomas le douteur : « Mon Seigneur et
mon Dieu » (Jn 20,28). Le « voir-croire » est-il un critère indispensable pour être disciple de
Jésus ? La problématisation de la foi au risque du doute est la question cruciale qui se dégage
de notre séquence textuelle. Les disciples en étaient les premiers concernés. Avec Thomas,
l’on serait tenté de dire que le doute peut conduire à une foi authentique. En d’autres termes,
le « voir-croire » est aussi un chemin qui peut aboutir au « croire sans voir ».

Dans cette dynamique, comment peut-on amener une personne à croire à un absent ?
Comment peut-on entrevoir une relation avec un Christ dont on a entendu parler, mais qui
disparaît de l’histoire des hommes ? Les croyants parleront nécessairement de la foi. Cette foi
peut-elle suffire pour comprendre ce mystère ?

Jean n’emploie – observons-le – le terme « voir »…, que dans les conditions
qui ont trait au Jésus historique. Quant à l’acte de foi de la communauté
chrétienne, il ne l’appelle jamais « voir » ! Cela montre à l’évidence que,
pour lui, l’acte de voir ne doit pas s’entendre d’une manière purement
spirituelle, mais reste inséparable de la vue réelle sensible, comme cela
demeure réservé aux témoins oculaires. A la communauté par contre il est
nettement dit : « Heureux ceux qui croient sans voir » (20,25). Si donc par
l’acte de voir la figure historique de Jésus s’ouvre aussi au kérygme, cela ne
signifie pas, dans l’esprit de Jean, que croire et voir sont identiques. La
situation de la communauté croyante n’est pas, pour Jean, la situation des
témoins qui « voient » ; mais la foi de la communauté a son origine
historique dans la vue de foi des témoins oculaires. En recevant le kérygme
dans la foi, l’Eglise reçoit le Christ « contemplé » des Apôtres, témoins
oculaires. Le Christ devient donc, dans ce kérygme, le Christ annoncé, sans
cesser pour autant d’être Jésus.321

320
F. VOUGA. Les premiers pas du christianisme, les écrits, les acteurs, les débats, Labor et Fides, Genève,
1997, p. 114.
321
F. VOUGA, Op. Cit., pp. 35-36.

126
Il demeure de l’impérieux devoir du croyant de montrer en quoi cette foi reste
pertinente après la montée du Seigneur Jésus, le Révélateur et dans quelles conditions elle est
alors vécue aujourd’hui.

II.3.3.1.3. « Mon Seigneur et mon Dieu » : une christologie sans pareille !

La notion même de christologie aiguise l’appétit, car il s’agit de répondre à la question


: « Qui est Jésus ? » Selon F. BOVON, la christologie est la doctrine du Christ qui définit sa
personne et sa fonction, notamment à partir de ses titres.322 Nous disons une christologie sans
pareille, justement parce que Thomas prononce l’une des plus grandes confessions
christologiques du Nouveau Testament : « Mon Seigneur et mon Dieu !» (Jn 20, 28).

A. THAYSE donne une explication beaucoup plus judicieuse de la confession-cri de


Thomas. Dans son commentaire sur l’évangile selon Jean, il relève que : L’exclamation de
Thomas est celle d’un homme transformé par la présence inattendue du Seigneur, celle d’un
homme pour qui tout signe supplémentaire est devenu superflu.323

Voici une profession de foi d’une autre envergure qui va au-delà de la joie et qui
glorifie la plénitude du Seigneur. Cette profession de foi dénote également un engagement
total du disciple envers son Maître. Malheureusement, aujourd’hui, dans nos communautés
chrétiennes, les confessions de foi sont devenues des poèmes que chaque chrétien récite juste
pour faire entendre sa voix, laissant de côté la ferme conviction de sa foi en Jésus-Christ.

La confession-cri de Thomas « Mon Seigneur et mon Dieu » (v.28) pourrait


correspondre à une expression de l’Ancien Testament ainsi traduite en grec par la Septante :
«Ô mon Dieu et mon Seigneur (Ps 35,23) ; C’est le Seigneur qui est Dieu (1 R 18,39). » Mais
dans le livre de Jérémie, elle s’applique au roi Sédécias, non à YHWH : « Mon seigneur le
roi» (Jér. 38,9). C’est donc dire que cette expression n’est pas une nouveauté dans le judaïsme
ambiant de l’époque de Jésus, puisqu’elle tire sa racine de l’Ancien Testament. Loin
d’objecter cette hypothèse, O. CULLMANN explique que :

C’est surtout dans le monde hellénistique que le terme Kyrios, appliqué à


Jésus, est devenu un titre christologique ; il convient donc de rechercher la
signification que ce terme possède, en dehors du christianisme , dans la
langue religieuse et profane de l’hellénisme. 324

322
F. BOVON. Nouvel Age et foi chrétienne, un dialogue critique à partir du Nouveau Testament, Moulin,
Aubonne, 1992, p. 5.
323
A. THAYSE, Jean, l’évangile revisité, Cerf/Racine, Paris/Bruxelles, 2001, p. 254.
324
O. CULLMANN, Christologie du Nouveau Testament, Delachaux & Niestlé, Neuchâtel/Paris, 1955, p. 169.

127
Effectivement, O. CULLMANN n’a pas tout à fait tort puisque, dans le langage
profane, l’emploi de Kyrios est très fréquent dans les milieux hellénistiques. Nous avons par
exemple Kyrie, vocatif de Kyrios, qui est une formule de politesse, pour désigner «monsieur»;
et Kyrios, dans un sens plus général pour désigner le « maître », le « propriétaire ». Il en est
de même dans le langage religieux :

Dans ce sens, nous trouvons de nombreuses attestations du terme de Kyrios


comme synonyme de « dieu » dans les religions hellénistiques orientales de
l’Empire romain. Les références ont été rassemblées assez souvent pour qu’il
suffise de souligner ici l’emploi général et très répandu de cette acception du
terme de Kyrios : dans les religions d’Asie Mineure, d’Egypte et de Syrie, des
dieux et des déesses tels que Sérapis, Osiris et Isis sont nommés Kyrios et
Kyria, et cela aussi bien dans les religions nationales que dans les religions
de mystères. Lorsque dans le monde hellénistique, on dit « le Kyrios », il
s’agit toujours d’une divinité.325

CULLMANN va encore plus loin dans sa réflexion pour montrer que le titre de Kyrios
était également en usage dans le culte de l’empereur. C’est dans cet ordre d’idées qu’il ajoute
ceci :
Il en est de même pour le Kyrios qui, dans l’empire romain, exigeait d’une
façon particulière la reconnaissance de sa souveraineté : l’empereur. Il est
vrai que ce titre impérial de Kyrios a primitivement un sens politique et
juridique et n’implique pas d’affirmation sur la divinité de l’empereur. Mais
nous savons qu’en Orient, bien avant l’époque romaine, les souverains
étaient honorés comme des dieux. Les empereurs romains ont hérité de cette
dignité divine. On leur rendait un culte, parce qu’on leur attribuait une
ascendance et une nature divines.326

Par conséquent, la confession « Mon Seigneur et mon Dieu » comporterait une


dimension polémique, au cas où l’Evangile de Jean daterait du règne de l’empereur Dioclétien
(51 à 96 ap. J.-C.) : ce dernier exigeait en effet d’être salué comme Dominus et Deus
noster327c’est-à-dire « notre seigneur et notre dieu ». En s’octroyant ce titre, Dioclétien mettait
ainsi tout l’empire sous sa seule autorité politique, juridique et religieuse. Par exemple, il
s’était fait nommer sénateur à vie en 85 et avait maté toute la classe aristocrate qui s’était
opposée à lui.

Visiblement, Thomas ne manque jamais de courage. Après s’être montré disponible à


mourir avec Jésus, il affronterait maintenant l’empereur. Pour lui, il n’y a aucun autre
Seigneur, aucun autre Dieu en dehors de Jésus. L’expression « o kurioj mou kai o qeoj mou »
(mon Seigneur et mon Dieu) est absente dans les écrits néotestamentaires en dehors de
l’évangile selon Jean. Il est vrai que Jésus a été reconnu comme Seigneur, Maître, Fils de

325
Ibid., pp. 170-171.
326
O. CULLMANN, Op. Cit., pp. 171-172.
327
Revue théologique Lire et Dire, Etudes exégétiques en vue de la prédication, n°79.2009/1, Janvier-mars, p.27.

128
Dieu, mais il n’a jamais été appelé « Seigneur et Dieu » en même temps, si ce n’est que par la
bouche de Thomas.

L’emploi du terme qeoj qui signifie Dieu, dieu, roi, magistrat, divin, en rapport avec
Kyrios, interpelle le lecteur de Jn à plus d’un titre. En tant que Dieu328, l’évangéliste souligne
la supériorité de Jésus sur toute la création ; Jésus serait donc identifié au Créateur, en tant
que Seigneur et Dieu. On retrouve le prolongement de cette pensée dans une expression de
l’Ancien Testament : « C’est le Seigneur qui est Dieu » (1Rois 18,39). Jn nous renvoie,
également, à son prologue : « VEn avrch/| h=n o` lo,goj( kai .o` lo,goj h=n pro.j to.n
qeo,n( kai. qeo.j h=n o` lo,gojÅ » (Au commencement était la Parole ; la Parole était auprès
de Dieu ; la Parole était Dieu ; Jn 1,1). Dieu s’est révélé dans la personne de Jésus et s’est
manifesté en chair. Jésus est donc « La Parole (de Dieu) devenue chair » (Jn 1,14).

Assurément, d’après la foi chrétienne primitive, ce Kyrios est aussi


préexistant. Car si Christ est un avec Dieu depuis sa résurrection, il faut que
dès le commencement il ait été uni à lui. C’est à la lumière de la souveraineté
présente du Christ Kyrios, et dons de sa fonction dans l’histoire du salut,
qu’il faut comprendre la foi de l’église naissante en la préexistence de Jésus,
en l’existence du Logos avec Dieu dès le commencement. 329

Partant, la confession de Thomas « Mon Seigneur et mon Dieu » remettrait en cause le


caractère divin du roi qui administrait la région en ces temps-là. Dire de Jésus qu’il est « Mon
Dieu », c’est-à-dire mon roi reviendrait à subordonner l’autorité romaine à l’autorité
souveraine divine de Jésus-Christ. En tant que « Seigneur et Dieu », ce serait un affront à
toute l’autorité romaine. Ce serait dès lors une ingérence dans le jeu politique. Cet état de
choses n’aurait pas favorisé les rapports entre le pouvoir et la communauté chrétienne déjà
tendus, car le roi (probablement Doclétien) ne pourrait accepter une telle « insubordination »
de la part des chrétiens. Ce qui compterait pour lui, ce serait le culte à l’empereur pour
renforcer son pouvoir et non le culte à un autre Dieu, qui rendrait son pouvoir fragile.

La christologie de Jean 20 telle que décrite dans ce paragraphe nous donne d’avoir
accès à l’intention de l’auteur du quatrième évangile : Affirmer la filiale divinité de Jésus. La
foi des premiers chrétiens a donc été bâtie dans la « divinité » du Christ ressuscité et glorifié :

Dieu l’a souverainement élevé et lui a accordé le Nom 330 qui est au-dessus de
tout nom, afin qu’au nom de Jésus tout genou fléchisse, dans les cieux, sur la
328
Etre suprême, unique et éternel, connu par ses œuvres dans sa puissance éternelle et sa divine. Il est Dieu en
trois personnes : Père, Fils et Saint-Esprit.
329
O. CULLMANN, Op. Cit., p. 203.
330
Selon le commentaire de la TOB « conférer un nom, c’est attribuer non seulement un titre, mais une dignité
réelle (Ep 1,21 ; He 1,4). Ici Paul pense au nom de Seigneur (cf. v.11 : Ac 2,21.36) qui dans l’A.T. gr. est le mot
utilisé pour exprimer le nom imprononçable de Dieu lui-même (Ex 3,15 note). Ainsi la Seigneurie de Dieu se
révèle-t-elle en Jésus à ce point humilié. », p. 2840.

129
terre et sous la terre, et que toute langue confesse que le Seigneur, c’est
Jésus Christ, à la gloire de Dieu le Père.331

Confesser Jésus le Ressuscité suppose qu’on se l’est approprié. Or, l’étude des
évidences du doute nous a montré les difficultés qu’ont éprouvées les disciples, les Juifs et
certains hellénistes (chrétiens) pour arriver à croire en la messianité de Jésus. Dès lors, pour
mieux expérimenter ces affirmations précitées, nous proposons donc une théologie du « voir
pour croire », qui semble être l’un des thèmes centraux de notre péricope.

II.3.3.2. Regard herméneutique de Jean 20

En abordant ce volet de notre étude, notre intention est de mettre en relief les thèmes
majeurs qui se dégagent de notre péricope afin de les interpréter et d’en ressortir leur
signification. Cet exercice consiste, selon M. KOUAM : A répondre à des questions posées
par les chrétiens d’aujourd’hui sur le lien entre leur foi et celle des premiers chrétiens332.

Cette réalité est évidente lorsque par exemple, on définit l’herméneutique comme :
L’étude des principes théologiques impliqués dans cette mise en lumière de la pertinence de
la Bible et de son langage à notre époque (comme cela a été nécessaire à toute époque)333.

L’herméneutique devient, pour ainsi dire, un processus d’interprétation. En outre, pour


mieux cerner tous les contours de la science herméneutique afin de pénétrer la pensée de
l’auteur de Jean 20, nous avons retenu une troisième définition qui est celle de la Commission
Biblique Pontificale qui, somme toute, nous rapproche davantage ce que nous estimons être
des présupposés :

L’interprétation d’un texte est toujours dépendante de la mentalité et des préoccupations


de ses lecteurs. Ceux-ci accordent une attention privilégiée à certains aspects et, sans
même y penser, en négligent d’autres.334

Le but poursuivi, ici, est celui d’apprécier la portée du voir-croire de Thomas dans ses
rapports avec les autres disciples et de sa confession de foi à la vue de Jésus.

331
Phil 2,9-11.
332
M. KOUAM, in COLLECTIF, Initiation à l’exégèse biblique : Ancien et Nouveau Testament, CLE, Yaoundé,
2003, p. 202.
333
HOKHMA, Loc. Cit., p. 22.
334
Commission Biblique Pontificale, L’interprétation de la Bible dans l’église, Cerf, Paris, 1994, p. 55.

130
II.3.3.2.1. Les quatre manières de voir (le Ressuscité)

Dans son étude sur la manière de voir dans l’évangile selon Jean, F. MUSSNER
détermine un groupe de mots composé de quatre verbes pour désigner le verbe « voir ». Selon
lui : Le groupe de mots oraw, qewrein, qeasqai, blepein, prend tout naturellement une place
particulière, et cela d’autant plus qu’effectivement, il joue chez Jean un rôle important.335

D’une manière toute particulière, le chapitre 20 de Jean fait usage de trois verbes grecs
différents, parmi les quatre évoqués par F. MUSSNER, pour désigner l’infinitif français « voir
». Ce sont « ble,pw, qewre,w et ora,w. » Ils concernent la vision dans une progression qui
caractérise les versets 1-31 et qui constitue quatre épisodes intimement liés. Nous les
analyserons suivant un ordre chronologique.

Premier épisode : Le « voir » de Marie (v1) et du disciple bien-aimé (v5)


Le « voir » de Marie et du disciple bien-aimé est désigné par le verbe ble,pw qui
évoque une vision physique, extérieure et optique. Cette faculté d’observation permet de voir
la pierre ôtée ou les bandelettes rangées, mais non d’en comprendre le pourquoi ni la
signification.

Marie de Magdala et le disciple bien-aimé ont vu le tombeau vide matérialisé par la


présence de tout ce qui a servi à l’ensevelissement du corps de Jésus. J. ZUMSTEIN fait
cependant une lecture tout à fait différente. Il atteste que :

Le disciple bien-aimé témoigne d’un autre voir : le voir de la foi (v. 5-8). Son
voir croyant est d’autant plus extraordinaire qu’il n’est pas encore au
bénéfice de l’Ecriture qui devait fournir aux premiers chrétiens la clé
herméneutique permettant d’interpréter le tombeau vide : il croit sans voir le
Ressuscité336.

Fort heureusement, la suite du récit nous permet de considérer cette hypothèse avec
réserve. Car, le disciple bien-aimé n’a rendu aucun témoignage aux autres disciples sur ce
qu’il a vu et ce en quoi il a cru, d’une part ; d’autre part, le narrateur nous laisserait penser que
Marie n’avait rien compris de ce qui était advenu du corps de Jésus. Sa réponse aux anges
(v13) et sa question à Jésus (v15) nous permettent de constater l’évidence. La foi des disciples
n’atteint pas le volume d’un grain de sénevé. Elle est encore au stade embryonnaire. Ce qui
importe aux disciples, c’est la présence de leur maître et non sa résurrection.

Deuxième épisode : Le « voir » de Pierre (v6) et de Marie de Magdala (v12)


335
F. MUSSNER, Op. Cit., p. 28.
336
C. FOCANT, D. MARGUERAT et al, Op. Cit., p. 503.

131
Le deuxième « voir », c’est-à-dire celui de Pierre et de Marie désigné par le verbe
Qewre,w, exprime la vision réflexive, contemplative ou la prise en considération par
l’intellect de ce que voient les yeux. Susceptible de se muer en projection de soi, cette vision
du tombeau vide ne suffit pas davantage à comprendre le sens – du moins lorsqu’il en va de «
voir » le Ressuscité.

C’est pourquoi d’ailleurs, l’auteur utilise un verbe plus fort pour marquer l’attention
soutenue du regard inquisiteur de Pierre. Il se demande ce qui a bien pu se passer. Marie, par
contre, est éblouie à la vue des deux anges. Elle les contemple dans toute leur splendeur et
demeure muette jusqu’à ce que ces derniers l’interrogent. Avec Qewre,w, la foi des disciples
reste statique.

Troisième épisode : Le « voir » des disciples (v20)

On rencontre le troisième « voir », à savoir Ora,w, au verset 8 à propos de l’« autre


disciple » qui « vit et crut » et au verset 18 au sujet de Marie de Magdala témoignant de sa
rencontre avec le Seigneur. Il s’agit de bien plus que la vue physique. C’est pourquoi, quand
l’évangéliste affirme que l’autre disciple « vit et crut », il estime peut-être que devant ses
yeux se trouvent les preuves irréfutables de la résurrection du Christ. Elles lui indiquaient ce
qui s’était passé. C’est un regard rétrospectif dirigé sur ou vers tous les faits, gestes et paroles
du Jésus terrestre qui reviennent à l’esprit de l’autre disciple ; d’où « il crut ».

Dans le cas de Marie, oraw exprime aussi bien l’idée de voir que celle d’annoncer qui
en est une conséquence directe. En annonçant aux disciples : J’ai vu le Seigneur, Marie se
présente comme le premier témoin de la résurrection du Christ, et pose en même temps les
jalons de la proclamation de la Bonne Nouvelle du salut.

C’est également ce dernier verbe qui est employé au verset 20 à la première apparition
de Jésus aux disciples, et nous remarquons qu’il intervient tout juste après que Jésus s’est fait
reconnaître par ses disciples en leur montrant ses plaies. Ora,w veut dire qu’ils ont compris. F.
MUSSNER en donne une belle illustration : L’acte de voir des témoins oculaires se porte
donc ici aussi de nouveau non pas sur Jésus en tant que simple personnage de l’histoire, bien
plutôt : quand « ils ont vu » Jésus, ils ont, dans un seul et même acte, vu en lui le porteur du
salut, le logoj thj zwhj.337

Nous comprenons nettement mieux, pourquoi les disciples étaient dans la joie à la vue
de leur Maître. Espéraient-ils un sauveur qui dissiperait leurs craintes et les libéreraient de la

337
F. MUSSNER, Op. Cit., pp. 33-34.

132
prison (portes verrouillées) ? Jésus le Crucifié est ressuscité et ils le voient tant physiquement,
à travers ses blessures, que spirituellement (Il leur donne un consolateur, un souffle nouveau).
Les disciples ont commencé par comprendre les Ecritures et tout ce que Jésus leur avait dit de
son vivant. Leur foi pouvait trouver un élan et commencer par se raffermir. Le témoignage de
cette « vision » (Ora,w) les brûlait aux lèvres : « Nous avons vu le Seigneur ! »

Quatrième épisode : Le « voir » de Thomas (v25)

Le verbe « voir » désigné par Ora,w est employé également employé dans ce
quatrième épisode qui concerne Thomas. Mais, paradoxalement, il est employé pour exprimer
le refus de Thomas de croire, puis dans les versets 27 et 29 qui constituent la réplique de Jésus
et sa bénédiction : ce verbe, dont dérive notamment le mot désignant le « visage »
(pro,swpon), exprime la vision qui seule permet et suscite une relation de foi avec Jésus le
ressuscité. C’est donc « ora,w » qui rend possible cette vision et cette relation nouvelles qui,
paradoxalement, relativisent le fait même de voir en mettant en évidence le croire (la foi), en
référence à la conclusion formulée au v.27 (Heureux ceux qui, n’ayant pas vu, ont cru !).

La conviction du doute de Thomas est matérialisée par la particule négative mh. (ne
pas) qui donne un sens aux verbes oraw et pisteuw (voir et croire). Si Jésus est vraiment
ressuscité comme en témoignent les disciples, c’est qu’il dispose de son visage. Il faut
comprendre, dans ce cas-ci, l’emploi du terme « visage » dans son sens métonymique. Il
désigne le « corps » de Jésus. Nous pouvons mieux comprendre ce concept dans le sens que
lui donne D. MARGUERAT, pour qui :

L’homme n’a pas un corps, il est un corps. Par le corps, je suis présent, je vis
dans le monde ; par mon corps je suis reconnu. Le corps manifeste qui je
suis. Il est la forme visible de mon « je ». C’est pourquoi la pensée biblique
ne peut imaginer un homme sans corps. La résurrection sera résurrection du
corps. Ou de la personne. Disons : résurrection du corps-personne. 338

C’est également pourquoi, il est inadmissible pour Thomas d’accepter le témoignage


des autres disciples sans avoir vu le corps de Jésus. Ainsi, pour lui, voir Jésus face à face,
constituerait une vision de foi qui le conduirait nécessairement à attester la noblesse de la
Bonne Nouvelle annoncée par ses amis. Le verbe oraw serait donc la foi vécue, débarrassée
de tout a priori. Oraw, c’est enfin de compte, ce verbe qui a donné tout son sens au kérygme
johannique.
En définitive, ces quatre manières de voir le Ressuscité vont produire des effets sur la
manière dont les disciples croient.
338
D. MARGUERAT, Op. Cit., p. 58.

133
II.3.3.2.2. Les quatre manières de croire (le Ressuscité)

Le récit de Jean 20 offre aussi une scène de gradation de la foi telle que défini par
l’emploi successif du verbe « croire ». Ce « croire » comme le « voir » dans cette même
péricope concerne la résurrection de Jésus. D. MARGUERAT souligne que : Chaque scène
culmine dans un manque, qui invite le lecteur ou la lectrice à se déplacer – non pas avec les
personnages, mais passer avec le narrateur d’un personnage à l’autre339.

En suivant le récit par séquence et dans un ordre chronologique bien déterminé par
l’auteur du quatrième évangile, nous pouvons apprécier la saveur de cette gradation du «
croire » le Christ ressuscité. Pour ce faire, nous adoptons la proposition des quatre paliers sur
lesquels est bâtie toute la quintessence du « croire » de D. MARGUERAT :

Premier palier (20,1-10) : Pierre et le disciple bien-aimé courent au tombeau


; Pierre constate le vide du tombeau, le disciple bien-aimé voit et croit ; mais
ce croire reste sans effet : les deux disciples sans retournent chez eux.
Deuxième palier (20,11-18) : Marie de Magdala rencontre le Seigneur, après
l’avoir pris pour le jardinier (encore un malentendu) ; elle annonce la
nouvelle aux disciples mais la peur du groupe reste entière (20,19).
Troisième palier : le Seigneur apparaît aux disciples réunis et leur remet
l’Esprit saint (20,19-23), mais un des leurs refusent de passer par leur parole
pour croire : c’est Thomas. Quatrième palier (20,24-29) : Thomas voit le
Ressuscité et croit, mais le texte déborde sa confession de foi en direction du
lecteur : « Bienheureux ceux qui, n’ayant pas vu, ont cru » 340

Comme nous pouvons le constater, l’essentiel du récit de Jean 20 est concentré sur le
couple « voir et croire ». Pour récapituler ce paragraphe, nous disons que ces quatre
manières de voir et de croire le Ressuscité donne une nouvelle configuration de l’Eglise, à
savoir :

• Les « croire après avoir vu »

• Les « voir pour/avant de croire »

• Les « croire sans voir »

• Les « voir sans croire »

II.3.3.2.3. De l’apôtre au douteur : un chemin douloureux

La plupart des commentaires fustigent le comportement de Thomas et le décrivent


comme un personnage enclin à un pessimisme notoire. C’est pourquoi, ils pensent qu’au nom

339
D. MARGUERAT. Le Dieu des premiers chrétiens, Labor et Fides, Genève, 2011, p. 198.
340
Idem.

134
du désespoir, Thomas a pressé ses amis d’accompagner Jésus dans la région afin de mourir
avec lui. Ses paroles ne traduiraient ni confiance ni courage, mais un profond découragement.
Comme l’observe F. GODET, il y avait plus d’amour pour la personne de Jésus que de foi en
la sagesse de ses démarches341.

Au contraire, Thomas s’affiche, comme un homme résolu qui ne manque certainement


pas de courage. Lorsque Jésus avait envisagé de quitter la Galilée pour se rendre en Judée afin
de ressusciter Lazare, et que les disciples comprenant la situation politique ont reconnu
combien cette initiative était dangereuse, c’est lui qui, avec fougue et générosité, encourage
ses collègues : Allons, nous aussi, afin de mourir avec lui.

En fait, l’emploi de l’impératif « allons ! » montre la détermination avec laquelle


Thomas engage, sinon ordonne à ses amis de suivre Jésus. Il était donc prêt à mourir pour
Jésus. Quelle belle preuve de courage et d’affection pour son Seigneur ! Combien sommes-
nous aujourd’hui à nous engager résolument pour la cause du Christ ?

Le récit de Thomas demeure une énigme aux yeux de tous les lecteurs de l’évangile
selon Jean. On n’arrive toujours pas à percevoir comment s’est produit le revirement de
situation. Le texte de Jean 20 lui-même est muet et ne donne pas de précisions sur les raisons
de l’absence de Thomas. Le narrateur se contente de décrire tout « simplement » la situation :
Mais Thomas, l’un des douze dénommé Didyme, n’était pas avec eux quand Jésus vint (Jn
20,24).

L’expression n’était pas avec eux (ouvk h=n metV auvtw/n) semble polémique.
Devrions-nous l’interpréter par « il était absent » pour des motifs non élucidés que nous
ignorons encore ou par « il s’est désolidarisé » du groupe ? L’une dans l’autre, ces deux
expressions ont l’air de traduire une même réalité : Thomas ne faisait pas partie du groupe
d’accueil de Jésus. Alors, suffit-il pour que nous affirmions qu’il a trahi ses compagnons ?

Probablement, la trahison proviendrait du fait qu’il aurait refusé en bloc le témoignage


des disciples et par conséquent celui de Marie de Magdala. Essayons de comprendre l’emploi,
par trois fois, successivement, de la conjonction de subordination « si » (qui signifie
également au cas où, quiconque, en quelque lieu que, si d’ailleurs, au cas d’ailleurs où, au
moins si, si toutefois, si en vérité, quand bien même, même si) dans la réponse de Thomas :

• Si je ne vois pas : ce premier emploi de « si » est une réponse à la déclaration de Marie


de Magdala : J’ai vu le Seigneur. On constate curieusement que c’est le même verbe

341
F. GODET, Op. Cit., p. 130.

135
oraw (voir) qui est utilisé dans les deux phrases. Thomas exige un face à face avec
Jésus afin de le reconnaître (v18).

• Si je ne jette pas mon doigt dans la marque des clous : Thomas récuse le témoignage
un peu « lapidaire » des disciples auxquels Jésus a déjà montré ses cicatrices (v20).

• Si je ne jette pas ma main dans son côté : Thomas réclame un contact physique avec
Jésus afin de réaliser, lui aussi, la résurrection matérielle de son Maître. Par « jeter », il
entend plonger sa main dans les meurtrissures de son Maître sans doute afin de sentir
le caractère foncièrement humain de celui-ci.

Nous le remarquons bien, il y a une grande différence entre avoir des doutes et ne pas
croire. Et c’est la raison pour laquelle Jésus lui-même ne blâme pas Thomas, mais l’invite
plutôt à intégrer le groupe des disciples. Malheureusement, l’hésitation à croire de Thomas
pose de sérieux problèmes dans nos communautés de sorte que lorsqu’un chrétien cherche à
comprendre, on le surnomme automatiquement Thomas. Cependant, le doute peut bien être
pris dans un sens positif, en tant qu’il permet d’être éclairé sur des propos et des paroles dits
par un guide spirituel.

La théologie et l’herméneutique de Jean 20 nous ont permis de vérifier les affirmations


bibliques qui s’y rapportent. Loin de maintenir les chrétiens dans cette assertion peu flatteuse
qui fait croire que Thomas n’est pas digne d’un disciple de Jésus, ce chapitre a permis de voir
en Thomas, grâce à son courage du doute, celui qui a amené l’humanité à comprendre la
seigneurie et la divinité du Fils de l’homme : « Mon Seigneur et Mon Dieu » (Jn 20,28).

136
CHAPITRE QUATRIEME :
LE PRINCIPE LIBERATEUR DU DOUTE

Ce chapitre, qui pose le doute comme un principe libérateur, est consacré, dans un
premier volet, à l’analyse de quelques évidences du doute dans le Nouveau Testament.
Ensuite, il établit un rapport entre la foi et le doute. Enfin, à partir du rapport entre la foi et le
doute, il ouvre un champ à la compréhension du doute de Thomas.

II.4.1. LES EVIDENCES DU DOUTE DANS LE NOUVEAU


TESTAMENT

Généralement, la Bible parle peu du doute. Mais dans le Nouveau Testament, le terme
grec diakri,nw (diakrinô), qui veut dire séparer, porter un jugement ou distinguer, est le plus
fréquemment utilisé pour exprimer cette idée. Dans un autre sens, les traducteurs de la Bible
ont parfois employé le terme « doute » au lieu d’« incrédulité » (avpisti,a) comme c’est le cas
dans Romains 4,20 où Paul écrit qu’Abraham ne répondit pas à la promesse de Dieu par
l’incrédulité342. Quelques versions traduisent : Il ne succomba pas au doute343.

L’assimilation du doute à l’incrédulité paraît tout à fait logique quand on définit la foi,
selon A. GOUNELLE344, comme l’acceptation d'un certain nombre de croyances et de
doctrines. Ainsi, pour rester dans cette dynamique des différentes versions bibliques, nous
emploierons les mots grecs diakrinw, apistia et apistoj pour désigner une seule et même réalité
: le doute.

342
Le mot grec utilisé est apistia et signifie exactement a-foi ou non foi, d’où incrédulité.
343
Traduction Œcuménique de la Bible (TOB), Edition intégrale, Paris/Villiers-le-Bel, Cerf/Société Biblique
Française, 1988, p. 2709.
344
Théologien français et professeur à la Faculté de Théologie de Montpellier (France).

137
II.4.1.1. Dans les évangiles synoptiques

Cette rubrique nous présente la conception synoptique du phénomène du doute, c’est-


à-dire comment Matthieu, Marc et Luc perçoivent la notion de doute dans leurs différents
évangiles.

II.4.1.1.1. Chez Matthieu

Le vocabulaire du « doute » est très varié dans l’évangile selon Matthieu. Nous y
retrouvons presque toutes les terminaisons terminologiques. La séquence du doute commence
dans cet évangile avec le précurseur du Messie. En effet, Jean Baptiste eut le privilège d’être
utilisé comme instrument de Dieu pour annoncer la venue du Messie, allant même jusqu’à
baptiser Jésus. Il a vu la colombe se poser sur Jésus et a entendu la voix du Père affirmant la
divinité de Jésus (Mt 3,13-17). Et pourtant, au fond de sa prison, c’est ce même Jean-Baptiste
qui, traversé par le doute, envoya ses disciples demander à Jésus : Es-tu celui qui devait venir
ou bien devons-nous en attendre un autre (Mt 11,3). Il n’a pas eu peur d'exprimer ses doutes,
encore moins ses inquiétudes. Aussi n’aurait-il pas eu peur d'être accusé d’incrédule. P.
BONNARD dira que :

La question du Précurseur, à cette place de la narration matthéenne, exprime


certainement un doute ; il ne demande ni un renseignement objectif, ni une
simple confirmation de ce qu’il pense déjà ; il est écartelé entre ce qu’il
entend raconter d’extraordinaire sur Jésus et l’absence de toute
manifestation éclatante de sa messianité345.

Or, de ce Jean-Baptiste, Jésus lui-même rend ce vibrant témoignage : Je vous le dis en


vérité, parmi tous ceux qui sont nés de femmes, il n’en a point paru de plus grand que Jean-
Baptiste (Mt 11,11). Il parait quand même étonnant, voir inadmissible que Jean-Baptiste
puisse se poser ces genres de questions, lui qui a assisté au baptême de Jésus d’une part ;
d’autre part, c’est lui-même qui a annoncé la venue du Messie et qui l’a reconnu au moment
de son baptême.

Ici encore la réaction de Jésus peut laisser le lecteur perplexe : Allez rapporter à Jean
ce que vous avez vu et entendu: les aveugles voient, les boiteux marchent, les lépreux sont
purifiés, les sourds entendent, les morts ressuscitent, la bonne nouvelle est annoncée aux

345
P. BONNARD. L’Evangile selon Saint Mattieu : Commentaire du Nouveau Testament (deuxième série),
Labor et Fides, Genève, 1992, p. 161.

138
pauvres (Mt 11,4). Cela devrait suffire à Jean-Baptiste pour ôter ses doutes. Nous comprenons
déjà que le doute n’épargne personne, qu’il est inhérent à tout individu.

Le narrateur donne un autre ton, selon qu’il est écrit : Et il ne fit pas beaucoup de
miracles dans ce lieu, à cause de leur incrédulité (Mt 13,58). Le substantif apistia (seulement
ici dans Mt et Mc. 6,6 ; 9,24 ; l’adjectif correspondant 17,17 par.) ne désigne pas un trait du
caractère, une sorte de méfiance innée propre aux habitants de Nazareth, mais le fait concret
qu’ils ont refusé leur foi au Christ-Jésus346.

La foi serait généralement l’une des exigences de Jésus pour l’accomplissement des
miracles. C’est pourquoi, il réduira le nombre de miracles étant dans sa propre patrie, à
Nazareth. Il va s’en dire que là où l’incrédulité persistent chez les hommes, Jésus refuse de
réaliser de grandes œuvres. Sur ce point, P. BONNET fait observer que l’incrédulité se ferme
à elle-même la source des grâces divines que la foi seule reçoit 347. Ici, c’est l’incrédulité
générale de tout un peuple qui est mise en exergue.

Dans le récit de Matthieu 14,31, c’est le doute de Pierre qui est révélé : Homme de peu
de foi, pourquoi as-tu douté ? Le verbe grec rendu par « douter » signifie « hésiter, se tourner
de deux côtés. Ce verbe exprime bien la foi de Pierre qui, remarquable au début, a
brusquement faibli. Son appréciation humaine de la situation a été plus forte que sa foi. Plutôt
que de continuer à regarder Jésus, il entend le vent, voit les vagues et crie au secours. La peur
s’est installée dans son esprit aussi vite que son énergie l’a poussé à demander à Jésus
d’ordonner de le rejoindre sur l’eau. Pierre n’avait que trop de raisons de douter ; mais la
question du Sauveur signifie que là où il est présent, ces raisons n’existent plus 348. C’est
pourquoi Jésus le saisit et lui adresse des reproches sur son manque de foi qui l’avait fait
s’enfoncer349.

Aussi Jésus reproche-t-il aux Pharisiens et Sadducéens leur doute en ce qui concerne
leur incapacité de discernement des choses spirituelles. Ils avaient leur méthode de prévoir le
temps, même si elle paraissait imparfaite. Mais, ils refusaient de reconnaître le Messie promis
et tant attendu qui était déjà au milieu d’eux : Vous savez discerner l’aspect du ciel, et vous ne
pouvez discerner les signes des temps (Mt 16,3). Le discernement et l’hésitation que Jésus
reproche aux disciples ou aux Juifs sont liés pour la plupart du temps aux miracles. Dans ce

346
P. BONNARD, Op. Cit., p. 214.
347
L. BONNET, A. SCHROEDER, Bible annotée N.T. 1, Matthieu, Marc, Luc, P.E.R.L.E / Emmaüs, Saint-
Légier, 2001, p. 173.
348
Ibid., p. 179.
349
J.F. WALVOORD, R.B. ZUCK, Commentaire Biblique du Chercheur : Une exégèse approfondie des
Ecritures par des professeurs du Séminaire de Dallas, Nouveau Testament, Traduit de l’Anglais par M.
ROUTHIER et A. E. LEGAULT. Parole de Vie Béthel, Lennoxville, Québec JIM 2A2, 1997, p. 59.

139
sens, on a pensé ici spécialement aux miracles de Jésus, qui rendaient bien inutile la demande
d’un signe du ciel, ou encore à l’accomplissement des prophéties, etc.350

La réprimande de Jésus aux disciples : Race incrédule et perverse (Mt 17,17) dénote
de leur manque de foi, delà à ne pouvoir pas pu guérir l’enfant lunatique. B. MATHIEU
pense que :

L’impuissance de ses apôtres troubla profondément Jésus, qui laissa voir sa


déception et son impatience devant l’incrédulité et la perversité de sa
génération, sources de tant de maux. Nous pouvons voir ici combien notre
manque de confiance dans le Seigneur doit éprouver sa patience 351.

B. MATHIEU relève dans cette scène l’incrédulité généralisée des disciples qui
représentent un échantillon du peuple juif d’alors : incrédule et pervers. P. BONNARD
précise que :

L’adjectif a;pistoj … doit être interprété ici en relation avec le substantif


oligopistia du v. 20 (cf. l’adjectif. 6,30 ; 8,26 ; 14, 31 ; 16,8) ; il ne désigne
pas une faiblesse de la foi mais une absence de foi, plus encore : le contraire
de la foi, car pour le N. T. l’homme croit ou il doute ; il ne saurait se trouver
entre la foi et le doute, dans une sorte de neutralité (l’indifférence est la
forme la plus aigüe du doute)352.

Jésus ajoute encore : C’est à cause de votre incrédulité, leur dit Jésus. Je vous le dis en
vérité, si vous aviez de la foi comme un grain de sénevé, vous diriez à cette montagne :
Transporte-toi d’ici là, et elle se transporterait (Mt 17,20). Pour P. BONNARD :

Ici comme dans les autres textes (surtout 14,31 : Pierre !), ce sont les
disciples qui doutent. On doit relever les deux aspects de la conception
matthéenne : le fait qu’ils doutent ne les empêchent pas d’être des disciples,
ne les exclut même pas du cercle apôtres ; d’autre part, le fait qu’ils soient
disciples ou apôtres, ne les préserve pas du doute353.

Tout en fustigeant le comportement de ses disciples, il réprimande également la foule


et leur montre l’importance que revêt la foi dans l’accomplissement de l’œuvre de salut. B.
MATTHIEU renchérit que :

Les apôtres avaient reçu le pouvoir de chasser les démons (Mt 10,1). Mais
sans cette foi, leurs dons ne servaient à rien. Dans un travail spirituel, Dieu
se plaît à honorer ceux qui croient en lui, et la foi la plus petite est capable

350
L. BONNET, A. SCHROEDER, Op. Cit., p. 187.
351
B. MATTHIEU, Commentaire de l’évangile selon Matthieu, in OnlineBible.org, consulté le 12/03/2018 à 23
h 24 mn.
352
P. BONNARD, Op. Cit., p. 260.
353
Ibid., p. 261.

140
de vaincre les obstacles les plus imposants. Rien n’est impossible à celui qui
croit354.

Les instructions de Jésus à ses disciples sur leurs ministères futurs prennent tout leur
sens dans ce récit de guérison de l’enfant lunatique. Néanmoins, leur problème serait souvent
un manque de foi et le fait de ne pas chercher la direction de leur Seigneur. Sa parole serait
suffisante pour produire la guérison désirée, mais leurs actes allaient nécessiter une grande
foi et un contact constant avec le Seigneur par la prière355.

Mais, faut-il, peut-être, oser citer comme exemple le doute de Jésus lui-même, quand il
dit à ses disciples : Mon âme est triste jusqu'à la mort (Mt 26,38). Il est vrai que certains
exégètes comme P. BONNARD n’ont pas voulu voir dans cette expression le doute ou le
refus d’obéir de Jésus. Cependant, nous ne pouvons pas ignorer cet état d’esprit que suscite
l’angoisse de la mort. Le Maître lui-même ne serait pas épargné de ce sentiment qui
déterminerait son caractère humain.

De ce qui précède, le doute traversé par Jésus se traduirait par la trop grande tristesse
qu’il éprouverait et des angoisses comme il n’en avait jamais connues dans sa vie terrestre356.

Nous pouvons prolonger ce visage de Jésus jusqu’à la Croix, surtout quand il s'écrie :
Mon Dieu, mon Dieu, pourquoi m'as-tu abandonné ? (Mt 27,46). Cette interrogation
exclamative souligne très clairement les cris de détresse de Jésus. Ce qui cause l’angoisse du
Sauveur, il le dit lui-même, c’est le sentiment momentané de l’abandon de Dieu 357. C’est
justement cet abandon qui nous fait penser au doute de Jésus sur la croix. Car « abandonner »
signifierait ici laisser tomber, livrer. Sans doute, ce sont ces cris de Jésus ont amené les
soldats à penser qu’il appelait Dieu à son secours.

Enfin, nous achevons la séquence des doutes chez Matthieu avec le récit de
l’apparition de Jésus en Galilée. Quand ils le virent, ils se prosternèrent devant lui. Mais
quelques-uns eurent des doutes (Mt 28,17). De nombreux exégètes n’ont pas voulu voir dans
le terme « doute » l’hésitation ou l’incrédulité de quelques disciples à la vue du Seigneur.

La pensée matthéenne comme nous l’avons vue dans cette section traduit le doute
comme la conséquence de l’incompréhension de la divinité de Jésus. C’est donc dans cette
même dynamique que nous pouvons justifier ce verset 17. Peut-être devons-nous le

354
B. MATTHIEU, Loc. Cit.
355
J. F. WALVOORD, R.B. ZUCK, Op. Cit., p. 67.
356
Ibid., p. 91.
357
L. BONNET, A. SCHROEDER, Op. Cit., p. 293

141
comprendre que le doute manifesté par les disciples donne une authenticité au récit de
Matthieu. Le doute et la méfiance sont parfois l’indication d’un cœur honnête. La crédulité
n’est guère plus souhaitable que l’incrédulité. Le doute devient péché quand il met en cause la
fidélité du Seigneur ou quand il révèle un manque de confiance en lui (Rm 14,22-23). Les
doutes de ses disciples n’empêchèrent pas Jésus de les envoyer comme ses ambassadeurs et de
s’en servir pour transformer le monde358. Nécessairement pas ! Il faut comprendre le doute
dans son sens évident et dire avec P. BONNARD que :

Ce prosternement n’était pas exempt d’une certaine hésitation, d’un certain


déchirement intérieur (distazein, seulement ici et 14,31 dans le N.T.) ; cette
interprétation est recommandée par la conception que l’ensemble du N.T. se
fait des christophanies, qui ne sont pas des faits d’une objectivité matérielle
telle que tous les doutes en soient immédiatement écartés (Jn 20,25 ; Mc
16,8; Lc 24,11.25.37)359.

Au total, l’évangile selon Matthieu est traversé par une série de doutes et de
résistances teintés d’existentialisme telle que nous les rapportent les récits que nous venons
d’étudier. Qu’en est-il alors de la conception marcienne du doute ?

II.4.1.1.2. Chez Marc

A l’opposé de Matthieu, Marc emploie rarement le vocabulaire du doute dans ses


récits. En dépit de cette rareté, nous y retrouvons certaines séquences du doute non moins
négligeables.

Dans le passage de Marc 6,6, nous lisons : Et il s’étonnait de leur incrédulité. Les
questionnements et le mépris des Nazaréens amène Jésus à cesser d’opérer des miracles dans
sa propre patrie. Or, comme nous l’avons souligné plus haut, le doute ne pouvait pas garantir
un miracle, il l’en éloigne plutôt. Jésus, tout en confirmant donc le mépris de sa patrie,
paradoxalement s’étonne de leur incrédulité. P. BONNET allègue que :

Jésus s’étonne de l’incrédulité comme il s’étonne de la foi (Mt 8,10). Il faut


prendre ce mot à la lettre ; Jésus ne s’attendait pas à ce que ses concitoyens
de Nazareth seraient à ce point aveuglés par les préjugés. Leur incrédulité
marque le point culminant des dispositions défavorables que Jésus rencontre
chez son peuple ; elle va le déterminer à accentuer sa retraite en s’éloignant
de la contrée360.

358
B. MATTHIEU, Loc. Cit.
359
P. BONNARD, Op. Cit., p. 418.
360
L. BONNET, A. SCHROEDER, Op. Cit., p. 346.

142
Ici, Marc, en relevant l’incrédulité des habitants de Nazareth marquée par leur hostilité
à Jésus, vise la nation d’Israël dans son ensemble. Une nation qui baigne dans l’aveuglement
au point de rejeter son propre fils. Ce refus de croire en Jésus illustra ce que les disciples
allaient bientôt connaître et ce que les lecteurs de Marc (d’alors et de maintenant)
expérimenteraient également dans la propagande de l’Evangile361.

Le second texte qui parle du doute chez Marc est celui-ci : Génération incrédule, leur
dit Jésus, jusques à quand serai-je avec vous ? Jusques à quand vous supporterai-je ? (Mc
9,19). Ce texte nous renvoie à celui de Matthieu 17,17 que nous avons cité plus haut. Mais
dans ce cas précis, c’est le mot « génération » (genea) qui est employé en lieu et place de «
race ». Le narrateur associe probablement tous les participants à la scène : l’impuissance des
disciples qui reviennent de leur glorieuse campagne contre les esprits après avoir reçu le
pouvoir, l’angoisse du père de l’enfant malade, les scribes et les chefs religieux qui se
discutaient comme à leur habitude. C’est donc l’incrédulité de toutes ces catégories de
personnes désignée ici par génération que Marc relève.

Marc 9,24 : Aussitôt le père de l’enfant s’écria : Je crois, viens au secours de mon
incrédulité. Le rétablissement de l’enfant ne dépendait pas du pouvoir de Jésus qui est
toujours largement suffisant parce qu’illimité. Il dépendait plutôt de la foi que le père plaçait
en Jésus. Sans celle-ci, le pouvoir de Jésus serait inopérant dans ce cas. Associée à la foi
paternelle, la puissance de Jésus pouvait tout. La reconnaissance du manque de foi du père qui
accepte de supporter les reproches de Jésus faits à toute une génération n’est pas sans effet. Il
sera récompensé puis que son enfant sera guéri. C’est un combat douloureux qui se livre dans
les profondeurs de son âme entre une foi trop faible et le doute qu’il ne peut surmonter 362.
Jésus travaille toujours le cœur de celui qui est en proie au doute mais qui fait l’effort de le
rencontrer : Je crois, viens au secours de mon doute !

Dans un autre récit, Jésus déclare : Je vous le dis en vérité, si quelqu’un dit à cette
montagne: Ote-toi de là et jette-toi dans la mer, et s’il ne doute point en son cœur, mais croit
que ce qu’il dit arrive, il le verra s’accomplir (Mc 11,23). Jésus de retour de Béthanie repassa
près du figuier qu’il avait maudit la veille. C’est à cet endroit précis que l’étonnement des
disciples, comme à leur accoutumée, de voir l’arbre séché jusqu’aux racines, interpelle Jésus
qui profitait de cette occasion pour leur donner un enseignement. Par la foi, les disciples
seront capables de convertir des millions d’âmes.

361
J. F. WALVOORD, R.B. ZUCK, Op. Cit., p. 141.
362
L. BONNET, A. SCHROEDER, Op. Cit., p. 372.

143
Cependant, le doute ne devrait pas les traverser l’esprit en aucune manière. Ce qui
revient à dire que, dans le dessein de la miséricorde et de la fidélité de Dieu, tout ce que nous
demandons, selon sa volonté, au nom de Jésus-Christ, nous est déjà accordé : nous l’avons
reçu. Tel est le langage de la foi qui ne connaît pas le doute 363. En d’autres mots, Jésus leur
annonce que s’ils portent à leurs œuvres une pleine foi, ils y réussiront infailliblement.

Les derniers épisodes du doute chez Marc sont consignés dans le récit de l’apparition
de Jésus aux disciples. D’abord, les disciples rejettent le témoignage de Marie : Quand ils
entendirent qu’il vivait, et qu’elle l’avait vu, ils ne le crurent point (Mc 16,11). Le doute tel
qu’exprimé dans cette scène se rapporte probablement aux disciples que Marc désignent par
ceux qui avaient été avec lui, et qui étaient dans le deuil et dans les larmes (Mc 16,11a).

L’extraordinaire nouvelle de la résurrection de leur Maître semblait être trop belle


pour être vraie. Selon C. FOCANT et D. MARGUERAT, le thème dominant de la finale de
l’évangile selon Mc est celui de l’incrédulité. Celle-ci commence avec l’apparition de Marie
de Magdala (v. 9-11), laquelle apparition met en relief la difficulté dans le christianisme
naissant de croire en la résurrection sur la base de simples témoignages364.

Ensuite, ces derniers refusent de croire au témoignage de deux d’entre eux à qui le
Ressuscité s’est manifesté sur la route des champs : Ils revinrent l’annoncer aux autres, qui ne
les crurent pas non plus (Mc 16,13). L’expression ne les crurent pas non plus renvoie à une
persistance des disciples dans leur état d’incrédulité. Ils refusent premièrement de croire à
Marie, et deuxièmement aux deux disciples. Malgré des déclarations affirmatives (Lc 24,34),
les disciples semblèrent considérer au début les apparitions de Jésus après la résurrection
comme de simples visions365. Peut-être qu’ils voulaient eux aussi participer à cette joyeuse
nouvelle en faisant leur propre expérience. Certains exégètes ont estimé que l’incrédulité des
disciples était une bonne chose, car elle fournissait une preuve flagrante qu’ils ne pouvaient
avoir inventé l’histoire de la résurrection.

Enfin, Il apparut aux onze, pendant qu’ils étaient à table ; et il leur reprocha leur
incrédulité et la dureté de leur cœur, parce qu’ils n’avaient pas cru ceux qui l’avaient vu
ressuscité (Mc 16,14). Marc résume ici tous les reproches que Jésus a adressé à ses disciples
dès le début de son évangile jusqu’à sa fin, cette fois tout en centrant l’attention sur leur
incrédulité et leur dureté de cœur366.
363
L. BONNET, A. SCHROEDER, Op. Cit., p. 390.
364
C. FOCANT, D. MARGUERAT et al. Le Nouveau Testament Commenté, Bayard/Labor et Fides,
Montrouge/Genève, 2012, p. 241.
365
J. F. WALVOORD, R. B. ZUCK, Op. Cit., p. 217.
366
C. FOCANT, D. MARGUERAT et al, Op. Cit., p. 242.

144
Aussi, prend-t-il soin de mentionner l’ultime consigne de Jésus à ses disciples : Allez
par tout le monde, et prêchez la bonne nouvelle à toute la création. Celui qui croira et qui
sera baptisé sera sauvé, mais celui qui ne croira pas sera condamné (Mc 16,15-16). P.
BONNET énonce le principe marcien du rapport entre la foi et le doute : La foi, condition du
salut ; l’incrédulité, cause de la condamnation, tel est le grand principe de tout l’Évangile
dans son application à l’homme (Jn 3:36)367.

C’est donc une opposition radicale entre foi et doute à laquelle nous avons observé
dans l’un des plus anciens écrits du canon du Nouveau Testament qui pourrait fort ne pas
ressembler au sens qu’en donne l’évangile selon Luc.

II.4.1.1.3. Chez Luc

Tout comme dans l’évangile selon Matthieu, les évidences du doute dans l’évangile
selon Luc s’ouvrent avec l’épisode de Jean-Baptiste. Point ne sera besoin pour nous de
revenir sur les affirmations déjà énumérées ci-dessus (cf. Mt 11,3). Dans ce récit comme dans
celui de Mt, la même question de Jean-Baptiste révèle toujours un doute qui s’est muée en une
inquiétude : Es-tu celui qui doit venir, ou devons-nous en attendre un autre ? (Lc 7,18). Le
dialogue de Jean-Baptiste avec Jésus, par l’intermédiaire de ses disciples, montre qu’il
cherche à vérifier les informations qu’il a reçues. Savoir si Jésus est « Celui qui vient » est le
désir brûlant de cette époque chauffée par l’attente fiévreuse du nouvel Elie368.

Nous sommes donc conforté dans notre position qui est celle du doute de Jean-
Baptiste au sujet de la messianité de Jésus en nous fiant, bien évidemment aux allégations de
D. MARGUERAT et C. FOCANT lorsqu’ils renchérissent que : La question du Baptiste se
légitime, car Jésus ne ressemble pas au portrait du Messie glorieux et écrasant dont il a vanté
la venue369.

L’épisode de l’enfant lunatique dans Marc 9,19 est rapporté par Luc dans moins de
détails que Marc mais avec les mêmes : Alors Jésus leur répondant, dit : Ô génération
incrédule, jusques à quand serai-je avec vous ? Jusques à quand vous supporterai-je ? Nous
notons la présence du vocatif (ô) qui pourrait déterminer une permanence de l’incrédulité des
disciples impuissants face au mal. Comme le signale D. MARGUERAT, même les disciples,
pourtant capables de chasser les esprits mauvais (9,1-10 ; 10,17), n’ont pas été en mesure de

367
L. BONNET, A. SCHROEDER, Op. Cit., p. 427.
368
C. FOCANT, D. MARGUERAT et al, Op. Cit., p. 294.
369
Idem.

145
supprimer le mal370. Nous pouvons, à partir des paroles sévères que leur adresse le Seigneur
Jésus, conclure que la foi leur avait manqué.

Cependant, force est de remarquer que le reproche de Jésus est encore plus empreint
de douleur que de sévérité. Sans doute se demandait-il combien de temps avait-il encore à
vivre dans la société habituelle de pécheurs ignorants, égoïstes et incrédules. Cette société
composée dans notre récit des disciples, des scribes, du père, du peuple, que Jésus apostrophe
sévèrement désignée par génération, race. F. GODET justifie la réaction de Jésus comme suit:

Pour bien comprendre cette exclamation, il faut se présenter la situation


d’âme du Seigneur en ce moment. Il venait de jouir de la communion des êtres
célestes, et tout à coup il se retrouve au milieu d’un monde où l’incrédulité
règne plus ou moins chez tous371.

Le doute est encore et toujours présent parmi les disciples et Israël à travers des
générations, ce que semblerait dire F. GODET.

Luc 12,46 : Le maître de ce serviteur viendra le jour où il ne s’y attend pas et à


l’heure qu’il ne connaît pas, il le mettra en pièces, et lui donnera sa part avec les incrédules.
Nous nous interrogeons sur l’identité de ceux qui sont désignés par le terme « incrédules »
dans cette scène. De nombreux chercheurs pointent du doigt aussi bien les chefs religieux
supposés diriger la nation pour Dieu, mais qui ont totalement failli à leur tâche. Ces derniers
pensent-ils seront sévèrement punis.

Mais également Jésus s’adresserait à ceux qui prétendraient être des disciples afin de
les mettre en garde. D’autres par contre identifient les incrédules à tous les incroyants qui
auront bien connu la révélation de Dieu. Ceux-ci auront à répondre de ce qu’ils ne l’ont pas
reçue372.

La séquence des doutes dans l’évangile selon Luc trouve son apogée dans le récit des
apparitions de Jésus. Tout commence avec le témoignage des femmes revenues du tombeau :
Ils tinrent ces discours pour des rêveries, et ils ne crurent pas ces femmes (Lc 24,11). Les
développements antérieurs nous ont révélé que la divinité de Jésus a posé beaucoup de
problèmes aussi bien à ses disciples qu’à tout le peuple juif. Dans ce verset, le comportement
des compagnons de Jésus n’en est pas différent. En effet, leur

370
C. FOCANT, D. MARGUERAT et al, Op. Cit., p. 311.
371
F. GODET. Commentaire sur l’Evangile de Saint Luc, Imprimerie Nouvelle L.-A Monnier, Neuchâtel, 1969,
p. 613.
372
J. F. WALVOORD, R. B. ZUCK, Op. Cit., p. 266.

146
Attitude reflète la culture de leur temps qui n’accordait que peu de crédit au
témoignage d’une femme. Ils prenaient leur discours pour des rêveries. Il y a
de quoi tomber à la renverse. Les apôtres n’ont jamais vraiment cru le
Seigneur. Non seulement ce sont des incrédules invétérés, mais aussi des
machos maximum373.

Nous ne sommes donc pas surpris que Pierre, porte-parole du groupe, s’y rende pour
constater et voir de ses propres yeux en tant que compagnon mais aussi en tant qu’homme
juif. Ainsi, Il faudra à ces hommes des preuves bien évidentes pour les amener à la foi 374, eux
qui ont assisté à la crucifixion, à la mort et à l’ensevelissement de Jésus. C’est ce qui amène
D. MARGUERAT a commenté que : L’incrédulité des disciples est sèchement relevée par le
narrateur face à ce « délire » (v. 11 ; grec lèros : bavardage, sottise, délire mental)375.

Luc 24,25 : Alors Jésus leur dit : Ô hommes sans intelligence, et dont le cœur est lent
à croire tout ce qu’ont dit les prophètes ! Les dialogues de Jésus avec ses disciples, dans leur
plus grande majorité, commencent très souvent par une exclamation qui laisse entrevoir sa
déception. Dans ce passage, le narrateur laisserait comprendre que les trois années de
formation n’auraient pas servi à grande chose. Les disciples seraient restés les mêmes
ignorants, enfermés dans leur petitesse d’esprit : Ô hommes sans intelligence ! P. BONNET
explique que :

C’est d’abord leur intelligence qu’il accuse de manquer de pénétration pour


saisir les promesses que Dieu a faites par les prophètes (Gal 3,1). Mais cet
obscurcissement de l’intelligence a une cause morale, dans le cœur. Le cœur,
siège des affections et de la volonté, est tardif à croire, à se confier, à
s’abandonner à la vérité divine376.

En définitive, Jésus lancerait une réprimande à l’endroit des deux compagnons, car, en
dépit du fait qu’ils ne comprendraient pas les Ecritures, ils ne croiraient pas aussi.

Saisis de frayeur et d’épouvante, ils croyaient voir un esprit (Lc 24,37). De nombreux
témoignages ont révélé l’apparition de certains êtres étranges dans la Palestine aux temps de
Jésus parmi lesquels les anges étaient les mieux connus. Nous pouvons supposer que les
disciples soient moulés dans cette tradition et qu’ils aient confondu Jésus à l’un de ces êtres.
La crainte que suscite la présence inopinée de Jésus crée la panique et le doute parmi les
disciples.

373
BURNIER, Commentaire sur l’évangile selon Luc, in OnlineBible.org, consulté le 16/03/2018 à 11 heures.
374
L. BONNET, A. SCHROEDER, Op. Cit., p. 652.
375
C. FOCANT, D. MARGUERAT et al, Op. Cit., p. 394.
376
L. BONNET, A. SCHROEDER, Op. Cit., p. 655.

147
Le Ressuscité devra donc montrer les preuves matérielles tangibles de son existence
réelle : Voyez mes mains et mes pieds, c’est bien moi ; touchez-moi et voyez : un esprit n’a ni
chair ni os, comme vous voyez que j’ai (Lc 24,39). Ces preuves ne suffiront pas pour
démontrer la réalité de la résurrection : Comme, dans leur joie, ils ne croyaient point encore,
et qu’ils étaient dans l’étonnement (Lc 24,41). Ce court passage nous montre jusqu’à quel
niveau se situerait l’incrédulité des disciples après la résurrection de Jésus. L’on se demande
pourquoi est-ce que les disciples ont douté, eux dont le désir brûlait de revoir leur Maître, et
pis, malgré l’exhibition de ses plaies et la vérification tactile qu’il a chair et os377.

Au total, Luc met en évidence l’incrédulité généralisée des disciples suivant une
démarche graduelle. D’abord, ils ne croient pas aux femmes dont ils considèrent les propos
comme des rêveries (Lc 24,11). Ensuite, les disciples sur le chemin d’Emmaüs sont restés
sans intelligence et lents à croire aux Ecritures (Lc 24,25), jusqu’à ce que Jésus rompe le pain
pour qu’ils le reconnaissent (Lc 24,35). Enfin, les disciples réunis ne reconnaissent pas Jésus
le Ressuscité présent au milieu d’eux et le prennent pour un fantôme (Lc 24,37). Mais aussi,
dans leur enthousiasme à la vue des preuves tangibles, ils demeurent sceptiques (Lc 24, 41).

Nous l’avons vu, dans les évangiles synoptiques, chaque auteur a une manière
spécifique de présenter les évidences du doute dans ses récits. Cependant, nous retenons qu’ils
soulignent tous ensemble le reproche de Jésus adressé à ses interlocuteurs incrédules avec
beaucoup de sévérité assortie toujours d’une parénèse. Le quatrième évangile semble aborder
la question sous un autre angle dans l’utilisation des termes qui mettent en évidence le doute.

II.4.1.2. Dans le quatrième évangile

Les récits concernant le doute sont très frappants dans le quatrième évangile. En effet,
Jean contrairement aux autres évangiles met l’accent sur le « voir » qui est un élément
caractéristique dans son évangile.

Dès les débuts du livre, le narrateur peint le décor en mettant en exergue le tandem «
voir et croire » : Pendant que Jésus était à Jérusalem, à la fête de Pâque, plusieurs crurent en
son nom, voyant les miracles qu’il faisait (Jn 2,23). Il montre que la foi des premiers auditeurs
de Jésus est née à la vue des signes378 que celui-ci a faits. Comme le souligne si bien J.
ZUMSTEIN : Nombreux sont les pèlerins qui croient en Jésus, mais leur foi est illusoire, car
elle repose sur la seule vision du miraculeux379. La foi en Jésus serait ainsi mise à l’épreuve
des sens et de l’émerveillement :
377
C. FOCANT, D. MARGUERAT et al, Op. Cit., p. 397.
378
Le quatrième évangile désigne les récits de miracles de Jésus par le mot « signe » (grec sêmeia).
379
C. FOCANT, D. MARGUERAT et al, Op. Cit., p. 419.

148
A la vue des miracles (…) que Jésus faisait, ils acquièrent la conviction qu’il
était le Messie… Cette foi pouvait devenir vivante et vraie, si elle les amenait
à un contact personnel avec Jésus ; mais aussi, elle pouvait rester
infructueuse et morte, loin de lui380.

Cette attitude des pèlerins à la fête juive de Pâque à Jérusalem, la première dans le
quatrième évangile, est similaire à celle des Samaritains. Nous pouvons lire dans Jean 4,42 :
Et ils disaient à la femme : Ce n’est plus à cause de ce que tu as dit que nous croyons ; car
nous l’avons entendu nous-mêmes, et nous savons qu’il est vraiment le Sauveur du monde. La
foi telle qu’exprimée ici par les Samaritains repose sur leur propre expérience collective et
sensuelle. L’hésitation d’une partie des habitants de croire au témoignage de leur consœur se
trouve exprimer dans cette belle citation de L. BONNET :

Les Samaritains expriment clairement la différence qu’il y a entre la foi


d’autorité, qui repose sur un récit, un témoignage (ce que tu nous as dit, grec
ton langage) et la foi qui se fonde sur l’expérience immédiate et personnelle
(nous-mêmes, nous avons entendu)381.

Deux jours après les évènements de Sychar, Jésus retourna à Cana, en Galilée où il
adressa de sévères reproches à un officier royal et aux Galiléens qui l’entouraient : Si vous ne
voyez pas des signes et des prodiges, vous ne croirez donc jamais (Jn 4,48). L’hagiographe
johannique prend soin de mentionner deux termes qui ramènent à une même réalité, celle de «
miracle ». Mais il faut les nuancer.

En fait, dans le vocabulaire thaumaturgique, les signes indiquent une manifestation du


monde invisible et les prodiges désignent un acte merveilleux contraire aux lois de la nature.
L’emploi concomitant de ces deux expressions nous montre jusqu’où plonge la déception
inquiétante de Jésus face à l’incrédulité grandissante de son peuple. Tous recherchaient des
miracles (Mt 12,38 ; 1Co 1,22), et Jésus voulaient qu’ils crussent en lui par sa parole, qui
mettait la vérité en contact immédiat avec leur âme382. Ce verset, conclut J. ZUMSTEIN, est
une parole critique qui problématise la relation entre le voir et le croire383.

Le quatrième évangile achève ses évidences du doute comme c’est le cas d’ailleurs
dans les Synoptiques avec le récit de la résurrection de Jésus. Dans cette péricope de Jean 20,
quatre épisodes sont consacrés à la foi par les sens, caractéristique du doute (voir pour croire)
et la foi par la révélation (croire sans voir). Néanmoins, faudrait-il rappeler que la plupart des

380
L. BONNET, A. SCHROEDER, Op. Cit., p. 81.
381
Ibid., p. 105.
382
Ibid., p. 106.
383
C. FOCANT, D. MARGUERAT et al, Op. Cit., p. 428.

149
critiques focalisent leur attention non sur tous les disciples, mais singulièrement sur Thomas
qu’ils accusent de scepticisme.

Dans un premier temps, ce sont deux disciples (Pierre et le disciple bien-aimé) qui
courent au tombeau après l’annonce du tombeau vide faite par Marie (Jn 20,1-10). Pierre voit
les bandelettes, mais demeure muet. Son voir reste stérile384. Cette attitude laisse le lecteur
perplexe. Tandis que le disciple bien-aimé voit et croit.

Dans un second temps, Marie de Magdala, présentée comme l’héroïne de la


résurrection par certains critiques, n’a pas compris le sens du tombeau vide. Nous nous
étonnons qu’elle ne puisse pas reconnaitre son Maître et qu’elle aille jusqu’à le confondre au
jardinier (Jn 20,11-18). Dans le troisième temps, le narrateur présente des disciples apeurés
qui se sont verrouillés et dont le témoignage de Marie n’a eu aucun effet sur leur attitude. Ils
ne se réjouiront qu’à la vue de Jésus le Ressuscité qui leur montrera tout de même ces
cicatrices afin de les rassurer que c’est bien lui (Jn 20,19-23).

Jean résumerait-il toutes les séquences du doute des évangiles en une seule ? C’est ce
qui nous laisserait comprendre le récit de Jean 20,24-29 qui concerne l’apparition de Jésus à
Thomas. D’après le commentaire de Jean 20,24-29 que fait J.F. WALVOOD, nous notons :

Dans son Evangile, Jean a fait l’historique de l’incrédulité, qui atteignit son
apogée lorsque les ennemis de Jésus le crucifièrent. Inversement, Jean fit
également l’historique du développement de la foi des disciples, qui atteint
maintenant son apogée avec Thomas385.

Toute l’hésitation, toute l’incrédulité et tout le doute dans l’évangile se focalisent sur
la personne de Thomas : Les autres disciples lui disaient donc : « Nous avons vu le Seigneur.
» Celui-ci leur dit : « Si je ne vois pas dans ses mains la marque des clous, si je ne jette pas
mon doigt dans la marque des clous et si je ne jette pas ma main dans son côté, je ne croirai
pas (Jn 20,25). Mais en même temps, c’est ce même Thomas qui professe la foi véritable,
sans qu’il n’ait eu à toucher Jésus : Mon Seigneur et mon Dieu (Jn 20,28).

L’importance du doute est telle qu’il n’échappe presqu’à aucun auteur du Nouveau
Testament, du moins pour la majorité d’entre eux. Après les évangiles, plongeons les regards
dans les autres Ecrits du Nouveau Testament.

384
C. FOCANT, D. MARGUERAT et al, Op. Cit., p. 503.
385
J. F. WALVOORD, R. B. ZUCK, Op. Cit., p. 387.

150
II.4.1.3. Dans les autres Ecrits du Nouveau Testament

Cette étude n’est pas exhaustive. Quelques Ecrits tels que les Actes des Apôtres,
certaines épîtres dont celles de Paul, aux Hébreux, de Jacques, de Pierre, de Jude et
l’Apocalypse sont concernés par ce chapitre.

II.4.1.3.1. Dans les Actes des Apôtres

Dans le livre des Actes, Luc montre comment une partie des disciples demeurent
dubitatifs quant à la mission des uns et des autres d’une part, et d’autre part, une autre partie
du peuple juif refuse de croire au discours des apôtres sur le règne de Dieu. La séquence de
doute s’ouvre par une discussion entre Pierre et les fidèles circoncis de Jérusalem : Lorsque
Pierre remonta à Jérusalem, les circoncis eurent des discussions avec lui : « Tu es rentré,
disaient-ils, chez des incirconcis notoires et tu as mangé avec eux ! » (Ac 11,2). Le terme grec
diakrinw traduit en français par prendre à partie, disputer avec, montre que la mission de
Pierre à Césarée a été mise en doute par les autres disciples qui ont probablement pensé à une
trahison ; d’où les reproches sévères à lui adressés.

Mais, comme quelques-uns restaient endurcis et incrédules, décriant devant la


multitude la voie (Ac 19,9) marque ici la difficulté qu’a éprouvé Paul pour faire passer le
message de la révélation de Dieu chez certains Juifs demeurés incrédules et opposés à toute
autre forme de doctrine que la leur. Ainsi décriaient-ils « le chemin » par lequel Paul voulait
les faire marcher. C’est ce qui a amené Paul à quitter la Synagogue et s’établir dans l’école de
Tyrannos. Il va sans dire que :

Quand les arguments et la persuasion ne font que durcir les hommes dans
leur incrédulité et le blasphème, nous devons nous séparer, nous-mêmes et
les autres, d’une compagnie si profane. Dieu a bien voulu confirmer
l’enseignement de ces saints hommes de jadis, de façon que si les auditeurs
n’ont pas cru en eux, ils puissent croire aux miracles accomplis 386.

L’auteur du livre des Actes des Apôtres récapitule toute la difficulté des Juifs à cerner
la révélation de Dieu et le message pascal dans Actes 26,8-9 : Quoi ! Vous semble-t-il
incroyable que Dieu ressuscite les morts ? Pour moi, j’avais cru devoir agir vigoureusement
contre le nom de Jésus de Nazareth. Le terme grec traduit en français par incroyable signifie
doute. C’est donc l’incrédulité généralisée des Juifs qui est dénoncée par l’apôtre Paul.
D’après L. BONNET :

386
OnlineBible.org, Loc. Cit.

151
Cette question abrupte prouve que Paul avait présenté la résurrection du
Sauveur comme réalisation de l’espérance (Ac 26,7), et peut-être aussi qu’il
voyait des signes d’incrédulité sur la figure de quelques auditeurs… Et même
il pose la question de manière à venir au secours du doute387.

Qu’en pense l’apôtre Paul ?

II.4.1.3.2. Chez Paul

Les évidences du doute dans les épîtres pauliniennes sont abondantes surtout dans la
première lettre aux Corinthiens. Paul, parlant au sujet d’Abraham, affirme : Il ne douta point,
par incrédulité, au sujet de la promesse de Dieu ; mais il fut fortifié par la foi, donnant gloire
à Dieu (Rm 4,20). Il oppose pour ainsi dire la foi qui glorifie Dieu à l’incrédulité. Cependant,
la foi et l’espérance d’Abraham ont connu des moments de flottements même si certains
critiques estiment que son hésitation a été d’un court moment, et qu’elle n’a donné lieu à
aucune incrédulité : Abraham donna gloire à Dieu en montrant une confiance inébranlable en
la fidélité de Dieu388.

Encore pour une seconde fois, Paul met en relief l’opposition entre la foi et le doute.
C’est ce qui ressort de Romains 11,20 : Cela est vrai ; elles ont été retranchées pour cause
d’incrédulité, et toi, tu subsistes par la foi. Le narrateur rejette l’incrédulité d’Israël qu’il
désigne par branches retranchées et encourage les Gentils à persévérer dans la foi, tout en
évitant de tomber dans le piège de l’orgueil.

Afin que j’échappe aux incrédules de Judée et que le secours que j’apporte à
Jérusalem soit bien accueilli par les saints (Rm 15,31) : Les appréhensions de Paul semblent
être justifiées par le manque de foi que manifestent les Juifs à chaque occasion. Il ne fait
aucun doute qu’il dénonce leur incrédulité afin d’obtenir le secours des prières de ses frères
qui doivent l’accompagner dans son immense œuvre de charité à l’endroit des « saints » de
Jérusalem. Cette entreprise serait-elle lourde de conséquences à cause de l’incrédulité des

Juifs ? Si tant il s’avèrerait que la requête particulière de Paul était qu’il soit délivré des
incrédules de Judée389, il n’en demeure pas moins que, selon M. SCHOENI :

Les dangers viennent autant des Juifs qui ne croient pas en Jésus que des «
saints », autrement dit des judéo-chrétiens, qui pourraient ne pas accueillir la
collecte à cause de sa charge symbolique390.

387
L. BONNET, A. SCHROEDER, Op. Cit., pp. 535-536.
388
Ibid., p. 82.
389
J.F. WALVOORD, R. B. ZUCK, Op. Cit., p. 557.
390
C. FOCANT, D. MARGUERAT et al, Op. Cit., p. 705.

152
Dans les épîtres aux Corinthiens, Paul met un accent particulier sur le terme grec
diakrinw (douter) pour désigner le discernement, le jugement, la dispute ou parfois
l’hésitation. Ainsi dira-t-il dans 1Corinthiens 12,10 : A tel autre, d’opérer des miracles, à tel
autre, de prophétiser, à tel autre, de discerner les esprits, à tel autre encore, de parler en
langues. La mention « discerner les esprits » sonnerait comme une réponse de Paul adressée
aux Corinthiens qui croiraient à toute parole.

Cette parénèse semble très importante pour Paul. Car, les chrétiens de Corinthe y
attachaient un prix exagéré, par des motifs qui n’étaient pas toujours purs 391. « Discerner les
esprits », c’est-à-dire « éprouver les esprits » devrait tout au moins éviter aux chrétiens de
Corinthe de tomber dans le piège de la séduction.

Nous voici, une fois de plus, en face d’une autre réponse à l’incrédulité : Si cependant
notre Evangile demeure voilé, il est voilé pour ceux qui se perdent, pour les incrédules, dont
le dieu de ce monde a aveuglé l’intelligence, afin qu’ils ne perçoivent pas l’illumination de
l’Evangile de la gloire du Christ, lui qui est l’image de Dieu (2 Co 2,3-4). Ce verset de la
révélation de Dieu nous donne sans ambages la raison pour laquelle tant de personnes refusent
le message de Christ.

L’apôtre Paul déroule le comportement du dieu de ce siècle (Satan). Il stipule que ce


dernier exerce une influence sur l’homme afin que l’Évangile de la gloire de Christ lui soit
caché. D’où sa persistance sur le fait que le problème de l’incrédulité des Juifs, qu’il dénonce,
ne demeure pas dans le message, mais réside dans celui qui écoute. Autrement dit, comme le
soutient J. F. WALVOORD, ceux qui rejetaient l’Evangile ne pouvaient ni ne voulaient
l’accepter. Ils ne croyaient pas et étaient confinés dans leur incrédulité par Satan392.

Je rends grâces à celui qui m’a fortifié, à Jésus-Christ notre Seigneur, de ce qu’il m’a
jugé fidèle, en m’établissant dans le ministère, moi qui étais auparavant un blasphémateur,
un persécuteur, un homme violent. Mais j’ai obtenu miséricorde, parce que j’agissais par
ignorance, dans l’incrédulité (1Tm 1,12-13). Il est étonnant et à la fois intéressant de voir
l’apôtre Paul, celui-là même qui reprochait aux Juifs leur incrédulité, reconnaître et dénoncer
qu’il a été lui-même blasphémateur et incrédule. Ce verset change la donne du départ car
jusque-là, ce n’est qu’Israël dans toutes ses composantes qui jouissait de cette attitude.

Dans sa lettre à Tite, Paul invite son collaborateur qu’il désigne par son véritable
enfant dans la foi (Ti 1,4) à reprendre sévèrement les chrétiens crétois mais aux paroles

391
L. BONNET, A. SCHROEDER, Op. Cit., p. 218.
392
J. F. WALVOORD, R. B. ZUCK, Op. Cit., p. 627.

153
flatteuses et trompeuses afin qu’ils aient une foi saine et ne se fient pas aux discours des Juifs.
Car prévient-il : Tout est pur pour ceux qui sont purs. Mais pour ceux qui sont souillés et qui
refusent de croire, rien n’est pur (Ti 1,15). Pour l’apôtre, la souillure et l’incrédulité vont
ensemble. C’est la raison qui justifie son éclaircissement à l’endroit de ceux qui doutent
encore de la saine doctrine.

II.4.1.3.3. L’épître aux Hébreux

L’épître aux Hébreux se fait également l’écho de l’incrédulité quand le narrateur écrit :
Prenez garde, frères, qu’aucun de vous n’ait un cœur mauvais que l’incrédulité détache du
Dieu vivant (Hb 3,12). L’incrédulité, ainsi que la foi, a son siège dans le cœur, et elle est le
propre d’un cœur méchant (Mt 12:35) ; l’Écriture nous la fait partout envisager comme une
révolte contre Dieu, révolte toute semblable à celle d’Israël au désert393. L’auteur souligne le
fait même que le doute est logé dans le cœur humain. C’est sa mise en pratique qui poserait
alors problème. L’exégète C. SPICQ explique et s’interroge : L’impératif blepete indique une
considération durable : Gardez constamment sous les yeux… Est-ce que quelque membre de
la communauté ne serait pas tenté d’incrédulité ?394

Hb 3,19 : Et ainsi nous voyons qu’ils ne purent entrer à cause de leur incrédulité. La
catégorie de personnes taxées d’incrédulité, dont parle la lettre aux Hébreux, est probablement
la génération d’Israélites qui se sont révoltés dans le désert. Il est bien de remarquer que
l’incrédulité n’est pas seulement le fait du Nouveau Testament. Elle prend ses racines depuis
l’Ancienne Alliance avec le peuple d’Israël dans le désert.

II.4.1.3.4. Chez Jacques

Dans sa lettre aux douze tribus de la diaspora juive, l’auteur de l’épître de Jacques
écrit : Mais qu’il demande avec foi, sans éprouver le moindre doute ; car celui qui doute
ressemble à la houle marine que le vent soulève (Jq 1,6). Ici, l’écrivain biblique reconnait
l’existence du sentiment de doute en la créature humaine. Par conséquent, il prévient les siens
contre l’extériorisation de ce sentiment qu’il oppose à la foi.

II.4.1.3.5. Chez Pierre

Dans le contexte du fondement et du développement de l’Eglise primitive, l’apôtre


Pierre écrit : A vous donc, les croyants, l’honneur, vous qui croyez ; mais pour les incrédules

393
OnlineBible.org, Loc. Cit.
394
C. SPICQ, L’épître aux Hébreux, Librairie Lecoffre/J. Gabalda et Cie, 1953, p. 75.

154
« la pierre qu’ont rejetée les bâtisseurs est devenue la pierre de l’angle et aussi une pierre
d’achoppement, un roc qui fait tomber » (1Pi 2,7-8a). L’auteur rappelle aux chrétiens de la
diaspora d’Asie Mineure la récompense qui est réservée à ceux qui mettent leur foi en Jésus-
Christ et les prévient de ce qui peut advenir de l’incrédulité.

Le narrateur aurait-il constaté certaines attitudes qui friseraient l’incrédulité au sein de


la communauté des exilés judéo-chrétiens ? Tout compte fait, comme le commente J.C.
MARGOT :

L’auteur combine deux images, celle de la pierre angulaire (v. 7) et celle de


la « pierre d’achoppement (v. 8a, cf. Es 8,14). Par-là, il rappelle que de la
décision que nous prenons vis-à-vis de Jésus-Christ dépend notre sort : ou
bien « l’honneur pour ceux qui croient », l’honneur d’être édifiés sur la
pierre d’angle qu’est le Christ, l’honneur d’être incorporé par lui dans le
peuple qui le sert ; ou bien la chute, la condamnation pour les « incrédules »
(cf. Lc 2,34)395.

II.4.1.3.6. Chez Jude

Jude 5 : Je veux vous rappeler, bien que vous le sachiez tout définitivement, que le
Seigneur après avoir sauvé son peuple d’Egypte, a fait périr ensuite ceux qui se sont montrés
incrédules. Jude rappelle à ses destinataires le sort qu’avaient subi les Israélites incrédules
après la sortie d’Egypte. Toutefois, ce bref rappel sonne comme un sévère reproche à ceux qui
ne croient pas au Fils de l’homme. Ils subiront le même sort que Sodome et Gomorrhe, villes
détruites à cause de leur immoralité.

II.4.1.3.7. Dans l’Apocalypse

L’auteur de l’Apocalypse semble conclure les séquences du doute dans le Nouveau


Testament et dans la Bible toute entière : Quant aux lâches, aux infidèles, aux dépravés, aux
meurtriers, aux impudiques, aux magiciens, aux idolâtres et à tous les menteurs, leur part se
trouve dans l’étang de feu et de souffre : c’est la seconde mort (Ap 21,8).

A y regarder de plus près, cette conclusion vient sceller définitivement le sort de tous
ceux qui ne croient pas en Jésus-Christ, et dont la liste, non moins exhaustive se trouve
dresser dans ce verset 8. « La seconde mort » est le partage de ceux dont la vie entière
contredit sciemment la vérité manifestée en Jésus-Christ396.

De tout ce qui précède, il est quand même curieux d’observer que la grande majorité
des critiques fait un cuisant procès que l’on jugerait d’intention à Thomas : l’incrédule, le

395
J.C. MARGOT. Les épîtres de Pierre, Labor et Fides, Genève, 1960, pp. 38-39.
396
C. BRUTSCH, L’Apocalypse, Delachaux & Niestlé, Neuchâtel/Paris, 1957, p. 83.

155
sceptique, le douteur. Or, la Bible dans toute sa composante et particulièrement le N.T., en
partant de l’évangile selon Matthieu jusqu’à l’Apocalypse, se fait l’écho de ce sentiment qui
n’échappe à personne : le doute. Pour finir, nous retenons qu’à l’instar des autres Ecrits du
N.T., le quatrième évangile aborde ce thème d’une façon toute remarquable, en mettant d’une
part un point d’honneur sur le tandem voir et croire ou croire et voir, et d’autre part, en
concentrant toute l’attention sur le disciple Thomas. Mais au fond, que renferment les notions
de foi et de doute ?

II.4.2. LA FOI A L’EPREUVE DU DOUTE

Il s’agit dans ce paragraphe de proposer quelques théories relatives à la foi et au doute


afin de déterminer le sens réel du doute de Thomas.

II.4.2.1. La foi

Pour la Bible, la foi est la source et le centre de toute la vie religieuse. Au dessein que
Dieu réalise dans le temps, l’homme doit répondre par la foi. La foi est donc une attitude
humaine complexe et les mots qui s’y rapportent forment un vocabulaire très varié, surtout
dans l’Ancien Testament. Deux racines sont néanmoins dominantes.

D’une part, nous avons un vocable qui est de l’hébreu bêtah, indiquant la sécurité et la
confiance397 que l’on trouve en quelqu’un ou en ses paroles ; d’autre part, l’hébreu qwh
(qâvâh), au qal, désigne l’attente que les rapports humains font naître en l’homme, lorsqu’ils
engagent l’avenir. Dans la LXX, les écrivains ne disposant pas de mots appropriés pour
rendre l’hébreu ont tâtonné. A la racine batâh correspondent les termes grecs elpis, elpizo,
péitho, pépoitha.

Dans le Nouveau Testament, pistij (pistis) et pisteuw (pisteuo) désignant


respectivement « la foi et le croire en, se confier à », sont plus fréquents. L’étude du
vocabulaire révèle que la foi, selon la Bible a deux pôles : d’abord la confiance qui s’adresse à
des reproches infidèles et engage l’homme tout entier ; et ensuite une démarche de
l’intelligence à qui une parole ou des signes permettent d’accéder à des réalités qu’on ne voit
pas.

La foi, comme acte moral de la conscience et du cœur, a toujours été la marque d’un
disciple de Jésus. B. GILLIERON la définit sous trois angles : Dans l’Evangile selon Luc, « la
foi est la relation nouvelle que le ministère de Jésus a établie entre l’homme et Dieu » 398 (Lc.
397
N. Ph. SANDER, I. TRENEL, Dictionnaire Hébreu-Français, Slaktine Reprints, Genève, 1987, p. 61.
398
B. GILLIERON, Op. Cit., p. 48

156
17 :5ss ; 18 :8). Chez Jean, elle est « plus qu’ailleurs adhésion personnelle au Christ »399 (Jn.
2 :11 ; 3 :16-18). Quant à Paul, il désigne la foi comme « la condition nouvelle de ceux qu’on
appelle précisément les croyants, c’est-à-dire ceux qui sont sauvés, justifiés, réconciliés,
etc.»400 (Rm. 1 :8 ; 12 :3 ; 14 :1 ; 1Co. 2 :5).

Croire en Dieu engage donc une confiance du croyant, qui ne tolère aucune
compromission. Et la plus belle définition scripturaire que nous pouvons avoir de la foi reste
celle que nous suggère l’épître aux Hébreux : « La foi est une ferme assurance des choses
qu’on espère, une démonstration de celles qu’on ne voit pas. C’est par la foi que nous
reconnaissons que le monde a été formé par la parole de Dieu, en sorte que ce qu’on voit n’a
pas été fait de choses visibles » (Hb. 11 :1-3). Une telle foi bien comprise concourt
inévitablement au salut du croyant.

Ces diverses définitions du terme « foi » nous donne à voir que la foi peut être
comprise sous plusieurs angles ou peut revêtir diverses formes. Nous tenterons, en nous
appuyant sur des travaux déjà effectués par certains chercheurs, notamment F. ROGNON401,
de les proposer en suivant les différentes conceptions que nous avons d’elle. Il s’agit de la foi
considérée comme un saut dans l’inconnu, la foi comme une certitude, la foi comme une
croyance et la foi comme un chemin.

II.4.2.1.1. La foi comme saut dans l’inconnu

Une première conception de la foi consiste à la considérer comme un saut dans


l’inconnu. Imaginons un homme à qui un Pasteur, Prêtre ou Prophète conseille d’expérimenter
la puissance de Dieu. Cet homme se perche sur les branches d’un arbre d’une hauteur de deux
cents mètres, situé au bord d’un fleuve où logent des crocodiles et des hippopotames, de sorte
qu’il ne voit rien de ce qu’il y a au-dessous de lui. Convaincu après l’enseignement reçu de
son maître que Dieu l’attende tout en bas pour l’accueillir à bras ouvert, ou que ses anges le
transportent jusqu’à sa destination, cet homme se laisse tomber les yeux fermés. Une telle
métaphore peut-être définie comme un plongeon en Dieu, un saut dans l’absolu, dans l’infini,
dans l’incompréhensible, sans filet, sans sécurité402.

399
Idem.
400
Idem.
401
F. ROGNON, La foi au risque du doute, Séminaire CEVAA, Porto-Novo (UPAO), Décembre 2012, Inédit.
402
F. ROGNON, Loc. Cit.

157
Pour S. KIERKEGAARD403, la foi doit tourner le dos à toutes les sécurités, à
commencer par les sécurités rationnelles. En d’autres termes, elle consiste à congédier
l’intelligence, à martyriser la raison et à la crucifier. Cette hostilité de la foi envers la raison
tient à la « différence qualitative infinie » qui sépare les choses humaines des réalités divines.
Une telle foi est fondamentalement auto-appropriation, dont l’expression est une confiance
inébranlable dans les promesses de Dieu404.

La foi du patriarche Abraham, acceptant de sacrifier son fils Isaac, en est une parfaite
illustration (Gn 22,1-19). Dans ce récit, Dieu fait la promesse d’une descendance innombrable
à un homme centenaire et à une vieille femme stérile. Cette situation paraît, à première vue,
absurde. Mais l’absurde atteint son comble lorsque Dieu, ayant tenu sa promesse, demande
ensuite à Abraham d’en sacrifier le fruit, son fils unique Isaac.

Ainsi, Dieu ne compromet-il pas lui-même l’espoir d’une descendance qu’il a promise,
et qu’il a commencée à réaliser ? Ne met-il pas en péril son propre engagement ? Car, au bout
du compte, il prend par là même le risque d’anéantir son œuvre. L’intrigue recèle un véritable
défi à la raison. Mais Abraham espère contre toute espérance en l’Eternel, c’est-à-dire qu’il
croit sans comprendre, sans calculer, convaincu que rien n’est impossible à Dieu. La Bible le
présente comme le héros de la foi : celui qui croit aveuglément, sans se poser de questions.

II.4.2.1.2. La foi comme certitude

La foi n’est pas nécessairement aveugle. Elle peut aussi être éclairée, ferme et solide.
Nous pouvons admettre que cette catégorie de foi ne se présente pas comme un saut dans
l’inconnu, mais, plutôt un saut dans la certitude. Pour le philosophe MALEBRANCHE cité
par P. FOULQUIE : La certitude de la foi vient de l’autorité d’un Dieu qui parle et qui ne
peut jamais se tromper.405 L’infaillibilité de Dieu est mise ici en évidence. Elle rassure
l’homme de sa pleine confiance en Dieu.

Cette conception de la foi est également exprimée par l’auteur de l’Epître aux
Hébreux, en prélude au célèbre hymne de la foi qu’est le chapitre 11 : La foi est une
assurance des choses qu’on espère, la démonstration de celles qu’on ne voit pas (Héb. 11 : 1).
Avoir la foi, dans ce cas, c’est avoir le désir ardent d’appartenir au Tout-Puissant, car il assure
la sécurité et donne une pleine confiance à l’homme. Une telle foi est inébranlable et peut
403
S. KIERKEGAARD (1813-1855), Philosophe religieux danois dont les réflexions sur l’existence et la
responsabilité individuelles exercèrent une influence profonde sur la théologie et la philosophie modernes et en
particulier sur l’existentialisme.
404
COLLECTIF, Encyclopédie du protestantisme, Cerf/Labor et Fides, Paris/Genève, 1995, p. 596.
405
MALEBRANCHE, In Dictionnaire de la langue philosophique, Presses Universitaires de France, Paris, 1962,
p. 282.

158
contenir les plus aveuglantes oppositions de l’expérience. La fermeté de cette foi tient à la
force du désir de croire. En dépit de cette assurance en un Dieu vrai, la certitude demeure un
simple sentiment ; ce n'est pas elle qui sauve le croyant.

II.4.2.1.3. La foi comme croyance

La foi peut être envisagée non plus comme certitude mais croyance. Elle est plus
présente chez les théologiens catholiques. Ces derniers définissent la foi comme une croyance,
c’est-à-dire qu’en tant que vertu théologale, la foi est une adhésion à la doctrine révélée (acte
de foi) ou cette doctrine elle-même (les confesseurs de la foi). Pour ces théologiens, la
confiance relève plutôt de l’espérance que de la foi. C’est donc à juste titre que H.
DELACROIX cité par FOULQUIE affirme que :

La foi ainsi entendue (celle des catholiques) est donc l’acte de l’intelligence
par lequel le sujet tient pour vrai tout ce que Dieu a révélé, parce qu’il l’a
révélé, et qu’il ne peut ni se tromper ni tromper. L’objet de la foi, c’est donc
ce que Dieu a révélé ; le motif de la foi, c’est la véracité de Dieu qui révèle.
La démonstration du fait de la révélation n’est pas le motif de la foi ; elle
rend simplement croyables les vérités révélées 406

Le croyant, dans un tel cas, n’est pas sûr et certain, mais il a suffisamment de
conviction pour penser que ce qu’il croit, est vrai. Le croyant qui identifie sa foi à une
croyance pourrait rejoindre de fait l’agnostique407.

S’il est un personnage biblique qui a fait l’expérience de la foi comme croyance, c’est
bien Thomas, le disciple de Jésus-Christ. Avec lui, il ne s’agit plus de la foi comme savoir ni
comme saut dans l’inconnu, mais bien de la foi comme conviction qui dépasse
l’entendement : une foi qui s’appuie sur l’expérience sensible pour la transcender, pour aller
au-delà.

Le personnage, que met en scène l’Evangile selon Jean, ne voulait croire que ce qu’il
voyait : « Si je ne vois pas dans ses mains la marque des clous, si je ne jette pas mon doigt
dans la marque des clous et si je ne jette pas ma main dans son côté, je ne croirai pas » (Jn.
20 : 25). Cette foi par les sens prend de plus en plus d’ampleur dans nos communautés
chrétiennes. Et pourtant elle a été réprimandée par le chef de la foi lui-même, notre Seigneur
et Sauveur Jésus le Christ. Pour ce faire, nous envisageons la foi comme un chemin.

H. DELACROIX, Ibid, p. 282.


406

Quelqu’un qui professe que tout ce qui est au-delà du donné expérimental, c’est-à-dire tout ce qui est
407

métaphysique, est inconnaissable.

159
II.4.2.1.4. La foi comme chemin ou cheminement

Concevoir la foi comme un chemin, c’est déterminer une linéarité de la foi. Mais ce
chemin n’est pas sans discontinuité. Il se présente plutôt comme les dents d’une scie à métaux
qui contient des hauts et des bas. En effet, la foi n’échappe nullement aux mutations des
sociétés humaines. Elle est, également, influencée par les divers bouleversements des aléas de
la temporalité : croissance, décroissance, succès et épreuves de toutes sortes. Nous
comprenons aisément que :

L’image du chemin est à la fois assez vague et suffisamment précise pour


intégrer tous ces paramètres, puisque les chemins peuvent être des sentiers
de montagne, des routes sinueuses, des chemins de bûcherons qui mènent
nulle part ou des routes nationales toutes droites, ou des autoroutes. En
réalité, la foi comme chemin évoque plutôt un itinéraire qui, selon les
différentes phases de la vie, adopte tantôt telle modalité et tantôt telle
autre408.

Mais également, la foi comme un chemin nous renvoie à un fait historique qui
caractérise l’Eglise primitive. Nous savons qu’aux temps de l’Eglise primitive, les premiers
chrétiens, avant de s’appeler précisément chrétiens, ont été appelés puis se sont eux-mêmes
appelés odoj (odos), c’est-à-dire la Voie ou le Chemin (Ac 19,9.23 ; 24,14). Etant devenus
eux-mêmes ceux de la voie, les premiers chrétiens ont marché sur la voie du Seigneur, avec
tout ce que cela comportait comme mépris, calomnies, hésitation, confiance et autres.

Les caractéristiques de cette dernière conception de la foi nous poussent à avoir une
présentation de la foi comme un cheminement, c’est-à-dire un dynamisme. C’est dans cette
logique que nous pourrions au mieux assurer une correspondance entre la foi et le doute, dans
un rapport dialectique plus fidèle à l’expérience vécue du croyant.

II.4.2.2. Le doute

Le mot « doute » dérive du latin dubitare (douter), qui semble être formé lui-même à
partir de la racine « du » de « duo » (deux). Dans sa définition classique, le doute désigne un
état de l’intelligence en face d’une vérité ou d’un fait qui manquent de clarté 409. Une étude
historique et religieuse révèle que la théologie dogmatique s’est intéressée aux différentes
théories du doute pour en tirer une conclusion : Soit qu’on fasse du doute un « état de la
raison qui, suivant les uns, nécessite la foi et, suivant les autres, la compromet ; soit qu’on le

408
F. ROGNON, Loc. Cit.
409
A. VACANT, et al. Dictionnaire de Théologie catholique, Letouzey et Anne, Paris, 1905, p. 1811.

160
prenne comme « méthode » d’investigation théologique 410. Les premiers chercheurs à
s’intéresser à cette réflexion sont PIE de Mirandole, DENZINGER-BANNWART et C.
AGRIPPA de Nettesheim qui auraient fait du doute l’antichambre de la foi.

La théologie dogmatique ne contredirait pas à notre avis la conception philosophique


du doute. Car au bout du compte, le doute impose un choix aussi bien dans le domaine
philosophique que religieux. Cette idée sera mieux développée dans les différentes théories du
doute. Une belle illustration est celle d’A. WESTPHAL, pour qui :

Le mot « doute » indique une dualité dans la pensée, qui se trouve sollicitée,
tiraillée dans deux directions contraires sans pouvoir se décider pour l’une
ou pour l’autre. Dans ce sens, qui n’a rien de nécessairement religieux ou
moral, il est simplement synonyme d’incertitude, de perplexité, d’hésitation.
Dans d’autres cas, et le plus souvent dans l’Ecriture Sainte, le terme a une
signification nettement spirituelle. Il évoque, parfois dans la pensée de
l’auteur sacré l’image d’une épave ballotée par la houle (Jq 1,6 à
rapprocher Eph 4,14) ou encore le va-et-vient d’un éventail (Jq 1,6) 411.

Celui qui doute est donc partagé entre les deux membres d’une alternative. Mais, dans
sa conception classique, le doute a une puissance, car il est inhérent à notre nature humaine.
D’abord, parce que notre raison a souvent du mal à comprendre.

Ensuite, le sens de la vie et l’existence de Dieu sont des phénomènes qui ne se


découvrent pas facilement. Et puis, il y a la peur ; c’est l’ennemi de la confiance. Elle paralyse
et empêche l’homme d’avancer. Enfin, il y a le mal ! Lorsque le malheur vous tombe dessus
ou sur ceux que vous aimez, tout s’écroule. Les meilleurs raisonnements et les plus grands
sentiments ne font plus le poids lorsque l’homme a très mal. Le doute est donc cette raison qui
pousse l’humain à l’affection et à la prise de conscience. C’est dans cet esprit qu’il nous faut
comprendre cette pensée de J. PUCELLE qui affirme :

Quant au doute, il peut se comprendre comme un dialogue intériorisé.


Questions et réponses s’échangent dans un for intérieur, le sujet se
dédoublant en deux interlocuteurs qui, tour à tour, demandent et répondent.
Expérience qui, sous son apparence banale, renferme un mystère ; car, enfin,
lequel des deux interlocuteurs est nous-mêmes ? 412

A partir de ces définitions, nous distinguons quatre formes de doutes : le doute


sceptique, le doute méthodique, le doute existentiel et le doute raisonnable.

410
Idem.
411
A. WESTPHAL. Dictionnaire Encyclopédique de la Bible : Les choses, les hommes, les faits, les doctrines , «
Je sers », Paris, 1932, p. 307, Tome 1.
412
J. PUCELLE, Op. Cit., p. 176.

161
II.4.2.2.1. Le doute sceptique

Le doute dit sceptique est un doute implacable, intraitable : rien ne doit lui échapper.
Le verbe grec skeptomai (skêptomaï), qui est à l’origine du déterminant français « sceptique
», selon le Dictionnaire Grec-Français BAILLY signifie : regarder attentivement, considérer,
observer, examiner.413 Selon l’attitude sceptique, la moindre affirmation doit être soumise au
doute. C’est le cas de l’individu qui ne se laisse rien conter ou qui ne fait de crédit de rien à
personne au cours d’un entretien, par exemple.

Le premier douteur sceptique, PYRRHON D’ELEE 414, soutenait que l’on ne peut
connaître aucune vérité. Rien ne peut être affirmé, disait-il, car tout est une question
d’interprétation, de perspective, de point de vue. Le sceptique s’établit dans son doute comme
dans un état définitif.

De nos jours, le scepticisme tend à se répandre non pas comme une position réfléchie,
mais plutôt sous la forme d'une attitude pratique. Beaucoup de nos contemporains sont atteints
par cette véritable maladie spirituelle que constitue l'indifférence aux grands problèmes, le
refus de se soucier du sens de la vie et du monde. Ce scepticisme-là est contre la foi. A cette
démarche sceptique, R. DESCARTES oppose une autre démarche dite méthodique.

II.4.2.2.2. Le doute méthodique

Le doute méthodique proposé par R. DESCARTES, est une démarche rationnelle qui
vise à vérifier le bien-fondé de toute certitude. Ce doute est dit méthodique parce qu'il est un
moyen pour atteindre ou pour approcher la vérité. Selon R. DESCARTES, ce doute permet de
se débarrasser de tous les préjugés et de toutes les faussetés pour ne posséder que le vrai.
C’est pourquoi, affirme-t-il que :

Mais, parce qu’alors je désirais vaquer seulement à la recherche de la vérité,


je pensai qu’il fallait que je fisse tout le contraire, et que je rejetasse, comme
absolument faux, tout ce en quoi je pourrais imaginer le moindre doute, afin
de voir s’il ne resterait point, après cela, quelque chose en ma créance, qui
fut entièrement indubitable 415.

A la différence donc du doute sceptique, qui consiste à douter pour douter, le doute
méthodique, est un doute provisoire, qui est amené à s’effacer sitôt l’examen achevé. Son
objectif est de dégager une vérité incontestable, une vérité dont nous ne pourrions douter. Le
413
A. BAILLY, Op. Cit., p. 1757.
414
Philosophe grec (360-272 av. J-C), fondateur de l’Ecole sceptique vers 322 av. J-C.
415
R. DESCARTES, Discours de la méthode, Garnier-Flammarion, Paris, 1966, p. 59.

162
doute méthodique permet d’éliminer le doute. R. DESCARTES commence par se défaire de
toutes les opinions qu’il avait reçues de son éducation, de ses prédécesseurs, de tout ce qu’il
avait avalisé sans vérification. C’est ainsi qu’il tiendra pour fausses toutes les pensées
incertaines ou même simplement vraisemblables. Il en va ainsi de l’existence de Dieu,
argument d’autorité qu’il avait reçu de la tradition.

Ce doute intellectuel qui examine et critique semble être nécessaire pour une foi
intelligente et réfléchie, qui doit amener le chrétien à aimer Dieu non seulement de tout son
cœur et de toute son âme, mais aussi de toute sa pensée. Il nous empêche de verser dans une
crédulité aveugle et fanatique. Il se refuse à laisser la moindre place au mystère, à l’irrationnel
et à l’incompréhensible. Cependant, comme l’atteste P. J.-P. SAGADOU, le doute
méthodique reste :

Ce doute systématique qui consiste à tout faire passer aux cribles de la


rationalité critique sous quatre étapes : l’évidence, l’analyse, la synthèse et
le dénombrement ou l’énumération. En matière de foi, c’est une démarche
qui cherche à prouver la foi par la logique et la démarche rationnelle. Mais
on se rend bien compte que la foi n’est pas la conclusion d’une logique
méthodique bien menée jusqu’au bout et dans laquelle le doute méthodique
serait obligatoire. Elle est d’une autre logique. Nous ne doutons pas
toujours de la même façon, ni pour les mêmes raisons, ni pour les
mêmes fins416.

II.4.2.2.3. Le doute existentiel 417

A la différence des deux doutes précédents, A. GOUNELLE présente le doute


existentiel comme un sentiment qui n’est ni recherché ni provoqué ni cultivé. Dans le
développement de sa théorie, il commence par montrer que ce doute dit existentiel est un
sentiment qui vient, par la force des choses, par les aléas de la vie, par la confrontation à la
mort, et personne n’y échappe.

Nous pouvons, dans certains cas, concevoir que, s’il s’agit d’un doute qui n’est pas
acquis au forceps, il serait donné à l’homme par grâce, comme un équipement sérieux pour
nourrir sa foi. C’est pourquoi il vaut mieux ne pas le nier, non seulement par simple souci de
réalisme et d’honnêteté, mais aussi pour le regarder en face, afin d’en bénéficier en le
surmontant418.

416
P. J.-P. SAGADOU, Est-ce mal de douter ?, in http://croire.la-croix.com/Definitions/Lexique/Foi/Est-cemal-
de-douter, consulté le 21 mars 2018 à 15 heures 12.
417
Nous reproduisons dans cette section les réflexions sur le « doute existentiel » menées par A. GOUNELLE,
qui s’est appuyé lui-même sur l’œuvre du théologien P. TILLICH.
418
A. GOUNELLE, Loc. Cit.

163
En tant que sentiment intrinsèque de l’homme, le doute existentiel constitue une
angoisse réelle qui saisit l’homme avec force, et qui ébranle les fondements de sa vie de foi,
de ses choix et de ses valeurs. Il surgit lorsque le sol semble se dérober sous les pieds humains
ou lorsque l’homme perd la trace de ses sentiers dans la forêt. P. TILLICH 419, selon F.
ROGNON, a raconté avoir traversé,

Durant ses études à la Faculté, une période d'angoisse très forte, parce que
l'exégèse historico-critique avait détruit en lui sa confiance dans le Nouveau
Testament et l'avait même conduit à se demander si Jésus avait bien existé. Il
en avait parlé à l'un de ses professeurs qui lui avait signifié que si le
problème le tourmentait tellement, cela voulait dire qu'il avait une
importance fondamentale pour lui et qu’il était dans la foi. Le professeur
aurait ajouté que quand on affirme le salut par la foi, cela signifie aussi par
le doute qui l'accompagne420.

La foi ne peut se comprendre en dehors du doute qui l’accompagne. Le Nouveau


Testament présente cette angoisse existentielle qui a ébranlé la foi de P. TILLICH sous divers
aspects, mais nous en retenons deux à titre d’exemples pour étayer nos hypothèses. Dans le
premier exemple, on voit les disciples de Jésus qui sont saisis par le doute existentiel quand la
tempête menace d'engloutir leur barque (Mc 4 ,35-41).

Malgré la présence de Jésus dans la barque, la panique et la peur les étreignent. Dans
le second exemple, cette angoisse existentielle s'empare des amis de Jésus quand, le vendredi
de la passion de leur Maître, leur cause semble définitivement perdue (Lc 22).

Ainsi, dans le domaine de la foi, lorsque les forteresses que le chrétien a bâties
semblent s’écrouler, ce dernier doit faire un pas en arrière, reconsidérer ses derniers pas afin
d’apprécier ses marches quotidiennes. Pour ce faire, le croyant est également conseillé et
amené à se réorienter, et éventuellement à appeler au secours. Sur le plan existentiel, c’est
l’occasion de retourner à une plus grande fidélité à soi-même, sans pour autant ne compter
que sur soi-même, mais en criant à Dieu qui appelle le croyant et l’aide à demeurer davantage
fidèle à lui-même421.

II.4.2.2.4. Le doute raisonnable

Le doute raisonnable est à mi-chemin entre le doute méthodique et le doute existentiel.


Il doit être compris comme faisant partie intégrante de l’homme. Par doute raisonnable, il faut
entendre ce doute qui éprouve et qui invite au discernement, à l’esprit critique. C’est aussi un
419
Philosophe et théologien américain d’origine allemande (1886-1965), auteur de l’ouvrage « Théologie
systématique » rédigé en trois volumes.
420
F. ROGNON, Loc. Cit.
421
A. GOUNELLE, Loc. Cit.

164
doute qui permet de purifier et de discerner parmi les croyances celles qui relèvent
véritablement de la foi.

Au fond, le rôle de ce doute laxatif intervient pour trier parmi ce à quoi le croyant
accorde du crédit, et dégager la foi de la croyance : c’est la mise à l’épreuve de tout ce à quoi
il croit, afin de ne conserver que ce qui est le fruit de la révélation divine.

La vie chrétienne est linéaire, elle n’est pas statique. C’est pourquoi, revisiter sa foi
s’avère nécessaire et urgente pour le chrétien africain chaque jour. C’est également dans ce
sens que nous pouvons comprendre cette assertion de P. J.-P. SAGADOU qui conseille que :

Le chrétien est amené à tracer son chemin, à discerner, à trier. Saint Paul le
dit, « Vérifiez tout, ce qui est bon, retenez-le » (1Th 5, 21). Le doute aide au
discernement de la foi. Il permet de purifier la foi. Pierre Chrysologue, un
théologien du VI° siècle, écrit dans son Sermon 79 : « Il doute profondément,
celui dont la foi est plus profonde. Il ne peut pas être trompé, celui qui n’est
pas enclin à accepter des ouï-dire. Adam, sans expérience, est tombé
rapidement en croyant rapidement ». Il n’y a donc pas de foi sans
discernement, sans questionnement, sans doute422.

Le doute peut être suscité par la suspicion, la méfiance, l’incompréhension ou la


simple prudence. Lorsque le Nouveau Testament parle de doute, il y a parfois une mise en
opposition radicale avec la foi ; parfois, cette opposition se trouve diluée pour donner le sens
d’un avertissement ou d’une exhortation. Mais également, il ressort que le doute ait une
signification méliorative et exige le discernement, l’hésitation et la séparation.

Dans le cas d’espèce, il est utile de signaler que toutes les fois que nous parlerons de
doute dans cette étude, nous nous référerons au doute raisonnable qui devra donc être compris
comme un doute qui ne concerne pas la révélation, et ne met en question ni l’amour de Dieu,
ni la présence de Jésus-Christ aux côtés des hommes. Mais ce doute s’applique directement au
croyant lui-même, à sa vie et ses convictions, et peut l’amener à comprendre sa foi.

II.4.2.3. Foi et doute en dialogue

Aujourd’hui, comme hier, nous constatons que dans les milieux chrétiens, il y a une
forte tendance des hommes à opposer le plus souvent le doute et la foi, et à les estimer
incompatibles et inconciliables. Dans nos investigations, nous nous sommes heurté au refus
catégorique de nombreux chrétiens d’aborder la question du doute dans leur vie de foi.

422
P. J.-P. SAGADOU, Loc. Cit.

165
Malgré les différentes explications données, afin de leur faire comprendre le bien
fondé de notre étude, nos attentes sont restées vaines. La plupart des chrétiens qui se sont
prêtés à nos questions, sont composés des guides spirituels de toutes confessions religieuses
confondues, des enseignants, des magistrats et quelques fidèles laïcs possédant une certaine
maturité intellectuelle. Nous avons procédé à une enquête qualitative basée sur l’interview
(individuelle ou collective).

En effet, parmi les multiples émotions d’aversion, le doute est celui qui touche au
quotidien le règne animal, notamment l’humain, quelles que soient son origine, sa race, sa
culture, sa religion, sa formation, sa richesse, sa pauvreté. Qui donc serait si bien en paix avec
Dieu, avec le prochain et avec lui-même qui ne puisse douter ? Le chrétien n’est pas à l’abri
de ce sentiment qui peut se traduire par la peur de sa vie, du monde et de la mort, et qui est en
son essence tout cela à la fois. En réalité, ce ne sont pas les incroyants, mais les croyants qui
doutent, à l’image de Thomas, disciple de Jésus.

Les raisons de douter sont nombreuses et différentes. Elle peut être une situation
dangereuse, une épreuve qui se prolonge, une maladie dont on ne guérit pas, la mort
prématurée d'un proche ou d'un chrétien, une prière non exaucée. Dans nos sociétés actuelles,
l’influence de nouvelles formes de spiritualités, le tribalisme, la pauvreté grandissante des
couches paysannes, le matérialisme, la violence à tous égards, l’instabilité politique,
économique et religieuse, la corruption, la prostitution et bien d’autres maux sont propices
au doute.

Mais aussi, le semeur de doute par excellence, c’est-à-dire le diable, utilise toutes
sortes de personnes et de moyens pour détruire notre confiance en Dieu. Il sait que la moindre
insinuation est suffisante pour faire naitre un commencement d'incertitude. Ses collaborateurs
sont plus proches de nous, au sein même des institutions chrétiennes.

C’est pourquoi, plus nous avançons dans la vie et plus il nous semble que l’être
humain a besoin de croire, pour exister, pour avancer, pour créer. En même temps, il a aussi
besoin de se poser des questions pour évoluer. Ces questions, qui jadis troublaient l’esprit des
hommes, sont celles auxquelles les chrétiens, de nos jours, sont exposés. Tous, autant que
nous sommes, hommes, femmes, croyants ou non croyants, enfants, adultes, vieillards,
pauvres, riches, analphabètes, intellectuels, blancs, noirs,

Nous avons besoin de comprendre, c’est-à-dire de rassembler en un tout


intelligible l’ensemble de notre vie. Nous avons besoin de cohérence entre ce
que nous croyons et ce que nous vivons. Cette cohérence n’est pas immédiate
: nous croyons à la vie éternelle et nous allons mourir, nous croyons que

166
Dieu nous a sauvés et nous souffrons, etc. Aux questions plus ou moins
douloureuses que nous nous posons, les croyants qui nous ont précédés, à
commencer par ceux de la Bible, ont apporté des réponses. Mais il arrive que
nous ayons l’impression que ces réponses ne cadrent pas avec ce que nous
vivons.423

C. BATY touche à la réalité des faits tels qu’ils se présentent sous nos yeux, dans
notre vie de foi. Ne disons-nous pas que les temps ont changé, les hommes ont aussi changé et
les mentalités avec ? Ce questionnement se traduit par le fait que le chrétien africain moderne
semble, de manière générale, ne plus avoir besoin de cette image ancienne de Dieu pour
entendre l’appel à l’obéissance en lui. Pour lui, la foi n’est plus fondée sur des principes
hérités qui avaient tendance à négliger à la fois sa condition humaine et ses propres ressources
qui la transcendent.

Le chrétien nouveau, c’est-à-dire celui du 21ème siècle, veut maintenant ressentir les
choses, dans son cœur, dans ses entrailles. Il veut voir, sentir et toucher les bienfaits de Dieu
dans sa vie, même si parfois il lui arrive de s’égarer et de ne plus vouloir comprendre ces
choses que dans sa tête. Le chrétien africain est à l’écoute d’un son nouveau. Il souhaite
trouver une réponse aux questions vitales tout de suite424.

Ainsi, il se laisse emporter dans des aventures dont il ne maîtrise ni les contours ni la
finalité. Alors, que faire et comment faire ? Resterions-nous cette nation au visage farouche,
et qui n’aura ni respect pour le vieillard ni pitié pour l’enfant ? 425 Le fait de penser à une telle
conception de la vie peut être culpabilisant pour le chrétien.

II.4.2.4. Doute raisonnable : une nécessité pour la compréhension de la foi

L’importance du doute raisonnable peut se trouver à ce point crucial de la vie du


chrétien. Le doute raisonnable n'est pas la négation de Dieu. Il est plutôt une interrogation. Il
suscite le discernement en chaque individu. Quant à la foi, elle ne doit pas être une certitude,
c’est-à-dire une évidence sensible indiscutable ou une connaissance rationnelle universelle,
comme l’exprime M. A. BLOOM :

Ce qui est essentiel, c’est le fait que les choses de la foi, quoiqu’invisibles,
n’en sont pas moins certaines, d’une certitude entière, plus entière peut-être
que celle que nous recevons par les sens ; car les sens peuvent se tromper
tandis que le témoignage de l’expérience totale que nous avons de Dieu et
des choses de Dieu ne trompe pas. Mais, il faut dès l’abord se rendre compte

423
C. BATY, La foi à l’épreuve de la réalité, Extrait de l’exposé donné au Centre Evangélique d’Information et
d’Action, Lognes, 16 novembre 1993, In HOKHMA, Revue de réflexion théologique, n°56, 1994, p. 33.
424
Infra, p. 6.
425
Dt 28,50.

167
que cette certitude n’est pas simplement un héritage ; la considérer ainsi est
peut-être le malheur des pays de chrétienté où la majorité des croyants
détiennent une foi sans la posséder, une foi qui leur a été transmise de
génération en génération, reçue sans critique, sans opposition, mais aussi
sans héritage semblable aux héritages matériels. Dans ce cas nous donnons à
notre foi la qualité d’une certitude, alors que cette certitude ne nous
appartient pas en propre426.

La foi peut être une conviction individuelle et subjective. Elle s'apparente chez
certains croyants à une opinion molle ou un héritage non critiqué. Chez d'autres, elle se
caractérise par une intime conviction plus ou moins forte. Mais, dans tous les cas, elle ne peut
être une certitude sensible ou rationnelle : nul n'aura jamais une preuve certaine de l'existence
de Dieu. Croire n'est pas savoir. Croyants et non-croyants auront toujours d'excellents
arguments pour expliquer que Dieu existe ou n'existe pas : aucun ne prouvera jamais quoi que
ce soit.

Pour certains chrétiens, le fait de penser aux questions autour de l’évolution et du


christianisme est un déclencheur de sentiments de doute. Pour d’autres, les choses sont très
différentes. Mais le point est le même. Lorsque quelque chose auquel on ne s’attend pas fait
irruption dans notre vie, et n’est pas spécialement le bienvenu, il est tout à fait clair que la
panique s’empare de nous. De même, le doute s’installe dans notre esprit. Nous sommes par
conséquent tellement assaillis que nous ne savons pas comment faire un pas de plus.

En fait, être un chrétien ne signifie pas être sûr de tout, tout le temps. Ce n’est pas
aussi obtenir ce que l’on veut à tout prix que cela se fasse par la prière ou non.
Malheureusement, le chrétien africain ne l’entend pas de cette façon. Et pourtant, lorsque
Dieu paraît le plus absent, et qu’il semble ne plus être dans ce monde, c’est dès cet instant
qu’il parle alors aux hommes de la façon la plus claire. Les chrétiens africains doivent alors
réaliser que la foi n’est pas une forteresse mais un cheminement. Ce cheminement implique
un questionnement sur sa relation avec le Ressuscité à l’image de Thomas. C’est dans cet
ordre d’idées qu’il faut comprendre P. J-P. SAGADOU lorsqu’il déclare que :

Il y a eu des époques dans l’Eglise où on ne pouvait rien questionner, rien


toucher : la foi apparaissait comme un bloc opaque et toute interrogation
comme un sacrilège. Mais une telle conduite comporte aujourd’hui beaucoup
d’inconvénients, car elle interdit le rapport à l’histoire et se bloque sur des
détails.427

426
M. A. BLOOM, Loc. Cit., pp. 13-14.
427
P. J-P. SAGADOU, Loc. Cit, p. 4.

168
Il ressort très clairement de cette pensée de que vouloir supprimer le doute revient à
oublier ou à nier sa propre finitude, à tomber dans cet orgueil qui fait désirer devenir comme
des dieux et posséder le savoir total. Le refuser, l'éliminer totalement consiste à absolutiser le
fini et tomber dans l'idolâtrie et le fanatisme. Mais, le poser comme un principe pourrait être
une chance pour le chrétien africain d’aujourd’hui. C’est pourquoi, il ajoute que :

Le doute est inévitable et la liberté de questionner est en quelque sorte


quelque chose de fondamental pour celui qui s’engage sur une voie
spirituelle. L’Evangile montre beaucoup de gens, dont les apôtres, qui savent
que leur foi n’est pas à la hauteur….Ils viennent vers le Christ avec leurs
fragilités, leurs blessures, leurs insuffisances. Le Christ ne leur enlève pas ces
limites qui relèvent du domaine de la condition humaine et non pas du
domaine du péché. Le doute marche avec la foi, car il n’y a pas de confiance
sans distance.428

Il pose ainsi donc le doute est une composante importante et normale de la vie
chrétienne.

II.4.3. COMPRENDRE LE DOUTE DE THOMAS

Les traductions de certaines versions429 bibliques du passage de Jean 20 et les


interprétations qui suivent, décrivent l’apôtre Thomas comme un disciple aux prises avec son
Maître. Parce que tout naturellement, il a voulu voir la réalité de la résurrection de son Maître
Jésus comme les autres disciples.

II.4.3.1. Didyme : pseudonyme à problème

Il est tout à fait clair que Thomas, disciple de Jésus, est l’un des personnages les plus
redoutés dans l’histoire de la Bible et du christianisme. Un pseudonyme lui colle à la peau :
Thomas l’incrédule ! Dans nos communautés religieuses, par exemple, l’avenir du ministère
de tout prédicateur dépend du contenu de son message ou de son attitude face au récit de
Thomas.

Le pseudonyme de Thomas, Didyme (grec didumoj), c’est-à-dire Jumeau, a souvent


été l’objet de polémique, en ce qui concerne sa traduction. Quelques versions ont tout de suite
pensé bien le faire en traduisant didumos par dipsukhos430. Cette interprétation semble
rejoindre celle de certains exégètes qui ont vu dans le nom de Jumeau une allusion à ce que

428
P. J-P. SAGADOU, Loc, Cit., pp. 4-6.
429
Nous avons par exemple : « cesse d’être incrédule » dans TOB, « ne sois plus incrédule » dans La Bible de
Jérusalem, « ne sois pas incrédule » dans LSG et Darby, « cesse de douter » dans BFC, « arrête de douter » dans
PDV.
430
Mot grec qui signifie « plié en deux », « double ». Certains auteurs ont traduit dipsukhos par « âme double ».

169
Thomas portait deux hommes en lui, un croyant et un incrédule, un Jacob et un Esaü ! 431. Il
personnifierait, pour ainsi dire, l’incompréhension et le doute dans l’évangile selon Jean.

Mais, cette allégation ne semble pas être tout à fait justifiée, comme le soutient
également F. VOUGA pour qui : Ce qui est paradoxal, c’est que Thomas signifie aussi «
jumeau » en araméen, de sorte que Thomas et Didyme, comme Pierre et Céphas, ne sont que
deux formes linguistiques différentes du même surnom.432

Une considération d’ordre plus historique est le grand nombre de porteurs du nom ou
du surnom de Didyme dans l’Egypte hellénisée, à partir du IIIe siècle avant Jésus-Christ. Ces
personnages nommés « Didyme » étaient des officiants ou non des cultes de dieux jumeaux
comme les Dioscures433. Mais ces derniers ne semblent pas être divisés en deux, ce d’autant
plus que, selon nos recherches, ils assuraient pleinement leurs fonctions et étaient très
appréciés dans le cercle des principaux officiants du culte aux Dioscures.

Dans l’apparat critique de la 27e édition de Nestlé-Aland, la version syriaque


sinaïtique propose comme leçon Thomas en remplacement de Judas (Jn 14,22). S’agirait-il
d’une interpolation ? Thomas et Didyme sont-ils tous deux des surnoms ? Dans tous les cas,

Thomas qu’on appelle Didyme se présente comme un homme entier avec toutes ses
facultés et fait partie de ceux que Jésus a choisis pour le suivre. Rien dans les faits et gestes ne
saurait justifier un tel portrait de Thomas, apôtre résolu et courageux.

II.4.3.2. L’absence de Thomas

Nous essayerons de comprendre dans ce paragraphe ce qui a bien pu se passer dans la


tête de Thomas pour qu’il puisse refuser le témoignage des autres disciples. Et pourquoi ne
pas envisager la responsabilité de ses compagnons ?

En effet, tout commence le soir de ce même jour où, par crainte des Juifs, les disciples
se sont enfermés dans une maison à Jérusalem. Le verbe grec κλείω qui veut dire « fermer,
mettre la barre à une porte, claveter, caler, fixer au moyen d’une clavette, clore, enfermer,

431
F. GODET, Op. Cit., p. 130.
432
F. VOUGA, Op. Cit., p.75.
433
Dioscure est le nom donné aux deux héros mythologiques, Castor et Pollux, fils de Jupiter et de Léda,
jumeaux inséparables, types de l’autorité fraternelle. Ils prirent part à l’expédition des Argonautes et devinrent
les dieux tutélaires des marins. Le bateau qui transporta l’apôtre Paul de Malte à Rome était placé sous leur
protection, comme le prouve le fait que la proue portait leurs images (Ac 28,11) ; les papyrus trouvés en Egypte
ont confirmé l’importance du culte des Dioscures, par une longue correspondance où deux jumeaux
fonctionnaires de ce culte au Sérapéum de Memphis exposent leurs doléances (IIe s.). cf A. WESTPHAL.
Dictionnaire encyclopédique de la Bible, les choses, les hommes, les faits, les doctrines , Imprimeries Réunies,
Valence-sur-Rhône, 1932-1935 ? p. 300, Tome I.

170
verrouiller » traduit bien l’état des disciples. Les circonstances de la mort de leur Maître
exigeaient beaucoup de prudence et de précautions. Dans ces conditions, comment pourrions-
nous justifier l’absence de Thomas, seulement deux jours après les événements douloureux de
Golgotha ?

Au juste, que s’est-il réellement passé ce jour exceptionnel déjà prédit par Jésus lui-
même : Encore un peu et vous ne m’aurez plus sous les yeux, et puis encore un peu et vous me
verrez… En vérité, en vérité, je vous le dis, vous allez gémir et vous lamentez tandis que le
monde se réjouira ; vous serez affligés mais votre affliction tournera en joie (Jn 16,16-20),
pour que Thomas soit ek (hors de, en dehors) de ses compagnons de tous les jours ? Serait-il
allé préparer la barque et les filets pour la pêche ? Ou encore serait-il allé chercher des
provisions pour le groupe ?

A toutes ces interrogations, les textes bibliques demeurent muets. Néanmoins, nous
penchons pour la deuxième hypothèse qui nous paraît vraisemblable. D’une part, tout porte à
croire que Thomas a été envoyé en mission par les autres disciples à cause de son audace qu’il
a démontrée lorsque Jésus devait monter à Jérusalem (Jn 11,16). Si tel est le cas, les dix
disciples seraient donc responsables de ce qui serait arrivé à Thomas, d’autant plus qu’ils
avaient été prévenus par Marie de Magdala, revenue du sépulcre le matin de ce même jour :
J’ai vu le Seigneur, et voilà ce qu’il m’a dit (Jn 20,18).

D’autre part, Thomas se serait proposé, au nom de sa fougue, à aller chercher la


nourriture tout en sachant qu’il affronterait les adversaires de Jésus. Dans ce cas, il aurait
choisi délibérément de rater l’occasion marquante de ce grand jour et porterait tout seul cette
responsabilité. Malheureusement, c’est ce point de vue que soutiennent la plupart des
commentaires sur ce passage. Le revirement de situation se comprend, alors, par le fait que
Thomas se désolidarise du groupe en refusant le témoignage de ses compagnons.

Thomas est identifié comme « le jumeau ». Sa double identité est


immédiatement spécifiée: positivement, il est « l’un des Douze », compagnon
du Jésus prépascal et participant aux signes prépascals; négativement, il
n’était « pas avec » les disciples réunis la nuit de Pâques où Jésus est apparu
— il est donc un de ceux qui connaîtront la résurrection non par une
expérience pascale, mais par le témoignage de l’Église : « nous avons vu le
Seigneur».434

434
S. SCHNEIDERS, Loc. Cit., p. 179.

171
II.4.3.3. Le dialogue avec les autres disciples

Le doute est un combat entre le désir de croire et la difficulté à croire. C’est donc ce
désir qui aurait animé Thomas lorsque les autres lui rendent compte de l’apparition de Jésus.
Le message semble être trop simpliste et même trop facile pour être cru : Nous avons vu le
Seigneur ! (Jn 20,25). Comment est-ce possible après ces événements atroces vécus à
Golgotha ? Où l’ont-ils vu ? D’où leur provient cette déclaration ?

Toutes ces interrogations foisonneraient dans l’esprit de Thomas. Le témoignage de


ses amis, tous craintifs et rassemblés dans une maison aux portes verrouillées, pouvait-il être
authentique ? Pour sa part, F. GODET pense que :

L’impression produite sur lui par la mort de son Maître dut être celle du
découragement le plus profond : « Je le lui avais bien dit » ; voilà ce qui se
répétait sans doute à lui-même. Son absence en ce premier jour pouvait
n’être pas sans rapport avec ce sentiment amer. C’est ce que confirme la
manière dont il accueille le témoignage de ses frères. Il y a de la ténacité
même dans la forme de son discours et surtout dans la répétition des mêmes
termes435.

En clair, ce sont les événements de la crucifixion et de son absence lors de l’apparition


première du Ressuscité qui ont jeté le trouble dans l’esprit de Thomas. Le doute de Thomas
est donc un doute raisonnable qui peut surprendre tout homme en présence d’un évènement
qui dépasse son entendement. La question nous reste posée aujourd’hui : Que ferions-nous si
nous étions à la place de Thomas ? Allons-nous croire pour croire ou croire pour douter après,
ou douter pour enfin croire ?

Les diverses évidences du doute dans le Nouveau Testament nous montrent bien que
des personnes qui ont côtoyé Jésus, qui ont vu son action, ses miracles peuvent douter. Tout
se passe dans un ordre graduel. Jean-Baptiste doute dans l’épreuve qu’il est en train de vivre
depuis sa cellule. Il est ébranlé par sa situation, il a peur. Les disciples eux n’ont pas toujours
eu une fois très ferme. Même quand Jésus était là, présent à leur côté, vivant, ils ont eu des
moments de doute alors après sa crucifixion, il n’est pas étonnant qu’ils retombent dans les
mêmes travers.

Le doute de Thomas est un doute raisonnable qui pousse tout individu aux prises avec
les réalités existentielles à s’interroger, à questionner pour mieux comprendre afin de mieux
se positionner dans la société à laquelle il appartient. Ce doute n’est donc pas un rejet

435
F. GODET, Op. Cit., p. 198.

172
systématique du témoignage des autres compagnons. Ces derniers étant dans la joie après que
le Christ se soit montré à eux avec son côté ouvert. Tel n’est pas le cas de Thomas.

En effet, il y avait un certain risque lors de l’apparition de Jésus aux disciples. C’est
celui de vouloir s’imposer une sorte de joie obligatoire, une certitude sans failles, une foi
inébranlable, mais qui risquait de n'être qu'une parenthèse dans les brouillards de la vie
quotidienne, des luttes que les disciples auront à mener contre leurs peurs, leurs questions et
leurs réticences. Dès lors, l’on comprend aisément la position de Thomas.

Le Christ lui-même face à l’angoisse et à la cruauté de la mort se sent abandonné.


L’apôtre Paul avoue également son incrédulité. Heureusement Jésus n’a ni rejeté ni condamné
les douteurs. Il les a plutôt repris et leur a enseigné le chemin à suivre. Notre hypothèse se
confirme donc, en ce sens que le doute est inhérent à la nature humaine, et que Dieu travaille
toujours le cœur de celui qui est en proie au doute afin de le ramener à la foi en Jésus le
Christ.

CONCLUSION PARTIELLE

La théologie et l’herméneutique de Jean 20 nous ont donné les moyens de comprendre


comment les premiers chrétiens ont vécu leur foi. Elles révèlent d’abord que le doute traverse
tout le Nouveau Testament dans lequel il occupe une place de choix. Ensuite, il est toujours
posé comme l’élément déclencheur de la foi. Le doute comme un principe libérateur
soulignerait la conjonction entre le doute et la foi qui conduirait le chrétien à progresser
spirituellement.

173
L’objectif à atteindre maintenant est celui d’essayer d’établir une relation entre la
figure de Thomas en Jean avec le chrétien africain d’aujourd’hui afin de contribuer à son
épanouissement. Car, la finalité de ses disciplines est d’assurer la dynamique de l’Eglise à
travers le temps et l’espace… Notre foi chrétienne doit être à la fois une continuité de la foi
des premiers chrétiens et un témoignage pour notre temps. Ceci est soutenu par une étude
serrée du N.T. Car en se limitant à notre temps, c’est rompre avec nos origines chrétiennes, et
en se limitant à nos ancêtres, c’est oublier que Dieu parle encore aux hommes d’aujourd’hui
et de différentes manière selon le temps et le contexte.436

E. BISSU, S. K. DOSSOU et al, Initiation à l’Exégèse Biblique : Ancien et Nouveau Testament, CLE,
436

Yaoundé, 2003, p. 201.

174
TROISIEME PARTIE :
FIGURE POSTPASCALE DE THOMAS
COMME MODELE DE CROISSANCE
SPIRITUELLE POUR L’EMANCIPATION
DU CHRETIEN AFRICAIN

INTRODUCTION PARTIELLE

Dans un monde de plus en plus sécularisé, déchiré par les guerres de religion et
d’idéologie où la floraison des mouvements religieux est souvent objet de supputations et
sources de rivalités et de différends, la question de la foi chrétienne se pose avec acuité. Cette
actualité aussi pressante qu’urgente nous pousse à agiter la foi afin de découvrir les valeurs
fondamentales de la confiance et la fidélité à Jésus le Christ, du chrétien authentique, qui de
nos jours perd pieds et succombe. Ainsi, la responsabilité de tous, mais principalement de
l’Eglise devient-elle plus grande et plus importante. Quelles sont donc les initiatives qui
doivent être prises pour débarrasser la foi de ses scories qui ne cessent de se répandre ?

175
C’est justement à cette question que répond la troisième partie de notre recherche. Elle
se propose de démontrer comment par la croyance à la résurrection de Jésus, le chrétien peut
parvenir à quelque chose de plus noble : la foi véritable. Elle invite également à voir en la
figure postpascale de Thomas en Jean 20, un exemple d’édification du chrétien africain
d’aujourd’hui. Cela implique par conséquent une révisitation des sources originelles de la foi.
L’objectif recherché ici est d’établir un rapport entre le Thomas postpascal et le chrétien
africain d’aujourd’hui.

CHAPITRE CINQUIEME :
RAPPORT ENTRE LE THOMAS POSTPASCAL ET LE CHRETIEN
AFRICAIN D’AUJOURD’HUI

S’il y a un événement qui a bouleversé le monde et qui a changé l'histoire pour


toujours, c’est bien la résurrection évidente de cet homme nommé Jésus, considéré comme un
signe visible de la puissance de Dieu. De nombreuses personnes ont été torturées et tuées à
cause de ce qu'ils croient ; comme des centaines de milliers d'autres l'ont été dans les
générations qui ont suivi.

176
En tant qu’élément déclencheur de la foi chrétienne, la résurrection de Jésus-Christ
constitue le fait marquant de l’avènement du christianisme. C’est à partir d’elle que va se
construire tout le kérygme pascal par le truchement des témoignages des apôtres lors des
différentes apparitions du Christ ressuscité. La figure postpascale de Thomas est un aspect de
ce témoignage qui ouvre aujourd’hui le champ à une édification de la foi du chrétien africain.

III.5.1. LA RESURRECTION DE JESUS : ELEMENT DECLENCHEUR


DU DOUTE ET DE LA FOI

La résurrection est le retour à la vie qu’on avait perdue437. Pour mieux cerner cette
réalité, certaines questions essentielles sont à répondre à savoir : Quel est le sens de la
résurrection selon Thomas ? Qu'est-ce qui a pu arriver pour créer des convictions
contradictoires lors des apparitions du Jésus Ressuscité ? Comment la tradition africaine la
perçoit-elle ?

III.5.1.1. La résurrection de Jésus selon Thomas

La résurrection serait-elle aux yeux de Thomas une sorte de perpétuation de la vie


terrestre ? L’histoire de Thomas le dénommé Didyme qui résiste à la résurrection de son
Maître est le déclencheur de tout un processus qui a des conséquences sur l’évolution du
christianisme à travers les siècles : Si je ne vois pas dans ses mains la marque des clous, si je
ne jette pas mon doigt dans la marque des clous et si je ne jette pas ma main dans son côté, je
ne croirai pas (Jn 20,25). En effet, selon l’anthropologie grecque :

Notre corps n’est qu’un vêtement extérieur qui, tant que nous vivons,
empêche notre âme de se mouvoir librement et de vivre conformément à sa
propre nature éternelle. Il lui impose une loi qui ne vaut pas pour elle. Ainsi
l’âme est enfermée dans le corps comme dans une camisole de force, dans
une prison. Mais la mort est la grande libératrice. Elle délie les chaînes en
faisant sortir l’âme de la prison du corps et en la ramenant dans sa patrie
éternelle438.

Cette assertion souligne très clairement le fait que la résurrection du Jésus crucifié est
presqu’impensable dans une société juive très influencée par la culture hellénistique. D’un
point de vue purement matériel, il serait difficile pour Thomas, sans doute influencé par la
conception grecque de la mort, d’admettre la résurrection du corps humain. Pour lui, Jésus ne
peut plus revenir à la vie avec un corps reconstitué puisque son vrai corps est destiné à la
437
F. REISDORF-REECE, Encyclopédie biblique, Montélimar, CLC, 2011, p. 443.
438
O. CULLMANN, Immortalité de l’âme ou Résurrection des morts ? Delachaux & Niestlé, Paris, 1959, pp.
23-24.

177
pourriture. C’est pourquoi et pour être certain que le Christ est vivant, il faut que Thomas soit
assuré de la continuité des réalités tangibles. Ceci est d’autant plus vrai que :

Dans la pensée sémitique, une fois que le corps de la personne morte


commence à se décomposer et à s’effriter, la personne n’est plus une
personne. Quelle que soit la trace de l’individu qui peut survivre au shéol, il
ne s’agit pas d’un être humain, parce qu’il ne jouit pas de la subjectivité, de
la communauté ou de l’union avec Dieu. Le corps est la quintessence de la
personne en tant que symbolisation de soi, c’est-à-dire en tant que
numériquement distincte, cohérente et permanente : un sujet qui peut
interagir avec d’autres sujets et qui est présent et actif dans le monde. 439

A l’opposé, le judaïsme ancien annonçait la résurrection des morts pour la fin des
temps (Da 12,1-3 ; 1 et 2 Maccabées), et pourtant Jésus a ressuscité dans le temps. D.
MARGUERAT a tenté de trancher les différentes positions en estimant que la résurrection
telle qu’elle est comprise par les Grecs est totalement différente de sa conception dans le
Nouveau Testament. C’est pourquoi il peut affirmer que :

La résurrection est une croyance, pas une explication ; elle est là pour
garantir le pouvoir de Dieu, et non pour offrir un supplément de vie à
l’humain… On retrouve dans la tradition pascale les traits caractéristiques
qu’avait la résurrection chez Daniel. La résurrection de Jésus n’est pas
décrite, mais constatée – il n’est plus là – et crue. Elle ne répond pas à une
inquiétude sur la dépouille du Maître, mais atteste que sa mort en croix n’est
pas un échec : Dieu élève le Crucifié, et donne tort à l’élite religieuse qui n’a
pas voulu de lui.440

Il n’est pas toujours aisé de comprendre la résurrection dans le sens que lui donne D.
MARGUERAT. En effet, nous avons constaté qu’à l’époque de Jésus, la foi en la résurrection
était répandue parmi les couches sociales les plus dominées. C’est pour elles une sorte de
sauvetage ou mieux d’espérance. Ce qui suppose, que la résurrection était polysémique. L. et
E. WOUNGLY-MASSAGA précisent que :

Les représentations sont d’une diversité déroutante : pour les uns, seuls les
justes ressusciteront, pour d’autres également les impies non encore châtiés,
ou encore, tous sans distinction. Selon les milieux, le moment de la
résurrection varie : avant ou après le jugement, avant ou après l’ère
messianique, lors de l’avènement du royaume messianique ou directement
après la mort. Pour les uns, la résurrection se fera avec le même corps (en
référence à 1S 2,6), pour d’autres, il y aura une transformation (1Co
15,35ss).441

439
S. M. SCHNEIDERS, Loc. Cit., p. 172.
440
D. MARGUERAT, Vivre avec la mort, Le défi du Nouveau Testament, Moulin, Aubonne, 1987, pp. 56-57.
441
L. et E. WOUNGLY-MASSAGA, Libérez l’Evangile, il vous libérera, CLE, Yaoundé, 2009, p. 90.

178
Cette description de la résurrection montre très clairement la complexité qui surgit de
la compréhension de ce phénomène. Partant, l’attitude des disciples de Jésus, aux lendemains
de sa crucifixion ne devraient pas en principe surprendre le lecteur avisé. Ceci serait d’autant
plus vrai que Jésus lui-même n’aurait pas donné une réponse unique ou absolue à cette
épineuse question de la résurrection comme le confirment L. et E. WOUNGLY-MASSAGA :

Jésus fera allusion à l’une ou l’autre représentation avec une liberté qui
montre qu’il n’y avait pas de doctrine unique, ni de dogme contraignant et
que lui, Jésus, n’entendait pas donner un enseignement à ce sujet, qui restait
du domaine de Dieu – Jésus utilisait ces représentations comme supports
pour proclamer l’Evangile et non pas comme des vérités à croire (pour s’en
convaincre, il suffirait de comparer des textes comme Mt 25,31-46 ; Mc
12,18-27 ; 13,5-27 ; Lc 14,14 ; 16,19-31 ; 23,43 ; Jn 5,28 ; 11,23-27)… -
faisons-lui donc confiance et cessons de faire des spéculations avec nos
raisonnements humains trop limités, semble-t-il recommander !442

Dès lors, nous comprenons pourquoi les reproches d’infidèles faits aussi bien aux
disciples qu’aux pharisiens par Jésus concernent, pour la majorité des cas, sa messianité et sa
résurrection. Mais également pourquoi l’apôtre Paul dit-il que la résurrection de Jésus est
scandale pour les Juifs et folie pour les Grecs (1Co 1,23) tout autant que sa crucifixion ?

L’éclairage au sujet de la résurrection doit venir de Jésus lui-même. Et c’est


effectivement ce qu’il semble faire lorsque sur la route d’Emmaüs, il apostrophe les deux
compagnons : Alors Jésus leur dit : O hommes sans intelligence, et dont le cœur est lent à
croire tout ce qu’ont dit les prophètes ! Ne fallait-il pas que le Christ souffrît ces choses, et
qu’il entrât dans sa gloire ? Et, commençant par Moïse et par tous les prophètes, il leur
expliqua dans toutes les Ecritures ce qui le concernait (Lc 24,25-27).

Thomas « aveugle » ne peut pas comprendre la résurrection que par le toucher. Les
bandelettes ne sont plus là ; les anges ont disparu. Que reste-t-il alors au disciple pour faire lui
aussi l’expérience de ce réveil miraculeux de son Maître ? Les blessures de Jésus sont là
devant lui.

Le terme grec Eirenh est le synonyme du terme hébraïque Shâlôm qui signifie
également « paix ». Cette « paix », qui signifie la tranquillité du cœur, le bien-être de
l’individu et la bonne entente entre les disciples, est nécessaire pour Thomas. Tout
simplement parce qu’elle pourrait confirmer la Trinité, la plénitude et mettrait tous les
disciples au même niveau. Ainsi, en définissant le sens johannique de la résurrection de Jésus,
J. ZUMSTEIN conclut que :

442
Ibid., pp. 90-91.

179
Selon le quatrième évangile, Jésus est élevé vers le Père à la croix. Le cycle
pascal montre comment le Crucifié est vivant et se manifeste à ses disciples,
que ce soit par le signe du tombeau vide ou par les apparitions. Dans chaque
scène, c’est le rapport entre le voir et le croire qui est travaillé. La
résurrection de Jésus comporte deux aspects originaux chez Jean. D’une
part, l’expérience pascale n’est pas le privilège exclusif des premiers
témoins, mais comme le montre 14,18-26, elle est une expérience offerte à
tout croyant par le biais du paraclet. Ainsi, comme doit l’apprendre Thomas,
le croire, sans expérience immédiate, loin d’être un déficit, devient un
avantage pour la foi. D’autre part, l’apparition à Marie de Magdala révèle
que l’événement pascal aboutit à une totale transformation des relations
entre Dieu, Jésus et les disciples. Les disciples deviennent « les frères » de
Jésus, car désormais le « Dieu de Jésus » - ce Dieu avec lequel Jésus avait
une relation unique tout au long de sa vie – devient à son tour « le Dieu des
disciples » (20,17). La bonne nouvelle de Pâques consiste, en premier lieu,
dans le fait que Dieu est désormais pour le croyant un Dieu proche et
pleinement manifesté443.

Bien évidemment, ce Dieu proche devenu le Dieu des disciples est celui que Thomas
s’est approprié et qui constitue l’une des meilleures expressions christologiques du quatrième
évangile et même de tout le Nouveau Testament. En définitive, tous ces conflits théologiques
et les différentes interprétations du phénomène de la résurrection ont ouvert grandement la
porte à une critique acerbe de la résurrection de Jésus.

III.5.1.2. Le problème posé par la résurrection au temps du Nouveau


Testament

Au temps du Nouveau Testament, la résurrection de Jésus-Christ a d’abord été un


problème pour ses propres disciples lors de ses diverses apparitions. En effet, tandis que
certains disciples ne l’ont pas reconnu après sa résurrection (les deux compagnons sur la route
d’Emmaüs dans Lc 24,13-30 et Marie de Magdala dans Jn 20, 14-15), d’autres ont cru voir en
lui un fantôme (Lc 24,37) ou non point voulu croire au témoignage (Jn 20,25). Ce constat a
amené S. M. SCHNEIDER à s’interroger :

Quel rôle la corporéité de Jésus ressuscité joue-t-elle dans la relation de


Jésus avec ses disciples après la résurrection, et de quelle manière joue-t-elle
ce rôle? Est-ce que le corps de Jésus, qui médiatisait avant Pâques sa relation
avec ses disciples, continue à jouer ce rôle pour ses disciples postpascals, y
compris nous ?444

Si l’on s’en tient à la réponse de Jésus lorsqu’il déclare que : Un esprit n’a ni chair ni
os comme vous voyez que j’en ai (Lc 24,39), et plus à la précision de Luc : Ils lui présentèrent
un morceau de poisson grillé. Il prit et le mangea avec eux (Lc 24,42-43), il est dès lors

443
C. FOCANT, D. MARGUERAT et al, Op. Cit., p. 505.
444
S.M. SCHNEIDER, Loc. Cit., p. 164.

180
justifié que la résurrection de Jésus est aussi bien corporelle que physique. Toutefois, ces
éléments ne suffisent pas pour supposer qu’une résurrection fait retourner à une vie
biologique.

Dans le cas de Jésus, il y a un élément particulier à considérer. S’il peut se


comporter comme les hommes après sa résurrection, il peut aussi entrer dans
une maison fermée, apparaître et disparaître, monter au ciel. En cela, il
échappe à la vie physique.445

Par ailleurs, comme le pense S. M. SCHNEIDER, Si « corporel » est synonyme de


« physique », nous nous trouvons entre deux positions également inacceptables. Ou bien,
d’une part, Jésus est simplement ressuscité (dans le sens de ressuscitation), c’est-à-dire
réanimé physiquement, ce qui le laisse toujours et nous avec lui sujets aux conditions de
l’espace, du temps et de la causalité, et vulnérables face à la mort. Ou bien, d’autre part, sa
résurrection est purement spirituelle et nous sommes en dehors de la foi de la communauté
chrétienne en la « résurrection du corps ».446

En outre, de nombreuses autres théories alternatives ont été développées pour justifier
que la résurrection de Jésus n’était pas une réalité. La première de ces théories concerne la
visite des femmes au tombeau. Pour les tenants de cette théorie, les femmes, venues au
tombeau pour embaumer le corps de Jésus, s’étaient trompées d’adresse.

Dans la pénombre et surtout dans l’état psychique et moral dans lequel elles étaient
plongées, ces femmes auraient perdues leur chemin. Elles étaient toutes des Galiléennes, donc
étrangères à la capitale. Elles auraient demandé la route à un jeune homme, lequel aurait
répondu : « Vous cherchez Jésus de Nazareth, qui a été crucifié. Il n’est pas ici ». Et pointant
le doigt vers une autre tombe, il leur dit : « allez voir là où il a été crucifié ». Cette théorie
implique donc que Pierre et Jean se seraient aussi trompés de tombeau.

La seconde théorie estime que la résurrection est un ajout légendaire. Elle prétend que
Jésus ne serait pas mort sur la croix. Le tombeau vide serait une donnée implicite de la
tradition transmise par Paul (1 Co 15.1-8), donc peu fiable. D’ailleurs le procès-verbal de sa
mort, survenue plutôt qu’on ne s’y attendait (Mc. 15 :44), aurait été inexact. L’une des
explications les plus à la mode autrefois parmi les incrédules a été celle de la léthargie ou de
la mort apparente de Jésus encore appelée « ressuscitation ».

445
M.S. DOSSOU, Jésus-Christ est-il réellement ressuscité ?, UPAO, Porto-Novo, 2006, p. 20.
446
S.M. SCHNEIDER, Loc. Cit., p. 164.

181
Pour les tenants de cette théorie, Christ ne serait pas mort réellement sur la croix, il se
serait seulement évanoui sous le coup de l’intense douleur ressentie. Ainsi, le corps, une fois
déposé dans le tombeau, aidé par le repos et la fraîcheur, aurait retrouvé sa vivacité. Une force
exceptionnelle viendrait à aider Jésus à soulever la pierre pour enfin sortir victorieux du
tombeau.

Quant à la troisième théorie, elle considère la résurrection comme un fait purement


spirituel. Jésus ne serait ressuscité que dans la foi et dans la prédication des disciples, sans
réalité historique derrière. Même si les Juifs ont une conception physique de la résurrection, il
n’en demeure pas moins que cette résurrection concerne d'abord les os des morts, pas même la
chair qu'ils considèrent comme périssable.

Enfin, les adversaires de Jésus émettent un argument selon lequel, au moment où le


sommeil avait emporté les soldats désignés pour la garde, les disciples s’étaient emparés du
corps pour le transporter dans un autre lieu. Une autre idée fait état de ce que les autorités
juives et romaines auraient emporté le corps du Christ dans un endroit sûr, pour éviter qu’il
soit volé par les disciples de Jésus. L’objet visé serait donc d’accuser les disciples pour les
faire disparaître de la surface de la terre. Le corps a été pris par les Juifs pour arrêter le
christianisme naissant qui détruisait le judaïsme.

Mais progressivement, la résurrection a fini par marqué tous les esprits dans le cercle
des disciples et ceux qui ont cru à leurs témoignages. Aussi, la résurrection est devenue une
doctrine à part entière chez les Pharisiens et au sein du peuple juif, bien qu'elle fût fortement
contestée par les Sadducéens. Ces derniers, recrutés dans la caste sacerdotale et constituant
une aristocratie, ont une situation privilégiée influencée par leur exégèse. Les prophètes ne
leur sont pas d’une grande estime et ils détestent tous ceux dont l’interprétation prend des
tendances apocalyptiques. Ils ne souciaient point d’un sort dans l’au-delà. Pour eux, après la
mort, il n’y a plus rien : ni enfer, ni résurrection, ni même une survie sous une forme
quelconque. Pour les Sadducéens, Christ ne saurait être ressuscité.447

Aujourd’hui encore, la question de la résurrection de Jésus demeure un sérieux souci


auquel le christianisme doit faire face surtout en Afrique. Car, elle ne se comprend pas de la
même manière selon qu’on soit chrétien ou non chrétien. Aussi, elle se comprend
différemment selon que l’on soit d’une culture ou d’une autre.

447
M.S. DOSSOU, Loc. Cit., p. 8.

182
Cependant, bien que l’étude à mener soit plus axée sur le cas particulier d’un peuple
ivoirien, en l’occurrence les ɔdjukru448, les résultats, nous l’espérons, auront tout de même une
portée universelle.

III.5.1.3. La résurrection de Jésus confrontée aux croyances africaines

La foi chrétienne est une foi historique qui tire ses racines dans celle vécue par les
premiers disciples de Jésus. En effet, les apôtres ont été les témoins oculaires et privilégié de
la crucifixion et de la résurrection de Jésus le Christ. L’exemple de Thomas en est une belle
illustration pour le christianisme contemporain.

En effet, les chrétiens de l’Eglise primitive, « ceux de la voie » ont été associés à cette
expérience. D’autres personnes un peu plus tard ont-elles aussi été associées à cette
expérience. Et ainsi de suite jusqu’à ce que nous y soyons nous aussi associés aujourd’hui.
C’est donc à partir de ces différentes expériences que nous pouvons bâtir notre propre foi. Or,
la foi se fonde sur la résurrection du Jésus terrestre, le Messie souffrant de Nazareth ; d’où la
nécessité de comprendre la résurrection dans le contexte africain.

Pour bien mener ce travail heuristique, nous avons eu des entretiens (Cf. Annexe 5)
avec des personnes âgées, des enseignants et certains connaisseurs de la tradition pour
comprendre le phénomène de la résurrection dans le contexte africain. D’une manière
générale, il ressort de ces interviews que l’Africain n’a pas un terme propre, approprié pour
désigner la notion de résurrection.

Chez les Ɔdjukru en Côte d’Ivoire comme chez les Gun au Bénin, on parle plutôt de
l’immortalité de l’âme de telle manière que la mort est perçue comme un voyage dans un
autre monde, celui des ancêtres. Elle est considérée comme une absence-présence ou une
présence-absence. C’est donc de bonne foi que P. TEMPELS cité par L. MPONGO constate
que :

En Afrique noire, les morts ne meurent pas : ils vivent. A la mort, estiment les
Bantu, « l’homme lui-même », c’est-à-dire, le « muntu », « cette force vitale
douée d’intelligence et de volonté » quitte ce monde et s’en va dans l’au-
delà. En Afrique noire, les morts sont des trépassés parce qu’ils disparaissent
de ce monde pour aller vivre dans l’au-delà449.

Peuple du sud côtier de la Côte d’Ivoire, installé dans la région de Dabou.


448

P. TEMPELS, in L. MPONGO, CIC, Nos ancêtres dans l’aujourd’hui du Christ, Solidarité S. Claver, Rome,
449

2001, p. 23.

183
Ce faisant, la philosophie africaine de la mort enseigne que, par la mort, l’homme
passe de la vie terrestre au monde des ancêtres sans qu’il cesse d’exister 450. A l’instar de
plusieurs autres peuples d’Afrique, la mort fait partie intégrante de la société traditionnelle
ↄdjukru. En effet, les cérémonies de libation et bien d’autres rituels consacrent des prières aux
défunts, mais principalement aux ancêtres. Pour l’ɔdjukru, le luw451 n’est pas celui qui va au
ciel. Il est dans la communauté et partage les mêmes réalités existentielles avec les vivants.

Pour lui, cette réalité est incontestable et trouve sa réponse dans son anthropologie. Le
doyen d’âge LEGBEDJI-AKA dira que réfléchir sur la mort, c’est réfléchir sur sa destinée
propre, c’est réfléchir sur soi-même452. Ainsi l’ɔdjukru en vint à réfléchir sur le composé
humain. Pour lui, egη (l’être humain) est composé de deux éléments distincts et séparables :
d’un élément matériel, sos-mégl (la chair), vulnérable, putrescible (dégradable, corruptible), et
dans une certaine mesure méprisable et périssable, c’est-à-dire kôdôg (le corps, la boue), et
d’un élément invisible, spirituel, indescriptible et par conséquent immortel qui est le liy
(énergie vitale, substance, noyau). Dans luw (la mort), le sos megl (le corps matériel) bien sûr
reçoit une sépulture, tandis que liy (âme) est sensée rejoindre ôηnésu (ancêtres) dans ôηnés
(au-delà ou le séjour des morts).

Toute cette démonstration conduit à comprendre en quoi est-ce que l’ɔdjukru croit.
Tout d’abord, il croit à la métempsycose. On recherche toujours dans cette société le lien entre
l’ancêtre et le nouveau-né du clan. Ce dernier doit posséder, entre autres, les mêmes qualités
ou défauts (ou des qualités et défauts similaires) que l’ancêtre dont il incarne l’âme, des
chances ou des malchances semblables, des traits de ressemblances.

Puis, l’ɔdjukru croit à une sorte de retour à la vie spontané, immédiat donnant au
défunt la possibilité de mener une nouvelle vie en d’autres contrées, loin de ceux qui l’ont
connu ou au milieu des siens si ceux-ci ignorent sa mort. Cette croyance n’est pas contraire à
celle du peuple noir africain comme le décrit L. MPONGO pour qui :

Cette croyance ne relève ni d’une psychologie attardée attribuée aux peuples


dits primitifs, ni d’un penchant à la superstition. Elle jaillit des expériences
vécues par des négro-africains. En effet, il arrive que les défunts
apparaissent aux vivants et que ceux-ci les reconnaissent 453.

450
B. ASSOHOTO, Le salut en Jésus-Christ dans la théologie africaine, Cart, Cotonou, Tome II, 2002, p. 63.
451
Le mort ou le défunt.
452
Entretien avec le Rév. Dr B. C. LEGBEDJI-AKA, Dabou-ville, 09 septembre 2015, à 10 heures.
453
L. MPONGO, CIC, Op. Cit., p. 23.

184
Néanmoins, dans la croyance du peuple ↄdjukru, le mort-vivant mourrait à nouveau ou
disparaîtrait dès que quelqu’un qui serait au courant de sa mort le rencontrait.

Enfin, il croit en l’existence d’un monde invisible (ôηnés-baηn) lié à son monde
visible avec lequel il entre en contact au cours des cérémonies funéraires qui ont pour but
d’accompagner l’âme du vivant-mort au monde des morts-vivants454.

En définitive, il serait très difficile de percer le mystère de la résurrection dans la


culture africaine et principalement la culture ↄdjukru. Car les mots qui s’y rapportent ne
rendent pas bien compte de ce phénomène : réincarnation, métempsycose, immortalité de
l’âme, existence des morts pour ne citer que ceux-là. Cela voudrait dire que la résurrection est
une toute autre réalité qui dépasse l’entendement humain. Elle ne peut ni être prouvée ni être
démontrée. Et c’est à raison que L. et E. WOUNGLY-MASSAGA s’interrogent :

On le voit, si la foi en Dieu créateur de l’univers est partagée par de


nombreux peuples à travers le monde, la foi en Jésus Christ ressuscité
interpellera toujours toutes les cultures. N’a-t-elle pas bousculé les Juifs en
premier lieu ? Pour eux, la résurrection d’une personne particulière, et avant
la fin des temps, n’était pas pensable ! Et pour les Grecs qui croyaient en
l’immortalité de l’âme, la résurrection était tout simplement un non-sens (ce
qui est immortel, ne pouvant mourir, n’a pas besoin de ressusciter) ! Alors,
comment dire l’événement de Pâques et la foi en la résurrection dans les
cultures où les morts ne sont pas morts ?455

M. DOSSOU nous a raconté lors de nos enquêtes, comment il ressentait toujours la


présence de sa mère à ses côtés tous les soirs quand il se mettait sous son manguier 456. Mais
cette présence ne serait-elle pas passagère ? La vie religieuse des ɔdjukru a montré qu’à un
moment donné de l’histoire, les ancêtres (esprits) et les elmis457 dépendant elle-même de la
relation de l’ɔdjukru avec son milieu naturel et disparaissaient progressivement. Les exemples
de disparitions de certaines divinités se racontent tout au long de l’évolution de l’histoire du
peuple ɔdjukru. A travers les forêts ravagées par les feux de brousse, les exploitations
abusives des essences (bois) et la construction des ponts qui font tarir des cours d’eau, les
ancêtres et les elmis sont devenus des êtres mortels. L. et E. WOUNGLY-MASSAGA
renchérissent que :

En Afrique, de nombreuses cultures reconnaissent aux défunts, devenus «


esprits », « esprit des ancêtres », une force qui dépasse celle des vivants sur
terre, puissance protectrice ou maléfique, selon le rapport qu’on entretient

454
B. ASSOHOTO, Op. Cit., p. 63.
455
L. et E. WOUNGLY-MASSAGA, Op. Cit., p. 97.
456
Entretien avec le Rév. Dr M. DOSSOU,’UPAO, Porto-Novo, 23 Novembre 2015, de 10 heures à 12 heures.
457
Génies, esprits ou êtres mythiques qui ont le pouvoir de faire le bien ou le mal. On parle alors de bon ou
mauvais génie.

185
avec eux. Pourtant, il semblerait qu’avec le temps, leur puissance diminue
jusqu’à ce qu’ils se perdent dans l’oubli458.

Cet état de choses a amené N. ALAGBADA à s’interroger sur la parousie du Christ :


Jésus reviendra, c’est sûr et certain. Mais, avec quel corps ? Puisqu’il a déjà montré ses
cicatrices aux disciples et à Thomas après sa résurrection et avant sa montée glorieuse vers
le Père459.

Cette conception d’un mort qui ne meurt jamais et qui vit dans l’esprit trouve son
prolongement dans l’Eglise en Afrique aujourd’hui. Que peut alors signifier la résurrection
pour le chrétien africain d’aujourd’hui ?

III.5.2. LA RESURRECTION DE JESUS POUR LE CHRETIEN


AFRICAIN

Nous abordons respectivement dans cette section le sens et l’intérêt de la résurrection


de Jésus pour le chrétien africain, afin déterminer la manière dont il peut croire aujourd’hui.

III.5.2.1. Le sens de la résurrection pour le chrétien africain

Comment traduire le message de la résurrection de Jésus tel que présenté par


l’évangile de Jean aux chrétiens africains d’aujourd’hui ? Le peuple ↄdjukru, par exemple,
société très christianisée n’a pas trouvé dans la fête catholique de la Toussaint la pensée d’un
culte aux morts, mais y voit un culte de communion avec des êtres chers qui ne vivent plus
dans la chair mais qui vivent en esprit avec lui et autour de lui. La mort peut être appréhendée
ici comme un changement de lieu et de condition. Selon L. MPONGO :

Les peuples que les ethnologues et les historiens des religions appelaient
jadis animistes et qu’aujourd’hui nous appelons non chrétiens, croient que le
trépassé possède une corporéité. En principe, la corporéité du trépassé qui a
une bonne physionomie comme rappelé plus haut, a plus grande puissance
que le corps des vivants.460

La notion de corporéité est tellement essentielle qu’elle tient une place prépondérante
aussi bien dans la résurrection de Jésus que dans l’immortalité de l’âme chez l’Africain. Dans
ce sens, Thomas est comparable à un Africain puisque son expérience sensorielle de la
résurrection est l’une des caractéristiques de la croyance négro-africaine.

458
L. et E. WOUNGLY-MASSAGA, Op. Cit., p. 98.
459
Entretien avec le Rév. Dr N. ALAGBADA, UPAC, Yaoundé, le 28 février 2017, à 18 heures 30.
460
L. MPONGO, CIC, Op. Cit., p. 23.

186
Par ailleurs, depuis plusieurs années, dans certains pays d’Afrique comme la Côte
d’Ivoire, le Bénin, le Cameroun et autres, l’on ne cesse de parler et d’essayer de prouver des
apparitions de Marie, mère de Jésus, à des individus ou en quelques endroits. Faudrait-il alors
tirer la conclusion qu’elle est ressuscitée ? Pour parer à une telle difficulté, X. LEON-
DUFOUR, en interprétant les apparitions chez Luc, affirme que le message pascal n’est pas
fondé ni sur les apparitions, ni même sur une apparition privée, mais sur le corps constitué des
témoins. C’est ainsi qu’en faisant la même analyse dans le quatrième évangile, il ne peut
s’empêcher de déclarer que : Aucune preuve ne peut être fournie de la résurrection sinon la
parole de Christ. Ainsi les apparitions n’ont plus une valeur démonstrative.461

La résurrection de Jésus peut trouver un écho favorable dans les cultures africaines, si
nous nous en tenons à ce qui vient d’être dit pour deux raisons. La première raison telle que
décrite par M. S. DOSSOU souligne :

Une anthropologie propice à toutes sortes de manifestations des morts. Les


morts africains sont plus libres à mon avis que les morts des autres types
d’anthropologie. On leur voue un tel respect qu’il ne viendrait à l’idée de
personne de leur fixer des limites. C’est plutôt la tendance contraire qui
l’emporte. On a en effet tendance à les voir partout, ce qui ne manque pas de
poser d’autres types de problèmes.462

Nous retenons de cette allégation que la résurrection en tant que telle ne doit pas poser
de problème au chrétien africain. Les morts n’étant pas morts selon les croyances africaines,
ils peuvent apparaître en toute liberté, sans aucune contrainte d’espace et de temps.

La seconde raison concerne l’absence d’étanchéité qui veut que la vie et la mort soient
tout simplement deux aspects de l’existence humaine.463 En effet, ceux qui sont morts et que
l’on rencontre, selon les croyances ↄdjukru de Côte d’Ivoire (ôηnés-agη c’est-à-dire l’homme
du séjour des morts) et Gun du Bénin (kuwadé c’est-à-dire celui qui est mort mais qui peut
apparaître et disparaître) peuvent être retenus et maintenus définitivement en vie. Il suffit tout
simplement de jeter un peu de terre sur eux.

Généralement, on pense qu’un tel geste sans être dépourvu de sens renvoie à la
sépulture du mort constituée des poignées de terre jetée par les plus proches parents de celui-
ci lors de son enterrement. Il consacre la reconnaissance du statut de mort. Ce même acte posé
à l’apparition de celui qui était déjà mort et enterré apparaît comme l’acte contraire du

461
X. LEON-DUFOUR, Les Evangiles et l’histoire de Jésus, Seuil, Paris, pp. 206-279.
462
M.S. DOSSOU, Loc. Cit., p. 39.
463
M.S. DOSSOU, Loc. Cit., p. 40.

187
premier, la reconnaissance de son retour sur terre : la terre jetée sur le corps constitue non
seulement la consécration de son retour, mais encore l’intention de l’empêcher de repartir.

Si Thomas avait été ↄdjukru, il aurait tout simplement ramassé de la terre pour en jeter
un peu sur Jésus quand il l’avait reconnu. Il aurait été un ôηnés-agη pour lui et rien d’autre.
On ne parlerait pas de résurrection mais d’ôηnés-agη. Ce geste ne l’aurait sans doute pas
retenu. L’objet n’est pas la terre jetée mais la croyance derrière ce geste. Ce geste révèle bel et
bien que pour l’ↄdjukru, le retour à la vie de Jésus est de l’ordre du possible.

L’on est tenté de dire à partir de cet exemple de l’ↄdjukru que Jésus est réellement
ôηnés-agη. Il s’agira après cette exclamation d’expliquer aux chrétiens africains en quoi Jésus
diffère du simple ôηnés-agη. En clair, ceux qui clament que les morts ne sont pas morts sont
plus à même de crier que Jésus-Christ est ressuscité que les peuples étudiés plus tôt. Pâques
en Afrique est une fête presque traditionnelle.464

Il faut noter que chaque année, les chrétiens du monde entier et particulièrement les
Africains se rassemblent pour se souvenir encore de cet évènement autour duquel se noue et se
dénoue toute leur vie. Nous pouvons citer en exemple le peuple Baoulé465 dont tous les fils se
retrouvent dans les villes, les villages et les campements afin de célébrer la Pâques dans la
rejouissance totale. Ils font donc de ce jour Mémoire de la résurrection du Christ. Mais ce
mémorial est aussi le souvenir de sa mort car l’on ne peut parler de la Résurrection sans faire état
de la mort du Seigneur.

Or là où il y a la mort, il y a le deuil et l’angoisse. Célébrer cette Résurrection à titre de


fête, peut faire oublier aux chrétiens alors tout le climat de l’avant-Résurrection. Certes, ils vont
se réjouir, car une victoire, une vie est toujours arrosée. On le voit bien avec la naissance d’un
nouveau-né dans la famille africaine. L’ambiance qui s’accompagne, la fraternisation qui se crée
autour, la joie de tout le clan qui embrase dans cet élan tout le village et parfois même les
villages environnants. C’est aussi cela la Résurrection de Jésus pour le chrétien africain.

A la lumière de tout ce qui précède, nous pouvons retenir que, pour le chrétien
africain, le sens de la résurrection de Jésus repose sur sa croyance en une vie après la mort
telle que décrite par l’anthropologie africaine. C’est donc à cette espérance d’une vie qui ne se
meurt pas que la résurrection de Jésus invite tout chrétien, particulièrement l’Africain à croire.

464
M.S. DOSSOU, Loc. Cit., p. 40.
465
Les Baoulé sont localisés dans la région du centre de la Côte d’Ivoire et font partie des peuples les plus
nombreux de la terre d’Eburnie.

188
III.5.2.2. Justification et intérêt de la résurrection pour le chrétien africain

Comment peut-on amener le chrétien africain à croire aujourd’hui à la résurrection de


Jésus-Christ ? Selon P. L. MAIER :

Si toutes les preuves sont examinées attentivement et honnêtement, il est en


effet légitime, selon les critères de la recherche historique, de conclure que
la tombe dans laquelle Jésus avait été enseveli était vraiment vide au matin
de Pâques. Pas la moindre preuve n'a encore été découverte, ni dans les
textes littéraires, ni en épigraphie, ni en archéologie, qui puisse réfuter cette
assertion466.

En effet, les premiers historiens ont documenté la résurrection de Jésus. Par exemple,
J. FLAVIUS (37-v. 100) a écrit dans Antiquités judaïques que cet homme était le Christ...
Pilate l'a condamné à la croix... Il leur est apparu, vivant, le troisième jour. Même les érudits
les plus hostiles qui croient que les écrits de J. FLAVIUS  ont été modifiés à la faveur du
christianisme, sont d'accord qu'il fait clairement référence à la résurrection de Jésus le Christ.

I. d’ANTIOCHE (vers 35-107) écrit dans son Épître aux Tralliens, que c'est en réalité
qu'Il fut crucifié, non en apparence, non en imagination, non en tromperie. Il mourut
réellement, il fut enseveli, et il est ressuscité des morts. Quant à Justin, martyr (v. 100-165), il
a écrit sur Jésus comme au sujet d'un être vivant qui a finalement été exécuté par les Romains
à cause de sa doctrine. Durant sa vie, il a clamé que la résurrection était une histoire récente
qui aurait facilement été ignorée si les évidences avaient été faibles.

Ensuite, la résurrection avait été prédite par Jésus lui-même. Au début de son
ministère (Jn 2,19-21), Jésus déclare qu'après que le temple aura été détruit, il le rebâtira en
trois jours. Il est évident que les Juifs pensaient que Jésus faisait allusion à l'édifice du temple
lui-même. Jean nous dit que Jésus parlait plutôt de son corps. Des années plus tard, on a
accusé Jésus d'avoir dit qu'il détruirait le temple et qu'il le rebâtirait (Mt 26,60-61; Mc 14,57-
59). Cette déclaration de Jésus était tellement connue que des moqueurs se sont amusés à la
répéter pendant qu'il était cloué à la croix (Mt 27,39-40). 

Enfin, l’histoire du tombeau de Jésus et la présence des gardes. Les chefs religieux
craignent énormément que les disciples de Jésus ne lancent une rumeur à l'effet qu'il était
ressuscité. En conséquence, ils convainquirent Ponce Pilate de faire garder le tombeau de
Jésus sous étroite surveillance (Mt 27,62-66). Il s'agissait d'une Garde romaine,
habituellement composée de seize (16) membres de la Légion romaine, la meilleure armée qui

466
P.L. MAIER, Independent press-telegram, California, Long beach, 21 Avril 1973, p. A-10.

189
n’ait jamais été développée. Cette armée impénétrable, opérait normalement en plaçant quatre
hommes, juste devant ce qu'ils devaient protéger. Les douze autres hommes dormaient à tour
de rôle en demi-cercle devant ces quatre hommes, la tête vers l'intérieur du cercle.

Par conséquent, pour récupérer le corps de Jésus, les voleurs doivent d'abord marcher
sur ceux qui dorment. Aux quatre heures, on réveillait quatre autres hommes pour remplacer
la garde. Après la résurrection, les principaux sacrificateurs soudoyèrent les gardes afin qu'ils
modifient les faits et nient la résurrection. Un pot-de-vin n'aurait pas été nécessaire pour
corrompre la garde du Temple, mais c'était un excellent moyen pour gagner les soldats
romains (Mt. 28 :11-15).

Le dimanche matin, la pierre qui ferme l'entrée du tombeau avait été déplacée à une
bonne distance du sépulcre (Lc 24,2). C'était une grosse pierre circulaire, plate devant et
derrière, ayant peut-être trente centimètres d'épaisseur. Alors, comment cette énorme pierre
porteuse d'un sceau romain et gardée par un peloton d'élite a-t-elle pu être déplacée? Une
portion des manuscrits Bezae de la bibliothèque de Cambridge en Angleterre renferme une
déclaration à l'effet que cette pierre était si grosse que même vingt hommes n'auraient pas pu
la déplacer.467 La pierre avait été déplacée si loin du tombeau que Luc a volontairement
utilisé apokulio qui signifie « rouler468 » un objet à une grande distance de quelque chose
d'autre, pas simplement à côté. Jean utilise un verbe différent avec un sens semblable, airo,
qui signifie « soulever469 » quelque chose et le transporter au loin.

Le nombre et la diversité de témoins qui ont vu le Seigneur après sa résurrection ainsi


que la variété des circonstances de ses apparitions constituent des preuves solides et
abondantes qu’il est vraiment ressuscité d’entre les morts (Mt. 28 :8-10 ; Mc. 16 :9,10 ; Jn.
20 :11-18 ; Lc. 24 :34 ; 1Co. 15 :5 ; Mc. 16 :12 ; Lc. 24 :13-32 ; Lc. 24 :36-43 ; Jn. 20 :19-25 ;
Mc. 16 :14 ; Jn. 20 :26-29 ; Jn. 21 :1-24 ; 1Co. 15 :6-7 ; Mt. 28 :18-20 ; Mc. 16 :19). Aussi, au
jour de la Pentecôte, Pierre fonde la fiabilité de son message sur le fait qu’il existe des
témoins oculaires de la résurrection de Christ, dans la ville même où elle s’est produite deux
mois plus tôt et devant un public qui peut interroger les témoins en question et vérifier ainsi le
bien-fondé des allégations de l’apôtre (Ac. 2 :32).

Si Jésus-Christ n’est pas ressuscité, alors le témoignage des chrétiens africains est
faux, leur foi sans contenu significatif, et leur avenir des plus sombres (1Co 15,13-19). Ainsi,
les croyants qui sont morts le sont dans le sens le plus absolu, sans aucun espoir de
467
www.gospel.com.net/language=fan%passage=luc+24:2, consulté le 12/04/2019 à 09 heures 07 minutes.
468
M. CARREZ, F. MOREL, Op. Cit., p. 40.
469
Ibid, p. 19.

190
résurrection. Et ceux qui vivent, seront la risée d’autrui pour avoir cru que les morts
ressusciteront un jour. Le pessimisme qui résulterait certainement de la mort définitive du
Christ n'est plus admissible. Le christianisme n’aurait aucun sens et le zèle déployé par les
églises pour convaincre les non croyants serait une aventure sans issue.

Toutefois, si l’Afrique chrétienne traverse encore des moments difficiles et obscurs, la


contemplation du Sauveur ressuscité fait briller sans cesse devant l'homme une lumière que
rien ne peut éteindre. Ce qui fait dire à E. K. SUMAÏDI que :

Même si la passion du peuple dure, si elle est douloureuse et insupportable, il


y a toujours une issue, une solution. Le peuple africain ne doit pas désespérer.
Comme le Christ a assumé l’humanité en s’identifiant à ceux qui souffrent
injustement, de même en ressuscitant, il ressuscite avec eux et leur apporte la
victoire définitive sur le mal, le péché et la mort. 470

L’on peut comprendre aisément de cette affirmation que la souffrance du chrétien


africain est liée au mystère pascal. Par conséquent, la résurrection comme signe visible de la
victoire de la vie sur la mort sonne le glas de la libération du chrétien africain d’aujourd’hui.
Il en serait tout autrement si la croix avait été le dernier mot de l'Évangile : ce serait le signe
infaillible que la poursuite du bien et de la justice est, ici-bas, une illusion.

En définitive, la résurrection de Jésus Christ est un évènement typique dans l’histoire


de l’humanité. Jusqu’ici l’homme n’a jamais fait une telle expérience. En Afrique par
exemple, l’histoire a connu certes des gens qui reviennent à l’existence, mais ce n’est pas là,
la résurrection, car après tout, de telles personnes vont mourir. Mais, tel n’est pas le cas pour
Jésus Christ, qui, ayant souffert et mis à mort, a ressuscité le troisième jour. Cette bonne
nouvelle a été transmise par ceux qui en ont été des témoins oculaires à travers les évangiles.

Les Africains ont-ils vraiment cru à ce message ? Quelle est la raison qui justifie
chaque année, le rassemblement des chrétiens africains pendant la période pascale pour se
souvenir encore de cet évènement autour duquel se noue et se dénoue toute leur vie ?
Pourquoi font-ils donc de ce jour Mémoire de la résurrection du Christ ? Partant, chaque
chrétien doit se poser la question de savoir ce que signifie l’expression « croire » aujourd’hui.

III.5.2.3. Croire aujourd’hui

Lorsque nous abordons l’idée du croire aujourd’hui, certaines questions essentielles


surgissent et se posent au chrétien africain telles que : Le chrétien doit-il croire pour croire ?
Doit-il croire pour voir ? Doit-il voir pour croire ? Ou doit-il croire tout simplement ?
470
E. K. SUMAÏDI, Christologie africaine (1956-2000) : Histoire et enjeux, L’Harmattan, Paris, 2008, p. 197.

191
Selon une enquête que nous avons menée à l’Institut de Théologie GBEYONGBE de
l’EPMB et à l’UPAO à Porto-Novo au Bénin, il ressort que la plupart des chrétiens veulent
voir pour croire. Ces derniers évoquent la raison selon laquelle tout chrétien, pour se mettre à
l’abri des fausses prophéties, cherche à voir et à toucher le concret afin de mettre du sérieux
dans ce qu’il croit. Il faut relever ici les nombreux cas d’escroquerie et d’extorsion d’argent
sous de multiples formes dont sont victimes les chrétiens. D’où l’appel à la vigilance afin
d’éviter d’être la proie facile des vendeurs d’illusions.

Fondamentalement, la foi ne rime pas avec l’absurdité, l’ignorance ou la naïveté. Le


terme hébreu qui désigne la foi est nama (âmân) et signifie ferme, sûr, certain. Il va s’en dire
que le refus de croire sans avoir vu parce qu’on n’a pas les éléments justificatifs de notre foi
n’est pas mauvais en soi. En effet, le verbe croire se rapportant à quelque chose que l’on tient
pour véritable, renvoie à l’idée de voir quelque chose afin d’avoir la certitude qu’elle est vraie
ou qu’elle existe. Probablement, c’est cet état de choses qui a conduit Jésus à opérer des
miracles devant le peuple d’Israël. Mais, une question revient à l’esprit et se pose en termes
d’objet réel de la foi. En d’autres mots, que croit le chrétien et que veut-il voir ?

Il est évident que le seul évènement de la résurrection du Christ est le fondement


même de la foi chrétienne. Dans le quatrième évangile, Thomas apparait comme le dernier
personnage à avoir fait l’expérience de la résurrection (corporelle) de Jésus-Christ. Ce
phénomène devrait donc produire une nouvelle conscience chez le chrétien africain. Il
éviterait ainsi de faire de la foi une opinion humaine, c’est-à-dire faire de l’homme un dieu.

La foi chrétienne demeure fondée sur une révélation. C’est justement ce que nous
enseigne le chapitre 20 de l’Evangile selon Jean. Nous n’ignorons pas que la foi peut
rencontrer des obstacles tels que les bruits, les idoles, la routine, le manque de solidarité parmi
les chrétiens. C’est ce que semble informer les participants à la 45 ème Journée Œcuménique
des institutions de formation confessionnelles du Bénin :

Eminemment divine et expression parfaite de la libre volonté, la foi se veut


adhésion à Jésus-Christ, le Fils de Dieu, sauveur des hommes, dans la
communion au mystère de sa mort et de sa résurrection. La foi appelle à une
indispensable praxis existentielle de sa Parole et de ses commandements.
Frappée de mutisme par la souffrance, fabulée par le mirage du matérialisme
et porté par un individualisme relativiste outré, la foi du chrétien chancelle et
sombre dans un doute qui le conduit inexorablement à un athéisme déclaré ou
non.471.

471
Séminaire œcuménique, L’être chrétien et la question du salut : l’urgence d’un retour aux origines de la foi,
Porto-Novo, UPAO, le 08 Mai 2013, pp. 27-28.

192
En dépit de tous ces obstacles, la foi reste ce chemin qu’il faut emprunter dans la
prière constante et dans l’engagement. Cela suppose, qu’il faut refuser toute forme d’idolâtrie
et avoir un seul Maître qui est Jésus-Christ. Il doit également renoncer à tout ce qui est
contraire au Maître. Le chrétien se doit de suivre dès lors qu’il en prend la résolution et ne
point différer. Il doit alors prendre sa croix, c’est-à-dire qu’il ne fuit pas devant l’adversité,
vainc la peur et a le courage de témoigner de Jésus-Christ.

Le retour à la croix du Christ, origine de la foi, se voudrait le seul moyen


pour une résorption vraie et totale de cette question. Renouvelée à cette
source et débarrassée de toute scorie, la foi appelle à un nouvel engagement
en vue d’un meilleur témoignage472.

Ce qu’il faut donc au chrétien, c’est de partir de l’expérience de Thomas pour arriver
à la foi véritable, celle qui permet de voir la gloire de Dieu. En principe, le « voir pour
croire » doit conduire le chrétien africain au « croire pour voir » qui est la base même de la
foi chrétienne et la couronne par une béatitude : Heureux ceux qui n’ont pas vu, et qui ont cru
(Jn 20,29). C’est donc le « croire pour voir » qui peut faire naître chez le chrétien africain une
confiance infaillible et indubitable malgré la pesanteur et les risques du voyage avec le Christ
dans lequel se succèdent heurts, chocs et appels à changer473. Cette confiance qui est tournée
vers le Ressuscité et non vers un homme, alimente et renforce les convictions du chrétien.
C’est sans doute ce pourquoi Jésus dit à Marthe : Ne t’ai-je pas dit que si tu crois, tu verras
la gloire de Dieu ? (Jn 11,40). Nous pouvons conclure avec D. MARGUERAT pour dire
que :

C’est à l’occasion du récit de la Passion que, pour la première fois, celui qui
lit est apostrophé. Jésus vient de mourir. Le flanc du supplicié a été
transpercé d’un coup de lance. Du sang et de l’eau ont jailli… La vérité du
fait est donc explicitement confirmée : sang et eau ont coulé. Mais le plus
intéressant est que la finalité de ce témoignage est annoncée : il vise à
provoquer, chez ceux qui lisent, la foi. La même expression revient dans la
première conclusion de l’évangile, à la fin du chapitre 20… D’une part le
contenu de cette fois est notifié : il s’agit d’adhérer à la présentation du
Christ déployée dans l’évangile : l’homme de Nazareth est le Fils venu d’en
haut. D’autre part, la conséquence de cette foi est formulée : discerne en
Jésus le Fils, grâce à la lecture de l’évangile, c’est recevoir la vie
authentique, la vie éternelle qui équivaut chez Jean au salut (3,15-16 ; 3,36 ;
6,40 ; 17,3).474

Nous décelons quatre catégories de croyants :

472
Séminaire œcuménique, Loc. Cit., p. 28.
473
D. MARGUERAT, Op. Cit., p. 183.
474
D. MARGUERAT, Op. Cit., pp. 185-186.

193
 Les « croire après avoir vu » 
Dans cette catégorie, nous pouvons classer Marie de Magdala et les disciples de Jésus-
Christ après la Pentecôte johannique. Ces derniers ont cru après que Jésus se soit présenté à
eux en leur montrant les cicatrices de ses blessures.

 Les « croire sans voir » 


Les personnes qui ont cru sans voir sont les premiers chrétiens, ceux de l’Eglise
primitive. Le livre des Actes des Apôtres nous rapporte que le témoignage de Pierre a touché
le cœur d’un grand nombre de personnes qui ont aussitôt cru et se sont faits baptisés : « Ceux
qui acceptèrent sa parole furent baptisés ; et, en ce jour-là, le nombre des disciples s’augmenta
d’environ trois mille âmes » (Ac 2,41). Nous pouvons peut-être classer les premiers chrétiens
africains qui ont reçu l’Evangile dès sa pénétration.

 Les « voir sans croire » 


Les personnes qui voient mais qui refusent de croire sont les plus nombreux. Sans
doute, ils sont attachés à d’autres divinités ou parfois, l’Evangile ne les a pas atteints dans
leurs localités. Cette catégorie de personnes demeure la cible véritable de l’évangélisation de
l’Eglise.

 Les « voir pour/avant de croire » 


Thomas et la majorité des chrétiens africains aujourd’hui font partie de cette catégorie
de ceux qui veulent voire avant ou pour croire. Cette catégorie de personnes serait beaucoup
plus portée vers les signes.

En effet, certains traits caractéristiques de la foi dans les églises africaines475 et dans
les Nouveaux Mouvements Religieux (NMR)476 en Côte d’Ivoire nous montrent que les
chrétiens croient en ce qu’ils voient ou ressentent. Ils croient soit en leurs guides spirituels ou
soit dans les démonstrations de puissance que ceux-ci opèrent. Très souvent, l’origine de ces
pouvoirs demeure floue et douteuse.

475
L’expression « églises africaines » doit être comprise dans le sens des églises africaines indépendantes ou
indigènes (Kimbanguisme, Harrisme, Messianisme, Christianisme céleste et autres.)
476
Apparus au XXe siècle, les Nouveaux Mouvements Religieux se rencontrent un peu partout dans toutes les
religions monothéistes et touchent tous les secteurs d’activités les plus diverses (économie, finance, science,
etc.). Nous pouvons classer dans cette catégorie le néo-pentecôtisme ou renouveau charismatique, les
mouvements de réveil et les églises dites évangéliques. La particularité de ces mouvements est la soi-disant «
trop grande connaissance » de la Bible, selon eux, qui se matérialise par un récital interminable de versets
bibliques lors des prédications et une approche littérale des Saintes Ecritures. Le prédicateur n’a pas besoin
d’une formation théologique pour parler de la part de Dieu. C’est l’onction du Saint-Esprit qui agit en l’individu
et lui révèle tout ce qu’il doit dire. Leur objectif principal étant de convertir, les N.M.R semblent beaucoup plus
préoccupés par l'accessibilité de leurs idées auprès d'une large audience (Cf. A. P. AKA. Le doute, un chemin
vers la foi authentique, Saint Luc, Porto-Novo, 2014.)

194
Il est donc possible de comprendre que les Africains peuvent bien croire en la
résurrection. Malheureusement, le constat actuel montre que l’objet de leur foi n’est pas
toujours bien défini. Et pourtant, il est clairement établi que dans le christianisme,
la foi chrétienne repose uniquement sur la doctrine de la résurrection du Christ : Si le Christ
n'est pas ressuscité, notre foi est vaine, écrit saint Paul (1Co. 15 :13-19).

De ce fait, notre approche consiste à poser le voir comme un aspect de la chrétienté


africaine afin d’apprécier, à partir d’une étude de quelques cas, le rapport entre le voir et le
croire, et par extension la relation entre le doute et la foi.

III.5.3. LE « VOIR » COMME UNE CONDITION DE LA FOI POUR LE


CHRETIEN AFRICAIN

De manière générale, l’Africain veut sentir la présence agissante de l’esprit dans son
quotidien. Cette approche de la croyance religieuse africaine a fortement influencé le
christianisme en Côte d’Ivoire. Dans le souci de mener à bien cette réflexion, nous allons
procéder à un état des lieux. Pour bien présenter donc l’image de l’Eglise en Côte d’Ivoire, il
faut partir de la situation de Thomas avant sa confession de foi.

III.5.3.1. Le « voir pour croir » dans l’Eglise en Afrique aujourd’hui

Devant le témoignage des autres disciples, Thomas doute parce qu’il veut voir Jésus,
toucher ses cicatrices et comprendre ce phénomène qui lui paraît étrange. En face de la
résurrection, il n’est ni ne devient incrédule. Il laisse plutôt exploser sa foi. Le souci de
Thomas de voir avant de croire pourrait fort bien être celui des chrétiens aujourd’hui qui, à
l’écoute de la prédication de la Bonne Nouvelle, restent sceptiques et voudraient tout de
même des garanties complémentaires.

Ce comportement des chrétiens se traduit par le fait que l’homme moderne n’a, de
manière générale, plus besoin de cette image ancienne de Dieu pour entendre l’appel à
l’obéissance en lui. Pour lui, la foi n’est plus fondée sur des principes hérités qui avaient
tendance à négliger à la fois la condition humaine et ses propres ressources qui la
transcendent.

Le chrétien ivoirien nouveau veut maintenant ressentir les choses dans son être. La foi
exige, pour lui, le voir, le toucher et le sentir qui sont devenus une exigence pour croire. Mais
en qui, en quoi ? Parfois, il lui arrive de s’égarer et ne plus vouloir comprendre la foi que dans
sa tête. L’aventure peut alors commencer pour être à l’écoute de ce son nouveau.

195
La présentation que nous faisons de l’état des lieux du christianisme contemporain en
Côte d’Ivoire est le résultat de nos recherches depuis des années. Le premier volet d’étude de
cas concerne l’Eglise Messianique de Côte d’Ivoire (EMCI). L’EMCI est une église africaine
née en Côte d’Ivoire dans le courant de janvier 1963 et qui est issue de l’Eglise Protestante
Méthodiste de Côte d’Ivoire (EPMCI). Inspirée par la prédication du prophète W. H.
WADE477, elle a fondé sa doctrine sur les pouvoirs miraculeux de son leader, Josué EDJROH,
un ancien conducteur de l’Eglise Protestante Méthodiste d’Akradjo. Ce dernier estime que
c’est par sa grande canne, reçue de sa tradition ancestrale, que le prophète H. WADE a pu
christianiser la Côte d’Ivoire. Et pourtant de cette canne, le prophète lui-même avoue : Sa
grande canne en forme de croix n’avait aucun pouvoir propre (il la brisait pour prouver
qu’elle n’était pas un fétiche), mais était un symbole du message du salut en JésusChrist478.

En outre, l’attachement à l’efficacité de la prière comme expérience de la puissance de


l’esprit, mais aussi l’omniscience des dons charismatiques de la prophétie et de la guérison
tant spirituelle que physique en constituent les bases doctrinales. Son ritualisme et sa vie
cultuelle intense s’accompagnent de la reprise des nombreux rites traditionnels africains : rites
de protection, de fécondité des femmes, pratique de la réclusion des malades, de leur mise en
sécurité au couvent pour l’accomplissement de certains travaux. Cependant, pour ses adeptes :
EDJROH le fondateur, était un chrétien méthodiste avant cela. Il avait eu plusieurs songes
consécutifs entre 1962 et 1965. Tous ses songes l’invitaient à aller vers ses frères malades et
les guérir par la seule foi en Jésus-Christ.

Les chrétiens messianiques croient fortement aux pouvoirs miraculeux qui seraient
transmis par le Dieu de Jésus le Christ à leur leader lors de ses différents songes. En l’espace
de cinq mois de l’année 1963, le prophète serait arrivé à guérir plus de 796 personnes malades
spirituellement ou physiquement. Selon les recherches, six mille pèlerins lui auraient rendu
visite à cette même date. Ce sont ces pouvoirs qui les aident à combattre leurs difficultés,
surtout que leurs problèmes de tout genre étaient résolus par l’absorption d’une eau bénie
appelée « Siloé »479.

C’est dans cette optique que les messianiques ne font pas de la Bible leur livre par
excellence dont la lecture serait proscrite, mais réservée pour une certaine élite. La Parole a
été une fois transmise à Josué EDJROH qui incarne l’Ecriture. D’ailleurs, la formule utilisée
477
Prédicateur africain (v. 1860-1929), originaire du Libéria, il était élève d’une école de la Mission méthodiste.
Il fut baptisé et a acquis une connaissance biblique qui l’aida à évangéliser la Côte d’Ivoire vers 1912.
478
J. BLANDENIER. Précis d’histoire des missions : du XIXe au XXe siècle, L’essor des Missions protestantes,
Nogent-sur-Marne/Saint-Légier, Institut Biblique de Nogent/Emmaüs, 2003, p. 357.
479
Nom donné à une source d’eau par le prophète EDJROH. C’est dans cette rivière que s’opèrent les
différentes cérémonies rituelles de purification et de guérison.

196
après une prière laisse entrevoir clairement cette idée dans l’EMCI. Elle est ainsi libellée : Au
nom du Père, du Fils, du Saint-Esprit et de son cousin Josué. 480 Le prophète venait ainsi de
démontrer sa toute-puissance à travers la place qu’il occupe dans la Trinité. C’est pourquoi, il
affirme lui-même que : Ceux qui croient en lui, feront plus de miracles que lui481

Après le décès du prophète Josué EDJROH, les adeptes avaient espéré en sa


résurrection au troisième jour comme lui-même l’aurait annoncé. Mais c’est en vain que le
phénomène n’ait pu se produire. Aujourd’hui, son sépulcre est devenu un lieu de pèlerinage.
Certain témoignages ont même attesté que la terre qui a servi de sépulture serait recommandée
pour la fécondité des femmes.

Malgré la division qui la secoue en interne due à une crise de succession, cette église
connait une maigre affluence des Ivoiriens. Le chrétien messianique croit en l’esprit Josué ou
l’esprit de Josué, qui serait le médiateur entre Dieu et les hommes, et l’intercesseur par
excellence. Le prophète Josué est pour l’EMCI ce que la vierge Marie est pour l’Eglise
catholique.

Le second cas est celui des NMR. Apparus au XXe siècle, ces mouvements religieux se
rencontrent un peu partout dans toutes les religions monothéistes et touchent tous les secteurs
d’activités les plus diverses (économie, finance, science). Nous pouvons classer dans cette
catégorie le néo-pentecôtisme ou renouveau charismatique, les mouvements de réveil482 et les
églises dites évangéliques483.

La particularité de ces mouvements serait la soi-disant trop grande connaissance de la


Bible qui se matérialiserait par un récital interminable de versets bibliques lors des
prédications et une approche littérale des Saintes Ecritures. Le prédicateur n’a pas besoin
d’une formation théologique pour parler de la part de Dieu. C’est l’onction du Saint-Esprit qui
agit en l’individu et lui révèle tout ce qu’il doit dire. Leur objectif principal étant de convertir,
ces églisettes484 semblent beaucoup plus être préoccupés par l'accessibilité de leurs idées
auprès d'une large audience.

480
Prière prononcée par un prédicateur messianique au cours d’un culte d’inhumation à Niam-niambo (Dabou),
Juillet 2011.
481
Extrait de la prédication matinale de J. EDJHRO du 15 Mars 1964.
482
Les églises des « Assemblées de Dieu », « Winners Chapels » et « Foi apostolique », par exemple, font partie
de ce grand ensemble.
483
Le terme « évangélique » (evangelical) a en anglais un sens différent de son équivalent français ou allemand.
Ici, il désigne un courant théologique interdénominationnel qui se caractérise par son insistance sur l’autorité de
la Bible comme Parole inspirée et l’immédiateté de l’expérience pratique de l’Esprit Saint.
484
Appellation populaire des N.M.R par les fidèles des églises institutionnelles ; on les retrouve le plus souvent
aux quatre coins de la rue, occupant des espaces non moins importants ; c’est leur taille qui les détermine.

197
Dans cet esprit, ils cherchent donc à s'éloigner d'une approche académique et d'une
certaine difficulté intellectuelle, portées par la théologie dialectique. En pratique, les ministres
de la Parole simplifient très souvent l'interprétation biblique et les doctrines complexes afin de
convaincre leur public d'accepter la foi. On parle dans ce cas de biblicisme. Cette doctrine
connote un certain type de lecture normative marquée par l’accent mis sur l’accessibilité
directe du texte sacré à l’homme de la rue. Elle se caractérise également par une
simplification exagérée de la Parole de Dieu, allant jusqu’à pervertir la réalité qu’elle
véhicule.

De manière générale, le biblicisme donne libre cours, parfois et très souvent, à une
interprétation maladroite et intentionnelle des saintes Ecriture. Il est d’ailleurs à la base de la
naissance de plusieurs courants théologiques dont l’un des plus récents et le plus en vogue est
L’évangile de la prospérité.

Mouvement aux accents proches du monde évangélique et charismatique, L’évangile


de la prospérité efface l’horizon de l’espérance pour affirmer un tout, tout-de-suite 485. Pour ce
courant, les pauvres et les malades ne paient que le prix de leur incrédulité, parce que la foi est
cette chose qui génère des richesses et la guérison. Selon la théologie de la prospérité, les
Ecritures Saintes sont un mécanisme, un outil que le chrétien se doit d’utiliser pour mettre en
mouvement les lois spirituelles.

Par exemple, dans l’exercice du ministère pastoral, l’accent est mis sur la manière de
prononcer la Parole de Dieu, plutôt que d’être mis sur la prière adressée à Dieu. Dès l’instant
où le chrétien considère que la citation des Ecritures est un instrument par lequel on pourrait
manipuler Dieu, il s’engage dans une conception magique de la foi.

Or, la magie486 prend des formes diverses et vise des fins différentes qui exercent une
influence sur la vie du chrétien. Beaucoup de chrétiens pensent qu’étant donné qu’ils ont la
foi, tout problème ou toute épreuve qui se présente à eux se résoudra de façon spontanée,
miraculeuse voire magique. On estime que la réalité matérielle est acquise et garantie par la
parole du croyant. K. COPELAND, une des figures de proue de ce courant, affirme que : La
confession de votre bouche vous la fera posséder.487

L’exemple le plus marquant et qui se trouve plus proche de nous est celui du
mouvement dénommé « Le cri de minuit » dont le fondateur est Kacou Philippe. Ce dernier

485
HOKHMA, Revue de Réflexion Théologique, Saint-Légier sur Vevey, N° 103, 2013, p. 91.
486
Pratique rituelle par laquelle on prétend domestiquer les puissances occultes pour les mettre à son service et
obtenir un pouvoir surnaturel sur le prochain.
487
K. COPELAND, The Laws of Prosperity, Kenneth Copeland Publications, Fort Worth, 1974, p. 20.

198
originaire de la ville de Sikensi, au sud de la Côte d’Ivoire, affirmerait que chaque chrétien
possédérait un prophète et un seul pour son époque. Il serait le seul et unique vrai prophète
envoyé par Dieu de son époque. Il joue, par conséquent le rôle d’intermédiaire entre Dieu,
Jésus le Christ et les hommes.488

Une telle doctrine n’est pas différente de celle que nous venons d’énoncer plus haut.
Sa particularité réside dans le fait que la prédication est interdite aux femmes. La
prédestination étant répandue pour tous, le salut ne se perd jamais. Ainsi, tous les hommes,
sans exception aucune, sont-ils sauvés. De plus, Kacou Philippe traite la traduction de la Bible
Louis SEGOND et le Coran de sataniques. C’est pour cette raison qu’il les brûle ou les
déchire489. En dehors de son mouvement, toutes les églises sont aussi sataniques car le Christ
n’a pas fondé d’église. Les cérémonies d’administration du baptême s’opèrent tard dans la
nuit, précisément à minuit dans les cours d’eau. Enfin, les études théologiques ne sont pas
utiles car elles sont un instrument de destruction de la foi en Dieu. La télévision et les
journaux sont proscrits.

Nous avons assisté nous-même à la violence avec laquelle les adeptes du mouvement «
Le cri de minuit » traitent tous ceux qui rejettent leur enseignement. A plusieurs reprises, le
fondateur de ce mouvement a été mis aux arrêts par la justice ivoirienne et condamné pour ses
propos violents et pour ses incitations à la violence. En dépit de toutes ces graves dérives, les
chrétiens des églises institutionnelles, et particulièrement ceux de l’EPMCI s’y aventurent et
parfois même y demeurent sans pouvoir retourner dans leur église d’origine.

De cet état des lieux, nous retenons que le christianisme est en danger permanent
aujourd’hui dans nos communautés. La foi, comme don gratuit de Dieu pour le salut des
hommes, est présenté aujourd’hui comme un fonds de commerce et une véritable source
d’aliénation au service des prédateurs nommés encore des faux prophètes. Cet état de choses a
amené l’Eglise Baptiste de Fréjus à faire le constat ci-dessus :

Nous sommes à une époque où l’on fait la promotion de Jésus en disant : Si


vous croyez, vous serez riches ou si vous croyez, vous serez guéris ou encore
si tu es malade c’est que tu n’as pas la foi. Nombreux sont ceux qui ne
croient qu’en vue de ce qu’ils obtiendront de Dieu… La pensée qui circule de
nos jours est exprimée par la phrase : Peu importe ce que chacun croit, il
suffit qu’il ait une foi en quelque chose. Or chacun ne recevra que ce que

488
Témoignage du Pasteur Bertrand ADOU, lors d’un entretien le 15 mai 2018 à 10 heures à Dabou.
489
Dans l’une de ses publications intitulées Le livre du prophète Kacou Philippe, N° 133 du 24 Avril 1993, il
écrit : Et vous me dites : La Bible dit, le Coran dit, Frère Branham dit… Moi Kacou Phillippe qui vous parle, je
suis un prophète, et ce n’est pas la Bible ou le Coran qui doit me dire ce que je dois faire. En tant que prophète,
ma mission n’est pas d’expliquer les paroles de mes prédécesseurs. Je suis un prophète, et je ne donne pas les
restes de mes prédécesseurs à mes fidèles. Et mon ministère ne vient pas de la Torah, de la Bible… mais du Ciel
par un ange.

199
l’objet de sa foi peut lui apporter ; que ce soit son argent, sa personne, son
leader politique, l’entreprise sur laquelle il a tout misé, son « dieu », sa bien-
aimée ou ses enfants, etc.490

Il est clair que l’interprétation de la foi soulève beaucoup d’incompréhensions, allant


même jusqu’à créer des principes de manipulation des hommes hérités de la croyance
religieuse africaine ou de la civilisation occidentale. Au nombre de ces principes, nous
pouvons retenir :

1. Les soi-disant prophètes ou hommes de Dieu se sont érigés en des divinités ou


en des idoles. Ils sont devenus des objets d’adoration en dehors desquels il n’y aurait point de
salut.

2. La foi est devenue un objet visible, palpable et marchandable. Elle tire sa


source dans les miracles et autres actions exhibitionnistes pour attirer les hommes.

3. Le message biblique habillement construit s’accompagne d’une musique qui


peut faire passer n’importe quelle idéologie. Le projet mobilise une armée, comme une foule
sur un stade, comme un bal, comme une rébellion qui veille au grain.

4. On procède par l’achat des consciences et on mobilise ceux sur qui on a une
autorité pour donner l’impression que tout le monde adhérait. On invite une star au
programme pour attirer du monde et ensuite la caméra se charge de transmettre l’image qui
prouve qu’il y a du monde qui adhère au projet. Le principe est que plus il y a de monde qui
croit une chose, plus il y aura de monde pour le croire.

Au terme de ce paragraphe, force est de reconnaître que si le voir constitue un aspect


fondamental dans la vie du croyant africain, il n’en demeure pas moins qu’il est aussi à la
base des nombreuses dérives que nous constatons dans nos églises et au-delà de nos
frontières. Afin de mieux cerner tous les contours de cette question du voir, il est important de
déterminer les causes réelles qui conduisent les chrétiens africains à vouloir forcément voir
avant de croire, et en tirer les conséquences.

490
http://eeb83.net/spip.php?article86, © 2014-2018 Eglise Baptiste de Fréjus.

200
III.5.3.2. Causes et conséquences du voir pour croire en la résurrection

III.5.3.2.1. Les causes du voir pour croire en la résurrection

Les déterminants qui poussent le chrétien africain à voir avant de croire sont
nombreux. Nous énumérons trois d’entre eux : la crise de transmission de la foi, la course aux
miracles et aux prophéties, la peur et la pauvreté.

 La crise de transmission de la foi

Toute la compréhension des causes réelles du désordre que connait le christianisme en


Afrique réside dans la transmission de la foi et du témoignage des premières générations
jusqu’à nos jours. En effet, nos devanciers dans la foi, persécutés et violentés parfois afin
d’accepter ce nouveau mode de pensée et d’adoration, et sommés d’abandonner toutes leurs
pratiques religieuses au profit du christianisme, ne l’ont pas bien perçu. Ils ont juste consenti à
accepter le christianisme et à s’y conformer.

L’analphabétisme aidant, les premiers convertis au christianisme n’ont pas cherché à


comprendre le contenu de cette religion. Ils se sont simplement contentés d’épouser les
traductions et les interprétations, le plus souvent mal formulées et mal rendues de quelques
illuminés parmi eux. Harris WADE prévenait alors les chrétiens ivoiriens : Instruisez-vous
dans les écoles afin de pouvoir lire vous-mêmes la Bible et comprendre les merveilles de
Dieu.491 Cette recommandation de ce prophète noir, il y a de cela un siècle, qui devait être la
clé de voûte pour le chrétien a été tout simplement ignorée par les Africains.

La transmission de la foi se fait, de nos jours, non pas comme un héritage reçu des
premiers chrétiens qui ont puisé leur source dans le témoignage des apôtres, laissés soit
oralement soit par écrit. Mais c’est plutôt un héritage qu’on transmet aux futures générations
qui s’enorgueillissent de sa certitude. En d’autre terme, le chrétien affirmerait qu’il possède la
foi, point final. Une telle approche de l’héritage de la foi n’assure pas une vie cohérente du
chrétien avec Dieu, les autres et lui-même. La foi transmise et reçue sans être bien comprise
ressemble à une assurance complaisante. M. A. BLOOM fait, à ce propos, une mise au point :

Mais, il faut dès l’abord se rendre compte que cette certitude n’est pas
simplement un héritage ; la considérer ainsi est peut-être le malheur des pays
de chrétienté où la majorité des croyants détiennent une foi sans la posséder,
une foi qui leur a été transmise de génération en génération, reçue sans
critique, sans opposition, mais aussi sans héritage semblable aux héritages
matériels492.
E.A. DJORO, Harris et la chrétienté en C.I., N.E.A., Abidjan, 1989, p. 49.
491
492
M.A. BLOOM. L’expérience, le doute et la foi, in Revue Internationale de la Formation Religieuse (Lumen
Vitae), Centre internationales d’études de la formation religieuse, Bruxelles, Vol. XXVI, N° 1, 1971, p. 14.

201
Cette assertion semble décrire nettement la situation que connaissent les pays
africains. D’une manière toute particulière, ce constat est bien perçu dans les églises
traditionnelles dans lesquelles l’héritage de la foi n’est rien d’autre que la dénomination de
l’église. La crise de la transmission de la foi, caractérisée par le manque de formation
adéquate du peuple de Dieu, a ouvert le champ à une autre forme d’expression de la foi : le
don de miracles et de prophéties.

 La course aux miracles493 et aux prophéties

L’une des principales causes du voir est, bien sûr, le phénomène des dons de miracles
et de prophéties. Leur actualité ne laisse personne indifférente. Les débats sur leur portée dans
l’Eglise contemporaine font rage sur les réseaux sociaux et dans les communautés chrétiennes
et non chrétiennes. Il n’est pas question de construire un exposé systématique sur ce
phénomène qui divise les familles et qui crée le désordre dans nos sociétés actuelles. Mais
l’on se contente seulement de relever seulement quelques aspects de ce phénomène qui
perturbe les fondements de la foi du chrétien.

Fondamentalement, les miracles jouent un rôle important non seulement pour


confirmer la foi, mais aussi pour la faire naître. Il ne s’agit donc pas d’insister sur leur aspect
extraordinaire, c’est-à-dire mettre en valeur leur côté sensationnel. Il s’agit plutôt de montrer
leur portée théologique. C’est pour cela que, le vocabulaire thaumaturgique du Nouveau
Testament, étant très varié, les auteurs emploient les terminologies « signe, œuvre et
puissance » pour désigner les miracles de Jésus. Par exemple, dans l’évangile selon Jean, les
miracles sont des signes pour montrer le chemin à suivre : Jésus le Christ. Dès lors, le vrai
miracle a pour but d’envoyer le chrétien à rencontrer Jésus le Christ.

Cependant, les miracles, compris dans le sens de démonstration de puissance dans


notre contexte africain, semble puiser ses racines dans nos croyances ancestrales. Les rites
d’initiations, de protection, de fécondité des femmes, la pratique de la réclusion des malades
et de sacrifices rituels se trouvent incorporés dans ce nouveau mode d’expression de la foi
appelée don de miracles et de prophéties. Ce que nous critiquons, ce n’est pas le miracle en
lui-même, mais l’ambiance dans laquelle elle se déroule. Car pour nous, les miracles n’ont pas
été faits par Jésus pour défendre une quelconque religion ou un certain ordre 494 encore moins
pour émerveiller son auditoire. Ils avaient une fonction purement pédagogique.

493
On admet généralement que le miracle est un événement qui ne s’explique pas, qui défie les lois de la nature
et que la science, en l’état des connaissances actuelles, ne peut pas expliquer.
494
Le mot ordre doit être compris ici dans le sens d’une organisation établie.

202
Or, les allures que prend ce phénomène aussi bien en Côte d’Ivoire, au Bénin, au
Cameroun que dans la plupart des pays africains inquiètent à plus d’un titre. La recherche
effrénée du pouvoir, les rituels de sacrifices humains, l’utilisation de talismans, de bagues,
d’amulettes et de parfums aux accents ésotériques, le parler en des langues extatiques sous
forme d’incantations en donnent une belle illustration. Et les grands shows sur les stades des
prédicateurs superstars n'en sont pas exempts.

Malheureusement, les chrétiens s’intéressent à ces faits étonnants, merveilleux et à la


personne de celui qui les produits. Ces derniers quand ils assistent à des démonstrations de
prodiges ou quand ils vont chez les « prophètes » deviennent des esclaves de ces gourous et
non des disciples de Jésus le Christ. Or, le vrai miracle nous amène à Dieu. Le faux miracle
quant à lui nous éloigne de Dieu, nous aliène, et nous donne à adorer, à louer, à vénérer le
gourou.

Il en est de même pour la prophétie. Nous l’avons déjà signalé dans le paragraphe
relatif à l’état des lieux. Les chrétiens sont portés par le fait de savoir ce qu’adviendra de leur
vie au quotidien. Ils s’interrogent sur ce qui ne va pas et qui en est l’auteur. Nous retrouvons
ici les croyances au charlatanisme dans nos traditions. Ils croient fermement en ce qui leur est
dit par les gourous ou « prophètes » et rejettent l’enseignement de la saine doctrine reçu dans
les églises. Ils s’attachent généralement aux annonceurs de prophéties.

Le chrétien doit faire attention et distinguer les miracles des prodiges qui sont dus à
l’œuvre de Satan. Dans cette logique, il doit également faire attention aux cérémonies
d'exorcismes qui s’apparentent à des manifestations d'âmes basses dans leurs contacts avec
l'au-delà. D'autre part, les miracles sont à reconnaître par l'Eglise dans l’esprit et la lettre tels
qu’ils sont prescrits par notre Seigneur Jésus le Christ. La course effrénée aux miracles et
prophéties est due à la pauvreté sans cesse grandissante des chrétiens africains et à la peur du
lendemain.

 La pauvreté et la peur

Le chrétien moderne souhaite trouver une réponse aux questions existentielles telles
que la faim, le chômage, la maladie et autres qui se posent à lui chaque jour. En effet, de nos
jours, force est de constater que nombreux sont les hommes, chrétiens et non chrétiens qui
sont mécontents de leurs vies. Ils vivent des événements auxquels ils veulent donner un sens.
La société moderne les met mal à l’aise à tous points de vue. Cette situation des humains et
plus spécifiquement des Africains, est décrite par E. TRIMUA :

203
La politique ne leur apporte pas grand-chose. La science crée plus de
problèmes qu’elle n’en résout. La technologie et l’automatisation de
l’information et de la communication les désorientent. La notion de
développement leur échappe. La mondialisation et la globalisation sont des
idéologies qui les emballent en même temps qu’elles les marginalisent. Les
problèmes environnementaux et écologiques, les divers conflits armés et le
spectre d’une guerre nucléaire aux conséquences imprévisibles les
traumatisent. L’avenir est sombre et fait peur à l’être humain. 495

Pire, l’Eglise, dépositaire de l’éducation de base et de l’orientation des hommes, n’est


plus crédible et offre de moins en moins de possibilités tant au niveau de la sécurité que de la
solidarité. C’est ainsi que la peur s’installe progressivement dans l’esprit des hommes. Cette
peur signifierait donc incertitude du lendemain, rejet de tout ce qui apparait comme abstrait,
refus d’une vérité non tangible que l’on n’a pu toucher ou voir. Nous assistons à une situation
aussi préoccupante que visible. Sa Sainteté496, le prophète Papa Nouveau disait : Je suis peiné
car je suis là et vous allez vers d’autres personnes pour chercher la richesse.497

Cette peur de nous engager résolument dans la compréhension de notre foi, nous
interdit de douter et nous conduit à surestimer par exemple les forces du mal, au point de
croire en elles et de finir par nous y exposer. Les chrétiens veulent se mettre à l’abri de ce
sentiment parce qu’ils ont peur du monde et de la mort, et refusent de s’assumer. Ils affirment
vivre leur foi dans la certitude et se disent prêts à risquer leurs vies plutôt que de la renier. Le
temps de la soumission à Dieu serait-il révolu ? En tous les cas, les conséquences du voir posé
comme une condition de la foi sont visibles.

III.5.3.2.2. Les conséquences du voir pour croire

Au nombre des nombreuses conséquences du voir pour croire, nous pouvons citer le
sectarisme et le syncrétisme, les fractures sociales, le fanatisme et la violence religieuse.

 Le sectarisme et le syncrétisme

Le sectarisme. C’est l’esprit de secte, de division qui crée de petits groupes, de petites
églises. Par extension, il suppose le phénomène de la prolifération des sectes. Quant à la secte,
elle est :

Une libre association de chrétiens austères et conscients qui, parce que


véritablement régénérés se réunissent ensemble, se séparent du monde et se
restreignent à leurs petits cercles. Plutôt que sur la grâce, ils mettent l’accent

495
E.D. TRIMUA, Histoire du christianisme, quelques éléments, CLE, Yaoundé, 2006, p.182.
496
Titre que s’est donné le prophète lors d’un message public adressé à ses adeptes, à Abidjan le 26 Juillet 1994.
497
Cours extrait de sa prédication de la Messe de 06 heures, Toukouzou le 20 décembre 1992.

204
sur la loi et pratiquent, au sein de leur groupe, et d’une manière radicale, la
loi chrétienne de l’amour 498

Elle se caractérise par la manipulation mentale des membres en leur sein, cautionnée et
encouragée par le gourou499. La régression mentale est favorisée afin de maintenir l’adepte
dans un état de dépendance sans cesse croissant. L’adepte agit et réfléchit selon la ligne
directrice du gourou qui se présente comme le tout-puissant selon la formule : je suis bien
celui que vous croyez.

En effet, la secte polarise l’attention du chrétien, qui refuse de questionner sa foi à la


lumière des fléaux (maladie, échec, mort, chômage, souffrance) qui minent son existence, sur
les prières de délivrance, les combats contre les mauvais esprits et les adversaires de toutes
sortes. Prétextant se servir de l’étendard du Christ, le sectarisme ne réserve aucune place au
doute. L’adepte est soumis à un lavage de cerveau et à une injonction de certitudes qui
hypnotisent et paralysent l’activité de sa pensée. Dans ce cas, sa raison se trouve emprisonnée
et il ne peut qu’obéir aveuglement aux règles de la secte et aux ordres du gourou.

Par contre, certains chrétiens refusent d’appartenir uniquement à une secte, ils
préfèrent jouer à un double jeu en conciliant et foi chrétienne et d’autres pratiques contraires à
la foi : c’est le syncrétisme. Au sens philosophico-religieux, le syncrétisme signifie la fusion
de différents cultes ou doctrines religieuses organisés pour former un tout cohérent : être
chrétien et rosicrucien, chrétien et adepte de Lêgba500, chrétien et franc-maçon.

Pour le chrétien syncrétiste, le doute est la locomotive qui conduit directement à la


déchéance morale. Il affaiblit spirituellement le chrétien et rend beaucoup plus flexible sa foi.
L’on pourrait comprendre cette assertion, dans ce sens que le chrétien refuse de voir sa réalité
dans le miroir de sa vie. Fondamentalement, le rejet du doute génère des mésaventures, des
événements malheureux qui affectent la vie chrétienne et suscitent le découragement, la
démission, la recherche de soi et la recherche d’un asile où la sécurité est assurée. Le
syncrétisme semblerait être ce canal qui conduirait le chrétien vers un soulagement vif,
immédiat, spontané, efficace et dont la nature, la réalité et l’authenticité s’imposeraient avec
évidence.

Que le chrétien soit d’une secte ou syncrétiste, il s’expose à une paralysie de sa


relation avec Dieu, car sa vie chrétienne se trouve manutentionnée. Les chrétiens qui se

498
E. TROELTSCH, in J. VERNETTE. Les sectes, Presses Universitaires de France, Paris, 1990, p. 11.
499
J. BUCHHOLD, P. JONES. Jésus-Christ, le seul bon gourou, Kerygma, Aix-en-Provence, 1998, p. 7.
500
Vaudou, divinité, gardien de la maison dans la culture du peuple Goun au Bénin, au Togo et au Ghana.

205
réfugient dans le sectarisme et le syncrétisme, croiraient ainsi justifier leur pauvreté et leur
peur. Le sectarisme et le syncrétisme leur offriraient plus de moyens pour s’auto-défendre et
se protéger. Ils poussent les chrétiens à la prostitution religieuse ou l’instabilité spirituelle.

En effet, il n’est pas rare de rencontrer des chrétiens qui se promènent de confession
religieuse à confession religieuse, de veillée de prière à veillée, de prophète à prophète, de
pasteur à pasteur sous le fallacieux prétexte qu’ils cherchent des solutions en Dieu de Jésus le
Christ à leurs problèmes. Ce vagabondage les conduits parfois à la déchéance morale ou à ce
que nous appelons communément la perte des repères. Dès lors, ils deviennent des objets de
toutes sortes de crispations.

Le fait de trop chercher à voir les miracles conduit à toutes sortes de crispations
lorsque l’objectif visé n’est pas atteint. Ces crispations peuvent se résumer en intolérance,
pointillisme rituel, rigidité doctrinale, diabolisation des « incroyants » allant parfois jusqu'à la
violence meurtrière. Les intégristes de toutes les religions se ressemblent parce qu'ils ne
suivent que la ligne tracée par leur chef. Ils oublient même que la trop grande confiance en ce
dernier ébranle leur foi en Jésus le Ressuscité.

Les chrétiens intégristes n'accueilleront ou n'admettront jamais leurs doutes, parce que
leur foi est fondée sur la peur. A ce stade de leur évolution, force est de constater certains
aspects de leurs comportements religieux comme l’isolement, la dépression, une certaine
forme de souffrance ou d’insatisfaction qui les poussent à rechercher la perfection, la
disparition de toute frustration, suggérée ou promise par le pouvoir de séduction d’un guide
spirituel.

Le théologien mystique du XVIe siècle J. DE LA CROIX a parlé de la nuit noire de


l’âme. Selon lui, cette nuit sombre représente le sentiment d’aliénation douloureuse et de
distance vis à vis de Dieu qui produit la détresse, l’anxiété et la dépression chez le croyant.
Les chrétiens en font l’expérience à un moment ou à un autre, et certains voudraient alors tout
abandonner. Puisque Dieu semble si lointain, et puisqu’ils ont perdu leur ancien sens familier
d’appartenance à Dieu, ils en concluent qu’ils n’ont plus la foi. Et leur désespoir est encore
plus grand.

Or, c’est dans cette obscurité du doute que la voix de Dieu les conduit plus loin et plus
clairement. Cette nuit est un signe particulier de la présence de Dieu, où le faux sens du
confort du chrétien lui est enlevé, où il est laissé nu devant Dieu et où il lui demande
simplement de lui faire confiance. Là, il commence à comprendre que son sentiment
d’aliénation douloureuse ne correspondait en rien à la réalité. Cette nuit noire est ce moment

206
où Dieu lui demande d’abandonner la petite version de sa personne afin de se préparer à
quelque chose de plus profond.

Cette description de la nuit noire n’est rien d’autre que cette relation intime qui lie le
gourou au chrétien et qui l’enferme dans une sécurité passagère dont il ne prend conscience
que quand tout semble vraiment noir autour de lui. C’est le sentiment de culpabilité vis-à-vis
de Dieu qui se mue en un sentiment d’éloignement de Dieu. Ceci est d’autant plus juste que
Dieu n’est ni lointain, mais demeure jaloux de sa gloire. Aucun être humain, aucun serviteur
de Dieu ne peut prétendre agir comme Jésus a agi, car Dieu n'accorde sa gloire à personne !
Le prophète Esaïe nous le confirme : Je suis l'Eternel, c'est là Mon Nom ; et Je ne donnerai
pas ma gloire à un autre (Es 42,8) et à l’apôtre Paul de renchérir : Car il est écrit: Je suis
vivant, dit le Seigneur, tout genou fléchira devant Moi, et toute langue donnera gloire à Dieu,
à Dieu et au Seigneur, oui, mais jamais à un homme, fut-il un grand serviteur de Dieu (Rm
14,11).

Ces chrétiens qui pensent avoir tout perdu dans leur quête de sécurité se retrouvent
comme des marginalisés de la société et accusent à tort leur entourage d’être à la base de leur
égarement. Malencontreusement, ce manque de courage de la part des chrétiens d’affronter
cette réalité les entraîne dans une forme d’idolâtrie de la suspicion et constitue la cause des
troubles dans les églises et dans les familles.

 Les divisions familiales

Le mal, il faut l’avouer, est profond. Aucune communauté chrétienne n’échappe aux
divisions que créent les miracles et les prophéties de nos jours. Presque chaque famille
chrétienne a son prophète qu’elle consulte et qui lui dicte la conduite à suivre.
Malheureusement, le chrétien africain est emballé dans une fausse sécurité qui le conduit à se
méfier de tout et parfois même à renier sa propre famille ou ses propres origines. Il continue
d’être embarqué dans le train de ce monde façonné par de fausses doctrines construites par de
faux guides religieux afin d’assouvir leurs intérêts personnels.

Le constat est très amer et la réalité assez triste. Il suffit de faire un tour dans les
églises pour voir comment les chrétiens se disputent, se querellent. Les partis-pris sont
organisés en opposition entre clergés et laïcs. Les bagarres entre choristes, à n’en point finir,
sont le lot quotidien qui parfois rejaillissent sur la vie des couples. Tout cela provient du fait
que les chrétiens n’ont pas encore compris le sens de la résurrection du Christ. Ce n’est plus le
Christ ressuscité qui est prêché, ni l’espérance d’une vie meilleure, mais nous assistons
impuissamment à la prédication d’un autre évangile : l’évangile du ventre.

207
Les prédicateurs de la parole de Dieu, devenus tous des visionnaires et des
thaumaturges, créent des traumatismes et des divisions dans les foyers, et appauvrissent de
plus en plus les populations déjà pauvres à travers des discours prometteurs, gage d’une
escroquerie spirituelle, d’abus et de chantages de toutes sortes. Ce nouvel enseignement
accroche le chrétien et le conduit inexorablement vers le fanatisme.

 Le fanatisme et la violence religieuse

S’il y a une conséquence plus grave du voir pour croire, c’est bien évidemment la
violence religieuse. Le zèle superstitieux déployé par certains serviteurs de Dieu et d’autres
instructeurs des peuples en donne une belle illustration. Le chrétien assiste, impuissant, à un
spectacle de diversités de sectes, de dénominations chrétiennes et d’opinions contradictoires.
Il arrive parfois à se demander, s’il s’agit de la Parole de Dieu inscrite dans la Bible ou d’autre
chose. Il lui apparait difficile d’extraire la vérité de toutes ces vagues d’opinions, pour enfin
asseoir sa foi.

Les désaccords entre les différents acteurs religieux sont tellement grands qu’ils
conduisent parfois à des offenses publiques. A ce niveau, nous pouvons mieux être renseignés
par les réseaux sociaux, les chaînes de télévision religieuses privées et les journaux. En Côte
d’Ivoire, les attaques virulentes de Kacou Philippe, fondateur de la secte « Le cri de minuit »
contre les autres religions lui a valu la prison ferme à la Maison d’Arrêt et de Correction
d’Abidjan (MACA).

A la vérité, certains responsables religieux développent des opinions qui sont


l’expression d’un courant de pensée religieuse autre que celles du christianisme. Ce courant
de pensée, teinté de don charismatique, est une forme de violence, ou mieux, une violence qui
précède la lecture du texte biblique et qui s’empare d’elle 501. Souvent, les responsables
religieux prétextent d’un mot pour imposer au croyant le verrouillage de l’interprétation,
c’est-à-dire une forme d’interdit. C’est le cas par exemple d’une fraction du pentecôtisme
ivoirien qui rejette le baptême au nom du Père, du Fils et du Saint-Esprit, mais qui prétend
pratiquer le baptême au nom de Jésus. Ce faisant, le croyant rejette toute autre vision que celle
de son gourou ou de sa dénomination religieuse et perçoit ainsi la différence ou la critique des
autres comme des menaces. Cet état de choses le contraint à adopter une position de
fanatique.

501
« L’erreur de lecture résulte d’une soif de dévastation qui précède » selon A. GLUCKSMANN, parlant il est
vrai de l’islamisme dans son rapport au Coran. Mais, il n’empêche pas que ce vertige dévastateur est de tous les
temps et de toutes les religions, in Ouest contre Ouest, Paris, Plon, 2003, p. 186.

208
En effet, le chrétien fanatique se met sous le couvert d’une certaine idéologie qui
suscite en lui une passion démesurée. Cette passion entraîne l’exercice d’une démonstration
basée sur une croyance et sans tolérance. Or, selon G. LAVAL, l’idéologie permet à
l’individu d’haïr sans culpabilité ressentie ; d’où elle est désubjectivante, aliénante car elle
met hors-jeu la conscience individuelle502 Le fanatisme est fille de la violence religieuse. Il se
manifeste à travers le terrorisme, les chasses aux sorcières, les guerres de religions et surtout
l’intégrisme.

D’après les recherches récentes sur les associations cultuelles et les regroupements
profanes aux allures d’intégrisme que les croyants et non croyants qui se mobilisent le plus
souvent autour d’un idéal, sans toutefois chercher à comprendre les implications qui en
découlent, deviennent tous des fanatiques.

L’interprétation du texte biblique est devenue une source de conflits. Et c’est


également ce que semble confirmer CASTELLION : Aussi longtemps que les hommes se
buteront à la lettre des textes, comme ils l’ont fait jusqu’à présent, ils n’obtiendront rien de
plus qu’ils n’ont jusqu’à ce jour, et c’est de se déchirer mutuellement au point de s’entre-

détruire 503

Le voir comme condition à la foi constitue presqu’un obstacle pour la croissance


spirituelle du chrétien africain. Or, comme nous l’avons démontré dans les lignes ci-dessus, il
constitue un aspect de la chrétienté dans l’Afrique d’aujourd’hui, puisqu’il tire ses racines
dans nos traditions, us et coutumes.

Dès lors, comment pouvons-nous résoudre cette épineuse question du voir dans notre
culture chrétienne afin de soulager ces millions d’hommes et de femmes dont les consciences
sont emprisonnées par une élite religieuse qui les abusent au quotidien ? La figure de Thomas
pourrait être une arme de destruction de ce monstre pourvoyeur de guerres. Car en définitif, il
s’agirait de tenter de combattre le mal par le mal, c’est-à-dire le voir pour croire par le doute
raisonnable.

G. LAVAL. Malaise dans la pensée. Essais sur la pensée totalitaire, Publisud, 1995, p. 167-168.
502

S. CASTELLION. De l’art de douter et de croire, d’ignorer et de savoir, Genève/Paris, Jeheber, Trad. par C.
503

BAUDOIN, 1953, p. 85.

209
III.5.3.2.3. Le doute raisonnable comme un principe d’émancipation du
chrétien africain d’aujourd’hui

L’évolution actuelle des sociétés humaines confirme cet adage selon lequel un individu
mal formé et mal informé demeure un véritable danger pour lui-même et pour les autres. A y
regarder de près, l’Eglise contemporaine, surtout africaine, n’en est pas épargnée. Il suffit
seulement d’observer les agitations autour de nous, pour comprendre les spéculations et
discours démagogiques auxquels sont confrontés les chrétiens de nos jours. Aujourd’hui,
comme hier, nous constatons que dans les milieux chrétiens, il y a une forte tendance des
hommes à vouloir forcément voir des miracles s’opérer dans leur vie avant de croire.

L’Afrique est devenue le carrefour d’expérimentation de nouvelles doctrines


réligieuses venues d’ailleurs ou élaborées en internes sous l’influence toujours de l’extérieur.
Parmi ces doctrines, nombreuses sont celles qui méprisent la dignité du chrétien africain. Ces
fausses doctrines, dans notre entendement, désignent des enseignements qui sont contraires à
l’Evangile de Jésus le Christ dont le point central est la résurrection. Elles séduisent,
maintiennent captifs et conduisent les chrétiens à la perdition. Ce sont par exemples les
doctrines des démons qui apparaîtront dans les derniers temps selon 1Timothée 4,1 et celles
présentées plus haut des soi-disant prophètes de notre époque qui promeuvent un autre
évangile dit de la prospérité ou de l’imminence de la fin du monde dans le but d’abuser les
chrétiens.

Les faux prophètes, il en existe en nombre suffisant dans nos communautés ecclésiales
et hors d’elles, dans toutes les rues de nos villes et nos villages africains. Comment ne pas
croire à quelqu’un qui s’appuie sur le Saint-Esprit pour vous transmettre un message de la
part de Dieu ? Telles peuvent-être les difficultés auxquelles sont confrontés les chrétiens
africains chaque jour. Il est vrai que le discernement des esprits est le don de faire la
différence entre la parole de Dieu proclamée par un vrai prophète et celle d’un imposteur
satanique504.

Mais alors, comment peut-on les reconnaître ? Jésus lui-même avertissait déjà ses
contemporains sur cet état de choses lorsqu’il déclarait : Gardez-vous des faux prophètes, qui
viennent à vous vêtus en brebis, mais qui au-dedans sont des loups rapaces. C’est à leurs
fruits que vous les reconnaîtrez (Mt 7,15-16). A ce point de notre réflexion, il urge que nous
posons le principe même de la libération. En effet, la libération signifie :

504
J. F. WALVOORD, R. B. ZUCK, Op. Cit., p. 595.

210
Une vie intérieure ; son but est de faire sentir la dignité d’être fils de Dieu et
non esclave des plaisirs et des malheurs de ce monde… La libération dans
son essence est un état d’autorité intérieure. Le vrai croyant a dans son cœur,
son Dieu, le roi des rois, travaillant en lui et manifestant son pouvoir divin.
Par notre Seigneur qui habite en nous, nous avons autorités non sur les
autres, mais sur nous-mêmes. Nous avons une emprise sur nos pensées,
désirs, sens, âme et corps. Cette libération, ou autorité intérieure est
transfigurée dans la déclaration d’amour à tous les hommes 505.

Le principe de la libération tel que posé par T. Y. MALATI renferme deux idées
maîtresses. La première idée est la définition de la libération elle-même en tant qu’une
autorité intérieure qui empêche les désirs et passions mondaines du chrétien de se développer.
La seconde idée, relative au but de ce principe, souligne la déclaration d’amour pour le
prochain. Concrètement, nous sommes loin d’atteindre cet idéal lorsque nous regardons
autour de nous. Les guides spirituels manipulent à souhait nos chrétiens qui les observent
impuissamment. Parfois, ces chrétiens font de ces guides leurs idoles et subissent l’oppression
de leur part.

D’où l’importance de la portée pratique et politique de la foi en Jésus-Christ


libérateur. Il libère l’homme de tout ce qui l’opprime. Il lui enlève les chaînes.
Il le remplit de son Esprit Saint pour qu’il saisisse toujours mieux
l’importance de la libération dont il est l’objet et pour que lui-même travaille
à la libération de tous les autres.506

C’est pourquoi, à travers la lecture de la figure de Thomas, nous voulons proposer


comme principe de libération le doute raisonnable. Le doute dont il est question dans ce
chapitre ne porte pas sur l’objet abstrait de l’existence ou la non-existence de Dieu.

D’une part, en tant qu’un doute de discernement, un doute qui cherche à comprendre,
le doute raisonnable pourrait trier parmi ce à quoi le croyant accorderait du crédit. La lettre de
Paul aux Ephésiens avertissait ses destinataires et probablement les chrétiens d’aujourd’hui
sur la nécessité de veiller aux paroles trompeuses des mercenaires en ces termes : Que
personne ne vous égare par des raisonnements trompeurs : ce sont de telles fautes qui attirent
la colère de Dieu sur ceux qui s’opposent à lui (Eph 5,6). D’autre part, il permettrait au
chrétien de dégager la foi de sa croyance. Cet examen nécessite la mise à l’épreuve de tout ce
à quoi il croit, afin de ne conserver que ce qui est le fruit de la révélation divine.

Pour procéder à des vérifications, pour tenter de connaître et de comprendre, pour


approfondir sa réflexion, le chrétien a besoin d'user du doute raisonnable. Dans aucun
505
T. Y. MALATI, « Libération intérieure et salut de l’humanité », in E. MVENG, Spiritualité et libération en
Afrique, L’Harmattan, Paris, 1987, pp. 36-37.
506
E. K. SUMAÏDI, Op. Cit., p. 197.

211
domaine, y compris celui de la foi, il n’a pas à accepter sans examen ce qu’on lui présente.
C’est probablement pour cette raison que l’apôtre Paul conseillait, dans son épître, aux
Thessaloniciens : Examinez toutes choses, et retenez ce qui est bon (1Thes 5,21).

En effet, l’apôtre Paul inviterait ses lecteurs à adopter une attitude critique vis-à-vis
des fausses doctrines, que l’on comprendrait ici non seulement comme de faux
enseignements, mais aussi comme des pratiques et des règles relatifs au soubassement culturel
et religieux de l’époque. Des gens voulaient ajouter à la foi des Thessaloniciens, des idées
philosophiques et des interdits traditionnels. Or, ces choses ont une apparence de dévotion, de
piété, de sagesse, mais qui en fait n’ont rien de vertueux pour la foi car relevant de l’ordre du
monde ancien, monde que l’apôtre considère désormais comme un néant, comme un monde
mort, et dont la vision n’est rien à côté de celle du Christ Ressuscité.

Il est normal et nécessaire que le chrétien se demande si des doctrines, même


vénérables, correspondent bien au message de l’Évangile et à l'expérience religieuse. Il est
tout aussi naturel qu’il s'interroge sur les récits bibliques, sur leur nature, leur authenticité et
leur sens. Souvent, des croyants ont refoulé ou étouffé des questions de ce genre parce qu'ils
les estimaient contraires à la foi. Pourtant, quand Luc écrit son évangile, il explique, dans sa
préface, qu'il a fait une enquête (Lc 1,1-4). Il a donc vérifié les informations que les témoins
de la vie de Jésus lui racontaient. Le chrétien a bien le droit d'en faire autant.

La libération du chrétien passe nécessairement par ce courage de s’affranchir de la


fascination des slogans et discours prometteurs, et de douter des illuminés, des gourous
manipulateurs et du fanatisme qui le maintiennent captif. Tel pourrait être l’une des issues à la
croissance spirituelle du chrétien africain d’aujourd’hui.

A la fin de cette section, faudrait-il sans doute affirmer qu’à travers la figure
postpascale de Thomas en Jean 20, une nouvelle approche de la théologie africaine de
libération est possible ? Car, comme l’affirme E. K. SUMAÏDI :

Quel que soit l’axe considéré, la théologie de la libération se présente comme


le résultat d’une prise de conscience que l’oppression, la domination et
l’exploitation des pauvres sont des péchés de l’homme contre d’autres
hommes et qu’elles sont en contradiction avec l’Evangile de Jésus-Christ. 507

En fin de compte, la figure postpascale de Thomas en Jean 20 dont le doute


raisonnable constitue l’un des éléments essentiels est nécessaire dans la compréhension de la
foi pour le chrétien africain d’aujourd’hui.

507
E. K. SUMAÏDI, Op. Cit., p. 198.

212
III.5.4. LE DOUTE ET LA CONFESSION DE THOMAS : ELEMENTS
ESSENTIELS POUR LA FOI CHRETIENNE EN AFRIQUE

Il y a des choses pour lesquelles le chrétien doit impérativement douter. A titre


d’exemples l'analyse instrumentalisée et dirigée des textes bibliques par certains théologiens,
les traditions et les coutumes religieuses qui détruisent la vraie foi de l'Evangile. Pour certains
docteurs en théologie, la Bible n'est plus la Parole de Dieu mais simplement un livre qui
contient "des paroles de Dieu". Faut-il encore savoir lesquelles ! A force de l'expurger on la
vide de la vérité de Dieu. Le surnaturel, les miracles et la manifestation du Saint-Esprit et de
ses dons, posent d’énormes problèmes à de nombreux croyants. Est-ce de Dieu ? Ou
simplement la pensée humaine ou des mauvais esprits ?

A vrai dire, douter devrait être à la fois un devoir intellectuel et une éthique spirituelle
pour tout chrétien africain afin d’éviter de tomber dans la facilité. La question de la démission
de la raison dans la vie de foi du chrétien ne se pose pas dans ce contexte. Ce sont plutôt les
pasteurs, prédicateurs, prophètes ou apôtres qui prétendent parler au nom de Dieu, qui
soumettent les chrétiens à une telle conception. Cette façon d’appeler le chrétien à une foi
aveugle constitue un rejet de ce que Dieu a mis en chaque individu, et qu’on nomme par
jugement, esprit critique, raison. Nous sommes d’accord pour dire, avec S. CASTELLION, à
ce propos que :

Il y a un temps de douter et un temps de croire, il y a un temps d’ignorer et


un temps de savoir (…) Tenir l’incertain pour certain et ne pas avoir le
moindre doute à son égard est chose téméraire et pleine de péril, personne ne
le niera. Or il y a dans la religion des choses incertaines et obscures, ne pas
douter de ces choses est plein de péril508

Ces choses pleines de péril dont parle le philosophe sont les meurtres, les vols, les
viols, les détournements de deniers publics, les honneurs, l’idolâtrie et autres. Si le chrétien
doutait un seul instant de lui-même, il ne se livrerait pas à ces actions sordides.

Comme principe de croissance spirituelle, le doute raisonnable intéresse le chrétien


africain dans sa marche de foi de tous les jours, et insiste surtout sur le lien qu’il entretient
avec son Dieu et avec les autres. En somme, il doit être capable de douter des images de Dieu
que se font les soi-disant prophètes et faiseurs de miracles et qui s’emparent de son nom pour
exercer la violence sur lui. De là, surgissent de nombreuses interrogations : le chrétien doit-il
croire les yeux fermés ? Doit-il croire parce que c’est absurde ? Ou doit-il croire parce que
tout simplement il faut croire, en emprisonnant son libre arbitre ?
508
S. CASTELLION, Op. Cit., p. 76.

213
Au fond, on ne peut pas considérer la foi comme une absence totale de doute. La foi
devrait plutôt caractériser la présence d’une obéissance à Dieu et non à des guides spirituels
ou à d’autres idoles. Le quatrième évangile nous enseigne que Thomas a connu l’épreuve de
doute. Cependant, il s’en est sorti, fortifié et grandi dans la connaissance et l’amour de Dieu.
Le doute raisonnable ne fait pas perdre la foi. Il ne la trahit pas non plus. Aussi le chrétien
africain, qui est amené à douter, de manière raisonnable, ne fait pas prévaloir sa raison, mais il
cherche plutôt à saisir par la lumière de la raison ce que tu possèdes déjà fermement par la
foi509. Comment un chrétien peut-il croire s’il n’a pas une âme raisonnable ?
MALEBRANCHE nous en donne une belle réponse lorsqu’il s’interroge : Si donc vous n’êtes
pas convaincus par la raison qu’il y a un Dieu, comment serez-vous convaincus qu’il a
parlé ?510

Le doute raisonnable contribue donc à la bonne santé de la foi. On doit même dire qu'il
est une forme de foi, car il signifie que la question de Dieu habite le chrétien et le tourmente
de manière fondamentale. T. GANDONOU soutiendra que : Le comble de la foi, c’est de
marcher en avant sans rien comprendre511. Cette assertion suppose que le chrétien doit
constamment examiner, mettre en question les grandes doctrines chrétiennes pour en éprouver
la validité, le bien fondé, pour les modifier ou pour en proposer d'autres, s'il y a lieu. Vouloir
donc soustraire le doute dans la compréhension de la foi reviendrait à tuer la pensée
théologique. Or, il ne s’agit pas pour le chrétien africain d’éliminer la réflexion de la foi sur
elle-même. Dans ce cas, il se condamnerait à la superstition. Le doute n'a rien de dramatique.
Il constitue un outil ou un instrument qu'utilise le raisonnement512 dira A. GOUNELLE.

Le doute raisonnable deviendrait cette méthode qui permettrait au chrétien africain de


posséder une foi qui réfléchirait, qui comprendrait et qui s’efforcerait d’aimer Dieu et son
prochain. Ainsi, il rejetterait toute idée d’aveuglement, d’obscurantisme et de fanatisme. Il
mettrait en cause ce que le chrétien africain croirait et l’aiderait à parvenir à une intelligibilité
et une consolidation de sa foi. Ainsi que le pense S. THOMAS D’AQUIN : Croire au Christ
est souvent en soi une bonne chose mais c’est une faute morale que de croire au Christ si la
raison estime que cet acte est mauvais ; chacun doit obéir à sa conscience même erronée513

509
H. MARROU, SAINT AUGUSTIN et l’augustinisme, Seuil, Paris, 1955, p. 145.
510
MALEBRANCHE, in P. FOULQUIE, Dictionnaire de la langue philosophique, Presses Universitaires de
France, Paris, 1962, p. 282.
511
Entretien réalisé avec le Rév. Dr T. GANDONOU, UPAO, Porto-Novo, le 16 mai 2013, à 15 heures.
512
A. GOUNELLE, Loc. Cit., p. 2
513
Saint THOMAS D’AQUIN, in THEO, L’encyclopédie catholique pour tous, Paris, Droguet-Ardant/Fayard,
1992, p. 609.

214
A l’instar de Thomas, le chrétien africain ne peut donc pas croire aussi légèrement tant
que la raison ne l’y invite pas. La foi ne saurait aller contre la raison. Si nous estimons qu’un
chrétien ne peut pas éprouver de difficultés parce qu’il est en Christ, il n’en demeure pas
moins que dix mille difficultés ne font pas un doute514.

D’ailleurs, le chapitre 8 du livre des Proverbes fait l’éloge d’un extraordinaire et


véritable hymne à l’esprit humain. Tout le vocabulaire hébreu relatif à la sagesse, au sens
large du terme, s’y trouve concentré en quelques versets : hokmâh (la sagesse), tevounâh
(l’intelligence), armâh (la sagacité, le discernement), mezimâh (le jugement), dehâ (la
connaissance), et autres. L’intimité de cette sagesse avec Dieu permet de comprendre la vie
chrétienne.

En conclusion, la résurrection de Jésus-Christ ne saurait être un mythe pour le chrétien


africain. Elle reste cette réalité qui ne dépend ni de la foi ni de l’incrédulité du chrétien
africain. Aussi faut-il souligner que le voir comme une condition de la foi est un aspect de la
chretienté africaine. La figure de Thomas permet de réorienter la conception du chrétien
africain sur l’objet de sa foi. Elle doit lui permettre de proclamer désormais le Christ
ressuscité comme son Seigneur et son Dieu. De plus, elle rime avec un changement de
mentalité dont la caractéristique est l’amour pour Dieu et pour le prochain.

Ainsi, en passant du doute raisonnable à la foi, le chrétien ressuscite d’une manière


formidable comme Thomas. Ce qui pourrait le maintenir dans une relation intime avec Jésus-
Christ, car, les doutes qui ébranlent même les convictions les plus profondes font partie
intégrante de la vie spirituelle normale.

Ce chapitre ouvre notre réflexion sur les différentes perspectives que nous pouvons
proposer aux chrétiens et à l’Eglise africaine d’aujourd’hui afin de les aider à croître
spirituellement et éviter ainsi d’être enfermés dans une forme d’idolâtrie qui ne conduit qu’à
la perdition.

514
NEWMAN, In P. FOULQUIE, Op. Cit., p. 188.

215
CHAPITRE SIXIEME :
PERSPECTIVES POUR UNE CROISSANCE SPIRITUELLE DU
CHRETIEN AFRICAIN D’AUJOURD’HUI A LA LUMIERE DE LA
FIGURE POSTPASCALE DE THOMAS

Ce chapitre consiste à produire à partir de l’exemple de la figure postpascale de


Thomas une nouvelle conscience pour l’Africain d’aujourd’hui. Il se veut une esquisse de
propositions sur lesquelles le chrétien africain peut s’appuyer pour vivre sa vie de foi sans
heurts. Pour cela, nous proposons la charpente suivante :

D’abord nous envisageons l’originalité de la figure de Thomas comme un exemple de


croissance spirituelle ; ensuite, cette originalité nous presse à recourir aux origines de la foi ;
enfin, la détermination du rôle que doit jouer l’Eglise en Afrique aux côtés des Etats et des
chrétiens africains dans la restauration de la dignité humaine.

216
III.6.1. L’ORIGINALITE DE THOMAS POUR LA FOI CHRETIENNE
EN AFRIQUE

L’originalité de Thomas pour la foi chrétienne en Afrique implique une nouvelle


lecture de la figure de Thomas en Jean 20 pour le chrétien africain. Cette lecture nous permet
de donner des éclairages sur la figure postpacale de Thomas comme un modèle d’édification
pour le chrétien africain.

III.6.1.1. La nouvelle lecture de la figure postpascale de Thomas pour le


chrétien africain d’aujourd’hui

L’Afrique croyante était absente lors de la révélation du Christ le Ressuscité.


Toutefois, par l’entremise de la figure postpascale de Thomas en Jean 20, la Pâques devient
un révélateur pour le chrétien africain : la révélation de la puissance de Dieu, de la victoire de
la vie sur la mort, de Dieu sur Satan, de la joie sur la crainte. Aujourd’hui, les chrétiens
africains ont deux noms comme Thomas Didyme à savoir un nom et un prénom.

Cela suppose que Thomas a été notre témoin légitime devant le Christ ressuscité. Il a
voulu voir avant de croire à cause de nous les chrétiens d’aujourd’hui. Il ne s’agira plus de
croire n’importe comment et en n’importe qui, ou de croire facilement. Car, c’est la façon de
tout accepter comme des vérités absolues qui occulte le débat et crée des dissensions au sein
de la société. F. SCHAEFFER fait, à ce niveau, une sévère mise en garde, lorsqu’il déclare : A
toute question honnête, donner une réponse honnête ; la formule contentez-vous de croire
n’est pas biblique.515

En effet, les prédateurs et diseurs de bonnes aventures sont présents partout, prêts à
gruger les chrétiens principalement, pour enfin disparaître dans la nature. Ce récit offre la
possibilité de réfléchir sur la portée d’une information ou d’une révélation avant de croire.
Dans cet esprit, le doute n’est radicalement pas opposé à la foi, mais il aide plutôt à la
compréhension de la foi. Désormais, grâce à Thomas, les chrétiens n’auront plus à faire
l’expérience de la résurrection du Christ. De même, ils ne devraient plus chercher des preuves
pour voir et comprendre la bonté et la miséricorde de Dieu. Dans ce sens, nous pouvons dire
avec J. F. WALVOORD que :

Une foi fondée sur des signes miraculeux n’est pas complète. Plusieurs
hésitent à croire en Jésus s’ils ne voient des miracles (sêmeia) et des

515
F. SCHAEFFER, Dieu illusion ou réalité ?, Kerygma, Aix-en-Provence, 1989, p. 142.

217
prodiges (terata). La foi en Jésus est absolument nécessaire, mais il n’est
pas accordé à tous les croyants de voir des prodiges accomplis en public 516.

Malheureusement, et c’est le cas pour tous les hommes aujourd’hui, les miracles sont
devenus la condition première pour toute conversion. Les chrétiens africains sont devenus de
vrais spectateurs de veillées de prière de guérisons et de délivrances. Là où les miracles
abondent, là où se repose leur foi. Ils ne cessent de se faire conter à travers les rues et les
quartiers les prestations extraordinaires des thaumaturges dont ils sont épris par le boucan et
tout l’émerveillement qui se déploient.

Comme Thomas, le chrétien africain doit être toute personne consciente et convaincue
de la mort sacrificielle (mains, pieds, côté percé du Christ) et être persuadé de sa résurrection
corporelle : « Il est ressuscité ». La péricope étudiée indique clairement que lorsque Thomas
demande à toucher Jésus pour se convaincre de sa résurrection, ce dernier lui offre les preuves
palpables : Il dit à Thomas : Avance ici ton doigt, et regarde mes mains ; avance aussi ta
main, et mets-la dans mon côté (Jn 20,27). Le doute qui s’est emparé du disciple Thomas doit
être compris dans son sens existentiel. Il s’attaque à tout être humain soit-il un chrétien.

Dans les récits néotestamentaires, le doute existentiel n’a pas épargné les disciples, le
peuple juif et même les nouveaux chrétiens crétois convertis par Paul. Les questions qui leur
brûlaient les lèvres étaient intimement liées à leur avenir. C’est à juste titre que Thomas est
inscrit dans cette mouvance. Lui, le fidèle disciple qui avait juré mourir avec son Maître
tombe dans le désespoir et s’interroge comme Jean-Baptiste si c’est vraiment Jésus qui est
ressuscité. Il ne veut plus croire aux allégations peut-être trop légères de ses amis, ni être
trompé afin de ne pas aussi trompé ceux à qui il va annoncer la bonne nouvelle selon laquelle
Jésus-Christ est ressuscité.

Le chrétien africain doit mûrir spirituellement malgré ses attentes dans certaines
situations de crises d’incompréhension doctrinale, diaconale, ecclésiale et même théologique.
Il doit pouvoir se poser des questions justes et judicieuses pour recevoir des réponses
adéquates. Aussi, Thomas a attendu huit jours, toute une semaine africaine composée de huit
jours. Savoir attendre le temps de Dieu, c’est faire signe de matûrité spirituelle. L’attente a été
une phase importante de la vie de Thomas. Elle doit l’être également pour le chrétien africain
d’aujourd’hui.

516
J. F. WALVOORD, R. B. ZUCK, Op. Cit., p. 322.

218
Comme Thomas, tout chrétien africain doit être à même d’expliquer son expérience
personnelle avec Jésus-Christ et ne pas rester dans les incertitudes. Il doit renoncer au
mimétisme, au suivisme religieux et au doute qui conduit à la perdition (doute sceptique). Par
ailleurs, le chrétien africain peut suivre le chemin moins triomphant mais plus modeste de
Thomas (Jn 20,24-29), un chemin au cœur vide de tristesse et de détresse, à la parole pleine du
témoignage.

Ce qui s'est passé autour de Pâques, c'est la confrontation des extrêmes : la mort et la
Résurrection, la crainte et la joie, Dieu et Satan, l'incrédulité et la foi. Cette expérience de
Thomas c’est l’expérience de la résurrection de Jésus pour le chrétien africain. Car la Pâques
ne laisse aucun chrétien indifférent.

Néanmoins, il ne peut y avoir de connaissance froide, rationnelle, scientifique de


l'événement de Pâques, des preuves évidentes aux yeux de tous de la Résurrection de Jésus. Il
ne peut y avoir qu'une connaissance chaude, existentielle, qui concerne toute notre vie, une
reconnaissance dans la foi. La résurrection de Jésus ne laisse pas indifférent.

La confession de foi ou le crédo de Thomas (Mon Seigneur et mon Dieu) résulte de sa


rencontre avec le Ressuscité. Ainsi, tout chrétien africain doit être à mesure de prononcer son
crédo, sa confession de foi.

A partir de l’exemple de Thomas, Jésus a fait une déclaration qui éclaire la nature du
témoignage chrétien aujourd’hui : Parce que tu m’as vu, tu as cru. Heureux ceux qui n’ont
pas vu et qui ont cru ! (Jn 20,29). Il projetterait aisni son ombre sur le cours de l’histoire
future, en pensant aux millions de personnes qui croiront en lui sans avoir contemplé les
cicatrices des blessures dans ses mains, ses pieds et son côté.

En fait, dans la providence particulière de Dieu, le récit de l’expérience de Thomas est


justement l’une des choses dont le Saint-Esprit va se servir pour amener les multitudes à la
foi. Il constitue un exemple pour l’édification du chrétien africain d’aujourd’hui.

III.6.1.2. L’édification de la foi du chrétien africain d’aujourd’hui à la


lumière de la figure de Thomas en Jean 20

Dans cette section, nous allons essayer de relever quelques points saillants de la
rencontre de Thomas avec le Ressuscité qui peuvent contribuer à la croissance de la foi du
chrétien africain.

219
III.6.1.2.1. La figure postpascale de Thomas : une leçon du « vivre
ensemble » pour le chrétien africain

La position de Thomas pourrait fort ressembler à celle de n’importe quel individu qui,
à un moment donné, donne l’impression de se désolidariser d’un groupe compact auquel il
appartient. Dans le domaine religieux, elle est comparable aux nombreuses allégations de
certains chrétiens africains qui estiment que la foi est une affaire individuelle. Pour eux, il
n’est nullement nécessaire d’appartenir à une communauté chrétienne pour affirmer qu’on a la
foi. Fort heureusement, notre appréciation de cette réalité trouve un écho favorable dans cette
assertion d’A. THAYSE qui permet de conclure ce paragraphe, quand il allègue que :

C’est le rappel d’une réalité fondamentale : La foi n’est ni idéologie ni


spiritualité pure, elle se vit au cœur de l’action, et non pas dans une action
individuelle mais dans une action collective, solidairement au sein d’un
groupe. La foi n’est pas affaire de savoir mais d’expérimenter en solidarité. 517

Avec la figure de Thomas en Jean 20, le chrétien africain prend conscience que la foi
se vit dans la collectivité et s’exprime dans la solidarité. Elle n’est pas une affaire de
personne. En principe le chrétien africain ne peut pas trouver d’obstacles dans le
communautarisme car c’est là même le sens réel de son existence qui se déploie dans la
famille, le clan et la tribu comme le souligne L. MPONGO : En Afrique noire en général,
l’individu est un homme communautaire. En ce sens, il est appréhendé et saisi à travers le
prisme de ses multiples relations avec les membres du groupe humain auquel il appartient.518

De plus, le chrétien africain doit prendre conscience et se convaincre qu’il était témoin
oculaire de la révélation du Fils de Dieu sur terre : Nous avons vu le Seigneur (Jn 20,25),
s’exclamaient les autres disciples. Cela implique qu’il doit être patient. Comme Thomas qui a
attendu huit jours pour être exaucé par le Ressuscité, le chrétien africain a besoin de savoir
attendre le temps de Dieu. Il faut donc éviter la précipitation spirituelle et la soif du
sensationnel qui peuvent conduire à la déchéance de la foi.

III.6.1.2.2. La figure postpascale de Thomas : un moyen de vérification d’un


témoignage

Comme témoin auriculaire, tout Africain chrétien doit examiner le contenu de ce qu’il
entend. En effet, l’Afrique étant un continent de l’oralité, la parole est sacrée pour l’Africain.
Elle est un moyen efficace de persuasion et de transmission des us et coutumes. Elle tire son

517
A. THAYSE, Op. Cit., p. 253.
518
L. MPONGO, CIC, Op. Cit., p. 17.

220
importance dans son rôle ambivalent de créateur (elle donne la vie) et de destructeur (elle
donne la mort). Partant, l’Africain n’adhère pas aussi facilement à ce qui est dit.

Les trois conditions posées par Thomas « si », lui permettent d’infirmer ou de
confirmer sa foi. Pour cela, le chrétien africain doit émettre un doute raisonnable sur toute
nouvelle doctrine, comme le suggère l’apôtre Paul dans son adresse aux Thessaloniciens :
N’éteignez pas l’Esprit. Ne méprisez pas les prophéties. Mais examinez toutes choses ;
retenez ce qui est bon (1 Thess 5,21). Il n’est pas prudent pour le chrétien d’accepter une
parole comme une vérité absolue. C’est ce que semble dire X. LEON-DUFOUR lorsqu’il
explique que :

Thomas veut vérifier l’allégation de ses compagnons en constatant de ses


yeux que celui qui apparaît est bien le Crucifié. Il applique rigoureusement
les catégories de la pensée juive sur la résurrection des morts. Il veut une
stricte continuité entre les deux mondes, afin de pouvoir vérifier concrètement
que celui qui apparaît est le même être qu’auparavant .519

Au fond, par le doute, comme c’est le cas pour Thomas, le chrétien africain peut
adhérer à la foi. Elle lui permet d’entrer en contact avec Dieu. Il faut voir dans ce doute donc
une introspection, une recherche permanente de la face de Dieu qui peut se révéler au
chrétien. Cela est possible si le chrétien entre dans une méditation profonde à travers la
prière.

Le Christ n’a-t-il pas indiqué à ses disciples l’importance de la prière : Tout ce que
vous demanderez avec foi par la prière, vous le recevrez (Mt 21,22). Il va s’en dire que celui
qui prie, met de plus en plus sa confiance en Dieu. La prière devient pour lui le seul secours,
même dans les jours d’angoisse et d’incompréhensions. La foi du chrétien grandit par la
prière et l’engage dans un dialogue sincère avec Dieu. Elle grandit également quand le
chrétien reste attentif à l’écoute permanente de la Parole de Dieu et y consacre sa vie. Car elle
lui donne de rencontrer Jésus le Ressuscité. Parlant de la liturgie, E. K. SUMAÏDI indique
que :

François KABASSELE part des expressions puisées dans prières du Missel du


diocèse catholique de M’buji-Mayi (RDC) où le Christ est appelé « Chef ». Le
chef bantu se présente comme un héro puissant. Il est fils de chef et son
émissaire. Il est fort, généreux et sage. Il est conciliateur entre les hommes…
C’est ce support culturel qui sert aux chrétiens bantu de ce diocèse de
proclamer la seigneurie de Jésus.520

519
X. LEON-DUFOUR, Op. Cit., p. 243.
520
E. K. SUMAÏDI, Op. Cit., pp. 102-103.

221
On le voit bien, cette comparaison de Jésus à un chef bantu que revèle la liturgie
catholique de M’buji-Mayi donne toute son importance à la prière pour le chrétien africain.
En principe, le chrétien africain doit être enclin à la prière car tout le rituel africain passe par
les libations qui ne sont rien d’autre que des prières adressées aux ancêtres et aux divinités
afin d’implorer leur secours ou leur protection. Il trouve dans la prière une source de
concentration et d’élévation.

En définitive, comme Thomas, cette attitude du chrétien africain qui part du doute
pour s’acheminer lentement vers la foi authentique n’est ni éclectique, ni syncrétiste mais elle
est salutaire et salvifique afin de ne pas flotter à toute sorte de doctrine.

III.6.1.2.3. La figure postpascale de Thomas : un exemple de témoignage


pour le chrétien africain d’aujourd’hui

Le chrétien africain, en partageant sa foi avec les autres et en contemplant la


personne du Seigneur Jésus, travaille à son épanouissement. En effet, la foi ne peut se vivre
tout seul en tant qu’individu. C’est un long processus de partage mutuel de témoignages et
d’expériences de vie vécue. Dans le processus de constitution de la foi, la majorité des
chrétiens au sud de la Côte d’Ivoire ont accédé à la prédication du prophète W. H. WADE.
C’est grâce à son témoignage que de nombreux peuples sont convertis au christianisme.

L’être de Jésus, sa présence réelle, est précisément ce que la communauté


transmet à Thomas par son témoignage. La communauté ne rapporte pas un
événement passé que Thomas aurait manqué par hasard et qu’il devrait
maintenant accepter par les mots de quelqu’un d’autre. La communauté
témoigne d’une réalité présente disponible à lui dans la foi, comme elle l’est à
la communauté dans la foi. La communauté lui indique cette réalité par son
témoignage.521

De plus, l’amour de Jésus le Christ nous ouvre l’accès à ceux qui ne partagent pas la
même foi que nous. Dans ce sens, définir la foi comme une conviction individuelle et
subjective, c’est restreindre son champ d’application. Il faut donc éviter d’absolutiser sa foi
pour la rendre plus ouverte et accueillante. Une telle « foi » peut fournir un terrain de
rencontre avec les incroyants. Pour illustrer cette pensée, F. BOVON, dans l’introduction à
son ouvrage critique sur le Nouvel Age, propose que : Chacun, chrétienne et chrétien, doit
avoir une foi ferme et accueillante, ferme pour rendre compte de ses convictions et élucider

521
S. SCHNEIDERS, Loc. Cit., p. 185.

222
ses a priori. Accueillante pour oser affronter les autres religions, les autres expériences
spirituelles522.

Des croyants plus humbles ne sont-ils pas mieux placés pour dialoguer avec des
incroyants qui, souvent, sont devenus aujourd'hui plus modestes, moins péremptoires ?
Partager sa foi avec les autres pourrait être une voie d’accès à une foi humaniste, ou, si l’on
préfère, un humanisme croyant523.

Mais, même si des hommes et des femmes viennent à croire en Jésus par le
témoignage d’autrui (parents, prédicateurs, amis) leur foi ne deviendra solide qu’à partir du
moment où eux-mêmes auront personnellement rencontré Christ.

En outre, c'est une touche de la grâce divine, quand l'homme aime à lire ou à entendre
parler de Dieu, et c'est là pour l'âme un magnifique régal. S'occuper soi-même dans ses
pensées avec Dieu, est un acte noble qui permet au chrétien d’être en phase avec son Créateur.
En fait, connaître Dieu constitue une plénitude de consolation pour une âme noble.
Malheureusement, trop peu de gens se disposent parfaitement à la contemplation du
merveilleux miroir divin.

Or, c’est par la contemplation que le Seigneur Jésus peut se révéler au chrétien. Car,
elle est la seule issue qui conduit à l’appropriation de Jésus comme le plus grand bien que
Dieu offre au chrétien.

L’union complète avec Dieu dans l'amour, à travers une lecture constante et
permanente de la Bible procure au chrétien une joie éternelle. Cette joie est encore plus
présente dans une franche et régulière fréquentation des sacrements de l’Eglise comme
l’indique SCHNEIDERS. Les sacrements sont des signes qui nous confèrent des grâces.

A ce titre, ils ouvriraient le chemin du salut au chrétien et ranimeraient


quotidiennement en lui la vie de Dieu. Ils rattacheraient le chrétien à Dieu dans la délicatesse
et la subtilité de sa foi. L’appropriation de Jésus nous montre comment déjà ici-bas l'homme
doit pouvoir goûter exactement dans la mesure où il s'y dispose aux délices du banquet final.

L’apôtre Jacques, dans son épître dit : Montre-moi ta foi sans les œuvres ; moi, c’est
par les œuvres que je te montrerai ma foi. Toi, tu crois qu’il y a un seul Dieu ? Tu fais bien.
Les démons le croient aussi, et ils tremblent (Jq 2,18-20). Ce verset nous recentre sur ce qui
522
F. BOVON, Nouvel Age et Foi chrétienne, un critique à partir du Nouveau Testament, Moulin, Aubonne,
1992, p. 5.
523
Cette expression est utilisée par A. GOUNELLE dans son Avant-propos à l’article de V. SCHMID, Op. Cit.,
p. 2.

223
peut constituer l’essentiel de la foi chrétienne : les œuvres qui trouvent leur plus belle
expression dans le témoignage de vie.

Nous pouvons témoigner devant les autres, mais c’est à eux qu’il appartient de
recevoir Christ dans leur vie. Recevoir le Christ dans sa vie suppose que le chrétien africain,
croyant en plusieurs dieux ou ancêtres, accepte le Christ comme l’un de ses dieux ou
ancêtres. E. K. SUMAÏDI précise que :

L’attribution au Christ du titre africain d’« Ancêtre » est à comprendre dans


le cadre plus large de la relation entre le christianisme et les Religions
Traditionnelles Africaines (RTA) où le sujet des « Ancêtres » et du « culte des
Ancêtres » réclame une compréhension pour que les Africains devenus
chrétiens puissent vivre profondément leur attachement au Christ, en
continuité avec leur patrimoine culturel et religieux. 524

L’on comprend aisément que si le chrétien africain perçoit le Christ comme son
ancêtre, il peut alors le recevoir et l’accepter comme son unique sauveur. En d’autres termes,
il ne peut réellement le recevoir qu’en le percevant avant tout comme celui qui inspire sa
culture à travers laquelle l’Africain est mené vers son plein accomplissement.525

La portée de cette réflexion réside dans le fait que, de plus en plus, les Africains
commencent à intégrer les pratiques chrétiennes dans leurs cultures. C’est le cas des ↄdjukru
qui ont substitué les pratiques de libations par la prière adressée à Dieu comme l’atteste E. K.
SUMAÏDI : C’est pourquoi les médiations claniques qu’ils assuraient entre Dieu et les leurs,
sont remplacés aujourd’hui par l’unique médiation du Christ entre Dieu et tous les
hommes.526

Pour les chrétiens africains d’aujourd’hui, Jésus peut être un ancêtre, un roi, un
guérisseur, une énigme, un gourou, un thaumaturge. Dans tous les cas, il représente forcement
quelqu’un ou une image dans les références sociales, culturelles, politiques, ethniques et
géographiques des chrétiens africains. Jésus est des nôtres527 selon F. KABASELE. Il
demeure le prophète par excellence et c’est grâce à l’acceptation de sa prédication de la venue
du Royaume de Dieu et le jugement que leur foi peut demeurer vive.

Par ailleurs, il ne suffit pas d’apprendre intellectuellement des vérités concernant


Jésus ; il faut le rencontrer par l’esprit pour qu’une foi authentique puisse naître. C’est ce qui
s’est produit pour le village samaritain. Lorsqu’ils eurent entendu par eux-mêmes les paroles

524
E. K. SUMAÏDI, Op. Cit., pp.78-79.
525
J. R. AGNESS, Entretien du 07 janvier 2019 à Yassap à 09 heures 35 minutes.
526
Ibid., p.79.
527
F. KABASELE et Autres, Les chemins de la christologie africaine, Desclée, Paris, 2001, p. 115.

224
de Jésus, leur cœur et leur esprit s’ouvrirent et ils reconnurent qu’Il était le Messie, le
Sauveur du monde (voir 1Jn 4:14). Il n’est donc pas seulement le Sauveur des Juifs, mais
également celui des Africains. En définitive, force serait d’affirmer avec J. F. WALVOORD
que : La foi fondée uniquement sur le témoignage d’un autre n’est que secondaire. La foi
véritable provient d’une rencontre personnelle avec Jésus : Nous l’avons entendu nous-
mêmes, voilà le meilleur des fondements528.

La quête permanente de la face de Dieu doit être pour le chrétien africain un besoin.
Ainsi, il s’assure qu’il n’est pas dans l’erreur et atteint facilement le sujet de sa foi. La
profession de Foi de Thomas: Mon Seigneur et mon Dieu! (Jn 20,28) montre très clairement
que c’est en Jésus, le Ressuscité. Thomas croit que Le Crucifié est Ressuscité ; il croit aussi
que Le Ressuscité reste présent, qu'il agit dans sa vie personnelle (double emploi de « mon »).
Thomas invite tous les chrétiens à croire, aujourd'hui encore, en Cette Présence du Ressuscité
dans leurs vies.

Cette seule méthode extraordinaire employée par son Maître pour lui rappeler tout ce
qu’il a dit en son absence, suffira pour le reconnaître. D’après J. ZUMSTEIN :

L’apparition du Ressuscité (v. 26) débusque la folie de Thomas. En l’invitant


à une vérification qui n’aura d’ailleurs pas lieu et en l’appelant à passer de
l’incrédulité à la foi (v. 27), Jésus permet par sa parole de faire passer son
disciple du doute à la confession de foi la plus haute contenue dans le
Nouveau Testament529.
En définitive, la seule présence de Jésus le Ressuscité aurait suffi de dissiper toute
l’hésitation à croire de Thomas, pour le plonger dans l’univers de la connaissance réelle des
enseignements du Jésus terrestre.

III.6.1.2.4. Faire une expérience personnelle avec Jésus-Christ

Le chrétien africain dans sa quête du salut aujourd’hui, se doit d’aller à la rencontre de


Dieu par le Christ. L’un des canaux les plus privilégiés pour rencontrer le Christ est la Sainte
Ecriture. Une vue panoramique de cette dernière nous en convaincra. L’Ancien Testament
prépare le peuple d’Israël, et par lui l’humanité à accueillir le Messie dont la vie et les œuvres
sont relatées dans les Evangiles. En eux, le Fils de Dieu se montre tel qu’il est et vient à notre
rencontre. Plus loin, dans les Actes des Apôtres et les épîtres, nous découvrons les débuts de
l’Eglise par l’action de l’Esprit Saint. Par son Fils, le Dieu invisible devient visible. Il devient

528
J. F. WALVOORD, R. B. ZUCK, Op. Cit., p. 321.
529
C. FOCANT, D. MARGUERAT et al, Op. Cit., p. 505.

225
homme, meurt et ressuscite pour nous, preuve sublime de l’amour de Dieu. Le Christ est
donc dans notre solitude, nos peines, notre angoisse devant la mort.

Partant de cette réflexion, le quatrième évangile, en son chapitre 20, décrit l’expérience
personnelle du disciple Thomas avec Jésus qui peut servir d’exemple pour la croissance
spirituelle du chrétien africain. Pour S. SCHNEIDERS :

Jésus, qui est déjà « là » — puisqu’il sait ce que Thomas a dit — apparaît à la
communauté de laquelle Thomas avait été séparé, non seulement
physiquement, mais aussi spirituellement. L’être de Jésus, sa présence réelle,
est précisément ce que la communauté transmet à Thomas par son
témoignage.530

Ainsi, comme Thomas qui rencontre physiquement le Ressuscité, l’Africain peut


rencontrer réellement le Christ à partir de sa culture. Toutefois, il ne peut dévenir chrétien
qu’en rencontrant spirituellement le Ressuscité, le vivant. S. SCHNEIDERS le fait si bien
remarquer quand il affirme que :

L’invitation à toucher, comme nous l’avons vu, n’est pas une invitation à la
vérification physique (qui ne peut pas causer ou fonder la foi), mais une
invitation à l’expérience sacramentelle : voir ce que la crucifixion signifie
vraiment, s’approprier ce que le côté ouvert offre vraiment comme
témoignage.531

Désormais, le chrétien africain ne doit plus chercher de justificatifs pour croire. Mais
également, l’Africain ne doit pas se décréter chrétien par héritage familial, tribal ou
continental ; car, l’Africain étant profondément croyant, il peut rencontrer le Christ en
acceptant de participer à l’administration des sacrements et en y croyant avec une vie dictée
par l’entière sanctification, d’une part ; d’autre part, il peut le rencontrer à travers les miracles
opérés par celui-ci et qui sont rapportés dans la Bible. Cela suppose que le chrétien africain
s’approprie la Bible.

Au fond, la Bible n’est pas le livre des « Blancs » comme le soutiennent ses
détracteurs. Le peuple, ayant séjourné plus de quatre cents (400) ans en Afrique, a des
habitudes, des us et coutumes, et des expériences idiomatiques qui ressemblent étrangement à
ceux des tribus africaines. Dans cet esprit, il faut intégrer le vécu quotidien des Africains dans
la démarche herméneutique en vue de comprendre et déterminer les coincidences susceptibles
de favoriser un meilleur enracinement. Aussi Dieu intervient-il pour sauver les opprimés. La
Bible peut aider les chrétiens africains à rechercher leur libération.532
530
S. SCHNEIDERS, Loc. Cit., p. 185.
531
Idem.
532
Extrait de l’entretien avec J.R. AGNESS et E. GNAGNE les 07 et 15 Janvier 2019.

226
Par ailleurs, comme pour Thomas, la présence de Jésus Ressuscité, une présence
spirituelle manifestée par le sacrifice sacramentel, est transformatrice. Elle fera passer le
chrétien africain de la peur à la paix, de l'enfermement à l'ouverture vers tous les hommes
(envoi des disciples), de l'obscurité à la lumière, de la mort à la vie.

Dans ce même élan, les Samaritains de Jean 4, loin de rejeter le témoignage de leur
compatriote, ont voulu expérimenter la présence du Messie eux-mêmes.

Les Samaritains expriment clairement la différence qu’il y a entre la foi


d’autorité, qui repose sur un récit, un témoignage (ce que tu nous as dit, grec
ton langage) et la foi qui se fonde sur l’expérience immédiate et personnelle
(nous-mêmes, nous avons entendu). Et telle a été la puissance de la parole de
Jésus sur leur âme, pendant ces deux journées, qu’ils peuvent dire, non
seulement nous croyons, mais nous savons que celui-ci est véritablement le
Sauveur du monde). On s’est étonné de trouver dans la bouche de ces
Samaritains une profession si explicite de leur foi, qui s’élève jusqu’à
l’universalité du salut533.

L’idée de voir le Messie des Samaritains ne dénature en rien la foi d’autorité qui
repose sur le témoignage de la femme samaritaine. Au contraire, elle atteste leur expérience
immédiate et personnelle. C’est pour cette raison qu’ils se sont exclamés : Ce n’est plus
seulement à cause de tes dires que nous croyons ; nous l’avons entendu nous-mêmes et nous
savons qu’il est le Sauveur du monde (Jn 4,42).

C’est à cette expérience que chaque chrétien africain est appelé. Probablement, elle ne
sera pas identique, trait pour trait, à celle de Thomas. Mais elle est l’une des conditions de la
connaissance du véritable Dieu qui débouche sur une affirmation de son appartenance totale à
Jésus-Christ le Ressuscité, par la proclamation de sa foi.

III.6.1.3. La figure postpascale de Thomas en Jean 20 : un modèle de


confession de foi pour le chrétien africain d’aujourd’hui

La confession de Thomas, fruit de sa découverte personnelle du Ressuscité, invite le


chrétien africain à confesser une foi résultante de son expérience christique. Le contenu de
nos « crédos » traditonnels doivent par conséquent être expliqué, au lieu de constituer de
simples récitations ecclésiales.

Dans sa bonté, Jésus a fourni à Thomas la preuve visuelle et tangible pour que le
compte-rendu écrit de sa foi et de sa confession entraînent la conversion de ceux qui n’auront
eu accès qu’au texte. O. CULLMANN dira, de son côté que :

533
L. BONNET, A. SCHROEDER, Op. Cit., p. 105.

227
La confession de Thomas est d’ailleurs non seulement la dernière, mais
encore le couronnement de toutes les confessions de l’Evangile. Les
dernières paroles du Ressuscité : Heureux ceux qui n’ont pas vu, et qui
croient », concernent aussi tous les futurs lecteurs de l’Evangile : tous
doivent croire sans avoir vu, c’est-à-dire que le témoignage sur la vie de
Jésus qu’apporte l’Evangéliste, doit les amener précisément à confesser : «
Mon Seigneur et mon Dieu »534

C’est à cette préoccupation que semble répondre la conclusion du récit (v.30 et 31).
Cet épilogue joue un rôle très important pour ceux et celles qui devront croire et qui ne verront
pas physiquement Jésus.

Fondamentalement, la récitation du crédo (325 ap. J.-C) ne doit pas être un mimétisme
historique mais de sens. Chaque vocable doit résulter du cœur de chaque chrétien africain
comme le stipule bien A. GOUNELLE dans sa conclusion au cours sur « La confession de foi » :

Etre chrétien… c'est ressentir que ce dont parle le Nouveau Testament ou ce


dont il est question dans les confessions de foi a une importance décisive dans
et pour sa vie. On est chrétien quand on reçoit des textes évangéliques et
ecclésiaux des impulsions qui orientent notre existence, quand on y cherche
une parole qui lui donne sens, même si on se pose des questions, si on éprouve
des doutes et si on ressent des difficultés.535

Dès lors, la foi de l’Africain en Christ doit être le fruit d’une confiance totale en Jésus-
Christ. Cela implique de reconnaître la place de Jésus-Christ dans son propre contexte culturel
afin de pouvoir le confesser. Ici, la christologie africaine doit être analysée afin d’en ressortir
le sens pour le chrétien africain comme le suggère E. K. SUMAÏDI lorsqu’il explique que :

L’analyse des christologies africaines révèle les divers éléments, dispersés


peut-être, de ce qui constitue les « réponses » des chrétiens africains à la
question que Jésus-Christ avait posée lui-même à ses disciples : pour vous,
qui suis-je ? » (Mt 16,15). En donnant à Jésus-Christ les titres africains
d’Ancêtre, de Chef, d’Initié-Initiateur et d’Aîné, les théologiens africains de
l’inculturation ne considèrent pas que leur démarche soit superficielle ou
périphérique. Pour eux, il ne s’agit pas d’adapter le langage déjà constitué
en Occident et dans lequel le christianisme leur avait été transmis, mais de
dire, à partir de la culture et de l’histoire de leur peuple, le mystère de la
personne de Jésus-Christ.536

On comprend bien avec cette pensée que le chrétien africain doit être capable de
confesser Jésus-Christ en se référant à sa propre culture afin de cerner la réalité qui se dégage.
La foi en Jésus-Christ ne peut aucunément constituer le produit d’une curiosité spirituelle

534
O. CULLMANN, Op. Cit., p. 268.
535
A. GOUNELLE, Cours sur la Confession de foi, repris avec des variantes dans Fritz Lienhard et Isabelle
Grellier (éd.), Comprendre et s’engager, Oberlin et Olivétan, 2005, in www.googlebooks.org, consulté le
22/04/2019 à 20 heures 12 minutes.
536
E. K. SUMAÏDI, Op. Cit., p. 308.

228
comme c’est le cas dans nos communautés ecclésiales où la course aux veillées de prière et
aux miracles sans sans aucun motif spirituel pour la majorité des chrétiens, sont devenues
monnaie courante. La figure postpascale de Thomas convie tout chrétien africain à marcher
par la foi et non plus par la vue : Heureux ceux qui n’ont pas vu, et qui ont cru (Jn 20,29).
Cette béatitude qu’offre le Christ par le truchement de Thomas est le couronnement d’une
expérience dont doit se saisir chaque chrétien africain. X. LEON-DUFOUR fait remarquer
que :

Enfin Jésus reconnaît que Thomas a authentiquement accédé à la vraie foi,


chose que n’avaient pas faite les disciples dans saint Luc. Il l’en félicite, sans
pour autant accepter de lier la foi à la vision que Thomas vient d’avoir. En
déclarant heureux ceux qui n’ont pas vu, Jésus ne déprécie aucunement ceux
qui ont le privilège des apparitions. En dépit de ceux que l’on pense parfois,
le Christ béatifie également ceux auxquels il ne s’est pas fait voir et qui
cependant croient de tout leur cœur.537

Au total, cette section nous a montré comment l’exemple de Thomas contribue à


l’amélioration de la vie chrétienne à travers l’expérience personnelle, la contemplation et
l’appropriation de Jésus le Christ comme le seul SEIGNEUR et l’unique SAUVEUR. Croire
en ce Jésus conduit au salut. Mais, tout cela n’est réalisable que si le chrétien africain se
réfère aux sources de la foi.

III.6.2. LE NECESSAIRE RETOUR AUX SOURCES DE LA FOI

Pour parler de la foi, les Hébreux semblent surtout se référer à l’expérience du


patriarche Abraham. En effet, selon l’Ancien Testament, Abraham est le modèle même du
croyant pour avoir accepté la dure proposition de Yahvé : le sacrifice de son fils unique Isaac.
Avec la Nouvelle Alliance, la foi prend sa véritable forme dans la période pascale et trouve
son importance même à la résurrection du Seigneur Jésus-Christ. Chez les Pères de l’Eglise,
le sens et le contenu de la foi apparaissent avec une clarté lumineuse. Elle est une adhésion
totale à la personne de Jésus-Christ. Pour les Africains, la foi est une adhésion à un système
de croyance à partir duquel il fait déterminer sa vie et son dessein.

III.6.2.1. Le retour à l’Evangile du Christ

Dieu s’est révélé par sa Parole (Jn 1) et a aussi créé toutes choses qui sont vérifiables
dans l’espace et dans le temps. On ne peut donc laisser penser que l’homme est impersonnel.
Il a été fait à l’image de Dieu. Mais, il a tout simplement perdu tous ses privilèges en se
détournant de sa Parole. Du coup, il se coupe de sa communion avec Dieu.

537
X. LEON-DUFOUR, Op. Cit., p. 244.

229
Or, celle-ci est vitale. Le Catéchisme de l’Eglise Catholique stipule que : Dieu,
infiniment parfait et bienheureux en Lui-même, dans son dessein de pure bonté, a librement
créé l’homme pour le faire participer à sa vie bienheureuse538. C’est dire donc que cette
image divine, comme un appel à l’être, est présente en chaque homme. Malheureusement,
cette vie bienheureuse a tendance à échapper à l’homme.

Cependant, il peut tout recouvrer s‘il se donne véritablement à Jésus et le reconnait


comme son Seigneur et son Sauveur. L’évangéliste Luc le confirme si bien dans Ac 4,12 : Il
n’y a pas d’autre nom sous le ciel donné aux hommes par lequel ils puissent être sauvés.
C’est cette vérité indéniable qu’il faut affirmer, car :

Le Christ, tout Dieu qu’il est, a pris sur lui le péché du monde et s’est sacrifié
pour lui, pour lui obtenir la vie. C’est donc uniquement en lui que le chrétien
est sauvé… Ce n’est donc pas maintenant que de faux prophètes, se prenant
pour Dieu, incarnation de l’Esprit Saint et du Dieu Créateur, viendront nous
égarer. N’oublions pas que Jésus lui-même nous a mis en garde contre eux :
« Il surgira de faux prophètes, qui produiront de grands signes et des
prodiges, au point d’abuser même les élus » (Mt 24,24). C’est seulement en
Jésus-Christ que s’accomplit la plénitude de la révélation de Dieu. « La
révélation complète et définitive du mystère salvifique de Dieu se réalise en
Jésus-Christ, (…) Verbe de Dieu fait homme pour le salut de tous. »539 Et saint
Paul de dire : « si tu affirmes de ta bouche que Jésus est Seigneur, si tu crois
dans ton cœur que Dieu l’a ressuscité d’entre les morts, alors tu seras sauvé »
(Rm 10,9). Il faut donc croire en Jésus ressuscité et suivre la route qu’il nous
indique, si épineuse qu’elle soit, sans oublier que c’est par la croix qu’il nous
a obtenus la vie540.

Dans le Nouveau Testament et particulièrement dans les évangiles, la foi se résume


dans la trilogie Passion-Mort-Résurrection de Jésus le Christ. En effet, tout au long de son
ministère Jésus a exhorté instamment à la foi (Mc 1,15 ; 11,22 ; 11,31 ; Jn 20,29 ; etc.). Il a
condamné aussi bien l’incrédulité de la foule (Mc 6,6 ; 15,32 ; etc.) que celle des disciples
(Mc 16,14 ; Jn 20,27).

L’emploi régulier du verbe « croire » laisse entrevoir le caractère dynamique de la foi.


Elle est la source du pardon des péchés (Mc 2,5), de la guérison (Mc 5,34), de la vie en
abondance (Jn 11,25) et permet de poser des actes de puissance (Mc 11,23). En d’autres
termes, il ne peut avoir de salut pour le chrétien en dehors de la foi. Une telle foi exige une
démarche, une adhésion du chrétien. Ce dernier ne devrait plus hésiter à se mettre à la suite de
Jésus le Christ pour le servir, même dans les moments de difficultés apparentes.

538
Le petit Catéchisme de l’Eglise Catholique N°1, consulté le 16 mars 2018 à la bibliothèque catholique de
N’Goya à 11 heures.
539
Conférence épiscopale de Campanie, 02 avril 1995.
540
Séminaire œcuménique, Loc. Cit., pp 12-13.

230
Cependant, la foi seule ne suffit pas pour croître dans la connaissance de Dieu et
parvenir à la couronne incorruptible. En effet, l’actualité du christianisme nous impose
l’amour de Jésus-Christ et l’amour pour tous, seul gage d’une société restaurée. Il faut se
rappeler que la restauration de la dignité humaine passe inéluctablement par l’instauration
d’une société humaine.

Certes, il paraît presqu’impensable de concevoir une société juste et équitable à cause


de la solidarité chrétienne mal vécue et du manque d’accompagnement vrai, quelque fois
marqués par un syncrétisme et un sectarisme observés chez les chrétiens africains.

Néanmoins, l’on pourrait se contenter de la création de communautés dans lesquelles


les hommes seront tous dans de mêmes dispositions, compatissants, animés d’un amour
fraternel, miséricordieux, humbles (1Pi. 3 :8), effectivement au service des malheureux et
auront pour seul modèle Jésus-Christ. Cela nécessite un attachement au Christ pour un
renouveau de la personne. Cet attachement passe par la redécouverte de la loi d’amour du
Christ et du choix du Christ comme un modèle de vie.

III.6.2.2. La redécouverte de la loi d’amour du Christ

Dans un contexte socio-économique et religieux aussi difficile que celui que traverse
notre société aujourd’hui et qui tend à déshumaniser l’homme, la redécouverte du
commandement d’amour du Christ s’avère une nécessité pour restaurer la dignité de la
personne humaine. La redécouverte de l’amour du Christ presse le chrétien africain et l’oblige
à l’expérimenter dans sa marche quotidienne. Son contenu se trouve dans le double
commandement de l’amour de Dieu et du prochain (Mc. 12,28ss) : don total de soi à Dieu et
au prochain.

Dans le contexte africain, l’amour est considéré comme le ciment de la tradition.


L’hospitalité et la solidarité entre les membres du clan en sont l’expression. Cet amour se
manifeste le plus souvent à l’occasion d’un deuil ou d’une cérémonie de réjouissance. Un tel
amour ne peut que favoriser la création de communautés chrétiennes harmonieuses dans
lesquelles le partage et l’unité sont les maîtres-mots. Malheureusement, l’envie, la jalousie, le
mensonge, la préférence excessive de l’argent, la recherche effreinée du pouvoir et autres
maux, véhiculés par une certaine élite religieuse, poussent les chrétiens à la haine, à la
division, à la méfiance.

Mais le Christ est venu restaurer un monde unifié, une Famille humaine à
l’image de la Famille trinitaire. Nous sommes de la Famille de Dieu : voilà

231
la Bonne Nouvelle ! Un même sang circule dans nos artères, et c’est le sang
de Jésus-Christ, un même Esprit nous anime, et c’est l’Eprit Saint, Fécondité
infine de l’amour divin.541

Dans le texte de Jean 20, Thomas doute. La porte de son cœur est fermée (Les portes
sont encore verrouillées). Mais, il revient dans le lieu où Jésus est apparu ; comme s'il se
posait quand même des questions, comme s'il cherchait. Dieu travaille toujours le cœur de
celui qui doute et qui cherche. Lorsque par exemple Thomas commence par douter, Jésus ne
l’exclut pas du groupe des onze. C’est comme s’il lui disait tout naturellement : Attention !
Ne franchis pas ce seuil, il est dangereux ; laisse-toi plutôt pénétrer par le témoignage vivant
de ma résurrection (Ne deviens pas incrédule, mais crois ! Jn 20,27). Thomas découvre
l’amour incommensurable du Ressuscité qui ne le rejette pas, mais lui offre la possibilité de
gouter aux délices de sa suivance.

On pourrait aller plus loin pour voir dans l’acte que Jésus pose les jalons d’un
accompagnement pastoral ou mieux d’une psychothérapie qui aide Thomas à se souvenir de
qui il est lui-même, qui est au fait ce Jésus qui lui parle, et des paroles qu’il lui a dites
lorsqu’il traversait toute la Palestine ensemble.

A travers cet exemple, le Christ indique au chrétien africain qu’il n’y a pas d’amour
vrai, complet, du cœur tout entier pour Dieu, sans amour pour le prochain. Réciproquement, il
ne peut avoir de moralité teintée d’humanitarisme sans amour de Dieu. La seule réconciliation
avec le prochain fait du culte rendu à Dieu un acte de foi pur et donc vrai.

Ce dont il s’agit, c’est de la surabondance de l’amour qui ne peut être maintenu dans
d’étroites limites. Il fait éclater les frontières de la famille, du clan, du rang social, de la
nation. Il transcende également les haines religieuses et le mépris (Lc 10,20ss). Cet amour ne
dépend pas des élans vulgaires du cœur humain, de l’éros542, de l’attirance ou de la sympathie,
de l’amitié ou de toute autre forme de communication humaine. Il tire plutôt son origine dans
la bonté et la miséricorde créatrice et dispensatrice de Dieu à travers la mort et surtout la
résurrection de son bien-aimé Fils Jésus le Christ. Selon L. et E. WOUNGLY-MASSAGA :
Le message de la résurrection du Christ renvoie à une intervention de Dieu, qui par amour
arrache l’humain à cette pente qui le conduit vers le néant pour l’introduire dans la plénitude
de vie, dans la communion avec lui543.

541
Extrait de la Conférence épiscopale du Zaïre, Message du Synode, Kinshasa, Secrétariat Général de la CEZ,
1994, N° 24-25, In E. K. SUMAÏDI, Op. Cit., p. 136.
542
Ensemble des pulsions de vie.
543
L. et E. WOUNGLY-MASSAGA, Op. Cit., p. 97.

232
Cette volonté de Dieu ne saurait être régie par un certain nombre de préceptes que
l’homme doit observer à un moment donné de l’histoire du monde. Elle demeure dynamique
et doit être lue dans les yeux des hommes qui vivent autour de nous et qui, si souvent, crient
silencieusement leur misère et leur désespoir 544, estime le Cardinal B. YAGO. Ce dernier
fustige le fatalisme des uns et l’égoïsme des autres qu’il juge inacceptable dans un monde créé
aimant.

Dans cette même dynamique, H.-D. WENDLAND constate que l’amour du prochain


ne postule ni une idée, ni l’image idéale de l’homme à aimer. Il est au contraire absolument
dépouillé d’idéalisme545. Il intéresse donc l’homme concret, tangible, quotidien que nous
rencontrons. L’amour du prochain s’adresse à tous ceux qui sont dans la détresse. Cette
invitation à l’amour implique que les hommes soient plus « justes », c’est-à-dire capables de
nourrir les affamés, désaltérer les assoiffés, vêtir les dépouillés, visiter les prisonniers, toute
chose qui distingue le chrétien en pleine croissance et émancipée du chrétien mondain. C’est à
ce prix que les chrétiens africains réaliser l’Eglise corps du Christ.

Cependant, un obstacle reste à lever et concerne la responsabilité des bergers commis


à la garde des chrétiens africains. En abordant dans ce sens, E. K. SUMAÏDI pense palier à
cette difficulté en s’appuyant sur la déclaration finale de la Conférence épiscopale du Zaïre de
1994 qui affirme que :

Pour réaliser une telle Eglise, il nous faut des prêtres qui vivent à fond leur
sacerdoce comme une vocation à la paternité spirituelle, des familles
chrétiennes qui soient d’authentiques « Eglises domestiques » et des
communautés ecclésiales vraiment vivantes. C’est pourquoi le Synode s’est
beaucoup penché sur les qualités de ces agents pastoraux de première
importance et sur leur formation.546

La question de la formation des pasteurs qui ressurgit constitue le nœud de la


transformation de la société. En dépit de cette épineuse question de formation des pasteurs qui
s’apparente à une crise de vocation, force est de reconnaître que la foi et l’amour sont des
éléments catalyseurs de la croissance spirituelle du chrétien africain dont le Christ en est le
modèle parfait.

544
B. YAGO, In Collectif, Ethique et développement : l’apport des communautés chrétiennes en Afrique,
Yaoundé/Rome, Clé/Institut International Jacques Maritain, 1995, p. 33.
545
H.-D. WENDLAND, Ethique du Nouveau Testament, Genève, Labor et Fides, 1972, p. 26.
546
E. K. SUMAÏDI, Op. Cit., p. 136.

233
III.6.2.3. Jésus-Christ comme un modèle de vie pour le chrétien africain

Au cœur de notre société enclin à une dépersonnalisante humanisation, l’attachement


au Christ apparaît comme une lueur d’espoir qui éclaire un jour nouveau l’épanouissement du
chrétien africain. En effet, Jésus-Christ abolit en sa personne toutes les différences entre les
hommes. On ne peut donc concevoir un humanisme vrai sans le Christ.

Les expériences d’hier et d’aujourd’hui suffisent pour nous convaincre que les vertus
humaines développées sans le charisme chrétien dégénèrent toujours en immoralités. Les
stigmates de la crise socio-économique et religieuse sont très visibles, à telle enseigne que
l’on fait une allusion évidente à l’état primitif de l’homme créé à l’image de Dieu. Cette
image a été défigurée par le péché, et doit être restaurée par un renouvellement complet. Parce
que les hommes sont parfaitement égaux devant Dieu, les barrières élevées entre les races par
les préjugés tombent, et leur lien commun, lien intime et vivant, est Christ, qui est tout en
tous.

Il est juste de constater que les crises actuelles dans le monde sont teintées de
religiosité. Néanmoins, aujourd’hui, on pourrait citer plus d’un peuple païen converti,
évangélisé, comme la preuve que l’Évangile a la puissance de ramener les hommes à leur
sublime destination. Mais alors, pourquoi certains chrétiens manipulent-ils d’autres chrétiens,
soient-ils démunis ou riches pour assouvir leur soif de pouvoir ?

Fondamentalement, il ne saurait exister entre les hommes des différences basées sur la
richesse, la condition sociale, la nationalité ou la religion. La société n’est pas la propriété
d’un groupe particulier d’individus ; elle est don de Dieu à tous les hommes. Ainsi, la vie en
société a pour boussole Jésus-Christ, en tant que centre vers lequel les hommes doivent faire
converger tout ce qu’ils sont eux-mêmes, et auquel ils rapportent tout ce qui les touchent.
Jésus-Christ affirmait lui-même : Je suis le cep et vous êtes les sarments (Jn 15,5). Cela
indique d’une part que tous les hommes sont en étroit rapport avec lui, et d’autre part que
c’est de lui qu’ils reçoivent la vie.

En quoi réside donc la différence entre celui qui opprime en manipulant la conscience
de l’autre et celui qui recherchant la face de Dieu se trouve opprimé ? Entre le pasteur et le
fidèle ordinaire ? Les hommes sont tous appelés à être uns dans le Christ. Si nous tolérons ce
genre de distinction dans la société, nous nous rendons responsables de division du corps de
Christ. C’est pourquoi seul un accompagnement de l’Eglise permettrait de recentrer toutes les
déviations qui mineraient et saperaient la dignité humaine.

234
III.6.3. L’ACCOMPAGNEMENT DE L’EGLISE EN VUE DE
L’EMANCIPATION DU CHRETIEN AFRICAIN

Le Pape François dès sa prise de pouvoir allègue :

Le bien tend toujours à se communiquer (...) Lorsqu’on le communique, le


bien s’enracine et se développe. C’est pourquoi, celui qui désire vivre avec
dignité et plénitude n’a pas d’autre voie que de reconnaître l’autre et
chercher son bien. Certaines expressions de saint Paul ne devraient pas alors
nous étonner : L’amour du Christ nous presse (2 Co 5, 14) ; Malheur à moi si
je n’annonçais pas l’Évangile ! (1 Co 9, 16)547.

L’accompagnement de l’Eglise peut se résumer dans la recherche du bien-être de


l’homme et non sa destruction, par l’accomplissement d’une mission tripartite : éduquer les
hommes, leur annoncer la Bonne Nouvelle du salut en Jésus-Christ et dénoncer les fausses
doctrines et les tares de la société.

III. 6.3.1. Eduquer les chrétiens

Par l’éducation, l’Eglise forme l’esprit des hommes et développe leur sens moral.
Selon P. VITTOZ : L’enseignement est si étroitement lié à l’apostolat…que l’Eglise n’a
jamais oublié son devoir d’instruire ses membres dans la révélation qu’elle proclame548.

L’éducation chrétienne enseigne que les injustices doivent être combattues et que
l’amour concret du prochain s’exprime en entraide et solidarité tandis que l’attachement aux
biens ne conduit pas à la fraternité549. Malheureusement, nous assistons à une course aux
biens des chrétiens chaque jour dans nos communautés. Cette attitude ne laisse pas indifférent
les ministres de la Parole affectueusement appelés « Hommes de Dieu » qui déploient toute
leur énergie dans la recherche de pouvoirs aux couleurs magiques, dans le seul but
d’impressionner et d’émerveiller les chrétiens restés encore dans l’ignorance.

D’une part, l’éducation permet à l’église de renforcer ses capacités dans le domaine du
mariage et de la vie familiale où se situent les enjeux majeurs des mutations actuelles de
l’Afrique. En apprenant aux enfants, par exemple, à fréquenter les Ecritures dès le bas âge,
serait une chance pour l’Eglise. Ceci leur permettrait de combattre l’ignorance, plébiscitée
comme le premier ennemi de l’homme. La cellule familiale comme base initiatique de
l’éducation chrétienne constitue une chance pour la croissance spirituelle du chrétien.

547
Pape François, Evangelii Gaudium sur l’annonce de l’Evangile aujourd’hui.
548
P. VITTOZ, In Collectif, Manuel de théologie pratique, Yaoundé, Clé, 1971, p. 141.
549
Ibid., 129.

235
Ainsi, comme pour les initiations dans un village, les initiés s’inscrivent dans
l’histoire de leur peuple et la continuent, de même les chrétiens africains,
initiés au mystère de Jésus-Christ, s’inscrivent dans l’histoire saine et la
continuent. Par leur engagement concret dans la vie, selon leurs charismes
et métiers, ils témoignent des valeurs évangéliques et évitent à la société
toute entière le règne de la mort et le désordre. 550

Dans une certaine mesure, l’éducation peut fournir une meilleure répartition des
richesses. L’on éviterait dans ce cas le désordre constaté dans les communautés chrétiennes.
Le rôle de l’Eglise serait d’offrir aux acteurs socio-économiques la promotion de nouvelles
structures d’investissements qui favoriseraient la libération politique, économique, sociale et
religieuse des pauvres et des opprimés. Car, le règne du Christ, c’est aussi la mise en place
d’une pédagogie active à travers des exhortations et des réprimandes.

Dans une autre mesure, elle doit faire la promotion de tout l’intérêt que suscite la
formation théologique. Cet intérêt réside dans le fait même que le chrétien peut servir Dieu
par son travail scientifique 551. Il expose à ses contemporains ce qu’il découvre par le
questionnement des Saintes Ecritures afin d’enrichir leurs connaissances et consolider leur
foi. En effet, beaucoup de théologiens religieux ont estimé qu’une exégèse sérieuse pouvait
aider à la compréhension du message de Dieu. Pour mieux cerner la portée d’une telle
suggestion, il faut répondre à la question suivante : de quoi doit partir le pasteur qui annonce
l’Evangile ?

Devant cette question, la théologie néo-protestante ou libérale répond qu’il faut partir
de l’homme, des questions qu’il se pose face à sa propre existence, à sa destinée et à sa mort.
L’homme est une réalité certaine alors que Dieu ne l’est pas. Ses réponses et son existence
sont incertaines. Il faut donc le convoquer à la barre pour lui poser les éléments du dialogue
afin qu’il en réponde. C’est dans cet ordre d’idées que K. BARTH souligne que la théologie
est et n’est qu’intelligence, interne, de la foi.

Tout au long de notre formation théologique, nous nous sommes rendu à l’évidence
qu’une étude approfondie des récits bibliques, apportée par une exégèse minutieuse
démontrerait la permanence de Dieu d’âge en âge et que Jésus-Christ est le même, hier,
aujourd’hui et éternellement (Héb. 13,8). C’est dans ce contexte que s’inscrit le doute du
chrétien, en tant que principe de réflexion.

Dès lors, possédant ce principe, le chrétien peut avoir les regards fixés dans la bonne
direction et se poser des questions appropriées pour comprendre ce que disent les écrits

550
E. K. SUMAÏDI, Op. Cit., p. 162.
551
F. SCHAEFFER, Op. Cit., p. 81.

236
bibliques de la part de Dieu. Comme le pense le philosophe ALAIN, le doute est le sel de
l’esprit…Tout progrès est fils du doute (…) l’esprit qui ne sait plus douter descend au-
dessous de l’esprit552. Une telle approche ne pourrait que servir le chrétien dans sa marche
quotidienne et l’amènerait à ne plus douter, auquel cas sa foi ne sera que partielle et flexible.

Inopportunément, la pauvreté, la famine, les maladies, le chômage grandissant dans


les cités africaines poussent quelques personnes (hommes et femmes) éclairés par
l’instruction à s’autoproclamer des apôtres, des prophètes, des généraux de Dieu, des
patriarches, etc. Ces derniers manipulent à souhait nos frères et sœurs dans la foi, allant
parfois même jusqu’à les dépouiller de leurs biens. Ce triste constat a amené certains
dirigeants africains à prendre des mesures drastiques afin de libérer les chrétiens africains des
griffes de ces nouveaux gourous.

L’exemple du Rwanda en est une parfaite illustration. D’après le site internet de La


Voix d’Amérique, section Afrique, les autorités politico-administratives de la République
rwandaise veulent imposer aux prédicateurs le cours de théologie et ce, obligatoirement. Le
gouvernement tient à lutter contre les sermons trompeurs. A cet effet, une nouvelle loi sur les
congrégations religieuses doit durcir les conditions d’autorisation d’ouverture de nouvelles
églises. Le même site rapporte que presque six mille églises ont été fermées et au moins deux
cents prédicateurs ont été radiés553.

Une telle initiative est à encourager. Dès lors, il est impératif que tous les dirigeants
africains s’engagent dans cette dynamique proposée par les autorités rwandaises. Cela leur
éviterait tous les dommages causés par certains aventuriers sans foi qui prétextent d’être
illuminés par l’Esprit Saint pour détourner les humains de la véritable voie de Dieu. C’est
pour cette raison que la formation théologique doit s’étendre à tous les chrétiens, pasteurs et
laïcs. Le contenu de cette formation doit se comprendre, en tout état de cause, comme une
réponse de la culture africaine à la question de sa volonté historique, et plus encore, une
réponse à la crise spirituelle intérieure. Ce projet d’une grande importance peut être piloté par
des théologiens bien formés.

Aussi, les enseignements, les prédications et les études bibliques doivent-ils porter
sur la Parole de Dieu : Sola Scriptura (seule l’Ecriture). Malheureusement, les prédicateurs
de nos jours ont substitué la Bible à leurs seules expériences de vie et à aux témoignages

552
ALAIN, In P. FOULQUIE, Op. Cit., p. 188.
553
www.voaafrique.com, consulté le 07 / 03 / 2018 à 15 heures 57.

237
parfois teintés de superstitions. Il urge de revenir à la proclamation de l’Evangile, seul gage
d’une vraie édification du chrétien africain.

III.6.3.2. Annoncer l’Evangile du Christ et dénoncer les fausses doctrines

III.6.3.2.1. Annoncer l’Evangile dans une Afrique déjà chrétienne

Le visage triste qu’offre le christianisme aujourd’hui, à travers les divisions, la


chasse à l’homme, les assassinats, la manipulation, les détournements de fonds, et autres dans
les églises, déteint sur l’annonce de l’Evangile. La conséquence directe est la détérioration de
la dignité humaine. Or, la restauration de l’Evangile, tout comme celle de la dignité humaine,
sont à Dieu. Qu’on la considère comme guérison, ou réconciliation, ou libération, c’est
toujours Dieu qui en est l’auteur. Tel est le contenu de la Bonne Nouvelle.

Cependant, l’homme nouveau, c’est-à-dire le chrétien d’aujourd’hui, est aussi appelé


à vivre et à proclamer cette Bonne Nouvelle du salut dans un langage compréhensible pour
tous les hommes. Cela implique en premier lieu le renouveau de l’Eglise pour l’annonce de
l’Evangile, la formation de différents mouvements et tout le peuple de Dieu en vue d’une
nouvelle vision de l’Eglise. Cela implique également une prise en compte de toutes les
dimensions de la dignité humaine aux plans religieux, socio-économique et politique.

Le rôle d’accompagnement de l’Eglise serait donc une manière de vivre et non une
répétition des déclarations de foi. Ainsi la vérité de l’Evangile et la puissance du Saint-Esprit
conduiront-elles les chrétiens à respecter et à reconnaître en leurs prochains les hommes créés
par Dieu.

Il s’agit également d’apprécier la foi à la lumière de l’actualité contemporaine. Cela


nécessiterait une approche renouvelée de la catéchèse qui rendrait la foi intelligible : c’est la
nouvelle évangélisation que nous proposons. Le message du salut doit être dit de manière
précise mais de sorte qu’au sein même de l’Eglise, les chrétiens se sentent en famille.

Dans sa relation au monde, le message chrétien doit se faire plus compréhensible.


Dans cette vision, aucun homme ne serait dépaysé par le christianisme parce qu’il aurait
porté un message universel qui s’adresse à l’intime même de tout homme et de tout l’homme.
Tout l’enseignement de l’Evangile se concentre alors sur l’homme. La société de la
mondialisation nécessite une vision englobante de la morale et de la foi chrétienne. Pour la
cause, il est pressant de multiplier les structures de formations et d’informations qui puissent

238
responsabiliser les chrétiens à telle enseigne qu’ils prennent sur eux-mêmes de vivre leur foi
de façon spontanée et décisive.

L’annonce de l’Evangile doit faire passer le chrétien du christianisme de naissance à


un christianisme de re-naissance, c’est-à-dire un christianisme vécu et ancré sur de solides
raisons personnelles. C’est là le but final de la nouvelle évangélisation. En veillant
activement à l’intelligibilité de la foi, la dimension universelle du christianisme est d’office
sauvegardée et les chrétiens seront aguerris pour ne pas capituler face à la question de la
culture et de ses réalités554.

Faudrait-il peut-être penser à une inculturation, actualisation et contextualisation


théologique de l’Evangile dans la culture africaine afin de permettre aux chrétiens africains
de mieux comprendre leur foi et la vivre. Pour mieux cerner ces trois concepts qui prêtent à
débat dans les cercles de réflexion théologique, nous signalons avec E. K. SUMAÏDI que :

L’évaluation que fait Joseph NDI-OKALLA sur la terminologie et la


problématique de l’inculturation montre bien la pertinence et la globalité de
la démarche de l’inculturation comme une vraie théologie contextuelle. Pour
lui, ce n’est pas uniquement « un thème et un produit ecclésial exotique,
réservé aux jeunes Eglises d’Afrique, d’Asie et d’Océanie », mais il
concerne bien toutes les Eglises et tout discours théologique .555

Partant, cette nouvelle forme d’évangélisation qu’on a appelé inculturation,


actualisation et contextualisation théologique556 doit être vulgarisée et enseignée dans nos
institutions de formations religieuses aujourd’hui. Deux raisons militent en faveur de notre
proposition.

D’abord, inculturation, actualisation et contextualisation théologique considérée


comme une théologie selon les critiques, traduirait sans une corruption avérée, le message
chrétien dans une culture donnée. Elle offre ainsi la possibilité de se départir des nombreux
discours démagogiques des grandes agglomérations qui rejettent toute intrusion de la culture
dans l’annonce de l’Evangile pour rencontrer le chrétien dans son propre milieu naturel. Dès
lors, la foi chrétienne peut être annoncée en l’incarnant dans les modes de penser, de vivre,
d’agir, les manières de s’exprimer et les aspirations qui caractérisent une culture pour que,
sous l’action de l’Esprit Saint, elle soit transfigurée en un espace de croissance spirituelle et
donc de salut pour son peuple : C’est l’homme africain, habité par sa mémoire d’hier et celle
d’aujourd’hui, lourd et riche de toute sa participation à sa culture – selon une acception

554
Séminaire œcuménique, Loc. Cit., p. 22.
555
E. K. SUMAÏDI, Op. Cit., p. 73.
556
Idem.

239
dynamique et non statique – (milieu, temps, histoire), que le baptême va faire participer à
l’Evangile de vie de Jésus-Christ.557

Ensuite, inculturation, actualisation et contextualisation théologique permettrait de


lire la culture à la lumière de l’Evangile. Elle se déploie alors comme un dynamisme
missionnaire qui opère, sous l’impulsion de l’Esprit Saint, le baptême de la culture. Elle
deviendrait ce que Jean-Paul II appelle l’incarnation de l’Evangile dans les cultures
autochtones, et en même temps, l’introduction de ces cultures dans la vie de l’Eglise558.

Notre plaidoyer part de la confession de Thomas après que Jésus lui soit apparu, ce
qui l’a conduit dans les contrées de l’Asie pour annoncer que Jésus est le Fils de Dieu et qu’il
faut désormais croire en sa résurrection, pour être sauvé par Lui. L’on peut déduire qu’il
suffit de vivre la Bonne Nouvelle dans son contexte et donner entièrement sa vie à Christ
pour être sauvé. Un nouvel horizon d’expérimentation d’une nouvelle évangélisation, en vue
de la contextualisation du kérygme pascal, s’ouvre pour le chrétien africain.

En effet, le chrétien qui vit le message du salut avec les réalités de sa propre culture
l’enracine profondément. Ainsi, il nous faut éviter la tentation de nous déposséder de notre
responsabilité d’acteurs historiques et de bâtisseurs de notre propre histoire, au profit des
usurpateurs de toutes sortes qui prétendent vouloir notre bien en nous enfermant dans des
cercueils exquis où nous pouvons dormir pour l’éternité559.

La figure postpascale de Thomas, après sa rencontre avec le Christ dans la chambre


aux portes verrouillées, a bouleversé les mœurs et coutumes de la tradition juive. Car les
incrédules ne doivent plus douter de la messianité de Jésus le Christ. Mais, ils doivent
adhérer à cette foi nouvelle qui est débarrassée de toutes scories, tout en demeurant tels
qu’ils sont. L’essentiel est de vivre pleinement leur foi même étant Juifs, Grecs, maîtres ou
esclaves.

Le chrétien africain doit être un Africain pour vivre entièrement sa foi en Christ sans
chercher à s’occidentaliser. Avec force il faut affirmer que l’Evangile doit être vécu avec nos
réalités africaines qui n’entrent pas en contradiction avec le message évangélique. La
chrétienté africaine doit être libérée de l’influence des occidentaux. Selon K. A. HOUNSA :

Lorsque le Pape Jean Paul II a lancé le thème de la nouvelle évangélisation comme


grand chantier missionnaire pour l’Église à l’aube du troisième millénaire, beaucoup de

557
Idem.
558
Jean-Paul II, Slavorum Apostoli, in La Documentation Catholique, N° 1900, 1985, p. 724.
559
Kä MANA, Chrétiens et Églises d’Afrique : penser l’avenir, Yaoundé, CLE, 1999, p. 44.

240
théologiens Africains ont senti que s’ouvrait là un champ de recherche et de réflexion
d’une vaste portée et d’une importance capitale pour le continent africain. A titre
d’exemple E.-J. PENOUKOU, un théologien Béninois, a fait quelques propositions pour
les Églises d’Afrique ; J.-M. ELLA a proposé « de la conversion à la réforme dans les
Églises d’Afrique » ; KÄ MANA, théologien et philosophe Congolais, tout en invitant les
chrétiens d’Afrique à penser l’avenir, a commencé à explorer les pistes d’une nouvelle
évangélisation en Afrique ; K. BEDIAKO, théologien Ghanéen, a élaboré une théologie
de Jésus en Afrique, D. M. GAMS, théologien et historien de l’Église camerounais, a
proposé une historiographie de la chrétienté africaine comme défi pour la troisième
évangélisation en Afrique au troisième millénaire ; P. POUCOUTA, théologien
Congolais, propose une relecture de Paul comme ancêtre africain 560.

Ainsi, l’Église en Afrique, pour mieux comprendre la portée de l’Évangile, est dans
l’obligation de créer un espace où l’Évangile doit être relu et ré-questionné dans son essence
même face aux préoccupations éducatives, éthiques, spirituelles, sociales, politiques,
culturelles et économiques de nos pays ; un espace où la révélation biblique se donnerait de
nouveau à penser et à vivre comme principe de base pour orienter l’avenir, pour engager la
vie des peuples africains sur la voie des remises en question fondamentales et des
transformations profondes de leur intelligence, dans le contexte des bouleversements
théologiques et idéologiques qui ont secoué Paul sur le chemin de Damas561.

Le chrétien africain a donc urgemment besoin de s’affranchir de l’emprise de ces


anciennes idoles et divinités afin de mieux comprendre et vivre sa foi en Jésus-Christ selon
les exigences de la construction d’une nouvelle société. Pour nous Africains, disait Kä
MANA :

L’impératif de structurer les esprits dans une nouvelle cohérence vitale, selon
de nouvelles logiques d’organisation et d’action, de nouvelles stratégies de
formation et de mobilisation,… qui soient le socle sur lequel bâtir l’avenir
face aux malheurs qui nous accablent.562

L’Église en Afrique doit s’engager résolument dans le rejet de tout ce qui nie la
dignité du chrétien africain et qui l’empêche de confesser réellement sa foi en Jésus sans pour
autant être sceptique.

Une telle démarche implique un réexamen systématique et rigoureux du


contenu de la tradition apostolique, des modes d’interprétation que l’occident
a élaborés et nous a légués, des structures ecclésiales, de l’ecclésiologie, des
données liturgiques, des ministères institutionnalisés, qu’il a établis, en
fonction de sa sensibilité spirituelle et de ses besoins religieux. 563

560
K. A. HOUNSA, Op. Cit., p. 194.
561
K. A. HOUNSA, Op. Cit., p. 194.
562
Kä MANA, Op. Cit., p. 19.
563
K. A. HOUNSA, Op. Cit., p. 194.

241
Aujourd’hui, Jésus-Christ étant le seul critère d’appréciation qui interpelle la
chrétienté africaine, notre devoir est la fidélité évangélique. E-J PENOUKOU cité par K. A.
HOUNSA souligne que :

C’est en face de cette interpellation que les Églises d’Afrique auront


aussi à mettre en question les élaborations cultuelles, religieuses,
sociales, de leurs peuples, à en saisir les significations et les valeurs
réelles, à rompre avec leurs ambiguïtés et leurs égarements 564. 

La nouvelle lecture de Thomas dans le contexte africain doit sortir les Églises
d’Afrique de leur mode de vivre l’Evangile conformément aux directives laissées par le
missionnaire évangélisateur, colonisateur et civilisateur. Ce mode de vie qui les enferme dans
une connaissance froide de la connaissance. L’Eglise en Afrique a un besoin de se départir de
la vision occidentale du christianisme qui renie la culture africaine en la taxant d’animiste, de
fétichiste, de lugubre. Elle doit en finir avec cette vision qui la qualifie de barbare, sauvage,
sans culture, sans connaissance de Dieu.

Il va de soi que la chrétienté africaine est confrontée à une crise d’identité dont elle
souffre. Perçu dans cette nouvelle perspective, le rôle de l’Église dans cette quête d’identité
est déterminant, fait remarquer Kä MANA et D. M. GAMS cités par K. A. HOUNSA :

La chrétienté contemporaine qui va de la deuxième moitié du


vingtième siècle jusqu’à nos jours, est une période de pluralisme
religieux, de l’œcuménisme chrétien et de quête d’identité, au cours
de laquelle les Églises d’Afrique doivent redéfinir leur identité en
tenant compte de leur propre contexte culturel. 565

Dans cet esprit, il estime que les théologiens africains doivent se donner pour tâche
de démontrer que l’héritage cultuel ou contextuel africain aurait pu constituer le véritable
véhicule approprié pour transmettre la Bonne Nouvelle du salut en Jésus aux peuples
d’Afrique. Il peut donc affirmer que :

Il est vital pour la dignité personnelle de l’Africain que ce genre de


réhabilitation de son héritage religieux soit fait. Nous n’avons pas besoin de
permission, moins encore d’un discours de revendication, car Paul relevé
annonçait Jésus tant aux Juifs qu’aux gentils à partir des exemples pris dans
leurs milieux d’existence, des illustrations propres à leur mode de vie. Les
auditeurs de son message furent interpellés à abandonner tout ce qui ne
glorifie pas Dieu : idolâtrie, superstition, magie, etc.566

564
K. A. HOUNSA, Op. Cit., p. 195.
565
K. A. HOUNSA, Op. Cit., p. 196.
566
Idem.

242
La figure de Thomas comme un modèle de croissance spirituelle doit être comprise
comme une prise de conscience du peuple africain de la nécessité de repenser l’Evangile de
Jésus-Christ qui n’est autre que l’histoire de l’expérience d’un peuple avec le Créateur. Fort
de cela, l’Eglise en Afrique doit à la lumière de Thomas proclamer un Evangile de libération
qui introduit Jésus dans la vie de l’Africain afin qu’il puisse véritablement vivre une bonne
relation avec son Dieu.

Pour ce faire il faut déshabiller l’Evangile de sa peau occidentale pour l’accepter


sans éviter le danger d’une inculturation, actualisation et contextualisation théologique.
Aujourd’hui, Thomas invite le chrétien africain à pénétrer lui-même la pensée de Dieu dans
les saintes Ecritures. Cela implique qu’il soit créatif, c’est-à-dire inventer un christianisme
qui s’enracine dans la culture africaine et qui prend en compte les réalités existentielles. Il
s’agit, à la suite de l’évangile, d’inventer l’Afrique d’aujourd’hui et de demain, c’est-à-dire
proposer les principes de contextualisation que l’on peut tirer de la figure de Thomas et qui se
résume en ceci :

 Rencontre avec la réalité socio-politique et culturelle (incarnation)


 Confrontation entre l’Evangile et la réalité (croix et mort)
 Transfiguration des réalités et des personnes (résurrection). 

En définitive, notre proposition d’une théologie de l’inculturation, actualisation et


contextualisation théologique pour un épanouissement du chrétien africain ne répond
nullement à une propagande culturelle nourrie par un rejet systématique de l’enseignement
des missionnaires occidentaux, qui méconnaissant les réalités africaines, ont à leur manière
implanté le christianisme sur les terres africaines. Elle répond plutôt à un souci
d’enracinement de la foi chrétienne dans l’Afrique profonde afin de rejoindre le chrétien
africain, de l’intérieur, dans ses situations et aspirations existentielles pour faire de lui un
disciple résolu du Christ capable de dénoncer des fausses doctrines.

III.6.3.2.2. Dénoncer les fausses doctrines

Dans son engagement évangélisateur, l’Eglise dénonce toutes sortes de pouvoirs qui
entravent l’épanouissement de l’homme et sa libération, pour que cet homme réalise
pleinement sa raison d’être selon le dessein de Dieu ; car c’est dans ce sens que la réalité de
l’Evangile devrait être comprise et vécue567. De plus, Jésus-Christ voudrait de ceux qui se
réclament de lui qu’ils transforment leurs relations de domination en relations de service

567
Collectif, Le salut aujourd’hui, Genève, Labor et fides, 1973, p. 63.

243
réciproque, montrant ainsi […] l’impuissance et la corruption radicales de tout pouvoir
humain qui s’exerce aux dépens de la vérité et de la justice568.

C’est à tort donc que les hommes se servent de la Parole de Dieu pour opprimer leurs
prochains, les dépouiller de leurs biens, et se comporter comme des « demi-dieux » auxquels
des cultes doivent être voués. Cette tendance à faire de la foi une opinion humaine constitue
un véritable obstacle à l’évangélisation.

Notre époque ne provoque pas les confessions à rendre compte de leur


particularité distinctive ; elle met bien plutôt en question ce qui, du temps de
la Réforme, était incontesté entre les confessions et ce qui les unit jusqu’à ce
jour : la foi chrétienne comme telle est aujourd’hui mise en question, tant du
point de vue de son actualisation que de son contenu. Les forces spirituelles
de notre temps ne sont plus les confessions et ce qui les anime, mais ce sont
une science athée par sa méthode d’abord, puis par son contenu, des
programmes et des idéologies sociaux et politiques, de type immanentiste,
rejetant la foi et la religion, des conceptions anti-chrétiennes du monde 569.

De nos jours, il n’est pas rare de constater dans l’exercice du saint ministère
l’attribution d’une certaine mentalité magique à la foi. Certains chrétiens pensent que la foi
s’achète. D’autres par contre, estiment que la foi provient des gymnastiques des thaumaturges.
Mais la grande majorité des chrétiens soutient qu’étant donné qu’elle possède la foi, tout
problème peut être résolu de manière spontanée, miraculeuse, voire magique.

Dans la pratique du ministère de la délivrance par exemple, nous nous sommes rendu
compte que les chrétiens accordent beaucoup d’importance aux faits étonnants et
extraordinaires. Il serait prudent de se garder d’une mentalité magique qui consisterait à
attribuer une efficacité exagérée à un geste particulier, à une prière particulière, à une façon de
prononcer le nom de Jésus un certain nombre de fois que l’on récite une prière. Ils sont
généralement envahis par cette mentalité magique dans l’utilisation de certains objets tels que
les bagues, les cannes, les chapelets, les colliers, et autres. Il se développe ainsi chez ces
chrétiens une foi de type « assurance tout risque » qui exclut toute possibilité de
questionnement, de souffrance et qui se traduit par, entre autres, le rejet de la croix du
chrétien.

En fait, la première vocation de tout chrétien devrait être celle de porter la croix à la
suite de Jésus-Christ. Il doit vivre pour et mourir pour Lui. Tel n’est cependant pas le cas
aujourd’hui. Les chrétiens portent plutôt la croix de leur bienfaiteur ou leur « homme de
Dieu ». Les témoignages de nombreuses scènes obscènes postées sur les réseaux sociaux
568
R. MINNERATH, Jésus et le pouvoir, Ed. Beauchesne, Paris, 1987, p. 6.
569
J. FEINER, L. VISCHER, Op. Cit., p. 620.

244
montrent une recrudescence de la manipulation du chrétien africain. Il arrive aussi que
certaines communautés religieuses se croient plus spirituelles que les autres. Or, comme le
souligne si clairement A. GOUNELLE :

Etre chrétien ne consiste pas à accepter des doctrines, si estimables soient-elles


(elles ne le sont pas toutes), ni à observer des pratiques pieuses (prières, cultes,
sacrements), ni à appartenir à une église (il existe des chrétiens hors de toute
communauté croyante). Ce n'est même pas croire tout ce que raconte le Nouveau
Testament (il comporte bien des pages contestables), mais c'est ressentir que ce
dont parle le Nouveau Testament ou ce dont il est question dans les confessions de
foi a une importance décisive dans et pour sa vie. On est chrétien quand on reçoit
des textes évangéliques et ecclésiaux des impulsions qui orientent notre existence,
quand on y cherche une parole qui lui donne sens, même si on se pose des
problèmes, si on éprouve des doutes et si on ressent des difficultés 570.

Cette assertion éclaire le chrétien africain sur la notion de salut rattachée à une
communauté préalablement déterminée. C’est donc la Parole de Dieu qui oriente l’existence
du chrétien et donne un sens à sa vie. Ce ne sont pas seulement les expériences de vie et
l’accumulation des témoignages pendant les cultes, qui fondent la foi des chrétiens, même si
les vrais témoignages peuvent contribuer à l’édification des chrétiens africains.

III.6.3.3. Plaidoyer pour un courage de douter

Avoir le courage de douter, c’est questionner, interroger sa foi pour la comprendre. En


effet, le chrétien africain doit toujours se demander si l’enseignement qu’il reçoit est conforme
à la saine doctrine. Le quatrième évangile nous offre la possibilité d’expérimenter cette
attitude.

La démarche de Thomas qui se fait le porte-parole des autres disciples pour poser à
Jésus la question qui leur brûle les lèvres peut servir de modèle au chrétien africain
d’aujourd’hui. Par exemple, lorsque Jésus annonce son départ et ajoute qu’ils connaissent le
chemin, il ne s’exprime pas en son nom personnel lorsqu’il réagit avec vivacité aux propos de
Jésus : Seigneur, nous ne savons pas où tu vas ; comment en saurions-nous le chemin ? (Jn
14,5). De nombreux critiques estiment qu’il est un personnage mû d’un esprit critique.

Quant à F. GODET, il le qualifie de personnage enclin à beaucoup de franchise et de


résolution, mais peu de disposition à subordonner le visible à l’invisible 571. Thomas, en effet,
s’efforçait toujours de chercher à comprendre le langage symbolique et souvent mystique de
Jésus comme c’est le cas en Jean 14,15 : Si vous m’aimez, vous vous appliquerez à observer

570
A. GOUNELLE, Loc. Cit.
571
F. GODET, Op. Cit., p. 130

245
mes commandements. Devant l’irrésolution des autres disciples, Thomas se présente à Jésus
comme un homme droit et positif qui extériorise toutes ses pensées.

Le christianisme est perçu de nos jours comme les autres religions, c’est-à-dire qu’il
porte en lui le germe de sa propre folie 572
Son histoire et son présent sont émaillés
d’événements les plus horribles au cours de tant de siècles.

L’une des preuves les plus visibles peut être cette page très sombre de l’histoire du
christianisme au Mozambique. Dans les années 1990, selon le site de la Radio BBC-Afrique,
le gourou d’une secte aurait invité ses adeptes à un suicide collectif. Il prétexterait que leur
souffrance terrestre serait couronnée par une place au paradis, s’ils se débarrassaient de tous
leurs biens matériels et acceptaient l’offre du divin. C’est ainsi que chaque adepte se serait
déplacé au temple, emportant sur lui de l’essence avec lequel il se serait aspergé le corps. Les
radios nationales et internationales auraient estimé, à plus d’une vingtaine, le nombre de
personnes mortes calcinées après le suicide573. Aussi flatteuse que fut une telle proposition,
elle devrait amener tout chrétien à s’interroger sur la véracité de cette annonce.

En effet, il y a des choses pour lesquelles le chrétien doit impérativement douter. C’est
à la fois un devoir intellectuel et une éthique spirituelle afin d’éviter de tomber dans la facilité.
Certains penseurs, comme S. CASTELLION, parlent de ténèbres épaisses faites de cécité,
d’obscurantisme, de crainte, de violence et de persécutions. En fait, ces ténèbres sont
caractérisées par la lâcheté des guides spirituels aveugles, orientés par une certaine soif de
personnalité qui abusent et manipulent à souhait les pauvres chrétiens. A ceux-là, peut-être
devrons-nous ajouter les oracles totalitaires et les princes déments.

Le doute peut être un chemin vers la foi et non son contraire. Pourquoi ne pas recevoir
ces questions qui travaillent le cœur du croyant comme des invitations à passer d'une foi non
réfléchie à une foi intelligente ? Beaucoup reprochent aux croyants une démission de
l'intelligence et de la réflexion, une soumission passive aux enseignements du magistère et
aux formules du catéchisme. Douter est, au moins pour ceux qui seraient tentés par la foi du
charbonnier, une bonne manière de progresser dans l'intelligence de la foi. C’est dans cet
esprit qu’il faut comprendre cette assertion de F. SCHAEFFER :

La rationalité n’est donc pas tout, mais c’est elle qui donne sens et forme. Un
bon exemple se trouve dans l’Ecriture lorsque pour reconnaître les esprits et
les prophètes, Jean propose un test unique et suffisant dans une proposition
au contenu précis et au fondement rationnel : Mes bien-aimés, n’ajoutez pas
572
Nous empruntons ce terme à V. SCHMID dans le Bulletin du Centre Protestant d’Etudes (CPE), 55 ème année,
N° 7, 2003, p. 22.
573
Source : Radio BBC-Afrique.org, consultée le 15 Novembre 2014 à 15 heures 20 minutes.

246
foi à tout esprit, mais éprouvez les esprits, pour voir s’ils sont de Dieu ; car
beaucoup de prophètes de mensonge se sont répandus dans le monde. A ceci
vous reconnaissez l’Esprit de Dieu : tout esprit qui confesse Jésus-Christ
venu dans la chair est de Dieu, et tout esprit qui divise Jésus n’est pas de
Dieu ; car c’est l’esprit de l’antichrist (1Jn. 4 : 1-3) 574

A travers cette pensée, le philosophe chrétien fait ressortir la nécessité du doute


raisonnable qui consiste à discerner ce qui vient de Dieu et ce qui vient des faux prophètes. En
définitive, ce qui a manqué et qui manque toujours au christianisme en général, et au chrétien
en particulier, c’est l’art du doute, ou mieux : le courage du doute. Dès lors, nous posons
tenter une approche de rapport entre la foi et le doute pour comprendre la vie du chrétien
africain. Cela implique que le chrétien africain a des efforts à fournir en vue de sa croissance
spirituelle

En effet, la foi chrétienne doit être comprise et nourrie afin qu’elle grandisse. C’est à
cette importante tâche de l’éducation de la foi que le chrétien est invité. De ce fait, c’est en
adhérant aux réalités divines qui ne sont pas totalement expérimentables mais qui peuvent
être approchées par l’intelligence que le chrétien découvre sa propre foi. Il lui est impératif de
se poser une question fondamentale : Qui est ce Dieu auquel je crois ? La réponse à cette
interrogation réside dans le questionnement permanent de sa foi qui ouvre la voie à la
rencontre personnelle de Dieu. Egalement, le chrétien africain qui s’inscrit dans une
constante recherche de la face de Dieu, fait sa propre expérience comme Thomas dans Jean
20.

C’est là qu’il apprend à attendre de Dieu, non les réponses promises toutes faites,
mais la promesse de se transporter de ses zones de confort soigneusement balisées vers un
endroit meilleur. Partant de tout ce qui précède, nous pouvons envisager une relecture de la
figure de Thomas pour l’Eglise en Afrique.

574
F. SCHAFFER, Op. Cit., p. 99.

247
CONCLUSION PARTIELLE

Au terme de cette troisième partie, l’on peut retenir que, généralement, le chrétien
africain croit déjà en une puissance surnaturelle. Hier, il ne pouvait atteindre cette puissance
que par des intermédiaires qu’il a trouvés dans les esprits des génies ou des morts. Mais
aujourd’hui, il peut l’atteindre en passant par le Christ auquel il doit s’abandonner
entièrement. La résurrection et notamment celle de Jésus ne saurait poser un problème au
chrétien africain. Son anthropologie est propice à la croyance en une vie après la mort et à
toutes sortes de manifestations des morts.

Aussi pouvons-nous retenir que d’une manière générale, les Africains recherchent des
signes qui expriment la victoire de la vie sur la mort, essence même de leurs cultures. C’est
cette inclination à rechercher des signes, à travers la multiplication des veillées de prières et
l’importance accordée aux miracles, manifestant la vie, qui identifie les chrétiens africains à
Thomas. Cela suppose que la figure de Thomas peut faire passer de la foi par les sens à la foi
véritable, celle qui n’a besoin d’aucun prodige pour adhérer à la promesse de salut en Jésus-
Christ. En tout état de cause, la croissance spirituelle suppose un renouvellement de la vie. Ce
renouvellement n’est possible que si le chrétien africain a véritablement conscience de vivre
autrement. En d’autres mots, seule une transformation des consciences apportera quelques
soulagements aux humains, une évolution des esprits qui doit s’accompagner d’une réforme
radicale des pratiques575.

575
F. BOVON, Op. Cit., p. 22.

248
CONCLUSION GENERALE

Les résultats de nos travaux ont montré que la démarche de Thomas conduit à
l’émancipation du chrétien africain. Sa remise en question du témoignage de ses amis l’a aidé
à mieux comprendre le sens réel de la résurrection de son Maître. Son hésitation à voir avant
de croire donne au chrétien, à partir de cette expérience de la résurrection, de croire afin de
voir les bienfaits de Dieu. Ainsi le doute raisonnable reste une composante de la vie
chrétienne et un allié de la foi qui permet au chrétien de marcher sur ces deux jambes
spirituelles. Un tel doute ne remet pas en cause l’assurance, voire la certitude du chrétien
africain d’être un enfant régénéré par la foi en Christ. Il est le moyen par lequel le chrétien
accorde du crédit à sa foi. Ainsi, pour mieux connaître, comprendre et approfondir sa vie de
foi, sa réflexion, le chrétien africain a besoin du doute raisonnable sans toutefois devenir
incrédule. Le doute raisonnable reste un moyen de rationalisation de notre foi qui permet de
raisonner notre spiritualité. Il ne constitue aucunement pas un piège contre le chrétien.

Force est donc d’affirmer que la démarche de Thomas en Jean 20 qui part du « voir
pour croire » (doute raisonnable) au « croire » (foi) peut aider le chrétien africain à grandir
spirituellement et vivre une vie de foi sans heurts ; toute chose qui confirme l’hypothèse
principale de notre étude.

En outre, la propension à voir pour croire constitue un aspect de la chrétienté africaine.


Il n’est pas étonnant, selon nos recherches, de constater que certains chrétiens africains se
ruent vers les églises et les « hommes de Dieu » faiseurs de miracles. Notre travail répond à
ce problème inquiétant et à la fois actuel qui se pose à nos églises, à savoir : l’adhésion facile
de certains chrétiens des Eglises Protestantes Méthodistes de Côte d’Ivoire et du Bénin aux
enseignements de certains prédicateurs qui promeuvent la prospérité immédiate, et qui

249
détruisent les fondements mêmes de leur foi. Ces chrétiens qui y vont ne retournent plus dans
leurs églises d’origines et deviennent des nomades spirituels. L’importance d’une telle étude
est celle d’aider nos églises à atténuer la saignée que crée la ruée de leurs fidèles vers les
Nouveaux Mouvements Religieux (NMR) et les églises africaines. Nous restons convaincu
que ces chrétiens qui adhèrent facilement à ces « théologies dites populaires » ne semblent pas
avoir pris très au sérieux leurs implications. Un tel constat vient corroborer la première
hypothèse spécifique.

Par ailleurs, la façon de croire à tout parce que c’est « l’Esprit de Dieu » qui dit ou qui
agit, crée des dissensions au sein des communautés religieuses. Par conséquent, émettre des
doutes sur un message délivré par un prédicateur parce qu’on n’a pas bien compris,
rationaliser en certaines circonstances la foi chrétienne, devrait être pour l’Eglise et pour tout
chrétien une chance. L’exemple de Thomas dans Jean 20 est édifiant. Cet apôtre qui cherchait
à comprendre sa foi, est parvenu à sa plus haute expression : Mon Seigneur et mon Dieu ! (Jn
20,28)

Au total, la figure de Thomas se présente comme un exemple de libération et


d’émancipation du chrétien africain, car il fait ressurgir en lui l’esprit de discernement qui le
pousse à rejeter toute doctrine différente de celle contenue dans les Ecritures Saintes. La
seconde hypothèse spécifique se trouve également justifiée.

Thomas n’a pas été le seul douteur après la Pâques. Les autres disciples aussi avaient
cru après avoir vu, mais ils n’avaient pas refusé, comme Thomas, de croire au témoignage
d’autres Apôtres. Ils n’avaient pas non plus exigé des preuves tangibles de la résurrection de
leur Maître. La résurrection devait d’abord être constatée, non par tous, mais par des témoins
choisis (Ac. 2,32 ; 10,40).

La singularité de l’expérience de Thomas n’est pas seulement dans le fait qu’il


s’obstine à voir avant de croire, mais la spécificité de sa rencontre avec le Ressuscité. Au
fond, Thomas a redécouvert Jésus, non plus comme son Maître, mais plutôt comme son «
Seigneur et son Dieu », ce qui n’a pas été le cas pour les autres disciples. Son doute et sa
confession-cri constituent une opportunité pour la compréhension de la foi chrétienne en
Afrique. Ainsi peut se justifier notre troisième hypothèse spécifique.

Avec sa redécouverte du Dieu en la personne du Ressuscité et la conscience d’une


illumination et d’une action du Saint-Esprit, après avoir reçu à son tour la fraternelle
salutation de son Maître (toujours dans la maison aux portes verrouillées) à Jérusalem, tout se
met en mouvement dans la conscience et la vie de Thomas. Il cesse d’être attaché au passé

250
pour le perpétuer. Il aborde le présent en ayant conscience d’être déjà dans l’avenir. Il
témoigne d’un changement et d’une espérance (Jn 20,28).

Désormais, il pouvait comprendre les enseignements et les vérités que Jésus révélait
lorsqu’il était encore avec ses disciples. Ainsi, un changement radical s’est opéré dans sa
manière de vivre sa relation avec Dieu. Ce huitième jour et plus précisément dans la maison
aux portes verrouillée à Jérusalem, tout a basculé : la relation avec Jésus-Christ, avec les
autres, avec le passé, avec l’avenir, avec la création. Tout ceci grâce à une nouvelle relation
(expérience) avec soi-même et donc un changement intérieur et une authentique lucidité dont
le doute est l’instrument utilisé par Dieu. Thomas a découvert que cette expérience se fait en
Christ, la source et la réalité de la foi, de l’espérance et de l’amour.

Notre investigation a donné la preuve qu’une exégèse minutieuse conduit toujours à


une interprétation sérieuse d’un récit biblique avec des résultats probants. Elle permet au
chrétien de s’armer pour affronter les défis qui se dressent devant lui. C’est ainsi qu’après
l’étude du chapitre 20 de l’Evangile selon Jean, loin de maintenir les chrétiens dans cette
assertion peu flatteuse qui fait croire que Thomas n’est pas digne d’un disciple de Jésus, nos
recherches axées essentiellement sur des approches exégétiques, théologiques et
herméneutiques, nous ont plutôt permis de voir en Thomas, grâce à son courage du doute,
celui qui a amené l’humanité à comprendre la seigneurie et la divinité du Fils de l’homme :
Mon Seigneur et Mon Dieu ! (Jn 20,28). En l’affirmant ainsi, nous avons atteint notre objectif
principal énuméré au début de cette étude.

Il ne faut donc pas voir dans le doute de Thomas une résignation. Il faut plutôt
apprécier le cheminement qui l’a conduit à une foi authentique. Car une foi sans raison, une
foi qui ne se remet pas en cause, est une foi morte. La figure de Thomas en tant que modèle de
croissance se présente comme une chance pour tous les chrétiens africains en vue de leur
maturité spirituelle et de l’affermissement de la foi.

La figure de Thomas comme un modèle de croissance spirituelle offre aux chrétiens


africains une nouvelle façon d’être dans leurs relations à tous les niveaux et leur ouvre le
chemin pour un nouveau départ avec le Christ afin de vivre une nouvelle vie. Elle invite tous
les chrétiens africains à croire, aujourd’hui encore, en cette présence transformatrice du
Ressuscité dans leurs vies. Mais également, elle peut les faire passer de la peur à la paix, de
l’enfermement à l’ouverture vers tous les hommes, de l’ignorance à la connaissance, du doute
à la foi véritable, de l’obscurité à la lumière, de la mort à la vie.

251
Or, toute vie chrétienne doit avoir pour modèle la vie vertueuse du Christ, consolidée
par l’amour, le partage et le sacrifice. C’est à cela que le chrétien africain est appelé. Il doit
être engagé formellement à suivre Dieu, d’une part ; d’autre part, son engagement doit
accompagner sa foi qui est une libre adhésion à l’amour de Dieu. Un tel amour donne un sens
nouveau à sa vie. Ainsi par la foi, l’homme s’en remet tout entier et librement à Dieu, en
répondant à l’amour prévenant et surabondant de Dieu par l’amour concret des frères et avec
une ferme espérance. La charité et l’entraide constituent le lot quotidien de la vie de foi du
chrétien. C’est par là qu’il montre son amour pour son prochain et son témoignage de son être
de Chrétien par l’abandon de soi, le sacrifice et l’espérance.

La compréhension de la foi aujourd’hui nécessite des efforts dans le domaine de la


formation appliquée à toutes les catégories de chrétiens doivent être initiées et encouragées à
des coûts raisonnables dans toutes les institutions de formation théologique et de sciences
religieuses. Cela permet au chrétien de se départir d’une certaine attitude sectaire qui
condamne le monde au lieu de chercher à le comprendre. Car l’ordre des choses n’est pas
absolument linéaire et une fois établi, il est plutôt dynamique et tient compte des réalités
existentielles.

Dès lors, la responsabilité de l’Eglise en Afrique à travers ses institutions de formation


devient de plus en plus grande. Il urge que tous les chrétiens africains aient une formation,
qu’elle soit partielle ou totale, pour affronter les défis des siècles à venir. En effet, le
christianisme en Afrique se trouve au carrefour des religions occidentales et orientales qui
promeuvent de nouvelles formes de spiritualités. Ces spiritualités, qui prêchent un évangile dit
« évangile de la santé et de la prospérité » avec à la clé une interprétation souvent
tendancieuse et dirigée des textes bibliques, gagnent de plus en plus de terrains.

L’Eglise a donc un rôle important à jouer dans la croissance spirituelle, dans la


libération et dans l’épanouissement du chrétien africain à travers la formation. Elle doit
s’inviter dans la lutte contre les maux qui menacent actuellement le tissu socio-économique et
qui déteignent sur la religion chrétienne. A cet effet, elle ne doit pas continuer de se contenter
de la charité à un individu, du culte et de l’évangélisation dirigés uniquement vers les
individus et non pas vers une théologie de la libération.

L’Eglise doit poursuivre, particulièrement en Afrique, avec force, le travail de service


chrétien sur une échelle importante en apportant des changements qui œuvreront pour la
justice, la libération, la transformation socio-économique, la sauvegarde de la dignité et des
droits de l’individu et la préservation de l’intégrité de la création. Si tel n’est pas le cas,

252
l’Eglise aura à faire sa propre culpabilité avec les conséquences dévastatrices et l’impact que
cela aura sur la chrétienté.

En définitive, force est de reconnaître que l’espérance est permise et, par conséquent,
aucun projet n’est de trop. C’est pourquoi, toutes les autres structures, en dehors de l’Eglise,
doivent elles aussi aider à la promotion de la croissance spirituelle et de l’épanouissement du
chrétien africain, à travers la mise en place d’une politique de gestion efficiente des ressources
et le renforcement des capacités en matière d’éducation et de formation des citoyens du
continent africain.

Car, longtemps reconnu comme Sauveur, l’universalité de Jésus-Christ devient un


épineux problème lorsqu’elle rencontre d’autres cultures et horizons d’articulation de
l’expérience humaine. Heureusement, la figure postpascale de Thomas sonne comme un appel
à tenir compte des réalités et formes traditionnelles des croyants de chaque sphère culturelle.

Elle est davantage une proclamation de l’universalité de l’évangile en faisant barrage


au monoculturalisme. Par conséquent, devenir chrétien aujourd’hui exige un
approfondissement de la foi, mais aussi une connaissance parfaite de sa culture et un
engagement dans l’Eglise dont la force réside dans la formation.

Cela implique un questionnement de l’Evangile grâce à l’enseignement biblique pour


comprendre le mystère de Jésus-Christ. C’est lui qui est le modèle parfait dont Thomas est le
reflet pour chaque chrétien qui veut hériter la vie éternelle. Et c’est une chance pour chaque
chrétien africain de devenir un grain de sel et une poche de lumière afin de créer un petit
paradis autour de soi.

La figure postpascale de Thomas en Jean 20 comme un modèle de croissance


spirituelle vise surtout les Africains qui se convertiront et qui se poseront des questions sur la
véracité de cette résurrection. Car, ce n’est pas ce que nous voyons qui peut absolument
donner à la foi son fondement et sa certitude, mais d’abord et avant tout la seule Parole de
Dieu, c’est-à-dire le livre dans lequel ont été consignés les témoignages et les signes.

Pour la communauté chrétienne africaine de tous les âges et de toutes les époques, il
n’y a plus de garanties complémentaires en dehors de l’écoute de la prédication tirée du Livre
dans lequel toutes « ces choses ont été écrites ». Si le chrétien africain cherche le ressuscité, il
ne le trouvera désormais que dans le livre sacrée : La BIBLE. Son doute ne sera plus vaincu
par la vue et par le toucher, mais par le témoignage rendu au Ressuscité dans le livre. Tout

253
comme Thomas, ses successeurs, principalement les chrétiens africains, doivent croire en
Jésus afin d’avoir la vie en son nom (Jn 20,30-31).

Cela passe inéluctablement par une rétrospection de soi-même et par une ré-visitation
de sa relation avec Dieu et avec les autres d’une part ; d’autre part, cela implique que chaque
chrétien africain soit capable de montrer la seigneurie et la divinité de Jésus en affirmant très
clairement et avec force par des mots de chez lui que : Mon Seigneur et mon Dieu, c’est
Jésus-Christ le Ressuscité !

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Religion Basaa, Thèse de Doctorat, FTPSR, Yaoundé, 2007.

183- DJESSOU, (D.B.). Les femmes du Nouveau Testament : Modèles de lutte de


libération pour la femme africaine et la transformation sociale, Thèse de Doctorat,
FTPSR, Yaoundé, 2015.

184- DOSSOU (M. S.). Réincarnation ou incarnation : Une lecture du Christ dans une
perspective africaine, Thèse de Doctorat, FTP, Yaoundé, 1997.

185- HOUNSA, (K.A.). Une relecture des Actes 9, 1-31 pour l’Eglise contemporaine,
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Doctorat, Faculté autonome de théologie protestante de l’Université de Genève, Labor
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V- SEMINAIRES (Inédits)

199- Séminaire œcuménique, L’être chrétien et la question du salut : l’urgence d’un


retour aux origines de la foi, UPAO, Porto-Novo, Mai 2013.

200- ROGNON, (F.). La foi au risque du doute, Séminaire Cevaa, UPAO, Porto-Novo,
Décembre 2012.

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202- Bulletin du Centre Protestant d’Etudes (CPE), 55ème année, N° 7, 2003.

203- CASSE, (J.D.). Foi et religion : Kierkegaard et sa réception dans la théologie


dialectique, dans NORDIQUES, N° 10, Montpellier, Faculté de Théologie Protestante,
2006, pp.132-140.

204- DOSSOU, (M.S.). Jésus-Christ est-il réellement ressuscité ?, UPAO, Porto-Novo,


2006.

205- GAGNEBIN, (L.). « Un éloge du doute », In Théolib, N°19, 3ème trimestre, 2002,
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209- HOKHMA. Revue de réflexion théologique, Saint-Légier sur Vevey, N° 100 et 103,
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210- HOUNSA, (K.A.). Cours d’introduction à l’exégèse du N.T., UPAO, Porto-Novo,


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211- JAUBERT, (A). Lecture de l’Evangile selon saint Jean, Service Biblique Evangile et
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212- JEAN-PAUL II. Fides et Ratio (Foi et Raison), Lettre Encyclique, Documents de
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213- KALOMBO, (S.J.). Le religieux et le doute, in Revue du Clergé Africain, Tome


XXVII, Mayidi, 1972, pp. 647-654.

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N°79.2009/1, Janvier-mars.

216- MORGEN, (M.). « Les épîtres de Jean », SBEV / Éd du Cerf, Cahier Évangile n° 62
(janvier 1988), p. 68-69, In www.bible-service.net/extranet/current/pages/1186

217- PETIT, (J-C.). Croire et douter : un aspect fondamental de l’expérience religieuse


moderne selon Paul TILLICH, in ETR, N° 1, 1988, pp. 17-29.

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223- UTLEY, (B.). Les Mémoires et les Lettres du Disciple Bien-Aimé : L’Evangile selon
Jean, Ière, IIème et IIIème Epîtres de Jean, Bible Lesson International, Marshall, 2010, In
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267
227- www.KTO.com, consulté le samedi 26 janvier 2019 à 06 heures 12 minutes.

VIII- SOURCES ORALES

N° Noms et Age Date, lieu, heure de Confession Profession


prénoms l’entretien religieuse

01 ADOU Bertrand 46 ans 15/05/2018, Dabou à Chrétien Pasteur


10h

02 AGBRE Josué 51 ans 16/01/2019, Chrétien Pasteur


Koumassi, 14h21

03 AGNESS Jean 49 ans 07/01/2019, Yassap, à Chrétien Pasteur


Roger 09h35

04 AKA N’Guessan 15/12/2018, Cocody, à Chrétien Etudiant


Yedess Elysée 16h

05 AKO Name 42 ans 13/12/2018, Abidjan, à Chrétienne Ménagère


Angélique 13h23

06 AKPA Mètchro 65 ans 07/01/2019, Abidjan, à Chrétien Ingénieur en


Dénis 19h11 informatique

07 ALLAGBADA 28/02/2017, Chrétien Pasteur


Nicodème Yaoundé, à 18h30

08 ALLUI Marthe 46 ans 13/12/2018, Abidjan, à Chrétienne Ménagère


13h23

09 ASSAGBOU 45 ans 12/12/2018, Chrétien Prêtre catholique


Jacques Jacqueville, à 09h03

10 BOBIOTCHE 64 ans 15/01/2019, Chrétien Pasteur


N’Guessan Bruno Niangon-Lokoa, 11h

11 BONOU Etienne 13/01/2018, Porto- Chrétien Pasteur


Novo à 09h12

12 BOTO AKRE 62 ans 07/01/2019, Chrétien Ingénieur


Moïse Clavère Niangon-Lokoa, 21h

13 DOSSOU Sètondji 23/11/2015, Porto- Chrétien Pasteur,


Marcellin Novo, à 10h Recteur
de l’UPAO

268
14 EKRA Bintou 34 ans 15/12/2018, Cocody, à Musulmanne Etudiante
18h10

15 EL Hadj ALI 53 ans 15/05/2018, Dabou à Musulman Coiffeur


11h48

16 ESSOH Nomel 36 ans 17/12/2018, Dabou, à Chrétien Agent de


16h Mairie

17 GANDONOU 16/05/2013 à Porto- Chrétien Pasteur


Timothée Novo, à 15h

18 GNAMIAN 68 ans 14/01/2019, Abidjan, à Chrétien Chef d’entreprise


François 12h44

19 GNAGNE 45 ans 29/12/2018, Sikensi, à Chrétien Pasteur


Agnimel 17h24
Ludovic
20 GNAGNE Ernest 59 ans 15/01/2019, Chrétien Pasteur
Niangon-Lokoa, 10h

21 LATH Akpa 52 ans 15/01/2019, Chrétien Pasteur


Dénis Niangon-Lokoa, 12h

22 LEGBEDJI-AKA 09/09/2015 à Dabou, à Chrétien Pasteur


Bertin-Charles 10h

23 NIANGORAN 45 ans 19/12/2018, Chrétien Prêtre catholique


Renaud Abengourou à 10h05

24 NOMEL Elise 14/01/2019, Abidjan, à Chrétienne Fonctionnaire à la


Epse 09h44 retraite
GNAGNE

TABLE DES MATIERES

269
DEDICACEi
REMERCIEMENTSii
ABREVIATIONS ET SIGLESiii
RESUMEv
ABSTRACTvi

INTRODUCTION GENERALE.............................................................................................1
PREMIERE PARTIE : ETUDE EXEGETIQUE DE JEAN 20.........................................13
INTRODUCTION PARTIELLE..............................................................................................13
CHAPITRE PREMIER : PRESENTATION DE L’EVANGILE DE JEAN ET DU
PERSONNAGE DE THOMAS.............................................................................................15
I.1.1. APERÇU INTRODUCTIF DE L’EVANGILE DE JEAN : L’EVANGILE ET SES
DESTINATAIRES...................................................................................................................15
I.1.1.1. Jean et les Synoptiques.................................................................................................15
I.1.1.2. L’arrière-plan religieux de Jean....................................................................................18
I.1.1.3. Les destinataires...........................................................................................................20
I.1.2. MILIEU DE PRODUCTION ET COMPOSITION LITTERAIRE................................22
I.1.2.1. Milieu de production....................................................................................................22
I.1.2.1.1. But, date et lieu de composition de l’évangile...........................................................22
I.1.2.1.2. L’auteur du quatrième évangile.................................................................................24
I.1.2.1.3. La communauté et l’école johanniques.....................................................................26
I.1.2.2. Composition littéraire...................................................................................................28
I.1.2.2.1. L’intégrité littéraire de Jean.......................................................................................28
I.1.2.2.2. Langage et style.........................................................................................................29
I.1.2.2.3. Les sources, structure et plan.....................................................................................32
I.1.3. PRESENTATION DU PERSONNAGE DE THOMAS.................................................38
I.1.3.1. Le Thomas de l’histoire................................................................................................38
I.1.3.1.1. Date et lieu de naissance, Famille, enfance et adolescence.......................................38
I.1.3.1.2. Education, formation, métier, vocation et écrits de Thomas ...............................42
I.1.3.1.3. La mission apostolique de Thomas dans l’Eglise primitive......................................45
I.1.3.2. Le Thomas des évangiles..............................................................................................47
I.1.3.3. Quelques remarques.....................................................................................................48
CHAPITRE DEUXIEME : ETUDE EXEGETIQUE DE JEAN 20..................................50
I.2.1. CRITIQUE TEXTUELLE...............................................................................................51
I.2.1.1. Lecture de l’apparat critique, discussion des leçons et texte adopté............................51
I.2.1.1.1. Lecture de l’apparat critique et discussion des leçons...............................................51

270
I.2.1.1.2. Texte adopté..............................................................................................................78
I.2.1.2. Analyse grammatico-sémantique.................................................................................78
I.2.1.3. Traductions...................................................................................................................78
I.2.2. DELIMITATION, STRUCTURE ET CRITIQUE DES SOURCES..............................79
I.2.2.1. Délimitation du texte....................................................................................................79
I.2.2.1.1. En amont : Jean 20 par rapport à ce qui précède.......................................................79
I.2.2.1.2. En aval : Jean 20 par rapport à ce qui suit.................................................................81
I.2.2.2. Structure de Jean 20......................................................................................................82
I.2.2.3. Critique des sources......................................................................................................85
I.2.2.3.1. Marc, Matthieu et Luc, sources de Jean 20 ?.............................................................87
I.2.2.3.2. Tableaux synoptique et structural de Jean 20............................................................89
I.2.2.3.3. Etude comparative.....................................................................................................89
I.2.3. CRITIQUE REDACTIONNELLE, DU GENRE ET ETUDE DES CONTEXTES DE
JEAN 20....................................................................................................................................91
I.2.3.1. Critique rédactionnelle.................................................................................................91
I.2.3.1.1. Contexte et circonstances de rédaction......................................................................91
I.2.3.1.2. Objectifs et méthode de rédaction.............................................................................92
I.2.3.2. Critique du genre littéraire............................................................................................93
I.2.3.3. Etude de contextes........................................................................................................95
I.2.3.3.1. Contexte politique......................................................................................................96
I.2.3.3.2. Contexte économique................................................................................................96
I.2.3.3.3. Contexte culturel........................................................................................................97
I.2.3.3.4. Contexte religieux......................................................................................................97
I.2.3.3.5. Contexte littéraire......................................................................................................99
CONCLUSION PARTIELLE................................................................................................100
DEUXIEME PARTIE : DU DOUTE A LA FOI : UN PRICIPE LIBERATEUR EN
JEAN 20...............................................................................................................................1301
INTRODUCTION PARTIELLE............................................................................................102
CHAPITRE TROISIEME : THEOLOGIE ET HERMENEUTIQUE DE JEAN 20.....103
II.3.1. ANALYSE SEMANTICO-SYNTAXIQUE ET VARIATION THEMATIQUE DE
JEAN 20.................................................................................................................................103
II.3.1.1. Analyse sémantico-syntaxique de Jean 20................................................................103
II.3.1.2. Variation thématique de Jean 20...............................................................................105
II.3.2. COMMENTAIRE EXEGETIQUE DE JEAN 20........................................................106
II.3.3. THEOLOGIE ET HERMENEUTIQUE DE JEAN 20................................................118

271
II.3.3.1. Portées théologiques de Jean 20................................................................................118
II.3.3.1.1. Le Christ dans le quatrième évangile.....................................................................119
II.3.3.1.2. « Mon Seigneur et mon Dieu » : une christologie sans pareille !........................1284
II.3.3.1.3. Une théologie du « voir pour croire »....................................................................124
II.3.3.2. Regard herméneutique de Jean 20.............................................................................132
II.3.3.2.1. Les quatre manières de voir (le Ressuscité)...........................................................132
II.3.3.2.2. Les quatre manières de croire (le Ressuscité)........................................................135
II.3.3.2.3. De l’apôtre au douteur : un chemin douloureux.....................................................136
CHAPITRE QUATRIEME : LE PRINCIPE LIBERATEUR DU DOUTE...................139
II.4.1. LES EVIDENCES DU DOUTE DANS LE NOUVEAU TESTAMENT...................139
II.4.1.1. Dans les évangiles synoptiques.................................................................................139
II.4.1.1.1. Chez Matthieu........................................................................................................140
II.4.1.1.2. Chez Marc..............................................................................................................144
II.4.1.1.3. Chez Luc................................................................................................................147
II.4.1.2. Dans le quatrième évangile.......................................................................................150
II.4.1.3. Dans les autres Ecrits du Nouveau Testament..........................................................153
II.4.1.3.1. Dans les Actes des Apôtres....................................................................................153
II.4.1.3.2. Chez Paul................................................................................................................154
II.4.1.3.3. L’épître aux Hébreux.............................................................................................156
II.4.1.3.4. Chez Jacques..........................................................................................................156
II.4.1.3.5. Chez Pierre.............................................................................................................157
II.4.1.3.6. Chez Jude...............................................................................................................157
II.4.1.3.7. Dans l’Apocalypse.................................................................................................157
II.4.2. LA FOI A L’EPREUVE DU DOUTE.........................................................................158
II.4.2.1. La foi.........................................................................................................................158
II.4.2.1.1. La foi comme saut dans l’inconnu.........................................................................159
II.4.2.1.2. La foi comme certitude..........................................................................................160
II.4.2.1.3. La foi comme croyance..........................................................................................161
II.4.2.1.4. La foi comme chemin ou cheminement.................................................................162
II.4.2.2. Le doute.....................................................................................................................162
II.4.2.2.1. Le doute sceptique..................................................................................................164
II.4.2.2.2. Le doute méthodique..............................................................................................164
II.4.2.2.3. Le doute existentiel................................................................................................165
II.4.2.2.4. Le doute raisonnable..............................................................................................167

272
II.4.2.3. Foi et doute en dialogue............................................................................................168
II.4.2.4. Doute raisonnable : une nécessité pour la compréhension de la foi..........................169
II.4.3. COMPRENDRE LE DOUTE DE THOMAS..............................................................171
II.4.3.1. Didyme : pseudonyme à problème............................................................................171
II.4.3.2. L’absence de Thomas................................................................................................173
II.4.3.3. Le dialogue avec les autres disciples.........................................................................174
CONCLUSION PARTIELLE................................................................................................176
TROISIEME PARTIE : FIGURE POSTPASCALE DE THOMAS COMME UN
MOYEN DE CROISSANCE SPIRITUELLE POUR L'EMANCIPATION DU
CHRETIEN AFRICAIN ...................................................................................................1377
INTRODUCTION PARTIELLE............................................................................................178
CHAPITRE CINQUIEME : RAPPORT ENTRE LE THOMAS POSTPASCAL ET LE
CHRETIEN AFRICAIN D’AUJOURD’HUI.....................................................................179
III.5.1. LA RESURRECTION DE JESUS : ELEMENT DECLENCHEUR DU DOUTE ET
DE LA FOI.............................................................................................................................179
III.5.1.1. La résurrection de Jésus selon Thomas....................................................................179
III.5.1.2. Le problème posé par la résurrection au temps du Nouveau Testament.................182
III.5.1.3. La résurrection de Jésus confrontée aux croyances africaines.................................185
III.5.2. LA RESURRECTION DE JESUS POUR LE CHRETIEN AFRICAIN...................188
III.5.2.1. Le sens de la résurrection pour le chrétien africain.................................................188
III.5.2.2. Justification et intérêt de la résurrection pour le chrétien africain...........................191
III.5.2.3. Croire aujourd’hui....................................................................................................194
III.5.3. LE « VOIR » COMME UNE CONDITION DE LA FOI POUR LE CHRETIEN
AFRICAIN..............................................................................................................................197
III.5.3.1. Le « voir pour croir » dans l’Eglise en Afrique aujourd’hui...................................197
III.5.3.2. Causes et conséquences du voir pour croire............................................................203
III.5.3.2.1. Les causes du voir pour croire..............................................................................203
III.5.3.2.2. Les conséquences du voir pour croire...................................................................207
III.5.3.2.3. Le doute raisonnable comme un principe d’émancipation du chrétien africain
d’aujourd’hui...........................................................................................................................212
III.5.4. LE DOUTE ET LA CONFESSION DE THOMAS : ELEMENTS ESSENTIELS
POUR LA FOI CHRETIENNE EN AFRIQUE.....................................................................215
CHAPITRE SIXIEME : PERSPECTIVES POUR UNE CROISSANCE SPIRITUELLE
DU CHRETIEN AFRICAIN D’AUJOURD’HUI A LA LUMIERE DE THOMAS......219
III.6.1. L’ORIGINALITE DE THOMAS POUR LA FOI CHRETIENNE EN AFRIQUE...219

273
III.6.1.1. La nouvelle lecture de la figure postpascale de Thomas pour le chrétien africain
d’aujourd’hui...........................................................................................................................219
III.6.1.2. L’édification de la foi du chrétien africain d’aujourd’hui à la lumière de la figure de
Thomas en Jean 20..................................................................................................................222
III.6.1.2.1. La figure postpascale de Thomas : une leçon du « vivre ensemble » pour le
chrétien africain......................................................................................................................222
III.6.1.2.2. La figure postpascale de Thomas : un moyen de vérification d’un témoignage. .223
III.6.1.2.3. La figure postpascale de Thomas : un exemple de témoignage pour le chrétien
africain d’aujourd’hui.............................................................................................................224
III.6.1.2.4. Faire une expérience personnelle avec Jésus-Christ.............................................228
III.6.1.3. La figure postpascale de Thomas en Jean 20 : un modèle de confession de foi pour le
chrétien africain d’aujourd’hui...............................................................................................230
III.6.2. LE NECESSAIRE RETOUR AUX SOURCES DE LA FOI.....................................232
III.6.2.1. Le retour à l’Evangile du Christ...............................................................................232
III.6.2.2. La redécouverte de la loi d’amour du Christ...........................................................234
III.6.2.3. Jésus-Christ comme un modèle de vie pour le chrétien africain.............................236
III.6.3. L’ACCOMPAGNEMENT DE L’EGLISE EN VUE DE L’EMANCIPATION DU
CHRETIEN AFRICAIN.........................................................................................................237
III. 6.3.1. Eduquer les chrétiens..............................................................................................238
III.6.3.2. Annoncer l’Evangile du Christ et dénoncer les fausses doctrines...........................240
III.6.3.2.1. Annoncer l’Evangile dans une Afrique déjà chrétienne.......................................240
III.6.3.2.2. Dénoncer les fausses doctrines.............................................................................246
III.6.3.3.3. Plaidoyer pour un courage de douter....................................................................248
CONCLUSION PARTIELLE................................................................................................251
CONCLUSION GENERALE52
BIBLIOGRAPHIE57
TABLE DES MATIERES73
ANNEXES

274

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