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L’Eglise : Germe et commencement
du Royaume de Dieu
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Dominique Fornerod
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12/01/2009

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« Et le Verbe s’est fait chair,
Et il a habité parmi nous » Jn 1, 14

Quoi de mieux pour commencer un devoir qui traitera des rapports entre le
Royaume de salut annoncé et réalisé en Jésus-Christ et l’Eglise de Dieu, que de
nous confronter à cet incroyable mystère, objet de notre foi, de notre espérance et
de notre amour, inexprimable tout autant que paradoxal, céleste et à la fois
terrestre, spirituel et charnel : Dieu s’est fait homme !
En effet, il serait vain et ô combien inopportun de construire un discours sur
l’Eglise sans se référer au mystère central de notre foi : l’incarnation du Fils de
Dieu.
D’ores et déjà nous pouvons donc situer l’Eglise dans cette subtile rencontre
du spirituel et du charnel. Comme Jésus est à la fois pleinement Dieu et à la fois
pleinement homme, l’Eglise est pleinement spirituelle et pleinement charnelle,
pleinement céleste et pleinement terrestre. Comme Jésus, l’Eglise assume
pleinement son humanité. Oui l’Eglise est aussi une réalité pleinement humaine.
Et c’est pour cela que l’Eglise fait sienne les aspirations et les espérances
légitimes de l’humanité. Parmi celles-ci l’espoir d’un monde meilleur taraude
particulièrement l’humanité. L’histoire du XXème siècle nous en offre une belle
illustration. De grandes idéologies comme le national-socialisme, le communisme
ou encore le matérialisme n’ont cessé de promettre à l’homme des lendemains plus
heureux. Mais c’est souvent dans un désarroi plus grand qu’elles ont laissé
l’humanité. L’espoir n’a cependant pas quitté la terre, et c’est sous de multiples
formes qu’aujourd’hui les hommes cherchent à bâtir un monde plus juste, plus
beau, où il y fera bon-vivre. Cela s’avère pourtant difficile et nombreux sont ceux
qui peinent à trouver des raisons d’espérer, pire encore, nombreux sont ceux qui ne
voient même plus l’intérêt d’espérer : ce qui compte c’est la jouissance de l’instant
présent, pensent-ils, quand arrive un coup dure : ils n’ont plus de raison de vivre.
Dans ce contexte il est urgent de faire entendre avec force le message, la
bonne nouvelle de Jésus-Christ.
Et que dit-elle cette bonne nouvelle ?
« Voici que je fais toutes choses nouvelles1. », « De mort il n’y en aura plus, de
pleurs, de cris, de peines il n’y en aura plus2. » « Le Royaume de Dieu est tout
proche3. »
Mais où est-il ce Royaume qu’Il nous a promis. Est-il seulement dans l’au-
delà ou dans une lointaine fin eschatologique ? Ou bien est-il déjà là, mais dans ce
cas, où le chercher ?
Et c’est là que surgit l’incroyable mystère de l’Eglise. Mystère de l’amour infini
d’un Dieu qui s’est fait homme pour sauver l’humanité. Mystère infini de l’amour
d’un Dieu qui va jusqu’à laisser son Fils mourir sur une croix pour sceller de

1
Ap 21,7
2
Ap 15,1
3
Marc 1,15

2
manière définitive la réconciliation de l’homme et de Dieu. Infini mystère de
l’espérance retrouvée.
Les questions qui se posent maintenant à nous sont donc les suivantes :
Comment l’Eglise contribue-t-elle à « tout renouveler dans le Christ » et « à faire
toutes choses nouvelles », tout en sachant que le plein achèvement se fera
seulement dans l’eschatologie. ? Comment l’Eglise annonce-t-elle et instaure-t-elle
le Royaume de Dieu sur la terre ? Comment l’Eglise constitue-t-elle le germe et le
commencement du Royaume ?
Pour répondre à ces questions nous procéderons en trois parties. Dans une
première partie nous aborderons les rapports entre Eglise et Royaume sous un
angle scripturaire et historique. Dans une deuxième partie nous envisagerons
l’Eglise comme moyen de transformation « spirituelle » de l’humanité en vue du
Royaume et dans notre troisième partie nous insisterons sur les transformations
« sociales » de l’humanité, opérée par l’Eglise, en vue du Royaume.

L’Eglise comme
instrument
d’annonce et
d’instauration
du Royaume

Première partie : Du Royaume à l’Eglise et de l’Eglise au Royaume.

Le Royaume
Le Christ est le dans sa
Royaume.
dimension de
Et le Christ
instaure « pas
l’Eglise. encore »
Dimension du
« déjà là »

La première partie de notre devoir traitera donc des rapports entre Eglise et
Royaume sous un angle scripturaire et historique. L’objet de cette partie est de
tenter une définition des termes : Royaume et Eglise afin de pouvoir, dans les deux
parties suivantes, aborder de façon aussi précise que possible la manière dont
l’Eglise constitue le germe et le commencement du Royaume de Dieu, en abordant
de manière spécifique la transformation radicale de l’humanité, temporelle et
spirituelle, qu’opère l’Eglise dans le but du Royaume.

3
L’annonce du Royaume : objet de la prédiction du Christ.
Pour celui qui lit les écritures de près, une constatation s’impose : L’annonce
du Royaume est l’objet principal de la prédication de Jésus. Dans la perspective de
notre devoir il importe de comprendre en quoi consiste l’annonce du Royaume.

Un thème vétérotestamentaire.

Le thème du Royaume n’est pas une nouveauté du nouveau Testament. Ce


thème est présent de manière très explicite dans les écrits vétérotestamentaires. Il
est vrai cependant que ce thème n’est pas présent dès le début de l’Ancien
Testament. En effet comme le dit le Vocabulaire de Théologie Biblique « le Dieu
d’Abraham, d’Isaac et de Jacob n’a pas de traits royaux, même lorsqu’il vient révéler
son nom à Moïse4. » L’idée de Royaume apparait donc avec l’installation d’Israël
sur une terre, en l’occurrence la terre de Canaan. Il nous semble intéressent de
mettre donc en relation, dès le début de notre devoir, les thèmes de royaume et de
terre. La Royauté de Dieu s’exerce sur un peuple rassemblé sur une même terre. Le
Roi réside d’ailleurs, au milieu de son peuple, sur la terre de Jérusalem5. Cependant
la royauté du Seigneur sur Israël ne semble pas revêtir un caractère purement
politique. Elle s’inscrit dans une démarche d’alliance : c’est une royauté d’alliance.
L’expérience de la monarchie en Israël semble mettre fin à une théocratie :
Dieu n’est plus le seul roi en Israël, bien que le roi ne règne pas en son nom propre
mais bien au nom du Seigneur de l’univers. Certains courants du judaïsme
regretteront toujours le temps où Dieu régnait de manière direct sur Israël. De
nombreux problèmes surgissent de la monarchie. Les ambitions des rois ne
s’accordant pas toujours avec la Loi divine. Dans ce contexte les prophètes ne
cessent de proclamer la « subordination de l’ordre politique à l’ordre religieux6 ; »
Dieu laisse à Israël la possibilité d’avoir un roi humain, comme les autres nations,
mais cette royauté humaine ne peut-être que subordonné à la royauté divine. Une
distinction est donc établit entre le religieux et le politique, il y a le Temple et le
Palais, mais cette distinction n’est en aucun cas une séparation.
Avec l’exile, le Royaume de Dieu en Israël prend de plus en plus une
dimension eschatologique. Le Règne de Dieu sera universel, reconnu par toutes les
nations. Le prophète Isaïe, ainsi que toute une littérature apocalyptique, témoigne
de l’attente du règne final de Dieu. Les thèmes du messie et du fils de l’homme
sont développés et Israël se situe dans l’attente, dans l’espérance du Royaume.

4
Vocabulaire de Théologie Biblique, cerf, Paris, p.950
5
Ps 48, 3
6
Idem, p.952

4
Jésus fait du Royaume le thème central de sa prédication.

« Le temps est accompli et le royaume de Dieu est tout proche : repentez-


vous et croyez à l’Evangile7 » C’est par cette phrase que Jésus, dans l’évangile de
Marc, commence son ministère public.
La grande majorité des exégètes est d’accord pour dire que le Royaume de
Dieu est le thème central de la prédication de Jésus. En effet, si ce thème n’était pas
le thème principal de l’Ancien Testament, il ne fait nul doute que Jésus le place au
centre de son ministère. L’objet de sa venu dans le monde est bien l’instauration du
Royaume de Dieu.
Les miracles sont des signes de la présence du Royaume. Avec Jésus un ordre
nouveau est arrivé. Il chasse les démons, pour montrer la fin de la domination de
Satan, il guérit les malades, rend la vue aux aveugles, fait marcher les boiteux et va
même jusqu’à ressusciter les morts pour manifester que le Royaume de Dieu est là.
Cependant cette réalité du Royaume demeure mystérieuse. Jésus doit user de
paraboles afin de nous la faire connaitre. De plus elle n’est révélée qu’aux humbles
et aux petits, non aux sages et aux savants8. Le Royaume est comme une graine de
moutarde, humble au début mais promis à un avenir éclatant. Si tout le Royaume
est donné il n’en reste pas moins qu’il devra s’accroitre afin de devenir « un grand
arbre où nicheront tout les oiseaux du ciel9. »
Ces fondements scripturaires nous apparaissent comme extrêmement importants
dans la compréhension du « déjà-là » et du « pas encore » du Royaume. Ils nous
permettront aussi d’envisager de manière juste le rôle de l’Eglise dans
« l’accroissement » du Royaume.

L’Eglise et le Royaume dans le nouveau testament et dans l’histoire.

Les rapports entre Eglise et Royaume ont posés et posent encore de


nombreuses difficultés aux exégètes et aux théologiens. La célèbre réflexion
d’Alfred Loisy est, consciemment ou inconsciemment, présente dans tous les
esprits : « Le Christ a annoncé le Royaume et c’est l’Eglise qui est venu. » Il est a
noté que l’ambigüité de cette phrase permet aussi bien une interprétation positive
que négative.

Eglise et Royaume dans le nouveau testament.

Nous avons vu que le royaume occupe la première place dans la prédication


de Jésus. Quelle est donc la place de l’Eglise dans ce Royaume ? Est-ce un thème
complètement indépendant ou bien intimement lié ? Dans ce cas quels sont les
liens entre Eglise et Royaume dans le Nouveau Testament ?

7
Marc 1,15
8 Mt 11,25
9 Mt 13,31

5
La première constatation qui vient à l’esprit en lisant les évangiles est que l’annonce
du Royaume se fait dans le cadre du groupe des disciples, que Jésus forme et initie
aux mystères dudit Royaume. De plus, dans ce groupe, il y a les « intimes » : douze
apôtres qui seront « les cellules fondamentales et les chefs de l’Israël nouveau10. »
Ils sont le germe de l’Eglise qui, plus tard, sera répandu sur toute la terre. Les
apôtres apprennent de Jésus à baptiser, à chasser les démons, à guérir les malades :
à accomplir les signes manifestant la venu du Royaume de Dieu. Jésus choisit donc
certaines personnes qui seront chargées d’annoncer et de manifester, par des signes
concrets, le Royaume.

Le moment précis de la fondation de l’Eglise fait l’objet de nombreux débat.


L’Eglise est-elle fondée à la pentecôte ou sur la croix ? Est-ce Jésus lui-même ou
bien Saint Paul ou encore Saint Pierre qui la fonde ? Une chose est sûre : Jésus n’est
pas venu annoncer et créer l’Eglise directement et de manière explicite. En effet,
nous l’avons dit, l’objet de la prédication de Jésus est le Royaume, pas l’Eglise.
Cependant la communauté ecclésiale va s’imposer dès le nouveau testament
comme le moyen de réalisation du Royaume. Il est intéressent de constater que le
mot Ekklesia est quasiment absent des évangiles11. En revanche les épitres de
Paul, les actes des apôtres ainsi que l’Apocalypse en font un usage abondant12. En
un sens l’affirmation de Loisy, cité plus haut, est donc vraie : Le Christ a annoncé le
Royaume et c’est l’Eglise qui est venu. Cependant il est nécessaire de préciser que
l’Eglise devient le lieu où s’accomplit l’œuvre de salut de Dieu, c'est-à-dire le lieu où
se réalise le Royaume. Le Salut apporté par Jésus-Christ semble avoir besoin de se
réaliser et de s’accomplir dans le temps et dans l’espace. Le temps de l’Eglise serait
donc précisément le temps où le Royaume de Dieu, pleinement présent dans la
personne du Fils de Dieu incarné, va passer de sa dimension de « graine de
moutarde » à sa dimension « de belle arbre sur lequel viennent nicher tout les
oiseaux de la terre. » De sa dimension de « déjà-là » à sa dimension de « pas
encore ».

Eglise et Royaume dans l’histoire.

La compréhension et l’explicitation des rapports entre Eglise et Royaume


connaissent un certain développement au cours de l’histoire. Le contexte historique
joue pour beaucoup dans la manière de construire un discours théologique. Ainsi
donc, la théologie élaboré en période de chrétienté n’insistera pas sur les même
point qu’une théologie construite dans une époque ou l’Eglise pose problème, où
l’on peine à définir les rapports entre Eglise et Etat. Un véritable travail théologique
nécessite de s’appuyer sur les Ecritures, certes, mais aussi sur le travail réaliser par
nos prédécesseurs dans la Tradition. Il convient donc de s’attarder un peu sur la
compréhension des rapports entre Eglise et Royaume dans l’histoire.
10
Vocabulaire de Théologie Biblique, cerf, Paris, p.258
11
Seul 3 mentions dans l’évangile de Mathieu.
12
On le trouve 23 fois dans les actes, 63 fois dans les épitres de Paul et 20 fois dans l’Apocalypse.

6
Ce travail est nécessairement simplificateur. Comment, en quelques lignes, rendre
compte de plus vingt siècles de réflexions, de débats, de travail théologique ?
Cependant, tout en ayant conscience de commettre une certaine trahison, il nous
faut essayer d’ébaucher l’histoire de la pensée des rapports entre Eglise et Royaume.

A l’époque patristique nous pouvons distinguer trois sens du mot Royaume :


- Le premier est le sens christologique : le Royaume c’est Jésus en
personne.
- Le deuxième est un sens plus mystique : le Royaume serait le Règne de
Dieu dans la personne qui accueil le Christ. Il s’agit ici d’un Royaume
intérieur.
- Le troisième est ecclésiologique : le Royaume de Dieu c’est l’Eglise13.
A l’époque médiévale la question ne semble pas poser de problème particulier.
Le contexte est celui de chrétienté. Le Royaume, c’est évidemment l’ensemble des
pays chrétiens où l’Eglise exerce une influence plus qu’importante. Tous font partie
de l’Eglise, l’Eglise est donc assimilée au Royaume. L’interprétation ecclésiologique
des Pères semble donc demeurer, sans être pour autant expliciter.
A l’époque moderne la théologie catholique insiste fortement sur la dimension
ecclésiologique du Royaume. Pour lutter contre la réforme protestante on va
souligner que l’Eglise catholique est le Royaume de Dieu. Ainsi celui qui ne fait pas
partie de l’Eglise ne peut pas, non plus, faire partie du Royaume.
Dans la théologie du XIXème et du début du XXème siècle on parle volontiers
de l’Eglise comme Royaume de Dieu sur terre14. Mais c’est dans l’exégèse et dans la
théologie protestante que la notion du Royaume subit de gros bouleversements :
Au début du XXème siècle le représentant de la théologie libérale Adolf von
Harnack prétend que le Christ est venu s’adresser à l’individu et non à la
communauté ainsi qu’il aurait abolit le culte pour mettre en avant l’agir moral de
l’individu. D’autres courants de la théologie protestante croient montrer que le
Royaume de Dieu est purement eschatologique.
C’est dans ce contexte que le concile Vatican II, dans sa constitution
dogmatique Lumen Gentium, va établir, de fait, une distinction entre Eglise et
Royaume tout en soulignant le rapport étroit qui existe entre les deux. « Aussi
l'Eglise (…) reçoit mission d'annoncer le royaume du Christ et de Dieu et de
l'instaurer dans toutes les nations, formant de ce royaume le germe et le
commencement sur la terre. Cependant, tandis que peu à peu elle s'accroît, elle-
même aspire à l'achèvement de ce royaume, espérant de toutes ses forces et
appelant de ses voeux l'heure où elle sera, dans la gloire, réunie à son Roi15. » et
« L'Eglise, qui est le règne de Dieu déjà mystérieusement présent16 »

13
Comme le note Joseph Ratzinger dans son ouvrage : Jésus de Nazareth, cette interprétation du mot Royaume
est à nuancer assez fortement. « (cette interprétation) met en relation, sous différents aspects, le Royaume de
Dieu et l’Eglise, et elle établit entre les deux un rapport de plus ou moins grande proximité. »
14
Voir : Joseph Ratzinger, Jésus de Nazareth, Flammarion, 2007, p. 71
15
Concile Vatican II, Lumen Gentium, n° 5c
16
Concile Vatican II, Lumen Gentium, n° 3

7
Les deux parties suivantes traitent du royaume du royaume dans sa
dimension spirituelle (II) puis du Royaume dans sa dimension charnelle (III). Nous
les avons séparés pour les besoins de l’explication mais ces deux réalités sont
intimement liées. (Une distinction est, cependant, bien nécessaire)
Il ne faudrait surtout pas croire que la dimension spirituelle vient après la
dimension charnelle ou vice-versa. Il s’agit en réalité d’un même mouvement de
transformation.

Deuxième partie : Le rassemblement et la sanctification de


l’humanité par l’Eglise : conséquence et condition de l’accueil du
Royaume.

Paradoxe :
« Déjà là » et
« pas encore »

La question qui se pose maintenant à nous est la suivante : de quelle manière


l’Eglise instaure et inaugure sur terre le Royaume de Dieu? Nous avons vu dans la
première partie de notre devoir que le terme Royaume peut, en un certain sens, être
équivalent au mot salut. Nous pourrions cependant apporter une nuance, peut-être
pas essentiel, mais quand à l’utilisation des mots : le Royaume c’est le salut envisagé
de manière collectif tandis que le mot salut semble revêtir un sens plus individuel17.
Nous pourrions, en ce sens, dire que le Royaume est ce qui permet le salut
individuel. Pas de salut individuel en dehors du Royaume. Notre question du
comment de l’instauration du Royaume par l’Eglise revient donc, en un certain
sens, à la question du comment l’Eglise apporte le salut à l’humanité.
Il nous apparait évident, et la lecture du Nouveau Testament, et la Tradition nous
conforte largement, que c’est le Christ qui apporte le salut à l’humanité. Il s’agit
donc, pour nous, d’articuler le rôle de l’Eglise à la mission du Christ.

17
Nous avons bien conscience du caractère purement usuel de notre remarque. En aucun cas nous ne voulons
soutenir que le terme salut est purement individuel. Nous voulons seulement souligner la part individuel du
salut. Le salut se fait de manière collectif (et c’est là que nous proposons le mot : Royaume) mais il revêt aussi
un caractère individuel : nul ne peut-être sauvé contre sa volonté. Une fois cette distinction faite, nous
n’emploierons pas, dans la suite de notre devoir, le mot salut dans un sens strictement individuel.

8
L’Eglise, en quelque sorte, sacrement :

Le concile Vatican II, dans sa constitution dogmatique Lumen Gentium


apporte un éclairage relativement nouveau (du moins dans sa formulation) : l’Eglise
est envisagée « en quelque sorte (comme) le sacrement, c'est-à-dire à la fois le signe
et le moyen de l'union intime avec Dieu et de l'unité de tout le genre humain18. »
Cette conception de l’Eglise comme sacrement va nous aider à comprendre
comment l’Eglise contribue au salut, et donc à l’avènement de Royaume.
Dire que l’Eglise est, en quelque sorte, sacrement de l’union intime avec Dieu,
revient à dire que l’Eglise est, en quelque sorte, sacrement du salut : en effet
l’union à Dieu équivaut au salut. « Or, la vie éternelle, c'est qu'ils vous connaissent,
vous, le seul vrai Dieu19 » peut-on lire dans l’Evangile de Saint Jean. Ainsi, dans
cette formule célèbre, le concile Vatican II précise la façon dont l’Eglise transmet le
salut : L’Eglise est, en quelque sorte, sacrement de ce salut.
Il est donc à présent utile de tenter une définition du « sacrement », il ne suffit pas
de dire que l’Eglise est sacrement, il faut aussi comprendre ce qu’est un sacrement.
Pour cela il ne faut surtout pas oublier le fait que le Christ est le premier sacrement
du salut. En effet, le signe et le moyen du salut, par excellence, est le Christ, et cela
par son humanité. Pour employer un vocabulaire plus thomiste nous dirons que
l’humanité du Christ est l’instrument conjoint de notre salut.
« En ce sens, le Christ est Lui-même le Mystère du salut: "Non est enim aliud Dei
mysterium, nisi Christus" (S. Augustin, ep. 187,11,34). L'oeuvre salvifique de son
humanité sainte et sanctifiante est le sacrement du salut qui se manifeste et agit
dans les sacrements de l'Eglise20 »
Nous voyons donc bien que la sacramentalité de l’Eglise est à articuler avec
la sacramentalité du Christ. Le sacrement primordial21 c’est le Christ. Une fois de
plus nous constatons ici le lien intime qui existe entre la personne de Jésus-Christ,
vrai Dieu et vrai homme, et son Eglise, qui fut appelé par le grand théologien
Charles Journet : Eglise du Verbe incarné. En un certain sens nous pouvons oser la
définition suivante : l’Eglise est un prolongement du mystère de l’incarnation.
L’Eglise est sacrement de l’humanité du Christ. L’Eglise est donc aussi sacrement
du salut. Dieu nous sauve par son incarnation et donc par son humanité. « Le
Christ élevé de terre a tiré à lui tous les hommes (cf. Jn 12,32 grec) ; ressuscité des
morts (cf. Rm 6,9), il a envoyé sur ses apôtres son Esprit de vie et par lui a constitué
son Corps, qui est l'Eglise, comme le sacrement universel du salut22.» nous dit
Lumen Gentium

18
Constitution dogmatique Lumen Gentium n°1
19
Jn 17,3 Traduction du Chanoine Crampon.
20
Catéchisme de l’Eglise Catholique n°774
21
En disant cela nous avons parfaitement conscience que Jean-Paul II a employé la même expression pour
parler du mariage. Cependant nous n’entendons pas ici « premier » dans le même ordre que lui.
22
Lumen Gentium n° 48b

9
Cette conception de l’Eglise comme sacrement va servir de base à toute
notre réflexion sur le germe et le commencement du Royaume de Dieu sur terre.
En effet, nous l’avons dit, l’Eglise est sacrement du salut, elle est donc sacrement
du Royaume.
La mission de l’Eglise est donc d’être sacrement du Royaume de Dieu :
comment l’Eglise réalise-t-elle cette mission ? Comment l’Eglise est-elle le signe et
le moyen de l’avènement du Royaume ?

Pour répondre à ces questions il nous faut observer comment l’Eglise agit.
Quel est son (ou ses) moyen(s) de procéder qui va (vont) lui permettre d’accomplir
sa mission d’être le signe et le moyen de l’avènement du Royaume ?

L’Eglise : nouveau peuple de Dieu :

Et c’est ici qu’intervient le concept de « peuple de Dieu », en effet l’Eglise


agit en rassemblant l’humanité en un seul peuple d’ « enfants de Dieu »
« Il appelle la foule des hommes de parmi les Juifs et de parmi les Gentils, pour
former un tout selon la chair mais dans l'Esprit et devenir le nouveau peuple de
Dieu23. » nous dit encore la constitution dogmatique Lumen Gentium. Former un
tout selon la chair mais dans l’Esprit : voilà le moyen que Dieu donne à l’Eglise
pour progresser vers le Royaume.
Une distinction semble, ici, utile à faire : Le Royaume est « l’humanité rassemblée
en un seul peuple. » L’Eglise en tant que sacrement du Royaume est donc aussi
sacrement de l’unité du genre humain. Elle est le signe et le moyen de cette unité.
L’Eglise accomplit donc sa mission d’être sacrement du Royaume en « rassemblant
l’humanité en un seul peuple. » L’Eglise opère donc ici une transformation radicale
de l’humanité en vu du salut. En effet, nous avons essayé de le démontrer, l’Eglise,
pour accomplir sa mission, transforme l’humanité divisée en la rassemblant en un
seul peuple de « fils ». Ce « nouveau peuple de Dieu », que constitue l’Eglise est, au
milieu des nations, le signe et le moyen de l’avènement du Royaume.
La question se pose maintenant de savoir comment l’Eglise opère ce
rassemblement.
En effet la transformation de l’humanité par l’Eglise n’est pas théorique. Elle
est (et ô combien) concrète. Elle a de nombreuses incidences dans la vie de chacun
de ses membres et dans la vie du monde. Il nous importe donc maintenant de voir
les moyens concrets dont se sert l’Eglise en vu du rassemblement de l’humanité et
donc en vu du Royaume.
Une précision semble, ici, importante : Nous soutenons que l’Eglise transforme
l’humanité en vu du Royaume. Cependant il est important de comprendre que
l’Eglise est envisagée ici comme cause instrumentale et non comme cause finale.
Le véritable sujet de la transformation de l’humanité c’est la Sainte Trinité, mais
Elle le fait par le Christ et par l’Eglise. Dans ce devoir, nous mettons

23
Lumen Gentium n° 9

10
volontairement en avant le rôle de l’Eglise afin d’insister sur la dimension
« incarnée » du salut. En effet le temps dans lequel nous vivons est le temps de
l’Eglise. Le Christ a voulu vivre et agir dans son Eglise afin de nous rendre présent
et de nous communiquer son œuvre de Salut.
« Le jour de la Pentecôte, par l'effusion de l'Esprit Saint, l'Eglise est manifestée au
monde (cf. SC 6 LG 2). Le don de l'Esprit inaugure un temps nouveau dans la
"dispensation du Mystère": le temps de l'Eglise, durant lequel le Christ manifeste,
rend présent et communique son oeuvre de salut par la Liturgie de Son Eglise,
"jusqu'à ce qu'Il vienne" (1Co 11,26). Durant ce temps de l'Eglise, le Christ vit et
agit désormais dans Son Eglise et avec elle d'une manière nouvelle, propre à ce
temps nouveau24. »

Les sacrements :

L’Eglise transforme l’humanité en premier lieu par les sacrements. En effet


les sacrements sont «de l’Eglise » selon la formule du Catéchisme de l’Eglise
Catholique. Ils sont une action de l’Eglise. Ils sont le premier moyen de
transformation de l’humanité en vu du salut.
« Les sacrements sont "de l'Eglise" en ce double sens qu'ils sont "par elle" et "pour
elle". »25
Par la dispensation des sacrements l’Eglise opère la transformation, peut-être la
plus radicale qui soit, du monde26.

Après avoir vu comment l’Eglise est, de manière spirituelle, le germe et le


commencement du Royaume de Dieu, il nous faut à présent envisager l’Eglise
comme moyen de transformation sociale de l’humanité, en vu du Royaume.

Troisième partie : L’Eglise comme moyen de transformation sociale


de l’humanité : conséquence et condition de l’accueil du Royaume.

Paradoxe :
« Déjà là » et
« pas encore »

24
Catéchisme de l’Eglise Catholique n° 1076
25
Idem n°1118
26
Nous aurions aimé détailler ici comment chaque sacrement transforme de manière radicale et spirituelle le
monde. L’Eucharistie étant la transformation par excellence. Cependant la place nous manque ici pour le faire.

11
Le temps est maintenant venu de se consacrer aux transformations que nous
appellerons « sociales » ; Nous avons étudié dans la deuxième partie de notre devoir
les transformations que nous pourrions définir comme « spirituelles », l’enjeu pour
nous est maintenant de comprendre comment ces transformations spirituelles ont
des conséquences « pratiques » sur la vie du monde et comment une certaine
transformation « matérielle » du monde contribue à favoriser la transformation
spirituelle de celui-ci.
De quelle manière l’Eglise, en tant qu’elle est moyen de transformation sociale de
l’humanité, est-elle conséquence et condition de l’accueil du Royaume ? Voilà qui
pourrait résumer les questions qui vont nous préoccuper dans cette partie.

Cela implique de se poser la question des rapports entre Eglise, histoire et


Royaume.
Pour cela, il nous faut, avant toute chose, éviter deux grands risques27 qui ont
marqués l’histoire de la théologie :

Le premier risque serait de croire que le Royaume de Dieu ne peut exister en


aucune façon dans l’histoire. Il s’agira ici de penser que le Royaume ne peut être
présent dans le monde tel qu’il est, avec toute sa misère et toute sa violence. Là où
il y a encore de la souffrance et de l’iniquité le Royaume de Dieu ne peut être
présent. Devant ce constat on va rejeter le Royaume au-delà du temps.
L’opposition évangélique entre le monde et le Royaume sera comprise comme une
impossibilité de cohabitation. Dieu et son Royaume sont « tout autre ». Il y aurait
une hétérogénéité totale entre le temps présent et l’éternité. Le risque est alors
grand de se désintéresser de l’histoire et du monde pour trouver refuge dans
l’eschatologie.

Le deuxième risque est de penser, au contraire, que le Royaume de Dieu


existe « connaturellement » dans l’histoire. Pour les tenants d’une telle hypothèse,
le Royaume de Dieu peut se réaliser en plénitude dans l’histoire. La distinction
entre spirituel et temporel tend à s’amenuiser au point d’être pratiquement abolie.
Cette façon de penser peut conduire à deux manières, apparemment opposées,
d’appréhender le Royaume :

- Le millénarisme spirituel : Dans ce cas la distinction entre Eglise et Etat


n’est qu’un compromis, le but étant que l’Eglise absorbe tous les aspects
de la vie sociale. Au terme d’un temps, plus ou moins long, l’Eglise,
unique et universelle, règnera sur la terre entière et permettra l’existence
d’un monde où la morale chrétienne sera partout respectée. C’est ce que
nous pouvons voir, notamment, chez Dostoïevski28 et certains

27
Voir : Journet Charles, L’Eglise Sainte, Parole et Silence, 1999, p. 221 (Ce livre édité en 1999 est un
complément inédit à l’œuvre magistrale, malheureusement inachevée, de Charles Journet : L’Eglise du Verbe
Incarné)
28
Voir par exemple : Les frères Karamazof

12
théologiens russes29. L’idée d’un « saint roi », d’un « pouvoir temporel
sanctifié » est alors mis en avant.

- Le millénarisme temporel : Celui-ci est bien plus présent chez nos


contemporains que le millénarisme spirituel. L’homme doit ici instaurer
sur terre « le Royaume » en comptant sur le progrès social et scientifique
de l’humanité. Dans ce cas il ne s’agit plus d’un « Royaume de Dieu »
mais bien plus d’un « Royaume de l’homme ». L’Eglise ne serait alors
qu’une parmi d’autres dans la construction de ce Royaume, qui serait un
monde de justice et de paix. « Royaume » désignerait alors simplement un monde
où règnent la paix et la justice, et où la création est préservée. Il ne s’agirait de rien
d’autre. Ce « royaume » devrait être instauré en tant que finalité de l’histoire. Et la
véritable mission des religions serait de travailler ensemble à l’avènement du
« Royaume 30»

Après avoir situé ces différents risques il nous faut, à présent, voir comment
le Royaume de Dieu se réalise, par l’Eglise, dans l’histoire, au niveau social.

Qu’elle est le rôle de l’Eglise dans la construction de la société ? L’Eglise, en


forgeant une civilisation, en contribuant au développement moral, économique et
politique de la société, favorise-t-elle l’accueil du Royaume ? Et dans quelle
mesure ? Ce « rôle social » de l’Eglise est-il nécessaire au Royaume, et donc
nécessaire au salut ?

L’individualisme moderne :

« Nous devons aussi constater que le christianisme moderne, face aux succès
de la science dans la structuration progressive du monde, ne s’était en grande partie
concentré que sur l’individu et son salut. Par là, il a restreint l’horizon de son
espérance et n’a même pas reconnu suffisamment la grandeur de sa tâche31,
même si ce qu’il a continué à faire pour la formation de l’homme et pour le soin
des plus faibles et des personnes qui souffrent reste important32. »
Cette phrase de Benoit XVI, nous apparait d’une extrême pertinence. En effet,
pour des raisons qu’il nous est impossible de détailler ici, le christianisme de
l’époque moderne, c’est de plus en plus concentré sur l’individu. La tendance a
donc été de mettre l’accent sur la dimension individuel du salut. Et cela, nous le
pensons, au détriment d’une juste compréhension de la notion de Royaume de
Dieu. En effet il n’y a rien de plus éloigné du Royaume que l’individualisme. Avec

29
Par exemple : Serge Boulgakoff
30
Benoit XVI, Jésus de Nazareth, Flammarion, 2007, p 74
31
Nous nous permettons de souligner volontairement cette phrase afin de faire ressortir les conséquences
néfastes de l’individualisme chrétien selon Benoit XVI.
32
Benoit XVI, Spe Salvi, n°25

13
Benoit XVI, il nous faut donc rappeler que le rôle de l’Eglise ne se limite pas à
permettre le salut individuel des croyants. Si l’Eglise est vraiment le germe et le
commencement du Royaume, alors elle ne peut se contenter de rester dans le
domaine du privé, alors son influence doit s’étendre dans tous les domaines de la
vie de l’homme. Alors l’Eglise ne peut se désintéresser de la vie politique et
économique. Nous avons parfaitement conscience, qu’en disant cela nous nous
heurtons à une compréhension de la laïcité, très répandue chez nos contemporains,
qui viserait une stricte séparation du religieux et du politique. En disant cela, nous
nous heurtons aussi à une manière de penser qui aurait tendance à séparer de façon
excessive Eglise et Royaume. Pour les défenseurs d’une telle séparation le Royaume
de Dieu se construit bien en dehors des limites de l’Eglise. Chaque homme qui lutte
pour la justice, pour la liberté, contribue ainsi, même en dehors de toutes références
religieuses, à instaurer le Royaume sur la terre. Nous tombons ici dans ce que nous
avons déjà appelé le millénarisme temporel.

Pour comprendre d’une manière encore plus juste la façon dont l’Eglise est
le germe et le commencement du Royaume ainsi que les implications sociales d’une
telle affirmation il nous faut observer de quelle manière l’Eglise agit pour
transformer la société.
Tout d’abord nous observons que rien n’est plus étranger à la manière d’agir
de l’Eglise que la révolution. Pourtant qu’elle tentation puissante, pour les lecteurs
de l’Evangile, que de vouloir brusquement changer le cours des choses ! L’Evangile
lui-même n’est-il pas une révolution ? Le maître se fait serviteur et les petits sont les
premiers dans le Royaume. Y a-t-il texte plus subversif que le magnificat : « Il
renverse les puissants de leurs trônes, Il élève les humbles » ? Pourtant, si l’Evangile
est bien la révolution la plus importante de l’histoire de l’humanité, l’Eglise
n’adoptera pas un mode d’action révolutionnaire. En effet Saint Paul va prêcher le
respect des institutions, les premiers chrétiens ne vont pas cherchés à renverser
l’ordre établi et l’Eglise n’aura de cesse de dire et redire cette parole du Christ :
« Rendez à César ce qui est à César et à Dieu ce qui est à Dieu. »

Peut-être est-il utile de dire ici, qu’à notre avis, un des grands dangers de la
Théologie de la libération, et de l’un de ses plus éminents représentants Gustavo
Gutiérrez, est de vouloir construire une Théologie à partir « de la praxis historique
de libération33 », ce qui revient à vouloir élaborer un discours sur Dieu et sur
l’Eglise à partir d’une manière d’agir qui n’est pas celle de l’Eglise. Gutiérrez se
défend de vouloir justifier théologiquement la révolution34 mais il prend la
révolution comme base pour bâtir sa théologie. Ce n’est certes pas la même chose
mais avouons le réel danger que constitue le fait de vouloir construire une théologie
sur une praxis qui n’est, en aucun cas, celle de l’Eglise. Ceci-dit l’œuvre de
Gutiérrez nous paraît, en de nombreux points, fort intéressante, notamment dans

33
Voir : Gutierrez Gustavo, Théologie de la libération - perspectives, Lumen Vitae, 1974
34
Gutierrez Gustavo, La force historique des pauvres, cerf, 1999, p.48

14
sa dénonciation de l’individualisme dans le christianisme contemporain ainsi que
dans son souci d’ « incarner » l’Evangile dans la société.

L’Eglise n’adopte donc pas un mode d’agir révolutionnaire. Quelle est donc
son mode d’agir ? Comment l’Eglise est-elle, de manière sociale, le germe et le
commencement du Royaume ?
Nous n’ignorons pas l’ampleur de la question et nous avons conscience de ne
pouvoir y répondre que très partiellement. Cependant il nous faut tenter une
réponse.
Ora et Labora : Ces deux mots, qui constituent la devise des moines bénédictins,
nous semblent admirablement bien résumer la manière dont opère l’Eglise pour
transformer l’humanité.
Il nous faut maintenant tourner notre regard vers la civilisation occidentale et
la culture européenne. Force est de constater que ses racines se trouvent dans le
christianisme. Et peut-être plus précisément dans l’Eglise, et encore plus
précisément dans la culture monastique. Ces moines qui sont à l’origine de la
civilisation occidentale ont toujours vécu dans la simplicité et l’humilité, dans la
prière et le travail. Comme le reconnait Benoit XVI, « leur volonté n’était pas de
créer une culture nouvelle ni de conserver une culture du passé. Leur motivation
était beaucoup plus simple. Leur objectif était de chercher Dieu, quaerare Deum35. »
Ils étaient tournés vers Dieu et vers les réalités éternelles. Leur être était, dit-on,
tendu vers l’ « eschatologie ». Mais, poursuit Benoit XVI « cela ne doit pas être
compris au sens chronologique du terme – comme s’ils vivaient les yeux tournés
vers la fin du monde ou vers leur propre mort – mais au sens existentiel : derrière le
provisoire, ils cherchaient le définitif36. » Ora et Labora : Le travail était aussi un
moyen de se tourner vers Dieu : « le travail des hommes devait apparaître comme
une expression particulière de leur ressemblance avec Dieu qui rend l’homme
participant à l’œuvre créatrice de Dieu dans le monde37. » Par l’étude, le travail et la
prière les moines ont permis la construction de la civilisation occidentale.
Nous pouvons dire que, bien qu’a un autre niveau, toute l’Eglise agit ainsi.
L’Eglise transforme l’humanité dans les fondements même de son ordre social.
Cette transformation est de l’ordre d’une purification ou d’une guérison. En effet,
à l’image de son Seigneur, qui vient guérir l’humanité blessée par le péché, l’Eglise
s’attache à guérir les fondements même de notre façon de vivre en tant qu’homme.
Cela prend du temps et reste toujours incertain, mais l’Eglise permet au Royaume
d’être instauré sur terre et dans le temps. Comme le dit le Cardinal Journet, c’est un
Royaume crucifié, ce n’est certes pas encore le Royaume glorieux que nous
attendons dans l’eschatologie, cependant c’est bien le Royaume de Dieu qui se rend
présent à nous. C’est bien le Royaume de Dieu qui, par l’action de l’Eglise, permet
aux plus pauvres et aux plus malheureux d’entrevoir le salut, de participer même, au
salut.
35
Benoit XVI, Discours au monde de la culture, collège des Bernardins, Paris, 12 septembre 2008
36
Idem
37
Idem

15
Nous le voyons donc, l’Eglise a, par nature, un rôle civilisateur. Tout en
gardant son autonomie vis-à-vis du politique, en cherchant l’essentiel derrière le
secondaire, en étant le lieu de la présence de Dieu dans le monde, en invitant
l’humanité à se tourner vers Dieu, l’Eglise contribue à la construction d’une
civilisation où le temporel est constamment irrigué par l’éternel, où le spirituel
s’exprime dans ce qu’il y a de plus charnel.
Et surgit à nous maintenant, ce qui a fait la grandeur et la gloire de l’Eglise
pendant des siècles. En se tournant vers Dieu l’Eglise n’a pas négligé le temporel,
au contraire, elle l’a sublimé ! C’est l’Eglise qui a inventé le système hospitalier
accessible pour tous, en mettant en place des hôtels-Dieu, c’est l’Eglise qui a créer
l’école gratuite pour tous, c’est encore l’Eglise qui a permis le développement des
arts comme la musique ou la peinture : les plus beaux chefs-d’œuvre de notre
civilisation sont à thèmes religieux, que l’on pense à la Piéta de Michel-Ange ou aux
tableaux de Raphaël, c’est en ouvrant l’art sur le spirituel qu’il est arrivé à son plus
haut degrés de perfection. Et nous pourrions continuer encore longtemps cette liste
où l’on voit que l’Eglise, très loin de renier la nature, la porte à son
accomplissement.
Tournons maintenant un instant notre regard sur ce qu’il est convenu
d’appeler les pays de mission. Ils sont, pour nous qui vivons en pays de vieille
chrétienté, un laboratoire où nous pouvons observer comment l’Evangile se
transmet aux nations. Et que voyons-nous ? L’Eglise, loin de se contenter d’un
domaine qui serait uniquement « spirituel », prend en charge l’éduction, en
construisant des écoles, se préoccupe des problèmes de santé, favorise le
développement économique en allant parfois jusqu’à mettre en place les
infrastructures nécessaire, comme celles permettant l’accès à l’eau potable38.
Le Royaume de Dieu n’est pas uniquement « spirituel ». Il s’adresse à l’homme dans
sa totalité. Voilà la conviction profonde qui a soutenu de nombreux missionnaires
dans leur entreprise de transformation du monde. Et si nous ajoutons à cela la
dénonciation de l’individualisme, nous obtenons la justification du rôle social de
l’Eglise.
Une question, très actuelle, demeure cependant : Si l’Etat prend en charge,
l’éducation, l’aide aux pauvres et le système de santé, l’Eglise doit-elle continuer à
s’y intéresser et à s’y investir ? Ou bien peut-elle laisser cette mission à d’autres
qu’elle, même s’il s’agit d’organismes sécularisés ? Pour répondre à cette question il
nous faut revenir sur la nature même de l’action de l’Eglise. Nous l’avons déjà dit,
l’Eglise n’agit qu’en tant que sacrement du Royaume. Ainsi donc quand elle
construit une école ou bâtit un hôpital, l’Eglise agit en tant que sacrement du
Royaume, en tant que signe et moyen du salut. L’action « sociale » de l’Eglise
possède donc une originalité propre, unique et irremplaçable. De plus, la
transformation du monde ne peut se faire que dans une optique de « collaboration
avec le Créateur ». Si l’homme s’érige lui-même en créateur, oubliant la dimension

38
En disant cela, nous pensons à la ville amazonienne de Pucallpa.

16
spirituelle de l’humanité, il peut vite aboutir à la destruction du monde. « Là où
cette mesure vient à manquer et là où l’homme s’élève lui-même au rang de
créateur déiforme, la transformation du monde peut facilement aboutir à sa
destruction39 » nous dit Benoit XVI. Nous avons conscience que cette réponse
mériterait bien d’autres développements, mais dans le cadre de ce devoir nous
devons, malheureusement, en rester là.

Durant ce devoir nous nous sommes efforcés de montrer le « déjà-là » du


Royaume, cependant, nous en avons bien conscience, le Royaume est aussi une
réalité à venir. Mais si une distinction est nécessaire entre le « déjà-là » et le « pas
encore » du Royaume, il importe de bien comprendre l’unité intrinsèque du
Royaume. C’est le même Royaume qui, dans l’Eglise, germe et commence sur notre
terre, et qui sera dans l’eschatologie l’union parfaite de Dieu et de l’humanité.
Nous pouvons donc dire, et nous pesons nos mots, que lorsque l’Eglise s’accroît
sur la terre le Royaume aussi connaît une certaine progression. Nous pouvons dire
aussi que, lorsque l’Eglise contribue au développement social de l’humanité alors le
Royaume de Dieu en ressort grandit. Il serait impropre de dire que le Royaume se
construit. Non, le Royaume nous est donné, il nous faut seulement l’accueillir.
Mais il ne s’agit pas d’un accueil individuel, comme si chaque personne devait, dans
son cœur accueillir pour lui, et pour lui seul, le Royaume. Non, le Royaume
demande d’être accueilli, certes par chacun, mais dans le cadre de la société. Il nous
faut ici faire une mention, certes trop brève, de l’encyclique Quas Primas du pape
Pie XI, écrite à l’occasion de l’institution de la fête du Christ-Roi. Il y défend la
royauté sociale de Notre-Seigneur Jésus-Christ. « Il n’y a lieu de faire aucune
différence entre les individus, les familles et les Etats ; car les hommes ne sont pas
moins soumis à l’autorité du Christ dans leur vie collective que dans leur vie privée.
Il est l’unique source de salut, de celui des sociétés comme de celui des individus40 »
Nous voyons bien, ici, que le Royaume ne peut-être envisagé ni d’une manière
exclusivement individuelle ni d’une manière uniquement spirituel. En effet, si l’Etat,
qui est chargé des affaires temporelles, est lui aussi, soumis à la royauté de Notre-
Seigneur41, c’est bien que le Royaume prend aussi en compte la dimension sociale
de l’humanité.

Le Royaume sur terre est un Royaume crucifié42. Cette affirmation est


capitale pour comprendre la nature du « déjà-là » du Royaume de Dieu. En effet,
tant que le péché aura une certaine emprise sur le monde, le Royaume sur terre sera
un Royaume crucifié. Ce qui signifie que, d’une certaine manière, le Royaume est
blessé par le péché. Cela explique le besoin d’une lutte pour le Royaume, cela
explique la nécessité d’un combat pour le Règne de Dieu.

39
Benoit XVI, Discours au monde de la culture, collège des Bernardins, Paris, 12 septembre 2008
40
Pie XI, Quas Primas, n° 13
41
En disant cela nous n’ignorons en aucune manière les développements théologique sur la question :
notamment dans le décret conciliaire : Dignitatis humanae.
42
L’expression est du Cardinal Charles Journet, dans : L’Eglise Sainte, Parole et Silence, 1999

17
Le plein achèvement du Royaume de Dieu se fera seulement, nous le savons,
dans l’eschatologie. La question qui se pose maintenant à nous est : quelle est
l’incidence eschatologique de la transformation sociale de l’humanité opérée par
l’Eglise ? Nous nous trouvons bien démuni pour répondre à cette question. Une
piste de réflexion pourrait être cependant la promesse de la résurrection des corps.
Nous le proclamons dans le Credo, nous croyons à la résurrection des corps. De
plus nous savons que Notre Seigneur ainsi que la Vierge Marie sont montés aux
cieux avec leurs corps. Corps, certes glorieux, mais corps tout de même. Ainsi
donc, nous le voyons, le charnel, loin de disparaître, est glorifié dans l’eschatologie.
Quelle espérance formidable ! Cette espérance eschatologique nous invite donc,
non à nous désintéresser des choses de la terre, mais au contraire, à faire de notre
mieux pour que notre monde terrestre reflète déjà la gloire de Dieu. Charles Péguy
va même jusqu’à laisser entendre que le spirituel à désormais besoin du charnel :

« Il ne suffit pas que nous ayons été créées, que nous soyons nées, que nous ayons
été faites fidèles.
Il faut, il dépend de nous que femmes et fidèles,
Il dépend de nous chrétiennes
Que l’éternel ne manque point de temporel,
(Singulier renversement),
Que le spirituel ne manque point du charnel,
Il faut tout dire, c’est incroyable : que l’éternité ne manque point d’un temps,
Du temps, d’un certain temps.
Que l’esprit ne manque point de chair.
Que l’âme pour ainsi dire ne manque point de corps.
Que Jésus ne manque point d’Eglise,
De son Eglise.
Il faut aller jusqu’au bout : Que Dieu ne manque point de sa création43. »

43
Péguy Charles, Le porche de la deuxième vertu, La pléiade, nrf, P. 596

18
Conclusion générale :

Le lundi 24 mars 1980, après avoir déplié le corporal, sur lequel, il allait, une
fois de plus et pour le salut de toute l’humanité, offrir le sacrifice d’un Dieu crucifié
par amour, Monseigneur Oscar Romero fut tué d’une balle dans la poitrine. Quel
fut son crime ? Ecoutons-le-nous parler : « Nous ne pouvons isoler la Parole de
Dieu de la réalité historique dans laquelle elle est dite. Elle ne serait plus alors
parole de Dieu, elle serait une histoire quelconque, un livre de piété, une bible bien
rangée dans notre bibliothèque. Or elle est parole de Dieu, c'est-à-dire qu’elle
inspire, éclaire, contrecarre, rejette, magnifie ce qui se fait aujourd’hui dans notre
société44. » Voilà le crime de Mgr Romero, avoir pris l’Evangile au sérieux. Avoir
pensé que le Royaume de Dieu n’est ni individualiste ni spiritualiste mais qu’il est
déjà présent sur cette terre et qu’il s’étend à tous les domaines de notre vie.

En écrivant ce devoir nous avons eu le sentiment de nous attaquer à un sujet


délicat, sous quelques aspects redoutable même. Nous savons bien que l’histoire est
pleine à craquer des erreurs que l’on a fait subir à l’idée de Royaume. Ces erreurs se
sont parfois payées dans le sang et la souffrance. Cependant nous pensons qu’il est
impossible de faire l’économie d’une réflexion sur, ce qui n’est rien d’autre, que le
centre de la prédication de Jésus. Et à ceux qui nous disent : « vous mélangez le
politique et le religieux », nous voulons répondre en prenant l’Evangile au sérieux,
en prenant au sérieux la prière du Pater : « Que Votre Règne arrive, sur la terre
comme aux ciel ! » et enfin en prenant au sérieux notre humanité, blessée par le
péché, qui aspire de toutes ses forces, qui espère de tout son cœur, le salut promis à
toute chair.

44
Romero Oscar, homélie du 27 novembre 1977, in L’amour Vainqueur, cerf, 1990, p. 36

19
Bibliographie :

Bibles et manuels :

Bible de Jérusalem, Desclee de Brouwer, Paris, 1975


Léon-Dufour Xavier (dir), Vocabulaire de Théologie Biblique, Cerf, 1966

Documents du Magistère :

Constitution dogmatique Lumen Gentium du Concile Vatican II


Constitution dogmatique Gaudium et spes du Concli Vatican II
Benoit XVI, Spe Salvi, 2007
Pie XI, Quas Primas,
Catéchisme de l’Eglise Catholique, cerf, 1997

Autres ouvrages :

Romero Oscar, L’amour Vainqueur, Cerf, 1990


Journet Charles, L’Eglise Sainte, Parole et Silence, 1999
Ratzinger Joseph, Jésus de Nazareth, Flammarion, 2007
Gutiérrez Gustavo, Théologie de la libération – perspectives, Lumen Vitae, 1974
Gutiérrez Gustavo, La Force historique des pauvres, cerf, 1982
Gerard Dom, Demain la Chrétienté, Edition Sainte Madeleine, 2005
Bouyer Louis, L’Eglise de Dieu, Cerf, 1970
Dostoievski, Les frères Karamazov, édition de poche, 1994
Péguy Charles, Le porche de la deuxième vertu, la pléiade, nrf

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