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L’Eglise : Germe et commencement
du Royaume de Dieu
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Dominique Fornerod
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12/01/2009
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« Et le Verbe s’est fait chair,
Et il a habité parmi nous » Jn 1, 14
Quoi de mieux pour commencer un devoir qui traitera des rapports entre le
Royaume de salut annoncé et réalisé en Jésus-Christ et l’Eglise de Dieu, que de
nous confronter à cet incroyable mystère, objet de notre foi, de notre espérance et
de notre amour, inexprimable tout autant que paradoxal, céleste et à la fois
terrestre, spirituel et charnel : Dieu s’est fait homme !
En effet, il serait vain et ô combien inopportun de construire un discours sur
l’Eglise sans se référer au mystère central de notre foi : l’incarnation du Fils de
Dieu.
D’ores et déjà nous pouvons donc situer l’Eglise dans cette subtile rencontre
du spirituel et du charnel. Comme Jésus est à la fois pleinement Dieu et à la fois
pleinement homme, l’Eglise est pleinement spirituelle et pleinement charnelle,
pleinement céleste et pleinement terrestre. Comme Jésus, l’Eglise assume
pleinement son humanité. Oui l’Eglise est aussi une réalité pleinement humaine.
Et c’est pour cela que l’Eglise fait sienne les aspirations et les espérances
légitimes de l’humanité. Parmi celles-ci l’espoir d’un monde meilleur taraude
particulièrement l’humanité. L’histoire du XXème siècle nous en offre une belle
illustration. De grandes idéologies comme le national-socialisme, le communisme
ou encore le matérialisme n’ont cessé de promettre à l’homme des lendemains plus
heureux. Mais c’est souvent dans un désarroi plus grand qu’elles ont laissé
l’humanité. L’espoir n’a cependant pas quitté la terre, et c’est sous de multiples
formes qu’aujourd’hui les hommes cherchent à bâtir un monde plus juste, plus
beau, où il y fera bon-vivre. Cela s’avère pourtant difficile et nombreux sont ceux
qui peinent à trouver des raisons d’espérer, pire encore, nombreux sont ceux qui ne
voient même plus l’intérêt d’espérer : ce qui compte c’est la jouissance de l’instant
présent, pensent-ils, quand arrive un coup dure : ils n’ont plus de raison de vivre.
Dans ce contexte il est urgent de faire entendre avec force le message, la
bonne nouvelle de Jésus-Christ.
Et que dit-elle cette bonne nouvelle ?
« Voici que je fais toutes choses nouvelles1. », « De mort il n’y en aura plus, de
pleurs, de cris, de peines il n’y en aura plus2. » « Le Royaume de Dieu est tout
proche3. »
Mais où est-il ce Royaume qu’Il nous a promis. Est-il seulement dans l’au-
delà ou dans une lointaine fin eschatologique ? Ou bien est-il déjà là, mais dans ce
cas, où le chercher ?
Et c’est là que surgit l’incroyable mystère de l’Eglise. Mystère de l’amour infini
d’un Dieu qui s’est fait homme pour sauver l’humanité. Mystère infini de l’amour
d’un Dieu qui va jusqu’à laisser son Fils mourir sur une croix pour sceller de
1
Ap 21,7
2
Ap 15,1
3
Marc 1,15
2
manière définitive la réconciliation de l’homme et de Dieu. Infini mystère de
l’espérance retrouvée.
Les questions qui se posent maintenant à nous sont donc les suivantes :
Comment l’Eglise contribue-t-elle à « tout renouveler dans le Christ » et « à faire
toutes choses nouvelles », tout en sachant que le plein achèvement se fera
seulement dans l’eschatologie. ? Comment l’Eglise annonce-t-elle et instaure-t-elle
le Royaume de Dieu sur la terre ? Comment l’Eglise constitue-t-elle le germe et le
commencement du Royaume ?
Pour répondre à ces questions nous procéderons en trois parties. Dans une
première partie nous aborderons les rapports entre Eglise et Royaume sous un
angle scripturaire et historique. Dans une deuxième partie nous envisagerons
l’Eglise comme moyen de transformation « spirituelle » de l’humanité en vue du
Royaume et dans notre troisième partie nous insisterons sur les transformations
« sociales » de l’humanité, opérée par l’Eglise, en vue du Royaume.
L’Eglise comme
instrument
d’annonce et
d’instauration
du Royaume
Le Royaume
Le Christ est le dans sa
Royaume.
dimension de
Et le Christ
instaure « pas
l’Eglise. encore »
Dimension du
« déjà là »
La première partie de notre devoir traitera donc des rapports entre Eglise et
Royaume sous un angle scripturaire et historique. L’objet de cette partie est de
tenter une définition des termes : Royaume et Eglise afin de pouvoir, dans les deux
parties suivantes, aborder de façon aussi précise que possible la manière dont
l’Eglise constitue le germe et le commencement du Royaume de Dieu, en abordant
de manière spécifique la transformation radicale de l’humanité, temporelle et
spirituelle, qu’opère l’Eglise dans le but du Royaume.
3
L’annonce du Royaume : objet de la prédiction du Christ.
Pour celui qui lit les écritures de près, une constatation s’impose : L’annonce
du Royaume est l’objet principal de la prédication de Jésus. Dans la perspective de
notre devoir il importe de comprendre en quoi consiste l’annonce du Royaume.
Un thème vétérotestamentaire.
4
Vocabulaire de Théologie Biblique, cerf, Paris, p.950
5
Ps 48, 3
6
Idem, p.952
4
Jésus fait du Royaume le thème central de sa prédication.
7
Marc 1,15
8 Mt 11,25
9 Mt 13,31
5
La première constatation qui vient à l’esprit en lisant les évangiles est que l’annonce
du Royaume se fait dans le cadre du groupe des disciples, que Jésus forme et initie
aux mystères dudit Royaume. De plus, dans ce groupe, il y a les « intimes » : douze
apôtres qui seront « les cellules fondamentales et les chefs de l’Israël nouveau10. »
Ils sont le germe de l’Eglise qui, plus tard, sera répandu sur toute la terre. Les
apôtres apprennent de Jésus à baptiser, à chasser les démons, à guérir les malades :
à accomplir les signes manifestant la venu du Royaume de Dieu. Jésus choisit donc
certaines personnes qui seront chargées d’annoncer et de manifester, par des signes
concrets, le Royaume.
6
Ce travail est nécessairement simplificateur. Comment, en quelques lignes, rendre
compte de plus vingt siècles de réflexions, de débats, de travail théologique ?
Cependant, tout en ayant conscience de commettre une certaine trahison, il nous
faut essayer d’ébaucher l’histoire de la pensée des rapports entre Eglise et Royaume.
13
Comme le note Joseph Ratzinger dans son ouvrage : Jésus de Nazareth, cette interprétation du mot Royaume
est à nuancer assez fortement. « (cette interprétation) met en relation, sous différents aspects, le Royaume de
Dieu et l’Eglise, et elle établit entre les deux un rapport de plus ou moins grande proximité. »
14
Voir : Joseph Ratzinger, Jésus de Nazareth, Flammarion, 2007, p. 71
15
Concile Vatican II, Lumen Gentium, n° 5c
16
Concile Vatican II, Lumen Gentium, n° 3
7
Les deux parties suivantes traitent du royaume du royaume dans sa
dimension spirituelle (II) puis du Royaume dans sa dimension charnelle (III). Nous
les avons séparés pour les besoins de l’explication mais ces deux réalités sont
intimement liées. (Une distinction est, cependant, bien nécessaire)
Il ne faudrait surtout pas croire que la dimension spirituelle vient après la
dimension charnelle ou vice-versa. Il s’agit en réalité d’un même mouvement de
transformation.
Paradoxe :
« Déjà là » et
« pas encore »
17
Nous avons bien conscience du caractère purement usuel de notre remarque. En aucun cas nous ne voulons
soutenir que le terme salut est purement individuel. Nous voulons seulement souligner la part individuel du
salut. Le salut se fait de manière collectif (et c’est là que nous proposons le mot : Royaume) mais il revêt aussi
un caractère individuel : nul ne peut-être sauvé contre sa volonté. Une fois cette distinction faite, nous
n’emploierons pas, dans la suite de notre devoir, le mot salut dans un sens strictement individuel.
8
L’Eglise, en quelque sorte, sacrement :
18
Constitution dogmatique Lumen Gentium n°1
19
Jn 17,3 Traduction du Chanoine Crampon.
20
Catéchisme de l’Eglise Catholique n°774
21
En disant cela nous avons parfaitement conscience que Jean-Paul II a employé la même expression pour
parler du mariage. Cependant nous n’entendons pas ici « premier » dans le même ordre que lui.
22
Lumen Gentium n° 48b
9
Cette conception de l’Eglise comme sacrement va servir de base à toute
notre réflexion sur le germe et le commencement du Royaume de Dieu sur terre.
En effet, nous l’avons dit, l’Eglise est sacrement du salut, elle est donc sacrement
du Royaume.
La mission de l’Eglise est donc d’être sacrement du Royaume de Dieu :
comment l’Eglise réalise-t-elle cette mission ? Comment l’Eglise est-elle le signe et
le moyen de l’avènement du Royaume ?
Pour répondre à ces questions il nous faut observer comment l’Eglise agit.
Quel est son (ou ses) moyen(s) de procéder qui va (vont) lui permettre d’accomplir
sa mission d’être le signe et le moyen de l’avènement du Royaume ?
23
Lumen Gentium n° 9
10
volontairement en avant le rôle de l’Eglise afin d’insister sur la dimension
« incarnée » du salut. En effet le temps dans lequel nous vivons est le temps de
l’Eglise. Le Christ a voulu vivre et agir dans son Eglise afin de nous rendre présent
et de nous communiquer son œuvre de Salut.
« Le jour de la Pentecôte, par l'effusion de l'Esprit Saint, l'Eglise est manifestée au
monde (cf. SC 6 LG 2). Le don de l'Esprit inaugure un temps nouveau dans la
"dispensation du Mystère": le temps de l'Eglise, durant lequel le Christ manifeste,
rend présent et communique son oeuvre de salut par la Liturgie de Son Eglise,
"jusqu'à ce qu'Il vienne" (1Co 11,26). Durant ce temps de l'Eglise, le Christ vit et
agit désormais dans Son Eglise et avec elle d'une manière nouvelle, propre à ce
temps nouveau24. »
Les sacrements :
Paradoxe :
« Déjà là » et
« pas encore »
24
Catéchisme de l’Eglise Catholique n° 1076
25
Idem n°1118
26
Nous aurions aimé détailler ici comment chaque sacrement transforme de manière radicale et spirituelle le
monde. L’Eucharistie étant la transformation par excellence. Cependant la place nous manque ici pour le faire.
11
Le temps est maintenant venu de se consacrer aux transformations que nous
appellerons « sociales » ; Nous avons étudié dans la deuxième partie de notre devoir
les transformations que nous pourrions définir comme « spirituelles », l’enjeu pour
nous est maintenant de comprendre comment ces transformations spirituelles ont
des conséquences « pratiques » sur la vie du monde et comment une certaine
transformation « matérielle » du monde contribue à favoriser la transformation
spirituelle de celui-ci.
De quelle manière l’Eglise, en tant qu’elle est moyen de transformation sociale de
l’humanité, est-elle conséquence et condition de l’accueil du Royaume ? Voilà qui
pourrait résumer les questions qui vont nous préoccuper dans cette partie.
27
Voir : Journet Charles, L’Eglise Sainte, Parole et Silence, 1999, p. 221 (Ce livre édité en 1999 est un
complément inédit à l’œuvre magistrale, malheureusement inachevée, de Charles Journet : L’Eglise du Verbe
Incarné)
28
Voir par exemple : Les frères Karamazof
12
théologiens russes29. L’idée d’un « saint roi », d’un « pouvoir temporel
sanctifié » est alors mis en avant.
Après avoir situé ces différents risques il nous faut, à présent, voir comment
le Royaume de Dieu se réalise, par l’Eglise, dans l’histoire, au niveau social.
L’individualisme moderne :
« Nous devons aussi constater que le christianisme moderne, face aux succès
de la science dans la structuration progressive du monde, ne s’était en grande partie
concentré que sur l’individu et son salut. Par là, il a restreint l’horizon de son
espérance et n’a même pas reconnu suffisamment la grandeur de sa tâche31,
même si ce qu’il a continué à faire pour la formation de l’homme et pour le soin
des plus faibles et des personnes qui souffrent reste important32. »
Cette phrase de Benoit XVI, nous apparait d’une extrême pertinence. En effet,
pour des raisons qu’il nous est impossible de détailler ici, le christianisme de
l’époque moderne, c’est de plus en plus concentré sur l’individu. La tendance a
donc été de mettre l’accent sur la dimension individuel du salut. Et cela, nous le
pensons, au détriment d’une juste compréhension de la notion de Royaume de
Dieu. En effet il n’y a rien de plus éloigné du Royaume que l’individualisme. Avec
29
Par exemple : Serge Boulgakoff
30
Benoit XVI, Jésus de Nazareth, Flammarion, 2007, p 74
31
Nous nous permettons de souligner volontairement cette phrase afin de faire ressortir les conséquences
néfastes de l’individualisme chrétien selon Benoit XVI.
32
Benoit XVI, Spe Salvi, n°25
13
Benoit XVI, il nous faut donc rappeler que le rôle de l’Eglise ne se limite pas à
permettre le salut individuel des croyants. Si l’Eglise est vraiment le germe et le
commencement du Royaume, alors elle ne peut se contenter de rester dans le
domaine du privé, alors son influence doit s’étendre dans tous les domaines de la
vie de l’homme. Alors l’Eglise ne peut se désintéresser de la vie politique et
économique. Nous avons parfaitement conscience, qu’en disant cela nous nous
heurtons à une compréhension de la laïcité, très répandue chez nos contemporains,
qui viserait une stricte séparation du religieux et du politique. En disant cela, nous
nous heurtons aussi à une manière de penser qui aurait tendance à séparer de façon
excessive Eglise et Royaume. Pour les défenseurs d’une telle séparation le Royaume
de Dieu se construit bien en dehors des limites de l’Eglise. Chaque homme qui lutte
pour la justice, pour la liberté, contribue ainsi, même en dehors de toutes références
religieuses, à instaurer le Royaume sur la terre. Nous tombons ici dans ce que nous
avons déjà appelé le millénarisme temporel.
Pour comprendre d’une manière encore plus juste la façon dont l’Eglise est
le germe et le commencement du Royaume ainsi que les implications sociales d’une
telle affirmation il nous faut observer de quelle manière l’Eglise agit pour
transformer la société.
Tout d’abord nous observons que rien n’est plus étranger à la manière d’agir
de l’Eglise que la révolution. Pourtant qu’elle tentation puissante, pour les lecteurs
de l’Evangile, que de vouloir brusquement changer le cours des choses ! L’Evangile
lui-même n’est-il pas une révolution ? Le maître se fait serviteur et les petits sont les
premiers dans le Royaume. Y a-t-il texte plus subversif que le magnificat : « Il
renverse les puissants de leurs trônes, Il élève les humbles » ? Pourtant, si l’Evangile
est bien la révolution la plus importante de l’histoire de l’humanité, l’Eglise
n’adoptera pas un mode d’action révolutionnaire. En effet Saint Paul va prêcher le
respect des institutions, les premiers chrétiens ne vont pas cherchés à renverser
l’ordre établi et l’Eglise n’aura de cesse de dire et redire cette parole du Christ :
« Rendez à César ce qui est à César et à Dieu ce qui est à Dieu. »
Peut-être est-il utile de dire ici, qu’à notre avis, un des grands dangers de la
Théologie de la libération, et de l’un de ses plus éminents représentants Gustavo
Gutiérrez, est de vouloir construire une Théologie à partir « de la praxis historique
de libération33 », ce qui revient à vouloir élaborer un discours sur Dieu et sur
l’Eglise à partir d’une manière d’agir qui n’est pas celle de l’Eglise. Gutiérrez se
défend de vouloir justifier théologiquement la révolution34 mais il prend la
révolution comme base pour bâtir sa théologie. Ce n’est certes pas la même chose
mais avouons le réel danger que constitue le fait de vouloir construire une théologie
sur une praxis qui n’est, en aucun cas, celle de l’Eglise. Ceci-dit l’œuvre de
Gutiérrez nous paraît, en de nombreux points, fort intéressante, notamment dans
33
Voir : Gutierrez Gustavo, Théologie de la libération - perspectives, Lumen Vitae, 1974
34
Gutierrez Gustavo, La force historique des pauvres, cerf, 1999, p.48
14
sa dénonciation de l’individualisme dans le christianisme contemporain ainsi que
dans son souci d’ « incarner » l’Evangile dans la société.
L’Eglise n’adopte donc pas un mode d’agir révolutionnaire. Quelle est donc
son mode d’agir ? Comment l’Eglise est-elle, de manière sociale, le germe et le
commencement du Royaume ?
Nous n’ignorons pas l’ampleur de la question et nous avons conscience de ne
pouvoir y répondre que très partiellement. Cependant il nous faut tenter une
réponse.
Ora et Labora : Ces deux mots, qui constituent la devise des moines bénédictins,
nous semblent admirablement bien résumer la manière dont opère l’Eglise pour
transformer l’humanité.
Il nous faut maintenant tourner notre regard vers la civilisation occidentale et
la culture européenne. Force est de constater que ses racines se trouvent dans le
christianisme. Et peut-être plus précisément dans l’Eglise, et encore plus
précisément dans la culture monastique. Ces moines qui sont à l’origine de la
civilisation occidentale ont toujours vécu dans la simplicité et l’humilité, dans la
prière et le travail. Comme le reconnait Benoit XVI, « leur volonté n’était pas de
créer une culture nouvelle ni de conserver une culture du passé. Leur motivation
était beaucoup plus simple. Leur objectif était de chercher Dieu, quaerare Deum35. »
Ils étaient tournés vers Dieu et vers les réalités éternelles. Leur être était, dit-on,
tendu vers l’ « eschatologie ». Mais, poursuit Benoit XVI « cela ne doit pas être
compris au sens chronologique du terme – comme s’ils vivaient les yeux tournés
vers la fin du monde ou vers leur propre mort – mais au sens existentiel : derrière le
provisoire, ils cherchaient le définitif36. » Ora et Labora : Le travail était aussi un
moyen de se tourner vers Dieu : « le travail des hommes devait apparaître comme
une expression particulière de leur ressemblance avec Dieu qui rend l’homme
participant à l’œuvre créatrice de Dieu dans le monde37. » Par l’étude, le travail et la
prière les moines ont permis la construction de la civilisation occidentale.
Nous pouvons dire que, bien qu’a un autre niveau, toute l’Eglise agit ainsi.
L’Eglise transforme l’humanité dans les fondements même de son ordre social.
Cette transformation est de l’ordre d’une purification ou d’une guérison. En effet,
à l’image de son Seigneur, qui vient guérir l’humanité blessée par le péché, l’Eglise
s’attache à guérir les fondements même de notre façon de vivre en tant qu’homme.
Cela prend du temps et reste toujours incertain, mais l’Eglise permet au Royaume
d’être instauré sur terre et dans le temps. Comme le dit le Cardinal Journet, c’est un
Royaume crucifié, ce n’est certes pas encore le Royaume glorieux que nous
attendons dans l’eschatologie, cependant c’est bien le Royaume de Dieu qui se rend
présent à nous. C’est bien le Royaume de Dieu qui, par l’action de l’Eglise, permet
aux plus pauvres et aux plus malheureux d’entrevoir le salut, de participer même, au
salut.
35
Benoit XVI, Discours au monde de la culture, collège des Bernardins, Paris, 12 septembre 2008
36
Idem
37
Idem
15
Nous le voyons donc, l’Eglise a, par nature, un rôle civilisateur. Tout en
gardant son autonomie vis-à-vis du politique, en cherchant l’essentiel derrière le
secondaire, en étant le lieu de la présence de Dieu dans le monde, en invitant
l’humanité à se tourner vers Dieu, l’Eglise contribue à la construction d’une
civilisation où le temporel est constamment irrigué par l’éternel, où le spirituel
s’exprime dans ce qu’il y a de plus charnel.
Et surgit à nous maintenant, ce qui a fait la grandeur et la gloire de l’Eglise
pendant des siècles. En se tournant vers Dieu l’Eglise n’a pas négligé le temporel,
au contraire, elle l’a sublimé ! C’est l’Eglise qui a inventé le système hospitalier
accessible pour tous, en mettant en place des hôtels-Dieu, c’est l’Eglise qui a créer
l’école gratuite pour tous, c’est encore l’Eglise qui a permis le développement des
arts comme la musique ou la peinture : les plus beaux chefs-d’œuvre de notre
civilisation sont à thèmes religieux, que l’on pense à la Piéta de Michel-Ange ou aux
tableaux de Raphaël, c’est en ouvrant l’art sur le spirituel qu’il est arrivé à son plus
haut degrés de perfection. Et nous pourrions continuer encore longtemps cette liste
où l’on voit que l’Eglise, très loin de renier la nature, la porte à son
accomplissement.
Tournons maintenant un instant notre regard sur ce qu’il est convenu
d’appeler les pays de mission. Ils sont, pour nous qui vivons en pays de vieille
chrétienté, un laboratoire où nous pouvons observer comment l’Evangile se
transmet aux nations. Et que voyons-nous ? L’Eglise, loin de se contenter d’un
domaine qui serait uniquement « spirituel », prend en charge l’éduction, en
construisant des écoles, se préoccupe des problèmes de santé, favorise le
développement économique en allant parfois jusqu’à mettre en place les
infrastructures nécessaire, comme celles permettant l’accès à l’eau potable38.
Le Royaume de Dieu n’est pas uniquement « spirituel ». Il s’adresse à l’homme dans
sa totalité. Voilà la conviction profonde qui a soutenu de nombreux missionnaires
dans leur entreprise de transformation du monde. Et si nous ajoutons à cela la
dénonciation de l’individualisme, nous obtenons la justification du rôle social de
l’Eglise.
Une question, très actuelle, demeure cependant : Si l’Etat prend en charge,
l’éducation, l’aide aux pauvres et le système de santé, l’Eglise doit-elle continuer à
s’y intéresser et à s’y investir ? Ou bien peut-elle laisser cette mission à d’autres
qu’elle, même s’il s’agit d’organismes sécularisés ? Pour répondre à cette question il
nous faut revenir sur la nature même de l’action de l’Eglise. Nous l’avons déjà dit,
l’Eglise n’agit qu’en tant que sacrement du Royaume. Ainsi donc quand elle
construit une école ou bâtit un hôpital, l’Eglise agit en tant que sacrement du
Royaume, en tant que signe et moyen du salut. L’action « sociale » de l’Eglise
possède donc une originalité propre, unique et irremplaçable. De plus, la
transformation du monde ne peut se faire que dans une optique de « collaboration
avec le Créateur ». Si l’homme s’érige lui-même en créateur, oubliant la dimension
38
En disant cela, nous pensons à la ville amazonienne de Pucallpa.
16
spirituelle de l’humanité, il peut vite aboutir à la destruction du monde. « Là où
cette mesure vient à manquer et là où l’homme s’élève lui-même au rang de
créateur déiforme, la transformation du monde peut facilement aboutir à sa
destruction39 » nous dit Benoit XVI. Nous avons conscience que cette réponse
mériterait bien d’autres développements, mais dans le cadre de ce devoir nous
devons, malheureusement, en rester là.
39
Benoit XVI, Discours au monde de la culture, collège des Bernardins, Paris, 12 septembre 2008
40
Pie XI, Quas Primas, n° 13
41
En disant cela nous n’ignorons en aucune manière les développements théologique sur la question :
notamment dans le décret conciliaire : Dignitatis humanae.
42
L’expression est du Cardinal Charles Journet, dans : L’Eglise Sainte, Parole et Silence, 1999
17
Le plein achèvement du Royaume de Dieu se fera seulement, nous le savons,
dans l’eschatologie. La question qui se pose maintenant à nous est : quelle est
l’incidence eschatologique de la transformation sociale de l’humanité opérée par
l’Eglise ? Nous nous trouvons bien démuni pour répondre à cette question. Une
piste de réflexion pourrait être cependant la promesse de la résurrection des corps.
Nous le proclamons dans le Credo, nous croyons à la résurrection des corps. De
plus nous savons que Notre Seigneur ainsi que la Vierge Marie sont montés aux
cieux avec leurs corps. Corps, certes glorieux, mais corps tout de même. Ainsi
donc, nous le voyons, le charnel, loin de disparaître, est glorifié dans l’eschatologie.
Quelle espérance formidable ! Cette espérance eschatologique nous invite donc,
non à nous désintéresser des choses de la terre, mais au contraire, à faire de notre
mieux pour que notre monde terrestre reflète déjà la gloire de Dieu. Charles Péguy
va même jusqu’à laisser entendre que le spirituel à désormais besoin du charnel :
« Il ne suffit pas que nous ayons été créées, que nous soyons nées, que nous ayons
été faites fidèles.
Il faut, il dépend de nous que femmes et fidèles,
Il dépend de nous chrétiennes
Que l’éternel ne manque point de temporel,
(Singulier renversement),
Que le spirituel ne manque point du charnel,
Il faut tout dire, c’est incroyable : que l’éternité ne manque point d’un temps,
Du temps, d’un certain temps.
Que l’esprit ne manque point de chair.
Que l’âme pour ainsi dire ne manque point de corps.
Que Jésus ne manque point d’Eglise,
De son Eglise.
Il faut aller jusqu’au bout : Que Dieu ne manque point de sa création43. »
43
Péguy Charles, Le porche de la deuxième vertu, La pléiade, nrf, P. 596
18
Conclusion générale :
Le lundi 24 mars 1980, après avoir déplié le corporal, sur lequel, il allait, une
fois de plus et pour le salut de toute l’humanité, offrir le sacrifice d’un Dieu crucifié
par amour, Monseigneur Oscar Romero fut tué d’une balle dans la poitrine. Quel
fut son crime ? Ecoutons-le-nous parler : « Nous ne pouvons isoler la Parole de
Dieu de la réalité historique dans laquelle elle est dite. Elle ne serait plus alors
parole de Dieu, elle serait une histoire quelconque, un livre de piété, une bible bien
rangée dans notre bibliothèque. Or elle est parole de Dieu, c'est-à-dire qu’elle
inspire, éclaire, contrecarre, rejette, magnifie ce qui se fait aujourd’hui dans notre
société44. » Voilà le crime de Mgr Romero, avoir pris l’Evangile au sérieux. Avoir
pensé que le Royaume de Dieu n’est ni individualiste ni spiritualiste mais qu’il est
déjà présent sur cette terre et qu’il s’étend à tous les domaines de notre vie.
44
Romero Oscar, homélie du 27 novembre 1977, in L’amour Vainqueur, cerf, 1990, p. 36
19
Bibliographie :
Bibles et manuels :
Documents du Magistère :
Autres ouvrages :
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