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Topoi 19 (2014)
p. ***-***
8 l. graslin-thomé
de l’histoire du peuple juif à partir du retour d’Exil. Sur le plan religieux bien
sûr, mais également, comme institution politique. Il apparaît comme l’interface
entre la communauté juive et les différentes administrations royales achéménide,
lagide puis séleucide qui tour à tour l’acceptent, l’imposent ou le tolèrent comme
interlocuteur. Alors que les études portant sur le personnel du Temple, du grand
prêtre aux lévites qui en assurent le fonctionnement, s’interrogent souvent sur
l’origine familiale et sociale de ces différents groupes, nous nous intéresserons
plutôt au rôle politique de ces personnages, à la manière dont ils interagissent avec
la Couronne, pour, selon les périodes, s’imposer comme relais ou comme pôle de
résistance au pouvoir royal.
Cet article n’est bien évidement pas le premier à traiter des rapports
entre le Temple de Jérusalem et les différents pouvoirs politiques qui dominent
successivement la région. C’est même un sujet qui connaît, actuellement, un fort
regain d’intérêt signalé par de multiples publications 3. Les sources bibliques, si
difficiles à manier, ont conduit à des interprétations très nombreuses et variées,
parfois contradictoires, notamment des deux moments clé de l’histoire juive que
sont le retour d’Exil et la persécution menée par Antiochos IV. Notre objet n’est
pas de trancher entre les différentes propositions, ni d’en apporter une nouvelle,
mais plutôt de tenter d’éclairer la situation juive en la mettant en parallèle avec
des événements connus dans d’autres endroits du monde hellénistique. Le postulat
de départ est qu’il n’y a guère de raison pour que les souverains perses puis
hellénistiques aient adopté, vis-à-vis de Jérusalem, une politique fondamentalement
différente de celle qu’ils pratiquèrent dans d’autres cités ou sanctuaires de leurs
royaumes 4.
La Babylonie, notamment, nous semble offrir des points de comparaison
permettant de mieux comprendre la situation à Jérusalem. Le corpus
mésopotamien d’époque perse puis hellénistique est en effet très riche 5, et offre à
l’historien des possibilités de comparaisons d’autant plus prometteuses que notre
connaissance de la Babylonie achéménide et hellénistique a connu des dernières
3. Elles concernent rarement une période de temps aussi longue que celle traitée dans
cet article, et se concentrent le plus souvent soit sur l’époque perse soit sur l’époque
hellénistique. Elles seront donc citées plus bas, en fonction des périodes auxquelles
elles se rattachent.
4. Une démarche similaire est proposée par Ma 2012, qui s’appuie sur des inscriptions
grecques trouvées dans d’autres régions du royaume séleucide pour éclairer la crise
des Maccabées. Boiy 2004, p. 220-225, compare les institutions connues à Babylone
et Jérusalem. Quant aux comparaisons entre monde mésopotamien et monde
biblique, elles sont fréquentes et souvent instructives, pour toute l’histoire des deux
civilisations. Voir notamment, pour une étude de l’histoire d’Israël à la lumière des
sources mésopotamiennes, Liverani 2008.
7. Dans la Babylonie perse et hellénistique, on écrit sur deux supports dont la résistance
au temps est très différente : l’ancienne écriture cunéiforme, sur tablettes d’argile,
est surtout pratiquée par les membres des élites urbaines, très souvent liées aux
sanctuaires par un système complexe de prébendes. La majorité de la population
devait parler et écrire l’araméen, qui, noté sur support souple, n’a pas survécu aux
ravages du temps. Les aléas de la conservation des documents anciens fait donc
que nous connaissons surtout les populations liées aux sanctuaires. Le lien entre
écriture cunéiforme et sanctuaire se renforce à l’époque hellénistique, pour laquelle
l’ensemble des documents parvenus jusqu’à nous émanent de personnages liés,
d’une manière ou d’une autre, au temple. Graslin 2012, p. 238-240.
8. Pour la datation de la rédaction des livres bibliques, une réflexion sur leur contenu
et les problèmes spécifiques qu’ils posent, voir Römer, Macchi et Nihan 2009,
en particulier les chapitres de P. Abadie sur Esdras-Néhémie (p. 704-713) et les
différents livres des Maccabées (p. 761-772). Voir également doran 2012 pour un
commentaire récent de 2 Macc.
très construits, qui donnent des événements une vision que l’on soupçonne souvent
biaisée. Soucieux de donner un sens à l’histoire du peuple juif, ils déforment les
réalités historiques ou montent en épingle des évènements auxquels ils donnent un
sens qui n’est pas nécessairement celui que leur reconnaissaient les contemporains.
Ils présentent l’histoire de Jérusalem comme hors normes, quand bien même elle
se rapproche, en réalité, beaucoup de celle d’autres communautés intégrées aux
royaumes hellénistiques.
Sur les tablettes d’argile qui constituent, depuis la fin du IVe millénaire, le
support caractéristique de l’écriture mésopotamienne, les habitants de Babylone
et de ses environs consignent des textes de nature variée. Les textes littéraires et
savants 10 témoignent de la grande vitalité de la culture mésopotamienne d’époque
hellénistique. Les documents dits de la pratique parce qu’ils servent les nécessité
de la vie quotidienne, comptes, lettres, actes juridiques ou notariés, se comptent
également par centaines. Les textes babyloniens sont souvent des documents de
première main, rédigés par leurs auteurs pour leur usage quotidien, habituellement
sans distance temporelle par rapport aux événements auxquels ils se réfèrent 11
et peu suspects d’une réécriture idéologique ou intéressée. L’historien dispose
également des chroniques, récits événementiels compilés dans les sanctuaires
babyloniens par des lettrés qui sélectionnent, parmi les événements dont ils sont
témoins, ceux qui leur semblent dignes de figurer dans ces récits. Ces documents
ne sont pas exempts d’un travail de reconstruction, et la sélection même des
événements jugés utiles de figurer dans ces chroniques témoigne des priorités de
leurs auteurs. Mais il n’en reste pas moins que ces textes sont d’une nature très
différente de ceux dont nous disposons pour écrire l’histoire d’Israël, qui sont
systématiquement des textes de propagande, destinés à assurer la suprématie d’un
groupe sur un autre, l’ancienneté d’un temple ou la puissance d’un dieu 12. Les
uns sont rédigés au moment même ou peu après les micro-événements dont ils
parlent, les autres sont le produit d’une longue histoire d’écriture et ont fait l’objet
de biens des remaniements, de sorte que la version dont nous disposons a été fixée
bien longtemps après les événements relatés. Aux textes bibliques qui rapportent
de manière explicite et narrative les événements sans être toujours fidèles à la
réalité historique s’opposent des textes babyloniens bien datés, au contenu moins
retravaillé à la lumière des événements postérieurs, mais souvent très lacunaires,
11. Les chroniques comptent parmi les documents babyloniens les plus « construits » :
les lettrés babyloniens y compilent un certain nombre d’événements jugés
significatifs, souvent puisés dans leurs relevés astronomiques quotidiens. Il y a donc
dans ces textes un travail de sélection qui peut induire l’historien en erreur, mais la
reconstruction idéologique des événements y est beaucoup moins marquée que dans
les sources juives. Graslin 2012, p. 242. Les chroniques sont en cours de réédition
et consultables sur le site http://www.livius.org/cg-cm/chronicle/chron00.htlm.
13. Voir récemment, pour l’époque hellénistique, Clancier 2012 pour Babylone et
Monerie 2012 pour Uruk.
14. Leurs fonctions religieuses ne sont pas connues dans le détail, mais on sait que
les grands prêtres procédaient aux sacrifices majeurs. Cody 1969, p. 184-185. La
figure du grand prêtre se retrouve jusque dans le Nouveau Testament. Dans l’Épître
aux Hébreux, le Christ apparaît comme le grand prêtre par excellence (Épître aux
Hébreux, 5, 1). On y lit donc une description des fonctions traditionnelles du grand
prêtre, essentiellement les sacrifices (Épître aux Hébreux, 9, 1-9).
15. Voir par exemple les hésitations d’E. Bickerman mises en évidence par Will 1986,
p. 99. Voir, récemment, Rooke 2000.
17. Sur ce personnage, voir van der Spek 2000 ; Boiy 2004,.
La période perse
19. De Vaux 1960, p. 233-239. Sur la figure du grand prêtre, Cody 1969, Auneau 1985,
Rendtorff 2002, p. 114, Sérandour 2009, p. 87-91, Rooke 2000.
20. De Vaux 1960. L’expression ne se retrouve que dans quatre occurrences antérieures
à l’Exil, qui apparaissent toutes comme des retouches postérieures.
22. Sur la Palestine à l’époque perse, voir par exemple Lemaire 1990, Lipschits 2006.
Sur l’histoire d’Israël à cette époque, Sérandour 2009.
24. Briant 1996, p. 56. Sur Jérusalem pendant la période néo-babylonienne, Lipschits
2005. Sur les Juifs en Babylonie, voir Zadok 2002 ; Zadok 2002b ; Zadok 2003 ;
Zadok 2004.
25. Esdras, 1, 1-4 ; 3, 6. Les décisions de Cyrus sont également transmises par Flavius
Josèphe, Ant. Juiv., XI, 104. Bickerman 1946 ; Blenkinsopp 1991, p. 38 ; Grabbe
1992 ; Briant 1996, p. 57. Quelques années plus tard, sous le règne de Darius Ier,
on aurait retrouvé dans les archives royales d’Ecbatane le texte du mémorandum de
Cyrus, également cité dans le livre d’Esdras. Ces citations ne sont pas nécessairement
authentiques, et il n’est pas certain qu’elles rapportent des faits datant effectivement
du règne de Cyrus (Bickerman 1946, Liverani 2008, p. 340). La pertinence historique
des différentes mentions présentes dans le texte fait l’objet de discussions entre
spécialistes et doit être discutée au cas par cas. L’édit de Cyrus mentionné au début
du texte apparaît ainsi moins crédible que le mémorandum araméen mentionné en 6,
3-5. Voir abadie 2009.
26. Briant 1996, p. 57, Rendtorff 2002, p. 107. Il est vraisemblable que le retour des
exilés s’est fait en plusieurs étapes, jusqu’au règne d’Artaxerxès Ier. Liverani 2008,
p. 343.
33. Mentionné dans divers passages des livres d’Esdras, Néhémie, et Aggée ainsi que
par Flavius Josèphe.
a bien existé, il s’agit sans doute d’un ancien dignitaire juif, doté d’une certaine
autorité et envoyé en Palestine par le Grand Roi 37. Il est possible qu’il ne forme
qu’un seul et même personnage avec Zerubabel, ou encore qu’il ait été son
prédécesseur et ait commencé, sans avoir pu la mener à bien, la reconstruction du
Temple. Cela expliquerait la mention troublante des liens de Zerubabel avec les
Perses alors qu’il paraît assez peu probable qu’au début de son règne Cyrus, venu
d’Iran, ait pu connaître et apprécier un personnage dont on peut penser qu’il était
déporté à Babylone avec son peuple. Plus vraisemblablement a-t-on envoyé un
chef laïc des exilés juifs à Babylone, peut-être ce Šešbaşşar, remplacé plus tard
par un Juif proche du Grand Roi Darius. Quoi qu’il en soit, les fonctions exactes
de ces hauts personnages laïcs ne sont pas déterminées avec certitude : sont-ils
seulement les fonctionnaires chargés de reconstruire le Temple et éventuellement
d’autres édifices ou détiennent-ils des responsabilités plus importantes, comme le
fait soupçonner leur titre de pehā 38 ?
Le retour d’Exil semble donc se faire sous la double conduite d’un chef laïc
et d’un chef religieux, selon un schéma traditionnel de l’époque précédant l’Exil,
lorsque le peuple d’Israël était guidé par un roi appuyé sur le clergé du Temple de
Jérusalem. À cette époque, il n’y a pas de prédominance du grand prêtre. Les chefs
des familles jouent également un rôle important et Zerubabel reçoit certains des
attributs royaux 39.
Après une interruption sous Cambyse que nos sources 40 imputent aux
médisances des voisins d’Israël, la politique favorable à Jérusalem 41 et au Temple
se poursuit sous Darius Ier. Il confirme les mesures prises par Cyrus et accorde
de nouvelles libéralités. Le Temple de Jérusalem apparaît une nouvelle fois
comme le lieu où peut se manifester la bienveillance du pouvoir vis-à-vis de la
communauté juive. Le livre d’Esdras et Flavius Josèphe rapportent 42 que, lors
d’une inspection, le gouverneur de Transeuphratène Tattenaï s’étonne des travaux
de reconstruction du Temple alors en cours à Jérusalem. Il fait vérifier dans les
archives, où la lettre de Cyrus autorisant les travaux est retrouvée. Darius ordonne
alors de reprendre les travaux et d’en assumer les dépenses sur le tribut collecté
37. Römer, Macchi et Nihan (éds) 2009, p. 710. Certains, comme Sacchi 1989 sont
même allés jusqu’à proposer que la monarchie ait continué à exister dans le territoire
de Juda après le retour d’Exil, Šešbaşşar et Zerubabel ėtant respectivement roi et
gouverneur.
38. Le titre de pehā, souvent traduit par satrape, peut indiquer n’importe quelle charge,
du fonctionnaire au gouverneur.
40. Esdras, 4, 5.
45. Sur ces révoltes, voir Waerzeggers 2003-2004 ; Tolini 2012, p. 276, et le récit de
Ctésias F13(26) repris par Lenfant 2004.
47. Hérodote, I, 183 ; Diodore, XVII, 112, 3 ; Strabon, XVI, 1, 5 ; Arrien, Anabase, III,
16 et VII 17, 1.
48. Sur l’organisation administrative de la région sous domination perse, voir Briant
1996, p. 503-504 ; Lipschits 2006, p. 25 ; Liverani 2008, p. 400-401 ; Rendtorff
2002, p. 108.
de jérusalem à babylone 17
Josèphe 49 mais paraissent à chaque fois exercer un contrôle assez distant : ce sont
les interlocuteurs auxquels sont adressés les émissaires du roi perse à Jérusalem,
Esdras et Néhémie, ils doivent en attendre protection mais leurs prérogatives
semblent bien générales et ne jamais empiéter sur celles des personnes envoyées
explicitement par le Grand Roi à Jérusalem.
Le pouvoir perse laisse donc une grande marge de manœuvre à l’administration
locale, prise en main par des membres laïcs et religieux de la communauté juive.
On a vu que les responsables de la construction du Temple était Zerubabel, chef
laïc aux attributs presque royaux, Josué, le grand prêtre, et les chefs de famille.
Dans cette répartition des charges d’encadrement du peuple, les membres du
sanctuaire ne jouent pas de rôle prédominant. Le livre d’Esdras (1, 6-7) mentionne
uniquement le gouverneur de Juda et les anciens des Juifs mais pas le grand prêtre.
Dans un autre passage, une délégation envoyée auprès du Grand Roi pour se
plaindre des Samaritains (Flavius Josèphe, Ant. Juiv., XI 116) comprend Zerubabel
et quatre notables, le grand prêtre est une nouvelle fois absent. Le peuple reste donc
sous une double direction, laïque et religieuse, incarnée par Josué et Zerubabel,
épaulés par les représentants des grandes familles. Cette double direction est
confirmée par les livres d’Esdras et de Néhémie : Esdras, sans être grand prêtre,
est un Judéen dépendant du sanctuaire, un « scribe versé dans la Loi de Moïse »
(Esdras, 7, 1 ; Neh., 8, 9) mais proche du pouvoir perse : il est porteur d’une lettre
royale et envoyé par le Grand Roi. Néhémie incarne le pouvoir laïc sous le règne
d’Artaxerxès 50. C’est lui aussi un Judéen proche du Grand Roi : on y a souvent vu
le gouverneur perse de la région 51 même si les textes bibliques conduisent à être
plus prudent 52. Le résultat de la mission de Néhémie témoigne d’ailleurs d’une
autorité toute relative puisqu’il peine à faire respecter les règlements qu’il impose.
Outre le gouverneur local, le grand prêtre et les notables, Esdras trouve à son
arrivée à Jérusalem divers représentants de l’administration locale 53, comme des
trésoriers, dont Flavius Josèphe précise qu’ils sont de la race des prêtres. Peut-être
50. Neh., 4, 14. Les missions d’Esdras et de Néhémie posent de multiples problèmes
concernant tant leur contenu que leur chronologie. Elles ont donné lieu à une
abondante bibliographie qu’il n’est pas question de reprendre ici.
51. Juda semble, à cette époque, devenue une province (medinah) dirigée par un
gouverneur (pehā). Cody 1969, p. 179 ; Briant 1996, p. 57. L’archéologie confirme
peut-être que le gouverneur est choisi parmi les judéens : une série d’empreintes
publiées par Avigad 1976 mentionnent la province de Judée (Yehud) et un
gouverneur (pehā) dont les empreintes de sceaux témoignent qu’il est d’origine
judéenne. Briant 1996, p. 504 et 976 pour la bibliographie. La valeur historique de
ces empreintes reste cependant contestée, voir Soggin 2004, p. 337.
52. Rendtorff 1989, p. 121-125 ; Briant 1996, p. 55-58 ; Soggin 2004, p. 339.
54. Bickerman 1976, p. 37 et suivantes. Une addition dans le livre de Néhémie (Néh., 12,
10 et suivants) donne la succession des grands prêtres depuis Josué jusqu’à Yahhua,
c’est-à-dire jusqu’à Darius II. Sur la manière dont le grand prêtre est appelé dans le
texte hébreu, voir Auneau 1985, p. 1250.
55. Voir notamment Stolper 1985 pour l’étude d’un fonds d’archives familiales
babyloniennes éclairant la présence perse dans la région, les archives des Murašû.
57. Ou du moins les contestations ont-elles été gommées à la faveur des réécritures
postérieures des textes bibliques.
Alexandre et Jérusalem
La Judée tombe au pouvoir d’Alexandre après Issos mais, à l’écart des grands
axes de communication, elle n’a sans doute jamais reçu la visite du conquérant 62.
Les récits mentionnant cette conquête et les rapports entre Alexandre et les Juifs
59. Sur l’importance des réformes d’Esdras pour l’affirmation de la Torah, Rendtorff
1989, p. 114-125 ; Liverani 2008, p. 455,
61. Les matériaux publiés par Avigad 1976 mentionnent un gouverneur jusqu’aux
alentours de 330, mais leur historicité est très contestée. Soggin 2004 p. 352 ;
Liverani 2008, p. 459. Vers la fin de l’époque perse, des monnaies mentionnent
peut-être le grand prêtre Ézéchias (Yehizqiyyah) comme gouverneur à la veille de la
conquête d’Alexandre. Mais il peut fort bien s’agir d’un homonyme. Sartre 2001
p. 305.
62. Hengermann 1983, p. 121-124 ; Schäfer 1989, p. 16-17 ; Sartre 2001, p. 79-
81 et n. 52, pour une partie de l’abondante bibliographie concernant le passage
d’Alexandre à Jérusalem.
20 l. graslin-thomé
63. Aucune source non juive ne mentionne de relation entre Alexandre et Jérusalem.
Nodet 2010, p. 159, n. 3.
64. Voir le récit de l’entrée d’Alexandre dans Babylone chez Arrien, Anabase, III, 16,
3-4 et son commentaire dans Briant 2009. Pour les documents babyloniens se
rapportant à l’arrivée d’Alexandre en Babylonie et leur commentaire, voir Tolini
2012.
65. Arrien, Anabase, III, 15, 5. Voir également Quinte-Curce, Histoires d’Alexandre le
Grand, V.
66. Pour Babylone, Tolini 2012, pour Jérusalem Sartre 2001, p. 81.
67. Les noms de certains protagonistes sont confirmés par des trouvailles faites à Wadi
Daliyed : Schäfer 1989, p. 17 ; Sartre 2002, p. 79-81.
opposition du grand prêtre n’est guère mentionnée par ailleurs et d’autres épisodes,
en particulier celui de la résistance et de la destruction de Samarie, semblent plutôt
témoigner d’une hostilité entre Alexandre et les Samaritains qu’entre Alexandre
et les Judéens. On pense habituellement qu’Alexandre n’intervint guère dans les
affaires de Jérusalem et se contenta d’une reconnaissance de l’autorité grecque
peut-être transmise par le grand prêtre. Il accorde en échange aux Juifs, comme à
bien d’autres peuples, le droit de vivre selon les lois de leurs pères.
La Judée lagide
71. Flavius Josèphe (Ant. Juiv., XII, 8-10) énumère les dons offerts par Ptolémée Ier.
du peuple juif, prouvant clairement 73 que la Judée est bien conçue comme un
ethnos et non comme un état sacerdotal : la terre judéenne est bien d’appropriation
privée et non terre sacrée, contrairement aux États-temples dont l’ensemble du
territoire est considéré comme propriété de la divinité. Mais les modalités précises
du contrôle royal ne peuvent pour l’essentiel que faire l’objet de spéculations.
L’État lagide forme un ensemble très cohérent et centralisé, organisé autour d’un
objectif principal, la bonne rentrée du tribut. Maintenir les structures préexistantes
lorsqu’elles fonctionnent apparaît souvent comme la solution la plus efficace. On
ne trouve cependant plus mention d’un gouverneur civil, contrairement à l’époque
perse. Il semble que le grand prêtre en ait récupéré une partie des fonctions et
soit devenu l’interlocuteur presque unique des rois lagides. C’est à lui, d’après
Aristée 74 ou Flavius Josèphe 75, que Ptolémée II s’adresse lorsqu’il cherche à
faire traduire la Torah en grec. Dans ces domaines touchant à l’interprétation
de la Loi, le grand prêtre reste dans son rôle de chef du sanctuaire, mais c’est
bien une fonction civile de représentant de la communauté dans son ensemble
qu’il endosse d’après Flavius Josèphe (Ant. Juiv., XII, 4) lorsque Ptolémée III
lui adresse une lettre véhémente pour se plaindre de l’obéissance des Juifs : aux
yeux des Lagides soucieux avant tout de disposer d’un interlocuteur influent,
un glissement s’opère entre les fonctions religieuses du grand prêtre et celles de
porte-parole et représentant de la communauté. Le grand prêtre a dû apparaître aux
Lagides comme celui par l’intermédiaire duquel ils pouvaient communiquer avec
l’ensemble des habitants de Jérusalem.
Pour la même raison, le grand prêtre est un interlocuteur privilégié des rois
lagides dans les affaires concernant le paiement du tribut 76. À ce titre, il se trouve
directement impliqué dans les tensions qui se font jour, à Jérusalem, entre ceux qui
trouvent le tribut trop lourd et ceux qui promettent de l’augmenter pour plaire aux
souverains lagides 77. L’attitude du grand prêtre et sa plus ou moins grande efficacité
dans le rassemblement du tribut prend donc une signification politique, en faveur
de l’une ou l’autre des factions. Le choix à l’origine pragmatique des Ptolémées
de confier à une éminente figure locale la charge de jouer les intermédiaires pour
73. Will 1989, p. 74 ; Sartre 2001, p. 303-312 ; Capdetrey 2007, p. 91.
76. Le grand prêtre n’est pas chargé de rassembler le tribut. La seule indication donnée
par Flavius Josèphe (Ant. Juiv., XII 4, 158) est qu’il doit verser vingt talents sur ses
propres revenus. Mais il intervient à plusieurs reprises dans des affaires concernant
le paiement du tribut, jouant ici encore le rôle d’intermédiaire entre la population et
le pouvoir lagide.
77. Comme Joseph, neveu du grand prêtre et fils de Tobias, qui promet le doublement
des taxes (Ant. Juiv., XII 4, 176).
de jérusalem à babylone 23
la collecte du tribut conduit à accorder au grand prêtre une stature politique qui
appartenait autrefois plutôt à son pendant laïc, roi puis gouverneur perse.
Cette autorité nouvelle du grand prêtre n’est cependant pas incontestée ni
immuable. Si les souverains lagides semblent l’avoir choisi comme interlocuteur
privilégié, les anciennes structures existantes à l’époque perse continuent à
fonctionner. L’ancienne autorité des chefs de famille, déjà présents auprès
de Josué lors du retour d’Exil, perdure. C’est peut-être le cas de la famille des
Tobiades dont les membres, si l’on en croit Flavius Josèphe, exercent une réelle
influence dans la société juive et mènent à Alexandrie des opérations de séduction
destinées à reconquérir à leur profit une partie du pouvoir civil. Malheureusement,
le récit de Flavius Josèphe pose des problèmes insolubles, notamment en termes
de datation, qui rendent son utilisation historique à peu près impossible 78. C’est
le cas notamment du conflit entre Onias II et Joseph, fils de Tobie, dont Flavius
Josèphe rapporte 79 qu’il aurait tenté de lui ravir la conduite des relations avec
les Ptolémées 80. L’utilisation historique de l’ensemble du passage est délicate.
Mais pour que l’anecdote ait paru possible, il faut qu’il ait paru vraisemblable
que l’autorité du grand prête n’ait été que relative en matière civile. Elle peut
être contestée par des notables laïcs lorsqu’ils ont le soutien du peuple : Flavius
Josèphe rapporte ainsi comment Josèphe convoque le peuple à l’assemblée et
lui adresse un discours hostile au grand prêtre, remportant semble-t-il un grand
succès populaire. L’épisode confirme l’importance du Temple en tant que lieu de
rassemblement populaire : Joseph y rassemble le peuple et lui tient ses harangues
hostiles au grand prêtre. Si la fonction civile de ce dernier peut être contestée, la
place privilégiée du Temple de Jérusalem dans la structuration de la communauté
politique juive n’est aucunement remise en cause. On peut penser qu’il en va de
même en matière religieuse, pour laquelle l’autorité du grand prêtre et celle des
membres du clergé reste incontestée 81.
Sans véritable contrepoids civil aux yeux des Ptolémées mais subissant la
concurrence des représentants des plus puissantes familles de Jérusalem, le grand
prêtre acquiert dans la conduite du peuple un poids qui dépend du charisme des
différents titulaires du poste et de la pertinence de leurs choix stratégiques en
78. Voir par exemple Schwartz 1998, qui propose de placer l’essentiel du récit au iie, et
non au iiie siècle. L’importance des Tobiades dans la région est cependant confirmée
dans un texte des archives de Zénon : lorsque Zénon entreprend sous le règne de
Ptolémée II un voyage dans la région, il ne mentionne aucune rencontre avec les
autorités religieuses, mais prend contact avec un représentant du pouvoir civil,
membre de cette grande famille, Tobie. Orrieux 1986 ; Durand 1997, p. 179-188.
80. Hengel 1983, p. 61 ; Schäfer 1989, p. 35 ; Sartre 2001, p. 325.
81. Il est possible cependant que les éventuelles contestations aient été gommées dans
des récits généralement favorables au grand prêtre.
24 l. graslin-thomé
ces temps troublés. Les grands prêtres paraissent plutôt favorables aux Lagides.
Flavius Josèphe rapporte 82 que, lors de la conquête de la Syrie par Ptolémée Ier,
de nombreux Juifs émigrent en Égypte, parmi lesquels Ézéchias, le grand prêtre.
Cette émigration s’explique sans doute, non par le bon caractère de Ptolémée
comme le prétend Hécatée mais plutôt par le fait qu’Ézéchias, ayant soutenu les
Lagides, aurait préféré quitter la région lors de la victoire d’Antigone le Borgne 83.
Bien que les sources ne donnent pas de raison crédible à cette bienveillance des
grands prêtres vis-à-vis de l’Égypte, on peut se demander s’il ne faut pas y voir
la volonté d’une partie du clergé de Jérusalem de maintenir de bons rapports avec
l’importante diaspora égyptienne, installée dans les territoires dominés par les
Lagides. Cette bienveillance n’est d’ailleurs pas systématique, puisque plus tard
Onias refuse, sous Ptolémée III, de payer le tribut annuel au roi, espérant peut-être
l’intervention de Séleucos II 84.
Cette bienveillance des grands prêtres vis-à-vis des Lagides conduit en tous
cas à une nouvelle remise en cause de leur position lors du passage de la région sous
domination séleucide. Le grand prêtre se trouve en effet entraîné dans des luttes
de clans entre pro-lagides et pro-séleucides. Il en paie le prix lorsqu’Antiochos III,
après un premier échec en 217, finit par faire tomber définitivement la Judée sous
contrôle séleucide entre 200 et 198.
Les modalités de la mise en place de la domination séleucide sur la Judée
sont assez bien connues et ne présentent guère d’originalité 85. Le second livre des
Maccabées (2 Macc., 3) rapporte que la région est placée sous la responsabilité du
stratège de Cœlé-Syrie et de Phénicie, dont on connaît même le nom à l’époque
de Séleucos IV, Apollonius fils de Thraséas 86. Celui-ci informe le roi qui peut
également intervenir directement. Dans l’incident rapporté par 2 Macc., 3, 7-34,
Séleucos IV envoie son ministre Héliodore à Jérusalem. Entouré d’une nombreuse
82. Flavius Josèphe, Contre Apion, I, 22, 186-189. L’auteur cite soi-disant Hécatée
d’Abdère, mais il s’agit plus vraisemblablement d’un faux juif du milieu du iie s. av.
J.-C.
85. Hengel 1989, p. 63-72 ; Will 2003, p. 118-119 ; Sartre 2001 p. 308-312 ; Capdetrey
2007, p. 97-99.
86. 2 Macc., 3, 5. Sartre 2001, p. 166 ; Gera 2009, p. 131-138. Un autre stratège,
Dorymenes apparaît dans une inscription récemment trouvée (Gera 2009, p. 149).
de jérusalem à babylone 25
89. Bickerman 1935 ; Will 1986, p. 98 ; Sartre 2001, p. 309-311 ; Capdetrey 2007,
p. 97-99 ; Gera 2009, p. 146-148.
moment. Antiochos y raconte comment les “Juifs” sont venus à sa rencontre avec
leur gérousia. La scène ressemble à celle de l’accueil d’Alexandre à Jérusalem,
dont l’historicité est certes douteuse, ou à la description, plus crédible, que
donne Arrien de l’entrée du conquérant à Babylone. Une grande différence tient
cependant au fait que le grand prêtre n’est pas mentionné. Il ne l’est pas non plus
parmi les personnes bénéficiant des mesures d’exemptions de taxes consenties par
Antiochos. Si E. Bickerman avait considéré qu’elle allait de soi 92, cette absence
a surpris Éd. Will 93 qui y a vu la conséquence d’un choix stratégique malheureux
du grand prêtre, resté trop longtemps fidèle aux Lagides. Elle témoigne en tout cas
du fait que le rôle du grand prêtre comme interlocuteur du pouvoir royal dépendait
en grande partie des circonstances. Antiochos peut se vanter d’avoir reçu fort
bon accueil à Jérusalem malgré l’absence de ce dernier. S’il n’était pas favorable
à Antiochos III, le souverain a tout intérêt à relativiser son importance au sein
de la communauté juive, en se déclarant satisfait de l’accueil que lui ont réservé
d’autres hauts personnages. Cette mise à l’écart est en grande partie conjoncturelle,
puisque, sous Séleucos IV, le grand prêtre Onias est de nouveau l’interlocuteur du
pouvoir séleucide et reçoit un émissaire royal (2 Macc., 3, 9). Mais elle témoigne
du pragmatisme du souverain, qui choisit ses interlocuteurs en fonction des
circonstances. Ce pragmatisme ressemble à celui adopté par Alexandre lors de
son arrivée à Babylone : il noue alors une alliance de fait avec les représentants
du temple, quand bien même ceux-ci ne représentent plus qu’une minorité de la
population de la ville.
Vis-à-vis du pouvoir séleucide, c’est donc, au moment où Antiochos III
fait rédiger les textes transmis par Flavius Josèphe, plutôt la gérousia qui est
reconnue comme représentante légitime du peuple juif, sans doute en partie parce
que, contrairement au grand prêtre, elle s’est montrée favorable aux Séleucides.
La composition précise de cette gérousia 94 est discutée : E. Bickerman 95 y voit
une assemblée politique de Jérusalem, composée de prêtres, chefs de grandes
familles et scribes et présidée par le grand prêtre. Il est difficile de savoir si elle
est uniquement constituée de laïcs ou si les prêtres y siègent également mais dans
tous les cas, ils ne semblent pas y jouer un rôle décisif. L’importance politique
de cette gérousia n’est pas uniquement conjoncturelle, puisqu’elle est l’héritière
des chefs de familles qui ont encadré le retour d’Exil et qu’elle reste citée sous les
94. Cette assemblée ne correspond pas à une forme politique connue des Grecs. Ils
l’appellent donc dans un premier temps gérousia, puis, peut-être à partir de 57-
55, synédrion qui passe en hébreu sous la forme sanhédrin. Bickerman 1935, p. 8 ;
Schäfer 1989, p. 45 ; Sartre 2001, p. 308.
103. Bickerman 1935, p. 19 ; Cody 1969, p. 185-192 ; Sartre 2001, p. 312-314 ; Liverani
2008, p. 461-466.
106. Ma 2000. Voir également Capdetrey 2007, ainsi que Feyel et alii 2012.
de jérusalem à babylone 29
108. «
Un certain Simon, de la tribu de Bilga, institué prostatès du Temple, se trouva en
désaccord avec le grand prêtre sur la police des marchés de la ville ». (2 Macc., 3,
4).
110. Sur les événements proprement dits, voir Will 2003, p. 327-341 ; Mileta 2006,
p. 225-281.
112. Sur ce point, lire Müller 2000 et Ph. Gauthier, Bull. ép. 2001, 127. Ma 2012.
30 l. graslin-thomé
113. On en trouve des exemples à toutes époques. Voir, pour les liens étroits entre le
palais et les principaux sanctuaires de Babylonie à l’époque néo-babylonienne,
joannès 2002 p. 113, kleber 2008, notamment p. 39.
116. La fonction étant attestée avant l’époque hellénistique, il est possible qu’il y ait eu
des zazzaku avant cette date, sans que nous en ayons conservé de mention. Voir
Joannès 1994, McGinnis 1996, Clancier 2012, p. 315.
120. 2 Macc., 3, 4.
de jérusalem à babylone 31
Si, à lire les sources juives, l’arrivée de Simon est un affront particulier fait au
temple, l’envoi d’émissaires royaux dans les temples indigènes est en réalité bien
attesté dans d’autres sanctuaires du monde séleucide.
Comme à Babylone le paqdu et le zazzaku, Simon est choisi parmi les élites
sacerdotales locales. Mais il est avant tout le représentant du roi. Sa fonction
n’est pas religieuse mais bien financière. La présence à Jérusalem d’autres agents
royaux confirme l’intérêt accru des souverains pour les finances des sanctuaires : 2
Macc., 428 mentionne ainsi un représentant du pouvoir royal chargé de la collecte
des impôts.
Les textes d’Uruk montrent que cet interventionnisme nouveau n’est pas
sans conséquences. Ils témoignent, à partir du règne de Séleucos IV, d’un recul
relatif de la famille d’Anu-balassu-iqbi, dont on a vu que les membres s’étaient,
au cours de la seconde moitié du iiie siècle, imposés comme des interlocuteurs
privilégiés du roi séleucide. Diophantos, fils d’Anu-uballiṭ et petit fils d’Anu-
balassu-iqbi, perd au cours des décennies 170-160, c’est-à-dire pendant les règnes
de Séleucos IV et de son frère Antiochos IV, ses charges, qui reviennent à une autre
famille urukéenne 121. On en tire l’impression que les notables locaux sont évincés
au profit de personnages nouveaux, au moment même où le contrôle séleucide
se fait plus pressant dans les sanctuaires. Pourtant, les textes mésopotamiens ne
mentionnent guère de tensions directement liées à ces évolutions.
La situation est bien différente à Jérusalem. Le second livre des Maccabées,
notre principale source pour cette période, témoigne d’un premier conflit entre
le grand prêtre Onias III et Séleucos IV lorsque ce dernier cherche à récupérer
une partie des trésors conservés dans le Temple. Cet épisode a souvent incité les
commentateurs à expliquer la détérioration des rapports entre les Séleucides et le
clergé de Jérusalem par la gravité de la situation financière des Séleucides. Étranglés
par l’indemnité imposée par les Romains lors de la paix d’Apamée, ils auraient
cherché par tous les moyens à renflouer leurs finances, ce qui les aurait conduits
à s’opposer aux responsables du sanctuaire désireux de protéger leur trésor. Mais
on sait maintenant 122 que les conséquences financières de la paix d’Apamée ne
doivent pas être surestimées et ne peuvent expliquer à elles seules la politique
des successeurs d’Antiochos III. D’autres raisons, plus institutionnelles, ont joué
un rôle au moins aussi important. Les conséquences des manœuvres de Séleucos
IV pour accentuer le contrôle séleucide sur les temples sont vraisemblablement
la cause principale de l’opposition entre Simon, et à travers lui l’administration
royale, et Onias III. À l’instar de la famille d’Anu-balassu-iqbi à Uruk, certaines
familles de Jérusalem avaient beaucoup à perdre à la réorganisation voulue par la
couronne. Contrairement à ce qu’il s’est passé à Uruk, elles ont réussi à assembler
le peuple derrière elles et à nouer une communauté d’intérêts avec le grand prêtre
qui s’est fait leur porte-parole. Le récit de l’incident dans 2 Macc., 3, 4 illustre
bien les rapports de pouvoir à cette époque à Jérusalem. Le grand prêtre Onias III
reçoit l’envoyé de Séleucos, Héliodore, et ose défendre les intérêts du temple contre
ceux de la couronne. Il est soutenu par le peuple dans le cadre de ce que l’auteur
du deuxième livre des Maccabées appelle une « supplication publique », plutôt une
véritable émeute urbaine.
123. Sur les événements voir Will 2003, p. 326-334, et maintenant Mittag 2006, p. 225-281.
126. Daniel, 11, 28-30. Sur le livre de Daniel, Jürgen et Lebram 1975, van Heuten 1993,
Millar 1997. Sérandour 2002 propose que le livre de Jérémie renvoie, lui aussi,
dans sa version longue, à cette époque.
127. 2 Macc., 4, 8.
L’habitude est cependant vite prise, puisque trois ans plus tard, Ménélas
obtient du roi d’être à son tour proclamé grand prêtre. L’auteur du second livre des
Maccabées prétend que Ménélas a dû sa nomination au paiement d’une somme
encore plus importante que celle qu’avait proposée Jason130. Il est difficile, dans
son récit, de déméler les véritables raisons de l’opposition entre Jason et Ménélas,
mais force est de constater que cette nomination constitue une nouvelle entorse à
la tradition. Si l’épisode est historique, l’assassinat d’Onias qui, exilé, protestait
contre sa destitution (2 Macc., 4, 30) 131 constitue un nouvel écart par rapport aux
règles habituelles. Antiochos IV va ainsi bien plus loin à Jérusalem qu’à Uruk ou
Babylone : aucun šatammu n’y est, à notre connaissance, nommé par le souverain,
qui se contente d’un contrôle plus indirect. Il est très possible que les discours et
les promesses de Jason et Ménélas lui aient fait croire qu’une telle intervention
était possible à Jérusalem, alors qu’il se montrait plus prudent à Uruk ou Babylone.
L’alliance entre Antiochos IV et le grand prêtre se renforce après la nomination de
Ménélas dont la cupidité, complaisement soulignée et peut-être en grande partie
inventée par les sources juives, attire rapidement l’hostilité de la majeure partie de
la population. Antiochos, pour éviter de désavouer le grand prêtre, fait exécuter les
représentants des Anciens venus se plaindre à Antioche de l’attitude de Ménélas
(2 Macc., 4, 43).
Les nominations de Jason puis de Ménélas marquent une évolution importante
dans les rapports entre les rois séleucides et le grand prêtre. Son effet est d’autant
plus considérable que le grand prêtre dispose d’une autorité morale qui lui permet
d’introduire à Jérusalem des changements aux conséquences importantes. La
nature exacte des mesures prises à ce moment à Jérusalem est difficile à établir. Le
texte du deuxième livre des Maccabées est à ce sujet incomplet et peu clair. Son
objet principal est de montrer le contraste entre l’attitude de Jason et celle d’Onias,
et non d’expliciter clairement quelles mesures Jason a prises ou demandées à
Antiochos IV 132. Les réformes mentionnées, la création d’un gymnase et d’une
éphébie, suivent le processus habituel de constitution d’une cité bien connu par
des inscriptions d’Asie mineure 133 : après avoir demandé l’autorisation au roi,
Jason fait établir la liste des nouveaux citoyens et dresser les registres civiques.
Les sources juives présentent donc une nouvelle fois comme une innovation
scandaleuse effectuée au détriment de Jérusalem une réalité en vérité bien
attestée dans d’autres parties du royaume où elles ne suscitent guère d’opposition.
Si l’auteur de 2 Macc. y est très hostile, une vision plus objective aurait dû le
131. Il s’agit ici encore d’un épisode à l’historicité douteuse. Momigliano 1968, p. 39.
133. Sartre 2001, p. 340. Le processus de fondation d’une cité apparaît très clairement
dans une inscription de Toriarion, en Phrygie, érigée en cité sous Eumène II.
Kennell 2005 ; Ma 2012.
34 l. graslin-thomé
conduire à reconnaître que c’est en accord avec sa fonction que Jason introduit
les deux innovations qui paraissent si scandaleuses : le gymnase et l’éphébie.
Juridiquement, en effet, le grand prêtre, entouré par les scribes qui, depuis Esdras,
travaillent à l’interprétation de la Torah, dispose du droit, hérité des prophètes,
de faire évoluer les lois 134. Il est donc dans son rôle en adaptant le mode de vie
juif aux nouvelles mœurs apportées par les Grecs. Ces réformes n’ont d’ailleurs
pas choqué tout le monde à Jérusalem. On a déjà eu l’occasion de souligner à
quel point le pouvoir du grand prêtre relevait de négociations avec les autres
prétendants au pouvoir politique : les réformes de Jason ne peuvent être menées
qu’avec le soutien d’au moins une partie de la population et des élites locales.
Le texte reste peu clair sur la forme que prenait la polis d’Antioche de
Jérusalem mais le parallélisme avec Babylone permet, ici encore, d’être plus
affirmatif qu’à la seule lecture des sources juives. Il existe, à Babylone 135, une
polis qui date peut-être d’Antiochos III, mais à laquelle Antiochos IV accorde un
intérêt tout particulier 136. Le théâtre a connu d’importants travaux dans le dernier
tiers du ive siècle 137. Une inscription, provenant peut-être de Babylone, honore
Antiochos IV comme κτίστης de la cité 138. Les puliṭei, citoyens grecs, apparaissent,
à partir du règne d’Antiochos IV, dans plusieurs textes babyloniens qui permettent
en partie de reconstituer leur structure politique et surtout leur influence à
Babylone 139. La création d’une cité à Uruk est possible sans être formellement
attestée 140. Les textes babyloniens montrent de manière claire que la polis de
Babylone ne regroupe aucunement l’ensemble de la population de la ville. Elle
rassemble uniquement la communauté grecque ou plus ou moins superficiellement
hellénisée 141. Il ne s’agit pas d’imposer les structures administratives grecques à
l’ensemble de la population indigène, mais de conférer à la communauté grecque
ou hellénisée qui y réside une politeia, les structures correspondant à ce que ses
membres considèrent comme indissociable du mode de vie grec. L’ambition de
Jason est assurément semblable à Jérusalem.
137. Van der Spek 2001 ; Bergamini 2011, p. 29 ; Clancier 2012, p. 321.
148. Cette volonté d’uniformisation est également évoquée par J. Ma (2012), à partir de
documents épigraphiques grecs.
La révolte de Jérusalem
150. Des rivalités pour le contrôle des terres sont décelables dans les sources
mésopotamiennes, au moment de la transformation de Babylone en polis. Clancier
2012, p. 308-309, 322.
151. 2 Macc., 5, 11-21 ; Flavius Josèphe, Ant. Juiv., XII, 4. Il est possible qu’Antiochos
IV a fait modifier le sanctuaire pour l’adapter au cérémonial grec, sans pour autant
interdire le culte de Yahwé. Le culte est pourtant suspendu, mais avant même la
profanation, par la volonté des prêtres et du peuple. Baslez 1998, p. 59.
152. 1 Macc., 2, 41-51 rapporte que le roi aurait promulgué un édit prescrivant
l’hellénisation forcée de tout le royaume, avec des clauses particulières interdisant
aux Juifs de respecter la Torah. Mais ce texte est le seul à présenter l’édit comme un
aspect particulier d’une mesure étendue à tout l’empire. L’édit d’Antiochos IV ne
concerne en réalité pas le judaïsme de la diaspora. Sartre 2001, p. 350. Sur l’édit
voir 2 Macc., 6.
38 l. graslin-thomé
par le souverain impie. Il se garde bien de citer le texte original de l’édit, peut-être
parce que son contenu n’est pas aussi radical que ne le voudrait son propos. Peut-
être même l’édit n’a-t-il jamais existé en tant que tel, l’auteur du second livre des
Maccabées se serait contenté de rassembler les différentes mesures de rétorsions
prises contre Jérusalem par le souverain.
La révolte de Jérusalem, élément capital dans l’appréciation des rapports
entre les souverains séleucides et les sanctuaires indigènes, est donc l’objet de
sources prolixes, mais dont la crédibilité historique est fort délicate. Dans ces
conditions, les motivations d’Antiochos, tout comme le contenu précis des
interdictions 153 et la chronologie des événements sont difficiles à reconstituer 154.
Le récit des sources juives est d’autant plus surprenant que l’intolérance religieuse
n’est pas la règle dans le monde séleucide 155. Les mesures qu’elles disent avoir
été prises à l’encontre des Juifs sont d’une radicalité inédite qui n’a pas manqué
de susciter l’interrogation des savants. Si l’on ne peut se contenter de thèses
reposant sur une supposée folie d’Antiochos IV 156, il est bien difficile de trancher
entre les différentes propositions formulées plus ou moins récemment. Pour
E. Bickerman 157, qui s’est l’un des premiers confronté au problème, ces mesures
de persécution si contraires à l’esprit du temps se comprennent mieux si on y
voit l’effet des manigances aventureuses de Ménélas. Il faudrait croire l’auteur de
1 Macc. lorsqu’il nous dit que l’édit de persécution est souhaité par les Hellénistes
soucieux de gommer les différences entre Juifs et Grecs 158. Ils auraient, comme en
153. Doran 2011 pense qu’Antiochos IV abroge une partie seulement des lois anciennes,
celles qui lui semblent relever du domaine public, la circoncision parce qu’elle
affecte la citoyenneté, le sabbat parce qu’il perturbe l’économie de la cité, et les
règles portant sur la nourriture parce qu’elles ont une influence sur les banquets
sacrés.
154. La bibliographie est immense à ce sujet. Voir par exemple Bickerman 1979 ; Will
1986, p. 141-143 ; Gruen 1993 ; Gruen 1999 ; Sartre 2001, p. 344-353 ; Will 2003,
p. 337-341 ; Weitzman 2004 ; Mittag 2006, p. 225-281 ; Wilker 2011 ; Doran 2011,
p. 225 ; Wilker 2012 ; Ma 2012 avec la bibliographie récente.
155. Momigliano 1975, p. 1000 ; Gruen 1999 ; Weitzman 2004 ; Doran 2011 entre autres
très nombreuses publications.
156. Schürer 1973. On ne peut non plus se contenter de penser, comme autrefois Bevan
1902, qu’Antiochos IV, était tellement épris de culture grecque qu’il voulait la faire
partager aux Juifs. Weitzman 2004, p. 220.
157. Bickerman 1935 ; Hengel 1974, p. 288-290 ; Will 1986, p. 146 ; Scurlok 2000.
Bickerman s’appuie notamment sur 1 Macc., 49 qui stipule que le but des Hellénistes
est en fin de compte l’abolition du judaïsme. Mais cette position est vigoureusement
critiquée entre autres par Millar 1978 ; Bringmann 1983 ; Baumgarten 2010,
p. 201-203 et 240-247. Voir Sartre 2001, p. 350 ; Ma 2012.
son temps Esdras, fait appuyer leurs réformes par le pouvoir central. Pour d’autres,
l’édit d’Antiochos est une réponse maladroite à des problèmes concrets, le soutien
exigé par Ménélas contre ses rivaux 159, la nécessaire répression d’une révolte menée
par les Juifs pieux, issus des milieux modestes, choqués par les réformes menées par
les élites hellénisées 160, ou encore une réorganisation administrative séleucide 161.
Pour certains, Antiochos IV a sciemment déclenché le conflit, désireux, après
l’humiliation d’Éleusis, de montrer qu’il était encore un souverain majeur 162, pour
d’autres 163, il n’a pas mesuré les conséquences de ses actes, la répression menée à
Jérusalem n’intègre aucune volonté particulière d’oppression religieuse. On peut
également y voir la conséquence logique de la formation d’une cité à Jérusalem :
une cité grecque doit disposer de sa divinité poliade et ce serait tout naturellement
qu’Antiochos IV aurait installé dans le sanctuaire de la ville Zeus Olympien,
pour lequel il professait une dévotion particulière. La plupart des commentateurs
soulignent en tous cas que la répression menée à Jérusalem prend une forme très
classique : toutes les mesures mentionnées dans les livres des Maccabées sont
attestées dans d’autres cas de révoltes contre le pouvoir séleucide 164.
Il n’est pas question ici de trancher entre ces différentes interprétations. Leur
nombre témoigne en tout cas de la grande difficulté qu’éprouvent les historiens à
construire un discours historique à partir des sources juives traitant de la révolte des
Maccabées. La comparaison avec ce qu’il se passe au même moment à Babylone et
Uruk déplace le problème : alors que les rapports entre le sanctuaire et la couronne
avaient, à Jérusalem et Babylone, suivi des chemins relativement parallèles,
ils se mettent à diverger. L’analyse des raisons de cette évolution parallèle, puis
divergente, permet d’éclairer quelque peu la politique d’Antiochos IV vis-à-vis de
Jérusalem.
Le parallélisme entre les réformes entreprises par Antiochos IV à Jérusalem
et en Mésopotamie, comme dans d’autres sanctuaires du monde séleucide vient
renforcer l’opinion, devenue majoritaire chez les commentateurs 165, selon laquelle
161. Pour Ma 2012, Antiochos IV a voulu subordonner l’ethnos juif à la cité d’Antiocheia,
l’édit de persécution ne contient en réalité pas d’autres mesures que celles que l’on
applique à d’autres communautés passant sous l’autorité administrative d’une cité.
164. Doran 2011 compare ainsi la politique d’Antiochos IV vis-à-vis de Jérusalem avec
celle adoptée par Antiochos III à l’encontre d’une cité anonyme d’Asie Mineure.
Ma 2012.
171. Flavius Josèphe, Ant. Juiv., XII, 1 explique l’influence de Mattathias par sa belle
famille.
172. Sur ces scribes, Schams 1998, p. 113-124 ; Sartre 2001, p. 314.
173. « Éléazar, un des premiers docteurs de la Loi, homme déjà avancé en âge et du plus
noble extérieur. » (2 Macc., 6, 18).
176. 1 Macc., 4, 36-61 ; 2 Macc., 10 ; Flavius Josèphe Ant. Juiv., XII, 6.
177. « Le roi Antiochos à la gérousia des Juifs et aux autres Juifs, salut. (…) Ménélas nous
a fait connaître votre désir de retourner chez vous pour vaquer à vos affaires » (2
Macc., 11, 27-33). La lettre est placée dans le livre des Maccabées comme émanant
d’Antiochos V mais elle date plus sûrement d’Antiochos IV, Sartre 2001, p. 358.
de jérusalem à babylone 43
détenir la plupart des fonctions administratives. Comme souvent lors des périodes
de faiblesse du grand prêtre, la gérousia apparaît comme un recours 178.
Ceux parmi les membres du sanctuaire qui refusent les réformes
d’Antiochos IV et Ménélas se réfugient dans le désert et certains prennent les armes
derrière Mattathias et ses fils 179. C’est bien une partie des membres du sanctuaire
qui quittent ainsi Jérusalem et maintiennent certaines de ses activités dans le désert.
On y trouve des prêtres, qui participent parfois aux combats 180, et également des
scribes, qui poursuivent leur réflexion sur la Torah dans des conditions extrêmes :
après s’être laissé massacrer sans résistance par les troupes séleucides un jour de
Sabbat, les Hassidim acceptent de faire évoluer leur interprétation de la Loi et
d’autoriser la résistance active dans de telles circonstances 181.
La prise du Temple par les révoltés conduit Antiochos IV à ouvrir de
premières négociations et à revenir sur ses mesures répressives. Après la mort
d’Antiochos IV, et sans que cessent les manœuvres militaires, le régent Lysias
rédige, au nom d’Antiochos V Eupator, une lettre conciliante conservée dans 2
Macc., 11. Ménélas, jugé responsable des troubles, est exécuté 182. Les évènements
s’accélèrent lorsque Démétrios, fils de Séleucos IV, jusque là otage à Rome, dépose
Antiochos V et négocie avec les révoltés. Un nouveau grand prêtre, acceptable par
les deux partis, l’Helléniste modéré Alkime, est nommé, mais le répit n’est que de
courte durée. Les Séleucides jouent les factions juives les unes contre les autres,
sans parvenir pour autant à ramener la paix dans la région. Et ce sont finalement
les luttes dynastiques internes aux Séleucides qui permettent la fin des hostilités :
désireux de s’assurer son alliance, Alexandre Balas offre à Jonathan, l’un des
Maccabées 183, le grand-pontificat et des titres auliques.
La fonction de grand prêtre est malmenée en ces temps troublés dont elle
sort paradoxalement renforcée mais transformée. Son poids symbolique reste
suffisamment important pour que Judas s’inquiète du pouvoir croissant d’Alkime
ou que Démétrios Ier Sôter envoie une armée pour le rétablir dans ses fonctions
lorsqu’il doit s’enfuir de Jérusalem sous la pression des Hassidim 184. Mais
la charge doit être vidée d’une bonne partie de sa substance puisque Flavius
178. Elle est mentionnée parmi les interlocuteurs du roi dans la lettre citée dans 2 Macc., 11.
Josèphe 185 nous apprend qu’elle reste vacante pendant sept années après la mort
d’Alkime. Lorsqu’elle est de nouveau occupée à partir de 152 par Jonathan elle a
changé de nature : Jonathan est certes membre d’une famille sacerdotale mais c’est
avant tout un homme de guerre. C’est pour ses succès guerriers et dans le cadre
d’une stratégie qui tient beaucoup plus de la haute diplomatie que de la gestion du
sanctuaire qu’il est choisi par Alexandre Balas, première étape vers la constitution
d’un État juif. Ce n’est pas le moindre des paradoxes de cette période troublée :
la révolte des Maccabées, initialement menée contre le grand prêtre, aboutit à
la concentration des pouvoirs dans les mains de ce personnage. Il acquière une
dimension de plus en plus politique, progressant au fil des succès des Maccabées
et des concessions des Séleucides. 1 Macc., 13, 42 appelle Simon grand prêtre,
stratège, et higoumène des Juifs et en 140, un décret de l’assemblée du peuple
de Jérusalem attribue à Simon les dignités héréditaires de prince (ethnarchès),
grand prêtre (archiereus) et général en chef (strategos). Pouvoir civil et religieux
se trouvent rassemblés dans les mêmes mains, ouvrant, pour le peuple juif, une
nouvelle page de son histoire, celle qu’écrira la dynastie hasmonéenne.
Au terme de cette longue exploration, se dégage tout à la fois l’originalité
radicale de Jérusalem aux époques achéménide et hellénistique et le parallélisme
de son histoire avec celle d’autres villes, sièges d’importants sanctuaires. La
comparaison avec ce que l’on sait de l’histoire des sanctuaires mésopotamiens
est souvent signifiante : si les circonstances s’y prêtent, les souverains adoptent,
vis-à-vis des différents sanctuaires de leur royaume, des politiques similaires.
À Jérusalem, Babylone ou Uruk, ils favorisent les sanctuaires, témoignent de
leur respect pour les divinités qui y sont honorées et reconnaissent la hiérarchie
sacerdotale lorsqu’elle leur est favorable. Ils témoignent d’un grand pragmatisme,
choisissant leurs interlocuteurs en fonction des rapports de force du moment. Les
règnes de Séleucos IV et Antiochos IV marquent un tournant. Sous ces souverains, le
contrôle séleucide sur les sanctuaires se fait plus serré. L’hellénisation du royaume
est désormais bien en marche et les souverains en prennent acte. Les transformations
institutionnelles s’accompagnent d’un changement d’interlocuteurs bien visible
dans les sources mésopotamiennes. C’est désormais sur la frange la plus hellénisée
de la population qu’entend s’appuyer le pouvoir central. Mais ce qui est acceptable
à Babylone, où les notables liés au sanctuaire ne constituent plus qu’une minorité,
attachée à un culte qui n’est plus celui de la majeure partie de la population, ne
l’est pas à Jérusalem. Antiochos IV semble tarder à le comprendre, peut-être
parce qu’il n’a plus au niveau local d’intermédiaire capable, comme le šatammu
à Babylone ou traditionnellement le grand-prêtre à Jérusalem, de se faire le porte-
parole des habitants de Jérusalem auprès du souverain. L’originalité radicale de la
nation juive, groupée autour de son Temple et soudée par le respect de la Torah,
185. Flavius Josèphe, Ant. Juiv., XX, 10. Il se contredit dans Ant. Juiv., XII, 6, où il
prétend qu’Alkime est remplacé par Judas Maccabée, probablement alors induit en
erreur par un document falsifié dans un intérêt hasmonéen.
de jérusalem à babylone 45
Laetitia Graslin-Thomé
HISCANT-MA, Université de Lorraine
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