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Grecques
autre élément, qui compose fort biçn avec tous ceux-là, doit encore être signalé
comme appartenant d'emblée au dionysisme. Antérieurement, Jeanmaire avait eu
lieu de rappeler qu'il y á en Grèce une tradition préhistorique de rites « orgia-
ques », tels qu'on les retrouve notamment dans le culte d'Artémis; or l' « or-
giasme », qui est pour nous comme pour les Grecs l'expression la plus typique
de Dionysos, apparaît, au témoignage de l'héortologie. avec Dionysos lui-même :
les Lénées, fête d'ailleurs plus ou moins * en décadence » à l'époque classique,
ne peuvent tirer leur désignation que des lènai qui sont un autre nom des Bac-
chantes (contre l'étymologie lènos « pressoir », que Jeanmaire [p. 45] n'ose pas
écarter, l'argument linguistique est déjà irréfutable à lui seul). - Tels nous
apparaissent, au plus profond où nous puissions atteindre, les caractères les plus
généraux d'une divinité à la fois une et multiple, la plus singulière assurément
du panthéon hellénique«
Le « plus ancien témoignage sur Dionysos », c'est le témoignage homérique.
On sait qu'Homère, par une espèce de réserve qui ressemble assez à du parti-
pris, ne mentionne guère le dieu du vin et des orgia. Mais 1' « épisode de Lycur-
gue » (Z 130-140), ne fût-ce que par son caractère allusif, atteste l'existence de
cér.tain mythe déjà constitué : celui du dieu enfant - qui n'en est pas moins le
dieu « délirant » - - gardé par les Nourrices ¡porteuses de thyslla (c'est-à-dire
quelque chose comme des thyrses), dont le cortège est poursuivi par l'homme-
loup jusqu'à la mer où le petit Dionysos éperdu se précipite et se réfugie. 11 y
aurait intérêt à dater le témoignage avec une précision au moins relative; l'au-
teur essaye ' de le faire, et son hypothèse mérite d'être retenue. Le passage ne
peut guère être détaché d'un ensemble où se reconnaît une couche de « civilisa-
tion homérique » plutôt moderne (mention insistante du naos , forme de sanc-
tuaire qui n'est guère antérieure à la fin du vii® siècle) ; d'autre part, une scholie
signale que l'épisode a été traité par de nombreux auteurs, « à commencer par
Eumèlos dans Y Europia » : il y a lieu d'admettre que le poème de V Europia, où la
fégende de Dionysos s'insérait 'naturellement dans l'histoire de la postérité de
Cadmos, a pu fixer « certains éléments qui deviendront canoniques » dans la vie
du dieu : la parabole homérique, visiblement abrégée, en dériverait (p. 73). En
tout cas, nous trouvons attestée, aux environs de 700 et à propos de Dionysos,
l'existence d'une poésie édifiante - légèrement comique, mais édifiante - dont
on doit se demander de quoi elle procède. Des thèmes rituels de fuites et de pour-
suites figurent dans certains cultes, et aussi bien dans des légendes comme celle
des filles de Proitos; un scénario prédionysiaque qui a pour centre le divine child ,
et où nourrices et.Enfant seraient déconcertés par l'intervention d'un personnage
menaçant, transparaît dans certaines pratiques religieuses. Quant à l'origine du
motif légendaire, l'auteur la verrait volontiers dans le souvenir ou la transpo-
sition des « rites d'adolescence » qu'il a étudiés dans ses Couroi et Courètes
(p. 76 sq.). Sur ce point particulier, on ne le trouvera peut-être pas très convain-
cant : le petit dieu des Nativités est tout de même autre chose que le « sujet »
des épreuves qui sont imposées au sortir de l'enfance, et Jeanmaire est obligé de
supposer plusieurs scénarios combinés dans une légende composite, suivant un
procédé de synthèse que lui-même par ailleurs n'apprécie pas beaucoup comme
principe d'explication. Il faut du moins retenir comme éléments fondamentaux
ces thèmes rituels, apparemment « égéens », des Femmes représentées comme
nourrices du dieu et de la poursuite à laquelle elles peuvent être soumises ; rete-
nir aussi, comme donnée substantièlle du témoignage homérique, cette épithète
de {xaivôjievoç qui apparaît presque comme une épithète de nature pour Dionysos,
chez un poète qui, au surplus, n'ignore pas les Ménades et leurs transports.
certaine. forme de piété, et de l'ironie subtile qu'on peut trouver dans une apolo-
gétique insistante et absurde - celle qui justifie par la tradition la plus vénérable
la nouveauté scandaleuse du dionysisme. On ferait peut-être une autre réserve
sur certaine' formule de l'auteur : lorsqu'il parle (p. 153) d'un conflit entre le
« fait religieux » et le « rationalisme auquel le poète lui-même et son époque ont
sacrifié pendant tant d'années », en craint qu'il n'y ait quelque anachronisme
dans la position, ou en tout cas dans l'énoncé, du prQblème. ♦
On peut rêver là-dessus; mais il s'agit d'un excursus en fin de chapitre - du
chapitre òù ce que Jeanmaire se propose de définir et comme d'identifier, c'est
le fait psychologique de la mania . Les Grecs le perçoivent et le signalent avec une
complaisance révélatrice : l'état de furoi' entendu au sens propre et par consé-
quent « démoniaque », est spontanément admis par eux en bien des rencontres *r
mais ce qui doit retenir l'attention dans un témoignage aussi frappant que celui
dé la folie d'Héraclès chez Euripide, ce n'est pas seulement l'interprétation reli-
gieuse et même mythique de la folie, c'est la description quasi clinique qui en
est donnée : les symptômes de la crise et la succession de ses phases de type
« hystérique » rappellent étonnamment des « observations » de psychiatres mo-
dernes (p. 112 sq.). Or, même rapportées comme elles le sont ici à d'autres divi-
nités que Dionysos, c'est dans le vocabulaire de la religion dionysiaque que ces
manifestations sont traduites : le terme de paxyeúetv « faire le bacchant » s'y
appliqué couramment. Il y a une catégorie de la pensée religieuse, celle de la
mania : Bacchos en est le représentant symbolique et en quelque sorte attitré.
Mais le délire bacchique ne se définit pas seulement par référence à la patho-
logie mentale; une alitre expérience, sur* un autre plan, permet d'éclairer les faits-
grecs par comparaison : certains milieux - historiques ou ethnographiques four-
nissent des cas analogues à celui du dionysisme. L'auteur retient des expérien-
ces particulières parce que, convenablement choisies et suffisamment analysées,
ce sont celles-là Jes plus probantes (il n'est pas sans intérêt de signaler que
l'étude en avait déjà été présentée par lui dans le Journal de psychologie ). Il
s'agit de la « culture » et du « traitement de la possession » tels qu'on les a ob-
servés à une époque récente òu contemporaine dans une aire d'extension qui
comprend uņe partie de l'Afrique du Nord, l'Abyssinie et un secteur du monde
soudanien : en dépit de leur diversité; les pratiques connues suivant les régions
soui les noms de zar et de bori ont ce caractère commun qu'elles utilisent la pos-
session elle-même pour le traitement et qu'elles correspondent à ce qu'on pour-
rait appeler une cure homéopathique. Aussi bien l'idée de possession joue-t-elle
dé même façon en Grèce : les témoignages précis que nous avons du corybán-
ti s m e en sont la preuve.
• . *
Ain
gne
dion
du livre.
D'abord, du ménadisme. Il peut paraître une étrangeté historique : qu'à une
« époque de lumières », le personnage de la Ménade déchaînée s'impose avec une
telle force et une telTe fréquence, il y a là quelque chose d'étonnant; que,
dans une société où les femmes sembleraient claustrées entre les murs de la vie
domestique, la liberté leur ait été donnée de se livrer à des accès de frénésie tem-
poraires, mais publics, psychologiquement on le comprend mal. De là le scep-
ticisme qui s'est parfois déclaré chez les modernes et qui va jusqu'à faire de
l'image des Bacchanles une image purement poétique ou mythique. Pourtant, le
le milieu » trop humain » des ve et ive siècles, les Grecs persistent à le considérer
comme essentiel à l'institut apollinien. Au reste, l'association entre les deux
dieux est chose avérée ; mais elle ne signifie pas qu'il y ait eu une conquête du
lieu saint et de l'oracle par Dionysos, à qui Apollon aurait emprunté la divination
extatique : Dionysos n'est justement pas uh dieu oraculaire ; on croira plutôt
qu'il y a eu répartition des tâches, et comme une « entente » entre deux divini-
tés de caractère bien différent, . mais qui avaient en commun leur « expansion-
nisme.» volontiers « usurpateur » (p. 192 sq.).
La langue de la religion dionysiaque est riche en maîtres mots : celui de dithy-
rambe introduit à l'étude d'un autre ordre de faits. Le ménadisme est chose fémi-
nine : le dithyrambe concerne les hommes; et il se peut, l'auteur le suggère,
que cette « opposition » en recouvre une autre, géographique : on entrevoit au
moins un cycle, rituel et mythique, qui appartient aux îles de la mer Égée (Naxos
notamment;, plus ou moins à part de la Grèce continentale« Il n'est pas question,
bien entendu, d'un dualisme, mais de complémentarité; et de fait, les données
de ce chapitre se coordonnent avec celles du précédent. Le mot dithyrambe est
d'antiquité « égéenne » ; à l'époque classique, il désigne un genre littéraire et
musical, dont nous savons qu'il a une préhistoire : par-delà ses formes régle-
mentées, où on le voit en quelque sorte assimilé par une esthétique grecque, les
souvenirs qu'évoque le mot lui-même, les résonances pathétiques qu'on y perçoit,
et surtout la représentation qui luf est associée d'un Dionysos étrangement pri-
mitif, révèlent une pratique religieuse qui, avec, ses7 originalités, apparaît du
même type que les manifestations du uiénadisme et celles qu'on avait pu en
rapprocher. Des témoignages directs - sur le culte - ou indirects - ceux du
vocabulaire - permettent de la reconstituer. Ļ acte central est le sacrifice d'un
bxsuf; la danse à laquelle il donne lieu est d'un caractère frénétique et « inspiré »;
dans le paroxysme où culmine la gesticulation rituelle, la victime est dépecée et
dévorée crue. Et tout ce comportement ne laisse pas d'être éclairé, lui aussi,
par des « parallèles » ethnographiques : le ziAr, tel qu'il a été observé au siècle
dernier dans des confréries du Caire, nous offre l'image d'une même transe col-
lective; la frissa des Aïssaoua, telle qu'elle se perpétue parfois encore en milieu
nord-africain, aboutit pareillement au diasparagmos et à l'omophagie. *
tuitement enrichis. Pour Dionysos, il est vrai, la situation est assez particulière«
Les thèmes, lá aussi, ont chance d'être extrêmement anciens : et à l'usage d'un
dieu tard venu, ils ont été adoptés (cf. p. 78) et organisés dans des histoires où
l'archaïsme même est signe d'artifice. En revanche, justement parce que le travail
d'imagination a été orienté, les intentions qui y président confèrent à ces his-
toires une certaine valeur émotionnelle, assurément plus vive que dans le cas
d'un Zeus ou même d'un Apollon. Dionysos a été pourvu d'une biographie qui
le met en rapport et en contact avec le monde humain et avec une histoire qui
n'est plus celle du mythe intemporel. Dans la version qui nous parat trait pres-
que canonique - et qui n'est au demeurant ni la seule ni probablement la plus
ancienne - le motif du coup de foudre et celui de la « couvade » sont le souvenir
d'états « primitifs » de société et de pensée religieuse, mais l'essentiel est qu'ils
rehaussent l'éminente dignité d'un dieu qui, né d'une mortelle comme tant de
héros et plus près, des hommes p&r conséquent, n'en est pas moins le fils quasi
préféré du dieu suprême; une Sémèlè et une Ariadne sont des avatars de déesses
- et aussi bien peuvent redevenir déesses - mais elles représentent sous des
formes pathétiques l'élément féminin qui tient une si large place dans le eulte.
D'autre part, le mythe s'est développé en deux directions. D'abord l'histoire d'un
pareil dieu, en raison même de son prestige singulier, restait en quelque sorte
ouverte : certain caractère d'évangile a pu s'affirmer dans les développements qu}
furent donnés à la biographie divine, spontanément de bonne heure, mais aussi
à la suggestion de l'histoire contemporaine : l'expédition d'Alexandre aux lnd.es
a inspiré un nouveau chapitre de cette biographie, élargi l'action du dieu à la
mesure d'un monde à la fois géographique et fantastique - et favorisé par là,
bien entendu, toutes les possibilités de syncrétisme; encore faut-il observer que
Dionysos était déjà par vocation un dieu conquérant, un dieu de courses-éclairs,
et que le thème d'une randonnée orientale et même extrême-orientale est déjà
dans le prologue des Bacchantes : dans l'état de légende que représente- la Biblio-
thèque d'Apollodore et qu'on peut dire pré-alexandrin (p. 358), il apparaît comme
élément constituant. - Mais l'imagination mythique a fonctionné aussi à un-autre
plan, et c'est une autre espèce de Dionysos qu'il faut dès lors considérer : le
Dionysos mystique.
Il est curieux que l'affabulation ait justement même caractère pour celui-là que
pour le Dionysos ancien. Le mythe fondamental est celui du démembrement du
dieu. Ona soutenu qu'il est proprement le mythe d'une « religion de salut », elle-
même dérivée de « rites agraires » - Cumont et Frazer se complétant ici l'un
l'autre : Jean m ai re soumet à une critique très judicieuse (p. 373 sq.) une théorie
qui fait état d'analogies assez vagues et utilise un schématisme auquel ne se prê-
tent guère les données concrètes de la légende dionysiaque. On pourrait penser,
à tout le moins, que le mythe est en rapport avec la pratique du diasparagmos
et qu'il y a eu, -à partir des données du culte, une spéculation de type gnostique,
où la destinée du dieu souffrant mais ressuscité aurait été^pour ses adeptes un
modèle et une promesse; mais la légende n'est pas solidaire du rite : 'le rapport
a sans doute été établi dans l'antiquité, mais il l'a été secondairement (p. 387), En
fait, nous avons ici un thème mythique - cuisson dans le chaudron ou passage
par la flamme - qui est abondamment représenté dans des histoires de héros
- peut-être, dirions-nous, avec des intentions assez multiples, mais aveb la
même signification essentielle de renaissance ou d'immortalisation : mythe ex-
plicatif, pour le prendre dans sa fonction la plus typique, d'un rituel d'initiation
de jeune*. L'hlterprétatton^ratthien fontine ; le cm de Pélojw, bien que l'auteur
ne le cite pas, fournirait sans doute l'analogie la pins proche. N'est-ce pas' dire
REG, LXVI, 1953, n* 309-310. 25
* ¥
dieu de la mort, ni de l'immortalité ; « il n'est pas chez lui dans le royaume sou-
terrain » d'Hadès ; et « il serait inexact également de parler à son sujet d'un
séjour paradisiaque où se rassembleraient ses élus » (p. 273). Ses accointances
avec le monde des défunts sont celles d'un dieu « ubiquitaire ». Sa seule pré-
sence impose une idée d'au-delà.
Il y a des à-côté significatifs. Jean maire souligne .^p. 311) l'originalité d'un
0iony*os « aux prestiges divers » dans un système « où les dieux sont au mini-
mum, ou plutôt ne sont pas, des magiciens ». Serait-il excessif de reconnaître,
•dans !es Bacchantes , un dieu de maya ? Il y est, après tout. - C'est une certaine
•perspective qui se découvre ainsi. Qar, en termes d'intelligence, il apparaît que
Dionysos est à l'antipode du monde des Idées. Il est souvent question de Platon
dans le livre de Jeanmaire, de son attrait et de sa résejrve à l'égard du dieu,:
disons que Dionysos ferait penser à Y Autre ; il le symboliserait du moins ; car
•enfin, il l'est quant à sa fonction ; et, dieu insaisissable, il Test aussi quant à sa
nature.