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Cahiers de civilisation espagnole

contemporaine
De 1808 au temps présent 
2 | 2015
De la structure à la « fine pointe »

Les communistes espagnols : les années difficiles


(1947-1956)
Los comunistas españoles en tiempos difíciles (1947-1956)

Serge Buj

Édition électronique
URL : http://journals.openedition.org/ccec/5433
DOI : 10.4000/ccec.5433
ISSN : 1957-7761

Éditeur
Laboratoire 3LAM

Ce document vous est offert par Université de Lille

Référence électronique
Serge Buj, « Les communistes espagnols : les années difficiles (1947-1956) », Cahiers de civilisation
espagnole contemporaine [En ligne], 2 | 2015, mis en ligne le 02 mars 2015, consulté le 18 septembre
2020. URL : http://journals.openedition.org/ccec/5433  ; DOI : https://doi.org/10.4000/ccec.5433

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© CCEC ; auteurs
Les communistes espagnols : les années difficiles (1947-1956) 1

Les communistes espagnols : les années


difficiles (1947-1956)
Los comunistas españoles en tiempos difíciles (1947-1956)

Serge Buj

1 Au début du XXe siècle, en Europe et en Amérique, la crise provoquée par la révolution


industrielle, les ravages de la misère prolétarienne, la sanctification du travail comme
valeur suprême et l’enrichissement personnel comme récompense légitime de l'activité
humaine, mais aussi l'épuisement des espaces libres conduisirent à un nouveau type de
conflit, international, fondé sur la conquête et la destruction. Nous entrions dans l'ère de
la guerre civile permanente, lutte de tous contre tous, qui prit sa forme la plus achevée
pendant la première guerre mondiale, guerre génocidaire ainsi qu’elle fut qualifiée plus
tard. La violence à l'échelle continentale avait donné naissance, non pas à un homme
nouveau ni à une société plus juste, mais à une nouvelle forme de philosophie pratique, le
communisme du XXe siècle.
2 Ce fut le temps fort de la combinaison de la propagande, qui utilisait tous les moyens
possibles de diffusion, du tract au journal, pour apporter aux masses, en l’adaptant très
souvent, un autre discours, éminemment doctrinaire, conçu comme organisateur de
l’action politique et reposait sur trois moments : l’analyse d’étape, les propositions de
programme et d’action et l’examen des forces qui allaient les porter et les mener à bien. Il
s’agissait d’un discours oral, qui avait besoin d’être entendu et approuvé, d’où les formes
diverses que prirent très tôt les rituels de parti : réunions, assemblées, congrès. Les Partis
communistes n'eurent, à cet égard, aucune originalité ; ils étaient eux aussi les héritiers
de formes antérieures, héritées de la longue expérience de l’église dans les deux domaines
de la prédication (lettres encycliques, lettres pastorales, homélies) et de la gestion du
corps collectif (la structure paroissiale et le discours à usage à la fois interne et externe),
héritage qui se fit au travers des expériences cumulées de la première internationale. Il
était accepté, par exemple que le discours de bilan de l’action passée fut confié aux
équipes sortantes, que le discours programmatique soit dévolu aux équipes qui allaient le
mettre en œuvre (dans les périodes de continuité, les mêmes). Le discours sur

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l’organisation, en général autocritique, était confié à des hommes qui connaissaient bien
le détail de cette dernière, sortes de super DRH qui, assez vite, prirent une place de choix
dans l’organigramme des partis, j’entends par là, les secrétaires à l’organisation.
3 A travers quelques exemples, non conclusifs car il s’agit d’un travail en cours, et en
prenant en écharpe quelques années de l’histoire du PCE, mon souhait est de tenter de
comprendre les effets induits par ces rapports sur « le Parti », l’image qu’ils souhaitaient
donner de sa force et de ses faiblesses, de son organisation, de ses progrès et de ses crises,
de la place faite aux nouvelles générations de militants, en d’autres termes, sur ce qui
devint, pendant la longue période de clandestinité une préoccupation de premier ordre
des communistes espagnols : exister et se renouveler. Le Parti Communiste d'Espagne ne
comptait qu’un petit nombre de militants au moment de sa fondation, il n’est devenu un
parti de masses que lorsque la guerre civile européenne toucha l’Espagne, en 1936. Il s’est
donc formé comme parti militarisé, disposant d’une maigre expérience politique et d’une
organisation sans grand passé. Cette brève période de la guerre a vu l’émergence au côté
de la première génération de militants d’une autre, plus jeune, qui prendra toute son
importance quelques années plus tard.
4 Comme le temps imparti est court, j’ai choisi d’évoquer trois moments de son histoire et
trois discours : celui de Dolores Ibarruri au cours du IVe Congrès du PCE de 1947, celui
qu’elle prononça en 1954 devant le congrès suivant et le discours de Josep Roman devant
le Ier congrès du PSUC d’octobre 1956.

1947
5 Après la période noire des premières années de l'exil, l'absence d'un réseau minimal de
coordination parmi les communistes espagnol dispersés dans toute l'Espagne et dans le
monde entier (Mexique, Argentine, Moscou et les camps Français) a conduit à des
épisodes conçus aujourd’hui comme de pures manifestations staliniennes, qu’il s’agisse de
l'échec du groupe Quiñones-Monzón et son élimination, de la mise hors du parti de ceux
qui revenaient des camps de concentration allemands1 et de la chasse aux titistes du début
des années cinquante. En fait, il s’agissait d’une série de mesures de type militaire (gérées
par la direction du parti), qui visaient à une mise en ordre d'un parti très affaibli, ayant
subi de lourdes pertes, et qui ne pourrait pas développer dans le pays la tâche primordiale
d'un parti politique au sens traditionnel, autrement dit exister par la propagande. Ces
sacrifices, qui peuvent apparaître comme autant d’actes ignominieux ne peuvent être
compris si on oublie quel rôle décisif jouait, au sein d'une organisation communiste, la
propagande écrite. Installer dans le pays des moyens de duplication efficace, leur trouver
des caches sûres, éditer des tracts, des journaux, tel fut le premier effort engagé pour
reconstituer une structure humaine organisée autour de diffusion écrite d'idées, de
propositions et d'initiatives. Ce n’est pas par hasard, si, dans le coup de filet qui
démantela une bonne partie de l’organisation clandestine du PSUC en Catalogne, le leader
du groupe décimé, sa figure principale, qui fut fusillé, ait été Joaquín Puig Pidemunt,
directeur de Treball, organe du PSUC2.
6 Par conséquent, entre 1945 et 1950, période d’une relative liberté de manœuvre en
France, fut mis sur pied un appareil de propagande dont le principal objectif était
d’exister, d’être visible régulièrement, de mettre en place de réseaux de diffuseurs et de
porter un message encourageant à la lutte contre la dictature. Ce message était relayé par

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tous les niveaux de l’organisation, aussi petits fussent-ils comme en atteste l’exemple de
ce brouillon d’affiche rédigé sur le dos d’une circulaire de la Mairie d’Agde (le papier était
rare) destinée à appeler à un meeting organisé à Montpellier le 17 février 1946 et qui
laisse apparaître bien clairement l’existence de groupes organisés, disposant d’un
appareil et de responsables bien définis et connus publiquement :

8 Ce qui alimentait le discours de propagande c’était le discours du parti, en particulier


celui que développait sa direction au cours des actes solennels qui rythmaient sa vie, ses
congrès. En mars 1947 le plenum du PCE fut l’occasion pour la secrétaire générale du PCE,
Dolores Ibárruri, de livrer un long exposé de données politiques, sociales, culturelles,
économiques et historiques, en particulier dans un chapitre de son discours au titre sans
équivoque, « Situación de España : el franquismo se desmorona ». Le régime y est
présenté comme « blessé à mort ». La Pasionaria prend pour preuve le fait que « las
organizaciones obreras, que Franco disolvió brutalmente, se reconstruyen en la
clandestinidad », que « se producen huelgas y manifestaciones de protesta contra el
hambre » que « se publican decenas de periódicos ilegales… »3. La thèse est complétée par
un autre : si Franco est maintenu au pouvoir c’est parce que l’impérialisme agresse le
peuple espagnol (le rapport dénonce avec virulence la politique des États-Unis et du
Royaume-Uni engagés également dans une guerre interventionniste qu’on a tendance à
oublier souvent : celle qui vise à écrases les maquis communistes de Grèce). Leur intérêt
est de maintenir une Espagne « réactionnaire » pour servir « leurs fins antipopulaires,
réactionnaires et agressives… »4. Autrement dit, ne sont pas évaluées les freins intérieurs,
objectifs ou subjectifs, l’Espagne est présentée comme prête pour le changement. Si ce
changement ne se produit pas, c'est parce qu’il y a un complot international, que la
solidarité des peuples du monde peuvent aider à surmonter. L'optimisme du rapport
correspond parfaitement à l'urgente nécessité de mobiliser les communistes en leur

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proposant des objectifs d’action à leur portée : faire tout ce qui est possible pour que les
actes de solidarité se multiplient de par le monde.
9 Dans le rapport sur l'organisation du parti que lit Francisco Antón devant la même
assemblée, l’optimisme est identique, l’idée est la même : le parti se renforce. Pour ce qui
concerne l'application du slogan à la situation intérieure, ne sont pas fournis de chiffres,
éventuellement pour des raisons de sécurité, mais aussi parce qu'ils ne permettent pas de
vraiment étayer la thèse des dirigeants. Ne sont égrenées que des affirmations positives :
« …el año transcurrido presenta un importante balance en la capacidad del partido para
ligarse con las masas, dentro y fuera del país… »5.
10 Les seuls chiffres évoqués concernent le parti hors d’Espagne (France et Afrique du Nord).
Le parti a enregistré 1247 adhésions et de nombreuses réadmissions, élément que nous
avons déjà mentionné tout à l’heure. Il est intéressant de voir comment Antón, au sujet
des adhésions réalisées en France, peut indiquer quelques tendances dans cette longue et
complexe démarche que constitue l’adhésion au PCE : « 819 demandes d’adhésion
examinées (c'est-à-dire soumises à examen biographique), 65 correspondant à d’anciens
militants socialistes, 172 de membres de l'UGT, 104 provenant de l'anarcho-
syndicalisme ». Une façon de souligner la concrétisation d’une position hégémonique du
PCE au sein des forces de gauche en exil.

11 Sans m'attarder plus dans l’examen de ce moment, il est nécessaire d’indiquer qu'il est
essentiel de comprendre comment les dirigeants de cette époque ont élaboré une
technique de lecture symptomatique de la réalité pour définir des lignes d'action pour
l'avenir. Si peu de données sont présentées, si certaines sont inventées et d’autres
surestimées, ce que l'on ressent dans ces discours, c’est qu’il était vital de forcer la réalité,
en exagérant les aspects positifs et en taisant les problèmes, dans un but : celui de ne pas
décourager les militants et d’assurer la relève des générations. Le PCE à ce moment là
ressemble au personnage imaginé par Jerek Becker, Jakob der lugner, Jacob le menteur.
12 L’autre aspect de l’activité du parti et de ses organisations de jeunes relevait plus de
l’action au jour le jour, à la mise en place d’actions concrètes, le plus souvent destinées à
collecter des fonds. Ces actes quotidiens, où l’emphase politique était presque absente,
représentaient pourtant la condition du maintien du lien actif entre tous les
communistes. Au niveau local, le besoin de fédérer les communistes, de leur donner des
objectifs concrets, de mener des actions de terrain pouvait également donner l’alerte et
révéler une certaine lassitude ou certains symptômes d’éloignement. C’est l’exemple de
cette tombola, destinée à collecter des fonds pour les JSUE de l’Hérault et, selon le principe
de la répartition des fonds collectés entre les différents niveaux, pour la direction des JSU
en France dans le cadre d’une campagne dite pro Juventud6.
Montpellier, 8/4/47
Camarada C.
En nuestra reunión de S.G. ofrecimos una bicicleta para el club que quisiera hacer
una Tómbola. Ningún camarada la pidió y nos encontramos con la bicicleta en las
manos.
El objeto de la presente es solo para proponerte que estudiéis organizar la Tómbola
entre los clubs de Agde, Vias y Marseillan. Ya me dirás algo y ten en cuenta que
debéis sacar de ella un mínimo de 20 000 frs. Y PARA ANTES DEL PLENO. ¿De
acuerdo ? Ya me contestarás rápidamente.
Te saluda,
B.

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13 Nous sommes au printemps 1947 c’est-à-dire au moment où la Jeunesse Socialiste Unifiée


en exil (qui n’était pas le Parti mais adoptait l’essentiel de ses critères organisationnels et
dont les cadres étaient assez souvent interchangeables), tenait son premier Plenum en juin
1947. Les choses n’allaient pas de soi. Le moindre problème pouvait indiquer, outre
quelques embarras financiers et matériels, la menace d’une perte d’influence. Il fallait
donc, à l’échelle moyenne des directions départementales, avoir recours à la fois à une
rhétorique ferme mais cependant assez souple pour conserver le lien et donner assez
d’enthousiasme pour continuer, même si on était loin des envolées des grands discours
des dirigeants :
Montpellier, 15 junio 1947
Camarada C.,
A mi regreso de París me he encontrado con la « agradable sorpresa » de no
encontrar ninguna carta tuya. Quizá creíste que estando en París no tenías
necesidad de escribir y si así hiciste, mal hecho ha sido.
El camarada R. ha asegurado la marcha del Dept. durante nuestra ausencia.
No he tenido tiempo de charlar con R. más que de cosas de trámite pero no me ha
hablado de vuestra Tómbola y la « bici » parece « descansar » aquí.
No quisiera volverte a escribir pidiéndote señales a la Dirección Dptal. [de] como
van las cosas de la Tómbola pues creo que ya debe estar avanzada y así en la
campaña pro « JUVENTUD » de un MILLION para el 19 de julio vuestros clubs harán
buen papel.
Nada más, espero que escribas,
Te saluda fraternalmente,
B.
14 Nous ne saurons jamais si cette bicyclette a finalement été gagnée et si la tombola a
apporté les fonds recherchés…

1954
15 À l'occasion du cinquième congrès du parti, qui s'est tenu en novembre 1954, Dolores
Ibárruri commence son rapport en présentant le parti comme « la seule force politique
démocratique espagnole qui a été constamment à l'avant-garde de la lutte contre le
franquisme » (p. 5). Parti de type nouveau, selon la formule habituelle, elle affirme qu’il a
grandi et a renforcé sa personnalité. Elle n'insiste pas beaucoup sur cette question,
puisque le sujet du moment c’est la signature du Pacte économico-militaire avec les États-
Unis. Après une profusion de notes économiques et une attaque très détaillée contre le
traité, il est temps pour la Pasionaria de parler de son parti. Tout d'abord, elle propose
une évocation des débuts du parti et une célébration de la nécessité pour les communistes
d’avoir des connaissances historiques. Cet intérêt marqué pour la connaissance
historique, « es necesario [para que] que cada comunista conozca la historia del partido,
que conozca el camino seguido por el Partido en su desarrollo. » n’était pas une simple
vue de l’esprit, mais bien un objectif léniniste, celui de donner aux communistes une
culture propre, et « d’élever leur niveau de conscience ». En fait, nous avons sous les yeux
le thème et presque le titre du livre de mémoires politiques que la Pasionaria publiera
quelques années plus tard, ouvrage d’édification destiné aussi bien aux militants qu’aux
cercles plus larges de l’antifranquisme : El único camino (1960), en même temps que
l’Histoire officielle du PCE, publiée par les Editions Sociales, tous deux destinés à mettre en
conformité avec le présent des discours passés devenus assez encombrants7.

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16 Ensuite, dans l’examen du passé, le ton n'est plus enthousiaste ou encourageant mais
pédagogique pour évoquer les moments de la difficile reconstruction du PC pendant et
après la seconde guerre mondiale : « El Único Camino », La primera preocupación de la
Dirección del Partido al salir de España después de la derrota de la República fue
reagrupar nuestras filas. » (p. 77).
17 Evoquant les difficultés occasionnées par la guerre mondiale, à cette époque, la
préoccupation majeure de la direction du Parti était d’aider à « mantener la organización
en el interior y a desarrollar la lucha contra el régimen. » (Ibidem). Enfin, un autre point
apparaît dans la configuration de l'organisation du PCE qui va dominer au cours des
années à venir : la distinction entre organisation intérieure et extérieure, cette dernière
soumise, elle aussi, à une certaine forme de clandestinité, en particulier en France à la
suite de l'opération Bolero-Paprika8.
18 Cette formulation reprend tout d'abord l’idée que l'organisation du PCE de l’intérieur était
le fait de militants venus « desde la emigración », ceux qui rejoignirent entre 1942 et 1947
les groupes restés dans le pays (ce sont les dates que Dolorès mentionne). Peu de chiffres,
ou tout cas une vague mention faite à des « milliers » de communistes « dormants » qui
rejoignirent cet embryon d’organisation. Au passage, est rendu un hommage en forme de
requiem pour les guérillas qui est pour le moins allusif : « […] el trabajo de los guerrilleros
elevo la conciencia política de los campesinos, les dio fe y confianza en la victoria de la
causa de la democracia y de la República… »
19 Cependant ajoute-t-elle de façon cryptée : « este trabajo no estuvo exento de graves
defectos y debilidades » (p. 79). Il ne s'agit pas de s'étendre sur ces critiques, mais plutôt
de relever ce qui est positif pour ne pas créer de hiatus avec les militants, assez
nombreux, qui avaient participé au mouvement des guérillas.
20 Les dernières pages du rapport sont celles que la Secrétaire Générale consacre au parti, à
son rôle, « guía de las masas, vanguardia dirigente de la clase obrera… ». Dans ces
dernières pages, les congressistes auront droit à une longue digression sur les déviations,
et sur l'aptitude à se livrer à la critique et à l'autocritique, chose qui n’est pas nouvelle
puisqu’on retrouvait la substance dans un folio adressé aux organisations et militants du
parti en juillet 19529. Elle revient sur la période des premières années cinquante et la lutte
interne contre le « practicismo », attaque contre l’activisme, défense et promotion de la
formation théorique des cadres, de leur apprentissage de la discussion et de la mise en
garde à la fois contre « las concepciones y procedimientos caciquiles » qui éloigne
certains communistes du parti et contre les effets possibles de l’élargissement de la base
sociale de son recrutement, à partir de critères relevant d’une forme de déterminisme
social absolu :
Al partido no vienen solo proletarios, sino campesinos, empleados, intelectuales,
pequeños burgueses, que aportan al Partido junto con su adhesión y su disposición
a la lucha, los sentimientos y los prejuicios de la clase a que pertenecen (p. 109).
21 Entre les lignes, même si ces attaques semblent correspondre aux critiques faites à Joan
Comorera, les jalons sont placés de la postérieure critique faite aux dirigeants
intellectuels :
A veces algunos… se conducen respecto a los camaradas de la base de una forma
arbitraria y aristocrática, como grandes señores. » (p. 110) ; « …en las condiciones
de crisis del franquismo, el mayor error que podríamos cometer los comunistas
seria la excesiva valoración de la fuerza del enemigo, guiándonos por lo superficial

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y lo externo, y el menosprecio de la capacidad del Partido para dirigir la lucha. (


Ibidem)
22 Les éléments constitutifs de la rupture qui se produira dix ans plus tard sont présents
dans ce rapport : l'appréciation négative de rapports des forces et le subjectivisme de
l’analyse concrète, tous deux conduisant à l'inaction. Il s’agit là des deux critiques de fond
qui seront faites au groupe Claudín au début des années soixante et seront retournées par
ce dernier dans sa critique générale des analyses et positions de la direction de son parti.

1956
23 Un autre moment important dans l'histoire de la PCE-PSUC est l'année 56. En octobre, a
lieu le premier Congrès de la PSUC. C’est une époque de basses eaux car elle coïncide avec
le 20e Congrès du PCUS et le congrès cherche à sortir de l’ornière en revenant sur les faits
ayant conduit à l'expulsion du premier secrétaire général, Joan Comorera. Dans le bilan
proposé sur le cas Comorera, le PSUC tente de se présenter comme un parti communiste
déstalinisé avant-la-lettre. Les thèses soumises au vote des congressistes dénoncent ceux
qui avaient rejoint le parti pendant la guerre et qui, poursuivant par la suite une politique
sectaire avaient exclu ou écarté de nombreux militants pour avoir exprimé des doutes au
lieu de « hacer los esfuerzos necesarios para que comprendieran el caracter erróneo de
sus planteamientos o actitudes »10.
24 Le rapport de Roman (Josep Serradell) qui justifie et explique les nouveaux statuts
proposés, consacre quelques pages à l'affaire Comorera. Il valide l'anticipation présumée
de son parti dans la lutte contre le culte de la personnalité dénoncée au XXe Congrès du
PCUS, montrant que, depuis 1951, le PCE comme le PSUC critiquaient les « métodos extraños
que se habían transformado en ley del Partido »11. Román affirme que depuis la fondation
du PSUC jusqu’à son expulsion en 1949, Joan Comorera avait imposé le culte de sa propre
personnalité. Il ajoute qu'il considérait le parti comme sa propriété personnelle,
s’attribuant tous les mérites et qu'il a empêché l'intégration de cadres plus jeunes (la
génération issue des JSU). De façon symétrique, il souligne que Dolores Ibárruri avait été
victime de cette tendance et non son initiatrice. Ces actes ne s’opposaient à sa grande
modestie ni à l’aversion qu’elle manifestait envers les éloges personnels et les
célébrations permanentes, affirme-t-il. Roman stigmatise le non-respect par le PSUC de
ces années-là du principe léniniste de direction collective aussi bien pendant la guerre
qu’après. Il souligne aussi que le Comité Central n’avait pas été réuni depuis le plénum
d'Anvers, juste après la guerre. Le pouvoir était concentré entre les mains du Secrétariat
(de trois personnes en particulier). La violation des droits des militants, l'usage
systématique du dirigisme avait éloigné de nombreux communistes honnêtes.
25 La caractéristique du rapport de Roman, authentique et véritable organisateur du parti
catalan, homme d'appareil, repose sur le fait qu’il n’évoque plus un Franquisme sur le
point de s'effondrer. La formule « décomposition du régime » ne vient que pour justifier
la nécessité d'utiliser les possibilités légales et de les combiner avec l'action clandestine.
Dans la nouvelle stratégie, ce qui devient essentiel c’est la propagande et l'arme décisive,
l'organe du parti, Treball. Elle vise également il définit comme cible prioritaire dans cette
stratégie combinée la conquête de positions lors des élections de « vocales de empresa ».
Dans l'avant-dernier chapitre de son long discours, Roman évoque la création des
premières commissions ouvrières à Barcelone (La Maquinista, ENASA) et à Tarrasa. Il

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insiste aussi sur le fait que dans ces premières commissions se retrouvent des militants
proches de la CNT, des communistes, républicains et catholiques, qui exercent une
pression constante sur les dirigeants de la CNS. Dans l'analyse qu’il propose des actions
dans le cadre légal des syndicats verticaux, il insiste également sur le fait que ces aspects
positifs sont à nuancer, en particulier l’incapacité pour ces commissions de devenir
permanentes. Il indique que la tâche de son parti consiste à accepter les formes d’unité
que les travailleurs ont choisi et que sa fonction est d'aider à consolider et à étendre ces
formes d'organisation pour déboucher sur d’autres formes de lutte ou sur la grève mais
sans prendre ses désirs pour la réalité. Le ton de son discours annonce ce que sera la
politique de la grève nationale dans les années suivantes et tempère, par l’emploi de
formules prudentes, le surgissement possible d’un sentiment de bataille ultime en
évoquant seulement de possibles « passos seriosos en el cumpliment de la nostra missió. »

Conclusion
26 Il est temps de conclure, nous savons qu’une analyse plus complète de tous les rapports
que le PCE comme le PSUC proposèrent à la réflexion de leurs militants s'impose comme
l’étude d’archives reflétant la vie quotidienne des militants de base.
27 Ce qui est clair c’est que l’inflexion que montrent ces trois moments (1947-1954 et 1956)
préfigure à la fois les succès indéniables de la politique de ce parti, au cours de la
décennie suivante, mais également ses crises, à commencer par celle de 1964, aux aspects
multiples assez souvent ignorés : par exemple, le cas Claudín-Semprún cache souvent une
autre crise, celle de la dissidence maoïste, qui concernera un bon nombre de cadres
moyens.
28 Il fallait donc ne pas désespérer les militants, leur faire accepter les changements de
perspectives (passer du temps court des années d’après-guerre à celle du temps long de la
fin des années cinquante), masquer les faiblesses de son analyse de la réalité espagnole et
tenter de renouveler ses cadres en tentant de limiter les effets possibles de la résignation
et de l’éloignement des militants issus des années de guerre. L’arrivée massive d’une
immigration économique importante, à partir de la fin des années cinquante constituera
une bouffée d’oxygène pour les communistes. Le Parti Communiste perçut assez vite
l’importance du phénomène et engagea alors toutes ses forces dans une action de
propagande et d’intégration de cette nouvelle génération de l’immigration, ce que
confirme Natacha Lillo dans un article publié en 2013 :
A diferencia de los militantes libertarios de la Confederación Nacional del Trabajo
(CNT) que consideraban a ese conjunto de emigrantes como secuaces del régimen,
el PCE se dirigió hacia ellos para concienciarlos…12
29 Quelques années plus tard, en Espagne même, il appliquera la même politique
d’assimilation des nouvelles générations en tentant d’engager une politique d’amalgame
qui, au cours des années soixante constituera une incontestable réussite. On peut, à ce
propos, renvoyer au rapport que fit Josep Roman devant le VIe plenum du CC du PSUC en
janvier 1963, rapport dans lequel ce dirigeant faisait état de cette priorité :
En tenir en compte la quantitat important de militants joves que caracteritza el
Partit i, en conseqüència, la composició que tenen una gran part dels Comitès i que
haurien de tenir els que anem a formar, el viratge en el treball d’oganització
imprimeix a l’activitat dels nostres quadres, especialment als més veterans i
experimentats, un caràcter quelcom particular13.

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NOTES
1. “Cuando llegamos a Francia, empezaron de nuevo los líos políticos. Yo no digo que en el campo
desaparecieran todos los antagonismos políticos, pero los que tenían un comportamiento
antifascista honrado no eran enemigos: el verdadero enemigo era el nazismo.
“Al llegar a Toulouse, a mí me pareció normal que a cada uno de nosotros nos hicieran, caso por
caso, un examen de lo sucedido y de las causas de nuestra deportación, a pesar de que si
habíamos sido deportados era por haber combatido. Pero cuando en una reunión presidida por
Dolores en persona, celebrada en Toulouse, se nos acusó de sospechosos por no haber muerto
matando..., me pareció un tanto lamentable.” Testimonio de Joan Martorell, en Antonio SORIANO,
Éxodos, Historia oral del exilio republicano en Francia, Barcelona, Crítica, 1989, p. 130-131. Consultable
aussi sur http://bteysses.free.fr/espagne/martorell.htm.
2. Carme CEBRIÁN, Estimat PSUC, Barcelona, Empuriès, 1997, 452 p.
3. Nuestra Bandera, n°16 (n° spécial), 1947, p. 203-205.
4. Ibidem, p. 272.
5. Ibidem, p. 272.
6. Les documents présentés relèvent d’archives personnelles.
7. Par exemple, on peut lire au chapitre 4 de cette Histoire du PCE : “En el informe presentado al
Pleno de Toulouse, la camarada Dolores Ibárruri salía al paso de las ilusiones, alimentadas en
amplios sectores, de que el régimen franquista se iba a hundir «automáticamente». On peut en
consulter une version électronique sur le site : http://www.filosofia.org/his/1960hpce.htm
8. Je voudrais signaler à ce propos les travaux d'Aurélie DENOYER (dont sa thèse, L’exil comme
patrie, Les réfugiés communistes espagnols en RDA (1950-1989), Trajectoires individuelles, histoire
collective, thèse en cotutelle dirigée par Fabienne Bock et Thomas Lindenberger) qui éclairent un
aspect spécifique, celui des communistes installés en RDA:
A. DENOYER, « L’exil communiste espagnol en RDA : accueil, intégration, retour », Cahiers de
civilisation espagnole contemporaine, en ligne, n°9, 2012, mis en ligne le 11 décembre 2012. URL :
http://ccec.revues.org/4229 ; DOI : 10.4000/ccec.4229
9. Carta a las organizaciones y militantes del Partido, Madrid, julio de 1952, 29 p.
10. El Partit Socialista Unificat de Catalunya, Tesis aprovadas pel Ier Congrès del PSUC, celebrat a primers
d’octubre del 1956, s.l., Ed. Treball, 7 p.
11. Informe sobre els Estatuts del Partit i sobre els problemes d’orgaitzacio presenat al I Congrès del PSUC
pel camarada Josep Roman, folleto, Limoges, Imprimerie Tivet, sans date.
12. Natacha LILLO, “Vicisitudes de la vida militante en el PCE durante el exilio en Francia”, in
Aurora BOSCH, Teresa CARNERO , Sergio VALERO (eds.), Entre la reforma y la revolución, la construcción
de la democracia desde la izquierda, Granada, Comares Historia, 2013, p. 239-250.
13. Intervenció de Josep Roman, membre del Comitè Executiu, IV Ple del Comitè Central, Edité par le Parti
Communiste Français, Paris, janvier 1963, p. 66.

Cahiers de civilisation espagnole contemporaine, 2 | 2015


Les communistes espagnols : les années difficiles (1947-1956) 10

RÉSUMÉS
À travers quelques documents relatifs aux années de clandestinité du PCE, en particulier à travers
un certain nombre de rapports rédigés à l’occasion d’assemblées de militants, de congrès ou de
conférences, nous tenterons de comprendre l’image que le parti souhaitait donner de lui-même,
de sa force, de son organisation, de ses progrès et de son action, avec une préoccupation
essentielle : exister et se renouveler. Le Parti Communiste d'Espagne ne comptait qu’un petit
nombre de militants au moment de sa fondation, et il n’est devenu un parti de masses que dans
des circonstances bien particulières pendant la guerre civile. Il s’est donc formé comme parti
militarisé, disposant d’une maigre expérience politique et d’une organisation sans grande
histoire. Le passage à la construction d’un parti démocratique ne se fera qu’à partir de la toute fin
des années soixante. Entretemps, il fut soumis à l’épreuve de la clandestinité, à une intense
répression, mais l’ennemi le plus féroce était le temps, le long temps de l’usure des
enthousiasmes.

Through documents pertaining to the underground years of the Communist Party of Spain (
Partido Comunista de España, PCE), particularly reports written in connection with meetings of
activists, congresses or conferences, we’ll attempt to understand the image that the PCE wanted
to project - an image of strength, organization, progress and action. The party’s effort to
construct and project an image of itself was motivated by a vital concern: to exist and reinvent
itself. At the time of its founding, the PCE had very few activists; it became a mass membership
party under the exceptional circumstances of the Civil War. The party grew into a militarized
organization, with very limited political experience and without a long history. The construction
of a democratic party did not begin until the very end of the 1960s. Meanwhile, the party
underwent the ordeal of surviving its underground status and an intense repression. Its most
dangerous enemy, however, was the passing of time, which was eroding members’ enthusiasm.

Analizando algunos documentos relativos a los años de clandestinidad del PCE, particularmente
algunos informes redactados con motivo de asambleas de militantes o conferencias, se intenta
entender la imagen que deseaba difundir el partido de sí mismo, de su fuerza, organización,
progresos y acción, con una preocupación esencial : existir y renovarse. El Partido Comunista de
España solo contaba con una fuerza militante mínima en el momento de su fundación, y no se
hizo partido de masas sino en unas circunstancias excepcionales duarnte la guerra civil. Se
formó, pues, como partido militarizado disponiendo de poca experiencia política y de una
organización con escasa historia. El paso a la construcción de un partido democrático sólo se hizo
en los últimos sesenta. Mientras tanto, fue sometido a la clandestinidad, a una intensa represión,
pero el enemigo más feroz era el paso del tiempo y el desgaste del fervor militante de muchos.

INDEX
Mots-clés : Franquisme, Parti Communiste d’Espagne, militants
Keywords : Francoism, Communist Party of Spain, Activists
Palabras claves : Franquismo, Partido Comunista de España, militantes

Cahiers de civilisation espagnole contemporaine, 2 | 2015


Les communistes espagnols : les années difficiles (1947-1956) 11

AUTEUR
SERGE BUJ
Université de Rouen

Cahiers de civilisation espagnole contemporaine, 2 | 2015

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