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1 Cette vue canonique est excellemmment résumée, parmi beaucoup d’autres d’un
champ thématique et chronologique immense, dans le petit ouvrage d’A. W. CROSBY : « Is there
was anything equivalent in the shift in spatial perception to the appearance of the escapement
in temporal perception, this was it. » (The measure of reality. Quantification and western society
1250-1600, Cambridge, 1997, p. 97 sq.).
2 La connaissance indirecte de la Géographie dans le monde latin ne paraît pas reconnue :
aucune référence n’est signalée par W. H. STAHL, Ptolemy’s Geography. A select bibliography, New
York, 1953 ; pas un mot dans J. B. HARLEY, D. WOODWARD, The history of cartography, t. I (Carto-
graphy in Prehistoric, Ancient, and Medieval Europe and the Mediterranean), Chicago-Londres,
1987, ni dans G. AUJAC, Claude Ptolémée astronome, astrologue, géographe. Connaissance et repré-
sentation du monde habité, Paris, 1993, ni enfin dans l’album fac-similé publié par la Biblio-
thèque nationale de France, La Géographie de Ptolémée, Paris, 1998 (G. AUJAC, “La Géographie de
Ptolémée : tradition et novation”, pp. 8-20).
Contre cette vue un peu bien simple, je voudrais montrer que le souvenir
de la Géographie, accompagné d’une certaine connaissance de son contenu,
n’a jamais disparu dans l’Occident latin. Mon intention n’est pas d’en étudier
la tradition indirecte, donc inconsciente, en mesurant, par exemple, la part
issue des données ptoléméennes dans les listes de coordonnées géographi-
ques qui se multiplièrent à partir du XIIe siècle, grâce aux traductions de
tables astronomiques arabes provenant elles-mêmes en partie des travaux
de l’astronome alexandrin. Il ne saurait être question de rechercher tous les
éléments passés dans des textes latins, à partir des traductions de l’arabe du
XIIe siècle, et qui trouvent leur origine ultime dans la Géographie, sans que
celle-ci soit nommée. D’ailleurs, le destin de cette œuvre, dans la civilisation
arabe, est en lui-même fort obscur, et qui entreprendrait une telle enquête
rencontrerait d’énormes difficultés pour démêler les influences et les
emprunts, comme avait tenté de le faire E. Honigmann à propos des climata.
Le but de cette contribution aux études ptoléméennes est de rassembler et
d’analyser les traces explicites d’une connaissance de la Géographie qui furent
laissées dans les écrits durant ces huit cents années. Il suffira donc de ren-
contrer le nom de l’auteur, accompagné du titre de l’œuvre ou de sa qualité
de géographe, et la notion du contenu de son livre. En outre, geographia et
ses dérivés, d’emploi rare dans le latin médiéval, sont en eux-mêmes l’indice
d’un lien avec l’œuvre de l’Alexandrin. Cette enquête n’a jamais été menée
de façon systématique 3. Bien qu’on ne puisse ici prétendre à l’exhaustivité, la
collecte est loin d’être négligeable. Et, pour mieux apprécier l’ampleur de
cette tradition, il importera de mesurer la diffusion des textes où apparaît
le nom de Ptolémée associé à la géographie.
3 Dans un article au sujet plus étendu, M. V. ANASTOS constate rapidement « une certaine
4 Institutiones I, 25, éd. R. A. B. MYNORS, Oxford, 1937, p. 66. Passage rapidement com-
menté par P. COURCELLE, Les lettres grecques en Occident. De Macrobe à Cassiodore, Paris, 1943,
p. 335 ; F. WEISSENGRÜBER, “Weltliche Bildung der Mönche im 6. Jahrhundert”, Römische histo-
rische Mitteilungen, 8-9, 1964-1965, p. 21.
5 I, I, 7, éd. C. MÜLLER, Claudii Ptolemaei Geographia, t. I, 1, Paris, 1883, p. 6.
6 Par exemple M. C. CAPPUYNS, in Dictionnaire d’histoire et de géographie ecclésiastique,
t. XI, col. 1397. Rien sur ce point dans A. GARZYA, “Cassiodoro e la grecità”, in Flavio Magno
Aurelio Cassiodoro. Atti della Settimana di studi Cosenza-Squillace 19-24 sett. 1983, s.l.n.d.,
pp. 118-134.
7 J. FONTAINE, introduction à Ammien Marcellin, Histoire, t. IV (livres XXIII-XXV), 1re
texte décrivant une carte 9, et qui devait circuler accompagné de celle-ci. Mais
la vue contraire n’est nullement absurde. Cassiodore ayant senti la nécessité
d’ajouter une carte à sa liste en la désignant comme telle par un terme
adapté, on ne voit pas pourquoi il n’aurait pas fait de même si le codex
auquel il renvoyait avait été muni des cartes régionales dont Ptolémée don-
nait les éléments et le mode de construction dans ses livres II à VII. Tout bien
considéré, j’aurais tendance à conclure à l’absence de cartes dans ce codex,
quoique l’hypothèse contraire n’ait guère moins de titres à être avancée.
Il est bien connu que les Getica de Jordanès sont un abrégé de l’Historia
Gothica perdue de Cassiodore. Il le rédigea vers 550 à Constantinople, où
il put rencontrer l’ancien ministre de Théodoric. Qu’on y lise le nom du
géographe n’a donc rien pour étonner. Mais l’interprétation en est fort com-
pliquée, car il est impossible de déterminer avec certitude la part qui, dans
ce texte, revient à Jordanès : par des ajouts et des remaniements, il a pu
imprimer sa marque personnelle à ce travail. Dans le troisième chapitre,
Ptolémée apparaît à deux reprises à propos de l’île de Scandia, origine des
Goths selon Cassiodore-Jordanès :
« ... de hac etenim, in secundo sui operis libro, Claudius Ptolemaeus, orbis
terrae descriptor egregius, meminit dicens : “est in oceani arctoo salo
posita insula magna, nomine Scandia, in modum folii citri lateribus
pandis, per longum ducta concludens se”. de qua et Pomponius Mela, in
maris sinu Codano posita, refert. » (= III, 16) ... « In Scandia uero insula
unde nobis sermo est, licet multae et diuersae maneant nationes, septem
tantum earum nomina meminit Ptolemaeus. » (= III, 19) 10.
Les renvois sont exacts. Ptolémée parle de quatre îles appelées Skandivai,
situées à l’est de la Chersonnèse Cimbrique, la plus grande se trouvant à
l’orient en face de l’embouchure de la Vistule. Il précise que c’est elle qui
s’appelle proprement Scandia 11. Outre ces indications, il énumère en effet
sept peuples. Mais à cela se bornent les correspondances avec les Getica. On
ne trouve nulle trace, dans la Géographie, de la citation qui lui est attribuée,
où l’île est rapidement décrite, et sa forme comparée à la feuille de cédratier.
Qui faut-il considérer comme responsable de cet emploi de la Géogra-
phie ? Ou doit-on en créditer les deux historiens ? Tout dépend de l’analyse
que l’on fait du rôle de Jordanès, objet d’un débat sur lequel l’accord n’est pas
fait. Dans son prologue, il affirme qu’il a ajouté au texte de Cassiodore des
emprunts à plusieurs historiens grecs et latins, et que le début et la fin de son
abrégé sont de son cru. Si l’on accepte cette déclaration, le début au contenu
géographique avec la citation de Ptolémée serait dû à sa plume. Fr. Giunta a
validé cette conclusion, considérant que Jordanès savait probablement le
grec, et qu’il consulta directement certaines sources dans cette langue, dont
Strabon, Dion Cassius et Ptolémée. Une preuve supplémentaire de sa véra-
cité serait qu’il donne à propos de ces auteurs des indications bibliogra-
F. LESTRINGANT, Arts et légendes d’espace. Figures du voyage et rhétoriques du monde, Paris, 1981,
p. 38 sq.
10 Éd. Fr. GIUNTA, A. GRILLONE, Iordanis de origine actibusque Getarum, Rome, pp. 8 et 9.
11 II, 11, 16.
LE SOUVENIR DE LA GÉOGRAPHIE DE PTOLÉMÉE DANS LE MONDE LATIN MÉDIÉVAL 83
phiques, et qu’il porte des jugements sur leur valeur. Ainsi Ptolémée, qualifié
d’« orbis terrae descriptor egregius » 12. Mais plusieurs autres explications
sont possibles, toutes plus ou moins convaincantes. Tout d’abord, c’est d’une
carte que Jordanès aurait tiré ses renseignements, comme l’indique la com-
paraison avec la feuille de cédratier. Ce procédé est fréquent dans les Getica.
Mais on l’a aussi attribué à Cassiodore, qui en use volontiers dans ses
Variae 13. Toutefois, le fait d’assimiler une région à un objet du monde végé-
tal ou animal ne paraît pas suffire à conclure qu’une carte était sous les yeux
de l’auteur. C’est là un procédé rhétorique, qui permet par l’emploi d’un lieu
commun une facile représentation d’espaces à la forme complexe, en les sim-
plifiant. D’ailleurs, Jordanès en ce passage cite une phrase, et renvoie donc
à un livre, ce qui se conçoit mal d’une carte. D’un autre côté, il a pu mal résu-
mer le texte qu’il avait sous les yeux, attribuant à Ptolémée, dans la première
occurrence, une phrase revenant à une autre autorité citée à proximité, ce
qui est concevable si, comme il le dit dans son prologue, il n’a disposé que
de trois jours pour mener sa tâche à bien. A vrai dire, on doute de cette affir-
mation, étant donnée la complexité de l’œuvre cassiodorienne, que l’abrévia-
teur avait dû avoir le loisir (peut-être à Vivarium) de lire auparavant de façon
plus approfondie. Enfin, Jordanès (ou son modèle) disposa peut-être d’une
version de la Géographie différente de celle que nous avons conservée. C’est
un élément à verser au dossier de sa diffusion dans le monde latin antique,
comme les réminiscences d’Ammien Marcellin, mais dont la nature est si
évanescente qu’il serait hasardeux d’être trop affirmatif. Je ne crois pas pour-
tant qu’une citation de quelques lignes soit une preuve suffisante de l’exis-
tence d’une traduction latine.
Quoi qu’il en soit de ces problèmes sur lesquels il est difficile de prendre
une position résolue, la connaissance, durant le Moyen Age, d’un Ptolémée
auteur d’une description du monde, fut bien assurée grâce à la considérable
diffusion des Getica. Mommsen pouvait en recenser une quarantaine de
manuscrits conservés, sans compter une dizaine de mentions, notamment
dans les catalogues de bibliothèques. Il est probable que ce chiffre pourrait
s’étendre, par une enquête systématique, au point de constituer l’indice d’un
« très grand succès » 14. Plusieurs historiens utilisèrent par la suite le résumé
de Jordanès : une dizaine au moins, de Paul Diacre à Otton de Freising, pour
se borner au XIIe siècle 15. Il est donc certain que nombreux furent ceux qui,
au courant de leur lecture, aperçurent et le nom et la qualité de l’Alexandrin,
« éminent auteur d’une description du monde ». Bien plus, certains extraits
insérés dans des chroniques élaborées ultérieurement y font allusion de
12 Fr. GIUNTA, Jordanes e la cultura dell’alto Medioevo, 2e éd., Palerme, 1988, pp. 120-121,
et n. 46, p. 125.
13 B. LUISELLI, “Cassiodoro e la storia dei Goti”, in Passagio del mondo antico al Medioevo.
Da Teodosio a San Gregorio Magno (Atti dei Convegni Lincei, 45), Rome, 1980, p. 244. Telle était
l’opinion de Mommsen, pour qui c’était ou bien une carte du IIe siècle, ou bien une description
de celle-ci, représentée par la Cosmographie de Julius Honorius ou celle de l’Anonyme dit de
Ravenne (Iordanis Romana et Getica, M. G. H., Auct. antiquissimi, t. V, 1, réimpr. Berlin, 1961,
pp. XXXI-XXXIII). Il ne semble pas voir de contradiction dans le fait d’attribuer la comparaison
avec la feuille de cédrat dans un cas à Ptolémée, dans l’autre à une carte.
14 Cf. B. GUENÉE, Histoire et culture historique dans l’Occident médiéval, Paris, 1980, p. 255.
15 Th. MOMMSEN, Iordanis Romana et Getica..., p. XLV, n. 85.
84 PATRICK GAUTIER DALCHÉ
16 Ibid., p. LXI sq. Plusieurs copies en subsistent. Il n’est pas hors de propos de souligner
que l’archétype de cette recension contenait les Histoires d’Orose et la Cosmographie du Pseudo-
Aethicus avant les Getica, suivies de l’Itinéraire d’Antonin ; ce qui donnait à l’ensemble une colo-
ration « géographique » notable.
17 M. G. H., SS., t. XIII, p. 679 ; t. VI, p. 119 (cf. MOMMSEN, Iordanis Romana et Getica...,
p. LV).
18 B. PEZ, Thesaurus anecdotorum novissimus, t. VI, pars II, 1729, p. 53, cité par
Mommsen, qui attribue la lettre à Rupert de Tegernsee, dont cette collection contient des
missives (éd. citée, p. XXXVII, n. 70). La transcription de G. BECKER est un peu différente
(Catalogi bibliothecarum antiqui, Bonn, 1885, n° 111, p. 228).
19 De praeconiis Hispaniae, éd. M. DE CASTRO Y CASTRO, Fray Juan Gil de Zamora OFM De
praeconiis Hispanie, Madrid, 1955, p. 333 ; il est bizarre d’en conclure qu’il « connaît et cite la
Description du monde » (ibid., p. CLXXXIV).
LE SOUVENIR DE LA GÉOGRAPHIE DE PTOLÉMÉE DANS LE MONDE LATIN MÉDIÉVAL 85
geographica, Berlin, 1860, pp. 23, 5-7. – Il ne découle pas de cet exposé que le Ravennate
ignore la théorie de la sphéricité de la terre, comme l’affirme L. Dillemann (La Cosmographie du
Ravennate..., p. 37).
22 « ... patria quae dicitur ab antiquis Amazonum... de qua patria subtilius agunt supra
patriae post terga infra Oceanum supra scripta insula Scanza inuenitur » (ibid., p. 175, 4-14) ;
« Iterum ad septentrionalem iuxta Oceanum nominatur patria Sarmatorum, quae confinalis
existit cum praenominata Roxolania. cuius patriae multi fuerunt descriptores philosophi ; ex
quibus ego legi Ptolomaeum regem Aegyptiorum ex stirpe Macedonum... » (ibid., p. 199, 13-200, 2).
23 O. SCHNETZ, “Jordanis beim Geographen von Ravenna”, Philologus, 81, 1926, pp. 86-100.
Selon L. Dillemann, au stade ultime de la compilation, Jordanès lui aurait été connu par un
résumé ou des regroupements « qui semblent bien avoir été inscrits sur une carte » (La Cosmo-
graphie du Ravennate..., p. 45 sq., 48). L’existence de cet intermédiaire, inutilement compliquée,
ne paraît pas démontrée.
24 Ibid., p. 45.
LE SOUVENIR DE LA GÉOGRAPHIE DE PTOLÉMÉE DANS LE MONDE LATIN MÉDIÉVAL 87
Parmi les auteurs latins de l’Antiquité, peu citèrent Ptolémée. L’un d’eux,
Martianus Capella, fut néanmoins responsable d’un autre aspect de sa survie
médiévale. Dans le livre des Noces de Philologie et de Mercure consacré à l’art
de géométrie, il cite son opinion sur la mesure de la circonférence terrestre.
Par ce biais, l’estimation de 500 stades pour la valeur du degré d’un grand
cercle fut largement répandue au Moyen Age 25. Martianus tira fort proba-
blement ce renseignement d’un intermédiaire latin, sans connaître directe-
ment la Géographie 26. Car il apparaît dans une sorte d’appendice détaché des
développements relatifs au résultat obtenu par Ératosthène, et consacré à la
conversion des stades en milles romains 27.
L’autorité de Ptolémée sur ce point ne fut d’ailleurs que très rarement
reconnue au Moyen Age. Mais ce n’est pas ce thème qui nous retiendra ici.
Martianus employa, pour désigner son œuvre, un terme corrrespondant au
titre grec : « quo loco non puto transeundam opinationem Ptolemaei in
geographico opere memoratam » 28. Comme les Noces devinrent, à l’époque
carolingienne, un manuel d’enseignement des arts libéraux abondamment
et fréquemment glosé, le geographicum opus de Ptolémée fit naturellement
partie de l’horizon de connaissance des savants des IXe et Xe siècles. Jean Scot
Erigène, en particulier, reprit cette mention dans une longue discussion du
Periphyseon sur la mesure de la circonférence terrestre, où il nota la contra-
diction entre la valeur choisie par Ératosthène (700 stades) et celles de Pline
et de Ptolémée (qui remontait à Posidonius) 29. Il résolvait le problème, et
sauvait l’accord de ces « sapientes sollertissimique naturarum inquisitores »
en jugeant que cela était dû à une valeur différente du stade. La notion d’un
Ptolémée géographe grec provenait dans ce cas des Noces. Mais Jean Scot
en eut sans doute aussi connaissance par un autre canal. En effet, outre la
Hiérarchie céleste du Pseudo-Denys, l’Érigène traduisit, selon toute probabi-
lité, les Solutiones ad Chosroem de Priscianus Lydus. Dans le prologue, parmi
les autorités que l’auteur dit avoir mises à contribution, figure « Ptolomaei
Geographia de klimatibus » 30, à côté de ses Astronomica. Par cette formula-
tion bizarre, on doute que l’ouvrage ait été connu de l’auteur des Solutiones,
qui se borna à associer deux réminiscences à propos de l’œuvre de l’Alexan-
drin : qu’il composa une Géographie, et qu’il traita des climata. Priscien
p. 209) ; le renvoi à l’estimation de Ptolémée en est séparé par un exposé sur la situation de la
terre dans l’univers, sur les zones et sur les quarts habitables.
28 VI, 609, éd. J. WILLIS, p. 213.
29 « Si autem quaeras cur Plinius Secundus et Ptolomeus in geografico suo, ut Martianus
scribit, non plus quam quingenta stadia singulis partibus distribuunt... non mihi facile occurrit
quid respondeam. » (III, 33, éd. I. P. SHELDON-WILLIAMS, Scriptores Latini Hiberniae, xi, Dublin,
1981, p. 252, 21-25). – Pour P. Duhem, Jean Scot « connaît et cite la Géographie de Ptolémée,
que ses prédécesseurs semblent avoir ignorée » (Le système du monde, t. III, Paris, 1958, p. 46) ;
il est suivi sur ce point par T. GREGORY, Anima mundi, Florence, 1955, p. 229.
30 Éd. I. BYWATER, Prisciani Lydi quae extant, Berlin, 1886 (Supplementum Aristotelicum
I, 2), p. 42.
88 PATRICK GAUTIER DALCHÉ
Solutiones ad Chosroem de Priscianus Lydus et Jean Scot”, in Jean Scot Érigène et l’histoire de la
philosophie (Colloques internationaux du C.N.R.S., DLXI), Paris, 1977, pp. 145-160.
32 Cf. en dernier lieu Cl. LEONARDI, “Martianus Capella et Jean Scot : nouvelle présen-
tation d’un vieux problème”, in Jean Scot écrivain. Actes du IVe colloque international d’études
érigéniennes, Montréal 28 août-2 septembre 1983, Montréal-Paris, 1986, pp. 187-207 ; et J. J.
O’MEARA, Eriugena, Oxford, 1988, p. 25 sq.
33 Éd. Cora E. LUTZ, Iohannis Scotti Adnotationes in Marcianum, Cambridge, Mass., 1939,
p. 141.
34 Ad VI, 611 (p. 214, 3-4 WILLIS = 301, 20 DICK) ; VI, 676 (p. 240, 7 WILLIS = 336, 21 DICK),
éd. Cora E. LUTZ, Remigii Autissiodorensis commentum in Martianum Capellam, t. II, Leyde,
1965, pp. 146 et 155.
35 De semblables préoccupations de mesures exactes, nées peut-être de la lecture des
Noces, se révèlent notamment dans le traité de l’irlandais Dicuil, le De mensura orbis terrae, écrit
en 825, un quart de siècle environ avant que Jean Scot n’arrive sur le continent ; ce point est
développé dans P. GAUTIER DALCHÉ, Géographie et culture. La représentation de l’espace du VIe au
XIIIe siècle, Aldershot, 1997 (Variorum Collected studies series 592), art. IV, pp. 139-141.
LE SOUVENIR DE LA GÉOGRAPHIE DE PTOLÉMÉE DANS LE MONDE LATIN MÉDIÉVAL 89
textes 36. Mais il est un passage qui évoque plus directement la Géographie.
Ce peut être une illusion. A propos des Sarmates mentionnés par Martianus
(VI, 303, 15), le commentaire glose « id est Guinedorum » 37. Il est vrai que
d’autres géographes mentionnent côte à côte les Sarmates et les Wendes.
Pour Pline, la région de la Baltique à la Vistule est habitée « a Sarmatis, Vene-
dis, Sciris... » 38 ; Tacite, quant à lui, exprime des doutes sur la localisation des
Wendes en ces lieux 39. La Tabula Peutingeriana place côte à côte Saramatae
et Venadi Sarmatae 40. Mais Ptolémée est le seul à associer aussi nettement
la région et le peuple slave des Wendes : « Katevcei de; th;n Sarmativan e[qnh
mevgista o{i te Oujenevdai... » 41 . Voir dans cette mention fugace l’indice d’une
connaissance de l’œuvre par les savants carolingiens serait fort hardi. Ce
détail, probablement de hasard, parvenu là noyé dans le flot continu de
gloses et d’interprétations qui accompagnait la lecture des auteurs depuis
l’Antiquité, n’a été sans doute laissé dans le commentaire que pour nous faire
regretter qu’il ne se soit pas trouvé en Occident un manuscrit de la Géogra-
phie, alors que des conditions intellectuelles favorables furent réunies,
durant un bref laps de temps, pour qu’elle y fût consultée.
36 Éd. LUTZ, pp. 137, 140, 146. – Sur le fond des démonstrations de Remi, cf. Natalia
exprimer des nombres, l’absence de mots arabes, lui fit conclure qu’il s’agit,
non pas d’une traduction, mais d’un traité original, sans doute élaboré en
Sicile, quoique l’attribution au traducteur Étienne, trésorier d’une église
d’Antioche ne lui parût pas exclue 42. Cette proposition d’identification fut
par la suite tenue pour probable 43.
Dans le manuscrit unique transmettant le Liber Mamonis, une discus-
sion sur différentes façons de diviser l’habitable en climata s’organise de
cette façon :
Dans ce rapide exposé, alors que les limites des climata empruntés à
« Tholomeus in astronomia magnificus » proviennent de l’Almageste, les
chiffres indiqués en (5) pour l’étendue de l’œcumène selon Ptolémée in libro
de habitatione correspondent exactement à ceux de la Géographie : la limite
méridionale est à 16° 25/60 au delà de l’équateur, et sa largeur totale est de
79° 25/60 45. La description que Stephanus donne de cet ouvrage est parfai-
tement cohérente avec ses caractères spécifiques : la Géographie associe en
effet les « antiquorum scripta », expression où l’on peut voir les auteurs criti-
qués par Ptolémée, dont Marin de Tyr, et « sui temporis hominum relatio »,
c’est-à-dire les itinéraires dont il utilisa les données. Il est donc sûr
qu’Étienne avait une idée assez précise du contenu réel du livre ; mais il est
difficile de savoir si cette vue exacte venait d’une consultation de l’original
grec, ou d’intermédiaires orientaux. Le titre du traité peut mettre sur la voie.
Selon l’opinion de Ch. Haskins, « Liber Mamonis » renvoie à Maïmonide.
Or rien n’y évoque l’œuvre du philosophe. Il serait sans doute plus légitime
de voir dans ce nom une évocation du calife abbasside al-Ma’mun (813-833),
qui fut un promoteur des études astronomiques et cartographiques. Il fit
traduire à deux reprises l’Almageste ; et la traduction latine de l’une de ces
42 Ch. H. HASKINS, Studies in the history of mediaeval science, Cambridge, Mass., 1927,
p. 103.
43 M.-Th. D’ALVERNY, “Translations and translators”, in Renaissance and renewal in the
C. MÜLLER, p. 26).
LE SOUVENIR DE LA GÉOGRAPHIE DE PTOLÉMÉE DANS LE MONDE LATIN MÉDIÉVAL 91
« Sed terre tomitane insulam que Tule appellatur latitudinis lviii gra-
duum et x minutorum esse nouimus, Muamet Choariçmi in tabula que
quorundam ciuitatum tam latitudinem quam longitudinem continet
atestante quam etiam de libro Tolomei qui Algioraphie id est fr̄m intitulatur
excerpsisse narratur, extra vii climatis terminum eam sitam fore cunctis
certum est » 50.
science..., pp. 96-98. La transcription et les interprétations procurées par E. CHABANIER sont
fausses et fantaisistes (“La filiation de la table de Raymond de Marseille et les tables dites ptolé-
méennes du Moyen Age”, Comptes rendus du Congrès international de Géographie, Amsterdam
1938, t. II, Leyde, 1938, pp. 101-117). Les mêmes qualités s’observent dans les autres articles du
même auteur sur le même sujet (“Un cosmographe du XIIe siècle capable de mesures exactes
de longitude”, Académie des Inscriptions et Belles-Lettres, Comptes rendus, 1932, pp. 344-352 ; “La
géographie méthématique dans les manuscrits de Ptolémée”, Bulletin de la section de géographie
du Comité des travaux historiques et scientifiques, 49, 1934, pp. 1-22).
50 Paris, B.N.F., lat. 16208, f° 26 r°a.
92 PATRICK GAUTIER DALCHÉ
51 Les rapports de cet ouvrage avec Ptolémée et les entreprises cartographiques du calife
abbasside sont mal élucidés (C. A. NALLINO, “Al-Huwârizmî e il suo rifacimento della Geografia
di Tolomeo”, Atti della Reale Accad. dei Lincei, Cl. di Scienze morali, storiche e filol., 5e série, 2,
1894, pp. 3-53, notamment p. 20 ; E. HONIGMANN, Die sieben Klimata..., pp. 114-116, 122-134 ;
G. R. TIBBETTS, “The beginnings of a cartographic tradition...”, p. 100 sq.).
52 G. J. TOOMER, “A survey of the Toledan Tables”, Osiris, 15, 1968, p. 135 sq.
53 Il subsiste trois manuscrits du De cursibus stellarum, dont un ne contenant que la pré-
face, sans les tables (R. MERCIER, “Astronomical tables in the twelfth century”, in Ch. BURNETT
éd., Adelard of Bath. An English scientist and arabist of the early twelfth century, Londres, 1987
[Warburg Institute surveys and texts, XIV], p. 107) ; et un manuscrit du Liber iudiciorum. Quel-
ques citations des tables paraissent se trouver dans d’autres manuscrits du XIIe siècle.
54 P. KUNITZSCH, “Glossar der arabischen Fachausdrücke in der mittelalterlichen euro-
päischen Astrolabliteratur”, Nachrichten der Akademie der Wiss. in Göttingen, Philol.-hist. Kl.,
1982, Nr. 11, p. 486 sq.
LE SOUVENIR DE LA GÉOGRAPHIE DE PTOLÉMÉE DANS LE MONDE LATIN MÉDIÉVAL 93
… et cum hoc feceris scito quod fuerit His autem taliter insignitis quantum
superfluum inter regionem tuam et longitudinis inter tuam et illam notam
regionem notam ex longitudine secun- regionem secundum mencionem longi-
dum hoc quod ceciderit de mentione tudinum regionum in libro Geraphie a
longitudinum in libro Algearasie, quod si doctissimo Ptolomeo habitam fuerit
fuerit longitudo regionis plus longitudine inquire et si regionis illius longitudinem
regionis tue erit a te procul dubio orien- tue regionis longitudinem maiorem
talis, tunc moue almeri id est ostentorem inueneris, illam incunctanter a regione
graduum in limbo a loco suo in partem tua orientalem esse non ambigas. Versus
orientis secundum quantitatem numeri orientalem itaque partem almeri secun-
qui fuerit inter utrasque longitudines ; dum illius numeri quantitatem qui inter
si uero fuerit longitudo regionis minus earundem regionum longitudines conti-
longitudine regionis tue erit a te absque nebitur diligenter a loco suo conputando
dubio occidentalis, et tunc moue almeri moue. Si autem predicte regionis longi-
graduum a loco suo in partem occiden- tudo tue regionis longitudinem minor
talem secundum numerum que fuerit extiterit, erit a regione tua nimirum occi-
inter utrasque longitudines... » 57. dentalis. In occidentalem igitur plagam
almuri a loco suo in quo tue fuerit secun-
dum illum numerum in quo tue regionis
longitudo illius regionis longitudinem
excesserit uertas » 58.
teca Catedral de Toledo, Madrid, 1942, p. 275. L’arabe zunt désigne ici le zénith. La graphie « Alga
Rasie » est fautive. – Cette mention fut relevée par E. HONIGMANN, Die sieben Klimata..., p. 114, à
la suite de M. STEINSCHNEIDER ; en dernier lieu, par J. VERNET, J. SAMSÓ, “Les développements de
la science arabe en Andalousie”, in R. RASHED (éd.), Histoire des sciences arabes, t. I (Astronomie,
théorique et appliquée), Paris, 1997, p. 282.
56 Oxford, Bodleian Library, Digby 51, f° 32 v°b.
57 Éd. J. M. MILLÁS VALLICROSA, p. 276. Zunt désigne ici l’azimut (cf. P. KUNITZCH, “Glossar
C’est la première fois que l’on attribuait une valeur opératoire à la Géographie.
Cette explication démontre que l’ouvrage, en traduction arabe, était dispo-
nible dans la péninsule Ibérique dans la première moitié du XIe siècle ; il est
permis de rêver que Jean de Séville, Platon de Tivoli, Gérard de Crémone, ou
quelque autre des traducteurs qui y cherchèrent des textes arabes, en virent
un exemplaire. Dans la première occurrence seulement, le manuscrit utilisé
par l’éditeur corrige en marge « Alga Rasie » en « Almagestum ». Le lecteur
responsable de cette erreur, qui connaissait le chapitre de l’Almageste qui
traite des coordonnées d’une façon différente de la Géographie, ramena ainsi
l’inconnu au connu 59.
Le traité d’Ibn al- Saffár
. rendu en latin par Jean de Séville est transmis
par une douzaine de manuscrits 60 ; la version de Platon semble moins répan-
due 61. Les chapitres XXVI à XXXII avec les allusions à l’œuvre de Ptolémée
furent insérés dans un exemplaire de la deuxième moitié du XIIe siècle conte-
nant le De utilitatibus astrolabii du Pseudo Gerbert, sous une forme légère-
ment différente, ce qui laisse supposer une circulation importante 62. Mais il
convient de remarquer que ces passages n’apparaissent pas dans le remanie-
ment très répandu qui circula par la suite sous le nom de Messallah, et qui
fut abondamment utilisé par Chaucer pour élaborer en anglais son propre
traité d’astrolabe.
Platon de Tivoli traduisit aussi le célèbre traité d’al-Battání († 929),
l’Albategnius des Latins. Le De scientia astrorum, qui eut une grande
influence sur l’astronomie occidentale, puise abondamment dans l’œuvre de
Ptolémée. L’original comporte une liste des points centraux de chaque région
accompagnés de leurs coordonnées (provenant de Géographie VIII, 29), et les
coordonnées de 180 cités et d’autres êtres géographiques, correspondant
assez exactement aux chiffres de Ptolémée 63. Bien qu’elle y fasse allusion, la
traduction de Platon de Tivoli ne reproduit pas ces tables. Mais le chapitre VI,
dont le titre seul évoque déjà la Géographie (« in scientia proprietatum
uniuscuiusque linearum ad inuicem equinoctiali circulo parallelorum... et in
enarratione locorum terre inhabitatorum, quorum longitudo et latitudo
in figure terre libro deprehenditur ») renferme d’abord un exposé sur la déter-
mination de la latitude, puis sur les ombres et les durées du jour le plus long
suivant les différents parallèles. Ce matériau ne paraît pas fort différent de
ferme en fait le traité d’astrolabe de Raoul de Bruges (Arabic astronomical and astrological
sciences..., p. 143).
62 Munich, Bayerische Staatsbibl., Clm 13021, f° 77 r° pour les mentions de la Géographie
(« alge araphia » ).
63 Éd. C. A. NALLINO, Al-Battānı̄, sive Albatenii Opus astronomicum (al-Zı̄j al- Sābi’), t. I,
.
Milan, 1899, p. 28 ; utile résumé sur les aspects géographiques du al-Zı̄j al- S. ābi’ par G. R. TIB-
BETTS, “The beginnings of a cartographic tradition...”», p. 97 sq.
LE SOUVENIR DE LA GÉOGRAPHIE DE PTOLÉMÉE DANS LE MONDE LATIN MÉDIÉVAL 95
ce que l’on peut lire dans l’Almageste 64. Mais la suite rappelle davantage la
Géographie. On y lit successivement :
64 Et d’ailleurs, la table de l’ouvrage, dans le ms. lat. 7266, f° 48 r°a-49 v°a, a des renvois
poursuit en évoquant des erreurs dans les coordonnées indiquées « in libro illo » ; sur ce pro-
blème voir HONIGMANN, Die sieben Klimata..., p. 124.
66 Selon NALLINO, al-Battání aurait utilisé la traduction de Thabit b. Qurra (Al-Battānı̄,
sive Albatenii Opus astronomicum..., t. II, p. 211) ; ce qui n’a pas convaincu HONIGMANN qui pen-
chait pour la traduction d’al-Kindí (Die sieben Klimata..., pp. 124-125) ; cf. aussi G. R. TIBBETTS,
“The beginnings of a cartographic tradition...”, p. 100.
96 PATRICK GAUTIER DALCHÉ
Arsenal 8322)
68 NALLINO, Al-Battānı̄, sive Albatenii Opus astronomicum..., t. II, p. VIII.
69 Introductorium maius, VI, 8 (éd. Augsbourg, 1489).
LE SOUVENIR DE LA GÉOGRAPHIE DE PTOLÉMÉE DANS LE MONDE LATIN MÉDIÉVAL 97
clairement d’une mappemonde 70. Dans son traité De essentiis, il fit à quatre
reprise le même renvoi, dans des contextes pour la plupart « cartographiques » :
Il n’est pas sûr que tous ces renseignements proviennent d’une carte, car
ils font partie du stock de notions transmises par Pline, Solin, ou Isidore de
Séville, et peuvent apparaître aussi bien sous forme textuelle que cartogra-
phique. Néanmoins, de la même façon que, dans sa traduction d’Albumasar,
Hermann avait tenté de donner un équivalent latin de la géographie de son
modèle, de même ici la notion de girographus (désignant celui qui décrit le
monde in girum, comme le fait une mappemonde ?) l’aide à élaborer une
géographie permettant de comprendre ces discussions d’ordre cosmographi-
ques. Il est tentant de penser qu’il fut en cela influencé par ce qu’il avait pu
l’espace au XIIe siècle”, dans Renovación intelectual del Occidente europeo (siglo XII), Pampelune,
1998 (XXIV Semana de estudios medievales Estella, 14 a 18 de julio de 1997), p. 210 sq.
71 Livre II, éd. Ch. BURNETT, Hermann de carinthia De essentiis. A critical edition with
translation and commentary, Leyde-Cologne, 1982 (Studien und Texte zur Geistesgeschichte des
Mittelalters, XV), p. 200, l. 2-3.
72 Par exemple celle de Hugues de Saint-Victor (éd. P. GAUTIER DALCHÉ, La Descriptio
mappe mundi de Hugues de Saint-Victor. Texte inédit avec introduction et commentaire, Paris,
1988, p. 147, l. 378), une source possible étant les Étymologies d’Isidore de Séville.
73 Éd. Ch. BURNETT, p. 214, l. 23-24.
74 Ibid., pp. 30 et 334.
75 Ibid., p. 224, l. 27-28.
76 Ibid., p. 226, l. 8-9.
98 PATRICK GAUTIER DALCHÉ
« ... Dicit Ptholomeus in libro suo ubi nominauit ciuitates, insulas et maria,
et quomodo diuiduntur per dominia signorum et planetarum, et posuit
radicem numeri et elongationum Alexandrie, dicens quod hec ciuitas est
Leonis et Martis, quia hore sue sunt 14, et longitudines insularum a prin-
cipiis sunt 60 gradus et 30 minuta qui faciunt 4 horas equales et tertiam 80
decime hore, et super hanc radicem nominate fuerunt omnes longitudines
ciuitatum, quas nominare (noluimus cod.) in hoc libro, ne ratio elongetur
in eo quod utilitatis non est, quia qui eas uidere uoluerit inspiciat eas in
illo libro » 81.
est « améliorée » ; il serait préférable de consulter celle de Venise, 1485, que je n’ai pu voir) ;
cf. E. HONIGMANN, Die sieben Klimata..., p. 179 sq.
– ?) ; l’équivalent d’un demi-degré est 1/30 d’heure,
80 La lecture de ce mot est difficile (t’mi
« Dixit etiam in illo libro quod corpora celestia dant rebus inferius sub
eis existentibus uirtutes eis similes, rebus ipsis habentibus aptitudinem
naturalem ad eas recipiendas ; et talem rationem qualis est ista dixit in
multis locis : in libro suo Almagesti... et talia uerba dixit etiam in libro
suo de aspectibus, et uerba que dixit in libro suo de mappa mundi assimu-
lantur etiam eis que dixit in secundo (sic) tractatu huius libri quando
locutus fuit de partitione populationis terre... » 85.
Dans le chapitre III du livre deuxième qui est ici évoqué, Ptolémée développe
les affinités des régions de l’œcumène avec les triplicités zodiacales et les
étoiles (« In similitudine regionum cum triplicitatibus et stellis »). L’œcumène
est divisée en quatre parties, à l’aide de deux lignes (soit un parallèle et un
méridien) se coupant à angle droit. Le commentaire d’ cAlí est à la fois
descriptif et nourri de précisions chiffrées concernant les coordonnées de
certaines points remarquables. Il y a donc là, pour un lecteur, une possibilité
objective de comparer grosso modo ce passage de la Tétrabible et la Géogra-
phie. Mais le plus remarquable est l’interprétation du titre de cette dernière,
précisée dans le chapitre lui-même, où la « figura terre », que l’on a rencon-
82 G. HILTY, Aly Aben Ragel, El libro conplido en los iudizios de las estrellas. Traducción
hecha en la corte de Alfonso el Sabio, Madrid, 1954, p. LX ; je n’ai pu consulter la version judéo-
portugaise du début du XVe siècle présente dans le ms. Oxford, Bodleian Library, Laud. or. 310,
aux dires de l’éditeur.
83 « Ptholome dit en son liure ou il nomme les citez et les isles et les mers, et comment ilz
sont diuisees par les seignouries des signes et des planetes et mist la racine du nombre et de la
elongacion d’Alixandre et dist que ceste cite est du lion et de mars, car ses heures sont 14 et la
longitude des isles des seur commencement sont 60 degrez et 30 minutes qui font 4 heures
egaulx et se terme de la 10e heure, et sur ceste racine sont toutes les longitudes des citez que
nous voulons nommer car nous ne voulons pas faire longue parole en ce qui n’est de proufit, et
qui les veust veoir regarde les lieux en ce liure. » (Paris, B.N.F., fr. 1352, f° 270 r°a).
84 Cf. E. HONIGMANN, Die sieben Klimata..., p. 114.
85 Paris, B.N.F., lat. 16653, f° 2 r°.
100 PATRICK GAUTIER DALCHÉ
tré déjà dans une traduction de Platon de Tivoli, est clairement donnée
comme équivalent de « mappa mundi » :
« Ego autem narro tibi factum harum terrarum quia scio quod tibi
demonstrabunt que sunt, et recordare quod tibi dixi, ut hec nomina
perquires in libro mappe mundi Tholomei et cum quo signo concordant et
cum quo planeta » 87.
86 Ibid., f° 48 v°.
87 Ibid., f° 50 vº.
88 L. DELISLE, Le cabinet des manuscrits de la Bibliothèque impériale [nationale], t. II, Paris,
rant les deux moitiés occidentales : « Amfitrites enim impedit ex parte occidentis ne longitudo
illius quarte sit 90 graduum. » (Paris, B.N.F., lat. 16653, f° 48 r°).
LE SOUVENIR DE LA GÉOGRAPHIE DE PTOLÉMÉE DANS LE MONDE LATIN MÉDIÉVAL 101
90 « en son livre de mappemonde » ; « son autre livre que il fist de la figure de l’abitation
de la terre » ; « en livre de la mappemonde de Ptholomee » (Paris, B.N.F., fr. 1348, f° 2 v°b, 66 v°b,
69 v°a ; sur le traducteur, M. LEJBOWICZ, “Guillaume Oresme, traducteur de la Tétrabible de
Claude Ptolémée”, Pallas, 30, 1983, pp. 107-133). « en son livre de la mappemonde » ; « en son
autre livre qu’il fist de la figure de l’habitacion de la terre » ; « ou livre de la mappemonde
Ptholome » (Paris, B.N.F., fr. 1349, f° 4v°a-b, 69 r°a, 72 v°a).
91 II, 31, éd. A. D. MENUT, A. J. DENOMY, Madison-Londres, 1968, p. 566. Voir en outre les
Turnhout, 1997, p. 206 sq. (la cote du ms. indiqué « BN MS univ. paris 1037 » est en fait « Bibl.
de l’Université, Sorbonne 1037 » ) ; L. THORNDIKE, History of magic and experimental science, t. III,
1934, pp. 329-334, 718-719.
93 Paris, Bibl. de l’Université, Sorbonne 598, f° 35 v°b.
94 Ibid., f° 37 r°b (« figura secunda prouinciarum quas gubernant signa et planete secun-
Biblioteca Catedral de Toledo, Madrid, 1942, p. 291 (d’après Madrid, B.N. 10059). Le ms. Londres,
British Library, Arundel 377, ne contient pas ce texte, contrairement à ce qu’indique CARMODY,
Arabic astronomical and astrological sciences..., p. 142.
97 I, c. XXVIII, éd. J. L. MANCHA, “La versión alfonsí del Fí hay’at al-cÁlam (De configura-
tione mundi) de Ibn al-Haytam (Oxford, Canon. misc. 45, ff. 1r-56r) », in M. COMES, H. MIELGO,
J. SAMSÓ, “Ochava espera” y “astrofísica”. Textos y estudios sobre las fuentes árabes de la astro-
nomía de Alfonso X, Barcelone, 1990, p. 164.
98 Le passage cité de la traduction d’Abraham Judaeus annonce une figure, qui n’est
pas reproduite dans l’édition. Il n’est pas possible de savoir si le manuscrit en comporte une
en cet endroit.
99 Voir. P. DUHEM, Le système du monde, t. II, p. 428 sqq.
LE SOUVENIR DE LA GÉOGRAPHIE DE PTOLÉMÉE DANS LE MONDE LATIN MÉDIÉVAL 103
*
Il y a donc trois courants qui permirent au souvenir de la Géographie de
Ptolémée de subsister en Occident : la tradition de deux œuvres de l’Antiquité
tardive, les curiosités des savants carolingiens, les traductions de l’arabe rela-
tives à l’astronomie et à l’astrologie. Après le XIIIe siècle, les mentions origi-
nales de la Géographie semblent devenir plus rares. Mais une plongée dans la
terra en partie incognita de la littérature scientifique du XIVe siècle ferait sans
doute apparaître des allusions en plus grand nombre. Je ne suis pas certain,
toutefois, qu’elles puissent procéder d’une origine bien différente de celle
des mentions qui viennent d’être évoquées 101. Certes, et par provision, on ne
saurait assurer qu’elles furent toujours exactement comprises, ni qu’elles
eurent une influence décisive sur la représentation de l’espace. Mais que cette
connaissance fût indirecte et partielle ne veut pas dire qu’elle ait toujours été
imprécise et confuse. Grâce à elles, la notion d’une bonne partie du contenu
du livre subsista. L’image d’un Ptolémée « cosmographe » à la manière de
Pline ou de Pomponius Mela, c’est-à-dire auteur d’une description littéraire
du monde, fut corrigée et complétée, à partir du XIIe siècle, par l’effet des
traductions de l’arabe. Pour les astronomes et les astrologues, son ouvrage,
au titre explicite, renfermait des listes de coordonnées géographiques de
lieux de l’œcumène, et comportait un aspect cartographique plus ou moins
nettement souligné. La grande diffusion du commentaire d’ cAlí ibn Ridwán
et du De configuratione mundi d’Ibn al-Haytham permit sans doute à cet
aspect de devenir prépondérant, mais sans toutefois que le contenu théori-
que du livre puisse être pris en compte. Il serait mal venu de reprocher aux
savants occidentaux cette méconnaissance d’une partie essentielle de l’œu-
vre, consacrée aux différentes projections, encore moins de regretter qu’ils
n’aient pas, en général, tenté d’y obvier en dressant des cartes à l’aide des
coordonnées dont ils disposaient. Dans la période la plus ancienne, les
savants arabes eux-mêmes ne s’intéressèrent guère aux parties théoriques de
la Géographie, alors qu’ils disposaient du texte complet dès le IXe siècle. La
mise en œuvre cartographique des principes et des données ptoléméennes ne
s’observe qu’à partir du XIVe ; elle fut d’ailleurs rare et ne dépassa pas un
niveau assez rudimentaire 102.
Comment, enfin, expliquer l’attrait des Palla Strozzi, des Coluccio Salu-
tati, des Niccolò Niccoli, des Leonardo Bruni ? Ces humanistes se passion-
nèrent pour la Géographie de Ptolémée ; ils en obtinrent un exemplaire, en
100 Voir P. GAUTIER DALCHÉ, “Les coordonnées géographiques dans le moyen Age latin”,
in L. CALLEBAT (éd.) Science antique, science médiévale (Autour d’Avranches 235), Avranches-
Mont-Saint-Michel, 4-7 septembre 1998 (à paraître).
101 Les dires de Simon de Phares sur une traduction faite pour Charles V sont une recons-
truction (éd. J.-P. BOUDET, Le Recueil des plus célèbres astrologues de Simon de Phares, Paris,
1997, p. 299 sq.).
102 G. R. TIBBETTS, “The beginnings of a cartographic tradition...”, p. 106 sq., 149 sqq.
104 PATRICK GAUTIER DALCHÉ
ANNEXE
Ve-VIe siècles :
IXe-Xe siècles :
XIIe siècle :
XIIIe siècle :
XIVe siècle :
Guillaume Oresme – en son livre de mappemonde ; son autre livre que il fist de la
figure de l’abitation de la terre ; en livre de la mappemonde de
c
Ptholomee (trad. de la version latine du commentaire d’ Alí ibn
Ridwán au Quadripartitum)
? – en son livre de la mappemonde ; en son autre livre qu’il fist de la
figure de l’habitacion de la terre ; ou livre de la mappemonde
Ptholome (Paris, B.N.F., fr. 1349, trad. de la version latine du
c
commentaire d’ Alí ibn Ridwán au Quadripartitum)