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École pratique des hautes études.

Section des sciences historiques


et philologiques. Livret-Annuaire

Représentations de l'espace de l'Antiquité tardive au XVIe siècle


Patrick Gautier Dalché

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Gautier Dalché Patrick. Représentations de l'espace de l'Antiquité tardive au XVIe siècle. In: École pratique des hautes études.
Section des sciences historiques et philologiques. Livret-Annuaire 15. 1999-2000. 2001. pp. 120-123;

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120 Rapports sur les conférences 1999-2000 — Patrick GAUTIER DALCHÉ

LES REPRÉSENTATIONS DE L'ESPACE EN OCCIDENT


DE L'ANTIQUITÉ TARDIVE AU XVIe SIÈCLE

Directeur d'études : M. Patrick GAUTIER DALCHÉ

Programme de l'année 1999-2000 : 1. Les antipodes au Moyen Âge. — II. Édition et commentaire de texte : le
Liber de divisione orbis terrarum (XIIIe siècle). — III. La Géographie de Ptolémée en Occident (IVe-
XVe siècle), les jeudis de 11 h à 13 h.

Une partie du programme de l'année a reposé sur l'étude de deux textes contenus dans un
manuscrit de la Bibliothèque Vaticane, appartenant au fonds Barberin (lat. 2687). Datant du
XIVe siècle et d'origine italienne, il paraît avoir été copié dans un milieu lié aux activités
commerciales. Outre des récits de voyages bien connus (Riccold de Monte Croce, Marco Polo), il
transmet deux textes anonymes, dans une copie très malhabile qui en rend la compréhension
souvent difficile.
I. Le premier texte est en forme de quaestio disputata et traite de la localisation du
Paradis terrestre aux antipodes, ainsi que de son habitabilité : II entre en résonance avec le contenu
cosmographique de la Divina Commedia, et date probablement de la fin du XIIIe siècle.
Pour situer ce texte au contenu inhabituel, on a d'abord retracé à grands traits l'histoire de
la situation du Paradis, ainsi que celle de la notion d'antipodes. Sur la localisation de l'Eden,
il existe une littérature abondante, répondant rarement à des exigences scientifiques. Aux
incertitudes liées, dans l'Antiquité tardive, à la définition même de l'Eden et à ses fonctions,
correspond une localisation incertaine. Puis, à la suite de l'exégèse de Bède le Vénérable, de la
Glose ordinaire et des Sentences de Pierre Lombard, s'établit au XIIe siècle l'opinion selon
laquelle le Paradis est un lieu réel, situé à l'orient de l'œcumène, qui fait partie de la terre
habitée mais est inaccessible. Cette définition, en apparence simple, posait des questions qui
mettaient en jeu les conceptions de la sphère, ainsi que la connaissance du monde habité,
notablement élargie et précisée au XIIIe siècle : peut-on situer plus précisément le Paradis par
rapport aux régions connues ? et quelle est la nature de l'obstacle qui le rend inaccessible ?
En ce qui concerne les antipodes, les théories exprimées par les auteurs de l'Antiquité ont
été bien étudiées. Il n'en va pas de même pour les textes médiévaux, nombreux et encore en
grande partie terra incognita. Au Moyen Âge, la notion d'antipodes, habitants de
l'hémisphère inférieur ou de la zone tempérée australe, est un lieu commun cosmographique. Mais en
accepter la réalité supposait, comme l'avait noté saint Augustin, la fausseté de l'Écriture,
puisque cette humanité n'aurait pu descendre du premier homme, à cause de l'océan
infranchissable nous séparant de ces lieux. Entre ces deux postulations contradictoires, les auteurs ont
hésité, de l'acceptation implicite, qui est la plus fréquente, au rejet formel. Dans tous les cas,
les discussions de ce problème ont préparé de longue date l'expansion européenne de la fin du
Moyen Âge.
La Quaestio de situ paradisi terrestris conjoint ces deux interrogations : elle traite d'une
question théologique dans un cadre cosmographique et géographique, à partir de textes
répandus dans l'enseignement universitaire, mais aussi de la traduction latine du De fide
orthodoxa de Jean Damascène : c'est ce qui fait son originalité. L'auteur associe la géographie
descriptive (description de l'œcumène à partir de l'Imago mundi d'Honorius Augustodunensis)
et la cosmographie (théorie des zones d'après Macrobe, mesure de la circonférence et du
diamètre de la sphère terrestre, valeur du degré selon Alfraganus ; citations du De proprietatïbus
elementorum du Pseudo-Aristote). Sa conclusion est négative : le Paradis, qui convient à
l'habitation humaine, ne peut être situé aux antipodes, car il n'y a pas d'humanité en ces
lieux ; il est à l'orient de l'œcumène qui s'élève au-dessus des eaux pour des raisons
providentielles.

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On a ensuite comparé les idées et le mouvement de ce texte à d'autres élaborations


scolastiques sur la localisation du Paradis datant du XIIIe siècle ou du début du XIVe siècle. Le
seul qui accepte une localisation du Paradis dans l'hémisphère austral est Albert le Grand,
dans la deuxième partie (De homine) de la Summa de creaturis. Il semble que la Quaestio de
situ paradisi terrestris ait été élaborée dans l'intention de s'opposer à une tendance à placer le
Paradis dans des régions conceptuellement rapprochées du monde connu par l'extension récente
des explorations et par le développement des spéculations cosmographiques.

II. Le second texte, lui aussi anonyme, s'intitule Liber de divisione orbis terrarum. Son
intérêt est double. L'auteur montre une conscience aiguë des mutations politiques qui ont affecté
les espaces européens de domination (ce qui permet de dater le texte de l'extrême fin du XIIIe
siècle), et tente ainsi de donner un tableau de géographie politique. Il utilise des sources de
connaissance qualifiées de « modernes », en les intégrant dans une image du monde composée
selon les canons traditionnels, mais profondément et consciemment renouvelée dans son contenu,
pour suppléer aux insuffisances de ses prédécesseurs. La source essentielle, qui ainsi apparaît
pour la première fois dans une élaboration géographique, est le portulan (compassus nauta-
rum), outil technique jusque-là réservé aux seuls praticiens du commerce et de la navigation.
L'auteur présente ainsi fréquemment le contrepoint des opinions des veteres sur le découpage du
monde, et de celles des moderni, en portant particulièrement son attention sur les vicissitudes
du peuplement.
Parallèlement à l'étude du contenu, on a tenté d'identifier l'auteur, assez original pour
présenter un tableau proche des textes du plein XIVe siècle. Plusieurs hypothèses ont été
examinées, fondées sur la date certaine, et sur plusieurs renvois que fait l'auteur à d'autres
parties de la même (?) œuvre, notamment à l'une d'entre elles appelée Quadrupartira (sic
pour Quadripertita). On a pensé un temps à Ptolémée (Bartholomé) de Lucques, avec qui l'on
observe des correspondances de vocabulaire et de sources, et qui projeta d'écrire une Quadri-
partita historia. Mais un autre candidat s'est révélé : Barthélémy de Parme, astrologue et
géomantien fort décrié par l'érudition moderne, qui semble pourtant avoir joué un rôle
important dans la transmission des œuvres de Michel Scot. Le Tractatus de sphera, dont on
possède un manuscrit vraisemblablement autographe, et surtout le Liber philosophiae
Boethii, montrent la même attention aux moderni (compassus et mappa mundi, soit portulan et
carte marine), et présentent de nets parallèles de contenu.

III. La traduction latine de la Géographie de Ptolémée, dans la Florence humaniste du


début du XVe siècle est encore souvent considérée à la fois comme une redécouverte du
géographe alexandrin après des siècles d'oubli, et comme la cause et le signe d'une rupture
essentielle entre une conception médiévale de l'espace, où domineraient les valeurs (relevant
du symbolique, ou de l'imaginaire, ou du primitif)/ et une conception renaissante marquée par
le réalisme et le rationnel. La carte ptoléméenne, fondée sur un réseau de coordonnées
géographiques, joue un rôle essentiel dans cette approche. De plus, la représentation de l'espace
ainsi caractérisée comme « nouvelle » entre en rapports paradigmatiques, dans
l'historiographie courante, avec la « naissance de la science moderne » caractérisée par l'association de
l'expérience et de la mathématique.
Sous un intitulé en apparence sans contenu, la troisième partie du programme a donc eu pour
ambition de commencer à réexaminer cette opposition, due pour l'essentiel à la postérité de
Jacob Burckhardt, qui a déjà fait l'objet, dans d'autres domaines disciplinaires, de critiques
nombreuses.

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On a d'abord défini la nature de la Géographie et présenté ce que l'on sait de l'histoire du


texte grec. C'est une œuvre composite dont la critique peine à définir précisément les
caractères. Deux vues traditionnelles doivent être corrigées : 1) Ptolémée ne fournit aucunement une
théorie mathématique de la projection de la sphère sur un plan, mais des procédés empiriques
pour dessiner des cartes ; les tentatives pour associer la traduction florentine et la découverte
de la perspective par Brunelleschi, qui ont méconnu ce fait, doivent donc être sérieusement
reconsidérées. 2) Longitude et latitude, telles qu'elles sont définies et mises en œuvre dans
l'Antiquité, ont un contenu et une signification fort différents de ce que nous entendons sous les
mêmes termes : la notion de réseau abstrait de coordonnées est absente de la géographie
grecque.
On a ensuite constaté que les auteurs grecs ou latins qui paraissent avoir utilisé la
Géographie ne se sont pas intéressés à ce qui fait son originalité essentielle selon la critique
contemporaine, à savoir la détermination des coordonnées et le dessin de cartes : Protagoras
convertit les premières en distances ; Pappos d'Alexandrie, connu par Moïse de Chorène,
élabore un texte à partir de la mappemonde de la Géographie; Marcien d'Héraclée en tire lui
aussi des éléments descriptifs, et Jacques d'Édesse des listes de régions. Dans le monde latin,
Ammien Marcellin ne semble avoir connu la Géographie qu'à travers des intermédiaires ; et il
n'a pas utilisé de cartes au sens moderne.
La tradition indirecte, ou plutôt le souvenir de la Géographie dans le monde latin
médiéval a enfin été abordée. La connaissance de ce texte n'a jamais totalement disparu, depuis
le VIe siècle, où Jordanès le cite dans les Getica (largement diffusés et excerptés durant tout le
Moyen Âge) et où Cassiodore le recommande à ses moines dans ses Institutions. Aux temps
carolingiens, la lecture et le commentaire du De nuptiis de Martianus Capella, ainsi que le
Periphyseon et la traduction de Priscianus Lydus par Jean Scot Érigène, font connaître
l'existence d'un geographicum opus considéré comme descriptif. À partir du XIIe siècle, ce sont
les traductions arabo-latines de textes astronomiques et astrologiques qui, pour l'essentiel,
viennent préciser le contenu de ce texte (dont il a existé des traductions arabes), dont on sait
qu'il renferme des listes de coordonnées géographiques permettant de dresser des cartes (il est
souvent désigné comme liber de mappamundï). La vogue de l'astrologie, et notamment du
commentaire d'Ali ibn Ridwan au Quadripartitum, ainsi que du De iudiciis astrorum d'Haly
Abenragel, explique qu'à la veille de la traduction, il n'était sans doute pas un seul astronome
qui ne fût au courant de l'existence de cet ouvrage, circonstance qui aide à placer dans une juste
perspective la « redécouverte » florentine.
L'année s'est terminée par l'examen de la préface du traducteur Jacopo Angeli, et par une
présentation générale des problèmes de la réception de la Géographie au XVe siècle, fort
différente selon les milieux : humanistes et philologues attachés à reconstruire l'espace de
l'Antiquité et de ses œuvres, astronomes et mathématiciens soucieux d'améliorer l'exactitude
des listes de coordonnées ou de formaliser les systèmes de « projection » ; grands personnages
désireux de posséder des volumes de prestige, mais aussi de visualiser les rapports
topographiques dans les régions récemment découvertes ou à découvrir.

Activités du directeur d'études :


1) Colloques
Le directeur d'études a présenté les communications suivantes :
— Jean Fusoris et la sphère : un astronome, auteur d'un globe terrestre, à la découverte de
Ptolémée (« Humanisme et culture géographique à l'époque du concile de Constance. Autour de
Guillaume Fillastre », université de Reims, 18-19/XI/1999 ) ;
— Portulans and the Byzantine World (« Travel in Byzantine World », University of
Birmingham, Grande-Bretagne, 1-3/IV/2000) ;

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— The réception of Ptolemy in the fifteenth century : problems of research and new
perspectives (« Cartography in the Renaissance », University of Wisconsin, Madison, États-Unis
d'Amérique, 6-9/IV/2000).
2) Publications
— « Le souvenir de la Géographie de Ptolémée dans le monde latin médiéval (Vle-XIVe
siècle) », dans Euphrosyne, t. 27, 1999, p. 79-106.
— « Connaissance et usages géographiques des coordonnées dans le Moyen Âge latin (du
Vénérable Bède à Roger Bacon) », dans Science antique, science médiévale. (Autour d'Avranches
235), Actes du Colloque international (Mont Saint-Michel, 4-7 septembre 1998), Hildesheim-
Zùrich-New York, 2000, p. 401-436.
— « Bertrand Boysset et la science», dans Cahiers de Fanjeaux, t. 35 (Église et culture en
France méridionale, XW-XIVe siècle), Toulouse, 2000, p. 261-285.
— « La montagne dans la description "géographique" au Moyen Âge », dans La Montagne
dans le texte médiéval. Entre mythe et réalité, textes réunis par Cl. Thomasset et Danièle
James-Raoul, Paris, 2000, p. 99-121.
3) Responsabilités diverses
Le directeur d'études a été membre du jury de thèse de doctorat de Mme M. Hoogvliet
(université de Groningue, Pays-Bas).
Il est membre du Comité de direction ou du Comité scientifique des revues suivantes : Revue
d'histoire des textes (chargé de la rédaction) ; Itineraria (Gênes, Italie).
Il est membre de l'« Advisory Board » de History of Cartography, vol. 3 : Cartography in
the European Renaissance (The University of Chicago Press).
Il dirige les collections suivantes, aux Éditions Brepols : Miroir du Moyen Age ; Terrarum
orbis. Il co-dirige la Bibliotheca Victorina.

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